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D’abord, dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il ne s’appartient pas,
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mais ne nie ; qu’il ne s’y sent pas satisfait, mais malheureux ; qu’il n’y déploie pas une libre énergie
physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. C’est pourquoi l’ouvrier n’a
le sentiment d’être à soi qu’en dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il
est lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il n’est pas lui. Son travail n’est pas volontaire,
mais contraint. Travail forcé, il n’est pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de
satisfaire des besoins en dehors du travail. La nature aliénée du travail apparaît nettement dans
le fait que, dés qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la peste.
Le travail aliéné, le travail dans lequel l’homme se dépossède, est sacrifice de soi, mortification.
Enfin, l’ouvrier ressent la nature extérieure du travail par le fait qu’il n’est pas son bien propre,
mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas ; que dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas
lui-même, mais à un autre. Dans la religion, l’activité propre à l’imagination, au cerveau, au cœur
humain, opère sur l’individu indépendamment de lui, c’est-à-dire comme une activité étrangère,
divine ou diabolique. De même l’activité de l’ouvrier n’est pas son activité propre ; elle appartient à
un autre, elle est déperdition de soi-même.
On en vient donc à ce résultat que l’homme (ouvrier) n’a de spontanéité que dans ses fonctions
animales : le manger, le boire et la procréation, peut-être encore dans l’habitat, la parure, etc. ; et
que, dans ses fonctions humaines, il ne se sent plus qu’animalité : ce qui est animal devient
humain, ce qui est humain devient animal. Sans doute, manger, boire, procréer, etc., sont aussi
dans l’ensemble des activités humains, érigées en fins dernières et exclusives, ce ne sont plus que
des fonctions animales.
Marx, Ebauche d’une critique de l’économie politique.
Texte 6
C’est par la médiation du travail que la conscience vient à soi-même. Dans le moment qui
correspond au désir dans la conscience du maître, ce qui paraît échoir à la conscience servante,
c’est le côté du rapport inessentiel à la chose, puisque la chose dans ce rapport maintient son
indépendance. Le désir s’est réservé à lui-même la pure négation de l’objet, et ainsi le sentiment
sans mélange de soi-même.
Mais c’est justement pourquoi cette satisfaction est elle-même uniquement un état disparaissant,
car il lui manque le côté objectif ou la subsistance. Le travail, au contraire, est désir réfréné,
disparition retardée : le travail forme. Le rapport négatif à l’objet devient forme de cet objet
même, il devient quelque chose de permanent, puisque justement, à l’égard du travailleur, l’objet
a une indépendance.
Ce moyen négatif, ou l’opération formatrice, est en même temps la singularité ou le pur être-pour-
soi de la conscience. Cet être-pour-soi, dans le travail, s’extériorise lui-même et passe dans
l’élément de la permanence ; la conscience travaillante en vient ainsi à l’intuition de l’être
indépendant, comme intuition de soi-même.
HEGEL, La phénoménologie de l’esprit, Tome I, Aubier, pp.163
Texte 7
Le maître force l’esclave à travailler. Et en travaillant, l’esclave devient le maître de la nature. Or, il
n’est devenu l’esclave du maître que par ce que de prime abord-il était esclave de la nature, en se
solidarisant avec elle, et en se subordonnant à ses lois par l’acceptation de l’instinct de
conservation. En devenant par le travail maître de la nature, l’esclave se libère donc de sa propre
nature d’esclave : il le libère du maître. Dans le monde technique transformé par son travail, il
règne-ou du moins, régnera un jour-en maître absolu. Et cette maîtrise qui naît du travail, de la
transformation progressive du monde donné et de l’homme donné dans ce monde, sera tout
autre chose que la maîtrise immédiate du maître du maître. L’avenir et l’histoire appartiennent
donc non pas au maître guerrier, qui ou bien meurt ou bien se maintient indéfiniment dans
l’identité avec soi-même, mais à l’esclave travailleur. Celui-ci, en transformant le monde donné, il
se dépasse donc, en dépassant aussi le maître qui est lié au donnée qu’il laisse-ne travaillant pas-
intact.
