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SERIE
COLLECTION
châteaux de légende
aires de
Les itinér
eaux de
Stephane Compoint
L
d o m i n i q u e r o g e r r é d a C t e U r e N C H e f
Demeure royale et symbolique, le château de Chambord dresse "ses dômes bleus, ses élégants minarets, ses flèches légères que le vent balance"
au cœur de la forêt solognote.
Le « tour de France » des châteaux dans LequeL nous maison d’hôte, genre « Relais & Châteaux », architecture
vous entraînons est une incursion dans le monde de toute de granit, parc aux arbres séculaires, étang aux eaux
la légende. Qu’elle soit tissée à l’abri des hauts murs cré- mystérieuses. Les propriétaires, après les civilités d’usage,
nelés et des donjons de forteresses médiévales, théâtres nous font les honneurs des lieux. Histoire, généalogie,
d’épopées guerrières ; qu’elle soit ourdie dans les alcôves, anecdotes… on sait tout. Enfn, pas exactement. Sous le
antichambres ou boudoirs de demeures de plaisance plafond à caisson du petit salon, des sculptures. Des anges
Renaissance ou érigées en un Grand Siècle si avide d’éso- bien étranges dévoilant à l’initié qu’il se trouve, là, dans une
térisme, ou qu’elle soit le produit de quelque géniale folie demeure philosophale. Et que les supposés « anges » sont
architecturale édifée autant par déf que pour servir d’écrin porteurs d’un rébus énigmatique représentant les étapes de
à de brûlantes passions amoureuses, la légende est la clef la réalisation du Grand Œuvre : le feu et l’eau, le mercure et
qui déverrouille l’antre des secrets, les lourdes malles au le soufre, matras et athanor. Et certaines nuits, nous glisse
trésor. En fligrane, elle raconte les petites et les grandes à l’oreille notre hôte, d’entendre un soufe rauque et des pas
histoires. Elle peut même vous embarquer à travers une lourds résonner sur les dallages et les parquets. Incrédules et
France hallucinée et hallucinante. Vous en doutez… moqueurs, nous n’allions pas tarder, nous les « hommes de
raison », à vivre, entre sueurs froides et gorge sèche, l’une
vous devez être comme moi : Les châteaux hantés, ce des pires nuits de notre existence.
n’est pas pour vous ! Des balivernes juste bonnes à ali-
menter les scénarios de flms « à grands frissons ». Trop ah ! j’oubLiais de vous révéLer où ce troublant firt avec
rationnel pour céder à un efroi… aussi irrationnel ! Et puis… cet autre monde s’est déroulé. Mais, de ce rendez-vous, une
Et puis, il y a eu ce château en Bretagne. Imaginez une voix venue de nulle part m’a demandé de ne pas en dire plus…
participĒ
i L s o n t
Ā C e N U M Ē r o
P.28
Hervé Champollion/akg-images
Philippe Renault/hemis.fr
P.96
Châteaux Châteaux Châteaux
seCrets 70 maudits 88 peopLe 110
renContre renContre renContre fRançOiS-René
Claude aRz 72 PHiliPPe duRand 90 de CHateauBRiand
interview fiCtive 112
CHâteau du PleSSiS-BOuRRé CHâteau de tiffauGeS
L’énigme du L’antre de barbe bLeue 92 CHâteau de nOHant
pLafond peint 74 L’éden de La vaLLée noire
CHâteau de tRéCeSSOn 114
CHâteau de GiSORS Le drame de La dame
L’énigme du trésor CaChé bLanChe 96 CHâteau de GRiGnan
des tempLiers 78 bienvenue Chez
CHâteau de RuStéPHan madame La marquise 116
CHâteau de JumilHaC La maLédiCtion 98
La demeure d’un CHâteau de BuSSy-RaButin
aLChimiste 80 CHâteau de mOntSéGuR Le paLais attaChant
L’uLtime refuge 100 d’un Libertin en exiL 118
CHâteau de BRézé
Le Château aux deux CHâteau-GaillaRd CHâteau de la Bâtie d’uRfé
visages 84 La fiLLe Chérie de riChard Le paLais itaLien d’un
Cœur de Lion 106 humaniste 122
CHâteau de COmBOuRG
naissanCe d’un
éCrivain romantique 124
• AlsAce/BAs-Rhin : Haut-Kœnigsbourg
• AquitAine/DoRDogne : JumilHac
• AquitAine/lot-et-gARonne : bonaguil
• AuveRgne/cAntAl : anJony
• BouRgogne/côte-D’oR : bussy-rabutin
• BouRgogne/sAône-et-loiRe : cormatin
• BRetAgne/ille-et-vilAine : combourg
• BRetAgne/ille-et-vilAine : Fougères
• BRetAgne/FinistèRe : rustÉpHan
• BRetAgne/MoRBihAn : trÉcesson
• centRe/euRe-et-loiR : anet
• centRe/inDRe : noHant
• centRe/inDRe-et-loiRe : azay-le-rideau
• centRe/inDRe-et-loiRe : cHenonceau
• FRAnche-coMté/DouBs : Joux
• hAute-noRMAnDie/ euRe : cHâteau-gaillard
• hAute-noRMAnDie/euRe : gisors
• ile-De-FRAnce/seine-et-MARne : Vaux-le-Vicomte
• loRRAine/MeuRthe-et-Moselle : lunÉVille
• MiDi-PyRénées/ARiège : montsÉgur
• MiDi-PyRénées/geRs : laVardens
• PAys De lA loiRe/MAine-et-loiRe : brÉzÉ
• PAys De lA loiRe/MAine-et-loiRe : le plessis-bourrÉ
• PAys De lA loiRe/venDée : tiFFauges
• PicARDie/oise : pierreFonds
• Rhône-AlPes/DRôMe : grignan
• Rhône-AlPes/loiRe : la bâtie d’urFÉ
Anne Steinlein / Détours en France
6 DĒtours en France
HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 7
Châteaux
entrez dans la légende
Ils sont médiévaux et leurs archères semblent encore menaçantes,
leurs ponts-levis des invites à montrer patte blanche, leurs herses
impressionnantes. Ils sont nés à la Renaissance et leur élégance n’a
d’égal que la douceur de vivre et les plaisirs qui abritèrent amours
clandestines et brûlantes passions. Ils sont de toutes les époques et
gardiens de mystères. On dit même que certains seraient toujours
« habités » d’âmes noires et de dames blanches… Pour entrer dans
le monde secret des légendes qui ont « fait » la petite et la grande
histoires des châteaux, voici un trousseau de clefs. À vous d’en
trouver le mode d’emploi…
La Carcassonne céleste.
Peyrepertuse, dans l’Aude, est très
spectaculaire : elle occupe un éperon
rocheux de 300 mètres de longueur
sur 60 de largeur, avec 2,5 kilomètres
de remparts ! Au contraire de
Montségur, elle ne fut jamais assiégée
et s’est simplement soumise avec la
reddition de son seigneur, Guillaume
de Peyrepertuse. Elle devint
possession française en 1240 et,
comme Quéribus, Termes, Aguilar et
Puylaurens, hérita du surnom de
« fils de Carcassonne ».
8 DĒtours en France
Bertrand Rieger
10 DĒtours en France
Chambord ou le songe réalisé
« Ce palais est enfoui comme un trésor ; mais à ses dômes
bleus, à ses élégants minarets, arrondis sur de larges murs
ou élancés dans l’air, à ses longues terrasses qui dominent
les bois, à ses fèches légères que le vent balance, à ses
croissants entrelacés partout sur les colonnades, on se
croirait dans les royaumes de Bagdad ou de Cachemire… »
Bertrand Rieger/Détours en France
14 DĒtours en France
HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 15
LES CHÂTEAUX
DE GUERRE
FOUGÈRES — HAUT-KŒNIGSBOURG — ANJONY —
PIERREFONDS — BONAGUIL — JOUX
Majestueux, épiques, cinématographiques… les qualificatifs sont nombreux dès qu’il s’agit
d’évoquer ces forteresses quasi imprenables dispersées sur tout
notre territoire. Œuvres de « fous géniaux », elles témoignent d’une créativité débordante,
souvent empreinte d’une indéniable mégalomanie.
Bertrand Rieger/Détours en France
16 DĒtours en France
Le château du Haut-
Kœnigsbourg, qui se
dresse au-dessus de
la forêt des Vosges à
près de 750 mètres
d’altitude, a été conçu
par l’architecte allemand
Bodo Ebhardt comme
un écrin à la gloire de
l’empereur Guillaume II.
J a c q u e s
Le GoFF
« Le château fort, La fécondité d’un imaginaire »
Le château fort ? L’une des « merveilles » du Moyen Âge, selon Jacques Le Goff !
Pour le célèbre historien, la longévité de cet édifice dans nos esprits montre l’incroyable
force créatrice de l’époque.
Dans Héros et merveilles du Moyen Âge (Seuil, 2005), image devient très négative pendant la renaissance : elle
vous faites apparaître le château fort comme l’une des renvoyait à celle de guerriers primitifs, de gens qui ne se
trois merveilles médiévales avec la cathédrale et le soucient pas de l’agrément de la vie tel qu’on le concevait à
cloître. Quel est leur point commun ? la renaissance. une opposition frappante que l’on observe
Les trois combinent une fonction sociale, une signifcation parfaitement à Langeais : côte à côte, le donjon féodal et le
symbolique et une attitude artistique. si le miracle est château renaissance. ce dernier apparaît comme l’habita-
divin, la merveille est, elle, bien humaine. La merveille tion civilisée des puissants par rapport à l’habitation sauvage
– du latin mirari – renvoie à la vue ; littéralement, elle « fait des anciens chevaliers. La vision sera tout autre au xixe siècle
ouvrir grand les yeux de l‘homme ». et tous trois ont en avec le romantisme qui découvre le Moyen Âge. Le château
commun d’être des espaces fermés, comme un rappel du apparaît alors comme une construction de rêve, qui, chez
jardin clos et du paradis. certains, peut prendre un aspect paradisiaque, comme on le
voit avec les constructions moyenâgeuses extraordinaires
Mais le cloître et la cathédrale sont des lieux spirituels du roi fou Louis ii de Bavière. enfn, au xxe siècle, le château
alors que le château fort est lié à la guerre ! fort a retrouvé une nouvelle vie, en partie grâce au cinéma.
Le château fort est dans un premier temps un endroit de
défense : il met d’abord l’accent sur ce qui va à l’intérieur, Son aspect n’a cessé de changer entre le xe et le xve siècle.
pas sur ce qui va vers l’extérieur. en dehors de ses habitants Quel est le celui qui reste ancré dans l’imaginaire ?
habituels – le seigneur, sa famille, ses serviteurs… –, le châ- Je pense que c’est le château fort du xiVe siècle parce qu’il
teau, en temps de troubles, est aussi un lieu de refuge pour y a une sorte d’équilibre entre les deux fonctions du château
les populations alentour et ceux que le seigneur exploite – défensive et résidentielle. il se dote de mâchicoulis et
mais aussi protège. L’aspect protecteur du château l’emporte d’échauguettes, mais il a aussi de plus larges fenêtres et on
donc, du moins pendant les xie et xiie siècles. y trouve des espaces pour l’habitation et pour le divertisse-
ment. c’est la période d’apogée du château, avant sa dispa-
Le château fort est-il une révolution architecturale ? rition avec l’évolution de l’artillerie.
il a connu une longue évolution ! au départ, le château est
relativement fruste… Mais il se produit au xie siècle une évo- L’imaginaire du château est-il aussi fort hors de France ?
lution technique qui a un impact considérable : le rempla- L’espagne a été un terrain exceptionnel de construction
cement du bois par le matériau fondamental du Moyen Âge, de châteaux forts des chrétiens pour combattre les musul-
la pierre. c’est un événement majeur, mais qui n’est pas mans, qui ont longtemps occupé la péninsule. La multi-
spécifque au château puisqu’il apparaît en même temps plication de ces édifces a fni par apparaître comme une
dans les édifces de l’Église. exubérance imaginaire, d’où l’expression « châteaux en
espagne ». Deux autres endroits me semblent importants :
La façon de percevoir le château fort a-t-elle évolué le pays de Galles, que les anglais ont entouré d’une chaîne
dans le temps ? de châteaux qui forme une des images mythiques de
Dès le départ, le château est assez rapidement mythifé, l’imaginaire britannique, et, bien sûr, le Moyen-orient,
comme on peut le voir dans certaines enluminures. son avec les châteaux des croisés.
18 DĒtours en France
Ulf Andersen/Epicureans
Aujourd’hui, le Moyen Âge et le château fort sont tou-
BIØ
jours très présents dans notre vie, à travers les flms,
la littérature… Pourquoi ?
la société s’intéresse à cette idée de merveilleux, mais je crois
qu’elle veut aussi montrer de quoi notre humanité a été
capable, dans une période longtemps décrite comme obs-
curantiste. Par ailleurs, le Moyen âge, période située entre la Né en 1924 à Toulon, l’historien Jacques
société antique, fondée surtout sur la puissance militaire, et Le Goff, normalien et agrégé d’histoire,
la société moderne et contemporaine, dominée par l’argent a exploré toute sa vie durant le Moyen Âge.
Pilier de l’école des Annales, figure de
et la technique, a été incontestablement celle du domaine de
la Nouvelle Histoire, il succède en 1972 à
l’imaginaire. le château fort en est l’un des exemples : même Fernand Braudel, dont il fut l’élève, à la tête de
las Vegas, ville du jeu et des folies pseudo-historiques, en a l’École des hautes études en sciences sociales.
érigé un au xxe siècle ! cela illustre bien la fécondité d’un Sa somme colossale de travaux et écrits
imaginaire quand il est capable de durer si longtemps. et le (Un autre Moyen Âge, La Naissance du
plus important en histoire, ce que j’ai essayé de développer, purgatoire, L’Imaginaire médiéval, Saint-
c’est non seulement ce qui a une importance réelle, maté- Louis…) a bouleversé la façon de considérer
rielle, positive, politique, etc., mais aussi ce qui a une valeur le Moyen Âge. Dans le même temps, il est
imaginaire. comme vous le savez, je pense que l’un des aussi un grand vulgarisateur : le médiéviste a
grands domaines de l’histoire, qui s’étudie sur la longue notamment produit l’émission « Les lundis
de l’histoire » sur France Culture, publié
durée, c’est l’histoire de l’imaginaire.
des ouvrages à destination des plus jeunes et
servi de conseiller historique sur des films
Vous-même êtes venu au Moyen Âge à travers son tels que Le Nom de la rose.
imaginaire…
Mon amour pour cette période est né à l’âge de 13-14 ans, à
la fois grâce à un excellent professeur en classe de 4e, mais
aussi, en efet, par la lecture de l’Ivanhoé de Walter scott.
un livre fondamental pour moi, créateur de ma carrière ! •
fougères
gardienne de bretagne
Avec ses treize tours, ses trois enceintes et ses deux hectares de fortifications,
on l’a comparée à Carcassonne. Cette forteresse parmi les plus vastes d’Europe a été
le témoin des guerres incessantes entre le duché de Bretagne et le royaume
de France. Aujourd’hui, elle nous plonge au cœur de la vie militaire au Moyen Âge.
La puissance qui
se dégage
de la forteresse
de Fougères a ému
les plus grands auteurs
français, de Balzac à
Julien Gracq, en
passant par
Chateaubriand ou
Victor Hugo.
