Vous êtes sur la page 1sur 4

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.

com

Neurochirurgie 54 (2008) 767–770

Libre opinion

Plaidoyer pour une initiation systématique à la recherche au sein de


l’enseignement de neurochirurgie
Plea for a systematic initiation to research during neurosurgical
educational program
H. Duffau a,∗,b
a Service de neurochirurgie, hôpital Gui-de-Chauliac, CHU de Montpellier, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier, France
b Laboratoire de psychologie et de neurosciences cognitives, UMR 8189 (CNRS/université de Paris V–René-Descartes), institut de psychologie,
71, avenue Édouard-Vaillant, 92774 Boulogne Billancourt, France
Reçu le 19 mai 2008 ; accepté le 21 août 2008
Disponible sur Internet le 7 octobre 2008

Abstract
To acquire, improve, and pass on expertise in the operating room and at the bedside is the essential mission of the neurosurgeon. However, this
is not sufficient. Learning scientific reasoning with an eye turned to applied research is the key to continually evolving neurosurgery, which should
occur in close interaction with the dynamics of the fundamental neurosciences. The current reorganization of the education program should make
this official and budget a systematic initiation to research during training, essential for the future of French neurosurgery.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Résumé
Acquérir, améliorer et transmettre le savoir-faire au bloc opératoire et au lit du malade est la mission essentielle du neurochirurgien. Elle n’est
toutefois pas suffisante. L’apprentissage d’une démarche scientifique, afin de tendre vers une recherche appliquée de chaque instant, est la clé pour
que notre spécialité continue à évoluer, en étroite interaction avec la dynamique des neurosciences fondamentales. Profiter de la réorganisation
actuelle de l’enseignement pour officialiser et budgéter une initiation systématique à la recherche lors de la formation semble désormais essentielle
pour la neurochirurgie française.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Keywords: Training; Neurosurgery; Research; Neurosciences

Mots clés : Enseignement ; Neurochirurgie ; Recherche ; Neurosciences

La neurochirurgie française est d’excellente qualité. Il suffit trise des techniques opératoires, découle une chirurgie très
pour s’en convaincre de comparer le haut niveau des résul- perfectionnée.
tats cliniques des séries françaises publiées à la littérature Il n’en reste pas moins que le simple « savoir-faire », quel
internationale. La formation en neurochirurgie participe cer- qu’en soit le niveau d’excellence, ne saurait en rien compenser le
tainement pour beaucoup à une telle qualité. En effet, malgré « savoir », censé qui plus est être en perpétuelle évolution. En ce
l’absence de « cahier opératoire de l’interne », les jeunes neuro- sens, la recherche n’a été proportionnellement que peu favorisée
chirurgiens opèrent de façon précoce et régulière. De fait, de dans le cursus des études en neurochirurgie, bien qu’elle repré-
cette « praxie » très développée, basée sur une parfaite maî- sente une pierre angulaire dans l’acquisition et la sempiternelle
remise à niveau des connaissances. Les nouvelles réformes de
l’enseignement en neurochirurgie semblent représenter une par-
∗ Auteur correspondant. faite occasion de (re)soulever cette problématique déjà abordée
Adresse e-mail : h-duffau@chu-montpellier.fr. par le passé (Benabid, 1993 ; Cohadon, 1993 ; Lazar, 1993).

0028-3770/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.neuchi.2008.08.116
768 H. Duffau / Neurochirurgie 54 (2008) 767–770

