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Couverture

Titre
Dédicace
Chapitre premier
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Biographie
Du même auteur
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Laurann Dohner

Brute
Hybrides – 5
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Grut

Milady
Comme toujours, je tiens à remercier M. Laurann pour son amour et son soutien.
Je remercie sincèrement Kele Moon pour son rôle inestimable de critique, mais
aussi pour l’amour inconditionnel qu’elle porte à la série. Un grand merci à ma
mère, Donna, qui m’a toujours encouragée à lire. Un livre est un véritable trésor,
une fenêtre ouverte sur de nouveaux horizons, une invitation à l’aventure et au
développement de l’imagination.
CHAPITRE PREMIER

Becca Oberto fusilla son père du regard.


— Pardon ? dit-elle en se retenant à grand-peine de hurler.
Tim haussa les épaules.
— Tu dois revenir vivre avec moi. Dans moins d’une heure, quelqu’un
s’installera chez toi. J’ai déjà fait ton lit.
— Non, répliqua-t-elle fermement, adossée à sa voiture. Tu n’as pas le droit
de me demander ça et encore moins d’autoriser quelqu’un à venir s’installer chez
moi. Grand-père t’a laissé la maison, mais c’est à moi seule qu’il a légué le petit
pavillon. C’est ton copain, donc tu n’as qu’à l’héberger toi-même.
— Ça n’irait pas. Il est… euh… spécial. Il a besoin d’avoir son espace à lui,
Rebecca.
— Moi aussi, et je me fiche de savoir quels sont ses problèmes. Je ne lui
céderai pas ma maison, point barre. Je t’adore, mais j’ai vingt-neuf ans, je suis
veuve et j’ai largement passé l’âge de retourner chez mon père. Et en plus,
continua-t-elle en prenant une profonde inspiration, tu me rends dingue. Tu me
traites comme une gamine de dix ans et je vis seule depuis bien trop longtemps
pour l’accepter. Pas question, c’est clair ? Installe-le dans mon ancienne
chambre.
— C’est un Hybride, Rebecca, argumenta son père, mal à l’aise. Il a besoin
d’être seul et ma maison serait trop près de la rue à son goût. Selon ce qu’on m’a
dit, les bruits de la circulation l’empêcheraient de dormir. Le pavillon est au bout
du jardin, derrière les arbres. Ça devrait lui plaire. J’ai promis à l’OPH que je lui
trouverais un endroit paisible où vivre et ta maison serait le lieu idéal. Ça ne
durera pas très longtemps. D’accord ?
Abasourdie et furieuse, Rebecca regarda son père. Il était à la tête d’un
détachement spécial qui travaillait directement avec l’OPH, l’Organisation du
peuple hybride. Elle n’avait jamais rencontré d’Hybride mais elle en avait vu
quelques-uns à la télévision ou en photo dans les journaux. Son père ne lui disait
jamais précisément en quoi consistait son travail, mais elle subodorait qu’il était
dangereux. Il avait fait carrière dans l’armée, avait pris sa retraite deux ans plus
tôt et était accro à l’adrénaline. Pour lui, une journée sans échange de coups de
feu était perdue. Désormais, il recherchait les Hybrides encore captifs. C’était à
peu près tout ce qu’elle savait.
— Pourquoi est-ce qu’on doit accueillir un Hybride ? Ils vivent tous soit à
Homeland, soit à la Réserve. Je ne suis pas idiote, papa. Je lis les journaux et je
sais qu’ils sont tous confinés dans ces deux complexes. Ils seraient trop en
danger dans le monde extérieur, avec tous les abrutis qui souhaitent leur mort.
Tim fronça les sourcils.
— Je n’ai pas le droit de te donner de détails, ma puce.
— Si tu veux que je laisse quelqu’un s’installer chez moi, tu n’as pas le choix.
— Très bien, acquiesça-t-il après un juron. Tu te souviens de Jessie Dupree ?
— La rousse déjantée ? Oui. C’est la seule femme de ton équipe. Je l’ai
rencontrée deux ou trois fois, lorsque tu avais invité tout le monde à la maison
pour renforcer la solidarité du groupe. Qu’est-ce qu’elle a à voir avec ce type ?
— Elle a été blessée en mission et l’OPH nous a proposé l’un de ses membres
pour la remplacer. C’était toujours elle qui se chargeait des premiers contacts
quand on retrouvait un prisonnier de guerre. On s’est dit que, puisqu’elle n’était
plus là, autant prendre un Hybride à sa place. Le problème, c’est qu’il faut qu’il
vive ici. Sinon, il faudrait le faire venir en hélicoptère pour chaque mission et ça
nous coûterait trop cher. Comme ça, il sera sur place lorsque nous aurons besoin
de lui.
Becca ingurgita ces informations.
— Vous les appelez « prisonniers de guerre » ?
— Quel autre terme utiliserais-tu ? Mon métier, c’est de localiser les Hybrides
captifs et de les libérer. Ils ne sont pas là pour le plaisir. Ce sont des victimes que
leurs geôliers n’abandonnent jamais sans résistance. Bon, maintenant que tu es
au courant, fais ce que je te demande. Je vais me changer pendant que tu
prépares ta valise. Je repasserai dans un quart d’heure pour t’aider à tout
transporter. Il arrivera dans l’heure. (Jim s’interrompit et fronça les sourcils.) Ne
t’approche pas de lui. C’est un ordre, Rebecca Marie Oberto.
— C’est pour ça que maman t’a quitté et que tu es toujours seul huit ans après
votre divorce, rétorqua-t-elle, furieuse. Tu n’as pas d’ordre à me donner. Je suis
une adulte. Ton ordre, tu sais où tu peux te le mettre. Je peux parler à qui je
veux, je peux même sortir avec lui si ça me chante. Compris ?
— C’est hors de question, répliqua Tim. Je suis ton père et tu fais ce que je te
dis. Un point c’est tout.
Becca écarquilla les yeux de surprise et posa les poings sur ses hanches.
— Waouh, sérieux ? Un point c’est tout ? Ça me rappelle mon adolescence, et,
si tu te souviens bien, ça n’a pas tourné à ton avantage. Je n’arrêtais pas de sortir
en douce parce que tu m’interdisais tout. Ça ne t’a mené à rien à l’époque et ça
ne fonctionnera pas mieux aujourd’hui. Un point c’est tout.
— Bon sang ! Rebecca Marie, arrête d’être aussi puérile.
— Écoute, papa. J’ai été mariée et j’ai réussi à surmonter la mort de mon
mari. J’ai grandi. Je ne suis plus la gamine dont il t’est arrivé de changer les
couches les rares fois où tu étais de passage à la maison entre deux de ces
guerres que tu aimais tant. Ne me traite plus comme une enfant. Je t’aime, mais
je te jure devant Dieu que, si tu continues comme ça, je couperai les ponts. Je ne
suis pas un tes hommes prêts à bondir au moindre de tes ordres. Tu as dit ce que
tu avais à dire, et moi aussi.
— Tu m’en veux encore de ne pas avoir été très présent quand tu étais petite ?
Je travaillais !
— Tu te portais toujours volontaire ! Je sais très bien que tu demandais les
missions les plus dures et les plus longues pour ne pas avoir à être à la maison,
parce que maman et toi ne vous entendiez pas. Tu n’étais jamais là. Je ne t’en
veux plus. J’ai grandi et ça appartient au passé. Mais, ce qui me met hors de moi,
c’est que tu n’as quasiment pas participé à mon éducation, alors qu’est-ce qui te
fait croire que tu as le droit de me parler comme ça aujourd’hui ? Réfléchis un
peu à ça. Arrête de me dire ce que je dois faire, où je dois vivre et qui je peux
fréquenter.
— C’est un Hybride, Rebecca. Tu en sais assez sur eux pour comprendre mes
inquiétudes. Ils ont passé toute leur vie enfermés comme des cobayes, et ils ont
subi des sévices physiques et psychologiques. Personne ne ressortirait indemne
d’un tel enfer. Ce sont tous des armoires à glace génétiquement modifiées. Notre
invité sera mi-homme, mi-animal. Tu es une jolie fille et il ne manquera pas de
le remarquer. Je ne veux pas que tu t’approches de lui et je ne transigerai pas là-
dessus. Tu ne dois pas lui parler et encore moins le fréquenter.
Becca éclata de rire.
— Mais tu as fini avec tes ordres à la noix ? Je n’ai toujours pas donné mon
accord pour qu’il s’installe chez moi, je te rappelle. Je comprends la situation
mais ça ne te donne pas le droit de prêter ma maison ou de me forcer à revenir
vivre chez toi. Cela n’arrivera pas.
— Tu feras ce que je te dis.
— Tu le prends comme ça ? Très bien, répliqua-t-elle. C’est non, point barre.
Voilà ce que je te propose, à prendre ou à laisser : il peut s’installer dans l’une de
mes deux chambres d’ami. Celle au bout du couloir lui conviendrait mieux, je
pense. Comme je ne supporterais pas moi-même de vivre chez toi, je n’ai pas
envie d’infliger ce calvaire à quelqu’un d’autre. Tant qu’il vivra chez moi, je
pourrais lui parler autant que je le voudrai. On pourra passer du temps ensemble.
Je pourrai même faire tout ce qui me plaira avec lui et tu n’auras pas ton mot à
dire là-dessus.
— Qu’est-ce que vous aimeriez faire avec moi ? dit derrière elle une voix
grave et bourdonnante.
Becca sursauta et se retourna pour voir à qui appartenait cette voix si
masculine. L’homme en question était très grand et ses longs cheveux noirs et
raides tombaient de ses larges épaules à sa taille en un rideau soyeux et sexy. Il
avait une bonne trentaine de centimètres de plus que Becca, qui était de taille
moyenne. Ses yeux bleus de chat étaient fascinants. Il avait les pommettes
proéminentes, un nez plus plat que la normale et des lèvres charnues, figées dans
une moue concentrée.
Sa peau était dorée, comme le laissait amplement voir son débardeur rouge,
qui exposait ses bras musclés et mettait en valeur son large torse. Il était bâti
comme un bodybuilder, ou comme un stripteaseur. Aussitôt, Becca l’imagina en
train de danser et une boule se forma dans son ventre. Elle aurait volontiers
inséré quelques billets dans son string.
Sa taille était mince et il portait un treillis noir moulé sur ses cuisses massives.
C’était le genre de pantalon que portaient les hommes de son père et elle l’aurait
pris pour un militaire sans ses traits hybrides aussi marqués. Elle se demanda si
son père avait choisi cette tenue pour lui. En tout cas, se dit-elle, je paierais cher
pour qu’il l’enlève.
— Vous êtes déjà là, déclara son père sans cacher son agacement. Voici ma
fille, Rebecca. Elle est en train de libérer le pavillon où vous logerez pendant
votre séjour parmi nous. Ravi de vous revoir.
— Je m’appelle Brute.
Il détourna les yeux de Becca, posa son sac marin à terre et serra la main que
Jim lui tendait.
— Je m’en souviens, répondit ce dernier. Vous faites partie du conseil de
l’OPH, nous avons été présentés lors d’une réunion. C’est juste que je n’osais
pas vous appeler par votre prénom sans votre permission. On ne m’a pas dit que
vous aviez choisi un nom de famille.
— Je n’en ai pas. Je suis Brute tout court.
Ça te va comme un gant. Becca déglutit, fit un pas vers le nouveau venu et
sourit. Il était décidément l’un des mâles les plus appétissants qu’elle ait jamais
vus. Elle mettrait peut-être du temps à s’habituer à ses traits étranges, mais il
exerçait sur elle un attrait indéniable. Elle lui tendit la main.
— Je m’appelle Becca Oberto. Enchantée.
Brute tourna de nouveau vers elle ses yeux d’un bleu nuit hypnotisant. Ses cils
étaient noirs comme ses cheveux et d’une longueur extraordinaire. Ses yeux
avaient également une forme féline remarquable. Ses iris n’étaient pas circulaires
mais ovales, comme ceux d’un chat. Elle était à ce point plongée dans sa
contemplation qu’il lui fallut plusieurs secondes pour remarquer qu’il avait
baissé les yeux et qu’il souriait.
Elle suivit son regard et rougit. Hypnotisée par le spectacle, elle avait oublié
qu’elle était censée lui serrer la main. Elle le fit dans un éclat de rire. Sa peau
était chaude et elle sentit des cals sur ses doigts et sa paume.
— Désolée, dit-elle en relevant la tête. Vous avez des yeux magnifiques.
Brute sourit de plus belle.
— J’en déduis que vous n’aviez jamais rencontré d’Hybride ? Vous semblez…
fascinée.
— Non, en effet. Et, oui, je le suis. Vous avez les plus beaux yeux que j’aie
jamais vus, avoua-t-elle avant de se retenir de grimacer, consciente de la
niaiserie de ses propos.
Il lui pressa les doigts et une émotion indéchiffrable passa dans ses prunelles.
— Merci.
— Vous pouvez la lâcher, intervint le père de Becca, les dents serrées. Vous
êtes censés vous serrer la main, pas vous la tenir.
Becca éclata de rire et rompit le contact.
— Désolée, déclara-t-elle en reculant d’un pas, les yeux toujours rivés sur
ceux de l’Hybride.
— Ce n’est rien. Je suis soulagé de ne pas vous faire peur. Certaines humaines
sont terrifiées quand elles nous rencontrent, ou bien elles se figent comme des
statues et nous regardent fixement.
Bon sang ! c’était exactement ce qu’elle venait de faire.
— Je plaide coupable, avoua-t-elle avec un petit rire. Désolée.
Elle se força à regarder son père. Il était livide et ses yeux lançaient des
éclairs.
— Va préparer tes affaires et installe-toi dans ton ancienne chambre, Rebecca.
Aussitôt, la jeune femme se renfrogna.
— Arrête, papa. Je n’ai plus dix ans. Évitons de nous disputer devant
M. Brute, ça ne ferait pas très bon effet, n’est-ce pas ? Laissons-lui le temps de
s’installer avant de l’initier aux joies de la vie de famille.
— C’est moi qui vous force à déménager ? l’interrompit Brute, gêné.
— Ce n’est pas un problème, le rassura Tim. Le pavillon de ma fille est situé
dans le fond du jardin. Les arbres qui l’entourent la protègent des bruits de la
circulation. On va vous livrer des provisions et on m’a demandé vos
mensurations pour vos nouveaux uniformes, qui devraient arriver d’ici quelques
heures. Vous avez quartier libre aujourd’hui. Vous aurez le temps de vous
installer et de vous habituer à ce nouvel environnement. Je passerai vous
chercher à 8 heures chaque matin et je vous laisserai mon numéro si vous avez
des questions ou des soucis.
Brute hocha la tête.
— C’est gentil, merci, mais je pense que je devrais m’en sortir.
Tim désigna du doigt la grande maison.
— Venez chez moi pendant que ma fille prépare ses affaires. Elle n’en aura
pas pour longtemps.
Avec un regard noir, Becca se tourna vers son père.
— J’ai une meilleure idée. Je vais emmener M. Brute chez moi et je lui ferai
faire le tour du propriétaire. Comme ça, il pourra s’installer dans la chambre
d’ami sans perdre de temps.
— Écoute, Rebecca…
Elle se crispa en prévision de la dispute qui s’annonçait mais, au même
moment, le téléphone portable de son père sonna. Sauvée par le gong, pensa-t-
elle en poussant un soupir de soulagement. Jim sortit son portable, regarda
l’écran et marmonna un juron.
— C’est le travail.
Becca lui fit un signe de la main.
— Salut. Je sais que tu es obligé de t’éloigner pour répondre, histoire qu’on ne
t’entende pas dire « oui » ou « non » à ton interlocuteur mystère. (Elle se tourna
vers Brute et lui sourit.) Allons-y. Je vais vous montrer votre chambre.
L’Hybride hésita, puis prit son sac marin.
— Merci, c’est très aimable de votre part. Appelez-moi Brute, au fait. Laissez
tomber le « monsieur ».
Becca lui montra le chemin, amusée par ses bonnes manières. Son père voulait
lui faire croire que les Hybrides étaient dangereux, mais elle se sentait très à
l’aise avec le nouveau venu. Ils franchirent la porte qui séparait les deux
propriétés et elle sourit en voyant sa maison, dont elle était très fière.
— Et voilà. C’est un peu grand pour une maison d’amis, mais mon grand-père
était très riche. Il l’a fait construire il y a vingt ans, lorsque son frère a fait une
attaque. (Elle s’interrompit, consciente qu’elle devait lui donner l’impression de
jouer les guides touristiques, mais l’intérêt qu’il semblait lui témoigner
l’encouragea à continuer.) Comme il ne voulait pas qu’il reste à l’hôpital, il l’a
fait construire en cinq petits mois. C’est une super maison, avec trois chambres,
trois salles de bains, une salle d’eau et même un ascenseur.
Brute haussa les sourcils et s’arrêta sur la pelouse.
— Je ne m’en sers jamais, mais mon grand-oncle était en fauteuil roulant.
Deux infirmières vivaient sur place et se relayaient en permanence. C’est pour ça
qu’il y a deux chambres d’amis plutôt qu’une seule. Il a passé six ans ici avant
que son état s’aggrave de nouveau. Il a été hospitalisé et il est mort au bout de
quelques semaines. Le pavillon est resté inoccupé jusqu’à la mort de mon grand-
père, il y a quatre ans. Il me l’a laissé et mon père a hérité de la grande maison.
Becca se dirigea vers l’entrée, sortit les clés de son sac à main, ouvrit la porte
et fit signe à Brute de passer le premier. L’homme secoua la tête et lui laissa cet
honneur. Un bon point pour lui, se dit-elle. Elle se retourna et vit qu’il était
presque trop grand pour passer la porte. Par chance, les plafonds de la maison
étaient hauts et sa taille gigantesque ne le gênerait pas à l’intérieur.
Il balaya le salon du regard. Becca se demandait ce qu’il pensait de son
domicile. Heureusement que je viens de faire le ménage ! Enfin, il se tourna vers
elle et lui sourit.
— Ce sera parfait, merci. C’est très joli et ça sent bon le bois. Je repère aussi
une odeur de citron que je ne connais pas, mais qui est très agréable.
Elle se rappela que les Hybrides avaient des sens plus affûtés que les humains.
— Le sol est en plancher et la menuiserie est très travaillée. Mon grand-père
l’a fait construire en hâte, mais ce n’était pas une raison pour lésiner sur la
qualité. L’odeur de citron vient du produit que j’utilise pour nettoyer le plancher.
Ça permet de le faire briller sans le rendre glissant. Deux fois par an, je fais venir
quelqu’un pour la rampe d’escalier et les étagères intégrées du salon, parce que
ça me ferait trop de travail pour moi toute seule.
Il continuait à la regarder sans un mot.
— Je vais vous montrer le reste de la maison, conclut-elle.
Le rez-de-chaussée était constitué d’une cuisine et d’une salle à manger ainsi
que d’une salle d’eau, d’une buanderie et, bien sûr, du salon. Ils montèrent
ensuite à l’étage et Becca ouvrit la première porte sur la droite, qui donnait accès
à la plus petite des chambres, dans laquelle elle avait installé son bureau.
— C’est chez moi, mais vous pouvez utiliser l’ordinateur si vous voulez.
— Je n’en ai presque aucune utilité et je ne suis pas encore très à l’aise avec
ces appareils, mais je vous remercie.
Becca se retourna et le frôla par inadvertance. Il sentait très bon. C’était une
odeur épicée, masculine. Son après-rasage, peut-être ? Elle contourna son corps
massif et ouvrit une porte de l’autre côté du couloir.
— Voici votre chambre, avec sa propre salle de bains. (Elle regarda le lit puis
étudia Brute de la tête aux pieds). On va peut-être devoir échanger nos lits. Celui
de ma chambre est plus grand, je pense qu’il vous conviendra mieux. Oui, dit-
elle en le regardant dans les yeux. Vous allez devoir dormir dans mon lit.
Il fronça les sourcils et un son guttural sortit de sa gorge. Becca, surprise, eut
l’impression qu’il s’agissait d’un grognement animal, mais il avait été si poli
jusque-là qu’elle se trompait forcément.
— Pardon ?
— J’avais un chat dans la gorge, désolé. Vous disiez qu’on devait échanger
nos lits ?
— Oui, à moins que vous vouliez que vos pieds dépassent du matelas.
— Très bien.
— Suivez-moi, il faut d’abord voir si le mien est à votre taille. S’il est trop
petit, mon père en commandera un autre.
Elle le mena à sa propre chambre, au bout du couloir. Dieu merci, elle avait
fait son lit avant de partir, une saine habitude qu’elle devait à l’éducation
militaire que lui avait donnée son père.
— Le voilà. Vous pensez que ça ira ?
— Sans aucun doute, merci.
Elle sourit en le voyant si mal à l’aise dans cette pièce féminine.
— Essayez-le pour en être sûr. Je n’ai pas envie de faire tout ce
déménagement pour rien.
Brute ôta ses chaussures et obéit docilement. Le sommier était si bas qu’il eut
un peu de mal à s’installer. Quand il fut en place, elle constata qu’il pouvait
s’installer de tout son long sur le matelas, à quelques centimètres près. En se
mettant un peu de côté, il y serait très à l’aise. Il lui adressa un sourire sexy.
Bon Dieu ! Becca avala sa salive. Il était incroyablement attirant sur son
couvre-lit rose, dont la teinte pâle rehaussait encore sa masculinité. Le spectacle
de ce corps gigantesque et musclé ainsi offert à son regard lui faisait regretter
qu’il soit habillé.
Elle mourait d’envie de se dévêtir pour le rejoindre sur le lit et dut se mordre
les lèvres pour étouffer un soupir. Pour qu’un inconnu la mette dans un tel état, il
fallait vraiment qu’elle ait un grand besoin d’une séance de jambes en l’air. Elle
avait essayé de coucher avec les rares hommes qu’elle avait fréquentés depuis la
mort de Bradley, son mari, mais le remords avait toujours pris le dessus. Mais
cette fois-ci, tandis qu’elle le dévorait des yeux, elle ne ressentait qu’une seule
chose : l’envie de tester son nouveau matelas avec lui.
— Parfait.
À regret, elle dut se forcer à se rappeler qu’il parlait de la taille du lit et pas de
ce qu’elle avait en tête.
— Tant mieux. Au boulot.
Il se leva avec une grâce féline. L’échange ne leur prit pas très longtemps. Son
lit était un peu trop grand pour la petite pièce, mais il restait un petit passage au
bout du matelas pour accéder à la salle de bains.
Elle se pencha pour changer les draps.
— C’est étroit, mais je suis sûre que vous réussirez à vous y glisser.
Cette fois-ci, il poussa un véritable grognement animal. Surprise, elle leva la
tête et le vit juste derrière elle, les jambes écartées, les mains sur les hanches. Il
avait les yeux rivés sur ses fesses et elle se redressa en éclatant de rire,
comprenant ce que sa phrase avait pu avoir d’ambigu.
— Je parlais de la place qu’il y a entre le lit et le mur, expliqua-t-elle en
souriant.
Brute la regarda dans les yeux.
— Bien sûr, qu’auriez-vous pu vouloir dire d’autre ?
Il haussa un sourcil et se cacha les mains derrière le dos, adoptant une posture
qu’il voulait décontractée.
Becca éclata de rire.
— Je ne m’étais pas rendu compte que vous étiez derrière moi quand j’ai dit
ça. C’est votre grognement qui m’a fait comprendre le double sens de mes mots.
J’ai préféré m’expliquer pour éviter que vous preniez ça pour une invitation de
nature sexuelle.
— Vous êtes très directe.
— Et j’en suis fière. C’est une qualité que j’apprécie chez les autres. Elle
permet de gagner du temps.
— J’aime ça moi aussi. Et c’est vrai que j’ai pris vos paroles dans le mauvais
sens pendant quelques secondes. Vous êtes menue et ce serait en effet très étroit.
Je me suis laissé troubler par votre corps incliné, j’ai oublié pourquoi je m’étais
promis de ne jamais toucher à une humaine et j’ai poussé un grognement
d’appréciation. C’est un signe d’excitation sexuelle chez les Hybrides. Vous avez
de belles formes. Est-ce que je peux ranger mes vêtements là-dedans ? enchaîna-
t-il directement en regardant le placard.
— Bien sûr. Il est vide. Ce sera votre chambre pendant toute la durée de votre
séjour, donc faites comme chez vous, l’encouragea-t-elle avant de se taire un
instant. Est-ce que je peux vous poser une question personnelle ? Simple
curiosité.
— Faites.
— Pourquoi ne voulez-vous pas toucher aux humaines ?
— Vous préférez que je sois poli ou direct ?
— Direct.
Voyant qu’il hésitait, Becca insista.
— Je ne m’offusquerai pas, continua-t-elle avec un sourire. Je suis curieuse et,
vu le métier de mon père, j’ai plus que ma dose de secrets impénétrables. Rien
ne vous force à répondre, mais j’apprécierais que vous le fassiez.
— J’ai une grande force physique et j’ai des besoins sexuels trop brutaux pour
une humaine. Je lui ferais mal sans le vouloir.
Elle réfléchit quelques secondes à ce qu’il venait de dire.
— Je vois. Enfin, c’est un peu flou, mais je crois que je comprends. Merci de
votre franchise.
— Qu’est-ce qui est flou ?
— L’histoire des besoins sexuels brutaux. Je ne sais pas trop comment le
prendre.
Il hocha la tête.
— Je ne suis pas violent et je n’aime ni le bondage, ni les sex-toys. J’ai
visionné quelques vidéos pornos. J’aime prendre mes femelles par-derrière. Je
n’ai aucune douceur pendant l’acte sexuel, contrairement à vos mâles, mais je ne
suis pas non plus du genre à les étrangler ou à les frapper, comme j’ai pu le voir
dans certains films.
» Mais, quand je prends une femme, j’aime que ça soit rapide et intense. Nos
femelles sont moins fragiles que les humaines et j’aurais peur de vous faire mal
par inadvertance. Je ne trouverais aucun plaisir à coucher avec vous. Comme je
le disais, je suis plus gros que vos mâles. Et je ne parle pas de ma taille ou de
mon poids. J’ai vu vos mâles nus et je suis plus épais et plus long. (Il baissa les
yeux vers son entrejambe, puis les reporta sur elle.) Vous voyez de quoi je veux
parler ou est-ce que je dois préciser ?
Becca était abasourdie par sa franchise, mais, après tout, elle l’avait elle-
même réclamée. Elle absorba toutes ces informations avec un frisson de terreur.
C’est vrai qu’il pourrait me faire mal s’il ne se retenait pas. Tout l’attrait sexuel
qu’il exerçait sur elle s’évapora d’un seul coup. Elle ne faisait pas dans le
masochisme.
— C’est parfaitement clair. Merci de me l’avoir expliqué.
— Je vous en prie. Est-ce que vous avez besoin d’aide pour défaire vos
habits ?
Becca éclata de rire.
— Je croyais que je n’étais pas votre genre ? le taquina-t-elle.
Il soupira.
— Ma langue a fourché. Pour défaire le lit, je veux dire.
— On s’est trouvés, on dirait, avec nos lapsus, déclara-t-elle gaiement. Bon,
d’accord, ôtons toutes ces couches superflues.
— Pardon ? cria son père, dont les pas précipités résonnèrent dans le couloir.
Il n’en est pas question !
Il entra en trombe dans la chambre et heurta violemment le chambranle de la
porte avec l’épaule. De toute évidence, il venait d’entrer dans la maison et avait
surpris une partie de leur conversation.
— Ah ! tu es venu pour m’aider ? Merci, papa. Passe de l’autre côté du lit et
attrape les draps.
— Les draps ? Je croyais que…
Becca haussa les sourcils.
— Que quoi ? demanda-t-elle en clignant innocemment des yeux.
— Rien. Continuez. Je voulais juste vérifier… euh… je veux dire t’aider à
emporter tes affaires. Je vais chercher tes valises dans le débarras.
Sur ces mots, il repartit sans demander son reste et Becca adressa un clin d’œil
à Brute.
— J’adore le taquiner. C’est trop facile.
— Pourquoi ?
— Il est très autoritaire et il me traite comme si j’étais encore une enfant. Je le
fais tourner en bourrique dès que j’en ai l’occasion. C’est ma manière de lui
rendre la monnaie de sa pièce.
Brute hocha la tête mais s’abstint de tout commentaire. Il l’aida à refaire le lit
avec la seule parure vaguement masculine qu’elle avait, puis elle sortit pour le
laisser ranger ses affaires.
Son père l’attendait dans sa propre chambre en faisant les cent pas. Il fronça
ses yeux verts et grimaça en la voyant.
— Ferme la porte.
Elle obéit et croisa les bras.
— Qu’est-ce que tu as encore ?
— Tu flirtais avec lui ?
— Moi ? Flirter ? répéta-t-elle, outrée. Jamais !
— Je te préviens, Rebecca, ce n’est pas le genre d’homme avec qui fricoter. Il
est très différent de ton mari ou de tous ceux que tu as pu fréquenter jusque-là.
Bradley était une lavette. Il te laissait lui marcher dessus et il en redemandait.
L’homme qui est au bout du couloir te mangerait toute crue, dans tous les sens
du terme. Il est à moitié animal et il faut s’attendre à ce qu’il agisse par instinct.
Les Hybrides nous ressemblent, mais ils gardent un côté prédateur très marqué.
Becca laissa libre cours à la colère chauffée à blanc qui montait en elle.
— Tu n’as aucun droit de parler de Bradley de cette façon. Ce n’est pas parce
qu’il ne te léchait pas les bottes ou parce qu’il a refusé d’entrer dans l’armée dès
la fin du lycée qu’il était faible. C’était une personne gentille et douce. Il était
intelligent et réfléchi. Il…
— … était faible, répliqua durement son père. Et indigne de toi. Je t’ai élevée
pour que tu sois une femme forte et il n’était pas capable de l’accepter.
— Sors de chez moi, ordonna-t-elle en ouvrant la porte en grand.
Son père pâlit.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Excuse-moi, ma chérie. Mais Brute
n’est pas un petit chaton. Il a de l’ADN de lion dans les gènes, ou peut-être de
panthère noire, vu ses cheveux. J’en sais plus sur les Hybrides que tu n’en sauras
jamais et, si tu le provoques, il risque de le prendre au premier degré et de
t’attaquer.
— Arrête. La seule personne qui court un danger dans cette maison, c’est toi,
et ce serait moi l’agresseur. Tu as toujours détesté mon mari parce qu’il était très
différent de toi. C’est justement pour cela que je l’aimais. Maintenant, sors de
chez moi, et, si jamais tu t’avises de revenir sans ma permission, je te collerai
une volée de plombs dans les fesses. C’est toi qui m’as appris à tirer et j’ai
encore le fusil que tu m’avais acheté. Dehors.
— Je reviendrai dans un quart d’heure pour t’aider à emporter tes affaires, dit-
il en approchant de la porte.
— Inutile.
— Comme tu veux, mais il te faudra plusieurs voyages pour transporter tout le
bazar dont tu penses avoir besoin. Je t’ai déjà vu partir en vacances et je parie
qu’il te faudra au moins trois sacs.
— Tu ne comprends pas. Plus jamais je ne retournerai vivre chez toi. Je reste
ici avec Brute. C’est une personne gentille qui n’a aucune vue sur moi et qui
n’en aura jamais. Il est très bien là où il est. C’est toi que je veux voir partir.
Son père fronça les sourcils.
— Tu ne peux pas cohabiter avec lui.
— Tu paries ? répliqua-t-elle, le regard noir. Sors. Sérieusement. Je t’avais
déjà dit de ne jamais aborder le sujet de Bradley, mais tu n’en fais toujours qu’à
ta tête.
— Je vois que tu as besoin de temps pour te calmer. Tu sais où je cache la clé
de secours. J’ai un rendez-vous ce soir et je rentrerai tard. Demain matin, je serai
à une réunion quand tu te réveilleras, mais on discutera quand je rentrerai. Je suis
désolé, Rebecca. J’ai eu une journée difficile. Tu sais que je n’aimais pas
beaucoup Bradley, mais je voulais simplement que tu aies la vie que tu mérites.
De mon point de vue, tu en as fait un martyr. Tout le monde a des défauts.
Becca lui claqua la porte au nez, puis la verrouilla. Elle l’entendit discuter
quelques minutes avec Brute, puis le silence s’installa. Elle était furieuse. Pire
encore, elle était triste. Elle attendit cinq minutes de plus puis ouvrit doucement
la porte.
CHAPITRE 2

Becca s’arrêta devant la chambre de Brute et entendit qu’il se douchait. Enfin


calmée, elle avait besoin d’un verre, comme toujours lorsque son père et elle se
disputaient. De plus, cela l’aiderait aussi à accepter le fait qu’elle allait devoir
cohabiter avec un inconnu sexy mais intouchable.
Le salon, à sa grande joie lorsqu’elle avait pris possession des lieux,
comprenait un bar dont elle avait remplacé toutes les bouteilles à son arrivée par
simple précaution sanitaire. Elle se versa une vodka pure et l’avala cul sec.
Aussitôt, l’alcool lui brûla la gorge et l’estomac. Avec un soupir de satisfaction,
elle posa le verre sur le bar, grimpa sur le tabouret et se resservit.
Son père la rendait dingue. Elle savait qu’elle n’aurait jamais dû accepter de
vivre à côté de chez lui. Rien ne l’y forçait, pourtant. Elle avait les moyens de
déménager, mais l’idée de quitter son havre de paix, au cœur de la propriété
familiale, avait quelque chose d’effrayant. Elle avait vécu ailleurs avec Bradley
et cela ne s’était pas bien terminé. Elle avala encore quelques verres, jusqu’à ce
que la sonnette la tire de sa dépression.
Elle ouvrit violemment la porte, s’attendant à voir son père, mais ce n’était
pas lui. Elle adressa un large sourire à l’homme qui se tenait devant elle.
— Tiens, mais c’est Trey Roberts ! Tu as l’air en forme.
— J’apporte des provisions et des uniformes pour le nouveau, répondit-il en
souriant. Je vais poser tout ça à la cuisine. Il est déjà là ?
Becca hocha la tête et lui montra le chemin. Trey était le petit chouchou de
son père, le fils qu’il n’avait pas eu. Cela faisait des années qu’il essayait de la
convaincre de l’épouser. Elle flirtait vaguement avec lui, mais sans véritable
intérêt. Il ressemblait trop à son père, la gentillesse et le sens de l’humour en
plus.
— Il est en haut, il se douche.
Trey leva les yeux au plafond, puis regarda Becca.
— Il est comment ?
— Il s’appelle Brute. Il est immense, il a des yeux magnifiques et il est gentil.
Il devrait très bien se fondre dans votre groupe. Mais, à ta place, je ne le
défierais pas au bras de fer. Il te boufferait.
Trey hocha la tête et commença à vider les sacs.
— Où est ton paternel ?
— Il a un rendez-vous galant.
— Oh-oh ! répondit Trey en riant. Je me demande combien de temps ça durera
cette fois-ci.
— Deux semaines, j’imagine. C’est son grand maximum. Ensuite, il
commence à aboyer des ordres et ses dulcinées s’enfuient en courant. J’ai hâte
de voir quelle gourde il va me dégotter comme belle-mère. Il faudrait vraiment
qu’elle ait une case en moins pour supporter son caractère de chiotte.
— Je comprends mieux pourquoi tu refuses de sortir avec moi. J’aime bien
donner des ordres.
— Que veux-tu, je ne suis pas si bête. (Elle l’aida à ranger les provisions, puis
se figea en voyant de quoi il s’agissait.) C’est une blague ?
Il sourit.
— L’OPH nous a conseillé de lui constituer une grosse réserve de viande
rouge.
— Il devrait être content, alors. Il y en a bien une vingtaine de kilos.
— J’ai suivi la liste qu’on nous a donnée. Ah ! oui, on m’a aussi dit de te
demander si tu avais une poêle en fonte. C’est ce qu’ils préfèrent pour faire
griller la viande.
— Là, répondit-elle en désignant un placard.
Trey ouvrit les portes qu’elle lui montrait.
— Ça devrait aller, dit-il en la mettant en évidence sur la gazinière.
— Rien d’autre ?
— Non. S’il a besoin de quelque chose, il nous le dira. Il ne reste plus que le
soda dans ma voiture.
Becca lui tint la porte d’entrée pendant qu’il transportait trois gros cartons à
l’intérieur.
— Il y avait une promotion ? demanda-t-elle, abasourdie.
— Les Hybrides ont un faible pour la caféine, expliqua-t-il en s’adossant au
comptoir après avoir posé le dernier carton. Tu as un copain ces temps-ci ?
— Non.
— Tu viendrais dîner avec moi ?
— Non, répondit-elle gentiment, mais merci pour la proposition.
— Et une petite partie de jambes l’air époustouflante ? insista-t-il avec un clin
d’œil.
— Sans moi ! déclina-t-elle en éclatant de rire.
Le sourire de Trey s’effaça.
— Tu commences à te remettre ? Ça fait plus d’un an qu’il est mort.
— Il y a quelques semaines, je suis sortie avec un type que j’avais rencontré
au boulot. C’était sympa et un soir il a commencé à m’embrasser, mais, la seule
chose que je voyais, c’était qu’il n’était pas Bradley. Ça a tué l’ambiance et je lui
ai demandé de partir. Il m’a proposé un deuxième rendez-vous, mais j’ai refusé.
Il était gentil et je n’avais pas envie de lui donner de faux espoirs.
— Je te promets que je n’essaierai pas de t’embrasser, répliqua Trey en
retrouvant le sourire. Je pourrais te prendre ici même, contre le mur. Je suis sûr
que ça ne te rappellera pas Bradley. Je ne l’imagine pas en train de te soulever
par les hanches et de te baiser à mort.
— Rentre chez toi, dit-elle gaiement en secouant la tête. Je comprends mieux
pourquoi tu es toujours célibataire. Ce genre de baratin marche avec les
femmes ?
— Parfois. J’essaie de t’aider, c’est tout.
— C’est ça. Tu veux m’aider à me déshabiller, j’imagine.
— Tu plaisantes, mais c’est peut-être exactement le genre d’aide dont tu as
besoin. On dit souvent que le meilleur moyen d’oublier quelqu’un est de se
remettre en couple. Ça marche, je t’assure. Je m’inquiète pour toi, ma belle, dit-il
en écartant une mèche de son visage. Je suis là pour toi, que tu aies besoin de
quelqu’un pour parler, pour te serrer contre lui ou pour t’offrir un moment
inoubliable au lit. Bref, mon corps est à ta disposition, conclut-il en souriant.
— Rentre chez toi, répéta-t-elle. Mais merci quand même.
— Tu veux parler ?
— Pas de ça.
— Tu en es sûre ? Ça te ferait du bien.
— Merci, mais je m’en sors. Je te promets que je t’appellerai en cas de besoin.
— Quand tu veux, répondit-il en lui déposant un baiser sur le front. Si tu
changes d’avis, n’hésite pas, quelle que soit l’heure. Je n’ai rien contre les plans
d’un soir.
— J’en suis sûre ! s’esclaffa Becca.
— Je suis même très doué pour ça, continua-t-il avec une mimique irrésistible.
Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Tu ne veux pas faire un essai gratuit ?
— Tu rêves ! Bon, tu n’as personne d’autre à harceler ? Dégage, soldat. C’est
un ordre.
Il recula d’un pas.
— Bon, si tu insistes… mais ma proposition tient toujours !
Avec un petit signe de la main, il sortit et referma la porte derrière lui.
Quelques secondes plus tard, Becca l’entendit mettre le moteur en marche et
démarrer.
Elle posa les mains sur le comptoir et regarda le gros arbre planté devant la
fenêtre de la cuisine. Le spectacle des oiseaux voletant dans les branches la
comblait d’aise. Elle était flattée que Trey, qui la connaissait depuis des années,
se fasse autant de souci pour elle, mais elle refusait d’entrer dans une relation
physique ou intime avec lui. La vie du militaire était déjà assez stressante
comme cela et elle ne voulait pas lui infliger un fardeau supplémentaire.
— Qu’entendait-il par « plan d’un soir » ?
Elle se retourna d’un bond et porta la main à son cœur.
— Tu m’as fait peur. Je ne t’ai pas entendu descendre. Généralement, les
marches grincent.
Brute se tenait dans la porte de la cuisine. Il avait rassemblé ses cheveux
mouillés en une queue-de-cheval et s’était changé. Il portait désormais un jean
délavé et moulant agrémenté d’un tee-shirt noir siglé d’un groupe de heavy
metal. Il était pieds nus.
— Qu’est-ce que c’est, un plan d’un soir ? Je ne connaissais pas ce terme.
Becca sourit.
— C’est quand on couche avec quelqu’un et qu’on s’en va juste après. C’est
du sexe sans le moindre attachement ou sentiment.
Brute hocha la tête.
— C’est une coutume humaine ?
— Pour certains, mais pas pour moi. Il plaisantait.
— C’est ton amant ?
— Non, juste un ami. C’est l’un de tes futurs collègues, d’ailleurs. Si tu
remplaces Jessie Dupree, ce sera même ton chef de groupe. Il devrait te plaire. Il
a un bon sens de l’humour, j’espère que c’est une qualité que tu apprécies autant
que moi. Au fait, il t’a apporté tes vivres et tes uniformes. Et une tonne de sodas.
— Merci. Les plans d’un soir, c’est courant entre amis ? J’essaie d’en
apprendre autant que possible sur les interactions humaines. Puisque je vais
travailler avec eux, j’aimerais comprendre comment ils se comportent.
— Non, c’est même plutôt rare. Trey me l’a proposé parce qu’il cherche à me
convaincre de recommencer à coucher avec un homme. Il fait ça pour plaisanter,
mais aussi pour essayer de me remonter le moral. Selon lui, si je le fais, j’aurai
moins de mal à sortir avec un homme et à coucher avec lui.
— Il veut coucher avec toi pour que tu aies ensuite des relations avec un autre
mâle ? Cet homme, c’est un ami à lui ? J’ai vu ce genre de situations dans des
vidéos pornographiques, mais je ne pensais pas qu’elles étaient représentatives
des mœurs sexuelles humaines. Tous vos mâles font ça ? Je n’ai pas envie de me
lier avec eux si ça veut dire qu’ils me proposeront leurs femelles, avoua-t-il avec
une grimace. Ne le prends pas mal, mais je trouve ça répugnant. Je n’ai pas envie
de voir un autre mâle monter une femme. Ça n’éveillerait aucun désir en moi et,
si je couche avec quelqu’un, je n’ai pas du tout envie de voir ou de sentir un
autre homme dans les parages. Ça gâcherait tout.
Becca éclata de rire. Cette interprétation était hilarante.
— Je m’excuse si jamais j’ai offensé tes préférences sexuelles, mais je suis un
Hybride, et un seul de nos mâles suffit à satisfaire les besoins d’une femelle. Les
vôtres n’ont pas notre énergie. Même si une humaine supportait la brutalité de
nos rapports, elle n’aurait pas la résistance nécessaire.
Ce discours coupa l’envie de rire à Becca.
— C’est plus compliqué que ça, mais ne crois pas ce que tu vois dans ces
films. Ce sont de mauvais scénarios joués par des acteurs, pas des situations
réelles. Trey n’avait aucune intention de ce genre. Il n’essayait pas de me
persuader de participer à une partouze. J’ai été mariée, mais je suis désormais
veuve. Je me suis coupée de toute vie sociale et Trey pense que j’arrêterais d’être
obnubilée par mon mari et que je pourrais recommencer à vivre si je couchais
avec quelqu’un, lui ou un autre. Tu peux te faire des amis sans qu’ils te
proposent de coucher avec leurs femmes.
— C’est quoi, une veuve ?
— Mon mari avait des soucis cardiaques. Une veuve est une femme dont le
mari est mort.
Brute s’adossa au mur.
— Je suis désolé. Nous avons vécu la même chose. Mercile Industries mettait
à mort tous ceux qui avaient un défaut physique.
Cette phrase frappa Becca avec la force d’un direct à l’estomac.
— C’est vrai ? Ils faisaient ça, ces salopards ? Mon Dieu ! Mais ce n’est pas
ce qui est arrivé à mon mari. On ne tue pas les gens juste parce qu’ils sont en
mauvaise santé. Il avait une insuffisance cardiaque et il est mort d’un anévrisme.
C’est arrivé très vite. Il a porté la main à sa poitrine, il a écarquillé les yeux et il
a perdu connaissance. Il ne s’est probablement rendu compte de rien. Selon les
médecins, il n’a pas souffert et il est mort en quelques secondes.
— Ils n’ont pas pu l’opérer plus tôt ?
— On ne savait pas qu’il était malade. C’est une pathologie rare qu’on n’a
découverte que pendant l’autopsie. (Becca inspira profondément pour retenir les
sanglots qui ne manquaient jamais d’apparaître quand elle évoquait la mort de
Bradley. Elle essayait généralement d’éviter les détails les plus sordides et
changea de sujet pour ne pas pleurer.) Tu as faim ?
— Je suis affamé.
— Je te laisse faire ta tambouille. Trey t’a sorti une poêle en fonte. Il y en a
d’autres dans le placard au besoin. Fais comme chez toi.
— Tu t’en vas ?
Elle se crispa, voyant qu’il ne comprenait pas la situation.
— Ah oui ! à ce propos… je ne m’installerai pas avec mon père. Il me rend
chèvre et je peux te dire que tu es bien mieux ici que chez lui. Il peut être très
pénible et il veut toujours tout contrôler. Je reste ici. On ne se verra jamais, j’ai
des journées très chargées. Ne t’inquiète pas, la maison est grande, c’est à peine
si on se croisera.
Il la regarda bouche bée.
— Je dois cohabiter avec toi ? demanda-t-il avec une grimace.
— Je suis désolée, je sais que ce n’est pas ce qu’on t’avait annoncé, mais
personne ne m’avait prévenue de ton arrivée. Mon père n’avait pas le droit de te
proposer ma maison, mais j’accepte de la partager avec toi. Il y a une deuxième
clé pendue à côté de la porte d’entrée. Elle est à toi.
Il releva le menton et redressa les épaules, ce qui eut pour effet de gonfler son
torse de colosse.
— Je comprends. Je suis là pour étudier les humains et m’habituer à leur
compagnie. Partager la maison d’une humaine sera une bonne expérience. Tu
m’as énormément appris en très peu de temps et j’ai hâte de continuer. Merci.
Au grand soulagement de Becca, il prenait cette nouvelle bien mieux qu’elle
l’avait craint.
— Bien. Je te laisse cuisiner. Je retourne au salon pour finir de me bourrer la
gueule. C’est une chose que je fais très souvent quand je me dispute avec mon
père. Il me pousse à boire.
Elle tourna les talons sans lui laisser le temps de poser de questions. Comme
chaque fois qu’elle évoquait son mari, elle se sentait triste et vulnérable. Le cœur
serré, elle s’assit au bar et se versa à boire.
Le pire, c’était que son père avait vu juste à propos de Bradley, même si elle
aurait préféré mourir plutôt que de l’admettre devant lui, car elle savait qu’il
utiliserait cet aveu contre elle chaque fois qu’ils se disputeraient, et leurs
querelles étaient si fréquentes qu’elle en aurait vite par-dessus la tête. Elle avala
un nouveau verre de vodka, ferma les yeux et poussa un petit soupir en sentant
l’alcool tracer son sillon brûlant le long de sa gorge.

Brute suivit Becca des yeux et poussa un soupir. Il savait ce que signifiait
l’expression « se bourrer la gueule ». Elle avait l’intention de se soûler et il
espérait que ce n’était pas dans ses habitudes. Il détestait l’odeur de l’alcool et,
d’après ce qu’il avait vu dans les films, il n’avait aucune envie de fréquenter ce
genre de personne.
Les choses ne se déroulaient pas comme prévu. Pas du tout. On lui avait
promis une maison isolée ou personne ne le dérangerait, mais il se retrouvait à
cohabiter avec une humaine. Pire encore, il la trouvait attirante. Il n’oublierait
pas de sitôt le souvenir de la jeune femme penchée sur le lit. Son corps était
souple et plantureux, très différent de celui des femelles de son espèce. Mais elle
semblait aussi très fragile et se mettrait probablement à hurler s’il laissait libre
cours à son désir.
Il sentait encore dans sa paume le contact de sa petite main, qu’il avait serrée
lorsqu’ils avaient été présentés. La simple idée de la toucher lui donnait un début
d’érection. Et coucher avec elle… il préférait ne même pas y penser. Il risquerait
de l’écraser sous sa masse, ou de lui casser quelque chose par inadvertance.
Avec un petit grognement, il fit le tour de la cuisine pour se familiariser avec
les lieux, puis se fit cuire quelques steaks.
Pendant qu’il mangeait, il ne cessa de penser à Becca Oberto. Elle était une
complication dont il se serait volontiers passé. Il pouvait encore demander à son
père s’il pouvait s’installer chez lui. Cela simplifierait les choses, mais ce serait
également une preuve de lâcheté. Il regarda les photos collées au réfrigérateur :
Becca avec différents humains. Sur tous les clichés, elle souriait et paraissait
heureuse. Dans ce cas, pourquoi s’était-elle donc mise à boire ? Selon le peu
qu’il connaissait des humains, cela voulait dire qu’elle avait de graves
problèmes. Peut-être était-ce à cause de la mort de son compagnon.
Il termina son repas et fit la vaisselle. Lorsqu’il coupa l’eau, il entendit de la
musique. Il était trop tôt pour aller se coucher et il n’y avait pas de télévision
dans sa chambre. Il allait devoir en demander une, car les chaînes câblées lui
manquaient déjà, au point qu’il regrettait de s’être porté volontaire pour cette
mission.
Mais il fallait bien qu’un Hybride accepte de travailler avec le détachement
spécial humain. Une femelle aurait été idéale, mais il ne voulait pas les exposer
aux mâles humains. Vu ce qu’il savait d’eux, il craignait qu’elle se fasse
harceler. Hors des frontières de l’OPH, le monde était sous domination
masculine, à ce qu’il avait cru comprendre, et il fallait protéger les femelles à
tout prix. Il préférait donc se sacrifier et prendre lui-même les risques.
Mais, alors qu’il posait le pied sur la première marche de l’escalier pour
retourner dans sa chambre, l’inquiétude qu’il éprouvait pour Becca prit le
dessus. Elle était plutôt menue et le souvenir d’un film qu’il avait vu le poussa à
faire demi-tour. Elle risquait de boire jusqu’à en être malade et il voulait vérifier
qu’elle se portait bien.
Il suivit la musique et s’arrêta sous l’arcade menant au salon. Becca était
assise au bar, accoudée devant une bouteille et un verre minuscule. Comme si
elle devinait sa présence, elle tourna la tête. Il vit à son sourire et à ses yeux
brillants qu’elle avait trop bu. Maladroitement, elle lui fit signe d’approcher.
— Salut, beau gosse. Tu veux un verre ?
Elle avait la voix pâteuse, et la manière dont elle venait de l’apostropher le
mettait mal à l’aise.
— Je m’appelle Brute. Je ne connais aucun Hybride capable de se choisir un
tel nom.
— Je sais comment tu t’appelles, répliqua-t-elle avec un petit gloussement. Tu
es mignon et tu le sais, hein ?
Elle le trouvait attirant. Cela le laissait sans voix.
— Tu veux un verre ? répéta-t-elle en tapotant le siège voisin du sien. Ça ne
brûle même plus le gosier.
Il fit un pas dans la pièce.
— Je ne bois pas d’alcool, mais merci quand même. Tu en as bu combien ?
— J’en sais rien. (Elle bougea un peu sur son siège et manqua de tomber). Pas
assez, en tout cas. Je suis encore consciente.
— La consommation d’alcool rend ivre, émousse les réflexes et fausse la
logique.
Elle éclata de rire.
— Tu es trop mignon.
Il haussa les sourcils. Personne ne lui avait encore dit cela. On l’avait traité de
bête féroce ou de salopard, entre autres termes fleuris, mais jamais on ne lui
avait fait un tel compliment. Il commençait à se faire du souci pour l’équilibre
mental de la jeune femme.
— Tu ferais peut-être mieux d’aller te coucher. Il paraît que les choses
paraissent toujours plus roses le matin.
— Il est trop tôt. Viens par là, l’invita-t-elle en tapotant de nouveau le
tabouret. Je vais pas te mordre.
— Tu n’as pas peur que ce soit moi qui te morde ?
Il ne put résister à l’envie d’entrouvrir les lèvres pour lui montrer ses canines,
mais, curieusement, elle ne semblait pas en avoir peur, contrairement à tous les
autres humains qu’il avait rencontrés.
— Non. Allez, approche. Tu es un peu flou, déclara-t-elle en fronçant les
sourcils avant de glousser comme une adolescente. Je ne bois pas souvent mais,
quand je me décide, je n’y vais pas avec le dos de la cuillère.
Encore une expression qu’il ne connaissait pas. Il s’approcha prudemment
d’elle. C’était une mauvaise idée, il en était persuadé. Il aurait mieux fait de
monter dans sa chambre, mais son inquiétude avait pris le dessus. Elle avait
besoin de quelqu’un pour la protéger. Son compagnon n’était plus là pour le faire
et son père ne vivait pas avec elle. C’était donc à lui de veiller à ce que rien de
fâcheux ne lui arrive tant qu’elle était dans cet état.
Il s’assit, bien trop près d’elle à son goût, et se mit à prier qu’elle ne vomisse
pas, comme c’était parfois le cas dans les films.
— Je ne comprends pas pourquoi tu infliges cela à ton corps.
— Les calories, tu veux dire ? demanda-t-elle en se regardant. C’est vrai que
j’aurais quelques kilos à perdre. Je reste assise toute la journée au boulot mais,
après tout, je n’ai personne à séduire.
— Les calories ?
— Oui, parce que je suis un peu trop ronde.
Il l’étudia attentivement.
— Tu es très petite. Tu ne dois pas être bien lourde.
— Je pèse soixante-douze kilos, dit-elle en éclatant de rire avant de plaquer la
main sur sa bouche. Mais je mens toujours sur mon poids. Je dis que je pèse dix
kilos de moins.
— Pourquoi ?
— Pour quelle raison je mens ? (Elle se pencha vers lui et lui posa la main sur
le torse.) Toutes les femmes font ça. On ment sur notre poids, sur notre âge et sur
notre expérience sexuelle.
Il n’y comprenait rien et la chaleur de la paume de Becca sur sa poitrine ne
l’aidait pas à réfléchir, bien au contraire.
— Pourquoi ? répéta-t-il.
— Tu veux savoir un truc sur les humains ? Ce sont des menteurs. Les
hommes comme les femmes. Si tu vois nos lèvres s’ouvrir, attends-toi à entendre
n’importe quoi. C’est dans la nature humaine. Personnellement, je déteste avouer
que je n’ai couché qu’avec deux hommes, parce qu’on trouverait ça pitoyable. Et
je mens sur mon âge parce que j’approche des trente ans. C’est un cap terrible
pour une femme. Et, pour le poids, les vêtements amples aident à camoufler les
bourrelets.
— Les quoi ?
— Tu sais, les rondeurs disgracieuses.
Il la regarda de la tête aux pieds, s’arrêta à ses seins, fronça les sourcils et
releva la tête.
— Je ne vois rien de disgracieux.
Elle lui prit la main et l’attira jusqu’à sa taille.
— Appuie.
Il obéit. L’élasticité de son corps et la souplesse de sa peau à travers ses
vêtements le laissèrent sans voix.
— Tu sens ? Des poignées d’amour.
Il ôta la main.
— C’est très agréable.
— À toucher, peut-être, mais pas à voir. Qu’est-ce que tu es gentil, soupira-t-
elle en lui tapotant le torse. J’espère que les membres de l’équipe de mon père ne
déteindront pas sur toi. Les hommes peuvent être de vrais abrutis, mais, toi, tu es
différent.
— Je suis franc.
Elle plissa les yeux, se lécha les lèvres et descendit un peu la main pour en
recouvrir son cœur.
— Ne change pas.
— Je n’aime pas la dissimulation.
— Moi non plus. (Avec une grande inspiration, elle recula, retira sa main et fit
face au bar.) Mais c’est souvent nécessaire.
— Je ne comprends pas. Tu as des secrets à protéger ?
Elle leva son verre, en but une gorgée, puis le reposa avec une grimace.
— Je ne sens plus la brûlure, mais le goût est merdique.
Il inspira. L’odeur vile de l’alcool était bien là, mais il ne sentait rien qui
pouvait rappeler les excréments.
— Ne bois pas ça.
— Ça aide, répondit-elle, le regard fixe. Par moments, j’ai envie d’oublier des
choses. Quand je suis triste, ça me permet de les effacer.
— Tu as besoin de soins ? demanda-t-il, plus inquiet que jamais.
Il se pencha vers elle et la renifla plus attentivement. Elle sentait la fraise, les
céréales et la lessive, mais il ne repéra aucune odeur de maladie.
Elle tourna la tête vers lui et lui sourit.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Tu n’as pas l’odeur chimique des humains qui prennent des médicaments.
Elle ressort toujours par les pores. Tu es malade ?
— Non, c’est juste que j’ai un goût de merde en ce qui concerne les hommes
et que mon père me rend dingue. Je pense que mon grand-père m’a laissé le
pavillon parce qu’il se doutait que, sans ça, je couperais les ponts avec mon père.
On ne s’entend pas.
— C’est dur d’avoir des parents ?
Elle lâcha son verre et se tourna vers lui.
— Tu n’en as pas idée ! Il est insupportable.
Elle posa la main sur sa cuisse, juste au-dessus du genou, et il baissa les yeux
pour regarder ses petits doigts recroquevillés sur son pantalon.
— Il peut être si con par moments, à vouloir tout contrôler et tout juger.
Quand j’étais plus jeune, il fallait toujours que je sois parfaite, sinon j’avais droit
à un sermon. Lui, il ne l’est pourtant pas du tout, mais j’étais censée l’être.
— Est-ce que les humains sont tous aussi tactiles ? demanda Brute en relevant
la tête.
Elle baissa les yeux, éclata de rire et lui serra la cuisse.
— Désolé, s’excusa-t-elle en le lâchant. Tu as vraiment des yeux magnifiques,
je te l’ai déjà dit ? Je les trouve superbes. Tu vois en couleur ?
— Oui, ma vision est parfaite.
— Mon père pense que tu as des gènes de lion ou de panthère. Tu as une
queue ?
Cette question le laissa bouche bée.
— Ça ne changerait rien, d’ailleurs, continua-t-elle comme si de rien n’était.
Je te trouverais toujours aussi sexy.
— Ma peau est naturellement plus chaude que la tienne, mais je n’ai pas de
queue.
Elle recommença à glousser, amusée par cette réponse. Brute aimait le son de
son rire et les petites rides que cela faisait apparaître sur ses joues. Elle se lécha
de nouveau les lèvres.
— Ce que tu peux être marrant ! Tu danses ?
— Oui.
— J’en étais sûre, répondit-elle en regardant ouvertement son torse avant de
soupirer. Mais tu es hors limites. Évidemment. J’ai vraiment pas de veine, je te
l’ai déjà dit ?
— Tu as envie de danser ? (Les paroles de la jeune femme lui semblaient
incohérentes, probablement à cause de l’alcool qu’elle avait ingurgité.) Il se
trouve que j’aime beaucoup ça.
— J’ai pas de billets sur moi.
Elle éclata de rire et faillit glisser de son tabouret. Brute la rattrapa
délicatement par la taille pour l’aider à conserver l’équilibre.
— Danse avec moi.
Il se leva et l’incita à faire de même. Elle vacilla un instant. Il remarqua alors
qu’elle était pieds nus et que ses chaussures étaient par terre, à côté du tabouret.
— Le rythme lent t’endormira. Je ferai en sorte que tu ne tombes pas.
— Tu veux que je m’endorme ? demanda-t-elle en se collant à lui, minuscule
et molle dans ses bras. C’est logique, après tout. La plupart des hommes auraient
envie de violer une femme dans cet état.
— Tu es soûle et tu ne sais plus ce que tu dis. Jamais je ne ferais une chose
pareille.
— Dommage, marmonna-t-elle en posant la main sur son torse tout en serrant
les doigts sur son biceps. Montre-moi ce que tu sais faire, beau gosse.
Sans prêter attention au rythme soutenu du morceau de rock, il l’agrippa
fermement pour éviter qu’elle tombe en cas d’évanouissement et se balança
doucement.
— Tu sens super bon, murmura-t-elle en lui caressant la peau du bout des
doigts. Et tu es vraiment costaud.
— Merci. Je ne représente aucun danger pour toi.
Elle se serra contre lui et il vit qu’elle avait fermé les yeux.
— Je n’ai pas peur de toi.
Le léger contact des ongles de Becca sur sa peau faisait naître en lui une
érection incontrôlable. Cette cohabitation était décidément une mauvaise idée,
surtout avec une femme qui buvait et qui admettait manquer de franchise.
— Tu as une copine, Brute ?
— Non.
— Il y en a qui ne savent pas ce qu’elles manquent. Tu es trop chou de danser
avec moi.
— Encore un terme dont je n’avais jamais été affublé, dit-il en souriant. Tu es
amusante quand tu bois, Becca.
— Merci. (Elle lui lâcha les bras et posa les mains sur ses épaules.) Est-ce que
tu t’es senti insulté quand je t’ai demandé si tu avais une queue ou si tu voyais en
couleur ? C’est sorti tout seul, désolée. Ce sont des questions taboues ?
— Pas du tout. Tu éprouves de la curiosité pour moi, comme j’en éprouve
pour les humains.
Becca leva la tête et ouvrit les yeux. Voyant qu’elle ne bougeait plus, Brute
s’immobilisa lui aussi et soutint son regard.
— Tu as de l’ADN de lion ou de panthère ?
— Je n’en sais rien. On n’a pas retrouvé mon dossier.
— Je peux toucher tes cheveux ? Ils sont si beaux et si longs que j’en meurs
d’envie depuis tout à l’heure. Quel dommage que tu ne les lâches pas.
Cette requête le surprit.
— Si je ne les attache pas, ils me gênent. Vas-y si tu en as envie. Ils poussent
très vite, je vais bientôt devoir les recouper.
Elle se pencha vers lui et il fit passer sa queue-de-cheval par-dessus son
épaule. Becca lui caressa les cheveux et sourit.
— Je t’en prie, ne fais pas ça. Ils sont aussi soyeux qu’ils en ont l’air, ce serait
un crime.
Il avait envie de lui demander lui aussi s’il pouvait toucher sa peau douce,
mais il se retint, car il savait que ce serait incorrect.
— Je vais me coucher, dit-elle en lâchant sa queue-de-cheval et en laissant
glisser les mains sur son torse. Ouais, je crois que ça vaudrait mieux.
— Je vais t’escorter jusqu’à ta chambre. Tu ne tiens pas très bien debout.
— OK, merci.
Elle recula d’un pas et il la lâcha. Elle vacilla un instant, puis pivota sur elle-
même et se dirigea vers l’arcade. Brute la suivit comme son ombre.
Contrairement à ce qu’il craignait, elle franchit l’escalier sans encombre. Une
fois à la porte de sa chambre, elle tourna la tête et le regarda droit dans les yeux.
— Bonne nuit, Brute. Fais de beaux rêves.
Il hocha la tête, se retenant de lui dire que, lorsqu’il rêvait, il faisait toujours
des cauchemars qui lui rappelaient sa captivité. Il lui arrivait de se réveiller en
sursaut, trempé de sueur, persuadé qu’il était toujours prisonnier.
Elle ferma la porte mais il resta plusieurs secondes immobiles, l’oreille
tendue, pour vérifier qu’elle ne s’évanouissait pas. Il entendit le glissement des
vêtements de la jeune femme et il ferma les yeux pour essayer de penser à autre
chose. Il éprouvait une envie irrépressible de la voir nue. Lorsque le sommier
craqua sous son poids, il ne bougea toujours pas et attendit encore quelques
minutes le temps que sa respiration lui indique qu’elle s’était endormie.
Il poussa un grand soupir, ouvrit les yeux et redescendit pour couper la
musique et vérifier que toutes les portes étaient bien fermées. Il ne se sentait pas
chez lui dans cette maison, loin des siens, seul au milieu des humains.
CHAPITRE 3

