UNE REALITE MULTIFORM
Liislam est aujourd'hui la deuxigme religion en
France aprés le catholicisme. La population musul-
mane en France, majoritairement d'origine étrangére,
vest enracinée du fait de I'acquisition de la nationa-
lité frangaise par les immigrés ou leurs enfants, sans
oublier ceux des Algériens qui n'ont jamais cessé
@étre Frangais. Une greffe effectuée en un temps
aussi bref ne peut se faire sans tensions ni ajuste-
ments, Mais, dans les difficultés de ce qu'on appelle
Vintégration, il convient de faire la part de ce qui
reléve de la culture d'origine, de l'exclusion sociale
engendrée par la crise économique dans la société
d'accueil et du facteur religieux. Or, on a souvent ten-
dance 2 attribuer a l'islam en tant que tel I'essentiel
des problémes de l'intégration,
Prenons d’abord la question de la culture d’ori-
gine. Si islam a profondément marqué cette culture,
celle-ci est d’abord constituée par une langue, des
coutumes, des traditions liges au terroir natal et reste
tr@s Gloignée de ’islam normatif des docteurs de la
Joi. Elle tend de toute fagon a régresser, voire & di
paraitre, parmi la deuxiéme génération. Elle n'est nul-
lement un é
lément unificateur des musulmans vGENEALOGIE DE LISLAMISME
en Europe, qu'elle sépare et divise selon les langues
les groupes ethniques et les pays d'origine. Lorsque
des musulmans traditionalistes font retour & la pra-~
tique religieuse, ce sont en général autour de mos-
quées regroupant des gens originaires de la méme
région ou du méme pays. Lorsque ces populations
restées liges au pays d'origine, comme les Tures, se
politisent, c'est par rapport aux enjeux et aux groupes
politiques de leur pays dorigine. On ne voit pas
najtre de mouvements islamistes dépassant les cli-
vages ethniques ou nationaux parmi les populations
‘qui restent liées au pays d'origine. Quant au retour a
la pratique stricte de islam, telle qu'on peut la
constater (port du voile pour les femmes et de la
barbe pour les hommes, observation scrupuleuse des
rites religieux), elle n'est pas en soi un signe de radi-
calisation politique et peut, au contraire, aller de pair
avec un repli sur soi, sur un groupe restreint, proche
de la secte, et un retrait par rapport & la vie sociale
at, encore plus, politique
Radicalisation politique et violence se font le
plus souvent en dehors de la religion. Si les fl
bées de violence qui éclatent réguligrement dans un
certain nombre de banlieues frangaises impliquent
souvent des « beurs », elles n’ont rien & voir avec
islam, Ces coups de colére urbains correspondent
au phénoméne des banlieues chaudes qui marque
ensemble des pays occidentaux, dans des contextes
religieux ou culturels tout a fait différents, Les
révoltes de jeunes «beurs», loin de marquer leur
adhésion a islam, sont plutdt le signe de I'érosion
de la culture et des valeurs traditionnelles, incarnées
par des peres dévalués A leurs yeux. Le conflit de
LISLAM, UNE REALITE MULTIFORME
générations marque aussi une rupture par rapport &
Fislam traditionnel, Entre la ré-islamisation des péres,
qui se fait dans un cadre culture! traditionnel, et la
révolte des fils, qui exprime acculturation et frustra-
tion par rapport 4 un modéle occidental et urbain de
la culture aujourd’hui dominant, quelle est la place
du radicalisme islamigue parmi les populations d’ori-
gine musulmane vivant en Europe? Y a-t-il conta-
gion par rapport & la radicalisation islamique qui
marque aujourd'hui le Moyen-Orient ?
Car il est clair que, depuis la révolution isla-
mique iranienne de 1979, les oppositions et les
révoltes du monde arabo-musulman se font désormais
essentiellement sous le drapeau vert de islam, Peut-
on considérer que les populations musulmanes immi-
grées sont suffisamment intégrées aux pays d’accueil
pour que la question de la « contagion » ne se pose
plus, d’autant que les contextes sont largement diffé-
rents ? Certains événements récents, comme I'atten-
tat perpétré & Marrakech (aodt 1994) par un
commando de jeunes « beurs» venus de La Cour-
neuve, pour le compte probable du Groupement isla-
mique armé algérien, mais aussi, sur un mode
beaucoup plus Iégaliste, la multiplication des affaires
du voile dans les établissements. scolaires frangais
indiqueraient une percée d'un islam, sinon toujours
politique, du moins rigoureux et fondamentaliste,
parmi une jeunesse d'origine musulmane, mais deve-
uulturée, C’est done 1a conjone
tion entre 1a contestation islamique qui souléve les
masses des pays du Moyen-Orient et la radicalisation
d'une frange minoritaire des jeunes musulmans de
France et d’ Europe qui peut laisser eroire que T’islam
23GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
représente a nouvelle menace que doit affronter un
Occident débarrassé du péril communiste.
Qu’est-ce qui, dans le radicalisme islamique,
peut séduire des populations musulmanes en voie
d'intégration ? La force principal du radicalisme est
de vouloir donner une forme politique au concept de
owmmah, ¢est-i-dire de communauté de tous les
musulmans, quelles que soient leur langue, leur eth-
nie et leur origine. Il permet done un dépassement
des divisions traditionnelles entre musulmans. Mais
surtout, comme il tient un discours universaliste
envers une population coupée de ses racines et qui a
du mal a trouver une nouvelle identité dans l’inté-
gration, il peut offrir une identité de substitution, qui
va précisément au-dela des références nationales, eth-
niques et raciales, Une identité universelle, en. har-
monie avec l'internationalisation qu’ apporte le monde
moderne : celui des migrations planétaires, des
voyages, de l'uniformisation des modes de vie et de
Vomniprésence des médias, qui installent tout un cha-
cun dans le méme temps mondial. Le fondamenta~
lisme n’est nullement un retour de ta culture d'origine
des populations musulmanes, c'est une construction
inteilectuelle et abstraite qui s'oppose a des siecles
dajouts de traditions, de cultures locales, mais aussi
de grandes civilisations, Le fondamentalisme dévalo-
rise Ia liuérature, la pogsie, la musique, la philoso-
phie, tout ce gui se construit sur des bases autres que
celles données par la Révélation. Tl dévalorise qua-
torze sidcles d'histoire et de culture du monde musul-
loigné le croyant du message
originel et de la société exemplaire qui s'était consti-
tuge autour du Prophite. Le radicalisme i
L'ISLAM, UNE REALITE MULTIFORME
qui veut traduire en termes politiques le message
fondamentaliste, peut donc trouver un écho parmi une
frange acculturée de la population musulmane, deve-
nue étrangére A la culture de ses parents, mais
inguigie devant la perte d’identité qu’implique une
intégration trop réussie,
C'est ii lambiguité et la force du nouveau
fondamentalisme islamique; il introduit & une cer-
taine modemnité en tenant un discours de retour a la
vraie Tradition, celle du Prophéte et des premiers
califes, par-dela histoire du monde musulman,
a connu divisions, nationalismes et surtout la défaite
face 4 un Occident triomphant depuis l'expédition de
Bonaparte en Egypte en 1799, Le discours théorique
du fondamentalisme iskamique se place done au-des-
sus des nations, des cultures, mais aussi de histoire.
1! définit un islam rigoureux, intemporel, qui se veut
parfaitement logique par rapport aux préceptes de
base du Coran et de la Sounna (la Tradition da Pro-
phete). Il s’efforce de définir un modéle de société,
de systéme politique et d’économie, dont la chariat
(la loi divine) est l'unique principe normatif,
Il_y a dans ce fondamentalisme moderne Ja
conviction que ‘islam est bien un systéme politique
toualisant. Cette exigence de ramener l'ensemble des
aspects de la vie sociale 4 un méme modele idéolo-
gique, ce que nous appelons Vislamisme, donne une
tonalité radicale au fondamentalisme islamique dans
son exigence de rupture avec l’ordre social actuel
Ces mouvements radicaux occupent aujourd'hui
le champ de la contestation sociale et politique dans
Ja plupart des pays musulmans, ls ont incarné, dans
Je Moyen-Orient des années 1980, la nouvelle ver-
25GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
sion de l'anti-impérialisme et de I’anti-occidentalisme
tions terroristes contre les intéréts
américains ou frangais, etc.). Mais leur impact en pro-
fondeur dans la population musulmane vivant en
Europe reste limité, méme s'ils fascinent une intelli-
gentsia déclassée en quéte de grandes causes univer-
salistes. Cependant, lislamisme a réussi a
monopoliser le débat sur I’islam et & mettre les dis-
cours «autres » (qu'ils soient laiques ou religieux
traditionalistes) sur la défensive. Le débat tourne
aujourd'hui autour des theses de lislamisme radical.
