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Recueil d'essais sur le château de Meyras, dit de Ventadour

écrits de 2009 à 2021


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Historiques?...
Bénévole pourPas la
aupremière
sens propre.
foisEnà effet d'autresenavant
Ventadour 1974,moi ont (fort
depuis bien) décortiqué
de nombreuses les arbres
années je
généalogiques. Ce n'est pas mon élément. Trois axes fondamentaux m'intéressent,
continue de m'intéresser au château. Mais plus comme un jeune homme, trois axes qui sont
liés, étroitement.
charriant etTrois éléments des
maçonnant sanspierres,
lesquelsdébordant
on ne peut pas comprendre
de vitalité… Ventadour
L'âge :
m'a rattrapé!…
Aussi, je me penche maintenant sur des recherches plus sédentaires et historiques.

Historiques?... Pas au sens propre. En effet d'autres avant moi ont (fort bien) décortiqué les arbres
généalogiques. Ce n'est pas mon élément. Trois axes fondamentaux m'intéressent, trois axes qui sont
liés, étroitement. Trois éléments sans lesquels on ne peut pas comprendre Ventadour :

-L'archéologie du bâti du
château (quoi, dans quel
ordre, et à quelle époque?)
J'y travaille de-ci de-là depuis
très longtemps, mais seule
une présence prolongée sur
place pourrait me permettre
de finaliser -enfin- ce travail
bien engagé.

-Le système de surveillance,


de guet au loin et d'alerte
du château. Mes enquêtes
ont progressé, j'ai du solide,
et vous pourrez lire à ce pro-
pos. Il m'en manque quand
même encore un petit peu…
Et toujours pour la même
raison: il me faudrait tant de
temps sur place!

- Les chemins et moyens


d'accès vers le château au
Moyen-âge! Cela fait des
années que j'y réfléchis et
j'ai bâti une série d'hypo-
thèses, qui elles, semblent
accomplies. Vous pourrez
prendre connaissance de
cette étude.

Pardonnez s'il vous plaît d'éventuelles petites erreurs ou parfois approximations : mes moyens
d'investigation sont limités par l'éloignement. Moyens que des chercheurs plus "pointus" que moi
maîtrisent mieux. Je ne peux mettre le lien sur absolument toutes mes sources, car l'appendice qui
en résulterait serait plus imposant que l'étude en elle-même. Il faut parfois me faire confiance, je ne
suis pas un universitaire rompu aux thèses et aux écrits de haut-vol. Je remercie tous ceux dont les
publications, littéraires ou sur le web, m'ont aidé et inspiré.

Je ne livre pas des vérités!!! Je donne un avis, une vision… N'hésitez pas à me contredire, chercher, et
toujours avancer, avec moi…

Jean-Luc Bourbon, juin 2021

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Ces recherches sont dédiées à
Françoise et Pierre Pottier,
à mon épouse Véronique
rencontrée à Ventadour,
et à tous les bénévoles qui se
succèdent depuis 1969 pour
faire revivre le Château.

Jean-Luc Bourbon

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Les voies d'accès à Ventadour
I - Les routes de Meyras et du Puy

Extrait de la carte de Cassini

Essai d'étude et de compréhension des chemins médiévaux d'accès au château de Ventadour, Ardèche.

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Le réseau routier en Vivarais a été et est encore en mutation… Occupation Romaine,
chemins et routes médiévaux, grandes transformations du 18e siècle… Tout contribue à
superposer et mélanger les époques. Quelques universitaires et chercheurs ont fait à ce
propos des travaux remarquables, mais jamais dans le détail autour de Ventadour.

Les grands axes routiers autour de Ventadour

Deux routes menaient d'Aubenas vers le Puy, anciennes routes romaines, à l'époque médiévale.

L'une par la rive gauche de


l'Ardèche, passant au sud de
Vals, puis sous le village de
Nièigles et, longeant la Fon-
taulière par sa rive gauche
également, allant jusque Chi-
rols, où elle franchissait le
pont de Veyrières (qui était en
bois jusque 1740) pour chan-
ger de rive en direction de
Montpezat. Cette route était
appelée "route du Puy par Le
Les grands axes entre le col du Pal". Comme de nom-
Moyen-âge et aujourd'hui. breuses routes romaines, pour
des raisons stratégiques, elle
se situait souvent à mi-hauteur de colline, sous la ligne de crêtes (en pointillés rouge sur la carte).

Pour ceux qui voulaient rejoindre le Puy par le sud-ouest, il fallait longer l'Ardèche par sa rive droite,
(par actuellement Labégude et Lalevade) et, à hauteur du lieu-dit "la Garde", gravir la montagne pour
arriver sur la falaise basaltique en direction de Jaujac par "le Coulet" (petit col…), redescendre et pas-
ser le Lignon sur le pont du Réjus, ensuite l'Ardèche sur le pont du Barutel (en pointillé bleu sur la
carte), et enfin sur cette rive gauche de l'Ardèche suivre une route sommaire qui deviendra bien plus
tard route royale, puis la N102, et qui monte au col de la Chavade par Thueyts et Mayres.
Une "planche" désigne,
au XVIIIe, un pont à
piles de pierre, mais
tablier de bois.
(Document des archives
départementales de
l'Ardèche).

Le tracé de l'actuelle
N102 sera ouvert et dé-
claré route royale sous
Louis XV, (grâce au pont
Rolandy, 1762) et figure-
ra sur les cartes de Cas-
sini, cartes relevées en
1773 et éditées en 1781

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pour cette région. Il faut oublier pour le moyen-âge toute cette partie actuelle qui va depuis bien
avant Pont de Labeaume au Barutel par la nationale 102...

L'ouverture du "Pont de la Beaume" est contemporaine aussi de Louis XV, mais antérieure. Des écrits
nous parlent d'une "planche" (illustration page précédente) jusque sa construction de 1727 à 1737.
Son utilité est de relier la route de la rive gauche de l'Ardèche à Jaujac. Est-ce dû au développement
de "la Balme", qui engendrera Pont de Labeaume? Il est à noter que la construction du pont Rolandy
ne débute, elle, qu'en 1760, en créant cette future N102. Aussi, on peut déduire que la route du Puy
au nord par le Pal fut privilégiée sur la route du sud par Mayres pendant encore plus de 20 ans.

Le passage du Pourtalou, énigme Ventadourienne

Plusieurs chroniqueurs parlent d'un


La carte de Cassini pont à péage, dit du Pourtalou, au
pied de Ventadour…

Les études des ponts de l'Ardèche


nous indiquent un pont du Pourta-
lou dont l'adjudication des travaux
date de 1759 pour un achèvement
en 1762. Sur la carte de Cassini,
dont l'établissement est pour cette
région de 1773, on n'a plus de pont
du Pourtalou… Déjà emporté par
une crue??? (Idem sur le cadastre
Napoléonien).

Ce pont du Pourtalou aurait été si-


tué en contrebas de Nièigles, en ré-
alité sur la Fontaulière, à quelques
dizaines de mètres du confluent
Sur le cadastre napoléonien (1839),
entre celle-ci et l'Ardèche.
pas de pont non plus, mais une arrivée
de Nièigles brusquement interrompue.
Il est troublant de noter que sur la
Carte de Cassini. Un bout de carte de Cassini, en admettant
route, qui ne mène nulle part… l'omission du pont pour destruction,
on n'ait aucune route au bas de
Ventadour, rive droite de la Fontau-
lière. Où menait alors ce pont? Dans
le cadastre Napoléonien de 1839,
l'actuelle route D536 (ouverte vers
1860, recensée en 1933) n'est
qu'une sente comparable à celle qui
monte du pont Rolandy au château.
Faut-il envisager au 18e que cette
sente existe déjà et mène à Mont-
pezat par la rive droite de la Fontaulière? L'omission de Cassini est-elle due au fait qu'on ne recensait
que les routes dites "Royales"? Ou bien a-t-on affaire, par exemple, à un débarcadère sur les berges
de la rivière côté château?...

Ce Pourtalou a une grande importance, nous allons y revenir…

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La route de la rive gauche de la Fontaulière deviendra donc route royale (carte Cassini). La route sur
la rive droite de l'Ardèche aussi, le pont de Labeaume deviendra en pierre pour desservir Chirols en
passant de rive droite à rive gauche. Exit la vieille route Aubenas-Vals-Chirols-Montpezat par la rive
gauche jusqu'à cet endroit: on fera (en termes modernes) Aubenas, Labégude, Lalevade, Pont de
Labeaume, passage de pont, Chirols, repassage de pont, et direction le Puy par Montpezat et le col
du Pal…

Le pont du Pourtalou sera reconstruit fin des années 60,


noyant les piles anciennes et ne permettant pas d'ana-
lyse… Pont du 18e siècle entièrement nouveau, ou refon-
dé sur des bases plus anciennes? Certains disent même
que ces piles étaient en béton… Cela voudrait dire qu'on
aurait eu encore un pont intermédiaire (piles béton avec
tablier métal par exemple) dans l'entre deux guerres? La
municipalité de Pont de Labeaume n'a pas répondu à mes
diverses demandes, la préfecture de l'Ardèche a fait la
sourde oreille à mes courriels…
Une des rares photos des piles du pont du
Pourtalou avant la reconstruction moderne.
Notre époque a instauré les fouilles archéologiques obli-
gatoires, les années 60 ne s'en souciaient guère. D'ailleurs,
même le château n'intéressait personne…

Mais nous sommes hélas ici au 18e siècle. Il nous faut revenir sur la topographie encore antérieure,
au Moyen-âge… Et pour l'instant, toutes les routes semblent bouder le château...

Récapitulons : la première route d'Aubenas passe en face au pied de Nièigles. La seconde par "La
Garde" évite le château pour s'en aller aux ponts du Réjus et du Barutel. Par contre, du Barutel en
passant près de Hautségur, on monte sur Meyras. Meyras, le fief dont dépend Ventadour…

Ventadour est le château de Meyras…

Il est avéré que 2 grands chemins venaient de Meyras au château, un par le sud-ouest, un par le
nord-ouest, correspondant aux portes de l'enceinte.

On les retrouve partiellement, actuel-


lement, sous forme de sentiers et
chemins de "randonnée" (ici en pointil-
lés violets). Les hommes du moyen-âge
ont laissé leur empreinte en taillant le
flanc de la montagne et rabotant le ro-
cher, ou bâtissant des soutènements!…
Les chemins ont maintenant dévié à
l'approche du château pour répondre
aux exigences touristiques, (le sud
s'infléchit au lieu-dit "les Portes", le
nord au "Pradel") mais ils ont gardé
leur essence, leur trace d'origine.

Carte IGN avec


les chemins de randonnée

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Celui du Sud-ouest, qui arrivait à la porte Sud, se voit aisément sur cette carte IGN. Il est à noter que
ce chemin, à la sortie de Meyras, porte sur les cartes le nom de "chemin de la Dame de Ventadour"!

Restitution du chemin sud


(pointillés jaunes) sur les sentiers
actuels (pointillés mauves).
A remarquer comme la liaison
entre Ventadour et Hautségur
semble aisée et voulue…

Par le Nord-est, le chemin rejoint Meyras en passant au-dessus du Pradel. Il est aussi devenu chemin
de randonnée. Il partait de la porte nord. J'ai eu le plaisir et l'honneur (!) de l'ouvrir en 1986, l'année
du début de dégagement de la face nord de Ventadour. Il est visible par son mur de soutènement la-
téral. Nous avons rattrapé le niveau du chemin (moderne) du château, par rapport à ces traces de
mur, en y vidant pendant plusieurs été les brouettes de gravats, car le sol du chemin originel avait
été emporté par l'érosion. La végétation a refixé le sol, une petite partie de ce chemin est praticable.

Il est à noter que ces chemins dont subsistent les vestiges (soutènements, rocher taillé dans le flanc)
suivent des courbes de niveau stables. Ce pour épargner les bêtes de somme, qui à l'évidence tiraient
des charrettes. En effet, après contacts avec des sociétés d'élevage d'ânes, mules ou chevaux j'ai ap-
pris qu'on ne fait faire pas n'importe quoi à la bête bâtée, et on la préserve encore plus si elle tire des
chariots : il faut respecter un pourcentage de pente pour ne pas l'épuiser. Or, la largeur de ces che-
mins arrivant aux portes de l'enceinte et la largeur des entrées est compatible avec un chariot étroit.

L'étude soigneuse des courbes de niveau depuis les portes de Ventadour démontre ce soin d'épar-
gner ânes et mules…

Le chemin Nord va à Meyras à côte constante 350 jusqu'au Pradel, puis plein ouest pendant 800m au
dessus de Sébastier pour atteindre la cote 400, et redescendre à la côte 380. Enfin il fait les 800
derniers mètres de nouveau en montée, Meyras est à l'altitude 430. A aucun moment la déclivité
n'excède 7 pour 100.

La porte du Sud ouvre le chemin de Meyras par le Barutel et Hautségur, et part aussi de la côte 350. Il
file plein ouest pendant environ 1000m jusqu'à l'aplomb de "la Jugerie" où il atteint la côte 400. En-
core 1000m et il rejoint le chemin Nord au dessus du lieu-dit "Champ Guérin". L'avantage du chemin
Sud est qu'il peut bifurquer vers Hautségur peu avant, près du lieu-dit "le Moulin de Jean", et se
séparer alors en deux branches, dont l'une descend au pont du Barutel.

L'homme porteur

Plus intéressant encore est le chemin des crêtes! Il en subsiste des vestiges lorsque l'on s'enfonce
dans la forêt, sur la face ouest du château, dans le prolongement de la "porte piétonne" du rempart.

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Bien sûr, il faut d'abord escalader la petite "falaise artificielle" créée par le dégagement au "bulldo-
zer" en 68-69. Jadis, la colline venait mourir doucement au pied de l'enceinte, face au grand rempart.

En trait bleu, le chemin que nous avons


retrouvé, en pointillé la supposition…

Pour l'anecdote, la redécouverte de ce


chemin fût un "grand moment" de l'été
1975. Avec d'autres bénévoles, nous
nous y sommes engagés à 4 ou 5, un
après-midi en plein soleil, jeunes et in-
conscients, avec une simple bouteille
d'eau pour nous tous! Sur le plateau, la
chaleur était intenable.

Nous avons quand même rejoint Meyras,


mais la deuxième moitié du chemin était aléatoire, nous ne trouvions plus de repères, le remembre-
ment était passé par là. Je vous dirai juste que nous avons eu plus vite fait de rentrer au château par
les chemins balisés!!!

Mais ce chemin est bien réel. À mon sens, ce


fut le premier itinéraire pédestre de Meyras
vers ce qui n'étaient alors que les prémices de la
forteresse actuelle. Je développe cet aspect
dans ma théorie du bâti, lorsque Ventadour n'é-
tait encore qu'un ensemble primitif, un castrum
de surveillance pour Meyras.
La petite porte ouest, dessin de Ph. Denis, et les
restes du passage voûté avec ses marches.
D'excellents articles sur les chemins et routes
du Vivarais sont parus en 2006 dans "Mémoire
d'Ardèche et temps présent", dont un sous la
plume de Michel Rouvière. Celui-ci développe
les moyens de portage sur les chemins étroits
en Ardèche, les chemins de "l'homme porteur".
Ce chemin des crêtes correspond tout à fait à
cet usage : le plus court possible, trop étroit et
escarpé pour des "charrois", voire même des
mules. Il est aussi à remarquer que cette sente
arrive non pas aux grandes portes Nord et Sud,
mais à la petite porte plein Ouest, qui passe en-
suite par un passage voûté sous la grange de la
Prade, passage trop bas et trop étroit pour une
charrette, et terminé par des marches… Donc
non accessible également à une bête bâtée.

Nous avons donc un triple réseau entre Venta-


dour et Meyras, retrouvé, avéré.

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Ce réseau se greffe sur les
Les chemins au nord de Meyras, devenus des axes majeurs. Par Meyras
sentiers de randonnée (pointillés mauves). "sud", on retourne sur le
Barutel, et Le Puy par le
col de la Chavade. Par
Meyras "nord", des che-
mins, devenus eux aussi
de randonnée, nous font
rejoindre la vallée de la
Fontaulière au niveau du
pont de Veyrières (et Chi-
rols, où se trouve une bâ-
tisse que je considère
comme tour de guet!) ou
plus en amont vers l'ac-
tuel village d'Amarnier,
retrouvant la route du
Puy par le Pal.

Nièigles, le Pourtalou et ses chemins

Au Moyen-âge, face à Ventadour,


Nièigles est un village prospère à
350 toises à vol d'oiseau du châ-
teau. On descend de Nièigles
("Niaigle") directement sur la rive
gauche, au confluent Fontaulière-
Ardèche, sur cette route Aubenas
-le Puy par le col du Pal.

Et si je veux aller de Nièigles à


Meyras ou au château, rien…?

L'actuel pont du Pourtalou. La rivière mesure N'oublions pas que le pont en


15 à 28 m , selon la saison, de rive à rive à cet pierre de Labeaume n'existe pas
endroit. C'est une longueur raisonnable même encore. La présence d'un pont "de
pour un pont de bois. En rouge, la route de la planches" est notifiée début 18e,
rive gauche de l'Ardèche vers le Pal. mais mon avis est que l'Ardèche
est trop large à cet endroit pour
que l'on ait établi un pont de telles dimensions au Moyen-âge. Et pourquoi?

Parce que "Balma" ou "la Balme", village issu de Nièigles, ancêtre de Pont de Labeaume, n'est pas
encore créé. Enfin, même si on traversait l'Ardèche à cette place, il faudrait encore retourner à La
Garde, et faire tout le détour par les ponts du Réjus et Barutel pour aller à Meyras…? Vraiment pas
l'idéal de commodité… Ce point sera développé dans le deuxième volet.

La route de Nièigles originelle rejoint la route du Puy. Cette voie ne passe qu'à quelques dizaines de
mètres de la rivière Fontaulière. Nièigles est un village médiéval grand et puissant comme Meyras. Il
est indissociable de Ventadour (je développe cette théorie dans mon étude des postes de guets du
site) car pour moi, la tour du clocher de Nièigles est un relais visuel de surveillance de la vallée.

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Pour qui connaît les lieux, la Fontaulière est
étroite, basse et calme à cet endroit une
bonne partie de l'année… Mon idée est
qu'on pourrait passer la rivière à gué, ou en
barge lorsqu'elle était plus profonde. Et on
peut envisager aussi un pont de "planches"
ou entièrement de bois, car moins difficile à
édifier ici qu'à l'emplacement de Pont de
Labeaume! Il faut aussi considérer, plus en
amont, mais avant le pont de Veyrières, le
lieu dit "le Gua", vieux français exprimant
un… gué.

La Fontaulière au Pourtalou La tradition locale parle d'un "pont du Pour-


talou" ou d'un "pont à péage du Pourtalou",
et d'un "chemin du Pourtalou" arrivant sur la face nord-est du château bien avant le 18e siècle…

Car ce n'est qu'au 18e que l'on trouve les mentions écrites de l'édification d'un pont, par l'adjudica-
tion de sa construction. Cela signifie-t-il qu'il n'y en a pas eu avant? Non! Fions nous aux "on-dit" lo-
caux, car toute tradition orale a une origine! Serge Dahoui, dans des articles datés de 1970 de "la re-
vue du Vivarais", nous parlera de pont à péage en 1626, hélas sans citer de sources.

Mais que desservirait-il? La route de Monpezat (D536), sur la rive droite de la Fontaulière, apparaît
sur le cadastre Napoléonien comme une sente, et ne sera route qu'à mi 19e siècle… Au Moyen-âge, il
n'y a rien encore : le château a "les pieds dans l'eau". Ou alors il faudrait à l'extrémité de ce pont un
ou plusieurs chemins montant au château, qui rejoindraient les chemins nord ou sud vers Meyras.

Nous aurions alors notre "pont du Pourtalou", et notre (nos) chemin(s) du même nom… Notre châ-
teau serait maintenant relié à la route Nord du Puy par Chirols (amont de la Fontaulière), à la route
Sud du Puy par le Barutel (amont de l'Ardèche), et par l'Est et Nièigles (aval de l'Ardèche)… Le verrou
Ventadourien est prêt à fonctionner, les val-
lées sont sous contrôle.

Schéma du principe du, ou des chemins


du Portalou en pointillés. Les chemins
Nord et Sud sont en traits pleins.

J'entrevois alors pourquoi le fief de Meyras


est légué (une forme de "dot rétroactif"?...)
par les Solignac aux Montlaur (1195).

En effet, je pense qu'on s'offre entre nobles


au Moyen-âge des sources de revenu, pas des résidences secondaires!

Le fief de Meyras, avec Ventadour, va rapporter de l'argent à Pons de Montlaur et Miracle de Soli-
gnac. La perception d'éventuels droits de passage -par le biais des mandements- doit se faire via un
contrôle et une capacité d'intervention sur les voies de communication. C'est maintenant le cas. Et
s'il faut justement intervenir?… Les points cruciaux sont facilement atteignables au Nord et au Sud.
Mais comment descendre du château au pont du Pourtalou? Encore une fois, il faut alors un chemin.

