Vous êtes sur la page 1sur 25

1 ) Les voix de l'indicible

2) Les enfants miraculés

3) Le fardeau des enfants de nazis

4) L'impensable dialogue

5) Confrontation avec l'histoire

LE PRIX Albert-Londres 1996 a été décerné le 21 mai


1996 à Paris, à Annick Cojean, grand reporter au Monde,
pour une série de cinq reportages, " Les mémoires de la
Shoah ", réalisés aux États-Unis et en Europe et publiés
dans Le Monde du 25 au 29 avril 1995, à l'occasion du
cinquantenaire de la libération des camps d'extermination.

Les voix de l'indicible


Cinquante ans après le génocide plus de 3 000 rescapés ont accepté de témoign
devant les caméras de l'université Yale.

ELLE est assise sur un bout de canapé et la caméra tourne. Plein cadre sur son v
perçoit son souffle trop court, une tension à fleur de peau, de cœur, un nœud d'émo
nous échappe pourtant. Ses yeux éteints fixent quelque chose que l'objectif est inapt
Quelque chose qui l'isole à jamais : les images d'une autre vie. Les images d'avant sa m
de là-bas qu'elle parle, par-delà les décennies, risquant le dangereux voyage dans sa
l'improbable collision de son passé et de notre présent. La caméra ne quitte pas
sombres, mais c'est sa voix, calme, presque atone, qui nous indique le chemin.

1942, descente des nazis dans le ghetto de Kovno, en Pologne : cris, affolemen
embarquement dans des cars bondés. Et sur un terrain d'aviation, à quelques pas de
attente, premier tri de la population : d'un côté les hommes, de l'autre les femmes,
enfants. Son nouveau-né dans les bras, une jeune femme regarde autour d'elle, hagarde

Bessie K. Je tenais le bébé, et j'ai pris mon manteau, et j'ai emballé le bébé, je l'
mon côté gauche car je voyais les Allemands dire " gauche " ou " droite ", et je s
au travers avec le bébé. Mais le bébé manquait d'air et a commencé à s'étouffer et
qui était enfoui, indicible, mutilant. Quelques fragments d'elle-même, camouflés
couches de mémoire si profondes qu'elle les avait rendues inexplorables. Trop da
Douloureuses à l'extrême.

Elle dit, avec des mots très simples et avec son visage fané, ses frémissements, sa voix,
livres d'Histoire ne diront jamais de la Shoah. Elle impose sa douleur sur un
l'accumulation de discours politiques, de décrets administratifs, de notes, de chiffres, d
ont fini par édulcorer la réalité de la mort. Elle recentre l'Histoire sur le sort des vi
avaient toutes un nom, un passé, ébréchant, par ce morceau d'humanité, la
monstrueuse, inaccessible de la Shoah.

Et c'est bien là le but du programme d'archivage vidéo de Yale (Fortunoff Video A


Holocaust Testimonies) qui, depuis 1979, a déjà recueilli aux Etats-Unis, en Isra
plusieurs pays d'Europe dont la France plus de trois mille récits de rescapés du géno
Parce que l'histoire orale, dont se méfient traditionnellement les historiens est un
irremplaçable, affirme le professeur Geoffrey Hartman, qui supervise le projet. Pa
témoignage touche au plus près à la réalité du génocide, en montre toute la complexité
en établit les résonances dans le présent. Parce qu'il apporte des informations qui enri
connaissance conférée par le document écrit, mais plus encore que cela. "

Les rescapés, au fond, le savent mieux que quiconque, conscients de partager ensemble
aussi inouï qu'exclusif : celui d'une autre " planète " ; celui d'un monde qui échappe au
habituels de la recherche historique, hermétique aux normes ou aux valeurs com
admises, étranger à la raison des hommes, qu'ils n'ont jamais pu totalement quitter. "
on menait une double vie. "

Isabella L L. J'ai l'impression que ma tête est pleine d'ordures : toutes ces images,
mes narines, sont remplies de la puanteur de la chair brûlante. Vous ne pouvez pa
l'expérience ; c'est comme s'il y avait une autre peau sous la mienne et que c
s'appelait Auschwitz. Impossible à ôter, là à chaque instant... C'est vraiment plus d
on porte ça. Je ne suis pas comme vous.

Ils n'ont de cesse de le dire, obsédés par " l'anormalité ", incapables d'insérer l'exp
camp dans la chronologie de leur vie. Auschwitz ne constitue pas un épisode de leu
Auschwitz est " la " fracture. Dont on ne se remet pas.

Jacob K. (le mari de Bessie). On conçoit la vie comme une chose précieuse. Et puis
l'enfant auquel Bessie donne la vie est enlevé par les Allemands et tué. Mais qui som
superhumains, pour pousser cela de côté et dire au monde : " merci de nous avoir lib
puis c'est tout, on se lave les mains comme si rien n'était arrivé ? Je ne peux pas faire la
cela. Je ne peux pas (...)Est-ce que je fais partie de la communauté humaine ? Je ne croi

Parler. Parler pour témoigner de vies très chères qui ont été ôtées (beaucoup d
morceaux ; besoin de se délivrer des fantômes du passé, besoin de connaître sa vérit
pour pouvoir retrouver le cours normal de sa vie. C'est une erreur de croire que
favorise la paix. Il ne fait que perpétuer la tyrannie des événements passés, fav
déformation et les laisser contaminer la vie quotidienne. "

Mais parler seulement si l'on est écouté. " Le récit non écouté est un traumatisme aussi
l'épreuve initiale ", estime le docteur Laub, confirmant ainsi un cauchemar récu
déportés à l'intérieur des camps. C'est là qu'il faut comprendre le silence dans lequ
repliés tant de rescapés après la guerre, faute d'interlocuteurs attentifs, soucieux de le
et prêts à effectuer avec eux le voyage. " Je voulais tellement dire !, se souvient H
revenue orpheline à Paris. Tant de choses à raconter ! Personne ne voulait entendre. "
souffert, cela n'est pas la peine d'en parler ", me disaient certains, moins pour me pr
pour se protéger eux-mêmes. Alors je me suis tue. Et quand on me demandait d'où
numéro sur mon bras, je disais que j'avais été dans la marine, n'importe quoi... "

Les intervieweurs des archives de Yale, qui allient des connaissances en histo
psychologie, savent les risques de cette plongée en mémoire : l'inévitable confrontatio
questions existentielles que soulève l'expérience du survivant, l'idée de la mort, du
passe, de la perte des êtres chers, des liens entre parents et enfants, et de l'ultime s
savent aussi que leur discrète intervention, plus proche de l'accompagnement amic
questionnaire, fera d'eux les premiers " témoins " d'un événement qui, par sa natur
toute position autre que celle de bourreau ou de victime, n'en eut réellement auc
notion apaisante pour le narrateur, déchargé d'un statut ambivalent et asphyxiant. "
enfin la nécessité d'un investissement personnel et émotionnel dans la rencontre. Tém
parfois une si lourde décision.