Sans doute parce que les islamistes radicaux, avec
encore plus de force que les musulmans. « simple-
ment » pieux, affirment Munité de la communauté des
musulmans, de la oummah, ls se réclament d'une
matrice conceptuelle commune, qui fait sens aussi
bien en Iran qu’au Maroe. Il y a aujourd’hui une nette
uniformisation et une mondialisation du débat intel-
lectuel en milieu musulman, alors méme que les pra-
tigues religicuses, et surtout les comportements
culturels, different considérablement d'une société
musulmane une autre, Si les musulmans vivant en
France ont des modes de vie trés diversifiés, si, dans
Ja pratique, la plupart d’entre eux ont bien inventé
Vistam & la frangaise que l’establishment politique et
religieux cherche en vain a formaliser et & institu-
tionnaliser, il n’empéche que le corpus théorique et
intellectuel dont disposent les. musulmans modé
qui refusent Tislamisme reste mal adapté a 'évolu-
tion concréte, Tl y a un décalage trés net entre la pro-
duction intellectuelle musulmane, dominée
aujourd'hui par les écrits islamistes et fondamenta
listes, et la diversité des comportements
L'ISLAM, UNE REALITE MULTIFORME
Mais il faut également souligner que le champ
du politique dans le monde arabo-musulman est aussi
monopolisé depuis trente ans par le discours islamiste
et fondamentaliste. Des Etats jusqu'ici relativement
laiques ont accepté de ré-islamiser la Constitution, le
droit et lenseignement : I'Egypte dans les années
1970, le Bangladesh en 1988, i’ Algérie en 1984, ete.
Parallélement & cette ré-islamisation officielle, on
assiste 8 une ré-islamisation par le bas, sous forme
de changements dans les comportements individuels,
comme le port du voile, Cette évolution n’aurait
guere de conséquence politique si elle ne correspon-
dait pas 4 un développement des mouvements radi-
caux, dont le but est la mise en place d'un Etat et
d'une société islamiques, par des moyens politiques
et, au besoin, par la violence et la révolution. C'est
done la conjonction entre un mouvement sociocultu-
rel de retour identitaire 2 islam et l'activisme poli-
tique radical qui rend la situation dangereuse. Nous
nous proposons dans ce livre d’étudier les mouve-
ments islamistes radicaux, leur genese historique, leur
idéologie, leur développement dans le monde arabe,
pour comprendre le cadre général dans lequel se
déroule toute radicalisation de la revendication iden-
titaire islamique. Puis nous nous efforcerons de mesu-
rer les enjeux que représentent ces mouvements dans
la société contemporaine et, en particulier, leur impact
dans la population musulmane frangaise et euro-
péenneQU'EST-CE QUE
LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
Le fondamentalisme est souvent considéré comme un
synonyme de radicalisme, Le fondamentalisme dési-
gne, en islam comme ailleurs, la volonté de revenir
aux seuls textes fondateurs de la religion, en contour-
nant tous les apports de histoire, de la philosophic
et de la tradition des hommes, Mais cette démarche
est ambigué, dans le sens ott elle peut soit favoriser
un conservatisme extréme, sans poser la question de
la Iégitimité du pouvoir politique (c'est le modéle
saoudien contemporain), soit conduire & un réexamen
critique de tout le corpus véhiculé par la tradition,
en posant les bases pour ta refondation d'un nouvel
ordre social et politique : c'est le modéle de la révo-
lution islamique d’Iran & ses débuts. Le fondamenta-
lisme n’est pas en soi politiquement radical ow
révolutionnaire, il le devient quand il exprime en
termes politiques la volonté de réforme de la société,
Or cette politisation, ou plus exactement cette idéolo-
gisation du fondamentalisme, est récente : elle date
des années 1920 et 1930 et doit beaucoup & la
confrontation coloniale, qui entraine la conjonctionGENEALOGIE DE
L'ISLAMISME
du fondamentalisme islamique avec une aspiration
anticoloniale, Jusqu'alors, les fondamentalistes ne
contestaient pas le pouvoir en tant que tel : ils exi-
geaient du prince quel qu’il soit qu’il défende les inté-
rats de V'isham, Mais, au Xx" siécle, apparait Midée
qu'il faut un « Etat islamique » et que les prin
tout _musulmans soient-ils, peuvent trahir ‘islam.
C'est alors que le fondamentaliste devient contesta-
taire. Nous appelons islamisme cette lecture politique
et radicale du fondamentalisme.
1. Le radicalisme dans Vhistoire de islam
Aux sources de Vislam
La religion musulmane se définit par un corpus théo-
Jogique et juridique ; te Coran et la Sounna du pro-
phéte Mahomet, c’est-a-dire les dits et les traditions
que l'on rapporte & son sujet. Ce corpus, qui n'est
guére contesté!, ne suffit pas en tant que tel & définir
un systéme juridique achevé, encore moins un sys-
téme politique. Le corpus a done fait objet d’inter-
prétations et de systématisations, surtout dans les
deux premiers siécles de histoire du monde musul-
man. Quatre grandes écoles juridiques se sont ainsi
définies dans le monde sunnite. La tradition sunnite,
majoritaire, prohibe, depuis, |"elfort personnel d’inter-
prétation, ou ijtihad, et considere que orthodoxie est
|. Souls les chiites comtestent la version officielle du Coran,aificnant
aque le calife Omar aurait seiemment éliming les versetstaisant de Ali le
succesveur désigné de Mahomet. tandis que les ibadites contestent la sou
rate cite de Joseph, qu'ls jagentfrivole
30
QUE:
'T-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
ainsi définitivement établie et ne peut faire objet que
dinterprétations casuistiques, portant sur des cireons-
tances et des cas particuliers, mais. pas sur les prin-
cipes généraux, Cette tradition d’imitation (taglid) a
ێ remise en cause, depuis le xvut sidcle, par cer-
taines écoles théologiques, comme le chi'isme et le
wahhabisme, mais aussi par l'ensemble des mouve-
ments réformistes qui agitent le monde musulman
depuis Ia fin du XIX" sigcle.
Deux points sont noter: islam classique a
toujours accepté le principe d’un espace politique
autonome, et le fondamentalisme n’a presque jamais
€té une doctrine politique achevée, mais plutot le lan-
gage dans lequel s'est exprimé une certaine « fone-
tion tribunicienne » qui fait la critique des princes et
des meeurs de I’6poque. La fameuse affirmation selon
laquelle, dans lislam, il n’y a pas de différence entre
la religion (din) et le politique (syassat) doit ére
nuaneée ; le fondamentalisme traditionaliste a tou-
jours exigé des pouvoirs établis qu’ils ceuvrent pour
la stricte mise-en place des principes de islam, mais
n'a jamais contesté la manigre, fort peu religieuse,
dont ces pouvoirs s"établissaient.
Le fondamentalisme traditionaliste sunnite
Le modéle politique idéal selon I'islam est celui de
la communauté originelle des croyants: le guide spi-
rituel, le Prophéte, suivi par les quatre premiers
califes (Abou Bakr, Omar, Osman, Ali), était en
méme temps le chef politique de la communauté ; la
loi religieuse y était 'unique loi ; le corps politique
Stait composé de ensemble de la communauté des
croyants (owmmah), La prise du pouvoir, apres la
31GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
mort de Ali, par une dynastie (Omeyyades) dépour-
vue de Iégitimité religieuse, la eréation d’un appareil
d’Etat (et done de lois et reglements & la discrétion
du prince), la division territoriale de la communauté
en gouvernorats puis en émirats divers, l'incorpora-
tion de nouveaux convertis gardant leur langue et leur
culture (Persans), la présence de populations chré-
tiennes souvent majoritaires, ont définitivement cass
le monolithisme et l'unicité de la premigre commu-
nauté des croyants. L’apparition des Etats-nations &
partir du XIX" siécle accentuera cette division de la
communauté musulmane. A partir de cette « perte »
originelle, deux attitudes vont se développer. Une
vision idéaliste, ts minoritaire dans "islam sunnite,
cherchera & restaurer cette communauté originelle :
elle est 4 la source des radicalismes contemporains.