20 DĒtours en France
les châteaux de guerre
f oug è r e s
Francis Leroy/hemis.fr
La forteresse
compte
trois enceintes
la bonne fée
Château ? Forteresse ? Cité militaire ? « au
successives,
pied des enceintes de Fougères, on reste ébahi
de Fougères devant tant de puissance, devant la masse de
ce qui en faisait
Une tour porte son nom,
l’énorme château chevauchant le ressac fgé à L’époque
mais que fait Mélusine
à Fougères ? Selon des blocs de schiste », écrivait Julien Gracq. uN remArquAble
la légende, la fée Balzac, chateaubriand et même Victor Hugo site déFeNsiF.
originaire du Poitou aurait (peut-être parce que Juliette Drouet était fou-
épousé un chevalier
de la famille de Lusignan. geraise !) y ont également succombé…
Cette femme serpent
avait interdit sa chambre Nous sommes en 1166. Le premier château en
à son époux tous bois vient d’être incendié par le roi d’angleterre. ou au canon. et des murs de 7 mètres d’épais-
raoul II, seigneur de Fougères, le fait recons- seur, qui laissent rêveur ! elles ont été construites
truire, mais en pierre. Il faut dire que Fougères à une époque où le duché de Bretagne craignait
fait partie des Marches de Bretagne – comme l’afrontement avec le royaume de France.
châteaubriant, clisson ou Vitré –, ces forteresses
destinées à protéger le duché indépendant des encore un efort et voici la troisième enceinte,
appétits de ses voisins français et anglais. ultime refuge pour le seigneur en cas d’attaque.
elle s’appuie sur les deux plus hautes tours : des
Fototeca/Leemage
Arrêtons-nous sur le choix du site, plutôt Gobelins et Mélusine. celle-ci fut édifée par
insolite : dans une cuvette, en contrebas de la Jeanne, flle de raoul III, seigneur de Fougères
ville haute, mais sur une petite presqu’île et compagnon de saint-Louis. Femme de
rocheuse, entourée par la rivière nançon. La poigne, elle a aussi fortifé la ville au XIIIe siècle.
les samedis, jour de
forteresse compte trois enceintes successives, on peut s’attarder sur l’architecture de la tour
sa métamorphose. Quand ce qui en faisait à l’époque un remarquable site Mélusine : 30 mètres de haut, 13 de diamètre, des
son mari brava l’interdit, défensif : la garnison pouvait en efet se replier murs épais de 3,50 mètres, des archères et une
elle se jeta du haut jusqu’au réduit, le dernier carré fortifé protégé plate-forme pour les vigies ; quatre étages avec
d’une tour. Hugues
de Lusignan épousa par de hautes tours. escalier à vis, salles de garde, cheminées et
Jeanne, fille de Raoul III latrines. c’était à l’époque ce qu’on pouvait faire
de Fougères, mettant Franchissons la première enceinte en contre- de mieux en matière d’architecture militaire.
ainsi la main sur bas, protégée par trois tours avec archères dont entre les deux tours subsistent encore les sou-
la forteresse. Quant à
Mélusine, que l’on disait la tour La-Haye-saint-Hilaire, du XIIe siècle. bassements de l’ancien donjon de raoul II, aux
fée bâtisseuse pour avoir Imaginons un instant l’ennemi : avant d’arriver proportions respectables : 20 mètres de diamètre
construit en une nuit là, il doit franchir la rivière sur un petit pont de et des murs de 5 mètres.
le château de Lusignan,
bois et sous les fèches des défenseurs. une fois
elle était censée
apporter la prospérité dans la première enceinte, il n’est pas au bout de malgré son système de défense remarquable,
à la forteresse ses peines : face à lui, la tour de coëtlogon, ses Fougères a été pris plusieurs fois au cours de son
de Fougères. deux herses et ses meurtrières. Passage obligé histoire ; la plus importante en 1488 quand les
pourtant pour qui veut pénétrer dans l’enceinte armées de Bretagne sont décimées par les
principale, encerclée par 320 mètres de cour- troupes de charles VIII, suite à la bataille de
tines : au Moyen Âge, la basse cour est le lieu de saint-aubin-du-cormier. une défaite qui sonne
vie quotidienne du château et sert aussi de le début du rattachement du duché à la France.
refuge à la population en cas d’attaque. À gauche Fougères s’en est tiré sans trop de mal et a tra-
en entrant, on découvre d’ailleurs les vestiges du versé tous les confits sans dommages. Voilà qui
logis du XIVe et les souvenirs d’une chapelle. sur explique son remarquable état de conversation.
le chemin de ronde, les tours raoul et surienne ce qui avait fait dire à Lawrence d’arabie, qui en
sont en fer à cheval : une forme caractéristique avait pourtant vu d’autres : « Il n’y a pas d’exté-
au XVe siècle, qui permet de tirer à l’arme à feu rieur plus beau, j’en suis certain. » •
22 DĒtours en France
les châteaux de guerre
f oug è r e s
Leclercq / Andia.fr
2
Jean-Baptiste Rabouan/hemis.fr
ralentissaient la développement
progression du commerce
des assaillants. et de l’artisanat. 3
Haut-
KŒnigsbourg
Le rêve fou d’un empereur
Parmi les châteaux ressuscités à la fin du XIXe siècle, celui-ci occupe une place
de choix, perché sur un promontoire rocheux au-dessus de la plaine d’Alsace.
Rebâti pour célébrer la grandeur de Guillaume II, empereur d’Allemagne, il est devenu,
par un de ces clins d’œil de l’Histoire, un des monuments les plus visités de France.
24 DĒtours en France
les châteaux de guerre
H au t-Kœ n ig s b ourg
Saccagée, ravagée
jusqu’à être
totalement détruite et
tombée dans l’oubli :
l’Histoire n’a pas été
tendre avec cette
imposante bâtisse dont
la « troisième vie »
– celle que vous avez
devant vos yeux –
ne lasse pas d’inspirer
les uns et de faire
s’émerveiller les autres.
Hervé Champollion/akg-images
de réalisations à son actif, mais
Quand Bodo Ebhardt, le Viollet-le-Duc une grande connaissance
allemand, accepte le chantier que vient de des châteaux forts. Et il avait
lui confer l’empereur Guillaume II, a-t-il proposé à Guillaume II
conscience de l’ampleur de la tâche qui l’at- une restauration entière, ce qui a
séduit l’empereur. Ebhardt a
Q
tend ? À l’abandon depuis plus de deux cents commencé par analyser l’existant :
ans, le château du Haut-Kœnigsbourg n’est plus il a pris de nombreuses photos, a fait
que l’ombre de lui-même : toitures écroulées, des recherches dans les archives,
a établi des comparaisons avec d’autres châteaux. Il a eu à sa disposition
murailles branlantes, donjon anéanti et partout
des moyens très modernes : des moteurs à essence pour entraîner les pompes
la végétation qui a repris ses droits. à eau, une broyeuse à grès actionnée par un moteur à vapeur pour produire
du sable, une locomotive – nommée Hilda ! – pour acheminer les pierres
Aujourd’hui, la silhouette de grès rose qui d’une carrière, deux grues électrifiées pour éclairer le chantier le soir, etc.
Et jusqu’à 200 ouvriers, les meilleurs de la région !
interpelle le visiteur, à près de 750 mètres d’al- 2. Malgré tout, sa restauration a suscité des polémiques. Pourquoi ?
titude, a tout d’un décor de cinéma, voire de La mode, à l’époque, c’était la conservation (« Konservieren, nicht restaurieren »,
dessin animé. Il a d’ailleurs inspiré Jean renoir « conserver, pas restaurer »). On lui a reproché d’avoir voulu montrer le château
qui y a tourné La Grande Illusion. et s’agissant à l’époque de son âge d’or (vers 1500), tout en gardant les ajouts des périodes
suivantes. Et les critiques étaient avant tout politiques, émanant
de dessin animé, notons que Le Château ambu- de francophiles et de francophones : elles visaient Guillaume II ! La restauration
lant lui doit beaucoup : son réalisateur, Hayao du Haut-Kœnigsbourg était pour lui un moyen d’affirmer la germanité
Miyazaki, est venu y faire des repérages. de l’Alsace, à un moment où beaucoup pensaient : « Allemand ne veut, Français
ne peux, Alsacien suis. »
3. Bodo Ebhardt est-il le disciple de Viollet-le-Duc ?
Le Haut-Kœnigsbourg tel que vous l’avez Il est de la génération suivante et a forcément été marqué par le travail
aujourd’hui sous les yeux en est à sa troisième de l’architecte français, mais il se voulait plus rigoureux. Il n’était, par exemple,
vie. son histoire est plutôt agitée : sa position pas du tout d’accord avec cette définition de Viollet-le-Duc : « Restaurer un
édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans
stratégique, entre la France et l’allemagne, sur
un état complet qui peut n’avoir jamais existé. » Ebhardt considérait qu’il fallait
les routes du vin, du sel et du blé entre l’alsace se servir des erreurs du passé : à mots couverts, c’est Viollet-le-Duc qu’il visait !
et la Lorraine, l’explique.
tout a commencé au XIIe siècle quand l’empe-
reur Frédéric II de Hohenstaufen fait construire L’entrée du château se fait par la basse cour,
un premier château. Il n’en reste quasiment rien entourée de bâtiments : une auberge, des
aujourd’hui. trois siècles plus tard et après être écuries, une forge et même un moulin, car au
passé entre les mains de chevaliers brigands qui Moyen Âge, le château devait pouvoir vivre en
terrorisaient la région, le château est détruit. Les autarcie. De là, une rampe avec pont-levis mène
Habsbourg confent le site à une riche famille à la cour intérieure, en passant devant un puits de
venue de suisse, les thierstein, qui en fait un 62 mètres de profondeur qui alimentait le château
modèle de défense moderne contre l’artillerie : en eau douce. L’architecture du lieu n’est pas facile
l’âge d’or du Haut-Kœnigsbourg. à comprendre. Il faut dire que le château repose
Deux siècles plus tard, la guerre de trente ans sur un éperon rocheux de 270 mètres de long sur
lui est fatal : assiégés par les suédois, les occu- 40 de large : partout, des murailles, des tourelles ;
pants afamés fnissent par se rendre. Le châ- ici une porte couronnée de lions, là une herse,
teau est saccagé et tombe dans l’oubli. Il faudra un escalier à vis… et au-dessus, altier, le donjon,
attendre le XIXe, le romantisme et son engoue- dont la reconstruction sur base carrée par Bodo
ment concernant les ruines, pour que le rideau ebhardt suscita à l’époque de vives polémiques.
se lève enfn sur le troisième acte : la ville de
sélestat donne le château à Guillaume II. L’alsace L’intérieur du château a bénéfcié du même
vient d’être annexée à l’allemagne, l’empereur souci de reconstitution. Le logis seigneurial
cherche à asseoir sa nouvelle autorité : le Haut-
Kœnigsbourg va en être l’écrin. Il faudra seu-
lement dix ans à Bodo ebhardt pour accomplir le château repose sur
le miracle : en 1908, le château est inauguré en un épEron rocHEux DE 270 mètrEs
grande pompe et sous la pluie. DE Long sur 40 DE LArgE.
26 DĒtours en France
les châteaux de guerre
H au t-Kœ n ig s b ourg
Bertrand Rieger/Détours en France
anjony
Le donjon voLcanique
Dominant la vallée de la Doire, dans le Cantal, ce château fort tout en basalte est typique de
l’architecture militaire de la Haute-Auvergne. Il vaut le détour pour ses fresques exceptionnelles
et une histoire mouvementée qui mit aux prises deux familles de la région.
28 DĒtours en France
les châteaux de guerre
A njon y
Sylvain/Colorise
1. Cet étonnant
2 donjon, vestige
d’un château fort
de montagne détruit
au cours des siècles,
est construit en
basalte rougeâtre et
couvert d’un toit de
lauzes. Ses 35 mètres
abritent cinq étages.
2. Les peintures
de la chapelle
– dite castrale ou
oratoire car elle
est incluse dans une
tour –, datant du XVIe
siècle, sont à
fresques.
Celles-ci représentent
des scènes du
Nouveau Testament
et notamment de
la Passion du Christ.
Denis Caviglia\hemis.fr
pierrefonds
un rêve de Moyen âge
À l’orée de la forêt de Compiègne, le château préféré de l’impératrice Eugénie semble
tout droit sorti d’un conte de fées. Construit au XIVe siècle et démantelé au XVIIe, c’est
Viollet-le-Duc qui en a fait cet édifice majestueux, signant ainsi sa vision du Moyen Âge.
30 DĒtours en France
les châteaux de guerre
Pi e r r e f on d s
On pourrait penser
que Pierrefonds est
trop beau pour être
vrai et qu’il ne peut
exister qu’au cinéma !
Il n’en est rien et
l’impératrice Eugénie ne
s’y est pas trompée, qui,
dit-on, n’aurait pas
hésité à user de
tricherie pour que
Napoléon III
décide de le faire
restaurer.
Chicurel Arnaud
2. La chambre
de l’Impératrice, à la voûte
octopartite, est ornée
d’un lambris sculpté
et entièrement peinte de
rinceaux, de feuillages
et autres ornements.
3. Chef-d’œuvre de Viollet-
le-Duc, dotée d’une rose
représentant une étoile
de David, la chapelle de style
néogothique est unique
en son genre : une tribune
surmonte l’abside et
donne accès à un chemin
de ronde couvert.
raconte que l’empereur hésitait entre restaurer dant d’une meurtrière, un gros lézard ; ici, un
Pierrefonds ou un autre château. Eugénie lui proposa
étrange mammifère à tête de pélican paraît
un tirage au sort, dont Pierrefonds sortit vainqueur.
L’impératrice avoua plus tard avoir écrit Pierrefonds tout droit sorti d’un tableau de Jérôme Bosch.
sur les deux papiers… et amusez-vous à compter les chats sur les
lucarnes : il y en a 32 !
32 DĒtours en France
les châteaux de guerre
Pi e r r e f on d s
Isadora/leemage
3
2 4
Une dynastie
en plomb
De nombreux corps
En face de vous, la chapelle. Viollet-le-Duc y ratrice Eugénie et ses dames de compagnie
de métiers ont travaillé au
est allé de sa fantaisie : il s’est représenté sur le fgurées sous les traits d’héroïnes de l’Antiquité, côté de Viollet-le-Duc
pilier central du portail, sous les traits de saint reines ou guerrières, comme Sémiramis ou les (photo) à Pierrefonds.
Jacques le Majeur ! À l’intérieur, notez un fait Amazones. Toujours l’idéal chevaleresque ! Parmi eux, les ateliers
Monduit, spécialisés dans
unique : une tribune au-dessus du chœur.
la plomberie d’art, se sont
Alors Pierrefonds, rénovation ou création ? attelés à la couverture du
Le donjon et les appartements impériaux Les deux, dans un savant mélange qui n’a pas château. Cette dynastie
vous réservent quelques surprises. Le décor du toujours été du goût de tous. Marcel Proust d’artisans d’art, qui a
œuvré pendant un siècle
plafond de la Grande Salle avec sa décoration voyait dans les travaux comme à Pierrefonds (jusqu’en 1970), a aussi à
végétale, par exemple, a un petit air d’Art nou- des « déjections », Anatole France qualifait le son actif, la restauration
veau. Dans cette pièce, amusez-vous à retrou- château d’« énorme joujou ». Il est certain que de la flèche de Notre-
ver les symboles du couple impérial : l’aigle est Viollet-le-Duc, emporté par sa passion, a dû Dame-de-Paris,
la lanterne de la coupole
sur les poutres, le chardon d’Eugénie en haut éprouver beaucoup de plaisir à « reconstituer » du palais Garnier ou
des murs. Viollet-le-Duc rend ici hommage à ainsi un château médiéval. Mais loin d’être l’archange de l’abbaye
Napoléon III comme Bodo Ebhardt l’a fait à dictés par la fantaisie, ses travaux s’appuient du Mont-Saint-Michel.
Guillaume II au Haut-Kœnigsbourg, dans la toujours sur des recherches très sérieuses, dont Une exposition leur rend
hommage dans
salle du Kaiser. L’empereur allemand est d’ail- on retrouve le détail dans son Dictionnaire rai- la chapelle et au premier
leurs venu à Pierrefonds avant que ne soit res- sonné de l’architecture française du XIe au étage de l’aile des invités.
tauré le château alsacien. XVIe siècle. À l’image du système défensif dont L’occasion d’admirer
le lion de Belfort,
il a pourvu les tours de Pierrefonds, avec deux
des gargouilles de Notre-
Depuis la chambre de l’Empereur, passez chemins de ronde superposés, au niveau des Dame et le cupidon
dans la salle des Preuses, qu’on pourrait quali- courtines, qui assurent une meilleure circula- de la cathédrale
fer de salle de bal. Ses proportions sont impres- tion des défenseurs. Viollet-le-Duc s’est peut- d’Amiens. Ce ne sont pas
des copies, mais bel et
sionnantes : 52 mètres de long pour 12 de haut être amusé à jouer à la guerre au Moyen Âge,
bien des doubles qui sont
et 9 de large. Elle doit son nom aux statues mais il en avait parfaitement compris les méca- ici présentés.
qui décorent l’imposante cheminée : l’impé- nismes : Pierrefonds en est la preuve. •
bonaguil
La fin d’un monde
Entre Quercy et Périgord, le plus beau château fort de France a été bâti…
à la fin du XVe siècle par un seigneur mégalomane qui refusait le monde
nouveau et la paix.
34 DĒtours en France
E
les châteaux de guerre
B onag ui l
en lieu et place
de cette forteresse
orangée qu’est
Bonaguil, se dressait à
l’origine un simple rocher
abritant une caverne
(devenue tunnel). Un
premier château y a été
posé au xiiie siècle,
qu’une riche famille du
Midi a métamorphosé.
« Elle est si parfaite qu’il est presque ridi- d’un assaillant : attention, il faut survivre au
cule d’appeler cela une ruine. » Nous sommes tir rasant des canonnières ! Car si le château
en 1907 et Thomas Edward Lawrence, futur est anachronique, Bérenger l’a fait équiper des
Lawrence d’Arabie, fait le tour des châteaux dernières innovations en matière de défense :
forts de France à bicyclette. Comme lui, on ne les murailles comptent une centaine de meur-
peut que tomber sous le charme de ces tours trières et d’archères qui éliminent tous les
blondes et élancées qui grimpent à l’assaut du angles morts !
ciel et d’un invisible ennemi. Car l’histoire de
Bonaguil est singulière. Viennent ensuite la seconde enceinte et
ses cinq tours, dont la Tour grosse : les étages
Bonaguil, « Bona accus », « bonne aiguille », supérieurs servaient d’habitation, mais la partie
est à l’origine un rocher percé d’une grotte. inférieure est équipée de mousquets, d’arque-
Situé entre deux vallons escarpés, il s’habille buses et de couleuvrines. Entre l’actuelle espla-
d’un premier château au XIIIe siècle. Mais il faut nade et la Tour rouge, voici une chicane, un
attendre les Roquefeuil, une puissante famille terrible piège pour l’attaquant qui pénètre dans
du Midi, et surtout l’un de ses représentants, un étroit couloir et se trouve pris sous le feu
Bérenger. L’homme se prend de passion pour d’une canonnière.
le lieu et va engloutir sa fortune afn de le trans-
former en une forteresse imprenable. Seul hic : Mais l’orgueil du château reste le donjon. En
nous sommes en 1483, la guerre de Cent Ans forme de proue de navire pour dévier les bou-
est terminée depuis trente ans et une mode lets, il est surmonté d’une tourelle de guet qui
venue d’Italie transforme les châteaux forts ne laisse aucune chance à l’ennemi. Grimpez
en palais de la Renaissance. Mais Bérenger sur sa terrasse : de là-haut, on a une vue très
refuse ce monde nouveau et décide de bâtir un parlante sur l’ensemble de l’édifce. C’est aussi
château à la gloire de la chevalerie. un endroit idéal pour méditer sur la vanité
des hommes. Car Bonaguil, chef-d’œuvre de
Deux enceintes, sept ponts-levis, treize l’architecture militaire, ne fut jamais attaqué
tours : il faudra quarante ans pour bâtir (seule la Révolution mit à mal les bâtiments).
