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CHEZ SMITH
Document 3 : 5 p342
Questions :
1. Les intérêts des individus sont-il conciliables, si oui comment ?
2. Est-il souhaitable que les individus adoptent un comportement altruiste dans leurs affaires ?
Document 5 :
L'importation de l'or et de l'argent n'est pas le principal bénéfice, et encore bien moins le seul qu'une nation retire de son commerce
étranger. Quels que soient les pays entre lesquels s'établit un tel commerce, il procure à chacun de ces pays deux avantages distincts.
Il emporte ce superflu du produit de leur terre et de leur travail pour lequel il n'y a pas de demande chez eux, et à la place il rapporte
en retour quelque autre chose qui y est demandé. Il donne une valeur à ce qui
leur est inutile, en l'échangeant contre quelque autre chose qui peut satisfaire une partie de leurs besoins ou ajouter à leurs
jouissances. Par lui, les bornes étroites du marché intérieur n'empêchent plus que la division du travail soit portée au plus haut point
de perfection, dans toutes les branches particulières de l'art ou des manufactures. En ouvrant un marché plus étendu pour tout le
produit du travail qui excède la consommation intérieure, il encourage la société à perfectionner le
travail, à en augmenter la puissance productive, à en grossir le produit annuel, et à multiplier par là les richesses et le revenu national.
Tels sont les grands et importants services que le commerce étranger est sans cesse occupé à rendre, et qu'il rend à tous les différents
pays entre lesquels il est établi. [...]
La découverte de l'Amérique [...}, en ouvrant à toutes les marchandises de l'Europe un nouveau marché presque inépuisable, a donné
naissance à de nouvelles divisions de travail, à de nouveaux perfectionnements de l’industrie , qui n’auraient jamais pu avoir lieu
dans le cercle étroit où le commerce était anciennement resseré , cercle qui ne leur offrait pas de marché suffisant pour la plus grande
partie de leur produit . Le travaiol se perfectionna , sa puissance productive augmenta , son produit s’accrut dans tous les divers pays
de l’Europe,et en mëme temps s’accrurent avec lui la richesse et et le revenu réel des habitants .
Source : Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de ta richesse des nations (1776), Livre 1, Chapitre 2, © Flammarion,
1991.
Questions :
1. De quel courant de pensée la première phrase constitue t’elle une critique ?
2. Explicitez par un schéma fléché les conséquences de la découverte de l’Amérique?
3. Comment caractériseriez vous en termes modernes la phrase soulignée ?
4. Quel précepte de politique économique Smith va t-il en tirer ?
Document 13 : 10 p 344
Questions :
1. Pourquoi peut-on parler d’effet pervers ?
Document 14 : 11 p 344
Questions
1. Quelles solutions Smith préconise t’il ?
2. Est-il toujours opposé à l’intervention de l’Etat ?
3. Montrez la modernité de ce passage .
DOCUMENT 18 :
Un modèle d'organisation fondé sur la subdivisions fonctionnelle des tâches ne peut faire appel chez les travailleurs ni à la conscience
professionnelle ni à l'esprit de coopération. Il doit initialement recourir à la contrainte par des lois contre le « vagabondage et la mendicité, [...] et
faire jouer [...] des normes de rendements et horaires impératifs, et des procédures techniques à respecter impérativement. Il ne peut desserrer les
contraintes que s'il peut motiver les travailleurs [...] à se prêter de plein gré à un travail dont la nature, le rythme et la durée sont programmés
d'avance par l'organisation de l'usine ou du bureau. SOURCE : A Gorz, Métamorphoses du travail. Quête de sens,galilée,1988.
QUESTIONS :
1Gorz considère t’il que la division du travail résulte d’un instinct naturel qui pousse les individus à échanger ?
2Quels sont les moyens mis en oeuvre afin d’imposer la division du travail ?