Becca se réveilla en sursaut. Elle se demanda un instant où elle était, puis la


mémoire lui revint et elle grimaça, se rappelant la discussion qu’elle avait eue
avec son invité sous l’effet de l’alcool. Elle se promit de présenter ses excuses à
Brute dès qu’elle se lèverait. Un coup d’œil à son réveil lui apprit qu’il était près
de 3 heures. Soudain, le bruit qui l’avait tirée du sommeil recommença.
Elle fronça les sourcils. Pourquoi Boomer, le chien des voisines, aboyait-il
avec une telle insistance au beau milieu de la nuit, lui qui était généralement si
calme ? Becca repoussa ses couvertures, se leva et se dirigea vers la fenêtre, dont
elle écarta légèrement les rideaux.
Toutes les pièces de la maison de Mel et Tina semblaient illuminées. Même
dans son état comateux, Becca s’en étonna. Elles approchaient de la
cinquantaine, avaient des horaires de bureau et n’oubliaient jamais d’éteindre les
lumières. Et il était peu probable qu’elles fassent une grosse fête en plein milieu
de la semaine.
Boomer poussa un jappement strident, puis se tut. Le silence retomba dans la
nuit, lourd et angoissant. Sans perdre une seconde, Becca courut à son placard,
l’ouvrit à toute volée, y chercha un objet à tâtons sur l’étagère du haut, puis
revint à la fenêtre. Elle écarta de nouveau les rideaux avec le coude et porta les
jumelles de théâtre de Bradley à ses yeux.
Au départ, elle ne vit rien d’inhabituel. Sa chambre donnait sur l’arrière de la
bâtisse, dont les fenêtres étaient dépourvues de tentures ou de volets. Les
maisons du quartier étaient trop éloignées les unes des autres pour qu’il soit
nécessaire de préserver leur intimité et, à moins d’utiliser des jumelles, il était
impossible de voir ce qui se passait chez ses voisins.
La salle de séjour était vide, tout comme la cuisine. Becca dirigea ensuite ses
jumelles vers le salon, où elle vit Tina, reconnaissable à sa chevelure blond
platine, assise sur une chaise. Elle secouait frénétiquement la tête et Becca
aperçut une bande argentée au niveau de sa bouche.
— C’est quoi ce truc ? marmonna-t-elle avant de comprendre. Oh, mon Dieu !
On avait bâillonné sa voisine avec de l’adhésif. C’était un cambriolage et elle
devait appeler la police.
Mais, alors qu’elle se retournait pour courir au téléphone, une forme
imposante, tout de noir vêtue, s’approcha de Tina. Becca devina qu’il s’agissait
d’un homme, même s’il était de dos. Il leva la main et, malgré la distance, elle
entendit une détonation étouffée. Tina fit un sursaut sur sa chaise, puis ne bougea
plus.
— Putain…, murmura Becca.
Le visage de Tina n’était plus qu’une masse sanguinolente de chair et de
cheveux platine mêlés. Le cambrioleur venait de tuer sa voisine d’une balle en
pleine tête.
Becca pivota sur elle-même, lâcha ses jumelles et courut jusqu’à sa table de
nuit. Elle heurta le lit et faillit s’écrouler dans l’obscurité, car elle avait peur
d’alerter le cambrioleur si elle allumait la lumière. Elle se rattrapa et décrocha
son téléphone fixe. Elle colla le combiné à son oreille, mais n’entendit aucune
tonalité. La ligne était coupée.
Ne panique pas, réfléchis ! Ton portable ! Elle avait laissé son sac à main en
bas, près de la porte d’entrée. Elle ouvrit le tiroir de sa table de nuit et sentit le
métal froid de son pistolet sous ses doigts. Il paraissait lourd dans sa main, mais
il était hors de question qu’elle laisse ce salopard tuer aussi Mel, car la police
mettrait plusieurs minutes à arriver une fois qu’elle l’aurait prévenue.
Elle marcha à tâtons jusqu’à la porte, heurta le mur, puis sortit dans le couloir
sans allumer la lumière. Retenant le sanglot qui lui bloquait la gorge, elle courut
à l’aveuglette droit devant elle et se cogna violemment à la table. Elle poussa un
petit juron, se frotta le genou et continua en boitillant, serrant l’arme entre ses
doigts pour être sûre de ne pas la perdre.
Soudain, elle se figea. Une ombre venait de bouger devant elle. Becca ouvrit
la bouche pour hurler, puis se rappela que Brute dormait chez elle. Avec un
soupir de soulagement, elle s’approcha de lui.
— Je viens de voir ma voisine se faire assassiner, murmura-t-elle. N’allume
pas la lumière, ça risquerait de faire fuir le type. Je vais appeler la police.
— Tu en es sûre ?
— Il lui a tiré une balle en plein visage, balbutia-t-elle en sentant des larmes
chaudes dévaler ses joues. Elle est morte. Sa tête a explosé. Mon portable est
dans mon sac à main, en bas. La ligne de ma chambre est coupée. Je ne veux pas
que le type s’en tire.
Elle tenta de le pousser vers l’escalier, mais il la saisit par les bras.
— Le téléphone est coupé ?
— Oui.
Brute poussa un grognement.
— Lâche-moi, s’agaça-t-elle. Je dois récupérer mon portable. Et je suis armée.
Si je dois lui tirer dessus pour l’empêcher de s’enfuir avant l’arrivée des flics, je
n’hésiterai pas.
— Tu as vu combien d’hommes ?
— Un seul. Lâche-moi. Il n’y a pas de temps à perdre.
— Tu ne trouves pas ça bizarre que ta ligne soit coupée au moment même où
ta voisine s’est fait tuer ? insista-t-il calmement. Ne bouge pas d’ici. J’ai un
portable dans ma chambre.
Becca s’adossa contre le mur. Elle se rendait compte que la fatigue et l’état de
choc l’empêchaient de réfléchir correctement. En effet, franchir le mur des
voisins pour se retrouver face à un cambrioleur armé n’était pas l’idée du siècle.
Tant qu’il ne savait pas qu’on l’avait vu, il prendrait son temps pour fouiller la
maison. Mais elle était très inquiète pour Mel. Peut-être était-elle déjà morte,
comme Tina ?
— D’accord.
Il la lâcha et retourna dans sa chambre. Becca profita de ces quelques
secondes pour tenter de se reprendre. Elle essuya ses larmes et se dit qu’elle était
encore un peu soûle et que Brute avait raison. Le plus important était d’appeler
la police. Brute ressortit de sa chambre et s’approcha d’elle, massif et rassurant.
— Envoyez-nous la police et des renforts, demanda-t-il avant de raccrocher.
J’ai contacté les Hybrides, l’aide ne va pas tarder.
— Donne-moi ton téléphone. Il faut appeler les urgences.
— Ils s’en occupent et ils nous envoient des renforts, je te dis.
— Ce n’est pas de renforts dont on a besoin. Il faut que la police arrive le plus
vite possible. Mel est peut-être encore en vie. Passe-moi ton portable. Il faut
absolument qu’ils arrêtent ce type. Je sais que je suis encore sous l’effet de
l’alcool, mais j’ai envie d’y aller moi-même et de lui faire éclater la cervelle,
comme il l’a fait à Tina, mais, si je fais ça, je risque probablement la prison. Je
n’arrive pas à y croi…
— Chut, murmura soudain Brute.
— Je sais que…
Il plaqua la main sur sa bouche et se retourna en passant un bras autour de sa
taille pour la serrer contre lui. Becca sentit son souffle chaud dans son oreille et
ses longs cheveux lui chatouiller le bras.
— Il y a quelqu’un en bas, souffla-t-il.
Elle se figea, terrorisée… puis songea qu’il s’agissait peut-être de son père. Il
avait dû entendre les aboiements de Boomer ou le coup de feu. Le chien ne se
manifestait jamais la nuit et, même si le coup de revolver avait été assourdi, son
père l’aurait immédiatement identifié.
Dans ce cas, il aurait aussitôt accouru chez elle avec le pistolet qu’il gardait
lui aussi dans sa table de nuit. C’était d’ailleurs lui qui lui avait acheté le sien, au
cas où quelqu’un s’introduirait chez elle par effraction. Il était toujours chargé et
prêt à faire feu. Mais son père serait arrivé en trombe, fou d’anxiété pour elle.
Elle comprit alors qu’il ne s’agissait pas de lui. Brute la souleva sans mal du
sol et la porta à reculons jusqu’à sa propre chambre.
— Pas un bruit, murmura-t-il.
Il ôta la main de sa bouche et Becca crispa les lèvres. Sans un bruit, il referma
la porte et la verrouilla. Puis, sans perdre une seconde, il porta la jeune femme
jusqu’à la petite salle de bains.
— Je sens quatre mâles humains dans la maison, expliqua-t-il à voix basse. Il
y a aussi une odeur de sang, mais je pense que c’est du sang animal. Assieds-toi
dans un coin et ne fais pas un bruit. Hoche la tête pour me montrer que tu as
compris. Ne parle pas et ne me tire pas dessus par accident. (Sans lui laisser le
temps de réagir, il lui subtilisa son arme.) Donne-moi ça, d’ailleurs. Tu es encore
un peu soûle.
Becca hocha la tête sans protester. Brute la lâcha, puis posa délicatement
l’arme sur le sol. Il tourna ensuite la jeune femme face à lui et la força
doucement à s’accroupir.
Elle plaqua ses mains sur le torse nu et chaud de Brute pour les empêcher de
trembler. L’alcool et l’adrénaline rendaient ses mouvements imprécis. Elle se
baissa en laissant ses mains glisser sur sa peau jusqu’à ce qu’elles arrivent au
tissu de son pantalon de pyjama. Gênée, elle se rendit compte qu’en n’importe
quelle autre circonstance la situation aurait été indécente. Elle se trouvait
accroupie, le visage au niveau de son entrejambe.
Pour ne rien arranger, sa chemise de nuit était remontée jusqu’à sa taille,
exposant ses jambes nues et écartées de manière provocante. Si la lumière avait
été allumée, Brute aurait pu voir sa culotte, mais elle ne corrigea pas sa position,
de peur de tomber ou de faire un bruit. Les renforts ne tarderaient pas et Brute
était là. Elle n’était pas seule.
Son père lui avait un jour expliqué que les Hybrides avaient une ouïe et une
vision de nuit hors du commun. Il lui avait aussi dit que leur odorat était digne
de celui d’un chien de chasse. En effet, Brute avait repéré l’odeur de quatre
hommes dans la maison.
Comment sait-il que ce sont des hommes ? Elle se mordit les lèvres pour ne
pas lui poser la question à voix haute. Il avait aussi affirmé avoir senti du sang
d’animal. Boomer. Elle se souvint alors du jappement déchirant qu’il avait
poussé avant de se taire. Est-ce que c’est le sang de Boomer qu’il a reniflé ?
Cette éventualité lui faisait froid dans le dos.
Brute retourna dans sa chambre, tira un objet de sous son lit et revint à la salle
de bains pour ne plus en bouger. Sa présence était rassurante mais, au bout de
quelques instants, elle entendit un craquement. Elle reconnut le bruit de la
troisième marche. Quelqu’un était dans l’escalier.
Cela n’avait aucun sens. Pourquoi l’assassin de Tina viendrait-il chez elle ?
Brute avait parlé de quatre hommes. Celui qui avait tué sa voisine n’aurait pas eu
le temps d’arriver chez elle aussi vite, ce qui voulait dire qu’ils étaient au moins
cinq. Un groupe de cambrioleurs sévissant dans le quartier, peut-être ? Elle
hésitait à en avertir Brute, mais craignait d’émettre le moindre bruit.
Soudain, la porte de la chambre vola en éclats. Becca se mit la main devant la
bouche pour étouffer son cri. Elle sursauta, se colla au mur et parvint à garder les
yeux rivés sur Brute.
Ce dernier restait immobile, presque impassible, mais, lorsqu’il vit un objet
métallique rouler sur le plancher, il bondit, écarquilla les yeux et la percuta
violemment en lui coupant le souffle. Elle se retrouva par terre et il lui tomba
dessus de tout son poids. Une détonation assourdissante retentit alors, lui vrillant
le crâne et l’aveuglant malgré ses yeux fermés. L’explosion était si puissante
qu’elle fit même un instant vibrer le sol.
Brute poussa un rugissement et roula pour se dégager d’elle. Aussitôt, elle
rouvrit les yeux et inspira à pleins poumons. Elle le vit sortir de la salle de bains
en courant. La lumière de la chambre était allumée et un nuage de fumée blanche
tourbillonnait sous le plafond.
Brute ouvrit le feu, chaque détonation la faisant tressaillir. Il se tenait à
quelques pas d’elle, torse nu, tenant dans la main un Beretta dont le canon
semblait cracher la foudre. Quelqu’un hurla dans la mêlée. Brute poussa un
nouveau rugissement sauvage puis recula d’un bond pour retrouver la sécurité
relative de la salle de bains.
Aussitôt, six lames métalliques se fichèrent dans la porte, à quelques
centimètres de lui. Brute se précipita jusqu’au lit et recommença à tirer, mais
seules deux balles sortirent de son arme, qui s’était enrayée ou dont le chargeur
était vide.
Becca, paralysée de peur, vit trois hommes vêtus de noir se jeter sur lui. Il en
repoussa un d’une ruade si puissante que son adversaire heurta violemment le
plafond avant de retomber sur le côté du lit et de rebondir jusqu’au plancher.
Bouge ! se dit-elle. Elle se redressa tant bien que mal, le corps lourd, presque
déconnecté de son cerveau, les oreilles toujours bourdonnantes. Elle posa les
mains sur le lavabo et poussa de toutes ses forces pour soulever les genoux du
sol, puis tourna la tête en direction de Brute, qui venait de projeter un deuxième
assaillant dans le couloir. Il se releva d’un bond et se plaça derrière le lit.
Reculant jusqu’au mur, il poussa un grognement agressif, puis un véritable
rugissement. Ses doigts étaient repliés comme des griffes et il montrait les dents.
L’homme qui avait heurté le plafond s’assit sur le matelas, puis se releva en
chancelant.
Becca ramassa son arme et tituba jusqu’à la porte, le doigt sur la détente.
Brute avait besoin d’une arme pour se défendre. Il était coincé entre le lit et la
fenêtre, face au danger. Mais elle savait tirer et n’hésiterait pas. Son père lui
avait inculqué un excellent principe : ne jamais faire feu sans être prête à tuer.
Elle l’était.
Elle était presque à la porte lorsque l’abruti qui venait de se relever voulut se
jeter sur Brute. Elle se figea et regarda l’Hybride le frapper à la gorge d’une
main et le repousser vers elle de l’autre.
Becca reçut un liquide chaud sur le front et les joues. L’homme s’écroula sur
le sol, entre la porte de la salle de bains et le lit. Son visage était une vision
d’horreur, tranché de l’oreille à la bouche. Il cligna des yeux, terrifié, et poussa
un sifflement tandis que son sang formait une flaque sur le sol. Une seconde
après, il était mort, fixant sur Becca ses yeux vitreux.
Le temps s’arrêta. La situation était irréelle, trop atroce pour son cerveau, qui
se coupa un instant de la réalité. Elle ne reprit ses esprits que lorsque le sang lui
toucha les orteils. Il ne s’était écoulé que quelques secondes et elle comprit que
ce qui lui avait éclaboussé le visage était aussi du sang.
Une nouvelle grenade assourdissante roula sur le sol de la chambre. Elle
s’accroupit pour s’en protéger du mieux possible et Brute poussa un rugissement
qu’elle n’entendit pas dans le vacarme de l’explosion, si forte qu’elle avait
l’impression que le bruit lui transperçait le cerveau. Même avec les yeux fermés
et de dos, l’éclair blanc l’aveugla l’espace d’un instant.
Elle parvint toutefois à rester sur ses pieds et se retourna aussitôt. Malgré ses
mains insensibles, elle pointa son arme en direction de la porte et vit Brute à
moitié affalé sur le lit. Il était à genoux, le torse sur le matelas, les cheveux étalés
sur les draps. Il ne bougeait pas, mais elle se rassura à moitié en voyant qu’il
respirait encore.
Un homme se plaça alors dans la porte et elle recula en trébuchant. Il était tout
de noir vêtu, son visage était caché par un masque et ses yeux par de grosses
lunettes rondes et tintées, plus petites qu’un appareil de vision de nuit. La main
tremblante, elle se força à garder l’arme pointée sur lui.
— Tout doux, ordonna-t-il.
Il écarta lentement les mains du corps et elle vit qu’il tenait une arme à l’allure
étrange. Elle était massive, avec un long canon, une sorte de pistolet géant orné
d’un cylindre à sa base. Elle pensa aussitôt aux projectiles métalliques fichés
dans la porte. C’était l’engin qui les tirait, cela ne faisait aucun doute.
— Ne bouge pas, dit-elle d’une voix tremblante. Je n’hésiterai pas à tirer.
— Tout doux, répéta-t-il sans bouger d’un millimètre. Si tu me tues, tu n’auras
aucune chance de t’en tirer vivante. Mes hommes t’abattront. Tu as compris ?
Becca était plus terrorisée que jamais. Elle savait qu’il ne bluffait pas. Ils
avaient tué Tina et la tueraient elle aussi. Une chose était claire : il ne s’agissait
pas de cambrioleurs. Ils portaient la même tenue que les hommes de son père
pendant leurs opérations secrètes. C’est quoi ce bordel ?
— On est là pour l’Hybride, expliqua-t-il d’une voix calme. Rien de plus.
Baisse ton arme, petite. Tu n’es pas notre cible.
— Vous ne pouvez pas l’emmener, répliqua-t-elle un peu plus fermement. Je
ne suis pas naïve et il est hors de question que je baisse mon arme. Je ne te
manquerai pas. (Elle ajusta son arme pour bien lui montrer qu’elle la pointait au
centre de son crâne.) Dis à tes hommes de déguerpir si tu ne veux pas que je
redécore mes murs avec ta cervelle. J’ai appelé la police. Ils seront là d’une
minute à l’autre.
— Fait chier, jura une voix masculine de l’autre côté du mur, ce qui lui apprit
que l’homme avait un complice en soutien.
— Dis-lui de reculer, ordonna-t-elle en crispant l’index sur la détente. Je suis
morte de peur et, si je vois le moindre mouvement, je risque de te tirer dessus
sans le faire exprès.
— Recule, dit celui qui semblait être le chef. Elle a un Beretta pointé sur ma
tête.
— Et je sais m’en servir, insista-t-elle. (Elle étudia l’espace entre la tête de
l’homme et la porte, aperçut Brute, toujours évanoui, et reporta son attention sur
son adversaire.) Lâche ton arme sans geste brusque.
Il obéit et laissa tomber son étrange instrument à côté du cadavre.
— Tu es flic ?
— Non, mais je ne te manquerai pas.
L’homme s’éclaircit la gorge.
— Tu es son garde du corps ?
— Non plus, mais ça ne m’empêchera pas de te tuer pour le protéger. Il reste
ici. Ordonne à tes hommes de sortir de chez moi. Toi, par contre, tu ne bouges
pas. À la première bêtise de leur part, tu es mort.
— Chez toi ? Vous vivez ensemble ?
— Ferme-la et fais ce que je te dis. Donne-leur l’ordre de sortir.
— Très bien, déclara-t-il après un moment d’hésitation tout en faisant un petit
mouvement du bout des doigts.
Becca se détendit un peu, pensant que, par ce geste, il faisait signe à ses
hommes de partir. Mais au lieu de ça une pluie de balles s’abattit sur le mur. Elle
appuya sur la détente et se jeta par terre.
Aussitôt, un gros poids s’abattit sur son dos. Le souffle coupé par la douleur,
elle ne put même pas hurler et sentit qu’on lui arrachait le Beretta des mains.
Elle reçut ensuite un violent coup de poing dans la tempe. Elle rejeta la tête en
arrière et poussa un cri, très vite interrompu par un coup de coude dans le dos.
Son arme était à côté des toilettes, hors de sa portée. Son assaillant la saisit par
les cheveux à la base du cou et la força à se relever. Elle tituba et saisit une main
gantée.
— C’est pas passé loin, dit l’homme masqué, mais tu m’as quand même éraflé
la joue. Tu me paieras ça, salope.
Il la poussa violemment contre le mur. Becca poussa un grognement de
douleur et se retourna. Elle savait qu’elle allait mourir et songea que son père
passait sans doute la nuit chez la femme avec qui il avait rendez-vous. Sinon, il
aurait forcément entendu la fusillade depuis chez lui et aurait accouru à sa
rescousse. Ou bien ils l’avaient tué avant de venir chez elle.
Elle fusilla l’homme du regard et éprouva une satisfaction féroce à la vue de
son masque déchiré sous l’oreille et rougi de sang. Elle espérait l’avoir défiguré.
— Va te faire foutre ! hurla-t-elle, les poings serrés.
Deux de ses acolytes entrèrent dans la salle de bains et pointèrent leurs armes
sur elle.
— Ça va, Randy ? demanda le premier.
— Oui. La balle m’a touché la joue, mais sans gravité.
Elle leva les yeux et se rendit compte qu’ils avaient tiré plusieurs dizaines de
centimètres trop haut. C’était incompréhensible, car elle était persuadée qu’ils
avaient voulu la tuer.
— Vous êtes qui ?
Randy la saisit par le cou, l’attira contre lui et la prit de nouveau par les
cheveux en tirant violemment. Son haleine exhalait une vague odeur de tabac.
— C’en est une ? interrogea l’un de ses hommes.
— Non, je suis sûre qu’elle est humaine. Ses yeux sont normaux.
Une autre personne entra dans la pièce.
— La deuxième équipe a intercepté les flics, mais ils ne vont pas tarder. On a
quatre minutes.
— Eh merde ! jura Randy.
Il la renvoya contre le mur et porta la main à son oreille indemne.
— Ici chien alpha. Il y a une femme dans la maison. Ça doit être sa maîtresse,
vu qu’elle a admis que c’était chez elle et qu’ils étaient enfermés dans sa
chambre. (Il se tut un instant.) Elle est vivante. J’ai vérifié, elle est bien humaine.
(Nouvelle pause.) Bien reçu. Je l’emmène aussi, conclut-il en tapotant de
nouveau son oreille pour couper la transmission.
Il la saisit par les cheveux et par sa chemise de nuit.
— C’est ton jour de chance. Tu gagnes un sursis. Bouge. Tente quoi que ce
soit et tu le regretteras. J’ai reçu l’ordre de te ramener en vie, mais personne n’a
dit que je ne pouvais pas te faire souffrir.
Il la poussa jusqu’à la porte. Le cadavre était à quelques centimètres de ses
pieds nus et elle sentit un liquide chaud et épais comme du sirop s’immiscer
entre ses orteils. Elle n’avait pas besoin de baisser les yeux pour savoir qu’elle
marchait dans la flaque de sang. Prise par la nausée, elle eut un haut-le-cœur.
— Si tu gerbes, je te pète les dents, pigé ?
Becca fit de son mieux pour se retenir. Pendant ce temps, deux hommes
saisirent Brute sous les bras et le sortirent de la chambre en le traînant entre eux.
Mais c’est qui, ces types ? Elle était terrifiée. Des agents gouvernementaux
auraient annoncé leur identité avant d’intervenir. Des mercenaires, donc ? Cette
hypothèse lui donnait froid dans le dos. Son père disait toujours que,
contrairement aux vrais soldats, les mercenaires n’attendaient pas d’en recevoir
l’ordre pour tuer.
Trois autres hommes vêtus de noir et masqués entrèrent dans la pièce. L’un
d’entre eux leva son arme étrange, visa la jambe de Brute et tira. La fléchette se
ficha dans la cuisse de l’Hybride inconscient, qui ne réagit même pas.
— Ça fait deux, soupira le tireur. Attention au surdosage, il faudrait pas le
tuer. La prochaine dans quinze minutes.
— La vache ! s’exclama l’un de ses collègues. Tu es sûr qu’il résistera ? Ça
fait beaucoup, quand même !
— Ils ont une grande tolérance aux produits à cause des années qu’ils ont
passées comme cobayes et leur métabolisme est bien plus rapide que le nôtre. Il
ne vaut mieux pas qu’il se réveille avant qu’on ait eu le temps de l’enfermer. Ce
serait la dernière erreur de notre vie.
— On n’a pas eu tant de mal que ça à le capturer, ricana Randy. Je pensais que
ce serait plus dur.
Le tireur secoua la tête.
— C’est à cause de la bonne femme. Comme il ne pouvait pas s’enfuir, il a dû
se battre pour la protéger. Sans elle, on ne l’aurait jamais attrapé. Il aurait sauté
par la fenêtre bien avant qu’on arrive. Il avait verrouillé la porte et il nous
attendait quand on a lancé l’assaut. Il nous a entendus arriver.
Becca s’en voulait terriblement. Si elle avait emménagé chez son père, comme
prévu, Brute n’aurait jamais été capturé.
— Allons-y. La police ne va pas tarder, dit Randy en la poussant. Avance.
Le tireur rangea son arme, prit Brute par les pieds et aida les deux autres
hommes à le porter. Randy força Becca à les suivre. La jeune femme n’essaya
pas de résister. Ils étaient trop nombreux et de toute évidence rompus au combat.
Son père l’avait forcée à suivre des cours d’arts martiaux, mais elle savait qu’elle
n’avait pas la moindre chance. Ils sortirent par l’arrière de la maison. C’était par
là qu’ils étaient entrés, en détachant complètement la porte coulissante du mur.
Toujours en portant Brute, ils franchirent le mur qui séparait son jardin de
celui de Tina et Mel. Becca entendit une sirène au loin et hésita à attaquer
Randy. Elle pouvait le frapper par surprise et disparaître dans la nuit. Ils
n’auraient pas le temps de la trouver avant l’arrivée de la police, mais ils
risquaient aussi de l’abattre dans sa fuite.
Brute avait refusé de fuir pour la protéger. Randy la poussa contre le mur et
elle serra les dents. Les trois autres étaient déjà de l’autre côté avec Brute. Elle
commença à grimper. Elle ne pouvait pas abandonner l’Hybride, sans défense et
drogué. Une occasion de se libérer se présenterait peut-être.
Il ne faut jamais abandonner ses hommes, disait souvent son père. C’était un
précepte qu’elle comptait bien suivre à la lettre.
CHAPITRE 4

Becca espérait encore que les flics arriveraient à temps lorsque Randy la
poussa dans un van noir garé dans l’allée de ses voisines. Il était orné du sigle
blanc d’une entreprise de sécurité. C’était astucieux : la police les laisserait
passer, les croyant en intervention. Tout son optimisme s’évapora.
À l’intérieur, Randy la força à entrer dans une grande cage. Elle s’affala sur
Brute, qui était toujours inconscient. Dans un fracas glaçant, la porte se referma
derrière elle.
Sept personnes étaient en train de s’installer à l’avant de la camionnette. Le
conducteur était le seul à ne pas avoir le visage masqué. Becca ne voyait que
l’arrière de son crâne, mais elle était presque sûre qu’il s’agissait du salopard qui
avait tué Tina. Il se retourna vers ses passagers.
— En route, les gars. C’était du gâteau, non ? dit-il en faisant démarrer le
moteur.
Les hommes éclatèrent de rire et l’un d’entre eux fit coulisser un panneau de
manière qu’ils puissent laisser la lumière sans être vus de l’extérieur.
— À part pour le pauvre Smitty.
— Il était con, de toute façon.
— On aurait peut-être dû emporter son corps.
— Non, ça brouillera les pistes. Il était déjà recherché pour plusieurs
cambriolages.
Comme leurs bouches étaient couvertes par des masques, Becca ne parvenait
pas à savoir qui parlait. Elle bougea pour se soulager du poids de Brute. La cage,
spacieuse, était conçue pour un animal de grande taille, mais restait toutefois
trop exiguë pour deux adultes. Elle s’assit et s’appuya contre le torse de son
compagnon, puis regarda son visage et posa deux doigts sur son cou pour
chercher son pouls.
— T’as vu ça ? C’est beau, l’amour. Elle le touche.
— J’aimerais bien que ce soit moi qu’elle touche, ricana l’un des autres.
— Moi aussi !
Becca les ignora et écarta les cheveux du visage de Brute. Il avait une entaille
sur le front, au-dessus du sourcil, mais elle semblait superficielle et ne saignait
pas. Elle passa les doigts dans ses tresses à la recherche de bosses invisibles. Elle
ne remarqua aucun traumatisme apparent sous sa crinière soyeuse.
— Tu crois qu’elle va conclure avec lui ?
— Avec lui ou avec l’un des autres.
— Je crois que je vais me porter volontaire pour la surveiller dès qu’on
rentrera. Si cette salope accepte de les baiser, je veux pas manquer ça.
Pendant cette conversation ponctuée de rires gras, Becca serrait les dents. Elle
leva la tête et, comme ils avaient enlevé leurs lunettes de protection, les regarda
droit dans les yeux.
— Vous venez de commettre la plus grosse erreur de votre vie. Mon père va
vous traquer et vous tuer les uns après les autres. Je vous conseille de bien
profiter de vos dernières heures.
— Et c’est qui, ton papa, ma jolie ?
— Il vit dans la grande maison à côté de la mienne et il déteste les
mercenaires, répondit-elle dans l’espoir de les faire réagir, car elle avait besoin
d’un maximum d’indices pour savoir dans quel pétrin elle se trouvait.
— Désolé de jouer les rabat-joie mais, là où on t’emmène, personne ne te
retrouvera. Ton papa a dû se cacher sous son lit quand il a entendu les coups de
feu.
Tous éclatèrent de nouveau de rire.
Becca ne savait pas ce qu’ils voulaient et se demandait pourquoi ils l’avaient
épargnée. La mort de Tina lui prouvait qu’ils n’éprouvaient aucun remords à tuer
des innocents. En tout cas, elle avait au moins appris une chose qui la soulageait
énormément : son père était toujours en vie et il passerait chez elle dans quelques
heures pour emmener Brute.
Tim Oberto remuerait ciel et terre pour retrouver sa fille unique. Cela
prendrait peut-être du temps, mais il y parviendrait. C’était sa spécialité, après
tout.
Becca baissa les yeux pour regarder Brute. Endormi, il semblait différent,
vulnérable et bien moins intimidant. Elle savait que son père et son équipe
viendraient les délivrer. Becca n’avait qu’à faire en sorte que Brute et elle restent
en vie.
Est-ce que ça va prendre des heures ? des jours ? des semaines ? Non sans
mal, elle contint ses larmes pour ne pas donner à ces salopards la satisfaction de
la voir pleurer. Tiendrait-elle assez longtemps ? Et si jamais papa ne nous
retrouve pas ?
Elle repoussa cette pensée. Son père connaissait son métier. Il y avait un
cadavre dans son salon et, même si ses kidnappeurs pensaient que cela induirait
la police en erreur, elle savait que ce serait un indice précieux pour son père. Il
chercherait à tout savoir sur le mort, traquerait tous ces salopards jusqu’au
dernier et ne reculerait devant rien pour tout leur faire avouer.
— Quelqu’un a appelé l’autre salope pour lui dire qu’on arrive avec le mâle et
sa copine ? On aura peut-être droit à un bonus.
— Oui, moi, répondit Randy, dont elle reconnaissait la voix. Elle est ravie
d’avoir un cobaye qu’elle ne sera pas obligée de droguer. Selon elle, les produits
gâchent toutes les expériences. Elle pense que c’est la clé du succès. Jamais je ne
l’avais entendue aussi excitée.
— Elle devrait peut-être entrer dans la cage d’un des mâles. Elle est tellement
effrayante que le gars serait trop terrifié pour refuser.
— Tu parles, elle est si asséchée qu’elle doit même plus être capable de
mouiller ! Remarque, t’as pas tort : si elle m’ordonnait de baisser mon froc,
j’aurais trop peur pour dire non et je serais raide de terreur.
Tous éclatèrent de rire
— T’imagines cette salope de docteur Elsa qui se penche devant toi ? ajouta
l’un d’entre eux en frappant le mur du poing.
— Ou qui se penche devant 358 ? Qu’est-ce qui vous effraierait le plus ? Le
voir la prendre, ou bien son visage à elle ?
— La voir complètement à poil, plutôt. Heureusement que j’ai rien mangé ce
soir, tiens.
— Et l’entendre dire des cochonneries ? Pire encore, tu imagines si elle pond
un chiard ? Même si le père est beau comme un dieu, si le bébé ressemble à sa
mère, il sera hideux comme tout !
Toutes ces plaisanteries emplissaient Becca d’effroi. Le docteur Elsa n’était
visiblement pas très appréciée des hommes qu’elle dirigeait, mais leurs blagues
salaces lui donnaient toutefois des informations précieuses. Elle gardait les yeux
baissés dans l’espoir qu’ils continuent de parler. Le numéro 358 était une
personne. Les Hybrides prisonniers de Mercile Industries étaient désignés non
par des noms, mais par des numéros. Le 358 devait être celui de Brute, ce qui
voulait dire que ces salopards étaient venus spécifiquement pour lui.
S’ils connaissent son matricule de cobaye, alors… ça veut dire qu’ils
travaillent pour Mercile Industries. Les informations de cette nature étaient
classifiées. Même son père n’avait pu y avoir accès. Il lui avait dit que les
employés de Mercile avaient mis le feu aux archives médicales et détruit les
ordinateurs avant l’assaut des troupes envoyées à la rescousse des Hybrides.
Pourquoi est-ce que Mercile le veut vivant ? Il aurait été plus logique qu’ils le
tuent. L’OPH multipliait les procès contre l’entreprise dans l’espoir de la ruiner.
Chaque sauvetage d’Hybride entraînait de nouvelles procédures et de nouvelles
arrestations. Les dirigeants de l’OPH étaient malins. Ils faisaient tout pour que
Mercile ne soit plus jamais en mesure de reprendre ses expériences.
— Hé ! s’exclama l’un des hommes.
Ce cri tira Becca de ses pensées et elle leva la tête. L’homme s’approcha de la
cage, braquant sur elle des yeux bleus rapprochés.
— Écarte-toi. Faut qu’on lui injecte une nouvelle dose. Toi, par contre, le
docteur Elsa te veut en pleine forme quand on arrivera. Et, de toute façon, tu
ferais tout de suite une overdose mortelle.
L’homme pointa son pistolet et Becca s’écarta aussi loin que possible de
Brute, puis retira immédiatement la fléchette plantée dans sa peau, dans l’espoir
que le tranquillisant ne fasse pas tout son effet.
Brute reçut plusieurs autres doses pendant le trajet. Becca ôta les fléchettes
aussi vite que possible sans se faire remarquer. Elle avait de plus en plus peur
que Brute meure d’overdose. Elle essaya de le leur dire, mais en vain. Le pouls
de l’Hybride restait stable et elle posait régulièrement l’oreille sur son cœur, qui
battait toujours comme une horloge. Elle se serrait contre son corps chaud à
mesure que les kilomètres défilaient.
Soudain, le van s’arrêta. Elle se redressa, effrayée et endolorie par son
immobilité de plusieurs heures. Elle avait l’impression qu’on lui enfonçait des
aiguilles dans les fesses et dans les hanches.
Les hommes sortirent, la laissant seule avec Brute. Aussitôt, elle lui prit le
visage entre les mains.
— Brute, tu m’entends ? Réveille-toi ! murmura-t-elle.
Mais il ne bougea pas et Becca sursauta au bruit de la porte. Elle lâcha Brute
et se tourna vers les cinq hommes, qui s’approchaient de la cage. L’un d’entre
eux la déverrouilla, l’ouvrit et pointa son pistolet anesthésiant en direction de la
poitrine de la jeune femme.
— Dehors, ordonna-t-il.
Ses articulations étaient si raides qu’elle dut faire un effort pour bouger. Elle
descendit de la camionnette et sentit une surface de béton dur et froid sous ses
pieds nus. Elle se trouvait dans un immense hangar, dont le plafond très haut
était strié de poutres métalliques. Quelques fenêtres, sous le toit, illuminaient le
vaste espace. L’un des hommes la saisit par le bras et la força à avancer.
Elle tourna la tête et vit les quatre autres kidnappeurs soulever Brute. Ses
longs cheveux balayaient le sol tandis qu’ils traversaient la pièce en direction
d’un escalier. Le spectacle de ce colosse complètement impuissant lui faisait
froid dans le dos. Quel enfer les attendait ?
L’homme la tira violemment par le bras pour la forcer à les suivre. Elle
obtempéra, car elle ne voulait pas perdre Brute de vue. Les larges marches
métalliques plongeaient dans une quasi-obscurité. Becca leva la tête vers les
hautes fenêtres. Il faisait jour, ce qui voulait dire qu’ils avaient roulé pendant au
moins trois heures et demie.
Ils s’engouffrèrent dans les entrailles de l’entrepôt. Quelques rares ampoules
illuminaient les marches et l’air était un peu plus frais à chaque palier. Becca
sentait la panique la gagner. Le seul point positif était que Brute était toujours
devant elle.
Ils descendirent trois étages puis les hommes poussèrent deux grandes portes
métalliques et Becca se figea, tétanisée par le spectacle qui s’offrait à elle. La
pièce était vaste, illuminée par de longs tubes halogènes pendus au plafond.
Deux grandes cages trônaient en plein milieu, à quelques mètres l’une de l’autre.
Elles étaient immenses et auraient été plus à leur place dans un zoo que dans le
sous-sol d’un entrepôt.
— Avance, ordonna l’homme en la tirant sans ménagement.
Elle passa la porte et aperçut d’autres cages alignées contre les murs. À sa
grande horreur, elle vit que quelques-unes étaient occupées. Un prisonnier était
allongé sur sa couchette, et un autre faisait les cent pas dans l’espace réduit. Il
tourna la tête vers elle et Becca se rendit compte qu’il s’agissait d’un Hybride.
Ils en ont d’autres, pensa-t-elle, glacée. Les cages le long du mur étaient
séparées par des parois en béton et elles étaient plus spacieuses que celles
placées au centre de la pièce. Son kidnappeur la poussa dans l’une d’elles et l’y
enferma.
Les cinq hommes sortirent par une porte située à l’autre bout de la pièce tout
en retirant leurs masques. Dans le silence pesant qui suivit leur départ, Becca
étudia sa nouvelle demeure.
Sa cellule comportait une couchette sur laquelle reposait une pile de
couvertures, ainsi que des toilettes dans un coin. Elle regarda le sol métallique,
puis les barres qui faisaient office de plafond. Les larmes lui montèrent aux
yeux. Réfléchis. Reste calme, se conseilla-t-elle en inspectant les alentours.
Des caméras accrochées au plafond étaient fixées sur sa cage. Il s’agissait de
modèles de grande taille, conçus pour la sécurité extérieure. Un mur en béton lui
bloquait la vue. Il ne mesurait pas plus de trois mètres de haut, mais elle était
curieuse de voir ce qui se trouvait derrière.
Elle prit les épais barreaux entre les mains et les observa attentivement.
L’absence de rouille indiquait qu’ils n’avaient jamais dû se retrouver exposés
aux éléments extérieurs. Elle passa ensuite à la porte, qui était très bien conçue.
Une plaque métallique l’empêchait de passer la main pour atteindre la serrure,
qui était complètement bloquée du côté intérieur. Elle en tira une conclusion qui
faisait froid dans le dos : ces cages n’étaient pas conçues pour des animaux.
Becca se rapprocha le plus possible de la cage de Brute. Son ami était allongé
et respirait avec régularité, mais la quantité de produit anesthésiant qu’on lui
avait injectée l’inquiétait. Il devait frôler l’overdose.
— Brute ? l’appela-t-elle en s’éclaircissant la gorge. Réveille-toi ! Tu
m’entends ?
Un grognement la fit sursauter. L’Hybride qui faisait les cent pas se tenait dans
le coin de sa cage. Il agrippait les barreaux, le regard noir. Ses longs cheveux,
noirs et emmêlés, pendaient jusqu’à sa taille, mais elle ne parvenait pas à
discerner la couleur de ses yeux. Elle n’en devinait que la forme, qui, ajoutée à
ses lèvres charnues et à ses larges pommettes, démontrait l’altération de son
ADN.
— Je m’appelle Becca, lança-t-elle dans l’espoir qu’il lui réponde. Tu es là
depuis quand ?
Il poussa un nouveau grognement menaçant. Bon, il n’est pas du genre
causant. Ou amical. Mais elle n’allait pas renoncer pour autant. Plus elle
récolterait d’informations et plus elle aurait de chances de sortir de ce
cauchemar.
— Tu sais parler ? Becca, dit-elle en se touchant la poitrine avant de pointer le
doigt vers lui. Comment t’appelles-tu ?
Il grogna de nouveau, lui tourna le dos et reprit sa ronde. D’accord, il n’y a
rien à en tirer. Il ne portait qu’un pantalon blanc aux coutures grossières. Il avait
un torse massif et des bras très musclés. Becca remarqua aussi qu’il avait les
doigts crispés comme des griffes et qu’il semblait très agité.
— Brute ! insista-t-elle en haussant le ton. Réveille-toi, bon sang !
Il bougea un bras. Rassurée, elle se colla encore plus aux barreaux.
— Brute, ouvre les yeux ! Tu m’inquiètes. On t’a injecté de fortes doses
d’anesthésiant, il faut que tu résistes. Tu m’entends ? C’est Becca. Tu te
souviens de moi ? Tu vis chez moi. Brute !
Vaseux, il roula sur le côté et tomba sur le sol en métal. Le choc sembla lui
donner un coup de fouet. Il grogna, se redressa sur les bras et ouvrit les yeux.
Les traits déformés par la colère, les muscles noués, il étudia les barreaux de sa
cage.
— Brute ? reprit Becca d’une voix plus douce. Tu vas bien ?
Il tourna la tête vers elle et la rage céda la place à la confusion.
— Non.
— On s’est fait attaquer. Tu te rappelles ?
Il se leva lentement, frotta les marques de piqûres sur sa cuisse et regarda
autour de lui. Ses yeux s’arrêtèrent sur les cages contenant les deux autres
prisonniers. Aussitôt, il se précipita contre les barreaux et grogna à l’attention du
mâle qui faisait les cent pas.
Ce dernier l’ignora royalement.
— Fait chier, grommela Brute.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Il tourna la tête vers elle.
— On est dans la merde.
— Sans blague ! Ils nous observent, ajouta-t-elle en tournant la tête vers les
caméras.
Brute suivit son regard puis se rapprocha d’elle et l’observa de la tête aux
pieds.
— Tu n’as rien ? Ils t’ont droguée toi aussi ?
— Non. Je pense qu’ils bossent pour Mercile, murmura-t-elle. D’après ce
qu’ils disaient, ils sont sous les ordres d’une femme médecin et ils connaissent
ton matricule. C’est une information classifiée, non ?
— Mon matricule ?
— 358.
— Ce n’est pas le mien.
— C’est peut-être lui, alors.
Brute regarda l’autre Hybride, puis reporta son attention sur Becca.
— Il y a une forte odeur pharmaceutique dans la pièce. Je pense qu’on lui a
donné quelque chose. Je connais cette odeur, et, si elle vient de lui, il a la
cervelle en bouillie. Il t’a parlé ?
— Non. Il a grogné, mais il n’a prononcé aucun mot. Je lui ai demandé depuis
combien de temps il était là, mais il s’est remis à faire les cent pas. Il n’a pas
arrêté depuis qu’on est arrivés.
— Je suis resté endormi longtemps ?
— Je dirais dans les quatre heures, peut-être plus. Avant qu’ils nous fassent
descendre ici, j’ai vu qu’il faisait jour. Ça veut dire qu’on a roulé pendant au
moins trois heures et demie. Ils nous ont fait monter dans une camionnette aux
couleurs d’une société de sécurité privée, mais je suis sûre que c’est une
couverture. Le logo était aimanté sur la carrosserie, pas peint.
— On est mal barrés.
— Ah bon, tu crois ? répliqua-t-elle. Ce que je ne comprends pas, c’est
pourquoi ils nous ont épargnés. Mercile devrait te vouloir mort, non ? L’OPH
leur fait procès sur procès et mon père m’a dit que les Hybrides traquent tous les
anciens employés de Mercile pour les prendre en photo et faciliter leur
identification.
Brute renifla de nouveau.
— J’espère que ta mémoire te joue des tours.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Il hésita.
— Je sens l’odeur du produit qu’ils utilisaient pour les expériences
d’insémination.
— Comment ça ? demanda-t-elle, anxieuse.
— Ils ont mis au point un aphrodisiaque très puissant qu’ils nous donnaient
quand on refusait de monter les femelles, à l’époque où ils cherchaient à
comprendre pourquoi on ne parvenait pas à les fertiliser. La pièce en est
imprégnée et ce n’est pas bon signe.
Sans blague.
— Je ne vois aucune femelle. Il y a juste celui-là, et un autre type qui dort sur
sa couchette.
— Je sens un autre Hybride, au moins douze humains et deux femelles
humaines, dont toi.
Tout cela était en effet très inquiétant. Becca savait que les mercenaires
travaillaient pour une femme, ce qui voulait dire qu’elle était la seule
prisonnière. Elle pâlit en pensant à tout ce que cela impliquait.
— Tu ne crois quand même pas qu’ils m’ont enlevée pour que je… enfin, tu
vois. (Elle se cacha la bouche avec les mains et continua dans un murmure
presque inaudible.) Ils pensent que je suis ta copine.
Brute se détourna en poussant un grognement agressif, se dirigea vers la porte
de sa cage, l’étudia un instant et lui décocha un coup de pied. Becca grimaça en
entendant le bruit de l’impact. Brute se massa les orteils et grogna de plus belle,
puis revint vers elle.
— Je ferai de mon mieux pour te protéger, lui promit-il. Tu me fais
confiance ?
— Oui, répondit-elle sincèrement, même si elle le connaissait depuis peu.
Mon père finira par nous retrouver. Rien ne l’arrêtera.
Elle ne voulait pas lui parler du cadavre ou de ce que son père serait prêt à
faire pour remonter ce fil ténu jusqu’à eux, car elle avait peur d’être entendue
par les caméras.
— Attention à ce que tu dis, conseilla-t-il en hochant la tête.
— Je sais.
Brute la regarda attentivement et respira à pleins poumons.
— Ce n’est pas ce produit-là qu’ils m’ont donné. C’est une bonne nouvelle.
Soudain, la double porte par laquelle leurs ravisseurs étaient sortis s’ouvrit.
Quatre hommes entrèrent en poussant devant eux une civière, dont le bruit des
roues résonnait dans la vaste pièce. Un homme y était couché, restreint par des
sangles. Il avait les yeux fermés, mais sa carrure et sa musculature indiquaient
qu’il s’agissait d’un Hybride. D’autres détails apparaissaient à mesure qu’il
approchait, en premier lieu ses pommettes et ses lèvres charnues. Brute renifla
vigoureusement avant que la civière disparaisse derrière la paroi en béton. Le
bruit des roues cessa presque aussitôt, puis ils entendirent une porte de cage
claquer, suivi d’un cliquètement de chaînes, pour sécuriser la fermeture de la
porte de la même manière que sur celle de Brute. Les quatre hommes reparurent
sans la civière et l’un d’entre eux regarda Brute dans les yeux.
— T’es le suivant, connard.
Elle connaissait cette voix. C’était Randy, celui qu’elle avait blessé chez elle,
le chef des mercenaires. Lorsqu’il se tourna de son côté, elle vit qu’on lui avait
posé un gros bandage en dessous de l’oreille.
— Et ensuite, salope, ce sera à toi. Je prendrai beaucoup de plaisir à te voir
souffrir.
— Qu’est-ce qu’on fait ici ? demanda Brute à voix basse.
Randy sourit et posa les mains sur ses hanches.
— Le docteur voulait de la viande fraîche mais, ta copine, c’est un bonus.
(Randy fit un pas vers eux, en prenant toutefois soin de rester à distance
respectable de la cage de Brute.) Tu sais ce qui va vous arriver. On n’a pas réussi
à garder une seule femelle quand on s’est enfuis, donc il n’y a qu’elle. (Son
sourire s’élargit et il désigna l’autre Hybride de la main.) J’espère qu’elle aime
les minous autant que toi. Il passera le premier, et ensuite ce sera ton tour.
Brute poussa un rugissement et se précipita sur les barreaux.
— Il va la tuer !
— Ce sera la cerise sur le gâteau, alors, rétorqua Randy en touchant son
bandage. Cette salope a tenté de m’exploser la cervelle. J’ai hâte de l’entendre
hurler.
Sur ces mots, il tourna les talons et sortit, suivi de ses trois sbires.
Becca tremblait comme une feuille, terrifiée par ce qu’elle venait d’entendre.
Brute, gêné, gardait les yeux fixés sur la porte qui venait de se refermer sur les
quatre hommes. Elle recula des barreaux et s’assit lourdement sur sa couchette.
Ses jambes ne la soutenaient plus.
Elle regarda de l’autre côté de la pièce, en direction de l’Hybride inconnu. Il la
terrifiait. Il ne savait pas parler et semblait hostile. Si on la forçait à entrer dans
sa cage pour une expérience d’accouplement, elle n’en ressortirait pas vivante.
— Becca ?
La jeune femme tourna la tête. Brute fixait les yeux sur elle, le regard sombre.
— Je sais. Ils vous donnent des aphrodisiaques, je suis la seule femme et ce
type a perdu la boule, n’est-ce pas ?
— Écoute-moi, dit-il en agrippant les barreaux. S’ils te forcent à entrer dans
sa cage, laisse-toi faire. Il sera naturellement agressif, mais si tu résistes il…
— Il me tuera ? compléta-t-elle, voyant qu’il hésitait.
— Oui, répondit-il franchement.
Becca contint les larmes qui lui montaient aux yeux.
— Il est drogué et ça le fait souffrir. Son corps est en feu et son désir
d’accouplement le rend fou mais, une fois l’effet passé, il sera désolé. Je le sais,
ajouta-t-il avec tristesse.
— On t’en a déjà administré, c’est ça ?
— Je n’ai pas eu le choix. J’ai servi de cobaye pour ces tests. Seuls deux des
cinq laboratoires découverts utilisaient ce produit, expliqua-t-il en s’asseyant sur
ses talons. Je ne me souviens de rien mais, après avoir recouvré mes esprits, je
savais que j’avais couché avec une femelle. Je n’ai jamais senti l’odeur du sang
sur mon corps et j’espère ne pas leur avoir fait mal. Aucune d’entre elles ne m’a
fait de reproche après notre libération, mais elles voulaient peut-être simplement
m’éviter les remords.
Elle frissonna en repensant à ce qu’il lui avait dit à propos de ses préférences
sexuelles. Elle n’avait pas la résistance physique d’une Hybride. Elle n’était
qu’une humaine lambda, dans une condition physique douteuse, et, même si elle
se laissait faire, elle craignait de ne pas survivre à un accouplement avec un
Hybride drogué.
— Becca ?
Elle avait baissé les yeux sans s’en apercevoir et releva la tête pour le
regarder.
— Je tiendrai le coup. Je suis courageuse. Et on va nous retrouver, assena-t-
elle d’une voix raffermie par la colère. Il y aura des morts. (Elle dirigea son
regard vers la double porte.) Beaucoup de morts.
— Le mâle n’aura aucune intention de te faire mal.
Elle reporta les yeux sur lui en évitant soigneusement de regarder l’homme
qui faisait toujours les cent pas dans sa cellule.
— C’est une victime comme nous. Ne t’en fais pas, ce n’est pas après lui que
j’en veux.
— Ils nous retrouveront, grogna Brute. Crois-moi.
Elle appréciait son optimisme. Son père était un professionnel averti et leurs
ravisseurs avaient commis le tort de laisser un cadavre derrière eux. Elle avait
confiance en lui et en son équipe. Tous l’appréciaient et ils seraient prêts à tout
faire pour voler à sa rescousse.
— Je me réserve le type au bandage. Je veux le tuer de mes propres mains.
Brute haussa les sourcils.
— Dès que les secours seront là, clarifia-t-elle, tu l’immobiliseras pour que je
lui flanque une petite raclée, d’accord ? Une fois que je l’aurai suffisamment
entendu crier, je l’achèverai d’une balle dans la tête pour me venger de tout ce
qu’il va me faire subir.
— Tu es une violente, répondit Brute avec un petit sourire. J’aime ça.
— Ce sont les circonstances qui m’y poussent. Soit je complote ma
vengeance, soit je me roule en boule dans un coin pour pleurer. Je préfère la
première option.
— Becca ?
Elle le regarda dans les yeux.
— Ils vont nous retrouver, répéta-t-il avec sincérité. Crois-moi.
Elle hocha la tête en espérant que les secours arrivent avant le début des
expériences.
CHAPITRE 5

— Ne t’approche pas d’elle, grogna Brute.


Becca s’éveilla en sursaut. Elle se rappela aussitôt où elle se trouvait et s’assit.
Elle s’était endormie sans s’en rendre compte. Deux hommes dont elle ne
connaissait pas les noms étaient en train d’ouvrir la porte de sa cage. Brute
poussa un nouveau grognement. Il secouait les barreaux, les muscles tendus à se
rompre, mais tous ses efforts étaient vains.
L’un des hommes entra dans la cage de Becca et s’adressa à elle, le visage
fermé.
— Lève-toi et suis-nous. Ne résiste pas ou tu le regretteras.
— Lâchez-la ! Prenez-moi à sa place ! rugit Brute. Ne touchez pas à la fille. Si
vous lui faites du mal, je vous taillerai en pièces !
L’homme ne prêta pas attention à ces menaces.
— Debout, Becca. C’est bien ton nom ? Obéis si tu ne veux pas qu’on te fasse
souffrir.
La jeune femme se leva, flageolante, et regarda Brute, dont les yeux étaient
enflammés par la colère.
— Ça va aller. Calme-toi et économise tes forces.
Mais Brute recommença à secouer les barreaux de sa cage.
— Prenez-moi à sa place ! Ne la touchez pas !
— T’as fini, oui ? répliqua avec agacement le premier geôlier. Le docteur veut
simplement examiner ta copine et lui faire une petite injection. Arrête un peu ton
cirque. Décidément, j’ai horreur des félins. J’avais oublié à quel point vous étiez
pénibles.
— Les clébards font tout autant de bruit, renchérit son collègue en regardant le
mâle qui dormait toujours sur sa couchette. Il était temps qu’il pionce, celui-là.
Je te jure qu’à force j’en avais mal aux oreilles.
Le garde saisit Becca par le bras et la tira pour la forcer à avancer. Encadrée
par les deux hommes, elle se dirigea vers la double porte, effrayée par ce qui
l’attendait de l’autre côté.
Ils s’engouffrèrent dans un long couloir et s’arrêtèrent devant la troisième
porte, grande ouverte sur une pièce qui avait tout d’un cabinet médical. Au
centre se trouvait une table d’examen surplombée par une lampe. Dans le coin,
un bureau où s’entassaient des feuilles et des dossiers entre deux ordinateurs. Sur
l’un des écrans, elle aperçut la salle des cages. La femme qui se trouvait devant
le moniteur fit pivoter son fauteuil et se mit à étudier sa future victime.
— Sanglez-la à la table.
— À vos ordres, docteur.
— Qui êtes-vous ? demanda Becca en se laissant faire. Qu’est-ce que vous me
voulez ?
Sans répondre, l’inconnue se leva et croisa les bras sur sa poitrine. Becca tenta
de graver dans sa mémoire le visage émacié, les cheveux rassemblés en un
chignon strict et le nez long et fin. La femme était très maigre et mesurait
environ un mètre soixante-quinze. Elle portait des chaussures plates et une
blouse blanche. Pas de bague à ses doigts, ni de cicatrice ou de tatouage visibles.
Les rides autour de sa bouche et de ses yeux indiquaient qu’elle devait avoir
environ cinquante ans. Becca l’observa attentivement de manière à pouvoir la
reconnaître au besoin après sa libération.
Les deux hommes la soulevèrent d’un coup et la plaquèrent contre la table,
dont la surface non protégée était en vieux similicuir craquelé. Ils commencèrent
à lui attacher les bras avec du Velcro, mais Becca, paniquée, donna un coup de
pied dans le bras de celui qui lui tenait les chevilles. Le garde la fusilla du
regard.
— Pose les pieds sur la table.
Elle plia les jambes et les garda bien serrées. Il était hors de question qu’elle
se laisse immobiliser sans rien faire. L’homme lui attrapa la cuisse et enfonça si
fort les doigts dans sa chair qu’elle poussa un hurlement de douleur. Elle avait
l’impression qu’il lui arrachait la peau et ouvrit les cuisses pour qu’il relâche sa
prise.
Un rugissement étouffé résonna au loin. Brute. Il avait dû l’entendre crier. Le
docteur éclata de rire.
— Il est furieux. Dean, fais-la crier encore une fois pour voir s’il réagit.
Le garde enfonça de nouveau les doigts dans sa cuisse mais, cette fois-ci,
Becca s’y était préparée. Elle se crispa pour encaisser la douleur insoutenable,
mais l’homme accentua la pression jusqu’à ce qu’elle craque. Elle hurla et il la
lâcha aussitôt. Une seconde plus tard, un nouveau rugissement se fit entendre.
— Jamais je ne les aurais crus si proches, déclara gaiement le docteur Elsa
avant d’examiner froidement Becca. Merci. Maintenant, j’ai un moyen de
pression sur lui. Grâce à toi, je pense qu’il acceptera de faire tout ce que je lui
demande. (Elle sourit à ses hommes de main.) Regardez l’écran. Il est déchaîné.
Becca tourna la tête. Les images en direct provenaient des caméras fixées au
plafond. Brute se jetait sur les barreaux, mais ces derniers ne se rompaient pas. Il
poussa un nouveau rugissement et se remit à faire les cent pas.
Le docteur activa un micro à côté de l’écran.
— Arrête ou je refais mal à ta femelle, l’avertit-elle. Assieds-toi et ne bouge
plus.
Brute se figea et leva la tête vers le plafond. Sa fureur était palpable. Il recula
jusqu’à la couchette, se laissa tomber dessus et crispa les doigts sur les rebords
sans cesser de regarder la caméra. Le docteur Elsa s’éloigna du micro en riant.
— Je n’en reviens pas. Je parie que j’arriverais à le faire aboyer si je voulais.
C’est très intrigant. Vous pouvez nous laisser.
Dean hésita.
— Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Ses jambes ne sont pas attachées,
vous aurez peut-être encore besoin de nous.
Elle haussa les épaules et fit le tour de la table.
— Comment t’appelles-tu ?
— Rebecca.
— Écoute-moi, Rebecca. Je vais te prendre un échantillon de salive et d’ADN.
Ouvre la bouche. Si tu essaies de me mordre, mes hommes te casseront les dents.
C’est bien compris ? Je vais aussi te faire une prise de sang et une piqûre. Je
veux savoir ce qui te rend différente des autres pour que tu l’attires tant. Et ne
songe même pas à me donner un coup de pied. Je te préviens, je n’ai aucun sens
de l’humour.
Becca ouvrit docilement la bouche. La prise de sang dans le bras la fit
tressaillir et la piqûre à la hanche la fit grimacer, mais le docteur retira vite
l’aiguille.
— Tu prends la pilule ? Tu as un stérilet ? des implants mammaires ? Tu suis
un traitement ? Tu as des maladies ?
Becca serra les lèvres.
— Tu préfères que je t’examine ? demanda la femme en tirant des gants de sa
poche. Je n’ai pas de scanner pour vérifier si tu as des implants, mais je peux
vérifier à la main. Ce ne sera pas très confortable pour toi, mais mon petit doigt
me dit que mes hommes seront contents de t’immobiliser, de t’arracher tes
vêtements… et de profiter du spectacle.
— Allez vous faire foutre, siffla Becca entre ses dents. Non, j’ai pas
d’implants, je ne suis pas malade et je ne prends ni médicaments ni drogues.
— Et la pilule ? intervint Dean. Ça se fait aussi par piqûres. Je le sais, c’est ce
que fait ma copine.
— Est-ce que tu te sers d’un moyen de contraception ? insista le docteur Elsa
en attrapant sa chemise de nuit pour la soulever et lui exposer le ventre.
Becca se figea, mais la femme avait déjà posé les mains sur sa peau. Elle se
figea, de peur que les deux hommes lui sautent dessus si elle résistait.
— Aucune cicatrice, dit le docteur Elsa en baissant un peu la culotte de Becca.
Et pas de vergetures. J’en conclus que tu n’as pas d’enfant ? Et tu ne m’as pas
répondu pour la contraception.
— Non, pas d’enfant et aucun traitement de ce genre.

Brute, inquiet et furieux, se forçait à rester assis. Il ne pouvait s’empêcher


d’imaginer toutes les horreurs que Becca était peut-être en train de subir. Il
n’avait jamais oublié ce que les femelles hybrides avaient enduré entre les mains
du personnel de Mercile. Ils les avaient examinées sans la moindre compassion,
parfois par le biais de la chirurgie exploratoire, sans même les anesthésier.
L’idée que Becca puisse souffrir de la sorte le faisait bouillir. Contrairement
aux Hybrides, elle n’avait aucune expérience de la douleur. Elle était d’un
tempérament très doux et il craignait qu’elle craque. Si elle résistait, il aurait
peut-être une chance de l’aider à survivre, mais il ne serait pas en mesure de
protéger son esprit des atrocités dont elle risquait d’être victime.
La pièce dans sa poche avait-elle fonctionné ? Les secours n’étaient toujours
pas arrivés. Dès son appel de détresse, les techniciens de Homeland avaient
normalement activé le mouchard caché dans la pièce. Un groupe d’intervention
aurait déjà dû prendre l’entrepôt d’assaut, ou, mieux encore, intercepter la
fourgonnette avant son arrivée. Mais Becca avait dit que plusieurs heures
s’étaient déjà écoulées depuis leur enlèvement, ce qui signifiait que l’aide ne
viendrait pas.
Il ferma les yeux et réfléchit. Le système avait été testé avant son départ et
fonctionnait très bien. Leurs ravisseurs disposaient peut-être d’un brouilleur et
les murs épais en béton de l’entrepôt bloquaient probablement le signal.
Fait chier !
Il rouvrit les yeux en entendant les portes s’ouvrir. Les deux hommes
revenaient sans Becca. Brute se leva d’un bond.
— Où est-elle ?
— Calme-toi, mon grand, soupira l’un d’entre eux. Ta copine est avec le
docteur. Nous, on vient chercher l’autre.
Ils se dirigèrent vers la cage de l’Hybride agité. Brute, paniqué, se précipita
sur ses barreaux.
— Prenez-moi à sa place ! Je m’accouplerai avec l’humaine. Ne le laissez pas
la toucher. Il la tuerait.
Les deux hommes se regardèrent un instant, puis se tournèrent vers Brute.
— 919 ne va pas monter ta copine. Il en a une rien qu’à lui, expliqua le
premier.
— Et un sacré morceau, en plus, ricana son collègue.
— Où est Becca ? Pourquoi est-ce qu’elle criait ? Qu’est-ce que vous lui avez
fait ? Dites à votre chef que je suis autorisé à vous proposer une rançon pour
notre libération.
Ils cessèrent de rire et le brun se mordit la lèvre inférieure.
— Ça se monterait à combien ?
Son compagnon roux lui donna un coup sur le bras.
— Ferme-la, murmura-t-il en regardant la caméra. C’est pas drôle. Si elle
t’entend, tu risques de finir avec une balle dans le citron, crétin. (Il continua sur
un ton normal.) Très drôle, Greg ! Allez, ne joue pas avec cet abruti. Je sais que
tu t’ennuies, mais c’est pas très sympa de lui donner de faux espoirs. Allez, au
boulot.
Le brun baissa lui aussi la voix.
— Elle est occupée et ça m’étonnerait qu’elle soit en train de nous regarder.
On pourrait au moins écouter ce qu’il a à dire.
— Randy nous tuera tous les deux. Je sais que les micros ne nous capteront
pas si on parle à voix basse, mais je te répète que ce n’est pas très prudent de
discuter de tout ça. On est tous embourbés jusqu’au cou dans cette affaire et, si
jamais il s’en sort vivant, ce sera pour finir dans l’enfer d’un laboratoire du tiers-
monde, où ils sont si brutaux qu’ils nous font passer pour des amateurs.
— Dites un prix, murmura Brute. Ça peut se chiffrer en millions.
— Ferme-la, répliqua le rouquin en le fusillant du regard. Tu veux qu’on y
reste tous, ou quoi ?
— Il est peut-être sérieux. Ils sont pleins aux as, insista son ami. Je ne fais
confiance à personne, Mike. Tu es le dernier ami qui me reste. Ils n’en ont rien à
faire de nous.
Mike se retourna et saisit Greg par les revers de sa chemise. Il lui parla à
l’oreille, mais Brute n’eut aucun mal à comprendre ce qu’il disait.
— Tu veux qu’ils nous tuent ? On est recherchés par la police et, si on se fait
choper, on finira sur la chaise électrique ou derrière les barreaux jusqu’à la fin de
nos jours. Le seul moyen de s’en sortir, c’est d’obéir à Elsa. C’est elle qui a le
fric et les connexions nécessaires pour nous sortir de là. On vivra en Russie sous
de nouvelles identités avec de la vodka et des jolies filles à volonté, bon Dieu !
— Elle a peut-être le fric, mais on n’en voit jamais la couleur. Ils contrôlent
tout, Mike. On est aussi mal barrés que ces animaux, sauf qu’on n’est pas en
cage. Si ça se trouve, ils nous tueront dès qu’ils n’auront plus besoin de nous, ou
ils partiront sans nous.
— Ils n’oseraient pas, on en sait trop sur eux et jamais Randy ne tuera l’un de
ses hommes tant qu’il lui fait confiance. Je bosse avec lui depuis bien plus
longtemps que toi. C’est un connard, mais il soutient toujours son équipe. Pour
lui, la loyauté passe avant tout. Si tu le trahis, par contre, tu es un homme mort.
— Eh merde ! jura le brun en se passant les doigts dans ses boucles crépues.
D’accord. Ce que je peux en avoir marre de tout ce merdier ! Je veux juste
passer en Russie et tourner la page.
— Moi aussi, crois-moi. Mais c’est pour bientôt. On n’a plus qu’à capturer un
primate. Tu as entendu le docteur Elsa. Ils veulent avoir la gamme complète.
Ils sont prêts à payer une fortune pour ça et on sera bientôt tirés d’affaire.
— OK, acquiesça Greg. Dire que j’ai été embauché comme homme
d’entretien… comment j’ai pu en arriver là ?
— On s’est trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, c’est tout,
marmonna Mike. Mais chaque chose en son temps : pour l’instant, notre
principal souci, c’est de transférer ce salopard au laboratoire sans qu’il nous
égorge. T’inquiète pas. Quand on sera en Russie, on se paiera quelques-unes de
ces jolies nanas qu’on voit sur Internet.
— Oui, répondit Greg en tirant un Taser de sa ceinture. Allons-y.
Brute n’insista pas et les regarda approcher de la cage. Il avait compris qu’ils
étaient trop effrayés pour se laisser soudoyer. Ils voulaient capturer un Hybride
primate et Brute s’inquiétait pour les agents de cette espèce qui patrouillaient
entre Homeland et la Réserve. Impuissant, il les regarda viser le prisonnier qui
s’écroula, terrassé par les puissantes impulsions électriques. Ils pénétrèrent
ensuite dans la cage, se saisirent du malheureux et l’emportèrent.
Ils avaient dit qu’il ne monterait pas Becca. C’était peut-être un mensonge,
mais il en doutait. Si c’était le cas, ils n’auraient pas manqué, avec la cruauté
habituelle des humains, de le lui dire pour le faire souffrir. Il poussa un
grognement sauvage et se mit à tourner dans sa cage. Où est Becca ? Qu’est-ce
qu’ils lui font ? Pourquoi est-ce que le détachement spécial ne nous a pas encore
trouvés ?

— S’ils sortent ensemble, pourquoi elle prend pas la pilule ? demanda Dean,
désorienté.
— Parce qu’ils sont stériles, abruti, répondit le docteur Elsa en secouant la tête
avant de se tourner vers Becca. Tu vois le genre d’assistants dont je dois me
contenter ? Redresse-la, Dean.
L’homme de main obéit sans la moindre douceur. Une fois debout, Becca
frissonna, s’écarta de Dean et observa le docteur retourner à son bureau pour
observer l’écran.
— Tu sais pourquoi il t’a choisie ? Est-ce qu’il t’a expliqué ce qui l’attirait
tant chez toi ?
— Non, répondit Becca en se frottant les bras pour se réchauffer.
Elsa se tourna vers elle.
— Tu tiens à lui ? l’interrogea-t-elle avec un sourire froid.
— Oui.
Ce n’était pas un mensonge. Elle ne voulait pas qu’il arrive quoi que ce soit à
Brute.
— Tant mieux. Suis-moi.
Elle sortit de la pièce et Becca lui emboîta le pas, suivie des deux gardes. Ils
s’engagèrent dans le couloir, dans la direction opposée à celle des doubles
portes, et s’arrêtèrent devant une porte close.
— Il est prêt, Ray ? demanda le docteur.
— Oui. Ils l’ont assommé pour le transporter, mais il commence à peine à
reprendre connaissance, répondit-il en tapotant son oreille. Il n’y a rien à
craindre. Mike dit que tout va bien.
Ni cette conversation ni le sourire maléfique du docteur ne disaient rien qui
vaille à Becca. La porte s’ouvrit et Randy apparut, visiblement surpris de les
trouver là. Deux autres hommes se placèrent à côté de lui.
— Poussez-vous. Je vais montrer à notre invitée ce que nous faisons ici.
Les trois hommes s’écartèrent pour laisser passer leur patronne. Becca hésita
un instant, mais l’un des gardes la poussa dans le dos. Elle tourna la tête et vit
qu’il s’agissait de Ray.
Une fois dans la pièce, elle se figea, ouvrit la bouche et poussa un petit cri
d’horreur. L’Hybride qui faisait les cent pas dans sa cage se trouvait devant elle,
entièrement nu, enchaîné à un mur, les jambes écartées. Il poussa un grognement
sauvage en les voyant approcher.
Ses entraves étaient fixées aux lampes du plafond. Ses chevilles étaient
attachées à d’énormes blocs de béton ornés de goujons métalliques. Son corps
presque dénué de poils était très musculeux et son sexe en érection. Becca se
hâta de relever les yeux jusqu’à son visage, à la fois choquée et apitoyée par son
sort. Elsa se plaça devant elle et sourit froidement.
— C’est primitif, mais efficace. Nous avons essayé d’installer le matériel dans
leurs cages. Il aurait été plus facile de les attacher aux barreaux, mais il n’y a pas
de prise électrique assez proche. Il nous aurait fallu des dizaines de mètres de
rallonge. Les machines sont trop sensibles aux courts-circuits et c’est un risque
que je ne peux pas me permettre de prendre.
— Pourquoi est-ce que vous leur faites ça ? murmura Becca.
— Accuse plutôt les gens qui ont interféré avec mes recherches et ceux de son
espèce, répondit Elsa en désignant le prisonnier du doigt. Quand ils ont été
découverts, je n’ai pas eu le choix. Nous n’avons pu en garder que trois, et
encore, uniquement parce que nous avons été avertis à temps. Ton petit copain a
de l’ADN félin dans les gènes. Je n’avais pas pu en garder. J’ai dû me contenter
des chiens.
— Docteur, l’interrompit Randy en s’approchant d’elle, pourquoi lui
expliquez-vous tout ça ?
— La ferme ! répliqua-t-elle avec un regard noir avant de reporter son
attention sur Becca. J’ai besoin de ton aide.
— Pas question.
— Tu ne sais même pas ce que je vais te demander.
— Ça m’est égal. La réponse est non. (Becca fit un pas en arrière, percuta Ray
et s’écarta aussitôt de lui.) Je ne vous aiderai pas.
— Je suis recherchée par la police et par le FBI. J’ai tout perdu, reprit son
interlocutrice d’une voix pleine de colère. Ils ont pris ma maison, ma voiture,
vidé mes comptes en banque et même arrêté mon mari parce qu’ils pensaient
qu’il était au courant. Ce n’est pas une grosse perte pour moi, mais je n’ai pas
apprécié de voir mes parents se faire interroger. Il est hors de question que je
passe le reste de mes jours en prison pour avoir voulu améliorer le monde.
— C’est comme ça que vous qualifiez votre travail ? s’énerva Becca. Vous
avez torturé des Hybrides. Vous les avez privés de liberté pendant toute leur vie.
Comment osez-vous…
— Épargne-moi tes leçons de morale, rétorqua Elsa. Nos recherches étaient
utiles, c’est le plus important. Ces cobayes ne sont pas vraiment des humains. Ils
n’ont pas été créés pour vivre en dehors des laboratoires. Ils ne valent pas mieux
que les souris ou les rats que les chercheurs utilisent pour leurs expériences.
— Vous êtes malade, lui assena Becca, hors d’elle. Et pathétique.
— Peut-être, mais ça ne change rien au fait que tu vas m’aider.
— Jamais ! Vous ne vous en tirerez pas comme ça.
— Et qui m’arrêtera ? Cet entrepôt est abandonné depuis trois ans et rien ne
peut faire remonter la police jusqu’ici. Le cousin de Randy travaillait ici jusqu’à
la fermeture. J’ai rencontré des acheteurs européens qui affirment être en mesure
de trouver le moyen d’inséminer des femmes avec leur sperme. (Elle désigna de
nouveau du doigt l’Hybride entravé.) Leurs chercheurs se croient très malins et
pensent réussir là où nous échouons depuis des années.
— Ils n’arriveront jamais à rien avec ces bestiaux, ricana Dean.
Le docteur Elsa le récompensa par un sourire.
— Ils ont compris que le sperme meurt dès qu’il a quitté les sujets canins.
C’est un effet secondaire dû à la mutation de leurs gènes. Il n’est viable que très
peu de temps après l’éjaculation. Sais-tu ce que c’est ? demanda-t-elle à Becca
en lui désignant un coin de la pièce.
La jeune femme tourna la tête et aperçut une étrange machine de grande taille
à laquelle étaient attachés des réservoirs.
— C’est un congélateur cryogénique. Ça te dit quelque chose ?
Becca resta sans réaction et le docteur Elsa soupira.
— Je vois que tu ne travailles pas dans le milieu médical. Je vais t’expliquer
de façon simple. Les Européens pensent que, si on leur fournit assez
d’échantillons, ils trouveront pourquoi le sperme meurt si vite. Ils l’insémineront
ensuite à des humaines pour qu’elles donnent naissance à des semi-Hybrides,
qu’ils vendront à prix d’or. Il paraît qu’il existe un marché noir pour alimenter la
demande de millionnaires.
— Ils ont envie de s’offrir des animaux de compagnie exotiques, plaisanta
Ray. Mais ils ne savent pas encore combien ces saloperies sont teigneuses à l’âge
adulte.
— Bref, reprit fermement le docteur Elsa, on obtient les échantillons, on les
congèle aussitôt pour éviter que le sperme meure et on le livre dans ces
réservoirs. Ils nous ont proposé de nous aider à les sortir du pays, mais je n’ai
pas confiance en eux. Ils pourraient les voler ou même nous tuer et je ne peux
pas courir ce risque. Dans trois mois, entre l’argent des échantillons de sperme et
ce qu’ils m’ont proposé pour l’achat de nos sujets, on devrait avoir de quoi partir
tous se réfugier dans un pays qui n’a pas d’accord d’extradition avec les États-
Unis.
— Vous êtes un monstre ! hurla Becca en se retenant à grand-peine de lui
sauter dessus pour lui démolir le visage. Vous êtes censée avoir prêté le serment
d’Hippocrate, non ? Comment pouvez-vous commettre de telles horreurs ?
Cette question sembla amuser le docteur.
— En effet, j’ai juré de ne pas faire souffrir mais, après tout, je ne vois pas ce
que nous faisons d’immoral. Il faut donner du plaisir aux mâles pour qu’ils
produisent du sperme et nos commanditaires le testent et ne nous règlent que s’il
est encore actif.
Becca ravala la bile amère qui lui montait dans la gorge. Tous ces gens étaient
vraiment de grands malades.
— Vous vendez leur sperme ? demanda-t-elle, comme si elle venait seulement
de comprendre.
— Oui, mais les Européens souhaitent acheter les sujets eux-mêmes. Nous
sommes en train de négocier le prix et ils veulent un set complet. Je n’en ai pas
encore à ma disposition, mais ça ne saurait tarder.
— Un set complet ?
— Au moins un élément de chaque espèce.
— Vous en avez quatre, dont… mon copain, répliqua Becca, qui ne voulait
pas leur dire son nom au cas où ils ne le connaîtraient pas.
Randy s’approcha d’elle.
— Il existe trois types différents : canin, félin et simiesque. Jusqu’à ce qu’on
attrape ton petit chaton, on n’avait que des clébards. Ils ne quittent presque
jamais leurs zoos et, pour localiser le tien, ça nous a coûté une petite fortune. On
a dû soudoyer l’un des gardes pour qu’il nous dise quand l’un d’entre eux
sortirait et payer quelqu’un pour suivre sa voiture jusque chez toi. Il ne nous
reste plus qu’à capturer un singe et on pourra les vendre encore plus cher.
C’est comme ça qu’ils ont trouvé Brute.
— Quel garde ?
Elle voulait le nom du traître qui travaillait pour les Hybrides, pour que cela
ne se reproduise plus.
— Qu’est-ce qu’on en a à foutre de son nom ? répliqua Randy avant de se
tourner vers le docteur. Et pourquoi vous lui racontez tout ça ? Dites-lui ce que
vous attendez d’elle. Si elle refuse, on l’y forcera.
Le docteur lui répondit avec agacement.
— Marco est prêt à tripler son prix si on arrive à lui fournir des échantillons
purs, sans produit. L’un des crétins qui travaille pour lui pense que tout le
problème vient de là. Je lui ai dit que ce n’était pas ça, mais il ne veut rien
entendre. Tant pis pour lui, son ignorance et son obstination sont à notre
avantage.
— La vache ! s’exclama Randy, à qui cette nouvelle rendait le sourire. Ça fait
un sacré paquet de fric. (Il observa attentivement Becca.) Ah ! je comprends
mieux. Vous voulez qu’elle l’excite et qu’elle le branle pour qu’il éjacule sans
qu’on ait à lui injecter de produit.
— Exactement, répondit le docteur en se tournant vers Becca. C’est ce que tu
vas faire !
— Pas question !
— Attrapez-la, ordonna Elsa en s’éloignant.
Ray la saisit brutalement par les épaules, mais Becca ne résista pas. Elle savait
que c’était inutile avec cinq hommes dans la pièce. Elle regarda avec angoisse le
docteur s’approcher du coin de la pièce, ou d’étranges appareils étaient entassés
sur des tables et des chariots.
L’un des hommes, qui l’avait suivie, prit une boîte et se dirigea vers le
prisonnier. Becca ferma les yeux, car elle avait trop peur de voir ce qu’ils
comptaient lui faire.
Au bout de quelques minutes, un vrombissement se fit entendre. Elle
entrouvrit les paupières, dévorée par la curiosité, mais le regretta aussitôt. Ils
avaient coiffé l’Hybride d’un casque étrange, orné d’une visière qui lui cachait le
visage à partir des lèvres. Le casque était équipé d’une sangle serrée sous son
menton. Mais, le pire, c’était ce que le docteur était en train de faire.
Elle installait une machine ressemblant à un tuyau d’aspirateur devant le
prisonnier. Son assistant la brancha à la prise la plus proche et, aussitôt, un
étrange accessoire en sortit, qu’elle fixa sur le sexe turgescent de l’Hybride.
Il poussa un hurlement de protestation et banda les muscles pour tenter de se
dégager, mais sans résultat.
— Oh mon Dieu, sanglota Becca, arrêtez !
Ray, qui la tenait fermement, baissa la tête et elle sentit son souffle chaud sur
son oreille.
— C’est très agréable. Je l’ai testé personnellement. C’est un sex-toy très
perfectionné qui simule une chatte et une bouche à la fois. Dès qu’il aura craché
la purée, son sperme sera recueilli dans un réservoir spécial. Ensuite, on le verse
dans un cylindre et on se dépêche de le plonger dans le congélateur. Pas mal,
hein ?
Elle tourna la tête vers lui et, incapable de se retenir, saisit son entrejambe
entre ses doigts et serra de toutes ses forces. À sa grande horreur, elle sentit qu’il
était en érection, mais cela ne l’empêcha pas d’enfoncer ses ongles dans le tissu.
Il poussa un cri de douleur et elle parvint à se dégager de sa prise.
Elle tenta d’atteindre la pauvre victime pour la libérer, mais Randy l’attrapa
par les cheveux et la tira violemment en arrière. Becca se retourna et balança son
poing vers lui, comme son père le lui avait appris. Elle le toucha en plein visage
et il tituba en arrière sans la lâcher avant de lui assener une violente claque.
Becca sentit ses jambes se dérober sous elle et tomba à genoux, étourdie. Elle
entendit vaguement le docteur Elsa ordonner à tout le monde d’arrêter.
Quelqu’un l’attrapa par les épaules et elle rouvrit les yeux. Tout semblait tourner
autour d’elle.
— Ne lui faites aucun mal ! hurla Elsa d’une voix perçante. On a besoin
d’elle, bon sang ! J’ai dit de l’immobiliser, pas de la frapper.
— Elle m’a écrasé les couilles ! se plaignit Ray. Cette salope…
— Tais-toi ! Va mettre de la glace sur ta cervelle, ou, mieux encore, plonge-la
tête dans une cuve cryogénique. Vu que tu ne t’en sers jamais, ça ne changera
pas grand-chose ! Randy, frappe-la encore une fois et je te jure que je t’abattrai
de ma propre main. Elle ne parviendra jamais à l’exciter si elle dégouline de
sang. C’est moi qui tiens les cordons de la bourse, ne l’oubliez pas, à moins que
vous pensiez pouvoir échapper à l’arrestation sans moi.
Un troisième homme remit Becca sur ses pieds et lui tira les mains derrière le
dos en l’immobilisant par les poignets. Elle vacilla, encore assommée par le
coup qu’elle avait reçu. Sa joue gauche la brûlait et elle avait les larmes aux
yeux.
— Ça ne lui fait pas mal, expliqua sèchement le docteur. Tu vois ce masque ?
C’est un système vidéo ultramoderne qui lui passe des films X pour le mettre
dans l’ambiance. Pour l’instant, il est en train de regarder une femme qui
caresse. Il est furieux parce qu’il sait qu’on essaie de lui prendre un échantillon,
rien de plus.
— C’est du viol, répondit Becca d’une voix rauque. Vous êtes tous à vomir.
L’autre femme s’approcha d’elle à grands pas et colla son visage au sien.
— Je vais t’expliquer ce qu’on fera à ton petit copain si tu ne collabores pas.
Je vais le droguer, l’attacher comme 919 et lui mettre le casque sur la tête.
J’aurai mes échantillons, d’une manière ou d’une autre. (Elle se tourna vers ses
hommes). Emmenez-la à l’Hybride félin et laissez-la réfléchir à tout ça le temps
qu’on termine avec 919. Je te conseille d’obéir si tu ne veux pas qu’il subisse le
même sort que celui-ci.
Le docteur Elsa retourna vers l’Hybride, se pencha et enclencha un bouton de
la machine. Le pauvre mâle poussa un nouveau rugissement enragé. La machine
se mit en marche et il s’agita de son mieux pour se libérer, mais les sangles
étaient trop bien fixées. L’horreur de ce qu’il était en train de subir était
indicible.
— Vous pourrirez tous en enfer ! cracha Becca en tentant de résister au garde
qui la traînait de force jusqu’à la porte. C’est vous, les animaux !
CHAPITRE 6