Bonaguil. En franchissant la barbacane et la Un peu comme un désert des Tartares au-
première enceinte, on s’imagine dans la peau dessus de la vallée du Lot. •
joux
Quand un nid d’aigle devint prison
Maison forte, forteresse Vauban puis bastion au XIXe siècle : juché en vigie au-dessus
d’une des plus grandes voies commerciales de l’Europe d’autrefois, Joux raconte
mille ans d’histoire militaire. C’est aussi une prison, petite sœur de la Bastille.
L’entrée de la cluse
de Pontarlier, maintes
fois empruntée par
les « envahisseurs »
depuis l’époque
romaine, ne pouvait
trouver meilleur site
d’observation que le fort
de Joux, dressé sur
la montagne éponyme.
36 DĒtours en France
les châteaux de guerre
JOU X
Hervé Sentucq
À
de légende
38 DĒtours en France
les châteaux de guerre
JOU X
2. - 3. - 4. Une statue
de Vauban (photos 2 et 3)
fait face à la porte
d’Honneur… construite
suivant ses plans en 1690
et toujours en parfait état.
Additionnée de son pont-levis
à flèches, elle pèse 6 tonnes.
Sur les piédroits, on remarque
des décorations évoquant
les armes d’infanterie et
de cavalerie (photo 4).
Leclercq/Andia
2
3 4
Denis Bringard/ hemis.fr
leemage.com
Le légendaire et
gracieux Chenonceau,
traversant le Cher
comme le Ponte
Vecchio franchit
l’Arno, a été « inventé »
par trois femmes qui y
ont mis leur cœur et leur
âme : Katherine Bohier,
Diane de Poitiers et
Catherine de Médicis.
40 DĒtours en France
LES CHÂTEAUX
plaisir
Franck Charel/Détours en France
41
Châteaux
de légende
C h a n t a l
thOmas
écrivaine
Elle est directrice de recherche au cnrs, philosophe et romancière, spécialiste
de Sade et de Casanova, amoureuse du XViiie siècle. Son roman Les Adieux à la reine
a été récemment adapté au cinéma par Benoît Jacquot.
3
On retrouve d’ailleurs Versailles dans votre nouveau
roman, L’Échange des princesses* ?
oui, mais il n’y a pas que Versailles. L’histoire est celle
d’un destin croisé : celui de la flle du régent, Louise-
Élisabeth d’orléans – dite Mademoiselle de Montpensier –,
que son père voulait marier avec Louis des asturies,
futur roi d’espagne ; et celui de Louis XV avec l’infante
telle démesure, que le visiteur doit se trouver des repères, d’espagne Marie-anne Victoire. Il y a donc eu échange
des niches pour organiser ses balades ; à l’inverse de entre ces enfants, l’une de 4 ans l’autre de 12. Je me suis
Vaux-le-Vicomte, à taille plus humaine. Le château de inspirée des Mémoires de Saint-Simon, qui fut nommé
Fouquet se voulait aussi un lieu de fêtes, de créations musi- ambassadeur pour ces contrats de mariage, et des Lettres
cales et théâtrales, où s’épanouissait la vie intellectuelle de la princesse Palatine. c’est l’occasion d’évoquer d’autres
et artistique de l’époque. château de pouvoir, Versailles a châteaux, les tuileries, le Vieux Louvre, Vincennes. car
aussi repris ce rôle pour devenir château de plaisirs. le régent n’aimait pas Versailles : le château a été aban-
2
donné par le pouvoir et la cour pendant sept ans. c’est à
On retrouve Versailles dans Les Adieux à la reine et l’occasion de ses fançailles que le jeune Louis XV réin-
Le Testament d’Olympe. En quoi est-il une source tégra le palais, en 1722 : Versailles était sauvé. Mais il l’a
d’inspiration ? échappé belle : il fut même question à l’époque de le
Il y a des châteaux qui sont des personnages en soi. c’est le raser ! Quand je vous dis que les châteaux ont des his-
cas de Versailles, qui a eu plusieurs physionomies en fonc- toires de personnages de roman. •
tion des souverains qui l’ont habité : Versailles n’est pas le
palais d’un seul roi, même si la fgure de Louis XIV s’impose *Éditions du Seuil (paru le 22 août dernier).
forcément à l’esprit. son destin est aussi lié aux femmes,
comme Marie-antoinette. Parmi les lieux qui me touchent,
qui sont à mes yeux les plus évocateurs, il y a les apparte-
ments de Marie-antoinette, en particulier son boudoir, avec
« Versailles était sauVé.
ce côté minuscule, secret, qui le rend émouvant. Je suis aussi Mais il l’a éChappé belle :
très sensible aux jardins, avec leur double aspect : un côté il fut mêmE quEstiOn
géométrique, pensé, raisonné, sage, et l’espace, les lignes à à l’éPOquE dE lE rasEr ! »
42 DĒtours en France
Baltel/Sipa
Afin de modifier
le petit château
acheté en 1641,
le surintendant
des finances
de Mazarin, Nicolas
Fouquet, fait
travailler à l’unisson
un architecte, un peintre
décorateur et
un jardinier paysagiste.
Le résultat est à
la hauteur de ses
ambitions… lesquelles
le mèneront à la geôle.
vaux-
le-vicomte
Si Vaux m’Était ContÉ…
Curieux destin que celui de ce palais où s’est déroulée une terrible lutte de pouvoir
entre un homme d’affaires ami des arts, un ministre jaloux et un jeune roi qui se
cherchait encore. Aujourd’hui, Vaux a retrouvé toute sa superbe et continue d’éblouir.
44 DĒtours en France
les châteaux plaisir
vau x-l e-v ic omte
Bertrand Gardel/hemis.fr
Posé sur
un socle entouré
d’eau, il domine
33 hectares
de jardins
à la française :
une mise en scÈne
signée Le Vau,
Le nôtre
et Le Brun.
46 DĒtours en France
les châteaux plaisir
vau x-l e-v ic omte
Ph Guignard/air-images.net
1. Une perspective
2 de plus de trois
kilomètres,
de l’eau comme s’il
en pleuvait
(une rivière a même
été détournée),
quelques
surprises… et
la théâtralité propre
aux jardins
à la française.
2. L’ensemble est
certes envoûtant,
mais la façade est
classique : entrée
solennelle, hautes
fenêtres et toiture
dont la coupole
centrale vient
rompre la sévérité.
Bertrand Rieger/Détours en France
À droite du Grand Salon, les pièces d’ap Vous voilà sous les toits, grimpez encore une
parat. on retrouve l’impertinent rongeur volée de marches pour atteindre le lanternon.
dans le salon d’Hercule : sur une tapisserie La vue sur les jardins est merveilleuse. « Il faut
récemment restaurée il fgure en bonne place, bien comprendre que les jardins ont été conçus
pour être une pièce supplémentaire du châ-
teau, souligne alexandre. Il y a une véritable
harmonie entre les deux, et les jardins ne sont
Des trésors éparpillés pas du tout à négliger, même après deux heures
L’association Les Amis de Vaux-le-Vicomte compte 2 500 adhérents. Depuis
trente ans, elle œuvre pour retrouver, partout dans le monde, des pièces de visites au château. » encore moins cette
de mobilier, objets d’art, documents qui ont appartenu à Vaux ou ont trait à son année, qui célèbre les 400 ans de la naissance
histoire. Parmi les trésors désormais exposés au château, un portrait de madame de Le nôtre. Détail amusant : le lanternon est
Fouquet signé Le Brun, des lettres adressées à d’Artagnan sur la détention
du surintendant à Pignerol, un rarissime manuscrit de La Fontaine. Et, cette
couronné par une pomme de pin où fgure
année, la huitième tapisserie de la collection Barberini, retrouvée aux États-Unis. l’écureuil de Fouquet. Quo non ascendet ?,
« Jusqu’où n’est-il pas monté ? » •
48 DĒtours en France
les châteaux plaisir
vau x-l e-v ic omte
Bertrand Rieger/Détours en France
1
Bertrand Rieger/Détours en France
2
Bertrand Rieger/Détours en France
AzAy-le-RideAu
Le diamant de L’indre
Délicat vaisseau de pierre posé sur l’Indre, Azay-le-Rideau apparaît comme suspendu
entre le ciel et l’eau. Un miracle d’équilibre, une belle incarnation de la Renaissance
On doit la délicatesse
de cet édifice, bâti
sur une île entre
deux bras de l’Indre,
à nouveau à
une femme : Philippa
Berthelot. En l’absence
de son mari, elle fera
se dresser ce chef-d’œuvre
de la Renaissance sur
des pilotis et des pierres
de Saint-Aignan, au cœur
d’une végétation luxuriante.
Bertrand Rieger/Détours en France
50 DĒtours en France
les châteaux plaisir
A z Ay-l e-R i de Au
52 DĒtours en France
les châteaux plaisir
A z Ay-l e-R i de Au
Au feu !
Entouré d’eau, Azay-
le-Rideau est marqué
par le feu. En 1418,
le dauphin Charles VII
est pris à partie par
la garnison du château
de l’époque, une grosse
maison forte occupée
par les partisans
des Bourguignons.
Insulté, le futur roi
assiège le château
féodal, s’en empare,
passe la garnison au fil
de l’épée et fait
incendier l’édifice.
Le village en gardera
le nom d’Azay-le-Brûlé
de la restauration.
Une visite au septième
ciel qui vous permet
aussi d’accéder aux
chemins de ronde,
avec des points de vue
exceptionnels sur
3 le château et le parc.
LunéviLLe
Le paLais ressuscité
On le surnommait « le Versailles lorrain ». Dans la nuit du 2 janvier 2003, un terrible incendie
ravage la demeure des ducs de Lorraine, chef-d’œuvre de l’architecture monumentale du XVIIIe
siècle. Dix ans après, le phénix renaît de ses cendres.
54 DĒtours en France
les châteaux plaisir
lun é v i l l e
Richard Soberka/hemis.fr
2. Dès son
installation, en 1737,
Stanislas, dernier
duc de Lorraine,
n’aura de cesse
d’embellir les jardins.
Ainsi sont nés un
kiosque d’inspiration
turque, le « Rocher »,
un village féerique,
ou encore ce pavillon
de la Cascade
RMN-Grand Palais/Jean-Gilles Berizzi
Cormatin
un bien préCieux témoin
Comment imaginer que Cormatin cache derrière sa façade sobre, presque
militaire, un décor Louis XIII exceptionnel, dans la tradition des hôtels particuliers
du Marais aujourd’hui disparus ?
Impressionnant : c’est le premier mot qui lui aussi voué au bleu et agrémenté de fleurs
vient à l’esprit en contemplant les deux et de fruits délicatement peints, sans doute
ailes aux lignes rigoureuses, montées sur par des artistes flamands. Les amateurs d’in-
de hauts soubassements et la façade presque solite auront un petit faible pour la salle des
austère, qui se mire dans les larges douves. Miroirs, un cabinet de curiosités comme on
antoine du Blé, marquis d’Huxelles, fait bâtir en raffolait au XVIIe siècle : on y trouve pêle-
cormatin en 1605 pour témoigner du pres- mêle coquillages rares, alligators empaillés,
tige de sa famille au sortir des guerres de bronzes et objets étranges, le tout sous un
religion. Il choisit un plan en « u », à la mode plafond décoré de symboles alchimiques.
de Paris, et fait disparaître les remparts et le regardez au centre cet enfant qui effeuille
pont-levis du précédent château. des roses à l’aurore : un clin d’œil à la rose,
représentation de la connaissance des mys-
Aujourd’hui, vous emprunterez un simple tères du Grand Œuvre, et à la rosée céleste,
petit pont de bois pour accéder à la cour indispensable au processus qui mène à la
d’honneur : les larges douves sont toujours là, pierre philosophale.
mais le plan en « u » a disparu, une aile s’étant
efondrée en 1815. Les beaux appartements se Il est temps maintenant de découvrir les
situent dans l’aile nord. on y accède par un jardins, superbement redessinés en 1992
escalier monumental à volées droites qui tourne dans l’esprit des jardins baroques : 11 hec-
autour d’un vide central : directement inspiré tares de parterres, bosquets et même un
de ceux du palais du Luxembourg, c’est une labyrinthe de buis qui mène à une char-
prouesse à l’époque. Jacques du Blé, qui le ft mante volière. Mais parviendrez-vous à la
construire, était un proche de Marie de Médicis. trouver ? •
c’est aussi lui qui a fait aménager les apparte-
ments de Louis XIII dans un style alors très en
vogue dans les salons parisiens et aujourd’hui Histoire d’une renaissance
rarissime. un témoignage d’autant plus précieux Cormatin c’est aussi un pari fou, celui de trois amis qui, par amour
du beau et de l’histoire, décident, en 1980, de s’acheter un château
qu’il a bien failli ne pas nous parvenir en entier,
pour 1 million de francs de l’époque. Anne-Marie Joly, Pierre
découvert tout à fait par hasard par les proprié- Almendros et Marc Simonet-Lenglart vont patiemment redonner
taires actuels (lire encadré ci-contre). vie à Cormatin et à son superbe décor peint. « Son existence
était connue, mais il avait en grande partie disparu, aime raconter
Marc Lenglart. La police croyait même qu’il avait été volé ! »
La chambre de la Marquise est remar-
Non, juste disparu sous des couches de moisissure blanche.
quable pour son plafond à la française 60 000 visiteurs par an, c’est une belle réussite. Une autre
bleu de lapis-lazuli et or, son antichambre aventure est venue s’y greffer en 1982, théâtrale celle-là :
pour les lambris rouge cramoisi. Mais le plus « Les Rendez-vous de Cormatin ». Cette année en suspens,
on espère qu’elle reprendra en 2014.
exceptionnel est le cabinet de sainte-cécile,
56 DĒtours en France
les châteaux plaisir
c or m ati n
Bertrand Rieger/Détours en France
1. Un petit pont
2 3 de bois permet
aujourd’hui
de traverser
les larges douves et
de rejoindre la cour
d’honneur de
cet édifice, jadis en
« U », à la façade toute
rigoureuse. Au fond
à droite, le labyrinthe
de buis.
2. L’escalier
monumental à cage
unique, inspiré
de ceux du palais
du Luxembourg :
une rareté à cette
époque.
3. La salle
des Miroirs renferme
l’un de ces cabinets
de curiosités prisés
au XVIIe siècle. Soit
Bertrand Rieger/Détours en France
un enchevêtrement
d’objets hétéroclites,
Christophe Boisvieux/hemis.fr
ChenonCeau
La séduction au féminin
Les femmes l’ont voulu, bâti, enjolivé. Elles l’ont aimé, se sont battues pour
le garder, lui ont redonné vie. Chenonceau est à part. Château au féminin, il est aussi
le seul château-pont de France, inspiré du Ponte Vecchio florentin.
58 DĒtours en France
Les châteaux pLaisir
C h e nonC e au
En bas le jardin
de Diane de Poitiers,
en haut celui de
Catherine de Médicis.
Entre les deux, la tour
des Marques, vestige
du château médiéval.
Et sur des piles qui
supportèrent un
moulin, cette ligne
blanche et bleue dont
les formes pures
ne cessent de se mirer
dans le Cher !
La maîtresse, L’épouse,
deux femmes quI se dIsPutent
un roI et un ChâteAu…
Passerelle blanche posée sur le Cher, d’une longue série. elle fait raser le moulin
chenonceau n’en finit pas de séduire. fortifé, remanie le donjon originel – appelé
romantique ou triomphant, au gré des jeux de tour des Marques – dans l’esprit renaissance
lumière, il est toujours d’une extrême élégance : et fait construire le logis principal sur les piles
« son calme n’a rien d’ennuyeux et sa mélan- de l’ancien moulin : une véritable prouesse à
colie n’a pas d’amertume », écrivait Flaubert. l’époque ! autre nouveauté, que l’on ne trouve
alors que dans les palais vénitiens : chaque
L’expérience n’est pas donnée à tous, mais étage comporte une galerie centrale, éclairée
un survol de ce bijou ligérien est un pur bon- par une porte-fenêtre donnant sur l’eau.
heur : à contempler le délicat dessin des jardins,
les lignes pures du bâti qui se refètent dans le Avant de franchir le seuil du palais, le visiteur
miroir de la rivière, on saisit toute la douceur de traverse une terrasse, bordée de deux jardins :
ce château qui signe sa diférence. à gauche, celui de Diane de Poitiers, à droite,
au commencement était une femme… nous celui de catherine de Médicis. La maîtresse,
1. Diane de Poitiers par
Francesco Primaticcio, sommes en 1513 : Katherine Briçonnet, épouse l’épouse, deux femmes qui se disputent un
dit Le Primatice (1504-1570). de thomas Bohier, homme d’afaires et inten- roi et un château : chenonceau est désormais
dant des fnances de François Ier, assume le passé aux mains de la couronne. La belle Diane,
2. Catherine de Médicis
par François Clouet suivi des travaux en l’absence de son mari à qui Henri II l’ofre en 1547, fait aménager
(vers 1515-1572). et impose sa « patte » féminine, la première 12 hectares de verdure pour y organiser des
fêtes. Mieux : elle reprend le projet des Bohier
de jeter sur le cher un vaste pont, et confe le
1 2 gigantesque chantier à Philibert de L’orme.
