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Gil Tchernia ne sait pas qu’il est juif quand, à l’âge de 5 ans, il est arrêté avec sa mère et son

frère.
Quand ils sont emprisonnés à Drancy, sa niche affective change peu, puisque dans ce milieu
inquiétant il garde le contact avec une mère médecin, forte, chaleureuse et sécurisante1. Peut-être
même que, dans ce contexte étrange où de nombreuses personnes manifestaient des signes
d’angoisse, l’attachement pour sa mère était activé ; son pouvoir sécurisant était plus que jamais
nécessaire. Quand, à la fin de la guerre, Gil retrouve sa famille, elle a traversé la guerre sans trop de
blessures, ils ont surmonté une épreuve et n’ont pas subi un traumatisme, ils sont restés eux-mêmes,
ont affronté l’adversité et pris conscience que leur solidarité a renforcé l’attachement.

J’ai entendu le mot « juif » pour la première fois la nuit de mon arrestation. J’avais 6 ans. Il n’y avait
plus de famille autour de moi. Mon père s’était engagé dans l’armée française (régiment de marche
de volontaires étrangers). Les jeunes et les femmes étaient entrés en résistance chez les FTP-MOI2.
Et le reste de ma famille était déjà à Auschwitz. Il n’y avait aucune base de sécurité autour de moi. Ce
fut un vide affectif total, une mort imminente qui a duré jusqu’à la Libération. Mais un énorme
facteur de protection m’a été offert : une niche sensorielle sécurisante composée par une cascade de
Justes qui se relayaient pour me protéger. La sensation de mort imminente était extérieure à cette
niche, dans le monde des nazis et de la Gestapo que je considérais comme des traîtres non français.

Paradoxalement la souffrance traumatique est survenue après la guerre, pendant plusieurs années
d’isolement, d’enfermement, de brisures relationnelles, de changements répétés d’institutions
parfois maltraitantes qui rendaient impossible le tissage d’un lien. Dans ce fracas j’ai rencontré
quelques braises de résilience : le courage et la générosité des Justes dont Marguerite Lajugie
(Margot Farges) fut le pilier affectif et protecteur. Jusqu’à ce que Dora, la sœur de ma mère disparue
à Auschwitz, m’offre à son tour une stabilité affective. J’étais alors âgé de 10 ans, ma personnalité
s’était construite dans ce chaos social. Une série de déchirures l’avait rendue brinquebalante, parfois
gaie et bavarde, souvent sombre et muette. Impossible d’en parler. Le silence évitait la souffrance et
l’incompréhension, mais, en me protégeant ainsi, il empêchait la résilience. Il m’aidait comme un
plâtre sur une jambe cassée : ça soigne, mais ça empêche de marcher.

La seule permanence qui restait dans mon âme était celle de la rêverie. Puisque les mots parlés
n’étaient pas entendus, les mots écrits me permettaient de réfléchir à ce qui m’était arrivé. En
m’adressant au lecteur bienveillant qui saurait me comprendre, je m’exprimais, je lui parlais à
bouche fermée. En donnant forme à la tragédie, j’en maîtrisais la représentation. C’est moi qui
désormais reprenais en main, reprenais en mots, le fracas qui avait détruit ma famille, m’avait
dépersonnalisé et chassé de la culture

Voilà, me direz-vous, il suffit d’écrire pour ne plus être malheureux. Méfions-nous des explications
trop claires : en simplifiant les images, elles arrêtent la pensée. Puisqu’il est écrit que la proximité
sécurise et que la séparation angoisse, il suffirait de placer autour de l’enfant blessé deux ou trois
adultes pour que tout aille mieux. Ce n’est pas suffisant, il faut surtout que cette présence soit
accessible à l’enfant. Un corps mort n’est pas sécurisant, une mère perdue dans sa brume intérieure
n’est pas une présence puisqu’elle ne répond pas au besoin d’attachement de l’enfant. À l’inverse, je
connais des mères absentes dont l’enfant est fier. Pour elle, il dessine un cœur ou écrit un poème
qu’il espère lui donner à son retour. Elle n’est pas dans le contexte physique, mais elle vit
intensément dans le psychisme de l’enfant où elle compose une « image identificatoire qui le
sécurise4 ».
Une mère peut être physiquement présente et sensoriellement absente quand elle n’interagit pas
avec le bébé. Placé dans un home d’enfants, Martin vivote. Il est mauvais élève puisqu’il n’a pas pu
acquérir le plaisir d’apprendre. Ce sont des employées de maison qui ont réveillé l’intellect de
Martin : « Mes parents restèrent pour moi des étrangers11. » Quand il revient chez lui, sa mère
chasse les nurses, qui l’importunent. Son père bat l’enfant en présence d’Alice, qui le laisse faire. Le
petit demande à aller en internat, où il rencontrera des amis, se sentira en sécurité et reprendra un
bon développement : « Je m’y sentais plus libre qu’à la maison. » Sauvé par des étrangers, c’est dans
son foyer parental que Martin se sent étranger

J’ai donc fait une enquête et j’ai découvert sans peine que Milosevic n’a jamais été battu, j’ai
rencontré au Proche-Orient de nombreux circoncis qui souhaitaient la paix, j’ai accompagné des
enfants maltraités qui m’ont expliqué que le slogan « un enfant maltraité deviendra un parent
maltraitant » les avait désespérés. Tim Guénard, incroyablement battu, m’a dit que ces mots lui
avaient fait plus de mal que les coups de son père12. Depuis qu’on entoure ces enfants au lieu de les
abandonner à leur sort, ils ne répètent plus la maltraitance13. Si Alice a répété la négligence affective
dont elle a tant souffert, c’est parce qu’elle n’a jamais été soutenue. Personne ne l’a aidée à
déclencher un processus de résilience, ni sa famille qui la rejetait, ni ses amis qui la fuyaient, ni sa
mère qui la détestait, ni la psychanalyse, devenue selon elle une secte dogmatique avide de pouvoir.
Seule, elle se sentait soulagée. Elle s’est réfugiée dans l’écriture ou plutôt dans un soliloque
enregistré, puis dans Internet où les communications se font sans aucune relation : « Son
traumatisme n’a jamais été travaillé14. »

En fait, Alice répondait à un modèle interne opératoire19. Quand un style d’interaction devient
inaccessible à la conscience tant il est automatique, il tisse un attachement pathologique qui résiste à
tout changement. La mère se méfie de l’enfant qui se méfie de la mère. Chacun renforce l’autre sans
se rendre compte qu’il participe au tissage d’un lien évitant qui empêche le plaisir de la rencontre.

Alice n’avait pas tort, ses travaux ont joué un grand rôle dans la protection des enfants, mais elle
a fait de son écriture un coffre-fort, un tombeau où elle s’est enfermée. Les suicides ne sont pas rares
quand on est prisonnier du passé et qu’un seul thème, une seule image d’horreur, s’empare de notre
âme. Alice ne s’est pas suicidée, mais pour son dernier combat, elle a refusé de se soigner, elle a
consenti à la mort.

Samobójstwo nie jest rzadkości kiedy człowiek staje się więźniem przeszłości i gdy jeden temat, jeden
obraz koszmaru, zawładnie naszą duszą.

Primo Levi s’est-il suicidé ? Entraîné par une souffrance de plus en plus grande, par une rumination
du passé, il est « tombé » dans sa cage d’escalier. On tombe dans les escaliers, mais comment fait-on
pour tomber dans la cage ? Bruno Bettelheim, lui, s’est clairement suicidé. L’écriture l’avait aidé à
survivre24, mais il a été emporté par un désir de mort qui le torturait déjà bien avant sa déportation.

Paul Celan25, Sarah Kofman26, contraints à l’écriture pour comprendre et moins souffrir, en ont fait
un facteur de protection. Pour en faire un facteur de résilience, il aurait fallu qu’ils s’en servent pour
construire un nouveau développement. Ce ne fut pas le cas. Figés dans leur passé, ils ne sont pas
sortis de leur tombeau psychique.
Paul celan i Sarah Kofman zmuszeni do pisania aby zrozumieć i mniej cierpieć, ucznili z niego czynnik
ochronny. Aby uczynić z niego czynnik rezyliencji, trzeby byłoby posłużyć się nim aby stworzyć nową
możliwość dla rozwoju. To nie był ten przypadek. Zamknięci w swojej przeszłości, nie wyszli z grobu
psychicznego.

