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Astreinte mentale du travail

Jérémy Chobriat, DES, Reims


Toute tâche a un coût qui se
décompose en :

• Charge physique

• Charge mentale

• Charge psychique
A) Différentes définitions

Car la notion de charge d’astreinte


mentale du travail dispose de
nombreuses définitions.
Szekely (1975)
• Charge mentale : état de mobilisation globale
de l’opérateur humain résultant de
l’accomplissement d’une tâche mettant en jeu
le traitement d’informations. 
De Montmollin (1986)
• Professeur d’ergonomie
• Charge mentale : capacité de mémoire
immédiate mobilisée par un sujet lors de la
réalisation d’une tâche.
• Notion de charge mentale : nombreux
questionnements par rapport à :
• son contenu,
• ses méthodes d’évaluation
• aux rapports qu’elle a avec les domaines où elle est
étudiée.
Amalberti (2001)
• La charge mentale s’étend au-delà de
l’attention, pour englober l’ensemble des
activités cognitives de l’opérateur.
• “L’astreinte mentale : résultat de la
mobilisation de l’ensemble des fonctions
mentales mises en jeu par l’opérateur pour
réaliser une tache »
Surcharge ou sous-charge mentale
(Sperandio 1988)
• Lorsque l’organisme sollicite à l’excès ses
ressources, il s’en suit une surcharge telle qu’il
ne peut plus traiter toute l’information
disponible, à l’origine de nombreuses erreurs...
• À l’inverse, lorsque l’organisme travaille en
dessous de ses possibilités, se produit un
phénomène de sous-charge favorable à
l’endormissement de l’opérateur.
L’astreinte du travail mental ne doit
pas être confondue
• avec la charge psychosensorielle = liées aux
informations sensorielles, indépendantes de la
tâche.
• avec les répercutions psychiques de
l’organisation du travail,
• avec des manifestations de stress ou de fatigue.
Variabilité de la charge mentale
très grande, car dépendante :
• Des exigences inhérentes à la tâche
• Mais aussi de l’opérateur :
- de ses capacités d’acquisition et d’organisation,
- de son apprentissage ou de son entraînement,
B)-Différentes méthodes
d’évaluation
1) Indices physiologiques

• perturbation de l'EEG (du rythme alpha), indicateur correct,


mais:
• Doit être interprété par des spécialistes,
• Peu transposable sur le terrain

• fréquence cardiaque moyenne : très mauvais indice de charge


mentale.

• mesure des potentiels évoqués, visuels ou auditifs: bien relié à


l’attention mais peu à la charge mentale, domaine
expérimental.
2) Indices psychologiques

• Analyse des réponses d'un opérateur au cours


d'un travail :
• qualité et quantité des réponses données,
• nombre des erreurs ou des omissions dans diverses
situations

• Méthode de la double tâche basée sur la


théorie du canal unique.
La théorie du canal unique

1. 2 postulats :
• Le SNC : canal unique par lequel passent les
différentes activités cérébrales : identification,
mémorisation, décision, action.
• Ce canal : capacité limitée de traitement de
l’information, le nombre de choix simultané est
restreint.
• Quand il y a surcharge du SNC => détérioration de la
tâche
La méthode de la double tâche
• A la tâche principale, prioritaire, est ajoutée
une seconde tâche, simple, permettant de
mesurer la fraction de capacité mentale
inemployée.
• Plus la 1e tâche est exigeante et moins la 2e
tâche sera performante.
• Quand il y a surcharge informationnelle, une
partie échappe à l’attention et induit des
erreurs.
Critique de la méthode de la double
tâche

• Théorie du canal unique actuellement discutée,


• En pratique :
résultats non généralisables, propres à un sujet :
• Difficultés d’application à un poste de travail aux
tâches différentes, brèves et nombreuses,
• Adaptation, en cours de poste, des modes
opératoires à la charge de travail par l’opérateur
lui-même,
3) Méthodes d'évaluations
subjectives
• Échelles ou questionnaires d'auto-évaluation ou d'hétéro-
évaluation
• Valeurs quantitatives plus indicatives que réelles ,
permettent :
• un répérage des moments ou des conditions favorables à
l'astreinte mentale,
• Un profil des astreintes d'un poste de travail donné,
• L’orientation vers une analyse plus objective du poste..
4) Analyse des dysfonctionnements
• C’est à dire des erreurs, incidents ou accidents.
5) Analyse du travail

