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HORS

SERIE
COLLECTION

châteaux de légende

aires de
Les itinér

eaux de

Forteresses cathares, trÉsors des teMpliers, aMours les chât


legend
e
vos
royales clandestines, deMeures hantÉes, repaires itinÉraires
avec la carte
d’alchiMistes… ENTREz daNS La LégENdE Michelin
dÉtachable
Bertrand Rieger / Détours en France x2 - Chicurel Arnaud / Hemis - Ph. Guignard/air-images «châteaux
de lÉgende»
L 19807 - 26 H - F: 6,90 € - RD
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Ē d i t o

Histoires à dormir debout ?

Stephane Compoint
L
d o m i n i q u e r o g e r r é d a C t e U r e N C H e f

Demeure royale et symbolique, le château de Chambord dresse "ses dômes bleus, ses élégants minarets, ses flèches légères que le vent balance"
au cœur de la forêt solognote.

Le « tour de France » des châteaux dans LequeL nous maison d’hôte, genre « Relais & Châteaux », architecture
vous entraînons est une incursion dans le monde de toute de granit, parc aux arbres séculaires, étang aux eaux
la légende. Qu’elle soit tissée à l’abri des hauts murs cré- mystérieuses. Les propriétaires, après les civilités d’usage,
nelés et des donjons de forteresses médiévales, théâtres nous font les honneurs des lieux. Histoire, généalogie,
d’épopées guerrières ; qu’elle soit ourdie dans les alcôves, anecdotes… on sait tout. Enfn, pas exactement. Sous le
antichambres ou boudoirs de demeures de plaisance plafond à caisson du petit salon, des sculptures. Des anges
Renaissance ou érigées en un Grand Siècle si avide d’éso- bien étranges dévoilant à l’initié qu’il se trouve, là, dans une
térisme, ou qu’elle soit le produit de quelque géniale folie demeure philosophale. Et que les supposés « anges » sont
architecturale édifée autant par déf que pour servir d’écrin porteurs d’un rébus énigmatique représentant les étapes de
à de brûlantes passions amoureuses, la légende est la clef la réalisation du Grand Œuvre : le feu et l’eau, le mercure et
qui déverrouille l’antre des secrets, les lourdes malles au le soufre, matras et athanor. Et certaines nuits, nous glisse
trésor. En fligrane, elle raconte les petites et les grandes à l’oreille notre hôte, d’entendre un soufe rauque et des pas
histoires. Elle peut même vous embarquer à travers une lourds résonner sur les dallages et les parquets. Incrédules et
France hallucinée et hallucinante. Vous en doutez… moqueurs, nous n’allions pas tarder, nous les « hommes de
raison », à vivre, entre sueurs froides et gorge sèche, l’une
vous devez être comme moi : Les châteaux hantés, ce des pires nuits de notre existence.
n’est pas pour vous ! Des balivernes juste bonnes à ali-
menter les scénarios de flms « à grands frissons ». Trop ah ! j’oubLiais de vous révéLer où ce troublant firt avec
rationnel pour céder à un efroi… aussi irrationnel ! Et puis… cet autre monde s’est déroulé. Mais, de ce rendez-vous, une
Et puis, il y a eu ce château en Bretagne. Imaginez une voix venue de nulle part m’a demandé de ne pas en dire plus…

participĒ
i L s o n t

Ā C e N U M Ē r o

Dominique Le Brun, Sophie DeniS, jouRnaliSte


jouRnaliSte, ÉCRivain C’est dans le pays d’eugène le Roy et
les hasards des rencontres ont amené de « jacquou le Croquant », sur cette terre
Dominique le Brun, spécialiste de la Bretagne et périgourdine qu’elle a tant explorée, que
familier des écrivains, à nous offrir un scoop Sophie Denis a été « prise au piège »
Philippe Roy

étonnant : une interview de François-René de du château de jumilhac. en cette demeure


Chateaubriand, qui lui a exceptionnellement ouvert Renaissance d’un alchimiste a-t-elle approché
les portes du château de ses jeunes années. les secrets de l’athanor…
DR

hors-sĒrie | LES CHâTEaux DE LÉGEnDE 3


SOMMAIRE

P.28

Bertrand Rieger/Détours en France


Sylvain/Colorise
P.50
6 Châteaux Châteaux
sur La Carte
des Châteaux de Guerre 16 pLaisir 40
de LÉGende…
renContre renContre
jacqueS le gOff 18 chantal thOMaS 42
8 château de fOugèreS
Châteaux, château de
entrez dans Gardienne de BretaGne 20 Vaux-le-VicOMte
La LÉGende si vaux m’Était ContÉ… 44
château du haut-
KœnigSbOurg Le rêve fou
10 d’un empereur 24
château d’azay-le-rideau
Le diamant de L’indre 50
portfoLio
château d’anjOny château de lunéVille
128 Le donjon voLCanique 28 Le paLais ressusCitÉ 54
mots fLÉChÉs
château de PierrefOndS château de cOrMatin
un rêve de moyen âGe 30 un Bien prÉCieux tÉmoin 56

château de bOnaguil château de chenOnceau


La fin d’un monde 34 La sÉduCtion au fÉminin 58

château de jOux château de laVardenS


quand un nid d’aiGLe Le marÉChaL amoureux 64
une partie de cette édition devint prison 36
comprend, pour le kiosque :
un encart collé détours en france - château d’anet
détours en histoire.
une BeautÉ renaissanCe 66
4 DĒtours en France
HORS-SÉRIE
P.84 P.114
Franck Charel/Détours en France

Hervé Champollion/akg-images

Philippe Renault/hemis.fr
P.96
Châteaux Châteaux Châteaux
seCrets 70 maudits 88 peopLe 110
renContre renContre renContre fRançOiS-René
Claude aRz 72 PHiliPPe duRand 90 de CHateauBRiand
interview fiCtive 112
CHâteau du PleSSiS-BOuRRé CHâteau de tiffauGeS
L’énigme du L’antre de barbe bLeue 92 CHâteau de nOHant
pLafond peint 74 L’éden de La vaLLée noire
CHâteau de tRéCeSSOn 114
CHâteau de GiSORS Le drame de La dame
L’énigme du trésor CaChé bLanChe 96 CHâteau de GRiGnan
des tempLiers 78 bienvenue Chez
CHâteau de RuStéPHan madame La marquise 116
CHâteau de JumilHaC La maLédiCtion 98
La demeure d’un CHâteau de BuSSy-RaButin
aLChimiste 80 CHâteau de mOntSéGuR Le paLais attaChant
L’uLtime refuge 100 d’un Libertin en exiL 118
CHâteau de BRézé
Le Château aux deux CHâteau-GaillaRd CHâteau de la Bâtie d’uRfé
visages 84 La fiLLe Chérie de riChard Le paLais itaLien d’un
Cœur de Lion 106 humaniste 122

CHâteau de COmBOuRG
naissanCe d’un
éCrivain romantique 124

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 5


sur la carte
des cHâteaux de
lÉgende…
Avez-vous déjà entendu parler de la légende du chat et de
la jambe-fantôme ? De celle de la Dame blanche ? Saviez-
vous que Diane de Poitiers menait une tumultueuse double
vie à l’abri du palais de Chambord ? Que la trace du trésor
des Templiers hantait encore certains sombres souterrains
de châteaux ? Envie d’en savoir plus ?
Repérez sur notre carte vos prochaines découvertes…

• AlsAce/BAs-Rhin : Haut-Kœnigsbourg
• AquitAine/DoRDogne : JumilHac
• AquitAine/lot-et-gARonne : bonaguil
• AuveRgne/cAntAl : anJony
• BouRgogne/côte-D’oR : bussy-rabutin
• BouRgogne/sAône-et-loiRe : cormatin
• BRetAgne/ille-et-vilAine : combourg
• BRetAgne/ille-et-vilAine : Fougères
• BRetAgne/FinistèRe : rustÉpHan
• BRetAgne/MoRBihAn : trÉcesson
• centRe/euRe-et-loiR : anet
• centRe/inDRe : noHant
• centRe/inDRe-et-loiRe : azay-le-rideau
• centRe/inDRe-et-loiRe : cHenonceau
• FRAnche-coMté/DouBs : Joux
• hAute-noRMAnDie/ euRe : cHâteau-gaillard
• hAute-noRMAnDie/euRe : gisors
• ile-De-FRAnce/seine-et-MARne : Vaux-le-Vicomte
• loRRAine/MeuRthe-et-Moselle : lunÉVille
• MiDi-PyRénées/ARiège : montsÉgur
• MiDi-PyRénées/geRs : laVardens
• PAys De lA loiRe/MAine-et-loiRe : brÉzÉ
• PAys De lA loiRe/MAine-et-loiRe : le plessis-bourrÉ
• PAys De lA loiRe/venDée : tiFFauges
• PicARDie/oise : pierreFonds
• Rhône-AlPes/DRôMe : grignan
• Rhône-AlPes/loiRe : la bâtie d’urFÉ
Anne Steinlein / Détours en France

6 DĒtours en France
HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 7
Châteaux
entrez dans la légende
Ils sont médiévaux et leurs archères semblent encore menaçantes,
leurs ponts-levis des invites à montrer patte blanche, leurs herses
impressionnantes. Ils sont nés à la Renaissance et leur élégance n’a
d’égal que la douceur de vivre et les plaisirs qui abritèrent amours
clandestines et brûlantes passions. Ils sont de toutes les époques et
gardiens de mystères. On dit même que certains seraient toujours
« habités » d’âmes noires et de dames blanches… Pour entrer dans
le monde secret des légendes qui ont « fait » la petite et la grande
histoires des châteaux, voici un trousseau de clefs. À vous d’en
trouver le mode d’emploi…

La Carcassonne céleste.
Peyrepertuse, dans l’Aude, est très
spectaculaire : elle occupe un éperon
rocheux de 300 mètres de longueur
sur 60 de largeur, avec 2,5 kilomètres
de remparts ! Au contraire de
Montségur, elle ne fut jamais assiégée
et s’est simplement soumise avec la
reddition de son seigneur, Guillaume
de Peyrepertuse. Elle devint
possession française en 1240 et,
comme Quéribus, Termes, Aguilar et
Puylaurens, hérita du surnom de
« fils de Carcassonne ».

8 DĒtours en France
Bertrand Rieger

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 9


Châteaux
de légende

10 DĒtours en France
Chambord ou le songe réalisé
« Ce palais est enfoui comme un trésor ; mais à ses dômes
bleus, à ses élégants minarets, arrondis sur de larges murs
ou élancés dans l’air, à ses longues terrasses qui dominent
les bois, à ses fèches légères que le vent balance, à ses
croissants entrelacés partout sur les colonnades, on se
croirait dans les royaumes de Bagdad ou de Cachemire… »
Bertrand Rieger/Détours en France

s’extasiait Alfred de Vigny dans Cinq-Mars. Dans ce


château, élevé par un prince qui l’avait consacré à ses
royales amours, François Ier ne séjournera qu’une poignée
de jours en trente-deux ans de règne. Sous les marbres
des voûtes ornées de F avec la salamandre entourée d’une
famme, Diane de Poitiers, la maîtresse infdèle, organisait
ses galants et secrets rendez-vous…

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 11


Châteaux
de légende

Un philosophe bien dans ses vignes


Le château de La Brède (Gironde) vit naître Charles-Louis de Secondat, baron
de la Brède et de Montesquieu (1689-1755). Entouré de vignobles situés dans
les Graves, le château date du XIVe siècle et afche, tout en style gothique,
un système défensif avec des douves en eau. Montesquieu y vivra une grande
partie de sa vie et y écrira Les Lettres persanes et De l’esprit des lois. Dans l’image
du seigneur de La Brède, gentilhomme campagnard, la part du cliché ne cache
pas une grande part de vérité. Le penseur bordelais aime sa liberté, revendique
un goût pour les choses simples et arbore « une gaieté douce et une vivacité
toujours égale », veille autant sur ses œuvres littéraires et philosophiques
que sur ses arpents de vigne, ses chais et ses cuviers.
12 DĒtours en France
Arnaud Chicurel/hemis.fr

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 13


Châteaux
de légende

Où il est questiOn d’une Belle


et d’un prince charmant…
« Ce château est composé d’une très grande quantité de bâtiments, où l’on monte par de
magnifques perrons en terrasse, et de loin il a une très grande apparence, on le prendrait
volontiers pour une petite ville (…) Tout y respire le grand seigneur… », se souvenait Voltaire,
qui séjourna plusieurs mois, à l’hiver 1722, au château d’Ussé (XVe-XVIIe siècles), à Rigny-Ussé
(Indre-et-Loire), à l’invitation de son ami Louis Bernin de Valentinay. Mais c’est un autre homme de
lettres qui va inscrire son nom au frontispice de l’édifce, un certain Charles Perrault. Cet écrivain
tourangeau popularisera la mode des contes et du merveilleux en vogue au XVIIe siècle. L’une de
ses œuvres devenue un grand classique, La Belle au bois dormant, lui aurait été inspirée par le
château d’Ussé, dans lequel il avait ses entrées.
Arnaud Chicurel/hemis.fr

14 DĒtours en France
HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 15
LES CHÂTEAUX
DE GUERRE
FOUGÈRES — HAUT-KŒNIGSBOURG — ANJONY —
PIERREFONDS — BONAGUIL — JOUX

Majestueux, épiques, cinématographiques… les qualificatifs sont nombreux dès qu’il s’agit
d’évoquer ces forteresses quasi imprenables dispersées sur tout
notre territoire. Œuvres de « fous géniaux », elles témoignent d’une créativité débordante,
souvent empreinte d’une indéniable mégalomanie.
Bertrand Rieger/Détours en France

16 DĒtours en France
Le château du Haut-
Kœnigsbourg, qui se
dresse au-dessus de
la forêt des Vosges à
près de 750 mètres
d’altitude, a été conçu
par l’architecte allemand
Bodo Ebhardt comme
un écrin à la gloire de
l’empereur Guillaume II.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 17


Châteaux
de légende

J a c q u e s

Le GoFF
« Le château fort, La fécondité d’un imaginaire »
Le château fort ? L’une des « merveilles » du Moyen Âge, selon Jacques Le Goff !
Pour le célèbre historien, la longévité de cet édifice dans nos esprits montre l’incroyable
force créatrice de l’époque.
Dans Héros et merveilles du Moyen Âge (Seuil, 2005), image devient très négative pendant la renaissance : elle
vous faites apparaître le château fort comme l’une des renvoyait à celle de guerriers primitifs, de gens qui ne se
trois merveilles médiévales avec la cathédrale et le soucient pas de l’agrément de la vie tel qu’on le concevait à
cloître. Quel est leur point commun ? la renaissance. une opposition frappante que l’on observe
Les trois combinent une fonction sociale, une signifcation parfaitement à Langeais : côte à côte, le donjon féodal et le
symbolique et une attitude artistique. si le miracle est château renaissance. ce dernier apparaît comme l’habita-
divin, la merveille est, elle, bien humaine. La merveille tion civilisée des puissants par rapport à l’habitation sauvage
– du latin mirari – renvoie à la vue ; littéralement, elle « fait des anciens chevaliers. La vision sera tout autre au xixe siècle
ouvrir grand les yeux de l‘homme ». et tous trois ont en avec le romantisme qui découvre le Moyen Âge. Le château
commun d’être des espaces fermés, comme un rappel du apparaît alors comme une construction de rêve, qui, chez
jardin clos et du paradis. certains, peut prendre un aspect paradisiaque, comme on le
voit avec les constructions moyenâgeuses extraordinaires
Mais le cloître et la cathédrale sont des lieux spirituels du roi fou Louis ii de Bavière. enfn, au xxe siècle, le château
alors que le château fort est lié à la guerre ! fort a retrouvé une nouvelle vie, en partie grâce au cinéma.
Le château fort est dans un premier temps un endroit de
défense : il met d’abord l’accent sur ce qui va à l’intérieur, Son aspect n’a cessé de changer entre le xe et le xve siècle.
pas sur ce qui va vers l’extérieur. en dehors de ses habitants Quel est le celui qui reste ancré dans l’imaginaire ?
habituels – le seigneur, sa famille, ses serviteurs… –, le châ- Je pense que c’est le château fort du xiVe siècle parce qu’il
teau, en temps de troubles, est aussi un lieu de refuge pour y a une sorte d’équilibre entre les deux fonctions du château
les populations alentour et ceux que le seigneur exploite – défensive et résidentielle. il se dote de mâchicoulis et
mais aussi protège. L’aspect protecteur du château l’emporte d’échauguettes, mais il a aussi de plus larges fenêtres et on
donc, du moins pendant les xie et xiie siècles. y trouve des espaces pour l’habitation et pour le divertisse-
ment. c’est la période d’apogée du château, avant sa dispa-
Le château fort est-il une révolution architecturale ? rition avec l’évolution de l’artillerie.
il a connu une longue évolution ! au départ, le château est
relativement fruste… Mais il se produit au xie siècle une évo- L’imaginaire du château est-il aussi fort hors de France ?
lution technique qui a un impact considérable : le rempla- L’espagne a été un terrain exceptionnel de construction
cement du bois par le matériau fondamental du Moyen Âge, de châteaux forts des chrétiens pour combattre les musul-
la pierre. c’est un événement majeur, mais qui n’est pas mans, qui ont longtemps occupé la péninsule. La multi-
spécifque au château puisqu’il apparaît en même temps plication de ces édifces a fni par apparaître comme une
dans les édifces de l’Église. exubérance imaginaire, d’où l’expression « châteaux en
espagne ». Deux autres endroits me semblent importants :
La façon de percevoir le château fort a-t-elle évolué le pays de Galles, que les anglais ont entouré d’une chaîne
dans le temps ? de châteaux qui forme une des images mythiques de
Dès le départ, le château est assez rapidement mythifé, l’imaginaire britannique, et, bien sûr, le Moyen-orient,
comme on peut le voir dans certaines enluminures. son avec les châteaux des croisés.

18 DĒtours en France
Ulf Andersen/Epicureans
Aujourd’hui, le Moyen Âge et le château fort sont tou-

BIØ
jours très présents dans notre vie, à travers les flms,
la littérature… Pourquoi ?
la société s’intéresse à cette idée de merveilleux, mais je crois
qu’elle veut aussi montrer de quoi notre humanité a été
capable, dans une période longtemps décrite comme obs-
curantiste. Par ailleurs, le Moyen âge, période située entre la Né en 1924 à Toulon, l’historien Jacques
société antique, fondée surtout sur la puissance militaire, et Le Goff, normalien et agrégé d’histoire,
la société moderne et contemporaine, dominée par l’argent a exploré toute sa vie durant le Moyen Âge.
Pilier de l’école des Annales, figure de
et la technique, a été incontestablement celle du domaine de
la Nouvelle Histoire, il succède en 1972 à
l’imaginaire. le château fort en est l’un des exemples : même Fernand Braudel, dont il fut l’élève, à la tête de
las Vegas, ville du jeu et des folies pseudo-historiques, en a l’École des hautes études en sciences sociales.
érigé un au xxe siècle ! cela illustre bien la fécondité d’un Sa somme colossale de travaux et écrits
imaginaire quand il est capable de durer si longtemps. et le (Un autre Moyen Âge, La Naissance du
plus important en histoire, ce que j’ai essayé de développer, purgatoire, L’Imaginaire médiéval, Saint-
c’est non seulement ce qui a une importance réelle, maté- Louis…) a bouleversé la façon de considérer
rielle, positive, politique, etc., mais aussi ce qui a une valeur le Moyen Âge. Dans le même temps, il est
imaginaire. comme vous le savez, je pense que l’un des aussi un grand vulgarisateur : le médiéviste a
grands domaines de l’histoire, qui s’étudie sur la longue notamment produit l’émission « Les lundis
de l’histoire » sur France Culture, publié
durée, c’est l’histoire de l’imaginaire.
des ouvrages à destination des plus jeunes et
servi de conseiller historique sur des films
Vous-même êtes venu au Moyen Âge à travers son tels que Le Nom de la rose.
imaginaire…
Mon amour pour cette période est né à l’âge de 13-14 ans, à
la fois grâce à un excellent professeur en classe de 4e, mais
aussi, en efet, par la lecture de l’Ivanhoé de Walter scott.
un livre fondamental pour moi, créateur de ma carrière ! •

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 19


Châteaux
de légende

fougères
gardienne de bretagne
Avec ses treize tours, ses trois enceintes et ses deux hectares de fortifications,
on l’a comparée à Carcassonne. Cette forteresse parmi les plus vastes d’Europe a été
le témoin des guerres incessantes entre le duché de Bretagne et le royaume
de France. Aujourd’hui, elle nous plonge au cœur de la vie militaire au Moyen Âge.

La puissance qui
se dégage
de la forteresse
de Fougères a ému
les plus grands auteurs
français, de Balzac à
Julien Gracq, en
passant par
Chateaubriand ou
Victor Hugo.

20 DĒtours en France
les châteaux de guerre
f oug è r e s

Francis Leroy/hemis.fr

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 21


C
Châteaux
de légende

La forteresse
compte
trois enceintes
la bonne fée
Château ? Forteresse ? Cité militaire ? « au
successives,
pied des enceintes de Fougères, on reste ébahi
de Fougères devant tant de puissance, devant la masse de
ce qui en faisait
Une tour porte son nom,
l’énorme château chevauchant le ressac fgé à L’époque
mais que fait Mélusine
à Fougères ? Selon des blocs de schiste », écrivait Julien Gracq. uN remArquAble
la légende, la fée Balzac, chateaubriand et même Victor Hugo site déFeNsiF.
originaire du Poitou aurait (peut-être parce que Juliette Drouet était fou-
épousé un chevalier
de la famille de Lusignan. geraise !) y ont également succombé…
Cette femme serpent
avait interdit sa chambre Nous sommes en 1166. Le premier château en
à son époux tous bois vient d’être incendié par le roi d’angleterre. ou au canon. et des murs de 7 mètres d’épais-
raoul II, seigneur de Fougères, le fait recons- seur, qui laissent rêveur ! elles ont été construites
truire, mais en pierre. Il faut dire que Fougères à une époque où le duché de Bretagne craignait
fait partie des Marches de Bretagne – comme l’afrontement avec le royaume de France.
châteaubriant, clisson ou Vitré –, ces forteresses
destinées à protéger le duché indépendant des encore un efort et voici la troisième enceinte,
appétits de ses voisins français et anglais. ultime refuge pour le seigneur en cas d’attaque.
elle s’appuie sur les deux plus hautes tours : des
Fototeca/Leemage

Arrêtons-nous sur le choix du site, plutôt Gobelins et Mélusine. celle-ci fut édifée par
insolite : dans une cuvette, en contrebas de la Jeanne, flle de raoul III, seigneur de Fougères
ville haute, mais sur une petite presqu’île et compagnon de saint-Louis. Femme de
rocheuse, entourée par la rivière nançon. La poigne, elle a aussi fortifé la ville au XIIIe siècle.
les samedis, jour de
forteresse compte trois enceintes successives, on peut s’attarder sur l’architecture de la tour
sa métamorphose. Quand ce qui en faisait à l’époque un remarquable site Mélusine : 30 mètres de haut, 13 de diamètre, des
son mari brava l’interdit, défensif : la garnison pouvait en efet se replier murs épais de 3,50 mètres, des archères et une
elle se jeta du haut jusqu’au réduit, le dernier carré fortifé protégé plate-forme pour les vigies ; quatre étages avec
d’une tour. Hugues
de Lusignan épousa par de hautes tours. escalier à vis, salles de garde, cheminées et
Jeanne, fille de Raoul III latrines. c’était à l’époque ce qu’on pouvait faire
de Fougères, mettant Franchissons la première enceinte en contre- de mieux en matière d’architecture militaire.
ainsi la main sur bas, protégée par trois tours avec archères dont entre les deux tours subsistent encore les sou-
la forteresse. Quant à
Mélusine, que l’on disait la tour La-Haye-saint-Hilaire, du XIIe siècle. bassements de l’ancien donjon de raoul II, aux
fée bâtisseuse pour avoir Imaginons un instant l’ennemi : avant d’arriver proportions respectables : 20 mètres de diamètre
construit en une nuit là, il doit franchir la rivière sur un petit pont de et des murs de 5 mètres.
le château de Lusignan,
bois et sous les fèches des défenseurs. une fois
elle était censée
apporter la prospérité dans la première enceinte, il n’est pas au bout de malgré son système de défense remarquable,
à la forteresse ses peines : face à lui, la tour de coëtlogon, ses Fougères a été pris plusieurs fois au cours de son
de Fougères. deux herses et ses meurtrières. Passage obligé histoire ; la plus importante en 1488 quand les
pourtant pour qui veut pénétrer dans l’enceinte armées de Bretagne sont décimées par les
principale, encerclée par 320 mètres de cour- troupes de charles VIII, suite à la bataille de
tines : au Moyen Âge, la basse cour est le lieu de saint-aubin-du-cormier. une défaite qui sonne
vie quotidienne du château et sert aussi de le début du rattachement du duché à la France.
refuge à la population en cas d’attaque. À gauche Fougères s’en est tiré sans trop de mal et a tra-
en entrant, on découvre d’ailleurs les vestiges du versé tous les confits sans dommages. Voilà qui
logis du XIVe et les souvenirs d’une chapelle. sur explique son remarquable état de conversation.
le chemin de ronde, les tours raoul et surienne ce qui avait fait dire à Lawrence d’arabie, qui en
sont en fer à cheval : une forme caractéristique avait pourtant vu d’autres : « Il n’y a pas d’exté-
au XVe siècle, qui permet de tirer à l’arme à feu rieur plus beau, j’en suis certain. » •

Pratique : 35300 Fougères. Tél. : 02 99 99 79 59. www.chateau-fougeres.com

22 DĒtours en France
les châteaux de guerre
f oug è r e s
Leclercq / Andia.fr

2
Jean-Baptiste Rabouan/hemis.fr

1. Les remparts 2. L’avancée, 3. En surplomb


de la ville : aux XIe et première enceinte du du château : la haute
XIIIe siècles, ils se sont château, au-dessus de ville et le beffroi,
développés à partir laquelle se dresse la construit en 1397
de l’enceinte fortifiée tour carrée de La- à partir de modèles
du château. Haye-Saint-Hilaire flamands.
(XIIe siècle). Ce premier Il représente
barrage et les tirs un pouvoir symbolique
croisés des défenseurs fort, lié au
F Fief/ Andia.fr

ralentissaient la développement
progression du commerce
des assaillants. et de l’artisanat. 3

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 23


Châteaux
de légende

Haut-
KŒnigsbourg
Le rêve fou d’un empereur
Parmi les châteaux ressuscités à la fin du XIXe siècle, celui-ci occupe une place
de choix, perché sur un promontoire rocheux au-dessus de la plaine d’Alsace.
Rebâti pour célébrer la grandeur de Guillaume II, empereur d’Allemagne, il est devenu,
par un de ces clins d’œil de l’Histoire, un des monuments les plus visités de France.