Hervé Bazin a écrit pour se venger27, Schwarz-Bart pour changer l’image du Juif-mouton28, Genet
s’est réfugié dans les mots pour en faire des armes érotiques29, Depardieu a cherché des porte-
parole pour sortir de l’inculture30 ; ceux-là ont repris un autre développement, mais, tant que la vie
n’est pas terminée, le combat reste à mener.

Comment serait le monde, si nous n’avions pas de mots pour le voir ? Dès que nous devenons
capables de faire un récit, nous quittons le monde perçu pour habiter un monde parlé et éprouver les
sentiments provoqués par ces représentations.

Odkąd jesteśmy w stanie stworzyć opowieść, opuszczamy świat postrzegalny, aby zmieszkać w
świecie słów i doświadczać uczyć wywoływanych przez ich reprezentacje.

L’imaginaire enfantin a besoin qu’on lui présente des animaux, des plantes, des étoiles et d’autres
petits enfants, soumis comme lui aux gentils et aux méchants. L’imaginaire adolescent se remplit de
récits sexuels et sociaux, comment conter fleurette, comment faire évoluer son groupe culturel.
L’imaginaire adulte se nourrit de théories familiales et sociales. Et l’imaginaire âgé écrit des
mémoires qu’il espère léguer à ses enfants. Ces récits inévitables s’alimentent de fragments de réel
qui construisent un imaginaire. Faire un récit, c’est révéler l’intention organisatrice de celui qui, en
parlant, désire agir sur l’esprit de celui qui écoute. Désormais le monde est clair : nous voyons le
monde qui a été mis en mots. Quand, par bonheur, nous habitons des récits de même famille, nous
pouvons vivre ensemble, nous nous comprenons.

Tworzenie opowieście, to przejaw zmiaru organizacji, tego, który, mówiąc, chciałby oddziałać na
umysł tego, który słucha. Odtąd świat jest jasny: widzimy świat ułożony w słowa. Kiedy, szczęśliwie,
zamieszkujemy opowieści tego samego typu, możemy żyć razem, rozumiemy się wzajemnie.

Ce qui revient à dire que tant qu’un enfant ne débarque pas dans le monde des mots, il reste soumis
aux stimulations du contexte. En se développant, il visite des mondes différents où il découvre
d’autres mentalités et d’autres cultures. Dans cette recherche, le jeune adulte est aidé par les
romans, les films et les essais qui proposent d’autres arrangements de récits. Ce que nous appelons
« fiction » est un mot taquin, une tromperie, une feinte, un artifice de littérature ou de cinéma qui
donne une forme réelle à notre imaginaire. En bousculant nos représentations, la taquinerie
fictionnelle nous invite à réaménager nos connaissances, comme une création incessante.
L’antonyme de « fiction » n’est donc pas « réel », ce serait plutôt « slogan », quand une formule
pétrifie la pensée sous forme de certitude. La récitation d’un slogan nous unit pour mieux nous
soumettre. Alors que la fiction, en nous décentrant de nous-mêmes, nous invite à visiter d’autres
mondes mentaux, à agencer différemment des segments de réel, à calculer d’autres hypothèses. Le
travail de la fiction est une sorte de manipulation expérimentale du réel.

Antonimem słowa „fikcja” nie jest więc „rzeczywistość”, lecz byłby nim raczej „slogan”, kiedy pewna
formuła doprowadza do spetryfikowania myśli pod postacią pewności. Powtarzanie sloganu łączy
nas, by nas mocniej sobie podporządkować. Podczas gdy fikcja, decentrując nas, zaprasza do wejścia
w inne światy mentalne, innego ułożenia różnorodnych segmentów rzeczywistości, sprawdzenia
innych hipotez. Tworzenie fikcji jest rodzajem eskperymantalnej manipulacji nad rzeczywistością.

Tout récit est donc une bienfaisante trahison du réel, car le réel est fou. Si nous pouvions tout
percevoir, nous serions confus, bombardés d’informations insensées, impossibles à associer. Dans un
réel chaotique nous ne pourrions adopter aucune conduite cohérente. Incapables de nous adapter,
nous serions éliminés. C’est pourquoi nous faisons le ménage, nous agençons des morceaux de réel
pour en faire une fiction qui plante dans notre monde intime une image cohérente et oriente notre
chemin de vie.

Każda opowieść jest dobroczynną zdradą rzeczywistości, ponieważ rzeczywistość jest szaleństwem.
Gdybyśmy byli w stanie wszystko spostrzec, bylibyśmy zagubieni, bombardowani, niemożliwymi do
powiązania, informacjami bez znaczenia. W chaotycznej rzeczywistości nie bylibyśmy w stanie przyjąć
żadnego spójnego sposobu postępowania. Niezdolni do adaptacji, zginęlibyśmy. To dlatego robimy
porządki, układamy kawałki rzeczywistości, aby uczynić z nich fikcje, które wytwrzają w naszym
świecie wewnętrznym spójny obraz i nadają orientację naszej ścieżce życiowej.

Pour moins se laisser leurrer, nous disposons de deux outils intellectuels : la manipulation
expérimentale et la littérature. La méthode expérimentale permet d’extorquer quelques petits bouts
de réel, et la fiction fait le ménage en composant un récit pour âmes bousculées.

Toute vision du monde est un aveu autobiographique, dans la mesure où l’auteur ne raconte que ce
à quoi il a été rendu sensible. Il n’a pas vu ce qui n’a pas été parlé. Mais la connotation affective de
l’événement raconté dépend de l’intention que l’auteur veut donner à son récit. S’il veut se venger, il
peut, sans mentir, ne choisir que des bouts de vérité qui vont légitimer sa vengeance. S’il se laisse
fasciner par un événement traumatisant, il évoque sans cesse la scène terrifiante, se plaçant lui-
même sur le tapis roulant du psychotraumatisme. Mais s’il veut s’en sortir, il doit se décentrer de
l’événement qui l’a frappé pour en faire une représentation remaniée. Il peut s’entraîner à théoriser
le trauma, en comparant les populations traumatisées qui ont connu des évolutions différentes. Il
peut découvrir le monde mental d’un Autre, traumatisé comme lui, ayant eu des réactions
différentes. Cette épistémologie scientifique (chiffrer les évolutions différentes de deux populations
traumatisées) ou littéraire (lire comment une autre personne a réagi autrement) a un effet de prise
de conscience, d’objectivation du trauma, de mise hors de soi d’un objet rendu observable par la
méthode expérimentale ou par la littérature.

Każda wizja świata jest wyznaniem autobiograficznym, jako że autor opowiada wyłącznie to, na co go
uwrażliwiono. Nie widział tego, co nie zostało powiedziane.

Une telle attitude scientifique ou littéraire mène à penser que celui qui prétend dire toute la vérité
ne dit rien de la vérité. La vérité unique n’est que récitation, clonage intellectuel qui solidarise ceux
qui pensent de même. En revanche, dès qu’il y a deux, il y a altérité, il y a différence, débat,
argumentation et histoire de la pensée : « Un a toujours tort, la vérité commence à deux1. » C’est du
décentrement de soi que naît la conscience, alors que le centrement sur soi encourage la répétition,
le ronron qui mène à la sieste de l’intellect. Rien à comprendre puisque tout a déjà été compris. La
pensée clonale est un leurre agréable, la chorale des perroquets unis par la symphonie des slogans
crée un sentiment d’appartenance, la familiarité des « tous ensemble… tous ensemble » euphorise
les récitants et arrête la pensée.
Taka postawa w nauce czy literaturze prowadzi do myśli, iż ten, którey twierdzi, iż mówi całą prawdę,
nie mówi żadnej prawdy. Jedyna prawda jest wyłącznie recytacją, klonowaniem intelektualnym, które
łączy tych, który myślą tak samo. Natomiast, gdy jest dwoje, powstaje inność, rożnica, deba,
argumentacja i historia myśli: „jeden zawsze się myli, prawda zaczyna się we dwoje”. To z decentracji
„ja” rodzi się świadomość, podczas gdy skupienie na „ja” sprzyja powtórzeniu, pomrukowi
prowadzącemu do drzemki intelektalnej.

À l’opposé, quand on cherche à comprendre, on brise l’harmonie, on désunit souvent. Les milieux
littéraires et scientifiques sont conflictuels. Pour écrire un roman, il faut plonger au fond de soi et en
sortir un récit qui espère rencontrer un lecteur enchanté par cette histoire. Pour faire un travail
scientifique il faut innover, mettre dans le groupe une vision de l’objet qui n’existait pas avant,
l’innovation bouscule les certitudes et provoque l’hostilité de ceux qui aiment ronronner. Les
narrations convenues, les récitations, facilitent la carrière en séduisant le patron et renforcent les
habitudes du groupe qui empêchent le changement.

