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Clóvis D. Massa
clovisdmassa@gmail.com
Il était paralysé à partir des reins et avait les jambes atrophiées, maigres comme des flûtes ; mais
ses yeux, perdus dans un visage triangulaire et émacié, étincelaient, terriblement vifs, suppliants,
affirmatifs, pleins de la volonté de briser ses chaînes, de rompre les barrières mortelles de son
mutisme. La parole qui lui manquait, que personne ne s'était soucié de lui apprendre, le besoin de
la parole jaillissait dans son regard avec une force explosive. (LEVI apud AGAMBEN, 1999, p.
46)
Cet enfant de la mort, né peut-être dans le camp sans jamais avoir vu un arbre et
dont le bras minuscule portait le tatouage d’ Auschwitz, décéda début mars 1945. Les
mots de Primo Levi témoignent pour celui qui n’a pas de langue, ses derniers
balbutiements (mass-klo, matisklo) avant de mourir étant indéchiffrables. Le
témoignage consiste donc dans le paradoxe de parler d’une expérience radicale que le
survivant n’a pas vécue et que seul celui qui a approché et « touché profondément » la
Gorgone sans l’avoir regardée droit dans les yeux peut raconter. Pour Agamben,
cependant, la langue doit montrer précisément l’impossibilité de témoigner, comme une
langue qui ne signifie plus (une non-langue) et qui n’avance que parce que le son
qu’elle émet est la voix de quelque chose ou de quelqu’un qui ne peut le faire.
1 Cf. l’oeuvre célèbre L’instruction, Oratorio en onze chants (1965), écrit à partir de témoignages du
jugement de vingt-deux responsables du camp d’extermination d’Auschwitz, qui s’est tenu à Francfort
entre 1963 et 1965 ; ainsi que Discours sur la genèse et le déroulement de la très longue guerre de
libération du Vietnam illustrant la nécessité de la lutte armée des opprimés contre leurs oppresseurs
(1967).
2Qui rapportera ces paroles? (1974) et Une scène jouée dans la mémoire (1995), dans lesquelles
Charlotte Delbo évoque les spectres de sa mémoire après son retour d’Auschwitz.
3« Je me connais, et cela me suffit, et cela doit suffire, je me connais parce que je m’assiste, j’assiste à
Antonin Artaud », écrit-il dans Le pèse-nerfs (1925).
4 « Le 6 avril, l’avion du président du Rwanda, Juvénal Habyarima est abattu. En quelques heures, la ville
de Kigali est quadrillée de barrières tenues par des miliciens Interahamwe et des militaires. La chasse aux
opposants politiques et à toute personne ‘d’ethnie’ Tutsi commence. Elle durera trois mois et fera de huit
cent mille à un million de morts. En moins de cents jours, à la machette, à la massue, à coups de fusils, de
mitrailleuses, de grenades, noyés ou brûlés vifs, hommes, femmes, enfants, vieillards, seront exterminés
dans les villes, sur des collines, dans les temples et les églises. » In GROUPOV, Rwanda 94: une tentative
de réparation symbolique envers les morts à l’usage des vivants. Montreuil, Editions Théâtrales, 2002, p.
5.
réciter, Yolande Mukagasana s’adressait au public en toute vérité, authenticité et
sincérité5 :
Que ceux qui n’auront pas la volonté d’entendre cela, se dénoncent comme complices du
génocide au Rwanda. Moi, Yolande Mukagagasana, je déclare devant vous et en face de
l’humanité que quiconque ne veut prendre connaissance du calvaire du peuple rwandais est
complice des bourreaux. Je ne veux ni terrifier ni apitoyer, je veux témoigner. Uniquement
témoigner. (GROUPOV, 2002, p. 25)
Des massacres (racontés par ceux qui prennent place dans ces événements) aux
histoires d’injustices sociales (dites par la voix des victimes) 6, le théâtre du témoignage
de ces dernières décennies néglige souvent l’approche collective et anonyme au profit
du témoignage individuel, avec la présence réelle de l’auteur de celui-ci. Les
propositions s’écartent ainsi de ce qu’a fait Peter Weiss, s’appuyant sur la conception
épique d’Erwin Piscator, lorsqu’il a proposé un schéma selon lequel les personnages
représentaient des champs de force et des tendances plutôt que des personnages
désignés individuellement et identifiés de leur propre nom. Bien entendu, loin d’en
conclure qu’il n’existe aujourd’hui qu’un seul type particulier de théâtre du témoignage,
il faut tenir compte des formes existantes afin d’en repérer les procédés dramaturgiques.
