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PROSPECTUS
Récit d’une guerre implicite
Bernard Pasobrola
On estime que, au cours d’une année, chacun de nous reçoit en moyenne 40 Kg de prospectus
publicitaires dans sa boîte aux lettres. On peut se demander si cet univers pictural grossier et
inesthétique convient à sa finalité qui serait, en principe, celle de nous séduire pour nous inci-
ter à consommer. Mais n’est-ce pas là qu’une finalité de surface ? L’acte publicitaire cache
peut-être sa véritable importance dans la métaphore guerrière qui illustre sa fonction.
Le vrai référent n’est pourtant pas l’objet présenté sur le prospectus, l’icône aux
contours nets qui en illustre le message, mais son homologue sur les prospectus
concurrents. Ce qui est sous-jacent à l’exposition de l’objet, c’est la dénonciation
du statut trompeur de ses concurrents. Si vous trouvez moins cher ailleurs, nous vous
remboursons… Même lorsqu’il se contente d’une syntaxe énumérative et neutre, le prospectus
nous présente un fragile équilibre obtenu à l’issue d’une bataille qui s’est menée en coulisse.
En relatant ce combat quotidien pour défendre le pou-
voir d’achat du consommateur, la publicité ne fait pas
seulement l’apologie de la substance, mais surtout celle
de la guerre. Les bulles dentelées aux tons incarnats qui
entourent les prix suggèrent un acte festif ou violent,
comme s’ils se cassaient ou explosaient sous nos yeux. Le
champ publicitaire lui-même serait un tapis de petites
bombes qui éclatent toutes en même temps. Le caractère
inesthétique et souvent bâclé du prospectus s’explique
mieux dans le cadre des urgences de la guerre.
L’acte publicitaire impose la solidarité des destinataires avec ceux qui mènent
le combat. Instrument de propagande, il vise la reconnaissance empathique de
la supériorité des plus agressifs. La guerre qu’il met en scène semble si exci-
tante qu’en comparaison, les lagons cristallins des Caraïbes ont l’air
d’étendues diaphanes dans lesquelles, comme le montre la photo, il n’y a rien
voir. Les draps housses en flanelle ou le pull mérinos, le porte-serviettes ou
l'épilateur rappellent la
triste répétitivité du
quotidien.
L’instance de la jouis-
sance, c’est la guerre elle-même plutôt que l’objet
concret, débarrassé de son essence, et dont la pauvre et
encombrante matérialité éveille, tôt ou tard, le doute,
le soupçon, la désillusion. Le repos du guerrier en un
lieu d’un incommensurable ennui n’est qu’une
préparation au nouvel effort de guerre.