Natomiast, kiedy staramy się zrozumieć, niszczymy harmonię, częstokroć rozbijamy jedność.
Środowiska literackie czy naukowe opierają się na konflikcie. Aby napisać powieść trzeba zagłębić się
siebie i wynieść z tych głębin opowieść, której nadzieją jest napotkanie czytelnika zachwyconego tą
historią.

A-t-on besoin des deux ? Aucun roman, aucune découverte ne se sont faits à partir de rien. C’est
toujours à partir de quelque chose qu’on part pour autre chose. Il faut accepter les désaccords pour
faire évoluer la pensée. Certains adorent ces débats, d’autres les ressentent comme des agressions
qui mettent en question l’harmonie du groupe et leur propre vision du monde.

Quand les Indiens ont obtenu le droit d’avoir une âme après la controverse, il a bien fallu trouver une
autre main-d’œuvre bon marché. Ce fut le début de l’esclavage noir. On avait intérêt à penser que ce
n’est pas un crime de chasser, de ligoter, de déporter un Noir qui n’est pas tout à fait un homme
puisqu’il est noir. Quand l’esclavage fut aboli au XIXe siècle, de nombreux hommes d’affaires furent
scandalisés parce que cette loi risquait de faire monter le prix du sucre, ce qui fut le cas. Dans
l’échelle des valeurs de ces commerçants, le sucre blanc valait plus que l’homme noir.

Toutes les dictatures emploient cette méthode qui répand des idées avec un minuscule stock de
citations récitées à la perfection. Le langage totalitaire est fait de complicité entre l’écriture de
quelques affirmations martelées et une lecture de slogans récités avec conviction. Ceux qui lisent
pour réfléchir se désolidarisent de ceux qui lisent pour appartenir. C’est ainsi que les Allemands
récitants ont remporté les élections en 1932.

En entrant dans la vie des chouans, paysans vendéens fidèles au roi, Balzac écrit un « roman vrai ».
Peut-il en être autrement ? La fiction peut-elle dire autre chose que la vérité ? Les brins de réel sont
composés d’archives, de visites sur les lieux, de recueils de témoignages et de publications
scientifiques. À partir de ces matériaux hétérogènes, l’auteur peut construire mille maisons
différentes. Tout est vrai dans la fiction que l’auteur compose et que le lecteur lit selon son désir.

Penser « l’homme sans Autre » mène logiquement à une représentation raciste de la condition
humaine. Alexis Carrel n’a pas fait autrement, quand il s’est servi de ses immenses connaissances
pour en faire un raisonnement linéaire : les gènes qui composent les chromosomes sont « de
minuscules amas de substance […] qui contiennent l’avenir de l’individu et de l’humanité13 ».

Toute vérité commence par une fiction : « Et si j’allais au Commodore Hotel à Beyrouth ? J’y
rencontrerais probablement des jeunes gens qui ont fait la guerre1… » Une telle anticipation
correspond à : « Si je donnais des antidépresseurs à des chatons, est-ce que cela modifierait leur
système d’attachement ? » Toute hypothèse est une rêverie, toute méthode est une manipulation du
réel. Rien n’est plus vrai que la fiction.

Każda prawda zaczyna się od fikcji (…). Każda hypoteza jest marzeniem, każda metoda jest
manipulacją na rzeczywistości. Nic nie jest bardziej prawdzie od fikcji.

La résilience pointait son nez en découvrant l’importance des interactions précoces qui permettent
au petit enfant d’acquérir des facteurs de protection7

Quand un événement social ou culturel (attentat, film ou roman) sensibilise une population, il se
trouve toujours des jeunes qui y puisent leur vocation. La guerre est une machine à écrire parce que
la littérature est un outil qui permet d’en parler quand la paix est revenue. Le terrorisme actuel a
suscité un nombre élevé de groupes de réflexion, de travaux scientifiques et de livres qui ont pour
fonction de comprendre, de donner sens à la déflagration pour tenter d’en maîtriser le
bouleversement et de prendre les mesures adéquates.

C’est l’expérimentation qui démasque et rend visible ce segment de réel. Ne pourrait-on pas dire la
même chose de la fiction ? C’est l’écriture d’un roman, d’un conte ou d’un film qui met en conscience
un événement caché dans le magma du réel et le démasque dans la représentation théâtrale de ce
réel. L’art et la science donnent à voir.

To pisanie powieści, bajki lub filmu ustanawia w świadomości wydarzenie ukryte w magmie
rzeczywistości i je obnaża w teatralnej reprezentacji, tego co rzeczywiste. Sztuka i nauka pozwalają
widzieć.

Cette attitude d’esprit explique pourquoi Edgar Morin s’est intéressé au cinéma, à la littérature, à
l’éthologie et à la biologie14. Un raisonnement linéaire est tellement réducteur qu’il donne une
impression fausse en disant la vérité. C’est le cas du témoignage où le sujet raconte son point de
vue : il dit ce à quoi il a été sensible, là où il était, à ce moment-là. Le plus sincèrement du monde, en
ne disant que du vrai, il donne une interprétation du réel qui témoigne de sa perception du monde,
différente de celle de son voisin qui dit sincèrement une autre vérite.

Le film, le roman, la plongée psychanalytique ou la fiction disent probablement plus de vérité que
l’expérimentation scientifique, « car c’est toujours de cela qu’il est question dans les fictions avouées
de la littérature, comme dans les fictions inavouées de la politique, de la science sociale ou du
journalisme, de construire avec des phrases les formes perceptibles et pensables d’un monde
commun15 ». Ce processus réducteur est facile à voir lors du journal télévisé où le journaliste ne
ment pas, il a filmé et dit sa part de vérité. C’est la caméra qui est subjective en choisissant de fixer
son œil sur un segment du monde plutôt que sur un autre. Ce petit bout de vérité alimente les récits
collectifs et s’inscrit dans la mémoire intime des individus de ce groupe. Chacun peut dire : « Je l’ai
vu. » Les formes d’art sont plus ouvertes en exprimant l’étonnante diversité des mondes mentaux.
En écrivant des fictions, en déclenchant des émotions réelles, en projetant des images sur un écran,
elles inspirent de longues méditations

Les pyramides d’Égypte sont des récits de pierre qui racontent comment une famille incestueuse,
une lignée de demi-dieux, a réduit en esclavage l’immense majorité de son peuple. Toute la culture a
été consacrée à la représentation de la vie après la mort. Les aristocrates ont tenu un discours
analogue. Remplacez « demi-dieux » par « de droit divin », ou mettez à la place d’« esclaves » les
mots « serfs » ou « prolétaires », écrivez « paradis » ou « enfer » à la place de « voyage après la
mort », et vous aurez une traduction en termes médiévaux de la hiérarchie sociale des pharaons.
Aujourd’hui, les nouveaux temples sont les luxueux conseils généraux prouvant que la pyramide a
évolué quand le mot « élu » a remplacé « sang-bleu ».

Aujourd’hui, la littérature et le cinéma préfèrent mettre en scène des victimes qui sont devenues des
vedettes culturelles depuis qu’elles racontent comment elles ont triomphé du malheur. On leur
accorde aujourd’hui une médaille de victoire, alors qu’il y a deux générations on les accablait de pitié.

Rien n’est fixe. Tout peut être remanié quand on sait faire un récit.

Nic nie jest stałe. Wszystko może zostać poprawione jeśli umie się stworzyć opowieść.

Peut-on tenir le même raisonnement pour la littérature scientifique ? La science participe à la culture
sous forme de récits qui structurent les croyances collectives. Les scientifiques savent qu’une vérité
scientifique n’a pas une espérance de vie très longue, mais ils sous-estiment l’effet-fable de leurs
publications. Quand une découverte modifie l’imaginaire collectif, elle alimente une fiction qui fait
évoluer les structures mentales de la collectivité. Quand Kepler a découvert le mouvement des
planètes et construit le premier télescope, il a provoqué une série de fictions qui imaginaient des
rencontres avec les habitants de la lune où Cyrano de Bergerac fut un touriste célèbre. Le télescope a
provoqué des débats philosophiques passionnants sur l’espace et le temps biologique.

