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ARCHIVES
SECRETES
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DE LA SECONDE
GUERRE MONDIALE
RÉVÉLATIONS : s 1 9 40, la France savait !
• G énocid e : dè
it le Reich
• Quand Vichy espionna reto urné s par les nazis
• Des ré sistants
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DÉCOUVERTE Colorado, l’héritage amérindien
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SAVOIR
OÙ ON MET
LES PIEDS.
Révélations
O
N PENSAIT TOUT SAVOIR SUR LA SECONDE GUERRE
MONDIALE.Les documents filmiques et sonores, les
rapports manuscrits et dactylographiés, les procès-ver-
baux des interrogatoires auraient tout dévoilé. Il n’y
aurait plus rien à apprendre sur l’activité des réseaux
de la Résistance, sur l’action des « combattants de l’ombre » et sur la
répression allemande. À tort. Conservées par le Service historique
de la Défense (SHD), les archives des services spéciaux, accessibles
depuis deux ans seulement, livrent des informations de premier ordre
sur le renseignement et le contre-espionnage entre 1930 et 1945.
Pour ce numéro spécial, fruit d’un travail collectif entre la rédaction
d’Historia et le SHD, archivistes, historiens et journalistes se sont
plongés dans un ensemble documentaire de près de 500 mètres
linéaires pour proposer un nouvel éclairage sur cette
période en exhumant des dossiers classés confidentiels.
Les piles de documents privés griffonnés, de fiches
d’identification biffées, de câbles à peine lisibles ont
encore beaucoup à nous apprendre. Lisez plutôt. Le
général Didelet, en poste à Berlin en 1938, prévint l’état-
major de la modernisation éclair de la Wehrmacht et de
l’imminente entrée en guerre de l’Allemagne. Paris fit
Jean Luc Bertini
SURVEILLER, PROTÉGER, 20 L
E FRANÇAIS QUI ANNONÇA
INFORMER LA DÉFAITE
En poste à Berlin en 1938, le général Didelet
10 LE TRÉSOR DE GUERRE DE LA DGSE alerte l’état-major de Gamelin du danger
La Sécurité extérieure a versé ses archives allemand. En vain… p ar Nicolas Texier
au Service historique de la Défense. Un fonds
exceptionnel, p
ar Frédéric Quéguineur 26 QUAND VICHY ESPIONNAIT LE REICH
Après la défaite, le renseignement continue
14 L
E VOYAGE FOU de traquer les agents allemands, malgré les
DES ARCHIVES RUSSES promesses de l’armistice, p ar Olivier Forcade
Le périple rocambolesque des dossiers du
renseignement français, saisis par les nazis, repris 30 L
ES PREMIÈRE ARMES
par les Soviétiques, p
ar Bertrand Fonck DE FRANÇOIS MITTERRAND
En 1943, « Morland » quitte Vichy pour Londres.
LA GUERRE DE L’OMBRE Et bataille pour diriger le mouvement résistant
des prisonniers, p
ar Hugues Demeude
34 R
ÉVÉLATIONS SUR
LES PRÉMICES DE LA SHOAH
En octobre 1940, les Français font état
d’« exécutions de masse » perpétrées par les nazis
au moyen d’un « gaz bleu », par Nicole Jordan
46 A
LGER-LONDRES :
akg-images / ullstein bild
SÉBASTIEN ALBERTELLI Historien des services secrets gaullistes. En OLIVIER FORCADE Professeur d’histoire contemporaine des relations
2016, il a publié Histoire du sabotage. De la CGT à la Résistance (Perrin). internationales à la Sorbonne et spécialiste du renseignement. Sa
Censure en France pendant la Grande Guerre (Fayard) vient de paraître.
GRÉGORY AUDA Historien, rédacteur en chef des Chemins de la mémoire,
il a signé des documentaires et divers ouvrages, dont Les Belles Années BERTRAND FONCK Docteur en histoire et conservateur du patrimoine
du « milieu » : 1940-1944 (Michalon, 2002). au Service historique de la Défense (SHD), il a codirigé le volume 1940,
l’empreinte de la défaite. Témoignages et archives (PU de Rennes, 2014).
HUGUES DEMEUDE Journaliste et réalisateur de documentaires.
THOMAS GROTUM Historien, maître de conférences à l’université
VÉRONIQUE DUMAS Journaliste, responsable du site Internet d’Historia. de Trèves et directeur du projet sur l’histoire de la Gestapo de cette ville.
N° 33 JANVIER-FÉVRIER 2017
50 L
A CHATTE DANS LES GRIFFES 76 À
LA RECHERCHE DES
DE L’AIGLE NAZI ARCHIVES NAZIES
Comment une résistante de la première heure À l’été 1944, la lutte s’engage entre le Reich
finira, sous la menace ennemie, par donner et les forces françaises. L’enjeu ? Les archives
les siens… p ar Hugues Demeude allemandes, p ar Frédéric Quéguineur
LENA HAASE Historienne, elle est responsable de l’inventaire et de la On lui doit La Gestapo en Moselle (Serpenoise, 2012).
valorisation du fonds des dossiers individuels de la Gestapo au SHD.
FRÉDÉRIC QUÉGUINEUR Chef du pôle Défense au Département des fonds
NICOLE JORDAN Historienne américaine de l’université de l’Illinois, d’archives du Centre historique des archives du SHD.
chercheuse associée au Centre pour les études européennes à Harvard.
THIERRY SARMANT Spécialiste du Grand Siècle et de l’histoire de Paris,
SÉBASTIEN-YVES LAURENT Historien, professeur à l’université de il dirige le département des fonds d’archives au SHD.
Bordeaux, il a écrit Atlas du renseignement (Presses de Sciences po, 2014).
KSENIA STÄHLE Collaboratrice du projet de l’histoire de la Gestapo
DENIS LEFEBVRE Journaliste, spécialiste du socialisme et auteur de Trèves à l’université de cette ville rhénane.
en 2010 des Secrets de l’expédition de Suez : 1956 (Perrin).
NICOLAS TEXIER Archiviste au ministère de la Défense et romancier,
CÉDRIC NEVEU Enseignant, il est spécialiste des polices allemandes. il a aussi contribué à la Revue historique des armées.
L e s a r c h i v e s s e c r è t e s
SURVEILLER, PROTÉGER, INFORMER
LE MAILLAGE DES
SERVICES SECRETS
40 45 46 48 16
19 19 19 19 20
SECRET INTELLIGENCE SERVICE (MI 6, pour Military Intelligence, section 6)
Service secret britannique chargé du renseignement extérieur.
ROYAUME-
UNI GOVERNMENT CODE AND CYPHER SCHOOL GOVERNMENT
Bureau responsable de l’interception et du déchiffrage COMMUNICATIONS
des communications ennemies ; siège à Bletchley Park. HEADQUARTERS
Service
SPECIAL OPERATIONS EXECUTIVE de renseignements
(« Direction des opérations spéciales », 1940-1946). électroniques
du gouvernement.
71 40 41
18 19 19
FRANCE LIBRE
FRANCE
SERVICE DE
2E BUREAU 5E BUREAU RENSEIGNEMENTS
Service de Services spéciaux militaires
renseignements de de contre-espionnage,
DE LA
l’armée française organisés par le colonel Rivet au FRANCE LIBRE
entre 1871 déclenchement des hostilités.
et 1940. Il comprend :
SERVICE DE RENSEIGNEMENTS
VICHY
25 33 44 45 50 56 89 16
19 19 19 19 19 19 19 20
ABWEHR GEHLEN BND
Service de renseignements de l’état-major Ancêtre du BDN Bundesnachrichtendienst.
ALLEMAGNE allemand de 1925 à 1944. (1946-1956). Service de renseignements
extérieur du gouvernement
fédéral allemand.
GEHEIME FELDPOLIZEI
« Police secrète militaire de campagne »,
organe opérationnel de l’Abwehr.
STASI
Police politique et
contre-espionnage de
RSHA la RDA (1950-1989).
« Office central de sécurité
du Reich ». Réunit
l’ensemble des services
répressifs allemands.
SIPO-SD
Police de surêté qui réunit
la police criminelle (Kripo)
et la police politique
(Gestapo). La Sipo est
intégrée au SD (service
de sécurité du parti nazi)
en 1939.
42 43 44 45 46 82 16
19 19 19 19 19 19 20
FRANCE
BCRA BCRAA BCRAL SDECE (1945-1982) DGSE (Depuis 1982)
Bureau central Bureau central Bureau central de Service de documentation Direction générale
de renseignements de renseignements renseignements et extérieure et de contre- de la sécurité extérieure.
et d’action. et d’action d’Alger. d’action de Londres. espionnage.
commandant Paillole, qui installe sa centrale à Marseille (villa Éole, alias « Cambronne »), d’où il pilote
une quinzaine de postes. Ce service continue à utiliser les agents de renseignements et les agents
doubles recrutés en Allemagne, à l’image de Hans-Thilo Schmidt, qui fournit de 1931 à 1943 des
renseignements sur la machine de cryptage Enigma. Il s’applique également à démasquer les agents
allemands et italiens opérant en France et à les faire arrêter et juger par la justice militaire. Jusqu’en
1942, cette activité suscite de violents conflits à l’intérieur même du régime de Vichy, Darlan et Laval
lui reprochant de nuire à leur politique de collaboration avec l’Allemagne.
8
Les services secrets s’imposent au XXe siècle c omme des organes
essentiels de l’État. Aussi leur existence se trouve-t‑elle directement
affectée lorsque la légitimité de cet État est contestée, comme c’est
le cas en France entre 1940 et 1945. L’histoire des services secrets
français en témoigne de manière admirable et parfois tragique.
Par Sébastien Albertelli
Direction de la sécurité
militaire
En novembre 1942, le débarquement allié en Afrique du
Nord accentue le morcellement de la France : aux autorités
de Vichy et de Londres s’ajoutent celles d’Alger, menées par
l’amiral Darlan puis par le général Giraud et soutenues par
les Américains. Très vite, les principaux responsables des
services secrets de Vichy gagnent Alger, où ils font
allégeance à Darlan puis à Giraud. Ainsi se développe une
nouvelle branche des services spéciaux français. Le colonel
Ronin dirige une Direction des services spéciaux (DSS)
composée de deux ensembles inégaux : un petit service
Action et une Direction des services de renseignements et
de sécurité militaire (DSR-SM), confiée au colonel Rivet. En
pratique, la SM du lieutenant-colonel Chrétien puis du
colonel Paillole reste largement autonome. Pour tous, il
s’agit de renouer les relations avec les hommes restés en
France. Le réseau de renseignements Alliance, dirigé par
Marie-Madeleine Fourcade, qui travaillait jusqu’alors
directement pour les Britanniques, se rattache à la DSR.
Composés pour l’essentiel de professionnels, ces services
tissent rapidement des liens avec leurs homologues alliés.
Ils se montrent en revanche volontiers condescendants,
voire hostiles à l’égard des services gaullistes, auxquels ils
reprochent leur amateurisme et leurs préoccupations
politiques. Mais force est de constater que l’apolitisme
qu’ils proclament témoigne souvent, comme celui de Giraud
lui-même, d’une difficulté à rompre avec l’héritage de Vichy.
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L e s a r c h i v e s s e c r è t e s
SURVEILLER, PROTÉGER, INFORMER
LE TRÉSOR DE GUERRE
DE LA DGSE
En 1999, la Direction générale de la sécurité extérieureverse
au Service historique de la Défense ses archives couvrant la
période 1930-1945. Un ensemble exceptionnel.
D
ans un courrier daté fait un agglomérat de documents
du 24 décembre d’origine diverse constitués par dif-
1999, la Direction férents services de contre-espion-
générale de la sécu- nage français existants dans les
rité extérieure années 1940.
(DGSE) propose au
service historique de l’armée de LES COLONIES, VICHY ET LONDRES
terre (SHAT), installé au château Les archives les plus anciennes
de Vincennes, le versement de ses conservées ont été produites par les
archives datant de la Seconde services spéciaux d’Afrique du Nord
Guerre mondiale. Si le versement à partir des années 1930 jusqu’à
est prévu (et même obligatoire) par 1944. On y trouve la production
la réglementation en vigueur, l’évé- d’avant-guerre de la Section d’étude
nement reste inédit : c’est la pre- et d’Afrique (SEA), équivalent du
mière fois que les services secrets Service de centralisation du rensei-
français souhaitent se dessaisir gnement en métropole, des dossiers
Frédéric Hanoteau/SHD
Frédéric Hanoteau/SHD
libre et même du
Reich. Soit près vices ennemis et les traîtres fran-
de vingt ans de çais. Dans ces dossiers sont conser-
menées secrètes. vés des notes et bulletins de rensei-
gnements, des procès-verbaux d’ar-
restations et parfois même des
documents allemands, saisis après
la guerre, prouvant les faits repro-
chés à certains individus. Enfin, si
les services ont une mission répres-
sive, ils sont aussi chargés de
reconnaître l’action résistante
menée par leurs agents pendant la
guerre. Plusieurs types de pièces
conservées dans les archives per-
mettent de retracer le parcours de
Frédéric Hanoteau/SHD ceux qui ont lutté contre l’occu-
pant : actes d’engagement, rap-
ports, correspondance, états des
services… Des documents néces-
saires pour que les intéressés voient
Rapportées en France au printemps taires françaises ainsi qu’en Alle- leurs droits reconnus.
1945, les archives de Londres sont magne, en Autriche et en Italie. Les En décembre 1945, le Service de
prises en charge par Daniel Cor- archives de ces antennes font aussi documentation extérieure et de
dier, ancien secrétaire de Jean partie de l’ensemble documentaire contre-espionnage (SDECE) est
Moulin. Si une partie est versée aux versé par la DGSE en 1999. créé et hérite des archives de la
Archives nationales, une autre est DGER et des organismes qui l’ont
récupérée par les services secrets. Il PLUSIEURS MILLIERS D’ENQUÊTES précédé. Alimentées encore pen-
s’agit des archives de la section De provenance diverse, les archives dant quelques années, ces archives
Contre-espionnage, des collections versées par la DGSE en 1999 pré- sont ensuite reclassées et recondi-
de télégrammes, des séries de dos- sentent des typologies très variées. tionnées par le personnel du
siers individuels des agents recru- Déjà, on y trouve de nombreux SDECE, faisant souvent disparaître
tés à Londres ainsi qu’un ensemble documents en lien avec l’activité et les informations sur leur prove-
des documents comptables et le fonctionnement même des ser- nance. Le fonds est versé en 1999
financiers du BCRA. vices secrets. C’est le cas, par par la DGSE mais laissé en l’état. Ce
Enfin, le dernier ensemble, le exemple, des ordres de mission et n’est qu’en 2013 que la décision de
plus volumineux, est composé des des rapports des agents du BCRA classer cet ensemble documentaire
archives produites après la Libéra- envoyés en France occupée ou des est prise. Le travail se poursuit
tion par la Direction générale des comptes rendus d’interrogatoires actuellement au Service historique
services spéciaux, qui en des volontaires souhaitant servir la de la Défense (lire « Gros plan »
novembre 1944 devient la Direction France libre. Les relevés d’intercep- ci-contre). Des inventaires, mis à la
générale des études et recherche tions téléphoniques, les listes de disposition du public, permettent
(DGER) ainsi que de ses annexes. pseudonymes et d’indicatifs, les aujourd’hui d’apprécier la richesse
La DGER, chargée du contre- messages codés et les nombreux et la variété de ces archives restées
espionnage, basée à Paris est aussi documents saisis témoignent des dans l’ombre pendant presque
implantée dans les régions mili- méthodes secrètes utilisées par les soixante-dix ans. L
V
ERSÉES EN 1999, LES un système de fichage. Or ces archives, une nouvelle méthode
ARCHIVES DE LA DGSE fichiers, qui étaient le seul moyen de est expérimentée. L’idée est de
SONT EN COURS DE retrouver l’information, ont disparu… recréer les dossiers tels qu’ils
CLASSEMENT DEPUIS En 1999, les archivistes du étaient constitués à l’origine afin de
2013. Le travail n’est pas aisé, car SHAT se retrouvent ainsi devant s’affranchir du classement opéré
beaucoup de documents ont été des milliers de cartons portant par le SDECE. Cela consiste en fait
sortis de leurs dossiers d’origine sur leurs tranches, comme seules à identifier les anciennes références
pour être mélangés et reclassés indications, les cotes extrêmes des et cotes portées sur les documents
dans une série documentaire documents les composant. Face pour retrouver le classement
continue composée de plus de à cette situation, il est convenu d’origine de l’ensemble des pièces.
700 000 pièces, sans logique de surseoir au classement de Ce travail, long et fastidieux, mené
chronologique ou thématique. ces archives. Seuls quelques par une équipe de quatre archivistes
L’objectif des archivistes du SDECE instruments de recherche partiels et secondés par des vacataires
qui opérèrent à ce reclassement une base de données transmise par et bénévoles, porte ses fruits.
à la fin des années 1940 était la DGSE permettent aux archivistes Aujourd’hui, sur les 500 mètres
de protéger l’information en la de Vincennes de s’orienter dans ces d’archives que comptent le fonds,
noyant dans la masse. Tous les fonds et d’opérer des recherches environ 300 sont inventoriés dans
documents conservés dans cette ponctuelles au profit de quelques des instruments de recherche
série documentaire ont ainsi été historiens. accessibles en salle de lecture au
cotés dans un ordre numérique En 2013, pour pallier les château de Vincennes et sur le site
(de 1 à 700 000) et indexés selon difficultés de classement de ces internet du SHD. L F. Q.