24 DĒtours en France
les châteaux de guerre
H au t-Kœ n ig s b ourg

Saccagée, ravagée
jusqu’à être
totalement détruite et
tombée dans l’oubli :
l’Histoire n’a pas été
tendre avec cette
imposante bâtisse dont
la « troisième vie »
– celle que vous avez
devant vos yeux –
ne lasse pas d’inspirer
les uns et de faire
s’émerveiller les autres.

Bertrand Rieger/Détours en France

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 25


Châteaux
de légende

trois questions à Loïc guyader, responsable des guides


1. Le Haut-Kœnigsbourg était
un chantier colossal pour l’époque.
Comment Bodo Ebhardt a-t-il
relevé le défi ?
Cet architecte avait peu

Hervé Champollion/akg-images
de réalisations à son actif, mais
Quand Bodo Ebhardt, le Viollet-le-Duc une grande connaissance
allemand, accepte le chantier que vient de des châteaux forts. Et il avait
lui confer l’empereur Guillaume II, a-t-il proposé à Guillaume II
conscience de l’ampleur de la tâche qui l’at- une restauration entière, ce qui a
séduit l’empereur. Ebhardt a

Q
tend ? À l’abandon depuis plus de deux cents commencé par analyser l’existant :
ans, le château du Haut-Kœnigsbourg n’est plus il a pris de nombreuses photos, a fait
que l’ombre de lui-même : toitures écroulées, des recherches dans les archives,
a établi des comparaisons avec d’autres châteaux. Il a eu à sa disposition
murailles branlantes, donjon anéanti et partout
des moyens très modernes : des moteurs à essence pour entraîner les pompes
la végétation qui a repris ses droits. à eau, une broyeuse à grès actionnée par un moteur à vapeur pour produire
du sable, une locomotive – nommée Hilda ! – pour acheminer les pierres
Aujourd’hui, la silhouette de grès rose qui d’une carrière, deux grues électrifiées pour éclairer le chantier le soir, etc.
Et jusqu’à 200 ouvriers, les meilleurs de la région !
interpelle le visiteur, à près de 750 mètres d’al- 2. Malgré tout, sa restauration a suscité des polémiques. Pourquoi ?
titude, a tout d’un décor de cinéma, voire de La mode, à l’époque, c’était la conservation (« Konservieren, nicht restaurieren »,
dessin animé. Il a d’ailleurs inspiré Jean renoir « conserver, pas restaurer »). On lui a reproché d’avoir voulu montrer le château
qui y a tourné La Grande Illusion. et s’agissant à l’époque de son âge d’or (vers 1500), tout en gardant les ajouts des périodes
suivantes. Et les critiques étaient avant tout politiques, émanant
de dessin animé, notons que Le Château ambu- de francophiles et de francophones : elles visaient Guillaume II ! La restauration
lant lui doit beaucoup : son réalisateur, Hayao du Haut-Kœnigsbourg était pour lui un moyen d’affirmer la germanité
Miyazaki, est venu y faire des repérages. de l’Alsace, à un moment où beaucoup pensaient : « Allemand ne veut, Français
ne peux, Alsacien suis. »
3. Bodo Ebhardt est-il le disciple de Viollet-le-Duc ?
Le Haut-Kœnigsbourg tel que vous l’avez Il est de la génération suivante et a forcément été marqué par le travail
aujourd’hui sous les yeux en est à sa troisième de l’architecte français, mais il se voulait plus rigoureux. Il n’était, par exemple,
vie. son histoire est plutôt agitée : sa position pas du tout d’accord avec cette définition de Viollet-le-Duc : « Restaurer un
édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans
stratégique, entre la France et l’allemagne, sur
un état complet qui peut n’avoir jamais existé. » Ebhardt considérait qu’il fallait
les routes du vin, du sel et du blé entre l’alsace se servir des erreurs du passé : à mots couverts, c’est Viollet-le-Duc qu’il visait !
et la Lorraine, l’explique.
tout a commencé au XIIe siècle quand l’empe-
reur Frédéric II de Hohenstaufen fait construire L’entrée du château se fait par la basse cour,
un premier château. Il n’en reste quasiment rien entourée de bâtiments : une auberge, des
aujourd’hui. trois siècles plus tard et après être écuries, une forge et même un moulin, car au
passé entre les mains de chevaliers brigands qui Moyen Âge, le château devait pouvoir vivre en
terrorisaient la région, le château est détruit. Les autarcie. De là, une rampe avec pont-levis mène
Habsbourg confent le site à une riche famille à la cour intérieure, en passant devant un puits de
venue de suisse, les thierstein, qui en fait un 62 mètres de profondeur qui alimentait le château
modèle de défense moderne contre l’artillerie : en eau douce. L’architecture du lieu n’est pas facile
l’âge d’or du Haut-Kœnigsbourg. à comprendre. Il faut dire que le château repose
Deux siècles plus tard, la guerre de trente ans sur un éperon rocheux de 270 mètres de long sur
lui est fatal : assiégés par les suédois, les occu- 40 de large : partout, des murailles, des tourelles ;
pants afamés fnissent par se rendre. Le châ- ici une porte couronnée de lions, là une herse,
teau est saccagé et tombe dans l’oubli. Il faudra un escalier à vis… et au-dessus, altier, le donjon,
attendre le XIXe, le romantisme et son engoue- dont la reconstruction sur base carrée par Bodo
ment concernant les ruines, pour que le rideau ebhardt suscita à l’époque de vives polémiques.
se lève enfn sur le troisième acte : la ville de
sélestat donne le château à Guillaume II. L’alsace L’intérieur du château a bénéfcié du même
vient d’être annexée à l’allemagne, l’empereur souci de reconstitution. Le logis seigneurial
cherche à asseoir sa nouvelle autorité : le Haut-
Kœnigsbourg va en être l’écrin. Il faudra seu-
lement dix ans à Bodo ebhardt pour accomplir le château repose sur
le miracle : en 1908, le château est inauguré en un épEron rocHEux DE 270 mètrEs
grande pompe et sous la pluie. DE Long sur 40 DE LArgE.

26 DĒtours en France
les châteaux de guerre
H au t-Kœ n ig s b ourg
Bertrand Rieger/Détours en France

Depuis le donjon sur base


est divisé en deux parties : le sud, autrefois en admirer d’autres dans la salle des Trophées de carrée, voulu par Bodo
Ebhardt au moment de
réservé à la famille Thierstein, avec ses gale- chasse : à vous de découvrir la représentation de sa restauration et qui
ries en bois, une chapelle et une salle d’armes, Bodo chassant les abeilles, symbole des nom- suscita de vives polémiques,
la vue plonge sur cet édifice
présente aujourd’hui une collection d’armes breuses critiques que s’attira l’architecte. à l’architecture étonnante.
blanches ; le nord, qui recevait les invités, abrite Le mot d’ordre à l’époque :
la chambre de l’impératrice, avec poêle et Terminez par le jardin médiéval, inspiré de « Conserver, pas restaurer. »
meubles d’époque. Ils ont été rassemblés, comme gravures de l’époque, avec ses carrés bordés
tous les autres objets, par une association qui, de de plessis, où les herbes « simples » côtoient les
1904 à 1918, s’est eforcée de remeubler le site. herbes « magiques », les plantes tinctoriales,
Mais la pièce la plus spectaculaire est la salle du celles qui nourrissent. De l’autre côté, le grand
Kaiser, au cœur du logis. Bodo Ebhardt l’a consa- bastion, fanqué de deux tours, protège l’ouest,
crée à la gloire de Guillaume II afn de couronner partie la plus vulnérable du château. Sa courtine
ses ambitions politiques. Pour preuve les pein- a été aménagée en terrasse d’artillerie. Ne vous
tures murales du plafond avec l’aigle impérial privez pas du plaisir d’y monter : la vue y est fan-
qui veille sur l’Alsace et la Lorraine, les nom- tastique, du Hohneck au Grand-Ballon, en pas-
breux « W » (initiale de Wilhelm-Guillaume), les sant par les ruines d’autres nids d’aigle, châteaux
statuettes aux armoiries des Hohenzollern… Les de l’Ortenbourg, de Ramstein, du Frankenbourg.
peintures ont été réalisées par Léo Schnug, un En vigie au-dessus de la plaine d’Alsace, le Haut-
passionné d’histoire médiévale, et vous pourrez Kœnigsbourg retrouve sa raison d’être. •

Pratique : 67600 Orschwiller. Tél. : 03 69 33 25 00. www.haut-koenigsbourg.fr/


Visite libre, commentée ou audio-guidée. Et aussi hors saison en petits groupes, des visites insolites, notamment des cuisines réalisées en
1908, très modernes à l’époque, avec ballon d’eau chaude, robinets avec mélangeur, chambres froides. Elles ne servaient qu’une fois par an !

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 27


A
Châteaux
de légende

anjony
Le donjon voLcanique
Dominant la vallée de la Doire, dans le Cantal, ce château fort tout en basalte est typique de
l’architecture militaire de la Haute-Auvergne. Il vaut le détour pour ses fresques exceptionnelles
et une histoire mouvementée qui mit aux prises deux familles de la région.

Auvergnat et fier de l’être ! Émergeant remarquez la cheminée, impressionnante


d’une forêt de châtaigniers, anjony en et la devise des d’anjony : Fides hic semper,
impose avec son donjon haut de 40 mètres, « la foi ici et toujours ». Dans une des tours,
encadré de quatre tours. construit en 1439 la petite chapelle, décorée de fresques du
par un compagnon de Jeanne d’arc, il appar- XVIe siècle illustrant la vie du christ, abrite
tient toujours à la même famille, une branche également une belle Vierge noire.
cadette des d’anjony.
autre particularité : son architecture inté- Mais c’est au deuxième étage que vous
rieure. Imaginez quatre étages, avec, pour attend le clou de la visite : la salle des
chacun d’eux, une seule grande salle de Preux, allusion à une légende médiévale qui
100 m 2 , trois petites pièces logées dans les met en scène trois héros païens, trois héros
tours et l’escalier à vis dans la quatrième. et chrétiens et trois héros juifs, représentant
vous n’êtes pas au bout de vos surprises : l’idéal de la chevalerie au Moyen Âge. sur
autant l’extérieur est austère, autant la visite les fresques de la renaissance, admirable-
des salles révèle de splendides décors de la ment conservées, amusez-vous à retrouver
renaissance. les preux de la légende : alexandre le Grand,
Hector, Godefroy de Bouillon, charlemagne,
Après le rez-de-chaussée, qui servait autre- le roi arthur, le roi David, Josué, Judas
fois de cave à nourriture, voici le premier Maccabée. seul Jules césar manque à
étage et sa salle basse, décorée de tapisseries. l’appel. De part et d’autre de la cheminée,
deux personnages en costume renaissance :
Marguerite de Foix et Michel d’anjony, qui
et évincent petit à petit les Tournemire. a commandité ce décor, un des rares sur ce
Vendetta auvergnate
Les Tournemire et les Anjony, version Pour marquer sa suprématie, Louis thème qui nous soient parvenus.
auvergnate des Capulet et d’Anjony fait construire, en 1439,
des Montaigu ? L’histoire commence l’actuel château. Les dissensions entre Il vous reste encore à découvrir le troi-
au XIIIe siècle quand un membre les deux familles dureront deux cents
ans, avec force provocations, sième étage, dédié à la salle d’audience,
de la famille Johany, riche marchand
de peaux du Cantal, achète à un échauffourées, exactions et meurtres, avec ses hauts plafonds à croisée d’ogives ;
Tournemire une tour, quelques terres ponctués de quelques mariages de et, accessible par l’escalier d’une des tours,
et les droits féodaux qui vont avec. convenance. Le point d’orgue aura lieu
le chemin de ronde, ses mâchicoulis et ses
Les Johany font allégeance au en 1623, lors d’un combat qui
royaume de France, tandis que opposera trois Anjony et trois meurtrières, par lesquelles on a de belles
les Tournemire ont les Plantagenêt Tournemire : les premiers y perdront échappées sur la vallée de la Doire et le vil-
comme alliés naturels. À force la vie… mais les seconds finiront par lage de tournemire. tournemire et anjony,
d’intrigues, les Johany se font anoblir quitter la région pour le Limousin.
deux noms, deux familles que l’Histoire a
longtemps opposées… •

Pratique : 15310 Tournemire. Tél. : 04 71 47 61 67. www.anjony.com

28 DĒtours en France
les châteaux de guerre
A njon y
Sylvain/Colorise

1. Cet étonnant
2 donjon, vestige
d’un château fort
de montagne détruit
au cours des siècles,
est construit en
basalte rougeâtre et
couvert d’un toit de
lauzes. Ses 35 mètres
abritent cinq étages.

2. Les peintures
de la chapelle
– dite castrale ou
oratoire car elle
est incluse dans une
tour –, datant du XVIe
siècle, sont à
fresques.
Celles-ci représentent
des scènes du
Nouveau Testament
et notamment de
la Passion du Christ.
Denis Caviglia\hemis.fr

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 29


Châteaux
de légende

pierrefonds
un rêve de Moyen âge
À l’orée de la forêt de Compiègne, le château préféré de l’impératrice Eugénie semble
tout droit sorti d’un conte de fées. Construit au XIVe siècle et démantelé au XVIIe, c’est
Viollet-le-Duc qui en a fait cet édifice majestueux, signant ainsi sa vision du Moyen Âge.

30 DĒtours en France
les châteaux de guerre
Pi e r r e f on d s

On pourrait penser
que Pierrefonds est
trop beau pour être
vrai et qu’il ne peut
exister qu’au cinéma !
Il n’en est rien et
l’impératrice Eugénie ne
s’y est pas trompée, qui,
dit-on, n’aurait pas
hésité à user de
tricherie pour que
Napoléon III
décide de le faire
restaurer.
Chicurel Arnaud

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 31


D
Châteaux
de légende
1. - 4. La salle des Preuses,
l’une des rares pièces à avoir
été complètement décorée,
1
mesure 50 mètres de long.
Sa cheminée monumentale à
double foyer est ornée des
statues des neuf « preuses » :
l’impératrice Eugénie et
ses dames de compagnie
figurées sous les traits
d’héroïnes de l’Antiquité,
reines ou guerrières.

2. La chambre
de l’Impératrice, à la voûte
octopartite, est ornée
d’un lambris sculpté
et entièrement peinte de
rinceaux, de feuillages
et autres ornements.

3. Chef-d’œuvre de Viollet-
le-Duc, dotée d’une rose
représentant une étoile
de David, la chapelle de style
néogothique est unique
en son genre : une tribune
surmonte l’abside et
donne accès à un chemin
de ronde couvert.

faire quelque chose. Il confe la restauration à


Viollet-le-duc modifie le projet eugène Viollet-le-Duc, qui a déjà travaillé sur la
initial et décide d’en faire basilique de Vézelay et notre-Dame-de-Paris.
très vite, l’architecte modife le projet initial :
UN vérITable mUsée DU moyeN Âge. il ne se contente pas de remettre le donjon en
état mais étend le chantier à tout le château
Des tours rondes, des toits pointus, un donjon, et en fait un véritable musée du Moyen Âge.
des échauguettes, un double chemin de ronde,
une chapelle, des mâchicoulis, un pont-levis… Une enceinte de 110 mètres de long sur 90
Il ne manque rien à Pierrefonds pour en faire de large, ponctuée de huit tours presque sem-
Le château, celui des rêves d’enfant et des blables, qui portent le nom de huit preux de
émerveillements d’adulte. la légende chevaleresque, alexandre, arthur,
césar, charlemagne… L’ensemble est majes-
Quand Napoléon III hérite de Pierrefonds, tueux et ordonné. L’impression est tout autre
acheté une bouchée de pain par napoléon Ier, quand vous pénétrez dans la cour intérieure :
il tombe sous le charme des ruines de la des éléments juxtaposés sans règle apparente,
résidence de Louis d’orléans, datées du dans un style très néogothique. regardez les
XIVe siècle : nous sommes en plein roman- colonnes qui soutiennent la galerie : cour-
tisme et les ruines ont la cote. Mais l’empereur, taudes et massives, elles ne sont pas du tout
qui est un passionné d’archéologie, veut en esthétiques ! Viollet-le-Duc les a voulues ef-
caces : elles ont la forme de leur fonction. La
décoration est foisonnante, empruntée à un
Tiré au sort bestiaire fantastique comme on l’aimait au
Napoléon III n’a pas été le seul à succomber au
charme des ruines de Pierrefonds : sa femme, Moyen Âge : sur les chapiteaux de la galerie,
l’impératrice Eugénie, également ! Une histoire des épisodes du Roman de Renart ; descen-
akg/De Agostini Pict.Lib.

raconte que l’empereur hésitait entre restaurer dant d’une meurtrière, un gros lézard ; ici, un
Pierrefonds ou un autre château. Eugénie lui proposa
étrange mammifère à tête de pélican paraît
un tirage au sort, dont Pierrefonds sortit vainqueur.
L’impératrice avoua plus tard avoir écrit Pierrefonds tout droit sorti d’un tableau de Jérôme Bosch.
sur les deux papiers… et amusez-vous à compter les chats sur les
lucarnes : il y en a 32 !

32 DĒtours en France
les châteaux de guerre
Pi e r r e f on d s

Isadora/leemage
3

Christian Voulgaropoulos/Détours en France


Gil Giuglio/hemis.fr x 4

2 4
Une dynastie
en plomb
De nombreux corps
En face de vous, la chapelle. Viollet-le-Duc y ratrice Eugénie et ses dames de compagnie
de métiers ont travaillé au
est allé de sa fantaisie : il s’est représenté sur le fgurées sous les traits d’héroïnes de l’Antiquité, côté de Viollet-le-Duc
pilier central du portail, sous les traits de saint reines ou guerrières, comme Sémiramis ou les (photo) à Pierrefonds.
Jacques le Majeur ! À l’intérieur, notez un fait Amazones. Toujours l’idéal chevaleresque ! Parmi eux, les ateliers
Monduit, spécialisés dans
unique : une tribune au-dessus du chœur.
la plomberie d’art, se sont
Alors Pierrefonds, rénovation ou création ? attelés à la couverture du
Le donjon et les appartements impériaux Les deux, dans un savant mélange qui n’a pas château. Cette dynastie
vous réservent quelques surprises. Le décor du toujours été du goût de tous. Marcel Proust d’artisans d’art, qui a
œuvré pendant un siècle
plafond de la Grande Salle avec sa décoration voyait dans les travaux comme à Pierrefonds (jusqu’en 1970), a aussi à
végétale, par exemple, a un petit air d’Art nou- des « déjections », Anatole France qualifait le son actif, la restauration
veau. Dans cette pièce, amusez-vous à retrou- château d’« énorme joujou ». Il est certain que de la flèche de Notre-
ver les symboles du couple impérial : l’aigle est Viollet-le-Duc, emporté par sa passion, a dû Dame-de-Paris,
la lanterne de la coupole
sur les poutres, le chardon d’Eugénie en haut éprouver beaucoup de plaisir à « reconstituer » du palais Garnier ou
des murs. Viollet-le-Duc rend ici hommage à ainsi un château médiéval. Mais loin d’être l’archange de l’abbaye
Napoléon III comme Bodo Ebhardt l’a fait à dictés par la fantaisie, ses travaux s’appuient du Mont-Saint-Michel.
Guillaume II au Haut-Kœnigsbourg, dans la toujours sur des recherches très sérieuses, dont Une exposition leur rend
hommage dans
salle du Kaiser. L’empereur allemand est d’ail- on retrouve le détail dans son Dictionnaire rai- la chapelle et au premier
leurs venu à Pierrefonds avant que ne soit res- sonné de l’architecture française du XIe au étage de l’aile des invités.
tauré le château alsacien. XVIe siècle. À l’image du système défensif dont L’occasion d’admirer
le lion de Belfort,
il a pourvu les tours de Pierrefonds, avec deux
des gargouilles de Notre-
Depuis la chambre de l’Empereur, passez chemins de ronde superposés, au niveau des Dame et le cupidon
dans la salle des Preuses, qu’on pourrait quali- courtines, qui assurent une meilleure circula- de la cathédrale
fer de salle de bal. Ses proportions sont impres- tion des défenseurs. Viollet-le-Duc s’est peut- d’Amiens. Ce ne sont pas
des copies, mais bel et
sionnantes : 52 mètres de long pour 12 de haut être amusé à jouer à la guerre au Moyen Âge,
bien des doubles qui sont
et 9 de large. Elle doit son nom aux statues mais il en avait parfaitement compris les méca- ici présentés.
qui décorent l’imposante cheminée : l’impé- nismes : Pierrefonds en est la preuve. •

Pratique : 60350 Pierrefonds. Tél. : 03 44 42 72 72. www.pierrefonds.monuments-nationaux.fr


Visite libre ou guidée. Visites nocturnes des appartements impériaux et des caves voûtées avec notamment les gisants des rois et reines
de France, dont certains sont des copies des originaux de la basilique Saint-Denis (pour groupes).

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 33


Châteaux
de légende

bonaguil
La fin d’un monde
Entre Quercy et Périgord, le plus beau château fort de France a été bâti…
à la fin du XVe siècle par un seigneur mégalomane qui refusait le monde
nouveau et la paix.

34 DĒtours en France
E
les châteaux de guerre
B onag ui l

en lieu et place
de cette forteresse
orangée qu’est
Bonaguil, se dressait à
l’origine un simple rocher
abritant une caverne
(devenue tunnel). Un
premier château y a été
posé au xiiie siècle,
qu’une riche famille du
Midi a métamorphosé.

« Elle est si parfaite qu’il est presque ridi- d’un assaillant : attention, il faut survivre au
cule d’appeler cela une ruine. » Nous sommes tir rasant des canonnières ! Car si le château
en 1907 et Thomas Edward Lawrence, futur est anachronique, Bérenger l’a fait équiper des
Lawrence d’Arabie, fait le tour des châteaux dernières innovations en matière de défense :
forts de France à bicyclette. Comme lui, on ne les murailles comptent une centaine de meur-
peut que tomber sous le charme de ces tours trières et d’archères qui éliminent tous les
blondes et élancées qui grimpent à l’assaut du angles morts !
ciel et d’un invisible ennemi. Car l’histoire de
Bonaguil est singulière. Viennent ensuite la seconde enceinte et
ses cinq tours, dont la Tour grosse : les étages
Bonaguil, « Bona accus », « bonne aiguille », supérieurs servaient d’habitation, mais la partie
est à l’origine un rocher percé d’une grotte. inférieure est équipée de mousquets, d’arque-
Situé entre deux vallons escarpés, il s’habille buses et de couleuvrines. Entre l’actuelle espla-
d’un premier château au XIIIe siècle. Mais il faut nade et la Tour rouge, voici une chicane, un
attendre les Roquefeuil, une puissante famille terrible piège pour l’attaquant qui pénètre dans
du Midi, et surtout l’un de ses représentants, un étroit couloir et se trouve pris sous le feu
Bérenger. L’homme se prend de passion pour d’une canonnière.
le lieu et va engloutir sa fortune afn de le trans-
former en une forteresse imprenable. Seul hic : Mais l’orgueil du château reste le donjon. En
nous sommes en 1483, la guerre de Cent Ans forme de proue de navire pour dévier les bou-
est terminée depuis trente ans et une mode lets, il est surmonté d’une tourelle de guet qui
venue d’Italie transforme les châteaux forts ne laisse aucune chance à l’ennemi. Grimpez
en palais de la Renaissance. Mais Bérenger sur sa terrasse : de là-haut, on a une vue très
refuse ce monde nouveau et décide de bâtir un parlante sur l’ensemble de l’édifce. C’est aussi
château à la gloire de la chevalerie. un endroit idéal pour méditer sur la vanité
des hommes. Car Bonaguil, chef-d’œuvre de
Deux enceintes, sept ponts-levis, treize l’architecture militaire, ne fut jamais attaqué
tours : il faudra quarante ans pour bâtir (seule la Révolution mit à mal les bâtiments).
Bonaguil. En franchissant la barbacane et la Un peu comme un désert des Tartares au-
première enceinte, on s’imagine dans la peau dessus de la vallée du Lot. •

De Pompéi à Bonaguil ? cherchent des messages plus


Sur les murs d’une salle de ésotériques : le rocher de « la bonne
la Tour grosse, d’étranges graffitis : aiguille » est percé d’une grotte
des signatures, précédées naturelle, creusée ensuite en
de nombreux « W », et le « carré tunnel, où se produiraient
Sator », un carré magique d’étranges phénomènes de perte
contenant le palindrome latin d’énergie. Le site aurait donc été
Sator–Rotas, Arepo-Opera, Tenet… aménagé par Bérenger en
Certains y voient des souvenirs connaissance de cause, lui-même
de fêtes galantes organisées étant un « initié ». Une chose est
Jean-Marc Barrère/hemis.fr

à la fin du xvi e et au xvii e siècles, certaine : le « carré Sator » figure


à une époque où Bonaguil connut dans plusieurs sites, le plus ancien
un destin plus doux. D’autres y étant identifié à Pompéi, en l’an 79 !

Pratique : 47500 Fumel. Tél. : 05 53 71 90 33. www.bonaguil.org/

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 35


Châteaux
de légende

joux
Quand un nid d’aigle devint prison
Maison forte, forteresse Vauban puis bastion au XIXe siècle : juché en vigie au-dessus
d’une des plus grandes voies commerciales de l’Europe d’autrefois, Joux raconte
mille ans d’histoire militaire. C’est aussi une prison, petite sœur de la Bastille.

L’entrée de la cluse
de Pontarlier, maintes
fois empruntée par
les « envahisseurs »
depuis l’époque
romaine, ne pouvait
trouver meilleur site
d’observation que le fort
de Joux, dressé sur
la montagne éponyme.

36 DĒtours en France
les châteaux de guerre
JOU X

Hervé Sentucq

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 37


Châteaux

À
de légende

À quoi pensait Toussaint Louverture en


grimpant le sentier qui mène au promontoire
de Joux ? Le héros de l’indépendance d’Haïti,
emprisonné ici par napoléon, se doutait-il que
cette forteresse, imposante et farouche, serait
son tombeau ?

L’endroit a de quoi frapper les esprits : un


éperon rocheux, cinq enceintes, trois ponts-
levis, un donjon, un fort enterré… Il fallait bien ça
pour surveiller l’entrée de la cluse de Pontarlier,
route des invasions depuis les romains et voie
commerciale entre la Flandre et l’Italie depuis le
xIIIe siècle. « Ici, on rêve l’Histoire », avait lancé
RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

François Mitterrand lors d’une visite en 1987.


Plus encore lorsque le château semble surgir
d’une mer de brume comme d’un songe éveillé.