• Analyse des relations entre tâche, opérateur et


activité.
• Doit être réalisée sur le lieu de travail
• Objectif : accéder à la représentation que les
opérateurs ont de leur travail en relation avec les
contraintes et les astreintes de la tâche et de
l'activité.
6) Interventions possibles

• Après analyse de la tâche et de l’activité :

• réorganisation du travail
• réorganisation de la tâche
• acquisition de compétences
2-Cas pratique
Etude sur les agents de régulation du métro
parisien.
Problématique
• La RATP a procédé au renouvellement et à la
modernisation de ses postes de commandes centralisés
(PCC) :
• Celui de la ligne 4 a été délocalisé d’un lieu où
s’effectuait la régulation de tout le réseau vers un espace
qui lui est dédié induisant l’expérimentation d’une
nouvelle organisation du travail (conception de postes
pour rapprocher au même endroit, les régulateurs
chargés du départ des trains et situés avant aux
terminus ) .
Problématique
• Fin des années 90 : construction de la ligne 14,
automatisée ( pas de conducteur dans les trains), autre
évolution de la relation homme-machine. Une grande
partie de la régulation du trafic est déléguée au système.
• Pour la RATP, ces changements résultent de la volonté
de replacer la régulation sous la direction des
responsables des lignes.
Objectifs
• Vise à cerner la subjectivité de la charge auprès
des opérateurs car importantes difficultés à
objectiver les situations de charge (obligation
d'observer l'activité en continu et longtemps)
• Explicitation des situations de travail,
• leurs conséquences sur eux-mêmes, le collectif
et l'organisation
• Afin de repérer les moments de charge
informationnelle pour mieux les étudier ensuite.
• Egalement : recueillir les points de vue de
l'encadrement et les dispositions prises pour
remédier à la problématique de la charge
informationnelle en matière de formation et
d'organisation.
La tâche des régulateurs
• la régulation consiste à assurer la conformité du trafic
au plan de transport (horaires et intervalles prévus) et à
traiter les événements qui perturbent le fonctionnement
normal de l’exploitation d’une ligne de métro.
Présentation des aspects organisationnels
des Postes de Commandes Centralisés
• Étude de trois espaces différents de travail permettant de
comparer et de déterminer si la charge informationnelle est
lieu-dépendant.
• PCC ligne 4 :seule ligne dont tous les régulateurs sont sur le
même site. Recueil d’informations par le tableau à
commandes optiques et par les conducteurs.
• PCC ligne 14 : automatisée, 2 postes : Commande Transport
(gestion trafic et incidents) et Commande Station ( gestion
ascenseurs et portes des trains)
• PCC ligne 1 : projet d'automatisation, mais actuellement, ses
régulateurs sont sur le site commun aux autres lignes,
travaillent à distance avec les conducteurs et les chefs de
terminus.
Le recueil des données
• Entretien d'une heure, enregistré, en 3 volets
• Présentation de l'opérateur
• Conditions de travail, horaires
• Situations de surcharge informationnelle en
donnant les facteurs responsables et les moyens
mis en oeuvre pour y faire face et les
aménagements proposés.
• Porte sur 43 opérateurs, 6 cadres
Analyse des données
• Logiciel Alceste : traitement de données
textuelles, permet de dégager l'information
essentielle.
• Encodage en fonction du site, du poste, de
l'expertise, des horaires de travail, du curriculum
laboris.
• Analyse transversale sur les 3 PCC pour repérer
des convergences dans les pratiques et la charge.
• Analyse verticale pour les spécificités de chaque
site
Résultats : Analyse transversale
• Un discours dominé par la perception de l’expérience
comme déterminante dans la régulation des phénomènes
de charge.
• 4 discours : 2 sur les facteurs de charge informationnelle,
2 sur les stratégies de régulation de la charge
Résultats : les facteurs de charge
informationnelle

• “ la carence d'information” ex : en cas de colis


suspect sur la voie, mulitples démarches entreprises
avec un flot d'informations à hiérarchiser => coût
important qui allonge la durée de résolution.
• « l’opposition des conditions de travail de nuit et les
exigences des tâches » ex : gestion de l'électricité, un
opérateur pour 2 lignes, on lui demande de couper pdt
des travaux entre 2 et 4 heures (zone d'hypovigilance),
nombreuses informations, se demande si tout va
repartir.
Résultats : les stratégies de régulation de la charge

• 1) «  nécessité d’avoir occupé un poste sur le terrain » :


référence à l'expérience de conduite de trains, permet de
savoir à quelles difficultés est confronté un conducteur en
cas d'incident.