Becca suivait Randy sans réagir. Il avait toutefois placé ses deux sbires de
chaque côté d’elle au cas où elle aurait tenté de résister. Mais elle marchait
docilement, soulagée de retrouver Brute. Dès qu’ils entrèrent dans la pièce, ce
dernier se leva et la regarda fixement.
— Tu vas bien ? demanda-t-il, visiblement très énervé.
— Oui.
Ce n’était pas vrai du point de vue émotionnel, mais elle savait qu’il voulait
savoir si elle avait été malmenée physiquement.
Brute recula et s’adressa à Randy.
— Mettez-la avec moi. Je me retournerai et je ne bougerai pas.
— Tu rêves, mon chaton. Tu n’y as pas encore droit. Le docteur nous a dit de
la mettre avec 880. C’est lui qui la montera le premier. Et tu seras aux premières
loges, petit veinard.
Brute poussa un rugissement et se précipita sur les barreaux de sa cellule en
grognant comme un félin.
— Il ment ! cria Becca pour se faire entendre. Il se moque de toi. La femme a
dit qu’ils devaient me mettre avec toi.
Brute se calma aussitôt et recula, pantelant. Randy éclata de rire et assena une
frappe sonore sur les fesses de Becca.
— Tu m’as gâché tout mon plaisir, salope. (Il s’arrêta devant la cage de
Brute.) T’as intérêt à m’obéir au doigt et à l’œil, mon chaton. Sinon, c’est moi
qui monterai ta petite chérie en te forçant à regarder.
Brute fronça les sourcils, les yeux fixés sur Becca. Randy la regarda lui aussi
de la tête aux pieds.
— T’as très envie de lui, hein, chienne ? Tu aimes que le petit chaton te
prenne par-derrière ?
Becca ne répondit pas à cette provocation, car elle savait que cela ne servirait
à rien. Les hommes sortirent leurs pistolets anesthésiants et s’approchèrent de
l’arrière de la cage de Brute. Ce dernier se retourna pour suivre leurs
mouvements. Il saisit les barreaux entre ses mains et tourna le dos à la porte de
sa cellule.
— Je ne ferai rien. Inutile de m’anesthésier. Je ne bougerai pas.
Les trois hommes se regardèrent, indécis.
— S’il ment, vous tirez, finit par décider Randy. S’il tente quoi que ce soit,
c’est sa copine qui en paiera le prix.
Randy détacha les chaînes et ouvrit la porte. Becca, tendue, s’attendait à ce
que Brute bondisse, mais il n’en fit rien. Randy entrouvrit la porte, poussa la
jeune femme à l’intérieur, puis referma violemment derrière elle.
— C’est bon, déclara-t-il en reculant de quelques pas avant de lui sourire.
Amusez-vous bien.
Becca se retint de lui adresser un doigt d’honneur.
— Tu pourriras en enfer.
Randy lui répondit avec un clin d’œil.
— Si je crève, je vous emmènerai avec moi. N’oublie pas qui tire les ficelles
ici, d’accord ? C’est tout ce qui compte.
Une main s’abattit sur son épaule et elle sursauta. Elle tourna aussitôt la tête et
vit qu’il s’agissait de Brute, qui l’attira contre lui et l’éloigna des barreaux.
— Dans quelques heures, ta copine te fera ce que tu attends d’elle, dit Randy
en baissant la voix pour ne pas être entendu par la caméra. Tu te rappelles que tu
as été conditionné pour te méfier des humains ? C’en est une, ne l’oublie pas. (Il
se tourna vers Becca). Et toi, refuse d’obéir, juste pour me faire plaisir. J’ai très
envie de te voir souffrir. (Il passa le doigt sur sa joue bandée pour bien lui
montrer qu’il n’avait pas oublié que c’était à elle qu’il devait cette blessure, puis
tourna les talons.) Allons-y. C’est l’heure du petit déj.
Ils sortirent de la pièce, mais Becca ne s’en aperçut même pas. Elle dévorait
des yeux le beau visage de Brute, empreint de colère et d’inquiétude.
— Ne l’écoute pas. Il essaie simplement de semer le doute entre nous, dit-elle,
de peur qu’il croie les insinuations de Randy.
Elle pivota dans ses bras et posa les mains sur ses épaules, appuyant pour le
forcer à se baisser, puis tourna un peu la tête et avança les lèvres jusqu’à son
oreille.
— Tu crois qu’ils nous entendent ? murmura-t-elle.
Il frotta le nez contre sa joue.
— Pas si on parle bas.
— La bonne femme qui dirige le labo est complètement folle. Elle veut des
échantillons de sperme, qu’elle congèle pour les vendre à des ordures en Europe.
Ils ont attaché l’Hybride qui faisait les cent pas à une machine de torture qui…
(Incapable de continuer, elle frissonna et se serra contre son corps musclé.)
C’était horrible, mais je n’ai rien pu faire pour lui.
Brute se crispa et un grognement sourd résonna dans sa gorge. Becca recula la
tête pour le regarder dans les yeux, mais il refusa le contact oculaire et la reprit
contre lui.
— Qu’est-ce que tu as appris d’autre ?
— Elle est recherchée par la police, elle est coincée ici et elle a un besoin
désespéré d’argent. On lui a offert une fortune pour… euh… je ne sais même pas
comment le dire.
— Vas-y, n’aie pas peur. Il faut que je sache, insista-t-il en lui caressant le dos.
— Ils veulent ton sperme. Ils n’ont pas d’autre Hybride félin et on lui a offert
le triple de la somme habituelle si elle leur envoie ton sperme sans avoir recours
à un produit. Et ils veulent que je participe, conclut-elle en rougissant.
Ils tournèrent tous deux la tête et leurs visages se retrouvèrent à quelques
centimètres l’un de l’autre. Il ne semblait pas choqué, mais ses yeux brillaient
toujours de colère.
— Ils veulent que je leur donne du sperme sans avoir recours à leur drogue ?
— Oui, murmura-t-elle. Et, moi, je suis censée t’exciter.
Il ferma les yeux et rejeta la tête en arrière avec un soupir. La situation était
délicate, mais elle devait tout lui expliquer.
— Des chercheurs veulent trouver le moyen de prolonger la durée de vie du
sperme hybride, qui est très courte, pour ensuite l’inséminer dans des mères
porteuses humaines. Les bébés seraient ensuite vendus à des millionnaires
dérangés. J’imagine qu’un bébé hybride, même mixte, exciterait toutes les
convoitises, expliqua-t-elle, honteuse de devoir prononcer de telles paroles.
Il faut dire que vous sortez de l’ordinaire et que certaines personnes sont
complètement malades. Et, une fois qu’elle n’aura plus besoin de toi et des
autres, elle vous vendra. Un garde de Homeland travaille pour eux, c’est à cause
de lui qu’ils ont pu te suivre et t’enlever chez moi. Ils ont encore besoin de
kidnapper un Hybride primate pour avoir toute la gamme ADN, comme ils
disent, et pour la vendre à ses clients.
— Des collectionneurs d’espèces rares.
— Oui, ou de monstres en tout genre.
— Pourquoi as-tu crié tout à l’heure ? demanda-t-il en la reniflant et en
ouvrant les yeux. Ils t’ont fait mal ? (Il lui prit doucement le visage entre les
mains en évitant de lui toucher la joue.) Ils t’ont frappé.
— L’un d’entre eux m’a fait mal à la cuisse. Ils pensent qu’ils peuvent se
servir de moi pour te contrôler, parce que tu as rugi de colère la première fois
qu’ils m’ont touchée. Et j’en ai attaqué un autre pour essayer de libérer
l’Hybride. C’est pour ça que j’ai pris un coup.
Brute la prit dans ses bras, la souleva, et, à sa grande surprise, la porta jusqu’à
sa couchette, puis s’assit et l’installa sur ses genoux. D’une main, il releva sa
chemise de nuit pour dénuder ses cuisses.
Becca ne protesta pas, car elle savait qu’il voulait simplement voir l’étendue
de ses bleus. Il remit rapidement le vêtement en place et la regarda dans les
yeux. Le silence se prolongea pendant plusieurs secondes, puis il soupira et fixa
le regard sur ses lèvres.
— Il faut qu’on parle.
Eh merde !
— Je sais. Ils pensent qu’on couche déjà ensemble et je ne les ai pas
contredits. Ça me paraissait plus sage sur le coup, mais maintenant ils veulent
que je t’aide à… euh… leur donner du sperme. Tu aurais dû voir ce qu’ils ont
fait à ce pauvre type, se hâta-t-elle de continuer avant de perdre tout courage. Je
suis prête à tout faire plutôt que de te voir souffrir comme ça.
— Qu’est-ce qu’ils lui ont fait ?
Elle baissa la tête, incapable de le regarder dans les yeux tandis qu’elle
décrivait en marmonnant les machines et leur fonctionnement. Elle sentit son
bras se crisper autour de sa taille, mais il la laissa parler jusqu’au bout sans
l’interrompre.
— Regarde-moi, lui ordonna-t-il.
Elle obéit.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Tu sais ce qu’il faudra qu’on fasse si les secours ne nous retrouvent pas
avant qu’ils entament l’expérience. Je n’ai pas envie de subir ça, expliqua-t-il, la
mâchoire crispée. Et ce serait trop te demander, n’est-ce pas ?
Becca rougit et étudia à son tour la bouche de Brute. Elle était sensuelle,
charnue et tentante.
— Dans d’autres circonstances, j’aurais probablement été ravie de… euh…
Bref. Ce n’est pas franchement romantique, hein ?
— Becca.
— Je sais, reprit-elle en replongeant le regard dans ses yeux bleus. Ce n’était
pas très drôle.
— Je ne te forcerai pas à accepter. Tu n’as qu’à dire non et je me laisserai
faire, pour ne pas te mettre en danger si je leur résiste.
Elle hésita un instant, mais ne tarda pas à arriver à une décision.
— Tu m’attires depuis qu’on s’est rencontrés, et faire ce qu’ils veulent ne me
demanderait pas un gros effort. C’est juste que les circonstances sont vraiment
très désagréables. Je ne suis pas exhibitionniste, ce qui ne va pas arranger les
choses.
— Tu n’es pas quoi ?
Becca sourit, heureuse de cette interruption qui détendait un peu l’atmosphère.
— Un exhibitionniste est une personne qui aime faire des choses à caractère
sexuel devant d’autres gens. Ils trouvent ça plus excitant. (Elle tourna la tête vers
la caméra et toute sa bravoure s’évapora.) J’imagine qu’il y a aussi des caméras
dans le labo. J’étais tellement horrifiée par ce qui s’y déroulait que j’ai oublié de
regarder. Pourvu qu’ils ne gardent pas d’enregistrement… Si la vidéo finit sur un
site porno, mon père en ferait une attaque.
Il lui saisit le menton entre les doigts et fit pivoter son visage jusqu’à ce
qu’elle le regarde.
— Je te revaudrai ça. On va s’en sortir.
Il semblait très sincère et Becca était rassurée de savoir qu’ils affronteraient
ensemble ce que l’avenir leur réservait.
— Tu peux me faire confiance. Je déteste ces ordures.

Brute faisait de son mieux pour consoler la jeune femme, mais il bouillait de
colère. Malgré son courage de façade, il voyait bien que Becca tremblait de peur.
Il repensait à tout ce qu’il lui avait raconté, notamment aux raisons pour
lesquelles il refusait de coucher avec une humaine. Il avait voulu être franc, mais
cela ne ferait qu’empirer les choses.
— S’il doit y avoir des contacts physiques entre nous, je ne te ferai pas mal,
jura-t-il. J’ai confiance en toi.
Elle se détendit un peu sur ses genoux et cela l’encouragea à continuer.
— Nous formons une équipe et ce sont nos ennemis.
Becca lui sourit, ce qui le rassura. Le garde avait essayé de semer la zizanie
entre eux en lui rappelant qu’il devait se méfier des humains, mais Brute refusait
de tomber dans le panneau. Tim Oberto était tenu en haute estime par Justice, le
leader des Hybrides.
Brute ne savait pas qui les avait trahis, mais il était persuadé que Becca
n’avait rien à voir là-dedans. Ses yeux étaient très expressifs et il devinait qu’elle
devait très mal mentir. À cause des liens que son père entretenait avec les
Hybrides, elle était, tout comme lui, une victime de ce cauchemar, et Tim
n’aurait pas volontairement mis sa fille unique en danger.
Les marques qui ornaient le corps de la jeune femme et la gêne qu’elle avait
éprouvée en lui expliquant tout cela lui donnaient envie de tuer quelqu’un. Il
n’était d’ailleurs pas surpris par ses révélations. Les gens de Mercile
considéraient les Hybrides comme des objets, des produits qu’ils pouvaient
acheter ou vendre à leur guise, et il regrettait qu’elle doive subir bien pire dans
peu de temps. Elle avait fait preuve de courage et d’humanité en tentant de
sauver le prisonnier, mais elle aurait pu récolter bien plus qu’un coup sur la joue.
Il hésitait à lui avouer la véritable raison pour laquelle il ne voulait pas se
retrouver attaché à la machine d’extraction de sperme. Il était prêt à tout endurer
pour lui épargner de participer à l’opération, mais il craignait que leurs
ravisseurs la tuent si elle ne leur était d’aucune utilité. Un plan commençait à
prendre forme dans sa tête. Ce qu’il fallait à Becca, c’était de l’espoir et la
certitude qu’il ne lui ferait aucun mal.
— J’ai un mouchard sur moi, ils nous retrouveront, expliqua-t-il en
s’abstenant de dire qu’ils les soupçonnaient de bloquer le signal, ce qui
empêcherait les secours de les localiser.
Elle releva vivement la tête et le regarda, les lèvres entrouvertes, sans parvenir
à dire un mot. Brute lui prit la main et la guida jusqu’à la poche de son pantalon,
pour qu’elle sente la pièce à travers le tissu.
— On en a toujours une sur nous quand on quitte Homeland ou la Réserve, en
cas d’enlèvement, murmura-t-il. Ils nous retrouveront, Becca. Accroche-toi.
Les larmes aux yeux, elle passa le bras autour de son cou et se pelotonna
contre lui.
— Tu ne peux pas savoir combien ça me fait plaisir d’entendre ça, répondit-
elle. Je commençais vraiment à paniquer. Si seulement tu me l’avais dit plus
tôt… Ils arriveront peut-être à temps.
Il serra son corps docile contre lui, inspira son odeur et se dit qu’un contact
sexuel n’aurait rien de désagréable. Il en était presque à espérer que les secours
n’arrivent pas. Elle avait proposé de le toucher et cette simple idée le mettait en
érection. Heureusement, son sexe était coincé entre ses cuisses et elle ne sentirait
pas son excitation.
Mais, très vite, il eut honte de lui. Le désir qu’il éprouvait pour elle était plus
fort que l’angoisse de leur situation, qui lui donnait une excuse pour la tenir dans
ses bras. Si l’équipe d’intervention n’arrivait pas rapidement, il n’aurait d’autre
choix que d’aller encore plus loin avec elle.
Lorsqu’il l’avait raccompagnée jusqu’à sa chambre la nuit précédente, il
n’avait pas réussi à s’endormir. Après l’avoir tenue dans ses bras, et surtout
après l’avoir entendue lui avouer qu’elle le trouvait attirant, il en était venu à se
demander ce qui se serait passé si elle lui avait fait les mêmes confidences à
jeun.
Mais, au fond de lui, il savait que ce serait une mauvaise idée. Il avait accepté
cette mission pour aider les Hybrides, pas pour dresser Tim Oberto contre lui. De
toute évidence, ce dernier ne voulait pas que sa fille fraie avec un Hybride. Il le
savait d’autant mieux qu’il avait surpris la conversation qu’ils avaient eue dans
sa chambre, malgré la porte fermée. Tim pensait qu’il représentait un danger
pour Becca, qu’il l’agresserait si elle flirtait avec lui et qu’il finirait par lui faire
mal.
— Tout va bien se passer, dit-il sans vraiment y croire.
Les problèmes potentiels étaient légion, mais il garda ses doutes pour lui. Il
inspecta le plafond à la recherche d’explosifs, puis renifla. Il ne sentait aucune
odeur caractéristique, mais cela ne voulait rien dire. Si les secours prenaient le
bâtiment d’assaut, leurs ravisseurs tenteraient peut-être de tout faire sauter.
— Je suis sûre que mon père nous retrouvera, murmura Becca en le serrant un
peu plus fort.
Brute sentit tous ses instincts protecteurs s’éveiller. Becca avait besoin qu’il
soit fort et elle n’avait pas l’habitude d’être à la merci d’autres personnes. Il
ferait de son mieux, mais il ne pouvait pas se voiler la face. Les gardes pouvaient
l’endormir grâce à leurs pistolets anesthésiants, puis emmener Becca pour lui
faire subir les pires outrages. Pour qu’elle n’ait rien à craindre, il devait faire en
sorte qu’elle leur devienne indispensable. Ils avaient besoin d’elle pour qu’elle
l’aide à leur donner du sperme, et il leur en donnerait autant que nécessaire pour
qu’il n’arrive rien à la jeune femme.
Son pénis durcit encore un peu plus et il étouffa un grognement. Tu deviens
aussi pervers qu’eux. Si Becca se rendait compte de son excitation, ou si elle
pouvait lire dans ses pensées, elle serait horrifiée. Il avait lu les rapports sur les
humains qui avaient enlevé la compagne de Vaillant pour la forcer à copuler
avec un autre Hybride. Obligeraient-ils Becca à faire de même avec lui ?
L’idée qu’il la monterait peut-être l’excita encore plus. L’image de son
derrière, penché devant lui à côté du lit de sa chambre, lui apparut soudain et il
dut faire un gros effort pour museler ses désirs. Le stress faisait ressortir son côté
animal.
— Tu vas bien ? Tu as encore mal aux endroits des piqûres ?
C’était à l’entrejambe qu’il avait mal, pas aux cuisses, mais il fit « non » de la
tête.
— Ça va. Je me remets vite.
— Tant mieux.
Elle tapota son torse nu et il ferma les yeux. De toute évidence, il n’aurait
aucun mal à produire du sperme si elle l’y aidait. Il se rappela alors qu’il avait
envie qu’elle se sente à l’aise avec lui. Et pour cela il décida d’utiliser une
méthode dont il n’était pas très fier.
— Becca ?
— Oui ?
— Regarde-moi. (Il recula un peu pour mieux la voir. Elle était belle malgré
ses cheveux qui tombaient en bataille sur ses épaules.) Ils te demanderont
probablement de me toucher.
Elle rougit et écarquilla les yeux.
— Je m’en doute.
— Je veux que tu sois à l’aise avec moi. La situation risque d’être stressante.
Je ne sais pas s’ils nous traiteront comme ils le faisaient dans les anciens labos.
Quand ils voulaient qu’on copule, ils nous enfermaient seuls dans une pièce
équipée d’une caméra.
— Super.
Brute haussa un sourcil.
— C’est du sarcasme, expliqua-t-elle. La réaction des gens qui essaient de
cacher leur peur.
Il sourit.
— Je vois. Je ne te ferai aucun mal s’ils ne m’attachent pas, mais j’ignore s’ils
le feront ou pas.
— Ils ont attaché 919.
— Je sais. Tu m’as décrit tout ce qu’ils lui ont fait.
— Oui, je sais. (Elle se lécha les lèvres.) J’ai confiance en toi. Sincèrement. Je
sais que je n’ai rien à craindre avec toi, donc inutile de le répéter chaque fois.
— Tant mieux. Je préfère être franc avec toi pour atténuer l’horreur de ce que
risque de se passer.
Becca cligna des yeux et attendit qu’il continue.
— J’ai entendu dire qu’un jour on a ordonné à une technicienne de prendre du
sperme à un mâle. Elle l’a… euh… manipulé avec les mains pour parvenir à ses
fins. C’est peut-être ce qu’ils te demanderont de faire.
Becca rougit encore plus.
— J’en étais arrivée à la même conclusion, à moins qu’ils préfèrent te mettre
sur la machine avec les lunettes et qu’ils me demandent de faire je ne sais quoi
pour t’exciter.
L’érection de Brute se manifesta plus violemment que jamais et il dut faire un
effort de volonté pour rester immobile.
— Ils pensent qu’on couche déjà ensemble, mais j’ai peur que tu sois en
danger s’ils apprennent la vérité.
— D’accord. Tu penses que c’est si important que ça ?
— C’est possible. Ils comptent se servir de toi pour me contrôler, comme tu
me l’as déjà dit. Tant qu’ils continuent de croire que tu es ma femelle et que je
leur obéis, ils ne te feront rien. Je veux juste que tu sois aussi à l’aise que
possible avec mon corps. Je ne vois qu’un seul moyen d’y arriver, mais j’ai peur
qu’il ne te plaise pas trop.
— Comment ça ?
Brute prit une grande inspiration.
— Le mieux, ce serait que tu m’embrasses et que tu t’habitues à mon corps
pendant qu’on est seuls, avant qu’ils nous emmènent je ne sais où.

Becca prit quelques secondes pour digérer cette suggestion et avala sa salive.
L’embrasser ? Eh merde ! Les yeux écarquillés, elle regarda sa bouche. Cette
suggestion semblait raisonnable et elle se demandait comment ce serait.
— Je ne suis pas très entreprenante, avoua-t-elle. Embrasse-moi, toi. Je ne
saurais même pas par où commencer.
Cette réponse le surprit.
— Tu n’as pas d’expérience en matière de relations sexuelles ?
Becca aurait souhaité pouvoir disparaître dans un petit trou de souris.
— Euh… si, j’ai couché avec quelques types, mais je n’ai jamais fait le
premier pas.
— Je comprends, mais c’est surprenant. Vos mâles semblent si dociles que je
pensais que c’étaient les femelles qui prenaient les choses en main.
— C’est juste un baiser, hein ?
— Oui, répondit-il en inspirant à fond. Ferme les yeux et concentre-toi sur
moi. Imagine que nous sommes seuls dans ta chambre ou dans la mienne. Tu es
nerveuse, il faut que tu te détendes.
Il la prit par la taille et l’attira plus fermement contre lui, puis baissa la tête et
frotta la joue contre la sienne.
Becca savait que son hésitation était flagrante, mais Brute lui prit le visage
entre les mains.
— Ne pense à rien d’autre qu’à moi, ordonna-t-il. Il n’y a plus que nous. Tu te
rappelles hier, quand on s’est rencontrés ?
Becca hocha la tête, soulagée de ce changement de sujet. Brute lui sourit.
— Tu aimes mes yeux. Tu n’as jamais rencontré quelqu’un comme moi,
continua-t-il en lui caressant les joues. Et, toi, tu es étrangement attirante malgré
ta drôle de frimousse.
— J’ai une drôle de frimousse ?
— Ton petit nez pointu. Ta petite bouche. Tes minuscules oreilles. (À mesure
qu’il décrivait ces détails, il passait le pouce dessus tout en se penchant
lentement vers elle.) Embrasse-moi.
Elle se détendit, se concentra uniquement sur lui et admit qu’il avait en effet
des yeux époustouflants, d’un bleu limpide et d’une forme inattendue. Elle
voyait des tourbillons jaunes se mêler au bleu. Sa trépidation s’effaça et elle
ferma les yeux à mesure qu’il approchait.
Elle sentit ses lèvres frôler les siennes avec une douceur et une chaleur
inattendues. Comment un homme aussi effrayant pouvait-il se montrer aussi
tendre ? Il inséra sa langue dans sa bouche et Becca lui agrippa les épaules pour
ne pas tomber.
Mais, rapidement, la tendresse fit place à une passion débridée. Elle ferma de
nouveau les yeux et laissa tomber la tête en arrière pour s’ouvrir encore plus à
lui et oublier tout ce qui n’était pas Brute.
Ce baiser avait la puissance d’une électrocution. Jamais personne ne lui avait
fait un tel effet. Brute était passionné et se donnait à cent pour cent. Elle passa
les mains sur son large torse et lui caressa le ventre. Soudain, un ronronnement
se mit à vibrer entre eux. Becca sursauta, surprise, et Brute lui sourit.
— Je fais des bruits. Désolé. Essaie de ne pas y prêter attention. C’est
involontaire.
Il lui reprit le visage entre les mains et la dévora des yeux. Une fois de plus,
elle se retrouva hypnotisée par la beauté de ses pupilles. Elle savait qu’il allait
l’embrasser de nouveau. Mieux encore, elle l’attendait. Il exerçait un effet
incroyable sur elle. Il faisait apparaître des papillons dans son estomac et sa
bouche parvenait à lui faire oublier qu’elle se trouvait dans une cage, à la merci
de monstres pervers.
Il n’y avait que Brute, la chaleur de ses lèvres, la douceur de sa peau sous ses
doigts. Il la prit par les hanches, la fit pivoter pour la placer en face de lui et
changea de position en dessous d’elle. Becca écarta les cuisses et sentit aussitôt
une bosse rigide dont l’identité ne prêtait pas à confusion et qui lui indiquait
qu’il était tout aussi excité qu’elle.
Becca gémit et lui griffa les abdominaux pour l’attirer encore plus contre elle.
Mais, comme sa position l’en empêchait, elle posa un pied par terre et se rassit à
califourchon sur ses cuisses.
Il lui saisit aussitôt les fesses pour la plaquer contre lui et elle sentit son sexe
frotter sur son clitoris à travers leurs couches de vêtements. Becca sentait ses
seins palpiter douloureusement. Elle n’avait qu’une seule envie : ôter sa chemise
de nuit et frotter ses tétons contre sa peau.
Pendant ce temps, Brute lui pétrissait les fesses, enfonçant les doigts dans sa
chair moelleuse. Il la souleva pour ajuster l’angle de son pénis et le placer entre
les plis de son vagin. Becca pressa les ongles contre sa peau, excitée par la
chaleur qui pénétrait le mince voile de sa chemise de nuit. C’était une fine
barrière, mais elle détestait la sentir entre eux.
Elle l’encouragea à continuer en balançant les hanches. Avec un nouveau
gémissement, elle passa les mains dans ses cheveux pour accentuer leur baiser.
Brute la plaqua encore plus fermement contre lui et commença à bouger au
même rythme qu’elle. Son sexe était désormais tendu à se rompre, ce qui ne
faisait qu’amplifier le plaisir de Becca, qui était proche de l’orgasme. Son
clitoris était enflé jusqu’à en être douloureux. Elle voulait qu’il bouge plus vite,
qu’il la pousse jusqu’aux portes de l’extase.
Soudain, Brute détourna la tête, pantelant, et plaqua son visage contre sa
gorge.
— Il faut qu’on arrête, grogna-t-il.
Petit à petit, Becca comprit ce qu’elle venait de faire. Sans leurs vêtements, il
l’aurait pénétrée. Elle le savait aussi bien que lui. Ils s’étaient excités comme
deux adolescents en chaleur, dans le pire endroit et au pire moment possible.
Elle tourna la tête contre sa joue, ôta les mains de ses cheveux et lui enlaça le
cou en faisant de son mieux pour réguler sa respiration haletante. Elle avait très
envie de lui demander de continuer, mais la présence des caméras au plafond
doucha ses ardeurs. Elle resta accrochée à lui, le corps dévoré par les flammes.
Brute inspira fort et lui lécha la gorge de sa langue chaude et humide.
— Tu sens bon et tu as bon goût. Je meurs d’envie de te déshabiller pour
t’explorer avec les mains, le nez et la langue. Je te lécherais partout jusqu’à ce
que tu gémisses mon nom.
— Tu n’arranges rien, dit-elle d’une voix tremblante. Moi aussi, je te veux.
— Tu veux qu’on se calme ou que je te lèche ?
— Lèche-moi.
Il poussa un grognement gourmand, qui aurait effrayé la jeune femme en
d’autres circonstances. Brute glissa une main entre eux et posa les doigts sur sa
culotte.
— Accroche-toi à moi et recule un peu, lui ordonna-t-il.
Elle obéit et gigota pendant quelques secondes pour donner un peu de place à
sa main. Elle l’imagina soudain en train d’écarter sa culotte, de baisser son
propre pantalon et de la prendre sauvagement. Elle n’avait pas oublié ce qu’il lui
avait dit sur la taille de son sexe, mais, pour l’instant, cela n’avait aucune
importance. Elle avait entendu dire que d’autres humaines étaient déjà en couple
avec des Hybrides. Cela voulait dire que les rapports sexuels étaient possibles.
Mais, dans son état d’excitation actuel, elle n’y aurait même pas réfléchi.
De ses doigts agiles, Brute écarta le tissu et poussa un nouveau grognement en
sentant à quel point elle était humide, ce qui, en temps normal, aurait empli
Becca de honte. Mais, lorsqu’il localisa son clitoris du bout du doigt, plus rien
d’autre ne compta. Elle appuya le visage contre son torse musclé, inspira son
odeur masculine et poussa un petit gémissement de plaisir étouffé.
— Tout doux. Je te tiens, dit-il en serrant le bras autour de sa taille pour la
maintenir en place tandis qu’il la titillait du bout du doigt. Laisse-toi aller.
Si elle l’avait pu, elle aurait éclaté de rire. Il n’y avait plus que lui et rien
d’autre et, vu comme il l’immobilisait, elle ne pouvait rien faire à part attendre
impatiemment l’orgasme.
Il entama un mouvement circulaire, puis fit pivoter sa main pour lui caresser
l’ouverture du vagin avec le pouce. Becca, qui se rappelait vaguement qu’elle ne
devait pas faire de bruit, mais sans se rappeler pourquoi, colla encore plus le
visage contre sa poitrine, puis le mordit en sentant son doigt épais la pénétrer.
Brute grogna et enfonça le doigt encore plus loin tout en continuant à lui caresser
le clitoris. Il colla la tête contre celle de la jeune femme, qui entendit un doux
ronronnement résonner dans son oreille.
L’orgasme arriva vite, la submergeant en vagues violentes. Soudain, la main
qui lui maintenait le dos disparut pour se rematérialiser derrière sa tête. Brute la
plaqua fermement contre son torse, au risque de la faire suffoquer, pour étouffer
le cri qu’elle poussa. Mais Becca se moquait de recevoir ou pas de l’oxygène.
Elle était trop submergée par l’extase.
Brute retira son pouce et relâcha la pression qu’il exerçait sur la tête de la
jeune femme. Cette dernière, vidée de ses forces, vacilla un peu sur ses genoux,
mais il la reprit par la taille et elle leva le menton pour le regarder, émerveillée.
Brute lécha son pouce pour la goûter. Ce geste étonna Becca, mais l’excita
également. Sans la lâcher des yeux, il poussa un grognement. Le désir et la
passion sauvage qu’il éprouvait transformaient ses yeux. Il semblait vouloir la
manger toute crue, dans le meilleur sens possible.
Il retira lentement son pouce de ses lèvres et lui montra les dents. Soudain, il
leva les mains bien haut, comme si on le menaçait d’une arme.
— Éloigne-toi de moi, grogna-t-il.
Terrorisée par le ton de sa voix, Becca se releva précipitamment et recula en
titubant jusqu’à ce que son dos heurte les barreaux. Elle éprouvait un sentiment
de rejet bien plus douloureux que les coups qu’elle avait reçus un peu plus tôt.
Brute se redressa d’un bond, manquant de renverser la couchette dans sa hâte,
puis se réfugia dans le coin le plus éloigné de la cage pour laisser le plus
d’espace possible entre eux. Il lui tourna alors le dos, agrippa les barreaux et
rejeta la tête en arrière pour pousser un rugissement de colère.
CHAPITRE 7

Brute avait du mal à reprendre le contrôle de son souffle et de son corps. Il


serrait tant les barreaux que ses doigts en étaient blancs. Le rugissement l’avait
aidé à ventiler une partie de sa frustration, mais il était toujours hanté par l’odeur
de la peur de Becca.
C’était lui qui l’avait causée, mais cela avait été nécessaire. Si elle était restée
ne serait-ce que deux secondes de plus sur ses genoux, il aurait commis
l’irréparable. Il aurait pu lui faire mal, mais il avait réagi en s’éloignant d’elle
avant de céder à la tentation.
Son pénis le lançait horriblement, mais il faisait de son mieux pour l’ignorer.
Les yeux fermés, il se concentra pour respirer par la bouche plutôt que par son
nez hypersensible, mais cela ne fit rien pour arranger les choses, car le goût de
l’orgasme de Becca était toujours très marqué et lui donnait de nouveau l’envie
de rugir.
Il voulait sauter sur la jeune femme, lui arracher ses vêtements, la forcer à se
mettre à genoux sur la couchette. Il aurait dû s’en tenir à un baiser, mais ses
bonnes intentions avaient fondu comme neige au soleil dès que leurs lèvres
s’étaient jointes. Il avait cru que leur baiser resterait chaste et qu’il pourrait y
résister, mais, au lieu de cela, il s’était retrouvé submergé par l’excitation la plus
intense de sa vie. Il en avait presque oublié les caméras, la peur qu’elles
éveillaient en Becca et combien elle lui en voudrait s’il la déshabillait et
plongeait le visage là où il l’avait fait jouir avec ses doigts. Mais l’étroitesse de
son vagin l’avait convaincu de contenir ses désirs. Il la prendrait trop
violemment et la déchirerait. Il voulait la faire hurler, certes, mais de plaisir, pas
de douleur.
Il avait encore mal à l’endroit où elle l’avait mordu jusqu’au sang. C’était
d’ailleurs ce qui avait failli lui faire perdre tout contrôle. Elle n’était pas une
Hybride et cela avait été un réflexe, pas une invitation à lui rendre la pareille et à
la monter. Il avait probablement montré trop de hâte à la faire jouir, et ce
nouveau sujet d’inquiétude l’aida à apaiser sa passion.
Jamais il n’avait voulu lui faire de mal. Il préférait souffrir mille tortures
plutôt que de la faire saigner, ne serait-ce que d’une seule goutte. Elle avait
confiance en lui et elle avait besoin de sa protection mais, en la prenant sur ses
genoux, il l’avait plus mise en danger que tous les salopards qui les avaient
enlevés. En pensant à ce qui aurait pu se produire, il sentait son sang se figer
dans ses veines.
La prendre comme une Hybride aurait été un acte impardonnable. Elle n’avait
ni la carrure ni la force nécessaires pour le repousser s’il allait trop loin. Elle
aurait été à la merci de son désir et, dans le feu de l’action, il ne s’en serait peut-
être même pas rendu compte. Parfois, les hommes avaient besoin d’un bon
rappel à l’ordre pour revenir à la réalité lorsqu’ils étaient sous l’emprise de la
passion.
Brute se sentait enfin assez calme pour lui présenter ses excuses. Admettre
qu’il avait failli perdre le contrôle froisserait son ego, mais, en lui avouant la
vérité et en lui ayant laissé entrevoir son côté le plus sauvage, il l’aiderait peut-
être à surmonter la peur qu’elle éprouvait face à lui. Il se retourna, mais se figea
de honte en la voyant de l’autre côté de la cage.
Becca était assise par terre, les genoux sous le menton, les bras presque
ballants. Sa respiration lente lui indiquait qu’elle dormait. Il ne voyait pas son
visage, caché contre ses jambes. Comment diable pouvait-elle dormir dans cette
position ? Il s’approcha à pas de loup, glissa les mains sous ses genoux et
derrière son dos, puis la souleva doucement sans la réveiller. Becca tourna la tête
contre son torse, là où elle l’avait mordu. Avec mille précautions, il marcha
jusqu’à la couchette, repoussa la couverture avec le pied et l’allongea sur le
flanc.
Il aurait voulu la garder dans ses bras, mais il savait que cela n’aurait pas été
raisonnable. Son érection était enfin passée et il ne voulait pas tenter le diable. Il
la borda puis étudia son visage délicat.
Comme il le lui avait dit, son petit nez était très cocasse, mais il lui plaisait. Sa
bouche était petite mais sensuelle, comme faite pour le baiser. Sentant qu’il
s’excitait de nouveau, il se releva et s’éloigna de la couchette.
Il s’assit sur le sol dur et froid, dos à Becca, le regard rivé sur la porte par
laquelle ses ennemis allaient entrer pour se saisir de lui et de sa femelle.
Ma femelle ? Bon sang ! Il ferma les yeux, inspira plusieurs fois à fond et
essaya de se convaincre qu’elle ne lui appartenait pas et qu’elle ne serait jamais à
lui. Tim Oberto ne permettrait pas à sa fille de vivre avec un Hybride. Il les
estimait trop dangereux pour elle et Brute devait bien admettre qu’il n’avait pas
tort. Les humaines en couple avec des Hybrides se mettaient en danger, et pas
uniquement à cause des mœurs sexuelles bestiales de leurs partenaires.
Soudain, les portes s’ouvrirent. Brute rouvrit les yeux et vit quatre hommes
porter l’Hybride inconscient jusqu’à sa cage. Il inhala et grimaça. L’odeur de la
passion solitaire, mêlée à celle des produits aphrodisiaques et à la puanteur de
leurs ennemis lui retournait l’estomac.
Le fait qu’on ne leur ait pas donné à manger l’inquiétait beaucoup. Cela
voulait dire qu’ils ne comptaient pas les garder longtemps en vie. Mais, d’un
autre côté, s’ils voulaient le vendre une fois les expériences terminées, cela ne
tenait pas debout. Il repensa aux années qu’il avait passées en laboratoire et se
détendit. Ces enfoirés avaient travaillé pour Mercile. Ils ne le nourriraient que
s’il leur donnait ce qu’ils attendaient de lui.
Les quatre hommes ressortirent aussi vite qu’ils étaient venus et Brute reporta
les yeux sur Becca en espérant qu’ils ne réapparaîtraient pas avant longtemps.
Elle était probablement épuisée et, comme elle n’avait pas été anesthésiée, elle
n’avait pas pu dormir comme lui. Il se retourna vers la porte pour monter la
garde. Il ne pouvait pas vraiment protéger Becca, mais ainsi il avait tout de
même l’illusion de faire quelque chose.

Becca fut réveillée en sursaut par un bruit de pas résonnant dans la pièce. Elle
s’était endormie dans le coin de la cage, recroquevillée sur elle-même, en
regardant Brute qui essayait de se calmer en lui tournant le dos, mais elle avait
rapidement cédé à l’épuisement. Elle vit alors qu’elle se trouvait sur la
couchette, emmitouflée dans une couverture.
Brute était à côté d’elle et regardait en direction du bruit. Becca tourna la tête
et vit qu’il s’agissait de Randy et de ses acolytes. Terrifiée, elle comprit que son
heure était venue. En effet, 919 était de retour dans sa cage. Il était allongé sur sa
couchette, endormi ou drogué, car il ne bougeait pas.
— Becca ? murmura Brute. Il faut qu’on survive, souviens-toi. Fais ce qu’ils
te demandent.
Elle leva les yeux vers lui, mais il garda le regard fixé sur les quatre hommes,
qui s’arrêtèrent devant la porte de leur cage. Ils sortirent ensuite leurs Taser et
vérifièrent leur bon fonctionnement.
— C’est l’heure, dit Randy en lançant un regard noir à Brute. Au premier
mouvement suspect, on vous allume, toi et ta copine. On a modifié nos armes en
débridant la tension. Tu sais ce que ça signifie ? Elle n’y survivra pas. Si tu
résistes, c’est elle qui en paiera le prix.
— Ça ne me plaît pas, protesta Dean. On n’a qu’à l’endormir tout de suite,
comme les autres, et l’attacher avant qu’il se réveille. C’est trop dangereux
d’ouvrir la porte et de le laisser en liberté.
— C’est le docteur Elsa qui donne les ordres, répliqua Randy, même s’il ne
semblait pas plus emballé que son collègue. La force ne doit être utilisée qu’en
dernier recours. Elle pense que ça risque de le mettre de mauvais poil.
— Fait chier, maugréa Ray. Si la doc est persuadée qu’il se tiendra tranquille,
elle a qu’à venir le chercher elle-même ! Moi, je pense qu’il va essayer de nous
tuer. Il est pas assez malin pour comprendre.
Randy fit un pas vers la cage et haussa les sourcils.
— Vous vous êtes disputés ? On dirait qu’elle t’a mordu.
— Non, répondit Brute en attrapant Becca par la hanche pour la placer
derrière lui. J’obéirai. Ne lui faites pas de mal. Je sais que vous êtes prêts à la
tuer si je mens. (Il tourna la tête vers Ray.) Et je ne suis pas idiot.
— C’est n’importe quoi, intervint le quatrième homme. Dès qu’on ouvrira la
porte, il nous sautera à la gorge. J’ai déjà perdu trois types dans ce genre de
situation. Ils sont super rapides, et vous avez vu ses ongles ? Ils sont plus durs
que les nôtres, ils peuvent nous percer la peau.
— Je sais, répondit Randy. Mais on a nos ordres. Si tu fais quoi que ce soit qui
nous paraît menaçant, ta copine y passe.
— Je ne ferai rien, répéta Brute. Je la porterai moi-même. Si j’ai les bras
occupés, je ne peux pas me battre. Ça vous rassurerait ?
Les hommes échangèrent des regards surpris et Randy hocha la tête.
— OK, ça marche. Porte-la avec les deux bras, assez haut pour qu’elle se
fracture le crâne sur le béton si tu la lâches.
Brute se tourna vers Becca, qui le regardait avec inquiétude. Elle l’avait
fâchée, même si elle ne savait pas comment, et il proposait pourtant de faire
preuve de docilité pour assurer sa sécurité. Il plia les genoux et écarta les bras.
— Passe les bras autour de mon cou.
— Je suis désolée, s’excusa-t-elle en se mordant la lèvre inférieure.
— De quoi ? Rien de tout ça n’est ta faute. Fais ce qu’ils disent et ils n’auront
aucune raison de te faire mal. Je ne résisterai pas. Ta sécurité passe avant tout.
— Qu’est-ce que tu lui racontes ? demanda Randy, énervé. Allez, assez perdu
de temps.
Brute tourna la tête vers lui.
— Elle a peur, grogna-t-il avant de reporter son attention sur Becca.
Accroche-toi. Ce n’est pas à toi que j’en voulais, mais à moi-même. On en
discutera plus tard.
Becca s’agrippa à son cou tandis qu’il lui passait un bras autour de la taille et
l’autre sous les genoux pour la soulever, en prenant bien soin de ne pas
retrousser sa chemise de nuit pour préserver sa pudeur. Il se tourna ensuite vers
les quatre hommes et les observa, les yeux plissés.
— J’avancerai lentement. Je peux y aller ?
Randy adressa un signe de tête à Randy, qui dénoua nerveusement les chaînes
et ouvrit la porte de la cage. Becca était heureuse de voir à quel point Brute
terrorisait ces ordures. Il était grand, puissant et intimidant. Si elle n’était pas là,
il n’aurait probablement aucun mal à les dominer.
— Sors, ordonna Randy. Tout doucement, mon chaton. (Il leva son arme et la
pointa sur Becca.) C’est elle qui morflera en premier.
— Je ne mettrai pas sa vie en danger.
Brute sortit lentement de la cage, sans la moindre précipitation. Becca,
surprise et inquiète, constata qu’on les menait dans une pièce différente de celle
où elle avait assisté à l’expérience sur 919. Celle-ci était équipée d’une couchette
métallique, d’une table et d’une caméra fixée dans un coin. La porte se referma
derrière eux et les quatre hommes gardèrent leurs armes pointées sur Brute et
elle.
— Pose-la et avance vers la couchette, ordonna Randy.
Brute hésita.
— Inutile de m’enchaîner. Je vous ai dit que je ne résisterais pas.
— Fais ce que je te dis et arrête de discuter. Déshabille-toi, allonge-toi sur le
dos et laisse-toi faire, compris ?
Brute reposa Becca et se dirigea vers la longue couchette métallique, orné
d’une grille faisant office de tête de lit et d’une barre à l’autre bout. Voyant la
grimace qui déformait ses traits, Becca détourna les yeux pour lui épargner son
propre regard. Ray se précipita vers elle et pointa son arme sur son visage tandis
que Randy surveillait les moindres mouvements de Brute. Leurs deux collègues
posèrent leurs Taser près de la porte et sortirent de son champ de vision pour
suivre l’Hybride.
Elle entendit le glissement du tissu de son pantalon, puis les grincements de la
couchette pliant sous son poids, suivis d’un cliquètement de chaînes. Randy
baissa son arme et s’approcha d’elle.
— Voilà ce que tu vas faire. Tu m’écoutes ?
— Oui, répondit-elle, le regard noir.
Il se retourna, se dirigea vers la table, sur laquelle étaient posés divers
accessoires, et y prit un tube et un gobelet de prélèvement.
— Du lubrifiant et un petit récipient avec un couvercle. Tu as besoin d’un
dessin ? demanda-t-il avec un sourire malfaisant. Dès qu’il aura craché la purée,
tu cours jusqu’à la porte. Ray l’ouvrira et tu lui donneras l’échantillon. Dean sera
derrière lui, avec l’ordre de t’abattre si tu tentes quoi que ce soit. (Il leva les yeux
vers la caméra avant de lui adresser un regard d’avertissement.) Je surveillerai
tout ce que tu feras. N’essaie pas de le détacher et ne t’avise pas de traîner une
fois que tu auras le sperme. Le docteur veut huit échantillons pour cette fois.
— Huit ? répéta-t-elle en écarquillant les yeux.
— Oui. Ça te pose un problème ?
— À moi, non, mais à lui, par contre…, répondit-elle en rougissant. Enfin, je
veux dire, ça fait beaucoup.
— Pas pour eux, dit Randy en se tournant vers Brute. Tu te retiens avec elle,
on dirait ? C’est un mauvais coup, ou quoi ?
— C’est une humaine, répliqua Brute. Pas une Hybride.
Randy éclata de rire.
— C’est-y pas mignon, les gars ? (Il s’approcha encore de Becca.) Ton copain
a beau être un petit minou, il baise comme un chien en chaleur. L’odeur d’une
femme volontaire ou les caresses suffisent à le garder en érection pendant des
heures. Laisse-lui vingt secondes pour se remettre, et tu pourras recommencer à
le branler ou à le sucer. (Il lui tendit le gobelet et le tube.) Mais ne le laisse pas
jouir dans ta bouche. La salive rend le sperme inutilisable. Et ne crache pas dans
le gobelet.
Becca, le visage fermé, prit ce qu’il lui donnait, espérant plus que jamais que
son père lui prêterait son arme lorsqu’il arriverait. Elle ne rêvait que d’une
nouvelle chance de tirer sur Randy. Et, cette fois-ci, elle ne le manquerait pas.
— Rien d’autre ?
Il l’étudia de la tête aux pieds.
— Si. Une fois que tu auras fini avec lui, tu pourrais venir me donner un petit
coup de main. (Il éclata de rire et se dirigea vers la porte.) Dépêche-toi si tu veux
qu’on te donne à manger et si tu veux lui éviter la machine. Tu as deux heures.
Les quatre hommes sortirent et Becca resta immobile, le dos à la couchette.
Brute était enchaîné, nu. Elle regarda les objets qu’elle tenait dans les mains,
puis la table, où elle vit d’autres gobelets, et ferma les yeux. Cela allait être dur.
— Becca ? l’appela Brute d’une voix douce. Tout va bien. Je suis immobilisé
et je ne pourrai pas te faire de mal.
— Ce n’est pas vraiment ce qui m’inquiète, répondit-il, les yeux toujours
fermés.
— Ne t’en fais pas. C’est moi qui me sens coupable.
Cette réponse la surprit tant qu’elle faillit se retourner.
— Pourquoi ? Ce n’est pas toi qui nous as enlevés.
Il hésita.
— Ce sera beaucoup plus agréable pour moi que pour toi. Je te revaudrai ça,
je te le promets.
Becca inspira à fond.
— Pourquoi tu étais fâché tout à l’heure ? (En effet, elle ne comprenait pas la
violence de sa réaction après ce qu’ils avaient fait.) C’est ma faute ? Je t’ai fait
mal ? Je ne voulais pas te mordre.
— Je te désirais, mais je ne me contrôlais plus assez pour prendre ce risque,
répondit-il avec franchise.
Elle se retourna vers lui, sachant qu’il allait bien lui falloir ouvrir les yeux tôt
ou tard.
— J’ai l’impression que je vais te violer.
— Becca, regarde-moi.
Elle obéit et le spectacle qu’elle découvrit se grava à jamais dans sa mémoire.
Brute était allongé sur la couchette, entièrement nu, le pénis dressé, épais et
rigide. Ses yeux s’y attardèrent un long moment avant qu’elle les ramène à son
visage. Brute la regardait avec calme.
— Dans cette position, je ne peux rien te faire. Et je veux que tu me touches,
même si je n’en suis pas fier. Tu crois que ça fait de moi un pervers ?
Elle fit un pas vers lui sans même s’en apercevoir.
— Non.
— Je suis excité, mais pas toi. Je sais que c’est traumatisant pour toi, mais j’ai
vraiment très envie de sentir tes mains sur moi.
Il détourna les yeux, les fixa sur le plafond et crispa les lèvres. Becca se
sentait déjà moins mal à l’aise. Il l’avait poussée jusqu’à l’orgasme. Cela avait
été incroyable et elle voulait lui rendre la pareille. La présence de la caméra la
contrariait, mais elle se rendit compte qu’elle pouvait presque tout cacher en
s’asseyant sur le rebord de la couchette, à côté de sa hanche.
Elle carra les épaules.
— On forme une équipe. Et on va s’en sortir ensemble.
Surpris, il la regarda s’asseoir à côté de lui. Comme elle n’avait pas beaucoup
de place, elle ouvrit le récipient, le coinça entre ses cuisses, puis étala une
noisette de lubrifiant sur ses doigts. Mais, malgré sa résolution apparente, elle ne
pouvait se résoudre à le regarder dans les yeux.
— Tu es prêt ?
— Oui, répondit-il en tendant les muscles de son ventre. Je suis désolé, Becca.
Elle leva enfin les yeux.
— Il n’y a pas de quoi. Préviens-moi juste avant de… enfin, tu vois.
Il hocha la tête.
— Tu préfères quoi ? demanda-t-elle, nerveuse, en se souvenant de ne pas
élever la voix pour leur assurer un semblant d’intimité.
C’était peut-être le moment le plus gênant de toute sa vie sexuelle. Ils ne
s’embrassaient pas et ils n’étaient l’un comme l’autre que trop conscients de leur
environnement. La pièce était froide, stérile, son partenaire était attaché à un lit
et un pervers les observait depuis la pièce voisine.
— Vite ? Lentement ? Je devrais le savoir, si on est en couple.
Elle tendit la main vers son sexe, mais hésita et s’arrêta à quelques
centimètres.
— Comme tu veux, répondit-il d’une voix rauque.
— Tu es sûre que je peux faire ça ? Enfin je veux dire… tu comprends.
— Oui. N’oublie pas que j’émets des bruits. Ils ressemblent parfois à des
grognements de colère, mais c’est normal. Tu ne me feras pas mal et j’ai hâte
que tu me touches.
Becca regarda son pénis. Il était épais, parfaitement ciselé, presque beau,
même. Elle faillit sourire en pensant qu’elle n’aurait jamais cru donner ce
qualificatif à un sexe masculin. Elle le caressa du bout des doigts, explorant la
peau fine qui enveloppait son érection rigide comme de la pierre. Un
ronronnement sonore résonna dans toute la pièce et Becca releva la tête vers le
visage de Brute.
Il avait fermé les yeux, peut-être pour ne pas la mettre mal à l’aise, et il se
mordit la lèvre inférieure. Il était sexy en diable et le voir ainsi enchaîné à sa
couchette éveillait chez la jeune femme des pulsions inavouables. Si seulement
ils se trouvaient chez elle, seuls et sans chaînes…
Il ajusta sa position en sentant Becca prendre son gland entre les doigts de son
autre main. Elle commença à le caresser doucement, de haut en bas. Brute
respirait de plus en plus vite. Fascinée, elle regarda ses muscles onduler à
mesure qu’il bougeait les hanches à son rythme. Une fine pellicule de sueur
apparut sur son torse et ses ronronnements se firent de plus en plus profonds.
Jamais elle n’avait rien connu d’aussi érotique.
— J’y suis presque, grogna-t-il.
Elle lâcha une main et saisit le gobelet. Comment donc était-elle censée faire ?
Brute crispa les pieds contre la barre de son lit et souleva les hanches. Dans le
même temps, elle abaissa son pénis jusqu’à ce qu’il touche presque son ventre,
en direction du gobelet, qui recueillit les premières giclées de sperme.
Il poussa un grognement puissant, tremblant sous l’impact de son orgasme.
Presque hypnotisée par ce spectacle, elle dut se rappeler à l’ordre pour ne pas
lâcher le gobelet. Ses gémissements lui faisaient durcir les tétons. Le corps de
Brute frissonnait à chaque caresse tandis qu’elle l’essorait jusqu’à la dernière
goutte. Enfin, elle le lâcha et il se détendit, haletant.
Becca posa le couvercle sur le gobelet, se leva tant bien que mal et, les jambes
vacillantes, se dirigea vers la porte. Cette dernière s’ouvrit et Ray lui tendit une
main gantée. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis se ravisa. Sans un
mot, il prit le verre et referma la porte derrière lui. Aussitôt, Becca retourna
auprès de Brute, non sans avoir pris un nouveau récipient au passage.
Les yeux fermés, Brute était en train de reprendre son souffle. Becca s’essuya
les mains sur la couverture, puis lui caressa le torse.
— Tu vas bien ?
Il lui sourit et ouvrit les yeux, qui étaient encore plus incroyables qu’à
l’habitude. Le jaune se mêlait au bleu pour leur donner une teinte dorée à couper
le souffle.
— J’adore la douceur de tes mains.
— Tant mieux, répondit-elle sans chercher à retenir ses larmes.
Aussitôt, il se figea, inquiet.
— Je suis désolé, Becca.
— De quoi ?
— De t’avoir entraînée là-dedans. Si tu es là, c’est uniquement parce que je
me suis installé chez toi. Je n’aurais jamais dû quitter Homeland. On n’en serait
pas là si j’étais resté à ma place.
Becca se pencha au-dessus de lui. Ses longs cheveux vinrent caresser les bras
et le torse de l’Hybride et elle s’approcha jusqu’à ce que leurs lèvres soient
presque en contact.
— Tout ce qui compte, c’est que tu ailles bien. Il faut qu’on le fasse encore
sept fois.
— Tu pleures. Tu n’es pas bien.
— C’est le stress, Brute, le rassura-t-elle en lui caressant la poitrine. Je n’ai
rien. Je suis même plus inquiète pour toi que pour moi. C’est toi qui es enchaîné
sur ce lit et qui vas devoir recommencer sept fois. J’ai le rôle le plus facile,
quand on y pense.
Brute hocha la tête.
— Dès qu’on aura terminé, ils nous ramèneront dans la cage et ils nous
donneront à manger. Finissons-en.
— Déjà ? s’exclama-t-elle, surprise. Tu es sûr ?
Il lui adressa un regard plein de détermination.
— Je suis un Hybride. Je suis prêt.

Brute refusait d’admettre que les caresses de la jeune femme étaient


étourdissantes et qu’il ne demandait qu’à recommencer. Il aurait juré pouvoir
sentir l’excitation de Becca, mais il s’agissait probablement d’un arrière-goût de
ce qu’ils avaient fait un peu plus tôt dans la cage. Ses larmes lui déchiraient les
entrailles et il savait que, s’ils étaient secourus, ce jour la marquerait à jamais.
Elle recula un peu et, aussitôt, sa proximité lui manqua. Il ferma les yeux pour
qu’elle ne soit pas gênée par son regard, comme elle l’était déjà par la caméra.
Honteux, il sentit son sexe durcir de nouveau de désir, anticipant le contact
prochain des mains de la jeune femme.
Soudain, il se mordit la lèvre inférieure pour ne pas grogner, titillé par une
douce caresse du bout des doigts. Le cœur tambourinant, il banda les muscles,
comme pour briser ses chaînes. Par chance, elles étaient solides. Sans cela, il
aurait attrapé Becca et lui aurait arraché ses vêtements avant de la plaquer en
dessous de lui. Il avait tellement envie de la pénétrer qu’il en perdait la tête.
Le simple fait d’invoquer cette image le poussait au bord de l’orgasme. Les
caresses de ses mains engendraient des sensations incroyables, mais il savait
qu’il serait encore mieux coincé dans le fourreau étroit de son vagin.
— Plus fort, demanda-t-il malgré lui, les dents serrées.
Becca obéit et accéléra le mouvement. Empli de honte, il ne tarda pas à lui
dire de prendre le gobelet. Il éjacula violemment et un voile blanc de plaisir
descendit sur ses yeux jusqu’à ce qu’elle lâche son membre. Il reprit alors son
souffle et plongea dans la dépression la plus abjecte. Becca ne pourrait plus
jamais le regarder sans repenser à ce que les employés de Mercile Industries
l’avaient forcée à faire. Pire encore, elle devait maintenant croire qu’il était un
éjaculateur précoce et qu’il ne tiendrait jamais suffisamment longtemps pour lui
donner du plaisir s’ils faisaient un jour l’amour.
Elle s’allongea à côté de lui et lui caressa doucement le bras.
— Tout va bien, murmura-t-elle. On va y arriver ensemble. Plus que six fois.
C’est tout.
Brute était furieux. C’était elle qui cherchait à le rassurer, à le convaincre
qu’ils s’en sortiraient. Même sur ce plan il n’était pas à la hauteur. Il hocha la
tête, refusant de croiser son regard de peur d’y lire de la pitié. Cela aurait été la
goutte d’eau.
— Oui, répondit-il d’une voix ferme en espérant qu’elle conservait encore un
minimum de respect pour lui.
CHAPITRE 8

Le silence de Brute était inquiétant. Becca termina ses flocons d’avoine. Ils
étaient trop cuits et presque immangeables, au point qu’elle en enviait les steaks
saignants qu’on avait donnés à l’Hybride. Elle était assise sur la couchette et lui
en tailleur à l’autre bout de la cage, l’assiette en équilibre sur les genoux. Il
refusait obstinément de la regarder depuis qu’on les avait ramenés dans leur
cellule.
— Tes steaks sont comment ? hasarda-t-elle.
— Froids. (Il avala une nouvelle bouchée dégoulinante de sang et mâcha.) Ils
sont bien cuits mais ils sortent du frigo.
— Je suis désolée. Tu veux des flocons d’avoine ? proposa-t-elle en regardant
sa propre assiette, encore à moitié pleine d’une espèce de pâte informe qui,
malgré sa faim, ne lui faisait pas du tout envie.
Brute fit « non » de la tête.
— Mange. Tu dois garder tes forces.
Il ne lui proposa pas un morceau de steak et Becca poussa un soupir dépité.
Elle aurait mille fois préféré de la viande crue à cette infâme bouillie.
— Tu es fatigué ? La couchette est assez grande pour deux.
Cette proposition lui valut un regard courroucé.
— Je dormirai par terre. Allonge-toi si tu veux dormir.
Elle baissa les yeux, à la fois triste et fâchée.
— Ça va. Je pensais que tu étais fatigué, c’est tout. Prends le lit si tu veux,
moi je m’assiérai par terre. C’est toi qui as besoin de repos.
Il venait de donner huit échantillons de sperme et, même s’il était plus
endurant qu’un humain, il devait forcément avoir sommeil après un tel effort.
— J’ai l’habitude de vivre à la dure. Garde le lit.
Becca ferma les yeux et fit de son mieux pour contenir ses larmes. Peut-être
lui en voulait-il après ce qu’il venait d’endurer ? Elle savait qu’elle n’aurait pas
apprécié qu’on la force à enchaîner huit orgasmes dans ces circonstances. D’un
autre côté, si Brute était à la manœuvre, ce ne serait pas si terrible que ça… mais
elle dut se rappeler qu’ils n’étaient pas ensemble.
— Dors, Becca, conseilla-t-il. Ton plat se conservera.
Cela ne faisait aucun doute et, de toute façon, le goût ne risquait pas
d’empirer. Elle s’allongea, posa son assiette par terre et tourna le dos à Brute
avant de se mettre en position fœtale et de lutter contre ses larmes.
Mais que faisait l’équipe de son père ? Puisqu’ils étaient en mesure de
localiser Brute, qu’est-ce qui leur prenait si longtemps ? Elle savait qu’ils
avaient roulé pendant plusieurs heures, mais les Hybrides avaient été avertis dès
l’instant où ils avaient été attaqués. Une équipe aurait déjà dû être sur place
avant que leurs ravisseurs quittent la propriété, mais personne n’était arrivé.
L’émetteur est peut-être défectueux ? Elle refusait de l’envisager. L’espoir
qu’ils ne tarderaient pas à être secourus était la seule chose qui l’empêchait de
craquer. Sinon, le docteur Elsa finirait par amasser la somme nécessaire pour fuir
le pays. Elle vendrait ses Hybrides à ses acheteurs européens dès que ses
hommes auraient kidnappé un primate et c’en serait terminé pour elle. Soit ils la
tueraient, soit ils l’abandonneraient à son sort dans la cage, où elle finirait par
mourir soit de faim, soit de folie et de désespoir. Mais, d’une manière ou d’une
autre, ce serait insupportable. Elle aurait de l’eau, fournie par le tuyau qu’ils
avaient tiré jusqu’à la cage pour lui permettre de se laver les mains et le visage,
mais, s’ils décidaient de l’abandonner, ils pourraient très bien l’en priver.
Les larmes se mirent à couler malgré elle et elle étouffa un sanglot. Elle avait
peur et elle s’en voulait d’éprouver ce sentiment. La froideur de Brute ne faisait
qu’empirer les choses. Comme coéquipier, il ne valait rien.
— Becca ? dit-il en lui posant la main sur la hanche.
— Ça va.
— Non, ça ne va pas. Regarde-moi.
— Non, refusa-t-elle en reniflant. J’ai un coup de fatigue, c’est tout. Va
manger.
Il poussa un petit grognement et la força à s’allonger sur le dos. Elle ouvrit les
yeux, cligna plusieurs fois des paupières pour écarter ses larmes et vit qu’il était
penché sur elle, à quelques centimètres de son visage.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as mal quelque part ? Tu as encore faim ? Tu
devrais finir ton assiette.
— J’ai peur, avoua-t-elle dans un murmure. Mon père aurait déjà dû nous
retrouver. Je pense qu’il ne viendra plus.
Il ne parut pas surpris et Becca se dit qu’il avait déjà dû envisager cette
possibilité. Cela ne fit que renforcer son opinion et elle se remit à pleurer.
— Je vais mourir ici, mais toi… (Elle lui caressa le visage.) Tu essaierais de
t’évader s’ils ne se servaient pas de moi pour te forcer à obéir, n’est-ce pas ?
— Je ne ferai rien qui te mettrait en danger, l’assura-t-il, un éclair de colère
dans les yeux.
Becca passa la main sur sa joue.
— Soyons réalistes. Je suis fille de militaire. Je sais qu’il faut parfois sacrifier
une vie pour en sauver d’autres. Si tu les prends par surprise, tu as une vraie
chance de t’enfuir. La prochaine fois qu’ils viendront nous chercher, fais
semblant de te tenir tranquille et tue-les tous. Ensuite, tu pourras libérer les
autres prisonniers. Ils hésiteront à vous abattre, vu qu’ils ont besoin de l’argent
que vous pouvez leur rapporter. Moi, je ne suis qu’un pion sans intérêt.
— Arrête, grogna-t-il.
— C’est logique et je sais que mon père serait d’accord. Si tu arrives à
t’enfuir, répète-lui ce que je viens de dire. On est fichus l’un comme l’autre et tu
le sais aussi bien que moi. Tu veux vraiment te retrouver en Europe dans un
endroit qui sera peut-être pire que celui-ci ? Ils se serviront de vous pour donner
naissance à des bébés qu’ils vendront au marché noir. Ils comptent enlever un
primate avec l’aide de l’un des employés de Homeland. Il faut que tu les en
empêches. Moi, je suis condamnée de toute façon, Brute. Ils ne me vendront pas
avec toi. Quand j’aurai terminé de faire ce qu’ils attendent de moi, je n’aurai
plus aucune valeur à leurs yeux. Ils nous sépareront et ils me tueront. Point
barre.
Brute lui saisit le bras avec force.
— Tu es très spéciale et je refuse de te sacrifier pour ma liberté ou celle de ces
autres mâles.
— Ils sont de ton espèce, Brute. Ce sont tes frères. Tu dois les sauver. Tu es le
seul qui soit en mesure de le faire.
— Je m’en fiche, répliqua-t-il vivement en collant son visage au sien. Je ne te
laisserai pas mourir.
Aveuglée par de nouvelles larmes, la jeune femme lui passa les doigts dans les
cheveux.
— Tu es quelqu’un de formidable, mais réfléchis un peu.
Il la lâcha abruptement et recula.
— Cette conversation est terminée.
Il se leva d’un bond et se précipita à l’autre bout de la cage pour agripper les
barreaux. Becca se redressa, en colère elle aussi. Elle leva les yeux vers la
caméra, se rappela qu’elle ne devait pas élever la voix et se dirigea vers lui pour
lui tapoter l’épaule.
— Brute ?
Il tourna la tête, le regard noir.
— Va dormir. Tu es fatiguée et tu ne sais plus ce que tu dis, déclara-t-il avant
de lui tourner de nouveau le dos.
— Tu sais que j’ai raison, murmura-t-elle. C’est dur à admettre, mais c’est
vrai. Regarde-moi, bon sang !
Il lâcha les barreaux et se retourna lentement. Sa colère aurait dû effrayer
Becca, mais elle était sûre d’avoir raison. S’il prenait leurs ravisseurs par
surprise, il avait une vraie chance de s’évader. Elle se colla contre lui pour tenter
de le convaincre.
— Voilà mon plan. La prochaine fois qu’ils viendront nous chercher, dis-leur
que tu me porteras pour sortir. Dès que tu seras hors de la cage, jette-moi sur
eux, attaque-les et enfuis-toi. On est au moins trois étages plus bas que le rez-de-
chaussée. Passe par la porte à gauche de la pièce et prends l’escalier qui mène
jusqu’à un entrepôt. Si les portes extérieures sont fermées, tu pourras sortir par
les fenêtres sous le plafond. A priori, elles n’ont pas de barreaux. Tu peux sauter,
j’imagine ? Casse une vitre, sors de l’entrepôt et cours jusqu’à ce que tu trouves
de l’aide.
Brute se pencha vers elle.
— C’est ça, ton plan ?
— Oui.
Il fronça les sourcils.
— Et qu’est-ce qu’il t’arrivera une fois que je t’aurai lancée sur eux ?
— Ils m’abattront. Si tu me lances assez fort, j’arriverai peut-être à en
assommer un, et je te jure que je ferai tout pour lui crever les yeux avant de
mourir. Ça me démange depuis notre arrivée.
Brute poussa un grognement sonore puis, sans lui laisser le temps de réagir, il
la saisit par les hanches, la souleva et lui plaqua le dos contre les barreaux,
l’immobilisant grâce au poids de son corps.
— Non, déclara-t-il en montrant les dents.
Becca lui attrapa les épaules, tentant d’ignorer le contact froid du métal dans
son dos ainsi que le fait que ses pieds ne touchaient plus le sol.
— Si. C’est un bon plan et je te jure que l’un d’entre nous survivra. Même si
tu me proposes de couvrir mon évasion en les attaquant, je ne pourrai pas sauter
par les fenêtres, elles sont trop hautes pour moi. Je n’ai pas ta force physique et
je cours comme une tortue. Je serais déjà à bout de souffle au-dessus de
l’escalier. (C’était dur à admettre, mais elle savait que c’était la vérité.) Je ne suis
pas franchement en forme olympique, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué.
— Tu es parfaite, répliqua-t-il. Maintenant, ferme-la.
Pourquoi est-ce qu’il refuse de m’écouter ? se demanda Becca, agacée. Elle
n’avait pas envie de mourir, mais, en se sacrifiant, elle lui offrait une véritable
chance de s’évader. Pourquoi ne comprenait-il pas qu’ils n’avaient plus aucun
espoir d’être secourus ? Leur captivité risquait de durer des mois, puis il serait
envoyé à l’autre bout du monde, là où personne ne le retrouverait, et c’en serait
fini pour elle de toute façon.
— Arrête de jouer les têtes de mule. Je ne suis pas parfaite et je n’ai aucune
envie qu’on me laisse mourir de faim ou qu’on m’abatte comme un chien
enragé. Je préférerais me sacrifier pour une bonne cause, alors ouvre les yeux et
sois un homme. (C’était l’un des arguments favoris de son père lorsqu’il voulait
titiller l’orgueil de ses subordonnés. Elle espérait qu’il aurait le même effet sur
Brute.) Prends tes responsabilités et cesse de vouloir être aussi gentil.
Brute rejeta la tête en arrière et rugit. Terrorisée, Becca se dit qu’elle était
allée trop loin. Mais, à sa grande surprise, il l’embrassa à pleine bouche, sans la
moindre retenue.
Elle comprit alors qu’il n’allait pas la tuer, mais, en un sens, ce retournement
de situation était encore pire. Il allait éveiller son désir sans qu’elle puisse
résister à ses lèvres magiques. Elle lui rendit son baiser et passa les bras autour
de son cou, remarquant à peine qu’il avait fait glisser ses mains jusqu’à ses
cuisses pour les écarter. Elle les enroula tout naturellement autour des hanches
de Brute.
Ils bougèrent, mais Becca ne s’en rendit même pas compte, hypnotisée par le
duel de leurs langues. La passion de Brute était riche de promesses et son corps
réagissait à plein. Ses seins s’écrasèrent contre son torse massif à travers la
mince barrière que constituait le tissu de sa chemise de nuit. Tout en marchant, il
frottait son pénis rigide contre son clitoris.
Soudain, Brute se laissa tomber à genoux. Becca, surprise, eut un mouvement
de recul. Ils étaient à côté de la couchette, hors d’haleine. Brute lui saisit les
cheveux et la força à le regarder avant de reprendre possession de sa bouche
avec une énergie décuplée.
Il l’allongea sur la couchette et se pencha au-dessus d’elle, le sexe appuyé
contre son vagin, et Becca gémit de plaisir. Elle avait envie de lui. Elle voulait
oublier où ils étaient et elle serra les cuisses autour de ses hanches pour l’inciter
à continuer.
Sans prévenir, il rompit leur baiser et se releva en se passant les mains sur le
visage avec un grognement mécontent. Becca, qui l’immobilisait toujours avec
les jambes, le regardait, interloquée. Pourquoi s’était-il retiré alors qu’elle
souhaitait tant qu’il continue ?
— Je suis désolé, dit-il.
Becca se redressa et posa les mains sur son torse, ce qui le fit frissonner.
— Brute, regarde-moi.
Il secoua la tête et se détourna d’elle.
— J’aurais pu te faire mal. Désolé, répéta-t-il.
Son sexe en érection se pressait toujours contre elle. Il la désirait, cela ne
faisait aucun doute, mais avait peur d’être trop violent. Becca se lécha les lèvres.
Elles étaient un peu enflées à cause de la ferveur de ses baisers, mais cela ne lui
déplaisait pas. Son clitoris était hypersensible, tout comme ses tétons, durs
comme du marbre sous le tissu. Elle regarda la bosse qui déformait son pantalon
et se frotta de nouveau contre lui.
— Brute, s’il te plaît ?
Il abaissa lentement les mains. Il était rouge de confusion et ses yeux
débordaient de regret, au grand désespoir de Becca.
— Tu es désolé pour quoi ? Parce que tu m’as embrassée jusqu’à me faire
oublier tout le reste ? Parce que tu me désires ? J’éprouve la même chose pour
toi. La seule chose que je regrette, c’est que tu te sois arrêté.
— Pardon ? demanda-t-il, surpris.
Becca monta les mains jusqu’à ses épaules et l’attira contre elle.
— La vie est si courte. (Tu ne crois pas si bien dire, ajouta-t-elle en elle-même
en pensant à ce que l’avenir leur réservait.) On est ensemble. Profitons de ces
moments au maximum. Embrasse-moi.
Il hésita.
— J’ai peur de te faire mal. Je te désire trop.
— Mais non. Un peu de confiance, quoi ! l’encouragea-t-elle en souriant. Je
suis plus résistante que tu le penses et je n’ai pas peur de toi. Quand tu
m’embrasses, j’oublie tout. Tu es incroyable.
— Toi aussi. J’en oublierais presque que tu n’es qu’une humaine, plaisanta-t-il
à son tour.
Elle lui massa les épaules. Ses bras étaient très musclés et son torse d’une
largeur impressionnante. Il pouvait la briser en deux sans le moindre effort, mais
elle n’avait pas peur de lui. Leurs regards se croisèrent et il baissa la tête. Becca
ferma les yeux en anticipation de son baiser, qui s’avéra aussi intense que le
précédent.
Elle se crispa en sentant la main de Brute monter le long de sa cuisse. Il la
força à lui lâcher les hanches et remonta sa chemise de nuit. Sans cesser de
l’embrasser, Il repoussa sa culotte sur le côté et elle sentit que ses doigts étaient
recouverts de cals.
Il commença à lui caresser le clitoris en dessinant de petits cercles autour.
Becca l’embrassa plus passionnément que jamais et enfonça les ongles dans sa
peau. Il se retira lentement de sa bouche, mais garda les lèvres contre les siennes.
— Écarte le plus possible les cuisses. J’ai les hanches larges.
Il passa le bras derrière ses fesses pour l’attirer tout au bord du lit et la bloquer
contre lui pour l’empêcher de tomber. Becca obéit, désireuse de lui faciliter la
tâche au maximum.
— Ils ne peuvent pas voir ce qu’on fait, murmura-t-il.
Elle comprit qu’il voulait parler de cette horrible caméra fixée au plafond. Il
était à genoux devant elle et la camouflait grâce à sa large carrure. Elle tourna la
tête vers les autres cages. Les deux autres mâles étaient allongés sur leurs
couchettes, probablement endormis. Jamais ils n’auraient droit à plus d’intimité.
Elle croisa son regard et hocha la tête.
— Dis-moi si tu veux que j’arrête.
— Pas question.