BELGIQUE
ZONE SOUS
ADMINISTRATION ALLEMAGNE
MILITAIRE
MANCHE
1993-
ALSACE 1994
La Ferté- Territoire NORVÈGE
annexé au
sous-Jouarre Reich
Paris
FR ANCE Strasbourg SUÈDE
Vincennes ZONE
Brest INTERDITE MER
ZONE OCCUPÉE DU NORD
DANEMARK MER
10 juin
1939 IRLANDE BALTIQUE
ROYAUME-UNI
Montrichard Lig Londres
ne PAYS-BAS Berlin
Nantes n
de io ALLEMAGNE
démarc at Juillet BELGIQUE Va
OCÉAN 1943
16 juin ATLANTIQUE Paris Prague PO
1939 BOHÊME-
ZONE Hradištko MORAVIE
INTERDITE Vichy FRANCE SLOVAQU
Camp de SUISSE AUTRICHE
HON
la Courtine Lyon Vichy
ZONE
OCÉAN
D’OCCUPATION ITALIE
CROATIE
ATLANTIQUE ZONE LIBRE JuinPORTUGALITALIENNE SE
(jusqu’en 1943 (ju squ’à
ESPAGNE
Bordeaux nov. 1942) l’automne Rome MONT.
La Réole 1943)
ALBANIE
Bon-Encontre Roquefort
Lédenon Eyguières
19 juin Oct. 1942
1939 SICILE
Début 1941
Brax Toulouse Octobre MAROC
1940 Marseille TUNISIE
Toulon
ALGÉRIE
MER MÉDI
ÉE
MER MÉDITERRAN
200 km
250 km
UIE transité les petites et grandes affaires de la IIIe République, avant leur retour définitif – du moins,
TRANSNISTRIE
Frédéric Hanoteau/SHD
on l’espère – à Vincennes, où même les caisses deviennent des objets historiques.
NGRIE
ROUMANIE
MER NOIRE
ERBIE
.
BULGARIE
E
TURQUIE
GRÈCE
SYRIE
CHYPRE
CRÈTE
ITERRANÉE
PALESTINE
LIBYE
ÉGYPTE
Frédérich Hanoteau/SHD
période allant de la veille de la Première littéraires et du monde du spectacle d’accointances avec
Guerre mondiale à 1942. On peut estimer surveillées notamment pour leurs relations l’étranger, Aragon est
à 2 000 environ les dossiers clos sous avec les Allemands. B. F. surveillé par les SR français.
troupes soviétiques agissent alors tion fréquente qui en est faite tout camions en 1993-1994. Mais les
comme les Allemands en 1940 et au long de la guerre froide (une nationalistes de la Douma, accu-
multiplient les prises de guerre au cinquantaine de consultations pour sant le gouvernement de brader
rythme de leur avancée vers l’ouest, certains dossiers !). Quelques dos- le patrimoine russe en restituant
mais en opérant suivant les ordres siers seront restitués à la France ces trophées de la « Grande Guerre
de Beria, dans le plus grand secret, sous forme de cadeaux diploma- patriotique », bloquent le processus
de sorte que les archives françaises tiques dans les années 1960, mais en juin 1994. Les négociations
sont réputées détruites dans les bom- seule la chute de l’Union soviétique ne peuvent reprendre que trois
bardements et la tourmente de l’ef- redonnera vie à cette mémoire ans plus tard, en 1997 et il faut
fondrement de la Wehrmacht. confisquée et entraînera, non sans attendre les années 2000 pour
Les Archives spéciales centrales de nouvelles péripéties, le dernier que puissent enfin se concrétiser
d’État sont créées pour accueillir voyage de ces archives oubliées. les derniers transferts.
cette documentation affluant par Les archives militaires,
wagons entiers de toute la zone UN RETOUR ÂPREMENT NÉGOCIÉ aujourd’hui conservées au
d’influence soviétique, que le KGB MAIS AUJOURD’HUI ACHEVÉ Service historique de la Défense, à
compte bien exploiter à son profit. Bien que le sort des archives inté- Vincennes, de même que les fonds
Parmi elles, près de sept kilomètres resse moins le grand public que de la Sûreté, consultables aux
linéaires de documents français celui des œuvres d’art spoliées par Archives nationales, lèvent alors le
sont analysés – de façon souvent les nazis et recherchées par les voile sur tout un pan de l’histoire
très sommaire – et font l’objet fameux Monuments Men, les révéla- de l’entre-deux-guerres et de
d’inventaires. tions retentissantes de Patricia l’Occupation qui était demeuré
Les dossiers gardent la trace de Grimsted ne passent pas inaperçues caché depuis 1945. Elles consti-
ce travail de classement, de des- auprès de la diplomatie française. tuent également un « fossile archi-
cription et de foliotage qui se Celle-ci obtient un accord de vistique » qui, au-delà de sa richesse
superpose aux annotations témoi- restitution réciproque, signé le intrinsèque, fascine par les cin-
gnant de leur lecture par les Alle- 12 novembre 1992. Contre le finan- quante ans d’histoire de l’Europe
mands. Le prélèvement de cer- cement par la France du microfil- dont il témoigne et que la consul
taines pièces et les formulaires de mage des documents intéressant la tation directe de ces documents
consultation russes encore présents Russie, un premier lot d’archives revenus de nulle part rend si direc-
dans les dossiers montrent l’utilisa- prend le chemin de la France par tement palpable. L
LA
GUERRE
DE
L’OMBRE
Dans ce conflit mondial, tous les coups
sont permis…Espionnage et intoxications
se manigancent dans tous les services. Les
alliances sont parfois temporaires et les allé-
géances, à géométrie variable. Sur le terrain,
courage et peur sont le lot quotidien
de ceux qui luttent et meurent dans le secret.
L e s a r c h i v e s s e c r è t e s
L A G U E R R E D E L’ O M B R E
Frédéric Hanoteau/SHD
Vision Contrairement à ses chefs, Didelet (en 1935, à dr., tenant la carte) voit plus loin que l’expérience de 1914-1918.
LE FRANÇAIS QUI
SHD
ANNONÇA LA DÉFAITE
En poste à Berlin en 1938,le général Henri Didelet
comprend rapidement les dangers de la nouvelle Wehrmacht
et ne cesse d’alerter Paris. Mais sera-t-il écouté ?
E
n mai 1940, il ne faut qu’un L’histoire du général Didelet, attaché militaire
mois aux troupes allemandes d’ambassade à Berlin, illustre bien cette version
pour avoir raison des forces moderne du mythe de Cassandre. En octobre
françaises et du corps expédi- 1938, le colonel Henri Didelet, alors âgé de
tionnaire britannique. La 52 ans, est nommé à Berlin. Ses supérieurs voient
défaite éclair des armées en lui un officier doté des qualités intellectuelles
alliées paraît être aussi celle et mondaines nécessaires à ce poste délicat.
des services de renseigne- Outre leur travail de représentation auprès des
ments, incapables d’avoir prévu l’attaque et la autorités locales, les attachés militaires font par-
tactique de la Wehrmacht. Pourtant, tout cela tie du dispositif du renseignement français. Ils
avait été annoncé, sans susciter, chez les élites sont formés puis suivis par le 2e bureau de l’état-
politiques et militaires, la réaction que l’on était major de l’armée, lequel constitue le centre du
en droit d’attendre. renseignement militaire français.
pl
est reçu en novembre 1938 au Berghof, la résidence de
Hitler à Berchtesgaden. Deux mois plus tôt, l’entrevue
an
qui s’y est déroulée entre le Führer et le Premier ministre
britannique, Neville Chamberlain, a entériné l’annexion
des Sudètes pour sauver la paix. Au grand dam des
services secrets français et de Didelet.
Rue des Archives/Tallandier
Didelet au QG de Hitler
P
RENANT SES FONCTIONS soutien-gorge de Hermann Göring ! vexations envers leurs alliés,
D’ATTACHÉ MILITAIRE, le Plusieurs dignitaires nazis sont que l’ambassadeur nippon soit
colonel Didelet est invité, en effet venus s’installer dans les raccompagné par deux « géants du
avec l’ambassadeur de France, parages du maître des lieux et, protocole » afin de mieux humilier
Roger Coulondre (qui a succédé à quand l’ambassadeur et l’attaché le frêle Japonais… L’entrevue avec
André François-Poncet), à rencontrer militaire français se présentent à Hitler est protocolaire et rapide.
le Führer en novembre 1938. La la résidence, Didelet est frappé Didelet en retire le sentiment d’un
visite a lieu au Berghof, résidence par l’atmosphère mystique qui se homme peut-être malade, doté en
de Hitler dans le village alpin de dégage des lieux : « Puis on monte tout cas d’un « regard fulgurant de
Berchtesgaden. Acquise par Hitler en vers le haut lieu où réside le dieu magnétiseur pressé » et qui semble
1933, la villa est progressivement entouré de ses anges noirs, c’est- avide « d’accomplir de son vivant la
adaptée aux besoins du chancelier à-dire de tous les hommes jeunes, tâche immense qu’il s’est assigné. »
puis du Führer, par la constitution beaux et vêtus en SS qui rendent Cette visite sera la seule de
d’un périmètre de sécurité, des les honneurs, prennent la garde, Didelet au Berghof, et il faudra
aménagements conçus pour remplissent tous les offices et attendre 1945 pour revoir des
l’accueil d’hôtes de marque et assurent tous les services dans cet militaires français dans la résidence
le percement de kilomètres de étrange monastère. » incendiée par les SS devant
galeries, où les Français de la Au Berghof, la délégation l’approche des Alliés. Le village est
2e DB découvriront, en 1945, un française croise l’ambassadeur et pris par la 3e division d’infanterie
trésor d’objets d’art pillés dans l’attaché militaire japonais, venus américaine, tandis que des éléments
toute l’Europe, des centaines de présenter au Führer les lettres de de la 2e DB montent jusqu’au
bouteilles de grands crus, ainsi créance signées de l’empereur Berghof et en découvrent les trésors.
que des curiosités de toutes Hirohito. Les Allemands ont pris Un partage a alors lieu, et les grands
sortes, dont la collection de soin d’ajouter, entre autres petites crus iront aux Américains ! L N. T.
À la fin de la Première Guerre mondiale, le forcent de maintenir les Allemands, ces défauts
renseignement militaire et le contre-espionnage finiront par aboutir au désastre qu’on connaît.
français disposent d’un savoir-faire et d’une Quelles sont dès lors les raisons qui expliquent
expérience inégalés dans leur histoire. L’effort l’aveuglement des autorités civiles et militaires
se poursuit dans l’entre-deux-guerres : le minis- au cours de la drôle de guerre puis lors de l’of-
tère de l’Intérieur se dote en 1934 d’un service fensive de mai 1940 ? Elles sont de deux ordres,
nommé Surveillance du territoire, renforcé sous psychologique et organisationnel. Mais elles
le Front populaire, tandis que l’armée réorganise tiennent toutes à un seul axiome : traumatisée
son contre-espionnage en 1937. Tout semble par la Première Guerre mondiale, la France ne
donc concourir à faire des « services » un outil veut pas d’un nouveau conflit.
efficace. De fait, et malgré un manque d’effec-
tifs, des instructions obsolètes et l’absence d’une DES INFORMATIONS EXAGÉRÉMENT ALARMISTES ?
doctrine du renseignement claire, ils ras- Privée de directives claires – Didelet se plaint
semblent de nombreuses informations sur le ainsi de n’avoir reçu aucune directive du général
réarmement allemand, les choix tactiques de la Gamelin (chef d’état-major général de l’armée),
Wehrmacht, l’ampleur de la mobilisation natio- et pas davantage de questions de sa part –, affli-
gée de lourdeurs administratives qui empêchent
la circulation de l’information, l’excellente
machine que représentent les services de rensei-
Les officiers de l’armée gnements ne pourra dès lors que tourner à vide
SHD/Frederic Hanoteau
démocraties lorsque survient en 1938 l’annexion prisonniers français
des Sudètes [la population allemande du pour- et mettra fin à ses jours
tour de la Bohême, en Tchécoslovaquie] par le le 17 mai 1945.
Reich, les dirigeants français et britanniques,
paralysés par ce que leurs services leur rap-
portent sur la puissance de l’armée allemande,
préfèrent chercher l’apaisement avec un ennemi
décrit comme si redoutable. Car l’autre raison
tient à la pesanteur des appareils bureaucra-
tiques, qui cloisonnent l’information. Hormis des
réunions communes organisées sous le Front
populaire, il n’existe aucune structure permet-
tant de centraliser et communiquer l’information
aux responsables politiques comme à la haute
hiérarchie militaire. Dans un souci d’apaisement,
les cabinets ministériels préfèrent d’ailleurs ne
pas transmettre à leurs ministres les informa- LA FIN TRAGIQUE
tions les plus alarmantes. Didelet écrira ainsi à
propos du général Gamelin : « Peut-être faut-il DU GÉNÉRAL DIDELET
supposer qu’il n’aimait pas être renseigné, car la
vérité l’agaçait et il se plaisait dans le vague. » Nommé commandant de la 9e division d’infanterie
motorisée à son retour de Berlin, le général Didelet prend
LE DESTIN D’UNE MODERNE CASSANDRE part à la campagne de France et finit capturé le 19 mai
Didelet revient à Paris au moment de la décla- 1940. Prisonnier, il est d’abord dirigé sur la citadelle de
ration de guerre, par le train diplomatique. Le Königstein (où il partage la cellule du futur maréchal Juin),
général Gamelin ne demande pas à le voir. Pis : il prend ensuite le commandement du camp des aspirants
il l’éconduit lorsqu’il prend l’initiative de se pré- officiers, situé à Stablack, en Prusse-Orientale. Les 1 500 000
senter au Grand État-Major général. Puis l’an- prisonniers français sont la responsabilité de Vichy, qui
cien attaché militaire est laissé deux mois sans veut en faire les vecteurs de la Révolution nationale. Fidèle
que personne ne l’interroge sur l’Allemagne ou au maréchal Pétain, catholique, germaniste entretenant
la conduite de la guerre, avant d’être affecté au de bonnes relations avec les officiers allemands, Didelet
commandement d’une division d’infanterie. Ses entreprend de mettre en œuvre les directives de Vichy auprès
avertissements, comme ceux des services de des jeunes aspirants, à travers des activités culturelles et
renseignements militaires, n’auront pas été sportives, des fêtes religieuses et vichystes. Il les incite
entendus… Apollon avait craché dans la bouche à travailler dans les fermes des environs, convaincu que
de Cassandre, lui ôtant toute faculté de la France doit s’efforcer de trouver sa place dans « l’ordre
convaincre, alors qu’elle pouvait lire l’avenir. Ce nouveau » instauré en Europe par le Reich. En butte à l’hostilité
sentiment, terrible au regard du désastre qui de prisonniers qui l’accusent de collaboration, il met fin à
s’annonce, a dû étreindre tous ceux qui possé- ses jours à Lübeck le 17 mai 1945, lors de l’évacuation des
daient des informations prédisant la défaite des prisonniers par les troupes alliées. N. T.
Alliés : celui d’une véritable malédiction, pré-
lude à une tragédie… L
QUAND VICHY
ESPIONNAIT LE REICH
De 1940 à 1942,les services de l’État français arrêtent
2 000 espions allemands et en exécutent une quarantaine !
Un aspect méconnu de ce régime collaborationniste.
E
n 1939, l’espionnage de l’Alle- ment Ceux de la Libération, fondé par l’ancien
magne par la France est déjà aviateur Maurice Ripoche. Le SR Air est pour-
ancien. L’entrée en guerre offi- tant resté un petit service de renseignements,
cielle ne change donc rien à autour de sa centrale à Vichy et de ses huit
une guerre secrète entre les antennes de la zone sud (Vichy, Limoges, Lyon,
deux nations commencée en Marseille, Perpignan, en y ajoutant Alger, Casa-
1871… Dès septembre 1939, blanca et Tunis), qui a compté 407 permanents
le service de renseignements au total, contre 3 514 au SR Guerre.
(SR) Guerre recherche l’intention stratégique de
manœuvre de l’Allemagne. Le SR Marine main- DE BIEN NOMBREUX ENNEMIS…
tient alors son organisation d’avant-guerre et un Pendant l’été 1940, sous l’autorité des généraux
service de renseignements Air est même créé Weygand et Colson, Rivet et d’Alès jettent les
après l’armistice. Dès après la défaite, à l’été bases d’un organisme de défense de l’armée
1940, le colonel Rivet, commandant des services contre l’espionnage, le sabotage, les menées
spéciaux militaires à partir de 1936, adapte le communistes et, plus généralement, les menées
SR Guerre au cadre de l’armée d’armistice. antinationales (MA). La mission des bureaux des
Contrevenant à l’interdiction des Allemands, menées antinationales (BMA) comporte trois
le général de l’armée de l’air et secrétaire d’État volets : protection de l’armée d’armistice contre
à l’Aviation Jean Bergeret prolonge la mission les espions allemands et italiens sévissant en
du colonel Georges Ronin, chef du service de zone libre, couverture des organisations clan-
renseignements de l’armée de l’air, rattaché à destines du SR, exploitation des renseignements
son cabinet. Des réseaux sont mis sur pied, aptes – et en particulier ceux des agents traités depuis
à renseigner très vite sur la Luftwaffe en France, les années 1930 au sein de l’Abwehr et des ins-
Belgique et Méditerranée. Dès l’été 1940, la tances de décision allemandes. Ces BMA sont
bataille d’Angleterre confirme l’importance du donc l’outil de la lutte secrète contre l’occupant,
renseignement aérien. Il faut cependant attendre mais également contre les réseaux et mouve-
Manuel Cohen
le printemps 1941 pour que Ronin mette en place ments résistants français en zone sud. De là, la
une liaison quotidienne avec l’Angleterre ; dès controverse sur le caractère proprement résis-
lors, il transmet des informations recueillies tant des services spéciaux clandestins entre sep-
notamment par le réseau Hector, par le mouve- tembre 1940 et août 1942.
Tallandier
Rue des Archives/
en
Manuel Coh
1941
ationales, créés en
Les bureaux des menées antin e l’Abw ehr
ar tes rebattues
C ne libre ou occupé
nnent, en zo
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par Rivet, entrepre ces (ci-dessus, réu tard.
se ign em en t bri tannique. Ces servi tan ce un an plu s
et le ren la Résis
42) basculent dans
Entre janvier 1941 et août 1942, les BMA sont le 12 septembre 19
le fer de lance de la lutte secrète de l’armée
d’armistice contre l’Allemagne, à tel point qu’ils C’est pourquoi le gouvernement de l’amiral Dar-
deviennent un enjeu des relations entre les auto- lan (décembre 1940-avril 1942) s’insurge contre
rités allemandes d’occupation et le régime de l’action des BMA et du SR Air en 1941.