Le professeur Lawrence Langer, de Boston, est probablement l'un de ceux qui con
mieux les archives vidéo de Yale. D'abord parce qu'il a lui-même réalisé un certai
d'entretiens, et puis parce qu'il en a étudié plusieurs centaines, fasciné par cette m
insomniaque " de la Shoah et la force intrinsèque de chacun des récits. Pas de " parco
ou " syndrome du survivant ", remarque-t-il, mais une collection d'expériences différe
les camps, selon le type de travail (à l'intérieur ou à l'extérieur), les possibilités d'accès
ou à un supplément de nourriture, la compréhension de l'Allemand, l'état de
connaissance du sort réservé au reste de la famille... " C'est l'idée même qui sous-tend
sur la mémoire, confirme Joane Rudof : Il ne s'agit plus de l'Histoire abstraite de 6 m
juifs, mais bien l'histoire d'1+1+1+1... "

Ni cliché ni message simpliste. Une sincérité criante, et même, souligne Larry La


détermination étonnante à " déromantiser " l'expérience du génocide. Pas de " hér
geste " héroïque ", lorsque les témoins parlent du camp. Aucune glorification person
expliquer la survie. Jamais d'envolée lyrique sur la " transcendance ", le " salut "
rédemption " par la souffrance qui, selon Langer, encombre si fréquemment les com
sur le génocide et éloigne de la réalité du mal. Encore moins de cet hommage " au tr
" Je veux vivre ! ", hurlait, devant Nathan A., la jeune femme rousse en s'agenouillant
du commandant du camp de Budzyn qui, en lui indiquant d'un geste la file de gauche
vers la chambre à gaz. Le commandant lui tira une balle dans la tête. Nathan, quator
éclaboussé de cervelle et de sang. Mais son père, qu'on avait dirigé vers la droite, s'appr
d'un garde et déclara fermement : " Je me porte volontaire pour aller à la mort avec m
Emmenez-le ! ", lui dit-on, et Nathan rejoignit son père dans la colonne de droite.

Une leçon ? Une prime au courage ou à la dignité ? Allons donc ! Personne ne pouvait
Plutôt une prime à l'arbitraire et à la tyrannie tant il est vrai que le résultat inverse
vraisemblable. Anna G. n'a-t-elle pas toute sa vie gardé le souvenir de cette pet
débattant entre trois SS qui l'emmenaient à gauche et suppliant sa mère de ne pas l'ab
laquelle refusa résolument l'offre de quitter " la bonne file " pour accompagner l'enfant

Il est des zones de mémoire plus sensibles, des souvenirs comme des brûlures, des sou
la limite du dicible. La vidéo enregistre alors un silence plus dense que le texte d'un g
C'est l'impuissance ressentie à la mort d'un parent que l'on tient dans les bras. C'est l
affolant de n'avoir pas triomphé de ce qu'ils peinent à appeler le hasard. C'est le
Hongrois débarqué à Auschwitz, dans un état de totale ignorance, avec des parents o
l'arrivée vers la gauche et ses quatre frères dirigés à droite.

Abraham P. Je me suis penché vers mon petit frère en lui disant : " Solly, va rejoi
et maman ". Et comme un petit bonhomme, il y est allé. Si j'avais su que je l'envoya
crématoire ! Je... J'ai ce sentiment de l'avoir tué. Je me suis demandé s'il avait pu
mes parents, je pense que oui. Il a dû leur dire : " Abraham m'a dit d'aller avec v
me demande ce que mon père et ma mère ont pensé, surtout quand ils sont rentrés
dans le crématoire... Je ne peux pas me retirer cela de la tête. Cela me fait si ma
sais pas que faire.

Impasse. Besoin de colère et de révolte. Mais contre qui ? Quel fautif ? Quel e
Enorme, monstrueux, l'antagoniste n'est même pas identifiable ", souligne Lawrence L
là, peut-être, l'explication de la fréquence avec laquelle les témoins affirment av
personne le sinistre Docteur Mengele (connu pour pratiquer des expériences sur les
diriger la sélection. " Au moins, ils ont un nom, un ennemi qui incarne le mal, un re
vers qui orienter leur haine. " Difficile, inavouable aussi, cette honte de soi pour l
d'actes pitoyables, ordinaires dans la vie du camp, et condamnables par la morale " hor

Hannah F. Une nuit, j'avais si faim que je ne pouvais pas dormir. Ma voisine, ave
j'étais devenue très amie on était cinq sur notre couchette sauvegardait pour
déjeuner une minuscule tranche de pain et un bout de margarine. Eh bien cette n
volé son morceau de pain, et je ne l'ai jamais avoué. Elle s'est levée le matin et a ju
un camionneur. J'en étais malade, très malheureuse, très désolée, parce que j'ava
qu'elle avait faim...
Moses S. : On était cinq, on l'a divisée et mangée...

Comment, sans raconter l'histoire, aurait-il décrit la cruauté, la folie, la déch


déshumanisation ? Les mots leur semblent fades, inutiles, pour évoquer les image
reviennent. Ils trébuchent sur ces mots devenus traîtres, ils soupirent, ils marquent une
se reprennent. Leur récit est plein d'accrocs. " Vous comprenez ce que je veux vou
s'enquiert plusieurs fois Hélène W., sceptique sur les capacités de son auditoire à la s
son voyage infernal. Peine perdue, semble penser la plupart. " Si quelqu'un me raco
histoire, je dirais : Elle ment. Parce que cela ne peut pas être vrai. Et c'est ce que vous
être vous dire. Parce que pour nous comprendre, il faut être passé par là. "

La solitude donc. Une solitude qui accable et fait parfois regretter " culpabiliser " de
morts là-bas, " logiquement ", avec le reste des siens.

Martin R.R., parlant de sa nouvelle vie. Le jour, je travaillais dur, j'étudiais, j'essay
de l'avant, et la nuit, je combattais les Allemands. Les SS me poursuivaient sans ces
j'essayais de sauver ma mère et ma sœur (toutes deux gazées à Auschwitz). Et je sa
bâtiment à l'autre et ils me tiraient dessus, et chaque fois, la balle traversait mon cœ

Mourir en rêve... Mais continuer de vivre. Et même donner la vie. Obsédé par l'Abs
sentiment qu'il n'y a personne que l'on puisse appeler pour partager sa joie ou sa triste
où l'on a un bébé. " Moi, dit Edith P. " je n'avais personne ". " Là-bas ", ici. " En ce t
aujourd'hui... Le témoignage télescope les époques et les sentiments, offrant sur le g
plus humain des documents. Il servira il sert déjà à des chercheurs, des histo
enseignants. Et il donnera à une poignée d'enfants les fragments enfin recollés d'un
familiale que leurs parents, jamais, n'avaient pu raconter.

Annick Cojean - Le Monde du

Les enfants miraculés


Ils n'étaient pas supposés naître, comme leurs parents n'étaient pas supposé
Pour les enfants des rescapés du génocide, la vie prend parfois des allures de m

LES nuits d'Anna Smulowitz furent longtemps harassantes. Mais c'était un secret entr
maman. Au petit matin, les yeux tristes et la mine pâlichonne, elle bouclait silencieus
cartable, et prenait en baillant le chemin de l'école, son secret cadenassé au plus prof
même. Le soir, elle traînait à rentrer, un œil inquiet vers le ciel de plus en plus obsc
Anna qui avait six, sept, huit ans, ne comprenait pas la moitié des histoires. Mais elle sa
avait des ennemis capables de choses atroces comme de vous enfermer toute nue dan
de chiens bergers. C'était arrivé à sa mère pour avoir craché à la face d'un SS. Anna a
cicatrices. Depuis, elle avait peur des chiens. Et de tous les trains.

Le matin, son père, pourtant si rassurant, s'enfermait seul dans la salle de bain et long
yiddish, s'adressait à ses parents, ses trois frères, ses quatre sœurs et sa jeune femme en
tous, avaient disparu à Auschwitz. Clouée devant la porte, Anna écoutait là encor
journée, plus personne ne parlerait de ces histoires. Anna garderait son secret avec le
de transporter une bombe.

