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Chapitre 1
Attachement au matériel
« Un jour, mon premier entraîneur m'a dit : "Tu deviendras un joueur fort une fois que
tu auras appris à sacrifier un pion correctement." Ces mots m'ont fortement marqué à
mes débuts dans la compétition d'échecs. »
Il avait raison ; abandonner du matériel n'est pas quelque chose de naturel pour la
plupart des gens. Après tout, nous sommes des êtres matérialistes et instinctivement
conscients de l'équilibre matériel sur l'échiquier. Mais les échecs ne sont pas
simplement un jeu d'addition et de soustraction linéaire ; d'autres lois régissent le jeu
royal au-delà du simple décompte des pions et des pièces.
Pour bien comprendre une position d'échecs, il ne faut pas seulement compter les
pièces à leur valeur nominale, mais aussi prendre en considération des facteurs
qualitatifs tels que la sécurité du roi, la mobilité des pièces, l'existence de cases
importants et de faiblesses de pions, l'initiative, etc.
L'espace englobe tout ce qui est lié à l'échiquier : cases, colonnes, diagonales,
structures de pions et l'avantage spatial lui-même. Ce sont en grande partie les
postulats de la compréhension positionnelle moderne établis par le premier
champion du monde, Wilhelm Steinitz.
D'un autre côté, le temps aux échecs est un tempo, une menace, l'initiative et
l'attaque - en d'autres termes, le temps tel qu'il se rapporte aux coups d'échecs qui
se déroulent, un par un, dans une partie d'échecs.
Ainsi, tout comme les physiciens définissent notre univers en termes de matière,
d'espace et de temps, nous pouvons essayer d'expliquer l'« univers des échecs » en
termes similaires. Après tout, Garry Kasparov n'a-t-il pas écrit un livre sur la façon
dont la vie imite les échecs ?
Donc, il est très courant que les joueurs d'échecs préfèrent inconsciemment le
matériel au détriment du temps et des aspects spatiaux (positionnels). Cependant, la
réalité du jeu est parfois différente, et pour devenir plus fort aux échecs, il faut
apprendre à regarder au-delà du décompte matériel lors de l'évaluation d'une
position. Les joueurs expérimentés le font souvent à un niveau subconscient, en
utilisant leur connaissance de nombreux modèles, règles et exceptions formés au fil
des années.
Partie 1
34.a4
L'approche matérialiste 34.Txg5 ? Txd6 35.Txd6 Txd6 36.Txg4 serait erronée, car
dans la finale contre un seul pion passé, les Noirs ont de bonnes chances de tenir la
nulle : 36...Ta6 37.Th4+ Rg8 38.a4 g5 39.Tb4 Rf7 etc.
34.a4 Ta8 ?!
Cela se perd facilement. Plus tenace était 34...Rg8, menaçant ...Rg8-f7. Cependant,
dans ce cas, les Blancs peuvent commencer à ramasser les pions sur la colonne du
roi, un par un : 35.Txg6 Rf7 36.Tdxg5 etc.
35.Te7 Tdd8 36.a5 Ta6 37.d7 Ta7 38.Rg2 Taa8 39.Txg5 Ta7 40.Td5 Taa8
Partie 2
Les Blancs ont trois pions d'avance dans la finale de tours, ce qui est presque
toujours un avantage décisif à ce stade de la partie. Cependant, après
48...Td8 !
Il devient vite évident que ce n'est pas le Noir, mais le Blanc, qui essaie d'obtenir la
nulle ! Le seul pion noir est plus avancé que n'importe quel pion blanc, tandis que les
pièces blanches sont placées de manière très passive, ce qui rend difficile son
blocage. Kosteniuk a joué
49.Tg5+
49.a4 ?? est évidemment trop lent et est déjà perdant après 49...e3 50.Tg7 Rf6
51.Tg4 e2 52.Te4 Td1+.
Les Blancs ont réussi à arrêter le pion pour un moment, mais les Noirs peuvent
renforcer la menace avec
53.Tc4+
Encore une fois, essayer de capitaliser sur l'avantage matériel avec 53.a5 a un effet
boomerang après
53...Rd3 54.Tc3+ Re4 55.Tc4+ Rd3 56.Tc3+ Re4 57.Tc4+ Rd3 ½-½
On espère que ces exemples frappants illustrent bien l'importance d'identifier les
facteurs non matériels qui sont essentiels à la position en question.
Une situation amusante s'est produite il y a quelques années avec l'un de mes
jeunes élèves débutants dans un tournoi de jeunes. Après avoir gagné la dame de
son adversaire, je m'attendais à ce que la partie se termine assez rapidement,
d'autant plus que son adversaire, jouant les Blancs, n'avait plus que quelques pièces.
