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Contrairement aux exploiteurs qui sont, pour la plupart, des Blancs, représentants de la
Métropole dans la colonie, et qui s’attachent à leurs idéaux colonialistes, dans la caste des
colonisés, nous retrouvons, dans les récits de Sembène Ousmane, les Noirs. Ceux-ci sont
divisés en deux groupes: les hommes et les femmes.
Dans les récits de notre analyse, Sembène Ousmane présente les exploités comme des
victimes du pouvoir colonial et celles du néocolonialisme. Aussi s’engagent-ils dans un
combat sans merci contre les exploiteurs pour se libérer de l’emprise de leurs bourreaux.
Qu’ils soient hommes ou femmes, ils ont des caractéristiques communes.
Les exploités se révèlent des personnages engagés dans la lutte qu’ils mènent contre les
exploiteurs. Ils sont aussi des personnages révoltés, c’est-à-dire des personnages qui disent
non à une situation qui a perduré, des esclaves qui ont reçu des ordres toute leur vie, jugent
soudain inacceptable un nouveau commandement. Ils paraissent courageux. Dans ce sens
qu’ils affrontent, sans crainte, leurs patrons, ne respectent plus les instructions des
colonisateurs, veulent impérativement le changement des conditions de leur vie.
Dans Les Bouts de bois de Dieu, Bakayoko, leader et membre du syndicat des ouvriers
noirs, est un personnage engagé dans le combat contre le système colonial. Pour Wole
Soyinka (2002: 117), Bakayoko est « une création prométhéenne » conçue pour dérober le
pouvoir de l’Autre divinité, super réalité coloniale », alors que Sembène Ousmane (1960:
290-291), pour sa part, le considère comme « la sève et l’âme de la grève ». Inspiré par
l’idéologie marxiste, le leader des ouvriers noirs est un personnage courageux. Parce qu’il
accepte, à ses risques et périls, de se lancer dans une aventure dangereuse, d’affronter les
colonisateurs sans avoir peur. Ainsi, il accepte, au nom des travailleurs noirs, de mener une
lutte sans merci contre les députés corrompus par l’entreprise française gérant les chemins
de fer pour que les revendications des grévistes soient prises enconsidération.
Labhib est aussi un personnage engagé dans le combat contre le système colonial.
Secrétaire du syndicat des ouvriers noirs, il paraît courageux, comme Bakayoko. Il tient
informé le bureau du syndicat de l’évolution des négociations entre l’administration
coloniale et les grévistes. Il est aussi un personnage révolté. Révolté contre les
injusticesdescolonisateurs Blancs de la compagnie. C’est ainsi qu’il participe activement à
la lutte contre l’impérialisme, en tant que « cerveau de la grève », (BBD, 295).
Les cheminots, dans Les Bouts de bois de Dieu, sont des personnages révoltés et paraissent
courageux. Membres du syndicat des ouvriers noirs, ils assistent massivement à des
réunions organisées par leurs membres du syndicat, s’engagent aussi dans le combat contre
le système colonial, se révoltent contre la philosophie des représentants du pouvoir colonial,
celle qui veut que les Blancs soient considérés comme des maîtres, et les noirs comme des
esclaves, ou encore celle qui privilégie les travailleurs blancs au détriment des ouvriers
noirs.
Ramatoulaye
À Dakar, Ramatoulaye, témoin oculaire de la misère des hommes, des femmes et des
enfants dans sa concession, décide d’affronter toutes les épreuves. Écoutons lenarrateur:
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En ce qui concerne les femmes, disons que Sembène Ousmane dans Le Docker noir est resté silencieux. Il a
plutôt mis l'accent sur la violence, les injustices sociales, l'exploitation de l'homme noir par l'homme blanc.
Dans Les Bouts de bois de Dieu, il revalorise la femme africaine et montre que celle-ci peut jouer un rôle majeur
pour le développement de son pays. Il en est de même de Xala où il montre aussi le rôle joué par la femme dans
le foyer du richissime El Hadji Abdou Kader Bèye. Dans ses trois livres, Sembène raconte la réalité vécue par
l'Africain à l'époque coloniale et après l'indépendance. Signalons que cet écrivain sénégalais focalise son
attention non seulement sur la femme sénégalaise, mais aussi se penche sur les femmes africaines, les
Maliennes, les Guinéennes. Il porte son regard sur les Africains, en général, et non seulement sur les Sénégalais.
Il est panafricain. Dans ce sens qu'il revalorise les valeurs culturelles, littéraires et politiques africaines ainsi qu'à
encourager un sentiment de solidarité entre les populations du mondeafricain.
Ainsi se forma une curieuse procession. En tête marchaient les deux
représentants de l’autorité encadrant Ramatoulaye…Suivait le long
cortège des femmes…auquel, à chaque coin de rue, venaient se joindre de
nouveaux groupes, (BBD, 189-190).
Ramatoulaye se révèle une femme influente, révoltée. Influente, elle invite les autres
femmes à se joindre aux hommes pour exprimer leur mécontentement à l’égard de
colonisateurs. Son appel reçoit un écho favorable: sans hésitation, les femmes se
joignent à elle, décident de s’organiser pour soutenir la grève déclenchée par les
hommes. Révoltée, elle ne supporte pas l’idéologie des colonisateurs. C’est ainsi
qu’elle accepte d’affronter toute sorte d’épreuves pour exprimer sa colère vis-à-vis
des exploiteurs de l’homme noir.