IL lui faudrait attendre de nombreuses années pour apprendre que d'autres enfan
l'Holocauste partageaient ce sentiment. Qu'on leur en ait parlé ou non, qu'ils aient
accès aux livres ou aux photos, qu'ils habitent aux Etats-Unis, en France, en Allema
Israël : les enfants de rescapés de la Shoah ont toujours su qu'ils portaient en eux que
de terrible, d'énorme et d'explosif. Que l'innocence et la désinvolture ne leur é
permises. Pas plus que la médiocrité ou la couardise. Que le mal absolu avait existé, qu
frôlés. Et qu'ils aient eu la vie, après cet immense chaos, ne tenait qu'au miracle. Ils n'
supposés naître comme leurs parents n'étaient pas supposés vivre. Leur présence éta
aberrante et magnifique. Comme d'improbables petits bourgeons sur un chêne calciné.

Ils auraient voulu ne penser qu'à l'avenir, puisqu'ils étaient l'avenir. Mais c'était impo
passé phagocytait le présent, et les morts dont ils avaient hérité du nom étaient trop no
trop lourds pour ne pas les retenir dans un monde " entre deux ". Des centaines de
lesquels il n'y avait eu ni tombe, ni deuil, vivaient à travers eux. Leur vie n'était don
simple vie. Elle avait, leur semblait-il parfois, des allures de mission.

Anna
Anna" Adolescente, après avoir lu le journal d'Anne Frank et suivi à la télévision
d'Eichmann contre lequel ma mère avait dû témoigner, j'ai pu donner un visage aux
nocturnes de mon enfance et recoller les morceaux. Tout était donc vrai. J'ai re
colère formidable. Ma famille engloutie ? Comment était-ce possible ? Comment
pouvait-il être le seul survivant de huit enfants qui tous, avaient eu eux-mêm
d'enfants ? Pourquoi n'aurais-je jamais de grands-parents, de cousins ? Pourquo
fait cela ? Pourquoi ? Comme un phénix, moi j'étais née des cendres. J'étais la "
chance ". Et pour faire perdre Hitler, j'avais le devoir de triompher de la vie.

Mon père avait été cuisinier à Auschwitz et livrait les repas des nazis dans leurs
C'est dans l'un d'eux que travaillait ma mère, chargée de tenir à jour la liste des c
à mort. C'est par elle qu'il apprit que sa femme avait été gazée. Comme elle sut la
pour avoir tapé leurs noms et numéros, la mort de ses propres père et frère. Le ha
porter elle-même son repas à Eichmann, occupé à observer les fournées entran
chambre à gaz, le jour où son frère y pénétra. Quand elle retrouva et épousa m
Munich en 1946, ma mère était déjà détruite.
Moi j'ai fui dans l'écriture et le théâtre, couru à la recherche de mes racines, étudié
à Londres, le judaïsme en Israël, milité contre le racisme et la haine, écrit une
Theresienstadt. Il n'est de jour où je ne pense à l'Holocauste. C'est inscrit dans mes

Dans les os, dans le sang, dans le cœur... Ils ne trouvent pas assez de mots pour d
intimité avec la Shoah. Mais le docteur Martin Bergmann parle plus volontier
inconscient. Pour ce psychanalyste new-yorkais qui a traité plusieurs centaines de cas
de survivants, cela ne fait aucun doute : " Le traumatisme se transmet. L'emp
l'Holocauste dans l'inconscient des enfants est similaire à celle de leurs parents. " Pe
que ces derniers aient ou non raconté leur histoire. " Les enfants captent de toutes
message ". Les rêves se ressemblent de façon plus que troublantes ; les phobies, les
peuvent devenir les mêmes.

ANNE-MARIE LÉVINE, née en Belgique en 1938, au moment même où se dé


Allemagne la Nuit de cristal, s'est toujours sentie " hantée ". Il lui a fallu quarante
comprendre par quoi. Elle avait apparemment eu de la chance : ses parents et leur
belge avaient réussi à s'enfuir la veille même de l'invasion allemande. Destination : Bev
Sylvain, le père, avait de l'optimisme et de l'argent. Sous le soleil de Californie, la vie s'o

Anne-Marie " C'était comme vivre à Disneyland dans un soleil sans saison
rappelait l'Europe si ce n'est un poste de radio ondes courtes que mon père, je m'en
écoutait parfois. De l'Holocauste il n'était pas question, pas plus à la maison qu'à
personne ne savait où était la Belgique. Tout était irréel et mes parents, entre leur
leurs tableaux, menaient un exil heureux. J'étais la seule qui n'allait pas.

Chaque nuit, sans exception, me plongeait dans d'affreux cauchemars. Cela conste
parents. Mes angoisses n'étaient-elles pas incongrues dans la ouate de Beverle
J'étais l'erreur, la faille. La seule ombre au tableau. Ils voulaient oublier.
empêchais. J'avais hérité de peurs sans nom, et de leur inconscient. C'était diabo
n'est qu'à la fin de la guerre que mes cauchemars ont pris fin. Comme par mirac
juste sept ans.

Personne, pourtant, n'avait parlé de ce qui s'était passé. Quand on évoquait notr
Amérique, c'était sous forme rocambolesque, dépouillée de sentiments. Une suite d
amusantes. On accepte tout lorsque l'on est enfant. Je n'ai pas posé de questions
d'ailleurs que mes parents lorsqu'ils sont revenus en Belgique. La sœur de mon
morte avec sa famille à Auschwitz. Mais personne n'a rien dit. Moi seule, appa
restais hantée, inquiète, traquée. Je ne savais rien et je portais tout. Et je peinais à
dont pourtant je ne pouvais me rappeler. Il s'était passé quelque chose de terrible q
ébranlée, mais je ne savais pas quoi. "

Anne-Marie Lévine est devenue artiste, poète et pianiste concertiste. " Il fallait autre ch
de tant d'espoirs ; coupables de n'être pas à la hauteur des êtres disparus et idéalisés d
pris la place et qui deviennent parfois d'insupportables rivaux (" Mes vêtements, me
livres, me ramenaient à une petite cousine " sage comme une image " et qui avait ét
camp ") ; coupables de n'être point heureux (" C'était une obligation : j'étais en bonn
devais afficher pour ma mère l'image idéale du bonheur "). Coupables de réagir parfo
les autres enfants en chahutant, en désobéissant, oubliant un instant un passé qu
parents savent cruellement rappeler : " Petit Hitler ! Tu veux donc la mort de ton père

Le lien avec les parents est pourtant d'une force rare. " Au fond, l'amour qui nous u
seule certitude. La seule chose que j'ai jamais considérée comme acquise. Tout le reste,
la vie, peut nous être ôté à tout moment. " Liens solides, liens ambigus parfois.