Les récits scientifiques font découvrir des mondes réels insoupçonnés, surprenants et poétiques qui
stimulent l’imagination. La pensée de la fiction romanesque ne s’oppose pas à la pensée scientifique.
Dans les deux cas, les hypothèses sont proches des fantasmes et de la créativité artistique. Après la
publication, l’effet-fable de la science stimule d’autres recherches, mille romans et films. Les
méthodes diffèrent peu : le romancier collecte des faits afin d’en faire un récit imaginaire ; le
scientifique soumet son hypothèse au tribunal de l’expérimentation pour faire émerger un résultat.
Imaginons que les « Hackers », perturbateurs endocriniens, comme les substances plastiques,
cosmétiques, sprays, vernis et appareils électroniques, détournent la synthèse de la thyroxine :
qu’est-ce que ça produirait1 ? Diminution du quotient intellectuel ? Abaissement de l’âge
de la puberté chez les filles ? Esprits plus influençables, à cause du ralentissement neuronal ?
Imaginons qu’un homme blessé, immobilisé dans un fauteuil, regarde par la fenêtre pour se
désennuyer : qu’est-ce que ça pourrait donner ? La routine ? Une scène intime ? La découverte d’une
tentative d’assassinat2 ?

La littérature de l’intime explose au XIXe siècle quand le développement de la personne devient une
aventure sociale, quand un enfant, désocialisé par un drame familial, finit par regagner sa place,
quand un provincial monte à Paris et triomphe des obstacles. Le « je » de ces romans témoigne que
la valeur des temps modernes concerne plus la réussite personnelle que la protection du groupe.
Notre société serait-elle en train de se cliver, entre ceux qui découvrent le monde en lisant et ceux
qui, en ne lisant pas, se rendent prisonniers de l’immédiat ? Lire ou ne pas lire témoigne de deux
styles existentiels différents : la littérature ouvre sur l’exploration, le rêve, les utopies heureuses et
parfois dangereuses. Alors que les non-lecteurs se contentent du bien-être immédiat dont la
jouissance brève empêche de donner sens à la vie.

Czyżby nasze społeczeństwo rozpadało się na tych, którzy odkrywają świat czytając oraz tych, którzy
nie czytając czynią siebie niewolnikami obecnej chwili? Czytanie i nieczytanie świadczą o dwóch
różnych stylach egzystencji: literatura otwiera na poznawanie, marzenie, szczęśliwe, a czasami
niebezpieczne utopie. Podczas gdy nieczytającym wystarcza zadowolenie czerpane z chwili obecnej,
której krótka przyjemność nie pozwala na nadanie życiu sensu.

Quand le monde intime est déchiré par une perte ou rendu boiteux par un manque, l’appel de
l’écriture se renforce. Il faut souligner qu’écrire sur le trauma, ce n’est pas écrire le trauma, pour une
raison simple : la mémoire saine est évolutive, donc apte à alimenter des récits changeants, alors que
la mémoire traumatisée est figée, donc condamnée à la répétition névrotique, à la rumination
dépressive. La mémoire saine évolue en fonction de la maturation du cerveau et des expériences
personnelles. La représentation du passé n’est pas la même pour un nourrisson, un écolier, un
adolescent, un adulte ou une personne âgée, qui prétendent tous ne pas avoir changé d’histoire.

Kiedy świat wewnętrzny jest rozbity w wyniku utraty lub niepełny w wyniku braku, pociąg do pisania
staje się silniejszy. Trzeba podkreślić iż pisanie o traumie nie jest opisaniem traumy, z prostego
powodu: pamięć zdrowa podlega rozwojowi, jest więc zdolna do tworzenia zmiennych opowieści,
podczas gdy pamięć straumatyzowana jest zablokowana, skazana więc na neurotyczne powtarzanie,
na depresyjne rozmyślanie .

Dans la vie quotidienne, on éprouve un sentiment, on manifeste une conduite dont on ne connaît pas
l’origine, mais dès qu’on lui donne une explication logique, on se sent cohérent. La forme raisonnée
qu’on donne au sentiment n’a pas de rapport avec la motivation réelle, ignorée. L’intellectualisation
est un masque raisonnable qui maîtrise une émotion venue du fond de notre mémoire non
consciente. La doxa est composée d’un faisceau de rationalisations qui, en donnant une apparence
logique à un phénomène, empêche de le comprendre ! Les débuts d’une maladie se manifestent
souvent par une fatigue inhabituelle à laquelle on trouve toujours une raison : « Je n’ai pas digéré le
restaurant d’hier soir », ou : « Il y a certainement un pic d’ozone », alors qu’il s’agit parfois
d’un début de diabète ou d’une maladie insidieuse. On ne peut pas ne pas trouver une raison.

W życiu codziennycm odczuwamy uczucie czy przejawiamy jakieś zachowanie, którego nie jesteśmy
w stanie wskazać źródła, lecz od momentu gdy nadamy mu logiczne wyjaśnienie, czujemy się spójni.
Racjonalna motywacja, jaką nadajemy uczucie nie ma związkuj z motywacją rzeczywistą , jakiej nie
znamy.

Dès qu’un enfant a acquis un certain goût du monde, il répond à ce qui est inscrit dans sa mémoire,
ce qui modifie sa perception du contexte. Ses interactions précoces ont construit en lui un filtre
sensoriel, une manière de voir le monde à laquelle il répond. Les routines comportementales et les
croyances explicatives inscrivent dans son monde mental un schéma d’action qui caractérise
l’enfant3. Ce modèle interne opérant (MIO) donne un style relationnel, un filtre interprétatif du
monde différent pour chaque personne.
Nous ne sommes pas maîtres du sens que nous attribuons aux choses, mais nous pouvons agir sur le
milieu qui agit sur nous et façonne les sentiments qui donnent du sens aux choses. Le récit de soi qui
donne une forme verbale à la manière dont on ressent les événements dépend de son articulation
avec les récits d’alentour, familiaux et culturels6. Comme le sujet n’arrête pas de vieillir et comme les
expériences de sa vie modifient sans cesse sa manière de voir les choses, comme les familles ne
cessent de changer avec les mariages, les naissances et les morts, comme les cultures ne cessent de
débattre, d’envisager les problèmes différemment et comme la technologie est en train de
provoquer une évolution culturelle fulgurante, vous pensez bien qu’il est impossible de ne pas
remanier, de ne pas voir autrement la représentation de son passé.

Mais nous avons notre mot à dire : « Ce qui importe […], c’est de transformer la tragédie en triomphe
et de convertir la conjoncture en une réalisation humaine7. »

Penser le trauma est radicalement différent de penser au trauma. Penser le trauma, c’est faire un
travail intellectuel et affectif qui aide à transformer la représentation du malheur, afin de reprendre
une nouvelle évolution (ce qui définit le processus de la résilience). Alors que penser au trauma, c’est
réviser sans cesse le scénario du malheur, renforcer la mémoire traumatisée, faciliter la répétition,
empêcher toute évolution, se rendre prisonnier du passé, ce qui définit le syndrome
psychotraumatique.

Myślenie traumy jest radykalnie różne od myślenie o traumie. Myślenie traumy, to ucznienie pracy
intelektualnej i afektywnej, która pomaga przekształcić sposób ukazywania nieszczęścia, aby podjąć
na nowo proces rozwoju (co właśnie stanowi definicję procesu rezyliencji).

La parole écrite offre une solution décente à cette mystérieuse nécessité : « Je vais chercher dans
mon passé les fragments de mon moi fracassé et, comme je n’aurai pas d’interlocuteur visible, le
cheminement de ma pensée sera authentique. Je vais écrire “une espèce d’autobiographie 3”, faire
une enquête sur ce trouble, recueillir les témoignages des journalistes, des psychiatres et de mon
psychanalyste. Eux, pourront me dire ce qui m’est arrivé. Grâce à cette méthode, je vais enquêter sur
moi, comme si j’étais une personne étrangère. »

Słowo pisane oferuje stosowne rozwiązanie dla tej tajemnicznej potrzeby: „Poszukam w mojej
przeszłości fragmentów mojego rozbitego „ja” i, jako że nie będę miał widzialnego rozmówcy, ścieżka
moich myśli będzie autentyczna.