Comment cette dramaturgie révèle-t-elle et témoigne-t-elle encore des persécutions,
comme celles vécues par les survivants des camps d’extermination, à partir de
l’interrelation établie entre l’approche objective et le discours subjectif des vrais
témoins ?
5Principes du geste de témoigner, selon Jean-Pierre Sarrazac, bien que le mensonge soit présent aussi au
coeur du témoignage. (SARRAZAC, 2011, p. 21)
6 On citerait The Exonerated, de Jessica Blank et Erik Jensen, mise en scène de Bob Balaban, présentée
d’abord dans le cadre du Project Culture (New York), en 2003. A l’origine, les récits de six personnes
innocentes qui ont été condamnées, emprisonnées pendant plusieurs années et emmenées dans le couloir
de la mort, avant d’être libérées ; et Guantanamo ‘Honor Bound to Defend Freedom’, de Victoria Brittain
et Gillian Slovo, mise en scène de Nicholas Kent et Sacha Wares, inspirée de témoignages des britaniques
détenus dans la base militaire nord-américaine, réalisé par Tricycle Theatre, en 2004.
Des origines du collectif « As Travestidas » au spectacle Quem tem medo de
travesti
Il s’est passé quelque chose de très intéressant et qui nous a permis de voir qu’on était vraiment
sûrs de ce qu’on voulait . C’est à cette époque que Silvero, qui donnait des cours de théâtre dans
l’espace principal de Fortaleza, le Théâtre José de Alencar, a entendu de la « classe artistique »
une blague offensive qui disait qu’il n’était plus acteur, qu’il ne donnait plus de cours de théâtre,
qu’il était « devenu » une usine à travestis (Vieira, 2017)
7 Malgré la diversité comportementale et sexuelle présente dans le groupe des artistes du Collectif, toutes
ne sont pas transgenres au quotidien, ce qui souligne le caractère de la visibilité concernant la thématique,
plutôt que sa représentativité.
chantent 17 chansons de différents genres – au lieu d’en faire le doublage – sur la
thématique de l’amour, de l’exclusion et de la liberté d’expression.