David " Ils m'étouffent à me surprotéger depuis que je suis bébé. Impossible d'a
l'école ! Ma mère devait m'accompagner. Quand j'ai gagné le droit d'être seul, elle
à téléphoner chaque jour à une autre maman postée sur le chemin pour vérifier
passé dans les temps ! Et quand je revenais en retard, ils avaient téléphoné à
hôpitaux... Pourtant les apparences étaient trompeuses. J'ai toujours eu le sentimen
parent de mes parents. "

Denise " En entendant mon père gémir dans son sommeil, j'étais prise de rage et
de vengeance. Avoir un nazi, là, devant moi ; lui cracher dessus, le faire souffrir... E
voulu militer, devenir une combattante, manifester contre le Vietnam, embrasser
causes relatives aux droits de l'homme. C'est pour eux que je le faisais. Eux, moi...
plus très bien la distinction. On est un bloc. "

Stuart " Mon père à table ! L'air concentré et grave. Préparant chaque bouchée
taille et mâchant, ruminant interminablement, respectueux de chaque miette. Cela m
fou lorsque j'étais enfant. Aujourd'hui, cela me ferait pleurer de douleur et de tendr

Ariane " L'Holocauste me modèle, me fait juive. Je ne suis pas religieuse, mais
cette communauté de souffrance, comme ma grand-mère ou ma mère. J'aimerais qu
reste leur messager. "

Rares furent parmi les juifs allemands qui survécurent au génocide, ceux qui, après
restèrent vivre en Allemagne. Dans les années cinquante, on n'y comptait plus guère q
nombre de ceux qui y avaient vécu en 1933 ! Le père de Sabine K. était de ceux-là.

CAPTURÉ en 1942 par les Russes, il avait passé la guerre dans un camp de Sibérie. L
sa famille avait été exterminé. Quand il revint en 1946, la vérité lui parut invraisem
rouvrit son magasin près de Cologne et se mit à attendre un hypothétique retour : son
blond comme un aryen, ne pouvait pas avoir été gazé comme les autres. Il finit pour
remarier et fut à nouveau papa.
m'ait placée dans l'obligation de vivre sur la terre des criminels. Je faisais de m
pour ne pas me faire remarquer.

A dix-neuf ans, j'ai épousé un garçon très allemand. J'ai pris de la distance avec m
le judaïsme et mené une existence très allemande. Ce n'est que vers trente ans que
m'a manqué. J'ai écouté de la musique yiddish, compris combien mon identité jui
importante, repensé à l'Histoire, l'Holocauste, mes racines. Mon mari s'en est
quand mon père est mort, il m'a dit : " Maintenant, tu peux enfin quitter la com
J'étais sidérée. Il a rajouté : " Tu mets notre famille et notre fils en danger "
finalement séparés.

C'est étrange d'être ici, sur ce sol, de croiser des visages de vieux et de me dire : q
il il y a cinquante ans ? Pourtant je suis allemande, enfin, juive allemande
survivant ! Donc consciente du danger, l'antisémitisme n'a pas disparu. Il se pourr
parte quand mon fils sera grand. En Amérique. Pas en Israël. On y fustige les juifs
la guerre, ont choisi de vivre en Allemagne. "

Etre vigilants, insistent tous ceux qui sont restés en Europe. Ne jamais être pris
Disposer toujours de valises et d'un passeport valable. Réagir à la moindre manife
racisme et d'antisémitisme. Savoir que le pire est possible. Que tout peut recommenc
faire de l'Holocauste une nouvelle religion comme s'en inquiètent certains en garder la
Une mémoire avertie et sacrée.

Annick Cojean - Le Monde du

Le fardeau des enfants de nazis


Du rejet viscéral de leurs pères à l'exaltation d'une mémoire tronquée, l'attitude
et filles des criminels exprime l'angoisse d'être "nés coupables".

La sonnerie du téléphone dans un appartement de Munich et une voix grave au bou


Edda Goering à l'appareil ". L'usage allemand de se présenter en décrochant le com
explique l'objet de l'appel: une enquête sur la mémoire de la Shoah parmi les enfants
Je ne donne aucun entretien ", interrompt la voix fermement.

On formule prudemment quelques interrogations: les sentiments envers le père, la d


porter ce nom... " Je n'ai jamais eu de problème avec mon nom! Au contraire! C'est une fier
Goering, fille d'Hermann, maréchal du grand Reich, successeur désigné d'Hitler, mort
"...

CRIMINELS, les enfants de criminels? Criminels d'être liés, par le seul hasard de leur
à une tragédie initiée par leurs pères? Criminels ... d'être nés? Ou peut-on dire
Prisonniers d'un passé qu'ils n'ont en rien forgé, torturés par des condamnatio
englobent, englués dans cet " immense secret des familles " qu'ils doivent respecter sa
même être initiés ?

Aujourd'hui l'Allemagne parle. Le mutisme d'après-guerre s'est transformé en u


discours. On expose les photos et les preuves du crime; on parle des victimes. L'All
veut irréprochable sur le souvenir de l'Holocauste. Mais de ses criminels, il n'est jamai
" Comme si une bande d'extra-terrestres cruels et fous avaient un jour débarqué chez
perpétrer des crimes, avant de disparaître un 8 mai 1945 comme par enchantement!
Nathalie F., fille de militaire et petite fille d'industriel nazi. Des uniformes et emblè
dorment dans bien des greniers. Mais on ne connaît chez nous que des fils de vict
résistants! "

Et les autres? Où sont les fils des bourreaux d'Auschwitz ou de Treblinka? Les enfants
de la SS, des Einsatzgruppen ou de la Gestapo? Ceux des hauts dirigeants du régime,
et cupides, qui se pâmaient de leur familiarité avec le Führer? De quel bois ont-ils con
vie? Quelle place le génocide y occupe-t-il aujourd'hui?...

Journaliste à Stern, Niklas Frank parle avec une espèce de fureur de son père, Ha
gouverneur général de la Pologne, pendu à Nuremberg, le 16 octobre 1946.

Niklas Frank " J'avais sept ans quand il est mort et je n'ai pas pleuré. Nous
rendu visite dix jours plus tôt à la prison. J'avais compris qu'il allait mourir, on
que de cela à la radio ou à l'école. J'étais sur les genoux de ma mère, il était de
fenêtre. Il a dit: " Alors Niki, dans deux mois on fêtera Noël tous ensemble à la m
me disais: " Comment peux-tu encore me mentir? On ne se verra plus et tu me
seulement il avait avoué: "Niklas, je suis un criminel et c'est normal que je meur
impliqué dans tout cela. Et je regrette." Mais non. Il ne regrettait rien... Je le hais,
qui grille en enfer et m'obsède. Il n'est pas de jour où je ne pense à lui avec
impression d'être une marionnette dont il manipule encore les fils...

" Me croirez-vous? Même enfant, j'avais la conviction d'appartenir à une famille c


C'était confus, mais je savais, à la différence de mes frères et sœurs aînés qui on
refusé l'évidence. Très vite j'ai vu les photos des camps, à la Une des jour
montagnes de corps nus, des squelettes en haillons; et puis, vous savez, cette image
qui tendent leurs petits poignets pour montrer leur numéro... Ils avaient mon âge,
été enfermés tout près du château de Pologne où mon père accumulait son or et où
au petit prince avec ma voiture à pédales. La connexion était horrifiante.
aucune valeur. Et malgré les déclarations atroces qu'il a faites sur les Juifs, je crois
fichait et n'était pas un vrai antisémite. Si Hitler avait appelé à faire la même chos
Français ou les Chinois, il aurait fabriqué contre eux des discours enflammés en
Nietzsche, Schiller, Goethe, Corneille à la rescousse.