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Un chemin ou des chemins… On distingue
bien, sur les vieilles cartes postales, des
tailles dans le rocher, plus dénudé qu'au-
jourd'hui. Lorsque j'ai fait la maquette du
site, après mon contact avec "la société
asine", j'avais le pourcentage de grimpée
d'un âne bâté (environ 15-20 pour 100) et
j'avais calculé la dénivellation de la rivière
aux portes du château. Multipliée par ledit
pourcentage, cela m'avait donné une lon-
Sud-Est gueur minimale de chemin pour ne pas
"crever" les bêtes. J'ai tiré cette longueur à
l'échelle, et me suis rendu compte que l'on
peut rejoindre les deux portes, Nord et
Sud, à partir de l'emplacement du Pourta-
lou en respectant une pente supportable,
et une distance raisonnable.

Pour le Sud, on peut imaginer, depuis le


Pourtalou, serpenter en passant le long du
pigeonnier Est, au-dessus ou au-dessous,
donc sous surveillance, et rejoindre la porte
Nord Sud. Mais une étude sur place l'été 2016
m'a laissé perplexe… J'avais réussi à déga-
ger une sorte de sentier s'aidant des ter-
rasses, depuis la porte Sud en direction du
pigeonnier Est, avec un confort de marche
correct (pointillé jaune), et même un esca-
lier de huit marches (losange rouge) de
belle facture pour un parcours piétonnier
au niveau supérieur (pointillé rouge). Mais
ces deux parcours s'achèvent brutalement
au droit du rocher (cercle rouge) qui sup-
porte le pigeonnier. On est face à un mur
vertical de granit de plusieurs mètres, in-
Nord-Ouest franchissable, et pas de trace d'un quel-
conque passage bâti avec soutènement. Il
n'est pas possible d'arriver par plus haut en
altitude, car cette fois, c'est un mur des-
cendant vaguement de la chapelle (ovale
orange) qui crée une dénivellation, suivi
d'une pente très raide (50%) montant à la
chapelle, pente finissant d'ailleurs sur une
bosse rocheuse devant la porte du pigeon-
nier, bosse difficile à franchir pour un hu-
main, alors, imaginez par un âne ou une
mule…?

Le seul chemin possible par le sud serait un


Investigations 2016 Sud chemin suivant le parcours bleu. Là, deux
problèmes à résoudre, l'un est que nous
sortons des limites cadastrales du château, et il faudra une autorisation des propriétaires voisins, le

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second est que les cultures en terrasse ont modifié la physionomie du terrain et peut-être effacé des
traces médiévales… Alors, mon ébauche de chemin retrouvé serait "moderne". Affaire à suivre.

Pour le Nord, on se rend compte que c'est


Investigations 2016 Nord également faisable, toujours avec une
pente raisonnable pour les bêtes, ou les
"hommes porteurs", cette fois sous con-
trôle des hauts bâtiments de ce côté. Une
excursion en compagnie de Damien, autre
bénévole passionné par l'histoire du châ-
teau, nous révèle que le seul passage pos-
sible ne peut se faire qu'entre l'aiguille ro-
cheuse et le château (trait bleu) pour re-
joindre le chemin de Meyras par le Pradel
(pointillé vert) et la porte Nord-Ouest.

Nos investigations rapides sur cette face


nous ont montré un mur cyclopéen (trait
jaune) reliant les deux bords d'une faille,
peut-être le reste d'un mur de soutène-
ment. Plus troublant, une plate forme
d'une quinzaine de mètres carrés (cercle
orange), adossée au rocher taillé vertica-
lement, où subsiste au moins un trou de
15 m² aplanis, le rocher arasé, côté Nord poutre... Restes du toit d'un poste de guet,
ou bien encore d'une loge de tailleurs de
pierre, car on n'est pas loin d'un site d'ex-
traction, visible aux balafres des barres à
mine dans le rocher.

Dans son étude de 1979, mon vieux cama-


rade Philippe Denis, fait arriver en point
d'interrogation un chemin du Pourtalou sur
la face Est. Ceci est impossible par la trop
Une encoche pour supporter rapide dénivellation. De plus, les travaux de
poutre ou solive, côté Nord dégagement ultérieur sur ce côté n'ont pas
révélé de porte dans le rempart.

Bien au contraire, une étude de Philippe


Champanhet en 2008 a mesuré que le ro-
cher est taillé en à-pic, avec une hauteur de
plain-pied intérieure plus haute de 1,50m à
3,30 m que le niveau du sol extérieur de
l'enceinte.

Par contre, des dégagements récents ont


révélé la possibilité d'une porte sur la face
Nord, et un chemin muletier y accédant. La
Le rocher porte les traces de piste doit être poursuivie : chemin du Pour-
"barre à mine" de l'extraction… talou ou itinéraire des carriers…?

15
Des travaux engagés à la pointe Sud-Est du site
ont dévoilé un lien pédestre possible entre le pi-
geonnier et ce secteur, dit "des écuries". Mais à
mon sens pas de mouvement de bêtes ou de mar-
chandises entrant directement par ce côté. De
plus, il est très probable que ce pigeonnier soit
tardif. Attention, à la décharge de Philippe Denis,
qui fit cette étude en son temps, il faut savoir que
les travaux de déblaiement n'avaient pas encore
L'escalier "de Huit marches" côté Sud. livré tous les détails extérieurs de la forteresse au
Malgré un aspect rustique, il ne daterait que Nord et à l'Est. Cette étude, ces plans des années
de la création des terrasses du 19e siècle… 70 ont le mérite d'exister. Ils m'ont beaucoup ins-
piré dans les axes de recherche.

Bien sûr, pour ce qui est du ou des chemins du Pourtalou, il restait encore à démontrer la faisabilité
d'un pont (bois ou pierre) enjambant les quinze à trente mètres de la Fontaulière… C'est désormais
fait, et les maquettes d'étude de ces ponts existent et sont visibles au château, nous allons dévelop-
per ce point plus loin.

Il faudrait lancer une "énorme campagne de prospection" sur tout le site à la recherche du moindre
indice: taille du rocher et/ou restes de soutènement. Le travail de recherche est loin d'être achevé, le
chemin du Pourtalou garde encore son mystère à la date des écrits, pour cette année 2021.

Un deuxième opus, spécialement dédié aux ponts et au Pourtalou, suit cette première approche.

La sente du pont Rolandy à la porte Sud

Les plus anciennes cartes qui nous montrent ce


Extrait du cadastre Napoléonien. chemin sont les cadastres dits Napoléoniens, re-
levés ici vers 1830.

De même que ce chemin, la sente appelée à de-


venir la D536, ne figure pas sur la carte de Cassini.
Je vous livre aussi une ancienne carte d'état-
major, ultérieure d'une trentaine d'années au re-
levé Napoléonien, sur laquelle la D536 est ou-
verte.

Mon avis est que cette sente est postérieure au


Moyen-âge et avait plutôt pour utilité l'accès aux
cultures en terrasses de la face sud (18e-19e siè-
cle?), car, de plus, le château est réputé en ruines
dès le début du 18e siècle. Je ne verrais qu'une
explication pour justifier son existence au Moyen-
âge, ce serait si le chemin sud de Meyras s'inflé-
chissait aux "Portes", et longeait la grève pour re-
monter au château ensuite. Je trouve cette expli-
cation peu satisfaisante.

Cette sente ne peut être que consécutive à l'ou-


verture de la "route royale" de 1760. En effet, au
Carte d'état-major,
vers 1866.
16
pied du pont Rolandy, côté château, l'Ardèche est très encaissée, la pente "roide" pour atteindre la
berge. Le dénivelé de ce chemin est de l'ordre de 50 pour 100… Il est quasi-impraticable pour une
bête de somme, et difficile pour un "homme porteur": dans ma jeunesse, je l'ai souvent gravi avec
mon sac à dos, c'était une rude épreuve…

Autre hypothèse déjà plus plausible, s'il


avait été antérieur au 18e siècle, le chemin
aurait pu être créé pour monter des galets
de rivière pour les rehausses ou voûtes tar-
dives (16e?) de certaines parties du châ-
teau. Mais en ce cas, son arrivée pile au ni-
veau du pont Rolandy me paraît une trop
grande coïncidence.

La datation du groupe de maisons au pied


du château, face au pont, pourrait aussi
nous être d'un précieux secours. Il faudrait
ensuite recouper avec les propriétaires suc-
cessifs des parcelles cultivées en terrasses,
et voir si, par exemple, les dates des mises
en cultures peuvent être déterminées.

Je développe un peu plus loin encore une


hypothèse d'utilité de ce chemin, mais tou-
jours après l'époque médiévale.

Alors non, pour moi, la sente du pont Ro-


landy n'existe pas au Moyen-âge…

Mais une fois de plus, je me lamente de


mon éloignement qui écourte mes re-
cherches en les cantonnant aux congés, et
je me plains du manque de réaction des
mairies ou administrations contactées…
Avoir sous ses yeux chaque matin un tel
monument, et ne pas y accorder d'intérêt...
Pire : ne pas accorder d'intérêt à ceux qui
sont intéressés!

Seul l'ancien Maire de Chirols, Monsieur


Claude Etienne, que je tiens à remercier ici,
s'est soucié de mes recherches, et m'a ai-
mablement répondu.
Ci contre, deux cartes postales anciennes
sur lesquelles on distingue bien le chemin,
qui n'était pas encore noyé sous la
végétation. Ce chemin est bordé d'un
muret, son parcours jusqu'à la porte Sud est
très bien marqué.

17
La boucle semble bouclée. Nous avons en main un réseau cohérent desservant Ventadour
depuis Meyras, et vice-versa. Des moyens d'intervention sur les voies à maîtriser, en amont
de l'Ardèche par le Barutel, en amont de la Fontaulière par Chirols et Armanier.
Une rapidité d'action au nœud des vallées, par le Pourtalou. Ces routes maîtrisées sont des
routes "clé": l'axe Aubenas-Le Puy, que ce soit par Le Pal ou Mayres. Ce modeste essai
s'inscrit dans la démarche exprimée en préambule : l'évolution du bâti, les points de
surveillance et les voies d'accès sont un tout indémêlable!

Carte récapitulative des routes et chemins du réseau de Ventadour au Moyen-âge

En vert, de la rive droite de l'Ardèche vers Meyras ou le Puy par les ponts du Réjus et du Barutel,
Mayres, col de la Chavade. En bleu, la route du Puy rive gauche de l'Ardèche, par le pont de Veyrières,
Montpezat et le col du Pal. En noir pont et chemin(s) du Pourtalou. En petit pointillé violet, le chemin
des crêtes de Ventadour à Meyras. En traits mixtes orange et rouge, les chemins d'accès Nord et Sud
de Ventadour à Meyras. En pointillé grenat, la liaison vers Hautségur et le Barutel. En pointillé vert
foncé, la liaison Meyras à l'amont de la Fontaulière, sur la route du Pal.

Jean-Luc Bourbon, septembre 2016, revu 2021

18
Les voies d'accès à Ventadour
II - Les ponts et le chemin du Pourtalou…

état d'avancement des travaux du Pont de Labeaume en 1733. Archives numérisées d'Ardèche

Essai d'étude et de compréhension des chemins médiévaux d'accès au château de Ventadour, Ardèche.

19
20
Dans la première partie nous avons évoqué le lieu-dit "le Pourtalou", au pied du château,
sur la Fontaulière. Nous nous sommes rendu compte que cet emplacement était un lieu de
passage obligé au Moyen-âge. Ce passage pouvait être un gué, un "bac", ou un pont.

Des données récentes…

Pont, certes, il y en aura un au 18e siècle: "…le pont de Pourtalou a été mis en adjudication le 22
février 1759 pour 52000 livres. Il a été terminé en 1762…" nous dit A.V.J Martin dans un très bon
article bien étayé de 1985 sur les ponts Ardéchois, paru dans "Mémoire d'Ardèche et temps présent".
Ces dates ont été vérifiées et certifiées.

Le 18e siècle verra la création


Carte de Cassini. Le pont de plusieurs ouvrages d'art, sur
du Pourtalou est absent… l'Ardèche, à Pont de Labeau-
me, en 1737, puis avec l'ou-
verture de la route royale vers
le Puy par Mayres, le célèbre
pont Rolandy un peu plus en
amont. Ce dernier se distin-
guera par de multiples dé-
boires: emporté par des crues,
écroulement pendant la cons-
truction… Ces deux ponts
figureront sur la carte de
Cassini levée en 1773, mais pas
Pont Rolandy celui du Pourtalou. Pourquoi?
Pont de Labeaume
Diverses explications s'of-
fraient à nous… Pêle mêle:
omission parce que non situé sur une route royale, non achevé lors du relevé de carte, ou tout
simplement déjà détruit! Omis? Peu crédible, vu que le petit bout de route y menant de Niègles est
représenté. Non achevé lors du relevé? Impossible, puisque le Rolandy est terminé en même temps.
Alors déjà détruit?...

Après de patientes recherches, j'ai retrouvé l'historique des


crues de l'Ardèche. Il y a eu une très forte crue en septembre
1772, qui a d'ailleurs emporté le pont d'Aubenas. Et là, je vous
entend déjà me dire que le pont du Pourtalou dont nous
parlons a été bâti sur la Fontaulière, et non sur l'Ardèche!

Oui, bien sûr, mais la Fontaulière est l'un des affluents brutaux
qui gonflent l'Ardèche, et son débit maxi actuel, bien que
régulé par la centrale de Montpezat, peut atteindre 250 m³/s.
Cela peut paraître peu par rapport aux énormes débits de
l'Ardèche avec 2000 m³/s en crue, mais au vu de sa faible
largeur et son encaissement, on imagine les dégats qu'elle
pouvait occasionner du temps où elle était non maîtrisée…

Pour moi donc, le pont du Pourtalou édifié en 1762 n'aura


tenu que… 10 ans! Et il faudra attendre 1970 pour avoir de nouveau un pont à cet endroit. Je vais
expliquer pourquoi plus après. Voyons d'abord ses voisins, les ponts de Labeaume et Rolandy.

21
Le pont de Labeaume

Ce pont est une pure création du 18e siècle. Le cadastre de Niègles n'en fait nulle mention en 1641.
On peut lire dans des documentations qu'il fut bâti "en remplacement d'une planche traversant
l'Ardèche…". Planche dont on trouve trace en 1714 sur le registre paroissial de Niègles, à cause d'un
fait divers, la noyade d'une jeune fille tombée "de la planche" à la rivière "en revenant de faire ses
dévotions à la sainte Vierge de Niègles".

Une "planche" désigne au 18e un pont dont


le tablier de bois est posé sur des piles de
pierre.
Dessin d'une planche 18e siècle
pour enjamber un cours d'eau.
(Archives numérisées de l'Ardèche)

Sur ce plan, les appuis sont espacées de 4


toises (7,20 m), la portée du tablier est donc
de 21,60 m. A noter, nous y reviendra plus
tard, une certaine forme de standardisation
au travers des âges pour la longueur des
bois. Villard de Honnecourt, au 13e siècle,
Notez l'arche à gauche sur la photo… bâtit avec des bois de 20 pieds (6 m). Ceci
sera développé un peu plus loin.

On trouve aisément ses dates: début des


travaux 1727, fin en 1737. En photo de
couverture, vous pourrez apprécier la
superbe gravure (archives de l'Ardèche) qui
décrit l'avancement des travaux en 1733.
Sur la carte postale, vous remarquerez que
l'arche rive droite est plus large qu'à
l'origine. Elle a été reconstruite au 19e, car
elle avait été emportée par (encore!) une
crue, celle de 1857, où "8 personnes furent
emportées dans les ruines de leur maison à
… ici remplacée par une structure en bois. Pont de Labeaume". Elle a été plusieurs
années remplacée par une passerelle de
bois (gravure de 1880).

La date de décision de sa construction


prête à question: en effet, elle est de
trente ans antérieure à la création de la
route sud du Puy, l'actuelle N102…

Après réflexion, je pense que ce pont fut


créé pour desservir "la Balme", ce faubourg
de Niègles qui naissait, et non encore relié
directement à Aubenas. De ce fait, en
ayant circulé d'Aubenas par la rive gauche,
il devenait aisé de franchir ici l'Ardèche
pour prendre la route du Puy par Mayres
ou joindre Jaujac, et on ouvrait la route venant du Pal vers Jaujac, comme l'indique… le plan du pont!

22
Ne perdons pas de vue que
rien, aucune route n'existe
entre cet endroit et le pont
du Barutel, la route du Puy
par Pont de Labeaume n'est
pas le chemin "historique"
vers le Puy. D'aucuns diront
que la route allait jusque
Pont de Labeaume dès
l'antiquité, ce à cause de la
découverte en 1857 d'une
borne milliaire romaine au
bord de l'Ardèche. Ceci
sous-entendrait de passer ici
l'Ardèche pour rejoindre la
Lieu de découverte route romaine du Pal
aproximatif de la (certifiée à 99%) rive gau-
borne au 19e siècle che, puisqu'on a pas de pont
avant 1760 (Rolandy) pour
passer plus loin par le sud.

Comme la présence d'un


pont n'est pas avérée dans
l'antiquité, ceci sous enten-
drait donc également un
passage à gué à cet endroit.

Or, l'Ardèche n'étant pas


basse en toute saison, cela
signifierait que la route ne
serait pas praticable les
douze mois de l'année. C'est
Le pont de Labeaume est destiné à ouvrir la route bien peu probable pour un
du Pal vers Jaujac, par la falaise basaltique, itinéraire romain. La borne
ainsi que les ponts du Réjus et du Barutel milliaire n'a donc pas été
trouvée à son emplacement
originel. Pour moi, elle vient de l'autre rive, en amont, charriée par une crue, ou de plus près
d'Aubenas en aval, toujours sur l'autre rive, transportée de main d'homme pour un usage
quelconque, puiqu'on avait commencé à la scier "pour en faire une pierre de seuil".

Cette hypothèse s'est confirmée pour moi après la lecture de la thèse (1090 pages, un monument!)
de Franck Bréchon sur le réseau routier en Vivarais, (Université Lyon 2, année 2000), qui lui aussi
dans ses monographies routières, fait bifurquer la route initiale venant d'Aubenas par la rive droite
au lieu-dit "La Garde" pour relier le Réjus et le Barutel. Nos seules différences porteront sur le trajet
vers le Coulet, car je vois les chemins suivre les cours d'eau, lui se fie au découpage du cadastre.

Le pont Rolandy

Le pont Rolandy, en ouvrant la porte de la nouvelle route Sud vers le Puy, permet un très net progrès
de communication. Il en est, pour preuve, la simple comparaison des anciens et des nouveaux tracés.

Cette carte qui suit est sans appel : d'abord le confort dans la qualité de la chaussée, et ensuite la
progression de la déclivité sont travaillés par les ingénieurs de Louis XV.

23
Observez… Pour aller
de "la Garde" (cote
291) au pont du
Barutel (cote 346),
voici les 2 profils
altimétriques calculés
grâce à Géoportail:

A gauche, le trajet
par le Coulet (poin-
tillé bleu). Partant de
290 m, il faut en
moins de 1,5 km
monter à 500 m!!!
Soit près de 15 pour
100… puis redescen-
dre avec une pente
de l'ordre de 9 pour
100. A droite le nou-
veau tracé (N102) est
plus progressif, le graphique parle de lui-même: une moyenne de 1,5 pour 100, constante, pour une
distance quasi égale… Comme je l'expliquais dans le premier chapitre, les bêtes souffrent moins, et
on peut de plus passer du bât à la charrette (le "roulage"), et de fait transporter plus, plus vite, avec
moins de peine.

Le Pont Rolandy subira dès après son édification plusieurs destructions car l'Ardèche est une rivière
capricieuse qui peut se dé-
Gravure du pont en bois en décembre chaîner.
1857. Au fond à gauche, une vue très
romancée de Ventadour… Pour l'anecdote, sachez
qu'il a été reconstruit pro-
visoirement en bois, sur un
modèle américain, suite à
la fameuse crue de 1857,
celle qui a emporté l'arche
du pont de Labeaume…

Malgré ses misères ré-


pétées, ce point de pas-
sage supplantera "in fine"
le Pourtalou.

24
Un rappel sur les voies de circulation

L'importance du passage par le col du Pal pour aller au Puy est sans conteste au Moyen-âge. C'est
certifié, c'était une grand-route de la chrétienté pour les pélerins, reliant Avignon au Puy par Viviers.
Toutefois, son trajet entre Montpezat et Le Monastier n'était pas propice au roulage: aux tronçons
aménagés succédaient des sentes, des gués, ou des ponts régulièrement emportés par les crues.
Cette route célèbre, qui aurait vu passer Jules César, a un profil plus adapté aux convois muletiers.