60 DĒtours en France
les châteaux plaisir
c h e nonc e au
Bordé de murs
de soutènement et
de terrasses, le jardin
de Diane se découpe en
huit triangles de gazon,
lequel est agrémenté
Bertrand Rieger/Détours en France
de 3 000 mètres
de volutes
de santolines. En son
centre, le jet d’eau – tel
qu’il était à sa création –
jaillit d’un gros caillou
avant de retomber sur
un réceptacle
pentagonal de pierre
blanche.
Du château fort > verts de tapisseries des Flandres possède une L’atmosphère difère au deuxième étage avec
de la famille Marques magnifque cheminée signée Jean Goujon, la chambre de Louise de Lorraine : inconso-
édifié au XIIIe siècle,
il ne reste que l’ancien décorée des initiales H et c entremêlées, pour lable, la veuve d’Henri III ft tapisser de drape-
donjon – appelé tour Henri et catherine. Mais on peut aussi y lire le ries noires la pièce où elle vécut recluse les onze
des Marques et réinterprété
dans le style Renaissance –, D de Diane ! La chambre de la maîtresse voisine dernières années de sa vie. Impressionnant, le
un puits qui le jouxte avec le cabinet vert de l’épouse, agrémenté de plafond peint de couronnes d’épines, d’instru-
et cette esplanade…
sur laquelle reposait ledit
toiles signées Le tintoret, Jordaens, Véronèse. ments de fossoyeurs et de larmes…
château. À côté, la librairie et son magnifque plafond à
caissons, d’où catherine surveillait le jardin de Est-ce un hasard ? À la mort de Louise de
Diane. Voisines et rivales, toujours… Lorraine, chenonceau entra dans une longue
période de sommeil. Fini la célébration de
Avec ses 60 mètres de long sur 6 de large, l’amour, les intrigues de cour et les fêtes fas-
ses 18 fenêtres sur le cher, son sol carrelé de tueuses : les combles abritèrent même un petit
tufeau et d‘ardoises, la galerie fut une magni- couvent où vécurent une douzaine de moniales.
fque salle de bal. on ignore qu’elle servit aussi c’est une femme, bien sûr, qui sortit le château
d’hôpital militaire pendant la Première Guerre de sa léthargie : en 1730, Louise Dupin, épouse
mondiale pour plus de 2000 soldats : le châ- d’un richissime banquier général, donne à
teau appartenait alors aux ancêtres des actuels chenonceau de l’esprit. elle y tient salon, et quel
propriétaires, les chocolatiers Menier. salon ! Montesquieu, Voltaire, Bufon, Madame
du Defand… jusqu’à rousseau, qui s’éprit en
Grimpons au premier étage par l’escalier à vain de la belle, mais devint précepteur de
rampe droite, voulu par Katherine Briçonnet : son fls. Femme lettrée, Louise était aussi une
une révolution pour l’époque. Il dessert les femme de cœur : la vénération que lui vouaient
chambres de catherine, des cinq reines (les les villageois sauva chenonceau des destruc-
deux flles et trois belles-flles de catherine) tions de la révolution.
et de Gabrielle d’estrées, favorite d’Henri IV.
un homme, quand même, à cet étage : césar On trouve dans la chambre Louis XIV, au
de Vendôme, fls légitimé de Gabrielle et rez-de-chaussée, un très joli portrait de Louise
d’Henri IV, à qui échut chenonceau en 1624. Dupin signé nattier. •
62 DĒtours en France
les châteaux plaisir
C h e nonC e au
E
touche le plus ? elle a suivi à la lettre les derniers mots d’un magnifique portrait d’Henri III, par
Catherine de Médicis, sans hésiter. Son nom de son défunt mari : « Ma mie, priez pour moi François Clouet : il est maintenant dans
est trop souvent assimilé aux guerres de et ne bougez pas de là. » Elle est restée la chambre de Louise de Lorraine.
religion et à la Saint-Barthélemy. En réalité, à Chenonceau, sans argent, accompagnée
C
c’est un de nos plus grands chefs d’État, elle a de ses gens qu’elle protégeait. Ces deux en quoi Chenonceau est-il singulier ?
tenté de maintenir la paix dans le royaume. reines font de Chenonceau un château Son architecture est très particulière. Ça a
Chenonceau exprime tout ce qu’elle a été : très romantique. commencé avec les Bohier, grands amoureux
une reine bâtisseuse, une reine mécène qui de l’Italie, qui ont voulu au départ un logis
s’est entourée des plus grands artistes Chenonceau est un de nos plus beaux carré bâti sur les plans d’un palais vénitien.
de son temps, une reine avant-gardiste qui a châteaux. a-t-il des aspects moins connus Ensuite, avec Catherine, l’ajout des deux
introduit des innovations comme l’escalier du grand public ? galeries directement inspirées du Ponte
droit – celui de Chenonceau est le premier –, On l’ignore, mais Chenonceau est une Vecchio. Ce goût pour l’Italie a perduré au
un système de jets d’eau très performant véritable pinacothèque, riche de tableaux XIXe siècle : la très fortunée Marguerite
dans les jardins et même de nouveaux exceptionnels signés des plus grands maîtres Pelouze installe même une gondole à
légumes et plantes, comme les orangers, des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles : Murillo, l’embarcadère du château, là où, dit-on,
citronniers, oliviers, artichauts… C’était aussi Le Tintoret, Nicolas Poussin, Le Corrège, Diane de Poitiers aimait à se baigner.
une femme amoureuse, qui a eu l’intelligence Rubens, Le Primatice, Clouet, Van Loo…
d’entretenir une « entraide forcée » avec Et aussi une très rare collection *Sous bénéfice d’inventaire
sa rivale. J’ai une tendresse particulière pour de tapisseries des Flandres du XVIe siècle, (éditions Gallimard, 1962).
Difficile d’imaginer
que ce château massif
et carré, qui marie
la pierre au rocher,
est le fruit de l’amour…
Antoine de Roquelaure
fit pourtant rénover
l’ancien édifice en
l’honneur de sa
seconde épouse,
Suzanne de Bassabat,
de quarante-neuf ans
sa cadette.
Lavardens
Le maréchaL amoureux
Au cœur du Gers, la puissante silhouette de pierres blondes jaillit
entre ciel et terre : gage d’amour d’un compagnon d’Henri IV, Lavardens
ne ressemble à aucun autre.
64 DĒtours en France
E
les châteaux plaisir
l ava r de n s
Anet
Une beaUté renaissance
Joachim du Bellay en parlait, ébloui, comme du « paradis d’Anet ». Édifié pour
Diane de Poitiers, ce chef-d’œuvre de la Renaissance française, situé en Eure-et-Loir
à 15 kilomètres de Dreux, garde le souvenir des amours du roi Henri II et
de sa favorite à la beauté, dit-on, saisissante.
66 DĒtours en France
les châteaux plaisir
a n et
Quelques-uns des
plus grands artistes
de l’époque se sont
penchés sur le
berceau d’Anet : les
sculpteurs Benvenuto
Cellini et Jean Goujon,
le peintre-émailleur-
dessinateur-graveur
Léonard Limosin,
le peintre et verrier
Jean Cousin, etc.
« Avec Anet, explique
Jean de Yturbe, actuel
propriétaire du
domaine, on a fait
entrer la Renaissance
française dans sa
période classique. »
Francis Cormon
2. La chapelle, œuvre
de l’architecte Philibert
de L’Orme ou Delorme, qui
rompt définitivement avec
l’époque médiévale, est, selon
Thierry Borredon/hemis.fr
Jean de Yturbe « considérée
par nombre de spécialistes
comme le plus beau bâtiment
de la Renaissance en
France ».
Lorsque Louis de Brézé, grand sénéchal de inspiré de l’antique, avec ses quatre colonnes
normandie et seigneur d’anet, meurt en 1531, doriques. son tympan présente un bas-relief en
son épouse Diane de Poitiers, quarante ans plus bronze de Diane couchée et, au sommet, trône
jeune, entre en deuil. sincèrement. au point un cerf entouré par quatre chiens. Imaginez,
qu’elle décide de ne plus s’habiller qu’en noir et jadis, les animaux donnant l’heure : les chiens
blanc. Mais celle dont la beauté saisissante ins- 1 et le cerf frappait du pied !
aboyaient
pirera nombre de peintres et de sculpteurs gagne
les faveurs du futur Henri II. Pourtant marié à Vous voici ensuite devant la demeure… dont
catherine de Médicis, le dauphin éprouve une il ne subsiste plus que l’aile gauche. « Il a été très
grande attirance pour celle qui fut – lorsqu’il endommagé à la révolution par les vendeurs de
n’était encore qu’un enfant – sa gouvernante et pierre, explique Jean de Yturbe, propriétaire du
la dame d’honneur de la mère de François Ier, domaine, dans sa famille depuis 1860. Mais avec
Louise de savoie. rien n’est trop beau pour anet, on a fait entrer la renaissance française
Diane, pourtant de vingt ans son aînée. dans sa période classique. secrétaire particu-
Lorsqu’Henri devient roi de France en 1547, il lui lier du cardinal Jean du Bellay, ambassadeur
ofre les bijoux royaux et la propriété royale de de France à rome, Delorme (1510-1570) était
chenonceau. très vite, Diane fait reconstruire, un jeune architecte qui revenait d’Italie, où il a
par l’architecte lyonnais Philibert Delorme, le puisé son inspiration. sa chapelle du château est
manoir gothique d’anet en une demeure des considérée par nombre de spécialistes comme le
plus rafnées. Pour le décorer et l’aménager, plus beau bâtiment de la renaissance en France :
quelques-uns des artistes les plus prestigieux admirée déjà en son temps, elle constitue une
de l’époque se déplacent dans ce coin buco- révolution architecturale, une rupture défnitive
lique de la vallée de l’eure : Benvenuto cellini et avec l’héritage médiéval. c’était l’une des pre-
Jean Goujon pour les sculptures, Léonard mières en forme de croix grecque, surplombée
Limosin et Jean cousin pour les vitraux. d’un dôme exceptionnel. Il faut voir les anges
Joachim Du Bellay, ébloui, évoquera, dans ses sculptés par Jean Goujon ou le pavement de
Regrets, le « paradis d’anet », louant « la belle marbres polychromes extraordinaire. »
architecture, les marbres animés, la vivante
Francis Cormon
peinture, (…) le jardin tapissé d’éternelle verdure Bien que mutilé, le domaine garde encore le
et la vive fontaine à la source immortelle ». souvenir des amours royales. un amour plato- 2
nique, comme l’avancent certains historiens ?
Dès l’arrivée au château, c’est l’émerveillement. « Pas du tout, afrme Jean de Yturbe, voyez,
ce n’est pas un simple portail d’entrée que l’on partout, les lettres D et les H qui s’entrelacent.
découvre, mais un véritable arc de triomphe D’ailleurs, quand catherine de Médicis a décou-
68 DĒtours en France
les châteaux plaisir
a n et
Retour au château…
Onze ans après sa mort, le corps embaumé
de Diane de Poitiers est placé dans la chapelle
funéraire du château d’Anet. À la Révolution,
son tombeau est profané et ses os transférés
dans la fosse communale, près de l’église.
C’est en 2008 qu’une équipe de scientifiques
emmenée par le docteur Charlier, médecin-légiste
surnommé « l’Indiana Jones des cimetières »,
authentifie son corps. Ils découvrent notamment
un taux d’or hors norme : la duchesse
de Valentinois en buvait chaque jour, mélangé
avec de l’eau, pour rester jeune… ce qui
est cependant vraisemblablement la cause
de sa mort ! Sa dépouille sera réinhumée
deux ans plus tard dans la chapelle funéraire
du château, au cours d’une grande cérémonie.
Ceux-là ont des choses à cacher. Là un « simple » trésor que jamais on ne trouve,
ici des peintures énigmatiques, ailleurs des galeries enfouies…
Sans parler de ce châtelain dont on dit que la fortune en or a d’abord été du plomb !
À l’image des augustes
édifices auxquels
nous l’avons associé,
Brézé manie à merveille
la cachotterie !
Quelques marches
d’un escalier de pierre et
vous plongez dans
un château sous
le château, des galeries
troglodytiques
labyrinthiques, tant
de secrets toujours
enfouis…
1
Si les intersignes ne sont pour vous que galéjades,
si les demeures hantées ne font que vous amuser, si
les énigmes indéchiffrées sommeillant dans les sou-
terrains des châteaux ne vous passionnent pas,
Pourquoi les châteaux sont-ils des lieux privilégiés passez votre chemin ! Pour tous les autres, la fré-
pour les secrets, les légendes et les fantômes ? quentation de ce spécialiste de l’insolite, du surna-
turel, de l’étrange . Après des études juridiques, il se
Le responsable, c’est le romantisme ! À l’époque de la tourne vers l’édition et publie un premier livre en
révolution industrielle, sans doute par défance envers 1990, «Le guide France insolite» chez Hachette.
Depuis, ce passeur d’histoires mystérieuses et de
le progrès en marche, il y a eu un engouement pour le légendes, dans la lignée d’un Claude Seignolle, par-
passé. c’était aussi le début du tourisme. Des écrivains court inlassablement la France dont il fait partager
ses découvertes par ses livres, ses guides, ses
anglais, puis français, des Walter scott, théophile Gautier, conférences. http://arz.blogspirit.com
3
Victor Hugo, ont arpenté les régions françaises, auvergne,
Limousin, normandie, Bretagne, et découvert des châteaux Vous, le spécialiste des lieux mystérieux, quels sont
cachés dans le bocage, certains abandonnés, en ruines : les châteaux qui vous ont le plus marqué ?
on sortait de la révolution ! Les paysans en parlaient avec Il y en a beaucoup, et pour diférentes raisons. Le château
un peu de peur, il y avait toujours de vieilles histoires de terre-neuve, à Fontenay-le-comte, en Vendée : encore
autour… on les a « habités » avec ces légendes en respectant une demeure alchimique, avec une remarquable cheminée
les traditions locales. Puis, dans la deuxième moitié du monumentale. elle porte, gravés par Philibert Delorme, les
XIXe siècle, est apparu le spiritisme, avec les travaux d’allan symboles des phases de la réalisation de la pierre philo-
Kardec : il ne sufsait plus de parler de fantômes, il fallait sophale. et sur son fronton, la parabole des alchimistes :
essayer de les trouver. un mouvement qui s’est amplifé en Nascendo quotidie morimur (« en naissant nous mourons
1920 avec la publication de l’ouvrage Les Maisons hantées, chaque jour ») tirée de sénèque. Le Plessis-Bourré excite
écrit par camille Flammarion… qui, je le rappelle, était un toujours ma curiosité, avec toutes ses histoires peintes que
grand astronome, pas un farfelu ! je n’arrive pas à lire. Même Georges Duby à qui je posais
la question me répondit : « on ne sait pas ce que c’est » !
Gisors me fascine pour son extraordinaire histoire de
2
Parmi les mystères qui touchent les châteaux, il y trésor : il faut quand même se représenter qu’à l’époque
a la question de l’alchimie et du message codé qu’on on a vraiment cru avoir trouvé le trésor des templiers et
retrouve dans certains d’entre eux… que même un ministre – Malraux – y a lancé des fouilles !
Fulcanelli les appelait les « demeures philosophales ». et j’aime aussi beaucoup le château de Veauce, dans l’allier,
Fulcanelli était un pseudonyme, on n’a jamais su qui se et la touchante histoire du fantôme Lucie. rappelons que
cachait derrière, sans doute un collectif d’occultistes et son précédent propriétaire, ephraïm tagori de la tour,
d’ésotéristes. Dans Les Demeures philosophales, « il » prétendait converser avec le fantôme d’une jeune flle. en
décrypte la symbolique alchimique dans l’architecture de 1984, une équipe de France Inter, composée du journaliste
certains monuments, cathédrales et châteaux. L’idée est de Jean-Yves casgha et d’un médium, alla faire un reportage
retrouver le discours des initiés, discours perdu depuis la et aurait rencontré Lucie. après il y a eu beaucoup d’émis-
renaissance, car ces initiés étaient poursuivis par l’Église sions, mais Lucie s’est faite plus discrète, surtout depuis la
et le pouvoir. Fulcanelli a largement commenté le château mort de tagori. Moi-même j’ai passé une nuit à Veauce, je
de Dampierre-sur-Boutonne et les 93 caissons sculptés ne l’ai pas vue… et je n’ai pas réussi à fermer l’œil ! Mais c’est
de sa galerie : aussi surprenant que les caissons peints du une belle histoire de château hanté, non ? •
Plessis-Bourré ! J’ai aussi une tendresse particulière pour
le château de cénevières, dans le Lot, moins riche en sym- *À lire : Voyages dans la France mystérieuse (éditions Le Pré
boles alchimiques, mais le lieu est tellement beau… aux clercs). arz.blogspirit.com
72 DĒtours en France
Pour ce quêteur
d’histoires humaines
cuites et recuites dans
le chaudron du mystère,
le monde des cathares
reste un pôle important
de connaissance,
d’enchantement et
de frisson. Sur cette
gravure, les «hérétiques»
du château de Montségur
sont jetés sur les bûchers
de la Sainte Inquisition,
lors de la croisade contre
les Albigeois.