Une vision pragmatique, majoritaire dans le corps des
oulémas, s‘est, au contraire, résignée 2 gérer Ia situ
tion créée par la permanence des pouvoirs de fait
on introduisit le concept de « bien public » (masla-
hat), qui permit de justifier la politique du prince, on
précha obéissance aux autorités établies, mais on
exigea de ces demiéres qu’elles fissent respecter 1a
chariat, ¢est-A-dire la loi islamique. C'est attitude
fondamentaliste traditionaliste, qu'on retrouve
aujourd’hui chez les autorités religieuses « offi-
jelles », comme l'université d°Al Azhar, au Caire
Loin de correspondre & une « théocratie » (q
na jamais existé en islam), le fondamentalisme tradi-
tionaliste repose sur un compromis entre deux
groupes : les hommes du pouvoir (sultans, émirs,
généraux, présidents) et ta corporation des oulémas
ou docteurs de la loi. Les oulémas ne constituent pas
32
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
un clergé: ce sont les savants » issus des grandes
écoles religieuses (les madrasa), Ils ont bien sir
Vocation & o¢cuper un certain nombre de fonctions,
ailleurs assez multiples : imams des grandes mo:
quées, juges (qazi) dans les tribunaux religieux, juris-
consuites donnant des fatwa ou consultations
juridiques, professeurs de théologie, etc. Leur savoir
est celui de Ja maitrise du corpus religieux et de son
interprétation, Leur statut social, aujourd'hui, dépend
de la place de ce corpus dans Ia société : si le droit
du pays est islamique, alors ils ont le monopole des
postes de juges (Arabie saoudite), si le droit est laique
(comme en Turquie), alors ils abandonnent un sec-
teur entier de la vie professionnelle & une autre cor-
poration.
Le chi’isme
La scission majeure qui a divisé la communauté ori-
ginelle des croyants a eu lieu dans les années qui ont
suivi la mort du Prophite : les chi'ites se définissent
par la fidélité a la descendance de Ali, gendre du Pro-
phite, évineée du pouvoir par les Omeyyades (bataille
de Karbala ott le fils de Ali, 'imam Hosseyn, a été
tué en 680). C'est au départ une attitude proprement
politique, qui va évoluer en systéme de pensée reli-
gieuse. Le clivage entre les chivites et les sunnites
reste une des clés du monde musulman contempo-
rain, Les chi*ites constituent environ 10 % des musul-
mans du monde ; ils sont majoritaires en Iran (le seul
pays oi le chi’isme soit religion d’Etat), en Trak, en
Azerbaidjan et A Babrein, tout en constituant d'impor-
antes minorités au Liban, en Afghanistan, au Pakis-
tan et en Arabie saoudite.GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
Vainens dans la querelle de succession du Pro-
phéte, les chi'ites se sont progressivement forgé une
théologie et un droit propres, d’abord sous la direc-
tion des descendants directs du Prophéte, les imams,
puis, apres la disparition ou occultation du douzigme
imam, sous T'autorité de docteurs de 1a loi, qui ne se
coustitueront en clergé au sens moderne qu‘au
XVM siécle. Le point marquant du chi’isme, outre la
fidélité & ta famille du Prophete, est lattente du retour
du douzitme imam, occulté en 873 de notre ere, et
qui reviendra instaurer la justice sur terre. Mais cette
théologie n'est pas en soi politiquement radicale. Le
courant chi’ite a été, jusqu’d I’époque contemporaine,
majoritairement quiétiste, estimant qu'il fallait accep-
ter les autorités établies. La radicalisation du chi’isme
iranien dans les années 1960 et 1970 est au confluent
de deux tendances fort différentes : la cléricalisation
et la politisation des oulémas chi’ites et l’idéologisa-
tion de la doctrine chivite.
Au Xvirr sigcle un débat théologique agite les
oulémas chi'ites: les akhbari, ou traditionalistes
estiment, comme les sunnites, qu’il ne faut pas
« ouvrir les portes de I"interprétation » mais s'en tenir
a la tradition ; les osouli, ou « fondamentalist
estiment que les plus grands parmi les oulémas
(qu'on appellera plus tard ayatollahs) ont le droit
d'interpréter la loi religieuse, La victoire de cette ten-
dance entraine une cléricalisation de la communauté
chi'ite : sous l'autorité des grands ayatollahs une hié-
rarehie se constitue (grands ayatollahs « source d'imi-
tation », ayatollahs, hajjat of Islam, simples mollahs)
chaque croyant. devant faire allégeance 1 un grand
ayatollah par 'intermédiaire d'un de ses représen-
34
Qu’
T-CE QUE L.
RADICALISME ISLAMIQUE ?
tants, & qui il donne l'impot islamique (Kioms, ow un
cinguigme de ses revenus). Les grands ayatollahs dis-
posent ainsi d'une autonomie financiére sans équ
valent chez les sunnites. La politisation du clergé
n’intervient qu’a la fin du XIX® siécle, quand la dynas-
tie iranienne, les Qadjars, c&dent du terrain devant
Vimpérialisme européen. Lorsque le chah concéde les
Tabacs & un Britannique, en 1890, le grand ayatol-
lah Chirazi lance de I"irak une fatwa interdisant ta
consommation de tabac. La concession est annulée
Depuis, le clergé chi'ite sera toujours présent dans la
politique iranienne, mais cherchera, jusqu’a Kho-
meyni, un accord avec la monarchie en échange d'un
controle du droit. Mais, en 1963, ayatollah Kho-
meyni est exilé en Trak aprés des émeutes contre les
réformes du chah. C'est la rupture définitive entre le
haut clergé et la monarchie.
= Lidéologisation du chi’isme est le fait d°Ali
Chariati (1933-1977), un laic issu d'une famille reli-
giewse qui labore une synthése entre islam chi‘ite
et les idéologies progressistes occidentales de
Fépoque (il traduit ies Damnés de ta terre de Franvz
Fanon), un peu sur le modéle de la théologie de la
libération en vigueur dans les miliewx catholiques
tiers-mondistes, II s*oppose au cléricalisme et fait une
relecture de Peschatologie chi’ite en termes de révo-
lution, Son influence sur la jeunesse intellectuelle irs
nienne a été tres profonde. En Tran, les mollahs eux-
mémes, pourtant parfois méfiants envers Chariati, ont
tune connaissance de la philosophie et de la pensée
politiques occidentales sans commune mesure avec
le monde sunnite. C'est pourquoi c'est en Tran, et
sous a banniére du chi’isme, que s'est élaborée la
35GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
symthése La plus forte entre radicalisme religieux et
révolutionnarisme politique, entre islam et philoso-
phie marxiste, méme si cette synthése ne résistera pas
au conservatisme induit par la pratique du pouvoir
islamique apres la mort de imam Khomeyni.
Le hanbalisme et le wahhabisme
Le hanbalisme (de Ahmed Ibn Hanbal, mort en 855)
est la plus rigoureuse des quatre grandes écoles juti-
diques classiques de islam sunnite et sert done de
référence aux fondamentalistes les plus stricts : cette
‘ole n’admet que deux sources de la loi, le Coran
et la Sounna, et refuse le principe du consensus entre
les docteurs de la loi, admis par les autres écoles pour
trancher les cas non prévus par les textes. Le hanba-
lisme connut son apogée avec Ibn Taymiya (1263-
1328), cél¢bre pour avoir déclaré infiddles les
Mongols, pourtant convertis Vislam, parce qu’ils
s’écartaient des principes striets de la Iégislation isla-
mique, Ibn Taymiya est aujourd'hui le théologien
classique revendiqué par les radicaux islamisies.
