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Schizophrénie : réduire
Le Programme émotions positives pour la schizophrénie (PEPS) cherche à améliorer la
motivation et le plaisir des patients souffrant de schizophrénie. Chaque séance débute par
des temps de méditation et de relaxation pour faciliter l’acquisition des compétences.
Dans la schizophrénie, l’an- dents familiaux de schizophrénie et un à maintenir ou savourer le plaisir, ce qui
hédonie, c’est-à-dire la réduction de la moins bon statut professionnel au moment peut interférer avec la mémorisation de
capacité d’éprouver ou d’anticiper le du premier épisode psychotique (2). Les l’expérience agréable. Le syndrome de la
plaisir, est étroitement liée à l’apathie, recherches récentes indiquent aussi diminution de la capacité de l’expérience
elle-même définie comme la réduction qu’une approche davantage centrée sur ce peut ainsi résulter du même processus
de la volonté ou de l’intérêt et des com- syndrome permet d’identifier des méca- sous-jacent, à savoir une diminution de
portements dirigés vers un but. Ces deux nismes psychologiques spécifiques. Par la capacité à anticiper une expérience
comportements sont motivés par le sys- exemple, le fait d’avoir de faibles attentes gratifiante et à conserver les bénéfices
tème de récompense, qui permet au de succès, de se percevoir comme ayant de celle-ci.
sujet de survivre (s’alimenter, s’hydrater, des ressources limitées ou d’avoir des
maintenir sa température, se reproduire), croyances défaitistes sont solidement APPRENDRE À POSITIVER
se restaurer (se détendre, recevoir de associées au syndrome de diminution PEPS (Programme émotions positives
l’affection, se sentir en sécurité) et se de l’expérience, mais pas à celui de pour la schizophrénie) est un programme
réaliser (travailler, créer, satisfaire sa diminution de l’expressivité. groupal, en huit séances, qui cherche
curiosité). Trois-quarts des personnes souffrant de à réduire l’anhédonie et l’apathie. Ses
L’anhédonie et l’apathie sont aujourd’hui schizophrénie présentent une anhédo- objectifs sont de réduire les pensées
regroupés dans un syndrome dit de dimi- nie (3). Plusieurs études soulignent par défaitistes et d’améliorer la capacité
nution de l’expérience par rapport aux ailleurs que ces patients sont moins actifs d’anticiper et de maintenir le plaisir.
symptômes déficitaires associés à une ou moins impliqués dans des activités Afin d’augmenter la disponibilité des
diminution de l’expressivité, comme agréables et positives que les non-pa- participants, le programme recourt à des
l’émoussement de l’affect ou la pauvreté tients. Les études en laboratoires, qui stratégies qui baissent l’état d’excitation
du discours (1). Ce syndrome apathie-an- ont mesuré l’expérience du plaisir lors de émotionnelle en début de séance avec
hédonie tend à être relié à un moins bon la confrontation à des stimuli agréables, des exercices brefs de relaxation et de
pronostic que celui lié à une réduction montrent néanmoins que ces patients méditation.
de l’expression, suggérant un aspect plus n’expérimentent pas moins de plaisir Les groupes sont composés de 5 à 10 par-
sévère de la psychopathologie. Il est, par que les sujets-contrôles. On explique ce ticipants. Chaque séance commence par
exemple, associé à une plus longue durée paradoxe par le fait que les personnes un accueil et un exercice de relaxation
de psychose non-traitée (a), des antécé- atteintes de schizophrénie présenteraient ou de méditation. Dès la seconde séance,
un déficit du plaisir anticipé plutôt que du les animateurs reviennent sur la tâche à
plaisir immédiat (4). Ce déficit est obser- faire à domicile prescrite à la fin de la
vable sur des mesures comportementales, séance précédente. La séance se pour-
électrophysiologiques ou à l’imagerie suit avec la remise en question d’une
Alexandra NGUYEN *1 cérébrale. Ces données suggèrent alors croyance défaitiste, puis l’apprentissage
Laurent FROBERT 1 que lorsqu’un patient veut initier un d’une compétence pour améliorer l’an-
Jérôme FAVROD 1, 2 comportement dirigé vers un but, il peut ticipation, le maintien, l’augmentation
éprouver de la difficulté à s’engager dans ou la réactualisation d’émotions posi-
Infirmiers, *pédagogue. cette activité par manque d’anticipation tives. Elle se termine par la prescription
1– Institut et Haute École de la Santé la Source, Haute du bénéfice positif que cela pourrait lui d’une tâche à accomplir pour la séance
École Spécialisée de Suisse occidentale, Lausanne procurer. Pourtant, s’il parvient à s’enga- suivante. Les compétences enseignées
2– Service de psychiatrie communautaire du ger, il éprouvera du plaisir sans difficulté. sont les suivantes : savourer l’expé-
Département de Psychiatrie du Centre Hospitalier Les personnes souffrant de schizophrénie rience agréable, exprimer les é motions
Universitaire Vaudois, Lausanne. peuvent également éprouver une difficulté de manière comportementale, capitaliser
l’anhédonie et l’apathie
© Benoît Trimborn.