Il est donc logique qu'au 18e, les ingénieurs du Roy cherchent un nouveau chemin plus propice au
négoce, au transport, à la communication. Ce sera la route royale par Mayres, au Sud, ce sera la
construction du pont Rolandy. Nous avons vu plus avant ses avantages entre "la Garde" et le Barutel.

Trente ans auparavant, l'émer-


gence de La Balme (puis La
Beaume), ce faugourg excentré
de Niègles sur la rive droite de
l'Ardèche avait, elle, engendré
la construction du pont de La
Beaume. Le toponyme de
"Pont de Labeaume" en dé-
coulera pour le village. On peut
sans risque dire que la route
actuelle qui part en lacets de
Pont de Labeaume vers la
route de Jaujac (en bleu) date
de cette époque, elle permet de rattraper au Réjus la route initiale qui passait par le Coulet (en
jaune). Ce chemin part de l'altitude 300, il rejoint le surplomb du pont du Réjus à la côte 350: d'abord
7 à 8 pour 100 de grimpette sur 500 m, puis du plat sur la falaise basaltique… Aucune comparaison
avec la difficulté de franchissement du Coulet quand on vient de "la Garde". La liaison des deux rives
permet aux voyageurs de la rive droite d'accéder à la route du Puy par le Pal, seule qui soit une
référence en ce temps (1737). On voit bien sur ce cadastre Napoléonien que cette route du Réjus est
forcément antérieure à l'édification du pont Rolandy, car bien qu'elle soit meilleure que le tracé
médiéval, le trajet par la nouvelle route royale (N102) sera encore plus simple et praticable.

Mais se pose la question de pourquoi entamer la construction d'un pont au Pourtalou en 1760,
puisque l'on a déjà le pont de Labeaume, et qu'on édifie le pont Rolandy.

On peut avancer deux hypothèses. L'une, le chemin de Niègles vers Meyras par le nord, desservant le
Pradel, était nécessaire? Pradel vient de "prade", "prairie"… Il y a effectivement 4 bons hectares de
plat en bord de rivière à cet endroit. Besoin de mener des bêtes? On parle également de moulins à
cet endroit… La seconde, tout simplement le poids de la tradition d'un passage à cet endroit?

Comme le dit Franck Bréchon dans un article paru en 2006 dans "Mémoire d'Ardèche et temps
présent", "l'homme reste maître de l'emplacement des routes selon ses propres besoins", et ces
besoins peuvent nous échapper car plusieurs siècles nous séparent.

En 1760 le château est probablement ruiné et inoccupé. Lors de sa vente comme bien national sous
la Révolution, il sera dit: "cette vieille masure de château qui depuis plus d'un siècle n'a pas apporté
de revenu…". Donc, le pont achevé en 1762 n'est pas fait pour desservir les occupants de Ventadour.

Relier la rive gauche et droite de la Fontaulière pour aller au Pradel pourrait être une première
explication de la mise en œuvre d'un pont en même temps que le Rolandy.

25
Du pont du Barutel au Pourtalou…

Aucun chroniqueur ne fait mention, dans quelqu'étude que ce soit, de cheminement existant le long
de l'Ardèche, au Moyen-âge, entre ces deux points. D'ailleurs, quelle en serait l'utilité? Il n'y a rien
entre les deux, hormis le lieu-dit "les Portes" sur la rive gauche. Je n'ai trouvé aucune indication de
ces quelques maisons avant le cadastre Napoléonien. Quand bien même elles existeraient déjà au
12e siècle, elles sont presque sur le parcours du chemin Sud reliant Ventadour à Meyras (opus 1), et
sont accessibles aisément "par le nord" .

… et du Pourtalou au pont de Veyrières

Pour cette rive droite de la Fontaulière, entre le Pourtalou et le pont de Veyrières, c'est aussi le grand
vide… Des écrits citent bien le Pradel et "un meunier" en 1525, mais la majorité des documents
médiévaux ne nomment que des
villages sur la rive gauche de la
Fontaulière, comme le Fesc, encore
une fois sur la vieille route du Puy par
le Pal, sur le passage des voyageurs,
pélérins, et marchands.

L'étude topographique et géologique


du confluent Ardèche-Fontaulière
montrent un à-pic granitique de pres-
1000 m³ de granit à que 100 pour 100 (45°!) sur toute
creuser pour contourner l'avancée du rocher Rolandy, qui fait
l'éperon rocheux… plus de 500 mètres de pourtour. C'est
à signifier que pour juste ouvrir un
petit chemin de 2 m de large, il faut tailler le rocher sur 2 m de haut… Pour avancer d'un petit mètre
déblayer 2 m³ de granit (vive les calculs géométriques!)… 1000 m³ au moins, soit 2000 journées de
carrier selon les critères de l'époque ("bâtir au Moyen-âge", et publications du CNES). Il est plus facile
d'aller au Pradel par une route existante, c'est-à-dire, le passage du Pourtalou, monter au château,
puis chemin Nord vers Meyras, et obliquer vers Le Pradel… Et si l'on veut rejoindre le Pradel sans le
pont du Pourtalou, on peut aussi monter au pont de Veyrières (en pierres dès 1740) ou le Gua (le
gué) et revenir direction sud vers le Pradel. Quant à aller à Meyras même, j'en déduis que lors de la
crue de 1772, lorsque (selon moi) le pont 18e aura été emporté, on ne verra aucune utilité à le
reconstruire pour joindre le bourg, car on se sera rendu compte que prendre une bonne route par les
ponts de La Beaume et Rolandy, puis le lieu-dit "les Portes" va (presque) aussi vite que passer le
Pourtalou, en coupant par "les masures du château" et ses vieux chemins vers le village, comme on le
faisait auparavant.

Analysons par
exemple un trajet du
bas de la route de
Niègles (que l'on
vienne du Pal ou
d'Aubenas…) vers
Meyras. Nous étudie-
rons la variation
d'itinéraire jusqu'aux
En retournant passer l'Ardèche au pont de "Portes", qui est
Labeaume, puis pont Rolandy, et montant vaguement sur le
sur Meyras au niveau de "les Portes" chemin Sud. Le par-
cours est en pointillé

26
orange, la longueur calculée par Géoportail en haut à gauche. Distance entre le bas de Niègles et "les
Portes": 1654m pour l'un, 922m pour l'autre… 730 mètres, 1/4 d'heure seulement au pas d'une bête
chargée, avec de surcroît une montée plus progressive pour l'âne ou la mule.

Cela vaut-il le coup de rebâtir un pont? On peut également supposer que c'est à cette époque (18e)
qu'est créée la sente qui
part du pont Rolandy à la
porte sud de Ventadour,
peut-être pour les gens
qui ont besoin d'aller au
château, et qui ont fait le
"grand détour" par La-
beaume et Rolandy . Il
faut également desservir
les cultures en terrasse,
que je pense de cette
époque..

Et pourquoi monter au
Au 18e siècle, en château? Peut-être tout
jaune, Niègles-le simplement pour conti-
Pradel par le nuer à desservir le Pradel
Pourtalou. En par le chemin nord de
rouge, après Ventadour, puisqu'on
destruction du vient de dire qu'il n'y a
pont. Hypothèse pas de chemin qui
d'un chemin du contourne le pied du
Pourtalou par la rocher Rolandy!
face Nord.
Comme on ignore l'état
du château au 18e, on ne
peut donc dire si la tra-
versée du lieu est encore
utile pour autre chose
que le cheminement pur
et simple…

Il faut passer au Pourtalou!

Nous nous sommes beaucoup attardés au 18e siècle! Mais la réflexion dans cette période intéres-
sante était nécessaire pour comprendre les enjeux et évolutions de communication sur ce nœud rou-
tier et fluvial, ce confluent des vallées de l'Ardèche et de la Fontaulière, et définir l'antériorité de tels
et tels parcours.

Et en quelques pages, nous nous sommes rendu compte que le seul passage qui existe au Moyen-
âge entre les deux rives pour monter à Ventadour, Fontaulière et Ardèche réunies, ne peut être
qu'au pied du château, et selon la tradition, au lieu-dit Le Pourtalou!

Maintenant, au Moyen-âge, il y a "moultes" façons de traverser un cours d'eau, tout dépend de sa


largeur, de sa profondeur et de la puissance de son courant. Il y a le gué, la flottaison, et … le pont.

27
La Fontaulière, quelques données hydrauliques et hydrologiques…

D'une longueur de 20,9 kilomètres, la Fontaulière prend sa source près du Pal, sur la commune de
Montpezat, à une altitude de 1005 mètres. Quand elle arrive à son confluent avec l'Ardèche, au pied
du château, elle s'est gonflée de
plusieurs affluents, dont la Bourges,
avec qui elle est souvent confondue
par des chroniqueurs actuels. Elle a
un profil de rivière de montagne,
très pentu (5% de moyenne). Sur sa
fin, entre pont de Veyrières et le
confluent, en à peine 2500m, son
dénivelé est encore de 35m, soit
1,5%!!!

Il est très difficile de trouver des


caractéristiques naturellement fia-
bles sur le débit de la rivière : des
lacs de soutien d'étiage alimentent
en eau la centrale hydro-électrique
de Montpezat par une conduite
souterraine. Eau qui une fois relâ-
chée dans la Fontaulière fausse sa
vraie nature. Puis, une retenue par
le barrage de pont de Veyrières re-
En pointillé, la liaison souterraine des stabilise encore son débit… L'été,
lacs à la centrale. Document EDF. pour des raisons touristiques
(baignade, kayak!) des lâchers de
barrage ont lieu pour maintenir le niveau des eaux artificiellement haut. La station de mesure du…
Pourtalou, qui n'a fonctionné que de 1978 à 1986, lui a attribuée un débit moyen journalier de
8,5m³/s, avec une moyenne portée à 169 m³/s (!!!) un jour de crue.

Ces chiffres ne sont pas acceptables sans discussion pour l'étude des conditions au Moyen-âge.

Si on se réfère au rapport du Ministère de l'écologie, on lit en toutes lettres: "la station est influencée
par les rejets de l'usine
de Montpezat. La
banque HYDRO ne
fournit pas les débits
naturels reconstitués".

Débit de la Fontaulière,
source: DIREN 2005

Mais en fouinant dans


d'autres documents, on
trouve que l'apport de la
centrale hydroélectrique
est de 7m³/s en mo-
yenne annuelle. Une simple soustraction pourra nous donner le débit annuel moyen à 1,5m³/s. Ce
chiffre est tout à fait crédible, car le Lignon, qui a le même profil (5% de pente moyenne) et un bassin

28
versant 2 fois plus petit, a une moyenne de 0,67 m³/s, et l'Ardèche au pont du Barutel, avant la
confluence avec la Fontaulière, avec un bassin versant plus imposant, donne 3,6 m³/s.

Observons les plus hautes eaux: avec le débit moyen de


15m³/s en mai, si l'on retranche les 7m³ de l'usine, on a
par exemple un débit mensuel naturel moyen reconstitué
de 8m³/s. Ces chiffres nous servirons de bases dans les
pages à venir pour étudier les possibilités de traverser à
gué, ou bâtir un pont, qu'il soit de bois ou de pierre. En
effet, à part les périodes exceptionnelles de crues, il fau-
dra tenir compte de la vitesse du courant, vitesse direc-
tement dépendante du débit et de la largeur de la
La Fontaulière au Pourtalou Fontaulière. Mais là encore, attention, il ne faut pas ou-
vers le confluent. blier que les chiffres du tableau sont faussés une seconde
fois par le fait de la retenue d'eau à Veyrières…

Sans être ingénieur hydraulicien, je pense que le profil hydro au Moyen-âge devait avoir une
moyenne comme aujourd'hui, entre 1,5 et 2 m³/s réels, mais avec des moyennes mensuelles plus
hautes en hiver, car non régulées comme de nos jours (20-25 m³/s peut-être?) et un étiage bien plus
sévère en été, proche de la sécheresse en juillet-aout, comme le Lignon… Au mois d'août 2016, j'ai
mesuré une vitesse de courant de 0,5m/s sous le pont, et en faisant rapidement le rapport largeur
par profondeur, j'ai déduit un débit de l'ordre de 1,5 m³/s. En août, il y a bien sûr du soutien d'étiage
pour le tourisme… et je retrouve mes données du tableau de la DIREN!...

Le gué

Comme on le voit sur les photos prises depuis le pont actuel, la rivière est encaissée et son front
n'excède pas dix mètres en moyennes eaux, avec une profondeur de moins d'un mètre. De nos jours,
en été, les baigneurs ont pied et ne sont pas renversés par le courant. Le débit, même soutenu par
les lâchers de barrage, est à moins de
1,5 m³/s de moyenne (voir graphique
de la DIREN et mes observations)…

Si on retire les 7 m³/s actuels d'apport


moyen de l'usine hydro-électrique, et le
"tampon" du barrage de Veyrières, on
peut déduire qu'au Moyen-âge la rivière
est traversable à gué amplement de juin
à septembre.

Par contre, le reste de l'année, on peut


sur la base d'un rapide calcul avec
20m³/s, évaluer la vitesse du flux en
Au pied même du pont actuel du Pourtalou mars, janvier et septembre au
Pourtalou à un peu moins de 2 m/s.
Ceci commence, sans être encore torrentiel, à être plus difficilement franchissable. Et puis, pensons à
la température extérieure et à celle de l'eau en hiver, pour les bêtes!

Conclusion, pour moi le gué est possible, oui, mais quatre mois sur douze (juin à septembre). Ce n'est
pas assez pour assurer la continuité entre Meyras et la route du Pal. Essayons un bateau!

29
Le "bac" ou la barque

En se penchant sur l'histoire du Vivarais et de la rivière Ardèche, on trouve des mentions de passage
de ce cours d'eau avec des "bacs". Seule ombre au tableau, la mise en place de ces structures, simple
barque large ou avec des cordes (traille), va se faire à des gros endroits de passage, le plus souvent
en ville, et on n'en parle dans les environs de Ventadour que vers le 14e siècle, avec un bac à Vals en
1313. Le Pourtalou ne répond pas à ces critères. En effet, le passage ici doit commencer selon moi
dès le 11 ou 12e siècle, et il lie Meyras à la route du Pal-Aubenas, et à Niègles, le passage n'est bien
sûr pas aussi intense qu'en ville. Un bac ne serait pas rentable…

Réétudions les chemins avec la carte du


premier volet ci jointe… Habitant Meyras, si je
veux aller au Puy, je prends le chemin Nord-
ouest. Mes affaires m'appellent à Chirols ou au
Fesc? Chemin Nord-est et pont de Veyrières ou
le Gua. Si je veux me rendre à Aubenas, je peux
aller au sud et passer directement par le
Barutel. Les seules raisons pour moi de passer
par le Pourtalou sont de vouloir rejoindre
Niègles, ou encore Vals par la rive gauche de
l'ardèche. Cela vaut il de mettre en place une
structure avec un passeur?

Et alors, enfin, si le rôle de ce "passage" au


Pourtalou était, comme on l'a suggéré plus
avant, d'intervenir sur le lieu de voyage pour
percevoir des taxes, un péage? La barque ou le
bac seraient peu commodes…

Les péages en Vivarais au Moyen-âge

Il y a plusieurs façons d'aborder le péage.


Nous, hommes du 21e siècle, pensons
immédiatement aux stationnements, aux
autoroutes et… aux ponts!
Le Petit Pont , pont à péage
à Paris au Moyen-âge

Nous sommes presque dans le vrai! Les


péages en France remontent à la Gaule et
aux romains. Routes, ouvrages d'art,
"bacs" et débarcadères y étaient soumis.

La fonction première au haut Moyen-âge de ces rentrées d'argent était le remboursement des frais
engagés et l'entretien de l'ouvrage. Ces bons principes n'ont eu qu'un temps… De même que nous
continuons à payer pour des autoroutes depuis bien longtemps amorties, ce principe a été dévoyé au
Moyen-âge, le péage initial pour le service etant devenu un impôt, une taxe sur les marchandises
traversant le "mandement" et tombant dans les caisses du seigneur des lieux…

Le mandement est une subdivision administrative qui voit le jour autour du 11e siècle après les
vigueries carolingiennes. Cette division territoriale est plus utilisée dans le sud-est qu'au nord. Le
mandement dépend d'un seigneur, d'une famille. On en dénombrera une soixantaine en 1464 en
Vivarais. Notre secteur du château de Ventadour et le Pourtalou dépendent de celui de Meyras.

30
Franck Bréchon, dans sa thèse, place un point
de péage au sud du mandement au niveau de
"la Garde", là où s'infléchit la route d'Aubenas
vers le Barutel. C'est tout à fait logique et
possible, mais c'est sur la rive… droite de l'Ar-
dèche, et comme je l'ai expliqué plus haut, le
"grand axe" de passage est de l'autre côté de la
rivière, la route "du Pal". Quid de celle-ci rive
gauche? On parle de ponts à péage, mais il
ressort des études que peu de ponts sont
"payants" en Vivarais, "payants" au sens où
l'entendaient les romains. Alors disons que l'on profite d'une obligation de passer par le pont pour y
installer le poste de perception. C'est, dans le secteur, le cas à Aubenas, et à Jaujac au pont de la
Tallaide (ancien nom du Réjus).

Le rôle du Pourtalou n'est donc pas seulement un rôle de franchissement de la Fontaulière pur et
simple, c'est l'outil de perception, comme je le disais dans la première partie, et aussi "le moyen
d'intervention" sur la voie, la route, où passent de nombreuses marchandises: la route du col du Pal.

Le Pourtalou est donc un pont. Mais est-ce vraiment un "pont à péage"? Je dirais plutôt pour l'instant
que le Pourtalou est la limite du mandement, le "symbole du péage" des seigneurs de Meyras sur la
route du Puy. Mais est-ce un pont de bois?... Un pont de pierre?...

Ponts de pierre et ponts de bois ardéchois au moyen âge

Peu de ponts ardéchois nous sont


parvenus en l'état moyenâgeux,
qu'ils soient de bois ou de pierre.

Et déjà, abandonnons toute idée de


retrouver des ponts médiévaux en
bois en Ardèche. S'ils n'ont pas été
emportés par les crues et leurs
morceaux charriés aux mille diables,
leurs débris auront été recyclés par
les populations. Et ils n'auront pas
pu être enlisés, "fossilisés", dans les
sols, ceux-ci ne s'y prêtent guère.

Certains ponts de bois ont subsisté


en Europe, partiellement refaits,
Pont de Hunedoara (Roumanie) comme le phénoménal pont du
château de Hunedoara, en Rou-
manie ou le célèbre pont de Lucerne
en Suisse.

A part ceux-ci, seules quelques


trouvailles archéologiques comme
en 2015 à Saint-Dizier, sur la Marne,
(pont du 2e siècle) peuvent nous
donner quelqu'idée de leur struc-
ture. C'est rare… La découverte
précédente datait de 2012, à
Vestiges de pont à Carouge (Suisse)
31
Carouge, dans le canton de Genève, avec les soubassements d'un pont du 12e siècle. En 2009, à
Chevagnes, dans l'Allier, c'est à l'occasion de la construction d'un lotissement qu'on a retrouvé les
restes d'un pont levis du 14e siècle, restes suffisants, qui ont permis sa reproduction avec l'aide de
l'INRAP. Ces découvertes iront en se multipliant, car les fouilles préventives désormais obligatoires
permettent de sonder notre sous-sol. On ne pourra que regretter la folie des années précédentes en
songeant que des trésors archéologiques ont disparu pour sacrifier sur l'autel du BTP!

Les vestiges demandent une interprétation. Certes, les archéologues sont de plus en plus pointus sur
l'histoire et les techniques du Moyen-âge, époque si longtemps galvaudée. Mais si interpréter des
restes de structures en bois sur le lieu de leur construction passée est (relativement) aisé, réinventer
un pont qui n'existe plus, sur une rivière qui a évolué pendant neuf siècles est une autre affaire.

Pourtant, c'est notre pari. Enfin… le mien!

Première hypothèse… Si le Pourtalou avait été un pont de bois…

Cette approche est indissociable d'une connaissance minimum des ouvrages en bois en général.

Fort heureusement, si peu de


ponts subsistent, notre pays, nos
régions, regorgent de bâtiments
médiévaux à structure de bois.
Ensuite, les études de Viollet-le-
Duc (qui ont quand même vieilli…)
retranscrites dans son "diction-
naire de l'architecture médiévale"
pourront nous éclairer. Enfin quel-
ques échanges avec des compa-
gnons charpentiers et la relecture
Halle du 13e siècle des carnets de Villard de
à Cozes
Halle (Gironde)
du 13e siècle Honnecourt achèveront de nous
à Cozes (Gironde) mettre complètement dans le
bain du 12e siècle…

Deux facteurs prépondérants vont donner l'allure de notre pont de bois : la largeur du cours d'eau et
la longueur des bois disponibles. On trouve de nos jours des poutres de 10 m de long, dans des
sections autour de 30x30 cm. Sur 2 appuis, un tablier -sur une poutre doublée- peut tenir 2 tonnes en
son milieu (calcul vérifié). C'est bien
suffisant pour se faire croiser deux mules
chargées avec leur conducteur, ou bien
passer une seule carriole bien chargée.