Le wahhabisme a été fondé par Ibn Abd al Wah-
hab (1703-1791), qui s‘allia & la wibu des Saoud,
laguelle finit par conquérir la plus grande part de la
péninsule Arabique, pour fonder Arabie saoudite
(1924), Le wahhabisme insiste avant tout sur l'uni-
té de Dicu, refuse le principe d’intercession (des
saints) trés présent dans le soufisme et "islam popu-
Jaire, interdit de prier sur les tombes (les wahhabis
détruisent les tombeaux des « saints » de islam),
déclare infidéles (et non seulement pécheurs) les
musulmans qui ne se conduisent pas strictement selon
les canons du pur islam (c'est Ia théorie du sakfir) et
36
a
EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
tient les chi*ites pour des hérétiques. Les tenants du
wahhabisme refusent toutes les innovations, toutes les
imterprétations de islam qui leur sont antérieures, ce
qui les améne paradoxalement & admettre une certaine
possibilité dinterprétation ({jrihad), puisquwil n'y a
aucune autorité établie sur laquelle s‘appuyer pour
interpréter le Coran et la Sounna, seules sources
qu’ils reconnaissent. Le wahhabisme condamne aussi
la musique, la poésie, le tabac, le rire, etc. C'est un
islam strict et puritain. Mais, sur le plan politique, le
wahhabisme n’est pas révolutionnaire : son avenir est
lig A celui d'une monarchie, dont le concept est pour-
tant absent du Coran et de la Sounna
Les wahhabis et les mouvements voisins se défi-
nissent comme ceux qui suivent le chemin des
ancétres (les salafi) et préférent souvent ce terme de
salafi, A la fin du xux° siecle, un courant fondé par
Jamaluddin Afghani et repris par Mohammed Abdouh
langa un mouvement de réforme (salafisme), plus
imellectuel que le wahhabisme proprement dit,
2, Les mouvements islamistes contemporains
Qu’y a-til de nouveat dans les mouvements isla-
mistes contemporains ? Mls s’efforcent de penser
islam comme une idéologie politique qui englobe-
rait l'ensemble de la vie sociale & partir d’une appré-
hension politique de la société. 1] s‘agit de sortir de
la vision strictement juridique du lien social dans le
fondamentalisme traditionne! (tel acte est-il licite ou
non ?) pour s'etforcer de définir Vessence d'une
37GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
société et d'un pouvoir islamiques. Tout ne se raméne
pas au figh et ala chariat, Pour les istamistes
d'etre une collection de croyants, la soc
se définit @'abord par la nature du pouvoir politique:
Cetie société est une totalité qui refléte I'unicité de
la communauté des eroyants et de Diew Iui-méme.
Les iskamistes vont done s‘intéresser & la complexité
de la vie sociale, pour mieux la ramener sous le para-
digme de l'unicité. On pergoit nettement, dans cette
idgologisation de la religion, l’influence du marxisme.
Le corps de doctrine islamiste a été élaboré
essentiellement par Hassan al Banna et Abu Ala Mau-
dudi, qui ont été repris et radicalisés par Sayyid Qotb.
L’essentiel de la production intellectuelle des isla-
mistes reprend les themes exposés par ces péres fon-
dateurs, méme si des penseurs chi'ites, comme
Mohammad Bager al Sadr et Rouhollah Khomeyni,
ont développé une vision plus proprement chi'ite. Il
suflit aujourd"hui de rentrer dans une librairie isla-
migue a Belleville comme a istanbul pour trouver les
ceuvres de ces auteurs traduites dans les langues
locales ct vendues sous forme de petites brochures
urs lisibles et bon marché.
Les peres fondateurs : Abu Ala Maududi et Hassan
al Banna
Hassan al Bunna (1906-1949), un instituteur égyptien,
fonda en 1928 association des Fréres musulmans.
Construite au début sur le modéle d'une confrérie
religieuse, avec devoir d'obéissance au Guide (nur-
shid), V'association devint un mouvement politique,
organisé autour du Guide et du Conseil (comité cen-
tral), créant et dominant des organisations sociales
38
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
(syndicats, mouvements de femmes et d’étudiants,
etc,), Une organisation secréte constituait I'embryon
d'une branche militaire qui s‘illustra dans Ja guerre
de Palestine en 1947. Al Banna met d’emblée "accent
sur I'action sociale et politique avant le striet respect
de la Joi islamique, ce qui marque la rupture avec
es milieux fondamentalistes traditionnels, [1 insiste
sur la nécessité d'assurer ta justice sociale non plus
par la simple charité individuelle mais par la prise
en charge par I'Ftat de Mimpot islamique (zakas) et
par sa redistribution. Autour des concepts de base du
Coran (« Le Coran est notre Constitution » est le slo-
gan de la Contrérie), c'est une réorganisation totale
de la société & partir d’un Etat vraiment islamique
que prone Al Banna, Sur la question des chitiments
ordonnés par le Coran (les hudud, comme la lapida,
tion en cas d’adultére), Al Banna estime qu’ils ne
peuvent s'appliquer qu'une fois constituée une société
authentiquement islamique ott régnerait la justice. Ce
refus d'un strict respect de la lettre tant que la société
n'a pas &té réformée par [action politique souligne |
aspect « progressiste)} que les mouvements islamistes
affichent 4 leurs débuts, Sur le plan international,
Hassan al Banna critique le nationalisme et souhaite
la reconstruction de l’oummah, Accusé, sans doute a
tort, d’avoir fomenté Vassassinat du Premier ministre
en 1948, Al Banna est assassiné par la police secrete,
Abu Ala Maududi (1903-1979), né dans le sous-
continent indien, et, comme Al Banna, dans une
famille soufie trés religieuse, s’efforee Jui aussi de
sortir du milieu strictement clérieal. T! devient jour-
naliste et essayiste et se lance dans I'action politique.
11 introduit des concepts plus radicaux que ceux d’Al
39Banna; la djahilliya («temps de Vignorance » qui
caractérise les sociétés pré-islamiques et notre épo-
que) et la révolution islamique, tout en définissant
explicitement islam comme une idéologie politique,
dont Ja fonction est de penser de maniére totalisante
a société et "homme, Maududi réiiéchit sur une
Constitution iskamique, seule possibilité de réaliser un
veritable Etat istamique. 11 définit islam comme une
woisigme voie entre le capitalise et le socialisme.
Comme Al Banna, il considére que l’action istamiste
doit s'adresser a tous les secteurs de la vie sociale
et pas seulement s‘intéresser au droit, & la théologie
et a la dévotion.
Il fonde en 1941 le Jama’at-i Islami sur la méme
structure que l'organisation des Fréres musulmans (le
Guide s’appelle ici Emir), mais en beaucoup plus
Glitiste, Le parti pratique lentrisme dans l'appareil
Etat et Uiutelligentsiq. En méme temps, le Jama’at
se comporte comme un parti politique et se présente
aux élections. Maududi a eu une activité politique
plus directe qu’Al Banna: il s’oppose & la. partition
de I'Inde en 1947, puis du Pakistan en 1971. Hl mene
des campagnes nationales contre le Pakistan People’s
Party de Ali Bhutto et le régime du maréchal Ayyoub.
Hassan al Banna et Maududi sont aujourd’hui
les auteurs canoniques des mouyements islamistes
sunnites. Traduits dans des dizaines de langues, ils
ont posé les concepts de base, remarquablement
proches l'un de Pautre quoiqu’ils ne se soient pas
concertés, Les organisations qu’ils ont fondées ont
constitué la matrice des grands mouvements isla-
mistes contemporains, méme si, dés la fin des années
1970, on a vu apparaitre des groupes plus radicaux,
40
QU’EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
beaucoup moins implantés dans le monde
influencés cette fois par la pensée d'un
émule radical des pares fondateurs, Sayyid Qotb.