" Ma mère était aussi cynique et veule. Elle était folle des fourrures et partait en
dans le ghetto, accompagnée d'une escorte de SS, acheter pour une misère ces ca
que, décidément, ces Juifs savaient merveilleusement travailler". Elle se moquait b
crèvent. J'aurais dû lui demander des comptes après la guerre. Mais tout le monde
Adenauer n'avait-il pas répété: " Ne posez pas de question. Construisons un nouve
Cela les arrangeait bien, tous ces lâches et anciens criminels qui, sans avoir ch
pouce et pleins de nostalgie, retrouvaient leurs postes en attendant de toucher un
comme juges, gardiens de camps ou organisateurs de trains de la mort! Je le
caresser les cheveux: " Pauvre petit garçon dont le papa héroïque a été in
assassiné! " Je n'étais pas dupe. Mais cette version me procurait des avantages.

" Si vous croyez que la nostalgie du Reich a disparu! On a tout fait pour empêch
régime soit jugé, que les fils questionnent leurs pères, qu'on procède à un
introspection. On en paiera les frais! Heureusement que les médias du monde e
tiennent en étroite surveillance et s'émeuvent dès qu'un Turc est attaqué ou un cim
profané. Sinon, tout pourrait recommencer. J'aime le peuple allemand. Mais je n
aucune confiance..."

NÉE en 1943, Helga M. a vécu son enfance en pleine Forêt noire, loin de la vill
coupée du monde. Son père y faisait de menus travaux d'ouvrier forestier. En fait, il
Mais elle ne le savait pas. A la maison, il faisait régner la terreur. Il était grossier, violen
Il la violait. Il lui a fallu quarante-six ans et beaucoup de souffrance pour comprendre
un nazi.

Helga M M. " J'ai passé une partie de ma vie en aveugle et en sourde. Comme dans
Sans révolte, sans curiosité mais dans un état de détresse absolue. Il n'était jamai
de la guerre. Ni à la maison ni à l'école. Silence. Comme un grand trou. Je ne m'e
pas plus que mes quatre frères et sœurs. C'était ma vie. C'était normal. Mais je me
à aller très mal, à essayer de mourir, à faire des rêves atroces. Dans l'un d'eux, je v
maisons alignées, comme les cinq enfants de ma famille. Mais les fondations d
milieu je suis aussi l'enfant du milieu n'étaient constituées que d'un amas de crânes

" Devenue adulte, je suis allée si mal, qu'en désespoir de cause, un thérapeut
commun m'a suggéré d'enquêter sur le passé de mon père, mort en 1954. Des om
cadavres me hantaient, il fallait trouver d'où cela venait. J'ai commencé par aller
d'Histoire de Munich et ai découvert que mon père figurait parmi les membres des S
je suis allée consulter d'autres archives à Ludwigsburg. Un employé embarrassé m
un rapport effroyable où il était question de massacres de Juifs, d'enfants no
si tout était réglé, neuf et beau, sans comprendre qu'un drame non débattu ressu
tard. Je suis bannie dans ma famille, ma mère ne veut plus me voir. "Pourquoi n
oublier?" Mais comment oublier ce que je n'ai même pas le droit d'apprendr
allemande est souillée. Dans le train, je scrute les visages d'anciens: était-il crimin
il témoin?... Il n'y a plus aucune raison d'être fier d'être Allemand. "

C'est à Munich que l'on peut rencontrer Wolf Rüdiger Hess, fils unique de Rudolf H
chancelier nazi, confident d'Hitler et artisan des lois de Nuremberg de 1935 discri
Juifs. Il avait trois ans et demi, la 10 mai 1941, lorsque son père prit l'initiative pers
s'envoler vers l'Angleterre pour proposer à Churchill une " paix séparée ". Il en avait tr
ans lorsqu'il le revit à la prison de Spandau où le tribunal de Nuremberg l'avait condam
ses jours et d'où fut annoncé son suicide le 17 août 1987. Un choc terrible pour le j
qui avait remué ciel et terre pour le sortir de prison avant terme. Les mains dans les
son pardessus noir, le pas lent, Wolf Rüdiger Hess n'en finit pas de ruminer le
Nuremberg, imprégné des propos et milliers de lettres écrites par un père idéalisé. La
cache une rage douloureuse et haineuse. Le discours, lui, est sans équivoque, qui n'est p
reprendre le credo nazi et nie, avec cynisme, les faits les plus avérés concernant la Solu

Wolf Rudiger Hess " Niklas Frank est un cas médical. Sa haine de son père est
J'aime le mien, je l'admire, je le défendrai toute ma vie. Il a risqué sa vie pour la
les alliés ne l'admettront jamais. C'est pour cela que, malgré des demandes exp
monde entier, ils n'ont jamais accepté de le faire sortir de prison. C'est pour cela
maquillé en suicide son assassinat en 1987. Je le prouverai.

" Sa défense a été le sens de ma vie. Son courage, un legs de responsabilité. Et d'a
de ne pas gober la propagande alliée qui réécrit notre histoire. Je ne suis proch
parti et je trouve les skinheads abrutis. Mais j'affirme que l'Allemagne n'a comm
erreur: celle de perdre une guerre en germe dans le traité de Versailles. Hitler n'é
ni monstre. On le caricature, comme d'ailleurs toute la réalité du troisième Reic
d'une propagande insensée qui colporte les mythes les plus fantaisistes sur les ch
victimes et leur extermination. Les témoignages de rescapés? Vous ne trouvez pa
qu'il y ait autant de survivants après tout ce qui a été écrit sur l'efficacité nazie? ..."

ON ne reproduira guère l'argumentaire fallacieux de l'"ingénieur" Hess sur le fonct


"impossible" des chambres à gaz, glacé par la mauvaise foi négationniste d'un héritier d
qui s'inquiétera d'ailleurs quelques jours plus tard de ce que certains de ses propos, ne
pas "avec la version officielle", tombent sous le coup de la loi. Le récit de cette
désolera nos autres interlocuteurs qui conjurent à leur manière bien différente un hérit
infernal.

Heike Mundzezk, dont le père n'admettait pas qu'elle ose porter un jugement sur son
jeune sœur obnubilée par le passé SS de leur père et convaincue d'avoir " d
empoisonnées ". Le poison l'emporta sur l'espoir puisqu'elle s'est suicidée.

Annick Cojean - Le Monde du

L'impensable dialogue
A l'initiative d'un universitaire israélien, des rencontres entre enfants de bourre
enfants de victimes se sont tenues en Allemagne. Une expérience intense et dou
pour aller au-delà de l'incompréhension et de la haine.

DES enfants de nazis et des enfants de victimes se sont un jour rencontrés. Un dia
amorcé, courageux, impudique, malgré les sarcasmes et l'effroi de certains qui
l'indécence. Comme si un maléfice menaçait encore un tel rapprochement. Un proc
enclenché dont on ne sait encore où il mènera. Il n'est question ni de pardon ni d'oubl
de réconciliation. Simplement de mettre un terme à la haine.

C'est un Israélien qui a initié la rencontre. Un psychologue et universitaire, Dan Bar-O


parents ont quitté l'Allemagne suffisamment tôt pour échapper à l'enfer et conserver,
vision positive de l'humanité". Un praticien confronté néanmoins chaque jour au Génocide
culture de victime " dans un pays où plus du quart de la population a été, direct
indirectement, touché. La mémoire y scelle l'identité ; elle sert aussi de mise en gard
naïveté et l'endormissement ; elle ne dissuade ni haine ni vengeance.