L’histoire du château a démarré il y a mille


ans. À la première construction en bois suc-
céda un nid d’aigle en pierre, dont la tour
Grammont et le donjon sont aujourd’hui les
plus beaux témoins. après l’annexion de la
Franche-comté au royaume de France, Vauban 1
ft renforcer les défenses, avec la reconstruction
d’une partie du donjon, la quatrième enceinte
et de nouveaux casernements. enfn, après la
guerre de 1870, le capitaine Jofre bâtit un fort
enterré, archétype des modèles de l’époque.

Lors de la visite, vous allez remonter le


temps, en commençant par la cinquième
enceinte et le fort Jofre : la descente par un
escalier en colimaçon creusé dans la roche est
impressionnante avec ses 212 marches. après
la porte d’Honneur, place au fort Vauban et à la
cour d’Honneur bordée de casernements.
Bil Ullstein/Roger-Viollet

La première enceinte vous donne accès à la


partie la plus ancienne, la tour Mirabeau, du
nom de celui qui y fut incarcéré pour adultère
sur la personne d’une marquise de Pontarlier ;
le donjon et son musée des armes – 600 pièces
depuis le xVIIe siècle. De l’extérieur, remar-
quez une fenêtre presque murée, aux barreaux
Adieu Berthe !
Parmi les prisonniers qui ont séjourné ici – Toussaint Louverture
doublés : c’est là que fut incarcéré toussaint- (gravure ci-dessus), Mirabeau, Heinrich von Kleist… –, il y a aussi
Louverture, coupable d’avoir pris le pouvoir à une femme, Berthe de Joux. Épouse d’Amauri de Joux, elle commit
saint-Domingue. aujourd’hui, la cellule dans l’erreur de croire son mari mort aux croisades et de s’éprendre
d’un de ses compagnons. De retour, le mari fit pendre l’amant et
laquelle il mourut – sans doute de pneumonie, enfermer son épouse dans un cachot creusé dans les murailles
en 1803 – se visite : son dénuement est impres- de la tour Grammont. À la mort de son époux, Berthe se retira à
sionnant. et quand le guide éteint la lumière, l’abbaye de Montbenoît. On peut encore voir le cachot aujourd’hui…
pour montrer dans quelles conditions toussaint et se dire qu’être femme de croisé n’était pas de tout repos !
y passa sept mois, on ne peut que frissonner. •

38 DĒtours en France
les châteaux de guerre
JOU X

1. « Prise du fort de Joux


par le marquis de Duras,
juin 1674 ». Gravure
de Louise Pannier, d’après
le tableau de Van der Meulen
(1632-1690). Ce tableau
aurait été commandé
par Louis XIV, très
certainement pour
le « cabinet d’angle du Roi ».

2. - 3. - 4. Une statue
de Vauban (photos 2 et 3)
fait face à la porte
d’Honneur… construite
suivant ses plans en 1690
et toujours en parfait état.
Additionnée de son pont-levis
à flèches, elle pèse 6 tonnes.
Sur les piédroits, on remarque
des décorations évoquant
les armes d’infanterie et
de cavalerie (photo 4).

Leclercq/Andia
2

3 4
Denis Bringard/ hemis.fr

leemage.com

PratiqUe : 25300 La Cluse-et-Mijoux (près de Pontarlier). Tél. : 03 81 69 47 95. www.chateaudejoux.com


Visites uniquement guidées, pour des raisons de sécurité. L’été, visites thématiques sur la vie quotidienne au château,
les armements. Visites nocturnes.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 39


Châteaux
de légende

Le légendaire et
gracieux Chenonceau,
traversant le Cher
comme le Ponte
Vecchio franchit
l’Arno, a été « inventé »
par trois femmes qui y
ont mis leur cœur et leur
âme : Katherine Bohier,
Diane de Poitiers et
Catherine de Médicis.

40 DĒtours en France
LES CHÂTEAUX
plaisir
Franck Charel/Détours en France

vAUX-LE-viComTE — AzAy-LE-ridEAU — LUnéviLLE


CormATin — CHEnonCEAU — LAvArdEnS — AnET
Délicatement posés sur l’eau ou cernés d’une nature débordante, ceints de jardins
extraordinaires, ces édifices attestent de la passion de ceux qui ont présidé à leur érection.
Lieux de fêtes, rendez-vous de lumières, ils demeurent également les témoins silencieux
de luttes de pouvoir, d’histoires d’amour, de haine et de royales velléités.

41
Châteaux
de légende

C h a n t a l

thOmas
écrivaine
Elle est directrice de recherche au cnrs, philosophe et romancière, spécialiste
de Sade et de Casanova, amoureuse du XViiie siècle. Son roman Les Adieux à la reine
a été récemment adapté au cinéma par Benoît Jacquot.

1 Parmi les châteaux classiques, quel est celui qui vous


séduit le plus ?
Versailles, sans hésiter. ce château a complètement modifé
l’histoire et la physionomie de la monarchie : il est devenu
le symbole du pouvoir absolu, ce que voulait Louis XIV
en le construisant. Il ne faut pas oublier que ce dernier
était un jeune souverain quand il a démarré les travaux :
en même temps qu’il faisait construire Versailles, Versailles
l’a aidé à se construire. La raison première de l’existence
de ce palais – écraser l’intendant Fouquet – a donc été lar-
gement dépassée. À Versailles il y a une telle ampleur, une
perte de vue, qui autorisent tous les voyages, qui donnent
l’impression qu’on peut aller où l’on veut. Il y a dans ce châ-
teau des possibilités infnies de promenade, d’écriture.

3
On retrouve d’ailleurs Versailles dans votre nouveau
roman, L’Échange des princesses* ?
oui, mais il n’y a pas que Versailles. L’histoire est celle
d’un destin croisé : celui de la flle du régent, Louise-
Élisabeth d’orléans – dite Mademoiselle de Montpensier –,
que son père voulait marier avec Louis des asturies,
futur roi d’espagne ; et celui de Louis XV avec l’infante
telle démesure, que le visiteur doit se trouver des repères, d’espagne Marie-anne Victoire. Il y a donc eu échange
des niches pour organiser ses balades ; à l’inverse de entre ces enfants, l’une de 4 ans l’autre de 12. Je me suis
Vaux-le-Vicomte, à taille plus humaine. Le château de inspirée des Mémoires de Saint-Simon, qui fut nommé
Fouquet se voulait aussi un lieu de fêtes, de créations musi- ambassadeur pour ces contrats de mariage, et des Lettres
cales et théâtrales, où s’épanouissait la vie intellectuelle de la princesse Palatine. c’est l’occasion d’évoquer d’autres
et artistique de l’époque. château de pouvoir, Versailles a châteaux, les tuileries, le Vieux Louvre, Vincennes. car
aussi repris ce rôle pour devenir château de plaisirs. le régent n’aimait pas Versailles : le château a été aban-

2
donné par le pouvoir et la cour pendant sept ans. c’est à
On retrouve Versailles dans Les Adieux à la reine et l’occasion de ses fançailles que le jeune Louis XV réin-
Le Testament d’Olympe. En quoi est-il une source tégra le palais, en 1722 : Versailles était sauvé. Mais il l’a
d’inspiration ? échappé belle : il fut même question à l’époque de le
Il y a des châteaux qui sont des personnages en soi. c’est le raser ! Quand je vous dis que les châteaux ont des his-
cas de Versailles, qui a eu plusieurs physionomies en fonc- toires de personnages de roman. •
tion des souverains qui l’ont habité : Versailles n’est pas le
palais d’un seul roi, même si la fgure de Louis XIV s’impose *Éditions du Seuil (paru le 22 août dernier).
forcément à l’esprit. son destin est aussi lié aux femmes,
comme Marie-antoinette. Parmi les lieux qui me touchent,
qui sont à mes yeux les plus évocateurs, il y a les apparte-
ments de Marie-antoinette, en particulier son boudoir, avec
« Versailles était sauVé.
ce côté minuscule, secret, qui le rend émouvant. Je suis aussi Mais il l’a éChappé belle :
très sensible aux jardins, avec leur double aspect : un côté il fut mêmE quEstiOn
géométrique, pensé, raisonné, sage, et l’espace, les lignes à à l’éPOquE dE lE rasEr ! »

42 DĒtours en France
Baltel/Sipa

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 43


Châteaux
de lÉgende
légende

Afin de modifier
le petit château
acheté en 1641,
le surintendant
des finances
de Mazarin, Nicolas
Fouquet, fait
travailler à l’unisson
un architecte, un peintre
décorateur et
un jardinier paysagiste.
Le résultat est à
la hauteur de ses
ambitions… lesquelles
le mèneront à la geôle.

vaux-
le-vicomte
Si Vaux m’Était ContÉ…
Curieux destin que celui de ce palais où s’est déroulée une terrible lutte de pouvoir
entre un homme d’affaires ami des arts, un ministre jaloux et un jeune roi qui se
cherchait encore. Aujourd’hui, Vaux a retrouvé toute sa superbe et continue d’éblouir.

44 DĒtours en France
les châteaux plaisir
vau x-l e-v ic omte

Bertrand Gardel/hemis.fr

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 45


1
Châteaux
châteaux
de légende

Posé sur
un socle entouré
d’eau, il domine
33 hectares
de jardins
à la française :
une mise en scÈne
signée Le Vau,
Le nôtre
et Le Brun.

Bertrand Rieger/Détours en France


17 août 1661 : le surintendant Fouquet reçoit
dans son nouveau palais de Vaux-le-Vicomte le
jeune roi Louis XIV. Le château vient de sortir
de terre et la fête est grandiose : le roi mange dans 1
de la vaisselle en or massif, le feu d’artifce est
signé du magicien torelli, on sert du chocolat
aux 600 invités, Molière et Lulli signent leur pre- 2 rencontre avec
mière collaboration… on connaît la suite : ulcéré alexandre de Vogüé :
par tant de luxe ostentatoire, Louis XIV fait arrê- « rendons hommage
ter Fouquet quinze jours plus tard et incarcérer à Le nôtre ! »
pendant vingt ans. Le surintendant a sous- « Vaux fait partie de l’ADN
estimé la jalousie de colbert, son grand rival, et de la famille » aime à dire Alexandre,
n’a pas compris qu’avec Louis XIV commence fils du comte Patrice. Les Vogüé sont
en effet liés à la famille Sommier,
la monarchie absolue, qui ne soufre pas qu’on
industriels du sucre, dont l’arrière-
lui fasse de l’ombre. Vaux sera rendu à madame grand-père Alfred acheta le château
Fouquet dix ans après. entre-temps, Louis fera en 1875. Pourtant, le jeune
bâtir un château à sa propre démesure. Alexandre n’a pas toujours accepté
ce lourd héritage : « Je suis parti
Impressionnant ? non. Vaux n’est pas Versailles. à 18 ans et rentré en rébellion
Il est élégant, charmant, séducteur. Il n’impose pendant vingt ans. » Des années
pas, il envoûte. Posé sur un socle entouré d’eau, il qu’Alexandre consacre à sa passion :
leemage.com

domine 33 hectares de jardins à la française : une il devient guide de haute montagne.


Mais Vaux, c’est comme la montagne :
mise en scène signée Le Vau, Le nôtre et Le Brun. ça vous gagne ! Aujourd’hui,
car Fouquet, en esthète avisé, a su s’entourer des Alexandre a repris avec son frère
1. Au plafond Jean-Charles la gestion du lieu,
plus grands. La façade est classique, ponctuée de la chambre du Roi,
de hautes fenêtres, l’entrée solennelle sous son s’occupant du mécénat et
une peinture de « La Vérité
soutenue par le Temps » de la communication.
fronton ; quant à la toiture, son rythme sévère 2013 est placée sous le signe des
symbolise l’histoire
est allégé par la belle coupole centrale. Pour un de Fouquet, tandis que jardins, avec l’anniversaire Le Nôtre :
peu, on s’attend presque à être reçu par Fouquet les voussures gauche et « Nous avons prévu deux parcours
droite figurent la puissance dans le jardin, pour prendre le visiteur
en personne sur les marches de son palais. du roi et sa « haute valeur ». par la main : “La Traversée du miroir”
et “L’Œil du géant”, qui racontent
Franchissons le vestibule : en face, le Grand 2. Portrait les secrets de la construction du
salon, placé sous la coupole. Il est ovale : une d’André Le Nôtre réalisé décor végétal, et un nouveau parterre
par Claude Lefèbvre de fleurs conçu par le paysagiste
innovation pour l’époque, qui préférait les (1632-1675). L’illustre Louis Benech. » Parmi les projets
galeries. L’idée est directement inspirée par le jardinier-paysagiste, né il y a
tout juste 400 ans, est à
qui tiennent au cœur de la famille
baroque italien. La décoration prévue par Le Brun l’honneur cette année, Vogüé : la reconstruction
n’est pas achevée, Fouquet ayant été arrêté avant. notamment de 16 bassins sur les 26
à Vaux-le-Vicomte. que comptait Vaux à l’origine.
Mais la famille Vogüé, actuelle propriétaire des Un énorme chantier prévu pour
lieux, ne désespère pas d’y parvenir un jour, car les dix ans à venir.
elle en possède les dessins, signés de Le Brun. >

46 DĒtours en France
les châteaux plaisir
vau x-l e-v ic omte
Ph Guignard/air-images.net

1. Une perspective
2 de plus de trois
kilomètres,
de l’eau comme s’il
en pleuvait
(une rivière a même
été détournée),
quelques
surprises… et
la théâtralité propre
aux jardins
à la française.

2. L’ensemble est
certes envoûtant,
mais la façade est
classique : entrée
solennelle, hautes
fenêtres et toiture
dont la coupole
centrale vient
rompre la sévérité.
Bertrand Rieger/Détours en France

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 47


Châteaux
de légende

recouvrant la couleuvre, emblème de son


rival colbert. Le château comptait autrefois
150 tapisseries : Le Brun avait créé, dans le vil-
lage proche de Maincy, un atelier qui, après
l’arrestation de Fouquet, déménagea à Paris et
devint… la manufacture des Gobelins ! autre
sujet d’émerveillement : les plafonds, toujours
de Le Brun, comme celui du salon des neuf
Muses, un de ses chefs-d’œuvre.

Le premier étage est celui de la famille


Bertrand Rieger/Détours en France

Fouquet. Monsieur et madame ont chacun leur


appartement. À noter : la chambre du surinten-
dant est la seule du château à avoir conservé
son décor d’origine, avec entre autres une
magnifque tapisserie des Gobelins.

« À Vaux, on montre tout, du sous­sol au pla­


fond. » alexandre de Vogüé vous recommande
1. Le plafond en rotonde
du Grand Salon, ovale,
> À gauche du Grand Salon, les appartements vivement la visite de la coupole. L’occasion
est resté inachevé : Le Brun du Roi : comme il était d’usage à l’époque, les d’admirer la charpente, un chef-d’œuvre à elle
y avait prévu une voûte châtelains devaient réserver leur plus belle toute seule. Les travaux de la toiture viennent
– la première pour un édifice
privé – céleste sur le thème chambre à leur souverain de passage. Fouquet d’être terminés : ils ont nécessité un échafau-
du « palais du Soleil ». n’a pas lésiné sur les moyens : la chambre du dage de 110 tonnes, sur 40 mètres de haut et
Les sculptures portant
un emblème en médaillon
roi resplendit sous les ors et un portrait de Louis 50 de large, et la pose de 1 750 000 ardoises à
représentent le zodiaque XIV satisfait aux règles des usages à l’époque. l’aide de 1,5 tonne de clous en cuivre. De quoi
et les saisons. Mais regardez bien le plafond, peint par Le Brun donner le vertige ! « Les travaux ont été fnancés
comme il se doit : sous la corniche, une frise de à moitié par la famille. Il a fallu vendre quelques
palmettes et… de petits écureuils ! Fouquet l’avait trésors de la bibliothèque », rappelle alexandre :
choisi comme emblème, non pour le panache, entre autres Le Cabinet du Roi (1723-1727), vingt
mais parce qu’en patois local, écureuil se dit. et un volumes célébrant le règne du roi-soleil et
« fouquet ». Même chez le roi, Fouquet montre illustrés par les plus grands de l’époque, une des
qu’il est quand même chez lui ! L’ancienne anti- plus belles ventes aux enchères de sotheby’s.
chambre a été transformée en bibliothèque : fn Indirectement, Louis XIV a contribué à l’embel-
lettré, Fouquet possédait près de 27 000 volumes, lissement du château de celui qu’il ruina : un
dont de rares manuscrits persans. juste retour des choses !

À droite du Grand Salon, les pièces d’ap­ Vous voilà sous les toits, grimpez encore une
parat. on retrouve l’impertinent rongeur volée de marches pour atteindre le lanternon.
dans le salon d’Hercule : sur une tapisserie La vue sur les jardins est merveilleuse. « Il faut
récemment restaurée il fgure en bonne place, bien comprendre que les jardins ont été conçus
pour être une pièce supplémentaire du châ-
teau, souligne alexandre. Il y a une véritable
harmonie entre les deux, et les jardins ne sont
Des trésors éparpillés pas du tout à négliger, même après deux heures
L’association Les Amis de Vaux-le-Vicomte compte 2 500 adhérents. Depuis
trente ans, elle œuvre pour retrouver, partout dans le monde, des pièces de visites au château. » encore moins cette
de mobilier, objets d’art, documents qui ont appartenu à Vaux ou ont trait à son année, qui célèbre les 400 ans de la naissance
histoire. Parmi les trésors désormais exposés au château, un portrait de madame de Le nôtre. Détail amusant : le lanternon est
Fouquet signé Le Brun, des lettres adressées à d’Artagnan sur la détention
du surintendant à Pignerol, un rarissime manuscrit de La Fontaine. Et, cette
couronné par une pomme de pin où fgure
année, la huitième tapisserie de la collection Barberini, retrouvée aux États-Unis. l’écureuil de Fouquet. Quo non ascendet ?,
« Jusqu’où n’est-il pas monté ? » •

48 DĒtours en France
les châteaux plaisir
vau x-l e-v ic omte
Bertrand Rieger/Détours en France

1
Bertrand Rieger/Détours en France

2
Bertrand Rieger/Détours en France

1. Façade Sud, 2. Ces amours 3. Surgissant


sur l’avant-corps portant une des toits, ces
central, alliance corbeille, attribués à pinacles sont inspirés
des ordres dorique et Philippe de Buyster, de l’architecture
ionique, les statues illustrent italienne.
féminines (Clémence, les marmousets.
Justice, Renommée…)
côtoient des écureuils
(« fouquet » en patois
3
local).

Pratique : 77950 Maincy. Tél. : 01 64 14 41 90. www.vaux-le-vicomte.com


Les samedis de mai à octobre, visites nocturnes aux chandelles et feu d’artifice. Et avec l’année Le Nôtre : « Les Facettes du génie »,
promenades thématiques avec des guides conférenciers, le troisième dimanche du mois, de mai à septembre.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 49


Châteaux
de Légende
légende

AzAy-le-RideAu
Le diamant de L’indre
Délicat vaisseau de pierre posé sur l’Indre, Azay-le-Rideau apparaît comme suspendu
entre le ciel et l’eau. Un miracle d’équilibre, une belle incarnation de la Renaissance

On doit la délicatesse
de cet édifice, bâti
sur une île entre
deux bras de l’Indre,
à nouveau à
une femme : Philippa
Berthelot. En l’absence
de son mari, elle fera
se dresser ce chef-d’œuvre
de la Renaissance sur
des pilotis et des pierres
de Saint-Aignan, au cœur
d’une végétation luxuriante.
Bertrand Rieger/Détours en France

50 DĒtours en France
les châteaux plaisir
A z Ay-l e-R i de Au

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 51


L
Châteaux
de légende

La bonne fée qui s’est penchée sur le ber-


ceau d’Azay-le-Rideau s’appelait Philippa.
car c’est une femme – encore une ! – qui est à
l’origine de ce château plein de grâce. Épouse
de Gilles Berthelot, intendant des fnances
sous François Ier, elle supervisa les travaux en
l’absence de son mari, tout comme Katherine
Bohier à chenonceau. autre similitude : le châ-
teau fut confsqué par décision royale, les travaux
pas encore terminés, en 1528. Il faut dire que
François Ier n’entretenait pas d’excellents rapports
avec les banquiers de l’époque, qu’il accusait de
ne pas avoir sufsamment contribué au verse-
ment de sa rançon à Pavie. Lui-même devant de
fortes sommes à certains d’entre eux, les pour-
suivit de ses foudres : Gilles Berthelot préféra
s’enfuir plutôt que de subir le royal courroux. Le
plan en « L » du château, qui fait son originalité,
n’est donc pas un coup de génie de l’architecte,
mais bien le fait de travaux inachevés.
Bertrand Rieger/Détours en France

Une belle allée de chênes vous conduit dans


la cour d’honneur. D’emblée, azay séduit avec
sa façade délicatement ourlée à la mode ita-
lienne, baies à loggias, lucarnes à pilastres, cha-
piteaux ioniques. Difcile de s’imaginer qu’un
tel ensemble est bâti sur… pilotis ! en efet, le site
est celui d’une île entre deux bras de l’Indre, au 1
sous-sol meuble et boueux. Il faudra des mois à
une centaine d’ouvriers pour évacuer des tonnes
d’eau à l’aide de pompes de fortune. toiles peintes, la grande cuisine voûtée d’ogive
et le salon Biencourt. Le marquis du même nom
De l’audace, toujours de l’audace ! Le second acheta le château en 1791 et lui redonna le lustre
sujet d’émerveillement est l’escalier : à azay, qu’il avait perdu depuis deux siècles.
il n’est pas à vis comme à Blois, mais à rampe c’est aussi la famille Biencourt qui aménagea,
sur rampe, dans la plus pure tradition de la au XIXe siècle, le parc à l’anglaise. La balade sous
renaissance italienne. et revendique sa place les cyprès chauves, les séquoias et les « arbres
en plein milieu de la façade avec ses quatre aux quarante écus » est une belle manière de
niveaux de baies centrées. L’architecte s’est sans terminer la visite. Vous y savourerez la plus belle
doute inspiré de celui du château de Bury, près vue d’azay, en vous disant que Balzac avait bien
de Blois, aujourd’hui disparu. raison. L’auteur du Lys dans la vallée – il en rédi-
gea une partie ici – écrivait qu’azay est « un dia-
Son décor est exceptionnel et mérite toute mant taillé à facettes, serti par l’Indre, monté sur
votre attention : hermines, salamandres, ange- pilotis, masqué de feurs ». •
lots, rois et reines décorent chapiteaux et médail-
lons. Il dessert les pièces maîtresses d’azay :
la chambre royale, qui accueillit Louis XIII D’embLée, AzAy SéDUit Avec SA
et Louis XIV, les appartements privés et leurs fAçADe DéLicAtement oURLée, BaIes
collections de tapisseries, la bibliothèque et ses à LoGGIas, Lucarnes à PILastres…

52 DĒtours en France
les châteaux plaisir
A z Ay-l e-R i de Au

Au feu !
Entouré d’eau, Azay-
le-Rideau est marqué
par le feu. En 1418,
le dauphin Charles VII
est pris à partie par
la garnison du château
de l’époque, une grosse
maison forte occupée
par les partisans
des Bourguignons.
Insulté, le futur roi
assiège le château
féodal, s’en empare,
passe la garnison au fil
de l’épée et fait
incendier l’édifice.
Le village en gardera
le nom d’Azay-le-Brûlé

Bertrand Rieger/Détours en France


jusqu’au XVIIIe siècle.
Un drame qui faillit bien
se répéter en 1871.
Azay est alors occupé
par les Prussiens.
Un lustre mal accroché
s’écroule sur la table où
2 dîne le prince Frédéric-
Charles de Prusse.
1. Le salon Biencourt,
Celui-ci croit à
tel que l’on peut le visiter un attentat et menace
aujourd’hui. Les tableaux d’incendier le château.
et portraits royaux renvoient Ses officiers réussissent
à l’époque à l’en dissuader. Ouf !
des Valois : la construction
du château était alors en Ça, c’est
cours d’achèvement.
un comble !
Depuis 2011, l’escalier
2. Difficile d’imaginer que
d’Azay vous fait grimper
l’édifice est bâti sur pilotis :
une centaine d’ouvriers sous la toiture.
ont pourtant mis des mois L’occasion d’admirer
à évacuer des tonnes d’eau. une magnifique
charpente en chêne
du XVIe siècle, œuvre
3. une allée bordée
de chênes mène à l’édifice
des compagnons
en forme de « L »… du Tour de France.
Cette originalité n’est pas On reste ébahi devant
le fruit d’une réflexion l’élégance
architecturale, mais des assemblages
le témoignage et la qualité
de son inachèvement !
Bertrand Rieger/Détours en France

de la restauration.
Une visite au septième
ciel qui vous permet
aussi d’accéder aux
chemins de ronde,
avec des points de vue
exceptionnels sur
3 le château et le parc.

Pratique : 37190 Azay-le-Rideau. Tél. : 02 47 45 42 04. www.azay-le-rideau.monuments-nationaux.fr


En juillet-août, « Le Miroir enchanté », parcours nocturne, anime le parc et la façade du château, en lumière et en musique, à la rencontre
de curieux personnages et de leurs animaux. Un voyage onirique à faire en famille.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 53


D
Châteaux
châteaux
de Légende
légende

LunéviLLe
Le paLais ressuscité
On le surnommait « le Versailles lorrain ». Dans la nuit du 2 janvier 2003, un terrible incendie
ravage la demeure des ducs de Lorraine, chef-d’œuvre de l’architecture monumentale du XVIIIe
siècle. Dix ans après, le phénix renaît de ses cendres.