Le hic, c'est que dans des temps plus


anciens on semble travailler avec des bois
bien plus courts! Comme il est dit plus
haut, au 18e, on est sur des bases de 4
toises (1 toise = 6 pieds, 4 toises = 7,20
m), et plus court encore au Moyen-âge,
puisque dans le carnet de Villard de
Honnecourt, il est question pour un pont,
de bois de 20 pieds (6 m). Etudions ce
pont, d'abord dessiné par Villard, et son
Pont de Villard de Honnecourt interprétation par Viollet-le-Duc.

32
Le défi du maître d'oeuvre du 13e siècle est clairement énoncé: passer une rivière avec des bois
standardisés de maximum 20 pieds (6 m). En se fiant uniquement à la portée du tablier, en réduisant
les assemblages géométriques à des carrés (croisillons à 45°), ou bien des rectangles proches du
carré , en recouvrant l'assemblage central avec un bois de 6m chevauchant de part et d'autre
d'environ un mètre (voir le dessin, plus clair, de Viollet le Duc), on obtient une portée de 16 mètres
environ. Ceci serait déjà insuffisant pour enjamber la Fontaulière.

Mais là où ça ne va plus du tout, c'est que


pour édifier ce pont, Villard de
Honnecourt doit élever deux murs de
soutènement de l'ordre de huit mètres
de haut environ…

Dans l'interprétation de Viollet-le-Duc,


c'est encore plus. Observons… Il part sur
des bases angulaires de 30°. Les mon-
tants "G" et "D" mesureraient alors en-
viron 5 m. La hauteur du mur de soutè-
nement sera donc autour de 10m. Ses
portées "K" sont d'un seul tenant, et leur
longueur donc de 6m (les fameux 20
pieds). La portée est donc toujours de 6m
+ 6m + 6m -2m (recouvrement) = 16m! Et
on ne passe toujours pas la rivière…

En effet, les piles du pont actuel sont


espacées de 28 mètres et nous sommes à
la limite du lit en cas de grosses eaux.…

Sur des cartes postales de début du


20ème siècle (page suivante), on peut
voir les restes de piles en pierres d'un
pont. Il s'agit des piles du 18e, voire des
piles médiévales reprises (Nous ne le
saurons jamais, et certains prétendent
qu'elles étaient en béton, ce qui voudrait
dire qu'un pont "sans trace historique"
aurait été bâti entre-deux guerres?) et
elles nous donnent un bon aperçu de la
portée du tablier, sensiblement la même
qu'aujourd'hui. Ces piles ne sont pas
Rocher taillé (?) à quelques hautes (environ cinq mètres), donc le
mètres du pont actuel niveau de circulation devait être plus près
du rivage de part et d'autre.

L'observation des rives de la Fontaulière montre aussi, à quelques mètres à peine du pont actuel, un
rocher qui semble volontairement taillé à pic, et aurait pu faire une belle "base" de départ pour un
pont médiéval. Ce rocher ne dépasse pas cinq mètres…

En fait, en aucun cas on ne peut envisager des piles de 8 à 10 mètres de hauteur, car ce serait plus
haut que… le niveau du pont actuel!

Conclusion : on ne peut pas bâtir le pont du Pourtalou à la façon de Honnecourt!

33
Mais ces données et la hauteur de ces
vestiges peuventt nous servir de base pour
dessiner notre pont "idéal" pour l'endroit...

Reprenons notre cahier des charges. Notre


pont devra enjamber 28 m, son tablier doit
(selon photos ci-contre) être à environ 4 ou
5m au dessus du lit de la rivière, les bois le
composant doivent avoisiner 20 pieds
(carnet de Villard!) sans dépasser 4 toises
(planche sur archives du 18e).

Il faudra donc ou bien des piles dans le lit


de la rivière, ou bien des appuis en biais
contrebutés sur deux piles maçonnées de
chaque côté. Cette dernière technique,
illustrée dans "Le pont de bois" de Claude
Monet me semble trop moderne, faisant
appel à des calculs de poussées et des
assemblages que les charpentiers médié-
vaux ne maîtrisaient pas assez.

Ne nous resterait alors que la possibilité


des piles dans le lit de la Fontaulière.
Comme nous avons donné 6 à 7 mètres
comme limite à nos poutres, cela nous
ferait des piliers de soutien verticaux à 6-7
m de chaque bord, en plein dans le
courant.

Bâtir des piliers de pierre et un tablier de


bois est possible, mais les techniques d'an-
"Le pont de bois" de Monet (extrait)
crage avec assèchement de la rivière ne
sont pas encore bien au point au 12e et une
"Le pont de bois" de Monet (extrait) pile seule sans poids dessus est fragile. Si
l'on fait le tour des ponts Ardéchois, on voit
que les anciens bâtisseurs préfèrent s'appuyer sur un rocher affleurant (chapitre suivant). Quel est le
risque d'une pile mal ancrée? C'est 'l'affouillement": c'est-à-dire que le courant creuse jusque sous le
pilier lui-même, lui ôtant son appui, son assise. La poussée de l'eau fait le reste, la pile est emportée
et le pont s'écroule.

Que dire alors d'une pile de bois? Dès les romains, on sait ficher profondément des bois dans un lit
de rivière avec un mouton. Mais dans le cas présent de la Fontaulière, à quelle profondeur va-t-on
rencontrer le socle granitique? Quasi immédiatement! Il faut donc que la structure appuyée sur le
fond soit suffisamment maintenue aux rives
pour résister au courant. C'est l'illustration ci
contre qui va nous aider à comprendre
comment le charpentier médiéval peut avoir
réfléchi…

La vitesse linéaire d'un flux se calcule en divisant


le débit par la surface frontale de passage. Pour
la Fontaulière, prenons en hiver 90 m³/s un jour

34
de grosse pluie, une frontale (coupe transversale) de 30 m², on obtient 3 m/s. C'est la moyenne d'un
torrent de montagne… C'est très dur pour le pont!

Mais la vitesse n'est pas la même au milieu du courant que sur les bords : de façon empirique, plus
on s'éloigne de l'axe de la rivière vers les bords, plus elle diminue, et plus la profondeur augmente,
plus elle diminue aussi. Le charpentier des Solignac ou des Montlaur n'avait pas l'infographie en
couleur pour lui expliquer, mais il avait le bon sens de l'expérience.

Il allait donc essayer de placer ses piles


les plus près possible des rives, et les
ancrer au mieux à la berge.
Ensuite, il a dû construire comme une
charpente de maison, utilisant des angles
simples, 30 à 45°, dont il connaissait par
tradition ancestrale les réactions en
toiture ou en colombages. Ne disposant
de bois que de 6 à 7m de long, il allait
tout faire pour les abouter et non les
Maisons médiévales à Lautrec (Tarn)
recouvrir.

Pour les abouter, 2 solutions possibles: soit comme sur la photo


suivante de Lautrec, accolés, ou bien en "sifflet désabouté", et
avec bien sûr un bois de soutien en dessous.

Attention! Certains proposeront un assemblage en "trait de


Jupiter". Hélas, bien que connu dès les Romains, ce type de
jonction clavetée est fait pour travailler en traction, or nous
avons besoin pour un tablier de pont, de résistance en flexion.

Mais une seconde règle est à respecter: les autres montants du


pont devront travailler le plus possible en compression. Les
angles d'assemblage prendront toute leur importance, sachant
que nous devrons nous cantonner entre 30 et 45°.

En haut, liaison bout à bout,


en bas en "sifflet désabouté".

Si nous trouvons des bois de 24 pieds (7,20 m, 4 toises…) Nous


sommes capables de construire un pont "simple", avec des po-
teaux dans la rivière. Si hélas nous n'avons que des poutres ne dépassant pas 20 pieds (6 m), ce sera
un peu plus compliqué…

Bâtir avec des bois de 20 à 24 pieds…

M'appuyant sur les photos où l'on voit les anciennes piles (qu'elles soient du 18e au antérieures…), je
placerai le tablier à 5 m au dessus du niveau moyen. Mes relevés dimensionnels fiables nous donnent
une largeur d'eau maximale au Pourtalou à 28 m en hiver et au printemps. Le lit de la rivière étant -
bien sûr- plus creusé au milieu, et sa profondeur d'environ 2 m, je shématiserai son profil par 2
triangles rectangles de 2m x 14m. Cela me donnera une suface frontale de 28 m², arrondi à 30. On
est très proche de la réalité un jour de grosse pluie, cela ferait environ 90m³/s de débit à une vitesse
de flux de 3 m/s. Je considère la hauteur du poteau en eau avant de toucher la structure horizontale
de 3m. C'est la limite que je donne à mon pont pour résister. Au delà, c'est un régime de crue, et il
est menacé d'être emporté.

35
J'avais fait calculer préalablement par un ingénieur en structure les résistances en flexion de poutres
30 x 30 (un pied x un pied) en hêtre ou chataignier de 10 m de long : 2 tonnes! Avec les longueurs
réduites que j'utilise, aucun risque pour supporter un tombereau, une mule et son charretier.

Je vais donc bâtir avec ces poutres de 20 à 24 pieds (6,00 m à 7,20 m), dont la plus longue est au
milieu. Voici ce que cela pourrait donner, avec le niveau haut de la rivière en rouge, le niveau bas en
pointillé. Le code indique les variations de vitesse du flux du milieu vers la rive, rouge étant le plus
rapide, bleu le plus lent.

Vue suivant "A"

Les deux poteaux verticaux pourront (et devront!) être renforcés par 2 "croix de St André" dans le
sens transversal pour maintenir solidement l'écartement,
comme dans le pont de Villard de Honnecourt décrit plus
haut. Ainsi, nos assises par rapport à la rive formeront un
treillis de grande résistance pour aider les pieux à tenir au
courant.

Vue en transversal suivant "A"

Dans cette proposition, aucun bois ne fait plus de 24 pieds.


L'ordre des grandeurs en charpente des 12-13e siècles est
respecté au mieux.

On peut envisager que nos ancêtres aient aidé la résistance au courant en accolant aux poteaux des
"déflecteurs" pour couper le flux, comme le montre Viollet le Duc dans certains croquis. Observez à
gauche: des bois sont placés autour des piles en guise de "dé-
flecteurs" pour séparer le flux et réduire la pression d'arra-
chement des pieux de bois… Ou imaginons que le charpen-
tier des Solignac ou Montlaur ait simplement cloué des
planches en "Vé" pour amoindrir l'effort du courant sur les
piles… Pas impossible…

De toute façon, je l'avais dit plus avant, je me remets dans


l'esprit du 12e siècle, j'essaie de réagir comme au Moyen-
âge. Mais les poteaux de soutènement verticaux, même avec
déflecteurs, vont-ils tenir au flux?

Nous avons vu précédemment que les Romains savaient fi-


cher des pieux en terre par un moyen "mécanisé", le mou-
ton. Mais le mouton est-il capable d'enfoncer un pieu dans …
le granit?

Non bien sûr!...

36
Alors le poteau, même retenu à la rive, risque de riper sur le fond avec la vitesse du courant… Et c'est
là que l'hydraulique moderne vient au secours de notre charpentier: nous l'avons dit avant, le bougre
n'avait pas un "bac S du Moyen-âge", mais il a le bon sens! Il savait que le courant est moins rapide
sur les rives qu'en plein milieu du flux de la rivière.

Et quand on observe son travail, que constate-t-on? Les poteaux sont dans un flux plus calme, et en
cas de fortes eaux, la contrefiche n'est pas en eau. Cela limite l'effort de poussée sur la structure. Il
aurait pu en outre creuser des trous (carrés?) dans le rocher pour mieux caler les pieux verticaux.

De nombreuses heures de réflexion m'ont conduit à ce modèle, imparfait certes, pas forcément fi-
dèle (mais qui a des photos d'époque?), mais sans réelle déficience et respectant l'esprit médiéval.

Si les bois sont très courts


(20 pieds et moins), les
soutiens verticaux se rap-
prochent dangereusement
de la zone de fort courant
de la rivière car ils doivent
avancer de 0,60m à 1,20m
vers le centre du flux. De
plus, il faudra prévoir un
soutien intermédiaire pour
le bois inférieur près de la
rive celui-ci excédant la
taille des grumes…

Remarquez que pour gar-


der les poteaux en eau
"calme", l'angle de la con-
trefiche du tablier a quitté
les 30° (pont de Villard)
pour s'en aller vers les 45°.
Cette contrefiche ne tra-
vaille plus bien en com-
pression, elle va commen-
cer à travailler en flexion,
et tirer sur les moises (bois
de retenue). Peut être en
faudrait-il plus? Les piles
restent malgré tout assez
proches (6 m) de la rive
pour la vitesse du courant.
Avec des bois encore plus
courts, l'ouvrage se com-
plique et se fragilise encore
plus. Quant à rapprocher
encore ces poteaux verti-
caux du centre du courant,
c'est prendre plus de risque
de les voir emportés en cas
de crue.

37
Je pense ce modèle efficace. Il impose au centre une paire de poutres de 24 pieds, voire légèrement
plus, mais on doit les trouver, car hêtres et châtaigniers sont sinon immenses, au moins de taille suf-
fisante en ces temps, et les forêts sinon nombreuses, au moins peu éloignées. Le bois était fort prisé
au Moyen-âge, non pas par son prix de revient en Ardèche, mais par sa facilité de mise en œuvre.

J'en ai déduit et réalisé cette première maquette, exposée depuis l'été 2016 à Ventadour…

Seconde hypothèse… Si le Pourtalou avait été un pont de pierre…

L'avantage de l'étude des ponts anciens de pierre en Ardèche est que nous en trouvons bien plus,
depuis l'époque romaine jusqu'au 18e, et en passant bien sûr par le Moyen-âge. Leur tenue
exemplaire dans le temps prouve que les techniques de construction étaient bien abouties.
L'iconographie internet est riche, on peut les observer de chez soi, sans parcourir des kilomètres.

On pourrait imaginer que le pont du


Pourtalou, s'il eût été en pierre, fût
d'une volée sur l'eau… Cette méthode
est observable à sim-plement
quelques kilomètres de là, à Jaujac,
sur le Lignon.

Le souci est que nous retombons dans


le "défaut" du pont de bois de Villard
de Honnecourt: la hauteur de l'ou-
vrage. Comme je l'ai dit plus avant, je
pense que le niveau de circulation se
faisait plus bas par rapport au lit de la
Pont de Jaujac sur le Lignon rivière qu'actuellement.
Si toutefois me prenait l'envie de bâtir
comme à Jaujac, voyons l'aspect et les dimensions qu'aurait cet ouvrage…

Pour enjamber sans danger la Fontaulière, l'arche devrait mesurer près de 28 m. La hauteur sous
voûte en serait d'un peu moins de la moitié, soit presque 14 m (plus haut que le pont moderne…) et
donc, puisque je devrais rattraper les rives à la cote 314 (la rivière est à altitude 300), l'ouvrage
devrait mesurer au total 60-70 mètres de long. Peut-être cette solution a-t-elle été choisie au 18e?…
En effet, le pont a été adjugé pour 52000 livres, et celui de Pont de Labeaume, qui mesure près de
100 m, pour 80000 livres. Des "valeurs de proportion prix-longueur" sont vaguement respectées…

Mais dans ce cas, si l'on avait eu


une telle qualité de conception
dès le Moyen-âge, ce pont nous
serait parvenu en l'état comme à
Jaujac… Or, il n'existe plus. Je
renonce à cette option.

Alors pourquoi pas un pont plus


bas, cette fois, avec une pile ou
deux intermédiaires dans le lit de
la rivière, comme à La Brousse,
toujours en Ardèche?...

Pont de La Brousse sur la Drobie Il faut remarquer, dans cette


région de rivières capricieuses qui

38
deviennent des torrents énormes à chaque orage, que si piles intermédiaires il y a, elles sont souvent
ancrées sur le rocher, et hors d'eau en temps normal.

Tout simplement pour les cimenter bien au sec, et éventuellement tailler correctement le rocher
pour l'assise du pilier. Dans cette optique, voici un autre exemple de pont plus petit, mais toujours
avec cette application à sceller la pile sur un rocher affleurant.

C'est le pont romain du Réjus, déjà cité


Pont du Réjus sur le Lignon dans l'histoire des chemins de Venta-
dour. Cette technique d'utilisation des
rochers affleurants lui a permis de traver-
ser au moins dix sept siècles.

Un tel pont à 2 piles aurait deux


avantages au Pourtalou. Il serait moins
haut, plus en accord avec les voies sur
rive, et donc moins long (plus rapide à
édifier et moins cher). Le problème en
est l'assise dans le lit de la rivière. Com-
me dit précédemment, l'immersion per-
manente de la pile augmente les risques
du phénomène d'affouillement. Il faut
déblayer le fond de la rivière, assécher,
maçonner…

La dernière mention du "pont à péage du


Pourtalou" dont je dispose date de 1626.
En 1760, on en rebâtira un. Si le pont est
en pierre, il doit tenir du 12e à au moins
1626, au pire voire un peu avant 1760...
Cinq bons siècles de solidité, ce n'est pas
rien… Il faut alors voir si un événement
extraordinaire répertorié au niveau des
crues a eu lieu entre ces 2 dates (1626-
1760), capable d'emporter un pont qui
avait jusque là résisté 500 ans. Je pense
avoir cet événement: la crue de l'Ardè-
che de 1644, estimée à 7150 m³/s, ou
celle de 1679, non chiffrée, mais qui
emporte quand même le pont de Vals et
celui d'Aubenas.

Photos: le confluent en basses eaux,


et en crue…

Encore une fois, le lecteur pourra dire :


"mais il s'agit de l'Ardèche, pas de la
Fontaulière!". Et encore je lui répondrai
que pour emporter le pont de Vals ou
d'Aubenas, l'Ardèche gonfle aussi grâce à
ses enfants terribles en amont. Et quels
sont ils? Le Lignon et la Fontaulière!

39
La Fontaulière, capable de monter à un débit "moderne" de 169 m³/s de moyenne sur une journée,
avec des crêtes à 250 m³/s (8 nov 1982) malgré ses aménagements hydrauliques… Une vitesse de
flux en ce cas supérieure à 5 m/s, et une force de plusieurs dizaines de tonnes sur des piliers…

Alors, imaginons de reprendre le raisonnement des ponts de bois, en plaçant les piles hors d'eau au
moins à la belle saison, et gardons leur l'emplacement au plus près des rives, dans le courant "plus
lent" que nous avions dévolu aux piliers de bois.

Cette hypothèse me semble… d'inspiration médiévale!

Avec un pont de pierre à deux piles…

Mon nouveau cahier des charges devient le suivant… Des départs de piles reculés vers la rive pour
être en eaux "lentes" en cas de crue, une hauteur de l'arche à 4-5 m du niveau de la rivière en eaux
basses, soit la cote 305, ce pour limiter la longueur et le coût de l'ouvrage. Les pieds des piles devront
être à sec aux beaux jours pour permettre l'inspection et la maintenance de la maçonnerie.

L'arc de la voûte est un peu


surbaissé, et on réduit en
largeur la base des piles pour
ne pas augmenter la prise du
courant lors de la montée des
eaux.
En bleu, le niveau moyen
de la rivière, en rouge un
niveau d'hiver.

Et surtout, l'ouverture de petites arches de chaque côté (appelées exutoires de crue), permet
l'évacuation du surplus d'eau en cas de forte hausse du niveau, comme cela existe aux ponts de "la
Brousse" et du "Réjus", et évite ainsi le phémomène de submersion du pont,

Ce pont respecte les standards romains et médiévaux. Je pense qu'il peut tenir les cinq siècles
demandés… Jusqu'à
ces crues phénomé-
nales au 17 et 18e
siècle, dont nous lais-
sent trace les écrits
modernes.

Quelle crue empor-


tera le pont du Pour-
talou médiéval? 1644, 1679? Une autre non répertoriée entre 1626 et 1759? Seuls les chercheurs
chevronnés, les spécialistes et "éplucheurs d'archives" sauront nous le dire. Je ne fais pas partie de ce
club restreint, hélas…

Cette patiente recherche m'a mené à la maquette


d'un modèle en pierre, qui fait le pendant à celle du
pont de bois dans une salle d'exposition du château.

Pour le pont de bois, j'ai imaginé une largeur de 12-


13 pieds (3,60-4,00 mètres), mais pour la pierre, me
basant sur des ouvrages tel le Réjus, j'ai réduit cette
dimension à moins de 12 pieds.

40
Je n'ai placé les déflec-
teurs de courant que
d'un côté, me fiant éga-
lement à la configuration
visible au Réjus, où ces
déflecteurs sont d'ail-
leurs "bâtis contre" et
non intégrés à la pile. Je
présume que c'était pour
les rénover, voire les re-
faire à l'occasion, sans
toucher à l'âme de la
construction.

