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De vous à moi

Confessions d’une femme autiste avec un haut


potentiel intellectuel
Confessions d’une femme autiste avec un haut potentiel intellectuel

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche.

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche.

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche.

Les jours se suivent et se répètent, indéfiniment, du début


jusqu’à la fin de l’existence.

Parfois, en fonction du jour où vous êtes nés, il ne commence


pas le même jour. Moi, par exemple, je suis née un vendredi.

Vendredi, samedi, dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi.

Vendredi, samedi, dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi.

Vendredi, samedi, dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi.

J’aime les choses qui se répètent. J’aime quand les choses sont
toujours pareilles, c’est sécurisant, c’est rassurant.

J’aime compter aussi. Les nombres eux aussi se suivent et se


répètent.

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Ce sont le nombre de marches que compte un escalier au


travail dans l’ancien bâtiment. Ça c’est parce qu’il y a un
nouveau bâtiment et depuis le nouveau, mon bâtiment est
devenu l’ancien. Les choses changent, alors je compte et je
compare. Dans l’ancien bâtiment, il y a 2 escaliers par étage de
10 marches chacun, donc ça fait 20 marches entre deux étages.
Dans le nouveau bâtiment, il y a aussi deux escaliers par étage,
mais ils font 12 marches chacun, donc ça fait 24 marches. Je me
demande donc si la hauteur au plafond est plus grande dans le
nouveau bâtiment, ou alors c’est peut-être l’entresol qui est
plus grand ou les marches qui ne sont pas à la même hauteur…

J’aimerais bien savoir, mais pour ça, il faudrait que je prenne


un mètre et que je mesure pour comparer, mais si je le fais,
mes collègues vont se poser des questions et ils risquent de me
trouver bizarre. Je ne veux pas qu’on me trouve bizarre. Je veux
juste être moi, mais je ne peux pas être moi. Être moi ce serait
être différente des autres et je ne veux pas avoir l’air d’être
différente des autres. Je ne veux pas qu’on me regarde, je veux
qu’on me laisse tranquille. Mais les autres, ils ne veulent pas
être tranquilles, ils veulent parler avec moi, ils veulent créer des
liens et parler, toujours parler. Moi, je n’ai pas besoin de liens
avec les autres, j’ai besoin d’être en lien avec moi.

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Donc pour ne pas être bizarre, je m’adapte, je me transforme.
Je les observe, comme une scientifique observerait un nouvel
animal étrange, et j’apprends, ou du moins, j’essaie
d’apprendre et j’imite, ou du moins j’essaie d’imiter. Le
problème c’est que dans ma tête tout est logique, mais les
autres ne sont pas logiques. Alors je lis, beaucoup, je cherche à
comprendre, mais je ne comprends pas. Par exemple, il est dit
qu’en amitié il faut être honnête. Moi, j’ai déjà essayé d’être
honnête, mais ça n’a pas plu. Je ne sais pas ce qu’il faut faire
pour rendre ces étranges créatures heureuses… Parfois, des
collègues ou des amis, je ne sais pas bien où se trouve la limite
entre les deux, viennent me parler de leurs problèmes, alors
moi, je leur donne des solutions, parce que voir quelqu’un que
j’apprécie souffrir me fait souffrir aussi, mais souvent la
personne n’aime pas ça, alors je ne comprends pas, parce que
j’ai aussi appris qu’il faut s’aider les uns les autres et qu’en
amitié on est censé se soutenir. Donc maintenant quand
quelqu’un me parle de ses problèmes, je ne sais pas quoi faire
et j’ai envie de partir en pleurant. C’est dur de ne pas savoir
rendre les autres heureux, c’est dur de ne jamais savoir ce qu’il
faut dire ou faire avec les gens qui nous entourent.

Moi, je m’appelle Kristina et je suis autiste. Autiste de haut


niveau, autiste Asperger, TSASDI, tant de manières de nommer
la manière dont je suis faite et comment je fonctionne.