Mais Dan Bar-On n'a pas hérité des œillères ni du regard manichéen sur le monde q
sans nuance bourreaux et victimes. Pour progresser dans la connaissance de la Shoah
séquelles, pour appréhender l'énormité du phénomène, il manque, selon lui, une pièce
du puzzle : la vision allemande. Alors il a recherché et interrogé des personnes dont
avaient pris part à la persécution et à l'extermination des Juifs. Puis, avec prudence,
toute discussion publique sur ce thème était encore exclue en Allemagne, il les a mis e
un groupe s'est réuni pendant près de trois ans. Et au cours d'une séance, il leur
l'impensable : une rencontre avec les enfants de victimes. " Ils avaient mûri, dit-il, et beauc
sur leur passé, leurs racines, les notions de culpabilité et de responsabilité allemandes. Pour progres
rencontrer l'autre côté ".

C'est aux Etats-Unis que " l'autre côté" fut bientôt prêt. Des enfants de rescapés émigr
guerre étaient peu à peu sortis de leur isolement pour former des groupes de dialog
label " One generation after " (Une génération après). Et puis, prudemment, certai
commencé à rencontrer des Allemands habitant dans leur ville, Boston, New Yo
Angeles... Dan Bar-On invita quatre d'entre eux à rencontrer les enfants de grands
Un matin de juin 1992, une petite délégation juive (certains venaient aussi d'Israël) pé
dans une salle du campus universitaire de Wuppertal. La tension était extrême. " Les b
de mon cœur, se rappelle Julie Goschalk, devaient s'entendre de l'extérieur. " Les
attendaient, alignés à l'autre bout de la pièce. Quelques- uns s'avancèrent spontanéme
serra la main d'un homme grand et mince dont le nom la glaça : Martin Bormann, fils.

IL fallut s'installer en cercle, prendre ses marques, croiser quelques regards timides, a
silence, l'embarras, en se tournant vers Dan Bar-On. " Parlons ", dit-il tranquillement
demanda de raconter chacun leur histoire. Cela prit trois jours sur les quatre que deva
rencontre. Un jeune médecin de Boston, dont la mère avait été retrouvée vivante, in ex
milieu d'une montagne de cadavres, le jour de la libération de Bergen Belsen, était stup

Samson MunnMunn. " C'était phénoménal ! Nous étions tous happés par le récit des uns et des autre
impliqués, submergés d'émotions, de sentiments contradictoires, de compassion aussi ; il n'y avait plus
différences ; nous venions des deux côtés de l'Holocauste et voilà que nous ne formions plus qu'un grou

Une jeune femme avouait n'avoir appris qu'à dix-neuf ans que son père, loin d'être, c
le pensait, un simple policier, avait en réalité commandé un Einsatzgruppen, ces group
appartenant aux SS, et était responsable de l'exécution de dizaines de milliers de Juifs.
née pendant la guerre, racontait avoir passé son enfance à attendre un papa séduisant,
au combat, et pour lequel elle avait coutume de garder une petite part de gâteau en cas
à l'improviste. C'est par accident qu'elle avait appris, à l'âge de quinze ans, qu'il était mo
heurta alors au mutisme de sa famille, et se mit en quête de documents, de livres, d
pouvant l'informer. Plus elle apprenait, plus sa détresse croissait. Elle chercha désespé
indice, un seul, qui put lui indiquer qu'il n'était pas tout-à-fait le diable. Mais elle dut ab
Et quand le groupe l'interrogea sur ce qu'elle avait ressenti en visionnant le film m
pendaison de son père, en 1946, elle déclara, avec une triste voix, que c'était une
rapide en considération des souffrances qu'il avait infligées à des dizaines de milliers de

Julie Golschalk
Golschalk. " C'était un tel choc ! Jamais je n'ai pleuré autant de ma vie. Nous pleurions d'
ensemble. L'Holocauste avait jusque là été " mon " affaire par le biais de mes parents. Il ne m'était
à l'esprit qu'il pouvait aussi avoir détruit la vie des enfants de ses ordonnateurs ! "

Samson Munn Munn. " Nous découvrions que nous avions davantage de points communs que de différen
l'incroyable ! Sur le problème des racines par exemple. Ces racines qui nous manquent car elles ont
nos grands-parents ; ces racines qu'ils rejettent car ils les sentent empoisonnées, au point, pour certains
d'être effrayés à l'idée d'avoir des enfants. Sur le problème de la confiance également. Les enfants de re
plus le droit d'être naïfs et accordent leur confiance avec prudence et parfois réticence. C'est aussi le ca
de nazis, qui doutent de leurs parents, de leurs voisins et probablement d'eux-mêmes... "

Lors d'une des nombreuses pauses nécessitées par l'intensité et la douleur de certaine
une femme s'est approchée de Julie et, un bras autour de son épaule, lui a dit avec
C'était un geste intime et douloureux, nécessaire pour chacun d'eux. La matière ic
brûlante pour supporter l'artifice ou la mise en scène. " lls " voulaient être ensemble
avoir besoin les uns des autres. Il n'y avait qu'ensemble, dit une jeune femme allema
pouvaient " ouvrir la boite noire".

Nathalie F. " Dire ce qui mine et détruit à l'intérieur de soi ; et le dire devant eux car il n'y avai
pouvaient nous donner la permission de parler et pleurer. Il n'y avait qu'eux qui pouvaient
culpabilité dans laquelle on s'enlisait. Continuer d'aimer des parents impliqués dans " tout ça " ne
de nous des complices ? Complices contre notre gré, mais donc aussi coupables ? Que faire alors ? T
honte de ce pays, notre colère qu'on nous ait légué " ça ", notre douleur d'être nés " là", de ces gens-là
de rescapés m'a pris la main en me disant qu'un enfant avait le droit d'aimer ses parents. Un Allem
jamais pu me dire cela. Cela m'a sauvée. "

Anna Smulowitz. " Quand j'avais huit ans, j'avais écrit dans mon journal que j'irais un jour en
leur dire à eux tous, là-bas, le mal qu'ils avaient fait à mes parents. Ce serait ma terrible revanche. J
un sens. Des Allemands ont pleuré en écoutant mon histoire. Et ce fut un réel soulagement de savoir
au moins, là-bas, ne pouvaient pas tirer un trait. Mon mal les ronge et nous réunit. On a besoin
autres. D'ailleurs ne sommes-nous pas les seuls, sur terre, à avoir toujours besoin de parler de l'Holoca

LEURS terreurs de la première rencontre les font maintenant sourire. En s'apercev


l'avait placée dans l'avion à côté d'une jeune Allemande " au look si parfaitement ar
rendant au même séminaire, Anna tignasse brune bouclée et rondeurs généreuses exh
complexe avait paniqué et s'était inventée une brusque allergie à une place côté aile p
un autre siège. Lucila N., née en Argentine de parents rescapés, craignait tout simplem
bombe posée en représailles à une réunion sacrilège y mette prématurément un term
n'était rien par rapport aux craintes de certains Allemands posant pour la première foi
en Israël : quelques uns craignirent d'être identifiés et pris à parti ; d'autres fantasmèr
possible attentat terroriste, estimant que " mourir à la place d'un Juif ne serait aprè
justice "...

Il fallut également passer outre un sentiment de trahison à l'égard de leurs familles. " E
je trompe la confiance de mon père, rescapé d'Auschwitz, et de ma mère, cachée pen
la guerre en Tchécoslovaquie, en rencontrant la semence de l'ennemi ? ", se demand
Mais elle se reprenait : non bien sûr, ceux qui voulaient lui parler ne pouvaient être que
" Allemands. N'empêche : elle se promettait de garder ses distances et de ne jamais
croire " que le pardon du passé soit possible"...