Les grands mouvements historiques : les Fréres
musulmans et le Jama’at-i Islami
Lassociation des Fréres musulmans et le Jama’at-i
Islami ont inventé une nouvelle structure de mouve-
ment politico-religieux dans le monde musulman,
‘Leur mode de fonctionnement combine a la fois une
tradition venue des ordres mystiques soutis (qu’ils
sécusent pourtant) et d'un parti politique moderne. A
la téte du mouvement, I’Emir (au Jama‘at) ou le
Guide (chez les Freres musulmans), choisi par un
conseil consultatif général (majlis al shura pour les
Fréres musulmans), sorte de comité central du mou-
vement. Une fois élu, I'Emir est quasiment inamo-
vible. Il s'entoure d'un bureau de Torientation
(maktab ai irshad al ’amm pour les Freres musul-
mans) et de comités spécialisés (culture. propagande,
finances, etc.). Les membres, pour adhérer, suivent
une formation qui comprend plusieurs degrés. Ils
doivent obéissance et fidélité au Guide et s’engagent
a vivre en vrais musulmans dans leur vie privée et
sociale, Le mouvement fonctionne done aussi comme
lune contre-société, ot les membres appliquent déja
les principes de Ia future société islamique. Mais,
contrairement aux mouvements plus radicaux qui
vont suivre, il ne s'agit pas d'une secte, car les mili
tants sont immergés dans la vie sociale et politique
de leur temps, menant l’effort de prédication et de
recrutement dans leur lieu de travail comme dans leur
famille. Il s‘agit done a la fois d'une sorte de confté-
4GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
rie religieuse, soucieuse du perfectionnement moral
de ses membres, d'un parti politique et d'un mouve-
ment social, L’actuel dirigeant du Jama’ at-i Islami est
Qazi Husseyn Ahmad (un Pakistanais d’ethnie pach-
toune), tandis que le Guide des Freres musulmans
Egyptiens est, depuis 1986, Egyptien Hamid Abou
al Nast.
Prénant la substitution de lounmah a la nation,
deux mouvements se sont internationalisés. Les
S musulmans ont créé des sections nationales
qui, en théorie, reconnaissent le Guide établi en
Egypte. Chacune est dirigée par un « superviseur »
(muragib) ; les Freres musulmans syriens sont créés
en 1944 sous la direction de Mustafa al Siba'y, la
section jordanienne suit en 1946. La section souda-
naise, créée en 1954, fonde en 1964 le Front de la
charte islamique, dont le secrétaire général est Ha
san Tourabi, qui a étudié le droit en France ; en 198:
il met sur pied Ie Front islamique national, qui
devient autonome par rapport au Caire. Tourabi s'est
efforeé, & partir de 1989, de fonder & son profit une
nouvelle internationale islamique. En Palestine, le
Parti de la libération istamique, fondé en 1953 par
des Fréres, quitte d’emblée organisation, se voulant
beaucoup plus politique. La confrérie se rétablira en
Palestine de maniére organisée avec la fondation du
Hamas en 1987, sous la direction du cheykh Ahmed
‘Yasin, qui deviendra, aprés Intifada (soulevement
des Palestiniens des territoires occupés en 1987), le
principal rival de LP.
Au Maghreb, la confiérie a une influence tar
dive et ne s’implante pas en tant que telle. Au Maroc,
elle a des sympathies parmi les leaders du parti de
42
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
'Istiglal. En Tunisie, elle influencers Rachid Ghanou-
chi et Abdel Fattah Mourou, qui fondent successive~
ment I’ Association pour la défense du Coran en 1971
(un mouvement d’étudiants), puis le Mouvement de
la tendance islamique en 1981, rebaptisé Al Nahda
en 1988 ; mais les Tunisiens n’auront aucun lien orga-
nique avec les Fréres musulmans égyptiens, En Algé-
rie, la confrérie des Fréres musulmans n’a rien & voir
avec le FIS, méme si des membres égyptiens de la
confrérie jouent en grand role dans larabisation et
Fislamisation du systéme d’enscignement algérien
(comme Mohammad Ghazzali ou Qardhawi) dans les
années 1970 et 1980, 2 la demande du FLN alors au
pouvoir, Sur le reste de Maire islamigue, les Fréres
musulmans ont de linfluence par les contacts per-
ct par leur littérature et non par des réseaux
organisationnels, B. Rabbani, le président du parti
afghan Jamiat-i Islami, devenu chef de I'Btat en 1993,
fit ses études & Al Azhar au Caire et y adopta les
idées des Fréres musulmans. En Asie centrale, le gazi
Akbar Touradjanzade, jeune mollah soviétique offi-
ciel devenu un des dirigeants de l'opposition isla-
mique en 1992, a adopté le point de vue des Fréres
musulmans lors de ses études & 'université de théo-
logie d'Amman en Jordanie, dans les années 1980,
Au Yémen, le mouvement Islah est proche des Fréres
musulmans sans y étre organiquement lig
Quant au Jama’at-i Islami, il reste limité au sous-
continent indien et 2 I'émigration qui en est issue,
méme si les ouvrages de Maududi sont répandus dans
Vensemble de la communauté musulmane, Le
Jama’at a done essaimé de la Grande-Bretagne i
l'Afrique du Sud en passant par Mile Maurice, La
43GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
branche pakistanaise est la plus importante, car les
sections indiennes et bangladeshies ont été largement
discréditées par leur opposition aux indépendances.
Malgré sa limitation géographique et sa faiblesse
Alectorale, te Jama'at pakistanais a pu jouer un rdle
politique considérable grace au soutien qu'il a apporté
au général Zia, aprés son coup d’Etat de 1977, Le
Jama’at a joué une politique d' influence, en infiltrant
la haute administration (dont les services secrets mili-
taires, ou ISL). Son heure de gloire est venue lors de
la guerre d’Afghanistan, od il a servi de relais a la
politique gouvernementale, en sélectionnant les par-
tis afghans destinés a recevoir l'aide américaine. C'est
par le Jama’at que le parti Hizb-i Islami est devenu
le pivot de la politique pakistanaise en Afghanistan
Mais le Jama’at a aussi joué un role, en collaboration
avec les Fréres musulmans, dans la mobilisation de
volontaires musulmans venus de tous les pays pour se
battre en Afghanistan, En Angleterre, le Jama‘at est
bien implanté dans la population musulmane ; il a
fondé la Islamic Foundation de Leicester.
Freres musulmans et Jama'at comptent de nom-
breux intellectuels de haut niveau, ainsi que des pro-
fessionnels, des hommes d'affaires, des techniciens.
Ils fournissent aujourd’hui les réseaux d’influence qui
manquent aux milicux wahhabis saoudiens, riches en
argent mais pauvres en hommes et en idées.
Un troisiéme péle islamiste apparait en Turquie,
avec des idées similaires aux Fréres musulmans, mais
une pratique parlementariste assumée : il s‘agit de
Vactuel parti Refah, fondé en 1970 sous le nom de
Milli Nizam, puis de Milli Salamet, apres plusieurs
interdictions, Son président est Necmettin Erbal
44
a
"EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
un ingénicur formé en Allemagne, Le Refah met
Vaccent sur an programme économique et social
volontariste (développement de l'industrie et des
PME), Il se veut seulement parti politique et ne se
définit pas comme une contre-société ou une confi
rie (mais il a eu des liens éuoits avec la confrérie
religieuse des nakchabandis). Son programme est
cependant résolument islamique : il s‘oppose a la
vocation européenne de la Turquie, veut déclarer
Vislam religion officielle, rendre le voile, sinon obli-
gatoire, du moins recommandé, et mettre fin a la
mixité dans l'espace public. Le Refah s'est développé
en direction de I'émigration turque a |'étranger, par
Vintermédiaire de sa filiale Melli Giiriish (« la voie
nationale »)
Le corps de doctrine
L’Etat islamique et le primat du politique, Les isla
mistes considérent qu’aucun pouvoir actuellement en
place dans les pays musulmans n'est islamique (a
Texception de I'Iran pour les chi'ites radicaux), Pour
eUX, un pouvoir iskimique n'est pas seulement un
pouvoir qui infuse de la chariat a dose massive dans
la Iégislation du pays. Pour que le systéme politique
en place puisse lui aussi Gtre qualifié d’islamique, i
doit définir un mode islamique Iégitime d’ace’s au
pouvoir et de son exercice. Les islamistes récusent
ainsi les monarchies (car il n'y a pas de roi dans le
Coran), les démoeraties parlementaires (a seule sou-
veraineté vient de Dieu) ou les régimes accaparés par
un groupe minoritaire (militaires, parti unique, clans,
ethnies, etc., car la owmmah musulmane ne connait
pas de division). Ils refusent le compromis avec des
45GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
souverains qui ne sont musulmans que de nom. Is
se définissent d’abord par leur rupture avec Ie fonda-
mentalisme traditionaliste des oulémas, qui repose sur
Valliance avec les pouvoirs de fait. Le programme
des islamistes n'est plus le strict juridisme des oulé-
mas, mais action politique et sociale. Ce qu‘ils
veulent, c'est "Etat et non la seule application de la
chaviat, car In chariat ne pourra ére mise en ceuvre
en lettre et en esprit que sous un Etat vraiment isla-
mique. Certes, les islamistes sont pour la chariat et
pour la seule chariat, mais toute mise en cuvre de
la chariat qui se désintéresse du contexte social et
politique n'est qu’hypocrisie. Ce refus du strict juri-
disme des oulémas repose sur la volonté de détinir
une doctrine politique de islam qui prenne en consi-
dération la société modeme avec toute sa. complexité.