Je ne suis pas malade, je ne suis pas folle, je ne suis pas atteinte


d’une maladie psychiatrique, je suis juste différente dans mon
cerveau et mes connexions neuronales sont différentes des
vôtres.

Je ne suis pas bizarre, je ne suis pas méchante, je ne suis pas


dure, je suis juste logique et stable.

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Quand je vous observe, vous les neurotypiques, je me dis que
c’est vous qui êtes anormaux. Vous n’êtes jamais pareils,
toujours différents, un jour vous êtes heureux et gentils, un
jour vous êtes tristes et méchants. Un jour vous parlez de
valeurs humaines, et un autre, vous vous indignez parce qu’une
personne a osé appliquer les valeurs que vous louiez la veille.

Si seulement vous vous rendiez compte de toute l’énergie que


j’investis pour vous comprendre, pour vivre avec vous, dans
votre monde. Cela fait 34 ans maintenant que j’essaie et je suis
épuisée. J’ai lu tant de livres, j’ai appris tant de méthodes de
communication, j’ai même suivi des cours…. Mais rien de tout
cela ne fonctionne vraiment avec vous, parce que vous êtes
instables.

Alors je m’isole de vous, je me renferme, parce que c’est trop


dur d’être constamment incomprise et montrée du doigt. C’est
dur d’avoir le sentiment de ne jamais faire juste, de
n’appartenir à rien, d’être seule au monde, sans personne pour
me comprendre, dans l’incompréhension totale du monde que
vous avez créé, injuste, illogique, aberrant … Un monde où je
n’aurais jamais ma place.

Alors je reste seule et vous, vous vous demandez ce que vous


avez fait… Comme si le monde tournait autour de vous. « Mais
pourquoi elle met son casque de musique ? » ; « Pourquoi elle
regarde par terre en marchant et ne me dit pas bonjour ? » ;
« Qu’est-ce qu’elle est malpolie ! » ; « Pourquoi ne veut-elle
pas manger avec nous à midi, on n’est pas assez bien pour elle
c’est ça ? »

J’ai lu que lors du développement de l’enfant, il existe


différentes phases. Dans la première phase de vie d’un enfant,
il croit être le centre du monde et ne comprend pas qu’il a une
identité séparée de celle de sa maman. Ensuite il grandit et

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comprend qu’il a une identité propre et qu’il est une partie du
monde, et non son centre.

Moi, je me dis que vous avez dû rater cette étape et que vous
croyez encore être le centre du monde. Sinon pourquoi est-ce
que rapporteriez tout à vous ?

Si je mets mon casque de musique, c’est pour être seule avec


moi-même, c’est pour cesser cette agression constante que
chaque infime petit bruit cause à mon corps, c’est pour me
créer un mini monde, un monde de répit où vos lois ne font pas
foi.

Si je ne dis pas bonjour et que je regarde par terre quand je


marche dans les couloirs, c’est parfois parce que je suis trop
fatiguée pour observer mon environnement et que la lumière
me fait mal aux yeux. Il se peut aussi qu’à ce moment, je n’ai
pas la force de me questionner sur comment je dois dire
bonjour en fonction de qui je vais croiser, de quoi dire si j’ai
déjà croisé la personne plus tôt, est-ce que je redis bonjour ?
Est-ce que je fais juste un sourire ? Est-ce que je ne dis rien ?
Est-ce que je regarde la personne ? Mais si je la regarde, est-ce
que cela implique que je doive lui parler ? Et quand vous me
dites une petite phrase du genre : « Qu’est-ce qu’on se croise
aujourd’hui, hein ?! ». Eh bien moi ça me chamboule, parce
que je n’étais pas préparée à cette question et là c’est le stress
dans tout mon corps. Je n’aime pas l’imprévu. L’imprévu me
stresse et me fait mal dans le corps.