Je ne le connaissais pas et lui non plus ne me connaissait pas. On s’est donné rendez-vous pour
aller boire un café et il est venu [habillé] en Gisèle. Et quand il, elle, est arrivée en Gisèle, la
première chose que j’ai faite, c’est de lui dire qu’elle était très jolie. Et alors j’ai dragué Silvero,
en Gisèle, pour la première fois ! (rires). Il m’a dit ce qu’il faisait et moi je lui ai dit que la
thématique sur laquelle je travaillais n’était pas forcément le genre, que ça ne faisait pas partie de
ma recherche mais que cette question d’identité, de déconstruction de genre ou d’univers plus
underground était en quelque sorte toujours présente dans mes travaux. (De Carli, 2017)
Il m’a montré, je lui ai dit des tas de choses, je lui ai dit beaucoup de choses sur ce qu’il avait. Il
est allé à Fortaleza et de là il m’a envoyé un message qui disait « ça fait trois jours que je ne dors
pas ». J’ai dit « ok », t’en fais pas, tu as le matériel, tu peux appeler quelqu’un d’autre ; mais si
c’est moi, on va changer ça, on va bosser, parce que ça, ça va. Il a dit : « Non, c’est exactement
ça que je veux, je veux une personne qui me fasse changer, parce que je me suis toujours dirigé
ou j’ai dirigé le groupe, la compagnie ». Il a été d’accord, on a rejoint la salle et on a beaucoup
travaillé pendant le temps qu’on avait, tous les jours. Et c’est de là qu’est apparu le BRTrans, qui
a une très belle trajectoire. (De Carli, 2016)
Je lui ai demandé une lettre de sa mère, pas exactement un thème, mais je lui ai demandé s’il
avait quelque chose de sa mère, une lettre, parce que dans ma tête je me suis dit que ça pourrait
donner quelque chose. Il m’a téléphoné : « J’en ai, je vais regarder ». Mais après il était moins
sûr, il a beaucoup hésité au début. « Silvero, assieds-toi là et lis la lettre de ta mère ». Ça s’est
passé comme je le voulais, je l’avais déjà en tête, la lettre est super et c’est la seule chose qui est
de lui, rien d’autre n’est de lui, aucune autre histoire. Je voulais un démontage ; je lui ai dis
d’apporter un démontage […]. Je voulais un doublage, « mais je voudrais que tu montres
comment est fait le doublage, comment vous faites un doublage », et là je vois la possibilité du
doublage de [la personnage] Florence. Il me montre et on se met à construire, du plus drôle à
quelque chose de plus dense… Y a ce truc du diable qui est dans mon dos, il y a là une synthèse
de ce que je voudrais comme spectacle, du plus drôle, de la déconstruction jusqu’à quelque
chose de plus dense. Les gens rient et tout à coup il saute et commence à parler du « démon dans
mon dos », et tout le monde est un peu gêné… Ça continue avec la lettre de sa mère. Geni
[l’autre personnage], par exemple, était différente, elle était pas comme ça. Je crois qu’on doit
terminer avec Geni, son corps m’intéressait beaucoup, hybride, ni homme ni femme, J’imagine
Geni avec des bottes gigantesques, et alors on y arrive. (De Carli, 2016)
8 Michel Foucault examine comment la pratique raciste dans les camps de concentration est compatible
avec l’exercice de la biopolitique moderne, la mort étant compatible avec la biopolitique dans la mesure
où elle est envisagée comme une mesure vitale pour le perfectionnement, et donc la survie d’une race ou
d’un groupe de population donné (FOUCAULT, 1999, p. 305).
composé de témoignages personnels en alternance avec des passages de textes
littéraires.
On peut donc dire que le processus de mise en scène du spectacle traduit une
systématisation de plusieurs recours déjà utilisés par le groupe dans son parcours, en ce
sens qu’il s’appuie sur des situations réelles, mais le texte contient aussi des extraits de
pièces, d’ouvrages et de chansons entremêlés à des situations vécues par Alícia Pietà,
Verónica Valenttino, Patrícia Dawson, Deydianne Piaf (Denis Lacerda), FaBinho Vieira,
Karolaynne Carton (Italo Lopes), Yasmin Shirran (Diego Salvador) et Femme Barbue
(Rodrigo Ferreira).
Au départ, un scénario contenant des idées, des images et des textes a été
proposé au groupe par les metteurs en scène pour un travail commun afin d’établir le
matériel scénique. Dans la pièce, une histoire réelle n’est pas forcément racontée par
l’actrice qui l’a vécue car toutes les actrices s’approprient tous les récits. À la frontière
du réel et de la fiction, les événenements ne sont pas seulement racontés mais aussi
recréés et transvécus par elles, c’est-à-dire qu’en visitant leur lieux de mémoire, le
spectacle retrouve des souvenirs d’enfance et matérialise des situations vécues.