© Dessins de PET
– Séance 6 : anticiper les moments
agréables (1re fois).
– Séance 7 : anticiper les moments
agréables (2e fois).
– Séance 8 : révision de l’ensemble des « Je ne parviens pas à me relaxer. »
compétences. Développez une attribution plus équilibrée !
Les animateurs s’investissent dans les
– Qu’est-ce qui peut être lié à moi ?
séances en accomplissant les exercices,
« J’ai de la peine à me concentrer, j’ai des idées parasites, je suis trop stressée. »
en partageant leur vécu et en effectuant les
tâches prescrites. Ils suivent une formation à – Qu’est-ce qui peut être lié aux autres ?
l’animation de PEPS, appelée ForPEPS, qui « Les animateurs ont des attentes trop élevées, leurs instructions ne sont pas claires. La présence
vise à les rendre conscients de leurs propres des autres me perturbe pour me relaxer. Je n’aime pas la voix de l’enregistrement. »
stratégies d’apprentissage et à identifier – Qu’est-ce qui peut être lié à la situation ?
celles des participants afin de favoriser « Il y a trop de bruit dans la pièce. L’exercice ne me convient pas. »
l’appropriation des habiletés enseignées. – Les animateurs aident ensuite les participants à trouver des conclusions alternatives à la
Deux héros, Jill et Jack, accompagnent pensée de Jill : « Je suis nulle. » Des exemples de réponses sont : « Ce n’est pas parce que je n’y
les participants et illustrent les compé- arrive pas du premier coup que je suis nulle » ; « Peut-être qu’en m’entraînant, j’y parviendrais » ;
tences enseignées dans le programme. Ils « Certaines zones de mon corps se sont malgré tout détendues » ; « L’exercice ne me convient
sont dessinés par l’illustrateur Sébastien pas ; un autre peut-être ? »
Perroud, dit PET.
• Séance 1 : modifier les croyances du plaisir ressenti. Après chaque exercice, consiste à raconter un événement positif
Cette séance propose des mises en situa- participants et animateurs partagent leurs à son partenaire et à observer ce que
tion (voir illustration 1). Dans l’exemple observations en décrivant les éléments cela produit chez chacun. Après chaque
donné ici, Jill, suite à un exercice de appréciés et les sensations éprouvées. exercice, les participants décrivent leurs
relaxation, a une pensée défaitiste. Elle ressentis et une explication théorique
se dit qu’elle n’a pas réussi à se relaxer • Séance 3 : expression est donnée.
et qu’elle est nulle (image de gauche). comportementale
La tâche du groupe va être de l’aider à L’exercice consiste à manifester une • Séances 6 et 7 : anticiper le plaisir
trouver une croyance alternative (image émotion positive par des expressions Se projeter dans un moment agréable
de droite). Les animateurs vont tout faciales et gestuelles, d’abord en imitant augmente la motivation à s’engager dans
d’abord aider les participants à trouver des comédiens qui exprime une émotion une activité. Les participants évaluent
des attributions plus équilibrées sur les positive sur des photographies projetées le plaisir projeté d’une activité sur une
raisons qui ont pu conduire Jill à ne pas sur écran pendant quelques secondes. échelle allant de 0 à 10, ainsi que l’ef-
réussir à se relaxer. Le groupe recherche Chacun décrit ensuite ses propres expé- fort que coûtera cette activité. Ils sont
ce qui peut être lié à Jill, aux autres et riences. invités à s’entraîner d’abord avec des
à la situation. activités dont le plaisir est supérieur
• Séance 4 : partager les moments au coût. L’exercice de base consiste
• Séance 2 et 5 : savourer positifs à s’imaginer, en état de relaxation, en
Savourer l’expérience agréable consiste Il s’agit ici de communiquer et de célé- train de faire cette activité et de se
à prendre conscience du plaisir ou des brer les événements positifs avec les centrer sur les émotions positives que
émotions positives que l’on éprouve. Les autres. Cette stratégie améliore l’affect, procure cette projection dans l’activité.
participants sont invités à se souvenir d’un au-delà de l’impact de l’événement lui- Les résultats de l’exercice sont partagés
moment agréable et à prendre conscience même. L’exercice de base de cette séance en groupe.