Lee/Leemage
Châteaux
de légende
Le PLessis-
Bourré
l’énigme du plafond peint
Au nord d’Angers, il est un château plein de grâce, posé sur son écrin d’eau.
Son trésor : le superbe décor d’un plafond, où une fresque de «personnages»
raconterait le secret de la pierre philosophale.
74 DĒtours en France
les châteaux secrets
l e pl e s s i s -b our r é
De nombreux films
ont été tournés dans
ce véritable décor
de cinéma Renaissance,
d’où l’on s’attend à voir
surgir capes, épées
et intrigues assorties !
Mais au-delà de sa
superbe toute
cinématographique,
la demeure du grand
argentier Jean Bourré
cache des peintures
qui intriguent encore.
Labbe/Colorise
Le PLessis-Bourré
ne serait
qu’un château
Parmi d’autres
Ces quatre grosses tours qui se mirent dans
au jardin aussi ! l’eau, ce pont-levis avec mâchicoulis et échau-
s’iL ne comPtait
Le jardin, à l’entrée guettes, ce pont qui n’en fnit pas d’enjamber une PIèCe
du parc du château, s’est
mis au diapason. Près des douves aux allures de petit lac… oui, vous les exCePtIonneLLe :
de quatre-vingts espèces avez déjà vus, même si vous visitez Le Plessis- La saLLe des
reprennent le langage
codé de l’alchimie :
Bourré pour la première fois ! Peau d’ âne, Gardes.
Le Bossu, Fanfan la Tulipe, plus récemment
les fleurs noires, blanches
et rouges évoquent, par La Princesse de Montpensier ont tous choisi
exemple, le travail pour décor ce château plein de grâce.
de l’alchimiste, tandis que
la fleur de la Vierge Marie
Il faut dire que la demeure est photogé- pas renié Jérôme Bosch, traité à la détrempe, en
– le jasmin – rappelle
la place du divin dans nique : dans un écrin de forêts et d’eau, elle se gris sur fond bleu et vert. son remarquable état
cette quête du savoir. donne encore un air de forteresse, mais cache de conservation est dû au fait que ces peintures
Le Carré des remèdes derrière ses murs de tufeau une demeure ont été cachées, sans doute au XVIIIe siècle,
présente les plantes
qui, au Moyen Âge,
de plaisance délicieusement renaissance. certaines scènes étant jugées impudiques
servaient à préserver comme en témoigne la cour intérieure, avec (La « Fontaine indécente », par exemple) !
sa jeunesse et à vaincre ses ailes basses, sa galerie à arcades et ses hautes
la mort. lucarnes. Même élégance dans les appartements L’auteur de ces merveilles nous est inconnu.
du XVe au XVIIIe siècles, richement meublés, la Par contre, son commanditaire est bien
chambre empire du maréchal soult, dont les Jean Bourré, grand argentier et confdent de
descendants habitent toujours le château, la Louis XI, qui ft construire le château en 1468.
bibliothèque riche de trois mille volumes. Pourquoi ft-il peindre ce plafond ? Par simple
souci de décoration ou pour laisser un message
Mais Le Plessis-Bourré ne serait qu’un châ- aux générations futures ? Jean Bourré était-il
teau parmi d’autres s’il ne comptait une pièce alchimiste ? avait-il découvert le secret de la
exceptionnelle : la salle des Gardes. Levez le pierre philosophale ? Le mystère du plafond
nez : le plafond en bois peint, daté du XVe siècle, du Plessis-Bourré reste entier… •
présente vingt-quatre caissons richement
décorés sur le thème de l’alchimie. seize d’entre
eux symbolisent le Grand Œuvre ou la réalisa- un destin exceptionnel
Né en 1424, fils de bourgeois de Château-
tion de la pierre philosophale, les huit autres
Gontier, Jean Bourré entra au service de Louis XI
sont des petites histoires illustrées à l’attention alors que celui-ci n’était encore que le dauphin.
des alchimistes. À vous de retrouver la licorne, Sa loyauté le fit récompenser par la charge
symbole de pureté, le pélican, image de la nour- de trésorier ou grand argentier, l’équivalent
de notre ministre des Finances. Après la mort
riture nécessaire à la naissance de la pierre ; les
de Louis XI, il continua à servir le royaume sous
deux coqs qui se battent, illustration du com- Charles VIII. Passionné par les arts, il fit
bat des deux matières, le soufre et le mercure, construire, outre Le Plessis-Bourré, le château
nécessaires à cette même pierre ; ici un phénix, de Jarzé, toujours dans le Maine-et-Loire.
Jean Bourré était-il alchimiste, comme pourrait
qui renaît de ses cendres, symbole de la pierre ; le suggérer la salle des Gardes du Plessis-Bourré ?
là un caducée, formé par deux oiseaux enlacés. Difficile à dire. En tout cas, l’homme est mort très
et aussi une laie musicienne, deux singes che- âgé (82 ans) et très riche. Si riche que certains se
vauchant une ourse – l’étoile polaire –, une demandent d’où pouvait provenir une telle fortune.
Tout comme son prédécesseur à la charge
jeune flle sur une tortue, un âne chantant la d’argentier, Jacques Cœur… que d’aucuns
messe, les deux béliers, allusion à l’astrologie… soupçonnent d’avoir été, lui aussi, un initié !
un bestiaire d’animaux fabuleux que n’aurait
76 DĒtours en France
les châteaux secrets
l e pl e s s i s -b our r é
Hervé Champollion/akg-images
2 3
Jean-Baptiste Rabouan/hemis.fr
gisors
L’énigme du trésor caché des tempLiers
Verrou à l’entrée du duché de Normandie, la forteresse de Gisors a été pendant longtemps au
centre des querelles entre Français et Anglais. Et pour certains chasseurs de trésors, elle
recèlerait toujours l’or des Templiers, recherché par Philippe le Bel.
« Je suis dans une chapelle romane. Le long Pourquoi à Gisors ? Il faut remonter au
des murs, posés sur le sol, des sarcophages de XIIe siècle. objet de convoitises entre le
pierre. et dans la nef, 30 cofres de métal pré- royaume de France et l’angleterre, le châ-
cieux rangés par colonnes de 10. » c’est à peu teau est confé pendant trois ans à l’ordre du
près par ces mots que roger Lhomoy décrit à temple, le temps que se négocie le mariage
la mairie de Gisors la découverte qu’il vient de entre la flle de Louis VII et le fls d’Henri II
faire, en ce jour de mars 1946. notre homme Plantagenêt. Deux siècles plus tard, Philippe
est jardinier et gardien au château. Depuis le Bel y fait incarcérer Jacques de Molay,
six ans, il creuse une galerie sous la motte grand maître de l’ordre avant de le faire brû-
féodale, persuadé que s’y cache un fabuleux ler en 1314. son objectif : mettre la main sur la
trésor : celui des templiers. fortune de l’ordre. Mais la veille de l’arresta-
tion de tous les templiers, le 13 octobre 1307,
une poignée d’entre eux aurait quitté Paris
avec trois chariots remplis d’or en direction
de l’angleterre : ils ont pu s’arrêter à Gisors et
Le prisonnier de la tour trouver une cache dans ce château qui leur
Gisors a plus d’un mystère dans son château. avait appartenu. celui qui construisit le pre-
Le trésor des Templiers ne doit pas faire oublier
l’existence du prisonnier qui fut enfermé
mier édifce en 1096, robert de Bellême, était
pendant des années dans la tour du même nom. lui-même un chevalier du temple.
Il a laissé dans sa cellule des graffitis de toute
beauté, qui les apparentent plus à des bas- Roger Lhomoy sait-il tout cela ? en tout cas
reliefs : scènes de la Résurrection, Adam et
Ève, saint Nicolas ressuscitant des petits notre gardien ne se montre pas convaincant :
enfants, bal des Ardents, écusson avec des le trou est rebouché et les recherches aban-
cœurs et même la croix pattée des Templiers données. en 1960, roger raconte son histoire
que l’on retrouve aussi, souvent, dans le Vexin. à un journaliste passionné par les histoires
Ces graffitis seraient l’œuvre d’un sieur
Nicolas Poulain, puisqu’on peut y lire l’inscription de trésor, Gérard de sède*. un livre sort : Les
O Mater Dei, memento mei, Poulain (« Ô Mère Templiers sont parmi nous, et andré Malraux,
de Dieu, souviens-toi de moi, Poulain »). alors ministre de la culture, ordonne de nou-
Ce Nicolas serait un fils illégitime de
velles fouilles. on ne trouvera jamais rien.
Charles Ier de Bourbon, archevêque de Rouen,
CAP/Roger-Viollet
78 DĒtours en France
les châteaux secrets
g i s or s
Christian Voulgaropoulos/Détours en France
1. Posé sur sa
Moyen Âge. L’enceinte du XIIe siècle a encore motte de terre et
fère allure, avec ses tours rondes, carrées, de pierre, entouré
polygonales et ses murs hauts de 10 mètres. d’une fortification
circulaire, le donjon
Une partie du côté de la porte de la Ville pos- du XIIe siècle s’est
Christian Voulgaropoulos/Détours en France
Adossé au village
de Jumilhac-le-Grand,
bordé d’un jardin
organisé autour de son
bassin central,
le château de Jumilhac
dresse ses tours de
pierre blond-roux et son
étonnante toiture avec
une belle majesté.
Ici, pourtant, c’est
le mystère qui règne
en maître !
jumilhac
La demeure d’un aLchimiste
Au cœur du Périgord vert, un imposant château interpelle le visiteur par la dimension
de ses toits, « les plus romantiques de France », selon Gustave Doré. Son propriétaire
était-il alchimiste ? A-t-il trouvé le secret de la transformation du plomb en or ?
Son actuel descendant a mené l’enquête.
80 DĒtours en France
Les châteaux secrets
j um i l h ac
Jean-Daniel Sudres/voyage-gourmand.com
Jean-Daniel Sudres/voyage-gourmand.com
d’honneur, des tours, de la pierre blond-roux et
de l’ardoise bleue. Passons la porte…
82 DĒtours en France
les châteaux secrets
J um i l h ac
2 La recherche
du paradis perdu
L’alchimie est née chez
les Babyloniens pour
percer deux secrets :
l’immortalité de l’âme et
la transformation des
métaux vils en or. Avec
le christianisme, elle a pris
une autre dimension :
Lionel Lourdel/Photononstop
la Renaissance, la quête
de l’idéal de pureté
disparaît peu à peu au
profit d’une exigence
de connaissance
universelle. L’or et
la connaissance,
d’une « guette » ou tour de guet, cassant bizar- Enfn, voilà un portrait qu’Henry de La Tour
rement la symétrie de la toiture et des faîtières. du Pin était impatient de nous montrer :
Une représentation de la cheminée de l’athanor, Rodolphe II de Habsbourg. Grand mystique
le four des alchimistes ? mais piètre roi – il gouverna l’Autriche, la
Hongrie et la Bohême – il était avant tout
On peut se demander quel intérêt pouvait mécène et surtout grand protecteur des…
avoir un noble du XVIe siècle à afcher sur son alchimistes. « La présence de ce tableau vient
la matière et l’esprit : c’est
toit son appartenance à l’alchimie… « À l’époque renforcer la théorie d’Antoine Chapelle alchi- toute la symbolique
où les livres étaient rares et chers, c’était une miste, même si on peut se demander comment de la pierre philosophale.
manière de faire partager ses connaissances. Et la toile est arrivée à Jumilhac. » Cadeau d’Henri L’Église catholique, on s’en
d’envoyer un signal aux voyageurs de passage, IV à son vassal ? Voyage d’Antoine Chapelle à doute, ne voyait pas d’un
bon œil les alchimistes et
qui pouvaient eux aussi être des initiés. » Prague, à la cour de Rodolphe II ? Butin de la leurs travaux. Les grands
guerre de Trente Ans, à laquelle a participé le initiés se transmettaient
Mais il n’y a pas que les toits à Jumilhac. Notre fls d’Antoine Chapelle ? Le mystère reste entier. donc leurs secrets dans
un langage codé, peint ou
hôte nous invite donc à poursuivre notre visite.
sculpté dans la pierre,
Les ailes transformées au XVIIe siècle abritent de Une dernière pièce pique la curiosité des avec des emprunts
belles pièces, comme le Grand Salon, dans l’aile visiteurs : la chambre dite « de la Fileuse ». à la mythologie grecque,
Nord-Ouest : avec ses boiseries, ses peintures Louise de Hautefort, mariée au fls d’Antoine à l’Ancien et au Nouveau
Testament. On le retrouve
signées Oudry, il ne déparerait pas Versailles. Chapelle, resta enfermée dans cette pièce pen-
sur les toits de Jumilhac,
C’est là qu’ont été tournées des scènes du flm dant trente ans par son mari jaloux. La recluse sur les fresques du
Le Pacte des loups. Sur la belle cheminée en occupait ses journées à fler et à peindre, Plessis-Bourré ou au
tilleul et chêne, dite « des Quatre Saisons », on comme en témoigne un émouvant autopor- château de Dampierre-
sur-Boutonne.
remarque en bas à gauche saint Roch, avec un trait et des fresques sur le thème de la nature, À lire : Alchimie, le grand
bubon sur le genou, et saint Martin : ils proté- avec un croissant de lune, un soleil éclatant et secret, d’Andrea Aromatico,
geaient Jumilhac des épidémies et de la famine, un surprenant volatile… Un mystère de plus à (Découvertes Gallimard).
deux féaux qui s’étaient abattus sur la région déchifrer pour Henry de La Tour du Pin ! •
Brézé
Le château aux deux visages
Il y a le château de surface… et l’autre. Au cœur de l’Anjou et du pays
des troglodytes, Brézé est sans doute le plus insolite des châteaux de la Loire,
avec son exceptionnel réseau de galeries souterraines. L’occasion
de remonter le temps… en descendant sous terre !
Francis Leroy hemis.fr
84 DĒtours en France
Les châteaux secrets
Brézé
Renaissance jusqu’au
bout de ses deux ailes,
encadrant une galerie
rebâtie au XIXe,
Brézé cache en son sein
des merveilles
néogothiques. Mais ce
qui saute aux yeux à
si belle altitude, ce sont
ses douves sèches,
les plus profondes
d’Europe.
86 DĒtours en France
les châteaux secrets
brézé
Guillard Jacques/Scope-Image
3 4
Franck Charel/Détours en France
Pratique : 49260 Brézé. Tél. : 02 41 51 60 15. www.chateaudebreze.com. Visites libres et guidées du château et des souterrains.
88 DĒtours en France
Au sommet d’une
falaise calcaire, cette
forteresse, dont le nom
proviendrait de propos
tenus par Richard Cœur
de Lion, qui l’a fait ériger
pour contrer les
offensives françaises,
est un symbole des
Rois maudits. Vieux de
huit siècles,
Château-Gaillard
incarne la rivalité
franco-anglaise.
ph i l i ppe
durand
Profession castellologue
Maître de conférences en Histoire de l’art du Moyen Âge à l’université
Michel-de-Montaigne/Bordeaux 3, Philippe Durand est castellologue. Il étudie châteaux et
fortifications de cette période de l’Histoire.
La castellologie est une science apparue dans les années Pourquoi la France se hérisse-t-elle de ces édifces à par-
soixante. En quoi consiste précisément votre travail ? tir des ixe-xe siècles ?
le travail d’un castellologue est de déterminer et faire com- pour comprendre le phénomène, il faut partir de l’empire
prendre comment se présentait un édifce (son architecture, carolingien, qui a atteint le maximum de sa puissance vers
son décor) et comment on y vivait. Dans l’imaginaire col- l’an 800. Mais à la mort de charlemagne commencent des
lectif, le château du Moyen Âge est l’un des édifces les plus tensions qui aboutissent à la disparition de l’empire (traité
présents… on parle bien des pyramides d’Égypte, on parle de verdun, 843). Dans les décennies qui suivent, on constate
un peu de la Grèce, de rome, mais je crois que dans notre peu à peu un phénomène de décomposition du pouvoir : le
civilisation occidentale c’est le château fort qui est l’élément roi n’est plus en mesure d’assumer ses fonctions. on assiste
qui fait le plus rêver à la fois les enfants et les adultes. pour alors à un « glissement » du pouvoir, pouvoir récupéré par
mieux le faire connaître, le castellologue se doit de com- ceux qui étaient auparavant les représentants de l’empire,
battre les mythes : les oubliettes, les souterrains à la longueur comtes ou ducs. ces derniers créent les « États féodaux »
démesurée n’existaient pas, contrairement à ce qu’ont écrit — nos grandes provinces actuelles. en s’emparant du pou-
les romantiques. il en est de même du mythe du trésor : il est voir, ils s’octroient ce qui incombait au roi. pour maintenir
très présent et a malheureusement des conséquences catas- leur autorité, ils constituent une sorte de réseau par le biais
trophiques parce que des édifces non protégés sont visi- des « vassaux », des seigneurs de moindre importance, qui
tés par des gens qui, équipés de détecteurs de métaux, font contrôlent au nom de leur suzerain (leur seigneur principal)
des dégâts importants en creusant de manière anarchique. chaque territoire. c’est la naissance de la féodalité. À chaque
Mythiques aussi, les châteaux cathares ! ceci étant, il nous niveau de la hiérarchie, on va alors construire des châteaux.
reste encore beaucoup de zones d’ombre à éclaircir… une on peut dire qu’il y a ainsi une prise en main du pays par
quantité incroyable d’édifces n’ont pas encore été étudiés ! ces nouveaux édifces.