En effet, l’autorisation d’exercer la neurochirurgie ne sera conséquence, un jeune neurochirurgien qui n’aurait pas pu se
dorénavant officiellement attribuée qu’à la fin de deux années familiariser, non pas exclusivement avec l’application pratique
d’assistanat, en plus du diplôme d’études spécialisées. Or sept de ces progrès en sciences fondamentales, par essence évolu-
ans de formation dédiés à la neurochirurgie ouvrent des pers- tives, mais surtout avec le raisonnement de fond sous-tendant
pectives. Il est certain que la priorité reste que l’interne, puis ces avancées, s’expose au risque majeur de ne pas être à même
le chef de clinique apprennent à opérer, via la réalisation régu- de s’adapter de façon optimale tout au long de son exercice
lière d’interventions de complexité croissante. Par ailleurs, il futur. Le principe n’est bien entendu pas d’être au fait de cha-
faut également favoriser la pratique clinique au lit du malade, cun de ces développements, mais simplement de s’initier à la
non seulement en neurochirurgie, mais aussi au cours de recherche en réalisant une étude dans le domaine de son choix,
stages enseignant la sémiologie fine (notamment en neurolo- afin d’acquérir, au-delà d’une connaissance qui sera très rapi-
gie ou réadaptation fonctionnelle), ainsi que la maîtrise des dement dépassée, une démarche intellectuelle qui servira de
technologies connexes à la neurochirurgie (e.g., stages en neu- paradigme déclinable dans d’autres champs d’intérêt tout au
roradiologie, électrophysiologie ou neuropathologie). long de la vie professionnelle. Le but ultime n’est donc pas
Cependant, on peut admettre que ces sept années repré- de devenir « chercheur », mais d’apprendre à « parler le même
sentent une période prolongée durant laquelle l’acquisition des langage » – celui de la recherche – afin de continuer à évoluer de
données et des praxies indispensables à la pratique autonome façon implicite au fur et à mesure des progrès méthodologiques
de la neurochirurgie courante aura été amplement suffisante et conceptuels à venir, selon une structuration de la pensée qui
– car dans tous les cas, l’accès à une neurochirurgie de plus aura été construite durant la période d’enseignement dédiée aux
haut niveau ne pourra avoir lieu qu’à travers une expérience aspects scientifiques.
de plus longue haleine, selon les bases physiologiques incon- Ainsi, trois cas de figure pourront être envisagés :
tournables de l’apprentissage. De fait, la question qui mérite
d’être posée, plus sur un mode conceptuel qu’organisationnel • l’étudiant qui, à la fin de son initiation à la recherche, se
(puisque la durée de l’enseignement rend possible une telle dirigera vers une pratique « non universitaire » de la neurochi-
démarche), est celle d’une initiation systématique et officia- rurgie, dans un domaine public ou privé. Le fait d’avoir appris
lisée à la recherche durant ce cursus en voie de modification les rudiments du « langage de la recherche », du moins dans
administrative. sa démarche intellectuelle, lui permettra de mieux compren-
L’accès à la recherche pour tous serait effectivement source dre et donc de mieux intégrer les changements inéluctables
de nombreux renforcements positifs, et ce, à différents niveaux. qui surviendront au cours de sa carrière, tant sur les plans
Tout d’abord et surtout, pour l’étudiant lui-même. Il peut techniques que fondamentaux. De plus, si ce neurochirurgien
paraître difficile d’apprendre la neurochirurgie sans avoir acquis veut lui-même effectuer une recherche clinique, ne serait-ce
des bases plus solides au plan de la réflexion fondamentale, en qu’à travers l’analyse de ses propres résultats, afin d’en tirer
particulier de nos jours et dans le domaine des neurosciences. des conclusions lui permettant de moduler sa stratégie dans
Un essor majeur est, en effet, survenu dans ce vaste champ qui le but de continuer à s’améliorer (i.e., le principe même de
reste pourtant encore très incomplètement compris. Il est essen- l’évaluation des pratiques professionnelles), il pourra d’autant
tiel de souligner que cette amélioration des connaissances n’est mieux le faire qu’il aura acquis les bases de la rigueur scien-
pas restée stérile, mais a débouché sur de nombreuses applica- tifique. Par ailleurs, les structures privées étant susceptibles
tions directes et indirectes dans la pratique neurochirurgicale dans un futur proche d’accueillir un jeune neurochirurgien
désormais « routinière », tant concernant les développements pour un stage validant dans le cadre de son cursus, la forma-
techniques que les avancées conceptuelles. Pour n’en donner tion délivrée n’en sera que meilleure si elle est proposée de
que quelques exemples, il est aisé de mentionner aussi bien la façon intégrée, i.e., avec un enseignement à la fois des praxies
meilleure compréhension de l’anatomie fonctionnelle du sys- et du savoir ;
tème nerveux central à l’origine d’une véritable révolution en • à l’extrême inverse, l’étudiant qui dans tous les cas aurait
neurochirurgie fonctionnelle (stimulations profondes dans le spontanément décidé de profiter d’une initiation à la
traitement des mouvements anormaux ou de syndromes psy- recherche, pourra le faire dans le cadre officiel d’une maquette
chiatriques ; stimulations corticales dans la thérapeutique de la similaire pour tous les neurochirurgiens, et bénéficiera ainsi
douleur chronique ; découverte de nouvelles cibles dans la chi- d’une aide organisationnelle, voire budgétaire substantielle ;
rurgie de l’épilepsie, ayant conduit notamment à la réalisation de • le scénario intermédiaire sera représenté par l’étudiant qui
thermocoagulations insulaires. . .), l’amélioration et le dévelop- n’aurait pas volontairement initié la démarche, pour des rai-
pement de nouvelles techniques opératoires (neuronavigation, sons pratiques et/ou du fait d’un a priori négatif, et qui se
IRM peropératoire, cartographie fonctionnelle peropératoire, retrouvera confronté à la recherche avec une prise de consci-
appareils de plus en plus perfectionnés de radiochirurgie. . .), que ence de l’apport majeur de cette dernière dans la formation via
l’apport de la biologie cellulaire, voire des modèles biomathé- une conception transversale de la neurochirurgie. Sa pratique
matiques en neuro-oncologie, en particulier pour la prédiction ultérieure pourra en être littéralement métamorphosée.
des risques et modalités évolutives des tumeurs. Cette liste,
loin d’être exhaustive, montre à quel point le visage de la neu- Dans tous les cas, un tel stage systématique de recherche
rochirurgie s’est modifié en quelques années à peine, et tout enseignera également à l’étudiant, au-delà d’un mode de rai-
porte à croire qu’il en sera de même dans un futur proche. En sonnement appliqué à la clinique, à concrétiser et valoriser la
H. Duffau / Neurochirurgie 54 (2008) 767–770 769

