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Texte intgral de la Dicte des Amriques 1995

Texte de Hubert Reeves

Des vertiges peu de frais

Havresac au dos, piolet la main, le voyageur qui gravit les sentes abruptes
d'une montagne voit peu peu le paysage se mtamorphoser. Sous des ciels
indigo aux nuages en camaeu, son regard embrasse une succession de
fates, de coteaux et de vaux, qui revt souvent des allures grandioses. Mais
il arrive que l'effet de surprise soit attnu par la dure et la fatigue d'une
ascension ardue : notre montagnard s'habitue avant de s'bahir.
De la cime, comme saisi par l'immensit inattendue qui tout coup se rvle
lui, il dcouvre une perspective exaltante jusque-l demi masque par la
montagne elle-mme.
(Fin de la dicte pour les juniors)
Notre progression dans la vie ne ressemble-t-elle pas l'escalade du
varappeur dans la cordillre? Quoique notre existence parcoure un chemin
continment renouvel et qu'elle voie se succder d'innombrables et
d'innarrables pripties, celles-ci, tout extravagantes qu'elles soient, sont
maintes et maintes fois escamotes, enfouies dans les tnbres embrouilles
de l'accoutumance. Trop tt nous sombrons dans l'habitude et l'apathie, l
mme o il et fallu nous tonner. On n'en prendra conscience qu'en
entrevoyant soudain des points de vue insouponns, des avenues encore
vierges.
Pour dnicher le bonheur sublime et ainsi exhausser leur tre, les amateurs
de haute voltige, quels qu'ils soient, alpinistes, parachutistes, funambules et
autres jusqu'au-boutistes casse-cou, se livrent volontiers des prouesses
souvent coteuses, voire fort prilleuses. Nous pourrions pareillement exulter,
sans coup frir : des interrogations toutes simples, frlant la navet, suffisent
quelquefois nous tirer de nos abysses blass pour nous procurer des
sensations vertigineuses. Les idaux auxquels nous aspirons sont tout prs de
nous, telles autant de terres inconnues qui ne demandent qu' tre explores
avec nos yeux d'enfant (1).
(1) - On accepte galement yeux d'enfants

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