Brute grogna, ferma les yeux et l’embrassa avec fougue. Becca s’accrocha à
lui comme à une bouée. Les doigts de l’Hybride la tourmentaient et la poussaient
aux portes de l’extase. Comme s’il devinait ce qu’elle ressentait, Brute allégea la
pression de ses doigts et en fit glisser un jusqu’à son vagin avant d’y pénétrer
lentement et d’entamer des allées et venues de plus en plus vigoureuses.
Becca bougeait les hanches à son rythme, inclinant le bassin de son mieux
pour lui faciliter l’accès. Lorsqu’il se retira, elle émit un grognement de
protestation, mais il revint aussitôt à la charge avec deux doigts. Elle poussa un
cri de plaisir et le serra encore plus fort.
Brute frôla son clitoris avec la main et se mit à masser un point de son vagin
jusqu’à ce qu’elle gémisse. Voyant sa réaction, il recommença un peu plus fort.
Becca sentit l’orgasme lui tendre de nouveau les bras et se mit à haleter de
manière de plus en plus incontrôlable. Avec un grognement, Brute retira une
nouvelle fois les doigts. Aussitôt, Becca rouvrit les yeux.
— Ne t’arrête pas ! supplia-t-elle. Je t’en supplie, ne t’arrête pas !
Le visage dur, les yeux fous, il recula.
— Lâche-moi.
Comment pouvait-il tout interrompre après être allé si loin ? Trop choquée
pour protester, elle obéit, mais Brute ne bougea pas. À sa grande surprise, il
attrapa l’oreiller, le jeta par terre entre ses jambes écartées, la souleva et la
retourna à la force de ses bras. Becca atterrit avec les genoux sur l’oreiller. Il
enroula le dos de sa chemise de nuit entre ses doigts et la força à allonger le torse
sur la couchette.
Tout cela se passa si vite qu’il lui fallut une seconde pour comprendre qu’il
l’avait immobilisée à quatre pattes devant lui. Il lui écarta brusquement les
cuisses, puis déchira sa culotte et l’arracha avant de lâcher sa chemise de nuit et
de se pencher au-dessus d’elle.
— Dis-moi « non » si tu veux que j’arrête, murmura-t-il en lui envoyant son
souffle chaud sur la nuque.
Becca se tut. Brute lui avait dit qu’il aimait prendre les femmes par-derrière.
Elle aurait dû se souvenir de cet avertissement, mais elle l’avait oublié. C’était
peut-être la seule position qui lui plaisait.
Il lui lécha la nuque, y déposa un baiser et lui caressa les cuisses, éveillant de
nouveaux frissons en elle.
— Je ferai doucement, quoi que ça me coûte, haleta-t-il. Tu es si étroite que
j’ai vraiment peur de te faire mal.
Maintenant qu’elle avait surmonté sa surprise, elle était prête à terminer ce
qu’ils avaient commencé. Elle saisit le drap entre les doigts et tourna la tête pour
le regarder.
— Je te veux, Brute.
— Tu es super mouillée. Je te promets que tu vas adorer. (Il approcha les
lèvres de son oreille.) Ferme les yeux, ma belle. Il n’y a rien que nous. Laisse-toi
aller.
Il plaça les jambes de chaque côté des siennes, glissa les mains sous sa
chemise de nuit et s’arrêta au niveau de ses seins. Becca se souleva un peu pour
qu’il ait plus de place et il les prit dans ses paumes tout en lui pinçant les tétons
entre deux doigts.
Becca gémit et ferma les yeux, puis sentit son souffle chaud tomber sur sa
nuque, là où il l’avait mordillée et léchée. Dévorée par la passion, elle crispa les
doigts sur le drap, la seule chose à laquelle elle pouvait s’accrocher.
— Détends-toi, ma belle. Je vais entrer doucement et te faire jouir à fond.
Cette promesse murmurée décupla son désir. Elle poussa les fesses contre le
pantalon de Brute, dans lequel son érection était toujours prisonnière. Il lui lâcha
un sein, descendit la main le long de son dos jusqu’à la courbure de ses fesses,
puis recula les hanches et baissa son pantalon. La tête épaisse et douce de son
sexe vint caresser l’entrée de son vagin, frotta un instant contre son clitoris, puis
revint appuyer avec insistance à l’endroit fatidique.
Becca gémit en se sentant ainsi écartelée. Brute, quant à lui, poussa un
grognement effrayant qui, dans ces circonstances, ne fit qu’amplifier le plaisir
qu’elle ressentait déjà. C’était un bruit animal qui lui rappelait qu’il n’était pas
tout à fait humain, mais elle l’encouragea en remuant les fesses.
— Si tu savais comme c’est agréable de te toucher, ma belle, murmura-t-il de
sa voix rauque. Ce que tu peux être sexy…
Sur ces mots, il lui mordilla la base du cou.
— Brute, gémit-elle.
— Je suis là.
Tout en lui embrassant le lobe de l’oreille, il s’enfonça un peu plus en elle en
faisant bien attention de ne pas aller trop vite. Ses hanches se balançaient contre
ses fesses en un mouvement lent et régulier qui leur donnait du plaisir à tous les
deux.
— C’est comment ?
— Incroyable.
— Vite ou lentement ? Dis-moi ce que tu préfères.
— Vite, répondit-elle aussitôt.
Il repositionna les deux mains sur ses seins et lui titilla les tétons jusqu’à la
rendre folle. Le corps de Becca était pris de soubresauts et elle gémissait tout en
bougeant les hanches au même rythme que lui. Brute, ronronnant comme un gros
chat, accéléra la cadence et atteignit bientôt un point qui fit pousser un cri
d’extase à sa partenaire.
Becca lâcha le drap, fit glisser ses mains jusqu’aux rebords de la couchette,
s’y agrippa de toutes ses forces et propulsa les fesses en arrière pour lui faire
comprendre qu’elle ne voulait plus qu’il se retienne. Elle voulait qu’il se lâche à
fond.
Brute la mordit à l’épaule à travers le tissu, relativement fort, mais pas assez
pour la faire saigner. Tous deux se figèrent, puis il entrouvrit la mâchoire et la
lâcha avant de reprendre ses coups de reins en augmentant progressivement leur
vitesse.
D’une main, il l’écarta un peu de la couchette contre laquelle il la plaquait,
puis commença à lui caresser le clitoris au rythme de ses hanches.
Becca poussa un gémissement sonore, colla la joue au torse de Brute et sentit
son corps se crisper tandis que l’Hybride jouait de son point sensible avec une
virtuosité diabolique. Jamais elle n’avait rien connu de tel.
— C’est si bon, murmura-t-il. Je peux entrer encore plus loin ?
Elle hocha la tête et Brute s’enfonça davantage en elle, lentement tout
d’abord, pour ne pas lui faire mal. Voyant qu’elle ne protestait pas, il reprit son
rythme soutenu et recommença à lui caresser le clitoris. Becca avait l’impression
d’avoir les nerfs et la chair à vif, mais elle ne voulait pas que Brute s’arrête en si
bon chemin.
Soudain, le monde entier disparut dans une explosion d’extase pure. Brute
lâcha son clitoris mais continua de bouger, de plus en plus fort tandis que ses
muscles vaginaux entraient en convulsion, faisant durer son plaisir jusqu’à ce
qu’elle n’en puisse plus.
— Tu me tues, gémit-elle.
Quelle belle façon de mourir.
— Non, grogna-t-il. Je vais te faire jouir encore.
Il continua à la pilonner sans relâche, éveillant en elle une sensation inconnue,
à la fois douloureuse et irrésistible. Brute reprit son subtil tricotage digital et
Becca se mit à s’agiter dans tous les sens, poussée au-delà des limites du plaisir.
Elle se crispa de nouveau autour de son sexe, les muscles tendus à fond, et
étouffa ses cris dans le drap en jouissant une deuxième fois.
— Oui, grogna Brute.
Son corps tremblait violemment et elle le sentait en elle, brûlant, épais et dur
comme de la pierre. Il rejeta la tête en arrière et s’enfonça une derrière fois au
maximum en poussant un rugissement. Il éjacula avec une telle force que Becca
pouvait sentir chaque giclée de sperme l’emplir, chaque convulsion de plaisir
tandis qu’il collait les hanches à ses fesses. Enfin, il s’écroula sur elle de tout son
poids.
Ce fut Brute qui retrouva ses esprits le premier. Il se souleva pour permettre à
la jeune femme de reprendre son souffle. Il en profita pour lui inonder le cou de
baisers humides.
Becca, les yeux fermés, dégoulinante de sueur, cherchait à se remettre des plus
beaux orgasmes qu’elle avait jamais connus. Leurs corps étaient si parfaitement
imbriqués qu’elle n’aurait pu dire où elle commençait et où Brute se terminait.
Elle se sentait soudée à lui et ses oreilles résonnaient toujours du rugissement
qu’il avait poussé en jouissant. Quant à son corps, il pesait de manière très
rassurante sur elle.
— Becca ?
— Hmm ?
— Je t’ai fait mal ?
Elle sourit et secoua la tête.
— Même pas un peu ?
Elle hésita, puis hocha la tête. En effet, elle ne pouvait nier une certaine
sensibilité à leur point de jonction.
— D’accord, répondit Brute en lui embrassant l’épaule.
Il commença à retirer son pénis, toujours aussi rigide, et Becca tressaillit.
Brute jura dans sa barbe.
— J’aurais dû être plus doux.
— Ce n’est pas ça. J’ai eu deux orgasmes à la suite et tu es d’une taille
impressionnante. Tu ne te vantais pas !
Il se souleva entièrement et recula de quelques centimètres. Becca tourna la
tête et vit qu’il remettait son pantalon. Leurs yeux se croisèrent et il tira aussitôt
sur sa chemise de nuit, remontée jusqu’à la taille, pour que le tissu cache ses
fesses, puis se baissa pour ramasser sa culotte en lambeaux, qu’il lui tendit en
rougissant.
— Désolé. Je l’ai déchirée.
— C’est pas grave.
Elle aurait préféré pouvoir la remettre, mais savait qu’elle n’avait pas perdu au
change. Sa chemise de nuit tombait jusqu’aux genoux et sa pudeur serait donc
sauve.
Brute se servit du tissu déchiré pour la nettoyer, puis le poussa sous un coin de
la couchette. Becca se redressa et s’étira, étourdie par ce qu’elle venait de vivre
et par le manque de nourriture. Brute lui caressa la joue et la regarda dans les
yeux, une expression de grande tendresse sur le visage.
— Je…
La voix de Randy l’interrompit, les faisant sursauter tous les deux.
— Tu lui plais, mon chaton. C’est logique, après tout. Si quelqu’un s’y
connaît en chatte, c’est bien toi.
Horrifiée, Becca tourna la tête et vit qu’il se tenait à côté de la cage, un sourire
narquois sur les lèvres, les bras croisés. Deux autres hommes étaient en retrait et
la regardaient avec une expression qui disait bien qu’ils n’avaient pas manqué
une miette de ce spectacle.
Brute se leva, leur adressa un grognement et saisit Becca par le bras sans
ménagement pour la cacher derrière lui.
— Je vois pourquoi tu l’aimes tant, continua Randy. Elle doit être super
étroite, non ? Je t’avais bien dit qu’il s’était retenu jusque-là, Becca. Même après
huit éjaculations de suite, il avait encore assez d’énergie pour te sauter.
— Ne prononce pas son nom, le menaça Brute. Ne lui parle pas.
— Possessif, hein ? Entre nous, je réagirais de la même manière avec un aussi
joli petit lot. Le docteur est ravi de tes échantillons. Repose-toi bien, parce que,
dans sept heures, elle t’en demandera d’autres.
Becca les entendit s’éloigner. Brute se retourna et elle s’appuya contre lui. Il
la prit dans ses bras et posa le menton sur sa tête.
— Désolé. Je ne les ai pas entendus arriver.
— On était… euh… distraits, répondit-elle, pleine de honte à l’idée que ces
ordures les aient vus. Je ne les ai pas entendus non plus.
— Mais moi j’aurais dû, insista-t-il d’une voix pleine de rage. Je suis vraiment
désolé.
Elle se serra encore plus contre elle.
— Ce n’est pas ta faute.

Oh que si ! pensa Brute. Avec ses sens hyper affûtés, il aurait dû être conscient
de chaque son et de chaque odeur. Il inspira et repéra aussitôt la puanteur de
leurs ravisseurs et le parfum de leur excitation. Il crispa les bras autour de la
jeune femme. Ces humains désiraient sa Becca. Il les suivit du regard en
fronçant les yeux. Même si elle ne s’en rendait pas compte, il savait à quel point
il venait de les mettre tous deux en danger.
Les vrais animaux étaient ces humains. Ils ne feraient aucun mal à Becca tant
qu’elle leur servirait à le contrôler, mais, dès qu’ils n’auraient plus besoin d’elle,
plus rien ne les retiendrait de la violer. Il retint un grognement d’outrage.
Il devait s’échapper avec elle et il était toujours furieux qu’elle ait pu suggérer
de se sacrifier pour lui permettre de se sauver. Elle pensait que les Hybrides
étaient sa priorité, mais elle se trompait. Il frotta le nez contre ses cheveux,
inspira sa douce odeur et la serra fort.
Une fois les trois hommes sortis de la pièce, il tourna la tête vers les cages des
deux Hybrides endormis. Son odorat lui permettait de sentir la présence du
troisième. Il était inquiet pour eux. L’odeur oppressante des drogues expliquait
pourquoi ils étaient si dociles et il savait que, s’il y avait un choix à faire, la
question ne se poserait même pas.
Becca passait avant tout. Il n’hésiterait pas à mettre sa propre vie et celle des
autres Hybrides en danger pour elle et à tuer tous les humains qui la
menaceraient. Il la souleva doucement et vit à quel point elle était pâle. Ses yeux
bleus étaient voilés de larmes et il s’en voulait énormément. Il avait promis de
cacher sa nudité aux yeux de leurs ravisseurs, mais il n’y était pas parvenu. Il
l’avait prise de manière égoïste sans penser aux conséquences.
Jamais elle ne le lui pardonnerait, même si elle avait eu la générosité de
partager les torts. Il connaissait la vérité. Même s’ils sortaient vivants de ce
cauchemar, leur relation serait salie par la laideur de leur captivité. Il l’allongea
sur la couchette et se serra contre elle.
— Dors, conseilla-t-il. Je suis là et je te protégerai.
Autant que je le pourrai. Une honte intense le dévorait. Elle méritait mieux
que lui. Il s’était montré lamentable.
CHAPITRE 9

Tim Oberto ne tenait plus en place.


— Mais qu’est-ce qui prend si longtemps, bon Dieu !?
— On a perdu le signal, répondit Tigre, le chef de la sécurité de l’OPH.
— Comment est-ce que ça a pu arriver ? répondit Tim, qui tournait en rond
comme un lion en cage. Ils ont enlevé ma fille, bordel !
Tigre comprenait ce qu’il ressentait, car il avait passé lui-même des années
dans une cage. Il éprouvait la même inquiétude qu’Oberto. Il n’avait jamais
rencontré Becca, mais il connaissait bien Brute.
— On doit fouiller la zone et ça prend du temps. Vos hommes et les nôtres
sont déployés sur le terrain, expliqua Tigre en prenant une grosse inspiration. La
dernière fois que le signal a été émis, c’était par ici, dans un rayon d’un
kilomètre et demi. C’est une zone industrielle remplie de bâtiments.
Tim se tourna vers lui.
— Vous connaissez ce type, n’est-ce pas ? Ce Brute ? Dites-moi tout ce que
vous savez sur lui. Il est avec ma fille.
— Brute fait partie de notre conseil. Il…
— C’est quoi, ce conseil ?
— Chacun des quatre centres dans lesquels nous étions enfermés a désigné un
Hybride pour les représenter lorsque nous avons élu Justice à notre tête,
expliqua-t-il patiemment. Nous savions qu’il aurait du mal à gérer à la fois nos
problèmes internes et les relations avec le monde extérieur. Un humain a suggéré
que chaque groupe de survivants soit représenté par un porte-parole qui
connaissait leurs soucis et de leurs besoins. Chacun est en contact avec les
Hybrides de son centre et tient Justice au courant de tous leurs problèmes. Brute
a été choisi parce qu’il sait garder la tête froide, mais aussi pour ses talents de
guerrier et pour son intelligence. Il a le sens de l’humour et il est très
raisonnable.
— Il se bat peut-être très bien, mais ça ne lui a pas permis de sauver ma fille,
rétorqua Tim. S’il était aussi doué, jamais ils n’auraient été enlevés.
Tigre prit aussitôt la mouche.
— C’est justement parce qu’il protégeait votre fille qu’il a été pris. Il aurait
facilement pu l’abandonner. C’est un félin. Il pouvait sauter sur le toit depuis la
fenêtre, ou se laisser tomber au sol sans risquer de se blesser. On pense qu’il a
des gênes de panthère noire. J’ai déjà chassé avec lui et je peux vous dire qu’il
est très rapide. Je vous ai déjà dit que leurs agresseurs étaient au moins six. Vous
avez vu le cadavre de vos propres yeux. Il a résisté, mais ils l’ont anesthésié. S’il
n’a pas fui, c’est uniquement pour protéger votre fille, alors ayez la décence de
ne pas l’insulter.
Trey Roberts se racla la gorge.
— Messieurs, calmez-vous, je vous en prie. Ce n’est pas le moment.
Soudain, un homme assis devant son ordinateur poussa un juron et se tourna
vers Tim.
— J’ai de très mauvaises nouvelles.
— Lesquelles ? demanda Oberto, figé.
— Ça n’a pas été facile, mais j’ai réussi à pirater les comptes bancaires du
cadavre. Il recevait des virements réguliers d’une société-écran. J’ai pu remonter
la trace de la vraie source, continua-t-il en regardant Tim dans les yeux. C’est
Mercile Industries qui est derrière tout ça. L’argent vient de l’une de leurs caisses
noires. Tous les virements ont été faits par leurs investisseurs.
Tim crispa le poing et se tourna vers Tigre.
— Pourquoi ont-ils enlevé ma fille au lieu de la tuer, comme mes voisines ?
Pourquoi la garder en vie ?
Tigre observa Oberto, se demandant s’il serait en mesure de résister à la
vérité.
— Vous devriez choisir l’un de vos hommes pour vous remplacer à la tête de
votre détachement. Vous êtes beaucoup trop investi du point de vue émotionnel.
— Non ! hurla Tim.
Trey le saisit par le bras.
— Il a raison. Vous pouvez rester, mais seulement si vous vous mettez en
retrait. Je sais que vous vous rongez les sangs. C’est la vie de Becca qui est en
jeu, Tim. Je comprends ce que vous ressentez, mais il vaut mieux que vous me
laissiez faire.
— Pourquoi ? répliqua son chef avec un juron.
Tigre hésita.
— Mercile Industries a déjà enlevé une humaine qui avait une relation avec un
Hybride. Si je vous dis ce qui leur est arrivé, j’ai peur que votre instinct paternel
prenne le dessus et que vous perdiez la tête.
Tim se détourna et assena un coup de poing dans la carrosserie du van, puis
s’adressa à Trey.
— Prends ma place.
Trey hocha la tête et se tourna vers Tigre.
— Qu’est-ce que vous soupçonnez ?
— Vous êtes proche de sa fille ?
— Oui, mais nous sommes amis, rien de plus. Je sais que je resterai rationnel.
Tiger l’observa attentivement et vit en effet qu’il avait le contrôle total de ses
émotions. Il fit un signe d’assentiment et se tourna vers Oberto.
— Récemment, une humaine a été enlevée par un médecin de Mercile. Elle
est en couple avec un Hybride. Comme Brute vivait chez Rebecca, ils ont pu la
prendre pour sa compagne. Des Hybrides auraient tout de suite senti qu’il n’y
avait rien de sexuel entre eux. Si elle s’est retrouvée dans la chambre de Brute,
c’est uniquement parce qu’il a voulu la mettre en sécurité dans sa salle de bains
pour la protéger au mieux.
— Rebecca n’est pas du genre à coucher avec le premier venu, acquiesça
Trey.
— Et Brute ne toucherait pas à une humaine. Il aime nos femelles et il nous a
toujours dit que les vôtres ne l’intéressaient pas.
— Tigre, expliquez-moi ce qu’ils comptent faire de ma fille, mais aussi
pourquoi c’est la première fois que j’entends parler de cette autre femme. Vous
êtes censés me tenir au courant de ce genre de choses. Il fallait demander que
mon équipe intervienne, protesta-t-il d’une voix tremblante.
— Nous nous en sommes occupés personnellement et nous ne voulions faire
appel à vous qu’en dernier recours. Cette jeune femme, ils l’ont enlevée pour la
forcer à s’accoupler avec des Hybrides qu’ils avaient réussi à soustraire à
Mercile avant que vos forces de l’ordre attaquent leur labo. Ils s’en sont pris à
elle parce qu’elle était déjà en couple avec l’un des nôtres. Le médecin se disait
que, puisqu’elle l’avait déjà fait, elle pourrait résister aux assauts sexuels de
n’importe quel Hybride. Il pensait peut-être que l’odeur de l’un de nos mâles sur
son corps la rendrait irrésistible pour les autres. Je pense qu’ils ont enlevé votre
fille dans le même dessein. Ils veulent l’accoupler à un Hybride pour qu’il la
féconde.
Tim, blanc comme un linge, s’adossa à la paroi en secouant la tête.
— Non.
— Ils ont enfermé cette femme dans la cellule d’un Hybride qui n’avait jamais
connu la liberté, continua froidement Tigre, mais il a refusé de la toucher. Il a
repéré l’odeur de son compagnon et il l’a protégée comme si elle était l’une des
nôtres. Avec un peu de chance, Brute est le seul mâle qu’ils ont, et c’est pour
cela qu’ils l’ont enlevé. Si c’est le cas, Becca n’a probablement rien à craindre.
— Probablement ?
Tigre hésita.
— Ils nous forçaient à nous accoupler avec nos femelles. En cas de refus, ils
les torturaient jusqu’à ce qu’on accepte, ou bien ils nous injectaient des produits
qui annihilaient notre volonté.
Il se tut un instant avant de reprendre, comme s’il choisissait avec soin ses
mots :
— Si cela arrive, votre fille risque de mal y résister, voire d’en mourir. Nos
femelles supportaient très mal ces accouplements forcés. Les mâles drogués
perdent tout contrôle. Et, une fois que tout est terminé, ils ne se souviennent plus
de rien. Ils ne peuvent être tenus responsables de ce qu’ils ont fait. Vous avez
entendu parler de la drogue du violeur ? C’est un peu la même chose, sauf que le
mâle devient agressif et qu’il éprouve des souffrances atroces que seul un
accouplement peut soulager. Cette drogue fait disparaître tout l’humain qui est
en lui.
— Je vais tous les tuer, ces enfoirés, promit Tim, les dents serrées. Donc,
selon vous, ils les ont enlevés tous les deux pour forcer Brute à violer ma fille ?
Tigre hocha la tête.
— Il ne lui fera aucun mal s’ils ne lui injectent pas ce produit et, à moins
qu’ils menacent de la tuer ou de la torturer, il refusera de coucher avec elle. S’ils
n’ont pas découvert son mouchard, il sait que nous faisons tout pour le retrouver.
Il a réussi à cacher sa pièce assez longtemps pour nous permettre d’arriver
jusqu’ici. Il fera tout son possible pour que Becca reste en vie.
Trey jura dans sa barbe.
— Vous le connaissez bien, ce fameux Brute ?
— Oui.
— Si on le force à… euh… la toucher, il ne lui fera aucun mal ?
— J’en suis persuadé, répondit Tigre avec sincérité. Il ne s’intéresse pas aux
humaines. Ce qui m’inquiète le plus, c’est si on lui injecte un produit.
— Et dans ce cas il la tuerait ?
— Je vous ai expliqué l’effet de cette drogue. Il perdrait la tête et ne pourrait
être tenu responsable de ce qui arriverait.
Tigre observa Oberto avant de poursuivre :
— S’il blessait ou tuait votre fille dans ces circonstances, il faudrait considérer
cela comme un accident et ne pas oublier qu’il serait une victime lui aussi. C’est
pour cela que vous devez céder votre place. (Il se tourna ensuite vers Trey.) Si
vous ne pouvez pas garantir que vos hommes ne s’en prendront pas à lui, dites-le
tout de suite. Votre détachement sera mis sur la touche. C’est pour cela que nous
avons insisté pour amener notre propre groupe d’intervention.
Trey avait le visage fermé.
— Drogué, il la violerait, n’est-ce pas ?
— Il ne serait plus lui-même. Le produit lui ferait perdre la tête et subir des
souffrances insupportables. Imaginez que l’on vous injecte une drogue qui vous
rendrait fou au point que vous n’auriez plus aucun souvenir de ce que vous avez
fait. La douleur vous transformerait en animal ne fonctionnant plus qu’à
l’instinct. En revenant à votre état normal, vous seriez horrifié. Vous
comprenez ?
Trey hocha la tête.
— Il ne lui sera fait aucun mal. Je vous en donne ma parole.
— Mais vous n’avez pas peur que vos hommes ne puissent se retenir de le
tuer s’ils découvrent le pire ?
— Je vais leur parler, soupira Trey. Je vous jure qu’on ne le tuera pas, quelles
que soient les circonstances.
— Encore une chose, ajouta Tigre. Vous vous rappelez le laboratoire dans le
Colorado ? Nous avons parlé aux anciens prisonniers. Il semblerait que nous ne
les avons pas tous sauvés. Une vingtaine de mâles et une femelle sont encore
portés manquants et on risque de les trouver là. Il est possible que la fille de Tim
ait été forcée de s’accoupler avec un autre mâle. Vous ne devrez pas non plus
tuer les autres, même si Becca se trouve dans l’une de leurs cellules. Mais je
peux vous assurer une chose : si un Hybride a fait du mal à votre fille sans être
sous l’emprise d’une drogue, je l’abattrai moi-même. Certains d’entre nous ont
été poussés dans la folie et sont malheureusement irrécupérables.
— Compris, dit Trey. J’informe mes hommes que la mission sera peut-être
plus complexe que prévu et que, quelle que soit la situation, c’est vous qui êtes
en charge des Hybrides que nous retrouverons.
Sur ces mots, il s’éloigna pour aller parler à ses équipes, qui étaient en train de
fouiller les bâtiments environnants avec la vingtaine d’Hybrides venus les aider
à chercher le couple disparu.
Tim sortit du van et se mit à en bourrer la carrosserie de coups de poing. Tigre
le laissa faire. Il comprenait ce que le père de Becca ressentait. Oberto finit par
se calmer et l’Hybride put lire tout son chagrin dans ses yeux.
— Brute fera tout son possible pour la protéger.
— C’est ma faute. C’est moi qui l’ai installé chez elle.
— Non. C’est la faute de Mercile Industries, qui a engagé des mercenaires qui
n’ont pas le moindre respect pour la vie humaine. C’est à eux qu’il faut en
vouloir, Tim.
Oberto hocha la tête.
— Il faut qu’on les retrouve.
— Ne vous en faites pas pour ça. Le signal a été perdu dans cette zone. Si ça
prend du temps, c’est uniquement parce que les constructions sont très denses.
Dans quelques heures, nous aurons terminé de fouiller tous les bâtiments. Ils
sont par là, cela ne fait aucun doute. S’ils avaient trouvé le mouchard, ils
l’auraient détruit depuis longtemps.
— Mais vous ne sentez rien ?
— Non. Pour cela, il faudrait que je sois tout près du bâtiment dans lequel ils
sont détenus et que le vent souffle dans la bonne direction. Nos meilleurs
traqueurs sont sur le terrain avec vos hommes. Je suis sûr qu’on les retrouvera.
Je sais que l’attente est insoutenable, mais, au matin, tous les doutes seront levés.
Tenez bon.
— C’est ma faute.
— Je vous ai déjà dit que non.
— J’aurais dû la forcer à s’installer chez moi, dans son ancienne chambre, ou
rentrer après mon dîner. Je…
— Si vous aviez été chez vous, ils vous auraient tué. Ces hommes sont
parvenus à capturer l’un de nos mâles. Ne le prenez pas mal, mais nous sommes
plus forts et plus rapides que vous. S’ils ont réussi à prendre Brute, vous n’auriez
pas eu une seule chance.
— Je veux juste récupérer ma fille en vie, c’est tout, répondit Oberto d’une
voix tremblante.

Un bruit éveilla Brute en sursaut. Aussitôt, il serra Becca contre lui. La jeune
femme dormait à poings fermés, la main sur son bras. Il regarda un instant son
visage, puis renifla l’air ambiant à la recherche de la puanteur caractéristique de
leurs ennemis. Il n’y avait personne dans les parages. Ils ne craignaient rien pour
l’instant.
Becca était magnifique. Jamais il n’aurait cru être un jour aussi attiré par une
humaine. Elle était très différente des Hybrides. Son nez n’était pas aplati, mais
formait une jolie petite bosse au milieu de son visage délicat. Elle semblait si
menue et si fragile entre ses bras. Il avait l’impression que, s’il ne faisait pas
attention, il risquait de la briser en mille morceaux.
Elle remua contre sa cuisse et le corps de Brute réagit aussitôt. Ils étaient tous
deux habillés, mais leur proximité suffisait à le mettre en érection. Il avait envie
de la monter de nouveau. Avec elle, le sexe était différent et merveilleux. Son
corps était si moelleux, si étroit… si mouillé, si torride, si fragile. Il contint un
grognement.
Le souvenir de ses gémissements pendant leurs ébats ne fit qu’amplifier son
désir. Il mourait d’envie de la pénétrer une nouvelle fois, mais elle avait
probablement encore mal. Il aurait dû se montrer plus doux, mais, comme elle ne
s’était pas plainte, il n’avait pu se retenir de s’enfoncer en elle jusqu’à la garde.
Il sentait encore la brûlure de ses ongles sur ses épaules et regarda la morsure
qu’elle avait imprimée sur son torse. Il aurait voulu en garder à tout jamais la
cicatrice. Elle avait des dents plates et émoussées, mais elle avait réussi à les
plonger dans sa chair et à causer une douleur minime, mais inoubliable. C’était
la première fois qu’une femelle le marquait ainsi et il en était heureux.
Il comprenait désormais pourquoi Justice et plusieurs autres mâles
appréciaient tant les compagnes humaines. Elles étaient moins résistantes que les
Hybrides, mais leur douceur et leurs réactions si féminines étaient irrésistibles. Il
se régala de nouveau de son visage, incapable de se retenir. C’était un spectacle
dont il ne se lasserait jamais.
Il caressa ses cheveux châtains, doux comme de la soie, dont quelques mèches
s’enroulèrent autour de ses doigts. Ils ne lui arrivaient qu’aux épaules et étaient
trop courts à son goût. Il aurait voulu les voir plus longs, au moins jusqu’à ses
fesses. Il rêvait de les voir étalés sur son torse lorsqu’elle dormirait sur lui.
Tendrement, il lui frôla la joue du bout des doigts.
Il n’avait aucune raison de rêver à une humaine, et encore moins à la longueur
de ses cheveux. Becca et lui n’avaient aucun avenir en commun, parce qu’ils
étaient en enfer, prisonniers des monstres qui le tourmentaient depuis sa
naissance et qui étaient parvenus à atteindre la seule belle chose de sa vie, la
femme parfaite qu’il tenait serrée contre lui.
Il n’avait plus aucun espoir d’être secouru. Il ne l’avouerait jamais à Becca,
mais il s’était écoulé trop de temps depuis leur capture. Et, même si le miracle de
sa première libération se reproduisait, elle lui échapperait à jamais. Les
souvenirs qu’ils étaient en train de se forger seraient souillés par l’horreur de leur
captivité. Jamais elle ne pourrait le regarder sans repenser à ce cauchemar.
Un nouveau bruit furtif attira son attention. Il tourna la tête et vit que le
prisonnier de la cage voisine s’était levé et le regardait en silence. Brute s’écarta
lentement de Becca, la borda et s’approcha le plus possible de l’Hybride.
— Tu vas bien ? Je m’appelle Brute.
Le mâle inclina la tête, visiblement confus. Brute comprit aussitôt ce qui
l’étonnait.
— Quand j’ai été libéré, c’est le nom que je me suis choisi. (Il s’était fait le
serment de ne plus jamais prononcer son ancien matricule et craignait que le
mâle s’en serve pour s’adresser à lui.) Tu peux parler ? Tu es 919, c’est bien ça ?
— Oui, répondit le mâle d’une voix rauque.
Il regarda Becca et poussa un grognement, une expression de colère sur le
visage. Brute se plaça devant elle pour la lui cacher et agrippa les barreaux.
— Elle n’est pas ton ennemie.
— Ils le sont tous.
— Non, pas tous. Certains humains cherchent à nous aider. Ils nous ont libérés
de notre laboratoire, moi et beaucoup d’autres, expliqua-t-il à voix basse, suivant
l’exemple des deux hommes qui n’avaient pas voulu être entendus par le
docteur. Tu sais depuis combien de temps tu es là ?
— Un bon bout de temps, répondit 919 en haussant les épaules.
Brute comprenait. Il était facile de perdre la notion du temps quand on était
enfermés loin de la lumière du jour. Il regarda l’autre cage, où dormait l’Hybride
qui ne s’était pas éveillé depuis leur arrivée.
— Qui est-ce ?
— 358. Il n’est pas en bonne santé. Il respire encore, mais il s’affaiblit. Ils se
sont servis de lui pendant plusieurs jours d’affilée, en multipliant les injections.
Dans sa folie, il s’est blessé en se jetant contre les murs. Physiquement, il se
remettra, mais, une fois que l’effet des drogues se sera évaporé, j’ai peur qu’il ne
soit plus jamais le même.
— Et l’autre dont je sens l’odeur ?
— 880, répondit 919 avec rage. Je ne le connaissais pas et il y avait une
femelle avec lui.
— Une humaine ? demanda Brute, alarmé.
— Non, répondit le mâle en montrant ses grandes dents et en grognant,
révélant ainsi son ADN canin. Ils l’ont tuée devant lui pour le punir. Ils étaient
déjà là quand on est arrivés. Je n’ai jamais parlé à la femme, ils étaient toujours
enfermés par là, expliqua-t-il en désignant le mur en béton qui leur cachait
l’arrière de la pièce. Je les entendais parler à voix basse. Je crois qu’elle était
malade et il prenait soin d’elle. Lorsque les humains l’ont tuée, il est devenu fou.
Brute, peiné par cette histoire, se demanda s’il s’agissait de quelques-uns des
Hybrides qui avaient disparu du labo du Colorado. Parmi eux, il y avait une
femme. Il ne savait pas exactement combien ils étaient, mais il avait lu les
rapports.
— Il ne parle pas ?
— Pas à moi, mais ils l’ont tuée juste après notre arrivée, grogna 919. Il a
passé des jours à hurler à la mort et à tout démolir dans sa cage. L’odeur du sang
envahissait tout. Ils ont été forcés de l’anesthésier et de soigner ses blessures les
plus graves, et ils continuent de lui donner des calmants. Je crois qu’il a essayé
de se suicider avec les barreaux. Il a perdu la tête. Ce sont des choses qui
arrivent.
Brute le savait mieux que quiconque.
— Il y en avait d’autres ?
— Non, à part vous deux.
— Tu as déjà entendu parler du Colorado ?
— Non.
Soudain, deux hommes entrèrent dans la pièce. 919 grogna, s’éloigna des
barreaux et commença à faire les cent pas. Brute, quant à lui, se rapprocha de
Becca sans les quitter des yeux.
Ils marchèrent en direction de la cage de 919, qui recula le plus possible en
grognant encore plus fort. Les humains éclatèrent de rire et tirèrent leurs armes.
— Qu’est-ce que t’as ? ricana l’un d’entre eux. Ça te plaît pas de te faire sucer
par la machine ? Si on s’occupait autant de ma bite que de la tienne, je me
plaindrais pas !
Son collègue pointa son Taser sur 919.
— Ce sont rien que des animaux, qu’est-ce que tu veux. Il est trop con pour
apprécier les bonnes choses. Dire qu’on n’a même pas le droit de sortir courir la
gueuse… J’aimerais bien tester la machine, ça me changerait de ma main !
Ils tirèrent et 919 s’écroula. Brute grogna et voulut se précipiter sur les
barreaux, mais une main douce lui saisit le bras. Par réflexe, il faillit frapper
Becca, mais il parvint à arrêter sa paume à quelques centimètres de son visage.
La jeune femme le regarda, les yeux écarquillés de terreur, et il poussa un
juron. Il ne s’était pas rendu compte qu’elle s’était réveillée. Il baissa la main et
regarda, impuissant, l’un des hommes tirer une autre fléchette dans le corps de
l’Hybride, qui était déjà presque inconscient. Après quelques convulsions, il
perdit connaissance. Les deux hommes ouvrirent la porte, l’attrapèrent sous les
bras et le tirèrent hors de la cage. Brute ne se détendit qu’une fois la double porte
refermée. Il se retourna alors pour s’excuser auprès de Becca.
— Je suis désolé. Je ne m’y attendais pas.
— Ce n’est rien, répondit-elle en sentant son cœur se calmer petit à petit.
J’aurais dû me méfier. Mon père est militaire et il m’a appris à ne jamais prendre
par surprise une personne entraînée au corps à corps. Le pauvre, compatit-elle en
frissonnant.
— Tu as froid.
Elle sourit, touchée qu’il s’inquiète tant pour elle.
— J’étais très bien jusqu’à ce que tu te lèves. Tu es un vrai radiateur.
— Recouche-toi, lui conseilla-t-il.
Mais, sans l’écouter, elle marcha jusqu’aux barreaux et regarda la porte par
laquelle les hommes avaient emmené leur voisin.
— Il faut vraiment qu’on s’évade, murmura-t-elle. Si mon plan ne te plaît pas,
il faut qu’on en trouve un autre. On doit tous se sauver.
— C’est trop dangereux, Becca.
Elle se retourna vers lui et croisa les bras sur la poitrine.
— C’est rester ici qui est dangereux. Il faut arrêter ces monstres.
Brute se rapprocha d’elle.
— Je suis d’accord avec toi, mais ils te tueront, et ces barreaux sont solides,
dit-il en l’entourant de ses bras pour se serrer contre elle. Je refuse que tu mettes
ta vie en danger.
Becca fronça les sourcils, mais ne dit rien. Il était déterminé à la protéger,
mais elle savait qu’il se faisait des illusions. Des illusions très agréables, cela
dit, ajouta-t-elle en elle-même tout en se noyant dans ses beaux yeux. Elle se
mordit les lèvres, toujours sous le choc de ce qu’ils avaient fait quelques heures
plus tôt, avant qu’elle plonge dans un sommeil réparateur au réveil duquel elle se
disait que sa captivité avait, après tout, de très bons côtés. Cependant, savoir
qu’elle avait tenu la vedette dans une scène porno en direct n’avait rien de très
emballant.
Elle se rappela qu’elle ne devait plus céder à ses pulsions, si fortes soient-
elles. Leur plus grande priorité était leur évasion, puis… Puis quoi ? Reverrait-
elle jamais Brute ? Resterait-il chez elle ou retournerait-il à Homeland ?
L’hypothèse d’une séparation définitive lui était insoutenable. Elle abaissa les
bras et se colla contre lui, posant sa joue contre sa peau brûlante. Elle entendait
son cœur battre dans sa poitrine.
— Je suis gelée, mentit-elle en l’enlaçant.
Brute la serra dans ses bras musclés.
— Je vais te réchauffer.
Becca aurait voulu rester ainsi jusqu’à la fin des temps. La vérité était
indéniable : elle était en train de tomber amoureuse de lui.
CHAPITRE 10

Tigre sentit son téléphone vibrer et le tira de sa poche.


— J’écoute, dit-il avant de sourire en se tournant vers Trey. L’un de mes
hommes a repéré leur odeur dans un entrepôt. Mettons nos troupes en place.
Mon équipe s’est retirée dans l’attente de l’assaut.
Tim se leva d’un bond.
— Allons-y.
Tiger fronça les sourcils.
— Non. Vous restez ici.
Oberto voulut protester, mais Trey le devança.
— C’est mieux comme ça, Tim. Je trouverai Becca et je vous la ramènerai.
Son chef hocha la tête et se laissa retomber sur sa chaise, les poings fermés.
— Je suis prêt à tout accepter tant que vous me la ramenez en vie.
— Je ferai de mon mieux, promit Trey avant de se tourner vers Tiger. En
route.
Les deux hommes descendirent du camion qui servait de poste de
commandement mobile et partirent au pas de course. Tigre remarqua que Trey le
suivait sans aucun mal, ce qui le rassurait sur la qualité des membres du
détachement spécial. Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent devant l’entrepôt
où les attendait le groupe d’assaut, constitué de quinze Hybrides et de vingt
humains qui se préparaient au pire. Tiger prit aussitôt le commandement global.
— Passez devant, dit Trey. Vous êtes plus doués que nous pour la traque. (Il se
tourna ensuite vers ses hommes.) N’oubliez pas : on ne touche pas aux Hybrides
prisonniers, quoi qu’il arrive. C’est bien clair ? Ils ont peut-être été drogués. Si
vous en trouvez un et que vous êtes seuls, neutralisez-le et attendez l’arrivée de
l’équipe de l’OPH.
Tiger s’adressa lui aussi à ses troupes.
— N’oubliez pas qu’on leur a peut-être injecté un aphrodisiaque. Lorsque
vous trouverez Brute, parlez-lui pour vous assurer qu’il a bien toute sa tête. Si ce
n’est pas le cas, anesthésiez-le.
Les deux équipes s’observèrent. La tension était palpable. Généralement, les
deux groupes collaboraient sans mal, mais les circonstances étaient spéciales.
Tous les humains connaissaient personnellement Becca, et Tigre avait peur de
leur réaction s’ils la découvraient blessée ou morte. Dans un accès de colère ou
de chagrin, l’un d’entre eux risquait de tuer Brute ou un autre Hybride.
Il était tenté de ne procéder à l’assaut qu’avec des Hybrides, mais il savait que
cela entraînerait des problèmes à long terme. Les humains avaient juré qu’ils
garderaient leur calme et il fallait qu’il leur fasse confiance malgré ses doutes.
Soudain, il eut une idée.
— Mélangeons nos équipes, suggéra-t-il à Trey.
Ce dernier hocha la tête.
— D’accord, répondit-il avant d’expliquer la situation à ses hommes. On obéit
à l’OPH. Écoutez-moi bien, les gars. Formez des binômes avec un Hybride à qui
vous obéirez.
Les nouveaux groupes se mirent rapidement en place et Tigre désigna les
leaders.
— On encercle le bâtiment et on entre, ordonna-t-il avant de chercher Cuivre
du regard. Tu es bien sûr de les avoir identifiés ?
— Sans aucun doute, répondit Cuivre en vérifiant que son arme de poing était
bien chargée. Je ne suis pas entré de peur d’être repéré, mais Brute est passé par
ici. J’ai aussitôt battu en retraite pour ne pas me faire repérer. Et je n’ai senti
aucune odeur d’explosifs.
— Bon. En route.
Tigre ordonna à l’équipe de Trey de s’occuper de l’entrée tandis que les autres
groupes encerclaient le bâtiment. Une fois à l’intérieur, il inspira profondément
et se tourna vers son collègue humain.
— Ils sont bien passés par là, mais l’odeur est très ténue. S’ils avaient laissé
les portes ouvertes, ou si l’une des vitres était cassée, le vent en aurait effacé
jusqu’à la dernière trace, mais je suis sûr que je sens la présence de Brute et de
votre femelle. (Il inhala plusieurs fois.) Il y a aussi beaucoup d’humains. Je
dirais moins de dix, mais je ne peux pas en être sûr. Et je sens… une autre
humaine. Son odeur est presque imperceptible, mais je pense ne pas me tromper.
L’air est très stagnant dans l’entrepôt.
— La vache ! dit l’un des humains en désignant la porte ouverte du van. Vous
avez vu cette cage ? Et ils ont oublié leur fusil d’assaut. Vu le modèle, on risque
de tomber sur d’anciens marines.
— Il s’agit peut-être d’un labo de reproduction, rappela Tigre à la cantonade.
Attendez-vous au pire. La présence d’au moins deux femelles m’inquiète
beaucoup.
— Putain ! intervint Trey, qui semblait éberlué. Votre copain a une sacrée
pression sur les épaules s’il a deux filles rien que pour lui.
Tigre le fusilla du regard.
— Ce qu’on leur fait subir n’est agréable pour personne.
— Compris. Désolé, s’excusa Trey.
Tigre prit la tête du groupe, suivant les odeurs ténues jusqu’à une arche qui
s’ouvrait sur une cage d’escalier. Il regarda en bas et jura à voix basse, car il
détestait les sous-sols. Il alluma sa lampe torche et scruta les alentours mais ne
vit ni capteur de mouvements ni caméra.
— C’est pour ça qu’on a perdu le signal. Ils sont sous terre et la masse du
bâtiment le brouille. Regardez bien si vous voyez des caméras ou des capteurs,
et, surtout, restez à l’affût de toute odeur d’explosif. Si l’un de mes hommes lève
la main, arrêtez-vous net. Maintenant, silence absolu. On avance très lentement
pour éviter d’être repérés.
Trey se tourna vers ses hommes et vérifia qu’ils avaient bien compris les
ordres. Tigre, lui, ne se donna pas cette peine. Grâce à leur ouïe hypersensible,
les Hybrides avaient parfaitement entendu ses instructions.
Il sortit son arme. Il détestait s’en servir mais, tout bien réfléchi, il préférait le
rôle de chasseur à celui de cible. Il attendit que Trey en ait terminé avec ses
subordonnés pour s’engager dans l’escalier. Il était très tendu et regardait tout
autour de lui en espérant qu’ils ne tomberaient pas sur un spectacle de
cauchemar. Il n’avait aucune envie de récupérer des cadavres, pas plus que de
mourir lui-même.

Becca s’était endormie dans les bras de Brute. Ce dernier était fatigué, mais il
ne voulait pas dormir. Les hommes avaient ramené 919 dans sa cellule et
l’Hybride tournait en rond comme un enragé. Vu l’odeur qui émanait de lui, ils
avaient forcé la dose.
Mais d’autres soucis tenaient Brute éveillé. Et s’il l’avait mise enceinte ? Il
n’osait pas lui demander si elle prenait un moyen de contraception, car la fertilité
des Hybrides était un sujet top secret. Cela dit, il n’avait pas vraiment peur. Le
sperme hybride avait une durée de vie beaucoup plus courte que celui des
humains. Il baissa les yeux jusqu’au ventre de la jeune femme, sur lequel il
posait la main.
Elle lui en voudrait à mort. Mais, le pire, c’était qu’elle était en chaleur depuis
quelques heures. Il se dégageait d’elle une odeur caractéristique apparue après
leur rapport sexuel. Il se jura de ne plus la toucher. C’était un risque qu’il ne
pouvait pas prendre.
Une humaine proche de la trentaine prenait forcément la pilule. C’était ce
qu’il avait cru comprendre de ses nombreuses lectures. Les jeunes humaines
étaient prévoyantes et prenaient soin d’elles, avait-il appris. Mais, même s’il
rêvait de la prendre une nouvelle fois et d’enfoncer son sexe dans son corps
chaud et accueillant, il résisterait.
Cette simple pensée lui donnait une érection. Il serra les dents et se força à
respirer par la bouche pour ne pas sentir son odeur tentatrice. Les Hybrides
étaient toujours très affectés par une femelle en chaleur, mais il avait entendu
dire qu’en être conscient résolvait la moitié du problème et s’accrochait de son
mieux à cette croyance.
919 poussa un étrange gémissement et Brute se tourna vers lui. Le prisonnier
était en train d’essayer de creuser le sol de sa cellule avec les mains. De toute
évidence, il avait perdu la tête. Brute voulut lui parler, mais il savait que cela
n’aurait aucun effet. La souffrance de son congénère lui arrachait le cœur.
919 hurla à la mort et Becca s’éveilla en sursaut. Brute la serra contre lui et la
regarda dans les yeux.
— Ils l’ont ramené. Il fait une overdose.
Becca leva la tête et se pencha pour regarder l’autre cage. Lorsqu’elle reporta
les yeux sur Brute, il vit qu’elle pleurait.
— Il va s’écorcher les mains.
— Je sais, mais, tant qu’il sera sous l’emprise du produit, il ne m’écoutera pas.
— Ce sont vraiment des ordures.
Brute ne pouvait qu’acquiescer.
— Dors.
— Je ne peux pas.
Becca posa la main sur son torse et se retourna sur l’étroite couchette en se
frottant contre lui par inadvertance. Aussitôt, son corps réagit, notamment au
niveau de son entrejambe. Il serra les dents en la voyant se pelotonner contre lui
et glisser sa cuisse entre ses jambes pour s’installer plus confortablement.
— Je donnerais tout pour pouvoir m’évader, soupira-t-elle.
— Moi aussi.
— Si tu étais dehors, tu commencerais par quoi ?
Brute hésita. Son premier choix aurait été de l’emmener chez lui et de lui faire
l’amour jusqu’à ce qu’ils soient trop épuisés pour se lever, mais il ne pouvait le
lui avouer.
— Je me préparerais un bon repas.
— Moi, je prendrais un bain, répondit-elle en souriant.
Brute l’imagina aussitôt nue dans sa baignoire et son désir se fit si puissant
qu’il la lâcha aussitôt et se leva. Becca, surprise, le regarda s’éloigner.
— Un bain, ce serait aussi très bien, balbutia-t-il en faisant tout pour ne pas la
regarder.
Becca s’installa plus confortablement, faisant craquer la couchette, et Brute
inspira son parfum. Son sexe palpitait face à cette odeur de femelle en chaleur et
il s’agrippa aux barreaux pour ne pas se jeter sur elle. Malheureusement pour lui,
elle se leva et vint se placer à son côté pour regarder 919.
— Il va rester longtemps dans cet état ? La dernière fois, il a dormi pendant
des heures.
— Ils ont forcé la dose. J’imagine que son corps commence à résister au
produit.
— Ils auraient pu le tuer.
Brute ne répondit rien, mais savait que ce qu’elle disait était vrai. Becca lui
caressa le biceps du bout des doigts, mais il sursauta et grogna malgré lui. Becca
eut un mouvement de recul.
— Ne me touche pas pour l’instant. Je suis trop agité.
L’air peiné de la jeune femme lui déchira aussitôt le cœur. Il ouvrit la bouche
pour lui expliquer les raisons de son attitude, mais ne savait pas comment lui
dire qu’il avait beaucoup de mal à se retenir de la plaquer contre la couchette
pour la monter de nouveau. Elle est en chaleur et les hommes risquent de revenir
pour regarder, se rappela-t-il. Becca le déconcentrait trop pour qu’il garde les
sens en alerte.
— Becca, je…
Mais un bruit presque inaudible l’interrompit et il se retourna, tous les sens en
éveil. C’était un petit couinement qui venait de l’autre côté des portes et qu’il
n’avait encore jamais entendu. Il leva les yeux vers les bouches d’aération
situées le long des murs. Voyant les toiles d’araignées voleter, il se dit que c’était
la ventilation, puis inspira à fond et se figea.
— On a de la compagnie, murmura-t-il.
Becca se crispa, pensant qu’il s’agissait de leurs ravisseurs qui venaient les
chercher pour d’autres échantillons de sperme. Elle se demanda pourquoi il avait
réagi aussi violemment lorsqu’elle l’avait touché. Elle avait toujours du mal à le
déchiffrer et elle espérait que son humeur n’empirerait pas lorsqu’il serait
immobilisé sur le lit. Elle aurait du mal à l’exciter s’il ne voulait pas qu’elle le
touche.
Commençait-il à la détester parce qu’elle était humaine ? Cette éventualité
emplissait la jeune femme de chagrin. Mais, en un sens, c’était compréhensible :
les gardes et le docteur Elsa n’étaient pas ce que l’humanité avait de plus beau à
offrir. Et s’il lui en voulait il hésiterait peut-être à suivre le plan d’évasion qu’elle
lui avait suggéré. Peut-être survivrait-elle. Les gardes lui tireraient dessus à coup
sûr, mais ses blessures ne seraient pas forcément fatales.
Brute la regarda en souriant, ce qui ne manqua pas de la surprendre, et inspira
de nouveau.
— Je crois que ton copain revient avec l’intention de te refaire une proposition
salace.
Il fallut quelques secondes à Becca pour saisir cette allusion mais, lorsqu’elle
comprit enfin, elle vacilla sur ses jambes. Brute venait de capter l’odeur de Trey
Roberts, qu’il avait déjà sentie chez elle. Elle se mit à pleurer de soulagement.
L’équipe de son père était là.
Sans attendre, Brute la souleva et se précipita vers la couchette. Il en cassa un
pied puis la contourna, et il s’allongea dessous en la plaquant contre le béton
froid.
— Ne bouge pas, lui ordonna-t-il. Il risque d’y avoir des coups de feu.
Il se servait de la couchette et de son corps pour la protéger des balles.
— Je n’arrive pas à croire qu’ils nous aient trouvés, souffla-t-elle, le cœur
battant.
— C’est pourtant vrai, lui murmura-t-il à l’oreille. Je perçois leur odeur par
les bouches de ventilation. Ils devraient arriver par l’autre bout de la pièce. Reste
couchée. Outre ton ami, il y a aussi d’autres humains et plusieurs Hybrides. Ils
sont nombreux.
Il se redressa un peu et regarda les portes. Elle aurait souhaité voir elle aussi,
mais son corps massif l’immobilisait.
— Tu vois quelque chose ?
— Pas encore, mais l’odeur est plus forte.
Les secondes s’écoulèrent, interminables. Soudain, elle entendit un gros
craquement métallique. Les portes venaient d’exploser.
— Ils sont derrière les portes sur votre gauche, cria Brute pour les guider. Il y
a une femme et plusieurs mâles. Ils ont des armes à feu, des Taser et des pistolets
à fléchettes.
Il se redressa si vite que Becca ne put le suivre. Elle s’assit et vit plusieurs
hommes se répartir dans la pièce. L’Hybride qui semblait diriger l’opération lui
sourit et se précipita dans la direction indiquée par Brute. Jamais elle n’avait été
aussi heureuse de voir Trey, qui se détacha du groupe et courut vers la cage,
rayonnant.
— Ouvre la porte, lui ordonna Brute.
Trey étudia les chaînes et le verrou.
— Recule.
Brute obéit et Trey tira deux balles qui firent exploser la chaîne. Brute ouvrit
aussitôt la porte et se lança à la suite des autres Hybrides.
— Ils ont les choses en main ! cria Trey à son intention tout en entrant dans la
cage.
Becca se leva et se dirigea vers lui. Trey rangea son arme et la serra contre lui
en lui embrassant le crâne.
— Ton paternel va te sonner les cloches, plaisanta-t-il. Il est mort
d’inquiétude. Tu vas bien, ma belle ?
Il recula d’un pas pour l’examiner et passa un doigt sur sa joue. Becca, qui
avait oublié le coup qu’elle avait reçu, tressaillit, et un éclair de colère passa
dans les yeux de Trey.
— J’en déduis que j’ai un bleu ? demanda-t-elle.
— Quel est le fils de pute qui t’a fait ça ? l’interrogea Trey avant de tourner
subitement la tête.
Brute se trouvait en dehors de la cage et les regardait. Becca saisit Trey par le
revers de sa chemise pour qu’il reporte son attention sur elle.
— Un garde. Brute ne m’aurait jamais fait le moindre mal.
Trey la reprit dans ses bras, la souleva du sol et la serra jusqu’à l’étouffer.
— Tu n’as rien ? Dis-moi la vérité.
— Repose-moi ! exigea-t-elle en remuant, consciente que sa chemise de nuit
était en train de remonter dangereusement et qu’elle n’avait plus de culotte. Je
vais bien, à part le fait que tu essaies de me briser les côtes.
Il la reposa en riant.
— Tu ne peux pas savoir comme je suis heureux de te revoir en vie. On était
tous très inquiets.
— Fiche-lui la paix, grogna une voix grave et virile. Plusieurs Hybrides sont
blessés. Ce n’est pas le moment de flirter.
La colère avec laquelle il disait cela laissa Becca sans voix. Trey la lâcha et se
retourna.
— C’est toi, Brute ?
— Oui, répondit l’Hybride en gonflant le torse pour inspirer à pleins poumons
avant de tendre la main. Je veux une arme.
Trey se dirigea vers lui et leva la tête pour le regarder dans les yeux, car il
mesurait dix bons centimètres de moins que lui.
— Ne le prends pas mal, mais c’est impossible. Tu te sens comment ? Tu as
reçu des injections ?
— Non.
Des coups de feu retentirent et Trey se précipita sur Becca pour la plaquer au
sol. Le souffle coupé par le choc, Becca sentit son poids s’écraser sur elle, mais
au même instant elle entendit Brute rugir. Il souleva Trey, le repoussa au loin et
s’agenouilla à côté d’elle en montrant les dents, prêt à attaquer son ami. Sans
prêter attention à la grosse bosse qui commençait à se former à l’arrière de son
crâne, Becca se releva rapidement pour se placer entre eux.
— Mais t’es malade ou quoi ? cria-t-elle, furieuse.
Brute soutint un instant son regard, poussa un grognement sourd et se releva.
— Ne la touche pas, dit-il à Trey.
Ce dernier semblait interloqué. Becca ne savait pas vraiment pourquoi Brute
l’avait attaqué. Les coups de feu s’étaient calmés. Une autre équipe entra dans la
pièce et se divisa en deux groupes. Le premier s’engouffra dans le couloir
menant au laboratoire tandis que le deuxième s’approchait d’eux.
Brute parla à voix basse aux Hybrides. Becca sortit de la cage et Trey lui
emboîta le pas, comme s’il refusait de la quitter d’une semelle. Elle regarda 919,
recroquevillé dans un coin de sa cage, visiblement effrayé par ces inconnus. La
compassion envahit le cœur de la jeune femme. La drogue lui faisait perdre la
tête et il devait penser que tous ces gens venaient s’en reprendre à lui.
Elle se dirigea vers le fond de la salle, là où se trouvait l’autre Hybride, dont
personne ne semblait soupçonner la présence. Elle fit le tour de la paroi de
séparation et tomba sur un spectacle qui lui fit monter les larmes aux yeux.
Le prisonnier était attaché à un lit médical, perfusé et relié à plusieurs
machines, les cheveux sales et emmêlés. Becca saisit les barreaux de sa cage,
mais l’homme ne réagit pas. Un électrocardiographe montrait que les battements
de son cœur étaient réguliers.
— Bon Dieu ! murmura Trey, qui venait d’arriver.
— Ouvre la porte.
Il hésita.
— Non. J’appelle l’équipe médicale.
— Ouvre la porte, insista-t-elle. Il ne bouge pas et son cœur bat très
lentement. Il est dans le coma.
— Mais si on le réveille il risque d’être dangereux. Je suis désolé, mais je
n’ouvrirai pas la porte tant que je ne serai pas sûr qu’il ne présente aucun danger.
Becca se tourna vers lui.
— Appelle de l’aide.
Trey hocha la tête et sortit sa radio, mais se rendit rapidement compte que le
signal ne passait pas.
— Viens. Je vais envoyer quelqu’un à la surface pour les prévenir qu’on a
besoin d’infirmiers.
Becca, qui ne voulait pas laisser le prisonnier seul, proposa de rester. Trey
protesta, mais elle lui rétorqua que personne ne pouvait plus lui faire de mal et
que l’Hybride était enfermé et attaché. Trey s’éloigna et elle reporta son
attention sur le pauvre mâle.
Quand elle voyait dans quel état il se retrouvait, Becca avait presque honte de
faire partie de la race humaine. Son cœur battait, mais elle n’était pas sûre qu’il
survive. Il était grand et bien bâti, mais aussi très pâle et très maigre.
Très vite, Trey revint avec des infirmiers et ouvrit la porte. Les hommes
l’examinèrent rapidement et conclurent que la condition de l’Hybride était
critique et nécessitait un transport d’urgence en hélicoptère. Déprimée par cette
nouvelle, Becca eut envie de retrouver Brute. Elle commençait à s’éloigner
lorsque Trey lui attrapa la main.
— On a neutralisé tout le monde, le bâtiment est sécurisé. Ils vont emmener
les Hybrides à Homeland. Tu veux qu’on t’examine ?
— Ça ira.
— Ton père attend dehors. Tu devrais vraiment aller le voir. Il ne tient pas en
place.
— J’ai juste un mot à dire à Brute, et ensuite j’y vais.
— Ne traîne pas. Ton père est presque bon pour la camisole de force.
Becca retourna de l’autre côté de la pièce et vit que deux Hybrides étaient en
train d’ouvrir la cage de 919. Ce dernier était toujours recroquevillé dans son
coin et grognait en direction de ses sauveteurs. Les membres humains du groupe
restaient prudemment en retrait. Becca vint se placer à côté de Brute.
— Tu crois qu’il se remettra ? demanda-t-elle en évitant de le toucher pour ne
pas le faire sursauter.
— Je l’espère. C’est son état mental qui m’inquiète, répondit-il en se tournant
vers elle. Becca, je…
Un rugissement l’interrompit. Becca tourna la tête et vit 919 repousser l’un
des Hybrides au loin avant d’assener un violent coup de poing à son collègue. Il
se précipita hors de sa cage, le visage déformé par la rage et les yeux rivés sur
elle.
— Non ! cria Brute en se plaçant sur son chemin.
Becca tenta de se sauver, mais il était trop tard. 919, rendu fou par la drogue,
frappa Brute au visage. Ce dernier tituba et 919 en profita pour se jeter sur elle.
Becca voulut crier, mais il la saisit à la gorge pour l’étrangler tout en lui faisant
une violente clé de bras de l’autre main.
Brute leur sauta dessus avec un rugissement enragé. Ils s’écroulèrent par terre
et 919 poussa un cri de douleur, puis lâcha Becca. Elle tenta de s’éloigner mais
elle avait les jambes coincées dans la mêlée.
Trey, blanc comme un linge, lui saisit le bras et tira de toutes ses forces pour la
dégager avant de la traîner sur le sol sur trois bons mètres tandis qu’elle regardait
Brute se battre avec 919. La lutte était violente et tous deux poussaient des cris
terrifiants.
— Éloignez Becca ! hurla Brute. Il ne sait plus ce qu’il fait !
Trey poussa un juron, la souleva et partit en courant. Becca se retourna de son
mieux dans ses bras et vit que le combat continuait sans que personne ne vienne
en aide à Brute. Elle voulut crier pour supplier qu’on les sépare, mais Trey était
déjà en train de gravir les marches.
— Repose-moi.
Sans l’écouter, il continua de courir, pantelant, et ne ralentit qu’une fois au-
dessus, au grand soulagement de Becca, qui trouvait ce moyen de transport fort
peu confortable.
— Rebecca !
Cette voix était reconnaissable entre mille. Elle scruta du regard l’entrepôt
rempli d’infirmiers, de soldats humains et d’Hybrides. Trey s’arrêta et la posa
par terre.
Son père se précipita sur elle et manqua de la renverser avant de la serrer dans
ses bras.
— Mon bébé, sanglota-t-il. Dieu merci, tu es en vie. Tu n’as rien ?
— Ça va aller, répondit-elle sans essayer de retenir ses larmes.
— Un médecin, vite ! hurla-t-il si fort que Becca fit la grimace.
— Je vais bien.
— Lâchez-la pour que je puisse l’examiner, dit un homme en s’approchant.
Son père obéit et elle vit qu’il s’agissait de Bucky, l’un des membres de son
équipe, qu’elle connaissait bien et qu’elle était heureuse de retrouver. Bucky lui
saisit le menton et inspecta son visage.
— On va l’emmener.
— Je n’ai rien, dit-elle en reculant d’un pas.
Il la regarda de la tête aux pieds, attentif aux moindres détails.
— Vous êtes sûre ?
Elle regarda son père et sourit.
— Je vais bien, je t’assure, papa. Quelques égratignures, mais je m’en
remettrai.
Son épaule et sa tête la lançaient atrocement, mais elle ne voulait pas l’affoler
pour si peu.
— Merde ! s’exclama Bucky en lui touchant l’arrière du crâne. Vous saignez.
Becca se figea.
— Aïe ! cria-t-elle en sentant sa main passer sur un point sensible.
Un Hybride s’approcha de son père.
— Nos hélicos vont arriver. On va emmener votre fille à Homeland. Nos
médecins sont déjà en alerte.
Oberto fit « non » de la tête.
— Je préfère l’emmener à l’hôpital, Cuivre.
Son interlocuteur fronça les sourcils et jeta un œil à Becca.
— Cela mettrait les autorités humaines au courant. Nous préférons que cette
affaire reste entre nous.
— Je n’en ai rien à foutre ! explosa son père.
— Ils réclameront qu’on leur livre tous ceux qu’on a arrêtés aujourd’hui,
insista Cuivre. Vous voulez vraiment qu’ils passent par un procès dans vos
tribunaux ? Votre justice est toujours très clémente dans ce genre de cas. Votre
fille sera appelée à témoigner et nous devrons expliquer pourquoi nous avons
jugé bon d’investir l’entrepôt sans les consulter.
L’idée que les monstres responsables de ce cauchemar puissent s’en sortir
avec une peine légère après avoir multiplié les appels mettait Becca hors de ses
gonds. Elle se tourna vers le grand Hybride jusqu’à ce qu’il croise son regard.
— Vos lois sont plus sévères ?
— Ils travaillaient autrefois pour Mercile et ils ont torturé des Hybrides. Ils le
paieront.
Cette réponse la satisfaisait.
— Je vous accompagne.
— Non, intervint Tim en lui prenant le bras. Je te conduis à l’hôpital.
Becca posa les doigts sur sa main.
— Je ne veux pas qu’ils échappent à la justice. Dès que je serai à Homeland,
je me ferai examiner. Laisse-les gérer cette affaire, papa. D’accord ?
Un hélicoptère atterrit dans une rue toute proche. Becca tira sur les doigts de
son père pour le forcer à la lâcher.
— Tout ira bien.
Oberto ouvrit la bouche, mais Cuivre leva la main.
— Je l’escorterai et veillerai moi-même à sa sécurité. Vous n’aurez rien à
craindre, mademoiselle Oberto.
— Je viens avec vous, déclara Tim.
Cuivre prit la main de Becca.
— Vous ne préférez pas assurer le transfert des prisonniers à Homeland ?
Votre fille sera déjà sur place quand vous arriverez.
Becca pouvait lire l’indécision sur le visage de son père.
— Bonne idée, papa. Comme ça, tu veilleras à ce qu’ils soient bien tous
enfermés.
— Je serai là-bas dans quatre heures.
— Je t’attendrai.
Cuivre la guida hors de l’entrepôt. Il faisait beau dehors et Becca était éblouie
par la lumière du jour après sa captivité souterraine. Ils arrivèrent à l’hélicoptère,
dont les pales tournantes firent voler ses cheveux.
— Tout ira bien ! cria Cuivre pour se faire entendre.
Il l’aida à boucler sa ceinture, puis s’installa à côté d’elle. Deux hommes
firent monter l’Hybride blessé qu’elle avait vu attaché aux machines. Il était
toujours inconscient. L’un des infirmiers lui était inconnu. Il n’avait été engagé
que récemment dans l’équipe de son père et elle ne connaissait pas encore son
nom. Elle chercha Brute du regard, mais il n’était pas dans les parages et
l’appareil décolla sans lui.
Où est-il ? Elle espérait qu’il allait bien. S’il avait été blessé, il serait parti
pour Homeland avec eux. Le vacarme de la turbine l’empêchait de poser la
question à Cuivre. Elle allait devoir attendre qu’ils arrivent.
Cuivre déplia une couverture et la lui tendit. Becca le remercia d’un sourire,
s’enroula dedans et se détendit. Ils étaient sauvés. Elle enfouit le visage dans la
couverture et fondit en larmes. Le cauchemar était terminé.
CHAPITRE 11