Et quelle est la défnition exacte d’un « château fort », Quelle vie faut-il imaginer à l’intérieur de l’enceinte ?
pour un castellologue ? c’est grouillant de vie. Y résident le seigneur, sa famille, ses
c’est un édifce élevé par l’aristocratie, entre le xe et le serviteurs et sa « mesnie » — notamment les chevaliers, qui
xve siècles, afn de répondre à trois fonctions : la défense, le protègent et combattent pour lui. on y trouve une chapelle
la résidence et le symbolisme. c’est au xixe siècle, lors de qui, outre son rôle religieux, a d’autres fonctions. les prêtres
la « redécouverte » du Moyen Âge, que le terme « château ou les chanoines sont les seuls, à la haute époque, à savoir
fort » est apparu et est entré dans la langue courante — pour lire et écrire : ils rédigent les actes, faisant de la chapelle le
l’homme médiéval, un château est obligatoirement « fort » ! « secrétariat » du château ! s’y déroule aussi l’adoubement,
le terme peut être restrictif, puisqu’il fait référence avant tout cette cérémonie qui consiste à faire chevalier un jeune sei-
à la fonction militaire alors que les deux autres fonctions sont gneur. on constate que les efectifs des « professionnels de
tout aussi fondamentales. la guerre » (miles) pour combattre ne sont pas énormes au
90 DĒtours en France
DR
château, mais que, dès qu’il y a un problème, on fait appel à
un renfort et aux paysans des alentours.
15 000
au xve siècle, le château fort va disparaître parce qu’un chan-
gement complet s’opère dans la société. après la guerre de
cent ans, c’est la naissance de l’État moderne, notamment
sous louis xI. le monde de la guerre se modife avec l’émer-
gence d’une artillerie à poudre de plus en plus performante
qui rend le château médiéval obsolète… les goûts changent : C’ESt lE nOmbRE dE CHâtEaux fORtS
on veut vivre plus confortablement. les deux grandes fonc- EnCORE En paRtIE vISIblES
tions, défense et résidence, vont se séparer. c’est la nais- aujOuRd’HuI SElOn un InvEntaIRE
sance, d’un côté, des édifces tournés vers la défense, les RéalISé dépaRtEmEnt paR
citadelles. de l’autre, la fonction résidentielle s’impose (par dépaRtEmEnt Et publIé danS
exemple au Plessis-Bourré, vers 1470) et elle annonce les l’atlaS dES CHâtEaux En fRanCE
édifces de la Renaissance. Mais la descendance du château
médiéval est très forte : ainsi l’architecture de chambord (éd. Publitotal, 1977)
ne peut se comprendre qu’en évoquant vincennes ! Puis au de Charles-Laurent Salchs.
xIxe siècle, avec l’émergence de la notion de patrimoine et
la prise de conscience de la nécessité de sauver les édifces
du passé, le château fort retrouve tout son faste, ainsi que
l’illustre l’œuvre de viollet-le-duc qui d’une part le restaure
(Pierrefonds), d’autre part en construit de nouveaux dans le
style dit « néogothique ». c’est alors que se construit l’image
que nous avons aujourd’hui du château fort. •
92 DĒtours en France
les châteaux maudits
ti f faug e s
Le château de
Tiffauges, dont il reste
d’imposantes ruines
entourées d’un océan de
verdure, fut à partir de
1420 le repaire de
Gilles de Rais, plus
connu sous le nom de
Barbe Bleue. Il y aurait
commis la plupart de
ses crimes.
tiffauges
l’antre de BarBe Bleue
Au cœur de la Vendée, ce château en ruine garde le souvenir d’un des personnages
les plus controversés de notre Histoire, héros de guerre et criminel en série,
alchimiste et compagnon de Jeanne d’Arc.
Docteur Jekyll et
Mister Hyde ?
Né en 1404, Gilles de
Montmorency-Laval est
un personnage fascinant,
mi-ange, mi-démon.
Orphelin jeune, il est
élevé par un grand-père
violent et devient un
grand soldat. Capitaine
de Jeanne d’Arc, il
l’accompagne à Orléans
Franck Prignet
Une presqu’île entre deux cours d’eau, des pour les faire vivre. ne vous étonnez donc pas si,
ruines imposantes, éparpillées dans la verdure : au cours de votre visite, vous croisez deux cheva-
l’endroit est plutôt bucolique, surtout si vous le liers en plein combat, un soldat manœuvrant un
visitez par une belle journée. Difcile d’imagi- trébuchet, ou Gilles de rais en personne racon-
ner qu’il a abrité en ses murs un des plus grands tant son histoire !
serial-killers de toute l’Histoire : Gilles de rais,
Costa/Leemage
plus connu des enfants sous le nom de Barbe Les siècles se succèdent : donjon du xiie siècle
bleue. châtelet et son pont-levis du xVe, contempo-
rains avec le logis seigneurial bâti par Gilles de
et lui restera fidèle Il devait pleuvoir le jour où Gustave Flaubert rais ; ici, une barbacane, là l’imposante tour du
jusqu’à la fin. Ses hauts le vit pour la première fois en 1847 : « Fant™me Vidame avec son chemin de ronde à mâchicoulis
faits d’armes lui valent
muet, abandonnŽ, maudit, plein de rŽsonances et sa salle de guet à l’acoustique exceptionnelle
d’être nommé maréchal
de France par Charles VII. farouches ». (xVie). c’est dans cette tour que vous découvrez
Voilà pour le héros. la reconstitution du laboratoire de Gilles de rais,
Du côté du démon, il y a En franchissant la porterie romane surmontée qui se trouvait autrefois dans les salles basses du
140 enfants qu’il avoue,
du blason du baron Gilles, on ne peut s’empêcher donjon : au milieu des cornues et des alambics,
lors de son procès,
avoir torturés et tués. de songer au destin de ce personnage si contro- on se prend à imaginer le compagnon de Jeanne
Calomnie ou vérité ? versé. Héritier d’une puissante famille, il hérite de d’arc cherchant à percer le secret de la pierre phi-
Gilles de Rais avait la forteresse de tifauges par son mariage avec losophale.
beaucoup d’ennemis,
à commencer par sa
catherine de thouars. une superfcie de 3 hec-
famille, qui rêvait de le tares, 700 mètres de remparts et 18 tours : le site Il est un lieu encore plus étonnant : la crypte
dépouiller d’une fortune est d’importance. Gilles de rais va rehausser le de la chapelle saint-Vincent, du xiie siècle,
qu’elle imaginait donjon, le protéger par un châtelet, creuser des remarquable pour son élégante colonnade et
colossale. L’Église,
qui le savait alchimiste, douves et faire bâtir un beau logis seigneurial. des chapiteaux très ouvragés. est-ce là que Gilles
rêvait de le brûler pour de rais invoquait les puissances infernales pour
sorcellerie : il sera pendu Les guerres de religion, richelieu et les outrages se procurer l’or dont il avait tant besoin ? a-t-il
à Nantes en 1140. du temps sont passés par là : le tifauges d’au- sacrifé ici même quelques-uns des 140 enfants
jourd’hui n’est plus qu’un souvenir de la gran- qu’on l’accuse d’avoir tués ? on n’a pas retrouvé
deur passée de Gilles de rais. Mais les ruines sont ici de restes de ses victimes, contrairement à
belles et le conseil général de la Vendée, désor- champtocé, une autre de ses forteresses. Mais,
mais propriétaire du site, multiplie les animations quoi qu’il en soit, l’imagination va bon train… •
Pratique : 85130 Tiffauges. Tél. : 02 51 65 70 51. www.chateau-tiffauges.vendee.fr. Visites guidées. Visites costumées
pour les enfants. Animations autour de Gilles de Rais et de l’armement des chevaliers.
94 DĒtours en France
les châteaux maudits
ti f faug e s
Longtemps laissé
à l’abandon,
le château de
Tiffauges abrite
désormais
un conservatoire de
machines de guerre
médiévales.
1
Franck Prignet
Comment vous est venue cette passion retrouvaient sur des chantiers de Syrie, entre 2002 et 2007, nous avons
des machines de guerre ? cathédrale ou de château. il fonctionne par fabriqué un couillard — là-bas, ils préfèrent
Elle est liée à la passion de l’Histoire. images : le lapin, c’est le chiffre 3, donc le dire manjanik, machine ! — et une arbalète
Enfant, mon père m’avait un jour enfermé triangle ; le chien, le 5, le pentagramme, etc. géante, d’après des textes de Saladin : une
dans la grande bibliothèque familiale pour J’ai pu le déchiffrer et connaître le secret : superbe aventure !
me punir. Je suis tombé sur un livre qui car, à l’époque, ceux qui savaient fabriquer
parlait de Du Guesclin : ma première des machines de guerre étaient très Et vos prochains chantiers ?
rencontre avec le Moyen Âge. Depuis, je ne recherchés et bien payés. Une machine pour laver le sel, dont on a
lis plus que ça. retrouvé le modèle dans l’Encyclopédie de
Un trébuchet, c’est facile à fabriquer ? Diderot et d’Alembert, pour le musée des
De là à fabriquer des trébuchets… Pour le premier, il m’a fallu deux ans et Marais-Salants de Batz-sur-Mer, un
Cet amour pour le Moyen Âge m’a conduit à demi… car il manquait quand même le plan, trébuchet pour la ville de Château-Thierry ;
devenir compagnon charpentier et à faire il avait été arraché ! Et tout est une question des projets pour les Baux-de-Provence, le
mon tour de France. Un jour, j’apprends la de calcul, c’est très pointu. Aujourd’hui, à Puy-du-Fou, et la ville de Montreuil-sur-
réédition du Carnet de Villard de quatre personnes, il nous faut trois mois. Mer : on réfléchit à la manière de faire vivre
Honnécourt, un compagnon du xiiie siècle, le site, entre Richard Cœur de Lion et
qui donne entre autres un croquis de Vous avez créé votre entreprise, Charles Quint…
la construction d’un trébuchet avec des Armédiéval, et on vous demande dans le Mais j’ai 67 ans : heureusement que
annotations. Personne n’avait pu les lire : monde entier ? la relève est assurée avec mon associé,
c’était un langage codé. En fait, il s’agissait Oui, on a travaillé aux États-Unis, en Alain Manimont.
du langage codé et universel des Écosse, en Suisse, en Espagne, avec Luc
compagnons, à une époque où les gens ne Besson pour son Jeanne d’Arc, avec Ridley « L’Art de la guerre au Moyen Âge », de
parlaient pas la même langue mais se Scott pour Kingdom of Heaven. Et même en Renaud Beyfette, Ouest-France, 2005
Trécesson
SuperStock/Leemage
96 DĒtours en France
E
les châteaux maudits
tr é c e s s on
Hervé Champollion/akg-images
2
À gauche. La mariée Est-ce la proximité de la forêt de Paimpont et L’architecture est belle. Il ne manquait plus
était en blanc : la
légende prétend qu’une
des légendes arthuriennes ? La force des murs qu’une légende : Trécesson en a deux. La pre-
femme, à l’approche de de schiste rouge qui se refètent dans les eaux mière parle d’une dame blanche qui viendrait
ses noces, y aurait été sombres de l’étang ? Il règne aux abords du pleurer sa peine certaines nuits au pied de
enterrée vivante.
Son fantôme hante château de Trécesson une atmosphère étrange, l’étang. Une jeune femme en habit de mariée
l’imaginaire des lieux. mystérieuse. aurait été enterrée vivante dans le jardin du
Ci-dessus. L’accès au château par deux hommes. Libérée de sa pri-
château se fait par un
pont qui enjambe la Il est fait mention d’un château ici dès le Ixe son de terre, elle serait morte avant d’avoir pu
douve et dominé par siècle. Mais l’actuel est bien du xve siècle, bâti livrer le nom de ses bourreaux. On ignore tout
deux tours étroites. Ses
murs de schiste,
par Jean de Trécesson, chambellan du duc de de son identité, mais il est dit que sa robe nup-
rougeâtres, baignent Bretagne. Les murs sont imposants, faits de tiale et son bouquet sont restés exposés jusqu’à
dans l’étang qui le ceint. grosses pierres, un beau châtelet fanqué de deux la Révolution dans la chapelle du château.
tours commande l’accès à la cour intérieure. Le Quant à sa sépulture, on ne l’a jamais retrouvée
chemin de ronde avec mâchicoulis a été fermé. à Trécesson.
Mais, sur le côté du châtelet, une tour carrée est
percée de meurtrières. Manoir fortifé, demeure La seconde raconte que deux fantômes en
de plaisance : comme beaucoup de châteaux de habit de gentilhomme du xvIIIe siècle viennent
cette époque, Trécesson hésite entre les deux. jouer une partie de cartes dans une des chambres
et se provoquent en duel avant de s’entretuer…
et de disparaître !
une jeune femme tout dE
bLanc vêtuE incarne une des Propriété privée, Trécesson entrouvre désor-
deux légendes du château de mais ses portes l’été pour une visite de la cour
trécesson. intérieure. Mais n’a toujours pas livré la vérité
sur les événements mystérieux qui s’y sont
déroulés… •
Pratique : 56800 Campénéac. Office de Tourisme de Ploërmel : 02 97 74 02 70. Visites guidées comprenant l’extérieur du château,
la cour intérieure et la chapelle Renaissance du 1er juillet au 15 août.
rustéphan
la malédiction
« Danger, ruines, ne pas approcher ! » L’ancien manoir de Rustéphan, perché sur
les hauteurs de Pont-Aven et dévoré par une folle végétation, ne manque d’intriguer.
Si, comme nous, vous êtes curieux d’en savoir plus, suivez-nous…
Parmi les collections de tableaux conservés une tour ceinte de vestiges ruiniformes, qui
au musée des Beaux-Arts de Rennes, on peut semble lutter contre une végétation profuse,
admirer un dessin au fusain, sur papier jaune, étoufante. Cet étrange château existe-t-il
grifé du paraphe d’Émile Bernard. La toile d’un réellement ou n’est-il, malgré les détails de sa
des maîtres de l’école de Pont-Aven, voisin de localisation, une pure invention de l’imagina-
chevalet de Paul Gauguin, est peu démons- tion de l’artiste ?
trative, mais elle possède en légende qui sus-
cite la curiosité : « Le château de Rustéphan Le mieux fut de se rendre à Pont-Aven.
vu de la route de Nizon. Vers 1886. » On y voit Là, nous attendait Fanch, au pied du cal-
98 Détours en France
les châteaux maudits
rusté ph a n
1 2
vaire dressé tout près de l’église de Nizon (à au château de Plessis-Nizon, tout près de là, 1. De la bâtisse
d’origine ne
2,5 kilomètres au nord-ouest de Pont-Aven). recueille auprès de paysans, ouvriers, char- demeurent que
Il m’avait précisé : « Si vous connaissez “Le bonniers, qu’il connaît pour nombre d’entre quelques décombres,
Christ vert” de Gauguin, vous pouvez pas eux, tout un répertoire de chants populaires. dont cette tour
d’escaliers.
le confondre avec un autre ! » En chemin, Sa collecte de « gwerzioù », complaintes rela-
Fanch, un enfant du pays archéologue de tant des faits de la vie quotidienne (simples 2. Dissimulés sous
profession et « chercheur de trésors », raconte anecdotes, chroniques d’événements dra- des lierres, ronces
et autre végétation,
que ce château de style gothique famboyant matiques, épopées historiques) constituera les murs laissent
daterait de la fn du XVe siècle et qu’il aurait un recueil, pionnier dans la connaissance apparaître des
ornementations
été construit par Jean Du Faou, chambellan de la culture orale bas-bretonne, le « Barzaz gothiques.
de Louis XI, grand échanson de France et Breiz ». Parmi ces chants, on trouve la com-
sénéchal de Bretagne. La légende qui lui est plainte intitulée « Jenovefa Rustefan » : elle
attachée mérite d’être contée… narre les amours tragiques de Geneviève Le
Naour et de Yannick Flécher au château de
Il y a quelques longues années de cela, un Rustéphan.
dimanche matin où villageois et paysans de
Nizon assemblés sur le tertre du château dan- On raconte que les flles du seigneur Du Faou,
saient ridées et gavottes aux sons d’un couple déf à la beauté, « brillaient auprès de leurs com-
de sonneurs, une lueur illuminait violem- pagnes comme la lune près des étoiles ». La plus
ment une lucarne de la tour. Le spectre d’un jeune et la plus jolie, Geneviève, aimait d’un
homme, « tête chauve et yeux étincelants », amour passionnel Yannick Flécher du hameau
scrutait l’assemblée terrorisée. La légende se de Kerblez. Mais ce dernier ne pouvait entendre
répandit vite à tout le pays. ses appels désespérés, l’amour de Dieu étant
plus fort que tout. Après des années d’études
Les racines de la légende du prêtre- au séminaire et après avoir reçu les ordres à
fantôme de Rustéphan appartiennent au Quimper, il revint dans sa paroisse célébrer
très vieux fond de la littérature orale bre- son premier ofce. Geneviève se précipita dans
tonne. Au XIXe siècle, les folkloristes, ancêtres l’église et, implorante à ses pieds, hurla : « Au
de nos ethnologues, se lancent dans un nom de dieu ! Iann, arrêtez ! Vous êtes la cause,
patient travail de collectage en arpentant les la cause de ma mort ! » Depuis, le prêtre maudit
campagnes. Le vicomte Théodore Hersart de traînerait sa silhouette fantomatique dans les
La Villemarqué (1812-1895), linguiste établi décombres du château… •
montségur
l’ultime refuge
De tous les châteaux cathares, Montségur n’est pas le plus spectaculaire.