Cette honnêteté philosophique est aujourd’hui confirmée par les travaux neurologiques : un souvenir
conscient résulte de la convergence de diverses sources de mémoires, « déformations de souvenirs
sous l’influence de l’entourage […] productions fausses […] chez des personnes sensibles à la
suggestion […] fausses reconnaissances […] cryptomnésies […] où l’on s’attribue la paternité d’une
réussite […] qui vient en fait de quelqu’un d’autre5 »

Quand j’ai fait une recherche sur mes souvenirs d’enfance, pendant et après la Seconde Guerre
mondiale6, enquête sur moi comme sur un autre, j’ai été stupéfait par l’association de segments de
mémoire hyperprécis, gravés dans ma mémoire, et confirmés par les archives et la visite des lieux.
J’ai été ahuri par la clarté d’autres souvenirs, indiscutables dans ma mémoire, et pourtant disqualifiés
par les archives et les visites sur place. Toute autobiographie est forcément une représentation du
passé, une élaboration entre ce qui a existé dans le réel passé et s’est associé à d’autres sources de
mémoire, le tout synthétisé pour faire un souvenir. L’intentionnalité de la mémoire saine illustre
notre état d’âme le jour du souvenir. C’est à la lumière du présent qu’on éclaire le passé. Mais quand
on ne peut pas faire ce travail d’illustration parce que l’événement est embrumé ou parce que la
représentation a été rendue impossible par le non-lieu, Althusser n’a rien à dire : « Le destin du non-
lieu, c’est en effet la pierre tombale du silence7. » Quand on se laisse piéger par l’impossibilité de se
représenter son passé, on vit dans une tombe. Alors, il faut écrire pour sortir de la brume.

Każda autobiografia jest siłą rzeczy reprezentacją przeszłości, opracowaniem tego, co istniało
rzeczywiście w przeszłości i jednocześnie tego, co powiązane jest z innymi źródłami pamięci, w
syntetyczną całość, aby stworzyć wspomnienie. Intencjonalność zdrowej pamięci ukazuje nasz stan
duszy w dniu, kiedy wspominamy. To w świetle teraźniejszości oświetlamy przeszłość.

Deux grands dangers menacent la mémoire. Le premier, c’est de ne pas avoir de mémoire, ce qui
nous fait vivre dans une tombe. Le second, c’est d’avoir de la mémoire et de nous en rendre
prisonnier. La seule bonne stratégie, c’est d’élaborer, se donner de la peine, afin de donner du sens
aux faits.

Dwa wielkie zagrożenia grożą pamięci. Pierwsza z nich to brak pamięci, zmuszający nas do życia w
grobie. Drugim jest posiadanie pamięci i stanie się jej więźniem. Jedyną dobrą strategią jest jej
opracowanie, zadanie sobie trudu, by nadać sens faktom.

C’est ainsi qu’on décrit la mémoire traumatique : soudain dans une brume, une image s’empare de
notre esprit, « un bref bout de langue » nous fascine, nous empêche de voir ou de penser à autre
chose. Cet objet « insolite et paisible » désigne l’horreur : « J’ai étranglé Hélène. » L’esprit
d’Althusser, capturé par un détail hypersignifiant, noyé dans une image floue, est figé par l’horreur.
Le non-lieu de la justice, fondé par l’état mental au moment du crime, a aggravé l’impossibilité de
penser, comme si le jugement avait énoncé : « Il a étranglé sa femme, mais il n’y a pas lieu de le
poursuivre car il a commis ce geste au cours d’un accès de confuso-onirisme. » L’article 64 du Code
pénal l’a jugé non responsable… Il a tué sa femme comme si de rien n’était !

Comment comprendre ça ? Pour se remettre à vivre quand on ne peut plus parler parce que
l’émotion nous rend muet et que la société nous fait taire, il reste l’échappée de l’écriture. Dans le
repli sur soi, dans la plongée intérieure, on va chercher des mots pour donner forme à quelques
idées qu’on adresse aux lecteurs, amis réels et invisibles. On se met au clair, on sort du tombeau de
la non-pensée, on reprend conscience.

Jak to rozumieć? Jak powrócić do życia, kiedy nie da się już mówić, ponieważ siła emocji czyni nas
niemymi i kiedy społeczeństwo nie chce nas wysłuchać, pozostaje ucieczka w pisarstwo. W wycofaniu
się w siebie, zanurzeniu w swoim wnętrzu, aby poszukać słów dla nadania formy kilku myśłom, które
skierujemy do czytelników, przyjaciołom rzeczywistym i niewidzialnym. W ten sposób objaśniamy
siebie, wychodzimy z grobu nie-myślenia i odzyskujemy samoświadomość.

Ce travail de l’écriture a été expliqué par Antonin Artaud : « Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté,
modelé, construit, inventé que pour sortir en fait de l’enfer11. » L’écriture dans cette fonction ne
guérit pas du malheur passé, mais elle permet de s’installer dans un autre monde où il fait meilleur
vivre.
Pisarstwo nie jest środkiem wyzwalającym od przebytego nieszczęścia, ale pozwala na
zamieszkanie innego świata, gdzie można żyć lepiej.

L’écriture aurait-elle cette fonction d’apaisement ? Après la phase de sidération traumatique, quand
la vie psychique lentement se réveille, elle peut être aiguillée dans deux directions opposées : celle
de la rumination si le blessé est laissé seul ou celle de la métamorphose de l’horreur quand le
traumatisé soutenu a la possibilité de s’expliquer. Il peut alors faire un travail de parole parlée en
s’adressant à une base de sécurité familiale, amicale ou professionnelle. Il peut aussi faire un travail
de parole écrite, en s’adressant aux lecteurs, ses amis invisibles.

Pisarstwo pełniłoby funkcję uśmierzającą? Po okresie szoku traumatycznego, kiedy życie psychiczne
powoli się odradza, może się ono nakierować na jeden z dwóch przeciwnych kierunków: rozmyślania
nad tym czy jest się pozostawionym samemu sobie lub przekształcenia koszmaru, jeśli mają wsparcie
ma się możliwość wyrażenia jego wyrażenia.

Après la guerre de 14-18, un psychiatre, William Rivers, avait constaté que, après la bataille, un grand
nombre de soldats souffraient de « souvenirs flashs », quand des images d’horreur s’imposaient dans
leur psychisme14. Il demanda à certains soldats traumatisés d’écrire une petite histoire romancée
pour raconter ce qu’ils avaient subi dans les tranchées. La plupart des soldats-auteurs ont fait un
récit à la troisième personne : « Il faisait une partie de belote quand soudain un éclat d’obus a
arraché la mâchoire de son partenaire. » Pourquoi ce « il » à la place du « je » ? Parce que l’usage de
la troisième personne met un peu de distance dans la représentation de l’horreur. En utilisant le
« je », le soldat-auteur aurait réveillé la mémoire d’une émotion insoutenable. La gorge serrée, il se
serait tu et n’aurait pas pu faire un travail de maîtrise émotionnelle.

Au moment de l’exercice d’écriture, la plupart des soldats souffraient de souvenirs flashs et de


cauchemars qui envahissaient leur âme et empoisonnaient leurs relations. Certains ont refusé
d’écrire et d’autres se sont appliqués à devenir indifférents pour moins souffrir. Quelques mois plus
tard, les non-romanciers souffraient encore de l’horreur des tranchées, alors que le groupe de
soldats romanciers avait adouci la connotation affective des images d’horreur. Leur mémoire n’était
pas altérée, ils se rappelaient clairement les événements de la guerre, mais, ayant acquis une
maîtrise émotionnelle, ils parvenaient à en parler, et cherchaient à comprendre pour réapprendre à
vivre.

Ce n’est pas l’acte d’écrire qui a un effet créatif, c’est l’élaboration permise à l’occasion de
l’écriture. Certains préfèrent s’exprimer par la poésie, la peinture ou le cinéma. Ce qui soigne, ce
n’est pas le papier ou la pellicule, c’est le projet d’accomplir une œuvre, la rêver, la préparer, la
fabriquer de façon à transformer son trauma en ouvrage socialisant. C’est pourquoi la plupart des
auteurs disent : « J’écris pour témoigner, afin que cette horreur ne revienne jamais. Il faut que le
monde sache… »

To nie sam akt pisania ma efekt twórczy, lecz proces opracowania doświadczenia mający miejsce w
trakcie pisania. Niektórzy wolą wyrażać siebie poprzez poezję, pisarstwo lub kino. Tym, co leczy, nie
jest papier, ani taśma filmowa, lecz projekt ukończenia dzieła, obmyślenia go, przygotowania,
stworzenia, w taki sposób by przekształcić swoją traumę w dzieło uspołeczniające.
Il arrive qu’on écrive sans élaboration, en jetant des mots sur le papier ; l’écriture, dans ce cas, peut
devenir un piège. En répétant l’horreur au moment de tracer les mots qui l’évoquent, on renforce la
mémoire traumatique, on ne fait que réviser, revoir les circonstances de l’agression, ce qui mène à
l’isolement relationnel et à la dépression.