I – LA CRITIQUE DE TOCQUEVILLE
DOCUMENT 1 :
Que doit-on attendre d'un homme qui a employé vingt ans de sa vie à faire des têtes d'épingles ? Et à quoi peut désormais s'appliquer chez lui cette
puissante intelligence humaine, qui a souvent remué le monde sinon à rechercher le meilleur moyen de faire des têtes d'épingles !
Lorsqu'un ouvrier a consumé de cette manière une portion considérable de son existence, sa pensée s'est arrêtée pour jamais près de l'objet journalier
de ses labeurs ; son corps a contracté certaines habitudes fixes dont il ne lui est plus permis de se départir. En un mot, il n'appartient ptus à lui-
même, mais à la profession qu'il a choisie. (...)
À mesure que le principe de la division du travail reçoit une application plus complète, l'ouvrier devient plus faible, plus borné et plus dépendant.
(...) Dans le même temps que la science industrielle abaisse sans cesse la classe des ouvriers, elle élève celle des maîtres*. Tandis que l'ouvrier
ramène de plus en plus son intelligence à l'étude d'un seul détail, le maître promène chaque jour ses regards sur un plus vaste ensemble, et son esprit
s'étend en proportion que celui de l'autre se , resserre. Bientôt il ne faudra plus au second que la force physique sans l'intelligence ; le premier a
besoin de la science, et presque du génie pour réussir. L'un ressemble de plus en plus à l'administrateur d'un vaste empire, et l'autre à une brute. Le
maître et l'ouvrier n'ont donc ici rien de semblable et ils diffèrent chaque jour davantage. Ils ne tiennent que comme les deux anneaux extrêmes
d'une longue chaîne. Chacun occupe une place -oui-est faite pour lui, et dont il ne sort point. L'un est dans une dépendance continuelle, étroite et
nécessaire de l'autre, et semble né pour obéir, comme celui-ci pourcommander. Qu'est-ce ceci, sinon de l'aristocratie ? (...) Mais cette aristocratie-là
ne ressemble point à celles qui l'ont précédée. (...) Il n'y a pas de lien véritable entre le pauvre et le riche. Ils ne sont pas fixés à perpétuité l'un près
de l'autre ; à chaque instant l'intérêt les rapproche et les sépare. L'ouvrier dépend en général des maîtres, mais non de tel maître. Ces deux hommes
se voient à la fabrique et ne se connaissent pas ailleurs, et tandisqu'ils se touchent par un point, ils restent fort éloignés par tous les autres. Le
manufacturier ne demande à l'ouvrier que son travail, et l'ouvrier n'attend de lui que le salaire. L'un ne s'engage point à protéger, ni l'autre à
défendre, et ils ne sont liés d'une manière permanente, ni par l'habitude, ni par le devoir. (...)
L’aristocrafie territoriale des siècles passes était obligée par la loi, ou se croyait obligée par les moeurs, de venir au secours de ses serviteurs et de
soulager leurs misères.Mais l'aristocratie manufacturière de nos jours, après avoir appauvri et abruti les hommes dont elle se sert, les Jlyre en temps
de crise à la charité publique pour les nourrir. Ceci résulte naturellement de ce qui précède.Entre l'ouvrier et le maître, les rapports sont fréquents,
mais il n'y a pas d'association véritable. Je pense qu'à tout prendre l'aristocratie manufacturière que nous voyons s'élever sous nos yeux est une des
plus dures qui aient paru sur la terre.
*Ce terme est synonyme de "patron" comme dans l'expression "maître de forges".
SOURCE : A De Tocqueville, de la démocratie en Amérique , 1840.
QUESTIONS :
1Tocqueville a t’il la même vision que Smith ?
2Expliquez la phrase soulignée , à quelle analyse déjà vue en cours vous fait-elle penser ?
3A partir de quelle référence Tocqueville analyse t’il la division du travail et ses répercussions , Montrez que l’analyse de Tocqueville
est à la fois différente de celle de Smith et de Marx ?