Les exutoires de crue


emmènent la pile un peu
plus au milieu de la ri-
vière que le pont de bois
en raison de la hauteur
limitée de l'arche cen-
trale. Rappelez vous: je
ne voulais pas dépasser 5
mètres pour maîtriser la
longueur totale de l'ou-
vrage, et donc son prix.
Mais ces piles sont hors
d'eau au moins quatre mois (juin à septembre) à cause de l'étiage, et les bases en peuvent ainsi être
surveillées et réparées si besoin est.

Et le poste de péage?...

Qu'il soit en bois ou en pierre, il est maintenant acquis que le


pont du Pourtalou est un point de péage. Mais où donc se
cache le péager? Et quelle(s) voie(s) contrôle-t-il?

Pont à Péage à Auxerre, gravure 17e siècle


L'excellente thèse de Franck Bréchon déjà évoquée plus haut
place un des péages du mandement de Meyras sur l'actuelle
N102 au lieu dit "La Garde" (voir opus 1) pour l'arrivée par la
rive droite de l'Ardèche avant de s'engager vers les ponts du
Réjus et du Barutel. Il nous joint dans une annexe les
relations "château/route", et place Ventadour dans la
catégorie "château péager", et le classe en " attraction de la
route sur le château lors de sa fondation".

Ceci laisserait entendre que le château a été bâti là pour sa


proximité de la route. Je partage tout à fait ce point de vue
car pour moi le château de Meyras, cette bâtisse militaire, est conçu comme péager. Il me faut faire
une rapide présentation de ma théorie sur la genèse de Ventadour .

41
De la genèse de Ventadour…

Dans mon étude sur "les postes avancés de Ventadour", j'ébauche l'hypothèse suivante: ces tours
avérées ou putatives que je décris sont au départ le maillage d'un réseau de surveillance destiné à
protéger le bourg de Meyras, ou la route Viviers –Le Puy. Je n'hésite pas à donner comme élément le
plus ancien du château le "donjon carré", qui selon moi fut réhaussé par la suite. Dans ma vision
historique du bâti, il est resté longtemps comme une simple tour de surveillance, isolé, tout comme
la tour de Chirols ou de Nieigles.

Le rocher Rolandy culmine à 73 mètres au dessus de la vallée, en faisant un observatoire de choix. Il


est tout à fait probable qu'un tel promontoire ait été utilisé dès les Romains, puisque la route de la
rive gauche de l'Ardèche et de la Fontaulière (route du Puy par le Pal) est réputée Romaine.

Au 11e siècle, le fief de Meyras appartient aux Solignac. Il passera aux Montlaur par mariage en 1195.
Entre deux auront été créés les mandements. En moins de cent ans (11 au 12e siècle), le site va
devoir évoluer pour effectivement passer de la "surveillance préventive" au "contrôle des voies de
communication". Il peut être
envisagé pour refuge de la
population comme dans l'imagerie
populaire car, Nieigles ne semble
pas fortifiée, Meyras non plus
d'après mes sources, et Pont de
Labeaume n'existe pas. Les basse-
cours Nord et Sud sont suffi-
samment vastes.

Ci contre, une de mes


interprétation de la face nord
dédiée aux péages au 12e. Cette
hypothèse est liée à l'existence
impérative d'un "chemin du
Pourtalou" joignant le pont et
une porte de l'enceinte.

Il n'est pas ici le moment de développer cette théorie du bâti. Je dirai simplement que dans une
autre étude à paraître, je donne mon interprétation de la face Nord (côté Pourtalou), qui correspond
parfaitement à un usage péager.

… au château péager

Château péager, pont à péage, tout ceci ne veut pas dire


pour l'instant que le payeur doit faire le détour et franchir le
Pourtalou pour s'acquitter. Etudions de nouveau le secteur
sur une carte… et prenons la plus ancienne à notre dispo-
sition, le "cadastre Napoléonien" de 1839.

Cadastre où bien sûr il n'y a plus de pont!!! Je viens de


tenter d'expliquer la disparition du pont médiéval, et le pont
de 1760 ne tiendra que dix ans selon moi… Ce plan
Napoléonien nous montre les routes et chemins et va nous
aider à retourner en arrière. Le pont est en rouge… Que
peut-on observer? La route actuelle (jaune) desservant le pont (photo suivante) "semble" une
création pour descendre au 19e siècle à l'ancêtre de l'usine de moulinage de soie.

42
Par contre, on voit très bien l'importance de la "route de
la rive gauche de la Fontaulière", celle du Pal, et la faible
ampleur de celle descendant de Nieigles. Au 11-12e siè-
cle, les deux existent. Elles se rejoignent à à peine 100
mètres à vol d'oiseau du pont…

D'ici a imaginer une sente disparue (pointillé mauve sur


le cadastre Napoléon), reliant le pont à cette jonction de
chemins, il n'y a qu'un pas à franchir, pour placer le
poste de péage à la croisée de ces deux chemins. Ainsi,
on pourrait percevoir les droits sans coup férir. Ceci est
une première possibilité à creuser.

Toutefois, cette hypothèse pose problème car l'as-


sociation du pont et du péage reste forte dans les écrits
qui nous sont parvenus. Dans ce cas évoqué plus haut,
nous aurions une rupture totale entre le pont, symbole,
et la route, passage. Il faudrait lors envisager un poste
sur la route, séparé du Pourtalou?

Poste en bois? Peu propice à l'affirmation de la puissance


seigneuriale. Poste en dur? Il aurait laissé des traces
archéologiques, et aussi dans les écrits…

Aussi, on peut se demander s'il n'y a pas eu déviation


complète vers le pont lui-même, puisqu'il servait aussi
pour relier la "route du Pal" et Meyras. Ceci expliquerait
l'importance donnée au chemin subsistant sur la carte de
Cassini.

On pourrait alors imaginer une toute autre configuration


au 11-12e siècle, avec véritablement cette "attraction"
de la route vers le château. Je pose la sente descendant à
l'usine dans le cadastre Napoléonien comme étant déjà
tracée au Moyen-âge, et j'ajoute celle dont je parlais plus
haut… C'est possible également, mais peu pratique, pour
le voyageur comme pour le péager…
Et si les voyageurs avaient tout intérêt à franchir le pont?

J'ose alors une ultime hypothèse…

En compulsant mes documentations, j'ai retrouvé et relu avec attention un article d'AVJ Martin dans
"Mémoire d'Ardèche et temps présent" n°6, de 1985.

De cette excellente étude, il ressort que jusqu'au moins 1740, le pont de Veyrières (Chirols) ne sera
qu'une passerelle de bois. Il apparaît aussi que le grand chemin d'Auvergne (route du Puy par
Montpezat et le col du Pal) passe par… Meyras! Oui! Car le petit tronçon de route (actuelle D536)
reliant le pont de Veyrières à Armanier ne date que d'environ 1740, justement après la construction
d'un pont de pierre en lieu et place du pont de bois…

Ces éléments m'ont amené à repenser l'esprit dans lequel ont été décidés les tracés de ces routes…

43
Récapitulons nos chemins d'Aubenas à Montpezat, sur cette carte où j'ai effacé les routes actuelles,
D536 et N102.

En pointillé orange, d'Aube-


nas par la rive droite d'Ardè-
che, La Garde, Le Coulet,
ponts du Réjus et du Baru-
tel, Meyras, Armanier… Les
taxes ont été payées à La
Garde.

En pointillé bleu, par les


rives gauche de l'Ardèche et
de la Fontaulière, une fois
passé le pont de Veyrières, il
faudra rebifurquer vers
Meyras… Le voyageur ne
pourra pas éviter de payer
sa taxe. Où se situe le péage
nord, je n'en ai pas la
moindre idée. Au feeling, je
dirais près d'Armanier, aux
limites du mandement…

Nul n'échappera à la taxe!


Alors, passons au plus court,
n'est ce pas?

Le château de Meyras et le pont du Pourtalou, verrous de la route du Puy…

Quand on observe le trajet en jaune, on se rend compte que Ventadour est sur le chemin le plus
court pour rejoindre Meyras et la route de Montpezat (donc du Puy), que ce soit par l'Est (Le Pradel),
ou le Sud et l'Ouest (Le Meynades) quand on vient d'Aubenas par la rive gauche de l'Ardèche..

Le trajet par la rive droite et Le Coulet impose un détour, passer à 500 m d'altitude et franchir deux
ponts. Ce chemin doit, à mon sens, être à cette époque plutôt privilégié pour aller à Jaujac, ou bien
encore pour rejoindre Thueyts et le col de la Chavade, mais trop compliqué pour Meyras…

Le trajet par le pont de Veyrières ne peut être avantageux que si l'on descend des collines Est et
Nord. Or, on ne retrouve dans les écrits anciens que "le Fez" sur la rive gauche de la Fontaulière, et
Chirols ne sera fondée qu'en 1854, la bourgade initiale dépendait de Meyras. Pourquoi conserver
cette route? Peut-être parce que historiquement c'est la plus ancienne. Pourquoi n'avoir pas relié
dès la haute antiquité le confluent (Pourtalou) à Meyras en passant par le Rolandy? Peut-être parce
que la topographie de la route, en vallée, est moins accidentée. Et peut-être parce que la Fontaulière
ne fait que 17 m de large pour la traverser à Veyrières, au lieu de 28 m au Pourtalou, et qu'avant
même ce pont de Veyrières, on traversait à gué, au lieu-dit le Gua…

Il faut toujours considérer le rapport entre le temps de route, le coût, et la difficulté du voyage! De
tout temps, Moyen-âge ou époque actuelle!

Alors, au vu des pages qui précèdent, et que j'espère convaincantes, je conclurai ces lignes
en affirmant tout simplement :

44
Que la forteresse de Ventadour a été créée pour la surveillance, et la sécurité des population, puis
s'est developpée pour percevoir des taxes de mandement en son enceinte.

Que les "grands" chemins Nord et Sud vers Meyras partant du château sont créés en même temps
que s'organise la forteresse pour ce nouveau rôle, soit à la mi-12e siècle avec les Solignac, soit à la
fin 12e siècle avec les Montlaur. Cette évolution est accompagnée par la construction du pont du
Pourtalou et de "son" ou de "ses" chemins, expressément pour devenir un passage obligé de Viviers
et d'Aubenas vers le Puy par le col du Pal.

Ce chemin par le Pourtalou est plus court pour le voyageur, et en permettant la perception pour les
seigneurs du lieu, était essentiel pour la prospérité de Meyras.

Pour moi, c'est certain, la tradition locale, les écrits et la logique se recoupent : le pont du Pourtalou
a existé dès le Moyen-âge, le pont du Pourtalou était bien un pont à péage, et le(s) chemin(s) du
Pourtalou, menant du pont au château, a (ont) existé.

S'il en fallait encore des indices, la grande diversité de provenances des monnaies de fouilles indique
un brassage de populations hétéroclites. La découverte lors des dégagements de poids destinés au
change monétaire prouve qu'il y avait des transactions financières fréquentes. L'étalement dans la
durée, sur plusieurs siècles, des pièces disparates découvertes montrent que ce rôle péager a duré
fort longtemps, jusque sous Louis XIII, puisque des écrits en parlent encore en 1626 (Serge Dahoui).

Ne reste plus qu'à retrouver, sous la végétation du rocher Rolandy, le tracé exact de "ce" ou "ces"
chemins du Pourtalou…

Mais ceci est une autre histoire!

Reste de soutènements,
face Nord du château

"Voulez vous
venir chercher
avec moi?"

Jean-Luc Bourbon,
Septembre 2016
Revu 2021

45
46
Les postes avancés de Ventadour

Essai d'étude et de compréhension du système de surveillance du château de Ventadour, Ardèche.

47
48
Tout a commencé pour moi quand l'église de Niègles était dans un semi abandon, au début
des années 70. C'était une balade du week-end pour les "Ventadouriens". On montait au
clocher ouvert à tous vents pour la vue splendide, sur Ventadour à l'ouest, et la vallée
ardéchoise au sud. On pouvait voir dans ce clocher un élément incongru : une cheminée…

Niègles, tour de guet médiévale

C'était l'époque où un habitant de


Niègles n'avait pas encore planté
ces 3 ou 4 sapins. On se demande
quelle mouche l'a piqué…

Sapins énormes qui nous cachent


maintenant la vue avec ce clocher
depuis Ventadour, obstruction vi-
suelle qui nie la vieille complicité
des deux monuments…

Il est ressorti de nos nombreuses


Le clocher de Niègles visites, dès cette époque, qu'on
visible de Ventadour pouvait admettre que les bases du
(et vice-versa!) en 1977. clocher (nous disons bien les ba-
ses) étaient antérieures à l'édifi-
cation de l'église, et que cette construction aurait pu être au départ une tour de guet du château.

Tour rehaussée et modifiée ensuite pour l'église, retravaillée avec ses baies à ébrasures… Et avec
une cheminée, sans doute tardive, comme dans le "vieux donjon carré" de Ventadour.

Pour moi, j'ai vite franchi le pas,


c'est sûr, ce clocher fut une tour de
guet pour le château et Meyras.
Notre Dame de Niègles aura été
bâtie contre cette tour… plus
tard!!! En effet, quoiqu'en disaient
des études sur cette église, on ne
la retrouve attestée qu'en 1164 ou
1134 selon les sources, c'est à dire
soit à peu près en même temps
que l'érection du château primitif,
soit même un peu après.

Certains entretiennent à dessein la


confusion entre les premières
mentions du prieuré de Niègles en
Le clocher aujourd'hui masqué… 993 et l'édification de l'église, ce
pour la dire antérieure au château
de Ventadour et lui refuser le lien que je présume. Les recherches récentes, illustrées par une
maquette dans l'église, montrent une petite chapelle qui viendra se coller à la tour. Alors oui, peut-
être cette chapelle, mais pas l'église que nous voyons.

49
D'autres voient dans cette tour le logement du prieur. Pourquoi pas… Mais alors plus tard, au 16-17e
siècle, lors de l'évolution finale de l'église et de son clocher, en profitant des aménagements
existants depuis l'origine…

Plusieurs observations me font discuter ces interprétations, et donc je vais vous dire pourquoi je
crois à une tour de guet, à un poste avancé..

D'abord, on est frappé par la


forte épaisseur des murs du
clocher, que je qualifierai de "mi-
litaire", par rapport au reste du
bâti.

Puis, la présence d'une grande


ouverture murée en son flanc
Ouest pose question (photo
pages suivantes). Si c'était tout
simplement une "entrée en hau-
teur avec échelle", pratique cou-
rante dans le bâti militaire du
Moyen-âge…?

De plus la facture des angles, la


dimension et le grain de taille
des pierres (photos pages sui-
vantes), rappelle énormément
les bases les plus anciennes de
Ventadour… Mêmes maitres
d'œuvre, ou mêmes compa-
gnons itinérants?
Escalier ajouté
Personne ne s'était investi
vraiment dans des travaux de
recherche sur cette voie. L'église
est classée, a depuis les années
70 été restaurée et il fallait un
Murs de forte passe-droit pour aller (re)en-
épaisseur quêter au clocher. Et si l'enquête
allait à l'encontre des idées re-
çues, vous n'êtiez pas forcément
bienvenu…

J'enfoncerai le clou en livrant ce plan de Notre-Dame de Nieigles. Constatez l'adjonction d'un escalier
extérieur pour l'accès aux pièces en hauteur… Pourquoi? Parce qu'à l'origine, cette tour était
"creuse" et avait des planchers de bois, on y montait les étages par une échelle, comme toute (ou
presque) tour du 10-11e siècle. Les photos des escaliers qui suivront montrent bien qu'il s'agit d'un
élément postérieur. L'ajout architectural est visible sur la face sud.

Heureusement les choses semblent avoir changé, les mentalités ont évolué.

50
Il a été dit, dans la sottise ambiante de ces années de déni, dans une "visite-conférence" de 1983, qui
était toujours visible sur internet en 2015, que (sic): "le clocher date du 17e, que jamais le prieur
n'aurait pu bâtir un clocher avant, parce que le
seigneur de Ventadour n'aurait toléré une telle
construction en face de sa demeure". Je me
demande d'où l'auteur tire cet avis sur les
humeurs des seigneurs de Meyras?

Peut être un diplômé en "master-psychologie-


médiévale"?...

Plus sérieusement, il a été dit aussi que, dé-


couverte à l'appui d'une pierre d'angle gravée
d'une date, le clocher date de 1678.

Le clocher, oui, mais tel qu'on le voit actu-


ellement: surmonté de ses peignes et de son
toit! Car je l'ai dit en ouverture dès le second
paragraphe: "les bases du clocher"!
L'ouverture
Une visite récente sous la houlette de Monsieur
murée.
Chêne, de l'association des amis de Nieigles, m'a
désormais rassuré et conforté dans mon idée, les historiens sérieux ont fait leur chemin…

Reprenons mon hypothèse et mon déroulé… Les bases d'une tour sont jetées dès les 10-11e siècles.
Sa hauteur doit être sensiblement jusqu'au second petit rebord de pierres saillantes. C'est un tuyau
vaguement carré, peut être voûté au premier niveau dès la construction (devenu la tribune) dans
lequel on pénètre par une porte en hauteur. Les
fenêtres latérales nord et sud, dont la forme et
les pierres de contour sont bien intégrées à
l'appareil, m'apparaissent comme étant origi-
nelles. Ces fenêtres nous renseignent la hauteur
initiale de la pièce haute du bâtiment. La voûte
de cette pièce est-elle d'origine ou avait-on un
plancher de bois? Il faudrait analyser cette
voûte, mais la restauration récente, avec son
enduit épais (photo page suivante) rend l'étude
difficile.

Au dessus, j'imagine un mur crénelé, et un toit


rudimentaire, à une ou 2 pentes.

D'après mes déductions, cette construction suit


grosso modo le contour en pointillé rouge, les
niveaux internes sont en jaune. Au moment de
bâtir l'église contre, je pense que cette tour est
encore fermée et garde son côté militaire. Pour
moi la voûte inférieure (celle qui coiffe la
tribune) n'existe pas.

Je la vois établie pour renforcer l'ensemble lors


de la destruction du mur pour faire l'ouverture
sur la nef.

51
Cela très sûrement lors d'un aménagement, à l'époque où seront ouvertes les 3 fenêtres visibles sur
les photos, destinées à éclairer la nef par l'ouest. Ces 3 ouvertures ne s'accordent pas avec les rangs
de maçonnerie, elles sont tardives.

Revenons quelques instants avec photo sur les données


architecturales évoquées plus haut qui me posent
question. Ci-contre, la facture des angles, la dimension
des pierres et le grain de taille… Tout s'accorde pour
dater les constructions à la même époque, ou au moins
du même groupe de compagnons tailleurs de pierres.
Base du clocher de Niègles.
Notez la facture des angles, la
dimension des pierres, similaires aux
parties du château les plus anciennes.

Pour l'escalier qui monte à la pièce sous le clocher, on


voit bien sur la photo qui suit que c'est un ajout
ultérieur. Le bâti que l'on voit à gauche est le petit carré
extérieur nord contre le clocher, le mur à droite est
l'extérieur du mur sud de la tour d'origine. Il est évident
que si le clocher avait été bâti pour servir à y mettre des
cloches, un escalier aurait été prévu à l'intérieur dès le
début et intégré à la tour! Cela prouve bien qu'il fut un
temps où l'on pénétrait dans la "pièce aux 2 fenêtres"
par un autre moyen.
L'escalier de montée aux étages
supérieurs du clocher. Nul besoin
d'être architecte ou médiéviste pour
constater qu'il a été ajouté contre le
mur de droite.
Dans la page qui suit, je vous emmène quelques instants
visiter les salles du clocher, que Monsieur Chêne, de
l'association des amis de Nieigles, m'a aimablement
ouvertes au mois d'août 2016. La présence des cloches,
de retour après si longue absence dans l'édifice, a
nécessité par sécurité la fermeture de la montée.

Par l'escalier adjoint contre la tour, on pénètre dans la


salle sous le clocher lui-même. Ceci nous permet de
constater que le mur de la tour a été "éventré" pour
créér ce passage. La voute d'arête semble ajoutée pour
supporter le clocher au 17e siècle, mais la restauration
rend l'examen délicat.

On peut faire deux hypothéses: la voute est d'origine ou


pas… Il est difficile de distiguer avec l'enduit neuf si cette
dernière est liée dans les murs ou non.

Si elle est d'origine, on s'étonnera du manque de soin


dans son ouverture d'escalier pour monter au dessus
(actuellement le clocher). Et on ne peut admettre que

52
cette tour de guet se limite aux deux seules fenêtres Nord et Sud, à la visibilité limitée il faut un
"chemin de ronde". Mais on a du mal à imaginer le dernier étage en planches, même avec un toit
par-dessus, à cause de l'étanchéité.