Zdarza się, iż piszamy bez opracowania, rzucając słowa na papier. Pisarstwo w tym wypadku może
stać się pułapką. Powtarzając koszmar w momencie zapisywania słów, którego go przywołują
wzmacniamy pamięć traumatyczną, jedynie powracając i przyglądając się sytuacji napaści, co
prowadzi do izolacji w relacjach i depresji.

Pour déclencher un facteur de résilience, l’écriture ne doit pas être un rapport de police, elle doit
élaborer, envisager plusieurs possibilités : « Quelle que soit la précision des détails vrais ou faux […],
l’ironie, la passion, la sécheresse ou la passion dont je pourrais les enrober […], je ne parviendrai qu’à
un ressassement sans issue. […] J’écris parce que […] j’ai été parmi eux, ombre au milieu des ombres,
corps près de leur corps ; j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace
en est l’écriture1. »

Aby wywołać czynnik rezyliencji pisarstwo nie może być raportem policyjnym, musi być
opracowaniem (…).

Un orphelinage précoce laisse la trace d’un manque dont l’enfant ne prend pas conscience puisqu’il
se développe tant bien que mal dans la niche sensorielle où la vie l’a déposé. S’il perd sa mère et si
son milieu lui propose rapidement un substitut affectif, l’enfant reprendra un bon développement.
S’il perd sa mère et s’il est laissé seul, il aura peu de chances de se remettre à évoluer. Si son père
meurt, la société logiquement laisse l’enfant dans les bras de sa mère chagrinée par le deuil. Elle ne
pourra lui offrir qu’une niche sensorielle morne, abattue, dans laquelle il se
développera difficilement. Ce résultat contre-intuitif n’est valable qu’en Occident. Dans les cultures
où le groupe entier est chargé de s’occuper de tout enfant, la mort d’un parent modifie peu le
développement du petit car le groupe lui fournit aussitôt des substituts.

La souffrance du manque contraint à la créativité pour ne pas rester vide, sans vie psychique. Mais ce
que nous créons parle de notre monde intime, toute œuvre d’art est un aveu autobiographique : « La
création est l’invention et la composition d’une œuvre, d’art ou de science, répondant à deux
critères : apporter du nouveau et en voir la valeur reconnue par le public2. » Quand un enfant
s’adapte, il n’a plus besoin de créer, au contraire même, il lui suffit d’apprendre les mots, les rituels
et les théories du milieu auquel il désire appartenir3. Mais quand il veut devenir lui-même, il doit
s’opposer : « La création apparaît alors comme le résultat d’une crise […], après un traumatisme, ces
ressources peuvent orienter vers un processus de résilience4. »

Cierpienie wynikające z braku zmusza do działania twórczego, aby nie pozostać w stanie pustki, bez
życia psychicznego. Ale to, co tworzymy mówi o naszym świecie wewnętrznym, każdy dzieło sztuki
jest wyznaniem autobiograficznym: „twórczość jest inwencją i kompozycją dział sztuki lub nauki
odpowiadającym dwóm kryteriom: wniesienia czegoś nowego i uznania publiczności.

Kacew aurait trop évoqué le shtetel de Vilnius, pauvre et étouffant de religiosité. Le fait que Gary
joue avec des pseudonymes révèle qu’il ne se sent heureux que dans l’invention de soi : « Et si je
m’appelais Fosco Sinibaldi, quel genre de livre écrirais-je ? », ou : « En me désignant par le nom de
Shatan Bogat mes livres seraient plus orientaux…6 »

L’étiquette identitaire facilite la pensée en permettant d’établir des relations convenues, une fois
pour toutes. Quelle réduction ! Quelle amputation des potentialités de soi ! Quand Gary se cache
derrière un pseudo, le cryptonyme qu’il choisit le révèle en encourageant ses lecteurs à découvrir
une autre couleur de sa personnalité caméléon. C’est proche du plaisir qu’éprouve un enfant qui se
cache sous la table en fantasmant que ses parents inquiets vont le chercher. Lorsqu’ils le
découvriront, ce sera une explosion de joie, un délicieux rebond d’attachement. « Mon petit, quel
bonheur de te retrouver ! », on s’embrasse, on se câline. Ce délicieux plaisir fantasmatique est
souvent dissocié du réel où l’enfant, en se cachant, exaspère sa mère qui risque de rater le train

Les orphelins écrivent souvent une littérature de l’énigme où le roman familial est un équivalent de
roman policier quand le lecteur cherche les indices qui dénoncent l’assassin.

La littérature de l’énigme de ceux qui manquent de cadre ne définit jamais la mer comme un
mélange d’eau et de sel. Elle décrit des rivages imaginaires où l’on peut vagabonder quand on n’a ni
père ni mère pour indiquer la route. Cette liberté est angoissante, car elle n’apporte pas l’effet
tranquillisant de la restriction identitaire. Quand on ignore d’où l’on vient et de qui on est né,
l’imagination offre toutes les origines, mais quand on n’a pas de liens pour nous ancrer dans une
famille et dans une société, on devient une âme errante ballottée par l’angoisse du vide. L’identité ne
serait-elle qu’une aliénation bienfaisante ? En sachant qui je suis, je m’enferme dans mon identité.
Dans ce cas, j’ai confiance en moi parce que j’ignore les autres. Je vois un monde clair, parce que je
n’habite qu’un seul monde. J’ai des certitudes, je sais ce qu’il faut faire parce que je me soumets à un
seul maître, à une seule injonction13 : je peux alors tuer ou marcher à la mort en toute tranquillité.

Sans identité, on se noie dans le monde. Avec une seule identité, on devient totalitaire. Grâce à
l’écriture, Romain Gary explore tous les possibles mentaux et un grand nombre de langues, de
voyages et d’engagements, ce qui lui donne un esprit ouvert, au risque de la dépersonnalisation

Après la mort du père, la mère endeuillée va vivre avec son fils chez les grands-parents, qui
composent une nouvelle niche affective où le grand-père chaleureux prend l’effet d’un tuteur de
résilience. L’enfant est trop chétif pour aller à l’école, il étudiera à domicile. Privé de contacts
socialisants, il se réfugie dans la musculation des mots, il devient un athlète intellectuel, pas très bon
élève, mais qui plus tard saura préparer une grande école

Au moment du trauma, le cerveau sidéré ne traite plus les informations, ce qui crée un vide de
représentations. Pour ne plus vivre avec un gouffre dans l’âme, il faut y mettre des mots.

W momencie traumy, zaszokowany umysł nie przetwarza informacji, co wywołuje stan braku
możliwości tworzenia reprezentacji. Aby nie być zmuszonym do życia z przepaścią w duszy, trzeba ją
wypełnić słowami.

Freud, dans son langage du XIXe siècle, disait déjà ce que la neurologie actuelle précise et que l’on
pourrait formuler ainsi : la mémoire a horreur du vide alors, quand la vie revient, les souvenirs
s’associent, se relient pour combler le gouffre et donner cohérence à la représentation du passé.
L’écriture fabrique un réel de papier qui lutte contre la dissociation traumatique. « Ce qui m’oblige à
écrire, j’imagine, est la crainte de devenir fou4. » Mais quand cette cohérence n’est pas retravaillée,
reliée à d’autres souvenirs, intégrée dans une histoire, quand elle consiste simplement à revoir sans
cesse le malheur passé, cette rumination aggrave le désespoir. Primo Levi a choisi de dire dans sa
narration « les choses les plus pesantes, les plus lourdes, les plus importantes » : « Il me semblait
assez futile d’introduire […] certains dialogues […] qui me sembleraient plus légers5 ».

Pisarstwo tworzy rzeczywistość na papierze, przeciwdziałając dyssocjacji traumatycznej: „To co


zmusza mnie do pisania, jak sądzę, jest lęk przed szaleństwem”. Ale kiedy stworzona w akcie pisania
całość nie wynika z procesu przepracowania, powiązania ze sobą wspomnień, kiedy stanowi
wyłącznie przegląd minionego nieszczęścia, to takie rozpamiętywanie pogłębia wyłącznie rozpacz.