Alors pour éviter l’imprévu, j’imagine plein de scénarios dans


ma tête et je pense à toutes les possibilités qui pourraient se
dérouler afin d’anticiper, de réfléchir à la manière dont je
devrais réagir dans chaque scénario que j’ai supposé possible.
Mais vous êtes inventifs… Et moi, je suis déjà fatiguée d’avoir
dû autant réfléchir, d’avoir dû autant anticiper et maintenant

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je me sens nulle, nulle, car je n’avais pas imaginé ce scénario-
là. Je ferai mieux la prochaine fois.

Moi, si je devais définir les règles au travail, je dirais qu’on ne


devrait pas se dire bonjour ou avoir besoin de se regarder. On
serait comme des robots où chacun s’occuperait de lui-même
et du travail qu’il a à faire. On pourrait se parler de manière
imprévue, s’il y a un but pratique à le faire, comme, par
exemple : « Tu sais où se trouve la clef de 12 ? ». On n’aurait
pas besoin de se dire bonjour, de dire s’il te plaît, de mettre des
fioritures autour d’une demande, ce serait simple, efficace et
direct.

Cependant, parfois, j’aime bien parler avec les autres. Donc,


dans mon idéal, il y aurait aussi des lieux agréables d’échanges
de paroles futiles où, lorsque les personnes auraient le besoin
ou l’envie de discuter avec d’autres humains, ils iraient s’y
installer pour indiquer aux autres qu’ils sont disponibles à
l’échange de paroles.

Par exemple, quand je vais chez mon boucher, j’aime bien


parler avec lui. Mon boucher s’appelle David et on échange
toujours quelques mots. Pas grand-chose, mais quelques mots.
David, je l’aime bien, il est stable et il est toujours là dans les
horaires d’ouverture. Je sais toujours comment les choses vont
se passer chez David. Parfois, il y a des visages inconnus et ça
me perturbe un peu, mais ce n’est pas très grave, car David il
est toujours là derrière son comptoir, alors ça me rassure. Il
arrive parfois que David prenne des vacances et quand il est en
vacances et bien, dans ces cas, il n’est pas là. Quand il n’est pas
là, c’est compliqué pour moi, parce que j’achète toujours ma
viande chez lui, alors s’il n’y est pas, je ne mange plus de viande
en attendant qu’il revienne. Une fois David m’a dit qu’il partait
en vacances une semaine et qu’il serait de retour la semaine
d’après. Alors moi, lundi, je suis passée chez David, mais la

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boucherie était fermée. Il était inscrit sur la porte que la
boucherie rouvrirait le mardi, mais David m’avait dit qu’il
prenait une semaine de vacances et pas une semaine et un
jour. Alors j’ai failli pleurer… Et si David ne revenait jamais… Si
David décidait de ne pas revenir de vacances, ou alors de laisser
sa boucherie, comment je ferais moi, je ne pourrais plus jamais
manger de viande…

Heureusement, le lendemain David était revenu, j’étais


rassurée. Merci David.

Je m’appelle Kristina et je suis autiste. Ce que j’aime dans la vie,


ce sont les puzzles, assembler des pièces, faire des plans et
construire des choses utiles. J’aime mettre les choses dans des
boîtes et les boîtes dans des boîtes. J’aime quand tout est en
ordre et que chaque chose est à sa place.

Quand je construis des choses ou que je suis sur un puzzle, plus


rien d’autre dans le monde n’existe. J’oublie de manger, de
boire, je peux passer une journée entière à ne faire que ça,
jusqu’à ce que mes yeux me brûlent tellement que je doive
aller au lit, ou alors que mes chutes de tension deviennent trop
fréquentes et que je me résigne à aller manger quelque chose.
J’aime construire, j’aime mettre chaque chose à sa place, alors
je fabrique plein de choses, des choses utiles et je fais des
puzzles. Je suis heureuse parce que pour mon anniversaire, ma
famille m’a offert un puzzle de 33'600 pièces. Je serais occupée
un moment, c’est rassurant. Parfois, je pense à quand
j’approcherais de la fin de mon puzzle et ça me stresse un peu,
mais pour le moment j’essaie de ne pas y penser, car il me reste
encore beaucoup de pièces à mettre en place.