Aussi, je la suggère originale, et je pense que sa vue en


coupe initiale "ressemblait" à un haut tuyau carré ter-
miné par une voute, et deux étages en planchers. La
voûte qui chapeaute la tribune doit être, elle, con-
temporaine de l'ouverture sur la nef. Seul me contrarie
la mauvaise facture du petit escalier…

Cette nef a été créée par le raccordement de la petite


chapelle initiale avec la tour. Une petite maquette ex-
plicative se trouve dans l'église.

Montée dans la tour: par l'escalier de la page


précédente, arrivée dans la pièce voûtée, avec
sa cheminée et son four à pain, et l'escalier qui
monte en terrasse…

Je vais arrêter là car mon propos n'est pas de me


pencher sur l'évolution du bâti de l'église. Ma recherche
est sur un réseau de surveillance des vallées et une
communication entre divers points pour contrôler toute
circulation, prévenir toute action malveillante contre
Meyras ou la route du Puy.

Je voulais seulement vous persuader que cette tour, que je m'efforce de vous présenter, a existé, et
fait partie d'un système que je vais développer.

Vous avez pu voir la photo


du clocher de 1977, prise
du château, mais hélas, je
n'en trouve plus du clocher
vers le château, et avec les
sapins de maintenant,
cette photo serait impos-
sible à refaire.

Vue de Niègles
vers Aubenas

Toutefois j'ai déniché une photo prise de Niègles vers l'aval de la vallée de l'Ardèche, vers Aubenas :
la vue porte à plusieurs kilomètres…

Je m'étais bien dit à l'époque que "si poste de surveillance il y a à Nieigles, ce n'est peut-être pas le
seul", et puis, j'ai… oublié.

J'ai, comme beaucoup d'anciens de Ventadour, délaissé Nièigles, les postes de guet, en suivant
l'avancement du chantier de Ventadour de loin en loin.

53
Hautségur

Une autre promenade des "Ventadouriens" de l'époque était le château de Hautségur. Ce château a
une histoire liée avec Ventadour, et parfois ils
ont été confondus dans des ouvrages d'his-
toriens de pacotille.

Je m'explique… Dans les années 70, les dé-


buts du chantier de Ventadour faisaient
grand bruit dans la région.

La taille démesurée du défi, sa promotion


télévisée ou journalistique, en faisaient un
des phares des Chantiers de Jeunesse.
Hautségur, carte postale ancienne
On a vu alors fleurir des livres, études, articles
etc. dont certains n'étaient que resucées
d’ouvrages du 19e siècle, tel Mazon, et
mélangeaient allégrement Ventadour,
Hautségur, la Croisette, voire même Au-
benas… Avec le temps, hormis la très
sérieuse Revue du Vivarais, je n'en connais
que deux qui soient encore lisibles sans être
risibles: le très bon "Château de Meyras" de
Georges Grégoire (1976), car écrit "de
l'intérieur", Georges étant dans les premier
bénévoles de Ventadour. Le second est
l'excellent "Château de Meyras, dit de
Une des vues du livre Ventadour- Dessins, plans et interprétation
de Philippe Denis des inventaires" de Philippe Denis (1979), lui
aussi bénévole des premières du chantier.

Déjà à l'époque, je pressentais que Hautségur avait une histoire commune avec Ventadour. Sa pré-
sence initiale semble dater du 12e siècle, il est situé à 430m d'altitude, au dessus de l'Ardèche, il
domine le pont du Barutel. Or pendant longtemps, ce pont fut essentiel (avec celui du Rejus) pour
passer d'une rive à l'autre de l'Ardèche, aller d'Aubenas au Puy en contournant la montagne par le
Sud-Ouest, ou aller tout simplement à… Meyras pour rejoindre la route du Pal!

Plan de situation avec Ventadour,


Hautségur et le pont du Barutel.

54
En effet, le Pont de La Baume ne sera
Le pont du Barutel, avec construit que sous Louis XV (1727-1737). Le
en arrière plan le pont Rolandy également (1760-1762), et la
château de Hautségur. route ainsi crée par ce dernier (l'actuelle
N102) passera "sous" Ventadour. Elle de-
viendra "route royale de la poste" et appa-
raitra sur la carte de Cassini.

Cette position privilégiée me faisait penser


à un verrou de la vallée haute de l'Ardèche,
et vu les importances respectives de
Hautségur et Ventadour, je voyais le petit
vassal du grand. Mais bien qu'à seulement
1500 m à vol d'oiseau, ils ne sont pas à
portée visuelle l'un de l'autre…

Autre élément dérangeant, la bâtisse est


attestée du 16e siècle après une destruc-
tion pendant les guerres de religion.
Toutefois, une pierre de ce château porte
la date de 1126, et cette pierre pourrait provenir de l'édifice initial à cet endroit.

Quoiqu'il en soit, il me paraît hautement improbable qu'une telle position stratégique au dessus du
Barutel n'ait pas été exploitée dès le haut Moyen-âge. Il ne faut aussi pas perdre de vue que le pont
de la "Taillade" (ancien nom du pont du Réjus sur le Lignon) étant une limite du mandement de
Jaujac avec un péage (Thèse de Franck Bréchon), le pont du Barutel pouvait être, lui, limite du
mandement de Meyras et donc très important soit pour la taxation, soit pour une protection
militaire… Mais les années passant, comme pour Niègles, je n'y ai plus prêté grande attention.

La tour de Chirols

Tout a rebondi en 2008 alors que, 30 ans plus tard, je confectionnais un plan-relief du site (exposé
au château), et que je "fouillais" sur internet,
en quête d'indices afin de retrouver les
chemins d'accès au château.

J'ai fait alors la connaissance virtuelle de


Barbara, Ardéchoise qui habite Chirols, et qui
aime le château de Ventadour qu'elle décrit
sur son blog. Cette dernière a relancé mon
intérêt en me signalant la présence d'une
ruine de tour, à quelque distance de chez
elle, ruine de jeux de jeunesse, ruine dont
elle m'a fourni la situation IGN, la cote (450),
et quelques photos prises sur place.

L'une de ces photos a déclenché mes


Vision de la tour de Chirols, interrogations: la vue de Ventadour prise de
vue directe sur Ventadour. cette tour…

Regardez bien cette photo, car elle est prise au niveau du sol, et elle serait encore meilleure prise du
haut de ladite tour, et… sans la végétation envahissante! Au passage, la tour est en ruines et mérite-

55
rait une intervention rapide pour arrêter sa dégra-
La grande fenêtre face à dation. La végétation est sans pitié, et la vitesse de
Ventadour, avec ses coussièges destruction est exponentielle!

J'ai jeté mon dévolu sur cette bâtisse durant mon


passage d'août 2016, au prix de jolies griffures, tant
l'endroit est envahi par les ronces. On a affaire à
une "maison" par l'emprise globale au sol, mais la
façade face à Ventadour est impressionnante, elle
fait trois niveaux de belle taille, une hauteur totale
de l'ordre de sept mètres…

Elle a été bâtie sur l'à pic du rocher, et on peut y


voir un mur de soutènement en biais, ultérieur en
époque, difficile à dater. L'ensemble fait penser à
"une ruine récupérée tardivement" pour y bâtir
une maison. Mais pour l'observateur attentif, le
bâti initial est "seigneurial" : la qualité des enca-
drements de portes et fenêtres restantes, la taille
des blocs utilisés, fait plus penser à une structure
militaire qu'à une habitation de "paysans". Cer-
taines pierres d'angles mesurent jusqu'à 80cm de
long et 40 de haut, ce n'est pas dans l'habitude de
construction des habitants de villages ardéchois…

Le second niveau comporte une belle fenêtre avec


encadrement voûté, et –question!- assortie de
deux coussièges, ces bancs de pierre accolés aux
fenêtres au Moyen-âge. Selon les légendes médié-
vales, ces coussièges permettent à la Châtelaine de
broder à la lumière, ou d'y lire ses lettres d'a-
mour… Images puériles bien ancrées par l'igno-
rance globale de notre enseignement sur cette pé-
riode. Car dans une interprétation militaire, ce
banc, ce coussiège, sert surtout pour la veille des
hommes d'armes!

Un troisième niveau existait, le temps est en train


de le détruire. Il serait temps qu'un chantier de
jeunes -tel celui de Ventadour- y mette les pieds
pour au moins le préserver!

Une brève visite photographique pour découvrir la


fenêtre, le plan oblique de renforcement, et
quelques pierres dont je parle plus avant.

Cette construction, vaguement de forme rectangu-


laire, fait environ 6 m de façade et 7 m de hauteur
(*), et n'est pas voûtée. Cette "tour" permet de
voir très loin en amont de la Fontaulière, et com-
munique visuellement avec le château… Cela ne
vous rappelle rien? Le clocher de Niègles!
La façade renforcée… (*) Des mesures exactes vont être effectuées sur les sites.

56
J'ai recommencé à étudier par l'intermédiaire de
Les restes de la construction, "Géoportail" les courbes de niveau (travail qui fût
vus du château… fait dans les années 70 par Raphael Boutry pour le
clocher de Nieigles, voir le livre de Georges
Grégoire). Entre cette tour, Hautségur et le clocher
de Niègles, j'ai pris alors conscience de l'existence
et de l'étendue d'un réseau complexe de sur-
veillance des "trois vallées", Ardèche, Fontaulière et
Lignon. J'ai sorti papier et crayons, dépoussiéré mes
cartes, et tiré des conclusions. Elles n'engagent que
moi, et peuvent être contestées ou remaniées, car
rien ne doit rester figé.

Je vais vous livrer maintenant mon cheminement


de réflexion.

Pour le clocher de Niègles, je ne suis que le porte


parole de mes anciens, et désormais, des cher-
cheurs des Amis de Nieigles. Pour la tour de Chirols,
Des pierres de je remercie Barbara, sans qui je n'aurais jamais
dimensions orienté mes recherches dans cette voie, et
anormales Monsieur Claude Etienne, ancien maire de Chirols,
pour une qui m'a aimablement reçu.
maison
paysanne.. Des pierres de construction trop imposantes
à mon avis pour une construction paysanne…

Et vu d'avion, ça donne quoi?...

L'outil internet de plus en plus per-


formant, tel Géoportail, est phénoménal
pour la recherche géo-historique.

Ainsi, j'ai pu comparer les bâtiments qui


me posent question sur ces postes
avancés grâce aux vues arériennes ou
aux cadastres, dont le napoléonien, et
j'ai remarqué une grande similitude de
dimensions, de proportions…

Pour moi, ces constructions sont, sinon


"sœurs", au moins… "cousines"!

57
Carte n°1, données générales

J'ai effectué cette carte préparatoire en 2017, sur photocopies de cartes IGN, et au "stabilo". En
orange en haut, la surveillance de la tour de Chirols sur l'amont de la Fontaulière, en jaune l'axe de
liaison visuel de Chirols vers Ventadour, en vert l'étendue de vision du Château, en orange en bas, le
champ de vision depuis le clocher de Niègles…

Le réseau est déjà énorme. Mais regardez bien : il manque au Nord, le fond de la vallée de la
Fontaulière, au Sud la surveillance de l'amont de l'Ardèche et de la vallée du Lignon, le pont du Réjus
et celui du Barutel…

58
Si vous avez suivi mon raisonnement sur la surveillance des routes, vous vous rendrez compte de
l'importance de ces 2 ponts. Aussi, si j'étais Seigneur de Meyras au Moyen âge, hors de question de
laisser cette passe sans "avoir un œil dessus"!

Et c'est là que Hautségur revient


Profil altimétrique entre sur la table : il maîtrise le Barutel,
les deux châteaux mais ne communique pas
visuellement avec Ventadour. S'il
fait partie du système, il faut un
relais visuel. Mais où?

A mon avis, c'est entre la cote 517


et la 450 (surplombant le pont du
Réjus sur la carte) visible de
Ventadour, avec vue plongeante
sur les 2 vallées (Lignon-Ardèche)
que je bâtirais une tour de guet…
Observons la carte et les photos
suivantes, sensiblement à la mê-
me échelle: en orange, la limite
de vision Est du site de Haut-
ségur, et celle de Ventadour à
l'ouest en jaune. La zone com-
mune est colorée en rose. J'en ai
fait de même sur la photo prise du
donjon du château.

De plus, un poste (étoile jaune)


situé dans cette zone permettrait
d'éliminer l'angle mort de la rive
gauche de l'Ardèche, autour du
lieu-dit "Les Portes", et une
meilleure vue sur le pont du
Réjus.

Autre remarque, la présence


d'une surveillance à cet endroit
peut contrôler l'accès au pont du
Réjus par le chemin du Coulet
venant de La Garde (devenu un
sentier de randonnée), en
pointillés mauves sur la carte
topographique)..

Il n'est vraiment pas déraison-


nable de penser qu'en cherchant
bien, on trouverait sur ce secteur
une tour ou des ruines ; une tour
qui serait rectangulaire, une tour
d'environ 5 mètres de côté et 6
mètres de haut…

59
On constate aussi un manque de visibilité sur les rives de la Fontaulière, entre la tour de Chirols et le
château. La vue de Ventadour est coupée rive droite d'abord par la colline du Pradel, puis celle de
Chante-merle… Rive gauche, la colline du Mas de Robert bloque les regards.

La logique voudrait un relais de


surveillance orienté Est-Ouest, en liaison
triangulaire avec la tour de Chirols et
Ventadour. Vu la configuration du ter-
rain, et donc pour garantir un lien avec
les deux, on doit se trouver sur une poin-
te, une avancée. L'altitude doit avoisiner
au moins 400 mètres pour passer au
dessus des collines droite et gauche
nommées plus avant. Le seul lieu conve-
nant, trouvé encore une fois grâce aux
outils de Géoportail, serait sous, ou à
proximité immédiate de Chirols. Tel que
Vue des hauteurs du je le conçois, le maillage de surveillance
château vers Chirols. serait quasi parfait. Reste toujours une
Les collines citées inconnue par le Nord-Est… Mais là, le
dans le texte bourg de Meyras est sur le chemin.
bouchent la vision de
la vallée. Or, il est Meyras ne peut pas faire partie de la
impensable qu'elle ne défense de Ventadour… Le château s'est
soit pas surveillée. appelé longtemps "Château de Meyras",
et il a été bâti pour servir la ville, non
l'inverse. Je pense donc qu'au nord de ce
bourg très important au Moyen-âge, on
peut retrouver un système de surveil-
lance aussi sophistiqué qu'au sud avec
Seul emplacement notre château bien-aimé. La boucle
Tour de Chirols
possible d'un relais serait bouclée, mais je dois pour l'instant
visuel dominant la passer la main car je n'ai pas assez de
vallée connaissances sur les châteaux et édi-
fices de l'autre côté de la colline.
Relais?
Quand cette lacune sera comblée, il sera
temps d'ajouter des éléments à cette
brève étude.

Voici page suivante ce que donnerait,


sur une carte à grande échelle, ce réseau
que je soupçonne.
Ventadour
Meyras Il faudrait lancer une campagne de
recherche de ruines de tour aux endroits
présumés. L'étude des plus vieux cadastres (Napoléoniens) ne donne rien ou pas grand chose, à
peine si y figure la tour de Chirols, pourtant encore bien visible.

60
Carte n°2, données juin 2021, en guise de conclusion provisoire.

Les postes sont représentés par des pavés. Les existants (Ventadour, tour de Chirols, clocher de
Nieigles et Hautségur) sont en jaune, les deux supposés en rouge.

De haut en bas sur la carte:

Rouge, tour de Chirols et son champ de vision; jaune, point relais (supposé par l'auteur) et champ de
vison; vert, Ventadour et sa zone de surveillance; bleu, clocher de Niègles et champ de vision; orange,
Hautségur et sa zone de surveillance; gris, à la liaison visuelle de Ventadour et Hautségur, point relais
(supposé par l'auteur) et son complément de surveillance sur le confluent Ardèche-Lignon. En pointillé
rouge, les liaisons visuelles.

Il est évident que si un tel réseau, comme je le crois, existe au Sud de Meyras, on doit trouver son
pendant au Nord.

61
62
Analyse et interprétation autour d'un tableau

"Vue du château de Ventadour et du pont de Labeaume "


(en 1818-1819)

par Adrien Joly de La Vaubignon

Essai d'étude et de compréhension des ruines du château de Ventadour à l'aide de tableaux et lithographies.

63
64
Plusieurs artistes ont représenté le château de Ventadour sur leur toile, leur gravure, ou
leur carnet. Les représentations réalisées peuvent-elle nous renseigner sur l'histoire
récente du château?... Nous allons donc chercher, avec l'aide de documents de plus d'un
siècle, et essayer de démêler le vrai de la fantaisie.

Sabine Baring-Gould

Hormis les cartes postales, la peinture centenaire la plus proche de nous que j'aie trouvée, par ha-
sard sur EBay, est peu connue… Réalisée par Sabine Baring-Gould, la reproduction est de petit format
car elle illustre son livre "A book of the Cevennes" édité en 1907 à Londres.

Peu à dire que nous ne sachions déjà… L'ombre portée sur le mur des "parties XVIe" nous montre
l'arche restante du mur de la grande salle donnant sur la cour de la citerne, les murs sont écrénelés
et la courtine Ouest éventrée.

Une indication peut-être:


il semble y avoir un che-
min assez raide qui part de
la route… Ou bien une
sorte de terre-plein, et qui
est pile là où démarre
notre chemin actuel, et on
croit y voir une pente. Un
indice?... Et bien non!

65
Car cette peinture n'a pas été
réalisée sur place! Voyez : Ce
n'est une "vulgaire copie" de
la carte postale de fin 19e
siècle/début 20e ci-contre…
Sabine Baring-Gould n'a peut-
être jamais mis les pieds en
Ardèche (ou du moins pas au
château…)! Un peu décevant,
n'est-ce pas?

Jules Thibon

Plus avant, le tableau du peintre Ardéchois Jules Thibon (1824-1881) est bien connu désormais de
tous les "Ventadouriens", depuis qu'il a été publié sur la page internet "wikipédia" du château…

Jules Thibon est un peintre local, oscillant entre l'École de Barbizon et les impressionnistes, né à Au-
benas. Le musée Calvet d'Avignon expose deux de ses toiles les plus représentatives de son Ardèche
natale, "Le château de Ventadour" et "Muletiers du Vivarais". Il peint Ventadour presque 50 ans plus
tôt que Baring-Gould, vers 1860.

66
Rien de bien nouveau à extraire : la vue, romantique, sous cet angle est courante dans les photos fin
19e-début 20e siècle et notre château a l'aspect dans lequel nous l'avons trouvé en 1969 (excepté les
moutons et les bergers, les premiers sans doute mangés par les derniers!).

Sur cette toile quand même, effet du peintre ou reproduction fidèle,


on distingue nettement un sentier montant au château…

Mais ce sentier ne peut correspondre à rien dans les critères médié-


vaux, il n'a de raison d'être qu'avec une route ou un chemin longeant
la rive.

Ce peut être le cas pour cette peinture, puisque dès 1839, le cadastre
Napoléonien fait mention d'une sente contournant l'éperon rocheux
depuis le pont Rolandy, et bientôt s'ouvrira une vraie route, devenant
la D536. Mais sur ce même cadastre, le chemin peint ici ne figure pas.

Il est à remarquer que la figuration globale étant fidèle, j'aimerais y


croire, mais alors, ce serait un chemin tardif, un chemin pourquoi pas
créé tout exprès pour le "pillage de pierres" après la Révolution? Ou encore par Sosthène de Chana-
leilles pour y acheminer ses matériaux, lors de sa consolidation du Château, précisément autour de
cette période 1860…

Adrien Joly de La Vaubignon

Enfin, nous avons remonté le temps jusqu'en 1818, où Adrien Joly de La Vaubignon réalise sur com-
mande pour Louis XVIII cette toile: "Vue du château de Ventadour et du Pont de Labeaume".

67
Il est très difficile de trouver les renseignements fiables sur Adrien Joly… Tous semblent d'accord
pour le faire naître à Paris en 1788. Mais certains déclarent son décès en 1839, alors que dans des ca-
talogues de vente d'art, on le dit exposant au salon de Paris de 1822 à 1846 ses dessins et lithogra-
phies, car il réalisait aussi des gravures très prisées… Sa toile est exposée au musée de Guéret.

C'est un tableau aux mesures imposantes (162x113 cm) dans le style néo-classique, qui "n'hésite pas
à modifier la nature pour la rendre plus parfaite". Mais au-delà de ces excès, les bâtiments semblent
respectés. Et au vu de la très grande échelle de la représentation, j'aimerais parier sur une fidélité de
la restitution de Ventadour par l'auteur…

Détaillons d'abord l'environnement

Au premier plan, le pont a encore son arche


primitive (même largeur que les autres) côté
Jaujac. Elle sera emportée en 1857, rempla-
cée par une passerelle de bois visible sur une
lithographie, jusqu'en 1881 au moins…

Au second plan, la falaise basaltique de la


sortie de Pont de Labeaume est fidèlement
représentée. On voit serpenter à son pied la
route du Pont Rolandy, ouverte depuis 1762.