Cependant, au lieu de lancer une simple attaque de mat à plusieurs moments, il a
procédé au "nettoyage de l'échiquier" en capturant toutes les pièces blanches
restantes.
Pendant ce temps, je me suis promené dans la salle de jeu pour observer les autres
parties en cours. Plongé dans une position intéressante d'une autre partie, j'avais à
peine remarqué une main se lever de l'autre côté de la salle de jeu. La partie de mon
jeune élève venait de se terminer. En m'approchant de sa table, la première chose
que j'ai vue a été un sourire de culpabilité sur son visage. J'ai tout de suite compris
de quoi il s'agissait, et j'ai regardé la position finale sur l'échiquier pour confirmer mon
soupçon. Effectivement, le roi blanc était pat dans le milieu de l'échiquier, qui était
plein de pièces noires. Il était entouré de pas moins de quatre dames noires !
Outre l'attachement inné de l'humain au matériel, cet incident fait également allusion
à deux aspects particuliers des échecs qui surpassent parfois l'importance du
matériel :
Dans " Stratégie et tactique aux échecs " de Georgy Lisitsyn, l'un des premiers livres
d'échecs que j'ai lu dans mon enfance, le rôle de ces deux particularités était
expliqué de manière méthodique. Selon Lisitsyn, "... le rôle du roi et la promotion des
pions complexifient, élargissent et enrichissent les possibilités aux échecs."
Examinons plusieurs exemples intéressants que j'ai rencontrés au fil des années
pour illustrer son propos.
Partie3
Cependant, elle n'a pas su apprécier la deuxième particularité des échecs : le rôle du
roi. Dans cette position, le roi blanc est très mal placé en d3. Il est protégé pour
l'instant, mais il suffit d'un peu d'imagination pour visualiser la création d'un filet de
mat autour de lui. Les Noirs peuvent le faire avec le spectaculaire 29...Ff4 !!
C'est un peu plus fort que 29...Fg5, avec la même idée, car cela évite e4-e5 dans
certaines variations.
D'un point de vue matériel, la situation a complètement changé. Maintenant, c'est les
blancs qui a un avantage matériel et un tempo d'avance. Cependant, son roi est pris
dans un filet de mat et il ne peut pas faire grand-chose avec ses trois pièces
majeures ! Les Noirs menacent un simple échec et mat après 32...Tf2+ et 33...Te3#.
Voyons quelles options s'offrent aux Blancs :
B) 32.Rc3 Tfc2+ 33.Rd3 Te2! (un coup tranquille qui referme le filet de mat) 34.Rc3
Fe5+ 35.Rd3 Fd4, suivi de 36...Te3#
C) 32.Da5 Tfe2 33.Re1 (33.Dc3+ f6 ne change rien) 33...Td2+ 34.Rc3 Tc2+ 35.Rb3
Tb2+ 36.Ra4 (en cas de 36.Rc3, la géométrie fonctionne parfaitement pour les Noirs
: 36...Fd2+! 37.Rxb2 Fxa5+, suivi de 38...Fxe1) 36...Fd2!–+
Diagramme d'analyse de la position finale
Partie 4
La situation semble assez critique pour les blancs. Les Noirs ont un pion d'avance et
leur position est clairement préférable d'un point de vue positionnel (paire de fous sur
un échiquier ouvert et un roi plus en sécurité). À ce stade, les Blancs ont eu une idée
absolument brillante pour sauver leur peau.
31. Te1 !!
Les points d'exclamation doubles ne sont pas tant dus à la force du coup lui-même,
mais plutôt à l'idée qui se cache derrière.
31... Fxa2
32. b3 !?
Alors que l'abandon du pion a2 pourrait être justifié par la centralisation de la tour,
celui-ci ressemble à de la pure folie. Pourquoi diable les Blancs abandonnent-ils
leurs pions du côté dame comme ça ?
32... Fxb3 33. c4 !
33... Fxc4 ?
C'est évidemment ce que les Noirs pensaient aussi. Ils ont maintenant quatre pions
d'avance et conservent les mêmes avantages positionnels qu'en position initiale.
Selon toutes les règles connues, les Noirs devraient être en position de gagner,
mais...
34.Fd5+ !!
Chers amis, voici l'échec royal ! Aux échecs, rien n'est plus pressant que de menacer
le roi adverse, et Solodovnichenko l'exploite ici avec un brio magistral.
Il est important de noter que 33...Tf8 ! aurait évité la combinaison et donné aux Noirs
d'excellentes chances de gagner.