J’aime aussi l’exactitude et la précision et j’en ai besoin, donc


là, juste maintenant, j’ai l’impression de vous mentir parce que
mon puzzle est en 10 sachets donc je ne fais pas vraiment un

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puzzle de 33'600 pièces… Il serait plus juste de dire que je fais
10 puzzles de 3360 pièces chacun. Un jour quand je serais à la
retraite et que j’aurais du temps, je referai ce puzzle et cette
fois-ci je pourrai dire : « Je fais un puzzle de 33'600 pièces. »

Vous, les neurotypiques, vous n’êtes pas très précis, alors j’ai
souvent l’impression que vous me mentez. D’ailleurs, vous
aimez bien mentir, c’est un peu une habitude que vous avez.
Quand vous avez fait une bêtise par exemple, c’est souvent
compliqué pour vous de l’assumer et de l’avouer, alors vous
vous trouvez des excuses, ou pire, vous accusez quelqu’un
d’autre. Moi, je trouve très mal de faire ça, c’est méchant. Aussi
quand on vous pose une question, vous avez de la peine à dire
que vous ne savez pas, alors vous inventez des réponses. Vous
dites c’est comme ça, alors que vous n’en êtes pas sûr, je vois
souvent ça au travail. Tout ça, c’est fatigant pour moi, parce
que moi je vous fais tellement confiance et j’oublie que vous
êtes des menteurs. J’oublie de me méfier de ce que vous dites,
parce que moi si je ne suis pas sûre, je le dis, même si je devrais
savoir. Je n’ai pas de problèmes à ne pas savoir et je n’ai pas de
problèmes à le dire. Peut-être que c’est parce que moi je ne
recherche pas l’approbation des autres, je ne recherche pas à
être quelqu’un que je ne suis pas, je cherche juste à être une
meilleure version de moi-même, mais pas pour les autres, juste
pour moi, pour pouvoir être fière de moi, pour être juste.

Être juste, c’est très important pour moi. En fait, je ne vois pas
comment on peut être autrement, mais vous les
neurotypiques, la justice et la droiture, ce n’est pas votre truc.

Un autre constat que je fais c’est que vous vous compliquez


beaucoup la vie. Vous avez envie de quelque chose, mais pour
une raison que j’ignore, vous ne le demandez pas directement,
vous agissez de manière à ce que l’autre comprenne que vous
n’êtes pas contents et que vous attendez quelque chose de lui.

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Vous avez différents stratagèmes pour exprimer vos besoins,
comme par exemple, faire la tête ou être désagréables pour
faire passer le message. Ce que je ne comprends pas c’est la
raison pour laquelle vous n’utilisez pas le vocabulaire et les
mots, outils crées pour communiquer, pour faire vos
demandes ? Ce serait tellement plus simple et au moins vous
seriez sûrs d’obtenir exactement ce que vous voulez ou du
moins, une réponse claire à votre requête.

Le plus souvent, c’est dans le cadre de relations amoureuses


que vous êtes les plus mauvais en communication. J’ai souvent
constaté chez les personnes que j’ai connues et rencontrées
que si l’un de vous se sent délaissé, il aura tendance à prendre
ses distances ou à faire des reproches. Pourquoi ne pas
simplement dire à l’autre ce que vous ressentez afin de trouver
une solution commune qui pourrait satisfaire les deux partis ?
Quand vous avez des peurs aussi, vous avez tendance à les
projeter sur les autres et à provoquer vos malheurs. Je
m’explique, une personne neurotypique qui a peur d’être
abandonnée va parfois se comporter de manière désagréable
ou distante ou faire des reproches pour tester le lien et
s’assurer que la personne ne l’abandonnera pas, mais en
agissant ainsi vous risquez surtout d’user la relation et de
provoquer ce que vous redoutez le plus.