DOCUMENT 2 :
Malgré les nombreuses analogies et les rapports qui existent entre la division du travail dans la société et la division du travail dans l'atelier, il y a
cependant entre elles une différence non pas de degré mais d'essence. L'analogie apparaît incontestablement de la manière la plus frappante là où un
lien intime entrelace diverses branches d'industrie. L'éleveur de bétail par exemple produit des peaux; le tanneur les transforme en cuir; le
cordonnier du cuir fait des bottes.Chacun fournit ici un produit gradué et la forme dernière et définitive est le produit collectif de leurs travaux
spéciaux. Joignons à cela les diverses branches de travail qui fournissent des instruments, etc., à l'éleveur de bétail, au tanneur et au cordonnier. On
peut facilement se figurer avec Adam Smith que cette division sociale du travail ne se distingue de la division manufacturière que subjectivement,
c'est-à-dire que l'observateur voit ici d'un coup d'oeil les différents travaux partiels à la fois, tandis que là leur dispersion sur un vaste espace et le
grand nombre des ouvriers occupés à chaque travail particulier ne lui permettent pas de saisir leurs rapports d'ensemble. Mais qu'est-ce qui constitue
le rapport entre les travaux indépendants de l'éleveur de bétail, du tanneur et du cordonnier? C'est que leurs produits respectifs sont des
marchandises. Et qu'est-ce qui caractérise au contraire la division manufacturière du travail? C'est que les travailleurs parcellaires ne produisent pas
de marchandises.Ce n'est que leur produit collectif qui devient marchandise. L'intermédiaire des travaux indépendants dans la société c'est l'achat et
la vente de leurs produits ;le rapport d'ensemble des travaux partiels de la manufacture a pour condition la vente de différentes forces de travail à un
même capitaliste qui les emploie comme force de travail collective. La division manufacturière du travail suppose une concentration de moyens de
production dans la main d'un capitaliste;la division sociale du travail suppose leur dissémination entre un grand nombre de producteurs marchands
indépendants les uns des autres. [...]
La division manufacturière du travail suppose l'autorité absolue du capitaliste sur des hommes transformés en simples membres d'un mécanisme qui
lui appartient.La division sociale du travail met en face les uns des autres des producteurs indépendants qui ne reconnaissent en fait d'autorité que
celle de la concurrence, d'autre force que la pression exercée sur eux par leurs intérêts réciproques. [...]
Tandis que la division sociale du travail, avec ou sans échange de marchandises, appartient aux formations économiques des sociétés les plus
diverses, la division manufacturière est une création spéciale du mode de production capitaliste. [...]
La division du travail dans sa forme capitaliste — et sur les bases historiques données, elle ne pouvait revêtir aucune autre forme — n'est qu'une
méthode particulière [...] d'accroître aux dépens du travailleur le rendement du capital, ce qu'on appelle Richesse nationale (Weaith of Nations). Aux
dépens du travailleur elle développe la force collective du travail pour le capitaliste . Elle crée les circonstances nouvelles qui assurent la domination
du capital sur le travail . Elle se présente donc et comme un progrès historique , une phase nécessaire dans la formation économique de la société , et
comme un moyen civilisé et raffiné d’exploitation .
SOURCE : K.Marx , Le Capital , ( 1867 ) , Editions Sociales ,
QUESTIONS :
1Après avoir distingué la division sociale du travail de la division manufacturière, expliquez pourquoi Marx, contrairement à Smith,
considère qu’il existe entre les deuxformes une différence d’essence et non de degré ?
2Quelle est la formede division du travail qui, selon Marx, est caractéristique du capitalisme ?
3Marx considère t’il comme Smith que la division du travail permet :
- d’améliorer la productivité
- d’améliorer le bien-être des salaires
1Expliquez à partir de la dernière phrase du texte en quoi, selon Marx, la division du travail a des effets ambigus
2
3DOCUMENT 3:
A:
Le mécanisme spécifique de la période manufacturière c'est l'ouvrier collectif lui-même, composé de beaucoup d'ouvriers parcellaires.