Becca trouva le trajet bien long, mais l’hélicoptère atterrit enfin. Jamais elle
n’avait visité Homeland, mais son père lui avait dit que c’était un endroit
agréable. Les portes s’ouvrirent et on fit d’abord sortir le blessé. Deux femmes,
grandes et imposantes, attendaient à proximité.
Elles mesuraient au moins un mètre quatre-vingts et leurs pommettes
saillantes montraient qu’il s’agissait d’Hybrides. La première avait des yeux de
chat semblables à ceux de Brute et une chevelure remarquable, faite d’un
mélange de six couleurs. Elles portaient l’une comme l’autre un uniforme noir
aux armes de l’OPH et lui sourirent timidement.
— Tout va bien, la rassura Cuivre. (Il se leva en prenant soin de garder la tête
baissée pour ne pas se cogner au plafond et l’aida à déboucler sa ceinture.)
Je vous présente Rouille et Soleil.
Il sortit de l’hélico et la souleva pour l’aider à descendre. Les deux femmes
souriaient toujours. La rousse avait les yeux d’une teinte jaune, jolis, mais
déroutants.
— Je m’appelle Rouille, dit-elle. Soleil n’est pas très bavarde. Bienvenue à
Homeland. Vous y serez en sécurité, promis.
La femme aux cheveux multicolores hocha la tête sans un mot et les deux
Hybrides l’emmenèrent jusqu’à une Jeep. Becca, toujours emmitouflée dans sa
couverture, s’installa à la place avant à côté de Rouille. Cuivre resta avec le
blessé, que l’on était en train d’installer dans une ambulance. La Jeep démarra et
Becca fit de son mieux pour ne pas fixer les yeux sur tous les Hybrides qu’elles
croisaient.
— On vous emmène au centre médical. Nous avons d’excellents médecins,
l’informa Rouille.
— Je m’appelle Becca. Je suis la fille de Tim Oberto.
— Oui, je sais. Tigre nous a expliqué la situation et nous a dit que vous
arriviez.
Soleil, depuis la banquette arrière, ouvrit enfin la bouche.
— Nous savons ce que c’est que de se retrouver à la merci de monstres. Nous
l’avons vécu. Sachez que vous n’êtes pas seule.
Becca se retourna et lui adressa un grand sourire.
— Merci. Ça n’a pas été si terrible. Brute était avec moi.
Rouille se gara bientôt devant le centre médical, un bâtiment de plain-pied aux
immenses vitres teintées. Les trois femmes arrivèrent à la réception, composée
d’une salle d’attente et d’un bureau, séparés par un comptoir. Des couloirs
menaient à différentes pièces. Un homme en blouse blanche les attendait à la
porte.
— Je suis Paul, l’infirmier. Trisha vous attend. C’est l’un des médecins qui
travaille ici. Le docteur Treadmont va prendre en charge le blessé, annonça-t-il
avant d’hésiter un instant. Vos gardes du corps ne vous quitteront pas,
mademoiselle Oberto. C’est la procédure standard : à aucun moment je n’ai le
droit de rester seul avec vous. Je suis un mâle redoutable, que voulez-vous,
conclut-il en souriant.
Rouille ricana.
— Tu prends tes fantasmes pour des réalités. Je sais bien que tu ne lui ferais
aucun mal, mais nous avons reçu l’ordre de l’accompagner partout où elle va
pour la soutenir.
— Euh… vous pouvez m’appeler Becca, au fait, hasarda la jeune femme.
Une petite blonde d’environ trente ans, elle aussi en blouse, arriva dans le hall
et sourit à Becca.
— Bonjour, mademoiselle Oberto. Je m’appelle Trisha et je vais vous
examiner. Par ici, s’il vous plaît.
— Appelez-moi Becca, répéta-t-elle.
— Très bien. Suivez-moi, Becca.
Trisha la mena dans une pièce qui ressemblait à n’importe quel bureau de
médecin. Elle referma la porte et l’invita à s’asseoir sur la table d’examen.
Rouille et Soleil attendaient dans le couloir.
— Où avez-vous mal ? demanda Trisha, qui ne souriait plus.
— Inutile de m’examiner, répondit Becca. J’ai quelques bleus et une
égratignure à l’arrière du crâne.
Trisha enfila des gants, lui inclina la tête et localisa le point en question.
— Ce n’est pas trop grave. Vous avez des étourdissements ? Vous voyez
double ? Montrez-moi votre joue. J’ai parlé à Brute pendant que vous arriviez. Il
m’a dit que vous aviez fait quelques chutes et que vous aviez reçu un coup au
visage.
— Il va bien ?
— Oui. Il est resté là-bas pour répondre à quelques questions, mais il sera de
retour dès ce soir. Regardez bien, dit-elle en levant la main. Combien de doigts ?
— Deux. Je n’ai ni commotion cérébrale, ni étourdissements, ni troubles de la
vision. Entre nous, je n’ai accepté de venir ici que pour échapper à mon père. Il
tenait absolument à m’emmener à l’hôpital, mais les Hybrides lui ont dit qu’ils
préféraient régler la situation entre eux, sans faire intervenir la police. Je vous
remercie de votre sollicitude, mais je ne me sens pas plus mal qu’après une
grosse séance de sport. Je vais très bien, je vous assure.
— On m’a dit qu’on vous a injecté un produit. Vous savez de quoi il s’agit ?
Le docteur l’a dit, peut-être ? Brute a remarqué une trace de piqûre sur votre
bras.
— Elle m’a pris des échantillons de sang et de la salive, répondit Becca,
surprise. J’ai aussi reçu une piqûre, en effet, mais on ne m’a pas dit ce qu’il y
avait dans la seringue.
— Je déteste ce genre d’apprentis sorciers, maugréa Trisha.
Elle lui examina les bras, souleva sa chemise de nuit pour regarder ses
genoux, puis la plante de ses pieds. Elle se redressa et regarda Becca dans les
yeux.
— Vous voulez parler à quelqu’un après ce que vous avez vécu ? On peut faire
venir un psy.
— Très honnêtement, j’ai juste envie d’une douche, d’un bon repas et de
retrouver mon lit. C’est ce qui me ferait le plus plaisir.
Trisha ôta ses gants et hocha la tête.
— Je comprends. Je vais vous prescrire des cachets pour prévenir tout risque
d’infection. Je ne sais pas si les seringues étaient stérilisées ou pas, mais je
préfère ne pas courir de risque. Vous avez des allergies ? Vous êtes sous
traitement actuellement ?
— Non, ni allergie ni traitement. Je ne me drogue pas et je ne bois que très
rarement.
— Très bien. Euh…, hésita Trisha, Brute m’a parlé, comme je vous l’ai dit.
Tout ce que vous me direz restera entre nous. Vous êtes sûre que vous n’êtes pas
blessée ? Il m’a dit que vous aviez fait l’amour et il a peur de s’être montré trop
brutal. Vous ne voulez pas que l’on procède à un examen du bassin, juste par
précaution ? Les mâles hybrides n’ont aucune maladie vénérienne et je peux
vous assurer que Brute est parfaitement sain.
Becca rougit.
— Ça va. Il ne m’a pas fait mal et j’aimerais que cette histoire ne s’ébruite
pas. Dites-lui que je suis saine moi aussi. Je fais des check-up réguliers et ça ne
fait aucun doute.
Elle s’abstint de préciser que sa vie sexuelle était inexistante et qu’elle ne
courait aucun risque d’attraper la moindre maladie sexuellement transmissible.
Trisha fronça les sourcils.
— Seuls Brute, vous et moi sommes au courant, a priori.
— C’est surtout mon père qui m’inquiète. Vous le connaissez ?
— Tim ? Oui.
— Il en ferait une attaque.
— Je vois, commenta Trisha en se détendant.
— Il est hyperprotecteur et, s’il apprenait ce qui s’est passé entre Brute et moi
dans cette cage, il péterait un câble. Brute vient à peine d’intégrer son équipe, et
mon père refuse catégoriquement qu’il y ait quoi que ce soit entre ses hommes et
moi. (Elle soupira.) Il… le prendrait très mal. Il me traite comme une petite fille
et, vu qu’ils sont censés travailler ensemble, il rendrait la vie impossible à Brute.
Trisha sourit.
— Je comprends. Il a l’air très raide, en effet.
— Ce n’est rien de le dire, répondit Becca en se relevant. Quand il est en
colère, il se transforme en véritable tyran.
Rouille ouvrit alors la porte.
— Je vous ai entendues sans le vouloir. Tu veux que je l’emmène prendre une
douche et que Soleil lui trouve des vêtements propres ? J’ai déjà commandé un
repas à la cafétéria. Il arrivera dans un quart d’heure. (Elle regarda Becca droit
dans les yeux.) J’étais la seule dans le couloir à pouvoir entendre ce que vous
avez dit et je vous jure que je ne le répéterai à personne. J’ai déjà rencontré votre
père et, si j’étais à votre place, je n’aurais pas très envie qu’il sache moi non
plus. Il passe déjà toutes ses réunions à hurler sur ses hommes.
Trisha éclata de rire.
— Bienvenue dans ma vie ! Leur ouïe est quatre fois plus fine que la nôtre, et
c’est encore pire avec les mâles. Si vous voulez avoir une conversation privée à
Homeland, je vous conseille de murmurer ou d’ouvrir les robinets à fond !
— Désolée, doc, s’excusa Rouille en souriant. Je ne fais pas exprès.
— Oui, je sais. Emmène-la prendre une douche au bout du couloir. Je dois
examiner les mâles qui vont arriver. (Elle se tourna vers Trisha et lui frôla le
bras.) Je suis heureuse que vous n’ayez rien de grave. Si vous ne vous sentez pas
bien, n’oubliez pas que l’offre de voir un psy tient toujours. Appelez Homeland
et demandez à me parler. Votre père ne sera pas mis au courant. Nous travaillons
avec d’excellents thérapeutes. Paul vous apportera vos cachets, avalez-les avec
un verre d’eau.
— Merci, répondit sincèrement Becca. Mais je vais bien, je vous assure.
Elle aurait tant voulu parler à Brute, mais elle savait qu’il n’était pas là. Il
faisait encore jour et elle n’avait aucune idée de l’heure, mais elle se doutait qu’il
n’arriverait pas avant longtemps. Elle allait donc prendre une douche et un bon
repas, puis faire la sieste en attendant qu’il vienne la retrouver.

Abruti de fatigue, Brute attendait à la réception du centre médical que Tigre


ait fait le tour de tous ses hommes. Il le vit débouler d’un couloir, une canette de
soda à la main.
— Je me suis dit que ça te ferait plaisir.
Brute l’ouvrit et en avala la moitié en une seule gorgée.
— Merci, dit-il en regardant autour d’eux pour s’assurer qu’ils étaient bien
seuls. Où est Becca ? Je sens son odeur, mais la clim m’empêche de localiser sa
chambre.
— On l’a renvoyée chez elle, expliqua Tigre.
— Quoi ? Mais je voulais la voir !
— Ce n’est pas une bonne idée. Elle a été enlevée et enfermée. J’ai déjà dit à
Tim que prendre un Hybride dans son équipe était une erreur. L’un de ses
hommes te ramènera tes affaires demain matin. Tu restes ici.
— Je veux voir Becca ! rugit Brute.
Il écrasa la canette dans sa paume et la boisson gicla partout. Il poussa un
juron et s’essuya la main sur son pantalon.
— Brute, sois raisonnable, mon pote. Elle ne veut pas te voir.
— Elle l’a dit ? s’exclama-t-il, le cœur serré. Elle n’a pas voulu m’attendre ?
On lui a dit que j’arrivais et que je voulais la voir ?
Tigre fronça les sourcils.
— Tu sais que c’est mieux comme ça. Tim a remarqué la morsure sur ton
torse et les griffures. Il en a conclu qu’elles avaient été faites par Becca. Il m’a
dit que tu n’avais pas le droit d’entrer en contact avec elle et qu’ils en avaient
discuté ensemble.
— Est-ce qu’elle a refusé de me voir ? grogna-t-il, fou de rage.
Le départ de Becca était déjà dur à vivre, mais qu’elle refuse de lui parler lui
était insupportable.
— Calme-toi. C’est un ordre.
— Je suis conseiller. Tu n’as pas d’ordre à me donner.
Brute lui tourna le dos et se dirigea à grands pas vers la sortie. Il ne savait pas
comment retrouver Becca, mais il trouverait une solution, ainsi qu’un moyen de
transport pour se rendre chez elle.
— Brute, elle ne veut pas te voir.
Il s’arrêta net et se retourna.
— Je suis désolé, mon pote, continua Tigre en hochant la tête. Je voulais te le
cacher, mais Tim a exigé une consultation avec un psy avant notre arrivée.
On vient de me transmettre son rapport. (Il tira un papier plié en quatre de sa
poche.) Elle a été traumatisée par son enlèvement, tu étais sa seule source de
réconfort et elle ne s’est rapprochée de toi que parce que c’était son unique
moyen de résister au stress.
Brute secoua la tête.
— Je l’attire. Elle me l’a dit.
— Si tu insistes, tu ne réussiras qu’à lui faire encore plus de mal. C’est ce que
tu veux ?
— Non. Jamais je ne lui ferais ça.
Brute se sentait plus désemparé que jamais. Affamé, épuisé et blessé, il ne
tenait plus que grâce à l’adrénaline et à l’envie de voir Becca.
— Je sais. Et en plus tu n’es pas attiré par les humaines.
— J’ai de l’affection pour elle.
— Tu lui ferais du mal, mon pote. Elle a besoin de temps pour se remettre.
— Elle est blessée ?
— Du point de vue émotionnel seulement. Le psy recommande que tu rompes
tout contact avec elle. Laisse-la faire le premier pas lorsqu’elle sera prête à t’en
parler.
— Elle allait bien ? On l’a examinée à fond ?
— Oui, Trisha s’en est occupée personnellement. Elle lui a donné des cachets,
ajouta-t-il, hésitant.
— Quel genre ? (Voyant que son ami ne répondait pas, il s’énerva.) Quel
genre de cachets ? Elle était malade ?
— Vous avez eu des rapports sexuels. Trisha a pris la décision de lui donner
quelque chose au cas où tu l’aurais mise enceinte.
Brute poussa un rugissement de rage et se mit à avancer sur Tigre sans même
réfléchir. Son ami recula de quelques pas et leva les bras.
— Stop !
Brute obtempéra.
— Elle était en chaleur quand je l’ai montée. Je te l’ai dit ! Vous lui avez
donné des infos classifiées ? Je comprends mieux pourquoi elle est en colère. Je
n’avais pas le droit de lui dire que je pouvais la mettre enceinte, ç’aurait été trop
risqué dans la cage, à cause des caméras. Elle m’en veut ? C’est pour ça qu’elle a
refusé d’attendre ? J’imagine qu’elle est sous contraceptif, non ? La plupart des
humaines le sont.
— Selon ce qu’elle a dit à Trisha, non. On ne lui a pas révélé la nature des
cachets. Elle pense qu’il s’agit d’antibiotiques pour éviter les infections après ses
piqûres. Mais elle ne t’en veut pas de ne rien lui avoir dit avant de coucher avec
elle.
— Ce qui nous lie, c’est plus que du sexe.
Une expression de compassion se dessina sur le visage de Tigre.
— Je n’en doute pas, mais te revoir ne ferait que la plonger dans le cauchemar
qu’elle a vécu. On l’a enfermée dans une cage avec toi et on l’a obligée à te
prendre du sperme. Maintenant, elle est en sécurité et, si jamais elle veut te
revoir, elle te le fera savoir. Laisse-lui un peu de temps.
Brute avait mal dans la poitrine, mais cela n’avait rien à voir avec les côtes
que 919 lui avaient fêlées lorsqu’il s’était battu avec lui pour protéger Becca.
— C’est plus que du sexe, répéta-t-il fermement. Je sais que ce serait difficile,
mais j’ai envie de passer plus de temps avec Becca. J’ai des sentiments pour elle.
— C’est la fille de Tim Oberto. Il est à la tête du détachement spécial et,
même s’il nous aime bien, je suis sûr qu’il n’a aucune envie que tu te tapes sa
fille.
— Où est-ce que tu as appris à parler comme ça ?
Tigre soupira.
— Je passe beaucoup de temps avec ses hommes. On s’entraîne ensemble et
c’est très instructif. Tim est très protecteur envers sa fille. Il ne verrait pas d’un
bon œil que vous entreteniez des relations. Il nous l’a bien fait comprendre.
— Je me fiche de ce qui lui plairait ou pas. J’ai des sentiments pour Becca.
— Il ne s’agit pas que de toi. Il y a aussi Becca, et ce sera à elle de reprendre
contact si elle le souhaite. Tu dois respecter ça, Brute. Tu es peut-être membre du
conseil, mais c’est ce qu’il y a de mieux pour nous. On ne peut pas se mettre à
dos le chef du détachement spécial. On a besoin de Tim.
— Je la veux, s’obstina Brute en serrant les poings.
— Elle n’est pas un petit chien que tu peux mettre en laisse.
— Je sais.
— Tu es fatigué et tu as faim. On rediscutera de tout ça après une bonne nuit
de sommeil, d’accord ? Sois raisonnable.
Brute fit de son mieux pour contenir sa colère.
— Cette discussion n’est pas terminée.
— Je comprends. On la reprendra demain, quand tu seras reposé.
Flamme poussa alors la porte du centre médical.
— Je vais te ramener chez toi, Brute. On t’a commandé à manger. Tu as juste
le temps de te doucher avant que ton repas arrive. Tu viens ?
Brute lança un regard noir à Tigre.
— Rendez-vous demain.
— Je serai là.

Becca était de retour chez elle, mais le sentiment de sécurité qu’elle avait
éprouvé en retrouvant son logis s’était évaporé. Son père, assis au bout du lit, la
dévorait des yeux. Depuis que les Hybrides l’avaient ramenée à la maison, il ne
la quittait pas d’une semelle.
— Tu as faim ?
— Ils m’ont donné à manger.
— Si on avait forcé l’un de ces Hybrides à te toucher, tu me le dirais, n’est-ce
pas ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
— Je te jure qu’aucun d’entre eux ne m’a fait aucun mal, papa. Combien de
fois est-ce que je devrai te le répéter ?
— J’ai insisté, mais Tigre et Trey n’ont rien voulu me dire. Mais qu’est-ce qui
s’est passé dans ce labo, bon Dieu !?
— Il y avait un médecin de Mercile et une bande d’hommes de main. Ils
comptaient vendre des Hybrides à un client européen pour récolter de quoi fuir
le pays. Ils savaient qu’ils étaient recherchés. Le client voulait avoir la gamme
complète d’Hybrides. Ils n’en avaient qu’une espèce et c’est pour ça qu’ils ont
enlevé Brute et qu’ils comptaient en kidnapper un autre.
— Oui, il y en a trois types : félin, canin et primate. J’ai lu le rapport et on
essaie de trouver la taupe.
— Tant mieux. Je peux te poser une question ?
Tim se raidit, mais hocha la tête.
— Après ce que tu as subi, tu as droit à des réponses. Que veux-tu savoir ?
— Qu’est-ce qui va leur arriver ?
— Les Hybrides ont été confiés à un médecin. L’OPH a engagé plusieurs
spécialistes qui feront tout leur possible. Si besoin, ils feront même appel à des
confrères extérieurs. Maintenant qu’ils sont enfin parmi les leurs, les prisonniers
recevront toute l’attention dont ils ont besoin.
— Je suis heureuse de l’apprendre, mais je voulais parler de ceux qui nous ont
enlevés. Est-ce qu’ils vont payer pour ce qu’ils ont fait ?
Tim lui massa le pied par-dessus la couverture.
— La loi hybride est brutale. Tu as bien fait de monter dans cet hélicoptère. Je
n’avais pas toute ma tête à ce moment-là, sinon j’aurais exigé qu’on t’emmène à
Homeland sur-le-champ. Ces salopards ne reverront jamais la lumière du soleil.
— L’OPH peut les condamner à perpétuité ?
Tim hésita.
— Réponds-moi, je t’en prie, insista-t-elle, les larmes aux yeux. Je dormirai
mieux si je le sais. Ils ont tué Tina et Mel. Ils sont entrés chez moi et…
— Il existe une prison spéciale, ma puce. Elle est inconnue du grand public et
elle est réservée à tous ceux qui ont fait du tort aux Hybrides. Justice North est
malin et il a su négocier des accords très avantageux.
— Je ne comprends pas.
— Mercile Industries était en partie financé par le gouvernement. Tu imagines
la réaction de la population si elle venait à apprendre à quoi servaient une partie
de ses impôts ? Toutes les personnes concernées veulent que cela reste secret.
Les Hybrides pourraient intenter un procès aux États-Unis, et ils gagneraient à
coup sûr, comme ils l’ont fait contre Mercile, qui a dû leur verser une énorme
compensation financière pour leurs années de captivité. Le gouvernement a
préféré négocier. Cela lui revient moins cher et évite un scandale public. Les
Hybrides ont reçu Homeland et assez d’argent pour gagner leur autonomie. Le
gouvernement a aussi monté le groupe d’intervention que je dirige pour traquer
les derniers employés de Mercile encore en cavale et pour libérer les derniers
Hybrides. Nous avons déjà découvert cinq laboratoires et il y en a peut-être
d’autres. Et nous savons à coup sûr que certains Hybrides ont été donnés à des
investisseurs.
— Comment ça ?
Oberto baissa les yeux.
— Des femmes, ma puce. Mercile s’adonnait au trafic humain. Ils vendaient
des esclaves sexuelles que nous essayons de retrouver.
Trisha se mit à pleurer.
— Oh, mon Dieu !
— Je sais. C’est la principale raison d’être de mon commando. On traque les
ordures qui les ont achetées et on essaie de les récupérer vivantes.
— Vous en avez déjà trouvé ?
— Quelques-unes. Généralement, ça se finit mal, je ne te le cache pas. Justice
a exigé un détachement spécial disposant de toutes les ressources nécessaires, et
c’est moi qu’on a nommé à sa tête. Contrairement aux agences officielles, on
peut contourner la loi, ce qui nous permet entre autres d’avoir notre propre
prison. On y enferme ceux qu’on attrape, et je peux t’assurer qu’ils n’en sortent
jamais. Chez nous, la libération conditionnelle pour bonne conduite, ça n’existe
pas.
— C’est à Homeland ou à la Réserve ?
— Ni l’un ni l’autre. Il s’agit d’un autre endroit que je ne peux pas te révéler.
La prison est dirigée par certaines des personnes qui s’occupaient de Homeland
avant que les Hybrides en prennent le contrôle. Et ce n’est pas un camp de
vacances, crois-moi. Les prisonniers ne sont pas maltraités, mais je peux te dire
qu’ils n’ont droit ni aux chaînes du câble ni aux visites.
— Ce sont les Hybrides qui enferment ceux qui les gardaient prisonniers ?
C’est un juste retour des choses.
— Non. Justice ne voulait pas mettre les siens dans une situation aussi
inconfortable. Nous gérons la prison.
— Ton équipe ?
— Des humains.
— Les Hybrides sont humains eux aussi, du moins en partie.
— C’est vrai, mais ce sont eux qui nous appellent les « humains ». Je
commence à prendre le pli, sourit-il. Je vais passer la nuit sur le canapé du salon,
à moins que tu préfères que je dorme par terre au pied de ton lit. Ça ne me
dérange pas.
Becca fut touchée par cette proposition. En temps normal, il la rendait chèvre
mais, après ce qui lui était arrivé, elle n’avait aucune envie d’être seule.
— Tu es trop vieux pour dormir par terre, plaisanta-t-elle. Tu n’arriverais
jamais à te relever. Le canapé est très confortable, tu verras. Merci, papa.
Il lui lâcha le pied et se leva.
— Je suis en bas si tu as besoin de moi. Tu veux que je laisse la lumière
allumée ?
Becca était tentée, mais elle fit « non » de la tête. Il lui témoignait une
gentillesse touchante, mais elle n’avait pas envie qu’il se serve plus tard de ce
moment de faiblesse contre elle. Il était très doué pour ce genre de choses et en
profiterait aussitôt pour la convaincre de revenir vivre chez lui.
— Quand Brute reviendra-t-il ? demanda-t-elle, car elle avait très envie de le
revoir.
— Jamais.
— Quoi ? s’exclama-t-elle, surprise, puis peinée. Quand j’étais à Homeland,
j’avais cru comprendre qu’il ferait sa déposition, puis qu’il reviendrait vivre ici.
Tim lui répondit avec une voix que la colère rendait plus grave.
— Tigre, qui remplace Justice pendant ses congés, a conclu que l’insertion
d’un Hybride dans notre équipe était vouée à l’échec. Ils nous ont bien aidés à te
récupérer mais, hors de Homeland ou de la Réserve, ils sont trop en danger au
quotidien et ils font prendre trop de risques à ceux qui les fréquentent.
— Ce n’était pas sa faute.
— Je sais, mais je suis tout de même soulagé qu’il ne revienne pas. Demain
matin, on organise une réunion pour étudier divers scénarios d’intégration
d’Hybrides. J’espère trouver le moyen de le faire en minimisant les risques.
— J’aimerais parler à Brute, insista-t-elle, au risque de mettre son père en
colère.
Ce dernier s’arrêta à la porte.
— Cela n’arrivera pas. On m’a dit qu’il ne voulait plus aucun contact avec les
humains. Je sais qu’il s’est passé quelque chose entre vous, même si tu refuses
de m’en dire plus. En tout cas, il en a fini avec les humains.
Sur ces mots, il éteignit la lumière et ferma la porte.
Becca laissa libre cours à ses larmes. Brute ne voulait plus voir d’humains ?
Et donc ne plus jamais la voir, elle ? Elle se remémora sa réaction lorsqu’elle lui
avait touché le bras et la manière dont il avait hurlé à Trey de l’évacuer. Peut-être
avait-il menti. Peut-être lui en voulait-il vraiment.
Cela faisait mal. Elle était tombée amoureuse de lui, mais elle aurait dû se
rappeler qu’il ne voulait pas s’engager dans une relation avec elle. Elle enfouit la
tête dans son oreiller et le tordit entre ses doigts. Brute lui manquait et elle avait
du mal à croire que tout soit déjà terminé entre eux sans qu’elle ait eu l’occasion
de lui dire au revoir.
CHAPITRE 12

Neuf semaines plus tard

Becca faisait les cent pas en se morfondant, rongée par la solitude. Elle finit
par se laisser tomber sur le divan et se roula en boule. Elle allait bientôt devoir
recontacter son père et donc inventer un nouveau mensonge. Il pensait qu’elle
visitait l’Europe, mais s’il découvrait qu’elle n’avait jamais quitté la Californie il
ne s’en remettrait pas.
Ils communiquaient par ordinateur. C’était bien plus facile de cette manière.
Sans cela, elle aurait dû trouver le moyen de masquer la provenance de ses
appels. Elle connaissait plusieurs personnes en France et en Allemagne, qui
savaient que son père était un tyran et qui avaient accepté de lui envoyer des
cartes postales pour qu’il ne se doute de rien. Selon ses amis, elle avait besoin de
faire un break.
Ce qui était vrai, d’ailleurs. Après son retour, son père l’avait rendue chèvre et
elle avait ressenti le besoin de s’éloigner de lui pour échapper à ses tentatives
incessantes pour qu’elle revienne s’installer chez lui. Après son enlèvement, elle
avait connu une période de dépression. Elle s’était mise en congés en espérant
qu’il l’appellerait, à sa grande honte.
En pensant à Brute, elle se redressa et crispa les mains sur ses cuisses. Au
début, l’absence de contact l’avait peinée, mais au fil des semaines la tristesse
s’était muée en colère. Comment osait-il ne pas prendre de ses nouvelles ? Cela
aurait été la moindre des choses de sa part de lui demander si elle s’était bien
remise de cette épreuve. Le fait qu’ils aient couché ensemble ne faisait
qu’aggraver son cas. Bonjour l’esprit d’équipe !
L’un des hommes de son père était venu chercher les affaires de Brute le
lendemain de son retour. Sa maison avait été en travaux pendant deux semaines
et, après le départ des ouvriers, elle avait verrouillé la porte de la chambre d’ami
pour tenter de l’oublier. Mais cela n’avait pas fonctionné. Chaque fois qu’elle
passait dans le couloir pour se rendre à sa chambre, elle ne pouvait s’empêcher
de tourner la tête.
Quatre semaines plus tard, elle avait découvert une chose qui avait bouleversé
sa vie. Après avoir inventé en hâte un prétexte pour son père, elle était venue
s’installer dans ce chalet du nord de la Californie, d’où elle avait passé plusieurs
appels pour mettre son plan au point. Elle pensait n’avoir laissé aucune faille. Si
jamais son père avait eu des soupçons, il n’aurait pas pu le lui cacher.
L’éventualité d’une erreur la rendait très nerveuse, tout comme le souvenir de
l’appel qu’elle avait passé trois semaines plus tôt, en se rendant au chalet. J’ai
acheté un téléphone jetable, j’ai payé en cash, j’ai abrégé l’appel au maximum
et je l’ai passé loin d’ici. J’ai même pensé à me débarrasser de la batterie pour
que personne ne puisse localiser l’appel, se dit-elle en inspirant à fond pour
se calmer. J’ai fait ce qu’il fallait et personne ne peut savoir que c’est moi.
L’opératrice de l’OPH avait décroché après deux sonneries et Becca avait
demandé à parler à Trisha. Elle avait donné un faux nom et même pris l’accent
du Texas, qu’elle imitait à merveille, car elle y avait vécu pendant cinq ans dans
son enfance. Elle était certaine d’y être arrivée et, avec le recul, ne pensait pas
s’être trahie.
L’opératrice avait transféré l’appel. À chaque sonnerie supplémentaire, elle
sentait sa peur grandir. Ce coup de téléphone était très risqué, mais Becca avait
absolument besoin de réponses.
— Trisha à l’appareil, annonça gaiement une voix féminine au bout de la
quatrième sonnerie.
— Bonjour, répondit Becca avec difficulté. Je n’ai pas beaucoup de temps,
parce que j’ai peur que vous localisiez l’appel, mais je dois vous parler.
— Euh… d’accord, dit Trisha, interloquée.
— Est-ce que c’est vrai que certains Hybrides sont allergiques au chocolat et
que ça peut les rendre très malades ?
Le silence se prolongea un peu trop au goût de Becca, car elle savait qu’elle
ne disposait que d’un temps limité. Mais, même s’ils parvenaient à la localiser,
elle aurait déguerpi bien avant qu’ils arrivent.
— Adressez vos questions au bureau des relations publiques de l’OPH,
répondit enfin Trisha. Je vous souhaite une bonne journée.
— Attendez ! intervint Becca avant qu’elle raccroche. C’est vraiment urgent.
Trisha hésita de nouveau, mais resta en ligne.
— Vous avez un besoin urgent de savoir s’ils sont allergiques au chocolat ?
C’est une blague, ou quoi ?
— Je suis enceinte, balbutia Becca. (Elle serra les dents, regrettant d’avoir dû
faire cet aveu pour obtenir les informations dont elle avait besoin. Elle inspira à
fond pour se calmer et se rappela qu’elle devait garder l’accent texan.) J’ai
couché avec un Hybride et je suis tombée enceinte. Si je pose la question, c’est
parce que j’ai peur de faire du mal au bébé si je mange du chocolat. J’ai besoin
de savoir si c’est une possibilité.
— Ce n’est pas drôle.
— Je ne plaisante pas, insista Becca. C’est vrai et j’ai peur de consulter un
médecin, vu l’identité du père. Vous pensez que ça se verrait tout de suite à
l’échographie ? Est-ce que je peux aller voir un docteur, ou bien il vaut mieux
que j’évite.
— Vous n’avez rien de mieux à faire que des canulars téléphoniques ? soupira
Trisha. Je raccroche.
Becca paniquait. Elle savait que le docteur ne la croyait pas, mais elle devait
réussir à la convaincre.
— Leur sperme est plus chaud que celui d’un homme. Ils sont aussi très bien
montés, enfin, au moins celui avec qui j’ai couché, et il ronronnait pendant qu’on
faisait l’amour. Il m’a mordillée avec ses dents pointues et il aime faire ça de
manière bestiale. Et il était circoncis. Ce n’est pas une blague.
— Qui êtes-vous ? demanda Trisha avec plus de douceur. C’est sérieux ?
— Oui.
— Dans ce cas, vous devez venir à Homeland. Dites que je vous attends et les
gardes vous conduiront jusqu’à moi et je vous examinerai personnellement. Je
n’y crois pas une seconde, vu que les Hybrides sont stériles, mais comme ça
toutes vos craintes s’évanouiront.
— Je suis enceinte d’un Hybride et il est hors de question que je vienne vous
voir. J’ai simplement besoin de réponses, insista Becca avec une touche de
désespoir qui la navrait. Est-ce que ça fera du mal au bébé si je mange du
chocolat ? J’en ai très envie, mais je me retiens. Je prends des vitamines
disponibles sans ordonnance, mais j’aimerais beaucoup consulter un médecin.
S’il m’examine, est-ce qu’il se rendra compte que quelque chose cloche ?
Donnez-moi ces deux réponses et je vous laisse tranquille.
Comme Trisha se taisait, Becca en conclut qu’elle avait appelé pour rien. Il
n’existait aucun bébé hybride, tout le monde savait que c’était impossible et le
docteur ne la croyait pas. Mais, comme elle était seule et sans assistance, elle
avait décidé de tenter sa chance. L’idée que le bébé était peut-être mal portant la
terrifiait.
— Ce n’est pas possible, affirma enfin Trisha.
— La preuve que si. Je suis bien enceinte et j’ai trop peur pour aller voir un
médecin. Je ne voulais pas prendre le risque qu’il me fasse passer un test de
grossesse et qu’il détecte des anomalies dans le résultat. Répondez-moi, je vous
en prie. Je vais bientôt devoir raccrocher parce que je ne veux pas que vous me
localisiez. Je sais que vous pouvez le faire.
— Pourquoi ne venez-vous pas à Homeland ? Je vous promets de vous
examiner moi-même. Si c’est un souci d’argent, je vous rassure, ce sera gratuit.
— Je ne peux pas.
— C’est une blague, hein ?
Becca retint ses larmes.
— Je préférerais que ce soit le cas, mais malheureusement non. J’ai peur,
avoua-t-elle. Je sais que les Hybrides ont beaucoup d’ennemis et que je suis la
première femme à porter un bébé mixte. Je ne veux pas que mon enfant fasse la
une de la presse ou qu’il soit la cible de ces abrutis. J’ai loué un chalet isolé.
Vous êtes la seule à être au courant. Je n’ai confiance en personne.
— Vous devez voir un médecin. Venez à Homeland. Vous n’aurez rien à
craindre. Personne ne vous y fera aucun mal. Ou laissez-moi venir vous voir, si
vous préférez. Dites-moi où vous êtes. Je le garderai pour moi.
— Pas question, répliqua Becca après une courte hésitation. Je ne veux pas
que ma famille le sache. C’est dur à expliquer, mais c’est comme ça. Le père est
un Hybride. Qu’est-ce que je dois éviter de boire ou de manger ? Est-ce que je
dois consommer plus de viande ? Je sais qu’ils en mangent beaucoup.
— Donnez-moi une dernière preuve pour que je sois sûre que c’est bien vrai.
Becca se mordit la lèvre inférieure.
— Je prends beaucoup de poids et mon ventre grossit déjà, alors que c’est
bien trop tôt. J’ai eu la nausée du matin au bout de deux ou trois semaines. Je
pensais que j’avais attrapé un petit virus, mais j’ai commencé à prendre du poids
et mes seins sont devenus hypersensibles. C’est exactement ce dont se
plaignaient mes amies pendant leur grossesse.
— Dites-moi où vous vous trouvez. Si ce que vous racontez est vrai, vous
avez besoin d’un suivi médical immédiat. Vous en êtes à combien de semaines ?
— Je préfère ne pas vous le dire. Ça pourrait vous aider à identifier le père. Je
ne veux pas prendre ce risque.
Trisha étouffa un juron.
— Vous n’avez pas idée du danger auquel vous vous exposez en restant seule.
Vous êtes vraiment installée dans un chalet isolé ? C’est une grosse erreur. Vous
avez besoin de vivre près d’un centre médical. Dites-moi à quel stade est votre
grossesse.
— Il faut que j’y aille. Je dois manger plus de viande ou éviter certains
aliments ? Est-ce que je peux aller voir un médecin sans risquer de faire les gros
titres ? C’est tout ce que je veux savoir. Je ne veux surtout pas faire de mal au
bébé.
Trisha soupira, puis répondit.
— Oui, mangez de la viande rouge. Et c’est vrai que certains Hybrides ne
tolèrent pas le chocolat, mais je ne sais pas si cela affecterait le fœtus. À votre
place, je m’abstiendrais. Si c’est bien un bébé hybride, les résultats révéleraient
beaucoup d’anomalies. Le médecin demanderait des examens complémentaires
et finirait vite par comprendre. Venez à Homeland. Vous…
— C’est inenvisageable, je vous dis. Je suis désolée, mais je ne peux pas. Je
n’irai pas vous voir.
— Est-ce que vous pouvez au moins m’appeler tous les jours ? Vous avez un
stylo ? Je vais vous donner mon numéro de portable. Nous discuterons et vous
vous rendrez compte que vous pouvez me faire confiance.
Becca hésita.
— Vous n’essaierez pas de localiser mon appel ?
— Juré.
Becca savait que c’était une mauvaise idée, mais elle tira néanmoins un stylo
de son sac.
— J’écoute, dit-elle avant de noter le numéro. Je vous appellerai d’ici
quelques jours. Ce n’est pas une blague. Je suis vraiment enceinte d’un Hybride.
— Je vous en conjure, insista Trisha. Laissez-moi venir vous voir, ou rendez-
vous à Homeland. Demandez aux gardes de me prévenir. Personne ne sera au
courant de rien. S’il vous plaît, faites…
Becca raccrocha et ôta la batterie. Trois kilomètres plus loin, elle jeta le
téléphone dans une poubelle et repartit vers son chalet.

La jeune femme sortit de ces réflexions, se leva et s’étira en se disant qu’elle


allait bientôt devoir aller faire des courses. Mais avant cela elle devait
téléphoner. La veille, il lui était arrivé une chose qui ne lui laissait plus le choix.
Elle devait parler de nouveau à Trisha.
Le nouveau téléphone jetable était posé sur la table de la salle à manger. Elle
hésitait à prendre sa voiture pour mieux camoufler son emplacement, mais d’un
autre côté, si elle avait été repérée, son père lui en aurait parlé dans ses e-mails.
Cela voulait probablement dire qu’elle n’avait rien à craindre, et que Trisha était
peut-être sincère lorsqu’elle disait qu’elle ne tenterait pas de localiser l’appel.
Certaines personnes ne recouraient jamais au mensonge.
À côté du téléphone se trouvait le bout de papier sur lequel elle avait griffonné
le numéro. Les mains tremblantes, elle le saisit. Je dois l’appeler, s’encouragea-
t-elle en se mordant la lèvre inférieure. Soudain, un frisson lui parcourut
l’abdomen et elle se figea, puis lâcha le papier et posa la main sur son ventre en
pleurant, affolée et confuse. Elle sentait le bébé bouger. Comment est-ce
possible ?
Becca ne savait plus que faire. La solution la plus sage aurait été de se rendre
à Homeland pour laisser Trisha s’occuper de sa grossesse, mais elle savait que
c’était impossible. Son père tuerait Brute. Il finirait sa vie en prison et elle
devrait expliquer à son enfant pourquoi elle n’avait aucune famille auprès d’elle.
Malgré sa terreur, elle ne pouvait pas faire ça. Tim Oberto avait de nombreuses
qualités mais, lorsqu’il était question de sa fille, il perdait le sens des réalités.
Jamais il ne croirait que Brute ne l’avait pas forcée et le sang coulerait. Celui de
Brute.
Elle se sentait coupable lorsqu’elle pensait au grand Hybride. Il avait le droit
de savoir qu’il allait être père, mais c’était un problème qu’elle n’était pas encore
prête à affronter. Elle devait commencer par accoucher, par assurer la sécurité du
bébé et par trouver le moyen d’annoncer la nouvelle à son père. Avec un peu de
chance, la rencontre avec son petit-fils atténuerait ses envies de meurtre.
Mais, presque aussitôt, ses remords se muèrent en colère. Elle attribua cette
volatilité à ses hormones, mais d’un autre côté, si Brute avait pris la peine de
l’appeler, elle aurait pu lui apprendre sa future paternité. Ce bébé, ils l’avaient
fait à deux, mais elle se retrouvait seule à en assumer les conséquences. Elle
avait été tentée de le contacter à de nombreuses reprises, mais elle souhaitait
éviter de passer par le standard de l’OPH et ne savait pas comment faire. On lui
demanderait la raison de son appel et on enverrait peut-être une équipe, en
l’occurrence celle de son père, enquêter pour vérifier qu’elle ne représentait
aucune menace. C’était décidément trop risqué. Appeler une humaine était une
chose, on pouvait penser qu’elle était une amie de Trisha, mais une humaine
appelant un Hybride éveillerait les soupçons.
Le frémissement se reproduisit, plus fort cette fois-ci, et elle ferma les yeux, à
la fois émerveillée et effrayée. Brute avait un physique imposant, et elle avait
espéré que sa prise de poids conséquente venait du fait que le bébé était taillé
selon le même gabarit, mais elle ne pouvait oublier qu’il n’était pas totalement
humain. Elle n’y connaissait pas grand-chose en grossesse, mais plusieurs de ses
amies étaient mères. Elle savait qu’en règle générale on ne sentait pas le bébé
bouger avant six mois. Son enfant grandissait peut-être plus vite que la normale
à cause des gènes modifiés de Brute et, si c’était le cas, elle était plus que
dépassée par la situation. Elle devait en discuter avec Trisha.
Elle ouvrit les yeux et ramassa le papier, puis composa le numéro, les doigts
tremblants. Le cœur battant, elle attendit que son interlocutrice décroche.
— Allô ?
— Trisha ? dit Becca en reprenant l’accent texan. C’est encore moi. La femme
enceinte.
— Vous aviez promis de me rappeler et ça fait maintenant trois semaines, lui
reprocha le docteur, qui paraissait en émoi. Comment allez-vous ?
— J’ai peur et je panique. Je sens le bébé bouger. Comment c’est possible ?
C’est bien trop tôt.
— Vous en êtes à quel stade de la grossesse ?
— Vous savez bien que je ne vous le dirai pas. Est-il possible que le bébé se
développe plus vite que la normale ? Est-ce que c’est une idée complètement
farfelue ? Les Hybrides sont en partie animaux et j’ai fait des recherches sur
Internet. La période de gestation est généralement plus courte chez l’animal que
chez l’homme. Je prends du poids trop vite et mon ventre commence à bouger.
Et, non, ce ne sont pas des gaz, ajouta-t-elle avec un petit rire, heureuse de
détendre un peu l’atmosphère. Je suis sûre que c’est le bébé.
— Venez vite à Homeland. Vous vous appelez comment ?
— Femme enceinte.
— Vous vivez vraiment seule dans un chalet ?
— Oui, répondit Becca, qui pensait que cette information ne la trahirait pas.
— Est-ce qu’au moins vous avez quelqu’un qui passe voir de temps en temps
si vous allez bien ?
Becca hésita.
— Pourquoi vous me demandez ça ?
— Vous êtes seule, vous m’avez dit que vous n’aviez confiance en personne
et, si vous êtes vraiment enceinte, vous avez besoin d’aide. De quoi avez-vous
peur ? Personne ne vous fera le moindre mal. Venez à Homeland, dites que vous
venez me voir et je vous jure que j’arriverai aussitôt. Si vous ne voulez pas
qu’on vous voie, on peut se donner rendez-vous quelque part. J’apporterai le
matériel nécessaire. Je peux même venir chez vous.
— Hors de question. Si je me suis isolée, ce n’est pas par hasard. Je ne veux
pas qu’on me trouve.
— Je pourrai vous dire si votre bébé est en bonne santé. Vous ne voulez pas
vous en assurer ? J’ai un fils et je me rappelle combien j’étais inquiète pendant
ma propre grossesse. Je me faisais une échographie tous les jours pour vérifier
qu’il allait bien. Si vous venez à Homeland, je pourrai m’occuper de vous. Je
viendrai vous chercher si vous ne voulez pas qu’on vous voie. Je sais que
Homeland est assailli de protestataires. On peut venir vous chercher en
hélicoptère.
— C’est gentil mais, comme je l’ai dit, je n’ai confiance en personne.
Trisha hésita.
— Vous avez peur du père ? C’est ça ? Vous pensez qu’il pourrait avoir une
réaction excessive ?
— J’essaie de ne pas y penser, soupira Becca. Je sais qu’il a le droit de savoir
et je compte le lui dire un jour, mais uniquement quand cela sera sans risque.
Vous ne savez pas ce qui est en jeu.
— Expliquez-moi, alors. Dites-moi ce que vous voulez, mais parlez-moi.
Becca hésita.
— Ma famille deviendrait folle et s’en prendrait au père. C’est tout ce que je
peux vous dire.
— Donc vous protégez le père de l’enfant ? C’est pour ça que vous ne voulez
pas venir ? Rien ne vous oblige à mettre vos proches au courant. Si vous venez à
Homeland, elle ne pourra plus rien ni contre vous, ni contre lui. Je vous jure que
vous serez tous en sécurité.
Cela aurait peut-être été vrai pour une personne lambda, mais pas pour Becca.
Son père savait tout ce qui se passait à Homeland et à la Réserve. L’arrivée d’une
humaine enceinte poserait de gros risques de sécurité. Il en serait aussitôt averti
et elle grimaça en repensant à la question qu’il lui avait posée cent fois : est-ce
que quelqu’un l’avait touchée pendant son incarcération ? La rage qui brillait
alors dans ses yeux indiquait que seule la mort de Brute le satisferait. C’était la
raison pour laquelle elle ne l’avait informé de son mariage qu’une fois l’acte
accompli, parce qu’elle savait qu’il aurait tué Bradley sans même réfléchir. Dès
qu’on s’en prenait à elle, Tim Oberto perdait totalement la tête.
— Vous êtes toujours là ?
Becca se rendit compte qu’elle s’était perdue dans ses pensées.
— Oui. Est-ce que vous pensez que le bébé grandit plus vite que la normale ?
Est-ce que c’est seulement possible ? Dites-le-moi, parce que je suis très
inquiète.
— Vous êtes à plus de quatre mois ?
— Non.
— Tant mieux, répondit Trisha avant d’hésiter un instant. Vous n’avez pas
envie de connaître son sexe ? Si vous m’autorisez à venir vous examiner, je peux
emporter un appareil d’échographie portable.
— C’est cruel de votre part, ça. Vous vous doutez bien que je meurs d’envie
de savoir, mais je ne peux pas prendre ce risque. Si vous ne voulez pas me
répondre, je raccroche.
— Attendez ! Comment vous sentez-vous ? Vous êtes en forme ? Vous
ressentez des symptômes inhabituels ? J’imagine que vous n’avez pas consulté ?
— Vous savez que ce serait trop risqué. Je suis très fatiguée, mais il paraît que
c’est normal. J’ai très bon appétit. Je n’ai pas vomi depuis des semaines et je n’ai
plus de nausées au réveil. Bon, il faut que j’y aille. Merci de m’avoir parlé.
— Vous devez m’appeler plus souvent, une fois tous les deux ou trois jours,
au minimum. Vous êtes seule, vous pouvez avoir un problème. C’est d’accord ?
insista fébrilement Trisha.
— Je vous téléphonerai une fois par semaine.
— C’est promis ? Je me fais du souci pour vous. Il y a des choses que vous
ignorez et je ne peux pas tout vous dire par téléphone.
— Me dire quoi ? demanda Becca, effrayée par cette dernière phrase.
— Rappelez-moi et on en discutera.
— Il faut que j’y aille, répéta Becca avant de raccrocher.

Aussitôt, Trisha saisit le combiné de son téléphone fixe. Elle était en train de
parler à Justice lorsque la jeune femme l’avait appelée et elle avait mis le haut-
parleur pour qu’il entende leur conversation.
— Tu as reconnu sa voix ? Tu connais la plupart des humains qui sont en
rapport avec nous.
— Hélas, non, soupira Justice. Mais une chose est sûre : elle n’est pas texane,
elle perdait son accent de temps en temps. Peut-être qu’elle ment.
— Non, les détails sont trop précis. Elle a dit qu’elle vient de sentir le bébé
bouger pour la première fois. Elle doit en être entre huit et dix semaines. C’est là
que les mouvements apparaissent. Dieu merci ! c’est une bonne nouvelle. J’avais
très peur qu’on n’ait pas le temps de la localiser avant la naissance. Elle en est à
la moitié de sa grossesse, Justice. J’ai accouché à vingt semaines. Elle ne sait pas
que les bébés hybrides se développent plus vite. Il faut absolument qu’on la
trouve. Mon mari est canin, mais les grossesses félines sont peut-être plus
rapides. Je pars du principe qu’il s’agit d’un félin, parce qu’elle n’a pas dit que
son pénis gonflait pendant les rapports sexuels, comme c’est le cas avec les
canins. Et le sperme chaud, c’est une caractéristique féline. Mais on ne connaîtra
la durée de sa grossesse qu’une fois qu’elle sera arrivée à terme.
— Je vais… Une seconde. Tigre vient d’arriver.
— On a pu cerner le signal, annonça le nouveau venu. On sait à peu près d’où
elle appelait. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
— Je t’écoute, répondit Justice en enclenchant le haut-parleur. Tu nous
entends, Trisha ?
— Oui. C’est quoi, la mauvaise nouvelle ?
— Tout semble indiquer qu’elle dit la vérité. Elle se trouve près de la Réserve.
Si elle vit là-bas, ça expliquerait pourquoi elle a pu entrer en contact avec l’un
des nôtres.
— C’est plutôt encourageant, non ?
— Pas si tu pars du point de vue que l’un d’entre nous a mis une humaine
enceinte et que nous n’étions pas au courant. C’est grave, il faut absolument
qu’on la mette à l’abri. La bonne nouvelle, enchaîna Tigre, c’est que c’est une
région très reculée. On va envoyer des équipes à sa recherche. Les chalets sont
plutôt rares, si elle n’a pas menti à ce sujet. Il ne nous faudra pas plus de trois
jours pour tous les fouiller. On la trouvera vite.
Justice semblait soulagé.
— Super.
— Elle a déjà un gros ventre, Trisha ? demanda Tigre en s’approchant du
téléphone.
— Oui, et elle dit qu’elle sent déjà le bébé bouger, ce qui la met entre huit et
dix semaines. Elle aura le ventre rebondi et vous devriez repérer une vague
odeur d’Hybride sur elle si vous la reniflez de très près. Plus la grossesse
avancera et plus cette odeur s’amplifiera.
— Justice, si tu permets, j’aimerais diriger cette opération. Je peux prendre
l’hélicoptère ? demanda Tigre. J’aimerais une équipe triée sur le volet, avec
uniquement des Hybrides qui ont l’habitude des humains. On intégrera aussi des
membres du détachement spécial. Ils entreront en contact avec elle les premiers
pour ne pas éveiller ses soupçons.
— D’accord, répondit Justice.
— Je vous accompagne, intervint Trisha. J’appelle Slade et je lui dis qu’on
part tous. Je vais faire les bagages et préparer Forêt. Je veux être présente quand
vous la trouverez, Tigre. Elle sera morte de peur. Justice, tu as entendu ce qu’elle
a dit à propos de sa famille ? Tu crois qu’ils font partie des manifestants qui
campent devant nos grilles ? C’est peut-être comme ça qu’elle a fait la
connaissance du père. Il est peut-être gardien à la Réserve. Oui, ça tient debout.
Elle accompagnait sa famille et elle a rencontré des Hybrides.
— Pas bête, confirma Justice. Bon, au travail. Trouve-moi cette femme, Tigre.
— Oui, chef. Ce qui m’inquiète, c’est que quelqu’un d’autre la trouve avant
nous, ou que sa famille, si elle est composée de fanatiques, découvre son secret.
Ça ne se terminerait pas bien.
— Je sais, répondit Justice avec colère. Trouve-les, son bébé et elle, et
ramène-les en sécurité. Merci de nous avoir permis de tracer tes appels, Trisha.
— Je n’ai pas vraiment eu le choix, maugréa la jeune femme. Ça me gêne
d’avoir dû lui mentir. Je lui avais donné ma parole.
— Ce n’est pas toi qui l’as localisée, c’est nous, répliqua Justice. Au fait, j’ai
demandé à mes mâles s’ils avaient couché avec une humaine et ils ne l’ont pas
très bien pris. Ils se sont mis en colère en disant que je me mêlais de leur vie
privée. Notre priorité, c’est de mettre cette humaine en sécurité parmi nous. Je
n’ose pas imaginer ce qui se passerait si elle était forcée d’accoucher à l’hôpital.
Notre secret serait dévoilé, tous les médias s’en empareraient et nos opposants
feraient tout pour s’en prendre à l’enfant. Pire encore, elle pourrait accoucher
seule et mourir de complications.
— Je sais, répondit Trisha en crispant les doigts sur le combiné. J’en fais des
cauchemars. C’est pour ça que j’ai essayé de la faire parler le plus longtemps
possible, pour vous donner une chance de la localiser. Mais si vous ne la trouvez
pas il faudra que tu me permettes de lui dire la vérité, Justice. Elle connaît une
grossesse accélérée et, si elle est seule quand le travail commencera, elle va
s’affoler et penser qu’elle est en train de perdre le bébé, expliqua-t-elle, la voix
gorgée d’émotion. Évitez-lui ça. C’était ma plus grande peur quand j’attendais
Forêt. Je ne peux pas lui faire ça. Si on lui en parle, ça la convaincra peut-être de
venir d’elle-même.
— On ne peut pas prendre ce risque. Tant qu’on ne sera pas sûrs à cent pour
cent qu’il ne s’agit pas d’une journaliste en quête d’un scoop et que son bébé est
bien un Hybride, nous ne lui dirons rien du tout. C’est un ordre. Je suis désolé,
mais trop de choses sont en jeu. Ça nous mettrait tous en danger, à commencer
par ton fils.
— Je sais, sanglota-t-elle. Mais je ne peux pas m’empêcher de me mettre à sa
place. Elle a sincèrement l’air d’avoir peur de quelque chose. Je ne sais pas qui
est sa famille, mais elle doit compter de belles ordures pour qu’elle en ait si peur.
— Moi, j’en veux au mâle qui a couché avec elle, grogna Justice. Il aurait dû
prendre des précautions ou tout au moins prendre de ses nouvelles. De toute
évidence, elle ne se sentait pas assez proche de lui pour lui demander sa
protection. Quand on saura de qui il s’agit, on aura une petite explication entre
hommes, lui et moi. Il nous a fichus dans un sacré pétrin.
— Ne le démolis pas entièrement, je veux passer après toi, renchérit Tigre. Je
n’arrête pas de répéter à nos agents de mettre des préservatifs s’ils couchent avec
des humaines, mais, vu ce qu’on sait, ça ressemble fort à l’un des hommes de
Cuivre, donc ce sera à lui que reviendra le plaisir de lui mettre les points sur les
i.
— Voilà, flanquez-lui une raclée, déclara Trisha, dégoûtée. Ça lui apprendra.
Je suis heureuse que Slade soit à la maison en ce moment et pas à la Réserve.
Je déteste devoir le rafistoler.
Cette réponse suscita l’hilarité de Justice.
— C’est un truc de mâles, qu’est-ce que tu veux.
CHAPITRE 13

Flamme observa longuement le chalet, qui paraissait vide, puis fit signe à
l’équipe humaine d’avancer. Ils encerclèrent la bâtisse, trois d’entre eux restant à
couvert des arbres. L’un des humains, Bobby, frappa à la porte. Tous étaient
vêtus normalement pour ne pas éveiller les soupçons. Si elle ouvrait la porte,
Bobby lui dirait que sa voiture était tombée en panne et lui demanderait s’il
pouvait utiliser son téléphone pour appeler une dépanneuse.
Personne ne répondit. Bobby regarda par la fenêtre et fit signe à ses collègues
d’avancer. Il se mit à genoux et crocheta l’ouverture en quelques secondes, puis
se tourna vers Flamme, qui venait de le rejoindre.
— Le chalet est habité, ça se voit.
Flamme pénétra dans le salon et huma.
— C’est une femme qui vit seule. Je ne capte que son odeur.
Soudain, son cœur s’accéléra : il venait d’apercevoir un berceau dans l’une
des deux chambres. Tout le matériel pour bébé semblait neuf. La deuxième
chambre était celle de la femme. Il ôta la couverture et appuya le nez contre le
drap. Ils étaient au bon endroit, cela ne faisait aucun doute. Il sentait l’odeur de
sa grossesse, dans laquelle la part d’Hybride était évidente.
Il sortit son portable et se tourna vers les humains.
— C’est bien ici. Ses affaires sont toujours là, donc elle devrait revenir
bientôt. Mettez le plan en œuvre.
— Arrêtez les recherches, ordonna Bobby dans sa radio. On l’a trouvée.
Rentrez à la base et restez cachés.
Aussitôt, Flamme contacta la Réserve.
— On a trouvé le chalet, mais elle n’est pas là. Je pense qu’elle ne devrait pas
tarder à revenir. J’ai senti ce que l’on prévoyait. Je me cache et j’attends son
retour. Mettez l’hélico en alerte et faites-le décoller dès que je la tiendrai.
Il raccrocha et regarda ses hommes.
— Je pense qu’il vaudrait mieux que je m’en occupe seul. Retournez à la base.
Bobby, le chef du détachement spécial, hésita.
— Tu es sûr ? Je peux rester en soutien.
— Non. La situation ne présente aucun danger. C’est un service qu’on rend à
Trisha. Sa cousine s’est enfuie de chez elle parce que son mari la frappait et elle
s’inquiétait pour elle. Elle ne résistera pas. Je veux juste lui faire passer un
message.
— Ah bon ? s’exclama Bobby, furieux. Et c’est pour ça qu’on a fait tout ce
cirque ?
Il tourna les talons, furieux. Flamme ne le retint pas, mais ce mensonge le
mettait mal à l’aise, car il appréciait ses collègues humains. Cependant, il ne leur
avait rien dit et il n’avait aucune intention de le faire. Moins ils en sauraient et
mieux cela vaudrait, mais il avait eu besoin d’eux pour frapper à la porte. S’ils
s’étaient trompés de maison, le ou la propriétaire des lieux se serait alarmé de se
retrouver face à un Hybride et en aurait aussitôt parlé aux voisins, voire à la
police. La presse n’aurait pas tardé à en entendre parler, tout comme la femelle,
qui en aurait profité pour fuir à toutes jambes.
Flamme les regarda s’éloigner. Les membres de l’OPH étaient terrifiés à l’idée
que le monde apprenne qu’ils pouvaient avoir des enfants avec des humaines,
car ils savaient que cela causerait des problèmes inextricables. Ils avaient
confiance en leurs collègues humains mais les journaux à scandale offraient de
telles fortunes pour des scoops de ce genre qu’il était parfois impossible de
résister. Il était donc essentiel que cette information reste confinée aux Hybrides
et à leurs compagnes. Tous ceux qui connaissaient ce secret étaient
personnellement impliqués dans sa protection. Flamme referma la porte, la
verrouilla, puis s’adossa au mur et attendit. La patience était l’une de ses grandes
qualités.

Becca sourit et se frotta le ventre en sentant le bébé donner un coup de pied.