Alexandre Kojeve, Introduction à la lecture de HEGEL
Texte 8
Le domaine de la liberté commence seulement là où cesse le travail qui est déterminé par la
nécessité et la finalité extérieure : d’après sa nature, ce domaine se situe donc au-delà de la
sphère de la production à proprement parler matérielle. Comme le sauvage doit lutter avec la
nature pour satisfaire ses besoins, pour continuer et produire sa vie, de même l’homme civilisé y
est obligé et il l’est dans toutes les formes de la société et dans toutes les manières possibles de la
production. A mesure qu’il se développe, ce domaine de la nécessité de la nature s’élargit, parce
que les besoins augmentent : mais en même temps croissent les forces productives qui les
satisfont. La liberté dans ce domaine ne peut donc consister qu’en ceci : l’homme socialisé, les
producteurs associés règlent rationnellement ce métabolisme(Stoffwechsel) entre eux et la
nature, le soumettant à leur contrôle commun au lieu d’être dominés par lui par une force
aveugle : ils l’accomplissent avec la moindre dépense d’énergie possible et sous les conditions qui
sont les plus dignes de leur nature humaine et qui y sont les adéquates. Néanmoins, cela reste
toujours un domaine de la nécessité. C’est au-delà que commence ce développement des forces
qui est à lui-même son propre but, qui constitue le véritable domaine de la liberté, mais qui ne
peut éclore que sur la base de cet empire de la nécessité. La réduction de la journée de travail est
la condition fondamentale.
Karl MARX, Le Capital, livre III. Hambourg (1894) éd. F. Engels
Texte 9
En fait l’élément libérateur de l’opprimé, c’est le travail. En ce sens c’est le travail qui est d’abord
révolutionnaire. Certes il est commandé et prend d’abord figure d’asservissement du travailleur : il
n’est pas vraisemblable que celui-ci, si on le lui eût imposé, eût choisi de faire ce travail dans ces
conditions et dans ce laps de temps pour ce salaire. Plus rigoureux que le maître antique, le
patron va jusqu’à déterminer à l’avance les gestes et les conduites du travailleur. Il décompose
l’acte de l’ouvrier en éléments, lui en ôte certains pour les faire exécuter par d’autres ouvriers,
réduit l’activité consciente et synthétique du travailleur à n’être plus qu’une somme de gestes
indéfiniment répétés. Ainsi tend-il à ravaler le travailleur à l’état de pure et simple chose en
assimilant ses conduites à des propriétés. Madame de Staël en cite, dans la relation du voyage
qu’elle fit en Russie au début du XIXe siècle, un exemple frappant : « Sur vingt musiciens (d’un
orchestre de serfs russes) chacun fait entendre une seule et même note, toutes les fois qu’elle
revient. Ainsi chacun de ces hommes porte le nom de la note qu’il est chargé d’exécuter. On dit en
les voyant passer : voilà le sol, le mi ou le ré de M. Narishkine. »Voilà l’individu limité à une
propriété constante qui le définit comme le poids atomique ou la température de fusion. Le
taylorisme moderne ne fait pas autre chose. L’ouvrier devient l’homme d’une seule opération qu’il
répète cent par jour : il n’est plus qu’un objet et il serait enfantin ou odieux de raconter à une
piqueuse de bottines ou à l’ouvrière qui pose des aiguilles sur le cadran de vitesse des
automobiles Ford qu’elles conservent, au sein de l’action où elles sont engagées, la liberté
intérieure de penser. Mais dans le même temps, le travail offre une amorce de libération
concrète, même dans ces cas extrêmes, parce qu’il est d’abord négation de l’ordre contingent et
capricieux qui est l’ordre du maître. Au travail, l’opprimé n’a plus de souci de plaire au maître. Il
échappe au monde de la danse, de la politesse, de la cérémonie, de la psychologie : il n’a pas à
deviner ce qui se passe derrière les yeux du chef, il n’est plus à la merci d’une humeur : son travail,
certes, lui est imposé à l’origine et on lui en vole finalement le produit. Mais entre ces deux
limites, il lui confère la maîtrise sur les choses : le travailleur se saisit comme possibilité de faire
varier à l’infini la forme d’un objet matériel en agissant sur lui selon certaines règles universelles.