Vichy. Avec un pouvoir quasi discrétionnaire, les
BMA arrêtent depuis septembre 1940 à tour de ENTRE LE MARTEAU ET L’ENCLUME
bras des centaines de suspects : 516 agents com- En février 1942, l’arrestation par la Surveillance
munistes ; des agents de l’Intelligence Service ; du territoire d’Henri Devillers, un Français tra-
mais aussi des membres de mouvements auto- vaillant pour le Reich, se solde par sa condam-
nomistes ou collaborationnistes du RNP de Déat nation à mort par le tribunal militaire de la
et du PPF de Doriot ; 390 agents gaullistes enfin. 14 e division militaire. Il est exécuté le 19 juin
Mais surtout, les BMA arrêtent des agents alle- 1942. C’est un tournant pour Vichy. Obstacles à
mands et italiens ! Ils sont bien devenus la pro- la politique de collaboration, les BMA sont dis-
tection du contre-espionnage clandestin et leur sous le 24 août 1942 par Laval, revenu au pou-
adversaire prioritaire est l’Abwehr et les services voir. Le ministre de l’Intérieur lui-même, Pierre
d’espionnage étrangers. Pucheu, collabore avec les Allemands pour stop-
Sur 698 agents arrêtés en dix-huit mois, 264 per leur activité. Le SR Air désactive nombre de
sont condamnés par des juridictions de Vichy, ses réseaux. Les membres du Groupement de
dont 194 travaillant pour l’Allemagne, parmi les- contrôle radioé lectrique, affiliés au réseau
quels 30 agents de l’Abwehr condamnés à mort ! Alliance, subissent de nombreuses arrestations
Manuel Cohen
à Clermont-Ferrand, le trafic radio vers Londres
et Alger. L’action du SR Guerre s’étend à l’em-
pire, aux Balkans, aux pays neutres, dont la AOÛT 1939: VERS LA GUERRE,
Suisse grâce à une dizaine d’agents.
Sur ordre de Hitler, l’Abwehr traque les six JOUR PAR JOUR
postes du SR Guerre (de P1 à P6) en 1943-1944.
De là, la découverte à Lyon, en février 1943, de Extraits de Louis Rivet, Carnets du chef des services secrets
la firme Technica, qui camoufle les sections alle- 1936-1944 (Nouveau Monde éditions, édités et annotés par
mandes et italiennes du SR Guerre depuis 1940, Olivier Forcade et Sébastien Laurent, 2010).
entraînant la chute de P1 et P4. P3 (Limoges) et
P2 (Vichy) se mettent en sommeil. P5 (Marseille) « 21 août [Souligné en marge] A.M. Berlin signale importants
et P6 (Toulouse) continuent d’opérer jusqu’à la mouvements en cours en direction frontière polonaise.
Libération. En novembre 1943, le Sicherheits- Exécution du plan annoncé par le SR en juillet. Mise en garde
dienst identifie 25 postes du SR, sans compter des postes SR. Rappel des permissionnaires. […] Situation
leurs antennes, espionnant l’Allemagne. À Paris, considérée comme très grave par correspondants à Berlin,
le capitaine de Saint-Hilaire réactive l’antenne qui rentrent. Coup de théâtre de la dépêche Havas (23 h 30)
en mettant en place le réseau Marco, affilié à annonçant imminence de la conclusion d’un pacte de non-
Kléber, dans le nord de la France. Le but est de agression germano-soviétique. […]
donner aux Alliés l’ordre de bataille de la Wehr- 23 août [Souligné en marge] Situation militaire en Allemagne
macht à la veille du Débarquement. se développe au rythme prévu. Concentration semble se
Le SR Air de Ronin a également travaillé main dessiner. Mesure sûreté prise chez nous. Postes SR sont en
dans la main avec les Alliés. Aussi, l’Intelligence alerte. Prêts à mobilisation totale. […]
Service l’encourage, avec Rivet, à passer à Alger 24 août [Souligné en marge] Situation aggravée d’heure
le 11 novembre 1942. Rejoints à Alger par Pail- en heure. Mesures se [suivent] et nous acheminent vers
lole – qui participera aux opérations d’intoxica- mobn générale. Renst “G. [texte illisible]” annonce entrée de
tion préalables au débarquement de Normandie troupes alldes en Pologne 26 au 28 août, avec avance rapide
–, ils actionnent à la fin de 1942 les agents en pour atteindre ancienne frontière germano-russe. SR en
sommeil du réseau Kléber, des Travaux ruraux bonne position. […] Rensts sur l’Italie. […]
(contre-espionnage) et des réseaux Air. Com- 26-27 août Journées de tension grave. La diplomatie joue
mence alors la fusion des services de renseigne- ses dernières cartes. Derniers dialogues entre chefs d’État.
ments de l’armée d’armistice à Alger dans la [Souligné en marge] Préparatifs militaires poussés en tous
Direction des services de renseignements et de pays européens touchés par le conflit prochain. Aucune
sécurité militaire, commandée par Ronin, sous chance ne semble demeurer pour la paix. [Souligné en
l’autorité de Giraud (lire p. 46-49). Après une marge] Service central se mobilise progressivement. Les
année 1943 marquée par la coopération avec postes reçoivent l’ordre de mobon totale. Nombreux visiteurs
l’Intelligence Service contre l’Allemagne et des de la dernière heure.
heurts avec le BCRA, la fusion avec le BCRA est 28 août […] On attend le dernier acte avant la décision dans
opérée le 27 novembre 1943 dans la Direction la démarche anglaise et la réponse de Hitler. Préparatifs se
générale des services spéciaux, confiée à Jacques développent en Allemagne, en France, en Pologne, mollement
Soustelle par le général de Gaulle. L en Italie. Aucune action militaire sur frontière orientale
allemande. »
JANVIER-FÉVRIER 2017 SECONDE GUERRE MONDIALE 29
L e s a r c h i v e s s e c r è t e s
Pierre PEAN/GAMMA L A G U E R R E D E L’ O M B R E
Entourage Quand est prise cette photo, à la fin de l’année 1942, Mitterrand travaille encore
pour Vichy au Commissariat général au reclassement des prisonniers de guerre. Selon son
biographe Michel Winock, il « devient chef adjoint au service des relations avec la presse pour
la zone non occupée. Il rédige alors des articles, s’occupe d’un bulletin de liaison, prononce
quelques conférences, prend part un moment à des émissions sur la Radio nationale ».
L
e dossier no 8395 consacré à de droite natif de Jarnac, pétainiste comme son
François Mitterrand et conservé père, vient de basculer dans la clandestinité.
au SHD dans les archives Comment a-t-il traversé la guerre pour en arri-
secrètes de la Seconde Guerre ver là ? Comment est-il passé du rôle d’auxiliaire
mondiale se révèle fort mince. du régime de Vichy à celui de résistant organi-
La chemise cartonnée de cou- sateur d’un réseau secret ?
leur rose qui le concerne ne
contient que bien peu d’élé- UNE BIEN ÉTRANGE COLLABORATION
ments. Les deux documents principaux qu’elle Mobilisé en 1939, il est aux avant-postes dans la
conserve fournissent néanmoins un éclairage Meuse quand l’armée allemande lance ses
instructif sur les voyages effectués dans la clan- attaques le 10 mai 1940. Quatre jours plus tard,
destinité par celui qui se fait alors appeler Mor- devant Verdun, il est blessé par un éclat d’obus.
land : d’abord à Londres le 16 novembre 1943, Évacué dans un hôpital militaire, il est capturé
puis à Alger, qu’il a rejoint au départ de la capi- par les Allemands puis envoyé dans un camp de
tale anglaise le 3 décembre 1943 pour y rencon- prisonniers, comme près de deux millions de
trer le général de Gaulle. soldats français. En décembre 1941, après une
La première archive est une lettre datée du année et demie de détention et deux tentatives
26 novembre 1943 intitulée : « Note au sujet du d’évasion infructueuses, il parvient à fuir. Mit-
mouvement de résistance des prisonniers de terrand gagne alors Vichy en 1942 pour servir
guerre et ses rapports avec Michel Charette », Pétain et sa « Révolution nationale ». Pas de
pseudonyme de Michel Caillau, neveu direct par traces dans le dossier des archives nationales de
sa mère du chef de la France libre. Quand il cette année 1942, durant laquelle il collabore au
Frederic Hanoteau/SHD
rédige cette note dactylographiée Mitterrand est Commissariat général au reclassement des pri-
arrivé à Londres depuis dix jours. À 27 ans, et sonniers de guerre. Mais là où Laval, le chef du
en quelques mois seulement, ce jeune catholique gouvernement de Vichy, fait en sorte d’échanger
des prisonniers retenus par les Allemands contre – à travers « des centres d’entraide des prison-
des ouvriers français à envoyer outre-Rhin, Mit- niers de guerre qui réunissent actuellement
terrand et ses collègues décident d’organiser des 180 000 hommes ». Autrement dit, Mitterrand,
filières d’évasion et de fabriquer de faux papiers. qui a œuvré sous les ordres de Pinot, se présente
Progressivement, il se détourne des vichystes bel et bien comme un vichysto-résistant incon-
au profit des réseaux résistants. À commencer tournable sur lequel les représentants du CFLN
par celui d’Antoine Mauduit à l’été 1942, qui peuvent compter.
structure un maquis dans les Alpes. Mitterrand Sa lettre a aussi pour objectif d’empêcher
finit par démissionner du Commissariat en jan- Michel Caillau, alias Michel Charette, de prendre
vier 1943. Peu après, il est décoré néanmoins de la direction de ce mouvement de résistance des
la francisque, distinction honorifique synonyme prisonniers de guerre. Un mano a mano s’opère,
de tache sombre renvoyant à son adhésion au dans lequel Mitterrand se montre très fin tacti-
régime de Vichy. Ironie de l’Histoire, il la reçoit cien et habile écrivain : « Michel Charette n’est
au moment où la bascule est pour lui en train de pas partie intégrante du Mouvement de résis-
s’opérer. En mars 1943, Mitterrand rencontre tance des prisonniers de guerre, son activité
ainsi à Mâcon Henri Frenay, le chef du mouve- n’ayant été connue du comité directeur qu’en
ment Combat, qui l’adoube comme organisateur mars 1943 : il lui fut alors proposé de la mettre
d’un réseau de prisonniers de guerre. au service de l’ensemble […]. Malheureusement,
Il passe alors dans la clandestinité sous le nom il s’avéra très vite que Michel Charette ne repré-
de Monier mais aussi Morland, avec pour pseu- sentait que des groupes infimes, dont la plupart
donyme Purgon. Sous la menace de la Gestapo étaient déjà intégrés aux mouvements de résis-
et de la Milice, il est envoyé à Londres le tance (Combat, surtout) et ne permettaient pas
16 novembre 1943 pour que son Mouvement de d’atteindre la masse des prisonniers de guerre.
résistance des prisonniers de guerre soit officiel- De plus, il prit très rapidement des positions per-
lement reconnu par le Comité français de la libé- sonnelles qui menaçaient de disloquer l’unité du
ration nationale (CFLN), le gouvernement qui mouvement. Il fut donc jugé nécessaire de se
s’est établi à Alger le 3 juin 1943 et a pris la suc- séparer de lui, ce qui ne provoqua guère autre
cession de la France libre. chose que son propre mécontentement. »
Mitterrand veut mettre son adversaire échec
L’ÉMERGENCE D’UN RÉSEAU ISSU DE VICHY et mat lors de son voyage à Alger, qu’il anticipe
D’emblée, Mitterrand rappelle dans sa lettre dans la lettre : « Les entretiens que je compte
pourquoi les évadés se sont spontanément avoir à Alger permettront, je l’espère, d’établir
regroupés dès leur retour d’Allemagne : « afin de un programme d’action avec le commissaire Fre-
se défendre contre les recherches de la police nay, hors de ces difficultés peu importantes
allemande, de s’entraider pour retrouver du tra- quant à la vie interne du mouvement mais qui
vail, de faciliter l’évasion de leurs camarades risquent de créer à l’extérieur des situations équi-
demeurés en captivité et de participer de tout voques. » C’est ce qui se produisit. Mitterrand
leur pouvoir à la lutte contre l’occupant ». Il rencontre de Gaulle lors de son séjour algérois
signale également qu’ils sont très actifs dans la entre le 3 décembre 1943 et le 2 janvier 1944,
Résistance : « dans 52 départements, des groupes date de son retour pour Londres. Il lui est
de 100 à 300 hommes, encadrés et divisés en demandé de fusionner son Mouvement de résis-
douzaines, participaient aux opérations des élé- tance des prisonniers de guerre avec celui de
ments militaires et civils, locaux, de la Résis- Charette, dont les ambitions se trouvent débou-
tance ». Mitterrand précise dans sa lettre que tées. Première victoire d’un jeune homme dans
c’est grâce à l’appui de Maurice Pinot, le com- son inexorable conquête du pouvoir.
missaire aux prisonniers de guerre du régime de De retour à Londres, Mitterrand piaffe d’im-
Vichy, qu’un réseau serré d’évadés a pu s’établir patience d’en découdre et d’aller partager avec
ses compagnons d’armes cette reconnaissance dispositions pour que le départ de Monier béné-
Frédéric Hanoteau/SHD
qu’ils viennent d’obtenir. Cet aspect apparaît ficie d’une priorité pour les opérations du mois
clairement dans une deuxième lettre que de mars. »
contient le dossier Mitterrand. Une note signée François Mitterrand est rentré en France le
Henri Frenay, qui a été nommé commissaire aux 27 février 1944. Il prend la direction du mouve-
Prisonniers, Déportés et Réfugiés par le CFLN. ment unifié des prisonniers de guerre (appelé
Datée du 16 février 1944, rédigée à Londres, elle Mouvement national des prisonniers de guerre
est adressée au gradé responsable de la logis- et déportés), dont plusieurs membres sont arrê-
tique, qui n’est « pas sans savoir que mon cama- tés durant le printemps par la Gestapo. Le
rade Monier attend son retour en France depuis 19 août 1944, il participe à Paris à la libération
le début du mois de janvier. Aux opérations de du Commissariat aux prisonniers. Alexandre
janvier comme à celles de février il n’a pas pu Parodi, le représentant du général de Gaulle, le
partir. […] Étant donné les dispositions nou- choisit alors parmi les hommes chargés de gou-
velles qui ont été prises par le Comité d’action verner le pays provisoirement à la Libération. Il
en France et qui prévoient l’unification des mou- devient quelque temps le commissaire général
vements de résistance prisonniers et déportés, correspondant du ministère des Prisonniers, en
étant donné également la tâche que j’ai confié à attendant le retour à Paris d’Henri Frenay. Élu
Monier au titre de mon commissariat et sans député de la Nièvre au sortir de la guerre, il
laquelle la mission que m’a donnée le Comité de devient un an après ministre des Anciens com-
libération nationale risquerait de ne pouvoir être battants en 1947. Le préambule d’une très longue
remplie, je vous demanderai de prendre toutes carrière politique. L
A
n’est pas dans les habitudes du SR, qui préfère
ordinairement la désignation « Honorable Cor-
près plus d’un demi-siècle respondant » suivie d’un chiffre.
de recherches, on croit Depuis l’avant-guerre, le SR concentre ses
tout savoir sur la machine efforts sur les « renseignements d’intentions »
de mort nazie : rien de relatifs aux plans expansionnistes du Führer.
plus faux. La compréhen- Conservée dans un dossier consacré à l’expan-
sion du phénomène se sion hitlérienne en Europe, la note d’oc-
heurte à l’irrationalité de tobre 1940 contient des renseignements d’en-
l’État national-socialiste, semble et d’ambiance, sans faits précis ni
aux querelles entre ses différents centres de pou- chiffres. Elle paraît amalgamer un ou deux docu-
voir, à l’influence de l’idéologie sur les décisions ments antérieurs, rédigés peut-être à partir de
qui y étaient prises. L’usage omniprésent de l’eu- propos tenus à l’oral ou d’une lettre à l’encre
phémisme, la fragmentation, la dispersion ou la sympathique : d’où la médiocre structuration des
disparition des sources contribuent à la difficulté paragraphes et les répétitions ou distorsions
de l’enquête. Une note de renseignement d’oc- entre les paragraphes 2, 3 et 4. Cette rédaction
tobre 1940, récemment découverte, apporte incertaine peut aussi refléter la désorganisation
ainsi un éclairage radicalement nouveau sur les du SR dans les mois qui suivent la capitulation,
projets génocidaires des nazis durant la première à un moment où ses meilleurs officiers sont
pl
ghetto, relié par le train au camp de
Chelmno, sera liquidé en août 1944.
an
Galerie Bilderwelt/Getty Images
« Guerre d’anéantissement »
E
N AOÛT ET SEPTEMBRE l’intelligentsia polonaise et les enfants à la mort. Et c’est un
1939, Hitler fait part à ses Juifs sont les chefs naturels d’une agent d’une de ces divisions qui,
généraux de ses projets possible résistance et doivent en février 1940, choisit Auschwitz,
d’extermination en Pologne dans être éliminés préventivement. à une soixantaine de kilomètres
le cadre d’une Vernichtungskrieg En octobre 1940, un diplomate de la ville de Cracovie, comme site
(« guerre d’anéantissement »). Le allemand en rapport étroit avec d’un nouveau camp géant destiné
22 août, il les scandalise en disant : l’Abwehr note dans son journal originellement à accueillir les
« Qui se souvient de la destruction qu’une campagne est ouverte pour prisonniers polonais. Une note de
des Arméniens ? », et leur annonce l’extermination des Juifs et des la résistance polonaise naissante
que ni les femmes ni les enfants intellectuels polonais, groupes assure qu’à partir de juin 1940 des
ne seront épargnés. Hitler désigne fréquemment confondus dans le membres de l’intelligentsia sont
« le clergé, l’aristocratie, les Juifs discours national-socialiste. emmenés dans des camps situés
et l’intelligentsia » comme les Les gazages en question ont en Allemagne, notamment Dachau,
groupes à éliminer. Le génocide pu avoir lieu après la déportation Sachsenhausen-Oranienburg et
arménien, qui a commencé par des élites polonaises dans le vieux Mathausen, et « torturés sans
l’émigration forcée en temps de Reich, où les divisions à la tête pitié », mais les archives de Varsovie
paix et l’élimination des notables de mort dirigent les camps établis ne mentionnent pas l’emploi des
en temps de guerre, sert de modèle par le régime avant la guerre. gaz : le gazage mis en œuvre dans
à la campagne contre les élites C’est aux chefs de ces divisions des camps éloignés du territoire
polonaises et les autres groupes que Hitler a confié en août 1939 polonais a dû être tenu secret, selon
visés. Pour Heydrich et Himmler, la tâche d’envoyer femmes et la consigne de Heydrich. L N. J.