• Séance 8 : révision et qui permettent des changements l’apprenant, induisant ainsi chez les
C’est une séance de révision de l’ensemble durables. Le patient est considéré comme professionnels-animateurs du programme
des compétences. Les exercices sont ani- un apprenant qui acquiert et développe une posture d’accompagnement favorisant
més cette fois par les participants eux- des compétences ou des capacités l’autonomie et l’auto-détermination du
mêmes. Ce qui permet une synthèse des d’auto-observation, de raisonnement et patient-apprenant.
compétences apprises et l’identification de décision, d’auto-soin, de jugement Considérant ces références, les
des stratégies pour la mise en pratique et d’appréciation sur sa santé et des séances PEPS reposent sur deux choix
dans la vie de tous les jours. Afin d’ac- habiletés sociales. La littérature suggère pédagogiques : ancrer le programme sur
compagner ce transfert d’apprentissage, les un changement de paradigme dans l’apprentissage expérientiel et formaliser
participants reçoivent dès le début du pro- les pratiques d’accompagnement de la posture professionnelle d’accompagnant
gramme un cahier d’exercices dans lequel ces apprentissages, recommandant la pédagogique pour les animateurs.
sont recensés les informations utiles pour construction des savoirs plutôt que leur
se remémorer les séances et les exercices transmission. Il s’agit alors de favoriser des • L’apprentissage expérientiel dans PEPS
réalisés pendant et entre les sessions. approches pédagogiques contextualisées L’expérience est une source importante
qui permettent le développement de de tout apprentissage. Il s’agit de convo-
SE FORMER POUR ANIMER PEPS savoirs, transposables dans les situations quer des situations réelles, vécues et de
PEPS a été développé à partir des deux de la vie quotidienne, initiant les patients s’appuyer sur la pratique plutôt que sur
champs disciplinaires distincts, celui des à la résolution de problèmes complexes la théorie. Le courant de l’apprentissage
soins et celui des sciences de l’éducation inhérents à leur problématique de santé. expérientiel s’est modélisé avec David &
(5). L’élaboration de programmes dans Ce changement de paradigme réinterroge la Alice Kolb (6), qui ont identifié et opéra-
le domaine de l’éducation thérapeutique question des savoirs à construire et se voit tionnalisé quatre stratégies d’apprentis-
repose sur des choix pédagogiques qui complexifiée de la notion de compétence à sage que l’apprenant mobilise en situation
visent à favoriser des transformations de développer. Dans cette vision pédagogique, de formation. Inspiré par ce modèle et afin
comportements en vue du rétablissement le pouvoir de décision est confié à de répondre le plus largement possible
Observation Expérience
réfléchie (OR) concrète (EC)
Conceptualisation Expérimentation
abstraite (CA) active (EA)
• La posture d’accompagnant
de l’animateur
L’environnement pédagogique a une impor-
tance majeure car il permet non seule-
ment de créer des situations propices à
l’apprentissage de savoirs et d’habiletés,
mais il est également à considérer dans la
forme et la qualité de l’accompagnement
proposé aux participants. Ces dernières
années, la posture du professionnel dans
un programme d’éducation thérapeutique
semble évoluer, de concert avec la dimen-
sion éthique. Le rôle change, de l’expert
qui transmet des savoirs complexes au
« formateur » qui accompagne et favorise
l’apprentissage. De fait, si le patient prend
pouvoir sur ses décisions et ses choix
comportementaux, le professionnel doit le
renseigner sur les options de changement,
les moyens disponibles et les différentes
stratégies qui pourraient l’intéresser ou
lui convenir. Dès lors que le professionnel
de la santé ou du social doit adopter une
nouvelle posture, du type « accompagne-
ment » versus transmission de savoirs, les
compétences qu’il doit mobiliser dans
son activité doivent être reconsidérées.
Il s’agit donc désormais de former les
professionnels à accompagner les patients
via des habiletés pédagogiques.
partenariale
Prenant comme point de départ la défi-
nition de Paul (7) du mot accompagner
comme « se joindre à quelqu’un pour aller
Résumé : Le Programme émotions positives pour la schizophrénie (PEPS) cherche à améliorer la motivation et le plaisir dans la schizophrénie. Il
utilise des techniques de méditation et de relaxation pour rendre les participants disponibles à l’apprentissage des compétences pour mieux savourer et
anticiper le plaisir. Une étude contrôlée randomisée est en cours et les résultats de l’étude pilote sont encourageants.
Mots-clés : Anhédonie – Apathie – Expression de l’émotion – Méditation – Relaxation – Schizophrénie – Thérapie comportementale
et cognitive.