L'expérience a pourtant ses limites. A Stuttgart, un groupe, alors à sa deuxième renco


deux doigts d'exploser quand les membres juifs découvrirent qu'Otto-Ernst, le vieil h
peu timide qui leur avait servi le thé était un ancien SS.

Anna Smulowitz. " J'aurais pu le tuer ! J'étais devenue enragée ! Aucun d'entre nous n'avait é
C'était un coup bas ! J'ai hurlé, je l'ai insulté ! Crié ma haine et mon dégoût ! Les autres Allemands
sur cette période comme je l'ai été moi-même quarante ans. On a mis nos photos dans une boîte, o
enfants qu'on a élevés durement, imprégnés des valeurs autoritaristes et concentrés sur la recon
travaillant quinze heures par jour pour ne pas penser. Il faut que les hommes de mon âge se réve
parlent enfin à leurs enfants et petits-enfants ; qu'on essaie de comprendre au moins ! Qu'on r
questions ! Qu'on apprenne à nos jeunes que " discipline-ponctualité-propreté" est une escroquerie a
vraies valeurs que sont l'ouverture aux autres et le respect des différences. Il faut leur apprendre à avo
de dire non, de sortir du groupe, de penser toujours par eux-mêmes. "

Ces connexions exigent des sacrifices et, lorsqu'ils les rendent publiques, exp
agressions. Une table ronde publique se révéla sans pitié, en Israël, pour les enfant
Anna, qui avait eu l'audace de raconter chez elle, aux Etats-Unis, sa rencontre apaisée
fut copieusement insultée : Comment osez-vous ? Et dans les vestiaires de l'école où p
enseigne, quelqu'un dessina des croix gammées. Aucun d'entre eux, pourtant, n'au
d'arrêter. " Le groupe ", disent même certains, est devenu la chose la plus importante d

Quelques membres se contenteraient de ces rencontres d'amitié qui les apaisent comm
thérapie n'avait encore pu le faire. D'autres veulent aller plus loin, plus vite, pressent
n'y a pas de programme planifié, dit Dan Bar-On qui poursuit l'expérience avec so
groupe. Nous n'avons pas de croisade. Je ne suis pas un politicien. Mais quelque chos
cette entreprise très risquée. Une force, le courage de parler et de l'espoir. "

BEAUCOUP d'entre eux vont maintenant dans les écoles, participent à des tabl
prennent la parole dans des clubs, musées, manifestations. Martin Bormann prépare, à
des professeurs allemands et à partir de textes nazis (dont les lettres de son père), une
la manipulation de la langue à des fins de propagande. Invitée par l'institut Fritz
Goschalk va venir en Allemagne animer un séminaire à l'intention des psychothérap
mal à l'aise pour aborder la Shoah sur " La famille et l'héritage du Troisième Reich
Munn, lui, travaille depuis des mois à l'organisation d'une rencontre, à Vienne, en
rescapés gitans et juifs et fils de nazis autrichiens. L'héritage, dit-il, y est encore plus pe
Allemagne.

" Connaissez le mythe américain des Hatfield's et des Mc Coy's ? Ces deux familles voisines, du sud
se détestent depuis des décennies sans qu'elles se souviennent exactement pourquoi ? Eh bien nous, on
Mais on ne veut pas se détester. "

Annick Cojean - Le Monde du

Confrontation avec l'Histoire


Des chambres à gaz construites par des ingénieurs instruits. Des enfants empois
des praticiens éduqués. Des nourrissons tués par des infirmières entraînées. Des
bébés exécutés et brûlés par des diplômés de collèges et d'universités. Je me méfi
l'éducation.

Ma requête est la suivante : aidez vos élèves à devenir des êtres humains. Vos
doivent jamais produire des monstres éduqués, des psychopathes qualifiés, des
instruits.

La lecture , l'écriture, l'arithmétique ne sont importantes que si elles servent à r


enfants plus humains."

Margot Stern Strom fut bouleversée par ce message. Professeur d'histoire dans un co
banlieue de Boston et poursuivant une formation d'enseignante à Harvard, la jeu
s'interrogeait sur son métier au regard de sa propre scolarité. Elle avait été élevée à
dans l'État du Tennessee, à une époque où la ségrégation raciale était encore légale. U
où les enfants noirs n'avaient accès au zoo qu'une fois par semaine ; où leurs bibliot
recevaient que les livres abîmés dont ne voulaient plus les autres ; où les petits écol
étaient sûrs de trouver des sièges vides à l'avant des bus, quand les gens " de
s'entassaient, debout, tout au fond. Mais, de cette situation d'injustice, l'école n'ava
L'Histoire s'apprenait comme une suite de dates et d'événements aussi " inévitab
lointains et n'appelait nullement à la réflexion sur de possibles résonances dans
L'école donc, ne remplissait pas sa mission.

L'Histoire, pensait Margot Stern Strom, était pourtant le terreau idéal pour exercer l'i
des adolescents, ces " graines de philosophes ", sensibles aux notions de justice, de c
liberté, et toujours prêts à débattre. L'Histoire devait servir à observer le monde d'a
avec plus d'acuité et plus de vigilance. Et s'il était un événement majeur, unique, dans
de l'humanité, qui exigeait non seulement d'être enseigné en classe, mais qui se prêta
sortes de réflexions sur la responsabilité civique, la morale, le conformisme, la libert
Shoah.

Aucun programme aux Etats-Unis ne prévoyait cet enseignement ? Margot Stern Stro
créer un. Avec un de ses collègues, puis l'aide d'une bourse du gouvernement fé
travailla longtemps à définir des principes et une méthode d'enseignement sur le génoc
en 1976 Facing History and Ourselves, FHO, (Affronter l 'Histoire et nous-m
organisme sans équivalent qui a déjà formé plus de 30 000 professeurs et touche
chaque année un demi-million d'élèves.

LA bâtisse de briques rouges est sympathique. Située à la périphérie de Boston et donn


e place abritée, on dirait une école, avec sa cour de récré. Mais les bureaux de FHO n'y
encore que deux étages et, si des groupes d'enfants y défilent chaque jour, le nombre
reste sensiblement plus élevé. Pédagogues, historiens, psychologues, docum
Sa vocation initiale était pourtant plus limitée : initier les professeurs de collège à un
d'enseignement sur la Shoah étalé sur une douzaine de semaines. Une vocation en
credo dans les vertus pédagogiques de l'Histoire et de ses connexions avec le monde
ainsi que dans la formation de l'esprit critique des enfants, afin d'en faire des citoyen
dans leur société. Postulat préalable : l'Histoire n'est pas inéluctable. Elle est le fruit d
de décisions humaines, de choix dont les auteurs ont à peine conscience mais qui eng
responsabilité. Choix complexes, ambigus. Mais l'étude du III Reich n'exige-t-elle p
élèves renoncent à une vision trop simplificatrice de la société allemande, et notamm
nazis ?

Ilse Koehn
Koehn. " La vie est toujours plus compliquée qu'on ne le pense. Derrière
scintillants de ceux qui avaient l'allure de robots totalitaires, se tenaient des homm
femmes, divers et variés, certains courageux, d'autres lâches, certains dénués de
d'autres avec une forte personnalité, et tous très humains. "

Terminé également, le mythe d'une histoire se résumant à une poignée de dates illu
secousses aussi brutales que spectaculaires. L'engrenage était plus subtile, enseigne F
piège autrement dangereux.