Au troisième plan, on voit très bien le rocher


Rolandy ("Roulandy" à l'époque) venir mourir
dans la Fontaulière. La pente du rocher est
respectée.

Mais voyez, pas de route, ni de sente repré-


sentée aux pieds du rocher Rolandy. La sente
figurera sur le cadastre "Napoléonien" édité
en 1839. Et aussi… Aucune trace du Pont du
Pourtalou construit également en 1762!

Je suis sûr qu'à une telle échelle, ces indices y


figureraient. Je suis sûr que même romancé,
le souci du détail de Joly l'aurait fait figurer,
comme ces minuscules personnages sur le
pont, ces maisons… Grâce à cette vue, nous
avons pu "encadrer" la création de cette
sente, qui deviendra la D536 en 1933.

Il n'y a pas encore de chemin longeant la Fon-


taulière au pied du château en 1818. Com-
ment va-t-on donc au Pradel depuis Pont de
Labeaume? Nous en parlons dans un autre
exposé. La naissance du chemin est pour moi
donc entre 1818 et 1839, et sans doute
même avant 1839, puisque le relevé est tou-
jours antérieur à la date d'édition.

Ci-contre, sous un angle légèrement diffé-


rent, une carte postale du début 20e siècle.

68
Passons maintenant au bâtiment, au château en lui-même…

Sur la toile d'Adrien Joly, si vaste, cette représentation de Ventadour fait près de 40 cm de large, c'est
énorme. Que de détails un peintre peut-il y loger! Voyons ce que nous pouvons en tirer…

Les 2 lignes de rem-


part sud apparaissent
bien.

On peut reconnaître la
porte Sud, à gauche, à
moins que ce ne soit
le passage voûté de la
grange. On voit au mi-
lieu, sur le rempart in-
férieur, la "brisure" de
l'angle de l'emplace-
ment dit des écuries.
Au-dessus, on devine
la silhouette de la
porte à assommoir.

Attention, la peinture
est en léger plongé, et
la carte postale en lé-
ger contre plongée, la
vision est un peu faus-
sée.

Porte Sud et rempart


en début 20e siècle.

69
Un peu plus difficile ci-contre…

On pourrait croire que c'est la


chapelle. Mais l'élément ne
correspond pas bien à ce qui
nous en reste début 20e et pas
tout à fait à la bonne altitude…
Alors à cette place, qu'a voulu
représenter Joly?

Ce sont tout simplement les


vestiges de la "chambre du jar-
din"… Il semble en rester plus
que de nos jours.

Regardez cette photo, elle est


surprenante, et quasiment
sous le même angle de vue que
la peinture.

Photo du site avant les


travaux de reconstruction.

Allons plus loin avec le donjon.


Plus romancé, il a l'air d'avoir
pris une cure de "mise à la
page" au contexte néo-classi-
que" du 19e…

Et pour cause, il est passé de


carré à rond: aucun effet de re-
lief du peintre qui, c'est visible,
sait le rendre ailleurs… Tout en
rondeur! Pourtant, il nous
laisse la porte supérieure du
chemin de ronde, bien mar-
quée, sans la courtine, qui est
assurément déjà tombée!

Sans doute un donjon rond


correspond-il plus aux critères
de la peinture romantique?

70
Si on parlait de lumière?

La lumière peut aider parfois à y voir clair!… Attention: les ouvertures des fenêtres, rendues lumi-
neuses par Adrien Joly, sont ici toutes devenues "rectangulaires" par la pixellisation due à l'agrandis-
sement. Ces ouvertures visibles peuvent aider à décrypter les ruines… Regardez à gauche…

Si la lumière passe au travers des


fenêtres du bâtiment de la
grosse tour à échauguettes
(pour guetter au chaud), c'est
confirmation que nous n'avons
plus de grande courtine Ouest!
Ici, le peintre n'invente pas la
lumière, il l'interprète.

Cela nous donne enfin une in-


formation historique: la courtine
est donc, c'est certain selon moi,
tombée avant 1818…

Autre indication importante sur


le membre sud-ouest, les cons-
tructions derrière les tournelles
sont encore debout. Sont-ce les
remparts de la cour intérieure,
ou le bâtiment dit "le Cayré"?
Les perspectives ne correspon-
dent pas avec ce que nous con-
naissons.

Nous allons bientôt voir que ce


n'est pas la seule place où La
Vaubignon nous cause trouble.

Pour l'ouverture suivante, vu la


position centrale et la proximité
avec le haut du mur ruiné, cette
fenêtre est sans aucun doute
une des meurtrières du haut du
mur sud de la grande salle, res-
tées isolées au milieu de leur
maçonnerie, telle que nous les
avons retrouvées en 1969.
Le mur Nord de la salle étant
certainement déjà tombé, il est
normal que la lumière, tout
comme pour la tour à échau-
guettes, passe au travers.

71
Nous allons entrer pour le détail suivant dans une hypothèse un peu plus "tirée par les cheveux",
mais je veux y croire. Pour comprendre il faut admettre peut être un peu d'interprétation de la part
d'Adrien Joly, ou peut-être, d'où il peignait, a-t-il fait une erreur de perspective? Ou bien encore il n'a
sans doute pas de jumelles de vue et voit difficilement…

Le membre nord-est n'est


plus qu'une carcasse sans
toiture. Il est encore une fois
normal que la lumière le
traverse.

Ce bâtiment, "dit 16e" ac-


tuellement, peut avoir une
ouverture lumineuse vu
l'éclatement à tous vents du
membre. Mais il n'a pas
d'angle rentrant, il ne cor-
respond pas… On peut ima-
giner que La Vaubignon ait
confondu à la fois la ligne de
toitures en pente et la liai-
son verticale des blocs du
bâtiment avec une tour car-
rée en perspective…?

Les photos suivantes vont


étayer ma démarche.

La découpe du toit (en


rouge), l'angle saillant à la
liaison (bleu) sont sources
de mauvaise interpréta-
tion…

N'oublions pas que le


peintre est, après reconsti-
tution de notre part, sur la
colline de Champredon, à la
sortie de pont de Labeaume
rive droite de l'Ardèche,
près de l'actuel cimetière. La
distance à vol d'oiseau est
d'environ mille mètres.

Photo du site avant les


travaux de reconstruction,
avec les traces des toits, et
l'arête verticale marquées.

72
Une excroissance verticale, un détail troublant…

Sur ce point, il a fallu se creuser


les méninges! La première idée
qui me vint à l'esprit fut "une
fantaisie" de La Vaubignon.
Mais le peintre avait déjà com-
mencé à me séduire par sa pré-
cision de restitution…

Aussi, j'ai repris mes recherches


sur internet, qui m'ont apporté
des surprises, par des trou-
vailles de lithos et d'illustrations
de livres.

Et là, en cherchant sur un site


de vente internet, un ouvrage
du 19e siècle dont j'ignorais la
date, mais qui est proposé à la
vente comme "début 19e" -
donc antérieur à 1850? - j'ai
trouvé ceci… Malgré les fantai-
sies du paysage, on retrouve le
même détail architectural!

Ci-contre,
agrandissement du détail

J'ai retrouvé par la suite cette


litho, seule, sur les archives dé-
partementales de l'Ardèche,
elle est datée de 1834…

73
Puis sur cet autre… Et encore le sui-
vant!!! Tout le 19e siècle, chez les
peintres et lithographes, semblait
s'être passé le mot. Cette "pointe" de
construction, que cela pouvait-il
être?

Un pan de mur écroulé? Trop recti-


ligne! De plus cet élément architec-
tural dépasse la hauteur moyenne
des murs d'au moins 2 mètres, aux
échelles des quatre représentations.

Ci-contre: en haut lithographie 19e,


origine inconnue. En bas même
période et même inspiration, issue
des archives départementales de
l'Ardèche.

Il m'a fallu étudier la photo des


ruines de 1971, dès la fin des déga-
gements, et faire appel à ma mé-
moire des lieux de mon cher château.
Le détail se situe dans ce secteur…

Que manque-t-il à ces ruines par


rapport aux quatre vues d'artistes?

74
Il manque sur la photo aérienne ce mur ci:

C'est le mur le plus au sud des parties que nous


appelons 16e siècle, à cause des importantes
modifications, destinées à l'habitation, que nous
datons de cette période.

A cette époque, le long des deux murs transver-


saux du membre, ont été créées, au rez de
chaussée et à l'étage, quatre grandes cheminées
pour rendre ces pièces plus confortables à vivre.

Nous avons restitué dans la fin des années 70


ces cheminées avec un conduit dépassant le mur
sud (flèche) d'environ un mètre. Il semble qu'il
s'agisse de ce conduit sur la gravure, mais plus
haut au moment de son édification initiale.

Ci-contre, les travaux de reconstitution de


Philippe Denis en 1979.

Pourquoi plus haut?

Sans aucun doute pour un bon tirage des chemi-


nées: dans les régions de fort vent, comme l'est
l'Ardèche, la souche (partie extérieure de la
cheminée) doit dépasser le faîtage (partie du toit
la plus haute) d'un demi mètre à un mètre au
moins pour éviter le refoulement… De plus, les
bâtiments autour, et surtout les remparts,
étaient aussi hauts, voire plus, que l'habitation.
Un casse-tête pour un monteur de cheminées.

Mais pourquoi ne pas les avoir reconstruites aus-


si hautes, notre cheminée actuelle étant environ
deux mètres plus bas que le faîtage?

Tout simplement parce que depuis l'année 1974


que je fréquente Ventadour, il me semble que
c'est la première fois que l'on met le doigt sur ce
"détail" qui n'aurait échappé à aucun "fumiste".
Aucun de nous n'avait cette connaissance.

Je n'en ai jamais entendu parler, et même les re-


constitutions très poussées de Philippe Denis ont
"zappé" cette donnée propre aux couvreurs.
Seule une utilisation régulière de ces cheminées
"en toute saison" aurait pu nous mettre la puce à
l'oreille par un mauvais fonctionnement.

Il est à ajouter que les toitures ont été refaites de façon encastrées (à la demande des M.H à
l'époque) alors que l'état des ruines au 19e reflète les modifications de couverture 16e/17e, qui
avaient fait combler les créneaux, et relever la toiture de plus d'un mètre encore.

75
La souche visiblement sous-dimensionnée
par rapport à l'ensemble des bâtiments.

Ceci explique sur les vues d'artistes, une


fois la toiture tombée, l'apparence exagé-
rée de la dimension de cette "souche".

Nous devions avant la chute des toitures


être dans la configuration des châteaux
alentours, comme nos voisins Hautségur ou
Jaujac… Nous avons bien affaire sur les dif-
férentes vues, le tableau de La Vaubignon
et les trois lithographies, aux restes de la
cheminée.

Le deuxième enseignement que nous pou-


vons tirer des éléments graphiques est que,
en 1818 au moins, les pierres des murs Sud
du logis seigneurial, les "parties 16e" n'ont
pas encore été pillées.

Ci-contre, Hautségur avant la


reconstruction des échauguettes…

Et plus bas, le château du Bruget à Jaujac,


à "quelques lieues" de Ventadour. Notez
la taille des souches.

Le pillage des pierres a-t-il commencé


avant la Révolution? Ou a-t-il été déclenché
par la vente en "Bien National"? Et jusque
quand s'est-il poursuivi?

Une datation correcte des lithographies


permettrait de cerner au plus près ces évé-
nements, je m'y emploie.

Et bien sûr chercher d'autres vues du châ-


teau, et les exploiter!

76
Et le point d'interrogation final…

J'ai développé toute ma démarche autour de cette toile en expliquant qu'Adrien Joly de La Vaubi-
gnon était resté très fidèle dans les reproductions d'architecture.

Son souci du détail, visible dans la représentation des maisons et du pont, la présence de person-
nages confine au miniaturisme des enluminures médiévales… Alors, faisons-lui confiance pour le châ-
teau, même s'il "dérape franchement" sur la forme du donjon.

Et que voit-on enfin? Étonnant...


Deux échauguettes!…

La première hypothèse pourrait


être que De La Vaubignon a vou-
lu équilibrer, au niveau artis-
tique, le vide entre la première
échauguette et le donjon:

Il s'est écoulé 145 ans depuis le


dernier inventaire connu où
Ventadour, même abîmé, avait
ses deux tours. Si l'une est au
sol, alentour le souvenir est en-
core vivace du château dans son
intégrité. Alors Joly la restitue,
et ça l'arrange picturalement…

Mais ce détail est-il vraiment nécessaire à l'équilibre graphique de sa composition? Non…

Seconde hypothèse, Adrien Joly de La Vaubignon a bien respecté l'état du château, les deux échau-
guettes étaient encore là en 1818…

Le mur de courtine Ouest, lui, à cette date est tombé, je l'ai déduit des observations plus avant.
L'abattage de ce mur aurait en-
traîné un déséquilibre des
charges sur le bâtiment porteur,
et à la longue, le poids de
l'échauguette l'aurait fait bascu-
ler vers l'avant, l'ouest?

En jaune, l'emplacement du
conduit de cheminée.

On peut émettre la théorie sui-


vante : on sait que dans la tour à
échauguettes, une cheminée est
créée tardivement. Elle démarre
au troisième niveau de cette
tour, sur le mur Ouest. Pour y
réaliser son conduit, le mur

77
Ouest est modifié, creusé sur une largeur d'environ 2 mètres, et en profondeur jusqu'au parement
extérieur. Ce mur en est alors affaibli, et on peut supposer que sans le soutien de la courtine, l'angle
nord-ouest de la bâtisse se soit affaissé sous le poids de la tournelle.

Pourquoi la seconde échauguette


n'est-elle pas tombée aussi? Peut-être
parce que le mur affaibli a cédé côté
nord du conduit - au plus près de celle
qui est tombée - car la masse restante
de construction en arrière a fait con-
trepoids pour la tournelle sud…? Ou
encore, la chute de la courtine a arra-
ché le haut du mur en retour?

Toutes les propositions sont à étudier.

Ci-contre, reconstitution de Philippe


Denis, les tournelles couvertes et la
cheminée au milieu.

Mais, si on considère que la toile de Joly est bien conforme à la réalité, cette chute de l'échauguette
sera provoquée par le minage du temps, elle ne sera pas immédiate après l'abattage du mur Ouest.

Après mûre réflexion, on peut dire que l'échauguette est tombée entre 1818 et 1834 (Litho datée
avec certitude des archives départementales de l'Ardèche). Peut-être plus tôt que 1834, mais nous
ne pourrons le savoir qu'en datant plus précisément les lithographies, en les analysant plus finement,
et pourquoi pas en en trouvant d'autres encore plus parlantes…

Quelques remarques…

Il y a encore vingt ans, il était impensable de lancer cette recherche en n'ayant jamais mis les pieds
au musée de Guéret. Et que dire si en plus, le chercheur ne courait pas les bibliothèques, les anti-
quaires et les ouvrages, en quêtes d'eaux fortes et autres gravures…

L'outil internet n'a pas fini de nous étonner. Dans les prochaines années, la masse de documentation
sur la toile qui augmente exponentiellement et, en parallèle, la puissance sans cesse accrue des mo-
teurs de recherche me font espérer des travaux historiques de plus en plus poussés sans quitter son
bureau. Bonne méthode ou pas, il ne m'appartient pas de juger, mais j'en suis personnellement par-
tisan! J'ai réalisé ces pages à huit cent kilomètres du monument…

Bien sûr, il faut quand même connaître les lieux un minimum!

J'espère que ces quelques lignes seront utiles à tous ceux qui s'intéressent au château.

Comme j'aime à le dire, rien n'est encore totalement acquis dans l'histoire de Ventadour, et chacun,
par sa persévérance, apportera sa pierre à la connaissance.

Jean-Luc Bourbon
Août 2017
Revu2021

78
Le souterrain de Ventadour

Souterrain-refuge du Xe siècle à Sublaines (Indre et Loir)


Photo INRAP

Essai d'étude et de compréhension d'un souterrain au château de Ventadour, Ardèche.

79
80
Depuis les premiers dégagements du château en 1969, la rumeur locale nous fait état d'un
souterrain à Ventadour. Ce souterrain aurait relié le château à Niègles,
en passant sous la Fontaulière… Faut-il y croire?

Les données actuelles…

Belle performance : descendre dans le granit depuis la cote 373 -altitude du château- jusque sous la
cote 300 -altitude de la rivière- passer sous le cours d'eau, et regrimper à l'altitude 400, en parcou-
rant 670 mètres à vol d'oiseau!…

Alors là, malgré cette fantaisie évidente, deux remarques très importantes… La première est l'impli-
cation directe de Niègles dans l'historique du château. En effet, si vous vous êtes intéressés à l'article
sur les relais de surveil-
lance, on remarque la
grande présence de ce
village, prospère et puis-
sant, qui engendrera Pt
de Labeaume au 19e siè-
cle (mieux placé…) et ne
lui cédera sa prime place
que au tout début 20e
(1903). Chemins anciens,
maisons du 12-14-16e,
Ventadour-Niègles… Une distance et
oui, Niègles a son mot à
un dénivelé bien peu probables!...
dire dans l'histoire de la
vallée. Ensuite, n'oubliez
pas cette donnée, avérée
désormais, que le clocher
de l'église fut d'abord
une tour, comme celle de
Chirols, de guet de Ven-
tadour ou bien du village
de Meyras, pour la sur-
veillance de l'aval de l'Ar-
dèche.

Capture d'écran Géoportail Je vous invite à lire atten-


avec la distance. tivement les textes pré-
cédents.

Seconde remarque : aux 12-13 e siècles, on avait de la main d'œuvre peut être pas à foison, mais en
grand nombre, et en particulier dans les métiers de la construction. Le moindre paysan était aussi
carrier, tailleur de pierre, maçon… Les études diverses le confirment, quelque soient les régions. Et
les exploits architecturaux, tant en dimensions comme en délais étaient pharamineux de par la quan-
tité de main-d'œuvre et la quantité hebdomadaire des heures de travail!

Imaginez, au Moyen-Âge et avant, l'arasement du Rocher Rolandy, l'extraction et la taille des pierres,
la beauté de leur façon, pour bâtir les bases archéologiques de Ventadour? Il faut d'ailleurs ne pas
perdre non plus de vue la probable occupation Romaine pour l'édification de ces bases, car nous
sommes sur la route de Alba vers l'Auvergne par le Pal. Il est peu probable que les romains aient né-
gligé un tel site…

81
Oui, les anciens furent capables de prodiges. Alors, un souterrain pour s'échapper en cas de siège, ou
se réfugier, pourquoi pas?...

Je me livre à une parenthèse qui me touche de près : en 1974, je faisais un stage de l'association
Rempart à Oingt en Beaujolais, sous la direction de M. Jean-Gabriel Mortamet, architecte M.H du
secteur. Durant le stage, nous avons appris par la presse qu'un agriculteur de la région, en travaillant
son champ, avait accroché le sommet d'une… voûte! Et était tombé dans un trou avec le tracteur!...
Le trou, c'était les vestiges d'un "tunnel souterrain voûté ayant pu relier 2 châteaux distants de plu-
sieurs kilomètres, assez haut pour qu'un homme puisse y circuler à cheval"…

Cela laisse rêveur, non? Bon, d'accord, nous étions au "Pays des pierres dorées", un calcaire aisé à
tailler, et avec des sols meubles… Le tunnel avait pu ou dû être creusé et bâti à ciel ouvert…

Alors bien sûr, par pitié, oublions le passage sous la Fontaulière… Peu crédible pour les raisons expo-
sées plus haut. Mais gardons la direction de Niègles… Et ne négligeons aucunement la fantastique
capacité de travail de nos ancêtres…

Bon alors, souterrain… Oui, mais où?

Tous les anciens bénévoles de Ventadour, ceux qui ont connu les débuts du chantier et qui y croient
en sont persuadés : s'il y a un souterrain, c'est dans un point bas du château qu'il faut chercher une
éventuelle entrée. Premièrement, il y a moins à creuser pour s'enfoncer sous les niveaux de circula-
tion! De plus, toute bâtisse se commençant du bas vers le haut, les points bas de construction sont
les plus anciens. Et pourquoi chercher dans le plus ancien? Parce que selon moi, si souterrain il y a, il
a dû être construit aux débuts du site, quand le château n'avait pas encore acquis toutes ses
énormes défenses passives des XIV-XVe siècle, surélévation des murs, tour à échauguettes, toutes
décourageantes pour l'éventuel agresseur. On ne quitte le château que lorsqu'il est totalement in-
vesti, donc un souterrain a son utilité quand le bâtiment, le site, est faible, prenable.