En d’autres termes, c’est le déterminisme de la matière qui lui offre la première image de sa
liberté.
Jean-Paul SARTRE, « Matérialisme et révolution », in Situations III, 1949, Gallimard, pp. 197-199
Texte 10
Enfin, adressant la parole à Adam, Il lui dit : Puisque vous avez écouté la voix de votre femme
plutôt que m’obéir, la terre sera maudite à cause de vous : vous n’en tirerez de quoi vous nourrir
qu’avec beaucoup de peine. Vous mangerez votre pain
à la sueur de votre visage, jusqu’à ce que vous retourniez dans la terre d’où vous avez été tiré : car
vous êtes poussière, et vous retournerez en poussière. Ensuite il le chassa du jardin délicieux, de
crainte qu’il ne touchât au fruit de l’arbre de vie ; il l’obligea d’aller travailler la terre dont il avait
été tiré.
Après l’avoir chassé, il mit des Chérubins à l’entrée du jardin avec une épée foudroyante, pour
garder le chemin de l’arbre de vie. C’est ainsi que le péché est entré dans le monde par un seul
homme, et la mort par le péché ; et ainsi, tous les hommes ont été assujettis à la mort, parce que
tous ont péché dans un seul.
Abrégé de l’histoire et de la morale de l’Ancien Testament, Jean Desaint, 1729
Texte 11
L’homme est le seul animal qui soit voué au travail. (…) La question de savoir si le ciel ne se serait
pas montré beaucoup plus bienveillant à notre égard, en nous offrant toutes choses déjà
préparées, de telle sorte que nous n’aurions plus besoin de travailler, cette question doit
certainement être résolue négativement, car il faut à l’homme des occupations, même de celles
qui supposent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s’imaginer que, si Adam et Eve
étaient restés dans le paradis, ils n’eussent fait autre chose que demeurer assis ensemble,
chanter des chants pastoraux et contempler la beauté de la nature. L’oisiveté eût fait leur
tourment tout aussi bien que celui des autres hommes.
Il faut que l’homme soit occupé de telle sorte que, tout rempli du but qu’il a devant les yeux, il ne
se sente pas lui-même, et le meilleur repos pour lui est celui qui suit le travail.
Kant, Traité de pédagogie, in Eléments métaphysiques de la doctrine de la vertu, pp.218
Texte 12
Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je
vois la même arrière-pensée que dans les louanges des actes impersonnels et d’un intérêt
général : à savoir la peur de tout ce qui est individuel.
On se rend maintenant très bien compte, à l’aspect du travail – c’est-à-dire de ce dur labeur du
matin au soir – que c’est là la meilleure police, qu’elle tient chacun en bride et qu’elle s’entend
vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance.
Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires, il retire cette force à la
réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l’amour et à la haine, il place toujours devant les
yeux un but mesquin et accorde des satisfactions faciles et régulières.
Ainsi une société où l’on travaille sans cesse durement jouira d’une plus grande sécurité : et c’est
la sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême. – Et puis ! Épouvante ! « Le travail-
leur », justement, est devenu dangereux ! Le monde fourmille d’ « individus dangereux » ! Et
derrière eux, le danger des dangers – l’individuumm !
Nietzsche, Aurore, Mercure de France, 1900, pp. 191
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lun, 03/01/2021 - 19:39 fh glnkmjlkjyhugcxfghjkl:hfguiopplicfgyuipù
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