Depuis les jardins à la française, la sil- En chifres


houette est toujours aussi altière et les toits
triomphants. Il faut s’approcher pour remar-
8 147 livres ont brûlé. 4 200 donateurs au sein
quer çà et là des échafaudages : 360 repré- de l’association Château des Lumières.
sentants de différents corps de métiers sont
depuis dix ans au chevet du château de
1 405 698 euros de dons pour restaurer
Lunéville. une galerie du château. 103 millions d’euros :
Dans la nuit du 2 au 3 janvier 2003, il aura
coût total des travaux, prévus jusqu’en 2015.
suffi d’une demi-heure pour que les flammes
embrasent toute la toiture, anéantissant ainsi
la chapelle et l’aile sud. et avec elles la biblio- d’autrefois. aux chartreuses, par exemple,
thèque et des trésors inestimables, comme la ces petites maisons bucoliques réservées
correspondance de napoléon, des ouvrages aux courtisans, à la pagode chinoise et au
de Voltaire et des pièces uniques de faïen- kiosque turc imaginés par le duc stanislas.
cerie. sans parler des appartements dévastés, ce dernier avait aussi conçu le « rocher »,
des meubles et tapisseries anéanties. sorte de petit village féerique installé autour
du canal, animé par 88 automates. ce n’est
En 1703, le duc de Lorraine Léopold décide pas le feu qui détruisit cette attraction, mais
la construction d’un palais qui prouvera à Louis XV : devenu propriétaire de Lunéville
l’europe son prestige et sa capacité à gou- à la mort de stanislas, il ft tout raser, pour
verner. Il faudra vingt ans pour que Lunéville cause de rigueur budgétaire ! •
devienne cette affirmation du pouvoir, à
l’image de son modèle, Versailles. un de ses
successeurs, stanislas, roi déchu de Pologne,
va en faire le rendez-vous des lettrés de
La malédiction
du nain ?
l’europe avec, en guest-star, Voltaire. Depuis sa construction, Lunéville a été touché
par treize incendies. Il n’en faut pas plus pour que
Aujourd’hui, le visiteur peut à nouveau certains affirment que le château est victime
d’une malédiction. Le responsable en serait
visiter quelques pièces (visite libre et gra-
Prud’homme/Kharbine-Tapabor

Nicolas Ferry, le nain de Stanislas. Réputé pour


tuite) : le vestibule, la salle des gardes, la salle son mauvais caractère, celui qu’on appelait « Bébé »
des livrées, les salles voûtées qui servaient de ou « Le Nain jaune » – allusion au personnage
cave à vin et l’escalier d’honneur. sans oublier d’un conte paru en 1698 – aurait voulu ainsi se
venger de son maître. Il est vrai que le duc Stanislas
la chapelle, qui a retrouvé tout son lustre et mourut après que sa robe de chambre eut pris feu
accueille des concerts. Il peut aussi fâner à au contact d’une cheminée…
sa guise dans les jardins et rêver au Lunéville

Pratique : 54302 Lunéville. Tél. : 03 83 76 04 75. www.chateauluneville.cg54.fr

54 DĒtours en France
les châteaux plaisir
lun é v i l l e
Richard Soberka/hemis.fr

1. Conçu pour le duc


2 Léopold Ier, Lunéville
a été le théâtre
de treize incendies,
dont huit majeurs,
depuis 1719.
Le dernier en date
(janvier 2003) a
anéanti la chapelle
royale et l’aile Sud.
Les échafaudages
auront disparu d’ici
à 2015.

2. Dès son
installation, en 1737,
Stanislas, dernier
duc de Lorraine,
n’aura de cesse
d’embellir les jardins.
Ainsi sont nés un
kiosque d’inspiration
turque, le « Rocher »,
un village féerique,
ou encore ce pavillon
de la Cascade
RMN-Grand Palais/Jean-Gilles Berizzi

(ici une gouache sur


parchemin, anonyme).
À sa mort, Louis XV
fera tout détruire…

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 55


D
Châteaux
de légende

Cormatin
un bien préCieux témoin
Comment imaginer que Cormatin cache derrière sa façade sobre, presque
militaire, un décor Louis XIII exceptionnel, dans la tradition des hôtels particuliers
du Marais aujourd’hui disparus ?

Impressionnant : c’est le premier mot qui lui aussi voué au bleu et agrémenté de fleurs
vient à l’esprit en contemplant les deux et de fruits délicatement peints, sans doute
ailes aux lignes rigoureuses, montées sur par des artistes flamands. Les amateurs d’in-
de hauts soubassements et la façade presque solite auront un petit faible pour la salle des
austère, qui se mire dans les larges douves. Miroirs, un cabinet de curiosités comme on
antoine du Blé, marquis d’Huxelles, fait bâtir en raffolait au XVIIe siècle : on y trouve pêle-
cormatin en 1605 pour témoigner du pres- mêle coquillages rares, alligators empaillés,
tige de sa famille au sortir des guerres de bronzes et objets étranges, le tout sous un
religion. Il choisit un plan en « u », à la mode plafond décoré de symboles alchimiques.
de Paris, et fait disparaître les remparts et le regardez au centre cet enfant qui effeuille
pont-levis du précédent château. des roses à l’aurore : un clin d’œil à la rose,
représentation de la connaissance des mys-
Aujourd’hui, vous emprunterez un simple tères du Grand Œuvre, et à la rosée céleste,
petit pont de bois pour accéder à la cour indispensable au processus qui mène à la
d’honneur : les larges douves sont toujours là, pierre philosophale.
mais le plan en « u » a disparu, une aile s’étant
efondrée en 1815. Les beaux appartements se Il est temps maintenant de découvrir les
situent dans l’aile nord. on y accède par un jardins, superbement redessinés en 1992
escalier monumental à volées droites qui tourne dans l’esprit des jardins baroques : 11 hec-
autour d’un vide central : directement inspiré tares de parterres, bosquets et même un
de ceux du palais du Luxembourg, c’est une labyrinthe de buis qui mène à une char-
prouesse à l’époque. Jacques du Blé, qui le ft mante volière. Mais parviendrez-vous à la
construire, était un proche de Marie de Médicis. trouver ? •
c’est aussi lui qui a fait aménager les apparte-
ments de Louis XIII dans un style alors très en
vogue dans les salons parisiens et aujourd’hui Histoire d’une renaissance
rarissime. un témoignage d’autant plus précieux Cormatin c’est aussi un pari fou, celui de trois amis qui, par amour
du beau et de l’histoire, décident, en 1980, de s’acheter un château
qu’il a bien failli ne pas nous parvenir en entier,
pour 1 million de francs de l’époque. Anne-Marie Joly, Pierre
découvert tout à fait par hasard par les proprié- Almendros et Marc Simonet-Lenglart vont patiemment redonner
taires actuels (lire encadré ci-contre). vie à Cormatin et à son superbe décor peint. « Son existence
était connue, mais il avait en grande partie disparu, aime raconter
Marc Lenglart. La police croyait même qu’il avait été volé ! »
La chambre de la Marquise est remar-
Non, juste disparu sous des couches de moisissure blanche.
quable pour son plafond à la française 60 000 visiteurs par an, c’est une belle réussite. Une autre
bleu de lapis-lazuli et or, son antichambre aventure est venue s’y greffer en 1982, théâtrale celle-là :
pour les lambris rouge cramoisi. Mais le plus « Les Rendez-vous de Cormatin ». Cette année en suspens,
on espère qu’elle reprendra en 2014.
exceptionnel est le cabinet de sainte-cécile,

Pratique : 71460 Cormatin. Tél. : 03 85 50 16 55. www.chateaudecormatin.com


Visite guidée des appartements, de la bibliothèque et de la cuisine. Visite libre des jardins.

56 DĒtours en France
les châteaux plaisir
c or m ati n
Bertrand Rieger/Détours en France

1. Un petit pont
2 3 de bois permet
aujourd’hui
de traverser
les larges douves et
de rejoindre la cour
d’honneur de
cet édifice, jadis en
« U », à la façade toute
rigoureuse. Au fond
à droite, le labyrinthe
de buis.

2. L’escalier
monumental à cage
unique, inspiré
de ceux du palais
du Luxembourg :
une rareté à cette
époque.

3. La salle
des Miroirs renferme
l’un de ces cabinets
de curiosités prisés
au XVIIe siècle. Soit
Bertrand Rieger/Détours en France

un enchevêtrement
d’objets hétéroclites,
Christophe Boisvieux/hemis.fr

prélevés aussi bien


dans les règnes
animal et végétal, que
dans la décoration !

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 57


châteaux
de Légende

ChenonCeau
La séduction au féminin
Les femmes l’ont voulu, bâti, enjolivé. Elles l’ont aimé, se sont battues pour
le garder, lui ont redonné vie. Chenonceau est à part. Château au féminin, il est aussi
le seul château-pont de France, inspiré du Ponte Vecchio florentin.

58 DĒtours en France
Les châteaux pLaisir
C h e nonC e au

En bas le jardin
de Diane de Poitiers,
en haut celui de
Catherine de Médicis.
Entre les deux, la tour
des Marques, vestige
du château médiéval.
Et sur des piles qui
supportèrent un
moulin, cette ligne
blanche et bleue dont
les formes pures
ne cessent de se mirer
dans le Cher !

Franck Charel/Détours en France

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 59


P
Châteaux
de Légende

La maîtresse, L’épouse,
deux femmes quI se dIsPutent
un roI et un ChâteAu…
Passerelle blanche posée sur le Cher, d’une longue série. elle fait raser le moulin
chenonceau n’en finit pas de séduire. fortifé, remanie le donjon originel – appelé
romantique ou triomphant, au gré des jeux de tour des Marques – dans l’esprit renaissance
lumière, il est toujours d’une extrême élégance : et fait construire le logis principal sur les piles
« son calme n’a rien d’ennuyeux et sa mélan- de l’ancien moulin : une véritable prouesse à
colie n’a pas d’amertume », écrivait Flaubert. l’époque ! autre nouveauté, que l’on ne trouve
alors que dans les palais vénitiens : chaque
L’expérience n’est pas donnée à tous, mais étage comporte une galerie centrale, éclairée
un survol de ce bijou ligérien est un pur bon- par une porte-fenêtre donnant sur l’eau.
heur : à contempler le délicat dessin des jardins,
les lignes pures du bâti qui se refètent dans le Avant de franchir le seuil du palais, le visiteur
miroir de la rivière, on saisit toute la douceur de traverse une terrasse, bordée de deux jardins :
ce château qui signe sa diférence. à gauche, celui de Diane de Poitiers, à droite,
au commencement était une femme… nous celui de catherine de Médicis. La maîtresse,
1. Diane de Poitiers par
Francesco Primaticcio, sommes en 1513 : Katherine Briçonnet, épouse l’épouse, deux femmes qui se disputent un
dit Le Primatice (1504-1570). de thomas Bohier, homme d’afaires et inten- roi et un château : chenonceau est désormais
dant des fnances de François Ier, assume le passé aux mains de la couronne. La belle Diane,
2. Catherine de Médicis
par François Clouet suivi des travaux en l’absence de son mari à qui Henri II l’ofre en 1547, fait aménager
(vers 1515-1572). et impose sa « patte » féminine, la première 12 hectares de verdure pour y organiser des
fêtes. Mieux : elle reprend le projet des Bohier
de jeter sur le cher un vaste pont, et confe le
1 2 gigantesque chantier à Philibert de L’orme.

Veuve en 1559, la reine Catherine prend


sa revanche d’épouse délaissée en jetant
son dévolu sur chenonceau : Diane n’a pas le
choix et fnit ses jours au château d’anet. très
inspirée par le charme du lieu, catherine fait
bâtir sur le pont de Diane une galerie à double
niveau de 60 mètres de long. Inspirée par le
Ponte Vecchio et le corridor de Vasari, que ses
ancêtres empruntaient pour rejoindre le palais
Pitti ? sans doute ! en tout cas, une prouesse
Josse/leemage.com

supplémentaire à mettre sur le compte de l’au-


dace féminine, si présente ici.
Écrin pour célébrer la beauté de Diane,
chenonceau devient, entre les mains de
catherine, un instrument de pouvoir. c’est de
L’art au jardin là qu’elle va diriger le royaume, c’est dans ses
Chenonceau est encore plus beau vu de ses jardins. Celui de Catherine jardins qu’elle organise des fêtes fastueuses,
de Médicis (tableau de droite) a été dessiné dans l’esprit des Tuileries et organisé entourée de son « escadron volant » : encore et
autour d’un bassin central. Celui de Diane de Poitiers (à gauche) comporte huit toujours des femmes !
triangles de pelouse ponctués de fleurs et d’arbustes. L’été, c’est une exubérance
de dahlias, bégonias, impatiens, verveines, pétunias. À voir aussi : le Jardin vert,
dessiné par Bernard Palissy et planté d’arbres de collection ; le labyrinthe, Il est temps de pousser la porte du châ-
une reconstitution du temps de Catherine, planté de 2000 ifs, où il est si doux teau. Les trois étages rendent hommage à la
de se perdre et, souvent ignoré, le potager, où 130 000 plants de fleurs à couper
renaissance triomphante. au rez-de-chaus-
sont cultivés pour la décoration du château. Un régal pour les yeux !
sée, la chambre de Diane et ses murs recou- >

60 DĒtours en France
les châteaux plaisir
c h e nonc e au

Bordé de murs
de soutènement et
de terrasses, le jardin
de Diane se découpe en
huit triangles de gazon,
lequel est agrémenté
Bertrand Rieger/Détours en France

de 3 000 mètres
de volutes
de santolines. En son
centre, le jet d’eau – tel
qu’il était à sa création –
jaillit d’un gros caillou
avant de retomber sur
un réceptacle
pentagonal de pierre
blanche.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 61


Châteaux
de légende

Du château fort > verts de tapisseries des Flandres possède une L’atmosphère difère au deuxième étage avec
de la famille Marques magnifque cheminée signée Jean Goujon, la chambre de Louise de Lorraine : inconso-
édifié au XIIIe siècle,
il ne reste que l’ancien décorée des initiales H et c entremêlées, pour lable, la veuve d’Henri III ft tapisser de drape-
donjon – appelé tour Henri et catherine. Mais on peut aussi y lire le ries noires la pièce où elle vécut recluse les onze
des Marques et réinterprété
dans le style Renaissance –, D de Diane ! La chambre de la maîtresse voisine dernières années de sa vie. Impressionnant, le
un puits qui le jouxte avec le cabinet vert de l’épouse, agrémenté de plafond peint de couronnes d’épines, d’instru-
et cette esplanade…
sur laquelle reposait ledit
toiles signées Le tintoret, Jordaens, Véronèse. ments de fossoyeurs et de larmes…
château. À côté, la librairie et son magnifque plafond à
caissons, d’où catherine surveillait le jardin de Est-ce un hasard ? À la mort de Louise de
Diane. Voisines et rivales, toujours… Lorraine, chenonceau entra dans une longue
période de sommeil. Fini la célébration de
Avec ses 60 mètres de long sur 6 de large, l’amour, les intrigues de cour et les fêtes fas-
ses 18 fenêtres sur le cher, son sol carrelé de tueuses : les combles abritèrent même un petit
tufeau et d‘ardoises, la galerie fut une magni- couvent où vécurent une douzaine de moniales.
fque salle de bal. on ignore qu’elle servit aussi c’est une femme, bien sûr, qui sortit le château
d’hôpital militaire pendant la Première Guerre de sa léthargie : en 1730, Louise Dupin, épouse
mondiale pour plus de 2000 soldats : le châ- d’un richissime banquier général, donne à
teau appartenait alors aux ancêtres des actuels chenonceau de l’esprit. elle y tient salon, et quel
propriétaires, les chocolatiers Menier. salon ! Montesquieu, Voltaire, Bufon, Madame
du Defand… jusqu’à rousseau, qui s’éprit en
Grimpons au premier étage par l’escalier à vain de la belle, mais devint précepteur de
rampe droite, voulu par Katherine Briçonnet : son fls. Femme lettrée, Louise était aussi une
une révolution pour l’époque. Il dessert les femme de cœur : la vénération que lui vouaient
chambres de catherine, des cinq reines (les les villageois sauva chenonceau des destruc-
deux flles et trois belles-flles de catherine) tions de la révolution.
et de Gabrielle d’estrées, favorite d’Henri IV.
un homme, quand même, à cet étage : césar On trouve dans la chambre Louis XIV, au
de Vendôme, fls légitimé de Gabrielle et rez-de-chaussée, un très joli portrait de Louise
d’Henri IV, à qui échut chenonceau en 1624. Dupin signé nattier. •

62 DĒtours en France
les châteaux plaisir
C h e nonC e au

Franck Charel/Détours en France


P
Trois questions à : Laure Menier, conservatrice de Chenonceau
Chenonceau est un château féminin, son conservateur ne pouvait être qu’une femme. Laure Menier nous parle
avec passion de ce lieu qui lui tient tant à cœur.
Parmi les femmes qui ont marqué Louise de Lorraine, la « petite reine » également enrichie au fil du temps. Nous
Chenonceau, quelle est celle qui vous de Marguerite Yourcenar*. Plutôt méconnue, avons récemment fait l’acquisition inespérée

E
touche le plus ? elle a suivi à la lettre les derniers mots d’un magnifique portrait d’Henri III, par
Catherine de Médicis, sans hésiter. Son nom de son défunt mari : « Ma mie, priez pour moi François Clouet : il est maintenant dans
est trop souvent assimilé aux guerres de et ne bougez pas de là. » Elle est restée la chambre de Louise de Lorraine.
religion et à la Saint-Barthélemy. En réalité, à Chenonceau, sans argent, accompagnée

C
c’est un de nos plus grands chefs d’État, elle a de ses gens qu’elle protégeait. Ces deux en quoi Chenonceau est-il singulier ?
tenté de maintenir la paix dans le royaume. reines font de Chenonceau un château Son architecture est très particulière. Ça a
Chenonceau exprime tout ce qu’elle a été : très romantique. commencé avec les Bohier, grands amoureux
une reine bâtisseuse, une reine mécène qui de l’Italie, qui ont voulu au départ un logis
s’est entourée des plus grands artistes Chenonceau est un de nos plus beaux carré bâti sur les plans d’un palais vénitien.
de son temps, une reine avant-gardiste qui a châteaux. a-t-il des aspects moins connus Ensuite, avec Catherine, l’ajout des deux
introduit des innovations comme l’escalier du grand public ? galeries directement inspirées du Ponte
droit – celui de Chenonceau est le premier –, On l’ignore, mais Chenonceau est une Vecchio. Ce goût pour l’Italie a perduré au
un système de jets d’eau très performant véritable pinacothèque, riche de tableaux XIXe siècle : la très fortunée Marguerite
dans les jardins et même de nouveaux exceptionnels signés des plus grands maîtres Pelouze installe même une gondole à
légumes et plantes, comme les orangers, des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles : Murillo, l’embarcadère du château, là où, dit-on,
citronniers, oliviers, artichauts… C’était aussi Le Tintoret, Nicolas Poussin, Le Corrège, Diane de Poitiers aimait à se baigner.
une femme amoureuse, qui a eu l’intelligence Rubens, Le Primatice, Clouet, Van Loo…
d’entretenir une « entraide forcée » avec Et aussi une très rare collection *Sous bénéfice d’inventaire
sa rivale. J’ai une tendresse particulière pour de tapisseries des Flandres du XVIe siècle, (éditions Gallimard, 1962).

Pratique : 37150 Chenonceaux. Tél. : 02 47 23 90 07. www.chenonceau.com


Possibilité de visite audio-guidée avec l’application iPhone-iPad en 11 langues. Chenonceau fête cette année ses 500 ans
et se dote pour l’occasion d’une nouvelle application très innovante et d’un e-concept-store. L’été, deux visites pour changer : la promenade
nocturne dans les jardins illuminés, sur fond de musique baroque, pour renouer avec la magie des fêtes de la Renaissance (5 €) ;
la promenade en barque, pour le plaisir de passer sous les arches de la galerie (6 €/barque).

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 63


châteaux
de Légende

Difficile d’imaginer
que ce château massif
et carré, qui marie
la pierre au rocher,
est le fruit de l’amour…
Antoine de Roquelaure
fit pourtant rénover
l’ancien édifice en
l’honneur de sa
seconde épouse,
Suzanne de Bassabat,
de quarante-neuf ans
sa cadette.

Lavardens
Le maréchaL amoureux
Au cœur du Gers, la puissante silhouette de pierres blondes jaillit
entre ciel et terre : gage d’amour d’un compagnon d’Henri IV, Lavardens
ne ressemble à aucun autre.

64 DĒtours en France
E
les châteaux plaisir
l ava r de n s

Édifié sur les ruines


du château des
comtes d’armagnac
par les architectes
Pierre Souffron et
Pierre Levesville,
Lavardens, unique en
son genre, mêle
le classique que l’on
affectionne en ce
début de XVIIe siècle
et la facture féodale.
Philippe Roy

En 1611, Antoine de Roquelaure, maréchal En position dominante sur le village, le châ-


de France et fdèle compagnon d’Henri IV, se teau ressemble à un gigantesque vaisseau. Le
remarie avec Suzanne de Bassabat : il a 67 ans, toit presque plat, fait de tuiles canal, adoucit
elle en a 18. Antoine n’est pas gascon pour rien ! l’ensemble. L’intérieur vaut bien votre visite,
même si le mobilier a été dispersé depuis long-
Le maréchal est amoureux. Il a hérité en 1585 temps. Un grand escalier rampe sur rampe
d’un vieux château décrépi à Lavardens, dont conduit à des pièces majestueuses. Et regardez
il s’est peu soucié. Ragaillardi par ses nouvelles où vous mettez les pieds : des dalles de pierre
épousailles, le voilà qui se lance dans la rénova- de calcaire et des briques roses dessinent sur le
tion de l’édifce pour faire plaisir à sa très jeune sol de beaux motifs géométriques.
femme. Mais l’entreprise n’est pas une mince
afaire : le château féodal occupe l’extrémité Lavardens, qui appartint un temps à
d’une arête calcaire et l’espace est plutôt réduit. Mirabeau, a connu après la Révolution une
histoire mouvementée. Vendu à une douzaine
L’architecte de Lavardens a donc accompli de familles, il a commencé à tomber en ruines.
des prodiges, mariant la pierre et le rocher. Aujourd’hui géré par une association de copro-
Pour rattraper la dénivellation, il bâtit un rez- priétaires, il a retrouvé de sa prestance, grâce
de-chaussée élevé avec des entresols voû- notamment à des expositions.
tés, ajoute de puissants contreforts et, autour
des deux tourelles carrées, fait courir un long Et le maréchal, me direz-vous ? Gagna-t-il
balcon : aujourd’hui disparu, celui-ci apportait avec ce château l’amour de sa belle ? L’histoire
à ses habitants l’agrément d’un superbe pano- ne le dit pas, mais elle lui ft quand même…
rama sur la campagne environnante. douze enfants ! •
Philippe Roy

Pratique : 32360 Lavardens. Tél. : 05 62 58 10 61. www.chateaulavardens.com


Visite libre. Expositions artistiques.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 65


châteaUx
de légende

Anet
Une beaUté renaissance
Joachim du Bellay en parlait, ébloui, comme du « paradis d’Anet ». Édifié pour
Diane de Poitiers, ce chef-d’œuvre de la Renaissance française, situé en Eure-et-Loir
à 15 kilomètres de Dreux, garde le souvenir des amours du roi Henri II et
de sa favorite à la beauté, dit-on, saisissante.

66 DĒtours en France
les châteaux plaisir
a n et

Quelques-uns des
plus grands artistes
de l’époque se sont
penchés sur le
berceau d’Anet : les
sculpteurs Benvenuto
Cellini et Jean Goujon,
le peintre-émailleur-
dessinateur-graveur
Léonard Limosin,
le peintre et verrier
Jean Cousin, etc.
« Avec Anet, explique
Jean de Yturbe, actuel
propriétaire du
domaine, on a fait
entrer la Renaissance
française dans sa
période classique. »

Francis Cormon

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 67


L
Châteaux
de légende

1. Le vestibule que nous


admirons aujourd’hui fut
créé par Claude Desgots sur
1
l’ordre du maréchal de
Vendôme : sol damier en
carrelage noir et blanc,
escalier d’une seule volée et
rampe en fer forgé à son
chiffre, pilastres cannelés à
chapiteaux corinthiens. Un
ensemble d’une grande pureté
architecturale.

2. La chapelle, œuvre
de l’architecte Philibert
de L’Orme ou Delorme, qui
rompt définitivement avec
l’époque médiévale, est, selon

Thierry Borredon/hemis.fr
Jean de Yturbe « considérée
par nombre de spécialistes
comme le plus beau bâtiment
de la Renaissance en
France ».