Pour ma part, j’ai aussi souvent craint d’être abandonnée. Je


suis loin d’être parfaite et j’ai eu mon lot d’expériences qui ont
façonné la personne que je suis avec mes forces et mes
faiblesses, mais du coup, si j’ai peur je le dis. Je dis à l’autre de
manière claire que j’ai peur et je lui explique que mes peurs
n’ont rien à voir avec sa manière de se comporter et qu’elles
m’appartiennent, mais qu’elles sont bel et bien là et, le plus
souvent, le simple fait de pouvoir l’exprimer, de pouvoir en
discuter avec l’autre, permet déjà de calmer cette émotion et
de nous faire relativiser.

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Il me semble que pour vous, les neurotypiques, la gestion des
émotions n’est pas votre fort, c’est une des raisons pour
laquelle je vous trouve aussi instables… Vous avez aussi cette
tendance absurde à exprimer des choses avec votre bouche
tout en exprimant autre chose avec votre corps. Par exemple,
un neurotypique pas content qui dit que tout va bien alors que
ses sourcils sont froncés et sa bouche de travers…

Souvent les personnes autistes ont beaucoup de peine à


reconnaître les expressions d’un visage. Ça, je m’en suis rendue
compte quand j’ai passé les tests pour mon diagnostic. Il y avait
plein de dessins de visages avec différentes expressions et je
devais dire quelle était l’émotion de la personne. C’était un
exercice très difficile et j’aurais préféré qu’on me donne une
équation complexe à résoudre ou un problème mathématique
quelconque, j’aime les mathématiques. Donc moi, j’ai fait de
mon mieux et je n’ai pas eu de très bons résultats… En fait, je
me suis rendue compte que pour lire l’expression d’un visage
j’observais les sourcils. Si les sourcils sont froncés, la personne
n’est pas contente et autrement elle est contente. Donc
soucieux, pas content ; inquiet, pas content ; fâché, pas
content ; surpris, content … Oui dans ma tête le monde est
relativement binaire… Les gens sont contents ou pas contents,
gentils ou méchants, je n’aime pas trop les nuances et surtout
j‘ai de la peine à les déceler…

Un autre test que j’ai passé était celui de l’empathie. Il me


semblerait plus juste de dire votre version de l’empathie…
Selon le site internet du Larousse, la définition de l’empathie
est la suivante : « Faculté intuitive de se mettre à la place
d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent. ». Il est souvent dit que
les personnes autistes n’ont pas d’empathie, ce qui me semble
étrange, car toutes les personnes autistes que j’ai rencontrées
étaient toutes très sensibles et soucieuses de ce que pouvaient
ressentir les personnes qui les entourent. Pour ma part, je suis

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tout à fait capable de me mettre à la place d’autrui et
d’imaginer ce qu’elle peut ressentir, même de ressentir très
fortement ce qu’elle ressent.

À mon sens, le problème vient surtout d’une notion de


perception, de vision du monde et des difficultés. Par exemple,
j’ai une amie dont le père était très malade, il était souffrant.
Cela faisait plusieurs années qu’il était en EMS et avait déjà subi
de lourdes opérations. Cet homme avait 86 ans. Quand il est
décédé, mon amie était dévastée. Je comprends la tristesse et
la voir triste me rendait triste, mais ce que je ne comprenais
pas c’est la raison pour laquelle elle était triste. Son père
souffrait et avait vécu une belle vie bien remplie. À cet âge, il
est normal de mourir, alors pourquoi était-elle triste de savoir
que ses souffrances avaient été abrégées ? Pourquoi ne
pouvait-elle pas se réjouir que son père soit enfin délivré et
qu’il ne souffre plus ? J’ai trouvé ça égoïste et je vous trouve
d’ailleurs souvent égoïstes, car comme dit plus haut, vous
rapportez tout à vous sans vous soucier des autres. Du coup, je
voyais qu’elle souffrait, mais je ne savais pas quoi faire et quoi
dire, car j’étais incapable de comprendre ce qui la rendait triste
et que la seule explication que j’ai trouvée était son égoïsme
de ne pas laisser partir quelqu’un en souffrance. Si on aime les
gens véritablement, on ne souhaite pas qu’ils souffrent.