L’une des parties les plus ironiques de la mise en scène, alternant des moments
drôles et dramatiques, est celle de la scène où les soins esthétiques nécessaires à la
transformation de genre sont comparés à la remise en état de la carrosserie et de la
peinture d’une voiture (Scène : VIII : Atelier de tôlerie). Le récit de la pièce prend
ensuite un ton plus dramatique en montrant la discrimination et le rejet d’une large
partie de la société envers elles (Scènes IX et X). C’est alors que l’on retrouve l’histoire
du suicide d’Oséias Alves, qui n’est pas envisagé comme une exception mais plutôt
comme étant l’une des pertes innombrables à la suite de meurtres ou suicides causés par
la transphobie.
La représentation du spectacle rompt avec l’idée que l’on se fait des shows de cabarets,
dont les scènes foisonnent d’éclats, de lumières et de mouvements, ce qui ne veut pas
dire, cependant, qu’il ne soit pas touchant. On est touché dès le début du spectacle
lorsque Verónica Valenttino chante : « Je suis un peu décorateur/Un peu styliste/Mais
mon vrai métier, c’est la nuit/ Que je l’exerce, travesti », extrait de la chanson Comment
ils disent, de Charles Aznavour, alors que Yasmin Shirran effectue des mouvements
chorégraphiques précis de cerf, dans une ambiance baignée d’une lumière d’ambre. De
tels renvois intertextuels sont présents dans plusieurs moments de la pièce, comme cette
scène vivante où Femme Barbue chante Sweet Transvestite , chanson de Tim Curry pour
la mémorable comédie musicale dirigée par Jim Sharman em 1975, Rocky Horror
Picture Show, et l’ensemble du casting la suit en choeur. Plus tard, dans la scène qui
rend hommage au groupe théâtral Dzi Croquettes, très connu au Brésil, dans les années
1970, pour son irrévérence, les actrices portent des ailes de papillons sur leurs costumes
(toujours beiges), comme des voiles servant aux enchaînements chorégraphiques. On a
l’impression que le spectacle cherche à prendre le public pour témoin de l’univers des
travesties, en montrant d’une façon toute crue, en toute naturalité, leurs corps abjects,
« des corps dont les vies ne sont pas considérées comme des ‘vies’ et dont la matérialité
n’a pas d’importance », comme l’affirme Judith Butler à propos du concept de corps
abject dans ses études sur le genre. (BUTLER, 2017).
C’est seulement à la fin du spectacle, dans la scène de la Gueule de bois (Scène
XI), que la troupe change complètement de costume, et les actrices se présentent en
robe longue faite d’un tissu pourpre et brillant pour rendre hommage aux célèbres
comédies musicales, mais la composition immobile provoque un sentiment d’étrangeté,
en rupture avec le modus operandi des shows de transformistes. Ainsi, les scènes
défient sans cesse la vision du spectateur et son regard déterminé par
l’hétéronormativité, cette perception selon laquelle, on le présume, le corps des
travesties était vu jusque-là, sinon comme abject, du moins comme étrange car, selon
Verónica Valenttino (2017), « même si une travestie fait quelque chose qui ne soit pas
[de se prostituer] dans la ‘rue’, il y a toujours ce regard étonné et zoologisé ». Dans le
spectacle, cependant, le public doit accepter de repenser et de rectifier son regard.
Performer ces corps en transit qui sont « entre », n’étant ni pleinement féminins ni
masculins, renvoit non seulement au sens du préfixe trans, de la traversée, du
croisement et du passage du masculin au féminin, ou vice-versa, mais également au
geste de déterritorialiser et de déstabiliser les normes, les attentes et les pratiques
discursives imposées aux corps au sein de la société depuis un passé lointain.
Ce qui distingue ce spectacle des mises en scène précédentes du même collectif,
c’est la diversité des capacités artistiques de cette troupe nombreuse : certaines actrices
se distinguent par leur capacité vocale, d’autres par la danse et l’expression corporelle,
d’autres encore par l’improvisation, le jeu comique ou même dramatique. Ce sont ces
aspects qui renforcent la qualité poétique et politique du spectacle, au delà de son
contenu.