Lorsque Louis de Brézé, grand sénéchal de inspiré de l’antique, avec ses quatre colonnes
normandie et seigneur d’anet, meurt en 1531, doriques. son tympan présente un bas-relief en
son épouse Diane de Poitiers, quarante ans plus bronze de Diane couchée et, au sommet, trône
jeune, entre en deuil. sincèrement. au point un cerf entouré par quatre chiens. Imaginez,
qu’elle décide de ne plus s’habiller qu’en noir et jadis, les animaux donnant l’heure : les chiens
blanc. Mais celle dont la beauté saisissante ins- 1 et le cerf frappait du pied !
aboyaient
pirera nombre de peintres et de sculpteurs gagne
les faveurs du futur Henri II. Pourtant marié à Vous voici ensuite devant la demeure… dont
catherine de Médicis, le dauphin éprouve une il ne subsiste plus que l’aile gauche. « Il a été très
grande attirance pour celle qui fut – lorsqu’il endommagé à la révolution par les vendeurs de
n’était encore qu’un enfant – sa gouvernante et pierre, explique Jean de Yturbe, propriétaire du
la dame d’honneur de la mère de François Ier, domaine, dans sa famille depuis 1860. Mais avec
Louise de savoie. rien n’est trop beau pour anet, on a fait entrer la renaissance française
Diane, pourtant de vingt ans son aînée. dans sa période classique. secrétaire particu-
Lorsqu’Henri devient roi de France en 1547, il lui lier du cardinal Jean du Bellay, ambassadeur
ofre les bijoux royaux et la propriété royale de de France à rome, Delorme (1510-1570) était
chenonceau. très vite, Diane fait reconstruire, un jeune architecte qui revenait d’Italie, où il a
par l’architecte lyonnais Philibert Delorme, le puisé son inspiration. sa chapelle du château est
manoir gothique d’anet en une demeure des considérée par nombre de spécialistes comme le
plus rafnées. Pour le décorer et l’aménager, plus beau bâtiment de la renaissance en France :
quelques-uns des artistes les plus prestigieux admirée déjà en son temps, elle constitue une
de l’époque se déplacent dans ce coin buco- révolution architecturale, une rupture défnitive
lique de la vallée de l’eure : Benvenuto cellini et avec l’héritage médiéval. c’était l’une des pre-
Jean Goujon pour les sculptures, Léonard mières en forme de croix grecque, surplombée
Limosin et Jean cousin pour les vitraux. d’un dôme exceptionnel. Il faut voir les anges
Joachim Du Bellay, ébloui, évoquera, dans ses sculptés par Jean Goujon ou le pavement de
Regrets, le « paradis d’anet », louant « la belle marbres polychromes extraordinaire. »
architecture, les marbres animés, la vivante
Francis Cormon

peinture, (…) le jardin tapissé d’éternelle verdure Bien que mutilé, le domaine garde encore le
et la vive fontaine à la source immortelle ». souvenir des amours royales. un amour plato- 2
nique, comme l’avancent certains historiens ?
Dès l’arrivée au château, c’est l’émerveillement. « Pas du tout, afrme Jean de Yturbe, voyez,
ce n’est pas un simple portail d’entrée que l’on partout, les lettres D et les H qui s’entrelacent.
découvre, mais un véritable arc de triomphe D’ailleurs, quand catherine de Médicis a décou-

68 DĒtours en France
les châteaux plaisir
a n et

Retour au château…
Onze ans après sa mort, le corps embaumé
de Diane de Poitiers est placé dans la chapelle
funéraire du château d’Anet. À la Révolution,
son tombeau est profané et ses os transférés
dans la fosse communale, près de l’église.
C’est en 2008 qu’une équipe de scientifiques
emmenée par le docteur Charlier, médecin-légiste
surnommé « l’Indiana Jones des cimetières »,
authentifie son corps. Ils découvrent notamment
un taux d’or hors norme : la duchesse
de Valentinois en buvait chaque jour, mélangé
avec de l’eau, pour rester jeune… ce qui
est cependant vraisemblablement la cause
de sa mort ! Sa dépouille sera réinhumée
deux ans plus tard dans la chapelle funéraire
du château, au cours d’une grande cérémonie.

vert cela, elle ne voulut plus jamais y revenir ! »


Certains disent que Diane sut un peu trop tirer
proft, fnancièrement, de sa situation de favo-
rite et des largesses du roi. « Diane de Poitiers
2 ! Et ils étaient profondément
était déjà très riche
amoureux, relativise le propriétaire. C’était une
femme très belle et très intelligente, et aussi très
moderne pour l’époque, en ce sens qu’elle était
indépendante. Par exemple, elle chassait alors
qu’aucune femme de son rang ne chassait avec
les hommes. Lui était fasciné par sa beauté et
sa personnalité. Elle, était dévouée corps et
âme à cet homme, très séduisant. Rafnée, elle
avait bon goût et a choisi les meilleurs artistes
pour Anet : des peintres, des poètes… Elle a fait
du château un haut lieu de la vie artistique et
culturelle, le théâtre de réceptions et de fêtes
somptueuses. Quand le roi venait, il s’installait
plusieurs mois avec sa cour, enchanté. »

La belle histoire prend fn en 1559, tandis


qu’Henri II meurt brutalement dans un tournoi.
Diane de Poitiers tombe en disgrâce : Catherine
de Médicis, devenue régente, lui fait rendre ses
bijoux et son château de Chenonceau. Recluse
à Anet, Diane fait construire, par l’architecte
des princes de Lorraine Claude de Foucques,
une chapelle funéraire pour abriter son tom-
beau. Elle meurt en 1566, à 66 ans, et son corps
n’y sera inhumé qu’en 1577. •

Pratique : 28260 Anet. Tél. : 02 37 41 90 07. www.chateaudanet.com

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 69


LES CHÂTEAUX
secrets
Franck Charel/Détours en France

LE pLESSiS-boUrré — giSorS — jUmiLHAC — brézé

Ceux-là ont des choses à cacher. Là un « simple » trésor que jamais on ne trouve,
ici des peintures énigmatiques, ailleurs des galeries enfouies…
Sans parler de ce châtelain dont on dit que la fortune en or a d’abord été du plomb !
À l’image des augustes
édifices auxquels
nous l’avons associé,
Brézé manie à merveille
la cachotterie !
Quelques marches
d’un escalier de pierre et
vous plongez dans
un château sous
le château, des galeries
troglodytiques
labyrinthiques, tant
de secrets toujours
enfouis…

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 71


Châteaux
de légende

t roIs qu est Ions À

CLAUDE ARZ voyageur de l’étrange


Une enfance en Bretagne, un père guérisseur : Claude Arz se dit né dans
une marmite de sorcier ! Ce qui ne l’a pas empêché de faire l’École pratique des hautes
études. Voilà qui lui a donné envie tout autant de croire que de comprendre et
a fait de lui un spécialiste de la France et de ses lieux mystérieux*.

1
Si les intersignes ne sont pour vous que galéjades,
si les demeures hantées ne font que vous amuser, si
les énigmes indéchiffrées sommeillant dans les sou-
terrains des châteaux ne vous passionnent pas,
Pourquoi les châteaux sont-ils des lieux privilégiés passez votre chemin ! Pour tous les autres, la fré-
pour les secrets, les légendes et les fantômes ? quentation de ce spécialiste de l’insolite, du surna-
turel, de l’étrange . Après des études juridiques, il se
Le responsable, c’est le romantisme ! À l’époque de la tourne vers l’édition et publie un premier livre en
révolution industrielle, sans doute par défance envers 1990, «Le guide France insolite» chez Hachette.
Depuis, ce passeur d’histoires mystérieuses et de
le progrès en marche, il y a eu un engouement pour le légendes, dans la lignée d’un Claude Seignolle, par-
passé. c’était aussi le début du tourisme. Des écrivains court inlassablement la France dont il fait partager
ses découvertes par ses livres, ses guides, ses
anglais, puis français, des Walter scott, théophile Gautier, conférences. http://arz.blogspirit.com

3
Victor Hugo, ont arpenté les régions françaises, auvergne,
Limousin, normandie, Bretagne, et découvert des châteaux Vous, le spécialiste des lieux mystérieux, quels sont
cachés dans le bocage, certains abandonnés, en ruines : les châteaux qui vous ont le plus marqué ?
on sortait de la révolution ! Les paysans en parlaient avec Il y en a beaucoup, et pour diférentes raisons. Le château
un peu de peur, il y avait toujours de vieilles histoires de terre-neuve, à Fontenay-le-comte, en Vendée : encore
autour… on les a « habités » avec ces légendes en respectant une demeure alchimique, avec une remarquable cheminée
les traditions locales. Puis, dans la deuxième moitié du monumentale. elle porte, gravés par Philibert Delorme, les
XIXe siècle, est apparu le spiritisme, avec les travaux d’allan symboles des phases de la réalisation de la pierre philo-
Kardec : il ne sufsait plus de parler de fantômes, il fallait sophale. et sur son fronton, la parabole des alchimistes :
essayer de les trouver. un mouvement qui s’est amplifé en Nascendo quotidie morimur (« en naissant nous mourons
1920 avec la publication de l’ouvrage Les Maisons hantées, chaque jour ») tirée de sénèque. Le Plessis-Bourré excite
écrit par camille Flammarion… qui, je le rappelle, était un toujours ma curiosité, avec toutes ses histoires peintes que
grand astronome, pas un farfelu ! je n’arrive pas à lire. Même Georges Duby à qui je posais
la question me répondit : « on ne sait pas ce que c’est » !
Gisors me fascine pour son extraordinaire histoire de

2
Parmi les mystères qui touchent les châteaux, il y trésor : il faut quand même se représenter qu’à l’époque
a la question de l’alchimie et du message codé qu’on on a vraiment cru avoir trouvé le trésor des templiers et
retrouve dans certains d’entre eux… que même un ministre – Malraux – y a lancé des fouilles !
Fulcanelli les appelait les « demeures philosophales ». et j’aime aussi beaucoup le château de Veauce, dans l’allier,
Fulcanelli était un pseudonyme, on n’a jamais su qui se et la touchante histoire du fantôme Lucie. rappelons que
cachait derrière, sans doute un collectif d’occultistes et son précédent propriétaire, ephraïm tagori de la tour,
d’ésotéristes. Dans Les Demeures philosophales, « il » prétendait converser avec le fantôme d’une jeune flle. en
décrypte la symbolique alchimique dans l’architecture de 1984, une équipe de France Inter, composée du journaliste
certains monuments, cathédrales et châteaux. L’idée est de Jean-Yves casgha et d’un médium, alla faire un reportage
retrouver le discours des initiés, discours perdu depuis la et aurait rencontré Lucie. après il y a eu beaucoup d’émis-
renaissance, car ces initiés étaient poursuivis par l’Église sions, mais Lucie s’est faite plus discrète, surtout depuis la
et le pouvoir. Fulcanelli a largement commenté le château mort de tagori. Moi-même j’ai passé une nuit à Veauce, je
de Dampierre-sur-Boutonne et les 93 caissons sculptés ne l’ai pas vue… et je n’ai pas réussi à fermer l’œil ! Mais c’est
de sa galerie : aussi surprenant que les caissons peints du une belle histoire de château hanté, non ? •
Plessis-Bourré ! J’ai aussi une tendresse particulière pour
le château de cénevières, dans le Lot, moins riche en sym- *À lire : Voyages dans la France mystérieuse (éditions Le Pré
boles alchimiques, mais le lieu est tellement beau… aux clercs). arz.blogspirit.com

72 DĒtours en France
Pour ce quêteur
d’histoires humaines
cuites et recuites dans
le chaudron du mystère,
le monde des cathares
reste un pôle important
de connaissance,
d’enchantement et
de frisson. Sur cette
gravure, les «hérétiques»
du château de Montségur
sont jetés sur les bûchers
de la Sainte Inquisition,
lors de la croisade contre
les Albigeois.
Lee/Leemage
Châteaux
de légende

Le PLessis-
Bourré
l’énigme du plafond peint
Au nord d’Angers, il est un château plein de grâce, posé sur son écrin d’eau.
Son trésor : le superbe décor d’un plafond, où une fresque de «personnages»
raconterait le secret de la pierre philosophale.

74 DĒtours en France
les châteaux secrets
l e pl e s s i s -b our r é

De nombreux films
ont été tournés dans
ce véritable décor
de cinéma Renaissance,
d’où l’on s’attend à voir
surgir capes, épées
et intrigues assorties !
Mais au-delà de sa
superbe toute
cinématographique,
la demeure du grand
argentier Jean Bourré
cache des peintures
qui intriguent encore.

Labbe/Colorise

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 75


C
châteaux
de Légende

Le PLessis-Bourré
ne serait
qu’un château
Parmi d’autres
Ces quatre grosses tours qui se mirent dans
au jardin aussi ! l’eau, ce pont-levis avec mâchicoulis et échau-
s’iL ne comPtait
Le jardin, à l’entrée guettes, ce pont qui n’en fnit pas d’enjamber une PIèCe
du parc du château, s’est
mis au diapason. Près des douves aux allures de petit lac… oui, vous les exCePtIonneLLe :
de quatre-vingts espèces avez déjà vus, même si vous visitez Le Plessis- La saLLe des
reprennent le langage
codé de l’alchimie :
Bourré pour la première fois ! Peau d’ âne, Gardes.
Le Bossu, Fanfan la Tulipe, plus récemment
les fleurs noires, blanches
et rouges évoquent, par La Princesse de Montpensier ont tous choisi
exemple, le travail pour décor ce château plein de grâce.
de l’alchimiste, tandis que
la fleur de la Vierge Marie
Il faut dire que la demeure est photogé- pas renié Jérôme Bosch, traité à la détrempe, en
– le jasmin – rappelle
la place du divin dans nique : dans un écrin de forêts et d’eau, elle se gris sur fond bleu et vert. son remarquable état
cette quête du savoir. donne encore un air de forteresse, mais cache de conservation est dû au fait que ces peintures
Le Carré des remèdes derrière ses murs de tufeau une demeure ont été cachées, sans doute au XVIIIe siècle,
présente les plantes
qui, au Moyen Âge,
de plaisance délicieusement renaissance. certaines scènes étant jugées impudiques
servaient à préserver comme en témoigne la cour intérieure, avec (La « Fontaine indécente », par exemple) !
sa jeunesse et à vaincre ses ailes basses, sa galerie à arcades et ses hautes
la mort. lucarnes. Même élégance dans les appartements L’auteur de ces merveilles nous est inconnu.
du XVe au XVIIIe siècles, richement meublés, la Par contre, son commanditaire est bien
chambre empire du maréchal soult, dont les Jean Bourré, grand argentier et confdent de
descendants habitent toujours le château, la Louis XI, qui ft construire le château en 1468.
bibliothèque riche de trois mille volumes. Pourquoi ft-il peindre ce plafond ? Par simple
souci de décoration ou pour laisser un message
Mais Le Plessis-Bourré ne serait qu’un châ- aux générations futures ? Jean Bourré était-il
teau parmi d’autres s’il ne comptait une pièce alchimiste ? avait-il découvert le secret de la
exceptionnelle : la salle des Gardes. Levez le pierre philosophale ? Le mystère du plafond
nez : le plafond en bois peint, daté du XVe siècle, du Plessis-Bourré reste entier… •
présente vingt-quatre caissons richement
décorés sur le thème de l’alchimie. seize d’entre
eux symbolisent le Grand Œuvre ou la réalisa- un destin exceptionnel
Né en 1424, fils de bourgeois de Château-
tion de la pierre philosophale, les huit autres
Gontier, Jean Bourré entra au service de Louis XI
sont des petites histoires illustrées à l’attention alors que celui-ci n’était encore que le dauphin.
des alchimistes. À vous de retrouver la licorne, Sa loyauté le fit récompenser par la charge
symbole de pureté, le pélican, image de la nour- de trésorier ou grand argentier, l’équivalent
de notre ministre des Finances. Après la mort
riture nécessaire à la naissance de la pierre ; les
de Louis XI, il continua à servir le royaume sous
deux coqs qui se battent, illustration du com- Charles VIII. Passionné par les arts, il fit
bat des deux matières, le soufre et le mercure, construire, outre Le Plessis-Bourré, le château
nécessaires à cette même pierre ; ici un phénix, de Jarzé, toujours dans le Maine-et-Loire.
Jean Bourré était-il alchimiste, comme pourrait
qui renaît de ses cendres, symbole de la pierre ; le suggérer la salle des Gardes du Plessis-Bourré ?
là un caducée, formé par deux oiseaux enlacés. Difficile à dire. En tout cas, l’homme est mort très
et aussi une laie musicienne, deux singes che- âgé (82 ans) et très riche. Si riche que certains se
vauchant une ourse – l’étoile polaire –, une demandent d’où pouvait provenir une telle fortune.
Tout comme son prédécesseur à la charge
jeune flle sur une tortue, un âne chantant la d’argentier, Jacques Cœur… que d’aucuns
messe, les deux béliers, allusion à l’astrologie… soupçonnent d’avoir été, lui aussi, un initié !
un bestiaire d’animaux fabuleux que n’aurait

Pratique : 49460 Écuillé. Tél. : 02 41 32 06 72. www.plessis-bourre.com


Visites guidées uniquement : « classique », appartements, salle des gardes, bibliothèque ; « médiévale », autour des parties les plus anciennes,
en passant par les charpentes, le pont-levis et les signes cachés de l’alchimie (seulement l’été).

76 DĒtours en France
les châteaux secrets
l e pl e s s i s -b our r é
Hervé Champollion/akg-images

2 3
Jean-Baptiste Rabouan/hemis.fr

1. Le Grand Salon 2. Le plafond de 3. Cette statue


de style Régence, la salle des Gardes en bois polychrome
entre Louis XIV et a fait la réputation (XVe siècle) est
Louis XV, abrite du château. On y une représentation
notamment un bureau observe vingt-quatre allégorique de
Hervé Champollion/akg-images

Mazarin en caissons : seize l’athanor (le chaudron


marqueterie Boulle symbolisent alchimique).
recouvert d’écailles le Grand Œuvre, Les personnages
de tortue, de laiton et les huit autres sont symbolisent
d’étain. Les boiseries des petites histoires les deux ingrédients
sculptées XVIIIe illustrées visant à de base de la pierre
en haut-relief donner une morale, philosophale : la
représentent des des conseils femme est le mercure,
scènes de chasse. aux alchimistes. l’homme le soufre.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 77


J
châteaux
de Légende

gisors
L’énigme du trésor caché des tempLiers
Verrou à l’entrée du duché de Normandie, la forteresse de Gisors a été pendant longtemps au
centre des querelles entre Français et Anglais. Et pour certains chasseurs de trésors, elle
recèlerait toujours l’or des Templiers, recherché par Philippe le Bel.

« Je suis dans une chapelle romane. Le long Pourquoi à Gisors ? Il faut remonter au
des murs, posés sur le sol, des sarcophages de XIIe siècle. objet de convoitises entre le
pierre. et dans la nef, 30 cofres de métal pré- royaume de France et l’angleterre, le châ-
cieux rangés par colonnes de 10. » c’est à peu teau est confé pendant trois ans à l’ordre du
près par ces mots que roger Lhomoy décrit à temple, le temps que se négocie le mariage
la mairie de Gisors la découverte qu’il vient de entre la flle de Louis VII et le fls d’Henri II
faire, en ce jour de mars 1946. notre homme Plantagenêt. Deux siècles plus tard, Philippe
est jardinier et gardien au château. Depuis le Bel y fait incarcérer Jacques de Molay,
six ans, il creuse une galerie sous la motte grand maître de l’ordre avant de le faire brû-
féodale, persuadé que s’y cache un fabuleux ler en 1314. son objectif : mettre la main sur la
trésor : celui des templiers. fortune de l’ordre. Mais la veille de l’arresta-
tion de tous les templiers, le 13 octobre 1307,
une poignée d’entre eux aurait quitté Paris
avec trois chariots remplis d’or en direction
de l’angleterre : ils ont pu s’arrêter à Gisors et
Le prisonnier de la tour trouver une cache dans ce château qui leur
Gisors a plus d’un mystère dans son château. avait appartenu. celui qui construisit le pre-
Le trésor des Templiers ne doit pas faire oublier
l’existence du prisonnier qui fut enfermé
mier édifce en 1096, robert de Bellême, était
pendant des années dans la tour du même nom. lui-même un chevalier du temple.
Il a laissé dans sa cellule des graffitis de toute
beauté, qui les apparentent plus à des bas- Roger Lhomoy sait-il tout cela ? en tout cas
reliefs : scènes de la Résurrection, Adam et
Ève, saint Nicolas ressuscitant des petits notre gardien ne se montre pas convaincant :
enfants, bal des Ardents, écusson avec des le trou est rebouché et les recherches aban-
cœurs et même la croix pattée des Templiers données. en 1960, roger raconte son histoire
que l’on retrouve aussi, souvent, dans le Vexin. à un journaliste passionné par les histoires
Ces graffitis seraient l’œuvre d’un sieur
Nicolas Poulain, puisqu’on peut y lire l’inscription de trésor, Gérard de sède*. un livre sort : Les
O Mater Dei, memento mei, Poulain (« Ô Mère Templiers sont parmi nous, et andré Malraux,
de Dieu, souviens-toi de moi, Poulain »). alors ministre de la culture, ordonne de nou-
Ce Nicolas serait un fils illégitime de
velles fouilles. on ne trouvera jamais rien.
Charles Ier de Bourbon, archevêque de Rouen,
CAP/Roger-Viollet

que les Ligueurs tentèrent d’imposer comme roi


de France après l’assassinat d’Henri III, à Trésor ou pas, le château vaut bien votre visite.
la place du futur Henri IV ! Les raisons de sa c’est un impressionnant témoin des confits
présence à Gisors restent bien mystérieuses…
sans fn qui opposèrent Français et anglais au

Pratique : 27140 Gisors. Tél. : 02 32 55 59 36. www.tourisme-gisors.fr


Entrée libre et gratuite du site du château qui est un parc. Visite guidée avec le service « Patrimoine » de la ville de Gisors.

78 DĒtours en France
les châteaux secrets
g i s or s
Christian Voulgaropoulos/Détours en France

1. Posé sur sa
Moyen Âge. L’enceinte du XIIe siècle a encore motte de terre et
fère allure, avec ses tours rondes, carrées, de pierre, entouré
polygonales et ses murs hauts de 10 mètres. d’une fortification
circulaire, le donjon
Une partie du côté de la porte de la Ville pos- du XIIe siècle s’est
Christian Voulgaropoulos/Détours en France

sède encore une fausse braie, c’est-à-dire un vu adjoindre


une tourelle d’escalier
deuxième rempart plus petit qui permettait de au XIVe siècle.
protéger le plus grand depuis le fossé.
2. - 3. Une partie
des communs a
L’intérieur, désormais occupé par de paci-
certes été détruite
fques jardins, est dominé par la silhouette au XVIIe siècle,
altière du donjon. Posé sur une motte, il est des pierres dérobées
dans la foulée…
entouré d’une fortification circulaire ou 2 Il n’en reste pas moins
« chemise » et date comme elle du début du qu’une promenade
au pied de ces murs
XIIe siècle. Remarquez les contreforts qui le hauts de 10 mètres,
consolident : ils sont postérieurs de quelques 3 sous ces tours
(de guet,
dizaines d’années. Quant à la tourelle d’esca-
« du Prisonnier »…)
lier qui lui est accolée, elle date du XIVe siècle. rondes, carrées,
polygonales, vous fera
revivre une belle page
Désormais, le donjon ne se visite plus : les d’histoire.
Christian Voulgaropoulos/Détours en France

fouilles intempestives des chasseurs de trésors,


qui ont suivi la parution du livre de Gérard de
Sède, ont transformé la motte en gruyère et
compromis la stabilité de l’édifce. La légende
du trésor des Templiers a été plus fatale à Gisors
que des siècles de guerre contre les Anglais ! •

*Auteur d’ouvrages sur les Cathares et sur


Rennes-le-Château.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 79


châteaux
de Légende

Adossé au village
de Jumilhac-le-Grand,
bordé d’un jardin
organisé autour de son
bassin central,
le château de Jumilhac
dresse ses tours de
pierre blond-roux et son
étonnante toiture avec
une belle majesté.
Ici, pourtant, c’est
le mystère qui règne
en maître !

jumilhac
La demeure d’un aLchimiste
Au cœur du Périgord vert, un imposant château interpelle le visiteur par la dimension
de ses toits, « les plus romantiques de France », selon Gustave Doré. Son propriétaire
était-il alchimiste ? A-t-il trouvé le secret de la transformation du plomb en or ?
Son actuel descendant a mené l’enquête.

80 DĒtours en France
Les châteaux secrets
j um i l h ac

Jean-Daniel Sudres/voyage-gourmand.com

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 81


O
Châteaux
de légende
1. Respectant les concepts
de la Renaissance et
les principes de Le Nôtre,
les jardins retracent toutefois
deux thèmes mystérieux
de l’alchimie.

2. L’incroyable toiture recèle


elle aussi moult éléments
– serpents dos à dos,
chardons… – tendant à
prouver qu’Antoine Chapelle
était bel et bien un alchimiste !

Oh, le beau château ! en plein village, un vaste


corps de logis encadré de deux ailes en retour
d’équerre, une courtine qui ferme une cour

Jean-Daniel Sudres/voyage-gourmand.com
d’honneur, des tours, de la pierre blond-roux et
de l’ardoise bleue. Passons la porte…

Dans la cour d’honneur, toujours cette


impression de puissance afrmée. Les toits
y sont pour beaucoup, pentus, élancés, alter-
nance de tours en poivrière, d’échauguettes et
de lanternons. et tout en haut, comme autant
de points d’interrogation posés sur le ciel bleu 1
du Périgord, d’étranges faîtières allégoriques :
bienvenue dans le château d’antoine chapelle, là pour marquer ce nouveau statut. » et les
qui, à la fn du XVIe siècle, ft agrandir le bâti- faîtières qui les décorent ? un ange debout qui
ment existant – datant du XIIIe – et le dota de tient un livre et deux bustes arborant une épée,
cette toiture époustoufante. une balance et un maillet : « La Loi, la Justice,
l’autorité : les symboles des trois pouvoirs
Mais laissons Henry de La Tour du Pin, féodaux. » Voilà pour l’histoire ofcielle. Mais
actuel propriétaire des lieux, nous parler de son il y en a une autre, que notre hôte développe
aïeul. « antoine chapelle n’était qu’un simple avec gourmandise : « on peut interpréter ces
hobereau de province quand il devint homme trois allégories à la lumière de la symbolique
de confance de son suzerain, le futur Henri IV, alchimiste : l’ange est Hermès trismégiste
en lui prêtant de l’argent. Lorsque celui-ci – toujours représenté avec des ailes – père de
arriva sur le trône, il remercia son vassal en l’alchimie. L’autorité est le principe masculin,
l’élevant au rang de comte. ces toits sont la Justice le principe féminin, la Loi est l’élé-
ment asexué, donc neutre : il faut l’association
de ces trois principes pour donner naissance à
la pierre philosophale, celle qui transforme le
Une fortune inexpliquée plomb en or et sert à fabriquer l’élixir de longue
Henry de La Tour du Pin est féru d’alchimie. Est-ce le château familial et
l’histoire de son ancêtre qui l’ont influencé ? « Rien ne me prédisposait vie. car antoine chapelle était un alchimiste. »
à m’intéresser à cette discipline. Plus manuel que cérébral, j’ai fait des études
de géologie, qui m’ont permis de lier la nature, l’histoire – une de mes grandes L’actuel châtelain de Jumilhac a trouvé, tou-
passions – et les sciences. »
Alors pourquoi et comment toutes ces découvertes sur Antoine Chapelle et jours sur les toits, d’autres éléments pour étayer
la symbolique de Jumilhac ? « Cela s’est fait progressivement. J’ai commencé cette version : des serpents dos à dos dont les
par donner un coup de main pour des travaux au château. J’ai été intrigué par corps font penser à un caducée, symbole de la
les faîtières, mais aussi par des cheminées décorées d’étoiles à huit branches, genèse et de la pierre philosophale ; et aussi de
symboles que les alchimistes gravaient sur les pièces en or et en argent. »
Henry s’est aussi posé des questions sur la richesse de son ancêtre : comment mystérieux chardons : « c’est la marque d’allé-
un simple hobereau a-t-il pu acheter un aussi vaste domaine que Jumilhac et geance d’un vassal à son suzerain. Mais dans
prêter de l’argent au futur roi de France ? « En plus, Antoine Chapelle était un ouvrage sur les plantes magiques, j’ai aussi
maître des forges, sidérurgiste avant l’heure, et donc connaissait bien le travail
trouvé que le chardon est la représentation de
des métaux. » Alors son ancêtre avait-il réussi à percer le secret de
la pierre philosophale ? l’alchimiste initié, celui qui cherche la pierre. »
autre élément étrange sur le toit : la présence

82 DĒtours en France
les châteaux secrets
J um i l h ac

2 La recherche
du paradis perdu
L’alchimie est née chez
les Babyloniens pour
percer deux secrets :
l’immortalité de l’âme et
la transformation des
métaux vils en or. Avec
le christianisme, elle a pris
une autre dimension :

- The Granger Collection NYC/Rue des Archives


renouer avec le paradis
perdu, l’Absolu. Au temps
d’Antoine Chapelle,
l’alchimie fonctionnait
avec les connaissances
du Moyen Âge : suivant
l’enseignement de
la Chine, par exemple,
le monde était expliqué en
quatre éléments (terre,
eau, feu, air) et en quatre
qualités (chaud, sec,
humide et froid). Avec

Lionel Lourdel/Photononstop
la Renaissance, la quête
de l’idéal de pureté
disparaît peu à peu au
profit d’une exigence
de connaissance
universelle. L’or et
la connaissance,

d’une « guette » ou tour de guet, cassant bizar- Enfn, voilà un portrait qu’Henry de La Tour
rement la symétrie de la toiture et des faîtières. du Pin était impatient de nous montrer :
Une représentation de la cheminée de l’athanor, Rodolphe II de Habsbourg. Grand mystique
le four des alchimistes ? mais piètre roi – il gouverna l’Autriche, la
Hongrie et la Bohême – il était avant tout
On peut se demander quel intérêt pouvait mécène et surtout grand protecteur des…
avoir un noble du XVIe siècle à afcher sur son alchimistes. « La présence de ce tableau vient
la matière et l’esprit : c’est
toit son appartenance à l’alchimie… « À l’époque renforcer la théorie d’Antoine Chapelle alchi- toute la symbolique
où les livres étaient rares et chers, c’était une miste, même si on peut se demander comment de la pierre philosophale.
manière de faire partager ses connaissances. Et la toile est arrivée à Jumilhac. » Cadeau d’Henri L’Église catholique, on s’en
d’envoyer un signal aux voyageurs de passage, IV à son vassal ? Voyage d’Antoine Chapelle à doute, ne voyait pas d’un
bon œil les alchimistes et
qui pouvaient eux aussi être des initiés. » Prague, à la cour de Rodolphe II ? Butin de la leurs travaux. Les grands
guerre de Trente Ans, à laquelle a participé le initiés se transmettaient
Mais il n’y a pas que les toits à Jumilhac. Notre fls d’Antoine Chapelle ? Le mystère reste entier. donc leurs secrets dans
un langage codé, peint ou
hôte nous invite donc à poursuivre notre visite.
sculpté dans la pierre,
Les ailes transformées au XVIIe siècle abritent de Une dernière pièce pique la curiosité des avec des emprunts
belles pièces, comme le Grand Salon, dans l’aile visiteurs : la chambre dite « de la Fileuse ». à la mythologie grecque,
Nord-Ouest : avec ses boiseries, ses peintures Louise de Hautefort, mariée au fls d’Antoine à l’Ancien et au Nouveau
Testament. On le retrouve
signées Oudry, il ne déparerait pas Versailles. Chapelle, resta enfermée dans cette pièce pen-
sur les toits de Jumilhac,
C’est là qu’ont été tournées des scènes du flm dant trente ans par son mari jaloux. La recluse sur les fresques du
Le Pacte des loups. Sur la belle cheminée en occupait ses journées à fler et à peindre, Plessis-Bourré ou au
tilleul et chêne, dite « des Quatre Saisons », on comme en témoigne un émouvant autopor- château de Dampierre-
sur-Boutonne.
remarque en bas à gauche saint Roch, avec un trait et des fresques sur le thème de la nature, À lire : Alchimie, le grand
bubon sur le genou, et saint Martin : ils proté- avec un croissant de lune, un soleil éclatant et secret, d’Andrea Aromatico,
geaient Jumilhac des épidémies et de la famine, un surprenant volatile… Un mystère de plus à (Découvertes Gallimard).
deux féaux qui s’étaient abattus sur la région déchifrer pour Henry de La Tour du Pin ! •

Pratique : 24630 Jumilhac-le-Grand. Tél. : 05 53 06 30 75 et 06 09 61 78 40. www.jumilhac.net. Visite guidée du château,


visite libre ou guidée des jardins à la française. Accès aux toitures en visite guidée sur rendez-vous. De juin à septembre, visites nocturnes
aux torches, aux bougies et en musique : on peut même venir costumé, en seigneur, en troubadour… ou en alchimiste !