Comment pourrait-on ne pas raconter un événement qui s’est emparé de notre mémoire au point de
monopoliser la conscience tout entière ? On demeure fasciné par la torture, la faim, les coups, le
froid, la mort imminente et, par politesse, il faudrait ne pas en dire un mot ? Un tel silence provoque
un trouble de la relation. Primo Levi n’a pas une écriture résiliente puisqu’il ne travaille pas les
reliaisons, ne remanie pas la représentation : « Les problèmes de style me semblaient ridicules […]. Il
me semblait que le thème de l’indignation devait prévaloir, […] j’entendais en faire un acte
d’accusation. » Il écrit pour sortir de son silence d’aquarium, de son cauchemar éveillé, mais « le
souvenir d’un traumatisme […] est lui-même traumatisant parce que son rappel fait souffrir8 ». Primo
Levi aurait pu remanier la mémoire d’Auschwitz, mais son désir était de s’indigner et de témoigner
pour agresser les agresseurs : c’est ainsi qu’il a renforcé sa souffrance.

Jak można byłoby nie opowiedzieć wydarzenia, które zawładnęło naszą pamięcią, w takim stopniu, iż
zmonopolizowało całą przestrzeń naszej świadomości?

Dans la mémoire traumatique l’événement traumatisant ne change pas. Sans cesse répété, il fait
intrusion dans la conscience le jour, et revient la nuit sous forme de cauchemars. Quand la mémoire
redevient saine, elle reprend une évolution, elle associe des souvenirs de sources différentes et les
met en liaison avec la vie actuelle. Tout se remet à fonctionner parce que les souvenirs ont changé !
« Un événement ne peut pas se passer deux fois, une fois en réalité et une fois dans un livre… Mais il
faut quand même qu’il ait eu lieu pour que le livre soit apte à en rendre compte… Mais l’événement
lui-même est détruit par le livre… Ce n’est jamais ce qui a été vécu… Mais le livre fait ce miracle que,
très vite, ce qui est écrit a été vécu… Ce qui est écrit a remplacé ce qui a été vécu 10. »

W pamięci straumatyzownej wydarzenie traumatyczne nie ulega zmianie. Jest bez przerwy
powtarzane, przenika do naszej świadomości w ciągu dnia i powraca w nocy w formie koszmarów.
Kiedy pamięć znów staje się zdrowa, odzyskuje zdolność do rozwoju i dokonuje powiązania
wspomnień z różnych źródeł, które wiąże z kolei z życiem obecnym.

Cette aptitude que nous avons tous à métamorphoser les représentations du passé est un facteur de
résilience. Ceux qui souffrent d’un syndrome psychotraumatique ont perdu cette liberté puisqu’ils
sont prisonniers du passé. Mais cette liberté qui nous sauve est aussi une liberté que nous prenons
avec les événements passés. Peu importe ! Il faut vivre.
Ta zdolność jąką posiadamy do przekształcania reprezentacj przeszłości jest czynnikiem rezyliencji. Ci,
którzy cierpią na syndrom posttraumatyczny stracili tę wolność ponieważ są więźniami przeszłości.
Ale ta wolność, która nas chroni, jest również swobodą poczynania sobie z przeszłymi wydarzeniami.

Nous, les êtres humains, pouvons souffrir deux fois. Notre corps souffre du coup qu’il reçoit dans le
réel, puis nous souffrons une seconde fois dans la représentation du coup : « Pourquoi m’a-t-il fait
ça ? Je suis donc coupable… J’ai été bien puni… Comment vais-je m’en sortir ? » Pour nous libérer de
la blessure, nous devons agir sur le réel autant que sur la représentation de ce réel. Quand un soldat
revient de la guerre où il a été blessé, il faut soigner sa blessure et se demander comment il va la
raconter quand, inévitablement, on lui demandera ce qui s’est passé. S’il se tait, il va provoquer un
malaise, un sentiment d’étrangeté avec un brin d’hostilité, puisqu’on voit bien qu’il refuse de se
livrer. Mais s’il parle trop, il va nous envahir avec ses récits d’horreur et nous l’éviterons afin de ne
pas nous laisser contaminer par son malheur.

My istoty ludzkie możemy cierpieć dwa razy. Nasze ciało cierpi z powodu razów, jakie otrzymuje w
świecie realnym, potem cierpimy drugi raz w swojej wyobraźni: „dlaczego mi to zrobił? Więc jestem
winny.. Zostałem więc ukarany… Jak ma sobie z tym poradzić?” Aby uwolnić się od zranienia, musimy
odziaływać tyleż na rzeczywistość co nasze przedstawienia rzeczywistości.

Mettre en mots un sentiment, c’est déjà le trahir puisque le choix des termes dépend du talent de
l’auteur, du nombre de locutions dont il dispose et de la personne à qui il s’adresse. Si je dois
raconter l’attentat de New York (11 septembre 2001) à un historien qui fait une enquête, je ne
choisirai pas les mêmes mots que si je dois rapporter le même attentat à un policier qui me
soupçonne, à un psychologue qui veut m’aider ou à un inspecteur des impôts6. L’auditeur
silencieux est coauteur de mon récit, alors qu’il ne sait pas ce qui s’est passé. Après un événement
émotionnant, la plupart des commotionnés ont besoin de parler. L’enjeu de ces récits n’est pas de
dire la vérité, il vise à donner une forme verbale à la bousculade émotionnelle pour apaiser le parleur
et pour que son monde redevienne cohérent. Le parleur remet de l’ordre en parlant, il ne se sent
plus seul quand l’auditeur écoute. La trahison du réel est inévitable, le bien-être du traumatisé est à
ce prix. Le remaniement de la représentation de l’attentat est thérapeutique, à condition que le récit
soit une recréation. Dans les syndromes psychotraumatiques le traumatisé ne fait que répéter
l’image de l’horreur, renforçant ainsi la mémoire qui le terrorise. Trahir le trauma en le racontant, en
l’écrivant, en le filmant, en le peignant, c’est se resocialiser et devenir créateur de ce qu’on raconte.
Nous, êtres humains, sommes l’espèce la plus douée pour nous soigner grâce aux leurres.

Nadać formę słów uczuciu, to znaczy zdradzić je skoro dobór pojęć zależy od talentu autora, ilości
wyrażeń jakimi dysponuje i osoby do jakiej się zwraca.

Po wydarzeniu wywołującym silne emocje, większość osób nimi poruszonych, odczuwa konieczność
mówienia. Stawką tych opowieści nie jest więc powiedzenie prawdy, lecz ich celem jest nadanie
formy słownej wstrząsowi emocjonalnemu, aby uspokoić mówiącego i aby jego świat na powrót stał
się spójny. Mówiący przywraca rodzaj porządku w akcie mówienia, nie czuje się już sam, kiedy jest
ktoś, kto go słucha. Zdrada wobec rzeczywistości jest więc nieunikniona, ponieważ ceną jest
dobrostan psychiczny osoby straumatyzowanej. Przekształcenie reprezentacji napaści ma funkcję
terapeutyczną, pod warunkiem, że będzie miało charakter twórczego przetworzenia.
Zdrada traumy, w akcie jej opowiadania, opisywania, przedstawiania w formie filmu czy obrazu
malarskiego, jest sposobem na resocjalizację i pozwala na stanie się kreatorem tego, o czym się
opowiada. My, istoty ludzkie, jesteśmy gatunkiem, mającym największą zdolność do
samouzdrawiania poprzez iluzję.

C’est pourquoi, dès l’enfance, les contes ont un effet structurant du monde mental des petits : en
leur racontant les thèmes de l’existence qui l’attend, effrayante, amusante, jolie, mystérieuse et
passionnante, les saynètes imaginées lui disent comment vivre.

La nature et le psychisme ont horreur du vide. Pour combler un manque, rien de tel que la rêverie.
On a beau savoir que ce n’est pas pour de bon, on se plaît dans ce refuge, on se paie des rêves, on
éprouve d’intenses sentiments amoureux, de délicieux désespoirs, de merveilleuses haines dont on
ne souffre pas vraiment puisque ce n’est que le cinéma de soi. Alors on dit qu’on a choisi, mais on
devrait dire que ça a choisi au fond de nous. Une rencontre, un moment sensible nous a aiguillés vers
le néant ou vers la créativité. En écrivant nos rêveries, on a mis de l’existence là où il n’y avait plus
rien. Mais on ne crée pas à partir de rien, seul Dieu sait faire ça. Alors, on fouille, on fouine, on
tripatouille quelques brins de réalité pour en faire un roman, comme un mythe de soi, un opéra
grandiose, majestueux, boursouflé, plus vrai que la vérité. Tout est fondé dans ces récits imaginaires
qu’on a rendus crédibles en trouvant des raisons pour les rendre cohérents.