Penda
Penda est une prostituée. Femme aux mœurs légères, elle vit, à Thiès, de son travail
qui consiste à fournir du plaisir aux hommes. En d’autres termes, elle est une «
Marie-couche- toi-là ». Mais cette femme connaît une métamorphose personnelle
remarquable sous l’effet des événements. Elle devient, par la force des circonstances,
une femme engagée etmilitante. C’est elle qui mène des actions: elle est une des
meneuses de la marche des femmes de Thiès à Dakar. Elle se révèle une femme
courageuse. Parce qu’elle fait fi de tout danger, et accepte, malgré elle, les
représailles.
Pourquoi Sembène Ousmane confie-t-il le rôle de meneur des femmes à Penda, une
femme prostituée, une femme aux mœurs légères que les épouses haïssent? Tel que le
dit Mame Sofi, une épouse de gréviste: « Ah, je la connais, la Penda, c’est une fille de
joie… on ne devrait pas laisser une femme comme ça mener les autres, celles qui sont
honnêtes », (BBD, 324).
Par l’entremise de cette femme prostituée, personne qui vit en marge de la société,
Sembène Ousmane peut facilement se faire une idée globale de la société et se faire
aussi une idée sur les rapports sociaux entre l’homme et la femme. De plus, l’écrivain
sénégalais choisit Penda comme meneur des femmes pour des raisons suivantes:
d’abord, cette femme est indépendante, comme le souligne Dauphine
Ravololomaniraka (1974: 70). Par son indépendance, elle est obligée de se forger une
personnalité. Le narrateur nous informe que
« la voix de Penda était dure, elle avait l’habitude de rudoyer les gens », (BBD, 218).
Cette dureté ou mieux ce caractère lui permet de se mettre au service de tous et de
mieux exécuter la tâche que l’auteur lui a confiée, celle de mener les autres femmes.
De plus, elle connaît la mentalité des femmes qui vivent à l’intérieur de la concession
de Thiès où elle vit. En dépit des insultes qu’elle reçoit des femmes des ouvriers noirs,
elle continue à faire le travail que le chef du syndicat lui a confié, celui de distribuer
le riz aux femmes des grévistes. Ensuite, par la familiarité de cette prostituée avec les
hommes, il lui est facile de les côtoyer et de travailler avec eux. Le narrateur nous
apprend: « Lahbib se félicite souvent d’avoir embauché Penda. Elle tenait tête aux
femmes et se faisait respecter des hommes », (BBD, 224). Au fait, l’auteur utilise cette
femme marginalisée comme intermédiaire entre les grévistes et les femmes qui
restent dans les concessions avec leurs enfants. Le rôle de Penda est à la fois
révolutionnaire et significatif. Dans ce sens qu’elle facilite la communication entre les
femmes et les hommes, au niveau de travail, et elle permet à l’auteur de concrétiser
ses rêves. Non seulement elle fait partie du comité de la grève, mais aussi elle réunit
les femmes qui participent à l’action pour la transformation de la société. S’ajoutent
à ces deux femmes précitées, une autre, c’est Ad’jib’d’ji.
Ad’jib’d’ji
N’Dèye Touti
N’Dèye est une fille instruite. Collégienne de l’École Normale, elle ne se préoccupe
pas de réalités de son pays. Elle s’intéresse plus à la civilisation européenne, et
repousse la civilisation africaine. Pour elle, avec le savoir acquis à l’école, elle se croit
arrivée au sommet de la société. C’est ainsi que la vieille Niakoro la considère comme
une acculturée. Parce qu’ elle ne tient pas compte des réalités du milieu dans lequel
elle appartient et dans lequel elle vit. Elle ne veut pas s’engager dans la grève des
ouvriers noirs contre les colonisateurs. Elle est restée indifférente, passive.
Contrairement aux colonisés ou exploités qui luttent contre les colonisateurs pour le
changement des conditions de leur vie, on retrouve dans les ouvrages de Sembène
Ousmane des colonisés, visant leurs propres intérêts, qui se rangent derrière les
colonisateurs et boycottent l’action des exploités. Nous les appelons des traîtres.
Les traîtres
Comme nous venons de le souligner, par traîtres, nous entendons des personnages
qui se retournent contre les Noirs et soutiennent l’action des colonisateurs blancs. Ils
demeurent attachés aux Blancs et soutiennent leur idéologie.
Dans Les Bouts de bois de Dieu, Bachirou se révèle untraître. Parce qu’il s’allie aux
colonisateurs Blancs et condamne les travailleurs noirs pour avoir déclenché la grève.
Il est un personnage corrompu. Dans ce sens qu’il boycotte l’action amorcée par les
ouvriers noirs et la lutte qu’ils mènent contre les colonisateurs pour améliorer les
conditions de leur existence. Il en est de même de Diara qui continue à travailler
clandestinement pendant que les ouvriers noirs, en général, refusent de travailler, et
veulent à tout prix obtenir de leurs patrons blancs une réponse favorable à leur
requête.