Rebut « La vie n’est qu’un fardeau », selon ce film de propagande nazi qui, sous couvert d’euthanasie, légitime ces « exécutions en
masse » dont parle la source au moyen d’un « gaz bleu ». Ces gazages perpétrés en 1940 préfigurent la Solution finale.
Frédéric Hanoteau/SHD
MELVILLE ET
L’ARMÉE
participer à la campagne de Flandres.
Après l’effondrement militaire de la
France, il est embarqué à Dunkerque,
DE LONDRES
séjourne une semaine en Angleterre
puis rallie Brest, Évreux, Castres, où
il arrive le 24 juin. Il est démobilisé
le 10 août 1940, reste deux mois dans
le Tarn, se rend à Marseille, où il
retrouve son frère Jacques. Ils ne
En août 1943, u n jeune homme de 26 ans pensent qu’à une chose, fuir en
rallie la capitale de la France libre. Soumis Angleterre. Le rapport d’août 1943
permet de suivre Melville au plus
à un interrogatoire, il décline sa nouvelle près. Il prend un travail de représen-
identité de résistant : Jean-Pierre Melville. tant dans une société de couture et
de confection qui lui permet de cir-
Par Denis Lefebvre culer, notamment dans la région de
L
Toulouse. Il profite de ces voyages
ondres, 13 août 1943, un la Résistance. Une des fiches qu’il pour distribuer de la propagande
dénommé Jean-Pierre remplit ensuite porte cette mention clandestine. Il quitte Marseille en
Grumbach, alias « Car- écrite de sa main : « Je désire servir janvier 1942 et retourne à Castres,
tier », est interrogé par les sous le nom de Melville. » Melville, tout en s’engageant de plus en plus
services du général de Jean-Pierre Melville : l’un des plus dans la Résistance.
Gaulle : ils veulent connaître son par- grands cinéastes de la seconde moi- Après l’invasion allemande de la
cours et comprendre pourquoi il tié du XXe siècle. zone sud, en novembre 1942, il
entend rallier la France libre. Un Le procès-verbal décrit sa vie : sa décide de gagner Londres. Il part
document dactylographié de neuf naissance à Paris, le 21 octobre 1917, pour l’Espagne avec quelques cama-
pages est ensuite établi, portant la ses études, les petits boulots qu’il rades. À Barcelone, il prend contact
mention : « Confidentiel. Très secret. » effectue ensuite, son engagement en avec le consul de Grande-Bretagne.
Il se termine ainsi : « Le volontaire 1937 à titre résiliable au 71e régiment Le 1er décembre, on annonce aux
Grumbach a produit une très bonne d’infanterie à Fontainebleau, puis membres du groupe qu’ils vont
impression. Rien ne s’oppose […] à son détachement à la première ins- embarquer pour Gibraltar. Mais leur
son incorporation dans les forces pection moto à Paris. En sep- bateau est arraisonné, ils sont empri-
françaises combattantes. » Grum- tembre 1939, il monte en ligne dans sonnés jusqu’au 24 janvier 1943 à
bach-Cartier entre dans l’histoire de la Somme puis dans l’Aisne, avant de fond de cale d’une canonnière puis
Baptême
du feu
Après
son engagement
dans les FFL, Jean-
Pierre Grumbach,
alias « Cartier »,
est affecté
en octobre 1943
comme artilleur
à la 1re division
française libre,
unité de combat
composée
de légionnaires
et soldats
des colonies.
Frédéric Hanoteau/SHD
transférés à la prison de Carthagène, est démobilisé en novembre 1945 et pendant son séjour à Barcelone,
dont ils ne sont libérés que le 21 mai. entame sa nouvelle vie, sous le signe Jacques Grumbach aurait franchi la
Ils s’installent à Madrid puis, un mois du cinéma. La guerre y est très frontière espagnole et aurait eu une
plus tard, sont autorisés à s’embar- présente, avec Le Silence de la mer, crise cardiaque à Barcelone. » Mel-
quer pour Gibraltar. De là, Grumbach réalisé en 1947 d’après le livre de ville savait donc que son frère était
rallie Liverpool puis Londres. Vercors, son premier film, ou Léon décédé. Mais il ignorait les circons-
Dans les archives du SHD de Morin prêtre en 1961. Il est aussi le tances exactes de sa mort, et la réfé-
Vincennes, on trouve deux dossiers réalisateur de L’Armée des ombres en rence à une crise cardiaque est
sur lui. Dans le premier, son audition 1969, d’après le roman de Joseph fausse. Jacques Grumbach avait lui
du 13 août 1943. Dans le second, plu- Kessel – l’un des plus grands films aussi voulu rallier la France libre en
sieurs documents, essentiellement sur la Résistance. novembre 1942, en passant comme
des fiches avec photos et empreintes tant d’autres par l’Espagne. Au cours
digitales. C’est là qu’apparaît son « HORRIBLE ET MERVEILLEUSE » de l’ascension d’un col pyrénéen, il a
désir de s’appeler désormais Melville, Il a déclaré un jour : « L’époque de la été assassiné par un passeur espa-
en hommage à l’auteur de Moby Dick. guerre a été abominable, horrible gnol, et son corps a été abandonné
On trouve dans ce même dossier un et… merveilleuse. » Merveilleuse ? en pleine nature. La tragédie ne s’ar-
étonnant document. À la rubrique Sans doute entendait-il avec ce mot rête pas là. En octobre 1950, on
profession, il indique : « Industrie du revenir sur la lutte, l’exaltation de la retrouve un cadavre dans un ravin.
cinéma », pas moins… Dès 1943, lutte, sur sa jeunesse aussi. Abomi- On comprend bientôt qu’il s’agit de
alors que rien jusque-là ne semblait nable et horrible, c’est une réalité, Jacques Grumbach. Exhumé, son
le prédisposer à cette activité, il défi- y compris pour lui, dans son vécu, cor ps sera enterré à Paris en
nit et choisit son avenir. Quelques dans sa conscience, y compris après novembre 1952, en présence de sa
semaines plus tard, il est envoyé en la Libération. famille – et donc de Jean-Pierre Mel-
Algérie et affecté à la première divi- On trouve dans son interrogatoire ville, qui, en 1950, avait identifié le
sion française libre comme artilleur. d’août 1943 quelques lignes qui corps. La guerre le poursuivait
En 1944, il découvre la guerre, de évoquent son frère : « D’après l’infor- encore. Avait-elle été aussi « merveil-
l’Italie à la campagne de France. Il mation qui est parvenue à l’intéressé leuse » qu’il l’avait déclaré ? L
L e s a r c h i v e s s e c r è t e s
L A G U E R R E D E L’ O M B R E
ENIGMA : LE CHIFFRE
ET LES LETTRES
Le décryptage des communicationsde la Wehrmacht fut l’un
des tournants de la guerre. Cette réussite de l’espionnage
britannique doit beaucoup aux Polonais et aux Français.
E
n juin 1931, un officier alle- à partir de 1921. Ils alertent les Anglais, mais
mand de 44 ans, Hans-Thilo ceux-ci ne croient pas à une menace allemande
Schmidt, travaillant au centre imminente sur la sécurité européenne avant
de cryptographie de la Reichs- l’Anschluss et la crise de Munich en 1938. Aussi
wehr, offre, contre rétribu- la coopération technique secrète s’enclenche-
tion, de livrer des secrets sur t‑elle avec les seuls Polonais, notamment les
le chiffre allemand. Frère du mathématiciens travaillant depuis 1926 autour
chef des services de transmis- de Marian Rejewski. L’exploitation du renseigne-
sion, il peut se procurer les manuels d’emploi de ment à des fins stratégiques et diplomatiques est
la machine Enigma, mise au point en 1923 pour déterminante. En 1933, Rejewski perce le code
des transactions commerciales et utilisée à par- d’Enigma et le fonctionnement de la machine
tir de 1926 pour coder les communications de la est découvert. Pour autant, les messages décryp-
marine (à partir de 1928 pour la Reichswehr, et tés sont en nombre limité.
1935 pour la Luftwaffe). Il est recruté par
Rodolphe Lemoine, alias « Rex », à savoir Rudolph 8 840 MESSAGES ANALYSÉS ENTRE 1939 ET 1940
Stahlmann. Cette source allemande, surnommée En 1939, Londres se ravise face à la menace d’une
« Asche » ou « H.E. », est soigneusement dissimu- invasion allemande. En janvier 1939, la ren-
lée par les services spéciaux français pendant contre entre des cryptologues polonais et le chef
quarante ans. De 1931 à 1939, le capitaine Gus- du service du chiffre, le colonel Langer, avec
tave Bertrand, son officier traitant, le rencontre Denniston et des chiffreurs de l’Intelligence Ser-
à 18 reprises, en protégeant son identité pendant vice, est organisée à Paris par les services fran-
toutes les années 1930. À chaque fois, Asche lui çais. Les Français acceptent d’élargir la coopé-
communique des documents de première impor- ration de contre-espionnage à la Belgique et à la
tance sur la machine Enigma, notices d’emploi, Hollande avec les Anglais, de façon à mieux cer-
informations sur le réarmement allemand et les ner les intentions de manœuvres stratégiques
Suddeutsche Zeitung/Rue des Archives
panzers, données de routine militaire qui sont des Allemands sur le continent. Le 26 juillet
la base du renseignement. 1939, à Piry en Pologne, une reproduction de la
Les Français décident d’informer bientôt les machine Enigma en service dans la Wehrmacht
Polonais, avec lesquels une coopération secrète est présentée par les Polonais aux Anglais. Leur
en matière de renseignement s’est mise en place surprise est totale. À la mi-août, Bertrand fait
ment des postes français, l’arrestation de Romon aussi les cryptages moins sophistiqués des uni-
et en mars celle de Lemoine, qui livre Schmidt. tés élémentaires, bataillons et régiments. Si en
Arrêté par la Gestapo, ce dernier se donne la 1940 des centaines de messages sont interceptés
mort en septembre 1943. À cet instant, les Alliés chaque mois, en 1942 et 1943, des dizaines de
décryptent déjà l’essentiel des messages. milliers de messages sont chaque mois décryp-
Au début de la guerre, les décryptements ont tés par Bletchley Park, qui centralise les écoutes
permis à la Pologne, à la France et à la Grande- et les décryptements au nord-ouest de Londres.
Bretagne de lire un nombre croissant de mes- Les interceptions des communications des
sages de la Luftwaffe et de la Wehrmacht, sans armées allemandes, notamment en URSS en
toutefois changer le cours de la bataille de France 1941 et début 1942, maintiennent actif le ren-
– la moitié des huit divisions blindées allemandes seignement technique français. Bien sûr, les ren-
n’est pas localisée le 10 mai 1940. Si Enigma seignements militaires communiqués conti-
tient une place non négligeable, ce sont les inter- nûment aux Alliés en 1940-1942 ne sont qu’une
ceptions en clair et le radar qui donnent l’avan- partie modeste des résultats du programme
tage à la Royal Air Force contre la Luftwaffe « Ultra ». Ceux-ci ont continué de s’appuyer sur
pendant la bataille d’Angleterre, qui se solde par ces renseignements, le commandant Bertrand
un échec de Hitler. Le volume des communica- rattachant l’action du renseignement technique
tions de l’Axe s’accroît en 1941-1942, offrant tou- au réseau Kléber en 1943. S’évadant après son
jours plus de renseignements grâce au pro- arrestation par l’Abwehr en janvier 1944, il
gramme « Ultra » de décryptement des messages contribue notamment, avec Paillole, au succès
Enigma interceptés au niveau des armées, des de la préparation des opérations d’intoxication
corps d’armée et des divisions. Les Alliés percent et de débarquement en Europe en 1944. L
KEYSTONE-FRANCE
ALGER-LONDRES :
LA GUERRE DES SERVICES
Après l’invasion de la zone libre,un nouvel organe
de renseignements créé à Alger par le chef des services de
Vichy poursuit le combat aux côtés des Français
de Londres. Non sans mal…
Par Sébastien-Yves Laurent
dr.), appuyé par Churchill. tué à Alger le 3 juin 1943 sous la coprésidence
de Giraud et de De Gaulle et qui deviendra le
D
Gouvernement provisoire de la République fran-
çaise en 1944] – ne s’intéresse pas aux militaires
eux jours après le débar- et civils de l’ombre. Ainsi, à Londres comme à
quement anglo-américain Alger, les services bénéficient d’une latitude d’ac-
au Maroc et en Algérie, le tion de la part de leurs hiérarchies respectives.
8 novembre 1942 (opéra- Ni Giraud ni de Gaulle ne marquent un intérêt
tion « Torch »), le colonel poussé pour ces services, ainsi qu’en ont témoi-
Rivet, chef des services gné leurs chefs respectifs, le colonel Rivet et le
spéciaux de l’armée d’ar- lieutenant-colonel Dewavrin (alias « Passy »).
mistice (lire p. 26-29), Malgré tout, un front nouveau s’ouvre.
atterrit à Alger, accompagné de plusieurs de ses Ainsi, à la guerre en Tunisie au printemps
officiers. S’appuyant sur ses services de rensei- 1943, puis en France métropolitaine à partir de
gnements actifs en Tunisie, en Algérie et au l’été 1944, s’ajoute la guerre de l’ombre entre
Maroc contre l’Allemagne et l’Italie dès l’été Giraud et de Gaulle pour le contrôle de la Résis-
1940, Rivet a pour objectif premier de récupérer tance et la guerre entre les services. Rivet,
Manuel Cohen
Réclamation
Le colonel Rivet met sur pied à Alger la
Direction des services de renseignement et
de sécurité militaire (DSR-SM), pour continuer
la lutte contre l’Allemagne. Il s’insurge, dès
septembre 1943, des tentatives du BCRA
gaulliste de « dénigrer » son travail.
patron des services français depuis 1936, défend oppose : leur passé, leurs pratiques, leur vision
classiquement une sujétion étroite à l’autorité de la relation avec l’autorité politique et… leur
militaire. Passy, chargé depuis juillet 1940 par politique – quand bien même ils se défendent
le général de Gaulle de créer des services de ren- d’en faire. À Londres, depuis 1940, le BCRA qui
seignements, préfère mettre l’accent sur les liens s’improvise recherche le contact avec les volon-
avec la Résistance. Cela amène son BCRA à tés individuelles et collectives pour résister à l’oc-
nouer des relations avec les réseaux et avec les cupant, quelles qu’elles soient : évadés, syndica-
mouvements – politiques – en France occupée. listes, anciens militaires ou même des rescapés
En outre, les ambitions de Giraud et de Gaulle de la IIIe République – le 18 juin 1940, l’appel du
ne sont pas les mêmes : le premier n’entend être général de Gaulle est sans exclusive…
qu’un commandant en chef de l’ensemble des À la même époque, en zone libre, les services
forces militaires, rôle que de Gaulle lui aban- spéciaux de l’armée d’armistice – qui luttent éga-
donne en novembre 1943, manifestant ainsi clai- lement contre l’occupant – demeurent, quoique
rement que ses projets sont de nature politique. clandestins, intégrés dans une hiérarchie mili-
En outre, en France occupée, la Résistance prend taire qui n’a pour seul objectif que de reprendre
à partir de 1943 un tour nettement politique. le combat militaire. Mais c’est aussi une armée
Après s’être ignorés, DSR-SM et BCRA s’af- qui adhère aux valeurs de la Révolution natio-
frontent à compter du printemps 1943 dès lors nale de Pétain. Ces deux services s’affrontent
qu’il apparaît clairement qu’une « fusion », selon indirectement dès 1940 pour ces raisons et s’en-
les termes de l’époque, doit être menée. Tout les gagent dans un conflit véritable en 1943. Le ser-
Limogé à Alger
Le BCRA (Bureau central
de renseignements
et d’action) évince
en avril 1944 le DSR-SM.
Dont le chef, Rivet
(au centre), est envoyé
à la retraite avec le grade
de général.
Collection particulière
Ligne de fuite
Sur les bords de la
Garonne, en 1940.
Année où bascule le
destin de l’espionne.