Donc dans ce test, la neuropsychologue a tenté de mesurer ma


capacité d’empathie. Elle m’a fait part de différentes situations
sociales et je devais dire si oui ou non la réaction à cette
situation avait été adéquate. L’exemple qui m’a le plus marqué
est celui-ci : « Une femme vient d’emménager dans un nouvel
appartement et a refait la décoration de sa chambre. Elle invite
une de ses amies et lui demande ce qu’elle pense de ses
rideaux. Cette dernière ne sait pas que la décoration a été
refaite par son amie et lui répond : « Ces rideaux sont affreux,
tu devrais les changer ». »

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Une fois de plus, en amitié on doit pouvoir se faire confiance et
la confiance ne peut être sans l’honnêteté. Pour moi, cette
réaction est tout à fait adéquate, car l’amie répond
honnêtement à la question qui lui est posée. Elle ne dit pas à
son amie qu’elle est moche, elle parle d’une chose qui ne
concerne même pas directement sa personne, mais plutôt ses
goûts et s’il y a bien une chose qui est relative à chacun, ce sont
bien les goûts.

Il y a plein de différences que j’avais pu constater entre vous et


moi, que je peux maintenant comprendre depuis mon
diagnostic, car elles ont été clairement définies comme étant
des spécificités liées au fonctionnement neuroatypique du
cerveau autiste. En effet, nos connexions neuronales ne sont
pas faites de la même manière, c’est la raison pour laquelle
nous sommes si différents.

Une coach que j’ai vue durant quelques mois et qui m’a
beaucoup apporté dans la compréhension de mon
fonctionnement m’avait expliqué ceci un jour : « Lorsqu’une
personne autiste regarde un paysage, elle verra une écorce,
elle verra ensuite que cette écorce appartient à un arbre, de
même que l’arbre appartient à la forêt et que cette forêt fait
partie d’un paysage plus vaste. Une personne neurotypique
quant à elle verra un paysage, puis elle verra qu’il y a une forêt
dans ce paysage, qui est elle-même composée d’arbres, qui
possèdent eux une écorce. »

Cette différence peut sembler insignifiante dans la visualisation


d’un paysage, mais elle est pourtant la base de nombreux
quiproquos et de certains comportements autistes que vous
peinez à comprendre. Par exemple, si je lis un texte et que je
constate une faute d’orthographe, je ne pourrais plus rien lire
du texte, car toute mon attention sera focalisée sur cette faute

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et il sera très difficile pour moi d’en faire abstraction et de
poursuivre ma lecture. Si vous me faites écouter une chanson
et que je constate une fausse note, il me sera très difficile de
vous dire si j’ai aimé ou non la chanson, car toute mon
attention sera portée sur cette dissonance et aucune autre
constatation n’aura pu atteindre mon cerveau tant que ce
problème de fausse note n’aura pas été réglé. À l’inverse, il
m’arrive souvent de ne pas vous comprendre et de trouver que
vous manquez de zèle dans ce que vous faites. Vous manquez
beaucoup de précision et de rigueur dans votre travail.