Natura i psychika nie znoszą pustki. Aby wypełnić brak, nie ma nic lepszego niż marzenia. Choć
dobrze wiemy, że nie jest to ucieczka na zawsze, podoba nam się w tym schronieniu, tworzymy sobie
marzenia, przeżywamy w nich intensywne uczucia miłosne, wspaniałe rozczarowania, fantastyczne
nienawiści, z powodu których nie cierpimy naprawdę, skoro to tylko filmy w naszej głowie.

On a rationalisé pour justifier, grâce à une logique narrative, les conduites dont on ignore les
motivations inconscientes. On se sent mieux dès qu’on a fabriqué un autoleurre, un récit de soi, une
identité, une représentation qu’on habite avec bonheur puisqu’elle nous a sorti du vide et de la
confusion. On perçoit ce leurre comme une évidence, on s’y adapte, on organise notre existence
autour de la création imaginaire qui donne forme à ce dont on a besoin.

Racjonalizujemy, aby usprawiedliwić, dzięki logice narracyjnej, nasze działania, których


podświadomej motywacji nie znamy. Czujemy się lepiej, kiedy tylko stworzymy autoiluzję,
opowiadania o sobie, tożsamość, przestawienie, w którym możemy żyć szczęśliwie, skoro wyciągnąło
nas z pustki i stanu zagubienia. Postrzegamy tę iluzję jako oczywistość, przystosowujemy się do niej,
organizujemy naszą egzystencję wokół wytworu wyobraźni, który nadaje formę temu, czego
potrzebujemy.

Quand un auteur couche son monde intime sur un papier, il en fait un objet extérieur à lui-même
qu’il peut ainsi mieux observer.

Kiedy autor przelewa na papier swój świat wewnętrzny, czyni z niego przedmiot zewnętrzny wobec
niego samo i któremu może w ten sposób lepiej się przyjrzeć.

Est-ce la raison des Confessions de Jean-Jacques Rousseau ? « Je coûtai la vie à ma mère, et ma


naissance fut le premier de mes malheurs11. » Comment expier ce crime d’avoir tué celle qui vous a
donné la vie ? Assassiner un étranger passe encore, mais assassiner sa mère est un crime encore plus
grand ! Expier, se punir, se confesser sont des stratégies de socialisation où l’on ne craint pas de
souffrir. La vérité est à ce prix quand il faut montrer à ses semblables « un homme dans toute la
vérité de la nature ».

Les prisonniers du passé ne peuvent pas faire ce travail de mythe. Quand il y a eu un trauma aigu,
l’image horrible s’impose dans leurs souvenirs. Elle se répète, devient intrusive et s’empare de leur
monde intime. Le traumatisé ne peut plus penser, rire, aimer et travailler

Więźniowie przeszłości nie mogą dokonać tego aktu mityzacji. W momencie, kiedy miała miejsce
silna trauma, koszmarny obraz narzuca się naszym wspomnieniom. Powtarza się, jest natrętny,
opanowuje nasz świat wewnętrzny. Osoba straumatyzowana nie może już myśleć, śmiać się, kocha i
pracować.

Les récits des adultes font voir un monde. Quand les mots désignent des choses, là, dans le contexte,
les conduites sont routinières et les catégories morales. Tout est en ordre, rien à dire. Pourquoi
parler de ça, il n’y a pas d’événements dans un monde prévisible. Mais quand un accident rompt la
routine, le monde mental désorganisé a besoin d’un récit pour redonner cohérence et conduite à
tenir.

Jednak kiedy wypadek przerwie rutynowy tok życia, rzeczywistość psychiczna człowieka ulega
dezorganizacji i potrzebuje opowieści, by odzyskać spójność i odnaleźć sposób postępowania.

Les blessures de l’existence, les manques et les pertes nous mettent en demeure de créer d’autres
mondes plus habitables où nos âmes assombries seront ensoleillées par nos œuvres. Quand la
créativité est fille de la souffrance, l’écriture rassemble en une seule activité les principaux
mécanismes de défense : l’intellectualisation, la rêverie, la rationalisation et la sublimation .

Rany istnienia, braki i rzeczy utracone, stanowią wezwanie do tworzenia innych światów, bardziej
gościnnych, gdzie nasze dusze, które popadły w ciemność, zostaną osłonecznione światłem naszych
dział. Jako że twórczość jest córką cierpienia, akt pisania uruchamiami główne mechanizmy obronne:
intelektualizację, marzenie, racjonalizację i sublimację.

Les blessures de l’existence, les manques et les pertes nous mettent en demeure de créer d’autres
mondes plus habitables où nos âmes assombries seront ensoleillées par nos œuvres. Quand la
créativité est fille de la souffrance, l’écriture rassemble en une seule activité les principaux
mécanismes de défense : l’intellectualisation, la rêverie, la rationalisation et la sublimation.

Pourtant l’écriture n’est pas une thérapeutique. L’auteur a souffert de son malheur, il ne redeviendra
jamais sain, comme avant. Le travail de l’écriture l’aide plutôt à métamorphoser sa souffrance. Avant,
j’étais dans la brume comme une âme errante, là ou ailleurs, sans savoir où aller, sans comprendre.
Depuis que j’ai écrit, je me suis mis au clair, je ne suis plus seul, j’ai repris une direction, mais je ne
suis pas guéri, je ne redeviendrai jamais comme avant puisque la blessure est dans mon corps, dans
mon âme et dans mon histoire. Mon malheur charpente ma personnalité. Tout ce que je perçois, les
objets, les lieux, les maisons et les raisons, sont référés au malheur passé, mais je n’en souffre plus.
Puisque j’ai trouvé un sens, mon monde intime a pris une autre direction. Depuis que j’ai écrit mon
malheur, je le vois autrement : « Aux effets de symbolisation et de trace qui sont plus forts dans
l’acte d’écrire que dans celui de parler, il faut ajouter les bénéfices secondaires de prise de recul,
d’apaisement et de reconnaissance4. »

Tymczasem pisarstwo nie pełni roli terapii. Autor cierpiący z powodu swojego nieszczęścia nie stanie
się nigdy tak samo zdrowy, jak przed nim. Praca pisarska pomoga raczej w przekształceniu tego
cierpienia. Wcześniej byłem niczym dusza błądząca we mgle, tam lub gdzie indziej, nie widząc gdzie
pójść i nie rozumiejąc. Kiedy już napisałem, wyjaśniłem i pojąłem siebie, nie jestem już sam,
odnalazłem kierunek, ale nie jestem wyleczony, bo nigdy nie stanę się taki jak kiedyś, jako że rana
wciąż jest w moim ciele, w mojej duszy i mojej historii. Moje nieszczęście kształtuje moją osobowość.
Wszystko to, co postrzegam: przedmioty, miejsca, domy i racje, odnoszą się do minionego
nieszczęścia, ale nie cierpię już z jego powodu, ponieważ odnalżałem sens i mój świat wewnętrzny
skierował się na nowy kierunek.

Quand le malheur entre par effraction dans le psychisme, il n’en sort plus. Mais le travail de l’écriture
métamorphose la blessure grâce à l’artisanat des mots, des règles de grammaire et de l’intention de
faire une phrase à partager. L’objet écrit est observable, extérieur à soi-même, plus facile à
comprendre. On maîtrise l’émotion quand elle ne s’empare plus de la conscience. En étant soumis au
regard des autres, l’objet écrit prend l’effet d’un médiateur.

Kiedy nieszczęście przedostaje się do naszego świata psychicznego, już go nie opuszcza. Ale praca
pisarska przekształca zranienie dzięki rzemiosłu operowania słowem, regułami gramatyki i intencji
stworzenia zdań, którymi chce się podzielić. Przedmiot opisany można poddać obserwacji, jest
zewnętrzny wobec mnie i łatwiejszy do zrozumienia. Panujemy nad emocją, kiedy one nie mają już
władzy nad nami. Rzecz opisana, poddana spojrzeniu innych, pełni rolę mediatora.

Je ne suis plus seul au monde, les autres savent, je leur ai fait savoir. En écrivant j’ai raccommodé
mon moi déchiré ; dans la nuit, j’ai écrit des soleils.

Nie jestem już sam na świecie, inni wiedzą, dałem im znać. Pisząc naprawiłem moje rozdarte ja, w
nocy opiszę słońca.

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