Les islamistes sont done opposés a l’idée que
les oulémas devraient gouverner la 50%
seulement parce que les oulémas ont presque toujours
Stabli un compromis avec les autorités en place, miais
aussi parce qu’ils sont avant tout les gens du figh (du
droit appliqué) et ont une vision strictement juridique
de la société, ce qui leur interdit de comprendre
Tidéologie islamique comme Iexpression totalisante
de islam, Les islamistes sont avant tout des poli-
tiques, et n’auront de cesse d'entrer dans le jeu poli-
lique, selon les modalités définies par le contexte de
chaque pays.
La rupture avec ta société contemporaine, Les ista-
mistes ont introduit, avec Maududi, le concept de dja-
hilliya moderne, c'est-i-dire I'idée que la société
contemporaine est retournée a l'état d'ignorance de
46
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
la période pré-islamique. I faut done rompre avec
cette société, d’abord par un retrait individuel (en
général plus métaphorique que réel), une « hégire »
(exil) intérieure visant & se ressourcer et & retrouver
son authenticité dans une retraite spirituelle sous la
direction du Guide. Il y a ici une dimension mys-
tique certaine, pouvant conduire A des comportements
de secte, mais aussi a une attitude révolutionnaire
pour les plus radicaux. Car ce retrait est le prélude 2
la reconquéte de la société, & |'instar du Prophéte
quittant La Mecque aux mains des infideles pour éta-
blir & Médine une communauté authentique des
croyants, avant de rentrer triomphalement a La
Mecque, dix ans plus tard. C'est Sayyid Qotb (voir
page 55 sq. ) qui développa ce concept jusqu’a ces
conséquences extrémes: Ia nécessité impérative du
djihéd, de la guerre sainte.
Mais reconnattre que la société contemporaine
est retombée dans "ignorance, c'est aussi tirer un trait
sur toute la culture et |’histoire du monde musulman.
Le fondamentalisme des islamistes est ici radical,
méme si la science et la technique modernes, pro-
duits de l’Occident, sont exemptées de cette table rase
et considérées comme des instruments culturellement
et idgologiquement neutres.
Démocratie ou souveraineté de Dieu ? Par principe,
les islamistes sont opposés & la démocratie occiden-
tale parce qu'elle définit la souveraineté comme
venant du peuple. Mais ils sont aussi hostiles & tout
pouvoir autoritaire qui s'arroge la souveraineté, Pour
eux, en effet, la Souveraineté ne peut venir que de
Dieu et non des hommes, méme de la majorité d'entre
4GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
eux. Ils combattent donc la tyrannie et le pouvoir
unique des monarchies (chah d’Iran), les régimes
militaires (Syrie) et les partis uniques (Egypte, Algé-
tic). Leur combat n'est pas celui de la démocratie
contre la dictature, mais du droit (divin) contre 'arbi-
traire humain, Les islamistes mettent en avant deux
sortes de slogans politiques : ceux affirmant La pri-
mauté absolue de la loi divine (« Le Coran est notre
Constitution», « Liisam est la solution »), et ceux
empruntés au registre progressiste (« A bas le pha-
raon », désignant en Egypte les successeurs de Na:
ser). Les mouvements islamistes ménent done aussi
bien des campagnes démocratiques, alliés par
exemple & d'autres secteurs de opposition (Turquie
en 1977, Iran en 1978 et 1979, Egypte en 1987, Algé-
rie cn 1991, Tadjikistan en 1993), que la répression
de toutes les autres oppositions (Soudan en 1989,
GIA algérien apres 1992, régime islamique iranien),
M1 ne s'agit pas d'un double jeu, mais de la difficulté
de concilier deux impératifs : la dénonciation de la
domination illégitime et la souveraineté divine.
11y a pour les islamistes une intangibilité des
lois de Dieu qui s'impose & tous les hommes. Il fant
rétablir la souveraineté de Dieu sur la société des
hommes, qui, retombée dans la djahilliya, I'a oublige.
Une fois cet objectif atteint, le domaine de législa
tion et de décision politique sera minimal. Il sut
que les bons musulmans délibérent entre eux, pour
que la loi de Dieu soit reconnue comme telle. Il y a
done deux moments différents : celui de l'action poli-
tique menant & la prise du pouvoir, et celui de la ges-
tion de ce pouvoir enfin islamique. La premitre phase
peut faire objet de stratégies différentes, dont
48
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
Vaction parlementaire. Les Fréres musulmans égyp-
tiens, jordaniens, koweitiens et le FIS algérien ne ces-
seront de montrer leur désir de jouer la carte
électorale. Le Jama’at-i Islami se présente & toutes
les élections pakistanaises, méme si son score reste
tres faible, et Maududi ne condamne nullement le
principe des élections (od il voit une manigre parm
d'autres de choisir les dirigeants). La. position des
parlementaristes est cohérente : si la grande majorité
de 1a population est musulmane et si le pouvoir est
corrompu et impopulaire, alors on peut
amener 1a majorité de la population, par la prédica-
tion et la propagande, & voter pour le parti islamiste,
2 condition que la prédication et 'appel au bien aient
&é correcement menés, Seuls de petits groupuscules
radicaux et pessimistes, comme le Djihad égyptien,
considérent la société trop corrompue pour étre amen-
dée ainsi
Mais la question qui se pose est de savoir ce
qui se passe une fois I'Etat islamique instauré, L'idée
fondamentale des islamistes est que, une fois la loi
de Dieu mise en ceuvre, la justice sociale régnera et
que le peuple reconnaitra la souveraineté divine, sans
qu'il soit besoin de mettre en place des institutions
politiques lourdes. L’application de ta chariat suffir
2 maintenir ordre et la justice. Mais la question
dominante est alors : qui doit assurer la direction de
la communauté 7
Liidéologie istamique. Lorsque Maududi parle d'idéo-
logie islamique, il entend par 1a que islam est un
systéme total, quia réponse & tout. Pour les isla-
mistes, islam ne sera la norme de Ja société que
49GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
lorsque tous les éléments qui font la vie sociale auront
61 pensés selon islam, non seulement le droit,
comme le pensent les oulémas traditionnels, mais la
constitution, l'économie, le pouvoir politique, ete.
Lidéologie ici n'est pas opposée a la religion: il
s‘agit plutét de redonner a la religion lampleur
qwelle avait au temps du Prophete, et non de la can-
tonner l’espace restreint oii la pratique conjointe des
oulémas et des souverains l'avait finalement inscrite,
De méme que, dans l'action sociale, le slogan des
islamistes est «Sortons des mosquées », de méme,
dans la pensée politique, il s‘agit de se donner une
image globale de la société, une idéologie, au-dela
des simples préceptes religieux.
Liidée de religion tend a s’étre « christianisée »,
selon les islamistes, en admettant un espace de la
cité. En proposant le concept d'idéologie islamiste,
on rétablit 1a religion comme un systéme totalisant,
reflet de lunicité (towhid) de Dieu. Unicité de tous
les actes de la vie personnelle, unicité de la commu-
nauté, unicité divine.
Le parti islamique et les institutions de U'Etat isla-
mique. Les mouvements istamistes combinent la
nature d’un parti politique, d'une confrérie religicuse
et @un mouvement social. Le parti doit refléter ce
que sera la société vraiment islamique, Sur le modéle
de Ja communauté originelle, un chef a la fois tem-
porel et spirituel est choisi par la communauté des
croyants, I] doit incamner les vertus du bon musul-
man et étre un modéle vivant pour tous. Mais son
pouvoir tres étendu est tempéré par deux restrictions :
il ne saurait innover en matigre religieuse, car il est
50
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
comme tous soumis a la Joi, et il doit aussi prendre
conseil auprés de la communauté. Cette fonction de
conseil est remplie par la choura, expression de I'élite
des militants, qui sont organisés en «cellules » ou
«familles » sur leur liew de résidence ou de travail,
La double lecture de cet organigramme est évidente ;
c'est le mod’le des confréries religieuses, mais aussi
des partis Iéninistes.