Les différentes opérations, que le producteur d'une marchandise exécute alternativement et qui se fusionnent dans l'ensemble de son procès de
travail, le sollicitent à des titres divers. Il lui faut déployer tantôt plus de force, tantôt plus d'habileté, tantôt plus d'attention ; or, le même individu ne
possède pas toutes ces qualités au même degré. Une fois les différentes opérations séparées, isolées et rendues indépendantes, les ouvriers sont
répartis, classés et groupés suivant leurs aptitudes particulières. Si leurs particularités naturelles constituent la base sur laquelle vient s'implanter la
division du travail, la manufacture, quand elle est introduite, développe des forces de travail, qui naturellement ne sont aptes qu'à des fonctions
spéciales. L'ouvrier collectif possède alors toutes les capacités productives au même degré de virtuosité et les utilise en même temps de la façon la
plus économique, en appliquant uniquement à
leurs fonctions spécifiques tous ses organes, individualisés dans des ouvriers particuliers ou des groupes d'ouvriers. Plus l'ouvrier parcellaire est
incomplet et même imparfait, plus il est parfait comme partie de l'ouvrier collectif. [...]
Dans la manufacture comme dans la coopération simple, le corps de travail qui fonctionne est une forme d'existence du capital. [...] La manufacture
proprement dite soumet l'ouvrier, autrefois indépendant, aux ordres et à la discipline du capital ; mais elle crée en outre une gradation hiérarchique
parmi les ouvriers même. Alors que la coopération simple n'apporte pas grand changement au mode de travail de l'individu, la manufacture le
bouleverse de fond en comble et s'attaque à la racine même de la force de travail individuelle. Elle estropie l'ouvrier et fait de lui une espèce de
monstre, en favorisant, à la manière d'une serre, le développement de son habileté de détail par la suppression de tout un monde d'instincts et de
capacités. C'est ainsi que, dans les États de La Plata, l'on tue un animal pour la seule peau ou la seule graisse. Non seulement les travaux partiels
sont répartis entre des individus différents ; l'individu est lui-même divisé, transformé en mécanisme automatique d'un travail partiel, si bien que se
trouve réalisée la fable absurde de Menenius Agrippa, représentant un homme comme un simple fragment de son propre corps. A l'origine, l'ouvrier
vend sa force de travail au capital, parce qu'il lui manque les moyens matériels nécessaires à la production d'une marchandise ; et maintenant, sa
force de travail individuelle refuse tout service à moins d'être vendue au capital. Elle ne fonctionne plus que dans un ensemble qui n'existe qu'après
sa vente, dans l'atelier du capitaliste. Rendu incapable, de par sa condition naturelle, de faire quelque chose d'indépendant, l'ouvrier de manufacture
ne développe plus d'activité productive que comme accessoire de l'atelier du capitaliste. De même que le peuple élu portait inscrit sur le front qu'il
appartenait à Jéhovah, la division du travail imprime à l'ouvrier de manufacture un cachet , qui le consacre propriété du capital.
SOURCE : K Marx, op cité.
B:
Un certain rabougrissement intellectuel et physique est inséparable même de la division du travail dans la société en général. Mais comme la période
manufacturière pousse beaucoup plus loin cette scission sociale des branches de travail, et ne s'attaque à la racine de la vie de l'individu que par la
division qui lui est propre, c'est elle qui, la première, fournit l'idée et la matière de la pathologie industrielle.
Subdiviser un homme, c'est l'exécuter, s'il a mérité la peine de mort, c'est l'assas, sner, s'il ne la mérite pas. La subdivision du travail est l'assassinat
d'un peuple. La coopération fondée sur la division du travail, ou la manufacture, est primitivement quelque chose de naturel. Mais, dès qu'elle a pris
un peu de consistance et d'étendue, elle se change en forme consciente, méthodique et systématique du mode de production capitaliste.