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 83


châteaux
de Légende

Brézé
Le château aux deux visages
Il y a le château de surface… et l’autre. Au cœur de l’Anjou et du pays
des troglodytes, Brézé est sans doute le plus insolite des châteaux de la Loire,
avec son exceptionnel réseau de galeries souterraines. L’occasion
de remonter le temps… en descendant sous terre !
Francis Leroy hemis.fr

84 DĒtours en France
Les châteaux secrets
Brézé

Renaissance jusqu’au
bout de ses deux ailes,
encadrant une galerie
rebâtie au XIXe,
Brézé cache en son sein
des merveilles
néogothiques. Mais ce
qui saute aux yeux à
si belle altitude, ce sont
ses douves sèches,
les plus profondes
d’Europe.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 85


D
Châteaux
de légende

Des arbres, une mer de vignes, la blancheur


du tufeau : Brézé a toute l’élégance d’un châ-
teau de la Loire. Mais ce qui fait sa singularité
ne se voit pas, du moins au premier coup d’œil !

Commençons par la visite « classique » : deux


ailes renaissance qui encadrent une galerie
reconstruite au XIXe siècle, à la place d’un ancien
mur d’enceinte. L’ensemble a appartenu au
Grand condé, avant de tomber dans la corbeille
de la famille de Dreux-Brézé, puis aujourd’hui
des descendants de colbert. Parmi les ancêtres,
citons Henri de Dreux-Brézé, que Louis XVI avait
chargé de préparer les États généraux : c’est à lui
que Mirabeau lança : « nous sommes ici par la
volonté du peuple et nous n’en sortirons que par
la force des baïonnettes. »
Franck Charel/Détours en France

L’intérieur ravira les amateurs de beau


mobilier et de décor néogothique, comme
celui de la salle à manger, réalisé par charles
cicéri, célèbre décorateur de théâtres parisiens,
désormais classée monument historique. tout 1 2
aussi intéressants, les appartements privés,
dont ceux de Pierre de Dreux-Brézé, évêque de
Moulins, la cuisine et sa collection de cuivres, 1. - 2. Sous la tour un cellier, qui rappelle que les vins blancs de
dite « de l’Évêque »,
et la grande galerie, ancienne salle de récep- qui abritait ses Brézé ont été de tout temps réputés. ajoutez des
tion, surveillée par les portraits. appartements, cachots, des écuries, un pont-levis souterrain,
les douves sèches,
profondes de près de
des silos, des glacières : tout a été conçu pour
Mais apprêtez-vous à découvrir plus extraor- 20 mètres. Creusées vivre ici en autarcie ! Les cinq grandes salles,
dinaire. retour à la cour intérieure : vous voyez afin d’extraire la pierre qui sont aujourd’hui pressoir et cellier, ont ainsi
de tuffeau, elles
cette humble porte en bois, à gauche de la tour ? mènent à la plus abrité les troupes du Grand condé, du temps où il
Poussez-la : un escalier de pierre vous conduit grande forteresse habitait le château : 500 hommes tout de même !
souterraine d’Europe.
sous l’édifce, dans ce qui n’est autre qu’un châ-
teau souterrain ! Des galeries, des salles troglody- 3. Dans son cabinet Accessible par la cour intérieure, le château
tiques, éclairées çà et là par des puits de lumière : de travail, Pierre de troglodytique donne aussi sur les douves, qui
Dreux-Brézé a fait
un vrai labyrinthe ! Les premiers souterrains intégrer au plafond n’ont jamais été en eau. elles sont impression-
datent du IXe siècle : à l’époque, il n’y avait pas les visages de ceux nantes : 18 mètres de hauteur, les plus profondes
qu’il considérait (à tort !)
encore de château de surface. Mais les souter- comme ses ancêtres : d’europe ! elles ont été creusées au XVe siècle, et
rains jouaient déjà un rôle défensif. Robert Ier, comte de les pierres extraites ont servi à la construction du
Dreux, les rois Louis VI
château. Du haut du pont-levis, vous aurez sur
et Louis VII et la reine
C’est au XVe siècle que le château souterrain Anne de Bretagne. elles une vue vertigineuse. et vous pourrez rêver
commence à être aménagé, et il sera encore aux souterrains qui n’ont pas encore livré tous
perfectionné au XVIIe. Vous voilà dans la cui- 4. La galerie souter- leurs secrets : on en connaît à l’heure actuelle
sine, agrémentée de ses deux fours à pain et d’un raine va de la cour 4 kilomètres – dont on ne visite qu’un tiers –
d’honneur du château
plus petit, dit « à sucrerie » : il servait à cuire les aux douves sèches. mais il y en aurait plus du double ! •
gâteaux ! une niche en hauteur, accessible par
un petit escalier, nous suggère que le boulan-
ger se reposait là, en attendant la cuisson de son
L’intérieur rAVirA
pain. Ici, un chemin de ronde souterrain, percé Les AMAteurs De beAu MobiLier
de meurtrières qui donnent sur les douves ; là et de déCor néogothique.

86 DĒtours en France
les châteaux secrets
brézé

Guillard Jacques/Scope-Image

Des facons vénérables


Dans les souterrains, vous aurez remarqué le pressoir et
le cellier. Les vins de Brézé sont connus depuis le XVe siècle,
Franck Charel/Détours en France

particulièrement en blanc : un des cépages des vins de Loire,


le chenin, était d’ailleurs appelé « vin de Brézé ». Les rois
des grandes cours d’Europe les appréciaient à leur table.
Aujourd’hui, le domaine, classé en Saumur, produit du blanc,
du rouge, du rosé, du brut et les plus belles cuvées proviennent
de vieilles vignes. Les anciennes écuries du château vous
attendent pour une dégustation de vins pétillants.

3 4
Franck Charel/Détours en France

Franck Charel/Détours en France

Pratique : 49260 Brézé. Tél. : 02 41 51 60 15. www.chateaudebreze.com. Visites libres et guidées du château et des souterrains.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 87


LES CHÂTEAUX
maudits TiffAUgES — TréCESSon — rUSTépHAn —
monTSégUr — CHÂTEAU-gAiLLArd

Atrocités, sièges à répétition, événements surnaturels, fantômes, accidents,


ces forteresses du Moyen Âge dédiées aux rois et à leurs proches vassaux ne furent pas
épargnées par les méfaits de l’Histoire et du hasard. Si la plupart d’entre eux relèvent bien
de réalités tangibles, certains demeurent inexpliqués.
Francis Cormon / hemis

88 DĒtours en France
Au sommet d’une
falaise calcaire, cette
forteresse, dont le nom
proviendrait de propos
tenus par Richard Cœur
de Lion, qui l’a fait ériger
pour contrer les
offensives françaises,
est un symbole des
Rois maudits. Vieux de
huit siècles,
Château-Gaillard
incarne la rivalité
franco-anglaise.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 89


L
Châteaux
de légende

ph i l i ppe

durand
Profession castellologue
Maître de conférences en Histoire de l’art du Moyen Âge à l’université
Michel-de-Montaigne/Bordeaux 3, Philippe Durand est castellologue. Il étudie châteaux et
fortifications de cette période de l’Histoire.

La castellologie est une science apparue dans les années Pourquoi la France se hérisse-t-elle de ces édifces à par-
soixante. En quoi consiste précisément votre travail ? tir des ixe-xe siècles ?
le travail d’un castellologue est de déterminer et faire com- pour comprendre le phénomène, il faut partir de l’empire
prendre comment se présentait un édifce (son architecture, carolingien, qui a atteint le maximum de sa puissance vers
son décor) et comment on y vivait. Dans l’imaginaire col- l’an 800. Mais à la mort de charlemagne commencent des
lectif, le château du Moyen Âge est l’un des édifces les plus tensions qui aboutissent à la disparition de l’empire (traité
présents… on parle bien des pyramides d’Égypte, on parle de verdun, 843). Dans les décennies qui suivent, on constate
un peu de la Grèce, de rome, mais je crois que dans notre peu à peu un phénomène de décomposition du pouvoir : le
civilisation occidentale c’est le château fort qui est l’élément roi n’est plus en mesure d’assumer ses fonctions. on assiste
qui fait le plus rêver à la fois les enfants et les adultes. pour alors à un « glissement » du pouvoir, pouvoir récupéré par
mieux le faire connaître, le castellologue se doit de com- ceux qui étaient auparavant les représentants de l’empire,
battre les mythes : les oubliettes, les souterrains à la longueur comtes ou ducs. ces derniers créent les « États féodaux »
démesurée n’existaient pas, contrairement à ce qu’ont écrit — nos grandes provinces actuelles. en s’emparant du pou-
les romantiques. il en est de même du mythe du trésor : il est voir, ils s’octroient ce qui incombait au roi. pour maintenir
très présent et a malheureusement des conséquences catas- leur autorité, ils constituent une sorte de réseau par le biais
trophiques parce que des édifces non protégés sont visi- des « vassaux », des seigneurs de moindre importance, qui
tés par des gens qui, équipés de détecteurs de métaux, font contrôlent au nom de leur suzerain (leur seigneur principal)
des dégâts importants en creusant de manière anarchique. chaque territoire. c’est la naissance de la féodalité. À chaque
Mythiques aussi, les châteaux cathares ! ceci étant, il nous niveau de la hiérarchie, on va alors construire des châteaux.
reste encore beaucoup de zones d’ombre à éclaircir… une on peut dire qu’il y a ainsi une prise en main du pays par
quantité incroyable d’édifces n’ont pas encore été étudiés ! ces nouveaux édifces.

Et quelle est la défnition exacte d’un « château fort », Quelle vie faut-il imaginer à l’intérieur de l’enceinte ?
pour un castellologue ? c’est grouillant de vie. Y résident le seigneur, sa famille, ses
c’est un édifce élevé par l’aristocratie, entre le xe et le serviteurs et sa « mesnie » — notamment les chevaliers, qui
xve siècles, afn de répondre à trois fonctions : la défense, le protègent et combattent pour lui. on y trouve une chapelle
la résidence et le symbolisme. c’est au xixe siècle, lors de qui, outre son rôle religieux, a d’autres fonctions. les prêtres
la « redécouverte » du Moyen Âge, que le terme « château ou les chanoines sont les seuls, à la haute époque, à savoir
fort » est apparu et est entré dans la langue courante — pour lire et écrire : ils rédigent les actes, faisant de la chapelle le
l’homme médiéval, un château est obligatoirement « fort » ! « secrétariat » du château ! s’y déroule aussi l’adoubement,
le terme peut être restrictif, puisqu’il fait référence avant tout cette cérémonie qui consiste à faire chevalier un jeune sei-
à la fonction militaire alors que les deux autres fonctions sont gneur. on constate que les efectifs des « professionnels de
tout aussi fondamentales. la guerre » (miles) pour combattre ne sont pas énormes au

90 DĒtours en France
DR
château, mais que, dès qu’il y a un problème, on fait appel à
un renfort et aux paysans des alentours.

Pourquoi et quand cesse-t-on de construire des châteaux


forts ?

15 000
au xve siècle, le château fort va disparaître parce qu’un chan-
gement complet s’opère dans la société. après la guerre de
cent ans, c’est la naissance de l’État moderne, notamment
sous louis xI. le monde de la guerre se modife avec l’émer-
gence d’une artillerie à poudre de plus en plus performante
qui rend le château médiéval obsolète… les goûts changent : C’ESt lE nOmbRE dE CHâtEaux fORtS
on veut vivre plus confortablement. les deux grandes fonc- EnCORE En paRtIE vISIblES
tions, défense et résidence, vont se séparer. c’est la nais- aujOuRd’HuI SElOn un InvEntaIRE
sance, d’un côté, des édifces tournés vers la défense, les RéalISé dépaRtEmEnt paR
citadelles. de l’autre, la fonction résidentielle s’impose (par dépaRtEmEnt Et publIé danS
exemple au Plessis-Bourré, vers 1470) et elle annonce les l’atlaS dES CHâtEaux En fRanCE
édifces de la Renaissance. Mais la descendance du château
médiéval est très forte : ainsi l’architecture de chambord (éd. Publitotal, 1977)
ne peut se comprendre qu’en évoquant vincennes ! Puis au de Charles-Laurent Salchs.
xIxe siècle, avec l’émergence de la notion de patrimoine et
la prise de conscience de la nécessité de sauver les édifces
du passé, le château fort retrouve tout son faste, ainsi que
l’illustre l’œuvre de viollet-le-duc qui d’une part le restaure
(Pierrefonds), d’autre part en construit de nouveaux dans le
style dit « néogothique ». c’est alors que se construit l’image
que nous avons aujourd’hui du château fort. •

HORS-SĒRIE | les châteaux de lÉgende 91


Châteaux
de légende
Valery Joncheray/andia.fr

92 DĒtours en France
les châteaux maudits
ti f faug e s

Le château de
Tiffauges, dont il reste
d’imposantes ruines
entourées d’un océan de
verdure, fut à partir de
1420 le repaire de
Gilles de Rais, plus
connu sous le nom de
Barbe Bleue. Il y aurait
commis la plupart de
ses crimes.

tiffauges
l’antre de BarBe Bleue
Au cœur de la Vendée, ce château en ruine garde le souvenir d’un des personnages
les plus controversés de notre Histoire, héros de guerre et criminel en série,
alchimiste et compagnon de Jeanne d’Arc.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 93


U
Châteaux
de légende

Sur la droite, le châtelet, tour carrée


équipée d’un pont-levis qui permettait
l’accès au château, devance les ruines
de la chapelle Saint-Vincent, édifiée
au XIIe siècle.

Docteur Jekyll et
Mister Hyde ?
Né en 1404, Gilles de
Montmorency-Laval est
un personnage fascinant,
mi-ange, mi-démon.
Orphelin jeune, il est
élevé par un grand-père
violent et devient un
grand soldat. Capitaine
de Jeanne d’Arc, il
l’accompagne à Orléans

Franck Prignet
Une presqu’île entre deux cours d’eau, des pour les faire vivre. ne vous étonnez donc pas si,
ruines imposantes, éparpillées dans la verdure : au cours de votre visite, vous croisez deux cheva-
l’endroit est plutôt bucolique, surtout si vous le liers en plein combat, un soldat manœuvrant un
visitez par une belle journée. Difcile d’imagi- trébuchet, ou Gilles de rais en personne racon-
ner qu’il a abrité en ses murs un des plus grands tant son histoire !
serial-killers de toute l’Histoire : Gilles de rais,
Costa/Leemage

plus connu des enfants sous le nom de Barbe Les siècles se succèdent : donjon du xiie siècle
bleue. châtelet et son pont-levis du xVe, contempo-
rains avec le logis seigneurial bâti par Gilles de
et lui restera fidèle Il devait pleuvoir le jour où Gustave Flaubert rais ; ici, une barbacane, là l’imposante tour du
jusqu’à la fin. Ses hauts le vit pour la première fois en 1847 : « Fant™me Vidame avec son chemin de ronde à mâchicoulis
faits d’armes lui valent
muet, abandonnŽ, maudit, plein de rŽsonances et sa salle de guet à l’acoustique exceptionnelle
d’être nommé maréchal
de France par Charles VII. farouches ». (xVie). c’est dans cette tour que vous découvrez
Voilà pour le héros. la reconstitution du laboratoire de Gilles de rais,
Du côté du démon, il y a En franchissant la porterie romane surmontée qui se trouvait autrefois dans les salles basses du
140 enfants qu’il avoue,
du blason du baron Gilles, on ne peut s’empêcher donjon : au milieu des cornues et des alambics,
lors de son procès,
avoir torturés et tués. de songer au destin de ce personnage si contro- on se prend à imaginer le compagnon de Jeanne
Calomnie ou vérité ? versé. Héritier d’une puissante famille, il hérite de d’arc cherchant à percer le secret de la pierre phi-
Gilles de Rais avait la forteresse de tifauges par son mariage avec losophale.
beaucoup d’ennemis,
à commencer par sa
catherine de thouars. une superfcie de 3 hec-
famille, qui rêvait de le tares, 700 mètres de remparts et 18 tours : le site Il est un lieu encore plus étonnant : la crypte
dépouiller d’une fortune est d’importance. Gilles de rais va rehausser le de la chapelle saint-Vincent, du xiie siècle,
qu’elle imaginait donjon, le protéger par un châtelet, creuser des remarquable pour son élégante colonnade et
colossale. L’Église,
qui le savait alchimiste, douves et faire bâtir un beau logis seigneurial. des chapiteaux très ouvragés. est-ce là que Gilles
rêvait de le brûler pour de rais invoquait les puissances infernales pour
sorcellerie : il sera pendu Les guerres de religion, richelieu et les outrages se procurer l’or dont il avait tant besoin ? a-t-il
à Nantes en 1140. du temps sont passés par là : le tifauges d’au- sacrifé ici même quelques-uns des 140 enfants
jourd’hui n’est plus qu’un souvenir de la gran- qu’on l’accuse d’avoir tués ? on n’a pas retrouvé
deur passée de Gilles de rais. Mais les ruines sont ici de restes de ses victimes, contrairement à
belles et le conseil général de la Vendée, désor- champtocé, une autre de ses forteresses. Mais,
mais propriétaire du site, multiplie les animations quoi qu’il en soit, l’imagination va bon train… •

Pratique : 85130 Tiffauges. Tél. : 02 51 65 70 51. www.chateau-tiffauges.vendee.fr. Visites guidées. Visites costumées
pour les enfants. Animations autour de Gilles de Rais et de l’armement des chevaliers.

94 DĒtours en France
les châteaux maudits
ti f faug e s

Longtemps laissé
à l’abandon,
le château de
Tiffauges abrite
désormais
un conservatoire de
machines de guerre
médiévales.

1
Franck Prignet

Interview : Renaud Beyfette, deus ex machina


Les machines, ça le connaît. Mais pas n’importe lesquelles : de guerre et du Moyen Âge ! Trébuchet, couillard, mangonneau, bélier,
catapulte, bombarde… : vous pourrez en admirer seize à Tiffauges, toutes en état de marche ! Elles sont fabriquées par Renaud
Beyfette, un des deux spécialistes… au monde.

Comment vous est venue cette passion retrouvaient sur des chantiers de Syrie, entre 2002 et 2007, nous avons
des machines de guerre ? cathédrale ou de château. il fonctionne par fabriqué un couillard — là-bas, ils préfèrent
Elle est liée à la passion de l’Histoire. images : le lapin, c’est le chiffre 3, donc le dire manjanik, machine ! — et une arbalète
Enfant, mon père m’avait un jour enfermé triangle ; le chien, le 5, le pentagramme, etc. géante, d’après des textes de Saladin : une
dans la grande bibliothèque familiale pour J’ai pu le déchiffrer et connaître le secret : superbe aventure !
me punir. Je suis tombé sur un livre qui car, à l’époque, ceux qui savaient fabriquer
parlait de Du Guesclin : ma première des machines de guerre étaient très Et vos prochains chantiers ?
rencontre avec le Moyen Âge. Depuis, je ne recherchés et bien payés. Une machine pour laver le sel, dont on a
lis plus que ça. retrouvé le modèle dans l’Encyclopédie de
Un trébuchet, c’est facile à fabriquer ? Diderot et d’Alembert, pour le musée des
De là à fabriquer des trébuchets… Pour le premier, il m’a fallu deux ans et Marais-Salants de Batz-sur-Mer, un
Cet amour pour le Moyen Âge m’a conduit à demi… car il manquait quand même le plan, trébuchet pour la ville de Château-Thierry ;
devenir compagnon charpentier et à faire il avait été arraché ! Et tout est une question des projets pour les Baux-de-Provence, le
mon tour de France. Un jour, j’apprends la de calcul, c’est très pointu. Aujourd’hui, à Puy-du-Fou, et la ville de Montreuil-sur-
réédition du Carnet de Villard de quatre personnes, il nous faut trois mois. Mer : on réfléchit à la manière de faire vivre
Honnécourt, un compagnon du xiiie siècle, le site, entre Richard Cœur de Lion et
qui donne entre autres un croquis de Vous avez créé votre entreprise, Charles Quint…
la construction d’un trébuchet avec des Armédiéval, et on vous demande dans le Mais j’ai 67 ans : heureusement que
annotations. Personne n’avait pu les lire : monde entier ? la relève est assurée avec mon associé,
c’était un langage codé. En fait, il s’agissait Oui, on a travaillé aux États-Unis, en Alain Manimont.
du langage codé et universel des Écosse, en Suisse, en Espagne, avec Luc
compagnons, à une époque où les gens ne Besson pour son Jeanne d’Arc, avec Ridley « L’Art de la guerre au Moyen Âge », de
parlaient pas la même langue mais se Scott pour Kingdom of Heaven. Et même en Renaud Beyfette, Ouest-France, 2005

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 95


châteaux
de Légende

Trécesson
SuperStock/Leemage

Le drame de La dame bLanche


Caché dans la forêt de Brocéliande, un des plus beaux châteaux de Bretagne garde
toujours le secret sur un crime impuni et de mystérieux fantômes.