Pour les islamistes, une fois I"Etat islamique in
tauré, il est dirigé selon les mémes principes que le
parti: un Emir, doté de pouvoirs temporels et spiri-
tuels, assistée d'une choura, et faisant régner la sou:
veraineté de Dieu, La question se pose alors de savoir
comment I"Emir est choisi. Si c'est par la choura,
alors comment celle-ci est-elle désignée ? Beaucoup
d'islamistes, dont Maududi et Khomeyni, n’écartent
nullement un syst#me électoral, Mais comment faire
pour que celui-ci ne remette pas au pouvoir des par
tis non islamiques ? Ici la théorie islamiste devient
floue, Bn principe, la communauté, une fois ramenée
dans la voie de Dieu, ne saurait se romper. Mais des
garde-tous doivent étre placés : définition des quali-
tés qui font que l'on peut étre membre de la choura
ou Emir, et interdiction de remettre en cause les
acquis de I’Etat islamique. La république islamique
d'Iran, seul cas d°Etat islamique fondé sur une véri-
table révolution, a institué un systéme complexe. Les
candidatures électorales doivent tre vérifiées par un
conseil des experts, formé de religieux qui statuent
sur I's islamité » des candidats. Mais, pour ce qui est
du Guide de la révolution, qui est la plus haute auto-
rité politique, et pas seulement spirituelle, de l’oum-
‘mah et, par conséquent, de la république islamique,
SlGENEALOGIE DE L’'ISLAMISME
au-dessus du président de la république (dont Pauto-
rité ne s'étend qu’ la nation iranienne), I'Iran chi’ite
dispose en théorie d'un processus de nomination de
Tautorité cléricale supréme, le collége des grands
ayatollahs. 1 faut remarquer ici que, d’une part, le
monde sunnite ne dispose pas d'une telle institution ;
et que, d'autre part, aprés la mort de Khomeyni, les
conflits entourant sa suecession montrent que ce pro-
cessus destiné a fusionner !'ordre religieux et poli
tique n’a pas fonctionné : l"actuel Guide de la
révolution, Ali Khameney, est contesté par la majo-
rité du haut clergé. Done, quel que soit le cas de
figure, les théories islamistes sur les institutions se
montrent incapables de déterminer des procédures
incontestées permettant le choix du chef politico-reli-
gieux, Les querelles strictement politiques et les
ambitions personnelles retrouvent ici tous leurs droits
La méfiance envers les oulémas et ta tradition, Les
partis islamistes ne recrutent pas parmi les ouléma
traditionnels, mais parmi des intellectuels. générale-
ment formés & loccidentale. Ils reprochent aux oulé-
mas leur compromission avec les pouvoirs établis
ainsi que leur acceptation servile d'une tradition rel
gicuse qui a stérilisé "islam. Tous les islamistes
pronent le droit & l'ijtihad, c'est-a-dire A Pinterpréta
tion, et, en méme temps, loin de réserver ce droit aux
oulémas les mieux formés, ils se l'arrogent, précisé-
ment pour saper ce qui fonde Ia Iégitimité du corps
des oulémas. Le mouvement islamiste est done mar-
qué par une volonté de décléricaliser islam. Méme
dans la mouvance chi'ite, ot le clergé s'était aecordé
le droit d'ijtihad et s*était lui-méme politisé, une
5
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
frange radicale du mouvement istamiste, se réclamant
@’Ali Chariati, s’est attaqué a la fonction cléricale
(Chatiati oppose le chi’isme originel de Ali & celui,
cléricalisé et étatisé, des Safavides, la dynastie qui
imposa le chi’isme en Tran au XVI" sitcle). Dans les
premiéres années de la révolution islamique, plusieurs
religieux sont assassinés par un mystérieux groupe
appelé Forghan,
Les islamistes s‘attaquent done a la spécificité
méme du corps des oulémas : le monopole de linter-
prétation des textes fondateurs. Mais ils l'attaquent
aussi sur sa position politique (association avec les
pouvoirs) et sur son monopole social (tribunaux,
jurisprudence, etc.). 1 y a bien ici une compétition
entre deux groupes sociaux.
Cependant, une des contradictions des islamistes
est que leur intellectualisation de la chariat ne peut
faire Péconomie d'un savoir technique, portant sur
le Coran, la Sounna, les Hadiths, et le figh, Les mou-
vements islamistes ont done organisé la formation
religieuse de leurs cadres, donnant ainsi naissance &
une nouvelle catégorie d’oulémas. Le Jama'at a créé
a Lahore une madrasa & laquelle le général Zia a
accordé, dans les années 1980, le statut d’université
jeuse, permettant aux diplémés de cette école de
postuler pour des postes dhabitude réservés aux oulé-
mas traditionnels.
L’économie islamique. La réflexion sur (économie
islamique montre comment les islamistes réfié-
chissent partir du cadre intellectuel des idéologies
occidentales du XIx® siécle. Pour les oulémas tradi-
tionnels, il n'y a pas d’économie, il n'y a que des
53GENFALOGIE DE L'ISLAMISME
ictes individuels (vendre, acheter, louer) susceptibles
ou non d'etre licites selon Ia chariat Pour les isla-
mistes, il faut d’abord élucider la nature du lien éco-
homique, s’interroger, par exemple, non sur la seule
prohibition de I"intérét, mais sur ce que pourrait étre
un systéme bancaire islamique, un systéme fiscal isla-
mique, etc. Les différentes prescriptions touchant les
relations économiques qui ponctuent le Coran et les
dits du Prophéte vont étre systématisées. La perspec-
tive est qu'une «économie islamique » évitera les
excés du capitalisme et du socialisme et assurera la
justice sociale. Cette économie régulée par des pres-
criptions éthiques tend aussi vers Vefficacité. La
pierre angulaire est la question de la prohibition de
Tusure (riba), de tout intérét fondé sur la. spécula-
tion (taux d’intérét fixe, assurances). Btant donnée la
distance qui sépare la complexité des. finances
modemes des quelques prescriptions éparses dans le
Coran, l'élaboration d'une économie islamique releve
plus de la construction rhétorique que de l'analyse
scientifique, mais reste un slogan politique mobilisa-
teur conte les injustices sociales produites par le libé-
lisme tiomphant alternant avec les cures d’austérité
exigées par le Fonds monétaire international.
La prédication et le pourchas du mal. Vinjonetion &
faire Ie bien et & pourchasser le mal, présente dans
Je Coran en termes assez vagues, devient obligation
militante par excellence dans les mouvements isla-
mistes. On trouve deux styles de militantisme, Le
plus politique, celui des grandes organisations, est le
tabligh (« propagande et prédication ») et le dawah
(«Pappel »). Les militants sont formes & intervenir
54
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
dans des lieux trés divers (de la mosquée au lieu de
travail) pour diffuser le message de l'organisation,
attirer des sympathisants et recruter des militants. Un
support matériel moderne est utilisé (tracts, émissions
de radio, cassettes), Les préches sont tournés vers les
problémes contemporains. Le but est de renforcer
Tinfluence et la force de organisation. Dans les
milieux islamistes moins directement politisés (ceux
que nous appetons les néo-fondamentalistes), 1a pré-
dication vise moins @ recruter qu’ convaincre les
musulmans titdes ou égarés a reyenir dans le droit
chemin ; 'idée est ici que l'avénement de la société
islamique sera haté par la conversion massive de la
population plus que par la mise en place d'une stra-
tégie politique.
La femme. La question de la femme joue un role cen-
tral dans 1a pensée islamiste, parce qu'elle est cen-
trale dans les sociétés contemporaines et qu'elle
constitue la pierre de touche de l'occidentalisation.