structuration de sa pensée et les idées qui en découlent via la chirurgie et les neurosciences, certes via des projets de recherche
rédaction d’articles scientifiques. Un tel exercice semble encore interactifs, mais aussi en faisant bénéficier tout étudiant en neu-
pour beaucoup être quelque peu ésotérique, alors qu’il est au rochirurgie d’un stage au sein d’une équipe de recherche. En
contraire indispensable pour continuer à progresser dans son effet, on pourrait ainsi espérer que ce rapprochement ne soit
savoir et donc son savoir-faire. Faut-il rappeler les écrits des pas conceptuellement unilatéral, mais débouche en parallèle sur
grands maîtres comme Cushing, Dandy, Penfield ou encore une plus grande ouverture des chercheurs vers une « recherche
Talairach, pour n’en citer que quelques uns, sans lesquels notre appliquée » - i.e., le primum movens du médecin – au lieu d’une
neurochirurgie moderne n’aurait pas pu exister – du moins recherche pas trop prioritairement « fondamentale » comme par
n’aurait pas pu se construire à un tel niveau en un siècle à le passé. Enfin, l’ouverture de l’Europe va obliger la neurochi-
peine. L’interprétation objective de résultats recueillis selon une rurgie française à se confronter à d’autres philosophies. De fait,
méthodologie qui se doit d’être la plus rigoureuse possible est si les Américains ont depuis longtemps déjà incorporé une initia-
à l’origine même de l’évolution de la médecine et de notre tion à la recherche dans la formation du jeune neurochirurgien
spécialité en particulier. Le dire ne suffit pas. Il faut que tout (avec au minimum une année consacrée à cet enseignement),
jeune neurochirurgien comprenne ô combien il est essentiel qu’il nos collègues allemands pour ne citer qu’eux font actuelle-
s’intègre dans cette démarche de façon active, ne serait-ce que ment de même. Une telle évolution des pratiques de la part
pour ne pas se laisser distancer par les évolutions de sa spé- des autres pays bénéficiant d’un haut niveau de neurochirur-
cialité au cours de sa carrière – et donc ne plus être à l’acmé gie n’est qu’un argument supplémentaire étayant ce plaidoyer
de son art. Bien entendu, le degré d’implication est à modu- en faveur d’une officialisation de l’intégration d’un stage de
ler en fonction des impératifs pragmatiques et des devoirs de recherche dans le cadre des études neurochirurgicales. Certes,
chacun (un neurochirurgien universitaire a pour rôle de mener il peut être argué que plusieurs étudiants ont, lors de cette der-
davantage d’études et donc de publier plus), mais l’important nière décennie, effectué un diplôme interuniversitaire, diplôme
est le chemin qui doit être ouvert à tous dès la phase de forma- d’études approfondies ou Master au cours de leur internat ou
tion. En effet, rédiger un article s’apprend, de la même manière clinicat. Mais cette démarche a été bien loin de l’exhaustivité
qu’une technique chirurgicale au bloc opératoire. Ainsi, tant (du fait en particulier des problèmes pratiques, tant en termes
qu’une réflexion n’a pas été concrétisée sous forme d’une publi- organisationnel que de financement), et n’a qu’assez peu débou-
cation, à savoir n’a pas été rédigée et confrontée à la lecture ché sur une réelle concrétisation – sous forme de publications
d’un comité d’experts dans le domaine, la cristallisation de la régulières témoignant d’une démarche scientifique soutenue, ou
pensée n’a pu se faire à un même niveau de structuration – d’une thèse d’université, ou encore moins sous forme d’une
ou n’a pas de raison de l’être en l’absence de validation. Cela structuration transversale de l’activité quotidienne de neurochi-
revient à muter d’un stade d’acceptation passive à un état de rurgie basée sur une interaction dynamique avec les laboratoires
prise de décision critique. C’est la même transformation qui de recherche (sans parler de la prise de direction d’un labora-
doit survenir au bloc chirurgical, lorsqu’un aide opératoire, si toire de recherche par un neurochirurgien, cas de figure encore
brillant soit-il lors de la phase initiale d’apprentissage impli- plus rarissime). Il faut en effet rappeler que « faire un Master »