96 DĒtours en France
E
les châteaux maudits
tr é c e s s on

Hervé Champollion/akg-images
2

À gauche. La mariée Est-ce la proximité de la forêt de Paimpont et L’architecture est belle. Il ne manquait plus
était en blanc : la
légende prétend qu’une
des légendes arthuriennes ? La force des murs qu’une légende : Trécesson en a deux. La pre-
femme, à l’approche de de schiste rouge qui se refètent dans les eaux mière parle d’une dame blanche qui viendrait
ses noces, y aurait été sombres de l’étang ? Il règne aux abords du pleurer sa peine certaines nuits au pied de
enterrée vivante.
Son fantôme hante château de Trécesson une atmosphère étrange, l’étang. Une jeune femme en habit de mariée
l’imaginaire des lieux. mystérieuse. aurait été enterrée vivante dans le jardin du
Ci-dessus. L’accès au château par deux hommes. Libérée de sa pri-
château se fait par un
pont qui enjambe la Il est fait mention d’un château ici dès le Ixe son de terre, elle serait morte avant d’avoir pu
douve et dominé par siècle. Mais l’actuel est bien du xve siècle, bâti livrer le nom de ses bourreaux. On ignore tout
deux tours étroites. Ses
murs de schiste,
par Jean de Trécesson, chambellan du duc de de son identité, mais il est dit que sa robe nup-
rougeâtres, baignent Bretagne. Les murs sont imposants, faits de tiale et son bouquet sont restés exposés jusqu’à
dans l’étang qui le ceint. grosses pierres, un beau châtelet fanqué de deux la Révolution dans la chapelle du château.
tours commande l’accès à la cour intérieure. Le Quant à sa sépulture, on ne l’a jamais retrouvée
chemin de ronde avec mâchicoulis a été fermé. à Trécesson.
Mais, sur le côté du châtelet, une tour carrée est
percée de meurtrières. Manoir fortifé, demeure La seconde raconte que deux fantômes en
de plaisance : comme beaucoup de châteaux de habit de gentilhomme du xvIIIe siècle viennent
cette époque, Trécesson hésite entre les deux. jouer une partie de cartes dans une des chambres
et se provoquent en duel avant de s’entretuer…
et de disparaître !
une jeune femme tout dE
bLanc vêtuE incarne une des Propriété privée, Trécesson entrouvre désor-
deux légendes du château de mais ses portes l’été pour une visite de la cour
trécesson. intérieure. Mais n’a toujours pas livré la vérité
sur les événements mystérieux qui s’y sont
déroulés… •

Pratique : 56800 Campénéac. Office de Tourisme de Ploërmel : 02 97 74 02 70. Visites guidées comprenant l’extérieur du château,
la cour intérieure et la chapelle Renaissance du 1er juillet au 15 août.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 97


P
châteaux
de légende
Bertrand Rieger/Détours en France x3

rustéphan
la malédiction
« Danger, ruines, ne pas approcher ! » L’ancien manoir de Rustéphan, perché sur
les hauteurs de Pont-Aven et dévoré par une folle végétation, ne manque d’intriguer.
Si, comme nous, vous êtes curieux d’en savoir plus, suivez-nous…

Parmi les collections de tableaux conservés une tour ceinte de vestiges ruiniformes, qui
au musée des Beaux-Arts de Rennes, on peut semble lutter contre une végétation profuse,
admirer un dessin au fusain, sur papier jaune, étoufante. Cet étrange château existe-t-il
grifé du paraphe d’Émile Bernard. La toile d’un réellement ou n’est-il, malgré les détails de sa
des maîtres de l’école de Pont-Aven, voisin de localisation, une pure invention de l’imagina-
chevalet de Paul Gauguin, est peu démons- tion de l’artiste ?
trative, mais elle possède en légende qui sus-
cite la curiosité : « Le château de Rustéphan Le mieux fut de se rendre à Pont-Aven.
vu de la route de Nizon. Vers 1886. » On y voit Là, nous attendait Fanch, au pied du cal-

98 Détours en France
les châteaux maudits
rusté ph a n

1 2

vaire dressé tout près de l’église de Nizon (à au château de Plessis-Nizon, tout près de là, 1. De la bâtisse
d’origine ne
2,5 kilomètres au nord-ouest de Pont-Aven). recueille auprès de paysans, ouvriers, char- demeurent que
Il m’avait précisé : « Si vous connaissez “Le bonniers, qu’il connaît pour nombre d’entre quelques décombres,
Christ vert” de Gauguin, vous pouvez pas eux, tout un répertoire de chants populaires. dont cette tour
d’escaliers.
le confondre avec un autre ! » En chemin, Sa collecte de « gwerzioù », complaintes rela-
Fanch, un enfant du pays archéologue de tant des faits de la vie quotidienne (simples 2. Dissimulés sous
profession et « chercheur de trésors », raconte anecdotes, chroniques d’événements dra- des lierres, ronces
et autre végétation,
que ce château de style gothique famboyant matiques, épopées historiques) constituera les murs laissent
daterait de la fn du XVe siècle et qu’il aurait un recueil, pionnier dans la connaissance apparaître des
ornementations
été construit par Jean Du Faou, chambellan de la culture orale bas-bretonne, le « Barzaz gothiques.
de Louis XI, grand échanson de France et Breiz ». Parmi ces chants, on trouve la com-
sénéchal de Bretagne. La légende qui lui est plainte intitulée « Jenovefa Rustefan » : elle
attachée mérite d’être contée… narre les amours tragiques de Geneviève Le
Naour et de Yannick Flécher au château de
Il y a quelques longues années de cela, un Rustéphan.
dimanche matin où villageois et paysans de
Nizon assemblés sur le tertre du château dan- On raconte que les flles du seigneur Du Faou,
saient ridées et gavottes aux sons d’un couple déf à la beauté, « brillaient auprès de leurs com-
de sonneurs, une lueur illuminait violem- pagnes comme la lune près des étoiles ». La plus
ment une lucarne de la tour. Le spectre d’un jeune et la plus jolie, Geneviève, aimait d’un
homme, « tête chauve et yeux étincelants », amour passionnel Yannick Flécher du hameau
scrutait l’assemblée terrorisée. La légende se de Kerblez. Mais ce dernier ne pouvait entendre
répandit vite à tout le pays. ses appels désespérés, l’amour de Dieu étant
plus fort que tout. Après des années d’études
Les racines de la légende du prêtre- au séminaire et après avoir reçu les ordres à
fantôme de Rustéphan appartiennent au Quimper, il revint dans sa paroisse célébrer
très vieux fond de la littérature orale bre- son premier ofce. Geneviève se précipita dans
tonne. Au XIXe siècle, les folkloristes, ancêtres l’église et, implorante à ses pieds, hurla : « Au
de nos ethnologues, se lancent dans un nom de dieu ! Iann, arrêtez ! Vous êtes la cause,
patient travail de collectage en arpentant les la cause de ma mort ! » Depuis, le prêtre maudit
campagnes. Le vicomte Théodore Hersart de traînerait sa silhouette fantomatique dans les
La Villemarqué (1812-1895), linguiste établi décombres du château… •

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 99


Châteaux
de légende

montségur
l’ultime refuge
De tous les châteaux cathares, Montségur n’est pas le plus spectaculaire.
Mais le plus émouvant, certainement ! C’est là, au cœur de l’Ariège, que fut brisée
l’hérésie des « parfaits », dans les flammes d’un terrible holocauste, avant la chute
finale de Quéribus.
Jean-Daniel Sudres / Voyage Gourmand

100 DĒtours en France


les châteaux maudits
mon ts é g ur

Pointant au sommet
d‘un piton rocheux,
ou « pog », de
1 200 mètres,
surplombant une forêt
de cistes et d’épineux,
et le village, Montségur
fut partiellement rebâti
sur les bases des
fortifications qui
abritèrent les Cathares
jusqu’à leur reddition,
en 1243, après
dix mois de siège.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 101


P
Châteaux
de légende
Bertrand Rieger/Détours en France

Qui put imaginer Pour qui a visité Peyrepertuse, la choix du site, sur un piton à 1 200 mètres,
qu’avec une telle
situation la forteresse « Carcassonne céleste », véritable ville dont rendait le lieu sûr, segurus. en grimpant
succomberait sous les les longs remparts jouent avec le vide, la jusque là-haut (comptez une bonne demi-
coups et la patience des
première vision de Montségur peut décevoir. heure quand même), on comprend mieux
assaillants ?
Ici, rien de grandiose : des murailles déchi- qu’il ait séduit l’église cathare, à la recherche
quetées d’où émerge la silhouette martyre d’un refuge pour ses derniers fidèles.
d’un donjon tronqué.
Reconstruit dès 1204, Montségur a parfaite-
Et pourtant… Lorsqu’on grimpe à l’assaut ment joué ce rôle jusqu’en 1243 : les troupes
du « pog » de Montségur, à travers une végé- de Louis IX décident alors d’attaquer ce nid
tation aride de cistes et d’épineux, l’imagi- d’hérétiques en représailles après l’attentat
nation travaille. Le sentier sur lequel vous d’Avignonet qui a coûté, l’année d’avant, la
posez vos pas ? Oui, c’est bien celui-là qu’ont vie à deux inquisiteurs, Guillaume Arnaud et
foulé les deux cents Cathares venus se réfu- Étienne saint-thibéry, mandatés par le pape.
gier dans la forteresse du maître des lieux, Mais la citadelle, qui épouse parfaitement le
Raymond de Péreille. Celui-là qu’ils descen- relief du pog, est bien défendue : les assail-
dront le 16 mars 1244 pour aller au bûcher lants s’épuisent et les catapultes, situées trop
destiné à ceux qui refusent d’abjurer leur foi. en contrebas, ne parviennent pas à entamer
Au demeurant, sur le côté du sentier, le visi- les murailles. La situation s’éternise plusieurs >
teur peut croiser une croix commémorative,
dressée en 1960 au sein d’un lieu dénommé
« Prats dels Crémats » (Champ des Brûlés). lorsqu’on grimpe
Depuis, elle est régulièrement fleurie.
à L’assaut du « Pog »
Le sentier se fait escarpé avant d’arriver au dE MontsÉguR, C’est
pied de la forteresse. Une petite porte, au sud : toute l’imagination
c’était le seul accès possible à Montségur. Le qui travaille...

102 DĒtOURs en FRAnCe


les châteaux maudits
mon ts é g ur

Le château de Montségur,
qui fut le théâtre d'un
holocauste et de la
reddition des Cathares,
démontre, par sa situation,
à quel point la nécessité de
s'isoler, se réfugier, se
protéger a, dans l'Histoire
du Moyen Âge, animé les
hommes, lesquels ont pour
cela soulevé des
montagnes.
Bertrand Rieger/Détours en France

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 103


Châteaux
de lÉgende

Gianni Dagli Orti

Le trésor enfoui ?
Lors de la reddition de Montségur, Hugues des
Arcis, à la tête des troupes royales, donna
plusieurs jours aux assiégés pour décider de
leur sort. Une clémence — inhabituelle à
Bertrand Rieger/Détours en France

l’époque de Simon de Montfort ! — qui alimente


la légende du trésor des Cathares. Selon elle,
une poignée d’individus se serait échappée à la
veille de la reddition finale, emportant avec elle
un hypothétique trésor. Nulle trace ne subsiste,
à Montségur ou ailleurs, de ce magot qui a fait
couler beaucoup d’encre. Mais, dès qu’il s’agit
des Cathares, il est tentant de rêver, toujours ! 1

> mois jusqu’à l’intervention d’une poignée


de Gascons. Par une rude nuit d’hiver, ils
deux meurtrières : au solstiCe
grimpent sur le pog à l’endroit le moins d’ÉtÉ, eLLes reçoivent Les rAyons
défendu, parce que protégé par un relief du soLeiL qui ressortent par deux
très accidenté : la falaise dite du « roc de la autres meurtrières…
tour » est aujourd’hui classée hors catégo-
rie par les clubs d’escalade ! De là, les assail-
lants s’emparent d’une barbacane qui sert de parts, comme le prouvent les trous de bou- 1. Avion furtif, arme de
poste avancé et construisent une machine lins dans les murs, destinés à recevoir les guerre ? Les formes
géométriques du reste
qui va bombarder sans relâche les murailles planchers. Là, les vestiges du donjon : on de la citadelle peuvent
du château. Quelques semaines plus tard, y pénétrait par une porte au premier étage, donner matière aux plus
vastes interprétations.
Montségur tombe enfin, après dix mois de avec un accès direct par le rempart.
siège. Le chef des assiégés, Pierre-roger de 2. L’histoire des
Mirepoix, négocie la vie sauve pour les laïcs Aujourd’hui, on se contente de pénétrer Cathares suscite un tel
engouement qu’un
et ceux des « parfaits » qui abjureront leur foi. dans la salle basse, qui servait d’entre- monument a été érigé
on connaît la suite : ils seront 207 à préférer pôt pour les vivres. en face de vous, deux sur les flancs de la
les flammes du bûcher. meurtrières : au solstice d’été, elles reçoivent montagne en 1960 par
la Société du souvenir
les rayons du soleil qui ressortent par deux et d’études cathares
La porte au sud donne accès à l’intérieur autres meurtrières placées juste en face. commémorant cet
événement marquant
du château et à la cour intérieure. Il y avait une particularité qui a beaucoup excité la que fut le bûcher.
autrefois des bâtiments adossés aux rem- curiosité des amateurs d’ésotérisme, lesquels

104 DĒtours en France


les châteaux maudits
mon ts é g ur

2
viennent en pèlerinage à chaque solstice :
hasard de l’architecture ? Ils y voient plutôt
la preuve d’un culte rendu au soleil par les
Cathares. Les yeux perdus par l’échappée de
lumière, on se prend à rêver…

Hélas, l’Histoire nous rattrape : après


la reddition des Cathares, Montségur fut
reconstruit après 1245 par un nouveau sei-
gneur de Mirepoix, qui fit allégeance au roi
de France. Il n’a donc plus grand-chose à
voir avec le château du seigneur de Mirepoix
et ses protégés… Il est donc vain de cher-
Lefauconnier/Andia

cher dans ses vestiges des « signes » qui


viendraient alimenter l’imaginaire cathare.
Qu’importe, la magie du lieu est quand
même là : on peut bien rêver un peu ? •

Pratique : 09300 Montségur. Tél. : 05 61 03 03 03 (office de tourisme). Visites guidées au 05 61 01 06 94.


Également un musée qui retrace la vie quotidienne des habitants du castrum.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 105


Châteaux
de légende

Château-
Gaillard
La fiLLe chérie de richard cœur de Lion
Cette forteresse aux allures de krak des Chevaliers a permis à Philippe Auguste de
s’emparer de la Normandie. Elle fut le témoin d’un siège implacable et peut-être de
l’assassinat d’une reine.

106 DĒtours en France


les châteaux de guerre
C h âte au- G a i l l a r d

Au cœur du Vexin
normand, sur un éperon
rocheux dominant la
Seine 90 mètres en
aval, Château-Gaillard
rompt avec les schémas
habituels de l’époque
car constitué de
multiples volumes
emboîtés ou
indépendants. Objectif :
multiplier les obstacles.

Francis Cormon

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 107


D
Châteaux
de légende

Christian Voulgaropoulos/Détours en France


Des ruines, mais quelles ruines ! À 100 mètres
au-dessus de la seine, elles impressionnent
toujours le visiteur, neuf cents ans après.
tours balafrées mais fières, trois murailles,
donjon massif : château-Gaillard a un air de
krak des chevaliers égaré en normandie…

C’est d’ailleurs à son retour de la troisième


croisade que richard cœur de Lion la fit bâtir 1
en 1196, en s’inspirant des châteaux syriens,
reconnaissables à leurs nombreuses tours et
à leur triple enceinte. Il fallut juste un an mais
six mille ouvriers pour bâtir cette forteresse
qui, dans la tête de richard cœur de Lion,
devait contrer les ambitions du roi de France
sur la normandie. L’Histoire lui apporta un
sanglant démenti.

En parcourant les ruines qui épousent l’épe-


Christian Voulgaropoulos/Détours en France

ron rocheux, il faut imaginer comment se


déroula le siège décidé par Philippe auguste
en 1203.

Jean sans Terre a pris le relais de son frère


richard, tombé à châlus, et c’est le sieur
roger de Lacy qui est à la tête des assiégés.

Francis Cormon
après sept mois de siège, ils résistent tou-
jours, encerclés par le réseau de tours en 2
bois édifié par les Français. Philippe auguste
décide de lancer l’assaut.
1. Vue de la basse- La forteresse n’a guère été épargnée par
cour, la tour, à la
L’ofensive a commencé par la prise du bas- pointe de l’ouvrage, l’Histoire : Henri IV ordonna de la démanteler
tion, ouvrage avancé de forme triangulaire fut sapée par l’armée et autorisa un ordre de religieux des andelys
qui était défendu par cinq tours et un large de Philippe Auguste à se servir des pierres. Pourtant, château-
en 1204.
fossé. aujourd’hui, il ne reste qu’une des Gaillard reste impressionnant. Le donjon cir-
tours, la plus haute. Les Français réussirent à 2. La Seine, en culaire a encore fère allure et le rempart, ou
faire un trou dans la muraille en allumant un contrebas, est visible chemise, qui le protège est surprenant avec ses
par une brèche
feu dans une brèche et en faisant éclater les faite lors du murs festonnés : dix-neuf pans de mur arron-
pierres. De là, ils poursuivirent les assiégés démantèlement du dis qui se succèdent et donnaient moins de
mur de la chapelle,
repliés à l’intérieur de la première enceinte, au XIIe siècle. prise aux projectiles. Percés de meurtrières,
qui avait un talon d’achille : une fenêtre ils permettaient aussi de tirer de biais sans le
mal défendue. Les historiens affirment qu’il 3. La forteresse moindre angle mort. ce dispositif était très ori-
fut construite sur un
s’agirait d’une fenêtre de la chapelle, édifiée ginal à l’époque. on peut encore voir des restes
éperon rocheux de
par Jean sans terre, en dépit des règles de 200 m de longueur du logis du gouverneur, attenant au donjon.
sécurité. Mais violer un lieu de culte était mal sur 80 m de largeur, tout comme une autre prouesse des bâtisseurs
dominant la Seine et
vu à l’époque : les Français affirmèrent être le Petit-Andely. de château-Gaillard : un puits creusé dans la
rentrés par les latrines ! roche jusqu’à la nappe phréatique cent mètres
4. La chemise du plus bas. un exploit si on songe aux pauvres
donjon vue depuis la
Ne restait plus à faire tomber que la deuxième chapelle. Les festons moyens dont on disposait alors !
enceinte : les armées de Philippe auguste s’y de l’enceinte sont
attaquèrent à coup de catapulte et finirent inspirés des kraks des En déambulant dans les ruines, on songe
chevaliers qu’érigèrent
par tailler une brèche. Les assiégés n’eurent les Croisés en Syrie. aussi à Marguerite de Bourgogne, l’épouse
pas le temps de se réfugier dans le donjon et de Louis X le Hutin, qui fut enfermée ici
durent enfin se rendre. après la découverte de son adultère. Dans

108 DĒtours en France


les châteaux de guerre
C h âte au- G a i l l a r d

Christian Voulgaropoulos/Détours en France


4

l’une des tours ? Dans un souterrain au pied


du donjon ? Dans le donjon lui-même ? Quoi
qu’il en soit, sa réclusion dans un château

Coll. Jonas/Kharbine-Tapabor
guerrier, qui n’avait rien de résidentiel, a dû
être cruelle. Maurice Druon, dans Les Rois
maudits, raconte qu’elle a été étranglée ici,
sur ordre de son royal époux, soucieux de
contracter une nouvelle union. La chose n’a
jamais été vérifiée : on n’a jamais retrouvé
la sépulture de Marguerite, que ce soit sur le
site du château ou au couvent des Cordeliers Les bouches inutiles
de Vernon, lieu auquel son statut de reine, Il n’y a pas que la reine étranglée ! Château-Gaillard a été le témoin d’un
autre épisode dramatique, tout à fait attesté, celui-là. Pendant le siège
même répudiée, lui donnait accès. Alors, de 1203, Roger de Lacy, soucieux d’économiser les vivres de la
Marguerite plutôt morte dans son château forteresse pour ses soldats, chasse les habitants des Andelys venus s’y
de Couches en Bourgogne ? Là non plus, pas réfugier : les malheureux vont errer entre les deux camps qui les
de trace de sépulture… Le mystère de la reine repoussent et la plupart vont mourir de faim et de froid. On signale
même des cas de cannibalisme. Philippe Auguste finira par être clément.
étranglée reste entier. Mais on raconte ici que Mais un millier de personnes ont ainsi péri dans l’épisode tragique des
certaines nuits, on peut apercevoir une sil- « bouches inutiles ». Il est illustré par un tableau signé Francis
houette errer dans les ruines et entendre un Tattegrain, visible à l’hôtel de ville des Andelys.
cri d’agonie… •

Pratique : 27700, Les Andelys. Tél. : 02 32 54 41 93. lesandelys.com/chateau-gaillard/gaillard.htm


Visite libre des extérieurs, guidée du donjon.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 109


Châteaux
de légende

À l’origine « simple » domaine


agricole gallo-romain, le château
de Grignan se verra enrichi de
fortifications par les notables au
Xe siècle. Progressivement,
les habitations qu’il surplombe
donneront naissance à un village.
Madame de Sévigné en fera bien
plus tard sa résidence.

LES CHÂTEAUX
people NOHANT — GRIGNAN — BUSSY-RABUTIN
BÂTIE D’URFé — COMBOURG
photo-aerienne-france.fr

Les châteaux furent souvent lieux de refuge et d’inspiration pour les artistes en général,
les écrivains en particulier et, par le jeu de leurs connaissances et affinités,
de véritables carrefours intellectuels. Tour d’horizon des plus célèbres d’entre eux,
qui font la part belle à l’écriture.

110 DĒtours en France


Denis Caviglia - hemis .fr

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 111


Châteaux
de légende

I n t e rV I e w F Ic t I V e / F R A NÇ OIS-R E N É

DE ChatEaubRiaND
NOUS REÇOIT À COMBOURG
À mi-chemin entre Rennes et Saint-Malo, le château de Combourg dresse ses tours
médiévales au-dessus d’un vaste étang qui reflète remparts, chemins de ronde et hautes
toitures pointues, émergeant de frondaisons multiséculaires. En parcourant le parc à
l’anglaise, en visitant le château majestueux, il faut savoir que les lieux furent restaurés au
XèXe siècle dans un style néogothique factice, et que le jeune François-René vécut dans
une forteresse sinistre.

nous sommes dans le parc de combourg, le 8 août 1786 et de réprobation silencieuse bien pire à afronter. Mais devant
c’est un jeune homme de 18 ans qui nous reçoit, morose. le bonheur de ma sœur Lucile à me revoir, je n’ai rien regretté.
sa malle est bouclée ; il part le lendemain pour cambrai alors a commencé une période terrible. Depuis mon retour
rejoindre le régiment de son frère aîné : rien à faire, c’est un de Brest, j’ai passé le plus clair de mes journées à errer dans
ordre de son père. le parc, me préparant à afronter les soirées en famille.
Économies obligent, nous ne chaufons qu’une pièce, l’an-
D.e.F. — L’armée ? Nous aurions plutôt imaginé que vous cienne salle des Gardes. et là mon père fait les cent pas, inlas-
vous mettriez dans le sillage de votre père, qui fut pour- sablement, jusqu’à ce qu’il décide que l’heure du coucher
tant un grand marin… est venue. Mais cela n’est rien, du moins ai-je dépassé mes
F.-r. — Vous avez raison : dès l’âge de 16 ans, il a été moru- frayeurs d’enfant lorsque je devais afronter l’obscurité pour
tier à terre-neuve, et corsaire aussi. ce sont quelques rejoindre ma chambre. J’étais niché dans une espèce de cel-
belles prises d’ailleurs qui lui ont permis de redonner aux lule isolée en haut de la tourelle de l’escalier qui communiquait
chateaubriand la fortune qu’ils avaient perdue. et de fnancer de la cour intérieure aux diverses parties du château… Relégué
quelques navires qui ont été de bon rapport, puisqu’ils ont dans l’endroit le plus désert, à l’ouverture des galeries, je ne
permis à mon père d’acheter le domaine de combourg. Mais perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois le vent
la traite négrière n’est plus ce qu’elle était… nous n’avons plus semblait courir à pas léger ; quelquefois, il laissait échapper
les moyens d’entretenir le château. des plaintes ; tout à coup, la porte était ébranlée avec violence,
les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits
D.e.F. — Et vous voici donc militaire… expiraient pour recommencer encore.
F.-r. — après avoir voulu être marin, car le destin paraît s’y
être opposé. Imaginez-vous que, voici de cela trois ans, je D.e.F. — De votre enfance, vous ne gardez donc aucun
devais entrer aux Gardes de la marine. comme vous le savez, souvenir heureux ?
c’est ainsi que l’on rejoint le corps des ofciers. Je me suis F.-r. — Bien au contraire, ma mémoire en est remplie, mais
donc rendu à Brest, où à ma grande surprise la marine n’avait tous datent d’avant ma neuvième année, lorsque mon père
pas eu connaissance de mon brevet d’aspirant. J’ai attendu nous a emmenés vivre à combourg. Jamais je n’oublierai
quelque temps, rien n’est venu, et le désir m’a pris de retrou- saint-Malo.
ver combourg.
D.e.F. — Racontez-nous…
D.e.F. — Votre père a dû être furieux ? F.-r. — Un des premiers plaisirs que j’ai goûtés était de lutter
F.-r. — Précisément, je m’étonne encore qu’avec la frayeur contre les orages, de me jouer avec les vagues qui se retiraient
qu’il m’inspirait j’aie osé prendre une telle décision. Mais au devant moi ou couraient après moi sur la rive. Il faudrait que
lieu de se mettre en colère il a afché une sorte de douceur, je vous conte par le détail les grandes marées hautes que

112 DĒtours en France


BIO
François-René de
Chateaubriand
(1768-1848)
Né à Saint-Malo, dixième
enfant d’un armateur et
négociant, ancien
corsaire. Lui-même veut
entrer dans la marine
royale, qui le refuse.
Après un court passage
dans l’armée, il voyage en
Amérique puis, de retour
en Europe, rejoint les
forces des Émigrés.
Il s’installe en France
après la Révolution,
entre en littérature avec
Atala et se confirme
comme un écrivain avec
Les Martyrs. Menant
une triple carrière de
diplomate, d’écrivain et
d’homme politique,
il commence en 1809
l’écriture des Mémoires
d’outre-tombe, le
sommet de son œuvre,
MP/leemage

qui ne sera achevé qu’en


1841.

mes camarades et moi passions installés au sommet des vêtu comme eux, déboutonné et débraillé comme eux… J’avais
troncs de chêne plantés dans le sable devant les digues afn le visage barbouillé, égratigné, meurtri, les mains noires. Ma
de casser l’impact des vagues. Un jour, toute une rangée de fgure était si étrange que ma mère, au milieu de sa colère, ne
jeunes enfants ainsi perchés se serait efondrée à la mer, pro- se pouvait empêcher de rire et de s’écrier : « Qu’il est laid ! »
voquant l’ire des parents et des bonnes qui me poursuivirent Un jour, il faudra que j’écrive tout cela. Ces souvenirs com-
jusqu’à notre demeure, place Saint-Vincent. Les polissons de poseront comme des… Mémoires d’outre-tombe. •
la ville étaient devenus mes plus chers amis : j’en remplissais la
cour et les escaliers de la maison. Je leur ressemblais en tout ; Propos recueillis par Dominique Le Brun.
je parlais leur langage ; j’avais leur façon et leur allure ; j’étais Les phrases en italique sont extraites des Mémoires d’outre-tombe.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 113


L
Châteaux
de légende

nohant
l’éden de la Vallée noire
Nohant-Vic, village d’à peine 500 âmes, dans le profond du pays berrichon, au cœur de
la Vallée noire, « patrie du calme et du sang-froid où tout est tranquille, patient,
lent à mûrir ». George Sand y vécut dans le « château » de sa grand-mère paternelle, y
savourant une enfance et une vieillesse heureuses. Elle offrira surtout à Nohant un écrin pour
l’éclosion du romantisme européen, recevant des hôtes de renom.