9 Roman Jakobson considère que, dans le cas de la poésie, seule la traduction créative (creative
transposition) est possible parce que la poésie contient des éléments de similitude et de contraste qui lui
donnent une signification propre, et les nombreux jeux de mots (la paronomasie) qui la caractérisent la
rendent donc intraduisible. Walter Benjamin rejette aussi la théorie de la “copie” (Abbildung) et, selon lui,
le traducteur ne traduit pas le poème (son contenu apparent), mais le modus operandi de la fonction
poétique dans le poème, livrant ainsi dans la traduction ce qu’il y a de plus intime, son intentio ‘intra-et-
intersémiotique’ : ce qui, dans le poème, est langage, et non pas simplement langue. In CAMPOS, op. cit.,
p. 27.
formes signifiantes convergeant et tendant à se compléter mutuellement » (2011, p. 13).
Il s’agit de vouloir abandonner le sens référentiel, communicatif, par le biais d’une
opération produisant de l’étrangeté, et de redonner une forme.
En ce qui concerne l’intertextualité dans le spectacle, Jezebel De Carli utilise ce
procédé depuis la création de Parada 400: Convém Tirar os Sapatos, sa première mise
en scène et premier spectacle de Santa Estação Cia. de Teatro, groupe créé em 2003.
« Derrière » le récit de Parada 400: Convém Tirar os Sapatos, on retrouve le texte de
Jean-Paul Sartre Huis clos, qui est déplacé et reconfiguré dans une autre histoire. De
Carli s’est servie du même procédé dans d’autres pièces qu’elle a mises en scène, même
en dehors de la troupe, par exemple, Macbodas (2015), spectacle du collectif Errática
qui réunit les étudiants de théâtre de l’Univesité de l’État du Rio Grande do Sul, à
Montenegro. Dans cette pièce, Macbeth, de William Shakespeare, et Noces de sang, de
Federico Garcia Lorca, servent de base à la création d’un nouveau texte. Les intrigues
originales sont présentées par le biais des personnages morts, qui reviennent dans une
fête où le public assiste à une trame marquée par l’amour, l’ambition et la trahison.
Alors cette transcréation, surtout dans le processus de Quem tem medo de travesti [Qui a peur de
travestis], avec Silvero on s’est réunis pour discuter de la scène qu’on aimerait travailler. Les
questions de l’enfance… Il avait cet enregistrement, un enregistrement d’Oséias en train de se
suicider, donc il y a cette question du suicide, de la mort […], ça passe un peu par ces vies, ces
voix qui se manifestent. Donc dans un premier temps on crée un scénario de scènes avec cette
idée, la figure de ce cerf. Avec certaines dramaturgies ou textes littéraires, on sent que quelque
chose peut nous intéresser. On donne un de ces textes à chacune d’entre d’elles [de la troupe] et
on leur demande de séparer des extraits qui les intéresse. (De Carli, 2018)
CHŒUR – Encore un soir plein de freaks, d’intellectuels de merde qui parlent de cinéma, qui
recherchent la guérison, qui attendent le Capitaine Planète.
FEMME BARBUE – Qui arriverait à supporter et préférerait gémir et suer sous le poids d’une
vie fatigante ? Il n’y a pas de peur après la mort.
10 Être, ou ne pas être. C’est la question. Est-il plus noble pour une âme de souffrir les flèches et les
pierres d’une fortune affreuse ou de s’armer contre une mer bouleversée, et d’y faire face, et d’y mettre
une fin? Mourir,… dormir, rien de plus;… Oh! penser que ce sommeil termine les maux du coeur et les
mille blessures qui sont le lot de la chair: c’est là un dénouement qu’on doit souhaiter avec ferveur.