Quelle est la partie la plus basse du château en lui-


"Nous apercevons les citernes même? La cour de la citerne, ses pièces alentour, et le
et l'entrée d'un souterrain"… rocher avec sa faille. Pourquoi s'y intéresser? Parce que
en 1914, parlant de Ventadour dans son livre "Les châ-
teaux historiques du Vivarais", Benoist d'Entrevaux dé-
crivait dans les ruines de Ventadour: "Nous apercevons
les citernes et l'entrée d'un souterrain"… Seule cette ou-
verture dans le rocher était visible au milieu des éboulis,
près de la citerne.

C'est donc là que depuis près de 50 ans, les "croyants"


placent leur centre d'intérêt. J'en suis!

À partir de maintenant, on entre dans les hypothèses,


celles des "anciens", partisans de l'existence de cet ou-
vrage, et ça coince avec la direction du chantier…

En effet, agacé par cette persistance à vouloir chercher


ce à quoi il ne croyait pas, Pierre Pottier a fait combler
et bétonner ce principal indice qui aurait pu permettre
de lever définitivement les incertitudes.

À sa décharge, reconnaissons-le, dans les années 70 le périmètre du château n'étant pas sécurisé, on
pénétrait aisément sur le site. Donner crédit à cette thèse aurait pu inciter des chercheurs "sau-
vages" à venir détériorer l'endroit, voire pis, à s'exposer à des accidents.

82
Mais n'aurait-il pas été plus lucide d'encadrer des re-
Comblée, bétonnée, dallée… La faille cherches pour clore définitivement l'affaire?...
est condamnée… pour l'instant?
Georges Grégoire (auteur du livre "le château de Mey-
ras dit de Ventadour", 1976, éditions Humbert et fils)
écrit page 24, à propos de la recherche d'un souter-
rain : "Certains ont cherché, guidés par leur logique et
leur expérience de fouilleurs, et dans l'unique but
d'apporter, si possible, une vérité supplémentaire à la
compréhension du château. Les difficultés qu'ils ont
rencontrées ont été considérables et nous les tairons.
Ils ont dû renoncer, sans espoir de pouvoir reprendre
leurs recherches."

J'ai su de vive voix par Georges que des objets et


monnaies de fouille furent extraites de cette cavité,
dont on n'a pas pu aller au fond. Ceci n'est pas une
preuve de passage, me direz-vous, cette cour étant
remplie de l'effondrement des étages supérieurs.
Mais vu l'étroitesse de cette faille, c'est quand même
un sacré hasard qui prête à question…

J'ajouterai que par mon étude personnelle du bâti, je


suis arrivé à des modèles - comme d'autres cher-
cheurs - où ce rocher (dénommé le "Couradou" dans une étude de Philippe Denis en 1979) a une im-
portance stratégique par son aménagement et son rôle dans la circulation militaire interne de l'en-
droit, et semble bien faire partie du tout début du site.

On peut imaginer que si, à l'époque, on avait poussé les investigations jusqu'au bout, on aurait pu sa-
voir si un souterrain part vraiment de cet endroit, ou si c'est une fable, une belle légende…

Et comme aujourd'hui nous ne pouvons plus que supposer, eh bien… Supposons!!!

Étude d'une faisabilité

L'idée de départ est que le souterrain suivrait -ou s'aiderait de- la faille et partirait Sud-est, la direc-
tion de … Niègles! Et nous voici encore revenus aux sources des on-dit locaux…

Françoise Pottier elle-même m'a avoué un grand


Le coté Est, dans l'axe des failles. moment d'émotion dans les années 2000, lors de
la réfection du soutènement de l'enceinte Est…
Quelque chose qui ressemblait à un début de ga-
lerie… sous le rempart, et dans l'axe de la faille!

Ce fut une fausse joie, car après quelques mètres,


l'aventure s'est arrêtée sur du rocher brut!

Pourtant, on était en plein dans le possible: l'utili-


té d'un souterrain est de permettre de s'échap-
per au-delà des lignes, ou de lancer une action à
revers!!! Tout le monde y a cru un instant!

83
Fort de ces approches, et partant de
Zone de sortie raisonnable des lignes de défense, cette hypothèse d'un départ de la cour
selon la direction initiale de faille, en moins de 40 m. de la citerne, sans présumer de l'ar-
deur des carriers médiévaux, et sans
non plus les prendre pour des sur-
hommes, permettez-moi de continuer
à vous soumettre mon idée.

Si un souterrain existe, il ne peut que


partir de cet endroit, dans la cour de la
citerne, car le socle granitique a été
mis à nu dans tout l'édifice, et nulle
part on n'a trouvé de départ de cavité.

Il utiliserait alors comme entrée la faille, qui fut peut-être fermée par une grille ou une porte, ou
mieux encore par un petit appentis de bois. Il aurait pu être emprunté en temps "normal" comme
raccourci pour rejoindre le pont du Pourtalou? Par des responsables du château qui se sont permis
d'y perdre les monnaies retrouvées? (dont "la plus belle", m'a dit Georges Grégoire). Il bifurque peut-
être un peu, les carriers sont âpres au travail, mais il ne faut pas trop en demander non plus…

Militairement, il ne peut pas aller vers le Nord-ouest, car le chemin (d'accès Nord par Le Pradel) est
coincé entre montagne et abrupt, qui plus est doit être déjà occupé par l'assaillant. Car ce côté Nord-
ouest est le plus vulnérable par sa topographie, dominé par la colline. De plus, il ne peut plus s'aider
de la faille. Nous n'allons pas parier non plus sur un virage plein sud pour ressortir côté chapelle: déjà
la distance commence à être considérable, et en plus, à cet endroit (Sud), les défenses du château
descendent très bas (la source, qui doit impérativement être protégée pour la survie, est environ à la
cote 350). Si on est menacé au point d'évacuer le site, c'est que ces lignes sont déjà envahies.

Alors que nous resterait-il?

L'Est et le chemin du Pourtalou! Face à Niègles… Encore une fois la base de la tradition locale!

Donc pour moi, ce souterrain,


Face nord-est au début du 20e toujours bien sûr s'il existe, sor-
siècle, avant la reconstruction tait côté pont du Pourtalou, à
du pont actuel du Pourtalou. bonne hauteur de colline cer-
tainement, dans la végétation
actuelle, sur un côté peut pro-
pice à l'assaut.

Une remarque : pourquoi dis-je


végétation "actuelle"? Parce
que j'imagine que pour des rai-
sons de sécurité militaire, le ro-
cher médiéval était entretenu à
nu ou presque pour favoriser la
surveillance. Comment? Par
exemple des travaux de débroussaillage obligatoires par les villageois, et éventuellement l'élevage de
chèvres qui ont la réputation de "tout désherber". D'ailleurs, regardez la photo ci-dessus début 20e :
l'élevage caprin y était encore en vigueur, et le rocher était bien plus dégagé qu'aujourd'hui.

Le souterrain déboucherait alors près de ce putatif petit chemin piétonnier ou muletier du Pourtalou,
(toujours selon mes hypothèses), à cause de la dénivellation trop importante pour des charrettes, et
des hommes en armes équipés pour un assaut. Tout est réuni pour une échappatoire, ou entre-

84
prendre une contre-attaque par derrière à l'ennemi… Il faut moins de 40 m pour bien sortir du péri-
mètre des remparts à cet endroit (Est), moins de 100 pour arriver à la Fontaulière.

Un boyau pour laisser passer un seul homme de front pourrait suffire. La taille de l'époque étant au-
tour de 1,60m, (voir l'escalier du donjon!…) des dimensions frontales de 0,80m (une porte actuelle)
par 1,70m de hauteur feraient très lar-
Plan du souterrain-refuge de gement l'affaire, soit moins de 1,4 m² de
Bazert, sur la commune de section. Je vous invite à calculer que sur
Muret (Haute-Garonne), 40m de long, ça ne fait que 55 mètres
avec la section des galeries. cubes! Si on rapporte ce volume aux ma-
Il est taillé dans du grès. çonneries de Ventadour (0,80m d'épais en
moyenne) ça ne représente en murs
même pas 15m de long sur 4,50m de
haut. Même pas le volume du seul donjon
initial! Entre un demi-mètre cube et deux
tiers de mètre cube de dégagement par
jour, production d'un seul carrier en
pierre à bâtir ou d'un mineur (*) , seule-
ment 110 journées de travail… Une pec-
cadille à l'échelle historique du château.

Et à 2 carriers se relayant? Et à 3?...

D'autant que, aidés par la faille, les car-


riers n'auraient pas eu à "extraire", mais à
"creuser et élargir", car on ne demande
pas ici de beaux blocs de pierre à bâtir. Les rebuts de taille peuvent être informes et être recyclés
dans le "blocage", dans l'épaisseur des murs.

J'enfoncerai le clou en vous faisant observer les


Les couloirs centaines de mètres cubes décaissés tout au-
de Bazert. tour du site de Ventadour, qui font sa beauté et
sa puissance, et dont le matériau a sûrement
servi à bâtir les remparts au-dessus.

De plus, partout en France on trouve des sou-


terrains médiévaux, quelle que soit la dureté du
terrain, de dimensions parfois phénoménales.
La cité souterraine de Naours, en Picardie, dont
le creusement a été commencé au 10e siècle
(avec son apogée au 16e), dispose de deux
kilomètres de galeries!

Ces souterrains, échappatoires ou refuges,


peuvent être superbes. L'un d'eux, Bazert, que
je vous livre en photo, découvert en 1913 puis
comblé, a été rouvert en 2008. Les tessons qui
y furent trouvés l'ont fait dater du 13e siècle.
Remarquez la forme particulière et l'étroitesse
des "couloirs"…
(*) Ouvrages de : Viollet le Duc, Philippe Bernardi, Jean-
Claude Bessac, Lucille Paulet…

85
Comment expliquer qu'avant le bétonnage de la faille, les chercheurs n'aient rien trouvé?

Marches, pente, rien de cela n'a été mis à jour. Mon ami Georges Grégoire m'avait dit : "on n'a pas
eu le temps de creuser bien profond"… Soit.

Si le souterrain partait en plan


Escalier puis couloir plat. incliné ou marches depuis la
faille, pourrait-il descendre
sous l'esplanade nord assez ra-
pidement? S'il veut être prati-
cable, un escalier taillé dans la
pierre peut difficilement dé-
passer 45° de pente (hauteur
de marche égale au giron). En
ce cas, son profil pourrait res-
sembler à la photo ci-contre.

Mais des marches, ou ce qu'il en resterait, auraient tout de suite été repérées par les chercheurs
menés par Georges Grégoire, même à faible profondeur…

Alors il serait envisageable que


Puits vertical puis couloir en pente. l'entrée se fasse plutôt en
puits à échelle comme au châ-
teau de Rennes, sur une hau-
teur de 3 à 5 m, pour atteindre
un certain niveau sous la face
Nord-est, et continuer par
après en pente douce et s'en-
foncer, peut-être encore d'une
dizaine de mètres (voir photo).

Ainsi, pour trouver le sol ar-


chéologique (éventuel) du sou-
terrain, il aurait fallu sonder au
plus bas possible cette faille,
dégager le remblai et mettre la
roche à nu (cette cour inté-
rieure était remplie des éboulis
des étages supérieurs en
1969).

On pourrait penser qu'une en-


trée aurait dû être "dissimu-
lée", ou bien du moins, pas au
vu et au su de tout le monde…
Entrée par puits au souterrain
du château de Rennes. On entre alors dans la notion
de "qui est ce tout le monde"?

Ceux qui sont concernés par une évacuation ont accès à l'intérieur des lieux (gérants et soldatesque),
pour les autres, ce sera "vae victis". Il ne faut pas oublier la ségrégation, même en cas d'attaque: le
petit peuple dans les basses cours, les dirigeants au-dessus.

86
Où sont les soldats et les responsables du site?

En 1219, il est fait mention du "castrum" de Meyras. Qu'est-ce qu'un castrum?

Dans le langage du 12-13e siècle, c'est un ensemble de fortifications seigneuriales (primaires ou plus
élaborées), comportant un habitat, dit "castral" adjoint aux édifices. Au vu de la disposition et du re-
lief du site, cet habitat pourrait être situé sur la face sud, où se trouvent traces de nombreuses bâ-
tisses, pas forcément toutes militaires, avec accès à la source et à la chapelle.

La question est donc : qui a accès à cette cour interne, l'actuelle cour de la citerne…? Tout un chacun,
ou bien seulement les "dirigeants"? Et est-elle bien protégée?

Dans mon analyse "personnelle" du bâti, il y au 12e, époque supposée par moi du souterrain, les bâ-
timents Est en surplomb de la citerne. Il y a peut-être les deux bâtiments où sont les caves voûtées,
(présence d'une porte murée), le passage voûté n'existe pas encore. Le donjon carré est environ moi-
tié moins haut et n'est pas relié au gros bâtiment de gauche (Nord-ouest) en descendant, qui com-
porte moins de niveaux: pièce dite "du surpresseur", et au-dessus l'ancien musée.

Le mur nord (ce mur qui finit au four à pain) est à hauteur d'homme. C'est suffisant car l'à pic est im-
portant. Au-dessous du four, le rocher est accessible, certes difficilement, par escalade, mais en con-
trebas, on a un bâtiment assez fort pour protéger cette grimpette, et qui est d'après moi relié au-
dessous du "Courradou" par des passages en planches passant par le rocher "du four à pain".

La "cour de la citerne" est sécurisée par le Nord.

Pour atteindre la cour de la "citerne" (citerne qui a mon avis est plus rudimentaire aux prémices du
site, car le remplissage vient des toitures de la salle) par le point haut du rocher Rolandy, il faut être
dans la "cour haute". Cette cour est fermée à l'Ouest par une forte dénivellation entre le donjon et
la tour à échauguettes (pas encore très haute et sans échauguettes). De la tour à échauguettes (pour
guetter au chaud) au bloc Est (dites "parties XVIe"), pas de mur mais encore une dénivellation. Peut-
être un mur juste avant – celui qui rejoint la porte à assommoir - peut fermer l'ensemble. (Toujours
d'après "mon analyse", mais je ne suis pas infaillible!). Enfin, le bloc Est finalise cette fermeture.

La cour haute étant sécurisée, la "cour de la citerne" est protégée par l'accès Sud.

Le rocher du Courradou, dans lequel est la faille, est donc dès les débuts du castrum enfermé au
"saint des saints" pour les occupants des
lieux. Mais comme il y a de la circulation
intra-muros, on ferme cette entrée par
une grille, une porte ou un appentis (cela
expliquerait la taille en retrait du rocher
surplombant) dont seuls les gérants de
Ventadour ont la clé pour l'utiliser en cas
de coup dur. Et si il y a un puits de des-
cente, il faut éviter les chutes, chutes
humaines ou d'animaux domestiques
(chiens, chèvres, porcs?)…

Alors, ça donne à réfléchir, non?…


Croyez-vous toujours que c'est une belle
légende, de l'affabulation?
Vue aérienne, montrant l'échelle
des distances pour un souterrain. Et puis, ne dit-on pas que "toute légende
a un fondement"?

87
En conclusion pour cette année 2017…

Pourquoi la tradition locale a-t-elle refait surface en 1969, lors de l'ouverture du chantier? L'état de
ruines et l'envahissement par la végétation ne favorisaient pas, dans les années précédentes, une re-
cherche sereine ou organisée. L'activité et le dégagement du château auront fait délier les langues.

Peut-on croire que les Ardéchois des villages voisins avaient tous lu l'ouvrage de Benoist D'Entrevaux
de 1914, celui qui parle d'un souterrain et des citernes avoisinantes? Non, bien sûr! Donc il y avait un
bouche à oreille local, ancestral peut-être, citant l'existence d'un souterrain. Je reste intimement
persuadé que cette tradition orale a pour origine une réalité.

Nous avons vu que l'existence d'un souterrain allant de Ventadour à Niègles est très peu probable.
Mais nous avons aussi remarqué que la direction cardinale possible d'un souterrain serait celle de
Niègles. Aussi, on peut parier sur l'embellissement du on-dit, une recherche du formidable, la nais-
sance d'une légende par l'exagération.

Maintenant, d'un point de vue médiéviste, pour avoir durant des mois, des années, lu des livres, visi-
té des sites, compulsé les immenses données internet, sur les ouvrages souterrains médiévaux, je
persiste à croire que la présence d'un souterrain à Ventadour est possible, voire probable. Souterrain
de sortie en cas d'assaut qui tourne mal? Ou bien souterrain refuge…? Tout est envisageable.

Et ce n'est, encore une fois, pas la dureté du granit qui va effrayer nos carriers du moyen-âge, quoi-
qu'en disent les détracteurs du souterrain. Ce n'est pas non plus l'ampleur d'une telle tâche qui va les
freiner, car en ce cas, jamais le castrum -puis le château- de Meyras n'aurait vu le jour. Cet ensemble
était constitué à son apogée de plusieurs milliers de mètres cubes de maçonnerie, près de 1500 rien
que pour la grande enceinte extérieure longue de 350 mètres!

Le choix de l'emplacement d'entrée (évoqué par Benoist d'Entrevaux) me paraît judicieux, du point
de vue de la logique (point bas) et pratique (utiliser une faille et l'élargir).

Alors que dire de plus, que faire?

Les équipes du Laboratoire Central des Ponts et Chaussées, réalisent des prouesses : ils sont spécia-
listes des recherches de cavités depuis la surface (voir l'excellent guide de leurs techniques consul-
table sur le net). Demander leur concours serait une solution rapide et fiable, pour un résultat clair et
net… Mais en avons-nous les moyens?

Alors j'en reste là pour aujourd'hui, pour


cette semaine, pour… les années à venir! En
effet, à l'heure où j'écris, seule la réouverture
de la faille de la cour de la citerne et sa fouille
approfondie et minutieuse pourront enfin le-
ver le doute, et CONFIRMER ou INFIRMER la
légende du souterrain de Ventadour. Dans ce
cas trouver son éventuelle entrée, et de là
éventuellement chercher aussi sa sortie.

Et ça, c'est l'association de sauvegarde qui


peut le décider…

Rêvons…

Jean-Luc Bourbon septembre 2017 revu 2021

88
En conclusion… provisoire!

Provisoire pour diverses raisons:

D'abord, cette version est encore confidentielle, elle sera


sans doute retouchée au niveau des photos. Celles que
vous pouvez voir sont extraites de mes réserves, peut-
être y a-t-il moyen d'en faire de meilleures. Une fois
retouchée, cette (modeste) étude pourrait être complété
par un ultime volet, le rêve de nombreux anciens
bénévoles du château: l'étude du bâti (toujours en cours,
hélas, depuis si longtemps…). La brochure pourrait ainsi
être éditée, et pourquoi pas proposée aux visiteurs du
château…?

Le chapitre sur les routes, chemins et ponts me semble


bouclé et solide. Une bonne nouvelle, l'été 2021 a permis
de retrouver par hasard un chemin qui pourrait être
L'auteur en compagnie de (enfin!) celui du Pourtalou… A suivre!
Françoise et Pierre Pottier en 2008.
Pour le réseau de surveillance, la tour de Chirols doit être
étudiée plus profondément au niveau historique et architectural, métrée et photographiée correc-
tement. Et "c'est pas gagné", l'endroit est envahi de ronces et d'arbres, il faut monter une véritable
opération de sauvetage, l'intérêt de ces ruines le mérite amplement.

Les emplacements que je suppose pour les relais visuels doivent être passés au peigne fin, pour
confirmer, infirmer ou simplement faire évoluer l'hypothèse soutenue. Il est à prendre aussi en
compte qu'à cette époque, les relais peuvent avoir été bâtis en bois et avoir disparu… Mais je n'y
crois pas trop, la tour de Chirols et le clocher de Nieigles ne doivent pas être uniques en leur genre,
d'autant que la pétrification des constructions a débuté assez tôt en Ardèche, à cause de la rareté de
grands bois.

L'avantage des théories de surveillance exposées ici est que nous sommes totalement en accord avec
l'esprit médiéval de Ventadour : place forte dépendant de familles puissantes qui possèdent un fief
et entendent faire respecter leurs droits sur le passage dans les vallées. Il y a communication visuelle
et capacité d'intervention sur la zone d'influence des seigneurs de Meyras.

L'étude des tableaux et lithographies nous éclaire un peu plus sur certains éléments architecturaux,
et sur les dates de destruction. La recherche continue…

L'existence de souterrain est une vieille question des débuts de Ventadour, elle nous permet de
réfléchir sur ce que nous avons négligé aux débuts du chantier, notre archéologie (hélas) manquée.

Je le répète encore et encore, ces écrits sont surtout des pistes et des suggestions : ce qui m'apparaît
comme une évidence aujourd'hui peut dès demain être battu en brèche par un chercheur plus
pointu, plus astucieux, ou tout simplement plus érudit que moi, modeste amateur bénévole.

Nous n'en avons pas encore fini avec Ventadour, il reste tant à faire et à découvrir,
plus de 50 ans après l'ouverture du chantier!

Jean-Luc Bourbon, octobre 2021

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