Mais le plus émouvant, certainement ! C’est là, au cœur de l’Ariège, que fut brisée
l’hérésie des « parfaits », dans les flammes d’un terrible holocauste, avant la chute
finale de Quéribus.
Jean-Daniel Sudres / Voyage Gourmand
Pointant au sommet
d‘un piton rocheux,
ou « pog », de
1 200 mètres,
surplombant une forêt
de cistes et d’épineux,
et le village, Montségur
fut partiellement rebâti
sur les bases des
fortifications qui
abritèrent les Cathares
jusqu’à leur reddition,
en 1243, après
dix mois de siège.
Qui put imaginer Pour qui a visité Peyrepertuse, la choix du site, sur un piton à 1 200 mètres,
qu’avec une telle
situation la forteresse « Carcassonne céleste », véritable ville dont rendait le lieu sûr, segurus. en grimpant
succomberait sous les les longs remparts jouent avec le vide, la jusque là-haut (comptez une bonne demi-
coups et la patience des
première vision de Montségur peut décevoir. heure quand même), on comprend mieux
assaillants ?
Ici, rien de grandiose : des murailles déchi- qu’il ait séduit l’église cathare, à la recherche
quetées d’où émerge la silhouette martyre d’un refuge pour ses derniers fidèles.
d’un donjon tronqué.
Reconstruit dès 1204, Montségur a parfaite-
Et pourtant… Lorsqu’on grimpe à l’assaut ment joué ce rôle jusqu’en 1243 : les troupes
du « pog » de Montségur, à travers une végé- de Louis IX décident alors d’attaquer ce nid
tation aride de cistes et d’épineux, l’imagi- d’hérétiques en représailles après l’attentat
nation travaille. Le sentier sur lequel vous d’Avignonet qui a coûté, l’année d’avant, la
posez vos pas ? Oui, c’est bien celui-là qu’ont vie à deux inquisiteurs, Guillaume Arnaud et
foulé les deux cents Cathares venus se réfu- Étienne saint-thibéry, mandatés par le pape.
gier dans la forteresse du maître des lieux, Mais la citadelle, qui épouse parfaitement le
Raymond de Péreille. Celui-là qu’ils descen- relief du pog, est bien défendue : les assail-
dront le 16 mars 1244 pour aller au bûcher lants s’épuisent et les catapultes, situées trop
destiné à ceux qui refusent d’abjurer leur foi. en contrebas, ne parviennent pas à entamer
Au demeurant, sur le côté du sentier, le visi- les murailles. La situation s’éternise plusieurs >
teur peut croiser une croix commémorative,
dressée en 1960 au sein d’un lieu dénommé
« Prats dels Crémats » (Champ des Brûlés). lorsqu’on grimpe
Depuis, elle est régulièrement fleurie.
à L’assaut du « Pog »
Le sentier se fait escarpé avant d’arriver au dE MontsÉguR, C’est
pied de la forteresse. Une petite porte, au sud : toute l’imagination
c’était le seul accès possible à Montségur. Le qui travaille...
Le château de Montségur,
qui fut le théâtre d'un
holocauste et de la
reddition des Cathares,
démontre, par sa situation,
à quel point la nécessité de
s'isoler, se réfugier, se
protéger a, dans l'Histoire
du Moyen Âge, animé les
hommes, lesquels ont pour
cela soulevé des
montagnes.
Bertrand Rieger/Détours en France
Le trésor enfoui ?
Lors de la reddition de Montségur, Hugues des
Arcis, à la tête des troupes royales, donna
plusieurs jours aux assiégés pour décider de
leur sort. Une clémence — inhabituelle à
Bertrand Rieger/Détours en France
2
viennent en pèlerinage à chaque solstice :
hasard de l’architecture ? Ils y voient plutôt
la preuve d’un culte rendu au soleil par les
Cathares. Les yeux perdus par l’échappée de
lumière, on se prend à rêver…
Château-
Gaillard
La fiLLe chérie de richard cœur de Lion
Cette forteresse aux allures de krak des Chevaliers a permis à Philippe Auguste de
s’emparer de la Normandie. Elle fut le témoin d’un siège implacable et peut-être de
l’assassinat d’une reine.
Au cœur du Vexin
normand, sur un éperon
rocheux dominant la
Seine 90 mètres en
aval, Château-Gaillard
rompt avec les schémas
habituels de l’époque
car constitué de
multiples volumes
emboîtés ou
indépendants. Objectif :
multiplier les obstacles.
Francis Cormon
Francis Cormon
après sept mois de siège, ils résistent tou-
jours, encerclés par le réseau de tours en 2
bois édifié par les Français. Philippe auguste
décide de lancer l’assaut.
1. Vue de la basse- La forteresse n’a guère été épargnée par
cour, la tour, à la
L’ofensive a commencé par la prise du bas- pointe de l’ouvrage, l’Histoire : Henri IV ordonna de la démanteler
tion, ouvrage avancé de forme triangulaire fut sapée par l’armée et autorisa un ordre de religieux des andelys
qui était défendu par cinq tours et un large de Philippe Auguste à se servir des pierres. Pourtant, château-
en 1204.
fossé. aujourd’hui, il ne reste qu’une des Gaillard reste impressionnant. Le donjon cir-
tours, la plus haute. Les Français réussirent à 2. La Seine, en culaire a encore fère allure et le rempart, ou
faire un trou dans la muraille en allumant un contrebas, est visible chemise, qui le protège est surprenant avec ses
par une brèche
feu dans une brèche et en faisant éclater les faite lors du murs festonnés : dix-neuf pans de mur arron-
pierres. De là, ils poursuivirent les assiégés démantèlement du dis qui se succèdent et donnaient moins de
mur de la chapelle,
repliés à l’intérieur de la première enceinte, au XIIe siècle. prise aux projectiles. Percés de meurtrières,
qui avait un talon d’achille : une fenêtre ils permettaient aussi de tirer de biais sans le
mal défendue. Les historiens affirment qu’il 3. La forteresse moindre angle mort. ce dispositif était très ori-
fut construite sur un
s’agirait d’une fenêtre de la chapelle, édifiée ginal à l’époque. on peut encore voir des restes
éperon rocheux de
par Jean sans terre, en dépit des règles de 200 m de longueur du logis du gouverneur, attenant au donjon.
sécurité. Mais violer un lieu de culte était mal sur 80 m de largeur, tout comme une autre prouesse des bâtisseurs
dominant la Seine et
vu à l’époque : les Français affirmèrent être le Petit-Andely. de château-Gaillard : un puits creusé dans la
rentrés par les latrines ! roche jusqu’à la nappe phréatique cent mètres
4. La chemise du plus bas. un exploit si on songe aux pauvres
donjon vue depuis la
Ne restait plus à faire tomber que la deuxième chapelle. Les festons moyens dont on disposait alors !
enceinte : les armées de Philippe auguste s’y de l’enceinte sont
attaquèrent à coup de catapulte et finirent inspirés des kraks des En déambulant dans les ruines, on songe
chevaliers qu’érigèrent
par tailler une brèche. Les assiégés n’eurent les Croisés en Syrie. aussi à Marguerite de Bourgogne, l’épouse
pas le temps de se réfugier dans le donjon et de Louis X le Hutin, qui fut enfermée ici
durent enfin se rendre. après la découverte de son adultère. Dans
Coll. Jonas/Kharbine-Tapabor
guerrier, qui n’avait rien de résidentiel, a dû
être cruelle. Maurice Druon, dans Les Rois
maudits, raconte qu’elle a été étranglée ici,
sur ordre de son royal époux, soucieux de
contracter une nouvelle union. La chose n’a
jamais été vérifiée : on n’a jamais retrouvé
la sépulture de Marguerite, que ce soit sur le
site du château ou au couvent des Cordeliers Les bouches inutiles
de Vernon, lieu auquel son statut de reine, Il n’y a pas que la reine étranglée ! Château-Gaillard a été le témoin d’un
autre épisode dramatique, tout à fait attesté, celui-là. Pendant le siège
même répudiée, lui donnait accès. Alors, de 1203, Roger de Lacy, soucieux d’économiser les vivres de la
Marguerite plutôt morte dans son château forteresse pour ses soldats, chasse les habitants des Andelys venus s’y
de Couches en Bourgogne ? Là non plus, pas réfugier : les malheureux vont errer entre les deux camps qui les
de trace de sépulture… Le mystère de la reine repoussent et la plupart vont mourir de faim et de froid. On signale
même des cas de cannibalisme. Philippe Auguste finira par être clément.
étranglée reste entier. Mais on raconte ici que Mais un millier de personnes ont ainsi péri dans l’épisode tragique des
certaines nuits, on peut apercevoir une sil- « bouches inutiles ». Il est illustré par un tableau signé Francis
houette errer dans les ruines et entendre un Tattegrain, visible à l’hôtel de ville des Andelys.
cri d’agonie… •
LES CHÂTEAUX
people NOHANT — GRIGNAN — BUSSY-RABUTIN
BÂTIE D’URFé — COMBOURG
photo-aerienne-france.fr
Les châteaux furent souvent lieux de refuge et d’inspiration pour les artistes en général,
les écrivains en particulier et, par le jeu de leurs connaissances et affinités,
de véritables carrefours intellectuels. Tour d’horizon des plus célèbres d’entre eux,
qui font la part belle à l’écriture.
I n t e rV I e w F Ic t I V e / F R A NÇ OIS-R E N É
DE ChatEaubRiaND
NOUS REÇOIT À COMBOURG
À mi-chemin entre Rennes et Saint-Malo, le château de Combourg dresse ses tours
médiévales au-dessus d’un vaste étang qui reflète remparts, chemins de ronde et hautes
toitures pointues, émergeant de frondaisons multiséculaires. En parcourant le parc à
l’anglaise, en visitant le château majestueux, il faut savoir que les lieux furent restaurés au
XèXe siècle dans un style néogothique factice, et que le jeune François-René vécut dans
une forteresse sinistre.
nous sommes dans le parc de combourg, le 8 août 1786 et de réprobation silencieuse bien pire à afronter. Mais devant
c’est un jeune homme de 18 ans qui nous reçoit, morose. le bonheur de ma sœur Lucile à me revoir, je n’ai rien regretté.
sa malle est bouclée ; il part le lendemain pour cambrai alors a commencé une période terrible. Depuis mon retour
rejoindre le régiment de son frère aîné : rien à faire, c’est un de Brest, j’ai passé le plus clair de mes journées à errer dans
ordre de son père. le parc, me préparant à afronter les soirées en famille.
Économies obligent, nous ne chaufons qu’une pièce, l’an-
D.e.F. — L’armée ? Nous aurions plutôt imaginé que vous cienne salle des Gardes. et là mon père fait les cent pas, inlas-
vous mettriez dans le sillage de votre père, qui fut pour- sablement, jusqu’à ce qu’il décide que l’heure du coucher
tant un grand marin… est venue. Mais cela n’est rien, du moins ai-je dépassé mes
F.-r. — Vous avez raison : dès l’âge de 16 ans, il a été moru- frayeurs d’enfant lorsque je devais afronter l’obscurité pour
tier à terre-neuve, et corsaire aussi. ce sont quelques rejoindre ma chambre. J’étais niché dans une espèce de cel-
belles prises d’ailleurs qui lui ont permis de redonner aux lule isolée en haut de la tourelle de l’escalier qui communiquait
chateaubriand la fortune qu’ils avaient perdue. et de fnancer de la cour intérieure aux diverses parties du château… Relégué
quelques navires qui ont été de bon rapport, puisqu’ils ont dans l’endroit le plus désert, à l’ouverture des galeries, je ne
permis à mon père d’acheter le domaine de combourg. Mais perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois le vent
la traite négrière n’est plus ce qu’elle était… nous n’avons plus semblait courir à pas léger ; quelquefois, il laissait échapper
les moyens d’entretenir le château. des plaintes ; tout à coup, la porte était ébranlée avec violence,
les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits
D.e.F. — Et vous voici donc militaire… expiraient pour recommencer encore.
F.-r. — après avoir voulu être marin, car le destin paraît s’y
être opposé. Imaginez-vous que, voici de cela trois ans, je D.e.F. — De votre enfance, vous ne gardez donc aucun
devais entrer aux Gardes de la marine. comme vous le savez, souvenir heureux ?
c’est ainsi que l’on rejoint le corps des ofciers. Je me suis F.-r. — Bien au contraire, ma mémoire en est remplie, mais
donc rendu à Brest, où à ma grande surprise la marine n’avait tous datent d’avant ma neuvième année, lorsque mon père
pas eu connaissance de mon brevet d’aspirant. J’ai attendu nous a emmenés vivre à combourg. Jamais je n’oublierai
quelque temps, rien n’est venu, et le désir m’a pris de retrou- saint-Malo.
ver combourg.
D.e.F. — Racontez-nous…
D.e.F. — Votre père a dû être furieux ? F.-r. — Un des premiers plaisirs que j’ai goûtés était de lutter
F.-r. — Précisément, je m’étonne encore qu’avec la frayeur contre les orages, de me jouer avec les vagues qui se retiraient
qu’il m’inspirait j’aie osé prendre une telle décision. Mais au devant moi ou couraient après moi sur la rive. Il faudrait que
lieu de se mettre en colère il a afché une sorte de douceur, je vous conte par le détail les grandes marées hautes que
mes camarades et moi passions installés au sommet des vêtu comme eux, déboutonné et débraillé comme eux… J’avais
troncs de chêne plantés dans le sable devant les digues afn le visage barbouillé, égratigné, meurtri, les mains noires. Ma
de casser l’impact des vagues. Un jour, toute une rangée de fgure était si étrange que ma mère, au milieu de sa colère, ne
jeunes enfants ainsi perchés se serait efondrée à la mer, pro- se pouvait empêcher de rire et de s’écrier : « Qu’il est laid ! »
voquant l’ire des parents et des bonnes qui me poursuivirent Un jour, il faudra que j’écrive tout cela. Ces souvenirs com-
jusqu’à notre demeure, place Saint-Vincent. Les polissons de poseront comme des… Mémoires d’outre-tombe. •
la ville étaient devenus mes plus chers amis : j’en remplissais la
cour et les escaliers de la maison. Je leur ressemblais en tout ; Propos recueillis par Dominique Le Brun.
je parlais leur langage ; j’avais leur façon et leur allure ; j’étais Les phrases en italique sont extraites des Mémoires d’outre-tombe.
nohant
l’éden de la Vallée noire
Nohant-Vic, village d’à peine 500 âmes, dans le profond du pays berrichon, au cœur de
la Vallée noire, « patrie du calme et du sang-froid où tout est tranquille, patient,
lent à mûrir ». George Sand y vécut dans le « château » de sa grand-mère paternelle, y
savourant une enfance et une vieillesse heureuses. Elle offrira surtout à Nohant un écrin pour
l’éclosion du romantisme européen, recevant des hôtes de renom.