Mourir,… dormir, dormir! rêver peut-être! Oui, voilà l’obstacle. Car quels rêves peut-il nous venir dans
ce sommeil de la mort, une fois délivrés de ces liens mortels? Voilà qui doit nous arrêter. C’est cette
réflexion-là qui assure à nos misères une si longue existence. Qui, en effet, voudrait supporter les
flagellations et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur, l’humiliation de la pauvreté, les angoisses
de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite résigné
reçoit d’hommes indignes, s'il pouvait en être quitte d’un seul coup de poignard? Qui voudrait porter ces
fardeaux, gémir et suer sous une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de cette
région inexplorée, d’où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté, et ne nous faisait supporter les
maux que nous avons par peur de nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas? Ainsi la
conscience fait de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs natives de la résolution pâlissent dans l’ombre
de la pensée; ainsi les grandes entreprises se détournent de leurs cours, à cette idée, et perdent le nom
d’action… (SHAKESPEARE, William. Hamlet. Othello. Macbeth. Trad. de François-Victor Hugo. Paris:
Librairie Générale Française, 1984, pp. 61-62.)
CHŒUR – Oh, baby, n’essaie pas d’attirer mon attention, (non), je parle avec mes amis.
N’importe quelle discussion sur des signes ou des personnes qui ne sont pas ou qui devraient être
sur ma table.
FEMME BARBUE – Supporter les maux au lieu de voler vers ce que l’on ne connaît pas ? Mais
c’est ce que nous sommes, c’est ce que nous voulons.
Parfois l’histoire n’est pas autant racontée que ça, avec des mots. La scène des serviettes, par
exemple, c’est une grande plaisanterie avec des choses qu’on faisait nous-mêmes. Il n’y a pas eu
de chorégraphe pour dire, « fais comme ça avec la serviette ». On s’est souvenus de choses
qu’on faisait avec les serviettes et les perruques, des choses qu’on créait, on formait cette
chorégraphie dans l’univers de notre chambre. (Ferreira, 2017)
Verónika Valenttino observe que les récits des artistes permettent non seulement
au public de prendre connaissance de cette persécution sociale, mais aussi aux artistes
mêmes de reconnaître l’importance extrême de la transposition et du témoignage des
expériences des leurs pairs :
On a très souvent été reniés par d’autres artistes, pour qui on était « que des tapettes faisant des
trucs de tapette sur scène, des trucs de pédés ». Comment Silvero fait-il pour mettre dix tapettes
en lumière sur scène ? Malheureusement, ces personnes sont très arrogantes. Mais on a réussi à
déconstruire tout ça à Fortaleza, et on s’est rendu compte que les groupes venaient jusqu’à nous,
dans notre travail, avec l’envie de discuter, de poser des questions, de proposer. Il faut en finir
avec cette idée de jugement, le plus important est d’arrêter de juger, et si c’est urgent, de parler et
de parler ensemble. L’une des choses les plus intenses de ce spectacle, c’est qu’on a réalisé
combien on avait peur d’être qui on est, de tenir bon, d’assumer et de devenir fort. Et ça a
modifié notre vie ; aujourd’hui on sait qui on est vraiment. Et plus que ça. On travaille avec
d’autres dérivés de tout ce processus. Donc, oui, il va y avoir des travestis, il va y avoir des
travestis sur scène, dans la musique, dans le rock ’n-roll… (Verónica Valentinno, 2017).
Le transvécu, lié aux principes sociopolitiques de l’art, permet un apprentissage
et une connaissance de soi. L’accent mis sur le caractère transformateur du phénomène
théâtral envisagé comme expérience de mobilisation corrobore l’affirmation de Silvero
Pereira selon laquelle le théâtre « l’a sauvé » ; pour lui, l’accueil par les travestis et les
transexuels de Tapuio relevait de l’affectivité, et c’est là qu’il devient possible de
témoigner, grâce au collectif As Travestidas, des histoires de mort, de violence et de
traumatismes dont les trans sont les protagonistes.
Références bibliographiques