LA CHATTE DANS
Rue des Archives/Tallandier
Ralko/Shutterstock
LES GRIFFES
Carré – nom de code : Victoire, alias
« la Chatte ». Sur l’ensemble des élé-
ments variés qui composent l’épais
DE L’AIGLE NAZI
dossier archivé consacré à Mathilde
Carré, avec des fiches accablantes de
l’Abwehr – le service de renseigne-
ments de l’état-major allemand –,
pour lequel elle travaillait, des notes
des services français et autres cou-
La trajectoire de Mathilde Carré, r ésistante pures de presse, le document le plus
de la première heure retournée par instructif est ce rapport britannique,
amendé en 1944, traduit en français
les Allemands, s’éclaire d’un jour nouveau et porté à la connaissance de la
grâce à des documents récemment étudiés. 14 e chambre correctionnelle de la
cour de justice de la Seine à l’occa-
P
Par Hugues Demeude sion de son procès, qui s’est déroulé
en janvier 1949.
etite (elle mesure et de jeter en prison cette femme de
un mètre cin- 34 ans responsable de l’arrestation UNE BLOUSE BLANCHE SUR LE FRONT
quante), mince, un an auparavant de nombreux résis- Fait étonnant, celle qui selon ce rap-
les cheveux brun tants membres du très efficace port « s’est arrangée dans le cours de
foncé, le visage réseau de renseignements Interallié, sa vie pour attirer l’attention par une
ovale, les yeux auquel elle appartenait. combinaison de vanité, d’astuce, de
gris-vert, le nez Sur la base de ses propres récits et cruauté et une absence totale de
retroussé… Les de témoignages circonstanciés loyauté enracinée et d’émotion » a
premières lignes du rapport des ser- d’autres membres du réseau, les ser- commencé la guerre comme une
vices britanniques consacré en juil- vices secrets britanniques rédigent farouche résistante. Elle avait du
let 1942 à « l’affaire Victoire » un long rapport d’une soixantaine de reste de qui tenir. Son père, ingé-
esquissent le portrait de cette figure pages qui détaille le parcours ahuris- nieur de profession, fait preuve de
noire de la Seconde Guerre mon- sant de cette agente double considé- bravoure pendant la Grande Guerre,
diale, comme pour tenter de la cer- rée en son temps comme la princi- obtenant la Légion d’honneur et la
ner. Ils viennent de tendre un piège pale espionne du conflit : Mathilde croix de guerre.
hen
Manuel Co
Ce que désire Mathilde Carré, c’est Au cours de l’année 1941, la Chatte plus, intoxiquant par de fausses
se battre. À la mort de son mari, en livre de précieuses informations à informations l’Intelligence service.
1939, elle quitte l’Afrique du Nord Londres, où se trouve le gouverne- Face aux réseaux de renseignements,
pour Paris, où elle se forme pour ment polonais en exil. Elle est un elle se présente dorénavant comme
devenir infirmière de guerre. Elle agent de renseignements exem- « Victoire », le nouveau chef du réseau
exerce cette profession durant la plaire. Mais le 18 novembre 1941, Interallié. Mais elle attire très rapi-
débâcle auprès des soldats blessés. après avoir remonté sa piste pendant dement les soupçons du colonel Mau-
C’est à cette période que des liens un mois, l’agent allemand de rice Buckmaster, un responsable des
s’établissent avec des membres du l’Abwehr Hugo Bleicher l’arrête, ainsi services secrets britanniques chargé
2e bureau. En septembre 1940, une que Walenty. Mathilde Carré perd des questions de renseignements
rencontre décisive fait basculer son alors la raison et se met immédiate- avec la France. Un piège lui est
destin. Le capitaine polonais Roman ment à travailler pour Bleicher. Se tendu ; on la fait venir en Angleterre
Czerniewski, alias « Walent y », livrant à lui corps et âme. Agente comme si de rien n’était.
l’aborde dans un restaurant de Tou- retournée, elle sert de leurre pour Dans la nuit du 26 février 1942,
louse. Un rapprochement s’opère, qui faire arrêter les membres du réseau Victoire embarque au large des côtes
se transforme en liaison. Walenty, Interallié les uns après les autres. françaises sur un navire anglais. La
qui a monté un réseau de renseigne- Gestapo, prévenue par elle, pense
ments polonais en zone occupée, INTOXIQUER L’INTELLIGENCE SERVICE qu’elle va pouvoir disposer d’un nou-
avec l’aide de l’Intelligence Service, « Ainsi tomberont 35 résistants », vel agent sur le sol britannique…
lui demande de le rejoindre. écrit un journaliste lors du compte mais Victoire comprend vite qu’elle
Les membres du 2e bureau avec rendu de son procès en janvier 1949, a été démasquée. Victime d’une
lesquels elle a gardé contact la à l’issue duquel la Chatte est condam- habile opération de contre-espion-
pressent d’accepter. Toute informa- née à mort. Et d’égrener une liste de nage, la Chatte est arrêtée à Londres
tion en provenance des Polonais est noms pour rendre hommage aux et emprisonnée. En 1945, elle est
bonne à prendre… Elle devient ainsi hommes tombés : Lejeune, Aubertin, extradée en France. Elle est condam-
un membre actif du réseau Interallié. Marchal, Hugenlobert, les époux née à mort en 1949 – peine commuée
C’est lors d’un de ses passages à Vichy Lach, Charles Maurice, Lucien Roqui- en vingt ans de prison en raison de
que, à l’issu d’un bon repas dans un gny, Jacques Collardey, Roussel, ses actes de bravoure datant d’avant
hôtel luxueux, le surnom « la Chatte » Ragon, Dupré… tous dénoncés dans sa trahison. Libérée en 1954 pour
lui est donné par des journalistes les guet-apens tendus par la Chatte raison de santé, Mathilde Carré
américains avec lesquelles elle devi- et son nouveau mentor, Bleicher. meurt à Paris en 2007, emportant
sait en griffant le cuir de son fauteuil. Lequel la pousse à en faire toujours avec elle sa part d’ombre. L
L e s a r c h i v e s s e c r è t e s
L A G U E R R E D E L’ O M B R E
concernée est enregistrée. Il suffit d’avoir solli- Double jeu Comme son chef, l’amiral Canaris (qui sera
cité un Ausweis ou d’avoir retenu l’attention de exécuté par les nazis en 1945), le colonel Friedrich Rudolf,
chef de l’Abwehr en France (ici au restaurant La Tour
la section III F pour y figurer comme informa- d’argent) traque les résistants tout en s’opposant aux SS.
teur possible ou occasionnel.
AFP PHOTO
SHD
guerre et à la Libération. Si son dossier n’avait
Frédéric Hanoteau /
pas été trouvé parmi d’autres, elle n’aurait peut-
être jamais été inculpée d’intelligence avec l’en-
nemi, comme cela sera le cas en 1946.
Un diable en soutane
soumis à un chantage de la part sont incarcérées puis déportés
du colonel Reille, sous-chef de à Buchenwald, Mauthausen et
l’Abwehr au Lutetia. Ses contacts Ravensbrück. Peu en reviendront.
avec les milieux de la Résistance Travaillant avec deux de ses trois
sont connus. Étant désormais sœurs, Anne-Marie et Irma, qui
allemand, il a le devoir de profiter lui servent d’indicatrices, l’abbé
de sa position pour servir son pays. continue de sévir. À Lyon, il confesse
En cas de refus, il sera remis à la des prisonniers en soutirant des
police allemande. Le voici, selon informations, incite des jeunes
ses propres dires, « pris dans un gens à rejoindre la Résistance
engrenage qui ne [le] lâcherait pour mieux les dénoncer ensuite.
plus ». L’intéressé parle même d’un Généreusement rétribué, il touche
« jeu captivant ». Les Allemands 12 000 francs par mois (soit le
Frédéric Hanoteau / SHD
louent, de son propre aveu, ses salaire d’un officier supérieur), plus
qualités de polyglotte, « sa finesse des primes par résistant livré. En
psychologique » et un « certain sens 1943, il quitte La Varenne pour
S
inné de l’aventure ». un luxueux appartement dans le
UR SA FICHE DE Ces supérieurs ont pris la 16e arrondissement de Paris. Un
L’ABWEHR, ROBERT mesure de l’ego surdimensionné déménagement suscité autant par la
ALESCH, ALIAS « AXEL », du personnage. Alesch semble très nécessité d’échapper à la traque de
né le 6 mars 1900 satisfait de cette situation, qui lui résistants trahis que par la volonté
à Aspelt, au Luxembourg, est permet d’exercer son indéniable de mener grand train.
classé GV, agent double. Ce prêtre talent de manipulateur. L’abbé, L’Occupation lui donne l’occasion
catholique germanophone, parlant qui a pour principale mission de de s’enrichir par la spoliation et
français avec un fort accent s’introduire dans des réseaux le vol. Il en profite jusqu’à la fin
alsacien, a fait ses études dans son de résistance pour provoquer de la guerre, avant de s’enfuir
pays natal et en Suisse, avant de l’arrestation de leurs membres, à Bruxelles, où il est arrêté en
s’installer à Paris en 1935. Nommé prouve rapidement ses aptitudes. 1945. L’épais dossier de l’Abwehr
curé à Saint-Maur, puis à La Varenne- Se servant de sa qualité de prêtre le concernant, complété par les
Saint-Hilaire, il compte parmi ses pour capter la confiance de ses rapports d’interrogatoire menés lors
paroissiens des gaullistes, dont il victimes, ce qu’il faisait déjà en de son procès pour intelligence avec
se rapproche dès 1940. De 1941 tant que résistant français, il rentre l’ennemi et par des coupures de
à 1942, il mène des activités en en contact avec Germaine Tillion, presse, révèle qu’il est également
faveur de la Résistance et des membre du réseau du Musée de enregistré comme agent de la
renseignements anglais, tout en l’Homme, qui le présente à Jacques Gestapo sous les pseudonymes de
agissant pour le compte de l’Abwehr. Legrand, chef du Gloria SMH, un Franklin, Pasteur et de Saint-Martin.
L’histoire commence en 1941 réseau dépendant du SIS (Secret Une lettre de lui, adressée à Hugo
lorsqu’il postule à la mission France- Intelligence Service) et en liaison Bleicher, commissaire de la Gestapo,
Luxembourg. Or le Luxembourg ayant avec le SOE (Special Operations se termine par un « Heil Hitler, très
été annexé au Reich, l’abbé Alesch, Executive), et à la fondatrice de amicalement vôtre ». À son procès,
pour être agréé à ce poste par les celui-ci, Gabrielle Picabia, la fille il assure seul sa défense, affirmant
autorités d’occupation, doit être du peintre Francis Picabia. Alesch n’avoir jamais cessé de prêcher la
naturalisé allemand. C’est chose reçoit un nom de code, « Bishop ». bonté et clamant son innocence
faite en juin de cette année. Dès Le 13 août 1942, Germaine Tillion, avant, magnanime, de pardonner à
lors, selon le récit qu’il fera après- Jacques Legrand et les principaux ses juges. Condamné à mort, l’abbé
guerre à son procès, il se retrouve responsables du Gloria SMH sont Alesch est fusillé le 25 janvier 1949
dans une position inconfortable, arrêtés. Près de 80 personnes au fort de Montrouge. L V. D.
Faux-semblant Ce rapport du 7 février 1945 mentionne le prêtre comme agent de la Gestapo. De fait, œuvrant à la fois pour la
Résistance et ceux qui la combattent, l’abbé Alesch est idéalement placé pour dénoncer ses « camarades » à ses officiers traitants.
allemands ayant servi dans la Légion étrangère. de 3 000 dossiers de la Gestapo de Trèves, qui sont actuellement analysés
dans le cadre d’un projet mené par l’université de Trèves, le Service historique
Le 28 janvier 1936, le maire de Trèves signale à de la Défense de Vincennes et l’Institut historique allemand de Paris.
la Gestapo le retour imminent d’un ancien • Dossier de l’ancien légionnaire allemand Nikolaus Harens.
légionnaire, Nikolaus Harens. Dilemme : il peut
aussi bien s’agir d’un espion à la solde de la
France que d’un combattant aguerri dont la contact avec ses anciens camarades. De plus, il
Wehrmacht pourrait avoir besoin… a interdiction de travailler pour l’armée ou l’in
dustrie de l’armement. Il fait désormais l’objet
KÉPIS BLANCS CONTRE CASQUES D’ACIER d’une surveillance et, entre 1936 et 1941, sera
Au cours de la guerre de 1870-1871, les Alle convoqué et entendu sept fois à la Gestapo de
mands découvrent que certains d’entre eux com Trèves. Ces interrogatoires répétés n’ont pas
battent pour la France. Un choc à l’heure de la pour but d’obtenir de nouvelles informations,
constitution d’un État-nation allemand ! Le sort mais de lui donner le sentiment qu’il est épié sans
qui leur est réservé reflète les relations tendues relâche. En 1940, Harens demande son enrôle
entre les deux pays. Dès les années 1920, les ment dans la Wehrmacht. Une requête accordée,
anciens légionnaires sont arrêtés à leur retour après un nouvel interrogatoire – et malgré les
en Allemagne, puis interrogés… interdictions précédemment émises, preuve que
Le 21 octobre 1936, Nikolaus Harens passe la la Gestapo n’est pas exempte de contradictions.
frontière pour être aussitôt appréhendé. Il confie Après un nouvel interrogatoire, la direction
s’être enrôlé de manière volontaire et donne de locale du NSDAP (le parti nazi) atteste que ses
son plein gré des renseignements sur d’autres opinions politiques sont bien dans la ligne du
légionnaires allemands. Après ce premier entre parti… Le dossier Harens éclaire la probléma
tien, la Gestapo maintient sa détention quelques tique du traitement réservé aux soldats de la
semaines. Relâché, Harens s’engage, entre Légion de retour en Allemagne : faire naître l’illu
autres, à faire part de tout changement d’adresse, sion (et seulement l’illusion, car lacunes et erreurs
à ne pas parler de la Légion et à éviter tout ne sont pas absentes) d’une surveillance absolue
et restreindre ainsi la liberté d’action de la per- une partie du groupe. Le 9 octobre 1941, les Alle-
Mort vivant sonne surveillée. Au cours de la guerre, la Ges- mands arrêtent 119 Français. Ce sont les pré-
André Breton, tapo de Trèves dispose d’une compétence terri- mices du décret « Nuit et Brouillard » (Nacht und
membre du
réseau Hector,
toriale étendue à la France. À ce titre, elle est non Nebel, « NN »), à l’origine de la déportation de
est arrêté seulement chargée de la surveillance des détenus 6 000 Français. Promulgué le 7 décembre 1941
en août 1942. d’un camp de prisonniers de guerre, mais sert afin de porter un coup décisif à la Résistance, il
Il sera transféré aussi de plaque tournante pour les résistants ordonne la déportation secrète de tous ceux qui
à Trèves en
décembre et « Nuit et brouillard » déportés de France. n’auraient pas été condamnés à mort par les com-
y subira les Le réseau Hector existe depuis juin 1940 mandements allemands (Feldkommandantur) et
interrogatoires quand André Breton, un jeune maçon de 29 ans, n’auraient pas immédiatement été exécutés.
de la Gestapo le rejoint en février 1941. Le réseau transmet
locale.
• Rapport vers l’Angleterre des informations, jusqu’à ce L’APPLICATION DE L’ORDRE « NUIT ET BROUILLARD »
classé secret du qu’un espion de l’Abwehr finisse par démanteler Le destin d’André Breton bascule le 12 août
10 janv. 1943. 1942 : il est arrêté pour port d’armes illégal à
Frédérec Hanoteau / SHD
Abbeville. C’est le début d’une odyssée de près
de trois ans à travers les prisons et les camps de
concentration, sans l’ombre d’un procès. Incar-
céré à Amiens, puis à Paris, il sera transféré vers
le camp de Hinzert (lire l’encadré p. 61). Son
os
pour les opposants du Reich, le site abrite
les déportés le temps des interrogatoires.
pl
an
United States Holocaust Memorial Museum, courtesy of Robert A. Schmuhl
départ pour le Reich est imminent, mais ni lui
ni sa famille ne le savent. Personne ne doit
découvrir ce qu’il advient des prisonniers « NN ».
Le 3 décembre 1942, un train quitte la gare de
l’Est. À son bord, Breton ainsi que 21 autres
hommes et 13 femmes. Ces détenus doivent dis-
paraître dans les prisons et les camps allemands
« à la faveur de la nuit », dans la mesure où ils
Hinzert, camp
n’ont pas été condamnés à mort par un Sonder-
gericht, un tribunal d’exception nazi.
Trèves est la première étape de ce parcours.
hors champ
Breton y est entendu par la Gestapo. Les inter-
rogatoires violents visent à soutirer des informa-
tions susceptibles de permettre une nouvelle per-
cée dans la Résistance. Mais il ne parle pas. Le
C
11 février 1943, interrogé de nouveau, il réfute RÉÉ D’ABORD COMME PRISON POUR LES
toutes les accusations. Il fait le récit de cet inter- TRAVAILLEURS a ux frontières (lors de l’édification
rogatoire à son compagnon de cellule. La colla- du Westwall, l’équivalent allemand de la ligne
boration de celui-ci avec la Gestapo lui vaut Maginot) devenus délinquants, Hinzert (près de Trèves)
d’être soumis à de nouveaux interrogatoires, est transformé en camp spécial SS. Dès 1940, il est
cette fois menés par le commando d’investiga- utilisé comme camp de concentration, avant de devenir, à
tion du camp de Hinzert, son nouveau lieu de partir de 1942, un centre de transit des déportés Nacht
détention. Breton y reçoit le numéro 5296. C’est und Nebel. Jusqu’à sa libération par les Américains, en
le début d’un long chemin de souffrance. mars 1945, plus de 10 000 hommes passent par Hinzert.
Dépouillé de son nom, il passera deux ans et Ils viennent de plus de 20 pays d’Europe, mais la
demi dans divers lieux d’incarcération du Reich. plupart sont originaires de France et du Luxembourg. Ces
Tous ont en commun les conditions de travail prisonniers, souvent résistants, sont ensuite déportés
atroces et la sous-nutrition. Après les prisons de vers d’autres camps du Reich. La majeure partie des
Wolfenbüttel, Breslau et Brieg, suivent les camps détenus venant d’Europe orientale sont, eux, déportés à
de concentration de Gross-Rosen, de Mittelbau- Hinzert comme travailleurs forcés. Parmi les prisonniers
Dora et de Buchenwald. Sa libération intervient d’origine allemande, les anciens légionnaires forment le
le 21 avril 1945. Lorsque André Breton finit par groupe le plus important. Ils sont livrés aux Allemands en
rentrer chez lui le 21 avril 1945, il n’est pas le 1940 et détenus comme mesure de probation.
seul à être complètement changé. Au moins 321 prisonniers sont morts à Hinzert. Les
La France entière est profondément traumati- raisons principales sont la malnutrition, l’épuisement
sée. On honore alors particulièrement les com- par le travail et l’hygiène désastreuse. Plusieurs groupes
battants de la Résistance. L’un d’eux est André de prisonniers sont également exécutés : 70 prisonniers
Breton. Le 2 mai 1958, le « certificat de validation de guerre soviétiques en automne 1941, 20 résistants
des services, campagnes et blessures des dépor- luxembourgeois en septembre 1942 et 23 autres
tés et internés de la Résistance » lui est décerné en février 1944. Un détachement de la Gestapo de
et lui confère officiellement le statut de membre Trèves est présent au camp jour et nuit, effectuant
des Forces françaises combattantes. Son chemin des interrogatoires longs et violents afin d’obtenir des
de croix n’est pas seulement la démonstration de renseignements précis sur les groupes de résistants.
la collaboration entre la Gestapo de Trèves, Le but est de détruire les réseaux d’opposants dans les
l’Abwehr et la police française. Il illustre aussi de différents pays d’Europe. L T. G., L. H. et K. S.
manière exemplaire le destin de nombreux Fran-
çais et Françaises victimes de la déportation pen-
dant la Seconde Guerre mondiale. L
LE DÉMANTÈLEMENT
DU RÉSEAU ALLIANCE
Créé en 1940 par des irréductiblesqui se rapprochent de
Londres, ce réseau de 3 000 membres est noyauté en 1942.