SOURCE : K Marx, op cité.
QUESTIONS :
1Après avoir opposé le modèle de l’ouvrier collectif et celui de l’ouvrier parcellaire, vous montrerez en quoi le second s’appauvrit du
développement du premier.
2Marx considère que le concept d’effet pervers soit approprié pour expliquer les effets négatifs de la division du travail capitaliste ?
ANNEXES
ANNEXE 1 : La modernité d'Adam Smith : le maître, le sage et le savant
Sommaire
La Richesse des Nations, boîte à outils de l'économiste
Du principe de l'égalisation des rémunérations par la mobilité...
... à la théorie des différences de salaires...
... qui annonce la théorie du capital humain
Les leçons d'un libéralisme éclairé
Le pouvoir exige des connaissances et une sagesse inaccessibles
Davantage que l'État gendarme
Une vision de l'homme ambivalente : homo oeconomicus et classes sociales
Au coeur des débats sur l'économie de marché
La main invisible, victime des critiques adressées à la théorie concurrentielle
Les germes de l'analyse moderne de l'économie de marché
Conclusion
Références par Jean-Pierre Faugère.
Considérée comme l'oeuvre majeure de l'école classique, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, publiée en
1776, offre une présentation systématique des connaissances économiques de l'époque et fait d'Adam Smith l'un des fondateurs de la
science économique.
Dense, voire difficile, la Richesse des nations offre une multitude d'analyses dont beaucoup se révèlent encore pertinentes
aujourd'hui.
C'est ce que montre ici Jean-Pierre Faugère, qui a choisi de présenter l'actualité des classiques à travers l'ouvrage d'Adam Smith, en
insistant sur la modernité des réflexions concernant l'économie de marché et ses institutions.
La question de l'actualité de la pensée classique fait renaître le duel entre Ricardo et Smith, dont les héritages sont riches, vivants
mais différents. Ricardo est incontestablement un théoricien rigoureux, à la base de l'économie politique connue comme un outil
d'analyse (Blaug, 1986, p. 157 sqq) ; son modèle de base, qui part d'un petit nombre de variables stratégiques simples, permet de
traiter un grand nombre de problèmes. Mais parmi les auteurs classiques, c'est la modernité d'Adam Smith qui se révèle la plus forte,
non seulement parce que ses préoccupations sont, aujourd'hui encore, en résonance avec les questions de notre société, le problème
de l'efficacité de l'économie de marché et des institutions assurant cette efficacité, mais aussi parce que la recherche économique se
réfère aujourd'hui fondamentalement à ses analyses. L'actualité de Smith, loin d'être nouvelle, est d'une certaine façon permanente ;
l'élaboration, dans son oeuvre, d'instruments d'analyse économique de base, qui ont été par la suite amendés et perfectionnés,
explique la multiplicité des références à la " Richesse des nations " dans l'analyse et la théorie économiques. Mais, par ailleurs, le
libéralisme économique connaît, depuis le début des années 80, un retour en force qui s'est traduit, dans un premier temps, par une
offensive théorique et idéologique néolibérale orchestrée par Milton Friedman contre le keynésianisme et les différentes formes de
justification de l'interventionnisme public, pour se transformer ensuite en une généralisation de pratiques libérales, de politiques de
retrait de l'Etat - ou plus exactement de redéfinition du rôle de l'État - et de réactivation des marchés. Tout " naturellement " (comme
dirait Adam Smith) dans un tel contexte, les idées du fondateur du libéralisme économique sont revenues au premier plan de la scène.