cite, se trouve pour la première fois confronté à la même ou « faire une publication » n’est en aucun cas le but ultime
intervention, mais à pratiquer par lui-même « de la peau à la dans un état d’esprit de simples considérations administrativo-
peau ». En parallèle à un enseignement de la chirurgie pratique, universitaires, mais bien au contraire l’apprentissage d’un mode
doit être mené un enseignement tout aussi rigoureux : celui de de raisonnement rigoureux, critique et ouvert, susceptible d’être
l’écriture. utile tout au long de la carrière d’un neurochirurgien, quels
Par ailleurs, au-delà du bénéfice direct pour le jeune neu- que soient les mode et lieu d’exercice choisis. Enfin, si bien
rochirurgien, il faut également être conscient de l’importance entendu l’attitude volontariste des étudiants est essentielle, il
d’une telle (re)structuration sur un plan socio-administratif. faut néanmoins insister sur le fait que pour pouvoir décider, il
Premièrement, concernant les services hospitalo-universitaires, faut d’abord avoir été confronté à la problématique. En ce sens,
l’activité ne sera plus jugée exclusivement sur le nombre c’est l’équipe dans son ensemble qui se devrait dans les CHU
d’interventions, mais aussi sur la quantité et la qualité des publi- de s’impliquer dans la recherche, rendant ainsi « évidente » la
cations scientifiques (cf., notamment l’installation récente du démarche « spontanée » de l’étudiant quant à son initiation à
logiciel SIGAPS). Inutile de dire que la rédaction d’articles, cette recherche.
qui ne représente en aucune façon une fin en soi, mais bien La neurochirurgie française est d’excellente qualité. Il faut
l’aboutissement d’une démarche intellectuelle, ne pourra pas qu’elle le demeure. Conserver et transmettre le savoir-faire au
être régulière et surtout d’un niveau d’excellence suffisant si bloc opératoire et au lit du malade est la mission essentielle.
une structuration scientifique de la pensée n’a pas été acquise Elle n’est toutefois pas suffisante. L’acquisition d’une démarche
lors de la période de formation via au moins une confronta- scientifique, afin de tendre vers une recherche appliquée de
tion transitoire au monde de la recherche. De plus, la nouvelle chaque instant, est la clé pour que notre spécialité continue à évo-
législation actuelle concernant les laboratoires de recherche (en luer, en étroite interaction avec la dynamique des neurosciences.
particulier Inserm et CNRS) sera à l’origine d’un rapprochement Cette initiation, déjà suggérée par le collège des enseignants
administratif des chercheurs et médecins, la plaque tournante en pour la rédaction des thèses, mémoires et autres publications,
étant l’université. Ce bouleversement organisationnel peut être et prise en compte dans les grilles d’évaluation des concours de
vu comme une opportunité de renforcer les liens entre la neuro- praticiens hospitaliers et de praticiens hospitaliers–professeurs
770 H. Duffau / Neurochirurgie 54 (2008) 767–770

des universités pourrait désormais être instaurée de façon plus Remerciements


concrète sous forme d’un stage « obligatoire » en recherche pen-
dant les sept ans de formation et rémunérée pareillement aux L’auteur remercie les professeurs Jean-Jacques Moreau,
six autres années de formation clinique. Profiter de la réorgani- Alim-Louis Benabid et Jacques Lagarrigue pour leurs précieux
sation actuelle de l’enseignement pour officialiser et budgéter commentaires.
une telle initiation systématique à la recherche au cours des
études de neurochirurgie ne pourra que renforcer l’excellence Références
de notre spécialité, et montrer notre détermination commune
à la fois vis-à-vis des chercheurs, des hautes instances et des Benabid, A.L., 1993. Perspectives de recherche en neurochirurgie. Neurochirur-
gie 39, 69–71.
confrères étrangers quant au développement d’une neurochirur- Cohadon, F., 1993. La recherche en neurochirurgie. Neurochirurgie 39, 3–6.
gie française de tout premier plan, tant sur le plan clinique que Lazar, P., 1993. L’Inserm et la recherche en neurochirurgie. Neurochirurgie 39,
scientifique. 72–74.

Vous aimerez peut-être aussi