S’ensuit une terrible hécatombe, relatée par les archives.
G
eorges Loustaunau-
Lacau, germanophobe
et anticommuniste,
qui sert dans un pre-
mier temps le régime
de Vichy, décide rapi-
dement de monter un
réseau de renseigne-
ments en novembre 1940 : Navarre, l’em-
bryon du réseau Alliance, d’abord exclusi-
vement implanté en zone non occupée. À
ier
partir d’avril 1941, il se met au service de Rue des Archives/Talland
os
une centaine d’agents sont transférés
du camp de Schirmeck (ci-dessous),
pl
en Alsace, à celui de Natzweiler,
où ils seront exécutés par balles.
an
Rue des Archives/PVDE
raison pour laquelle les avant après la guerre –, les informations recueil-
lies vont permettre de frapper la tête d’Alliance.
Allemands l’appellent Après avoir passé l’été 1943 à Londres, puis les
premiers jours de septembre à Alger, Léon Faye
l’« arche de Noé » est déposé le 16 septembre à Silly-le-Long, au
nord-est de Paris. Il est accompagné de Ferdi-
nand Rodriguez, officier britannique de l’IS spé-
à la peine capitale, ils sont fusillés le 23 mai, sauf cialiste des liaisons radio. Ils retrouvent Jean-
Raynal, qui décède à la prison d’Ebrach en jan- Philippe Sneyers (« Escogriffe »), chargé de la
vier 1945. Georges Loustaunau-Lacau, le pre- sécurité, et Pierre Dallas (« Cornac »), respon-
mier chef d’Alliance, est emprisonné par Vichy, sable du service AVIA. Faye transporte une mal-
avant d’être livré aux Allemands à l’été 1943 et lette contenant les plans des postes radiopho-
déporté à Mauthausen. niques, ainsi que des douzaines de quartz, de
En zone occupée, depuis que Marie-Madeleine codes opérateurs de rechange, de carnets de
Fourcade a gagné Londres, Léon Faye est le chef papier inflammable ou absorbable ainsi que la
effectif d’Alliance. Le réseau est alors divisé en somme de quatre millions de francs.
postes, couvrant chacun plusieurs départements,
répartis en trois grandes régions : Sud-Est, Sud- 438 MORTS, UN MILLIER D’ARRESTATIONS
Ouest et zone occupée. Un service AVIA s’occupe Grâce à Jean-Paul Lien, adjoint de Sneyers, le
des liaisons aériennes ; un autre des faux papiers message annonçant la venue de Faye est connu
et de la sécurité. Des sous-réseaux lui sont liés, des nazis. Le groupe est arrêté peu de temps
comme Sea-Star ou les Compagnons de France. après l’atterrissage. Parmi les agents allemands
Mais les Allemands n’ont jamais lâché la piste à la manœuvre se trouve Robert Moog, déjà pré-
de ce qu’il appelle dorénavant « Alliance II ». Le sent à Caluire quelques semaines plus tôt. Cette
11 juin 1943, Ernest Siegrist (« Éléphant »), le arrestation au sommet en annonce au moins une
chef de la sécurité, et Louis Paye, son adjoint, centaine. Les services allemands ne cessent d’af-
KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO
Premiers rôles Le fondateur
d’Alliance, Georges Loustaunau-Lacau
(ci-dessus au procès de Pétain en
1945), tombe en 1941. Il survivra à son
internement à Mauthausen puis aux
marches de la mort. L’agent de liaison
et acteur Robert Lynen (ci-contre, assis,
dans Espoirs de Willy Rozier en 1941),
alias « l’Aiglon », est arrêté le 7 février
1943. Il sera fusillé le 1er avril 1944.
finer leur connaissance d’Alliance, ce qui néces- de la Vienne, le 21 décembre. Albert Coindeau
site parfois des interrogatoires supplémentaires (« Urus »), chef pour les départements de Loire-
de résistants arrêtés lors de la première chute du Inférieure et de Maine-et-Loire, est capturé le
groupe – dont celui de Jean-Philippe Salmson, 13 décembre par la Sipo-SD nantaise, qui s’em-
questionné alors qu’il est à Buchenwald ! pare de 204 messages envoyés à Londres et de
Dès le 16 septembre 1943, trois opérateurs 52 autres reçus. L’organisation est décimée.
radio de l’état-major sont arrêtés. Cinq jours plus Les détenus sont toujours transférés vers le
tard, les arrestations débutent dans le Centre, Gau Oberrhein, mais, en raison de l’engorgement
dont celle d’Édouard Kauffman, le chef régional. des prisons, ils sont internés à partir de
Les secteurs du Puy-de-Dôme et de l’Allier sont mars 1944 au camp de sécurité de Schirmeck,
anéantis. Pierre Berthomier (« Goéland ») et Jean en Alsace annexée. L’objectif est toujours de les
Fontaine, son adjoint, responsables des parachu- juger, comme pour les membres de l’état-major
tages, sont grièvement blessés lors de leur arres- du secteur de Paris, qui comparaissent le 28 juin
tation. Les 22 et 23 septembre, la série se pour- 1944 devant le RKG. Mais, lorsque les Alliés s’ap-
suit dans le département de Saône-et-Loire et prochent, ordre est donné par Berlin d’exécuter
dans l’Yonne, cette fois avec la chute de Paul ces résistants dangereux. Le 6 juin 1944, à la
Mengel (« Chauve-Souris »), le chef régional, et maison d’arrêt de Caen, 16 agents d’Alliance du
de Pierre Deliry, chargé de centraliser le cour- Calvados arrêtés en mars-avril 1944 sont mas-
rier transmis à l’état-major. Les secteurs du Finis- sacrés dans les courettes de la prison. Leurs
tère et d’Ille-et-Vilaine sont touchés fin sep- corps, incinérés, ne seront jamais retrouvés. De
tembre. Les arrestations commencent dans le septembre à novembre 1944, en Alsace et dans
Sud-Est à partir de la mi-octobre, alors qu’elles le pays de Bade, les massacres se multiplient (lire
ont déjà débuté dans le Sud-Ouest. Philippe Koe- l’encadré p. 65). Après-guerre, sur les 2 407 agents
nigswerther (« Mandrille »), le responsable bor- homologués du réseau, on recense officiellement
delais, est appréhendé le 8 ; Henri Ichon, patron 438 morts et un millier d’arrestations. L
Crimes et châtiment
À Dijon, en juillet 1946, s’ouvre
le procès d’anciens agents des
services de renseignements
allemands : 45 Français
sont poursuivis pour trahison
et espionnage. La cour
prononcera 21 condamnations
à mort, dont 15 par contumace.
L e s a r c h i v e s s e c r è t e s
L E G R A N D N E T T OYAG E
AUX TROUSSES DE
LA GESTAPO FRANÇAISE
À la Libération, les agents pro-allemandspar conviction,
intérêt ou vice, sont pourchassés par Paris. Mais se dessinent
parfois d’étranges accointances entre l’État et ces criminels…
À
la Libération, l’une des et des services de renseignements : la « Gestapo
missions prioritaires de de la rue Lauriston », dirigée par Henri Lafont,
la Direction générale des la « Gestapo de Neuilly », menée par Rudy von
études et des recherches Mérode, la « Gestapo de l’avenue Henri-Martin »,
(DGER) et de la Direc- de Christian Masuy, et celle de « la rue de la
tion de la surveillance du Pompe », dont le chef est Friedrich Berger.
territoire (DST) consiste
à identifier, retrouver et DES MORTS ET DES MILLIARDS
punir les traîtres et les criminels de guerre. Si Leurs équipes, composées pour l’essentiel de
parmi ceux-ci figurent en bonne place les chefs truands, de commerçants dévoyés et de policiers
des groupes dits de la « Gestapo française », on véreux, déploient une activité considérable du
observe cependant que, entre les intérêts contra- point de vue économique : spoliation des « biens
dictoires des organismes de police et de rensei- juifs », rackets et trafics à grande échelle sur le
gnements, les guerres des services et les petits marché noir, chantages à l’arrestation et libéra-
secrets entre Alliés, le traitement appliqué aux tions tarifées, perquisitions illégales et cambrio-
uns et aux autres n’est pas exempt de calculs. lages, attaques à main armée… Mais, surtout,
L’expression « Gestapo française » recouvre la Gestapo française est un élément très actif du
une réalité complexe et mouvante : on retrouve système répressif allemand : arrestations de
dans cet ensemble des groupes relevant de la patriotes et de Juifs, assauts contre les organi-
police de sûreté (Sicherheitspolizei ou Sipo, sations de résistance, arrestations de membres
police secrète d’État et police criminelle), des des réseaux Azur, Kléber, Les Cloches des Halles,
services de renseignements et de sécurité de la Phalanx, Libération Nord, etc. La Gestapo fran-
SS (Sicherheitsdienst, SD), mais aussi des orga- çaise mène également des expéditions contre les
nisations appartenant à des services de rensei- maquis, en Dordogne et dans le Limousin, ouvre
gnements de l’état-major allemand (Abwehr). des succursales en province, installe des réseaux
Entre 1940 et 1944, ces officines pullulent à tra- d’espionnage à l’étranger.
vers la France, offrant aux nazis un maillage Ses membres pratiquent des sévices d’une vio-
répressif extrêmement dense sur une large part lence inouïe sur les prisonniers, commettent
du territoire. À Paris, quatre groupes retiennent enlèvements et assassinats… Le bilan de leur
l’attention de la Résistance, des forces de police action est dramatique pour la Résistance et pour
feront rien : Thomas les estime « tel- ports, ni l’assassinat ni l’arrestation de Mérode
lement puériles qu’elles ne méritent ne semblent avoir été réellement envisagés par
pas le moindre examen critique ». la DGER puisque, dans le même temps, le Ser-
Les enquêteurs n’obtenant de vice a établi le contact avec l’ancien patron de la
Lafont aucune révélation et la presse Gestapo de Neuilly.
ayant donné à cette affaire un relief Le 11 octobre 1944, une première rencontre
considérable, la pression est mise sur est organisée par l’agent W. 2024, de la DGER
la police parisienne pour hâter les (lire l’encadré p. 75). Au cours de cette entrevue,
conclusions d’une enquête qui aurait Mérode affiche sa haine et son mépris pour le
dû logiquement s’étaler sur plusieurs SD. Il lui est alors proposé de renseigner le Ser-
années. Dès le 4 octobre 1944, une vice, « car il faut bien penser à la défaite de l’Alle
note émanant des services de la pré- magne et aux garanties à prendre dans ce sens ».
fecture de police annonce que « dans Après cette rencontre, l’attitude du Service
huit jours, [le service anti-Gestapo] change à l’égard de von Mérode, comme en
sera prêt à livrer une première char- témoigne cette note rédigée le lendemain : « Von
rette » à la justice. Deux mois plus Mérode semble tâter le terrain, dans un but
tard, Lafont est condamné à mort inconnu. Peut-être celui de changer de bord ou,
par la cour de justice de la Seine et
fusillé le 26 décembre 1944 au fort
Testament de Montrouge, à Arcueil. Le service
SHD/AFP
D.R.
lui demandant des renseignements et pré- Bons et
cisions sur la bande Lafont. » condamné à mort par contumace en novembre loyaux
sévices
La DGER autorise donc son agent à poursuivre 1945, il ne sera plus jamais inquiété par les ser- Les membres
la discussion avec Mérode. Entre octobre 1944 vices français. Une puissance supérieure le cou- des différents
et au moins avril 1945, le Service sait donc par- vrait-elle de son immunité ? Faut-il voir dans tout « bureaux »
faitement où se trouve l’ancien chef de la Ges- cela le résultat d’une négociation entre services de la Gestapo
française
tapo française de Neuilly, entretient avec lui des secrets de puissances alliées ? se retrouvent
relations suivies, connaît son adresse privée et dans une
a identifié ses fréquentations ainsi que ses habi- BERGER : UNE ÉVASION TRÈS SUSPECTE même pratique
de la violence,
tudes. Ces échanges discrets ne sont évidemment Le cas Berger paraît bien plus étrange encore.
débridée
pas dénués d’intentions dissimulées de part et Entre avril et août 1944, Friedrich Berger a été et aveugle.
d’autre : si Mérode assure sa tranquillité immé- le chef de la Gestapo de la rue de la Pompe, offi- • Caricature du
diate en parlant de ses anciens collègues, la cine responsable de l’arrestation de plus de « Franc-Tireur »,
sept. 1944.
DGER de son côté n’a pas encore renoncé à l’ar- 300 résistants, de plus d’une centaine de morts
rêter, comme l’indique ce rapport du 3 avril et de 163 déportations. S’il est difficile de com-
1945 : « L’identification de Rudolf von Mérode parer les méthodes des Gestapo françaises et de
est encore douteuse […]. Il semble cependant distinguer des degrés dans l’horreur, il faut
que son identité probable soit Martin, né à Thion- admettre que le sort réservé aux prisonniers de
ville ou Metz ou Silly-sur-Nied. Faire la preuve Berger est particulièrement abominable : la Ges-
de son identité de Français permettrait d’envi- tapo de la rue de la Pompe est composée d’au-
sager son extradition. » thentiques malades, de sadiques alcoolisés qui
Mais tandis que cette démarche est lancée, en donnent libre cours à toutes les perversions nées
février 1946, un nouveau rapport de l’antenne de leur imagination malsaine. C’est notamment
madrilène de la DGER indique que « Rudy von Berger et ses acolytes qui sont responsables du
Mérode et Masuy, pour lesquels le Service des massacre de 35 jeunes gens à la cascade du bois
criminels de guerre avait obtenu des autorités de Boulogne, le 16 août 1944. Détail sordide :
espagnoles l’arrestation et la livraison, auraient afin d’être certains de ne laisser aucun survivant
été livrés à un officier américain ». Si Masuy est derrière eux, les hommes de Berger jetèrent des
ensuite remis aux autorités françaises – qui le grenades sur les suppliciés.
jugeront et le fusilleront en octobre 1947 –, C’est donc l’homme responsable de ces atro-
Mérode, lui, disparaît. Une étrange disparition cités qui est arrêté à Milan par les Britanniques
en vérité puisqu’il sera plusieurs fois repéré en en mai 1945. Une note du Service de documen-
Espagne au cours des années 1950. Bien que tation extérieure et de contre-espionnage
Impuni Ancien légionnaire, Friedrich Berger dirige l’antenne de la Gestapo mis avaient laissé entrevoir l’existence d’un
de la rue de la Pompe. Il mourra dans son lit, à Munich, en 1960… réseau russe doublant la Rote Kapelle (« Orchestre
rouge ») et avaient nécessité en Allemagne de
nombreuses et assez longues vérifications. Il
(SDECE) du 28 juillet 1946 expose que « Berger convient de noter, à ce sujet, que jusqu’en
se trouve actuellement à l’hôpital de Cesena juin 1947 mon représentant en Allemagne igno-
[entre Ravenne et Saint-Marin, en Émilie- rait la réelle activité passée en France de Berger.
Romagne]. Il est employé par les Anglais comme Dès que cette activité fut connue, il lui était pres-
mouchard parmi les agents de l’Axe que les Bri- crit d’activer l’interrogatoire de Berger et d’en
tanniques ont faits prisonniers et ont internés à tirer le maximum avant de le livrer au Service
Cesena. Le 2e tribunal militaire permanent de des criminels de guerre. Cependant, malgré le
Paris a lancé un mandat d’arrêt contre ce crimi- régime plus sévère auquel dès lors il était soumis,
nel, à l’arrestation duquel il attache une grande Berger parvenait à tromper le service de surveil-
importance. » Remis aux autorités françaises en lance et réussissait à s’évader du centre d’inter-
mars 1947, Friedrich Berger réussira pourtant à rogatoire dans la nuit du 1er au 2 juillet 1947. La
échapper à son jugement. gravité de cette évasion ne m’a pas échappé et a
Le 8 janvier 1948, le colonel Marcel Lafont motivé des vérifications qui ont fait apparaître
(alias « Verneuil »), chef du « service 23 » (le sur- ce qui suit : a) Berger n’a jamais été employé
nom attribué au contre-espionnage du SDECE), comme informateur ou agent ; b) Berger n’a
fait parvenir une lettre à Paul Gérard-Dubot, jamais quitté le centre d’interrogatoire, avant son
patron à l’époque de l’antenne du SDECE à Wil- évasion, sans être escorté par un gendarme ou
bad, en Allemagne : « Mon attention est attirée accompagné du chef de centre lui-même ; c) C’est
sur le cas du nommé Berger Friedrich […]. Il en profitant de la relève et de la réduction du
aurait – racontent certains policiers français – personnel que Berger a pu s’évader. »
été utilisé par [le SDECE]. Berger aurait disparu
il y a deux mois environ alors qu’il allait être UNE PÉNIBLE IMPRESSION D’INACHEVÉ
arrêté sur demande d’un juge d’instruction de Si les explications de Hounau sur la disparition
Paris. Je vous serais très obligé de vouloir bien de Berger semblent plutôt embrouillées, ce cour-
me faire connaître – sous pli personnel – ce qu’il rier laisse néanmoins filtrer quelques informa-
y a de vrai dans cette histoire au sujet de laquelle tions : l’ex-gestapiste y apparaît comme un infor-
deux télégrammes […] vous ont déjà été envoyés. mateur utile, capable de pénétrer l’organisation
Il est évident que nous ne saurions en aucune des réseaux soviétiques en Allemagne. Ce simple
façon empêcher cet assassin d’expier ses crimes fait, s’il devait être confirmé, suffirait à faire de
et que nous devons tout mettre en œuvre pour Berger un personnage intéressant, notamment
le livrer à la justice. » pour les services américains. Le 22 décembre
À LA RECHERCHE
DES ARCHIVES NAZIES
Durant l’été 1944,une course de vitesse est lancée entre les
Allemands en retraite et les services secrets français. L’objectif ?