« Le château, si château il y a (car ce n’est que celle qui dut prendre un nom d’homme
qu’une médiocre maison du temps de Louis XVI), pour pouvoir vivre pleinement sa vie de femme
touche au hameau et se pose au bord de la place composera une grande partie de son œuvre
champêtre sans plus de faste qu’une habitation romanesque (dont ses « romans champêtres »,
villageoise », écrit, dans Histoire de ma vie, La Mare au diable, La Petite Fadette, François le
amandine aurore Lucile Dupin (1804-1876), Champi ou Les Maîtres sonneurs), de sa foison-
baronne Dudevant, qui passera à la postérité nante correspondance (plus de 20 000 lettres)
pour son œuvre littéraire sous le nom de George et qu’elle vivra ses plus intenses moments de
sand. et de poursuivre : « Cette construction, créativité, d’amour et d’amitié.
médiocrement spacieuse pour une maison de
campagne et infniment trop petite pour être Une fois avoir poussé le portail bleu, une
un château. Mais, telle qu’elle est, elle s’est prêtée longue allée feurie d’hortensias mène au seuil
à nos besoins, à nos goûts et aux nécessités de de la demeure. Dans le hall, les murs rose et bleu
nos occupations : nous avons trouvé moyen ciel imitent le marbre, procurant au lieu un air
d’y faire deux ateliers de peinture, un atelier de de décor de théâtre. un théâtre, il y en eut un
gravure, une petite bibliothèque, un petit théâtre vrai. George sand écrivit 70 pièces et les pro-
avec vestiaire et magasin de décors. » duisit dans le théâtre de marionnettes qu’elle
avait fait installer. La salle à manger arbore un
C’est cependant dans cette grande et petit côté rustique et c’est sous le lustre en verre
modeste maison bourgeoise du XVIIIe siècle de Murano, qu’elle acquiert à Paris bien après
son séjour à Venise avec alfred de Musset, que
ses convives — Franz Liszt, Marie d’agoult,
Une femme libérée eugène Delacroix, Gustave Flaubert, Honoré
Aurore Dupin voit le jour à Paris en 1804. À la mort de son père, de Balzac ou théophile Gautier — festoyaient
Maurice Dupin, elle n’a que 4 ans. Elle est alors confiée aux bons soins de
sa grand-mère paternelle, veuve Marie-Aurore Dupin de Francueil, qui et « réenchantaient » le monde. Dans le bou-
l’élève dans la grande demeure de Nohant. Après un passage au couvent doir se trouve son bureau, lové dans un placard
afin de parfaire son éducation de « petite campagnarde », elle épouse en où elle passait nuitamment de longues heures
1822 François Dudevant, dit Casimir. De leur union naissent Maurice et à noircir des dizaines de pages. À l’étage, de
Solange, avant que le mariage échoue et qu’Aurore déserte Nohant pour
Paris. Logée sous les toits avec sa fille, elle trouve une raison de vivre en la fenêtre de sa chambre, le parc s’ofre à la
écrivant. Une femme, à cette époque, n’ayant aucune chance de trouver vue avec en point de mire deux cèdres majes-
un éditeur, elle prend en 1832 le pseudonyme de George Sand. Celle qui tueux plantés pour la naissance de son fls
s’habille en homme, écrit des romans brûlots anti-mariage et ne cache
Maurice (1823) et de sa flle solange (1828). au
pas ses nombreux amants ni quelque amour saphique avec la
comédienne Marie Dorval, devient vite une « scandaleuse ». Après un bout d’un long couloir se trouve la chambre
difficile procès la séparant définitivement de Casimir, elle recouvre le de ses petites-flles — aurore et Gabrielle —
droit de retourner à Nohant, qu’elle ne quittera plus. Elle y meurt le 8 juin qui s’éteindront dans la maison de nohant ne
1876 ; elle repose dans le petit cimetière de Nohant sous un if séculaire.
laisseront aucune descendance à « la bonne
dame de nohant » •
Grignan est à l’étroit sur son promontoire. Car on vient ici pour l’architecture mais
Quand on le contemple depuis les champs de aussi pour le souvenir de Madame la Marquise…
lavande qui entourent le village, on se demande Marie de rabutin-chantal, épouse du marquis
comment un édifce aussi monumental a pu de sévigné, n’en était pas la propriétaire : mais
tenir dans si peu d’espace ! au fl des siècles, en bonne mère, elle venait très régulièrement
les propriétaires successifs ont dû faire preuve rendre visite à sa flle Françoise, mariée au comte
d’ingéniosité pour transformer cette forteresse de Grignan, gouverneur de Provence. ce qui
du XIIIe siècle en demeure de plaisance : l’en- ne l’empêchait pas de lui écrire abondamment
semble est disparate mais en impose ! c’est ce puisque sa flle est la principale destinataire des
que pensait Walter scott, qui écrivit dans sa pré- fameuses Lettres. c’est d’ailleurs à Grignan que
face à Quentin Durward : « Quiconque se trouve mourut la marquise, en 1696 : son tombeau est à
à 40 milles du château de Grignan… ne peut se l’église du village, ancienne chapelle du château.
dispenser d’y faire un pèlerinage. »
Grignan connut son heure de gloire du
temps de la marquise : le comte et la com-
Les pérégrinations tesse y menaient grand train. Les siècles sui-
d’un crâne vants furent moins heureux pour le château :
Madame de Sévigné fut-elle en ruine dès la révolution, il fut sauvé en 1912
victime de sa célébrité, même
morte ? Toujours est-il que sa
par une femme. Marie Fontaine, veuve richis-
tombe, située dans la sime, le racheta et entreprit de le reconstruire à
collégiale, fut vandalisée en l’identique, s’aidant de croquis de l’époque. une
1793 par la société populaire heureuse renaissance, due à la passion de Marie
de Grignan. L’un des
profanateurs s’empara d’une Fontaine pour Madame de sévigné et son œuvre.
mèche de cheveux, un autre on ne peut que remercier Marie Fontaine et sa
d’une côte, un troisième d’une passion pour Madame de sévigné en admirant la
dent, qu’il monta en bague… belle façade renaissance au sud, la cour du Puits
Quant à son crâne, il aurait
disparu dans d’étranges et son bassin, l’aile des Prélats du XVIIe siècle. La
circonstances : un amateur de terrasse, construite sur le toit de la collégiale, ofre
phrénologie l’aurait fait scier un panorama inoubliable sur la région, du mont
et envoyer à Paris pour être
Ventoux aux dentelles de Montmirail.
examiné. Mais des travaux
réalisés dans la collégiale en
2005 ont mis à jour un crâne Que cela ne vous dispense pas d’une visite
scié que des analyses ont des intérieurs : dans les appartements pri-
© Angelo/Leemage
1
Camille Moirenc/Détours en France
1. Les lignes
2 architecturales
prirent une tonalité
Renaissance sous
l’impulsion de
Gaucher Adhémar,
au service de Louis XI.
2. Les formes de
l’édifice, magnifiées par
les champs de lavande
en contrebas, ne
démentent pas l’origine
provençale des lieux.
Laran/Colorise
Bussy-RaButiN
le palais attaChant d’un libertin en exil
Il était militaire, courtisan, écrivain à la plume — trop — impertinente. Exilé par
Louis XIV, Roger de Bussy-Rabutin a reconstitué dans son château de la Côte-d’Or
l’univers de la cour qui ne voulait plus de lui. Un décor étonnant, peuplé de tableaux
et ponctué de maximes étranges.
N
Nous sommes en 1665. La publication de 25 DamEs DE La cour,
L’Histoire amoureuse des Gaules fait l’efet d’une
bombe à la cour de Louis XIV : l’auteur, roger
reines ou favorites,
de rabutin, comte de Bussy, y décrit avec inso-
accompagNaiENt sEs soNgEs.
lence les mœurs galantes de ses contemporains.
si l’on ajoute à ça l’épisode de roissy en 1659, où
rabutin, en pleine semaine sainte, a, lors d’une 1. Le plafond du duc de Guise, Jean sobiewski roi de Pologne,
cabinet de la Tour
soirée bien arrosée, chanté des cantiques obs- et lui-même, petite coquetterie du propriétaire
dorée au style
cènes et baptisé un cochon, on comprend que le Renaissance, réunit des lieux. sous les fenêtres, des devises encore,
courtisan bourguignon ne soit plus en odeur de les portraits de femmes concernant une femme : « Elle fuit le mauvais
que Bussy affirme
sainteté ! Le voilà contraint de s’exiler dans son avoir aimées. temps », « Elle attire pour perdre » : elles évoquent
château près de Montbard pendant dix-sept ans. la marquise de Montglas, maîtresse de Bussy, qui
2. La façade et le quitta à son exil : Bussy lui en voulut beaucoup.
ses deux ailes,
Entouré d’un grand parc, au fond d’un qui encadrent
vallon, le château familial a belle allure, mais la cour d’honneur, Dans sa chambre, Bussy a choisi d’être
sans ostentation. un écrin de fossés en eau le sont ponctuées de bien entouré : 25 dames de la cour, reines ou
quatre tours rondes.
pare d’une certaine mélancolie. c’est le grand- favorites, accompagnaient ses songes, agnès
père de roger qui le rachète en 1602 et en fait 3. Le maître des lieux, sorel, ninon de Lenclos, Madame de Maintenon…
reconstruire une partie. Quatre tours, un corps lui-même, a rendu Dans la tour dorée, Bussy, représenté en empe-
de logis principal et deux ailes : le château tel que hommage à reur romain, est entouré de ses maîtresses et
65 combattants en
vous l’avez sous les yeux est celui qui accueillit faisant peindre leurs bonnes amies, qui lui ont donné leur portrait :
Bussy pour son long exil. La façade principale est portraits, qui furent sous chacun d’eux, le libertin et homme de lettres
exposés dans la salle
classique, avec ses colonnettes, ses pilastres et ses des hommes de guerre. a ajouté un commentaire de son cru… Il s’est aussi
niches, vides : elles l’ont toujours été, la famille ofert une galerie des rois de France, qui conduit
n’ayant pas eu assez d’argent pour les habiller à la chapelle : trente tableaux d’Hugues capet à
de statues. De part et d’autre, les ailes sont du Louis XIV, évidemment commentés par Bussy.
XVIe siècle et marquées par la mode italienne :
arcades en anse de panier, décor de rinceaux, Nostalgie pour la vie militaire, regret de
grotesques et têtes d’ange. la cour, ressentiment pour le roi, amour des
Mais c’est surtout le décor intérieur qui marque le femmes mais aigreur pour celle qui l’a trahie,
visiteur. Il a été entièrement repensé par Bussy- c’est tout cela qu’évoque le château de Bussy :
rabutin, qui en parle ainsi : « Les dedans sont l’univers d’un homme blessé. c’est aussi ce qui
d’une beauté singulière, et qu’on ne voit point rend sa visite émouvante. •
ailleurs. » Portraits, panneaux et boiseries peints
sont présents dans toutes les pièces : ce n’est pas
la qualité des œuvres qui importe — Bussy a sans
doute fait appel à des artistes locaux, faute de
moyens — mais plutôt leurs sujets. La divine cousine
Parmi les femmes qui ont compté
Dans le cabinet des devises, des châteaux pour Bussy-Rabutin, sa cousine,
et monuments, dont certains disparus, des Madame de Sévigné, née
panneaux allégoriques, des devises illustrées Madame de Rabutin-Chantal.
composent un curieux mélange : comme la Elle partageait avec lui l’amour de
l’écriture et les plaisirs de l’esprit.
représentation de cet escargot, « Je me referme Elle lui refusa les autres, ce qui
en moi-même », de cet oignon, « Qui me mordra inspira à Bussy cette inscription,
pleurera », ou de ce roseau « Je plie et ne romps qu’on retrouve au château :
pas ». Difcile de ne pas y voir des allusions à « Plus elle est froide, plus je
m’enflamme. » Son portrait,
Bussy lui-même et à sa situation d’exilé, d’au- entouré de celui de Madame de
tant que ces panneaux entourent un portrait de Grignan et de Louise de Rouville,
©Rue des Archives/Tallandier
Arnaud Chicurel/hemis.fr
2 3
Jean Bernard/Leemage
Jacass/Colorise
La Bâtie d’Urfé
Le paLais itaLien d’un humaniste
Où trouve-t-on un château tout blanc aux allures de palazzo, une grotte de rocaille,
un sphinx, et le premier roman-fleuve de la littérature française ? Au cœur du Forez,
dans le château d’Honoré d’Urfé, auteur de « L’Astrée », chef-d’œuvre du roman précieux.
1. Sous la rotonde du
parc, la fontaine de
la vérité d’amour,
qu’évoque Honoré
d’Urfé dans son roman
« L’Astrée ».
Luc Olivier
Pratique : 42130 Saint-Étienne-le-Molard Tél. : 04 77 97 54 68. Visite guidée des intérieurs, libre et gratuite
des jardins Renaissance. Et du 1er au 27 juillet, troisième édition de l’Estival de la Bâtie : théâtre, musique, danse et cirque.
Plus d’infos sur www.loire.fr/jcms/c_561852/bienvenue-au-chateau-de-la-batie-d-urfe.
Combourg
naissance d’un écrivain romantique
Un château breton, austère, granitique et peut-être même hanté.
Un petit garçon sensible et doué. C’est à la rencontre de ces deux-là que nous
devons un grand écrivain et une des plus belles œuvres de la littérature française.
En bordure du « Lac
tranquille », cette
construction massive de
pierre et recouverte
d’ardoises, fut amorcée
au XIe siècle à la demande
de l’évêque de Dol.
Arnaud Chicurel/hemis.fr
Mue par cette Pour voir dans le château de Combourg un fut installé au XIXe. Il faut dire que combourg
apparente puissance,
d’une beauté froide, char à quatre roues, il faut bien avoir l’ima- fut plutôt malmené pendant la révolution, au
inquiétante mais solide, gination d’un enfant ! Le petit François-rené de grand désespoir de l’écrivain : « Le berceau
l’aura de Combourg chateaubriand n’en manquait pas, et la sienne de mes songes a disparu comme ces songes »,
aura façonné jusqu’à
l’écriture de se trouva exacerbée en 1776 à la première vision écrit-il lors de son dernier séjour en 1801. Il faut
Chateaubriand. du château que son père avait acquis quelques attendre le milieu du XIXe pour que l’intérieur soit
années auparavant. Il faut dire que la forteresse restauré, dans un esprit néogothique inspiré par
est d’une beauté sévère, avec ses hautes murailles Viollet-le-Duc.
de granit et ses solides tours en poivrière. un
château de soldats, édifé dès le XIIIe siècle. Pas L’intérieur n’est donc pas celui que connut
un château de contes de fées pour faire rêver les l’écrivain. Pourtant, on ne peut s’empêcher
enfants. Pourtant, c’est cette rudesse même, de de l’imaginer ici ou là, lui ou les membres de sa
l’aveu de chateaubriand, qui a forgé l’homme famille : la chapelle, où allaient prier sa mère et
et l’écrivain, chantre du romantisme : les plus sa sœur ; le grand salon où fotte le souvenir de
belles pages des Mémoires d’outre-tombe en son père, fgure pâle et autoritaire : la salle des
témoignent. archives, aujourd’hui occupée par le mobilier de
son dernier lieu de vie, rue du Bac à Paris. on
Bâtie au XIe siècle par l’évêque de Dol- peut y voir sa table de travail, son fauteuil et le lit
de-Bretagne, la forteresse a appartenu où il mourut en 1848, ainsi qu’un chat sculpté que
aux Du Guesclin avant d’échoir à la famille lui ofrit son amie, Juliette récamier.
chateaubriand. Les parties les plus anciennes
datent du XIIIe siècle, telle la tour du Maure, qui Mais la pièce la plus émouvante est la
fut le donjon. La façade et les autres tours s’éche- chambre qu’occupait le jeune François, au der-
lonnent sur les deux siècles suivants. oui, l’exté- nier étage de la tour du chat. c’est là que le petit
rieur du château que vous avez sous les yeux est garçon devait se rendre chaque soir, en emprun-
à peu de chose près, celui qui berça l’enfance de tant seul le chemin de ronde, la trouille au ventre.
chateaubriand. une exception : le perron, qui car l’endroit, selon l’histoire familiale, était
hanté. et loin de le rassurer, son père lui impo-
sait cette épreuve initiatique, se moquant de ses
« Le BerCeau De Mes songes a peurs. « Il m’aurait fait coucher avec un mort »,
DIsParu CoMMe Ces songes », écrit chateaubriand. Des mots qui, aujourd’hui
écrit chateaubriand. encore, font frissonner. •
YannickLe
Yannick Gal/onlyfrance.fr
LeGal/onlyfrance.fr
2 1. au sommet d’une
3
petite butte parsemée
d’arbres, l’édification de
Combourg s’étale entre
les XI et XVe siècles.
2. La statue de
l’auteur des
« Mémoires d’outre-
tombe », aux abords du
Yannick Le Gal/onlyfrance.fr
domaine, immortalise
une figure essentielle du
romantisme.
VICTOIRE BIèRE
IMPÉRIALE BLONDE
ELLE LE MEILLEUR
FONCTION- CHEVEUx L’ANTRE
COUVRE INVENTEUR
NAIRE REBELLES DE BARBE LES
BLEUE D’UNE
ÉPAULES MÉTHODE
DEVANT RENDIT
LE PAPE PLUS JOLI
6
GENRE DIVINITÉ SU-
PARFUMA MÉRIENNE
UNE LITTÉRAIRE
BOISSON SUR
PRONOM LA TILLE 2
SUPPORT DE PRISON DES
BOUTEILLES TEMPLIERS
ACCRO-
3 CHERA PRÉPOSITION
LE LA BASTIE LE PATRON
THALLIUM D’… RACCOURCI POINTS
EN FOREz N’ADMET- OPPOSÉS
APAISÉ L’ARGON TRA PAS
DANS LE 37
(LE-RIDEAU)
IL EST ÉTAIN JOYAU
DE FOUqUET
(LE-VICOMTE)
IDÉAL INTERRUP- SOLUTION
TION DE Le mot est : LUNÉVILLE
ÉTÉ ACTIF RIVIèRE GROSSESSE I G N A N A x E G R
D’ASIE CEN- APRèS
9 5
L M R E C R U E U
TRALE WASHINGTON I S E D E A N A G
PRONOM MYTHE
R E V E I V G E
Y A S A G I S N A z A S
RÉFLÉCHI DU CINÉMA S N L U R F E S T T
(JAMES)
Richard Soberka/hemis.fr
LE MAGNÉ- S R I S A I G I S O A N
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