Aussi quand je parle avec une personne, je suis incapable de


distinguer ce qui se passe autour d’elle. Cela engendre parfois
des remarques de mes collègues de travail qui, quand je leur
dis bonjour, me précisent qu’on s’est déjà croisés et que je n’ai
pas répondu quand ils m’ont saluée… Cela semble les agacer…
Déjà, je ne comprends pas pourquoi ils donnent tant
d’importance à mes actions, je ne suis pas leur mère, ou leur
petite copine, ils ne devraient pas avoir tant d’attentes de ma
part, je ne suis qu’une collègue. Parce que quand on est déçu
de l’attitude d’une personne, c’est qu’on attendait quelque
chose d’elle et que donc elle est importante à nos yeux. Les
gens qui me font ce genre de réflexion, je ne suis pas
importante à leurs yeux, parce qu’on ne boit jamais de café
ensemble et que l’on ne se pose pas de questions sur nos vies
privées. En fait, on ne partage que des bonjours, alors pourquoi
ils ont l’air fâchés quand ils me font remarquer que je ne leur
ai pas répondu… En plus, je ne le fais pas exprès, car si je veux
écouter et entendre la personne qui me parle, je dois me
couper du reste du monde, c’est comme ça, c’est une question
de traitement de l’information.

Parfois aussi, je ne reconnais pas les gens… Ça, c’est gênant


parce que je vois bien que souvent ça ne les rend pas contents.
Une fois de plus, ce n’est pas fait exprès, ce n’est pas un

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manque d’intérêt, c’est que la manière qu’a mon cerveau de
distinguer les gens n’est pas très bien définie. Comme je ne
perçois pas vraiment les traits du visage, j’ai appris à utiliser
d’autres signes distinctifs pour différencier les gens, mais si
vous changez, moi je ne vous reconnais plus.

Je connaissais une fille quand j’étais adolescente qui était


toujours très maquillée. Un jour, je la rencontre en dehors de
l’école et pas maquillée, je ne l’ai pas reconnue… Elle me dit :
« Mais c’est moi Roxanne ! » Je lui ai répondu que sans son
maquillage, je ne l’avais pas du tout reconnu, je crois qu’elle ne
l’a pas très bien pris, pourtant ce n’était pas méchant. Je
continue de me demander si c’était vraiment elle que j’ai vue
ce jour-là…

Je m’appelle Kristina et je suis autiste. Si vous me croisez, vous


penserez sûrement que je suis normale, que je suis comme
vous. Si je vous disais que je suis autiste, peut-être que vous
seriez surpris, peut-être que vous ne me croiriez pas, peut-être
que vous auriez des doutes.

Je m’appelle Kristina et dans ce monde je suis un caméléon, je


prends les couleurs de mon environnement pour ne pas être
vue, pour ne pas être bizarre, pour ne pas sortir du lot.

Lui, il s’appelle Arnaud. Il est aussi autiste, mais il n’est pas


comme moi. Il aime parler aux gens et trop souvent il se sent
isolé, par manque de contact social. Il n’aime pas les puzzles et
l’ordre, il aime la musique.

Elle, elle s’appelle Sylvie. Elle aussi est autiste, mais elle n’est
pas comme moi ou comme Arnaud. Sylvie elle aime la mode et
être jolie, elle aime aussi la ville et le chocolat.

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Ce sont les raisons pour lesquelles aujourd’hui on parle d’un
spectre, car il y a autant de formes d’autisme sur cette terre
qu’il y a de couleurs dans le monde. C’est également la raison
pour laquelle j’ai décidé d’écrire ce texte en « je », car tout ce
que j’ai pu écrire concerne ma manière de penser et
d’appréhender et ne peut être généralisé à toutes les
personnes autistes.

Cette personne que vous trouvez isolée, ou asociale ; cette


personne que vous trouvez bizarre, impolie, ou timide ; cette
personne est peut-être autiste et n’a pas demandé à appartenir
à un monde qui n’est pas construit pour elle.

Pensez-y quand vous croiserez quelqu’un qui ne se comporte


pas comme vous l’attendiez, pensez que cette personne peut
être différente de vous et c’est aussi bien comme ça. Le monde
ne serait pas aussi beau sans toutes les couleurs qui le
conjuguent.

Bien à vous,

Kristina

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« Le fonctionnement neurologique
différent engendre ici des difficultés
fréquentes et sérieuses que l’on a
tendance à sous-estimer ou à
attribuer, à tort, à un manque de
volonté ou à un manque de
capacités. »

Extrait du document :
« Autistes et non-autistes, mieux se comprendre »

Autisme Montérégie

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