« Le château, si château il y a (car ce n’est que celle qui dut prendre un nom d’homme
qu’une médiocre maison du temps de Louis XVI), pour pouvoir vivre pleinement sa vie de femme
touche au hameau et se pose au bord de la place composera une grande partie de son œuvre
champêtre sans plus de faste qu’une habitation romanesque (dont ses « romans champêtres »,
villageoise », écrit, dans Histoire de ma vie, La Mare au diable, La Petite Fadette, François le
amandine aurore Lucile Dupin (1804-1876), Champi ou Les Maîtres sonneurs), de sa foison-
baronne Dudevant, qui passera à la postérité nante correspondance (plus de 20 000 lettres)
pour son œuvre littéraire sous le nom de George et qu’elle vivra ses plus intenses moments de
sand. et de poursuivre : « Cette construction, créativité, d’amour et d’amitié.
médiocrement spacieuse pour une maison de
campagne et infniment trop petite pour être Une fois avoir poussé le portail bleu, une
un château. Mais, telle qu’elle est, elle s’est prêtée longue allée feurie d’hortensias mène au seuil
à nos besoins, à nos goûts et aux nécessités de de la demeure. Dans le hall, les murs rose et bleu
nos occupations : nous avons trouvé moyen ciel imitent le marbre, procurant au lieu un air
d’y faire deux ateliers de peinture, un atelier de de décor de théâtre. un théâtre, il y en eut un
gravure, une petite bibliothèque, un petit théâtre vrai. George sand écrivit 70 pièces et les pro-
avec vestiaire et magasin de décors. » duisit dans le théâtre de marionnettes qu’elle
avait fait installer. La salle à manger arbore un
C’est cependant dans cette grande et petit côté rustique et c’est sous le lustre en verre
modeste maison bourgeoise du XVIIIe siècle de Murano, qu’elle acquiert à Paris bien après
son séjour à Venise avec alfred de Musset, que
ses convives — Franz Liszt, Marie d’agoult,
Une femme libérée eugène Delacroix, Gustave Flaubert, Honoré
Aurore Dupin voit le jour à Paris en 1804. À la mort de son père, de Balzac ou théophile Gautier — festoyaient
Maurice Dupin, elle n’a que 4 ans. Elle est alors confiée aux bons soins de
sa grand-mère paternelle, veuve Marie-Aurore Dupin de Francueil, qui et « réenchantaient » le monde. Dans le bou-
l’élève dans la grande demeure de Nohant. Après un passage au couvent doir se trouve son bureau, lové dans un placard
afin de parfaire son éducation de « petite campagnarde », elle épouse en où elle passait nuitamment de longues heures
1822 François Dudevant, dit Casimir. De leur union naissent Maurice et à noircir des dizaines de pages. À l’étage, de
Solange, avant que le mariage échoue et qu’Aurore déserte Nohant pour
Paris. Logée sous les toits avec sa fille, elle trouve une raison de vivre en la fenêtre de sa chambre, le parc s’ofre à la
écrivant. Une femme, à cette époque, n’ayant aucune chance de trouver vue avec en point de mire deux cèdres majes-
un éditeur, elle prend en 1832 le pseudonyme de George Sand. Celle qui tueux plantés pour la naissance de son fls
s’habille en homme, écrit des romans brûlots anti-mariage et ne cache
Maurice (1823) et de sa flle solange (1828). au
pas ses nombreux amants ni quelque amour saphique avec la
comédienne Marie Dorval, devient vite une « scandaleuse ». Après un bout d’un long couloir se trouve la chambre
difficile procès la séparant définitivement de Casimir, elle recouvre le de ses petites-flles — aurore et Gabrielle —
droit de retourner à Nohant, qu’elle ne quittera plus. Elle y meurt le 8 juin qui s’éteindront dans la maison de nohant ne
1876 ; elle repose dans le petit cimetière de Nohant sous un if séculaire.
laisseront aucune descendance à « la bonne
dame de nohant » •

114 DĒtours en France


les châteaux people
noh a n t

Nohant ou l’utopie version


George Sand… Ce n’est pas une
demeure de plaisance, ni une
ferme, ni un château, ni une
forteresse… mais une maison de
famille. Nohant explique George
Sand comme George Sand
explique Nohant. La romancière
et épistolière berrichonne a
entretenu une relation affective
toute particulière avec «son
petit château» qui lui servit
d’écrin pour l’écriture d’une
grande partie de son œuvre.
C’est aussi à Nohant qu’elle
vécut quelques histoires
sentimentales mémorables.
Philippe Renault/hemis.fr

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 115


G
Châteaux
de légende

GriGnan Bienvenue Chez MadaMe la Marquise


Un château Renaissance entouré de champs de lavande : nous sommes au cœur de la
Drôme provençale. Un havre de douceur raffinée, cher au cœur de la marquise de Sévigné.

Grignan est à l’étroit sur son promontoire. Car on vient ici pour l’architecture mais
Quand on le contemple depuis les champs de aussi pour le souvenir de Madame la Marquise…
lavande qui entourent le village, on se demande Marie de rabutin-chantal, épouse du marquis
comment un édifce aussi monumental a pu de sévigné, n’en était pas la propriétaire : mais
tenir dans si peu d’espace ! au fl des siècles, en bonne mère, elle venait très régulièrement
les propriétaires successifs ont dû faire preuve rendre visite à sa flle Françoise, mariée au comte
d’ingéniosité pour transformer cette forteresse de Grignan, gouverneur de Provence. ce qui
du XIIIe siècle en demeure de plaisance : l’en- ne l’empêchait pas de lui écrire abondamment
semble est disparate mais en impose ! c’est ce puisque sa flle est la principale destinataire des
que pensait Walter scott, qui écrivit dans sa pré- fameuses Lettres. c’est d’ailleurs à Grignan que
face à Quentin Durward : « Quiconque se trouve mourut la marquise, en 1696 : son tombeau est à
à 40 milles du château de Grignan… ne peut se l’église du village, ancienne chapelle du château.
dispenser d’y faire un pèlerinage. »
Grignan connut son heure de gloire du
temps de la marquise : le comte et la com-
Les pérégrinations tesse y menaient grand train. Les siècles sui-
d’un crâne vants furent moins heureux pour le château :
Madame de Sévigné fut-elle en ruine dès la révolution, il fut sauvé en 1912
victime de sa célébrité, même
morte ? Toujours est-il que sa
par une femme. Marie Fontaine, veuve richis-
tombe, située dans la sime, le racheta et entreprit de le reconstruire à
collégiale, fut vandalisée en l’identique, s’aidant de croquis de l’époque. une
1793 par la société populaire heureuse renaissance, due à la passion de Marie
de Grignan. L’un des
profanateurs s’empara d’une Fontaine pour Madame de sévigné et son œuvre.
mèche de cheveux, un autre on ne peut que remercier Marie Fontaine et sa
d’une côte, un troisième d’une passion pour Madame de sévigné en admirant la
dent, qu’il monta en bague… belle façade renaissance au sud, la cour du Puits
Quant à son crâne, il aurait
disparu dans d’étranges et son bassin, l’aile des Prélats du XVIIe siècle. La
circonstances : un amateur de terrasse, construite sur le toit de la collégiale, ofre
phrénologie l’aurait fait scier un panorama inoubliable sur la région, du mont
et envoyer à Paris pour être
Ventoux aux dentelles de Montmirail.
examiné. Mais des travaux
réalisés dans la collégiale en
2005 ont mis à jour un crâne Que cela ne vous dispense pas d’une visite
scié que des analyses ont des intérieurs : dans les appartements pri-
© Angelo/Leemage

confirmé être le sien. Les


Angelo/Leemage

vés, le salon du roi et la galerie des adhémar, le


profanateurs ont-ils été pris
de remords ? On ne saura mobilier est remarquable, avec ses collections de
jamais ! tapisseries d’aubusson et ses cabinets de voyage
forentins. •

116 DĒtours en France


les châteaux people
G R IG NA N

1
Camille Moirenc/Détours en France

1. Les lignes
2 architecturales
prirent une tonalité
Renaissance sous
l’impulsion de
Gaucher Adhémar,
au service de Louis XI.

2. Les formes de
l’édifice, magnifiées par
les champs de lavande
en contrebas, ne
démentent pas l’origine
provençale des lieux.
Laran/Colorise

Pratique : 26230 Grignan. Tél. : 04 75 91 83 55. http://chateaux.ladrome.fr.


Visites thématiques un dimanche par mois. L’été, théâtre et danse au château.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 117


Châteaux
de légende

Bussy-RaButiN
le palais attaChant d’un libertin en exil
Il était militaire, courtisan, écrivain à la plume — trop — impertinente. Exilé par
Louis XIV, Roger de Bussy-Rabutin a reconstitué dans son château de la Côte-d’Or
l’univers de la cour qui ne voulait plus de lui. Un décor étonnant, peuplé de tableaux
et ponctué de maximes étranges.

118 DĒtours en France


les châteaux people
BUS S Y-R A BU TI N

Érigé au XIe siècle


puis reconstruit au XIVe,
le château de Bussy-
Rabutin a subi des
modifications sous
Henri II et Louis XIII.
Entourée d’eau et
habillée d’ailes avant
« en retour », la bâtisse
dévoile en son revers de
somptueux jardins
aménagés au XVIIIe.

Hervé Champollion / akg-images

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 119


Châteaux
de légende

N
Nous sommes en 1665. La publication de 25 DamEs DE La cour,
L’Histoire amoureuse des Gaules fait l’efet d’une
bombe à la cour de Louis XIV : l’auteur, roger
reines ou favorites,
de rabutin, comte de Bussy, y décrit avec inso-
accompagNaiENt sEs soNgEs.
lence les mœurs galantes de ses contemporains.
si l’on ajoute à ça l’épisode de roissy en 1659, où
rabutin, en pleine semaine sainte, a, lors d’une 1. Le plafond du duc de Guise, Jean sobiewski roi de Pologne,
cabinet de la Tour
soirée bien arrosée, chanté des cantiques obs- et lui-même, petite coquetterie du propriétaire
dorée au style
cènes et baptisé un cochon, on comprend que le Renaissance, réunit des lieux. sous les fenêtres, des devises encore,
courtisan bourguignon ne soit plus en odeur de les portraits de femmes concernant une femme : « Elle fuit le mauvais
que Bussy affirme
sainteté ! Le voilà contraint de s’exiler dans son avoir aimées. temps », « Elle attire pour perdre » : elles évoquent
château près de Montbard pendant dix-sept ans. la marquise de Montglas, maîtresse de Bussy, qui
2. La façade et le quitta à son exil : Bussy lui en voulut beaucoup.
ses deux ailes,
Entouré d’un grand parc, au fond d’un qui encadrent
vallon, le château familial a belle allure, mais la cour d’honneur, Dans sa chambre, Bussy a choisi d’être
sans ostentation. un écrin de fossés en eau le sont ponctuées de bien entouré : 25 dames de la cour, reines ou
quatre tours rondes.
pare d’une certaine mélancolie. c’est le grand- favorites, accompagnaient ses songes, agnès
père de roger qui le rachète en 1602 et en fait 3. Le maître des lieux, sorel, ninon de Lenclos, Madame de Maintenon…
reconstruire une partie. Quatre tours, un corps lui-même, a rendu Dans la tour dorée, Bussy, représenté en empe-
de logis principal et deux ailes : le château tel que hommage à reur romain, est entouré de ses maîtresses et
65 combattants en
vous l’avez sous les yeux est celui qui accueillit faisant peindre leurs bonnes amies, qui lui ont donné leur portrait :
Bussy pour son long exil. La façade principale est portraits, qui furent sous chacun d’eux, le libertin et homme de lettres
exposés dans la salle
classique, avec ses colonnettes, ses pilastres et ses des hommes de guerre. a ajouté un commentaire de son cru… Il s’est aussi
niches, vides : elles l’ont toujours été, la famille ofert une galerie des rois de France, qui conduit
n’ayant pas eu assez d’argent pour les habiller à la chapelle : trente tableaux d’Hugues capet à
de statues. De part et d’autre, les ailes sont du Louis XIV, évidemment commentés par Bussy.
XVIe siècle et marquées par la mode italienne :
arcades en anse de panier, décor de rinceaux, Nostalgie pour la vie militaire, regret de
grotesques et têtes d’ange. la cour, ressentiment pour le roi, amour des
Mais c’est surtout le décor intérieur qui marque le femmes mais aigreur pour celle qui l’a trahie,
visiteur. Il a été entièrement repensé par Bussy- c’est tout cela qu’évoque le château de Bussy :
rabutin, qui en parle ainsi : « Les dedans sont l’univers d’un homme blessé. c’est aussi ce qui
d’une beauté singulière, et qu’on ne voit point rend sa visite émouvante. •
ailleurs. » Portraits, panneaux et boiseries peints
sont présents dans toutes les pièces : ce n’est pas
la qualité des œuvres qui importe — Bussy a sans
doute fait appel à des artistes locaux, faute de
moyens — mais plutôt leurs sujets. La divine cousine
Parmi les femmes qui ont compté
Dans le cabinet des devises, des châteaux pour Bussy-Rabutin, sa cousine,
et monuments, dont certains disparus, des Madame de Sévigné, née
panneaux allégoriques, des devises illustrées Madame de Rabutin-Chantal.
composent un curieux mélange : comme la Elle partageait avec lui l’amour de
l’écriture et les plaisirs de l’esprit.
représentation de cet escargot, « Je me referme Elle lui refusa les autres, ce qui
en moi-même », de cet oignon, « Qui me mordra inspira à Bussy cette inscription,
pleurera », ou de ce roseau « Je plie et ne romps qu’on retrouve au château :
pas ». Difcile de ne pas y voir des allusions à « Plus elle est froide, plus je
m’enflamme. » Son portrait,
Bussy lui-même et à sa situation d’exilé, d’au- entouré de celui de Madame de
tant que ces panneaux entourent un portrait de Grignan et de Louise de Rouville,
©Rue des Archives/Tallandier

l’écrivain et le blason familial. seconde épouse de Bussy, orne


la chambre de l’écrivain. Comme
son cousin, Madame de Sévigné
La « salle des hommes de guerre » est un aimait « rabutiner », c’est-à-dire
hymne à la vie militaire et à ses héros : montrer un esprit léger et
65 portraits de guerrier, choisis par Bussy, de moqueur, mais sans méchanceté.
Du Guesclin à charles Quint, en passant par le

120 DĒtours en France


les châteaux people
BUS S Y-R A BU TI N

Arnaud Chicurel/hemis.fr
2 3

Jean Bernard/Leemage
Jacass/Colorise

Pratique : 21150 Bussy-le-Grand. Tél. : 03 80 96 00 03. www.bussy-rabutin.com

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 121


Q
Châteaux
de légende

La Bâtie d’Urfé
Le paLais itaLien d’un humaniste
Où trouve-t-on un château tout blanc aux allures de palazzo, une grotte de rocaille,
un sphinx, et le premier roman-fleuve de la littérature française ? Au cœur du Forez,
dans le château d’Honoré d’Urfé, auteur de « L’Astrée », chef-d’œuvre du roman précieux.

Qu’elle est verte, la vallée du Lignon !


elle dessine dans la plaine du Forez un pays de
forêts, d’étangs et de bocages. Il est d’autant plus
surprenant d’y découvrir un authentique palais
renaissance, avec galeries italiennes et rampe
gardée par un sphinx, qu’on imaginerait plus
volontiers dans la campagne forentine.

On doit ce petit miracle d’architecture


à Claude d’Urfé, ambassadeur et homme
politique, qui le ft bâtir à son retour des
guerres d’Italie à la place du manoir familial.
nous sommes au XVIe siècle, et claude est un
humaniste convaincu et fervent catholique :
son château est un peu son testament spirituel.
son petit-fls, Honoré, va se faire connaître en
écrivant L’Astrée, un roman d’amour feuve qui
© Luc Olivier

met en scène l’histoire d’astrée, jeune bergère,


et son amant céladon. Le cadre est celui de la 1
vallée du Lignon, qu’Honoré d’urfé apprécie tant
depuis qu’il séjourne dans le château familial.
corps de garde, est d’une sobriété toute militaire ;
Quand on pénètre dans la cour d’honneur, contraste saisissant avec celle de droite, très ita-
on a la même vision que celle de l’écrivain : un lianisante avec sa galerie à laquelle on accède
corps de logis central, massif et rectangulaire, par une rampe cavalière. en bas de la rampe, un
entouré par deux ailes. celle de gauche, l’ancien sphinx, promu mystérieux protecteur des lieux,
notamment de la bibliothèque au premier étage :
au temps de la splendeur des d’urfé, elle a abrité
jusqu’à 4 000 volumes !
Du païen au sacré
Pas question de quitter la Bâtie d’Urfé sans avoir vu la pièce maîtresse :
la grotte dite « salle des rocailles ». Entièrement minérale, elle est décorée Les appartements sont richement meu-
à la mode italienne de faunes, nymphes et dieux païens, de stalactites et de blés, les plafonds peints, et des tapisseries sur
coquillages. Le visiteur doit passer par elle avant d’accéder à la chapelle, le thème de L’Astrée décorent les pièces de récep-
symbole du passage du paganisme au christianisme. Sur la porte de
la chapelle, des allusions à La Trinité : les trois marches, un triangle, tion. Il n’en a pas toujours été ainsi : au XIXe, le
des fleurs à trois pétales. Dans la chapelle, où il fit travailler des artistes mobilier, les plafonds de la galerie et les décors de
italiens, Claude d’Urfé affirme haut et fort sa foi en l’église catholique. la chapelle ont été vendus, certains éléments sont
même partis au Louvre et au Met à new York ! •

122 DĒtours en France


les châteaux people
L a B âti e d ’ Ur f é

1. Sous la rotonde du
parc, la fontaine de
la vérité d’amour,
qu’évoque Honoré
d’Urfé dans son roman
« L’Astrée ».

2. La galerie aux douze


colonnes surplombe
le gardien des lieux,
un sphinx, sentinelle
surprenante en ces
lieux, qui occupe l’aval
de la rampe d’accès à
l’ancienne bibliothèque.

Luc Olivier

Pratique : 42130 Saint-Étienne-le-Molard Tél. : 04 77 97 54 68. Visite guidée des intérieurs, libre et gratuite
des jardins Renaissance. Et du 1er au 27 juillet, troisième édition de l’Estival de la Bâtie : théâtre, musique, danse et cirque.
Plus d’infos sur www.loire.fr/jcms/c_561852/bienvenue-au-chateau-de-la-batie-d-urfe.

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 123


Châteaux
de légende

124 DĒtours en France


les châteaux people
C om b ourg

Combourg
naissance d’un écrivain romantique
Un château breton, austère, granitique et peut-être même hanté.
Un petit garçon sensible et doué. C’est à la rencontre de ces deux-là que nous
devons un grand écrivain et une des plus belles œuvres de la littérature française.

En bordure du « Lac
tranquille », cette
construction massive de
pierre et recouverte
d’ardoises, fut amorcée
au XIe siècle à la demande
de l’évêque de Dol.

Arnaud Chicurel/hemis.fr

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 125


P
châteaux
de légende

Mue par cette Pour voir dans le château de Combourg un fut installé au XIXe. Il faut dire que combourg
apparente puissance,
d’une beauté froide, char à quatre roues, il faut bien avoir l’ima- fut plutôt malmené pendant la révolution, au
inquiétante mais solide, gination d’un enfant ! Le petit François-rené de grand désespoir de l’écrivain : « Le berceau
l’aura de Combourg chateaubriand n’en manquait pas, et la sienne de mes songes a disparu comme ces songes »,
aura façonné jusqu’à
l’écriture de se trouva exacerbée en 1776 à la première vision écrit-il lors de son dernier séjour en 1801. Il faut
Chateaubriand. du château que son père avait acquis quelques attendre le milieu du XIXe pour que l’intérieur soit
années auparavant. Il faut dire que la forteresse restauré, dans un esprit néogothique inspiré par
est d’une beauté sévère, avec ses hautes murailles Viollet-le-Duc.
de granit et ses solides tours en poivrière. un
château de soldats, édifé dès le XIIIe siècle. Pas L’intérieur n’est donc pas celui que connut
un château de contes de fées pour faire rêver les l’écrivain. Pourtant, on ne peut s’empêcher
enfants. Pourtant, c’est cette rudesse même, de de l’imaginer ici ou là, lui ou les membres de sa
l’aveu de chateaubriand, qui a forgé l’homme famille : la chapelle, où allaient prier sa mère et
et l’écrivain, chantre du romantisme : les plus sa sœur ; le grand salon où fotte le souvenir de
belles pages des Mémoires d’outre-tombe en son père, fgure pâle et autoritaire : la salle des
témoignent. archives, aujourd’hui occupée par le mobilier de
son dernier lieu de vie, rue du Bac à Paris. on
Bâtie au XIe siècle par l’évêque de Dol- peut y voir sa table de travail, son fauteuil et le lit
de-Bretagne, la forteresse a appartenu où il mourut en 1848, ainsi qu’un chat sculpté que
aux Du Guesclin avant d’échoir à la famille lui ofrit son amie, Juliette récamier.
chateaubriand. Les parties les plus anciennes
datent du XIIIe siècle, telle la tour du Maure, qui Mais la pièce la plus émouvante est la
fut le donjon. La façade et les autres tours s’éche- chambre qu’occupait le jeune François, au der-
lonnent sur les deux siècles suivants. oui, l’exté- nier étage de la tour du chat. c’est là que le petit
rieur du château que vous avez sous les yeux est garçon devait se rendre chaque soir, en emprun-
à peu de chose près, celui qui berça l’enfance de tant seul le chemin de ronde, la trouille au ventre.
chateaubriand. une exception : le perron, qui car l’endroit, selon l’histoire familiale, était
hanté. et loin de le rassurer, son père lui impo-
sait cette épreuve initiatique, se moquant de ses
« Le BerCeau De Mes songes a peurs. « Il m’aurait fait coucher avec un mort »,
DIsParu CoMMe Ces songes », écrit chateaubriand. Des mots qui, aujourd’hui
écrit chateaubriand. encore, font frissonner. •

126 DĒtours en France


les châteaux people
C om b ourg

YannickLe
Yannick Gal/onlyfrance.fr
LeGal/onlyfrance.fr
2 1. au sommet d’une
3
petite butte parsemée
d’arbres, l’édification de
Combourg s’étale entre
les XI et XVe siècles.

2. La statue de
l’auteur des
« Mémoires d’outre-
tombe », aux abords du

Yannick Le Gal/onlyfrance.fr
domaine, immortalise
une figure essentielle du
romantisme.

Les fantômes de la tour


La tour du Chat doit son nom à la coutume qui voulait qu’autrefois on enterre
vivant un chat noir dans une pièce d’un château pour en éloigner le démon.
Celui de Combourg se serait vengé en venant hanter la tour. Or, il se trouve que
lors de travaux effectués au XIXe siècle, après la mort de Chateaubriand, les
ouvriers découvrirent une momie de chat : elle est exposée dans la chambre du
jeune François.
Ce chat n’est pas le seul fantôme de Combourg. Certaines nuits, il serait
accompagné d’un homme à la jambe de bois, dont Chateaubriand décrit le bruit
claquant sur le sol : il s’agirait d’un précédent propriétaire, Malo de Coëtquen,
qui perdit sa jambe dans une bataille en 1709. Enfin la chambre rouge, autrefois
Christophe Boisvieux/hemis.fr

celle du père de Chateaubriand, serait quelquefois visitée par une étrange


présence féminine. Affabulation ou réalité ? Les actuels occupants du château,
descendants du frère aîné de l’écrivain, soutiennent qu’ils leur arrivent souvent
de sentir une « présence » à Combourg. Au point que, quand ils retrouvent les
lieux, après un séjour à l’extérieur, ils ne peuvent s’empêcher de dire « Bonjour »
aux hôtes invisibles des lieux…

Pratique : 35270 Combourg. Tél. : 02 99 73 22 95 / www.chateau-combourg.com

HORS-SĒRIE | les châteaux de légende 127


Châteaux
de légende
Avec les neuf cases numérotées,reconstituez le nom d’un château de Lorraine. 1 2 3 4 5 6 7 8 9

UN CHÂTEAU SON CHÂ-


POUR RENÉ… TEAU DOMINE PLANCHE TRAVAILLA DÉFIT IDIOT
UN VILLAGE COURTE À USINER DÉCIBEL LA ROSETTE
FORTERESSE ESPACE DE
EN LOT-ET- GASCON
GARONNE ARRIVÉ ENGONCÉE FIN LATINE PLAISANTÉ TERRITOIRE
IL POSSèDE
UN RÉSEAU
SOUTERRAIN
7 SOUILLÉ
FONT SOM- TERRE
BRER LE EN MER
COMMERCE
FLEUVE 4 FATIGUÉ
PERSON- BON
MILLÉSIME NAGE PORTEUR
BIBLIqUE
DÉMONS- ÎLE DE ROYAL
TRATIF FRANCE CADEAU
COLORER LA RÉGION
EN BRUN BAIE
DU HAUT-
TRAITÉES KOENIGS- JAPONAISE
COMME
DES PEAUx BOURG 1

VICTOIRE BIèRE
IMPÉRIALE BLONDE

ELLE LE MEILLEUR
FONCTION- CHEVEUx L’ANTRE
COUVRE INVENTEUR
NAIRE REBELLES DE BARBE LES
BLEUE D’UNE
ÉPAULES MÉTHODE

LETTRE VIEILLE CHÂTEAU


GRECqUE EN CET TERRE DE LA
PROCHE
CHÂTEAU ENDROIT BATTUE FAMI- CÔTE-D’OR
CATHARE LIèREMENT (…-RABUTIN)

DEVANT RENDIT
LE PAPE PLUS JOLI
6
GENRE DIVINITÉ SU-
PARFUMA MÉRIENNE
UNE LITTÉRAIRE
BOISSON SUR
PRONOM LA TILLE 2
SUPPORT DE PRISON DES
BOUTEILLES TEMPLIERS
ACCRO-
3 CHERA PRÉPOSITION
LE LA BASTIE LE PATRON
THALLIUM D’… RACCOURCI POINTS
EN FOREz N’ADMET- OPPOSÉS
APAISÉ L’ARGON TRA PAS
DANS LE 37
(LE-RIDEAU)
IL EST ÉTAIN JOYAU
DE FOUqUET
(LE-VICOMTE)
IDÉAL INTERRUP- SOLUTION
TION DE Le mot est : LUNÉVILLE
ÉTÉ ACTIF RIVIèRE GROSSESSE I G N A N A x E G R
D’ASIE CEN- APRèS
9 5
L M R E C R U E U
TRALE WASHINGTON I S E D E A N A G
PRONOM MYTHE
R E V E I V G E
Y A S A G I S N A z A S
RÉFLÉCHI DU CINÉMA S N L U R F E S T T
(JAMES)
Richard Soberka/hemis.fr

LE MAGNÉ- S R I S A I G I S O A N
SIUM DEDANS U O S F A N B O
AÉRONEF
B I F I C I AM
INDIVIDUEL
E P S I G
VRAIMENT L E A G E N T E T O
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SÉVIGNÉ 8 I S U E D E E S I E N A
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128 DĒtours en France


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Au sommAire du numéro 171
À paraître le 18 octobre 2013
Fondateur : Bruno Vaesken

entre BretAgne et normAndie Une publication du groupe

le mont-saint-michel Président : Bruno de Laage


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Rédaction
Directeur de la rédaction : Yves George
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Secrétaire générale de la rédaction : Sabine Lacour-Silvan
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Reporter : Hugues Derouard
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textes de ce hors-sÉrie :
Sophie Denis, Dominique Le Brun, Hugues Derouard, Dominique Roger
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