Un professeur allemand
allemand. " Si la dernière et la plus terrible des mesures pri
régime était intervenue juste après la toute première et la plus inoffensive, des m
gens auraient été scandalisés ! Par exemple si le gazage des Juifs était
immédiatement après la pose des étiquettes " magasin allemand " à la vitrine des c
non juifs en 1933 ! Mais évidemment, ça ne s 'est pas passé comme cela. Dans l'in
y eut des centaines de petites marches, certaines imperceptibles, mais chac
préparant à ne pas être choqué par la suivante. La marche C n'est pas tellement p
B, et si vous n'aviez pas réagi à la B, pourquoi le feriez-vous à la C ? Puis à la D ?

Le message est explicite, perçu comme un appel à la vigilance. La pente peut être
l'escalade subtile : aux jeunes de rester attentifs au moindre signal de leur communauté
déceler aujourd'hui ce qui pourrait être la " petite marche fatale " : les signes les plu
d'intolérance ou d'injustice, les stéréotypes racistes dangereux, les gestes d'exclusion, le
langage, y compris en classe. Car c'est bien dans les dix années précédant le génocide
lire l'enchaînement infernal qui conduisit à la solution finale. Dix années, dont FHO ap
l'étude avant d'aborder la Shoah.

Mark Skvirsky. " C'était encore l'heure des choix : voter ou non pour le pa
dénoncer ou non l'atteinte aux libertés ; accepter ou non le boycott des Juifs ; met
ses connaissances (médicales, scientifiques) au service des tragiques desseins d'H
c'était bel et bien une option) ; préférer privilégier son amb ition à son sens de la ju
l'inverse... La notion de choix, donc de responsabilité, est essentielle dan
cheminement. Les adolescents doivent comprendre qu'eux aussi sont chaque jour en
" Je retenais ma respiration pendant qu'il précipita le premier volume dans les flammes : c'était co
quelque chose de vivant. Puis les étudiants ont suivi avec des brassées de livres, pendant que des écoli
dans le micro leur condamnation de tel ou tel auteur, la foule huant et sifflant chaque nom. On senta
venin de Goebbels... "

Les livres seraient donc subversifs ?, demande-t-on aux élèves. Quels livres ? Quel
Qu'appelle-t-on endoctrinement ? Quel effet cela a-t-il pu avoir sur les livres à venir ?
auriez-vous réagi ? Des questions infinies pour obliger l'élève à se mettre dans les
situations, s'imprégner du contexte. Puis émettre un jugement. La solution finale n'e
au fond qu'après une longue préparation et à l'aide de grands textes, de témoigna
enregistrés à l'université de Yale (notamment un étonnant montage d'entretiens d
hollandaises ayant eu l'âge d'Anne Frank et permettant de suivre, étape par étape, son
dans la lignée de son journal interrompu) ou, lorsque c'est possible, lors d'une renco
classe avec un ou une rescapé des camps. Rencontre précieuse, incomparable, pour
pleins de respect puis de tendresse pour leur visiteur et qui, souvent, amorcent avec lui
bout de correspondance...

Mais l'après-Shoah ne saurait être négligé, et les grands procès de criminels nazis conf
élèves aux notions de culpabilité, revanche, réparation, responsabilité collective et in
crimes de guerre. Certaines lectures judicieusement recommandées permettent d'al
plus loin en incitant les élèves à s'interroger sur le bien fondé du recrutement d'ancien
les alliés, la justification des camps créés aussi par les Etats-Unis pour parquer le
japonaises vivant sur leur territoire, ou le procès de Pétain et Laval...

Enfin, sans craindre d'aborder l'histoire américaine, le douloureux héritage de l'es


problème des relations entre les communautés noire et blanche aux Etats- Unis, le gé
nations indiennes, la propagande du Ku Klux Klan, FHO interpelle directement les étu
leur capacité à échapper au conformisme et à interven ir, quelles que soient les circ
pour la défense des valeurs démocratiques qui ne sont jamais acquises pour toujours e
racisme. Penser par soi-même, en dépit des autres, voire contre le groupe. Ne jamai
injustice. Ne pas être de ceux que fustigeait Albert Einstein dans une phrase célèbr
exergue par le manuel de Facing History: " Le monde est trop dangereux à vivre pas à cause
font le Mal mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire ".

Plus " humains ", les enfants de Facing History, comme le souhaitait le proviseur dont
avait tant impressionné Margot Stern Strom, il y a vingt ans ? Plus vigilants, à l'évidenc
être plus actifs. Plusieurs études indiquent en effet que les élèves ayant suivi un tel p
sont plus enclins à accepter, voire à demander davantage de responsabilités dans leur
s'engager dans des activités bénévoles à l'extérieur. Tous semblent suivre avec une att
neuve les informations venues de Bosnie ou du Rwanda. A Los Angeles, une classe d'a
s'est proposée de préparer elle- même un cours de sensibilisation au racisme à d
d'élèves du primaire. Une quarantaine d'étudiants se sont également portés volont
aider, chaque samedi, des immigrés latinos à remplir les formalités administrati
Massachusetts, un groupe de filles a entrepris d'écrire aux élus, journaux, entreprises l
battre, sans formule miracle. Elles en ont parlé volontiers, admettant que le corps p
allemand était loin d'avoir réglé son appréhension à enseigner le génocide, chaque
entretenant avec le sujet une histoire personnelle et intime.

Inscrit dans les programmes des différents LÄnder, le sujet ne peut cependant plus
dans les écoles, la tendance actuelle allant vers une personnalisation de l'Histoire et un
rapprochement vers le passé. " Sort ir de l'abstraction qu'affectionnait tant le nazis m
Angelika Rieber; se réapproprier notre Histoire d'avant la rupture, retrouver les v
souvenirs, les racines de notre communauté explosée. " Comme preuve de leurs effo
trois ont apporté l'ouvrage qu'elles ont réalisé sur le passé recomposé.

Angelika a longuement interrogé et invité dans son école des rescapés du pogrom de
1938 à Francfort ; Inge Naumann a reconstitué avec ses élèves l'histoire de so
Wiesbaden, au temps du national socialisme, en s'intéressant particulièrement au sort
juifs. Quant à Monica Kindgreen, elle a passé dix ans à reconstituer l'histoire de la co
juive du petit village dans lequel elle avait un jour emménagé. Avec patience, elle
photos, documents, témoignages, adresses, remuant souvenirs et histoires dans la com
qui ne voyait vraiment pas où elle voulait en venir et redoutait qu'elle veuille rebaptiser
Juifs " la ruelle qui, d'un commun accord, avait été appelée, il y a plus de cinquante an
de la Brasserie ". Enfin, après avoir remué ciel et terre, elle a invité dans le village le
Juifs rescapés qu'elle avait retrouvés aux quatre coins du monde. C'était en juillet et le t
à la fête. La mairie avait sorti ses drapeaux, ses fleurs, ses bouteilles. " Ils " allaient ar
d'un demi-siècle après, dans le village d'où ils avaient été chassés. A la dernière minut
avait eu une frayeur : la salle était si grande ! Elle pourrait faire si vide si le village
restait calfeutré...

Allons ! Ils sont venus par dizaines, endimanchés et entourés d'enfants, avec des ca
sourires, des photos jaunies et des fleurs. Et l'on posa joyeusement à côté des revena
temps, la Rue de la brasserie avait été rebaptisée " Rue de la synagogue ".

Vous aimerez peut-être aussi