C’était une sensation très ténue, mais elle était sûre de ne pas se tromper. Ces
petits coups l’emplissaient de bonheur chaque fois et indiquaient que sa
grossesse se déroulait bien.
— Je sais, dit-elle à voix haute en reposant la main sur le volant. C’est une
route en terre qui secoue beaucoup. C’est désagréable, hein ? On y est presque,
ne t’en fais pas.
Elle ralentit un peu. Parler au bébé était devenu l’un de ses passe-temps
favoris. Quelques minutes plus tard, elle se gara devant la maison, descendit et
s’étira en remuant les fesses. Les cahots de la route lui insensibilisaient toujours
le derrière.
— Tu as faim ? demanda-t-elle en empoignant deux sacs de courses. Moi, je
suis affamée ! On a sauté le petit déjeuner parce qu’il n’y avait plus de lait et on
a mis plus de temps que prévu pour aller en ville à cause de ce gros camion qui
prenait toute la route. J’aurais bien voulu le doubler, mais ce n’était pas possible.
Elle ferma la portière d’un coup de hanche, puis s’engagea sur les marches du
porche en prenant bien soin de ne pas trébucher. Elle posa l’un des sacs sur un
fauteuil d’extérieur, déverrouilla la porte, puis entra et la referma derrière elle
avec le pied.
— J’ai envie d’un bon gros steak, qu’est-ce que tu en penses ? Et d’un grand
verre de lait, babilla-t-elle tout en déballant les sacs dans la cuisine. Désolée
pour mon ventre qui grogne, au fait. J’imagine que ça doit te casser les oreilles !
Elle commença aussitôt à faire cuire un gros morceau de viande. Depuis
quelques jours, la faim la tenaillait en permanence.
— Ce sera prêt dans cinq minutes, mon cœur.
Laissant son steak sur le feu, elle se retourna pour ranger le reste de ses
courses quand elle aperçut un mouvement et se figea. Un homme grand, vêtu
d’un jean et d’un tee-shirt noir, venait d’entrer dans la cuisine. Terrorisée, elle se
rappela qu’elle n’avait pas verrouillé la porte derrière elle.
— Eh merde ! maugréa-t-elle en voyant son visage.
Il ne s’agissait pas d’un cambrioleur, mais d’un Hybride. Il avait de longs
cheveux roux clair et des yeux de chat. Il leva lentement les mains en lui
montrant ses paumes.
— Du calme. Je ne vous ferai aucun mal. Je suis venu pour vous parler. C’est
Trisha qui m’envoie. Je m’appelle Flamme. N’ayez pas peur.
Becca fit un pas en arrière. Peur ? Il y avait un Hybride chez elle. D’instinct,
elle posa les mains sur son ventre et ce mouvement n’échappa pas à son visiteur,
qui la regarda droit dans les yeux sans bouger. Becca recula encore.
— Attention, il y a une poêle chaude derrière vous. Ne vous brûlez pas.
— Sortez, murmura-t-elle, le cœur battant.
Elle ne bougeait plus mais était toujours aussi affolée. Jamais elle n’aurait dû
faire confiance à ce médecin. Les Hybrides avaient localisé son appel. L’homme
qui se tenait devant elle dans sa cuisine en était la preuve vivante.
— Trisha s’inquiète pour vous. Vous n’avez rien à craindre, personne ne vous
fera aucun mal. Elle veut juste s’assurer que le bébé et vous allez bien. Elle s’est
rendue à la Réserve il y a deux jours, juste après votre conversation. C’est nous
qui avons localisé votre appel grâce au relais téléphonique du coin, pas elle. Elle
a tenu parole et nous avons agi sans son accord. (Il porta les yeux sur son ventre
et renifla.) Votre bébé est un Hybride, vous avez besoin de soins spécifiques
pendant votre grossesse.
— Oubliez-moi et disparaissez, le supplia Becca en retenant ses larmes.
Laissez-moi tranquille, je vous en prie.
Il reporta le regard sur son visage, les larmes aux yeux lui aussi.
— C’est impossible. Vous devez voir un médecin. Vous en êtes à la moitié de
votre grossesse. Si on vous laisse seule, vous pouvez vous préparer à une grosse
surprise à la vingtième semaine. C’est là que le bébé arrivera à terme.
Becca en resta bouche bée. Elle se doutait que le développement du fœtus
serait plus rapide que la normale, mais pas à ce point.
— Quoi ?
— C’est un bébé hybride. Ce sera un mâle, avec des traits hybrides très
marqués, et il viendra au monde à vingt semaines. Notre gestation est plus
rapide. Vous en avez dit suffisamment à Trisha pour qu’elle soit sûre que son
père est un félin, comme moi. Il aura les traits de son père. Tous les gens qui le
verront sauront aussitôt ce qu’il est. Vous serez harcelée par les suprémacistes
qui essaieront de vous tuer tous les deux. Et Mercile Industries essaiera peut-être
de vous enlever. Certains de leurs employés sont encore dans la nature. Ils savent
qu’ils sont traqués et ils pourraient se servir de vous comme monnaie d’échange.
En refusant de venir chez nous, vous mettez votre bébé en grand danger. Jamais
nous ne lui ferons aucun mal, et il est hors de question qu’on vous sépare.
Attention, votre viande brûle. Vous voulez que je coupe le gaz ?
Becca tourna la tête et vit qu’en effet une fumée sombre et malodorante
s’élevait de la poêle. Elle coupa le feu et s’éloigna de la gazinière sans toutefois
se rapprocher de Flamme, qui se tenait toujours immobile.
— Personne n’est au courant. J’ai tout fait pour cacher ma grossesse. Je suis
très bien ici et vous pouvez vous en aller.
Flamme fronça les sourcils.
— La Réserve se trouve à vingt-cinq kilomètres d’ici. Laissez-moi au moins
vous y emmener pour que Trisha vous examine. Si vous refusez, on mettra en
place un périmètre de sécurité autour du chalet. Ce n’est pas négociable. L’enfant
et vous avez besoin d’être protégés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Vous
courez un plus grand danger ici, mais jamais nous ne vous forcerons à vivre en
captivité. Nous ne savons que trop ce que cela fait.
Trisha secoua la tête.
— Je ne peux pas vous accompagner et je ne veux pas de votre protection.
Vous ne comprenez pas. Je ne vous connais pas, heureusement, mais, si
quelqu’un me reconnaît, ça entraînera de gros problèmes, expliqua-t-elle,
terrorisée. Vous êtes venu seul ou avec des humains ?
— Je suis seul.
— Dieu merci ! répondit-elle, rassurée. Je vous en supplie, oubliez-moi et
repartez. M’envoyer une équipe de sécurité serait la pire décision possible.
Jurez-moi que vous ne le ferez pas.
— Expliquez-moi pourquoi. Vous seriez protégée.
Le bébé assena un coup de pied vigoureux. Becca tressaillit et se frotta le
ventre, et l’Hybride sourit.
— Je l’ai vu. Il est fort. Trisha disait qu’à partir de la seizième semaine elle
avait l’impression que son fils allait lui défoncer le ventre à coups de pied.
— Trisha le docteur ? balbutia Becca, éberluée.
Flamme hocha la tête.
— Elle m’a donné l’autorisation de vous le dire, vu que vous allez bien
accoucher d’un bébé hybride. Trisha est mariée à l’un d’entre nous et elle a un
fils prénommé Forêt. Il est né à vingt semaines. Vous voulez le rencontrer ? Voir
à quoi ressemblera votre propre fils ? Les bébés hybrides sont très mignons. Il a
de l’ADN canin, donc ses traits sont un peu différents, mais je pense que vous
aurez moins peur d’avoir un bébé hybride une fois que vous aurez fait la
connaissance de Forêt. Il fait fondre tout le monde.
— Je ne peux pas. Partez et essayez de convaincre vos supérieurs de ne
m’envoyer personne.
Flamme grimaça.
— Vous devez consulter un médecin. Vous avez peur, je le sens. C’est inutile.
Je préférerais mourir que de vous faire du mal. Comment vous appelez-vous ?
Nous n’avons pas réussi à vous identifier.
— Nous ? répéta-t-elle, de plus en plus effrayée.
— Vous êtes terrifiée, dit Flamme en pâlissant. Est-ce que le père vous a fait
du mal ? Est-ce qu’il vous a violée ?
Trisha fit « non » de la tête.
— Mais pourtant vous avez peur, insista-t-il. Pourquoi ?
Elle le regarda dans les yeux.
— Je ne veux pas que le père soit au courant. Pas encore, tout du moins. J’ai
déjà assez de soucis comme ça et je n’ai pas envie de gérer ça en plus. Et je ne
veux pas non plus que ma famille l’apprenne. C’est… compliqué.
— Dites-moi ce qui vous fait si peur.
Trisha se mordit la lèvre inférieure.
— Je ne peux pas. Disons que ma famille est très bien placée pour le faire
payer au père. Même si je ne suis pas en très bons termes avec lui, je n’ai pas
envie qu’il lui arrive quelque chose. Et je ne veux pas non plus que mes proches
aillent en prison pour meurtre. Vous voyez bien que vous ne pouvez pas rester.
Flamme la regarda et ses traits s’adoucirent.
— Vous ne me laissez pas le choix : je vais devoir employer une méthode qui
me déplaît. Il est hors de question que je vous laisse seule ici. J’étais persuadé
que je parviendrais à vous convaincre de m’accompagner, mais je vois que vous
êtes déterminée à rester ici. (Il regarda une nouvelle fois le ventre de Trisha,
inspira profondément et planta son regard dur dans celui de la jeune femme.) Je
suis désolé. Ne vous effrayez pas, mais vous allez venir avec moi. Vous verrez le
docteur et vous serez protégée nuit et jour. Inutile de discuter. Il est évident que
vous courez un grave danger et je suis d’autant plus heureux que nous vous
ayons trouvée. Ne résistez pas, je vous en prie. Pensez à votre bébé.
Il fit un pas vers elle et Becca recula jusqu’à se retrouver dos au placard.
— Non.
Flamme s’approcha d’elle et lui prit doucement le bras.
— L’hélicoptère est en route. De toute façon, vous n’auriez pas tardé à
l’entendre et vous auriez deviné que je comptais vous emmener, que vous le
vouliez ou non. Mon intention n’est pas de vous faire peur et je vous assure que
personne ne vous fera le moindre mal. Nous allons à la Réserve, où Trisha vous
examinera. Je ne vous laisse pas le choix. Gardez votre calme pour le bébé.
— Mais lâchez-moi, bon sang ! cria Becca en tentant de se dégager.
Flamme obéit et la souleva aussitôt dans ses bras comme une enfant. Becca
poussa un hurlement et agrippa sa chemise.
— Reposez-moi.
Elle ne résistait pas de peur qu’il la laisse tomber. Vu sa taille, la chute serait
longue.
— Pensez à votre bébé, grogna Flamme. Détendez-vous et contrôlez votre
respiration. Calmez-vous.
Terrorisée, Becca cessa de tirer sur sa chemise mais garda les doigts crispés
sur le tissu en cherchant des mots susceptibles de convaincre le grand Hybride
de la reposer par terre.
— C’est un enlèvement ! C’est illégal et vous n’êtes pas sur la juridiction des
Hybrides. Je suis une citoyenne américaine et je refuse de vous suivre. Vous
n’avez pas le droit. C’est contraire à la loi.
Il se dirigea vers la porte d’entrée et la regarda, un sourcil dressé.
— Je connais vos lois. Elles sont fondées en majeure partie sur la notion de
propriété et, vu que je vous tiens, on peut dire que vous êtes à moi, dit-il en
ajustant sa position contre son torse massif. Vous n’avez rien à craindre.
Elle savait qu’il ne changerait pas d’avis et qu’elle ne pouvait lui échapper.
Elle ne lisait aucune colère sur son beau visage, rien d’autre qu’une
détermination inébranlable. Flamme était bien décidé à l’emmener à la Réserve.
Elle entendit l’hélicoptère qui approchait. La porte d’entrée était béante. Il avait
dû l’ouvrir pendant qu’elle était dans la cuisine et elle le soupçonnait d’avoir
prévu ce scénario depuis le début.
Faites que ce ne soit pas le pilote de mon père, pria-t-elle en regardant
l’hélicoptère se poser devant le chalet. Elle le connaissait mais ne se rappelait
plus son nom. Si c’était lui, il la reconnaîtrait sans aucun doute, même s’ils ne
s’étaient rencontrés qu’une brève fois, car elle savait que son père avait plusieurs
photos d’elle sur son lieu de travail.
Avec soulagement, elle constata que le pilote était bien plus âgé que celui de
son père et qu’elle ne l’avait jamais vu. La porte coulissante s’ouvrit et deux
Hybrides sautèrent à terre. Voyant qu’il n’y avait personne d’autre dans la
cabine, elle se détendit. Pour l’instant, son anonymat restait préservé et personne
ne préviendrait son père et ne déclencherait de cataclysme.
Flamme descendit les marches du porche et s’adressa à ses deux collègues.
— Récupérez ses affaires et fermez derrière vous en partant. Jetez la
nourriture qu’elle était en train de faire cuire. L’hélico reviendra vous chercher
dans une demi-heure.
Les hommes hochèrent la tête. Becca étudia leurs visages, puis se crispa
lorsqu’ils saisirent Flamme par les bras pour le soulever et les poser tous deux
dans l’hélicoptère. Flamme baissa la tête et s’assit pendant qu’ils refermaient la
porte.
Il attacha sa ceinture sans la lâcher, de peur qu’elle tente de s’enfuir. Elle
l’envisagea un instant, mais il était déjà trop tard, car l’appareil était en train de
décoller. Le vacarme des pales l’empêchait d’essayer de lui parler, mais elle
savait que toute tentative de persuasion aurait été vaine. Il était têtu comme une
mule et elle connaissait bien ce genre d’oiseau. Soudain, elle pensa à son père.
S’il apprenait la nouvelle, il perdrait la tête et serait prêt à tuer Brute, voire tous
les Hybrides qui se mettraient en travers de son chemin. Jamais il ne croirait
qu’elle avait couché avec Brute de son plein gré. Même s’il acceptait le fait
qu’elle se soit sentie attirée par son charme, les circonstances invalidaient le
prétexte du consentement.
Elle se remémora la scène qui s’était produite deux jours après son retour chez
elle. Son père était entré dans sa chambre sans prévenir et l’avait serrée contre
lui, avant de la regarder droit dans les yeux. Les mots qu’il avait alors prononcés
la hantaient encore.
— Quand tu as été enlevée, ça m’a placé dans une situation très inconfortable,
ma puce. Je sais que j’ai fait le serment de les protéger, mais ça ne m’aurait pas
empêché de tuer les Hybrides qui t’avaient touchée s’il s’était agi d’un
laboratoire de reproduction. Même s’ils avaient été sous l’influence d’une
drogue ou forcés à le faire, ça n’aurait rien changé pour moi. Tu es mon bébé et
ça les aurait condamnés à mort. J’ai passé des nuits blanches à t’imaginer entre
leurs mains, effrayée et sans défense. Quand je pensais à ce qui aurait pu
t’arriver, j’étais malade d’inquiétude.
Elle avait menti et l’avait assuré qu’il ne s’était rien passé, mais son père avait
continué à lui expliquer tout ce qu’il aurait été capable de faire. Elle l’avait laissé
parler et était restée blottie contre lui, sachant qu’il était prêt à risquer la prison
pour lui prouver son amour, terrifiée à l’idée de ce qu’il ferait s’il apprenait que
Brute et elle avaient couché ensemble.
Une turbulence la tira de ses réflexions et une nouvelle pensée la paralysa.
Trisha la reconnaîtrait immédiatement. C’était elle qui l’avait examinée après sa
libération. Elle tourna la tête et regarda Flamme.
— Vous n’avez pas le droit de faire ça. Lâchez-moi, bon sang ! Vous ne
comprenez pas. (Elle hurlait pour se faire entendre. Voyant qu’il la comprenait,
elle insista.) S’il vous plaît ?
L’air navré, il secoua la tête. Il la tenait toujours aussi fermement, comme s’il
craignait qu’elle ouvre la porte et saute en plein vol. Mais c’était inutile, car elle
n’était ni stupide ni suicidaire. De nouvelles turbulences secouèrent l’hélico et
Becca sentit la nausée monter. Elle porta la main à sa bouche pour se retenir de
vomir.
Avec un juron, Flamme la souleva à bout de bras pour atténuer les secousses.
— Fermez les yeux et respirez par le nez, lui conseilla-t-il.
Il la déplaça un peu dans ses bras pour lui prendre le poignet entre les doigts et
sentir son pouls. Becca, surprise, sentit sa nausée diminuer. La douceur dont il
faisait preuve avec elle lui rappelait Brute. Elle ferma les yeux et enfouit le
visage contre son cou. Sa peau chaude, ses bras musclés, son physique de
colosse… tous ces attributs ne faisaient que lui rappeler Brute.
— On est presque arrivés, la rassura Flamme. Ne craignez rien, c’est bientôt
terminé.
Becca ne parvenait pas à discipliner ses pensées. Brute ne tarderait pas à être
mis au courant. Dès que Trisha l’aurait reconnue, il apprendrait la nouvelle de sa
présence à la Réserve. Il ne l’avait pas appelée et elle était toujours furieuse de
constater le peu d’importance qu’elle avait à ses yeux alors qu’elle avait été
persuadée que les liens qui les unissaient avaient quelque chose d’unique. Sa
grossesse le laisserait probablement sans voix, comme cela avait été le cas pour
elle, mais elle avait également peur que cela le mette en colère.
Dans le pire des cas, Brute voudrait lui soustraire le bébé. Flamme l’avait
assurée que cela n’arriverait pas, mais elle connaissait suffisamment bien les
Hybrides pour savoir qu’ils vivaient en dehors de la plupart des lois humaines.
Est-ce qu’ils avaient le droit de la mettre à la porte de la Réserve une fois le bébé
mis au monde, et de lui interdire de jamais le revoir ? Qui les en empêcherait ?
Le gouvernement n’avait aucun droit d’ingérence sur leur territoire et les
Hybrides ne dépendaient que de leurs propres lois.
Brute se moquait d’elle comme de sa première chaussette, mais il
s’intéresserait peut-être au bébé. Elle se mit à pleurer. Vu sous cet angle, la
perspective de voir son père tuer Brute lui paraissait beaucoup moins
répugnante. Elle se força à oublier cette idée. Elle n’avait aucune confiance en la
gent masculine. Elle avait appris cette leçon dans la douleur pendant son premier
mariage.
Jamais elle n’aurait cru que son amant éphémère était un salopard mais, de
toute évidence, elle s’était trompée. Brute aurait pu venir chercher ses affaires et
en profiter pour lui parler, mais il s’était lâchement défilé en demandant à son
père de lui renvoyer ses vêtements. La raison était limpide et très douloureuse
pour elle : il avait envie de l’oublier, ainsi que tout ce qui s’était passé entre eux.
L’hélicoptère se posa lourdement et Becca revint à la réalité. Flamme se leva
et se dirigea vers la porte coulissante, que l’on avait ouverte pour eux. Becca
leva la tête vers lui et crut lire de la pitié dans son regard. Elle tourna ensuite les
yeux vers l’extérieur, inquiète de voir quelqu’un qui la connaissait, mais elle
n’aperçut qu’une femme, grande et musclée dans son uniforme de l’OPH.
L’inconnue fixa aussitôt le regard sur son ventre et Becca comprit qu’elle savait
qu’elle était enceinte. Jusqu’ici, personne ne connaissait son nom, mais elle
savait que ce n’était qu’une question de temps et que son père ne tarderait pas à
tout apprendre.
Deux Hybrides qu’elle n’avait pas remarqués s’approchèrent deux et saisirent
Flamme par les bras pour les faire descendre. Ce dernier leur adressa un regard
de remerciement et se dirigea vers un SUV noir, suivi par la femme.
L’hélicoptère redécolla et Becca colla le visage contre le torse de Flamme pour
se protéger.
— Enchantée, dit la nouvelle venue en marchant à grands pas pour les
rattraper. Je m’appelle Rose.
Becca la regarda. Elle n’avait jusque-là rencontré que peu de femmes
hybrides, mais toutes celles qu’elle avait vues étaient très jolies. Il arrivait que la
presse diffuse des photos de mâles, mais jamais de femelles. Selon la rumeur,
c’était parce qu’elles étaient trop laides pour se montrer, mais Becca savait que
cela n’aurait pu être plus éloigné de la vérité.
— Et vous ?
Becca lui répondit la première chose qui lui passa par la tête.
— Vous n’avez qu’à m’appeler « Baisée ».
Rose cligna des yeux et cessa de sourire, puis regarda le ventre de la jeune
femme.
— Vu votre état, c’est effectivement ce qui a dû vous arriver.
Becca ne put s’empêcher d’éclater de rire, immédiatement séduite par
l’Hybride.
— Ouais, je crois qu’on peut le dire. Désolée, ce n’était pas très poli de ma
part. C’est juste que je suis dans les ennuis jusqu’au cou et que je passe vraiment
une sale journée.
— Vous n’avez rien à craindre parmi nous, la rassura Rose. Votre bébé et vous
êtes les bienvenus chez les Hybrides. Vous faites déjà partie de la famille. Votre
bébé est hybride et, comme vous êtes sa mère, on vous considère aussi comme
telle.
— Merci. Sincèrement.
Becca était touchée de la gentillesse de tous ces inconnus, mais elle aurait
préféré qu’ils la laissent tranquille, tout en sachant que cela n’arriverait pas.
— Où allons-nous ? demanda-t-elle.
— Au centre médical, répondit Flamme tandis que Rose ouvrait la portière
arrière de manière à installer Becca sur la banquette. Trisha vous attend.
La jeune femme étudia le paysage environnant et ne vit que des hautes herbes
et beaucoup d’arbres. C’était la première fois qu’elle venait à la Réserve et
aucune photo n’était parue dans la presse. Les hélicoptères et les avions
n’avaient même pas le droit de survoler la zone. Les Hybrides veillaient sur leurs
territoires avec férocité.
Rose s’installa au volant et Flamme s’assit à côté de Becca, comme s’il
craignait qu’elle tente de s’échapper. Cela n’aurait d’ailleurs pas servi à grand-
chose. Elle savait que la Réserve était entourée d’une enceinte et qu’elle ne
parviendrait jamais à s’en évader. La voiture roulait lentement en direction d’un
groupe de bâtiments.
Au bout de quelques minutes, ils se garèrent devant une bâtisse à un étage.
Contrairement au centre médical de Homeland, sa façade n’était pas en verre.
Les seules ouvertures étaient des petites fenêtres obscurcies, loin du sol. Flamme
descendit du SUV et offrit la main à Becca.
— Je vous porte ou vous préférez marcher ?
Elle hésita.
— Vous êtes armé ?
— J’ai un pistolet contre ma cheville, mais vous ne pourrez pas me le prendre.
— Et vous, est-ce que vous pourriez me tirer dessus ? Faites-moi confiance,
ce sera plus simple pour tout le monde.
Rose, qui approchait, éclata de rire.
— Elle a de la repartie !
— C’est bien tout ce qui me reste, acquiesça Becca en hochant la tête.
Flamme, agacé, tendit les mains vers elle, mais la jeune femme lui assena une
petite tape.
— C’est bon. Je peux marcher seule.
Elle sortit de la voiture, serrée de près par les deux Hybrides, qui craignaient
sans doute qu’elle s’enfuie. Becca devait bien admettre qu’elle était tentée de le
faire, mais elle oublia vite cette idée et leva la tête. Elle n’avait aucun moyen
d’échapper à ce qui l’attendait derrière cette porte. Elle fit un pas hésitant, puis
un deuxième, avec l’entrain d’une condamnée à mort en route pour la guillotine.
Flamme ouvrit la porte et la fit entrer dans une grande pièce climatisée. Vide
et silencieuse, elle n’avait rien de rassurant.
— Trisha a éloigné tout le monde, expliqua Rose, humains comme Hybrides.
Elle voulait que vous vous sentiez à l’aise. Elle va commencer par vous
examiner, puis vous passerez une échographie. Elle dit que vous serez heureuse
de découvrir à quoi ressemble votre bébé.
Becca, les jambes flageolantes, passa devant la réception et s’engagea dans un
couloir. Trisha était là. Elle lui tournait le dos et parlait avec un grand Hybride
aux longs cheveux noirs. Ce dernier sourit et se baissa pour lui donner un baiser
bien trop appuyé pour n’être qu’amical.
Flamme s’éclaircit la gorge.
— Désolé de vous interrompre, les tourtereaux, mais elle est arrivée. Elle
refuse de me donner son nom et elle ne voulait pas venir.
Trisha se libéra des bras de l’Hybride et se retourna lentement, puis écarquilla
les yeux en voyant Becca.
— Dis à Justice de venir aussi vite que possible, ordonna-t-elle à son
compagnon. Explique-lui que la situation est critique et interdis l’accès au centre
médical. Personne ne doit ni entrer, ni sortir, Slade. Aucun humain ne doit
l’approcher, sans exception, et surtout pas les membres de l’équipe d’Oberto.
— Pourquoi ? demanda-t-il en regardant Becca avec curiosité.
— Voici mon mari, Slade, continua Trisha en s’adressant cette fois à Becca.
Slade, je te présente Becca Oberto. La fille unique de Tim Oberto, celle dont il
parle tant. Celle qui est censée être en Europe. Il m’a montré la dernière carte
postale qu’il a reçue d’elle il y a deux semaines. Bon, tu préviens Justice, oui ou
non ? Le problème est bien plus grave qu’on le croyait.
CHAPITRE 14

Malgré ses genoux qui tremblaient, Becca parvint à rester debout. Son secret
était éventé, tout du moins pour les personnes présentes. Elle avait envie de
pleurer et n’arrivait pas à parler, l’estomac retourné par la peur et la nervosité.
Slade l’observait, le regard dur.
— Elle n’a pas vraiment l’air d’être en Europe.
— En effet, acquiesça Trisha. Vous auriez dû nous le dire dès le début, Becca.
Comment avez-vous fait pour les cartes postales ?
— Une partie de mon ancienne belle-famille habite là-bas et je leur ai
demandé ce petit service, répondit Becca en se retenant à grand-peine de
sangloter. Laissez-moi partir, je vous en prie. J’ai assez d’argent pour disparaître.
Mon père… (Elle hésita et adressa un regard suppliant à Trisha.) Il ne doit pas
l’apprendre. Il deviendrait fou de colère et vous savez tous à qui il s’en prendrait.
Il l’accuserait d’avoir couché avec moi sans se soucier du fait que j’étais
consentante. Il n’arrive jamais à être raisonnable quand il s’agit de moi. Laissez-
moi repartir avant que ça tourne au cauchemar.
— Impossible, Rebecca. Pour votre sécurité et celle du bébé, vous devrez
vous installer ici. Flamme vous a expliqué la tournure que va prendre votre
grossesse ? Les bébés hybrides arrivent à terme à vingt semaines. Vous en êtes à
combien ? Huit ?
— Neuf.
— Donc vous approchez de la moitié. C’est pour cela que votre ventre
s’arrondit déjà et que vous le sentez bouger. Slade m’a donné un fils. L’ADN
modifié des Hybrides est si fort qu’il domine tout le reste. Le bébé sera
forcément masculin et il aura les traits physiques de son père. Vous ne pourrez
pas le cacher indéfiniment aux yeux du monde. Et votre père finira par apprendre
la vérité, à moins que vous comptiez lui dire que vous vous installez
définitivement en Europe.
— J’ai même envisagé de simuler un accident de voiture pour lui faire croire
que j’étais morte.
Trisha fronça les sourcils, mais Becca haussa les épaules.
— Je n’avais rien prévu de tout cela. J’essaie de vivre au jour le jour pour
éviter le stress, expliqua-t-elle en se frottant le ventre. Dès que je commence à y
penser, je me crispe. Ce n’est pas très bon pour le bébé.
— Nous devons en informer le père de l’enfant, Rebecca.
— Non, répondit fermement la jeune femme. C’est mon bébé.
— Nous n’avons pas le choix. Votre père l’apprendra un jour ou l’autre, vous
vous en doutez, et, dès qu’il saura, il s’en prendra à lui. Il faut au moins l’avertir
de ce qui l’attend. Vous voulez qu’on le fasse venir ici pour que vous le lui
appreniez vous-même ?
Becca secoua vigoureusement la tête.
— Nous n’avons rien à nous dire. Je ne peux pas vous empêcher de le mettre
au courant, mais de mon côté je ne lui demande qu’une seule chose : qu’il reste
loin de moi.
— Vous lui en voulez ? s’étonna Trisha en pâlissant. Lui aussi est une victime.
— Je le sais, mais ce n’est pas pour cela que je ne veux pas le voir. Dites-lui
que je ne veux plus de contact avec lui. J’ai été contrainte à venir ici, mais au
moins ne me forcez pas à le voir. Je vous en prie. (À sa grande honte, elle
pleurait, victime de ses hormones et de sa peur de l’avenir.) Vous ne trouvez pas
que j’ai assez de pression comme ça ?
Trisha hésita, incertaine.
— Commençons par vous examiner, vous et le bébé. Ensuite, nous aviserons.
Entrez et déshabillez-vous. J’arrive tout de suite.
Becca hocha la tête et entra dans la salle d’examen, puis ferma la porte
derrière elle, s’y adossa et ferma les yeux. Ils allaient tout dire à Brute et à son
père. Tout ce qu’elle avait eu tant de mal à mettre en œuvre pour se protéger était
en train de s’écrouler sous ses yeux. Mais c’est pas vrai ! Merde. Merde. Merde !
Elle posa la main sur son ventre et sentit le bébé bouger. C’était bien la seule
chose qui pouvait la consoler.

— Tu sais qui est le père ? demanda Flamme, les sourcils froncés.


Trisha hocha la tête.
— Ne le dis à personne tant qu’il n’aura pas été lui-même mis au courant.
Cette information est classifiée et il n’y a donc qu’à lui que tu peux le révéler. Tu
as entendu Becca : elle refuse de le lui dire elle-même. C’est à toi de le faire à sa
place, Flamme. (Elle se tourna ensuite vers Rose.) Nous serons les seuls à savoir,
avec Justice, dès que Slade le lui aura appris.
Rose fit un signe d’assentiment, mais Flamme semblait hésiter.
— Et à qui dois-je annoncer cette heureuse nouvelle ?
Trisha regarda son mari avant de répondre.
— À Brute. Ils ont été enfermés dans la même cage et ils ont couché
ensemble. Ça va être…
— Difficile pour tout le monde, termina Slade en l’entourant de son bras.
— Nom de Dieu ! jura Flamme. Je crois que je sais où le trouver. J’ai entendu
des femmes parler de lui au petit déjeuner. J’y vais tout de suite.
Il se retourna et vit que Rose était bouche bée. Il comprenait ce qu’elle
ressentait.

Brute s’approcha en dansant de l’une des femmes, heureux de pouvoir se


vider la tête. Il avait connu une nouvelle nuit blanche suivie d’une journée
passée à se débattre avec de la paperasse. En se laissant totalement aller, il
espérait s’épuiser suffisamment pour dormir. Brise lui sourit, lui donna un coup
de hanche et posa les doigts sur son bras.
— Merci.
— De quoi ?
Il la fit virevolter, l’inclina jusqu’à ce que ses cheveux balaient le sol, puis la
redressa d’un coup sec.
— D’avoir accepté de m’accompagner. C’est sympa, hein ?
Il était bien forcé d’admettre que cela valait mieux que de passer la soirée à
faire les cent pas dans son salon.
— Oui.
— Ensuite, on ira manger quelque part. (Voyant qu’il hésitait, elle insista.)
Mais si. Les mâles qui ne vivent que pour le boulot sont hyper rasoirs. Tu as
besoin de t’amuser un peu. Tu es grognon et tu t’en prends à tout le monde. (Elle
appuya la tête contre son torse et le regarda dans les yeux avec sérieux.) Je
m’inquiète pour toi. On est amis. Tu ferais de même pour moi.
Brute hocha la tête, car il savait qu’elle avait raison.
— Oui, je sais.
— Tu fais des cauchemars ?
Il détourna les yeux. Oui, il rêvait, mais jamais il n’avouerait quels étaient les
sujets de ses songes. Il recula un peu pour rompre le contact de leurs corps.
— Tu ne dors pas bien, déclara Brise en lui tapotant le torse. Ce soir, je vais
t’aider.
— Je ne crois pas que ce serait une bonne idée, rétorqua-t-il nerveusement.
— Tu évites tout le monde depuis que tu as été enlevé, continua-t-elle, ses
jolis yeux pleins de détermination. Je te le dois.
— Pas comme ça.
— Emmène-moi dîner quelque part et laisse-moi m’occuper de toi, insista-t-
elle. Tu as besoin d’amis et je suis exactement ce qu’il te faut.
— Je sais.
— Alors tais-toi et danse.
Il obéit et la prit par la main pour la faire tournoyer, souriant en l’entendant
glousser de rire. Sa joie enfantine avait pour lui l’effet d’un rayon de soleil. Elle
était issue du même laboratoire que lui et il savait qu’il était de son devoir de la
rendre heureuse.
Soudain, il aperçut Flamme de l’autre côté de la salle, qui lui faisait de grands
gestes avec les bras. Il avait le visage fermé et Brute devina aussitôt qu’il se
passait quelque chose de grave. Il lâcha Brise et cessa de danser tandis que
Flamme s’approchait d’eux.
— Je reviens, dit-il à Brise.
— Ça m’étonnerait, marmonna Flamme.
Brute l’entendit et le regarda, surpris.
— Il est arrivé quelque chose ? Le conseil doit se réunir ?
— Non, répondit Flamme en reculant jusqu’au bar avant de faire signe au
barman. Tu m’en remets deux, s’il te plaît ?
Brise attrapa Brute par le revers de sa chemise.
— Je t’attends à 18 heures, OK ? Ne me force pas à te courir après.
Il hocha la tête avec un sourire distrait. Elle le lâcha aussitôt et Brute se glissa
au milieu des danseurs pour rejoindre son ami. Ce dernier leva les deux verres
que le barman avait emplis d’un liquide sombre, croisa le regard de Brute et fit
un mouvement de tête en direction de la porte.
La chose était assez grave pour nécessiter un tête-à-tête. Brute carra les
épaules et suivit Flamme hors du bar. Il espérait qu’aucun Hybride n’était blessé.
Les deux hommes traversèrent le lobby de l’hôtel, Flamme loin devant, Brute
marchant à grands pas pour ne pas se faire distancer. Le comportement de son
ami l’intriguait. Ils s’arrêtèrent enfin sur la pelouse, à une trentaine de mètres du
bâtiment.
Flamme se tourna vers lui et lui tendit un verre.
— Tiens, bois.
Brute renifla pour tenter de déterminer la nature de la boisson, mais il était
face au vent. Il regarda le liquide trouble et fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Du whisky. J’en ai déjà bu deux bonnes gorgées avant que tu aperçoives
mes signaux.
— Je ne bois pas d’alcool.
— Moi non plus, mais aujourd’hui c’est spécial. Crois-moi, bois. Tu vas en
avoir besoin.
Flamme vida son verre d’un trait, puis poussa un petit grognement.
— Dis-moi ce qui se passe. Un truc horrible, j’imagine ?
— Tu veux savoir ? demanda Flamme en lui tendant de nouveau le verre
plein. Bois ça si tu veux que je te le dise.
Brute ressentit un éclair d’irritation, aussitôt remplacé par une angoisse
pesante. Quelqu’un était mort. Une personne qu’il connaissait, forcément. Le
regard noir, il prit le petit verre, et se força à le porter à ses lèvres. Malgré le goût
atroce de la boisson, il l’avala.
— Beurk ! c’est ignoble, commenta-t-il en s’essuyant la bouche. Bon, parle
maintenant.
Flamme hésita.
— Allez, crache le morceau et arrête de me torturer.
— Assieds-toi sur ce banc.
— T’as fini de me donner des ordres et de tourner autour du pot ?
— J’insiste, assieds-toi. On a un gros problème au centre médical.
Brute s’assit, uniquement pour encourager son ami à parler, se retenant à
grand-peine de lui sauter à la gorge.
— C’est-à-dire ?
Flamme recula prudemment de quelques pas.
— On vient d’accueillir une humaine qui est enceinte d’un bébé hybride. On a
dû aller la chercher contre son gré, car elle ne voulait pas venir.
— Oui, j’en ai entendu parler. On m’a dit qu’une humaine avait contacté
Homeland pour dire qu’un des nôtres l’avait mise enceinte mais qu’elle ne
voulait pas de notre protection. Je suis soulagé qu’on l’ait localisée. Et le père,
vous l’avez trouvé ?
— Tout le problème est là. La femme refuse de le lui dire. Elle ne veut même
pas le voir.
Pour Brute, cela ne semblait pas de très bon augure.
— Tu veux que le conseil se réunisse et qu’on demande à tout le monde
jusqu’à ce qu’on trouve ? Tu as une photo d’elle ? Ça nous aiderait. On la
montrera à nos mâles et on identifiera le père nous-mêmes si elle refuse de dire
son nom.
— Trisha a reconnu la femme et elle sait qui est le père. C’est la future mère
qui a exigé qu’il n’ait pas le droit de l’approcher.
— Où est le problème ? On le tiendra à distance, voilà tout. La mère et le bébé
passent avant tout. C’est pour ça que tu es venu me déranger ? On dirait que tout
est déjà réglé.
— Je suis heureux de te l’entendre dire. Ça va me faciliter la tâche.
Brute inclina la tête, confus et agacé. Les paroles de Flamme n’avaient aucun
sens.
— Je ne comprends pas.
— La femme en question, c’est Becca Oberto, expliqua Flamme en le
regardant avec compassion. Ça te dit quelque chose, papa ?
Brute lâcha son verre, se figea et resta bouche bée. Becca ? Enceinte ? Son
cœur se mit à battre à tout rompre et sa vue se brouilla.
Flamme hocha la tête.
— Elle se cachait et elle est allée jusqu’à faire croire à son père qu’elle était
en Europe. Elle est bien enceinte, et son bébé est un Hybride. Je l’ai senti moi-
même.
Brute inspira très fort, ferma les yeux en poussant un grognement féroce, puis
se jeta sur Flamme.
Il ne pouvait y croire. C’était un mensonge. Becca ne pouvait pas être
enceinte. Trisha lui avait donné des pilules. Elle utilisait forcément un moyen de
contraception. S’ils avaient créé la vie, elle le lui aurait dit. Flamme tenta de
l’éviter, mais il était plus rapide. Il le saisit aux épaules, baissa la tête et inspira à
pleins poumons.
— Tu l’as touchée ! Je la sens sur toi et je sens sa peur ! rugit-il en perdant
tout contrôle.
Incapable de maîtriser sa rage, il propulsa Flamme dans les airs. Ce dernier
poussa un cri avant de retomber sur le dos deux mètres plus loin. Il amortit sa
chute par une roulade et se retrouva à quatre pattes face à Brute, qui était
ramassé sur lui-même, prêt à bondir. Il poussa un nouveau rugissement
assourdissant.
— Arrête, bon Dieu ! haleta Flamme. Je ne lui ai fait aucun mal, Brute. Elle
refusait de m’accompagner. Elle vivait dans un chalet au milieu des bois, tout
près d’ici, et je l’ai simplement portée jusqu’à l’hélico. Tu aurais préféré que je
l’abandonne à son sort, seule et sans protection ? Elle est au centre médical et
elle n’a plus rien à craindre !
Ivre de rage, Brute perçut à peine ces mots. Il grogna une nouvelle fois. Deux
agents de sécurité arrivèrent en courant et se placèrent entre eux.
— Un problème ? demanda le premier.
Flamme se releva lentement.
— Non, tout va bien. C’est une question d’ordre privé. Je viens d’annoncer
une nouvelle traumatisante à Brute. Laissez-nous. On ne se battra pas.
Brute se redressa et serra les dents. Les agents se consultèrent du regard, puis
s’éloignèrent. Flamme s’épousseta, puis regarda son ami.
— Ça va mieux ? Tu es calmé ? Je sais que ça doit être un choc. Surtout pour
toi, d’ailleurs. Je sais ce que tu penses des humaines. Mais d’un autre côté, la
bonne nouvelle, c’est qu’elle n’attend rien de toi. Elle n’exige pas le mariage. Au
contraire, elle nous a même demandé de faire en sorte que tu restes à l’écart. Elle
vivra chez nous, ce qui te permettra de voir ton fils autant que tu le voudras. Je
suis sûre qu’elle sera d’accord.
Brute fit un gros effort pour contrôler sa respiration et ses émotions. Becca est
enceinte. Becca est ici. Il s’approcha lentement de Flamme.
— Je ne t’attaquerai pas. Je veux juste sentir son odeur.
Flamme ne semblait pas ravi, mais il ne recula pas.
— Pourquoi ?
Brute fit un nouveau pas vers lui et inhala en fermant les yeux. Il baissa la tête
jusqu’à la chemise de Flamme et inspira de nouveau. Becca. Jamais il n’aurait
pu oublier son odeur. Elle était bien présente sur les vêtements de son ami, mêlée
à la senteur douceâtre de sa peur.
— Tu veux bien arrêter ? murmura Flamme. On va finir par nous prendre pour
ce qu’on n’est pas. Notre petite bagarre a attiré pas mal de spectateurs.
Brute grogna et recula.
— Elle est au centre médical ?
— Oui, mais n’oublie pas qu’elle refuse de te voir.
Brute sentit sa colère le reprendre. Il n’y comprenait rien. Pourquoi ce rejet ?
Cela n’avait aucun sens. Ils avaient créé la vie ensemble.
— Je la verrai, qu’elle le veuille ou pas.
Flamme poussa un juron étouffé.
— C’était la réponse que je craignais. L’accès au centre médical est interdit.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle pense que son père voudra te tuer. Tu le connais, Brute. À ton
avis, n’est-ce pas ce qu’il essaiera de faire ?
Brute haussa les épaules.
— C’est probable. Mais j’y vais quand même.
— Elle ne veut pas te voir.
— Je m’en fous. Moi, je veux.
Sur ces mots, il tourna les talons et partit à grands pas. Derrière lui, il entendit
Flamme téléphoner pour annoncer son arrivée. Brute accéléra l’allure et
commença à courir. Becca portait son enfant, elle était tout près de lui et il était
hors de question qu’il n’obtienne pas les réponses qu’il attendait.
Les questions qui le tenaillaient lui donnaient des ailes et il ne tarda pas à
arriver devant le centre médical. Tigre et Slade en bloquaient l’entrée. Il s’arrêta,
hors d’haleine.
— Dégagez.
— Elle ne veut pas te voir, Brute, expliqua Slade. Accorde-lui un peu de
temps. Elle est déjà contrariée qu’on l’ait amenée ici de force. Trisha essaie de
lui faire entendre raison. Je suis sûr qu’elle réussira à la calmer.
— Dégagez, répéta Brute en grognant, prêt à leur bondir dessus.
— Du calme, les gars. Brute, tu es furieux et tu as toutes les raisons de l’être,
mais tu dois te reprendre. Tu fais peur à voir. La femelle est enceinte.
Lorsqu’elle acceptera de te voir, tu ne penses pas que tu devrais avoir l’air
calme ? On va voter, tiens. Qui trouve que c’est une bonne idée ?
Il leva la main. Slade le fusilla du regard, mais leva la main lui aussi.
— Ce n’est pas un débat.
— L’humour, tu te rappelles ce que c’est ? maugréa Tigre. J’espère que Brute
s’en souvient, en tout cas. Allez, mon pote. Détends-toi.
— Je ne ris pas, répliqua Brute en crispant les poings avant de lancer un
regard noir à Slade. Comment tu réagirais si on t’empêchait de voir Trisha ?
Écartez-vous et laissez-moi entrer.
— Ce n’est pas la même chose. Trisha est ma compagne. Becca et toi n’avez
pas les mêmes liens, répondit Slade sans bouger d’un pouce. Allons faire un tour
pour en discuter.

Becca se rhabilla et sourit à Trisha.


— Il est parfait, non ?
— Oui, répondit gaiement le médecin. Votre bébé est en excellente santé. Je
vous avais bien dit que c’était un garçon. Tout va bien, Rebecca.
— Je préfère Becca. Seuls les gens que je ne connais pas m’appellent
Rebecca. Et mon père.
— On vous a préparé un logement. Vous devez vous installer parmi nous pour
le bien de votre bébé. Il y a encore beaucoup d’ex-employés de Mercile dans la
nature. Les labos ont presque tous été attaqués de nuit pour éviter que le
personnel tente d’éliminer les Hybrides, comme ç’avait été le cas lors du premier
assaut. Les chaînes d’info ont malheureusement diffusé les images en direct et
les employés ont presque tous pu voir leur lieu de travail se faire attaquer. On en
a arrêté vingt pour cent sur place, et environ trente autres pour cent se sont
rendus ou ont été attrapés, ce qui laisse un grand nombre de fugitifs aux abois,
comme ceux qui vous ont enlevée. Certains d’entre eux se disent peut-être que,
s’ils ont des otages, les Hybrides leur accorderont l’immunité. Mais, comme
vous le savez, il y a pire. Vos ravisseurs comptaient revendre les Hybrides une
fois qu’ils n’en auraient plus eu l’utilité. Vous imaginez ce qu’ils auraient fait de
votre bébé ?
Becca grimaça.
— Oui. Il doit valoir une petite fortune. J’en fais des cauchemars, croyez-moi.
— Je m’en doute. Sans parler de tous ceux qui détestent les Hybrides et qui
les prennent pour des bêtes sauvages qu’il faut abattre à tout prix. C’est pour
cela que personne ne sait qu’ils peuvent avoir des enfants. C’est une situation
horrible. Nous avons deux autres femmes enceintes. Dans quelques années, nous
pourrons peut-être mettre le monde au courant, mais pour l’instant nous devons
assurer leur protection. Votre bébé aura l’allure d’un Hybride, personne ne
pourra s’y tromper. Vous n’avez pas le choix : vous devez vous installer soit ici,
soit à Homeland, où personne ne pourra découvrir la vérité. Mis à part moi et les
autres femmes enceintes, aucun humain ne sera autorisé à vous approcher. Vous
ne serez pas seule. Nous serons quatre à vous apporter un soutien émotionnel.
— Quatre ?
— Moi, Ellie, Tammy et Jessie Dupree, que vous connaissez déjà, il me
semble. Elle travaillait pour votre père.
Becca en resta bouche bée.
— Jessie est enceinte ? Elle est… euh… la compagne d’un Hybride ?
— Elle a épousé Justice North en secret, mais ils ont préféré attendre un peu
avant d’essayer d’avoir un bébé. La presse n’est pas encore au courant de leur
union, mais elle peut l’apprendre n’importe quand. Tammy vit à temps plein à la
Réserve et Ellie s’y est récemment installée elle aussi, car elles y sont plus à
l’abri des curieux, et aussi parce que les structures médicales sont de meilleure
qualité. Nous préférons ne prendre aucun risque. Jusqu’ici, toutes les grossesses
se passent bien et je croise les doigts pour que ça continue. Ellie accouchera
bientôt et la grossesse de Tammy est à peine plus avancée que la vôtre.
— C’est très inattendu pour moi. Je pensais être seule.
— Ce n’est pas le cas. Votre bébé et vous avez une très grande famille, Becca.
Les Hybrides vous considéreront comme l’une des leurs.
— Mais ce n’est pas vrai.
— Ça l’est pour votre bébé et vous êtes sa mère. Aux yeux de tous, les
compagnes sont aussi des Hybrides.
— Je ne suis la compagne de personne.
— Ça ne change rien. Pourquoi ne voulez-vous pas voir Brute ? demanda-t-
elle après un instant de silence.
Becca hésita à répondre. Le chagrin qu’elle avait éprouvé en se sentant
abandonnée n’était peut-être pas une raison suffisante, mais elle en avait bien
d’autres à sa disposition.
— Dès notre rencontre, j’ai tout de suite compris qu’il ne désirait aucun
rapport avec les humaines. Si nous n’avions pas été enlevés, jamais ce ne serait
arrivé. Nous étions enfermés et nous nous pensions perdus. Il allait être vendu et
ils m’auraient abandonnée dans l’entrepôt, ou ils m’auraient tuée d’une balle
dans la tête avant de partir.
— Ça devait être très angoissant.
— Oui, et c’est pour ça que Brute et moi nous sommes rapprochés.
Trisha hésita.
— J’ai une question à vous poser. Vous avez pris les antibiotiques que je vous
avais prescrits ?
— Non. Les comprimés étaient énormes et j’ai préféré les jeter. Pourquoi ? Je
n’ai pas de fièvre, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en se touchant le front. Si j’avais
été infectée par leurs aiguilles, je m’en serais aperçu, non ?
— Ce n’était pas des antibiotiques, mais des pilules pour avorter. Je me
demandais pourquoi elles n’avaient pas fait effet. Maintenant, je le sais.
— Pardon ? explosa Becca.
— Je sais. Je ne vous ai pas laissé le choix et je n’avais pas le droit de le faire,
mais essayez de comprendre combien il est important pour nous de garder ce
secret. Comme vous venez de le dire, vous n’êtes la compagne de personne et
nous n’aurions pas pu vous laisser repartir s’il y avait un risque que vous soyez
enceinte, expliqua Trisha en la regardant droit dans les yeux. Mettez-vous à notre
place. Vous auriez préféré qu’on vous garde jusqu’à ce qu’on soit sûrs que vous
n’étiez pas enceinte ? C’était la seule autre solution. Il ne s’agit pas simplement
de vous et de votre enfant, mais aussi de mon fils, de ceux d’Ellie et de Tammy
et de tous ceux à venir.
Becca fit un effort surhumain pour passer outre sa colère et son sentiment de
trahison. Ils avaient essayé de la faire avorter. Elle serra les dents.
— Je suis désolée, reprit Trisha. Sincèrement. Vous étiez déjà traumatisée et
nous avons voulu vous protéger d’un malheur supplémentaire. Cette grossesse
bouleverse votre existence, n’est-ce pas ?
— Je veux avoir ce bébé.
— Je sais, répondit Trisha avec compassion. Croyez-moi, je sais ce que vous
avez traversé pour essayer de cacher votre enfant et le protéger. J’aurais fait la
même chose. Mais pourquoi ne pas nous en avoir parlé ? Vous êtes une femme
intelligente et je n’arrive pas à comprendre comment vous avez pu croire que
vous vous en sortiriez seule.
Becca enfila ses chaussures.
— J’aurais été forcée d’avouer à mon père ce qui s’était passé entre Brute et
moi dans cette cage. Si vous l’aviez vu pendant les semaines qui ont suivi ma
libération, soupira-t-elle. Il était fou de rage. J’ai dû lui jurer que personne ne
m’avait touché. Il aurait tué Brute, et c’est encore ce qu’il fera s’il apprend la
vérité, d’ailleurs. Mettez-vous à ma place. Mon père adore son métier et il aime
les Hybrides, mais il m’a juré qu’il tuerait tous ceux qui me toucheraient. Il est
prêt à aller en prison et Brute est le père de mon bébé. Je veux les protéger l’un
comme l’autre.
Un rugissement résonna à l’extérieur et les deux femmes sursautèrent.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Becca en agrippant Trisha par le bras.
— À mon avis, Brute est devant la porte. Il habite près d’ici parce qu’il a été
assigné à la Réserve en qualité de conseiller. On a dû le mettre au courant.
— Je ne veux pas le voir.
Un gros craquement retentit dans le hall, en même temps qu’un grognement
de douleur. Trisha, paniqué, poussa un juron.
— Je crois qu’il ne va pas vous laisser le choix. Bon sang, il faut que je sorte
d’ici ! s’exclama-t-elle en se dégageant de la poigne de Becca.
Un rugissement assourdissant retentit, suivi d’un nouveau craquement.
— Slade ! cria Trisha en se précipitant hors de la pièce.
Becca la suivit des yeux et aperçut un corps massif au bout du couloir dans
lequel Trisha faillit rentrer. Brute la rattrapa avant qu’elle tombe, la souleva et la
reposa contre le mur pour se dégager le chemin.
— Qu’est-ce que tu as fait à mon mari ? hurla-t-elle.
Brute poussa un grognement, puis leva la tête dans la direction de Becca et
reprit sa marche en avant. Une expression de fureur déformait son beau visage et
elle vit que sa chemise était à moitié déchirée.
Terrorisée, elle chercha un moyen de lui échapper, mais il n’y en avait pas. La
petite pièce avait bien une fenêtre, mais cette dernière était dénuée de poignée.
En dernier recours, elle poussa la table d’examen entre eux pour lui barrer la
route.
CHAPITRE 15

Brute entra dans la pièce et claqua la porte derrière lui.


— Becca, grogna-t-il, hors d’haleine.
— Ne bouge pas, ordonna-t-elle, terrorisée.
Il fit glisser son regard jusqu’au ventre arrondi de la jeune femme. Sa
grossesse était évidente. Il poussa un grognement animal, verrouilla la porte et fit
un pas vers elle.
Becca s’agrippa à la table pour ne pas tomber.
— Ne me fais pas de mal, Brute, et ne fais pas de mal au bébé, je t’en supplie.
Je sais que tu es furieux et que tu ne veux pas que j’aie ce bébé, mais il est à moi.
Je l’aime.
Il écarquilla les yeux.
— Tu crois que je vous ferais du mal, à toi ou à mon enfant ? demanda-t-il
d’une voix rauque.
— Tu es fou de colère, insista-t-elle en posant une main sur son ventre. Je ne
veux pas de toi, d’accord ? Je ne serais même pas là si tes copains ne m’avaient
pas enlevée.
Brute inspira plusieurs fois, puis fronça les sourcils et fit un pas de plus vers
Becca.
— Jamais je ne lèverais la main sur vous. Pourquoi as-tu refusé de me voir ?
Becca avala tant bien que mal sa salive.
— Nous n’avons aucune raison de passer du temps ensemble.
Il regarda son ventre.
— Aucune, vraiment ?
— Je n’ai rien à te dire, continua-t-elle calmement. Pourquoi insister ? C’est
arrivé, voilà. Mon bébé naîtra bientôt. Je suis désolée que ça te contrarie, mais
c’est la vie.
Brute serra les poings.
— Ton bébé ? C’est plus « notre » bébé, non ?
Sa colère à peine contenue faisait peur à voir.
— Tu le verras autant que tu voudras. Je vais devoir m’installer ici, mais on
pourra facilement s’éviter. Lorsqu’il sera né, on réglera la question des droits de
visite. Quelqu’un pourra venir chercher le bébé et le ramener pour toi. On n’aura
même pas à se croiser.
Brute poussa un nouveau grognement, les narines écartées, et ses yeux
s’assombrirent, passant du bleu au noir.
— Tu me laisseras voir mon enfant ? Comme c’est généreux de ta part.
— J’essaie de trouver une solution, d’accord ? Si tu ne veux pas le voir, rien
ne t’y obligera. Je sais que… (Elle s’interrompit, à court de mots). Ça n’aurait
jamais dû arriver, mais voilà. On va agir en adultes et trouver le moyen de
s’entendre pour le bébé.
Quelqu’un tenta d’ouvrir la porte mais se heurta au verrou.
— N’entrez pas. On en est en train de parler, ordonna Brute en se retournant.
— Bon sang ! Brute, dit Trisha, tu as de la chance que Tigre et mon mari ne
soient pas blessés.
— Va-t’en. C’est entre Becca et moi. Je ne lui ferai aucun mal. Laisse-nous.
— Becca ? appela Trisha. Vous allez bien ?
— Oui, ne vous inquiétez pas, répondit-elle sans grande conviction.
— Je vais mettre de la glace sur les bosses de Slade et de Tigre, annonça
Trisha d’une voix contrariée. Si vous avez besoin de quelque chose, criez.
Brute grogna et reporta son regard sur Becca.
— Viens ici.
Elle secoua la tête.
— Non. Tu es très en colère et je suis très bien où je suis. Ne t’avise pas de me
toucher, Brute. Je sais que tu es fâché, mais ce n’est ni ma faute ni la tienne.
— Viens.
— Tu es en colère, répéta-t-elle sans bouger.
— Oui. Tu aurais dû me le dire.
À ces mots, Becca perdit elle aussi son calme.
— Et quand est-ce que j’aurais eu l’occasion ? Quand tu es revenu chercher
tes affaires chez moi ? ou quand tu m’as appelée, peut-être ? railla-t-elle en
croisant les bras sur sa poitrine. Mais non, j’oubliais. Tu n’as rien fait de tout
cela. Tu as demandé à mon père de t’envoyer tes affaires et tu n’as jamais daigné
me téléphoner, pas même pour me demander comment j’allais. Et moi, j’aurais
dû te contacter ?
— Tu ne veux pas approcher ?
— Non. Je préfère garder mes distances. Et j’aimerais encore mieux que tu
t’en ailles.
Brute s’approcha d’elle avec la grâce d’un prédateur traquant sa proie et
Becca recula jusqu’au mur. Il posa une main de chaque côté de sa tête et elle se
mit à haleter de peur. Brute ferma les yeux, se détendit, puis, à la grande surprise
de la jeune femme, s’agenouilla devant elle. Il appuya le visage contre son
ventre, puis posa les mains sur ses hanches et se frotta le nez contre le tissu de
son chemisier.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle, figée.
Il inspira, ronronna et lui caressa le ventre avec la joue, puis souleva le
chemisier pour avoir accès à sa peau tendue, contre laquelle il s’appuya et resta
sans bouger.
— Brute, qu’est-ce que tu fais ?
— Je sens son odeur.
— Pardon ?
Il leva la tête et ouvrit les yeux. Ses iris étaient redevenus d’un bleu pur.
— Je sens l’odeur de mon fils.
Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais toute sa colère semblait s’être
évaporée. Elle se détendit un peu et tenta de réguler sa respiration et d’apaiser
les battements de son cœur. Brute ne paraissait plus sur le point d’exploser.
— Tu pensais que je ne voudrais pas de lui ?
En voyant les larmes qui montaient aux yeux du futur père, elle sentit le regret
l’envahir.
— Je ne savais pas, répondit-elle, étranglée par l’émotion. J’avais peur.
— Tu croyais que je te ferais du mal ? continua-t-il, un nouvel éclair de colère
dans le regard.
— Je ne sais pas. Je suis en proie à mes hormones, j’ai peur de tout et
j’essayais de m’en sortir toute seule.
— Tu n’es plus seule, dit-il en repoussant son chemisier un peu plus haut
avant de reporter son attention sur son ventre nu. Je suis là.
Mais pour combien de temps ? se demanda-t-elle, inquiète. S’il ajoutait qu’ils
formaient une équipe, elle le giflerait. Plus jamais elle ne tomberait dans ce
panneau, Mais son cœur commençait à fondre. Ils avaient fait un bébé ensemble,
créé une petite vie. Cette pensée lui fit monter les larmes aux yeux.
Brute lui caressait le ventre de ses doigts râpeux, avec une douceur et une
chaleur si touchante qu’elle ferma les paupières pour lui cacher son émoi. Il
laissa glisser ses doigts jusqu’à ses hanches, puis se figea.
— Oui, dit-elle doucement. Il a bougé.
— Mon fils, grogna Brute d’une voix si rauque qu’elle n’était plus totalement
humaine.
Becca détourna la tête et s’immobilisa pour le laisser profiter de ce premier
moment magique. Elle en avait tant vécu depuis la confirmation de sa grossesse.
Il passa les doigts dans la ceinture de son pantalon et l’abaissa de quelques
centimètres. Elle le laissa faire, pensant qu’il voulait voir entièrement son ventre
mais, à sa grande surprise, il le fit descendre d’un coup sec jusqu’à ses genoux.
Les yeux écarquillés, elle le regarda d’un air ébahi.
Brute avait la tête levée vers elle et ne semblait se soucier ni de son ventre, ni
de sa culotte en satin. Elle tenta de se dégager, mais il la saisit aux hanches et la
plaqua contre le mur.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle en jetant un regard affolé vers la
porte. Pousse-toi. Rhabille-moi.
Elle gigota pour lui échapper, car elle ne pouvait pas remonter son pantalon
dans cette position, mais il se contenta de lui lâcher une hanche pour commencer
à lui ôter ses chaussures.
— Brute ! mais à quoi tu joues ?
— Je veux te voir, répondit-il en jetant sa deuxième chaussure au loin.
— Ben, tu me vois déjà, non ?
Elle regarda la porte, inquiète que quelqu’un les surprenne ainsi, lui à genoux,
elle le pantalon baissé. Elle le prit par les épaules et tenta de le repousser.
— Tu vois même bien plus que mon ventre. Lâche-moi.
Il se releva, la dominant de toute sa taille.
— Becca, grogna-t-il.
Elle le poussa de nouveau, mais elle eut l’impression de se heurter à un mur.
Soudain, il posa le pied sur son pantalon et le descendit jusqu’à ses chevilles,
puis la souleva du sol.
— Repose-moi !
Elle ne criait pas, de peur d’attirer Trisha. Brute se retourna et la posa sur la
table d’examen avant de lui ôter définitivement son pantalon.
— Mais qu’est-ce que tu fais ?
Elle essaya de se relever, mais il la maintenait sur le dos, les jambes relevées.
— Je t’explore. N’aie pas peur, je ne te ferai rien.
— Ce n’est ni l’endroit ni le moment, et tu n’as pas le droit !
Elle tira sur son chemisier pour recouvrir sa nudité, mais Brute était lancé. Il
l’attira vers lui et elle agrippa les rebords de la table pour ne pas tomber, mais il
la stoppa juste avant que ses fesses arrivent dans le vide. À la grande surprise de
la jeune femme, il se mit alors à genoux, glissa les mains entre ses cuisses, puis
sa tête.
— Détends-toi, ordonna-t-il d’une voix grave.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Les cuisses ainsi écartées, elle était totalement exposée. Elle plongea le regard
dans ses yeux merveilleux et se rappela pourquoi il l’attirait tant. Un
ronronnement sexy emplit la pièce. Aussitôt, les souvenirs lui revinrent. Les
moments qu’ils avaient partagés dans la cage, les nuits passées à se remémorer
dans les moindres détails ses mains et sa bouche sur sa peau. Sa libido explosa
d’un seul coup. Elle venait de passer neuf semaines dans la solitude et le déni de
ses désirs.
Il se tortilla pour mieux s’enfoncer entre ses cuisses. Handicapée par son
pantalon qui lui emprisonnait les chevilles, Becca ne pouvait pas lui échapper.
Plus curieuse que craintive, elle n’était d’ailleurs pas vraiment sûre de vouloir
essayer. Le tissu, de plus en plus tendu, lui comprimait les chevilles et collait au
dos de Brute. Ce dernier baissa les yeux.
— Hé, c’est pas mon ventre, ça !
— J’en rêve depuis des semaines, répondit-il.
— De quoi ? De martyriser une femme enceinte et de lui immobiliser les
chevilles avec son propre pantalon ? Sors de là et arrête immédiatement,
ordonna-t-elle sans conviction.
Il regardait fixement sa petite culotte en satin bleu et Becca rougit, puis cessa
de respirer lorsqu’il posa sa main chaude dessus. Délicatement, il écarta le
fragile tissu pour la dénuder complètement. Il poussa un petit grognement, inhala
et se lécha les lèvres.
Il semblait s’enivrer de son odeur. Pour Becca, c’était totalement inattendu.
— Là non plus, ce n’est pas mon ventre, parvint-elle à dire.
Il ne va pas aller plus loin, quand même ? se demanda-t-elle, tandis que son
cœur tambourinait plus que jamais.
— J’en rêvais, répéta-t-il en la regardant dans les yeux.
Puis, soudain, il ouvrit la bouche et baissa la tête pour enfouir son visage entre
ses cuisses et passer sa langue brûlante sur son clitoris. Becca sursauta et saisit
les longs cheveux de Brute entre ses doigts. Elle tira dessus, mais l’Hybride
enfonça encore plus le visage entre ses jambes. Sa langue transmettait les
vibrations de ses grognements au point le plus sensible de Becca, qui se crispa
de la tête aux pieds. Il la lécha une deuxième fois, accroissant la pression, et des
sensations de plaisir commencèrent à inonder tout le corps de la jeune femme.
— Mon Dieu ! ce n’est pas juste.
Becca avait un goût délicieux. Le mélange de son parfum féminin et de
l’odeur hybride de son bébé lui faisait tourner la tête. Il savait qu’elle lui
appartenait de toutes les manières possibles et il comptait la revendiquer une
bonne fois pour toutes.
Elle lui tira les cheveux, ce qui lui donna envie de lui montrer qu’il était son
mâle. Il poussa un grognement grave. Tout son corps tremblait sous la puissance
de ses émotions. Petit à petit, Becca détendit les doigts et commença à lui masser
le crâne tandis qu’il se régalait d’elle.
L’arôme de l’excitation de la jeune femme, de plus en plus entêtant, le poussa
à arracher le tissu qui le gênait. Il jeta la petite culotte déchirée au loin. Il aurait
voulu se débarrasser aussi du pantalon, mais il en avait besoin pour la forcer à
garder les jambes autour de son cou. Il devait la convaincre de l’accepter et, pour
cela, sa bouche était sa meilleure arme de persuasion.
— Brute, gémit-elle.
Elle serra les jambes autour de lui et se cambra contre sa langue. Pour Brute,
c’était un triomphe éclatant. Elle était à lui et elle le savait. Il mourait d’envie de
la prendre, mais il résista, car il voulait d’abord la faire jouir et s’assurer qu’elle
était prête à l’accueillir. Il n’avait pas oublié la sensation de son fourreau étroit
autour de son sexe et il voulait être certain de pouvoir la pénétrer facilement.
Mais l’appréhension le retenait. Elle portait son enfant et il allait devoir agir avec
la plus grande prudence.
Il quitta son clitoris et commença à la lécher un peu plus bas. Elle était si
mouillée, si douce… Il plongea sa langue en elle, enivré. Ses parois vaginales
étaient très crispées et il dut forcer pour entrer de quelques centimètres tandis
qu’elle appuyait les hanches contre sa bouche.
Elle respirait de plus en plus vite, poussant des petits gémissements qui le
ravissaient. Becca était à lui. Cette pensée tournait en boucle dans son esprit,
calmant un peu son envie impérieuse de la baiser jusqu’à ce qu’elle crie grâce. Il
retira sa langue à regret de ce paradis et se concentra de nouveau sur son clitoris,
s’acharnant dessus avec la ferme intention de lui faire hurler son nom. Son sexe
était si tendu qu’il menaçait de faire éclater sa braguette.
Lorsqu’elle crispa de nouveau les doigts sur ses cheveux, il sut qu’elle était
proche de l’orgasme. Cette fois-ci, ce n’était pas pour tenter de l’éloigner de son
entrejambe, mais pour l’y maintenir. Dans le même temps, elle serra les cuisses
autour de son cou, les jambes tremblantes. Il lui chatouilla l’entrée du vagin du
bout des doigts, puis en enfonça un dans sa douceur humide.
Becca était sa compagne. Elle portait son enfant. Elle était à lui, un point c’est
tout.

Becca se débattait sur la table. Elle se mordit la lèvre inférieure, faisant de son
mieux pour ne pas oublier que Trisha et ses amis se trouvaient à quelques mètres
d’eux. Jamais elle ne se serait attendue à cela, mais elle ressentait un besoin
impérieux de jouir. Elle était proche de l’extase, mais, soudain, il enfonça un
doigt dans son vagin. Becca rejeta la tête en arrière et se plaqua la bouche contre
l’épaule. Son doigt allait et venait en elle et sa langue continuait à lui ravager le
clitoris. Dans une explosion de plaisir, elle poussa un cri étouffé par le tissu de
son chemisier.
Brute se retira lentement. Becca était encore secouée par des spasmes de
plaisir. Frissonnante, elle se rendit à peine compte qu’il remuait les épaules pour
lui libérer les chevilles de son pantalon. Il la saisit ensuite sous les genoux et elle
ouvrit les yeux.
Brute se leva et elle le regarda, fascinée par la passion qui transparaissait dans
ses yeux bleus. Il posa ses chevilles sur ses épaules, puis baissa les mains. En
entendant le bruit de sa braguette, Becca comprit ce qui allait suivre. Elle ne
protesta pas. Brute lui avait manqué et elle n’avait cessé de rêver à de nouvelles
étreintes, mais la situation était loin d’être idéale. Ils se trouvaient dans une salle
d’examen. La porte était certes verrouillée et personne n’avait tenté d’entrer, du
moins pas à sa connaissance, mais ce mince panneau de bois était un bien faible
rempart pour leur intimité.
Brute se pencha et lui attrapa une cuisse. Son ventre rond lui cachait le pénis
de l’Hybride, mais elle le sentit glisser contre ses plis, hésiter un instant, puis
commencer à la pénétrer.
— Tu es à moi, Becca, grogna-t-il. Tu es ma compagne et je te revendique
comme telle.
— Quoi ?
Becca fit glisser un pied de l’épaule de Brute, l’appuya contre son torse et le
repoussa.
— Tu es ma compagne, répéta-t-il. Mon enfant. Ma femelle. À moi.
Une sensation glaçante envahit les veines de Becca et elle revint aussitôt à la
réalité. Elle donna un coup de hanche et remua les fesses pour le faire sortir de
son vagin. Le sexe de Brute, humidifié, glissa sur son clitoris.
— Non.
Brute la regarda, incrédule.
— Non, répéta-t-elle fermement.
— Comment ça, non ? Tu me désires, tu ne peux pas le nier. Je ne te ferai pas
mal.
Elle le poussa une nouvelle fois avec le pied, le faisant enfin reculer de
quelques centimètres.
— Non ! je ne suis pas ta compagne. Me revendiquer ? Et puis quoi encore ?
Les traits déformés par la fureur, Brute rejeta la tête en arrière et poussa un
rugissement. Becca, terrifiée, hurla elle aussi. Il la lâcha et recula d’un bond. Elle
faillit tomber de la table, mais se rattrapa à temps et parvint à protéger son
ventre. Le pantalon toujours accroché par une cheville, elle se plaça derrière la
table, manquant de peu de se prendre les pieds dans le tissu.
— Tu es ma compagne, répéta Brute. Tu es à moi.
Becca se baissa pour tenter de dénouer les jambes de son pantalon, mais la
panique la rendait maladroite.
— Ouvrez la porte ! cria Trisha. Qu’est-ce qui se passe ?
— Pousse-toi, ordonna une voix masculine.
Dans un craquement assourdissant, la porte s’ouvrit à toute volée. Becca n’eut
que le temps de se baisser pour cacher ses jambes nues derrière la table et faire
redescendre son chemisier sur son ventre exposé.
Slade pénétra dans la pièce, emporté par son élan. Un coup d’œil lui suffit
pour évaluer la situation. Trisha voulut s’approcher de Becca, mais Slade
l’attrapa par la taille et la jeta dans les bras de Tigre.
— Ramène-la dans le couloir, ordonna-t-il à ce dernier.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Trisha en se débattant.
Elle tourna la tête vers Brute et resta bouche bée. Becca suivit son regard et vit
l’objet de sa surprise : le sexe de Brute, dressé et dur comme de la pierre.
— Rhabille-toi, mon pote, conseilla Tigre. Tu nous en montres un peu trop à
mon goût.
Sur ces mots, il se retourna, Trisha toujours dans les bras.
— Repose-moi, Tigre, protesta cette dernière. Qu’est-ce qu’il y a, Becca ?
— C’est évident, non ? ricana Slade. Rhabille-toi, Brute. Il n’y a que moi qui
aie le droit de fournir ce genre de spectacle à ma compagne.
— Sortez, répliqua Brute en rangeant son sexe turgescent dans son pantalon,
mais sans refermer sa braguette. C’est entre Becca et moi.
Parle, s’encouragea la jeune femme.
— Je refuse d’être ta compagne, même si tu es le père de mon bébé. Ce n’est
pas une raison pour prendre ces grands airs. Et qu’est-ce que tu entends par
« revendiquer » ? N’y songe même pas.
— Eh merde ! maugréa Tigre en se retournant et en lâchant Trisha. Toi aussi,
mon pote ? J’étais persuadé que tu ne te laisserais jamais ferrer.
Becca rougit, gênée. Comment pouvaient-ils savoir ce que Brute venait de lui
faire ? Probablement grâce à leur odorat acéré, ce qui empirait encore les choses.
Elle renifla, mais, privée de leur talent olfactif, ne sentit rien qui sortait de
l’ordinaire.
— C’est mon bébé, et, de ce fait, tu es à moi toi aussi, grogna Brute en lui
montrant les dents.
— Va te faire foutre, répliqua-t-elle, oubliant son embarras. On ne va ni
coucher ensemble, ni se marier, et je t’interdis de me revendiquer.
— C’est un peu la même chose, avança Tigre.
Becca le fusilla du regard.
— Merci, assena-t-elle avant de reporter son attention sur Brute.
— C’est ce qu’on va voir, dit Brute.
Il fit un pas vers elle, mais Slade l’attrapa par le bras. Brute s’arrêta et regarda
la main posée sur son biceps.
— Lâche-moi. Ne t’en mêle pas.
— Calme-toi, ordonna Slade d’une voix grave. Elle est humaine, elle est
enceinte et tu lui montres les dents. Respire lentement par la bouche et reprends-
toi.
— Ne résiste pas, enchaîna Tigre tout en poussant doucement Trisha vers le
mur. La pièce est trop petite et les femelles recevraient des coups.
Brute se dégagea de la prise de Slade et tenta de s’éloigner, mais son ami lui
reprit le bras.
— Calme-toi !
— Sortez et laissez-nous seuls.
— Pas question, intervint Becca. Vous m’aviez promis que je serais en
sécurité. Prouvez-le. Éloignez-le de moi.
— C’est mon enfant.
— Je ne dis pas le contraire, mais ça ne te donne pas le droit d’affirmer qu’on
est ensemble. C’est faux.
— C’est vrai.
Becca ouvrit la bouche pour répondre, mais, prise d’un étourdissement, elle
tituba et se rattrapa comme elle le pouvait à la table. Elle entendit un grognement
derrière elle et sentit deux bras musclés l’entourer.
— Je te tiens. Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Brute, alarmé.
— Retournez-vous tous les deux, ordonna Trisha. Brute, pose-la sur la table.
Elle est enceinte et elle a vécu une journée très stressante. Elle n’a vraiment pas
besoin que sa nudité soit exposée aux yeux de tous.
— Ça va aller, soupira Becca en remuant pour se libérer des bras de Brute.
C’est juste que je n’ai rien mangé depuis hier soir. Lâche-moi.
— Une minute, maugréa Trisha avant de prendre quelque chose dans une
armoire. Tenez. On a toujours des pantalons de rechange en cas d’urgence. Vous
n’imaginez pas le nombre de types qui viennent me voir à cause de blessures aux
jambes pendant l’entraînement. Je vais vous aider.
— Ça ira, merci. (Becca tourna la tête et adressa un regard noir à Brute.)
Lâche-moi. Je peux m’habiller toute seule.
Elle vit dans ses yeux qu’il s’apprêtait à répondre, mais Trisha, sans lui en
laisser le temps, s’agenouilla devant elle.
— Levez la jambe.
Trisha lui enfila le pantalon pendant que Brute la soutenait. Elle était heureuse
qu’il le fasse, mais elle aurait préféré mourir plutôt que de le lui avouer. Elle se
sentait faible et savait que Trisha avait raison. La journée avait été effectivement
épuisante.
— Tigre, emmène-la à l’hôtel pendant que je lui commande un repas. Elle a
besoin de nourriture et de repos. (Trisha se tourna ensuite vers Slade.) Personne
ne doit savoir qu’elle est ici. Fais passer le mot à tous les Hybrides. Elle serait
peut-être mieux dans l’un des chalets, mais je veux la garder à proximité. Donc
c’est forcément l’hôtel. Aucun humain ne le fréquente et les Hybrides ne
mentionneront pas sa présence.
— Ça marche, doc.
Elle sourit.
— Merci, mon sucre d’orge.
— Allumeuse, grogna-t-il tendrement avant de quitter la pièce.
Tigre se tourna vers les deux femmes.
— J’ai une voiture dehors. Allons-y.
Brute voulut la soulever dans ses bras, mais elle s’éloigna de lui en titubant et
lui assena une tape sur la main.
— Non, merci. Tu m’as déjà assez touchée comme ça.
— Je vais te porter.
— Non. Je vais mieux. J’ai juste besoin de manger un morceau, c’est tout.
— Vous vous chamaillerez plus tard, intervint Tigre. Elle est pâle et elle est
enceinte. Elle a besoin qu’on s’occupe d’elle et plus tu discutes, plus tu lui fais
du mal.
Becca tourna le dos à Brute et s’adressa à Trisha.
— Merci pour l’échographie.
— Il n’y a pas de quoi. Mangez et reposez-vous bien. Je passerai vous voir
tout à l’heure. Si vous ne vous sentez pas bien ou si vous avez besoin de quelque
chose, appelez-moi. Contactez l’accueil et ils transféreront l’appel sur mon
portable.
— C’est gentil, merci.
Becca suivit Tigre jusqu’à la voiture. Rose était installée au volant.
— Je vous en prie, dit Tigre en ouvrant la portière.