La place de Smith dans la pensée économique a donc ainsi toujours conjugué deux dimensions de son oeuvre car il est à la fois
considéré comme fondateur de l'économie politique et comme pionnier du courant libéral. Ces deux qualités expliquent une part de
son actualité, plus ou moins permanente. Comme père fondateur de l'économie, la fécondité de l'oeuvre a irrigué, et irrigue encore,
l'analyse économique. D'autre part, la portée politique de son message libéral connaît, au cours des deux dernières décennies, un
regain d'actualité. Néanmoins, l'intérêt de Smith aujourd'hui ne tient pas seulement à la richesse fécondante de son oeuvre et à son
magistral plaidoyer en faveur du libéralisme économique. Il est dû à son analyse approfondie de l'économie de marché : la théorie
économique s'intéresse en effet à ce
qui constitue le coeur du fonctionnement de nos économies, tout en restant pour une grande part une énigme, le marché. La portée de
l'analyse smithienne tient donc aux intuitions, à la sensibilité, à la subtilité d'une oeuvre qui ne peut être réduite au courant de pensée
qu'il a fait naître.
La Richesse des Nations, boîte à outils de l'économiste
L'étudiant - et le professeur - trouvent, aujourd'hui encore, dans la Richesse des Nations des outils de base de l'économie. Parmi ceux-
ci, on peut citer, outre l'analyse de la division du travail qui sera évoquée plus loin, la théorie de la valeur, avec la contradiction entre
valeur d'usage et valeur d'échange et le paradoxe de l'eau (utile et gratuite) et du diamant (inutile et cher), la distinction travail
productif/travail improductif, la théorie des avantages absolus (perfectionnée par la théorie ricardienne des avantages comparatifs) ou
encore la détermination du taux de salaire (le salaire dépend de rapports de force, de la demande de travail mais ne peut tomber au-
dessous d'un minimum, " sinon la race de ces ouvriers ne pourrait pas durer au delà de la première génération ")(1).
Mais au coeur de son ouvrage, le chapitre sur les inégalités de salaires et de profits offre, encore aujourd'hui, en quelques pages, un
magistral exposé condensé de théorie économique qui a fortement influencé l'économie du travail.
Du principe de l'égalisation des rémunérations par la mobilité...
1Première proposition : les rémunérations tendent vers une égalisation puisque " chacun des divers emplois du travail et du capital,
dans un même canton, doit nécessairement offrir une balance d'avantages et de désavantages qui établisse ou tende continuellement à
établir une parfaite égalité entre tous ces emplois "(2). Comment expliquer alors cette tendance à l'égalisation des rémunérations ?
2Deuxième proposition : en raison de la mobilité du travail (ou, de façon équivalente, du capital), si un emploi était plus ou moins
avantageux que les autres " tant de gens viendraient s'y jeter dans un cas, ou à l'abandonner dans l'autre, que ses avantages se
remettraient bien vite de niveau avec ceux des autres emplois "(3). Adam Smith montre le rôle régulateur de la mobilité, ce que
Hirshmann appelle l'exit, par opposition à la régulation par la prise de parole (voice) ou par la loyauté (loyalty).
3Troisième proposition : toutefois, ce mécanisme de régulation suppose un cadre libéral. " Au moins en serait-il ainsi dans une
société où les choses suivraient leur cours naturel(4), où on jouirait d'une parfaite liberté, et où chaque individu serait entièrement le
maître de choisir l'occupation qui lui conviendrait le mieux [...or] la police de l'Europe, nulle part ne laisse les choses en pleine liberté
"(5).
4Quatrième proposition, fondamentale : des différences de rémunération peuvent persister, qui tiennent à la nature des emplois ; en
effet, certaines caractéristiques des emplois " soit en réalité, soit du moins auxyeux de l'imagination, suppléent, dans quelques-uns de
ces emplois, à la modicité du gain pécuniaire, ou en contrebalancent la supériorité dans d'autres "(6). En quelques phrases, Adam
Smith trace l'architecture d'une analyse des emplois qui prend en compte, non seulement des avantages monétaires (salaires), mais
aussi des avantages et coûts extra-monétaires (agréments et désagréments du travail) : " Les salaires du travail varient suivant que
l'emploi est aisé ou pénible, propre ou malpropre, honorable ou méprisé "(7).