• 2) « les antécédents des opérateurs » : Les opérateurs


expérimentés travaillent plus avec une résolution autonome
des situations contrairement aux opérateurs novices.

• L’expérience est « constituée d’épisodes d’activités


mémorisées, plus ou moins conceptualisés. Elle fournit des
ressources cognitives qui serviront à la comparaison des
situations actuelles aux anciennes, et à la catégorisation des
problèmes »
Analyse verticale : Ligne 1
• les facteurs de la charge informationnelle sont surtout liés
aux aspects de l’organisation du travail et propres aux sites.
• « la carence d’information », « l’opposition des conditions
de travail de nuit et les exigences des tâches » et « la
charge importante de travail en service de jour » ( le travail
fluctue selon la période de la journée, selon l'affluence)
• « la nécessité d’avoir l’expérience du terrain » et « la
dimension collective du travail » (Avec l’expérience, les
régulateurs développent des stratégies collectives de gestion
des phénomènes de charge et de stress, par l’entraide
pendant la résolution des incidents)
• “la crainte exprimée face à la future automatisation de la
ligne » : actuellement, ils gèrent collectivement la charge de
travail et profitent de l’expérience des collègues.
Analyse verticale Ligne 4 :
L’interaction de multiples facteurs

• La charge informationnelle a de multiples


sources . Elle est liée :
• aux « problèmes de signalisation sur les voies » :
• aux « nombreux appels des conducteurs en début
d’incident» : problème des priorités dans la résolution
d’un incident.
• à « la carence d’information » :
• à « l’inadaptation des moyens de communication »
• et aux « conséquences de la délocalisation du PCC »
Analyse verticale Ligne 14
L’organisation du travail fortement
interpellée
• « l’alternance entre le PCC et le travail en ligne » : coût
mental durant quelques jours dans la réappropriation de l’outil de
régulation.
• « la reprise en conduite manuelle des trains si
défaillance système automatique » : le train va t il repartir =>
stress
• « l’importance de la définition des rôles autour de la
gestion des incidents » : si confusion=> contradictions,
informations perdues, parasitage => surcharge mentale
Ex : incident survenant juste avant le changement d’équipe.

• Moyen de régulation avancé : expérience du terrain


Point de vue de l’encadrement
• Facteurs de charge informationnelle :
• « l’inadaptation des moyens de communication » :
mauvais état de fonctionnement
• « l’inadéquation des tâches de la nuit et la fatigue
» : baisse de vigilance liée à l’alternance des
horaires de jour et nuit.
 émergence d’une prise de conscience collective.
Point de vue de l’encadrement
• Moyens de régulation :
• Connaissance du terrain : l’expéreince permet
la construction des représentations
• Formation des régulateurs : indispensable avant
la délocalisation du PCC.
• Tableau de Contrôle Optique : nécessité d’avoir
une représentation du terrain.
Quelle exploitation possible pour
l’action ?
• Le discours des opérateurs a permis de repérer les
moments et les conditions favorables à
l’apparition d’une charge mentale.
• Ligne 1 : de nuit, différentes périodes
• Ligne 4 : moments de dégarage des trains en vue
de l’affluence de passagers.
• Ligne 14 : résolution d’incident et confusion des
rôles.
Conclusion
• Ces différentes observations vont permettre
de confirmer les phénomènes de charge tels
qu’évoqués par les opérateurs et par la
même occasion d’appréhender les
différentes conduites s’y afférant,
notamment dans leur contexte de
réalisation.
• A terme, cette démarche pourra aboutir à la
formulation des recommandations, par la
prise en compte des phénomènes de charge
informationnelle dans les programmes de
formation des agents nouvellement
qualifiés, autour de la gestion des incidents,
mais aussi dans la conception des espaces
de travail.

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