Il lui prit le bras pour l’aider, mais un grognement fit sursauter la jeune
femme. Brute regardait Tigre comme s’il avait envie de lui arracher la tête. Elle
s’installa et Tigre la lâcha. Brute s’approcha alors de la voiture et la regarda en
haussant un sourcil.
— Laisse-moi un peu de place, Becca.
Elle essaya de fermer la portière, mais Brute lui bloquait l’accès à la poignée.
— On parlera plus tard, quand on sera calmés, dit-elle. Pousse-toi. J’ai faim et
j’ai envie d’aller me coucher.
Le regard de Brute s’adoucit.
— Je ne voulais pas te faire peur, Becca. Je suis désolée.
Soudain, il lui prit la main, la serra dans ses doigts chauds, tomba à genoux et
enfouit le visage contre sa cuisse.
Becca n’en revenait pas. Pourquoi ce grand mâle viril agissait-il de manière si
étrange ? Il ne bougeait plus et lui serrait la main, juste assez fort pour qu’elle ne
puisse pas la retirer. Elle se mordit la lèvre inférieure, comprenant qu’il devait
connaître les mêmes tourments émotionnels qu’elle. Avec hésitation, elle leva
l’autre main et lui caressa doucement les cheveux pour le consoler.
— Brute ?
— Ne me rejette pas, implora-t-il d’une voix étouffée.
Elle releva la tête et vit Tigre qui les regardait, bouche bée. Au bout de
quelques secondes, il vit qu’elle l’observait et haussa les épaules.
— Au moins, il est devenu docile. Ne sois pas cruelle avec lui.
Elle ne savait pas ce qui se passait dans le crâne de Brute, mais elle se
rappelait son propre choc lorsqu’elle avait appris qu’elle était enceinte. La
surprise avait cédé la place à la peur et à l’inquiétude, puis à l’impatience. Sa vie
allait être bouleversée à jamais. Il lui avait fallu des jours pour passer par toutes
ces émotions, mais Brute, lui, n’était au courant que depuis une heure. Elle lui
caressa les cheveux pour le réconforter.
— La journée a été rude pour toi comme pour moi, admit-elle.
— Oui, répondit-il en hochant la tête contre sa cuisse.
Becca en avait les larmes aux yeux. Maudites hormones !
— Tu vas bien ?
Il ne bougea pas.
— Ne me rejette pas. J’ai besoin d’être près de toi.
Becca interrogea Tigre du regard. L’Hybride haussa une nouvelle fois les
épaules, tout aussi interloqué qu’elle.
— Je ne comprends pas.
Enfin, Brute releva la tête. Toute la détresse du monde se lisait dans ses yeux.
— J’ai besoin de toi comme j’ai besoin de respirer. Je ne peux pas l’expliquer.
C’est une chose que je ressens, c’est tout. Si tu me repousses, je deviendrai fou.
Je ne veux plus te faire peur.
Que se passait-il donc ? Becca sentit de nouveau la peur l’envahir. Pourquoi
voulait-il rester auprès d’elle ? Que se passait-il dans sa tête ? Ils se regardèrent
longuement, puis Becca se détourna.
— D’accord. Tu peux m’accompagner à l’hôtel.
Il se releva aussitôt pour s’installer à côté d’elle et Becca en profita pour
dégager sa main. Tigre referma la portière derrière lui, s’installa devant et fit
signe à Rose de démarrer. Personne ne prononça un mot sur le court trajet
menant à l’hôtel.
CHAPITRE 16

Lorsqu’ils descendirent de la voiture, il n’y avait personne aux alentours de


l’hôtel. Brute voulut porter Becca, mais cette dernière le repoussa.
— C’est bon, on est arrivés. Tu peux t’en aller.
Il lui adressa un regard si dépité qu’elle en ressentit un grand remords. Il
n’avait plus ni colère ni agressivité. Elle l’aurait volontiers comparé à un chiot
battu, mais son ADN était félin. Un petit chaton perdu, plutôt.
— D’accord. Tu peux venir me regarder manger avant que je dorme.
Brute lui offrit le bras, mais elle l’ignora et se plaça à côté de Tigre.
— Tu es très pâle, dit ce dernier. Laisse l’un de nous deux t’aider.
Elle prit le bras qu’il lui tendait, s’attendant à ce que Brute grogne, mais il ne
se passa rien. S’il était en colère, il le cachait bien. Rose repartit avec la voiture
et ils pénétrèrent dans un grand lobby. Becca était étonnée de constater que
l’hôtel semblait on ne peut plus normal, avec des fauteuils et des canapés répartis
dans tout le hall. Il n’y avait personne à l’accueil, mais un Hybride apparut en
courant et leur tendit une carte magnétique avant de tourner les talons sans
même un regard pour Becca.
— C’est toujours aussi calme ?
Tigre la dirigea vers les ascenseurs.
— Non. Slade les a prévenus et leur a demandé d’évacuer tout le monde. Il ne
voulait pas que tu sois la cible de tous les regards.
Il appuya sur le bouton. Becca se retourna et vit que Brute se tenait quelques
mètres en arrière, les yeux fixés sur elle. Quelques secondes plus tard, la porte de
l’ascenseur s’ouvrit avec un petit tintement de cloche. À l’intérieur se trouvait
une Hybride élancée aux longs cheveux noirs lâchés, vêtue d’un jean et d’un
débardeur bleu. Elle regarda Becca sans chercher à masquer son intérêt.
— Bonjour, humaine. (Elle aperçut alors son ventre rond et sourit.) Oh, vous
êtes la femme enceinte ! Trisha m’a parlé de vous. Je suis ravie de vous voir. Je
m’appelle Brise et j’aime beaucoup votre espèce. J’ai plein d’amis humains.
— Salut, Brise, la salua gaiement Tigre. Elle meurt de faim, je l’emmène à sa
chambre. Vous pourrez faire connaissance plus tard.
— Bien sûr, répondit Brise en sortant de la cabine avant de lui donner une
petite tape sur le bras. Félicitations, Tigre. Elle est très jolie.
— Hé ! une minute, protesta-t-il. Ce n’est pas…
— Tu feras un très bon père, l’interrompit-elle en souriant à Becca. Vous
devez avoir beaucoup de qualités pour l’avoir attrapé. Je vous félicite.
Elle éclata de rire, aperçut Brute et repartit de plus belle.
— Et toi, n’oublie pas que tu as promis de passer me prendre à 18 heures. Je
mettrai un truc sexy et facile à enlever pour te simplifier la tâche quand on
reviendra chez moi après avoir dansé, le taquina-t-elle avec un clin d’œil avant
de s’éloigner.
Becca sentit son cœur se briser. Le fait d’apprendre que Brute avait prévu de
passer la soirée avec cette femme magnifique la désespérait. Il lui avait dit qu’il
évitait les humaines parce qu’il les trouvait trop fragiles à son goût. C’était une
conversation dont elle se souvenait du moindre mot. Il aimait les femmes de son
espèce et, maintenant qu’elle en avait vu de près, Becca comprenait pourquoi.
Brise mesurait plus d’un mètre quatre-vingts, avec un corps musclé et un beau
visage aux traits bien ciselés. Elle avait clairement indiqué qu’elle comptait
coucher avec Brute le soir même. D’ailleurs, ils avaient beaucoup de points
communs. Avec elle, Brute pourrait se lâcher au lit. Toutes ces vérités étaient
dures à avaler pour Becca et elle ressentait malgré elle une grande jalousie. Sur
le moment, elle se mit à détester Brute de tout son cœur.
Elle se précipita dans l’ascenseur, les yeux rivés au sol. Brute la suivit.
— Becca ?
Elle serra les dents.
— Tais-toi. Ne dis pas un mot, ou bien sors.
Les portes se refermèrent et la cabine commença à monter. Elle se sentait
barbouillée, mais ce n’était plus à cause de la faim. Tigre lui serra le bras pour
attirer son attention et elle commit l’erreur de le regarder. Voyant la compassion
dans ses beaux yeux, elle baissa de nouveau la tête. Cela ne faisait qu’empirer
les choses.
— On y est, déclara Tigre, visiblement soulagé.
Il la mena jusqu’à une porte qu’il déverrouilla à l’aide de sa clé magnétique.
— Le repas est déjà là, continua-t-il. Et, à en croire les odeurs, tu vas avoir le
choix.
Becca faisait de son mieux pour ignorer Brute, mais elle sentait sa présence
derrière elle. Elle balaya le salon du regard et, lorsqu’elle aperçut le chariot où
étaient empilés les plats, sa faim reprit le dessus. Elle approcha et vit que le
deuxième niveau, celui des boissons, lui offrait un grand choix de jus de fruits,
de sodas et de lait.
D’une main tremblante, elle souleva les couvercles et son ventre se mit à
gargouiller lorsqu’elle sentit l’odeur des plats. Elle faillit lâcher les couvercles,
les posa en équilibre précaire sur le bord du chariot et prit le plat contenant un
gros steak pour s’installer devant la table basse.
Tigre lui tendit les couverts. Les mains tremblantes, elle déroula la serviette
qui les contenait. Elle avait si faim qu’elle ne regardait plus les deux hommes.
Elle avait même oublié leur présence.
Elle découpa nerveusement un bout de viande et se l’enfourna dans la bouche.
La saveur du steak explosa sur ses papilles et elle grogna de plaisir. Comme elle
avait aussi soif que faim, elle ouvrit une brique de lait, en but goulûment
plusieurs gorgées, puis attaqua de nouveau le steak. Elle avait l’impression de ne
rien avoir avalé depuis une semaine.
— Rebecca ?
C’était la voix de Trisha. Surprise, Becca cessa de se goinfrer et tourna la tête
vers elle.
— C’est Becca, et je pensais que vous étiez restée au centre médical.
Le docteur lui tendit une boîte de pilules.
— J’ai oublié de vous donner vos vitamines. (Trisha fronça les sourcils et
s’approcha d’elle, suivie comme son ombre par Slade.) Vous n’avez pas mangé
depuis quand ? Vous tremblez comme une feuille.
— J’ai faim en permanence. J’ai un peu grignoté ce matin, mais, comme je
n’avais plus de lait, je suis partie faire les courses avant le petit déjeuner. La
route a pris plus longtemps que prévu et, quand je suis rentrée, Tigre m’attendait.
Sur ces mots, elle termina le lait et entama un jus de fruits.
— Trisha, tu n’étais pas aussi pâle qu’elle, et tu ne tremblais pas comme ça,
intervint Slade. Elle n’a pas l’air bien.
— Mais tu étais là pour veiller sur moi, rétorqua Trisha. Becca, vous devez
manger régulièrement. Votre corps est épuisé par la grossesse et vous avez
besoin de portions plus importantes que la normale. Vous consommez de la
viande rouge ? Vous en avez besoin, en grande quantité.
— Oui, répondit Becca en avalant une nouvelle bouchée de steak.
Son estomac la torturait déjà un peu moins. Elle allait pouvoir déguster son
repas plutôt que l’engloutir. Elle prit une canette de soda et en vida la moitié
avant de la reposer.
— Et j’ai aussi tout le temps soif. C’est normal ?
Comme personne ne lui répondait, Becca leva les yeux et vit que Trisha
fronçait les sourcils.
— Non.
— Ah bon ? Je pensais que c’était dû à la grossesse.
— C’est probablement le cas, mais je préférerais que vous fassiez quelques
examens.
— Il pourrait s’agir de quoi ? demanda la jeune femme, inquiète.
— Je n’en sais rien mais, rassurez-vous, le bébé se porte bien. Vous l’avez vu
vous-même et vous avez entendu les battements de son cœur. Les humaines ne
sont pas conçues pour des grossesses de vingt semaines, c’est très éprouvant
pour notre corps. Vous devez vous reposer et vous nourrir.
— D’accord.
Elle termina son steak, laissa les pommes de terre de côté et s’attaqua aux
côtes de porc.
— Vous mangez toujours autant ? demanda Trisha.
Becca avala sa bouchée avant de lui répondre.
— Ce n’est pas normal ? Les femmes enceintes ont toujours un gros appétit, je
l’ai lu dans le livre que j’ai acheté. Je fais généralement neuf repas par jour.
— Aussi copieux que celui-ci ?
— Non. C’est parce que j’ai du retard à rattraper.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Brute.
— Si ça se trouve, ce n’est rien, répondit Trisha en haussant les épaules. Mais
je vais quand même la garder sous surveillance.
Becca termina son soda et en entama un autre. Elle regrettait de ne plus avoir
de lait mais n’avait pas envie de demander qu’on lui en apporte plus. Personne
ne parlait. Enfin, elle leva la tête de son assiette. Quatre paires d’yeux étaient
rivées sur elle.
— Vous n’avez rien de mieux à faire ? explosa-t-elle. Je suis désolée de mes
mauvaises manières, mais vous me mettez tous très mal à l’aise. Il n’y a pas de
vraie table et, si je m’installe sur le canapé pour manger, mon ventre
m’empêchera de me pencher.
— On s’inquiète pour vous, c’est tout, se justifia Trisha. Vous êtes restée très
longtemps sans suivi médical.
— Elle est peut-être malade, suggéra Slade.
— Je suis en pleine forme, répliqua Becca. (Elle savait qu’il ne pensait pas à
mal, mais elle n’appréciait pas ce que sa remarque impliquait.) Je vais
régulièrement chez le médecin. Si j’avais quelque chose, je le saurais. Tant que
je mange et que je bois suffisamment, je n’ai aucun problème.
— Il y a une grande différence entre sa grossesse et la tienne, Trisha, intervint
Tigre. Slade était là pour s’occuper de toi et veiller à ce que tu te nourrisses et à
ce que tu te reposes. On devrait assigner une femelle pour faire de même avec
elle.
Trisha hocha la tête.
— Très bonne idée. On verra bien si ça marche. Je sais que le bébé va bien,
mais je veux aussi analyser le sang de Becca, dit-elle en décrochant le téléphone.
Je vais demander à Harris de m’apporter tout le nécessaire. Demain matin, on
fera un test de dépistage de diabète gestationnel. Personne ne sait comment cette
maladie affecterait une humaine enceinte d’un Hybride.
— À mon avis, vous vous inquiétez pour rien, répondit Becca, moins rassurée
qu’elle voulait le faire croire. Je me sentirai très bien après ce repas et une bonne
sieste. Je n’avais pas mangé depuis longtemps, c’est tout.
— Inutile de faire venir une femelle pour s’occuper d’elle. Je suis là pour ça.
Becca se crispa en entendant cette voix familière. Elle répondit à Brute sans
daigner le regarder.
— Tu rêves. Au fait, t’es pas censé te préparer pour ton rendez-vous sexy ?
Un silence gêné tomba sur la pièce.
— Quel rendez-vous ? finit par murmurer Trisha.
Becca, l’appétit coupé, se leva avec difficulté.
— Je vais me coucher. Venez faire la prise de sang quand vous voudrez,
Trisha.
Sur ces mots, elle s’engagea dans le couloir sans faire l’aumône d’un regard à
Brute.
— Becca, grogna ce dernier.
Elle se figea.
— Disparais et ne reviens pas, répondit-elle avec un calme feint dont elle
n’était pas peu fière.
Elle était presque à la porte de la chambre lorsqu’elle entendit Tigre dire :
— Tu devrais partir, Brute. Elle ne veut pas de toi ici.
Becca ferma la porte derrière elle et étudia sa nouvelle demeure. La pièce était
vaste, avec un grand lit, mais ses larmes l’empêchèrent d’en voir plus. Fait
chier ! Le rendez-vous de Brute la blessait si profondément qu’elle avait envie
de hurler. Mais elle se contenta d’ôter ses chaussures, de s’enfoncer dans le gros
matelas moelleux et d’inonder son oreiller de larmes.
Brute voulut la suivre, mais Tigre lui barra la route.
— Arrête. Réfléchis un peu.
— Dégage.
— Elle veut que tu partes, insista Tigre, un éclair de colère dans les yeux, et je
suis d’accord avec elle. C’était super gênant.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Trisha en se glissant entre eux dans
l’espoir d’éviter qu’ils en viennent aux mains.
— Notre Casanova a rendez-vous avec Brise. On l’a croisée en montant et elle
en a parlé en termes très évocateurs. La douleur de l’humaine était palpable.
— Je n’allais pas coucher avec Brise. J’ai juste accepté de l’emmener danser
et dîner, expliqua Brute. Maintenant, pousse-toi ou je te fais valser. Je vais dire la
vérité à Becca.
Trisha se tourna vers lui.
— Tu as couché avec combien de femmes depuis Becca ?
— Zéro.
Elle se détendit.
— Tant mieux. Ça jouera en ta faveur quand tu le lui diras, mais ce n’est pas
le moment. Tu as vu comme elle était pâle ? comme elle tremblait ? Elle a besoin
de repos, pas d’une nouvelle confrontation.
— Je dois lui dire qu’il n’y a rien entre Brise et moi.
Trisha posa les mains sur ses hanches et le regarda droit dans les yeux.
— Je vais jouer l’avocat du diable. Elle va te demander si tu as déjà couché
avec Brise. Alors ?
— Oui.
Trisha grimaça.
— OK. Pas question que tu ailles la voir maintenant. Laisse-la dormir. Pour
l’instant, elle est fragile et malade. Quand elle apprendra qu’il y a eu quelque
chose entre Brise et toi, ça la mettra dans tous ses états. Explique-lui, toi,
demanda-t-elle à Slade.
— Les humaines sont très jalouses, confirma Slade en souriant. C’est mignon.
Trisha leva la main et lui adressa un doigt d’honneur.
— Pas vraiment, non. Bref, tu veux faire ce qu’il y a de mieux pour Becca et
le bébé, n’est-ce pas ?
— Je veux la voir.
— Pour l’instant, elle a avant tout besoin de repos et de temps pour s’habituer
à ce nouvel environnement. On l’a forcée à venir et, toi, tu as tout gâché en
débarquant comme une furie. Les mecs, ce que vous pouvez être bouchés par
moments ! Foncer sur une femme comme un taureau en rut et exiger qu’elle
vous laisse le contrôle de sa vie, il y a mieux comme tactique de séduction, non ?
C’est beaucoup trop agressif. La finesse, ça vous dit quelque chose ? Va chercher
ce mot dans le dictionnaire. Et, pendant que tu y es, regarde aussi à « patience ».
Brute tourna les yeux vers la porte de la chambre.
— Elle était blessée. Je veux la consoler et lui dire que je ne sortirai ni avec
Brise ni avec personne d’autre.
— Je m’en occupe, d’accord ? Je vais rester auprès d’elle, et j’ai un gros
avantage par rapport à toi : je ne grogne pas et j’arrive à aligner deux phrases
sans perdre mon calme.
— Enfin, tu cries pas mal quand même, intervint son mari.
— Reste en dehors de tout ça, mon cœur, répondit-elle avec un sourire
menaçant.
— Tout doux, doc. Je disais ça juste en passant.
Brute se passa la main dans les cheveux.
— Qu’est-ce que je dois faire pour qu’elle m’accepte ?
— Laisse-lui un peu de temps, soupira Tigre. C’est évident, même pour moi.
Brute le fusilla du regard.
— Désolé, s’excusa Tigre, mais j’ai toujours du mal à admettre que tu la
veuilles pour compagne. C’est pour ça que je me méfie des humaines comme de
la peste. Elles se laissent trop guider par leurs émotions et elles ont des réactions
étranges. Dans la même situation, une Hybride t’aurait balancé son poing dans la
figure. Entre nous, je préfère l’approche directe.
— Elle est dominée par ses émotions et elle ne sait plus où elle en est,
expliqua Trisha avant de se tourner vers Slade. Si tu étais sorti avec une autre
femme après notre rencontre, ça m’aurait dévasté. Et la grossesse nous rend
hypersensibles. Tu te rappelles combien je me sentais énorme et moche ? Je
débordais de partout et j’avais les chevilles gonflées.
Slade fit un pas vers elle.
— Tu es toujours sexy et, quand tu attendais notre bébé, je te désirais encore
plus. (Il la prit par les hanches et l’attira contre lui.) Tu es ma drogue.
— Pas maintenant, le gourmanda-t-elle gentiment. Je viens d’allaiter Forêt et
j’ai déjà mal aux seins. Tu vas les faire couler.
Slade regarda ses seins et il ronronna.
— S’il n’a plus faim, je le remplacerai, dit-il en se léchant les lèvres. J’adore
ton lait.
— Je suis ravi de l’apprendre, ricana Tigre. Moi aussi, j’aime le lait chaud.
Slade se tourna vers lui, le regard noir.
— Euh… dans un verre, corrigea aussitôt Tigre. Le lait maternel, très peu pour
moi.
Slade se détendit.
— Il n’y a rien de mieux que son lait.
— Je n’en doute pas. Il sent bon, en tout cas. Chaque fois que je passe à côté
de ta compagne, j’ai envie d’un bon verre de lait et de cookies.
— J’espère pour toi que tes envies s’arrêtent là.
Trisha s’extirpa de l’étreinte de Slade.
— Stop, ça devient gênant. J’appelle Harris pour lui demander le matériel de
prise de sang. Laisse-lui un peu de temps, répéta-t-elle à Brute. Vous en avez
besoin l’un comme l’autre pour faire le point.
— Je veux être avec elle. J’en ai besoin.
— Mais il n’y a pas que toi dans cette histoire. Sois fort. Fais ce qui est le
mieux pour elle. Je lui expliquerai pour Brise, d’accord ? Je lui dirai que tu
n’iras pas à ton rendez-vous et que tu n’as pas couché avec toutes les filles qui
passaient à ta portée. Ça lui fera beaucoup de bien. C’est la vérité, n’est-ce pas ?
Si ce n’est pas le cas, dis-le-moi tout de suite.
— Je n’ai pas touché de femelle depuis Becca, à part quand j’ai dansé avec
Brise. Elle s’inquiétait pour moi et elle m’a invité à prendre un verre. J’ai juste
accepté un autre rendez-vous.
— Elle comptait aller plus loin, intervint Tigre. Enfin, je dis ça, je dis rien.
— Et bien tant pis pour elle, assena Brute. Je reste ici. Je dormirai sur le
canapé ou dans la deuxième chambre.
— Certainement pas. Bon sang ! Brute, tu vas te montrer raisonnable, oui ? le
gourmanda Trisha. Rentre chez toi, démolis un truc, fais le nécessaire pour te
calmer, mais ne te conduis plus jamais comme tu l’as fait aujourd’hui. Qu’est-ce
qui t’a pris de rugir comme ça tout à l’heure ? C’est parce qu’elle a refusé d’être
ta compagne ?
— Oui. Elle est à moi.
— C’est ce genre de réaction que tu dois apprendre à maîtriser. Ne lui dis plus
jamais une chose pareille tant que vous n’aurez pas recollé les morceaux. Elle a
peur, elle est enceinte et on la détient contre sa volonté. Elle est aussi terrifiée
que son père l’apprenne et qu’il s’en prenne à toi. Ou, pire encore, que tu le
blesses en te défendant. Tim est son père et tu es celui de son bébé. Elle ne sait
pas sur quel pied danser.
— Le fait qu’elle soit la fille d’Oberto complique tout, en effet, renchérit
Slade en sortant son portable. Il faut que j’appelle Justice. Les membres du
détachement spécial n’auront plus le droit de venir à la Réserve tant qu’elle y
sera et tant qu’on n’aura pas trouvé comment l’annoncer en douceur à Oberto.
— D’accord, soupira Tigre. Je vais mettre un garde en faction devant la porte
et chercher une femelle pour tenir compagnie à Becca.
— C’est mon rôle, lui rappela Brute entre ses dents.
— Tu l’as déjà mise hors d’elle, lui rappela Trisha. Si elle subit trop de stress,
elle risque de perdre le bébé. C’est ce que tu veux ?
— Non, murmura-t-il, dépité.
— Tu veux regagner sa confiance ? C’est la voie à suivre. Je suis humaine moi
aussi, au cas où tu l’auras oublié. Je sais de quoi je parle.
Brute partit en courant et s’engouffra dans l’escalier, dont il descendit les
marches quatre à quatre. Une fois hors de l’hôtel, il ne cessa de courir qu’arrivé
devant sa porte.
Il entra, la referma derrière lui et poussa un rugissement assourdissant. Il avait
besoin d’évacuer sa frustration. Becca portait son enfant. Elle était blessée dans
son amour-propre et elle était en colère. Il lui fallut plusieurs minutes pour
reprendre son souffle. Soudain, on frappa à la porte. Il l’ouvrit en trombe,
espérant que quelqu’un venait lui dire que Becca voulait le voir.
C’était Cuivre.
— Ça va ?
— Désolé. Je suis énervé et j’ai besoin de me défouler.
— Je suis au courant à propos de la femme et du bébé. Qu’est-ce que je peux
faire pour toi ?
— Je n’en sais rien. Elle refuse de me parler. Elle ne veut même pas que je
reste près d’elle.
— Continue.
— Je ne peux pas y retourner. Trisha dit qu’il y a un risque que Becca fasse
une fausse couche.
— Écoute, je pars pour un entraînement avec un groupe de nouveaux. Une
bonne bagarre, voilà ce qui te ferait le plus de bien. Ne me les amoche pas trop,
c’est tout ce que je te demande.
Brute se mordit la lèvre inférieure, puis hocha la tête.
— D’accord.
— En route, alors, répondit gaiement Cuivre en lui tapotant le bras. Ça va
marcher, tu verras.
CHAPITRE 17

Trisha regardait Becca, le visage fermé.


— On pense avoir identifié le problème.
— Je me sens bien depuis plusieurs jours. C’est juste que j’étais fatiguée,
stressée et affamée.
— Non, tu ne vas pas bien, la contredit Trisha en regardant par terre. Ta
grossesse t’épuise et tu as besoin de soins spécifiques. Le corps humain n’est pas
construit pour ce genre de grossesse accélérée. Tu refuses d’avoir une personne
en permanence à tes côtés, mais c’est ce qu’il te faudrait. Les autres femmes
enceintes, moi y compris, ont toutes leur compagnon pour veiller sur elle.
— Je n’en ai pas et, si c’est une manœuvre subtile pour me convaincre de
renouer le contact avec Brute, laisse tomber. Il ne s’intéresse à moi qu’à cause du
bébé. Je mérite mieux que ça. N’insiste pas ou on se dirige tout droit vers une
nouvelle dispute. Pendant des semaines, il ne s’est même pas donné la peine de
m’appeler et, maintenant qu’il sait que je suis enceinte, il ne veut plus me quitter
d’une semelle ? Mais bien sûr !
— Très bien, mais le fait est que tu as besoin de quelqu’un. C’est comme ça et
tu n’as pas le choix.
— Je vais bien, répéta Becca. On me livre tous mes repas, je n’ai même pas à
faire la cuisine. Je m’ennuie même comme un rat mort, si tu veux savoir.
— Ça aussi, c’est un problème. Tu as besoin de prendre l’air. Et d’un garde du
corps.
— Je croyais que j’étais en sécurité ici.
— Quelques-uns des nouveaux arrivants n’aiment pas beaucoup les humains
et, ici, on est à la Réserve. Tu savais que certains Hybrides ont des
caractéristiques animales plus agressives que la moyenne ? C’est pour ça qu’on
avait besoin de ce territoire : pour leur offrir un espace suffisamment vaste pour
qu’ils puissent vivre seuls. Quand ils se sentent d’humeur sociable, il leur arrive
de venir à l’hôtel pour chercher un peu de compagnie féminine.
Aussitôt, Becca songea à Brute et une pointe de douleur lui traversa le cœur. Il
avait trouvé une femme pour tromper sa solitude. À l’expression de son visage,
Trisha devina ce qui lui passait par la tête.
— Il a dit qu’il ne s’agissait que d’un dîner et qu’ils n’étaient pas ensemble. Il
jure qu’il n’a couché avec personne depuis que vous vous êtes séparés et qu’il
n’a aucune intention de le faire.
— Je m’en fiche, mentit Becca.
— D’accord, mais il n’en reste pas moins que tu as besoin de compagnie à
plein-temps. Et si tu perdais connaissance ou que tu n’aies pas la force d’aller
jusqu’au téléphone ?
— Il y a toujours un garde devant la porte.
— Je sais que les Hybrides ont des sens très affûtés, mais le garde n’est pas
dans la pièce et les murs sont bien insonorisés. C’est un hôtel, conçu pour le
confort de la clientèle. Je me doutais que tu ne voudrais pas de Brute, donc j’ai
convaincu Tigre de venir s’installer dans la deuxième chambre.
— Non ! s’exclama Becca, choquée par cette idée. Je le connais à peine !
— Il est très gentil et il ne s’intéresse pas du tout aux humaines, donc il n’y a
aucun risque qu’il te drague, si c’est ce qui t’inquiète.
Cet argument n’avait rien de convaincant. Brute lui avait bien dit lors de leur
première conversation qu’il était allergique aux humaines…
— Je suis enceinte, donc je ne l’intéresserais pas de toute façon. Mais je ne
veux pas vivre avec un inconnu.
— Tant pis pour toi. La décision est déjà prise.
— Et je n’ai pas mon mot à dire ? explosa Becca. Tu n’as pas le droit de me
forcer. En tout cas, je ne veux pas cohabiter avec un mec. Tu ne peux pas me
trouver une fille, plutôt ?
— Elles sont peu nombreuses à la Réserve et elles ne sont pas disponibles.
Aucune de celles qui vivent à Homeland ne sera libre avant une bonne semaine.
Tigre ne restera pas un inconnu très longtemps et, une fois qu’il sera là, tu
pourras te passer du garde devant la porte. Il pourra t’emmener en promenade.
Ça ne te manque pas de prendre l’air ? Moi, je deviendrais folle.
C’était tentant, en effet.
— C’est vrai que j’en ai marre de regarder la télé.
— Je m’en doute. Tu verras, il est sympa et il a beaucoup d’humour. Il te
tiendra compagnie et, si tu veux, on vous prêtera des jeux de société. Il sait jouer
au poker, entre autres. C’est moi qui le lui ai appris, mais tu peux lui faire
essayer d’autres jeux. Il sera ravi d’apprendre et il pourra faire passer ce qu’il
sait à ses collègues.
— Génial, répondit sarcastiquement Becca. J’en rêvais, justement. Je lui
apprendrai à jouer aux dames.
— Ne fais pas ta mauvaise tête. Ils sont tous prêts à risquer leur vie pour vous
protéger, le bébé et toi. Si jamais un fou parvenait à tromper la sécurité et à
arriver jusqu’à toi, ils feraient tous rempart de leur corps sans hésiter. C’est déjà
arrivé, d’ailleurs. Demande à Ellie comment Furie s’est jeté devant elle et a
encaissé les deux balles qui lui étaient destinées.
— C’est son compagnon.
— Tu portes un bébé hybride, leur avenir, un véritable miracle à leurs yeux.
Toutes les femmes hybrides seraient prêtes à donner n’importe quoi pour être à
ta place. C’est leur rêve qui se concrétise, car ils n’aspirent qu’à une chose :
mener une vie normale et fonder une famille.
— Je suis désolée, s’excusa Becca, honteuse. Je leur suis reconnaissante.
Vraiment.
— Je sais. Pardonne-moi, j’ai passé une sale journée moi aussi.
— Tout va bien ?
Trisha hésita.
— Oui. C’est juste qu’on reçoit pas mal de blessés ces derniers jours et que je
commence à en avoir marre de les recoudre après les séances d’entraînement.
— Je ne savais pas que c’était aussi dangereux. À quoi ils se préparent, au
juste ?
— Généralement, c’est plus cool, mais l’un des nouveaux instructeurs tient
absolument à en faire des combattants hors pair et, pour cela, il n’hésite pas à les
malmener.
— Il devrait peut-être prendre un peu de recul.
— C’est ce qu’on essaie de lui faire comprendre.
Becca ne savait pas quoi répondre. Trisha se leva.
— Tigre arrivera une fois sa journée de travail terminée. Ne lui fais pas payer
le fait que tu n’as pas envie d’avoir un invité. On lui a demandé de le faire et il a
accepté de bonne grâce. C’était ma décision, parce que je ne pense pas que tu
devrais rester seule.
— Je suis adulte. Je n’ai pas besoin de nounou.
— Je sais, mais tu es enceinte et c’est une période délicate pour ton corps. Ça
t’aidera à te détendre. Enfin, j’espère, marmonna-t-elle en se dirigeant vers la
porte. Je repasserai ce soir.
Une fois son amie partie, Becca se leva et se massa le bas du dos. Elle avait
mal un peu partout en permanence, conséquence de sa prise de poids trop rapide.
Elle passa dans sa chambre, tentée par un bon bain. La salle de bains disposait
même d’un jacuzzi et les jets d’eau sous pression lui faisaient toujours du bien.
— Un baby-sitter. Manquait plus que ça. Enfin, avec un peu de chance, il sera
marrant, maugréa-t-elle.
Après tout, avoir quelqu’un à qui parler ne serait peut-être pas si désagréable
que ça.

Brute se leva, s’étira et se tourna vers son collègue, assis au bureau voisin du
sien.
— On ferme boutique pour aujourd’hui ?
— OK, grogna Bestial. J’ai horreur de parler aux téléphones avec les humains,
mais répondre aux e-mails c’est encore pire. Pourquoi est-ce qu’on a accepté de
devenir conseillers ?
Brute sourit.
— Pour impressionner les femelles et pour avoir droit à une maison privative
plutôt que de loger dans les dortoirs ? Qu’est-ce que tu veux, c’est le prix à payer
quand on a des responsabilités.
— Ah oui ! j’oubliais. Si je fais ça, c’est juste pour les filles, répondit Bestial
avec un sourire. Et toi, au fait, tu tiens le coup ?
Bestial savait tout de sa situation et s’inquiétait pour lui, C’était pénible, mais
les conseillers étaient toujours au courant de tout.
— Elle ne veut pas me voir. Quand je l’ai revue, j’ai réagi violemment et j’ai
tout gâché. Elle n’a pas demandé à me parler et on m’a ordonné de garder mes
distances. Tu le sais.
— Et cette histoire avec Tigre, tu vas la gérer comment ?
— Quelle histoire ? demanda Brute en fronçant les sourcils.
Bestial écarquilla les yeux.
— T’es pas au courant ?
— De quoi ? Il passe du temps avec elle ?
— Eh merde ! soupira Bestial. Je comprends mieux pourquoi on ne t’a pas
informé de la décision de Trisha, mais c’est elle le médecin, après tout. Assieds-
toi, ça vaudra mieux.
Brute obéit.
— Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi on ne m’a pas prévenu ?
— Trisha n’aime pas voir Becca seule. Elle a demandé quelqu’un vive à son
côté vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Flamme ayant admis qu’elle l’attirait,
il a été mis hors jeu d’office et c’est Tigre qui a été choisi, parce qu’il s’entend
bien avec les humains.
— Quoi ? s’exclama Brute en se relevant d’un bond.
— Rassieds-toi si tu veux entendre la suite.
Brute se laissa retomber si violemment que son fauteuil craqua sous le choc. Il
en saisit les bras avec les doigts et serra très fort.
— Flamme s’intéresse à ma femelle ?
Il allait lui flanquer une raclée. Le faire souffrir. Le…
— C’est Tigre qui va s’installer auprès d’elle. Il l’emmènera se promener et
s’assurera qu’elle mange correctement et qu’elle dort assez. Slade a dit que
Trisha avait beaucoup de courbatures pendant sa grossesse et Tigre devra masser
Becca partout où elle a mal.
En pensant qu’un autre mâle allait poser les mains sur Becca, Brute poussa un
grognement de rage. Il arracherait les bras de Tigre, et ensuite…
— Il n’était pas ravi, mais il a fini par accepter pour le bien de bébé, et aussi
parce qu’il savait que la femelle n’aurait pas peur de lui, parce qu’ils se voient
déjà souvent.
À ces mots, Brute vit rouge, la couleur du sang de Tigre.
— Quoi ? Elle lui permet de venir la voir ? Comment ça, souvent ?
— De temps en temps, quoi, répondit prudemment Bestial. Elle est seule et
tout le monde s’inquiète pour elle. On aurait probablement dû te prévenir, mais
peut-être qu’on ne voulait pas t’alarmer. Je pensais qu’on aurait dû te le dire
depuis le début, mais voilà, c’est fait.
Brute fronça les sourcils.
— Donc tu admets qu’ils comptaient me le cacher ? Pourtant, tu viens de me
le dire en faisant semblant de croire que j’étais déjà au courant. À quoi tu joues,
putain !?
— Bonne question, répondit Bestial en souriant. Je n’étais pas d’accord avec
le résultat du vote et personnellement, si un autre mâle s’installait chez ma
femelle, j’aimerais qu’on me le dise avant. Elle est attirante, seule et vulnérable.
Tigre est plus à l’aise que la plupart d’entre nous avec les humains et ce ne serait
pas la première fois qu’un mâle qui avait juré être immunisé contre leur charme
se retrouve en couple avec une humaine. Il va la toucher, tu imagines ? Un mâle
qui tripote la femelle que tu as inséminée.
Brute se leva d’un bond.
— Pas question.
— C’est bien ce que je me disais. Je suis ton ami et je n’ai pas envie que tu te
fasses supplanter par un autre mâle, même si c’est quelqu’un de bien.
— Je vaux mieux que lui et elle est à moi, décréta Brute en serrant les poings.
Appelle Tigre et dis-lui que, s’il l’a touchée, il a intérêt à s’enfuir. Vite et loin.
Il se dirigea vers la porte, accompagné par le rire de Bestial.
— Va la voir. Montre-lui à qui elle appartient. Heureusement pour moi, jamais
je ne craquerai pour une humaine. En tout cas, la décision de Trisha est ridicule.
C’est toi qu’on aurait dû nommer pour veiller sur elle.
— Ta gueule ! grogna Brute en ouvrant la porte.
— Et pour le sexe, t’as besoin de conseils ? Ça fait tellement longtemps que
t’as peut-être oublié comment faire jouir une femelle ?
Brute poussa un rugissement de rage et se précipita dehors. L’hôtel n’était pas
loin et il n’avait pas une minute à perdre. Si Tigre était déjà installé, il le
balancerait par la fenêtre avec ses affaires. Ils étaient amis, mais il préférait le
tuer plutôt que de le laisser mettre la main sur ce qui était à lui.

Une fois Brute parti, Bestial décrocha le téléphone.


— Il vient de partir. J’espère que ton plan fonctionnera, Trisha. Il est furax.

Becca, assise sur le canapé, attendait Tigre avec nervosité. Elle ne savait pas à
quelle heure il était censé arriver et elle avait un mauvais souvenir de la dernière
fois où un Hybride était venu s’installer chez elle. Elle avait été enlevée quelques
heures après.
Elle pensa à l’arrangement qui avait été décidé. Qu’est-ce que cela donnerait ?
Cohabiter avec un quasi-inconnu risquait d’être gênant. Son bébé donna un coup
de pied et elle se frotta le ventre en se disant qu’elle se sentirait peut-être mieux
avec un compagnon. Elle avait peur en permanence de s’évanouir ou d’avoir
besoin d’aide. Dans ce genre de situation, Tigre pourrait l’aider.
On frappa à la porte et elle sursauta, puis se leva, pleine d’inquiétude. Elle
tenta de se convaincre que cela irait, même s’ils ne s’entendaient pas très bien,
mais n’en avait pas moins envie d’aller se cacher dans sa chambre sans ouvrir la
porte. Tigre avait accepté cette mission et elle savait qu’il ne devait pas en être
plus ravi qu’elle. À contrecœur, elle avança jusqu’à la porte et le fit entrer.
Mais, à sa grande surprise, c’était Brute qui se tenait là, furieux, hors
d’haleine et le visage luisant de sueur. Il inspira à plein nez avant d’avancer vers
elle et de la soulever. Il referma la porte derrière lui, puis marcha jusqu’au
canapé et l’y déposa doucement.
— Sors d’ici, parvint à dire Becca. Tu…
— La ferme ! Tu veux bien que Tigre s’installe ici, mais pas moi ? demanda-t-
il avec un grognement féroce. Tu as besoin d’un mâle pour veiller sur toi ? Me
voilà !
Elle le fusilla du regard.
— Je n’ai rien réclamé, on me l’a imposé. Fiche le camp, Brute.
Il passa un bras autour de sa taille et la saisit par les cheveux, puis pivota les
hanches et se glissa de force entre ses cuisses. Il la tira jusqu’au bord du canapé,
se mit à genoux et cala les hanches entre ses jambes, les yeux rivés sur ses
lèvres.
— Ouvre la bouche, grogna-t-il.
— Va te faire foutre.
— Écoute-moi bien. Je suis prêt à tout, tu entends ? Si un mâle vient vivre
avec toi, je le tuerai. Tu portes mon fils. Si tu as besoin d’un mâle, tu t’adresses à
moi. Ouvre la bouche.
— Non. Tu es fou de rage. Pourquoi tu veux que j’ouvre la bouche,
d’ailleurs ? J’ai quand même pas besoin qu’on me donne la becquée !
— Oui, je suis furieux. C’est à moi qu’on aurait dû demander ça, pas à Tigre.
Ce n’est pas lui le père. Ce n’est pas lui qui t’a fécondée. C’est moi. Tu ne me
supportes pas ces jours-ci et je te comprends, mais il ne s’agit pas de notre
couple, là. Il s’agit de notre enfant. Tu as besoin de quelqu’un pour veiller sur toi
et c’est moi qui vais le faire. Ouvre la bouche.
— Tu es vraiment une enflure. Et c’est quoi, cette obsession avec ma bouche ?
Elle tenta de le repousser, mais il était bien trop fort pour elle.
— Ouvre la bouche, répéta-t-il, et ses yeux de chat se mirent à luire
dangereusement.
— Pourquoi ?
— Tu veux que je te lâche ?
— Oui.
— Alors fais ce que je te dis.
Becca, crispée, ferma les yeux, se demandant ce qu’il avait en tête. Elle obéit
avec l’étrange impression de se trouver chez le dentiste. Pour l’instant,
l’expérience était d’ailleurs à peu près aussi agréable. S’il lui faisait mal, elle le
mordrait sans hésiter.
Brute se rapprocha d’elle et plaqua le torse contre ses seins. Elle sentit son
souffle sur son visage, puis il posa les lèvres sur les siennes, lui lécha le contour
de la bouche et enfourna sa langue entre ses dents.
Elle aurait dû s’y attendre. Elle voulut se débattre, mais la prise qu’il avait sur
ses cheveux la maintenait immobile. Sa langue dansait avec la sienne et, à son
grand dam, Becca sentit son corps s’éveiller au souvenir de leurs baisers dans la
cage.
Elle se détendit, laissant la passion prendre le dessus, puis le saisit par le
revers de sa chemise et lui rendit son baiser. Brute ronronna, lui lâcha les
cheveux et lui caressa le dos. Elle passa les bras autour de son cou et Brute la
souleva, s’assit sur les talons et l’installa sur ses genoux. Elle se plaça à
califourchon et, malgré l’épaisseur des vêtements, sentit son sexe rigide venir se
frotter contre son clitoris lorsqu’il remua les hanches. Elle gémit, excitée, et
redoubla d’ardeur.
Elle appuya les hanches contre Brute, qui lui massait les fesses de ses doigts
puissants tout en la faisant bouger contre lui de manière très érotique. Elle passa
les ongles sur sa chemise, désireuse de le sentir de nouveau en elle et de coller sa
peau nue contre la sienne.
Ses grognements et ses ronronnements mettaient son corps en éruption.
Jamais elle n’avait été en proie à une telle excitation tandis qu’elle essayait de lui
arracher sa chemise pour le déshabiller. Brute semblait sur la même longueur
d’onde. Il rompit leur baiser et ils se regardèrent, haletants.
— Personne ne te touche à part moi, grogna-t-il. Personne.
Becca le regarda dans les yeux et chercha une réponse, mais en vain. Il la
lâcha, se cambra en arrière et fit glisser sa chemise par-dessus sa tête, lui offrant
le spectacle de son torse surpuissant. Elle aurait pu l’admirer pendant des heures,
mais il reprit sans attendre possession de sa bouche.
Becca gémit, terrassée par ce baiser torride, mais elle était prête à répondre à
une telle passion. Elle rêvait depuis si longtemps de se retrouver dans ses bras
que ses hormones étaient incontrôlables. Elle enroula les bras autour de son cou
et enfonça les griffes dans son dos pour l’encourager. Elle plaqua ensuite ses
seins contre son large torse et il recula un peu pour ne pas lui écraser le ventre à
cause du bébé. Ce fut à peine si elle s’en aperçut, mais elle eut le temps de
penser que, contrairement à elle, il n’avait pas encore totalement perdu la tête.
Brute la souleva comme un fétu de paille et elle s’agrippa fermement à lui
tandis qu’il se relevait. Elle ne savait pas où il allait et elle s’en fichait. Plus rien
ne comptait, à part sa bouche et ses baisers. Il la prit par le dessous des cuisses
pour lui permettre d’enrouler les jambes autour de ses hanches, puis lui arracha
sa bouche, à son grand désarroi. Becca ouvrit les paupières, plongeant le regard
dans ses yeux magnifiques.
— Accroche-toi, ordonna-t-il en ronronnant.
Elle obéit et il se pencha en avant. Becca sentit ses muscles se tendre l’espace
d’une seconde, puis il la posa sur une surface moelleuse. Elle comprit alors qu’il
l’avait portée jusqu’à sa chambre.
— Lâche-moi.
Elle hésita, mais obéit et le regretta aussitôt. Brute recula, ôta ses chaussures,
puis porta les mains à sa ceinture. Le bruit de sa braguette résonna dans la pièce
et Becca comprit qu’il allait la baiser. Le cœur tambourinant d’excitation, elle se
mordit la lèvre inférieure.
Elle pouvait refuser mais n’en avait pas le cœur. Brute était l’homme le plus
sexy qu’elle ait jamais croisé. Les souvenirs de leurs ébats revenaient la hanter
toutes les nuits et il tenait le premier rôle dans tous ses fantasmes. Elle en était
même venue à se caresser en imaginant que c’était lui qui la touchait, et non pas
ses propres doigts.
Son corps déformé par la grossesse la mettait un peu mal à l’aise, mais elle
repoussa aussitôt cette pensée. Si elle était dans cet état, c’était sa faute et, si elle
supportait la vue de ses vergetures dans le miroir, il faudrait bien qu’il les
accepte lui aussi. Elle mourait d’envie qu’il la touche et qu’il la serre contre lui.
Et Brute semblait complètement partant lui aussi.
— Je ferai attention, promit-il en baissant son pantalon, sous lequel il était nu.
Je ne te ferai pas mal.
— Ne recommence pas avec ça, l’avertit-elle. Arrête de parler et aide-moi
avant que je retrouve toute ma tête et que je me rende compte de l’erreur
monumentale qu’on est en train de commettre.
Un éclair de colère passa dans les yeux de Brute, mais Becca s’en fichait.
C’était la vérité, que cela lui plaise ou non. Elle tenta de se redresser pour ôter
son tee-shirt, mais elle n’y parvint pas. Brute, adepte des solutions radicales,
arracha le tissu.
Bon, j’aimais pas ce tee-shirt de toute façon, se consola-t-elle tout en
s’appuyant sur le matelas avec les pieds pour se soulever. Brute passa la main
dans la ceinture de son pantalon molletonné et tira dessus pour le faire
descendre, emportant sa petite culotte au passage tandis qu’elle ôtait elle-même
son soutien-gorge.
Voyant qu’il la regardait, elle rougit, consciente d’être moins sexy
qu’autrefois. Était-il dégoûté par les marques rouges sur son ventre ? Elles
étaient ténues, mais bien visibles. Elle était maintenant à la moitié de sa
grossesse et son ventre arrondi l’empêchait de voir si elle s’était correctement
épilé le maillot. Elle y porta les doigts pour vérifier et Brute ronronna de plus
belle.
— Tu es belle, gonflée par ma semence.
Cette remarque lui fit dresser les sourcils. Elle ouvrit la bouche, puis la
referma. Qu’attendait-il pour la toucher ?
— Brute, tu vas me regarder encore longtemps ?
Il se mit à genoux, la saisit aux mollets, la tira jusqu’au bord du lit et lui écarta
les cuisses. Becca enroula les jambes autour de ses hanches et tenta de l’attirer
contre elle. Son désir d’être pénétrée était si fort qu’elle n’y tenait plus.
Mais, à sa grande frustration, Brute posa une main sur l’arrondi de son ventre.
Ce n’est pas le moment de partir en exploration ! Mais presque aussitôt il tendit
le pouce pour le passer sur son clitoris.
— Oui, gémit-elle.
Il commença à la masser et elle sentit son autre main approcher de son vagin,
jouer avec la fente humidifiée, puis la pénétrer d’un doigt épais, lentement
d’abord, puis de plus en plus fort. Becca remua les hanches pour l’inciter à aller
encore plus loin et lui enserra les hanches.
— Brute, haleta-t-elle.
— Dis que tu es à moi.
Il la regarda et Becca se mordit la lèvre inférieure. Elle mourait d’envie qu’il
la fasse jouir, mais il était hors de question qu’elle se rende aussi facilement. Elle
le lâcha et tenta de repousser sa main. Elle pouvait se donner du plaisir toute
seule s’il voulait jouer à ce petit jeu.
Avec un grognement, il retira son doigt et lui saisit le poignet pour l’approcher
de son propre entrejambe. Il regarda ensuite vers le bas et ajusta la position de
ses hanches tandis que, de son pouce, il continuait à lui titiller le clitoris, la
poussant toujours plus près de l’orgasme. Son gland massif frôla l’entrée du
vagin de Becca, puis il s’enfonça en elle en la regardant dans les yeux.
— Tu es à moi, grogna-t-il, les yeux de plus en plus sombres. À moi, Becca.
Ne l’oublie jamais.
Il la pénétra jusqu’à la garde puis adopta un rythme soutenu en continuant à la
caresser avec le pouce. Becca rejeta la tête en arrière et il lui lâcha le poignet
pour lui agripper les fesses tout en accélérant la cadence. Sentant qu’elle était sur
le point de glisser du lit, elle s’accrocha au matelas. Brute en profita pour ajuster
ses hanches et trouver un angle d’attaque idéal qui poussa Becca à crier son
nom.
— À moi, répéta-t-il d’une voix sauvage. Dis-le.
Becca secoua la tête. Elle ne lui appartenait pas. Elle ne lui donnerait pas cette
satisfaction.
Il grogna et arrêta les mouvements de ses hanches et de son pouce, la laissant
en suspens, quelque part entre l’enfer et le paradis. Son clitoris, son vagin, tout
son corps criaient grâce, au bord de l’extase.
— Brute, supplia-t-elle d’une voix pantelante. N’arrête pas.
— Tu es à moi, grogna-t-il. À moi, Becca. Je veux que tu saches qui te baise
et qui te fait jouir.
Sur ces mots, il repartit de plus belle.
Becca ferma les yeux en sentant Brute s’enfoncer encore plus profond en elle.
Cela ne lui faisait pas mal. Au contraire, il n’existait rien de plus doux au monde.
Il était si rigide et si énorme qu’elle avait l’impression qu’elle n’en pouvait plus,
mais il se retira avant de recommencer encore plus fort qu’auparavant. Becca
s’agrippa aux draps, prise de convulsions de plaisir, cambrant les hanches pour
se coller encore plus à lui.
— Tu es si belle, murmura-t-il en accélérant encore.
Becca gémit, le corps crispé à l’approche de l’orgasme, puis cria en sentant le
plaisir la submerger. Son extase était si forte qu’elle ne put s’empêcher de
prononcer son nom.
Brute poussa un rugissement assourdissant et s’enfonça une dernière fois en
elle, plus fort que jamais, pour la remplir de son sperme chaud en remuant et se
vider jusqu’à la dernière goutte. Becca, hors d’haleine, se détendit
complètement.
Brute, toujours enfoui en elle, glissa les mains sous son dos et l’aida à se
redresser. Becca ouvrit les yeux en sentant qu’il la forçait à s’asseoir sur le bord
du lit.
— Embrasse-moi, ordonna-t-il.
Becca se passa la langue sur la lèvre supérieure. Brute, excité par ce spectacle,
grogna et écrasa sa bouche sur la sienne. Elle s’ouvrit à lui, accueillant ce tendre
baiser, serrée dans ses bras, collée à son corps musclé.
Enfin, il releva la tête et ils se regardèrent longuement dans les yeux. Ce fut
Brute qui rompit le silence.
— Je suis ton mâle, assena-t-il. Personne d’autre que moi ne s’occupera de toi.
Je massacrerai tous ceux qui essaieront. Tu ne veux peut-être pas que je te
revendique comme compagne, mais, ça, c’est une chose que tu ne peux pas me
refuser, Becca. Je serai là pour toi en permanence. Et je serai le seul à te pénétrer.
Le seul à te toucher. Le seul à t’embrasser.
— Brute, répondit-elle doucement, tu sais qu’on…
— Pas maintenant. Après ce qu’on vient de partager, ce n’est pas le moment
de se disputer.
Elle referma la bouche. En effet, elle ressentait une telle satisfaction que
l’heure était mal choisie pour aborder un sujet aussi périlleux.
Il se retira lentement, à regret, et l’aida à se relever. Sans résister, elle le laissa
défaire le lit, l’aider à s’allonger et la border. Puis il s’assit au bord du matelas et
la regarda, une main sur son ventre rond.
— Dors, ordonna-t-il. Repose-toi. Les femelles enceintes ont besoin de
beaucoup dormir. J’ai un truc à faire, mais je reviendrai dans quelques heures.
Elle avait envie de savoir de quoi il s’agissait, et surtout pourquoi il s’estimait
en droit de lui donner des ordres, mais, sans lui laisser le temps de parler, il se
pencha et déposa un baiser sur son front.
— Laisse-moi m’occuper de toi, ma belle. J’en ai besoin. Quand je reviendrai,
je t’apporterai à manger. En arrivant, j’ai senti que tu venais de prendre un repas.
Ferme les yeux et dors.
Becca obéit. Elle sentit qu’il se levait, puis elle l’entendit se rhabiller. Elle
entrouvrit les paupières et le vit refermer sa braguette, puis sortir de la chambre.
Quelques secondes plus tard, elle entendit la porte se fermer et essuya les larmes
qui lui montaient aux yeux.
Mais à quoi je joue ?
C’était une question à laquelle elle n’avait aucune réponse.

Brute fit un pas dans le couloir, se retrouva nez à nez avec trois agents
hybrides visiblement nerveux, puis ferma la porte derrière lui avant d’évaluer la
situation. Bestial se trouvait devant lui, le dos contre la porte, le visage fermé, et
empêchait les trois agents d’entrer. Brute le regarda, étonné, et Bestial lui
adressa un clin d’œil.
— Ils ont voulu se précipiter à la rescousse de l’humaine en entendant vos
ébats. Heureusement pour toi que j’étais là pour protéger votre intimité. Alors, tu
l’as revendiquée ?
Brute soupira.
— Elle accepte les rapports physiques, mais elle ne veut pas encore être ma
compagne.
Bestial secoua la tête.
— Ces humaines… Enfin, c’est un premier pas. Tu n’as plus qu’à la
convaincre. Tu ne t’en sortais pas trop mal, à ce que j’ai entendu.
— Je me passerai de tes conseils, merci, rétorqua Brute en lui souriant.
— Je n’en doute pas.
— Je vais chercher des affaires chez moi. Je m’installe ici. Elle sortira bientôt
de son état de choc et elle sera furax, mais elle est mignonne quand elle est en
colère.
— Et toi tu es une vraie tête de mule. Je suis sûr que tu vas gagner.
— Je l’espère. Au pire, dès que mon fils sera en âge de parler, je lui
demanderai de la convaincre à ma place.
Bestial éclata de rire et renvoya les gardes.
— Vous voyez ? tout va bien. Disparaissez, ordonna-t-il avant de se tourner
vers Brute. Je suis sûr que vous aurez plein d’autres fils.
— Si seulement, soupira Brute.
CHAPITRE 18

Becca s’éveilla seule, étonnée d’avoir dormi. Elle regarda autour d’elle, mais
Brute n’était pas là. Elle repoussa les couvertures et entra dans la salle de bains.
Lorsqu’elle se vit dans le miroir, elle secoua la tête d’un air navré.
— Un baiser et tu te précipites au lit avec lui, dit-elle en s’observant de la tête
aux pieds dans la glace avant de s’arrêter sur son ventre. Ce n’est pas ce que
maman a fait de plus glorieux, hein ? Enfin, pour ma défense, il faut dire que ton
papa est super sexy et qu’il embrasse très bien.
Elle entra ensuite dans la douche et se savonna de la tête aux pieds pour
effacer les traces physiques de leurs ébats. Mais les souvenirs, eux, étaient
indélébiles.
— Tu parles, soupira-t-elle. C’est les hormones, ça ne fait aucun doute. (Elle
leva les yeux au ciel et commença à se rincer.) On est mal embarqués, mon chou.
Et il faut encore que j’envoie un message à ton grand-père et que je trouve un
nouveau mensonge pour lui expliquer pourquoi j’ai tant tardé à le contacter.
Soudain, la porte de la douche s’ouvrit à toute volée. Becca sursauta et
trébucha. Avec un cri d’angoisse, elle chercha désespérément un moyen
d’enrayer sa chute, mais deux bras musclés la rattrapèrent avant qu’elle s’écroule
sur le carrelage.
— Désolé, dit Brute en la redressant. Tu n’as rien ? J’avais oublié que tes sens
ne sont pas très développés. Je pensais que tu m’avais entendu approcher, je ne
voulais pas te faire peur. Tu vas bien ? Et le bébé ?
Il la sortit de la douche et la serra contre lui. Becca, toujours sous le choc,
gardait le silence, mais elle était soulagée qu’il l’ait rattrapée à temps. Elle crispa
les doigts sur ses biceps et il la reposa lentement.
— Tu aurais pu frapper, non ? On n’entre pas comme ça dans une salle de
bains, parvint-elle enfin à dire.
Après s’être assuré qu’elle tenait debout toute seule, il la lâcha et l’enveloppa
dans une serviette pour commencer à la sécher.
— J’ai entendu ta voix et j’ai cru que tu étais avec quelqu’un, expliqua-t-il, les
yeux pleins de colère. Tu parlais à qui ?
— Au bébé.
Brute se figea et un sourire niais se dessina sur ses lèvres.
— Il t’entend ? Et moi aussi ? Je ne savais pas. (Il se pencha et approcha le
visage du ventre de Becca.) Salut, p’tit bout. Je suis ton papa. J’ai hâte de te tenir
dans mes bras.
Encore ces maudites hormones, fulmina Becca, incapable de retenir ses
larmes, car elle trouvait cette scène très touchante.
— Selon ce que j’ai lu, il paraît que les bébés, même s’ils ne comprennent pas
les mots, entendent les voix et peuvent même les reconnaître. Je lui parle tout le
temps, trop, probablement, mais, à ma décharge, j’ai été seule pendant
longtemps.
Brute se redressa et soutint son regard.
— Tu ne seras plus jamais seule. Je me suis installé ici.
— Pardon ? s’exclama-t-elle.
— Je t’ai dit que je m’occuperais de toi et je suis allé chercher mes affaires.
Désormais, je vis ici avec toi et j’ai délégué mes obligations de conseiller. Je vais
pouvoir me consacrer à toi à plein-temps. (Il sourit, rappelant à Becca combien
elle le trouvait irrésistible.) Je suis tout à toi.
Becca ne savait que penser. Elle aurait tant voulu que ce soit vrai. Lorsqu’elle
plongeait le regard dans ses yeux sexy, elle avait envie de ne jamais le lâcher,
mais elle savait que s’il était là c’était uniquement parce qu’elle était enceinte.
On pouvait compter sur lui, c’était indéniable, mais ce n’était pas de cette
manière qu’elle le voulait.
— Tu ne peux pas emménager ici.
— C’est déjà fait. Inutile de discuter, décréta-t-il en posant les yeux sur son
ventre. Notre fils nous entendrait.
— Ne retourne pas mes arguments contre moi ! explosa-t-elle.
— Ouvre la bouche.
Elle lui prit le menton entre les mains.
— Non. Pas question que je te laisse m’embrasser et que j’oublie que je t’en
veux.
— Pourquoi pas ? Ça a marché la dernière fois. Quand on fait l’amour, on ne
se dispute pas.
— Ah, tu l’admets enfin ! Tu as couché avec moi uniquement pour arriver à
tes fins.
Brute haussa les épaules.
— De quoi tu te plains ? Ça nous a plu à tous les deux, non ? répondit-il en
posant les mains sur ses hanches. Tu m’as manqué, Becca. On a l’occasion de se
réconcilier et on doit apprendre à se connaître avant la naissance de notre bébé.
Je te veux. Le fait qu’on ne se dispute pas quand on fait l’amour est juste un petit
bonus. Mon désir est bien réel, crois-moi.
Elle lâcha son menton et le repoussa.
— Alors essaie de me convaincre par tes paroles et pas par tes baisers.
— Je veux faire les deux. Viens au lit.
— Certainement pas. (Elle n’avait pas envie de se retrouver une nouvelle fois
avec le cœur brisé, car elle savait qu’il finirait par se lasser d’elle et par estimer
que la vie de couple lui demandait trop de sacrifices.) Tu verras ton fils autant
que tu le voudras, Brute. Tu feras partie de sa vie même si on n’est pas
ensemble.
Il fronça ses beaux yeux bleus rayés de jaune puis, sans prévenir, la souleva
comme un bébé et l’emmena jusqu’à la chambre où il la posa sur le lit avant
d’ôter sa serviette d’un geste sec.
Becca se couvrit les seins avec les mains et recroquevilla les jambes.
— Rends-moi ça !
Mais, sans l’écouter, Brute commença à se déshabiller.
— Je vais te faire l’amour.
— Oh que non ! Le sexe n’est pas la réponse à tout.
— On en parlera après, dit-il en continuant son effeuillage. Je te veux.
Becca s’enroula dans la couverture et s’assit.
— Arrête !
Brute sourit, termina d’ôter ses chaussures et ouvrit sa braguette. Hypnotisée,
elle le regarda se tortiller pour se débarrasser de son pantalon. Elle aurait juré
que ce n’était que par pure provocation qu’il le faisait aussi lentement. Son
pénis, rigide et impressionnant, se dressa, pointé vers elle, puis il se baissa pour
se dégager les chevilles. Lorsqu’il se releva, Becca ne put s’empêcher d’admirer
la perfection de son corps. Comme pour enfoncer le clou, il remua la tête pour
faire voleter sa longue crinière noire, qui retomba sur ses larges épaules
bronzées.
Becca en avait le souffle coupé. Nu, les cheveux lâchés, les lèvres
entrouvertes faisant apparaître ses canines, il avait une allure très sauvage. Il
poussa un grognement, se pencha en avant, posa les mains sur le lit et la regarda
de ses yeux de félin.
— Tu es à moi, Becca. Tu as beau dire le contraire, ton corps ne ment pas, lui.
La jeune femme recula lentement jusqu’au mur mais Brute pesait sur la
couverture et l’empêchait de la tirer avec elle. Il approcha à quatre pattes, le sexe
battant sur son ventre plat, puis s’arrêta au milieu du lit.
— N’aie pas peur de moi, ma belle.
Il posa la main sur sa cheville, repoussa les draps et la tira doucement vers lui
jusqu’à ce qu’elle se retrouve à plat sur le dos, puis rampa au-dessus d’elle pour
placer son visage à la verticale du sien. Son sexe lui frôlait les cuisses, qu’elle
maintenait serrées.
— Ouvre-toi. Je veux aussi apprendre la vérité à ta bouche.
Becca avait le cœur qui battait la chamade. Elle avait envie de lui mais sa
fierté lui refusait de céder de nouveau aussi facilement. Son cerveau était
paralysé face à l’assaut d’un tel concentré de testostérone, mais elle le força à se
remettre en marche. Il aimait retourner ses mots contre elle ? Lui rendre la
monnaie de sa pièce serait de bonne guerre.
Brute était toujours à quatre pattes pour ne pas peser sur son ventre et il avait
les jambes écartées, ce qui laissait une petite marge de manœuvre à la jeune
femme. Elle le regarda dans les yeux et posa les mains sur ses hanches.
— Tu crois que tu peux me vaincre avec tes baisers ?
Il ne répondit pas, mais ses yeux amusés disaient clairement qu’il en était
convaincu.
— Redresse-toi.
— Je nous trouve très bien comme ça.
— Redresse-toi et j’ouvrirai la bouche, promis.
Il hésita, puis obéit. Becca s’assit à son tour et le surprit en saisissant son
membre à pleine main et en le serrant pour l’empêcher de se dégager.
— Ne t’inquiète pas, le rassura-t-elle en voyant son air inquiet. Je ne te ferai
aucun mal. N’aie pas peur de moi, beau brun. Tu pensais pouvoir me séduire ?
Eh bien, nous sommes deux à pouvoir jouer à ce petit jeu. Prends-en de la
graine, mon bébé.
Elle se lécha les lèvres puis, sans le quitter des yeux, baissa la tête jusqu’à ce
que sa bouche entre en contact avec son gland. Elle en lécha le bout pour en
goûter la texture et faillit éclater de rire en voyant Brute écarquiller les yeux de
surprise.
Elle prit son membre dans sa bouche et commença à le sucer lentement en
bougeant la tête pour changer les angles. Elle l’enfournait, remontait jusqu’à ses
lèvres, le titillait avec la langue. Brute tremblait et poussait des petits bruits
bestiaux qui mettaient Becca en joie. Il avait cru pouvoir la contrôler, mais
c’était elle qui avait désormais le dessus.
Elle leva les yeux et le vit rejeter la tête en arrière et crisper les mains sur ses
cuisses, probablement pour se retenir de l’attraper. Elle enfonça son sexe le plus
loin possible dans sa bouche et accéléra la cadence.
— Becca, gémit-il.
Elle ne prêta pas attention à cette interruption et continua de plus en plus vite.
Sa main glissa sur ses abdominaux en béton, en explorant chaque contour, puis
monta jusqu’à son téton, qu’elle serra entre le pouce et l’index.
Brute poussa un rugissement et lui repoussa violemment la tête en arrière pour
ôter son sexe de sa bouche. Son sperme lui inonda la gorge et la poitrine et il se
repositionna pour frotter son membre entre ses seins.
La puissance de son éjaculation le faisait trembler et Becca se figea, éberluée.
Il ne lui avait pas fait mal, mais, si ses bras lâchaient, il lui tomberait sur le
ventre et l’écraserait sous son poids. Il frissonna une dernière fois puis rouvrit les
yeux.
— Fais attention. J’ai failli tout te cracher dans la bouche.
— C’était le but, parvint-elle à articuler.
— Je t’aurais étouffée. Les Hybrides ont une éjaculation abondante. Tu ne l’as
pas senti quand on faisait l’amour ? J’aurais pu te faire mal.
Becca déglutit sans savoir que répondre et Brute se leva d’un bond pour se
diriger vers la salle de bains. Elle le regarda s’éloigner en se rinçant l’œil à la
vue de son beau petit cul et s’assit avec difficulté. Son cœur battait toujours la
chamade en pensant qu’il aurait pu l’écraser contre le matelas.
Brute fit couler un peu d’eau puis revint dans la chambre, une serviette
mouillée à la main. Becca tendit la main pour la prendre, mais, à sa grande
surprise, il se rassit et la prit par les épaules pour la forcer à se rallonger.
— Je ne voulais pas te faire peur, dit-il en lui frottant la gorge et la poitrine
avec la serviette. Ni te faire mal. J’adore ce que tu m’as fait, mais il faut que tu
me lâches à la fin, quand je te préviens.
Becca ne savait que dire. C’était une chose qui lui arrivait fréquemment avec
Brute.
— Ouvre la bouche.
— Je n’ai presque rien avalé. Inutile de m’essuyer.
Il l’embrassa avec fougue et jeta la serviette au loin, s’installa sur elle sans
l’écraser, puis rompit le baiser pour la dévorer des yeux.
— J’adore te voir sans tes vêtements. Tu es si pâle, si belle, si moelleuse…
Becca grimaça.
— Comment ça, « moelleuse » ? C’est une manière enrobée de dire que j’ai
des poignées d’amour ?
— Non, grogna-t-il. Je t’aime comme tu es.
— Je sais que tu aimes les Hybrides. Elles sont grandes et musclées, tout
l’inverse de moi. Moi, je suis… moelleuse, comme tu le dis si bien. Et pâle.
Qu’est-ce que tu fais avec moi, Brute ? Inutile de répondre, d’ailleurs, je le sais
déjà.
— Je veux être avec toi, répondit-il sérieusement.
— Bien sûr que non. Je suis enceinte à cause de toi et tu assumes tes
responsabilités, c’est tout. Mais, tu sais, tu peux être père sans qu’on soit en
couple. Tu…
Il l’embrassa pour la faire taire. Il était si doué pour les baisers qu’elle rendit
aussitôt les armes. Il se dressa sur un bras en faisant bien attention de ne pas
l’écraser et prit l’un de ses seins dans sa main. Becca gémit en sentant ses doigts
râpeux jouer avec son téton dressé, puis passa les bras autour de son cou. Enfin,
Brute se dégagea, aussi hors d’haleine qu’elle.
— J’ai besoin de toi, ronronna-t-il.
Becca hocha la tête. Elle ressentait la même chose, à son grand dam. Elle était
accro à Brute. Chaque baiser lui faisait l’effet d’une électrocution irrésistible.
Brute se releva et s’immobilisa, debout à l’extrémité du lit, avant de la tirer par
les chevilles.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je ne veux pas écraser notre bébé. Je peux te prendre sur mes genoux en te
posant en équilibre sur le rebord du lit, comme la dernière fois. Ça avait marché.
Je ne te le fais pas dire, renchérit-elle en elle-même.
— J’adore ton corps. Il m’excite.
Elle baissa les yeux et vit son sexe de nouveau pointé vers elle, déjà prêt à
l’emploi.
— Je vois ça.
— Tu as le droit de toucher, tu sais.
Son ventre se serra et elle sentit une douce chaleur se répandre entre ses
cuisses. Brute se mit à genoux, se régalant de la voir ainsi, offerte de nouveau à
lui.
— Écarte les cuisses. J’ai envie de te voir, de prendre mon temps et de te
goûter encore et encore.
— Ça… euh… me gêne un peu de savoir que tu me regardes comme ça. Je
suis enceinte, Brute. La dernière fois, tu m’as prise par surprise, mais j’ai des
vergetures.
— Et alors ?
— Je n’ai jamais été très à l’aise à l’idée de dévoiler mon intimité. Dans le feu
de l’action, je ne dis pas, mais pas comme ça.
Brute se mordit la lèvre inférieure.
— Tu as laissé d’autres mâles te voir nue, mais tu me refuses ce plaisir ?
grogna-t-il, le regard sombre.
— Je… Écoute, c’est un truc qui me met mal à l’aise, d’accord ? Ça
n’intéressait pas beaucoup mon mari et je suis plutôt pudique. Les autres fois, tu
ne m’as pas vraiment demandé ma permission et, le temps que je reprenne mes
esprits, c’était déjà terminé. On ne peut pas faire l’amour, tout simplement ?
J’adore sentir tes doigts jouer avec mon clito pendant que tu me pénètres.
Brute la regarda en fronçant les sourcils.
— Tu étais mariée, mais tu ne t’es jamais habituée à ce que ton mari te voie
nue et te lèche ?
— Il aimait faire ça dans le noir. Là, je suis à mon maximum, Brute. Je suis
nue à côté de toi en plein jour.
— Je ne veux pas me contenter de te regarder. Je veux découvrir et goûter
chaque partie de ton corps.
Becca rougit.
— Ça non plus, il ne le faisait pas.
— Eh ben moi, si, grogna-t-il en lui écartant les genoux. Laisse-toi faire.
— Brute…
— Tout de suite. Ferme les yeux si ça te gêne. Je veux que tu écartes les
cuisses. Je veux en mémoriser chaque centimètre carré. Je veux te lécher partout.
Fais-le pour moi, Becca. Ne discute pas.
Bon Dieu… Becca se mordit la lèvre inférieure et baissa la tête, puis écarta les
jambes. Ses joues irradiaient de chaleur et elle se doutait qu’elle était rouge
comme une tomate. Brute lui caressa l’intérieur des cuisses et elle frissonna. Il
fit glisser ses pouces jusqu’aux portes de sa toison et Becca dut contenir son
envie de cambrer les hanches et se força à réguler sa respiration.
— Tu apprendras à aimer ça, Becca, l’assura-t-il d’une voix rauque. Tu
t’ouvriras pour moi chaque fois que je te le demanderai, parce que tu sauras le
plaisir que je te donnerai. Je te ferai mouiller rien qu’en te regardant, en
anticipation de ce que je te ferai ressentir.
Le corps de Becca réagissait à ces paroles. Brute lui écarta encore un peu plus
les cuisses et les souleva pour exposer son sexe. Elle sentit son souffle venir lui
chatouiller le clitoris. Il était aux portes de son intimité.
— Tu es belle ici aussi, murmura-t-il. Reste comme ça, Becca. Ne sursaute
pas.
Pourquoi je sursauterais ? se demanda-t-elle. Mais une seconde plus tard la
réponse lui apparut lorsqu’il passa la langue sur son vagin. Elle résista mais,
lorsqu’elle la sentit entrer en elle, puis ressortir, Becca se crispa. Brute poussa un
petit grognement, fit remonter la pointe de sa langue et frotta les dents contre son
clitoris avant de refermer les lèvres dessus et d’aspirer.
Le ventre noué, les tétons dressés, Becca s’agrippa aux draps pour se retenir à
quelque chose tandis qu’il l’assaillait sans pitié à coups de langue. Le plaisir
devenait si intense qu’elle voulut refermer les jambes, incapable d’en supporter
davantage, mais Brute la plaqua contre le lit et poussa un grognement qui vibra
contre son entrejambe.
— Mon Dieu ! gémit-elle. C’est trop, Brute. Arrête, ça me fait presque mal. Je
ne peux plus !
Becca avait l’impression que son corps était sur le point d’exploser. Elle
poussa un cri, rejeta la tête en arrière et sentit un plaisir si puissant qu’elle en
perdit tout sens des réalités. Les vagues d’extase s’enchaînaient sans pitié et
Brute finit enfin par la lâcher.
Becca haletait, les muscles du vagin encore pris de convulsions. Brute la
souleva et se plaça au-dessus d’elle. Elle ouvrit les yeux et vit que son regard
avait une expression presque effrayante. Jamais aucun homme ne l’avait
regardée avec une telle passion.
— Tu es à moi, Becca. Dis-le.
Elle ouvrit la bouche pour prononcer ces mots, puis se rendit compte de ce
qu’elle s’apprêtait à faire. Elle referma alors les lèvres et respira par le nez. Brute
ferma les yeux, comme s’il cherchait à contrôler sa colère. Une fois calmé, il les
rouvrit et la saisit par les hanches pour la tirer entièrement hors du lit. Il s’assit
par terre et l’installa sur ses genoux, son sexe turgescent coincé entre eux.
— Accroche-toi à mon cou.
Elle obéit et Brute la souleva par les fesses et la fit descendre lentement
jusqu’à ce qu’elle sente son gland massif contre l’entrée de son vagin. Elle était
si trempée de son orgasme qu’il glissa un peu et dû réajuster sa position avant de
la faire descendre un peu plus. Becca plaqua la bouche contre son torse et gémit,
torturée par cette lenteur insoutenable, jusqu’à ce qu’il soit enfoncé au plus
profond d’elle.
Les muscles de son vagin, toujours sous le coup de son orgasme, se crispaient
autour de son pénis. C’était presque une sensation de douleur. Son sexe était si
massif qu’elle n’était pas sûre de pouvoir supporter un accouplement avant
plusieurs minutes. Elle enfonça les ongles dans sa peau.
— Doucement, murmura-t-elle. Laisse-moi quelques secondes pour me
remettre.
— Quel dommage que tu sois si fragile, grogna-t-il. J’ai envie de te prendre
vite et fort. J’ai envie de m’enfoncer en toi jusqu’à la garde et de te baiser
jusqu’à ce qu’on ne puisse plus bouger. Mais je sais que ça te ferait trop mal.
Becca connut une seconde de peur. Il était trop grand et trop fort pour faire
tout cela. Sa grossesse compliquait encore les choses. Elle remua les hanches
pour se dégager, mais Brute poussa un grognement, raffermit sa prise sur ses
fesses et commença à bouger à son tour, tout en douceur. Aussitôt, le plaisir prit
le pas sur la peur. C’était agréable, merveilleux même, et Becca se détendit petit
à petit. Il accéléra la cadence et elle gémit. Brute, de son côté, se retenait de son
mieux.