Des tonnes de documents confidentiels…
À
la veille de la Libéra- la capitale. Des bus de transports parisiens
tion, les services de la réquisitionnés sont chargés de caisses d’archives
France libre s’intéressent alors que des liasses de documents sont brûlées
de très près au sort des dans les cours des administrations allemandes.
documents produits par Si la plupart des bureaux sont ainsi vides au
les autorités allemandes. moment de la libération de Paris, les Alliés font
Quelques-uns prouvant parfois de précieuses découvertes. C’est le cas,
l’implication de Français par exemple, à l’ambassade d’Allemagne et au
dans la politique collaborationniste ont déjà été consulat, rue Huysmans, où les Américains
interceptés et transmis aux services de la Direc- mettent la main sur des demandes de visas de
tion générale des services spéciaux (DGSS) à ressortissants français pour des séjours en Alle-
Londres et Alger. Ces services comptent bien magne pendant la guerre. À l’hôtel Lutetia, siège
profiter de la libération pour mettre la main sur de l’Abwehr, on retrouve des dossiers individuels
des archives compromettantes et accumuler d’informateurs français.
ainsi des preuves de la collusion de certains
Français avec l’occupant. TRAQUER CRIMINELS ET COLLABOS
Après le débarquement en Normandie, les Sur le reste du territoire, des consignes ont été
cibles prioritaires sont les administrations des adressées par les autorités allemandes pour éva-
Rene Saint Paul /Rue des Archives
forces occupantes de la capitale. Les Allemands cuer ou détruire les archives, mais certaines sont
cherchent de leur côté à mettre leurs archives à abandonnées par la Wehrmacht en déroute. À
l’abri. Devant l’avancée des Alliés, l’ordre est Marseille, on découvre les archives de la Ges-
donné le 1er août 1944 d’évacuer l’état-major de tapo (lire l’encadré p. 78). Des saisies impor-
tantes sont également opérées dans des villes Cela ne doit rien hasard : les informations conte-
d’Alsace et de Lorraine. La collecte se poursuit nues dans certaines archives peuvent ainsi être
lors de l’avancée des troupes en Allemagne en confrontées aux déclarations des personnes
1945. L’armée française met ainsi la main sur interrogées. Après exploitation, les documents
les archives de la Commission allemande d’ar- sont ensuite versés au Service de documentation
mistice de Wiesbaden et sur un lot de dossiers extérieure et de contre-espionnage (SDECE), à
de la Gestapo de Trèves, alors que les archives Paris. Ce service hérite de toutes les archives
de l’Abwehr de Dijon, évacuées en 1944, sont allemandes intéressant le contre-espionnage,
retrouvées à Stuttgart. Certaines archives inté- saisies en France et en Allemagne.
ressant les Français sont également remises par
les Alliés. C’est le cas de celles du commande- UN SCANDALE QUI FAIT PSCHITT…
ment militaire allemand, découvertes par l’ar- Quarante ans plus tard, l’existence de cette docu-
mée américaine et contenant des dossiers de mentation allemande, restée jusqu’alors secrète,
jugements rendus par les tribunaux militaires est révélée par les déclarations du chef du SDECE
allemands en France occupée. de 1970 à 1981, Alexandre de Marenches (1921-
Toutes les archives saisies en Allemagne sont 1995). Ce dernier, en 1986, revient dans un livre
regroupées dans des centres de documentation sur son passage dans les services secrets. Il y
créés pour l’occasion. Le plus important est le révèle qu’il a découvert à son arrivée au SDECE
Ministerial Collecting Center, situé près de Kas- des tonnes d’archives allemandes abandonnées
sel, géré par les Américains et les Anglais. Si les dans le fort de Noisy-le-Sec. Selon lui, y figurent
Français ont également installé un Bureau cen- des noms de personnalités connues pour leur
tral des archives allemandes au nord de Baden- action résistante mais qui apparaissent, à la lec-
Baden, tous les documents intéressant les ser- ture des documents allemands, comme des col-
vices secrets français sont en revanche achemi- laborateurs et des traîtres.
nés vers la petite localité de Wildbad, Il n’en suffisait pas plus pour mettre le feu aux
AN CE
KEYSTONE-FR
en Forêt-Noire. Base principale du poudres ! Les anciens résistants, encore nom-
contre-espionnage français en Alle- breux en 1986, se sentent visés par les déclara-
magne, Wildbad est aussi le lieu d’in- tions de Marenches. Le colonel Paul Paillole
terrogatoire des anciens membres (1905-2002), ancien responsable du contre-
des services répressifs allemands. espionnage français jusqu’en 1944, réagit vive-
akg-images
Débâcle Le 1er août 1944, le front
normand est près de craquer et l’ordre est
donné aux administrations allemandes de
quitter Paris. Les archives qui ne peuvent
être transportées sont détruites dans la
précipitation, souvent incomplètement.
Croqués Heinz Lautenschläger, chef de la section III C (affaires culturelles), auteur de ces dessins réalisés lors du jour de l’An 1943-1944
ne manque pas de se représenter (ci-dessus entouré). La planche s’achève sur ces mots prémonitoires : « Mais maintenant, tout s’arrête »…
LES SOUTIENS
L
Par Thierry Sarmant rôle qu’aurait pu jouer la fiancée de
Hardy, Lydie Bastien (qu’il appelle
e 14 mai 1948, deux crimes, mais sur le rôle d’un résistant « Lily Bastien »), il la blanchit totale-
policiers français controversé, René Hardy. ment : « Lily Bastien ne reçut que de
se rendent à Franc- Le témoignage de Barbie constitue rares visites de son fiancé Hardy et
fort-sur-le-Main, pour Hardy une lourde pièce à resta en dehors de nos transactions.
dans la zone de l’ex- charge. L’ex-SS explique que Hardy, Il est même probable qu’elle ait
Reich occupée par arrêté par la douane allemande de ignoré le jeu de son fiancé. »
les Américains. Là, Chalon-sur-Saône, a été ramené à
en présence d’un Lyon, interrogé par lui et « retourné » : SALIR D’ANCIENS RÉSISTANTS
officier français de liaison auprès des « Lui ayant fait miroiter qu’il pourrait Pour finir, Klaus Barbie impute l’ar-
autorités d’occupation américaine, ils échapper au châtiment qui l’attendait restation du général Delestraint, chef
entendent Klaus Barbie, ancien SS- en travaillant pour moi, Hardy a de l’armée secrète, et celle d’Henri
Obersturmführer (lieutenant), ancien accepté mes propositions sans grosse Aubry, son chef de cabinet, à une
chef de la Gestapo de Lyon. Criminel difficulté. » Après accord de Berlin, dénonciation de Hardy. L’arrestation
de guerre recherché, condamné à Barbie relâche Hardy. Quelques jours aurait été effectuée par un agent
mort par contumace en 1947, Barbie plus tard, à l’en croire, Hardy lui désigné comme « K 30 », dont Barbie
est entré au service du contre-espion- aurait indiqué le lieu et la date d’une prétend avoir oublié le nom.
nage des États-Unis. Les autorités réunion des chefs de la Résistance : Cette dernière déclaration doit nous
américaines, qui apprécient son il s’agit de l’entrevue de Caluire, dans inciter à la défiance. En effet, le géné-
expérience de la lutte contre les com- la banlieue de Lyon, le 21 juin 1943, ral Delestraint a été arrêté le 9 juin
munistes, refuseront toujours de l’ex- à laquelle assiste Jean Moulin. Au 1943, à Paris, au métro La Muette,
trader. Un procès-verbal conservé cours de la réunion, les Allemands douze jours avant l’entrevue de
dans les archives des services fran- font irruption et arrêtent les partici- Caluire, tandis qu’Aubry était, lui,
çais de renseignements révèle cepen- pants. Suivant une mise en scène présent à Caluire. Barbie se trompe-
dant qu’elles ont laissé les Français convenue, Hardy simule une fuite. t-il ? Brouille-t-il les pistes ? Cherche-
interroger Barbie, non pas sur ses S’étant blessé volontairement, il est t-il à couvrir ses anciens agents ou à
L’INVITÉ DU SPÉCIAL
MICHEL BLONDAN
Hanté par la geste de son père résistant,il consulte les
archives en quête de réponses. Et se découvre une vocation.
Considéré aujourd’hui par les historiens comme une
« personne-ressource », il nous explique sa méthode de travail.
HISTORIA – QUEL A ÉTÉ LE POINT DE DÉPART la guerre. Je me suis occupé de lui et j’ai pris
DE VOS RECHERCHES ? certains contacts avec des vétérans et avec l’Of-
MICHEL BLONDAN – Rien ne me prédisposait à fice national des anciens combattants, à Dijon.
m’embarquer dans cette aventure. Dans les J’ai compris que l’administration pouvait m’aider
années 1980, alors que j’étais professeur d’éco- à en savoir plus. Une fonctionnaire s’est rensei-
nomie et de gestion dans un lycée dijonnais, j’ai gnée à Paris. Quelques mois plus tard, la réponse
fait un peu de généalogie familiale. Puis je me est tombée : mon père a un dossier Résistance,
suis intéressé à la Résistance, à travers l’histoire un statut FFC [Forces françaises combattantes],
de mon père, René Blondan. La recherche est un grade, un droit à pension. Mais les dossiers
devenue une passion. Mon père a été résistant, ne sont pas communicables. J’apprends l’exis-
mais il en parlait très peu. Il a été agent de liai- tence du bureau Résistance à Vincennes. Je
son, principalement ; il prenait des enveloppes, demande à consulter le dossier de mon père. Je
les portait chez quelqu’un. Sans suis très bien reçu, la machine est lancée. Je
« Il faut partir poser de questions. C’était un homme travaillais à partir des bribes que je connaissais,
des hommes discret, réservé. J’ai commencé à quelques noms et surtout des pseudos : Hugues,
prendre des notes. Puis j’ai voulu Goliath, et tant d’autres. Puis le bureau Résis-
et des femmes comprendre un peu plus et je lui ai tance s’efface devant le SHD, les dossiers
plutôt que des posé des questions sur son action, sur s’ouvrent peu à peu, m’apportant de nouvelles
faits. À partir ses camarades de Résistance. Mais il pistes, évoquant des parcours de vie. Je mets des
de noms se ne me répondait pas. Il est vrai qu’il noms sur les alias. L’effet boule de neige. Au
avait souffert durant cette période, début, les dossiers n’étaient ni inventoriés ni
dégagent une comme d’ailleurs toute sa famille, cotés. Ils le sont maintenant, formant un
architecture et puisque ses deux frères, Lazare et ensemble inestimable, avec des noms, des dates
des références Hubert, ont été tués pendant la de naissance : 600 000 noms, 600 000 dossiers
à des actions guerre. Lui-même a été arrêté en permettant d’entamer des recherches, à complé-
mai 1944, interné à Dijon, envoyé en ter dans d’autres fonds : archives départemen-
concrètes » Allemagne dans un train, dont il s’est tales ou Archives nationales…
évadé à Belfort. Mais que de ques-
tions encore… Où allait ce train ? Vers quel H. – QUE RETIREZ-VOUS DE CES ANNÉES
camp ? Mon père m’a aussi parlé d’un aviateur DE RECHERCHES, POUR ÉCRIRE L’HISTOIRE
canadien venu effectuer des largages, mais qui DE LA RÉSISTANCE ?
avait été abattu ; il l’avait aidé avec ses cama- M. B. – Deux convictions s’imposent à moi. Il
rades, mais comment ? Qui était-il ? Que de mys- faut partir des hommes et des femmes plutôt que
tères, sur mon père et sur son action. des faits. C’est la démarche essentielle, fonda-
mentale. Pour moi, les actions sont secondaires.
H. – BIENTÔT, VOUS ÊTES ENTRÉ DANS LE MONDE À partir de noms, on obtient des dossiers indi-
DES ARCHIVES… viduels, puis se dégagent une architecture et des
M. B. – Dans les années 1990, il a eu des pro- références à des actions concrètes : parachu-
blèmes de santé, liés à son internement pendant tages, sabotages, etc. On pointe les arrestations,
l’ampleur de la répression. Ensuite, le travail des accès aux archives. Aujourd’hui, c’est l’inverse.
chercheurs doit beaucoup aux archivistes, qui Nous devons donc exploiter au maximum les
classent, inventorient, aident, font comprendre archives pour compenser.
les logiques de classement. Mais l’échange se fait
dans les deux sens. Le chercheur, en effet, peut H. – CETTE CONNAISSANCE INTIME
leur donner des indications sur le contenu de ces DES ARCHIVES, QUE VOUS ÊTES L’UN DES RARES
cartons, établir des liaisons entre tel et tel dos- À AVOIR, ET CES MILLIERS DE FICHES QUE
sier, à partir de la connaissance qu’il a des VOUS AVEZ ACCUMULÉES VOUS DONNENT-ELLES
hommes, des pseudos. UN STATUT PARTICULIER ?
Malheureusement, il apparaît que certains his- M. B. – Après avoir consulté plus de 4 000 dos-
toriens professionnels fréquentent insuffisam- siers individuels issus du bureau Résistance, et
ment les centres d’archives. Certains publient bien d’autres cartons ici ou là, je suis devenu ce
des ouvrages très agréables à lire, excellentes que l’on appelle une « personne-ressource ». Que
synthèses de synthèses, mais souvent éloignés ce soit aux archives départementales de la Côte-
du concret, des réalités, des petites gens. Pour d’Or ou au SHD, Ségolène, Frédéric ou Jérôme
revenir à mon père, grâce à mon travail sur les m’interrogent régulièrement sur tel cas particu-
archives, j’en sais aujourd’hui mille fois plus que lier, telle affaire, tel alias. Alors, je partage mes
lui sur le Bureau des opérations aériennes, dont modestes connaissances et savoir-faire. Et je
il a été membre, et sur ses camarades de la Résis- transmets à d’autres chercheurs. En hommage à
tance. J’ai bien sûr le regret de ne pas pouvoir la Résistance et à ses membres. L
lui en parler : il est décédé en 1996… C’est ainsi :
autrefois, nous avions les témoins, mais pas Propos recueillis par Denis Lefebvre
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Historia révèle le pourquoi de ces Le Moyen Âge a-t-il tout inventé ? Oui, Soumise à son seigneur et maître la Les Vikings : fiers combattants et
gestes et coutumes les plus répandus, car, de l’école aux énergies renouve- femme au Moyen Âge ? Que nenni. navigateurs de génie, les Scandinaves
mais aussi les origines des plus lables, il porte en lui les promesses Nombre d’entre elles ont été bien au- débarquent sur la scène internationale
méconnus. Un dossier à lire en croisant du monde moderne, nous a légué delà des limites imposées par la socié- dès le VIIIe siècle. Tout sur leur brillante
les doigts, un trèfle à 4 feuilles dans d’innombrables inventions et un savoir té féodale comme le décrit ce dossier civilisation, leur expansion à travers le
son porte-feuille et en évitant de passer encyclopédique. Un dossier surprenant éclairant. Également au sommaire : un globe, leur héritage. Un dossier écrit par
sous une échelle. sur une époque vraiment révolution- voyage au pays du dragon rouge, le fier les meilleurs spécialistes, par Odin !
naire. Pays de Galles.
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✃
DÉCOUVERTE
L’héritage amérindien du Colorado
Findlay Rankin - www.agefotostock.com
90 PANORAMA
Chimney Rock
Garden of the Gods
Hovenweep
96 VISITE GUIDÉE
Mesa Verde, une terre sacrée
102 PARTIR
Des conseils pour préparer
votre voyage
104 LIRE
Histoire, romans, BD,
guides, contes…
la sélection d’Historia
JANVIER-FÉVRIER 2017 89
DÉCOUVERTE PANORAMA
Chimney Rock,
haut lieu anasazi
TRÉSOR NATIONAL .
Ce site, proclamé
national monument
par Barack Obama
en 2012, abrite
200 vestiges de
bâtiments, dominés
par Chimney
Rock (au fond)
et Companion Rock
(au premier plan).
Manuel Cohen
JANVIER-FÉVRIER 2017 91
DÉCOUVERTE PANORAMA
SANCTUAIRE .
D’une superficie de
13 km2, ce superbe
parc naturel domine
la ville de Colorado
Springs et déploie
ses étranges forma-
tions géologiques
gréseuses. Ici,
Cathedral Valley et
ses étonnants crêts.
Manuel Cohen
le theiophytalia – arpen-
taient déjà ces terres…
Manuel Cohen
Dans les
plis et
replis du
Garden of
the Gods
Manuel Cohen
JANVIER-FÉVRIER 2017 93
DÉCOUVERTE PANORAMA
CAMPÉ . Le visiteur découvre à Hovenweep – mot signifiant « vallée désertée » – les ruines de six villages (ici, Square Tower) bâtis entre 1200
et 1300 apr. J.-C. Les habitants se consacraient à l’agriculture (maïs, haricots, courges), l’élevage (dindons) et à la chasse (wapitis, bisons, mouflons…).
Manuel Cohen
Donjons et bisons
à Hovenweep
Manuel Cohen
Manuel Cohen
JUMELLES . Observatoires astronomiques, habitations, centres de stockage ? Ces constructions ont longtemps intrigué les chercheurs.