Il avait beaucoup de mal à ne pas perdre le contrôle. Becca était si étroite que
cela lui faisait presque mal. Les muscles de son vagin se crispaient autour de son
pénis et il écoutait attentivement ses gémissements pour chercher ce qui lui
plaisait le plus. Il avait déjà envie de jouir, mais se retint. Avec un long
ronronnement qui résonnait dans sa cage thoracique, il balança les hanches sous
sa femelle. Elle poussa un petit cri et il recommença, satisfait.
C’était le point qu’elle préférait. Il répéta ce mouvement, encore et encore, les
torturant l’un comme l’autre, enfonçant le visage dans l’épaule de sa bien-aimée.
Du calme, se conseilla-t-il. En douceur.
Il n’allait pas résister longtemps. Il savait qu’elle était trop excitée, trop étroite
pour qu’il retienne son éjaculation. Il tenta désespérément de penser à autre
chose, mais les gémissements de Becca, les sensations qu’elle lui offrait et
l’odeur de son excitation étaient irrésistibles.
Brute lui lâcha les fesses et glissa les doigts entre eux pour lui caresser le
clitoris au rythme soutenu de ses coups de reins. Becca hurla son nom, emportée
par un nouvel orgasme, et Brute rejeta la tête en arrière et poussa un hurlement
en sentant les muscles de la jeune femme le faire jouir si fort que sa vue se
brouilla. Il la prit dans ses bras, hors d’haleine tandis que son sperme continuait
de jaillir en elle.
Enfin, il rouvrit les yeux et se régala du beau visage alangui contre son torse.
Jamais il n’avait rien vu d’aussi sexy.
— Je t’ai fait mal.
Becca lui répondit par un signe négatif de la tête.
— Tant mieux. Tu me pousses à bout, Becca.
La jeune femme se mordit la lèvre inférieure, les yeux trempés de larmes,
puis, à la grande surprise de Brute, se dégagea de son étreinte et se releva pour se
diriger en titubant vers la salle de bains.
— Becca, où vas-tu ? demanda-t-il en la suivant, prêt à la rattraper si elle
tombait.
Il n’y comprenait rien. Pourquoi pleurait-elle, et pourquoi s’était-elle levée ?
— Je veux te tenir dans mes bras, insista-t-il.
— J’ai besoin de prendre une douche.
— Je viens avec toi.
— Non, murmura-t-elle sans le regarder. J’ai besoin d’être seule.
— Becca, grogna-t-il, alarmé.
Qu’avait-il donc fait ? Elle avait aimé ce qu’ils venaient de faire. Il avait fait
attention.
Becca entra dans la salle de bains et lui ferma la porte au nez avant de la
verrouiller. Brute n’en revenait pas. Elle s’enfermait pour ne pas le voir !
— Becca ! reprit-il avec colère. Ouvre cette porte !
Sans lui répondre, elle enclencha l’eau de la douche. Pourquoi refusait-elle de
répondre ? Pourquoi voulait-elle effacer son odeur et sa semence de son corps ?
Brute respirait fort, blessé par ce rejet qui lui transperçait l’âme. Elle s’était
précipitée dans la salle de bains pour éliminer toute trace de ce qu’ils venaient de
partager.
Il serra le cadre de la porte entre ses doigts. Il avait envie de rugir, de défoncer
cette satanée porte, mais il avait trop peur d’effrayer la jeune femme. Elle
risquerait de glisser de nouveau sous la douche et, cette fois-ci, il ne serait plus
là pour la rattraper.
La dernière fois qu’il avait perdu son calme, elle l’avait repoussé et il ne
voulait surtout pas la terrifier. Il tenta de calmer sa respiration, mais la douleur
persistait. Il voulait qu’elle lui appartienne, que ses sentiments soient au
diapason de ceux qu’il éprouvait pour elle, qu’elle l’accepte. Mais, au lieu de
cela, elle ne semblait pouvoir tolérer son odeur sur elle.
Il baissa la tête et les larmes lui montèrent aux yeux. Il avait tout gâché, il ne
savait pas comment réparer les dégâts qu’il avait causés, et, pire encore, il sentait
son cœur se fendre chaque fois que Becca le repoussait.
Il commença à faire les cent pas dans la chambre, mais ses yeux ne cessaient
de revenir sur la porte. Il mourait d’envie de la défoncer et de la rejoindre sous
l’eau chaude. Il s’arrêta et poussa un grognement, motivé par l’effort surhumain
qu’il faisait pour se retenir de se précipiter vers sa femelle. Mais qu’est-ce qui
s’est passé, bon Dieu !?
Il ferma les yeux et se remémora les larmes de Becca après leur rapport. Une
pensée horrible lui traversa alors l’esprit et il se précipita sur le téléphone. Lui
avait-il fait mal ? Avait-il manqué de douceur ? Elle affirmait que ce n’était pas
le cas, mais peut-être mentait-elle. Fait chier !
Son appel ne prit que quelques secondes. Il enfila son jean et recommença à
tourner en rond jusqu’à ce qu’un bruit ténu capte son attention. Alors, perdant la
tête, il se précipita sur la porte de la salle de bains et la défonça d’un coup
d’épaule. Le bruit étouffé des pleurs de sa femelle lui était insupportable.

Becca, assise sous le jet d’eau chaude, faisait de son mieux pour ne pas
pleurer. C’était l’explication de Brute qui avait tout déclenché. Il lui avait dit
qu’il aimait le sexe sans entraves et qu’il devait se retenir avec elle. Cela lui
avait fait comprendre qu’elle devait mettre un terme à tout cela.
C’était douloureux. Elle était tombée amoureuse de lui trop vite. Elle avait
tout fait pour raisonner son cœur, mais celui-ci avait fait la sourde oreille. Brute
avait été franc depuis le début en lui disant qu’il ne voulait à aucun prix d’une
humaine. Il préférait les Hybrides, plus solides, plus à même de résister à la
sauvagerie de ses étreintes.
Elle posa les mains sur son ventre. Le bébé était la seule raison pour laquelle
Brute s’intéressait à elle, mais elle avait déjà commis une fois cette erreur. Elle
avait épousé un homme qu’elle aimait, mais qui la désirait pour les mauvaises
raisons. Elle avait cru que tout s’arrangerait et que son mari finirait par l’aimer
comme elle l’aimait, mais elle avait eu tort.
Becca avait les épaules secouées par les sanglots qu’elle tentait de contenir.
Son mariage avait failli la tuer à petit feu, mais elle n’avait jamais cessé
d’espérer que Bradley finirait par l’aimer si elle redoublait d’efforts. Elle était
alors jeune et naïve, contrairement à aujourd’hui.
Elle aimait Brute, mais lui ne voulait que le bébé. Elle savait qu’il ferait plus
d’efforts que Bradley pour que leur relation fonctionne, mais elle refusait
néanmoins de trop espérer. Elle était déjà passée par là et savait que la douleur
ne ferait qu’empirer avec le temps. Une vie sans Brute… Devoir affronter le jour
où il serait dans le lit d’une autre… Elle se mit à sangloter.
Elle repensa à tout ce qu’elle avait fait pour sauver son mariage. Quoi qu’elle
fasse, elle avait toujours l’impression de décevoir Bradley. Le jour de leur
premier anniversaire de mariage, elle s’était donné beaucoup de mal pour raviver
la flamme de leur triste vie sexuelle. Elle avait préparé un bon dîner et installé
des bougies dans toute la pièce, puis était allée l’attendre à la porte en talons,
porte-jarretelles et bas de soie noirs.
Bradley ne lui avait accordé qu’un regard avant de lui déclarer qu’elle
ressemblait à une pute. Ivre de colère, il avait préféré passer la nuit sur le canapé.
Elle avait alors compris que leur union était vouée à l’échec. Ce jour-là, elle était
tombée très bas et plus jamais elle n’accepterait de redevenir cette femme. Plus
jamais !
Jusqu’à la mort de Bradley, elle n’avait cessé de le décevoir, comme
emprisonnée dans un cercle vicieux. Et désormais il y avait Brute. Elle n’était
pas ce qu’il recherchait, une fois de plus. Ils n’avaient rien en commun, venaient
de deux mondes différents et n’étaient liés que par une seule chose : le bébé qui
grandissait dans son ventre. Elle ne survivrait pas à une nouvelle déception
amoureuse, à une relation condamnée depuis le départ.
Ses larmes commencèrent à couler, puis elle se mit à sangloter de manière
incontrôlable. Elle plaqua un bras contre sa bouche pour étouffer les sons de sa
douleur.
Soudain, elle sursauta en entendant la porte se briser. Une seconde plus tard,
Brute apparut dans la douche et il tomba à genoux devant elle avant de la
soulever et de la serrer contre lui.
— Je suis désolé, ma belle, dit-il d’une voix rauque. Je ne voulais pas te faire
mal. Je ne sens aucune odeur de sang, mais dis-moi où tu as mal.
Il fallut plusieurs secondes à Becca pour se remettre. Elle se retrouvait sur ses
genoux, à côté de la douche, et Brute la berçait comme un bébé en se frottant le
nez dans ses cheveux. Elle comprit alors qu’il pensait qu’elle était blessée.
— J-je n’ai rien. Repose-moi.
Elle renifla, parvint à dégager un bras et se frotta les yeux tout en regrettant de
ne pas avoir de mouchoir à portée de main. Elle leva ensuite la tête et vit
combien il était inquiet à l’idée qu’il ait pu lui faire mal.
— Brute, je vais bien, je t’assure. Je suis en train de te tremper. Lâche-moi.
— Non. (Il parvint à se relever sans la lâcher, preuve de sa force colossale, et
la porta hors de la salle de bains.) Je suis désolé, Becca. J’ai vraiment essayé de
me retenir.
Il pensait lui avoir fait mal pendant leurs ébats et s’en voulait terriblement.
— Ne t’inquiète pas comme ça, je vais bien.
— Becca, insista-t-il. Tu pleures. Je t’ai fait mal, je le sais.
Il la posa en douceur sur le lit, la borda avec la couverture et s’assit à côté
d’elle. Il la fit ensuite gentiment basculer sur le flanc et se coucha contre elle en
l’entourant de ses bras, comme s’il voulait la protéger de tout son corps.
C’était un geste si adorable qu’elle ne l’en aimait que davantage et elle
renonça à tenter de garder le contrôle. Pourquoi ne pouvait-il pas l’aimer ? Cela
aurait été si parfait ! Becca enfouit sa tête dans le drap, terrassée par une
nouvelle crise de larmes.
— Je suis là, ma belle, ne crains rien, la rassura-t-il. Tout va bien se passer.
CHAPITRE 19

— Je suis désolé, ma belle. Jamais je ne te ferais consciemment du mal.


La détresse qui transparaissait dans la voix de Brute était sincère et forçait
Becca à dominer ses propres émotions.
— Ce n’est pas toi. Je te jure que tu ne m’as pas fait mal pendant qu’on faisait
l’amour. C’est… moi. Je ne sais plus où j’en suis. Crois-moi, Brute, je t’en prie.
Tu ne m’as rien fait.
— Pourquoi tu pleures, alors ? Regarde-moi dans les yeux.
— Nous n’avons rien en commun, expliqua-t-elle en reniflant. Je ne suis pas
ce que tu recherches. Toi et moi, ça ne peut pas marcher. On doit arrêter de se
voir. Si on ne cesse pas tout de suite, ce sera encore plus dur une fois que le bébé
sera né.
Elle sentit qu’il se crispait derrière elle.
— Il est hors de question qu’on se quitte, Becca. Tu es à moi.
Becca se remit à pleurer, puis entendit une porte claquer, probablement dans la
suite voisine. Brute la tenait fermement contre lui, l’enveloppant comme dans un
cocon.
— Me voilà, annonça Trisha, à bout de souffle. C’est quoi, l’urgence ?
Becca se figea et la regarda, bouche bée. Trisha était vêtue d’un jogging rose
et elle avait un sac à la main. Leurs yeux se croisèrent et le médecin approcha du
lit.
— Brute dit qu’il t’a peut-être blessée pendant un rapport sexuel, Becca. Où
as-tu mal ? Tu as constaté des saignements ? des crampes ?
— Elle vient de m’affirmer que ce n’était pas ça, soupira Brute. Je ne sais pas
pourquoi elle pleure, mais je lis de la souffrance dans ses yeux, Trisha. Comment
est-ce que je peux l’aider ?
Trisha posa son sac et s’assit sur le rebord du lit.
— Qu’est-ce qu’il y a, Becca ? Parle-moi. Brute est dans tous ses états. Tu
peux me croire : pour qu’un Hybride appelle ainsi à l’aide, il faut vraiment qu’il
soit mort d’inquiétude. Il t’a fait mal sans le vouloir pendant que vous faisiez
l’amour ? Parle-moi.
Becca se mordit la lèvre inférieure.
— J’ai déjà été mariée.
Trisha cligna des yeux.
— Je m’en souviens. J’ai d’ailleurs été surprise de l’apprendre, parce que tu
portes le même nom que ton père.
— J’ai repris mon nom de jeune fille à la mort de mon mari.
— Tu as honte d’être enceinte alors qu’il n’est plus là ? demanda Trisha avec
douceur. C’est normal, mais tu n’as aucune raison de t’en vouloir.
Becca essuya ses larmes.
— Non. Mon mariage était lamentable.
Trisha lui adressa un regard plein de compassion.
— Tu as peur de t’engager. C’est compréhensible.
— Ce n’est pas ça non plus. Bradley était courtier en placements. Il voulait
épouser une riche héritière et mon grand-père était plein aux as. En m’épousant,
il espérait entrer dans ses bonnes grâces et obtenir la gestion de sa fortune. Je
croyais qu’il m’aimait, mais ce n’était pas moi qu’il voulait.
— C’est horrible, dit Trisha en lui tendant un mouchoir. Je suis désolée.
— C’est quoi, un courtier en placements ? Et il voulait entrer où ? C’est quoi,
des « bonnes grâces » ?
— Il pensait qu’en épousant Becca il pourrait mettre la main sur l’argent de sa
famille, expliqua Trisha. C’est à peu près ça, n’est-ce pas ?
Becca se moucha.
— Il ne savait pas que mon grand-père avait prévu de tout léguer à des œuvres
de charité et que je n’hériterais pas d’un centime, uniquement d’une partie de la
propriété. Quand il a appris qu’il n’avait même pas le droit de vendre ma
maison, Bradley s’est mis dans une colère noire. Le testament contenait une
clause selon laquelle, pour vendre, il fallait l’accord de mon père, qui possède
l’autre moitié de la propriété, et jamais mon père ne ferait ça. En d’autres termes,
Bradley ne pouvait pas y toucher.
— Bien joué, grand-père, marmonna Trisha.
— Pour ne rien arranger, je lui faisais honte auprès de ses amis parce que je ne
comprenais rien à son métier. Nous n’avions aucun point commun. J’ai essayé de
correspondre à ce que je pensais qu’il voulait, mais je n’ai jamais réussi à le
rendre heureux. C’était atroce pour lui comme pour moi. Si nous n’avons pas
divorcé, c’est uniquement parce qu’il refusait d’admettre qu’il avait fait une
erreur. Il en aurait éprouvé beaucoup de honte et ça n’aurait pas été bon pour son
image professionnelle. Les gens préfèrent confier les clés de leur portefeuille à
un homme marié plutôt qu’à un divorcé qui aime faire la fête et multiplier les
conquêtes. Et moi j’ai refusé le divorce parce que mon père m’avait dit depuis le
début que ce mariage était la plus grosse bêtise de ma vie. Je suis têtue et je
m’obstinais à croire qu’avec encore plus d’efforts je parviendrais à tout arranger.
Personne ne disait rien. Becca était contente que Brute soit collée à son dos. Si
elle avait dû le regarder dans les yeux, elle n’aurait pas pu continuer, mais elle
devait absolument lui faire comprendre pourquoi elle pleurait et surtout pourquoi
leur relation était vouée à l’échec.
— Mon mari souffrait d’une malformation cardiaque très rare que les
médecins n’ont découverte que pendant l’autopsie. Il n’était pas avec moi
lorsqu’il est mort. Je dis toujours qu’il était en voyage d’affaires, mais ce n’était
pas vrai. Notre vie intime était presque inexistante. Il ne s’intéressait pas à moi.
Je pensais que ça venait de moi. J’essayais par tous les moyens de trouver ce que
je faisais mal pour répondre à ses besoins sexuels, mais, quand j’essayais, ça le
mettait en colère. Il se mettait à hurler et partait dormir sur le canapé.
Brute poussa un grognement et la serra contre lui. Becca ne se retourna pas et
garda les yeux rivés sur Trisha.
— C’est la police qui est venue m’informer que Bradley était mort chez une
autre femme. Ils avaient une relation depuis plusieurs mois et il avait loué un
appartement à quelques centaines de mètres de chez nous pour l’y installer. C’est
là que j’ai appris qu’il avait des fantasmes très particuliers. Il aimait porter du
cuir et se faire fouetter par sa maîtresse. Il aimait qu’on lui fasse mal. Quand je
suis allée chercher ses affaires à la morgue, on m’a dit qu’il portait une tenue en
cuir quand son cœur a lâché. Il était en train de se faire fouetter. Après sa mort,
j’ai consulté une psy, parce que je ne savais plus du tout où j’en étais. Elle m’a
dit que certains hommes aimaient être dominés, qu’ils avaient besoin de ressentir
de la douleur pour jouir. Bradley savait que ce ne serait jamais mon truc. C’est
pour ça qu’il ne couchait presque jamais avec moi. C’est pour ça, conclut-elle en
s’essuyant les yeux, que je n’aurais jamais pu le rendre heureux malgré tous mes
efforts.
— Je suis désolée, dit Trisha. Ta psy avait raison. J’ai déjà entendu parler de
cas tels que le tien. Certains hommes épousent des femmes normales, mais
cachent une part très sombre de leur personnalité qui les force à mener une vie
de dissimulation et de mensonge.
— Ça n’a plus aucune importance, répondit Becca en haussant les épaules.
Mais je ne veux pas commettre une deuxième fois la même erreur. Ça me
rendrait trop malheureuse et je ne le supporterais pas.
— Je ne comprends pas bien, dit Trisha.
Becca s’éclaircit la gorge.
— Euh… Brute, tu peux nous laisser seules, s’il te plaît ?
— Non, répondit-il en la serrant encore plus fort contre lui. Dis-moi pourquoi
tu pleures quand tu parles de ton mari. Tu l’aimes encore ?
— Bien sûr que non ! s’exclama-t-elle avant de regretter aussitôt cette
explosion.
— Bon, essaie d’oublier que Brute est là. Il est inquiet et il veut savoir ce que
te met dans un tel état. Et toi, fais-toi tout petit et laisse-la parler, ordonna-t-elle à
Brute.
Becca prit une grande inspiration.
— La première fois que j’ai rencontré Brute, je me suis dit qu’il avait les plus
beaux yeux que j’aie jamais vus. Il était si sexy… il m’a attirée dès le premier
regard.
Elle éclata de rire, puis continua :
— Je me suis qu’avec un tel corps il ferait un excellent stripteaseur et je rêvais
de le voir sans ses vêtements.
Trisha sourit.
— Les Hybrides aiment danser. Tout à l’heure, demande-lui de t’emmener au
bar de l’hôtel.
— C’est là qu’il m’a expliqué pourquoi il ne s’intéressait pas aux humaines.
Brute se figea dans son dos.
— Becca…
— Tais-toi, ordonna Trisha. Pas un mot. Laisse-la finir. Si tu ne veux pas
partir, tiens-toi tranquille, au moins.
Il poussa un grognement de frustration, puis s’installa confortablement, bien
décidé à rester.
— Continue, Becca, l’encouragea Trisha. Je veux entendre la suite. Pourquoi
est-ce qu’il ne voulait pas de toi ?
— Il trouve les humaines trop fragiles pour le genre de rapports sexuels qu’il
apprécie.
Trisha ne semblait pas surprise.
— C’est vrai que les Hybrides pourraient facilement nous faire mal. Ils se
servent parfois de leurs dents et ils sont très agressifs. Son inquiétude est
parfaitement fondée, Becca, et elle est partagée par de nombreux mâles. Ils ont
peur de nous casser quelque chose par accident ou de nous déchirer de
l’intérieur. Certains d’entre eux aiment bien lutter au corps à corps avec leurs
femelles avant le sexe. Si mon mari le faisait, je finirais à l’hôpital, expliqua-t-
elle avec un sourire. Mais Slade est très doux avec moi. Tu as peut-être peur que
Brute te fasse mal, je peux le comprendre, mais vous apprendrez à trouver votre
équilibre.
— Non, ce n’est pas ça. J’ai l’impression de revivre ce que j’ai vécu avec
Bradley. Tu ne comprends pas ? Brute veut des choses que je ne peux pas lui
donner. Il ne pourra jamais se lâcher au lit, parce qu’il aura toujours peur de me
faire mal. Il devra toujours garder le contrôle, même lorsqu’il n’en aura pas
envie. Sexuellement parlant, je ne pourrai jamais le combler.
— Mais non, Becca, intervint Brute, tu te trompes. Avec toi, je n’ai pas envie
d’être violent, mais j’ai quand même peur de te faire mal. C’est mon pire
cauchemar.
— Enfin, le fait est que je ne suis pas ce qu’il te faut. Je ne peux pas te donner
ce que tu désires. Je n’ai pas le droit de tomber amoureuse de toi, parce que je
sais comment ça se terminera, expliqua-t-elle en le regardant enfin dans les yeux.
— Je…
— Tu finiras par m’en vouloir, l’interrompit-elle. J’ai bien compris pourquoi
tu ne m’as jamais recontactée, Brute. Tu as couché avec moi parce qu’on était
prisonniers et que c’était notre seul moyen de nous réconforter. Lors de notre
première conversation, tu m’as avoué avec franchise ce que tu pensais des
humaines. Nous n’avons rien en commun. Nous venons de deux univers
différents et, si tu es là aujourd’hui, c’est uniquement pour le bébé. Si je n’étais
pas tombée enceinte, nous ne nous serions jamais revus. Je refuse de m’engager
sur cette voie, Brute. Je ne veux pas d’une relation vouée à l’échec. Tu
t’écarteras de moi et tu me tromperas. Moi, je serai de plus en plus dépendante
de toi et tu me briseras le cœur. Il faut que tu sortes de ma vie. C’est pour ça que
je pleure. C’est ça qui me fait si mal. Je n’y survivrais pas une deuxième fois.
Brute lui essuya les lèvres du bout du pouce.
— Becca…
— Arrête, sanglota-t-elle. N’essaie même pas de le nier, c’est impossible. Tu
ne m’as pas appelée et tu n’es pas venu chercher tes affaires toi-même. Ça veut
tout dire. J’ai attendu ton coup de téléphone pendant des semaines, en espérant
que tu me dises que je comptais pour toi. Mais ton silence a fait office de
réponse et rien de ce que tu pourrais dire ou faire n’y changera rien. Si tu essaies,
c’est que tu n’es qu’un menteur. Et maintenant lâche-moi. J’ai faim. Ne me
touche plus jamais, Brute. On restera en bons termes pour le bébé, mais ne me
dis jamais plus que je suis à toi, parce que je refuse de te laisser me mettre le
cœur en lambeaux. Pousse-toi.
— C’est faux. Je voulais te revoir, mais on m’a ordonné de ne pas entrer en
contact avec toi. J’avais peur que le fait de me revoir te fasse souffrir. Tu sortais
d’un gros traumatisme et, lorsque les Hybrides se mêlent aux humains, ça finit
toujours mal. Mais je n’ai jamais cessé de penser à toi.
— Lâche-la, ordonna Trisha. Il faut qu’on parle, Brute. Laisse-la se calmer
avant de lui dire quoi que ce soit. Fais-moi confiance.
À contrecœur, Brute laissa Becca se relever. La jeune femme s’enroula dans la
couverture et se dirigea vers la commode pour y prendre une longue chemise de
nuit, puis quitta la chambre sans se retourner. Elle se changea dans la deuxième
chambre, plia la couverture, puis entra dans le salon pour commander à manger.
Elle savait que le service serait rapide. Enfin, elle s’écroula sur le canapé.

Trisha et Brute étaient restés dans la chambre.


— Qu’est-ce que je dois faire pour qu’elle arrête de pleurer ? demanda
l’Hybride sans cacher son énervement. Je ne voulais pas lui faire de mal. J’avais
envie de la revoir, mais tout le monde me disait que ce serait une erreur. On m’a
donné l’ordre de ne pas la contacter. J’espérerais qu’elle le ferait, mais en vain.
Qu’est-ce que je peux faire pour arranger ça ?
Il se leva et commença à tourner en rond.
— Tu l’as blessée, Brute. Quand vous vous êtes rencontrés, elle s’intéressait à
toi et tu lui as clairement fait comprendre que tu ne voulais pas d’une humaine.
Ensuite, vous avez été enlevés et cette épreuve vous a tellement rapprochés
qu’elle espérait que tu changerais d’avis. Et après votre libération elle a très mal
pris le fait que tu n’aies pas repris contact, parce qu’elle éprouvait des sentiments
pour toi. Je sais pour quelles raisons on t’a ordonné de garder tes distances. Mais
Becca l’ignore et elle t’en veut beaucoup. Elle était certaine que tu ne ressentais
rien pour elle avant d’apprendre l’existence de ce bébé.
— Ce n’est pas vrai. Je voulais l’appeler ou aller la voir, mais j’avais peur de
la faire souffrir. C’était ce que tout le monde me disait. Je voulais avant tout la
protéger. Elle a vu des horreurs pendant notre captivité et elle a eu un aperçu de
ce que les Hybrides ont vécu. J’ai vu plusieurs fois le dégoût et la peur dans son
regard, et je me disais que, si on se revoyait, elle risquait de revivre tout cela.
Je lui ai donc laissé l’initiative pour me contacter. Si elle avait des sentiments
pour moi, pourquoi elle ne l’a pas fait ? interrogea-t-il en cessant de marcher
pour la regarder droit dans les yeux. Je suis heureux de l’arrivée de ce bébé. Son
existence fait que Becca est à moi, comme je le voulais. Pourquoi est-ce qu’elle
n’arrive pas à le comprendre ?
Trisha se mordilla la lèvre inférieure.
— Nous ne sommes pas des Hybrides, Brute. Dans notre monde, ce sont les
hommes qui sont censés prendre l’initiative en amour.
— Mais les magazines disent que la femelle moderne veut jouer le rôle de
l’agresseur dans une relation.
Trisha sourit.
— Mouais. Mais, tu sais, ces articles sont loin de parler pour toutes les
femmes. Personnellement, j’apprécie qu’un homme m’invite à dîner, me tienne
la porte et endosse les responsabilités. Je suis la compagne d’un Hybride, au cas
où tu l’aurais oublié. Slade est très barbare par moments et c’est une chose que
j’aime chez lui. N’oublie pas de prendre ses sentiments en considération, ça la
vexerait, car les femmes rêvent toutes du prince charmant. Elle attendait que tu
viennes l’enlever dans sa tour d’ivoire.
— Quelle tour ?
— C’est une expression, expliqua-t-elle avec un sourire. Elle voulait que tu
viennes de toi-même lui dire que tu avais changé d’avis sur les humaines. Elle a
l’impression que tu n’es revenu à son côté que parce qu’elle porte ton fils.
Aucune femme n’a envie de ressentir cela.
Brute fronça les sourcils.
— C’est vrai qu’elle a bouleversé ce que je pensais des humaines. Je la veux.
Le bébé est un bonus, mais je la voudrais même s’il n’était pas là.
— Il faut que tu lui parles, Brute. Elle pense que tu finiras par te sentir pris au
piège dans votre couple à cause du petit, qu’elle ne parviendra jamais à te
combler sexuellement et que tu la tromperas avec d’autres femmes qui sauront te
satisfaire. Elle craint qu’il y ait trop de différences entre vous pour que tu puisses
être heureux avec elle. Son mari ne l’a jamais aimée et elle en a gardé une
cicatrice profonde.
— Je ne suis pas son mari, grogna Brute. Jamais je ne la détesterai et jamais je
ne chercherai d’autre femelle. Elle comble tous mes désirs.
— Son mari l’avait épousée pour de mauvaises raisons, et tu la revendiques
toi aussi pour de mauvaises raisons. Ce n’est pas parce qu’elle porte ton enfant
qu’elle doit devenir ta compagne, mais parce que tu l’aimes et que tu veux
passer le restant de tes jours avec elle. Le bébé ne devrait être qu’une
conséquence de votre amour.
— Je vais lui parler.
Trisha hocha la tête.
— Oui, c’est important. Arme-toi de patience et contrôle ta colère, parce que
les blessures infligées par son mari mettront beaucoup de temps à cicatriser.
— Je n’ai aucune patience.
Trisha se leva et prit son sac.
— C’est le moment idéal pour apprendre.
Sur ces mots elle sortit de la chambre. Quelques secondes plus tard, elle
referma la porte de la suite derrière elle. Brute se donna le temps de se calmer et
de mettre ses pensées en ordre avant de se rendre au salon.
Becca, allongée sur le canapé, leva la tête vers lui. Brute s’approcha d’elle, se
mit à genoux et la regarda dans les yeux. Elle ne pleurait plus, mais son air triste
lui fendait le cœur.
— Je comprends pourquoi tu pleures, Becca.
— Tu ne m’as pas fait mal tout à l’heure. Je ne veux surtout pas que tu
t’accuses. Je suis désolée de t’avoir raconté tous mes malheurs, mais tu ne
sembles pas saisir pourquoi on ne peut pas être ensemble.
— Dès notre première rencontre, tu m’as beaucoup attiré.
Becca, surprise, ouvrit des yeux ronds.
— Je me souviens du moment où tu défaisais mon lit en remuant les fesses
devant moi. Tu veux savoir ce que j’aurais voulu faire à ce moment-là ? Me
mettre à genoux et te toucher, Becca. Te renifler, te lécher et te pénétrer à fond.
T’entendre pousser des cris de plaisir et hurler mon nom.
— Mais je suis humaine.
— C’était la première fois que ça m’arrivait, mais je te désirais vraiment,
Becca. Je n’en revenais pas moi-même et ça me mettait en colère.
— Pourquoi ?
— Je n’avais jamais compris pourquoi certains Hybrides se mettaient en
couple avec des humaines. Jusqu’ici, je n’avais connu que nos femelles, Becca.
Ça ne te faisait pas un peu peur de te sentir attirée par moi ?
— Ça m’a surpris, je l’avoue, mais il faut dire que tu es très beau. Nos
différences ne comptaient pas.
— Quand on a été enlevé, tu as pu voir une partie de ce que j’avais subi par le
passé. Prisonnier, forcé de subir des tests, toujours sous le contrôle de personnes
malveillantes, avec la peur constante de ne plus leur être utile à rien. Certains
d’entre nous ont été tués pour cette raison. Ils t’ont forcée à me caresser pour
obtenir des échantillons de sperme. Ça me fait honte, mais j’y ai pris du plaisir
et, de ce point de vue, on peut dire que je suis devenu aussi tordu que nos
ravisseurs. Je pensais que tu serais mieux sans moi, mais ça ne m’empêchait pas
de te désirer, Becca. Tu m’as manquée après notre libération et je voulais que tu
reprennes ta place dans ma vie, même si j’avais peur que tu me détestes après ce
qu’on t’avait fait endurer.
Becca regarda Brute dans les yeux. Elle voulait croire en sa sincérité.
— Jamais je ne te reprocherai ce qui nous est arrivé. Tu m’as soutenue et
réconfortée, mais admets qu’on ne se serait jamais retrouvés dans cette situation
si on t’avait laissé le choix. (Elle regarda son ventre arrondi, puis releva les yeux
vers lui.) Si on a couché ensemble, c’était juste pour lutter contre la peur.
— J’adorais te toucher. C’est pour ça que je me sentais coupable. Tu es si
douce et si belle, Becca. Je te désirais à m’en rendre malade et j’étais presque
heureux de me retrouver enfermé dans une cage avec toi, parce que ça me
permettait de te toucher. Je n’aurais jamais cru prendre du plaisir avec une
humaine. Et quand je dis plaisir, je suis très loin de la vérité. J’avais l’impression
que nous étions faits l’un pour l’autre, ma belle. Ta peau, ton odeur, ton corps
contre le mien… tout était parfait. Tu comprends ? Ton regard, le goût de ta
bouche, les sensations quand je m’enfonçais en toi… tout cela n’a cessé de me
tourmenter depuis notre séparation.
— Ce n’est pas vrai. Si tu avais vraiment voulu me revoir, tu m’aurais
appelée. Mais tu ne l’as pas fait.
— On m’a fait comprendre que cela ne ferait que te causer du tort. Je pensais
moi aussi que tu me contacterais si tu voulais me voir. Je pense comme un
Hybride parce que j’en suis un. Nos femelles sont très directes et, quand elles
veulent quelque chose, elles le font clairement savoir. Je sais désormais que j’ai
commis une erreur et que j’aurais dû prendre l’initiative.
Becca en restait muette de stupeur. Elle avait tant envie de le croire. Au bout
de plusieurs secondes, elle retrouva l’usage de la parole.
— Sans le bébé, on ne se serait jamais revus. Tu aurais repris ton existence et
tu m’aurais oubliée. Un bébé, ce n’est pas une raison suffisante pour se mettre en
couple, Brute. Pas pour moi, en tout cas.
— Quand j’ai appris l’existence de cet enfant, j’étais fou de joie. (Il inspira
profondément pour se calmer.) Ça fait de moi un enfoiré, non ? Je suis heureux
de t’avoir fécondée. Quand Trisha m’a dit qu’elle t’avait donné des médicaments
pour s’assurer que tu ne tombes pas enceinte, j’ai eu envie de pousser des
rugissements de rage, parce que je savais que, si tu portais mon enfant, j’aurais
des droits sur toi et je pourrais te prendre comme compagne, expliqua-t-il, les
yeux froncés et les narines dilatées. Je sais que je suis un salaud, mais ne crois
surtout pas que je me sens pris au piège à cause de ce bébé, Becca, ou que je
finirai par te détester. C’est toi qui devrais te sentir prise au piège, car plus
jamais je ne te lâcherai. Le fait de porter mon bébé te fait peut-être horreur, mais,
moi, ça me comble de joie. Trisha dit que je dois apprendre la patience, mais ce
qu’il me faut avant tout c’est que tu comprennes que tu es ma compagne et que
tu m’appartiens. Arrête de résister, parce que ça me rend dingue.
— Je ne suis pas le genre de femme qu’il te faut.
— Ah oui ? grogna-t-il. Et pourquoi ?
— Parce que je t’énerve trop. Là, par exemple, tu grognes et tu me montres les
dents. Et, quand on fait l’amour, tu es obligé de te retenir. Admets-le, Brute.
Tu n’avais pas envie de te lâcher complètement ? Tu n’aurais pas préféré faire
toutes les choses que tu voulais ?
Il la regarda droit dans les yeux.
— Tu n’étais pas vierge. Tu as connu un autre homme, Becca. Tu étais mariée.
Ton mari t’a touchée. Ce n’est pas pareil avec moi ?
— Non, répondit-elle en secouant la tête avec obstination. Ça n’a rien à voir.
Rien du tout.
Brute hocha la tête.
— Alors tu dois comprendre que ce que j’ai ressenti avec toi n’avait rien à
voir avec ce que j’avais connu jusque-là. Avec toi, c’est beaucoup plus intense,
Becca. Jamais je n’avais éprouvé de telles sensations. Tu fais naître des choses
merveilleuses en moi et, si tu crois que nos rapports ne sont pas satisfaisants
pour moi, tu te trompes. (Il prit son visage entre ses mains et la regarda droit
dans les yeux.) Tu me fais rugir de plaisir, ma belle. Tu es la seule femelle avec
qui je fasse ça. Le contrôle que je dois exercer pour ne pas te faire mal rend nos
rapports encore plus merveilleux quand je me lâche enfin pour t’inséminer.
— J’ai vraiment envie de te croire.
— Jamais je ne te mentirais. Quand on nous a libérés, j’ai dû me retenir de ne
pas démembrer Trey quand je l’ai vu te prendre dans ses bras. Je déteste voir un
autre mâle te toucher. J’avais envie de t’emporter et de te ramener à la maison
pour te garder, rien qu’à moi. Mais je savais que c’était impossible. Tu n’aimes
pas les mâles autoritaires. Je t’ai entendu le dire à Trey dans ta cuisine. Je suis
dominateur, Becca.
Elle éclata de rire.
— Vraiment ? Je tombe des nues !
Il sourit.
— C’est du sarcasme, hein ? Je connais.
On sonna à la porte et Brute se leva.
— Ça doit être ton repas.
Il ouvrit la porte et se trouva nez à nez avec Brise.
— Salut, Brute, dit-elle, le visage fermé. On m’a assignée au service d’étage
aujourd’hui. Voilà son repas.
Becca tressaillit. C’était la femme avec qui Brute avait eu rendez-vous le jour
de son arrivée. Brute prit le chariot et le poussa dans la pièce. Brise regarda
Becca, inspira profondément et le suivit, refermant la porte derrière elle.
Brute virevolta vers elle en grognant et Brise recula jusqu’à la porte en se
tournant vers Becca.
— Je voulais vous parler. Est-ce que vous pouvez demander à Brute de ne pas
m’égorger avant que j’aie eu le temps de le faire ? C’est important.
Brute fit un pas vers elle, mais Becca réagit à temps.
— Brute, arrête !
Il se figea et se tourna vers elle, furieux.
— Je lui avais dit de ne pas venir te déranger. Quand tu as appris qu’on avait
rendez-vous, le jour de ton arrivée, ça t’a mis en colère. Tu pensais que je
comptais coucher avec elle, mais je t’assure que ce n’est pas vrai.
Becca regarda Brise.
— Bonjour, Brise. Que vouliez-vous me dire ?
— Vous vous rappelez mon nom ?
— J’aurais du mal à l’oublier.
— Je ne savais pas que vous portiez l’enfant de Brute. Si ç’avait été le cas,
j’aurais immédiatement annulé notre rendez-vous. Je veux m’excuser de ce que
j’ai dit. Tigre vous touchait et, comme aucun mâle n’en laisserait un autre poser
la main sur sa compagne, j’en ai conclu à tort que Tigre était le père. Je vous jure
que Brute n’est sorti ni avec moi, ni avec personne d’autre depuis votre
libération. Voilà ce que j’avais à vous dire.
Becca était submergée par le soulagement. Brute avait annulé son rendez-vous
avec Brise et, comme cette dernière n’avait aucune raison de mentir, elle était
toute prête à la croire.
— Merci de m’avoir dit tout cela. Ça me fait très plaisir. Vraiment.
— Est-ce qu’il vous a décrit les relations entre les mâles et les femelles
hybrides ?
— En partie.
Brise jeta un regard à Brute avant de se rapprocher de Becca.
— Je peux vous parler pendant que vous mangez ? Je vous promets de ne rien
dire de dérangeant. Je pense même que ça vous fera du bien.
Becca hésita, puis hocha la tête.
— Asseyez-vous, je vous en prie.
Mais Brute n’était pas d’accord.
— Je pense que c’est une mauvaise idée. Tu vas te remettre à pleurer. On riait
avant qu’elle arrive.
— J’ai des amies humaines et je sais comment elles réagissent, argumenta
Brise. J’ai dit une chose qui lui a fait de la peine. Je te jure que je vais lui faire
du bien, Brute. J’aimerais être son amie.
Brute fronça les sourcils.
— Asseyez-vous, insista Becca.
Brute semblait contrarié, mais il apporta tout de même son repas à Becca,
accompagné d’un grand verre de lait. Il posa les plats sur la table basse, y ajouta
des couverts, puis s’assit à côté d’elle.
— Mange, s’il te plaît.
Brise s’installa sur une chaise.
— Les femelles hybrides ne recherchent pas le même genre de relations que
les humaines, expliqua-t-elle. Que savez-vous de nos vies avant notre
libération ?
— Pas grand-chose, admit Becca.
— On nous passait régulièrement de mâle en mâle pour les tests de
reproduction. Depuis toujours, on nous dit quoi faire et avec qui. Mais, une fois
libérées, nous sommes devenues allergiques à l’autorité. Nos mâles sont
autoritaires et nous l’acceptons. La domination est l’un des traits naturels de leur
caractère. C’est pour cette raison que nous n’acceptons de rapports sexuels que
lorsque nous en ressentons l’envie. On ne sort jamais deux fois de suite avec le
même, car il en conclurait que nous voulons une relation plus poussée. Est-ce
que je m’exprime clairement ?
Becca était choquée, mais elle comprenait et le montra en hochant la tête.
— Brute et moi n’éprouvons aucun amour l’un pour l’autre. Vous n’avez
aucune raison d’être jalouse ou en colère. Je ne représente aucune menace pour
vous. Nous venons du même laboratoire. On nous a forcés à copuler à de
nombreuses reprises au fil des ans, mais nous n’avons développé aucun
sentiment d’amour semblable à ceux qui régissent les relations humaines. Je le
respecte, c’est mon ami et je me fais du souci pour lui, mais ça s’arrête là. Il était
déprimé à son retour de captivité et je l’ai forcé à accepter de passer un peu de
temps avec moi. Je pensais que ça lui changerait les idées. Une fois qu’un mâle
décide de s’accoupler à une femelle, c’est autre chose que de simples rapports
sexuels. C’est un engagement très sérieux impliquant des émotions. Cela veut
dire qu’il ne touchera plus jamais que sa compagne. Leur fidélité est sans faille.
Est-ce qu’il vous l’a expliqué ?
— Non.
— C’est bien ce que je pensais, dit Brise en souriant. Je suppose qu’il ne vous
a pas dit non plus qu’il m’avait parlé de vous ? Après sa libération, il était
agressif avec tout le monde. Vous lui manquiez et il pensait à vous tout le temps.
Vous nous l’aviez mis de très mauvaise humeur ! Brute est d’un caractère doux
et enjoué, mais les gens commençaient à avoir peur de lui, tout cela parce qu’il
voulait vous retrouver. Il vous l’a dit ?
Becca, qui en oubliait de manger, se tourna vers Brute. Ce dernier la regarda
sans un mot, puis haussa les épaules.
— Je t’ai dit que je ne voulais pas renoncer à toi et que je serais venu te
rejoindre si je n’avais pas pensé que ça te ferait plus de mal que de bien.
— C’est vrai, acquiesça Brise. Il m’a même dit qu’il n’avait qu’un souhait :
aller chez vous pour vous emporter sur son épaule jusque chez lui. Il vous y
aurait enfermée jusqu’à ce qu’il ait réussi à vous inséminer. (Brise regarda le
ventre de Becca.) On dirait que son souhait lui a été accordé.
Becca, bouche bée, vit Brute fusiller Brise du regard.
— Tu n’avais pas dit que tu lui ferais du bien ? grogna-t-il. Maintenant, elle va
avoir une peur bleue de moi !
Brise secoua la tête.
— Non. Elle saura que tu éprouves de véritables sentiments pour elle. Tu étais
prêt à faire tout cela pour la récupérer et la serrer de nouveau dans tes bras. Tu
voulais mettre ton bébé dans son ventre pour la forcer à devenir ta compagne et
pour que tu puisses la garder. Je ne pense pas que ça lui fera peur de le savoir,
maintenant que c’est arrivé. Ça veut dire que tu voulais un enfant d’elle avant
même qu’elle sache qu’elle était enceinte. (Brise s’adressa ensuite à Becca en lui
souriant.) Il disait qu’il voulait vous mettre continuellement enceinte pour que
vous ne le quittiez jamais. Il a entendu parler des divorces humains et il ne
supportait pas l’idée que vous puissiez le quitter.
Becca, éberluée, regarda Brute. Elle souhaitait de toute son âme que Brise dise
la vérité. Cela changerait tout, car, dans ce cas, Brute la désirait avant
l’apparition du bébé.
— N’aie pas peur de moi, dit-il, inquiet.
— On s’est même dit qu’après huit ou neuf Brute miniatures vous seriez trop
épuisée pour seulement songer à le quitter. Ce serait le cas, non ? demanda Brise
sur un ton enjoué.
Becca éclata de rire, les yeux fixés sur Brute. Son air ahuri ne fit qu’aggraver
son hilarité et elle se balança en se tenant le ventre.
— Euh… ça va, Becca ? demanda-t-il en lui touchant le bras.
Elle se reprit enfin et s’essuya les yeux.
— Tu voulais que je te mette au monde une armée de petits Brute pour me
garder auprès de toi ?
— C’était juste une idée comme ça, grommela-t-il en rougissant.
Becca se tourna vers la jeune femme et lui sourit.
— Merci d’être venue me parler, Brise. Je comprends beaucoup mieux
désormais.
Brise se leva.
— Parfait. Je vous laisse discuter de tout ça.
Elle sortit de la suite et Brute poussa un soupir. Becca se tourna vers lui et ne
put que remarquer son air emprunté.
— Alors, tu as peur de moi ?
Sans hésiter, elle s’installa sur ses genoux et lui passa les bras autour du cou,
se régalant de l’adorable expression d’incrédulité sur son visage.
— Non. Je pense que tu me désires vraiment et pas seulement à cause du
bébé, répondit-elle en riant. Et même si je n’avais jamais rien entendu d’aussi
tordu je trouve ton plan de me faire plein de bébés très romantique.
— Décidément, je ne comprendrai jamais les humaines, mais je te jure que je
redoublerai d’efforts, ma belle.
— Tu avais vraiment l’intention de venir m’enlever ?
Il la prit par les hanches et la caressa du bout des doigts.
— On m’a dit que je ne devais pas le faire, parce que tu me détesterais encore
plus.
Becca se pencha en avant.
— Ouvre la bouche.
Brute obéit sans hésiter. Becca s’accrocha à lui et leurs lèvres se joignirent en
un baiser fougueux. Quelques minutes plus tard, Brute la porta jusqu’à la
chambre, la dévêtit et la posa sur le lit.
— J’adore te regarder te déshabiller, dit-elle en profitant du spectacle tandis
qu’il se dévêtait au pied du lit.
— Et moi, j’adore quand tu ne portes rien du tout.
Becca se toucha le ventre.
— J’ai des vergetures.
Il les regarda.
— Je les trouve magnifiques, d’autant plus qu’elles sont causées par mon
bébé, déclara-t-il en finissant par son pantalon. Je m’installe définitivement ici et
je ne te quitterai plus jamais. J’ai besoin d’être avec toi, Becca. Je veux te suivre
partout où tu iras. Nous sommes faits l’un pour l’autre.
— Jamais je ne te demanderai de partir.
Il sourit.
— Tu veux bien être ma compagne ?
— C’est pour toujours, non ? Comme le mariage ?
— Non, pas comme votre mariage. Tu ne pourras ni me quitter ni divorcer. Tu
m’appartiendras et je t’appartiendrai jusqu’à la mort. Je ne t’abandonnerai
jamais et je ferai tout pour que tu veuilles que je reste.
Becca plongea le regard dans ses yeux fascinants.
— Je serai ta compagne.
— Écarte les cuisses, Becca.
Elle obéit en souriant. Brute monta sur le lit en ronronnant. Il la caressa
lentement tout en s’installant sur elle avant de déposer des petits baisers sur son
ventre et ses cuisses, de plus en plus près de son intimité.
Becca ferma les yeux.
— Mon Dieu, ce que c’est bon !
— J’adore ton goût et les bruits que tu fais. Je t’aime, Becca, tout simplement.
Elle rouvrit aussitôt les yeux, le cœur battant, mais pour d’autres raisons.
— Tu m’aimes ?
Sans rompre le contact visuel, il passa la langue sur son clitoris.
— Mmmh. Oui, ma belle. J’aime tout chez toi.
Elle le croyait.
— Je t’aime aussi.
Avec un grognement, il se jeta sur elle avec sa bouche chaude et se lança à
l’assaut de son sexe. Il enfonça un doigt en elle, trouva le point qui la faisait
vibrer et l’amena rapidement à l’orgasme. Lorsqu’elle rouvrit les yeux,
pantelante, il était déjà en train de la tirer sur le lit. Elle enroula les jambes
autour de ses hanches et il la pénétra lentement.
— Tu es à moi, Becca, grommela-t-il. Et je suis à toi. Dis-le.
Elle plongea le regard dans ses incroyables yeux de chat et, pour la première
fois depuis très longtemps, ressentit un bonheur pur.
— Je suis à toi et tu es à moi.
Il se pencha vers elle, s’immobilisa à quelques centimètres de son visage et
poussa un petit grognement.
— Je t’aime. N’en doute jamais. Tu es tout pour moi. Je te veux et j’ai besoin
de toi.
Il l’embrassa et entama un pilonnage intense, sa langue l’assaillant au même
rythme que ses coups de reins. Une sensation d’extase sauvage gagna Becca.
C’était plus qu’un coup d’un soir : son compagnon lui faisait l’amour, la
revendiquait à chaque mouvement de hanches, à chaque torsion de langue. Elle
se crispa, rompit leur baiser et cria son nom au moment même où elle arrivait à
l’orgasme. Brute l’imita et rugit son prénom, puis ils restèrent immobiles,
chacun dans les bras de l’autre, hors d’haleine.
— Je suis ta compagne, répéta Becca en souriant.
— Oui, murmura-t-il en lui embrassant le cou. Nous sommes liés à jamais et
nous serons très heureux.
CHAPITRE 20

Justice North et Tim Oberto étaient installés chacun d’un côté du bureau du
chef de l’OPH. Les deux hommes s’observaient. Tim semblait inquiet et Justice
se demandait comment lui annoncer la nouvelle, car il ne savait pas de quelle
façon l’humain réagirait. Jessie, sa compagne, entra dans la pièce, et Justice
tourna la tête vers elle, surpris.
— C’est mon ancien patron, dit-elle avec un clin d’œil. Je le connais mieux
que toi et je pense qu’il vaudrait mieux que je m’en occupe moi-même.
Justice hésita. Cette suggestion le soulageait, mais, d’un autre côté, il
s’inquiétait de la réaction d’Oberto. La détermination de sa compagne le rassura
et il hocha la tête pour marquer son assentiment. Il savait que, s’il refusait, elle
l’accuserait de ne pas lui faire confiance, ce qui était totalement faux. Il lui aurait
confié sa vie.
Jessie se lécha les lèvres, puis fixa le regard sur la bouche de Justice, comme
pour lui faire comprendre qu’elle lui exprimerait sa reconnaissance plus tard.
Justice se détendit. Sa compagne était à la hauteur de la situation. Elle n’avait
peur de rien.
— Salut, Tim, comment vas-tu ? salua-t-elle Oberto en s’asseyant sur le
rebord du canapé.
— Salut, Jessie, répondit celui-ci en souriant. Qu’est-ce que tu fais là ? Je sais
que tu travailles pour l’OPH et que tu sors avec Justice, mais j’ignorais que tu
devais participer à cette réunion.
— J’avais envie d’être là. Justice et moi venons de nous marier.
Tim, bouche bée, les regarda l’un après l’autre, puis sourit.
— Alors ça… félicitations.
— Merci, répondit Jessie avec un grand sourire. Jamais je n’ai été aussi
heureuse.
— Tout comme moi, renchérit Justice. Jessie me complète. Quand je l’ai
revendiquée comme compagne, c’était pour la vie, Tim. Le mariage n’était que
la suite logique. Je respecte vos traditions humaines.
— Tant mieux, répondit Tim. Je suis heureux pour vous. C’est pour cela que
vous avez demandé à me voir, Justice ? Vous disiez que ça concernait une
humaine et un Hybride. Vous voulez qu’on renforce la sécurité ? Quand la presse
aura vent de ce nouveau couple, vous serez submergés par une vague de
journalistes et de manifestants. Mais ne vous en faites pas, on s’en charge.
— Non, ce n’est pas ça. Jusqu’ici, nous avons pu garder cette information
secrète. En fait, il s’agit d’une question qui vous concerne personnellement.
— Moi ?
Justice hocha la tête et Jessie vint s’asseoir à côté de son ancien chef. Elle
consulta son mari du regard, puis se tourna vers Tim.
— Je te demande de garder ton calme et ton professionnalisme et de
m’écouter jusqu’au bout. Tu me le promets, Tim ?
— D’accord, répondit Oberto, perplexe.
Jessie prit une grande inspiration avant de se lancer.
— C’est en rapport avec l’enlèvement de Brute et de Rebecca.
— Ma fille est de nouveau menacée ? demanda-t-il avec colère.
— Tu dois rester calme, tu te rappelles ? le recadra Jessie. C’est au
professionnel que je veux parler, pas au père outragé, alors mets tes émotions de
côté le temps que je t’explique. Oui, c’est à propos de Rebecca, mais elle va très
bien et elle ne risque rien. Aucune menace ne plane sur elle. C’est bon, je peux
continuer ?
Tim hocha la tête, même s’il n’avait pas retrouvé tout son calme.
— Elle s’est retrouvée dans une situation très stressante et elle ne t’a pas tout
dit. Elle avait peur que tu exploses.
Tim agrippa les bras de son fauteuil.
— Bon sang ! Jessie, elle a été violée, c’est ça ? Elle m’a menti et c’est pour
ça qu’elle est partie en Europe ! Je le savais ! Et je crois aussi savoir qui l’a fait.
Il avait des marques de griffures et de morsures. Ce salopard a violé mon bébé,
hein ?
— Elle n’a pas été violée, le rassura Jessie. Laisse-moi terminer.
Tim serra les dents et hocha la tête.
— Le médecin qui dirigeait le labo clandestin faisait le commerce
d’échantillons de sperme d’Hybrides. On a préféré ne pas te mettre au courant de
tous les détails pour t’éviter d’envisager le pire. Nous sommes en train
d’identifier les clients. Ils avaient trois mâles canins mais il leur fallait un félin et
ils comptaient aussi enlever un primate. Leur contact en Europe voulait acheter
un set complet. Visiblement, il existe un marché noir dans certains pays, mais, ce
qu’ils veulent plus que tout, ce sont des bébés hybrides. Ils essaient de mettre sur
pied un système de reproduction avec des mères porteuses humaines.
— Ils l’ont enfermée avec ces mâles, n’est-ce pas ? demanda Tim, les larmes
aux yeux. Vous venez de l’apprendre ? Un seul ou plusieurs ?
Jessie secoua la tête.
— En fait, ils voulaient du sperme de Brute qui ne soit pas… euh…
Elle supplia Justice du regard.
— Les cobayes étaient attachés de force à des machines qui les faisait
éjaculer, soupira Justice. Mais ils ont forcé Becca à prendre des échantillons
directement sur Brute parce qu’ils la prenaient pour sa petite amie et qu’ils
pensaient qu’elle l’exciterait sans qu’ils aient besoin de le stimuler par des
drogues. Bref, elle a dû le masturber.
— Nom de Dieu ! explosa Tim en bondissant de son siège. Je savais bien que
c’était elle qui l’avait griffé et mordu. Elle voulait parler à cette ordure, peut-être
même le réconforter, mais j’ai tout fait pour l’en empêcher. Je les ai séparés.
— Rassieds-toi, ordonna Jessie en fronçant les sourcils. Comment ça, tu les as
séparés ? De quoi tu parles ?
Tim obéit, pâle et furieux.
— Elle voulait lui parler et on m’a dit qu’il voulait lui aussi la revoir. Je ne
sais pas s’il voulait lui présenter ses excuses et d’ailleurs je m’en fous. Il a fait
du mal à ma fille et il était hors de question que je lui permette de continuer. Le
psy de notre équipe m’a dit qu’elle était traumatisée. (Il adressa un regard noir à
Justice.) Je savais que vous empêcheriez ce pourri de reprendre contact avec
Rebecca si le psy vous le suggérait, et j’ai dit à ma fille qu’il ne lui parlerait pas.
Pas question qu’il s’approche d’elle. Il a des remords ? Tant pis pour lui. Elle
n’est pas bien et, si elle est partie, c’est pour oublier tous ces mauvais souvenirs.
Je savais bien qu’il s’était passé quelque chose. Je sentais qu’elle mentait et que
Brute avait joué un rôle là-dedans.
— Est-ce qu’elle avait vraiment le choix de te mentir, Tim ? Ce n’est pas aussi
grave que tu l’imagines. J’ai parlé à Rebecca et elle a touché Brute de son plein
gré. Les circonstances étaient horribles mais, s’il avait dû être attaché à une
machine, ç’aurait été encore pire. Elle l’a vu de ses propres yeux avec un autre
mâle et ça l’a horrifiée. Elle appréciait Brute, ils étaient dans la même cage et ils
se sont beaucoup rapprochés. Vraiment beaucoup, Tim, insista-t-elle. Ils sont
tombés amoureux l’un de l’autre. Tu comprends ce que je veux te dire ? Ils ont
commencé à avoir des sentiments profonds l’un pour l’autre.
Tim semblait toujours aussi furieux.
— Donc, ce que tu essaies de me dire, c’est qu’il a baisé ma fille, mais en
faisant en sorte qu’elle aime ça ? Elle l’a mordu et griffé. Ça veut bien dire qu’il
lui a fait mal, non ?
Justice poussa un grognement énervé.
— Non. Jessie est en train de vous expliquer que c’est tout le contraire. Il n’a
jamais forcé votre fille à le toucher. Au contraire, il lui a même demandé de ne
pas le faire. Il acceptait de recevoir un produit et de subir la torture de la
machine pour lui épargner ça, mais c’est elle qui a insisté.
Jessie soupira.
— Il ne lui a fait aucun mal, Tim. Ils sont tombés amoureux l’un de l’autre,
mais elle avait peur que tu tues Brute si tu apprenais qu’il y avait quelque chose
entre eux. Elle pensait même que tu serais prêt à démissionner pour assouvir ta
vengeance. Brute, de son côté, se disait que, si elle le revoyait, ça ne ferait que
rouvrir les plaies de sa captivité. Je n’arrive pas à croire que tu aies demandé au
psy de mentir. On en reparlera, mais tu peux être sûr qu’on va le virer pour en
engager un nouveau que tu ne pourras pas intimider. Ils ont voulu se protéger
mutuellement. Ils s’aiment. J’ai bien peur que tu aies mal interprété les morsures
et les griffures qu’elle lui a infligées durant leurs rapports. Il ne lui a fait aucun
mal.
Tim garda le silence pendant une bonne minute.
— C’est pour ça qu’elle est partie en Europe ? demanda-t-il à Jessie. Elle est
tombée amoureuse de ce type et elle a peur de me l’avouer ?
— Elle n’est pas en Europe. Ça aussi, c’était un mensonge. Elle vit à la
Réserve.
— Mais pourquoi ? s’exclama Tim, abasourdi.
— Elle est enceinte. Brute et elle vont avoir un bébé, répondit Jessie en
soutenant son regard. Nul ne sait que nos deux espèces peuvent procréer, donc tu
ne peux dire à personne que tu vas être grand-père. Ça exposerait Becca et son
bébé à l’hostilité de tous ceux qui détestent les Hybrides. Mais le problème ne
concerne pas qu’elle. Si les suprémacistes apprenaient que les Hybrides peuvent
féconder des humaines, ils deviendraient fous. Enfin, encore plus qu’ils le sont
déjà. Les enlèvements se multiplieraient, Tim, tu comprends ? Tu vas être grand-
père et on voulait te mettre au courant. Rebecca et Brute s’aiment et ils vivent
ensemble.
Tim n’en revenait pas.
— Elle aurait pu me le dire.
— Elle avait peur pour la vie de Brute. Tu lui as interdit de le revoir et, sans
vouloir te vexer, j’ai travaillé pour toi et je sais de quoi tu es capable. Quand tu
as pris une décision, on ne peut plus te faire changer d’avis.
— Elle avait peur que cela vous pousse à détester les Hybrides en général,
ajouta Justice.
Plusieurs émotions s’enchaînèrent sur le visage de Tim avant qu’il se tourne
vers Jessie.
— Tu es mariée à l’un d’entre eux. Il la traitera bien ?
Jessie sourit à pleines dents.
— Justice ferait n’importe quoi pour moi, Tim. N’importe quoi. Il est même si
protecteur que c’en est agaçant. Ils sont très différents des humains. Jamais Brute
ne frappera ta fille ou ne la trompera. Il sera prêt à mourir pour assurer son
bonheur. Nous avons deux autres couples mixtes qui attendent un enfant. Les
mâles ne quittent pas leur compagne d’une semelle. Ils les couvent en
permanence. Un fils est déjà né et son père est un vrai papa poule. Jusqu’ici, les
Hybrides n’avaient jamais rien eu à eux et ils n’avaient pas le droit d’aimer,
mais, maintenant qu’ils le peuvent, ils s’en donnent à cœur joie. Je peux te dire
sans exagérer que si j’avais une fille je voudrais qu’elle tombe amoureuse d’un
Hybride. Comme ça, je serais sûre qu’elle serait heureuse. Brute va tout sacrifier
pour Becca et leur bébé. Ils seront tout pour lui.
— Je veux les voir.
Jessie le regarda attentivement.
— Tu en veux à Brute ? Est-ce que tu vas t’en prendre à lui, Tim ? Si tu le
faisais, Rebecca t’en voudrait à mort. Elle a accepté de devenir sa compagne, ce
qui, pour les Hybrides, va encore plus loin que le mariage. C’est une manière de
se jurer fidélité jusqu’à la mort de l’un d’entre eux. C’est l’engagement le plus
sérieux qu’ils peuvent prendre.
— Je veux juste les voir, répéta calmement Tim. Je veux m’assurer qu’elle est
heureuse et qu’il tient vraiment à elle.
Justice décrocha son téléphone.
— Je fais préparer l’hélicoptère. Nous partirons ensemble.
— J’ai une chose à vous demander, demanda Tim en regardant North. Ma fille
a été mariée à une ordure. Ce type était un très bon acteur, mais je ne me suis
jamais laissé avoir. J’ai une idée et j’aimerais votre permission pour la mettre en
application. Si vous acceptez, ça me permettra d’être totalement rassuré.
— De quoi s’agit-il ? l’interrogea Justice avec hésitation.

Becca était nerveuse.


— Et s’il essaie de te tuer ?
Cela fit rire Brute.
— Je suis sûr que Justice lui a confisqué toutes ses armes. Et, à mains nues, il
n’est pas de taille.
— Ne lui fais pas mal. C’est mon père.
— Ne t’en fais pas, la rassura-t-il, amusé. Tout va bien se passer, Becca.
Quand il verra notre bonheur, il comprendra.
— J’espère que tu as raison.
Brute passa le bras autour de son épaule et lui prit le visage entre les mains.
— Il verra combien nous nous aimons, ma belle, et à quel point nous voulons
ce bébé, dit-il en laissant glisser une main jusqu’au ventre de la jeune femme. Et,
une fois qu’il sera né, ton père aimera notre fils autant que nous.
Becca hocha la tête.
— Je t’aime et je te crois, mais je suis inquiète, c’est tout. Je connais mon
père. Il est très autoritaire et me protège énormément. Une fois qu’il a une idée
en tête, impossible de le faire changer d’avis.
— Dans ce cas, il a intérêt à comprendre qu’on sera heureux ensemble et qu’il
devrait être content pour nous.
— À t’entendre, ça a l’air si simple, répondit-elle avec un sourire fragile. Je
me sens un peu mieux.
— Ça va aller. Tu as soif ?
— Non, merci. Tu t’inquiètes trop pour moi.
— Je n’en ferai jamais trop en ce qui te concerne. Embrasse-moi.
Becca se leva et passa les bras autour de son cou. Brute ronronna lorsque leurs
lèvres se joignirent et il l’attira contre lui en posant les mains sur ses fesses.
Becca éclata de rire et reposa les talons au sol.
— On est en public et mon père pourrait arriver d’une minute à l’autre.
Gardez vos mains à leur place, monsieur.
— C’était leur place, non ?
— Ça le sera, mais plus tard. J’ai faim.
Brute la conduisit jusqu’à une table vide de la cafétéria de l’hôtel.
— Assieds-toi. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
— Je ne sais pas.
— Ne bouge pas, je reviens.
Brute se dirigea vers le buffet et remplit une assiette en tournant les yeux vers
Becca. Il adorait la regarder. Quand elle dormait, quand elle prenait sa douche et
aussi lorsqu’ils faisaient l’amour. Becca lui sourit. Spécialement quand on fait
l’amour, pensa-t-il. Lorsqu’il revint à la table, la jeune femme écarquilla les
yeux en voyant l’assiette.
— Je ne pourrai jamais manger tout ça !
Brute prit une fourchette, y piqua une crevette et la porta à la bouche de sa
compagne.
— J’ai pris un peu de tout pour que tu puisses choisir ce que tu préfères.
Becca accepta la crevette et lui sourit. Brute plongea ensuite une paille dans
un verre de lait et le lui offrit.
— Tu sais que je peux manger toute seule, j’espère ?
— Oui, mais j’aime te nourrir, ma belle.
— J’ai horreur de manger seule, rétorqua-t-elle en prenant un beignet au
crabe. Ouvre la bouche.
Brute obéit mais, lorsqu’elle approcha la main, il avala le beignet et ses doigts,
qu’il lécha avant de les relâcher.
— Hmmm. Délicieux.

Tim se redressa sur son siège.


— J’en ai vu assez, dit-il à Justice et Jessie. Elle est heureuse. Il la traite
comme une princesse et leur amour saute aux yeux.
Justice hocha la tête.
— Je ne leur dirai pas que vous avez fait placer des micros et des caméras
dans la cafétéria pour les espionner. Ça rappellerait trop à Brute ses années de
captivité.
— Merci de m’en avoir donné l’autorisation. Je voulais les voir ensemble sans
qu’ils se doutent de ma présence. Parfois, c’est le meilleur moyen d’obtenir la
vérité.
— Je comprends. C’est pour cette raison que j’ai dit oui.
— On devrait y aller avant qu’ils repartent, intervint Jessie en riant. Rebecca
vient juste de récupérer une goutte de sauce sur le menton de Brute et de se
lécher le doigt.
— Allons-y, acquiesça Justice en se levant.
— Ce sont des jeunes mariés, expliqua Jessie, amusée par la mine renfrognée
de Tim. Si on les laisse seuls trop longtemps, ça va devenir gênant pour tout le
monde. La cafétéria est vide et ils le savent.
Tim éclata de rire.
— Oui, allons-y avant que je n’en voie plus que je le voudrais. Pendant mon
voyage de noces avec la mère de Rebecca, j’ai dépensé une fortune en service
d’étage. Nous avons passé trois semaines sans sortir de notre lit.
Becca se retourna à leurs bruits de pas. Son père venait d’entrer dans la
cafétéria, entouré de Justice et de Jessie. Brute se leva d’un bond, visiblement
crispé, et se plaça devant elle comme pour la protéger. Becca savait que son père
n’aurait pas manqué d’apercevoir son geste. Elle se leva plus lentement et se tint
à côté de son compagnon.
— Monsieur Oberto, le salua Brute. C’est un plaisir de vous revoir.
Tim s’arrêta à un mètre d’eux, le visage fermé.
— On m’a tout dit.
— Je sais.
— Papa…, commença Becca.
Mais Tim l’ignora et garda les yeux rivés sur Brute.
— Vous m’avez fait mauvaise impression depuis le début et je vais vous dire
pourquoi. Dès le premier regard que vous avez échangé, j’ai senti que ma fille et
vous étiez attirés l’un par l’autre. J’avais peur que vous fassiez du mal à ma
petite. Elle est tout ce que j’ai.
— Je comprends, dit Brute.
— Mais je sais aussi que les Hybrides sont très protecteurs et très solidaires
les uns envers les autres. Je craignais que, si vous vous mettiez en couple, Becca
se retrouve sur la touche.
— C’est faux, affirma Brute. Désormais, tous les Hybrides la considèrent
comme l’une des nôtres. Et elle n’est pas tout ce que vous avez, monsieur
Oberto. Plus maintenant. Vous aurez bientôt un petit-fils et vous faites partie de
la grande famille des Hybrides.
Les yeux de Tim se remplirent de larmes.
— J’avais tellement peur de perdre mon bébé. Ah oui ! encore une chose :
appelle-moi papa, ou Tim. Je te laisse choisir. Et puisque tu es le père de mon
futur petit-fils j’aurais une chose à te demander.
— Laquelle ?
— J’aimerais que vous soyez légalement mariés. Je sais que c’est vieux jeu,
mais je voudrais que vous le fassiez avant la naissance.
Brute se détendit.
— J’ai déjà préparé les formalités.
Becca le regarda, surprise.
— Ah bon ?
Il lui sourit.
— Tu as déjà accepté d’être ma compagne. À côté de ça, quelle est la valeur
de votre mariage ? Une union humaine, ça peut se rompre mais, puisque tu es ma
compagne, tu es liée à moi jusqu’à la mort, Becca. Je suis prêt à tout te donner.
Becca se serra contre lui.
— Tu as raison, admit-elle avant de se tourner vers son père. Comment vas-tu,
papa ? Quoi de neuf ?
Tim regarda son ventre rebondi.
— Je vais être grand-père.
— Oui. Tu veux sentir ses coups de pied ? Il s’agite toujours après les repas.
Tim en resta bouche bée.
— Tu le sens déjà bouger ?
— Les bébés hybrides ont un développement plus rapide, Tim, expliqua
Jessie. Becca accouchera à vingt semaines. C’est la moitié d’une grossesse
normale.
— C’est cool, non ? ajouta Becca en souriant.
— Ta mère a détesté ses neuf mois de grossesse, dit Tim avant de sourire à
son tour. Oui, c’est très cool. Et j’adorerais le sentir bouger. Vous avez choisi un
nom ?
Becca s’approcha de lui et lui prit les mains pour les poser sur son ventre.
Lorsque le bébé donna un coup de pied, Tim éclata de rire, une expression de
joie sur le visage.
— On comptait l’appeler Cage, répondit-elle.
— Certainement pas, grogna Brute.
— Je plaisante, Brute, détends-toi !
Tim fronça les sourcils.
— Quelque chose m’échappe, non ?
— En effet, le rassura Jessie. Le premier bébé hybride a reçu un prénom en
rapport avec l’endroit où il a été conçu. Il s’appelle Forêt. Si Becca et Brute
suivaient cette logique, leur fils s’appellerait Cage.
— Tu comprends ? demanda Becca, hilare.
Tim, l’air navré, se tourna vers Brute.
— Tu vois ce qu’elle me fait subir depuis trente ans ? Elle s’est toujours crue
plus maline que tout le monde.
— Vous avez un conseil à me donner ?
— Oui. Dès qu’elle aura accouché, mets-lui une bonne fessée.
— Papa !
Brute éclata de rire.
— Vraiment ? Ça marche ?
— Parfois, répondit Tim avec un clin d’œil.
— N’y songe même pas, Brute, le menaça Becca.
— Jamais je ne lèverais la main sur toi, Becca, tu le sais.
— Oui, répondit-elle en le prenant par la taille.
— Mais ça me donne des idées, ajouta-t-il. Tu dis toujours que, quand je
t’embrasse, tu n’arrives plus à réfléchir. Donc, chaque fois que tu feras la
maligne, je t’embrasserai.
— Ça me va !
— Tu es censée la punir, Brute, intervint Tim en riant. Ça ressemble plus à
une récompense.
Brute ricana.
— Mais je n’irai pas plus loin qu’un baiser !
— Brute ! s’exclama Becca, faussement outrée.
— Oui, ça marchera, convint Tim.
Becca regarda les deux hommes l’un après l’autre.
— Je suis ravie de constater que vous vous entendez aussi bien, mais je me
demande si je ne préférais pas l’époque où j’avais peur que vous vous entre-
tuiez.
Brute la prit dans ses bras et l’embrassa. Aussitôt, Becca en oublia tout le
reste.
— Tu disais, ma belle ? demanda Brute une fois le baiser rompu.
Elle éclata de rire.
— Je t’aime.
— Moi aussi.
— Ça m’impressionne, dit Tim. C’est la première fois que je vois quelqu’un
mettre ma fille au pas.
Becca se retourna dans les bras de Brute et sourit à son père.
— Si tu savais à quel point il est doué pour ça.
Tim rit.
— Bon, je crois que c’est l’heure de manger. Vous partagez ce repas avec moi,
j’espère ? demanda-t-il à Justice et Jessie. On doit encore discuter de notre
nouveau projet de détachement mixte. Je ne sais pas trop qui choisir.
— Oui, nous restons, et je comprends votre inquiétude. Mais, rassurez-vous,
ce sont des types bien qui seront parfaits pour cette mission. De plus, cela leur
fera du bien d’intégrer l’équipe, dit Justice en prenant la main de Jessie.
— Super, maugréa Becca en grimaçant. Une réunion de travail, je sens que le
repas va être charmant.
Brute la souleva et se dirigea vers la sortie.
— Mais on ne leur a pas dit au revoir !
— Si tu crois que je vais me contenter d’un baiser, lui murmura-t-il. J’ai des
ambitions bien plus grandes. Tu as mangé, tu as vu ton père et tu as constaté
qu’il n’avait aucune intention de me tuer. Justice va le tenir occupé pendant des
heures et il ne se rendra même pas compte qu’on est partis. Et maintenant je vais
faire l’amour à ma compagne.
Sur ces mots, il prit la direction de l’ascenseur. Becca passa les bras autour de
son cou.
— Alors, il paraît que tu aimes danser ? Tu crois que tu pourrais me faire un
striptease en musique ? C’est un fantasme qui m’obsède depuis longtemps.
Il ronronna.
— J’adore danser et je suis sur Terre pour combler tous tes fantasmes.
Elle lui frôla la joue avec les lèvres.
— J’en ai beaucoup.
— Tant mieux.
Laurann Dohner a grandi avec Fifi Brindacier et Alice détective, Stephen King
et Agatha Christie. Passionnée de romance, elle se lance dans l’écriture après la
lecture d’un roman médiocre, persuadée de pouvoir faire mieux. Après une
première série de romance dans un univers de science-fiction, elle s’aventure
dans le monde de la bit-lit. Elle vit en Californie avec son mari et ses quatre
enfants.
Du même auteur, chez Milady :

Hybrides :
1. Rage
2. Slade
3. Vaillant
4. Justice
5. Brute

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Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Brawn


Copyright © September 2016

© Bragelonne 2019, pour la présente traduction

Photographie de couverture :
© Shutterstock

Illustration de couverture :
Anne-Claire Payet

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ISBN : 978-2-8112-2620-6

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Site Internet : www.milady.fr

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