Aujourd’hui, même si leur fonction reste incertaine, les archéologues penchent pour une utilisation religieuse, comme ici aux Twin Towers.
JANVIER-FÉVRIER 2017 95
DÉCOUVERTE VISITE GUIDÉE
GROUPÉS. Vue du
village (XIIIe s.) de
Cliff Palace : dans
une anfractuosité
rocheuse, les
Indiens Anasazis
ancêtres des Pue-
blos, rencontrés
par les premiers
explorateurs espa-
gnols) ont bâti près
de 200 structures
d’habitation, de
stockage ou bien
cultuelles.
Gil Lefauconnier
Verde se cachent les vestiges d’une culture originale, riche
et méconnue qui a su entrer en communion avec les
éléments naturels. Une incroyable Pompéi amérindienne… »
Mesa Verde,
une terre sacrée
Ce parc national du Colorado est célèbre pour ses paysages
et pour les habitations troglodytiques des mystérieux Anasazis.
Un trésor archéologique classé au patrimoine de l’Unesco.
Par une douce matinée d’été, un ciel bleu d’azur Depuis 1978, Mesa Verde est inscrit au patrimoine mon-
illumine le comté de Montezuma, dans le sud-ouest dial de l’humanité. Avec une moyenne annuelle d’un
du Colorado. Une légère brise balaie les hautes herbes demi-million de visiteurs, il s’est imposé comme le lieu
qui bordent la route 166.L’atmosphère est bucolique. sacro-saint de l’héritage amérindien.
Au bord d’un fossé, un renard gris observe Véritable carrefour de civilisations
attentivement le va-et-vient des voitures précolombiennes, le sud-ouest du Colo-
avant de se frayer un passage. Plus loin, rado fait aujourd’hui figure de centre
de jeunes daims s’égayent dans la archéologique des États-Unis. Terre
prairie puis disparaissent dans de hauts plateaux, il se situe au
les profondeurs de la forêt. Sou- cœur de la « piste des Anciens »
dain, à l’horizon, se dressent les (Trail of the Ancients), une route
contours majestueux de Mesa panoramique de toute beauté
Verde. Un relief imposant de jalonnée de réserves amérin-
couleur ocre, soigneusement diennes, de musées, de parcs
d é l i m it é s u r u n e s p a c e d e et de monuments historiques.
211 kilomètres carrés, et que Celle-ci s’ancre dans une région
l’on croirait taillé à la serpe. De connue sous le nom des « Quatre
la splendeur à l’état pur, qui se Coins » (Four Corners), à l’inter-
dévoile à mesure que l’on se rap- section entre l’Utah, le Colorado,
proche de ses contreforts rocheux. l’Arizona et le Nouveau-Mexique. Des
À peine entame-t-on l’ascension paysages de rêve que les westerns ont
de ce plateau que l’on ressent une impression popularisés. Le site de Mesa Verde (« plateau
particulière. Un mélange de curiosité et de respect vert » en espagnol, en raison de la végétation qui
pour des terres que l’on devine chargées d’histoire. coiffe ses hauteurs) s’élève à 2 596 mètres d’altitude.
Quelque chose d’intemporel, baigné dans une nature Exposée au sud, sillonnée d’étroits canyons et de falaises
Manuel Cohen
Manuel Cohen
restée sauvage, stimule l’imagination. Rien d’étonnant. érodées, cette forteresse naturelle a été sculptée par le
L’esprit des Indiens d’Amérique guide chacun de vos pas. vent et l’eau depuis des millénaires. Les vestiges mis
JANVIER-FÉVRIER 2017 97
DÉCOUVERTE VISITE GUIDÉE
DOMINANTE.
Le Navajo Canyon abrite
la Square Tower House.
Bâtie dans un assem-
blage de blocs de grès,
de mortier et de poutres,
cette tour du XIIIe siècle
constitue la construc-
tion la plus élevée
(environ 8,5 m) du parc.
Manuel Cohen
intermittence. Aux alentours de 5 000 av. J.-C., la zone
est parcourue par des tribus semi-nomades. Une variété
d’œuvres rupestres datant de 2 500 avant l’ère chrétienne
témoigne d’une occupation plus effective des lieux,
évolution due à la présence de nappes d’eau et de gorges C’est à eux que succèdent, sur le site de Mesa Verde,
encaissées. Les fouilles archéologiques ont permis d’éta- au milieu du VIe siècle apr. J.-C., des Indiens du désert
blir que la région a été ensuite occupée par des peuples leur étant apparentés et entrés dans l’histoire sous le
originaires de l’ouest du Nouveau-Mexique et issus de nom d’Anasazis. L’appellation, d’ailleurs, fait polémique.
la tradition oshara. Parce qu’ils excellaient dans l’art de Faute de sources écrites, on ignore comment ils se dési-
la vannerie, on les a affublés du surnom de « fabricants gnaient eux-mêmes. Leurs descendants, les Hopis, les
de paniers ». Adeptes de la chasse, de la cueillette et de Acomas et les Zuñis, n’apprécient guère ce vieux mot
l’agriculture, ils s’abritaient des températures extrêmes navajo qui signifie « anciens ennemis » et qui englobe
dans de modestes maisons à fosse (pit-houses), enterrées toutes les cultures amérindiennes ayant vécu dans des
de plus d’un mètre et couvertes de roseaux et de boue. pueblos, ces villages de pierre dont l’architecture a tant
Au fil du temps, ils en sont venus à cultiver du maïs, des frappé les premiers conquistadors. Aussi, pour éviter de
haricots, des courges, du tabac et du coton. froisser les passions, toujours vivaces à l’échelle tribale,
JANVIER-FÉVRIER 2017 99
DÉCOUVERTE VISITE GUIDÉE
se remplissaient au moindre orage. D’où l’importance sons peu claires, les Indiens entreprennent de bâtir des
capitale du stockage. Experts en tissage, en vannerie et cités troglodytiques, c’est-à-dire des villages édifiés à
en tannage, ils utilisaient des fibres végétales (yucca, flanc de falaise, dans des anfractuosités rocheuses qui
sumac, osier, branchages), des roches ou des matières forment des alcôves naturelles. Est-ce pour se prémunir
d’origine animale (peaux, fourrures, os) pour confec- des rigueurs du climat ? S’agit-il d’une mesure défen-
tionner jarres, paniers, corbeilles, vêtements, poteries, sive ? religieuse ? Faut-il y voir la conséquence d’une
ustensiles de cuisine, outils et armes de chasse. pénurie de bois de chauffage ou d’une manière de se rap-
procher des ressources en eau, dont ils dépendaient tant
Cette ingéniosité trouve sa meilleure expression dans l’ar- pour leur survie ?
chitecture.Au milieu du VIIIe siècle, les Anasazis vivent Le mystère demeure entier. Aujourd’hui, on
dans de petites maisons de pisé. Manifestement à la dénombre dans le parc de Mesa Verde 600 ensembles
faveur d’une explosion démographique, la tendance a été architecturaux de ce type. À Cliff Palace, Balcony
au regroupement en hameaux. Vers l’an mille, les com- House et Long House notamment, les touristes sont
munautés villageoises comptent plusieurs centaines sensibles au caractère intime des lieux. À partir des
d’habitants et on estime à 5 000 le nombre d’Anasazis à surplombs rocheux, on y accède par une série d’échelles,
avoir élu domicile à Mesa Verde, soit environ le quart de de tunnels et de sentiers vertigineux et inextricables.
ceux établis dans le sud-ouest du Colorado. Un tournant On se demande comment vivaient les Anasazis dans ces
majeur intervient au début du XIIe siècle. Pour des rai- constructions souvent faites à base de pierres sèches
Manuel Cohen
ESPRITS. Balcony House, autre abri-sous-roche, est aussi accessible
par une échelle (10 m). Il comprend des habitations et deux kivas – ces
structures cérémonielles circulaires creusées dans le sol
(ci-dessous et en bas à g.) qui permettent de dialoguer avec les dieux.
DR
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En décembre 1888, des
cow-boys à la recherche de bétail égaré découvrent, Le musée archéologique
totalement par hasard, les ruines de Cliff Palace. « Un
château enchanté ! » ont-ils déclaré à leur retour. Certes,
les Utes et les Navajos connaissaient l’existence de ces
de Chapin Mesa
sites, mais ils n’avaient jamais osé, par superstition,
s’en approcher de trop près. Trois ans plus tard, Gustaf
Nordenskiöld, un scientifique suédois de passage dans
B âti à proximité des falaises de Spruce Canyon,
le musée constitue le point de départ idéal pour
une première visite. Derrière ses murs d’adobe, le
le Colorado, prend les premières photographies de la cité centre a pour vocation de rappeler l’histoire du parc,
anasazie. Leur publication connaît aussitôt un grand d’insister sur son aspect patrimonial et de rendre
succès. Aussi, pendant la décennie qui suit, les hauteurs hommage aux Anasazis. Il abrite une magnifique
de Mesa Verde deviennent une destination d’autant plus collection d’objets, de photographies et de peintures
populaire que l’on découvre d’autres vestiges archéolo- amérindiennes. Une première galerie expose d’un
giques dans ce que l’on considérait jusqu’alors comme côté les premiers clichés du site au moment de sa
une simple réserve de chasse. Curieux et collectionneurs (re)découverte à la fin du XIXe siècle, et de l’autre
explorent les lieux et endommagent les habitations. une série de dioramas reconstituant la vie dans
Alerté, le gouvernement fédéral se saisit du dos- les pueblos à travers les âges. Les salles suivantes
sier. Le 29 juin 1906, le président Roosevelt, conscient de nous proposent une immersion dans l’univers
la valeur patrimoniale de l’héritage amérindien, signe le des Anasazis. Techniques de construction, art
décret créant le parc national de Mesa Verde. Des années culinaire, armes, représentations rupestres… la
durant, archéologues, ethno-historiens et anthropo culture tribale est mise à l’honneur à travers une
logues étudient les sites, tandis que les pouvoirs publics remarquable sélection d’objets. Des vitrines mettent
entreprennent de restaurer les lieux. Une tâche rendue l’accent sur le rapport privilégié des Anasazis à la
difficile par les conditions climatiques, comme en nature, leur ingéniosité, leur conception du monde,
témoignent les incendies – le dernier d’envergure date de tout en démontrant qu’ils ne vivaient pas en vase
2003 – qui menacent de façon endémique la pérennité de clos, comme en témoigne l’existence d’échanges
cet espace naturel réputé pour ses forêts giboyeuses et la intertribaux. Enfin, des peintures saisissantes,
variété de sa flore. Depuis plus d’un siècle, les Anasazis, exécutées par des artistes formés à la célèbre école
quant à eux, suscitent un intérêt sans cesse renouvelé. d’art amérindien de Santa Fe, au Nouveau-Mexique,
On continuera longtemps encore à s’interroger sur les restituent des scènes de la vie quotidienne et des
prouesses d’un peuple besogneux qui ne connaissait ni danses cérémonielles. Une visite indispensable et,
le fer ni la roue, ni les animaux de bât, sur leur modèle surtout, une initiation bienvenue aux mystères de
écologique, et sur les mystères qui entourent leur départ Mesa Verde… L F. A.
soudain… Et s’il fallait trouver une sagesse perdue dans Mesa Verde, Mesa Verde National Park, CO 81330,
les ruines de Mesa Verde ? Un temple verdoyant qui, dans États-Unis (à 30 km de l’entrée du parc).
Manuel Cohen
l’imaginaire collectif, restera à jamais la terre sacrée Tél. : + 1 970 529 4465.
des Anasazis. L
Avant de partir
S’INFORMER
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DR
CLIMAT Randonnée encadrée par des rangers à la découverte de la quinoxial propose son « Best
E
À visiter, idéalement, de faune et de flore de la région. J ours 5 et 6.Gunnison-Mesa of Colorado » au départ de
mai à septembre. Denver Verde : épicentre de la culture des Indiens Pueblos, au cœur Denver. Le parcours débute
possède un climat semi- du parc de Mesa Verde. J ours 7 et 8.Durango, ville témoin de par la découverte d’un des
aride, particulièrement l’époque du Far West. Le lendemain, départ par train à vapeur magnifiques parcs nationaux
changeant dans la région pour les mines d’or et d’argent des montagnes San Juan. américains, Estes Park, puis
des Rocheuses. Jours 9 et 10.La superbe route d’Almosa vous mènera entre direction Vail, la station
sapins et lacs. Le lendemain, visite de Great Sand Dunes, dunes de sports d’hiver la plus
FÊTES ET TRADITIONS de sable dépassant 200 m de hauteur sur près de 78 km2. fréquentée du pays. Grand
3e lundi de janv. : Jours 11 et 12.Arrêt à Colorado Spring puis retour à Denver. Junction donnera l’occasion
anniversaire de Martin Au programme, le Garden of the Gods, puis escale à la petite au visiteur d’admirer les Fairy
Luther King. Good Friday ville Manitou Spring, bâtie sur un ancien territoire Utes et Caves (étranges grottes dans
(Vendredi saint) : le Cheyennes. J our 13.Denver, fin du voyage. les montagnes) avant qu’il ne
vendredi avant le dimanche Prix : vol, hôtel, location de voiture à partir de 1 290 €. gagne Black Canyon et ses
de Pâques. 3e lundi Infos : La Maison des États-Unis. roches spectaculaires. Un
de févr. : Presidents Day. Tél. : 01 53 63 13 43, www.maisondesetatsunis.com crochet par le parc national
5 mai : Cinco de Mayo de Mesa Verde sur la route
(fête nationale du Mexique), de Durango puis Almosa
célébrée également dans Parc national des et le décor désertique du
Circuit 1 Rocky Mountains ÉTATS-UNIS
le Colorado. Dernier Circuit 2 parc national de Great Sand
COLORADO
lundi de mai : Mémorial Vail Dunes. Un petit tour dans le
Fairy Cave Denver
Day, hommage aux GI fascinant Garden of the Gods
morts au combat. 4 juil. : de Colorado Springs avant de
UTAH
Où dormir ?
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Où se restaurer ?
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de chaque nom.
Fusil, Rivière Président-directeur général
Tel un véhicule par exemple de Suisse et directeur de la publication :
militaire de Claude Perdriel.
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c’est tout ! Guillaume Malaurie.
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Okinawa Général
résistants lancé l’appel Tél. : 02 38 33 42 89.
ou à la tête du 18 juin 1940
Guadalcanal de la 2e DB Possessif
RÉDACTION – Rédacteur en chef :
Papier à Éric Pincas (19 39). Rédacteur en
reproduire chef adjoint chargé des Spéciaux :
Livre Victor Battaggion (19 40), assistante :
de la loi Florence Jaccot (19 23). Secrétaires de
mosaïque rédaction : Alexis Charniguet (19 46),
Ni oui ni non Xavier Donzelli (19 45), Jean-Pierre
Syndicat Serieys (19 47). Directeur artistique :
Aura mis Premier ouvrier
ministre français Stéphane Ravaux (19 44) ; rédacteur
au passé
britannique de graphiste : Nicolas Cox (1943).
Note
1940 à 1945 Rédactrices photo :
Annie-Claire Auliard (19 42),
Conflue Claire Balladur Segura (19 41).
Dents à Caen
dures Parcours Comité éditorial : Olivier Coquard,
sinueux Patrice Gélinet, Catherine Salles,
Thierry Sarmant, Laurent Vissière.
Général Lettres Une des Responsable administratif et
en chef du facteur plages du financier : Vincent Gentric (19 18).
de la Fleuve débarquement
France Libre d’Espagne en Normandie Comptabilité : Teddy Merle (19 71).
Direction des ressources humaines :
Agnès Cavanié (19 71).
Sorties
de Directeur des ventes et promotion :
l’ombre Valéry-Sébastien Sourieau (19 11) ;
ventes messageries : À juste titres
– Benjamin Boutonnet – Réassort
Région De l’air disponible : 04 88 15 12 41,
d’Allemagne pour les www.direct-editeurs.fr.
Lutte pilotes de
guerre Responsable marketing direct :
antiaérienne
Linda Pain (19 14) ;
responsable gestion abonnements :
Officier Isabelle Parez (19 12).
Troupes Cible Communication : Isabelle Rudi-Houet
en aéroportées des FFI (19 70).
chemise
Fabrication : Christophe Perrusson.
Chef Régie publicitaire : Mediaobs
Fin de la Recruteur
Seconde Guerre d’opérations L I M M C – 44, rue Notre-Dame-des-Victoires,
mondiale, Descend C A N N E A S U C R E 75002 Paris. Fax : 01 44 88 97 79.
Organe de
le 8 avec le feu Directeur général : Corinne Rougé
l’épuration H D U R R A U L
B A T I S T A S E C (01 44 88 93 70, crouge@mediaobs.com) ;
Douce en directeur commercial :
V E I L O T H
musique Jean-Benoît Robert (01 44 88 97 78,
D A M N E E C R U E jbrobert@mediaobs.com) ;
Constance N A S A U X I N
ou Victoria publicité littéraire : Pauline Duval
S E M U R A S I E (01 70 37 39 75, pduval@mediaobs.com).
B U R E N T E S www.mediaobs.com
Projectile
Mena Toujours S C O R B U T E P Impression : G. Canale & CSPA, via
dans la bonne en tête I S A T A N S A Liguria, 24, Borgaro T. se 10071, Turin.
direction I G B S R I O I N G Imprimé en Italie/Printed in Italy.
A L B A I E O N Dépôt légal : janvier 2017. © Sophia
Publications. Commission paritaire :
P R E V U P L E B E
no 0321 K 80413. ISSN : 2114-544X.
E A D I O S Historia numéro Spécial est édité par
L S D O G M la société Sophia Publications.
O S S U E S Ce numéro comporte un encart
Les… et les P E S O E E E abonnement Historia sur les
Élément Morts, célèbre G E N I S S E exemplaires kiosque France + étranger
de roman (hors Suisse et Belgique).
réponse de guerre Solution du numéro 32 Crédits de couverture :
Frédéric Hanoteau/SHD.