Les pays ott les mouvements islamistes sont ies plus
virulents sont aussi ceux od les femmes ont fait une
pereée importante dans me scolaire ou sur le
marché du travail (Iran, Algérie). Lattitude des oulé-
mas traditionalistes consiste en général 4 condamner
cette irruption de ia femme dans les espaces publics
et & proner le retour au foyer et le port du voile. C'est
le retour a l’enfermement traditionnel (purdak) qu'on
retrouve dans les milieux néo-fondamentalistes,
comme le FIS algérien. Mais les penseurs islamistes
proposent une autre solution : entériner en grande par-
tie l'ascension sociale des femmes, mais insister sur
le refus de la mixité, et sur le port d’un voile quiGENEALOGIE DE L'ISLAMISME
leur permette cependant de travailler (c'est le concept
de hijab ). La femme islamiste modeme est voilée,
mais peut étre docteur ou ingénieur, méme si ces
taines professions lui restent interdites (juge ou Emir).
La montée des mouvements islamistes a été rendue
particulitrement visible par l'apparition soudaine de
jeunes étudiantes voilées dans les campus ou dans les
laboratoires de sciences. Alors que l'enfermement de
la ferme traditionnelle ne se voit pas, le voile mili
tant est un défi, les islamistes développant une théo-
rie de Ja place de la femme originale par rapport au
fondamentalisme traditionnel. Les mouvements
comptent dans leur phase ascensionnelle un grand
nombre de militantes qui agissent par conviction et
non sous la pression parentale, On retrouve sur la
question des femmes la double rupture propre aux
islamistes : avec le fondamentalisme traditionaliste et
avec la modemnité laique occidentale.
La modemité. Pour les islamistes, il ne s’agit pas de
modemiser islam, mais d’islamiser la modernité,
pour reprendre l'expression d’un théoricien marocain.
Is n’accordent aucune valeur positive & l’évolution
qui a conduit les sociétés jusqu’d nos jours, en termes
histoire, de valeurs et de civilisation, C’est le temps
non du progrés mais de la corruption, En revanche,
les islamistes reconnaissent pleinement l'apport des
sciences et des techniques, qui doivent étre sorties
de leur contexte occidental et matérialiste pour étre
mises au service de islam. Les islamistes, en ce
sens, sont remarquablement modernes ; nombre
d'ingénicurs militent dans leurs mouvements, la pro-
pagande a rapidement su utiliser cassettes, vidéos et
56
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUI
informatique, tandis que l'action armée a maitrisé les
armes et les techniques modernes de combat. Les isla
mistes né sont pas venus du fond des ages, ils pro-
viennent des secteurs sociologiques créés par la
modernité, Leur environnement est urbain, comme le
sont leurs guériflas et leurs sympathisants. Is vivent
dans le monde de la technique et de lu science, de
la propagande et du parti politique, mais utilisent le
langage du fondamentalisme et du retour & I'époque
du Prophéte. La modemnité n'est pas pour eux un pro-
duit de histoire, elle est au contraire I’expression
dune science et d’un savoir intemporels. Cette vision
ascrit en totale opposition avec celle du siécle des
Lumiares, qui fonde pour l'Occident le discours de
la modemité, comme produit de I’histoire od les évo-
lutions sont convergentes et congruentes (la laticisa-
tion, Pémancipation de la femme, la science et la
technique, la démocratie politique, etc.). A ce « pro-
ares» au sens occidental, s‘opposaient soit le dis-
cours de la nostalgie (aristocratique ou écologique),
soit le fascisme (qui tient le progrés pour un fait, mais.
se réclame de valeurs communautaristes, nationales
ou raciales). Il n’est guére étonnant que I'Oceident
ait du mal a classer le discours islamiste autrement
que dans les catégories qu'il connait : le conserva-
tisme ou le fascisme.
‘On voit done que le corps de la doctrine, tel qu'il
a &é élaboré par Hassan al Banna et Maududi,
n’implique pas en soi la violence et la révolution, et
peut aussi bien fonder une action réformiste. Cette
option réformiste sera mise en ceuvre dans les rares
pays musulmans oi un systéme parlementaire permet
un jeu politique, comme en Turquie. Mais, dans les
57GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
pays olt les islamistes sont exelus du pouvoir, ils se
lancent dans l'action politique, soit & partir des idées
de Hassan al Banna, comme en Syrie (1982), soit en
se radicalisant et en élaborant une pensée beaucoup
plus subversive, faisant de la violence une obligation
religieuse.
Les penseurs radicaux : Sayyid Qoth et Vayatollah
Khomeyni
La matrice conceptuelle commune & Maududi et Al
Banna a é16 radicalisée par un Frére musulman égyp-
n, Sayyid Qotb, Vinspiraeur des mouvements
extrémistes sunnites, Sayyid Qotb, né en 1906 en
Haute-Egypte, est, comme Al Banna, un diplomé
d'une école normale d’instituteurs. II a passé deux
ans aux Etats-Unis. Membre des Fréres musulmans,
il est emprisonné sous Nasser et pendu en 1966. Son
ceuvre consiste en de petits livres, comme Signes de
piste ow A l'ombre du Coran, aujourd'hui traduits en
de nombreuses langues et tr8s lus.
Qotb a développé I’idée de djahilliya jusqu’a ses
conséquences extrémes : pas de compromis avec les
pouvoirs en place et violence politique, Devant
Fimpossibilité pour les Fréres musulmans d’accéder
a la scene politique @ partir de la répression qui les
frappe en Egypte apres 1954, la voie de la violence
semble la seule possible a la frange la plus décidée.
Mais la radicalisation politique se double dune radi-
calisation idéologique. Qotb reprend le concept de
takfir déja évoqué par Ibn Taymiyya : on peut décla-
rer infidéle un gouvernant, méme sil se déclare et
se montre musulman, pour peu que les principes qui
fondent son action politique ne soient pas intégrale-
58
QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
ment islamiques. Ce concept de fakfir peut nous ser-
vir de critére pour distinguer les islamistes modérés
(le courant principal des Fréres musulmans, le Refah
ture, le Jamiat-i Islami afghan, le Jama’at pakistanais,
le Parti de la renaissance islamique de I'ex-URSS, le
Nahda tunisien, etc.) des mouvements extrémistes (Jes
divers Hezboullah et Djihad islamique, le GIA algé-
rien, le Hizb-i Islami afghan, et, dans une certaine
mesure, "ayatollah Khomeyni). En déclarant infidéles
les gouvernants, c’est 4 la guerre civile qu’appellent
les radicaux, La question de la violence est alors au
centre de l’action politique, l'expression par excel-
ence de l'action politique. Car l'anathéme, bien str,
ne vise pas les seuls dirigeants de "Etat: il s'étend
{leurs complices, mais aussi aux oulémas traditio-
nalistes et apolitiques, Beaucoup d’oulémas, en
Egypte mais aussi en Tran, seront victimes du terro-
risme radical. L’anticléricalisme latent de la pensée
islamiste prend ici une forme violente.
Le concept de rupture avec l'ordre existant,
si fort chez les radicaux, fait que le djihéd (guerre
sainte) devient une obligation individuelle et impé
tive, Dans "islam traditionnel, le djihad est collectif,
occasionnel et soumis & des conditions précises ; il
ne saurait viser un autre musulman, méme s'il y a
des désaccords profonds. Sans remettre en cause
idée qu’on ne peut faire la guerre d des musulmans,
les radicaux justifient leur violence envers leurs
‘res en leur déniant ce statut de musulmans,
retombée
advers
Comme la société actuelle
Jamique, on comprend qu
tous sont infidéles, sauf celui qui mene le djidd. Le
djihdd revient ainsi au centre de la pensée islamisGENEALOGIE DE L'ISLAMISME
Un autre aspect des radicaux est que leur insi
tance sur la dimension politique de Vidéologie isl
mique les améne souvent a prendre quelques
distances par rapport a la chariat. Certes, tous les isla
mistes pensent que la chariat ne peut étre vraiment
appliquée dans la lettre comme dans l'esprit qu'une
fois I'Etat islamique instauré. Mais on retrouve
deux lignes : d'un c6té les modérés, qui, parce qu’i
sont réformistes, pensent que application de la cha-
riat fait partie du programme politique immédiat,
méme si elle doit étre progressive, et de l'autre ete
les radicaux, pour qui Vobjectif est d’instaurer la sou-
veraineté de Dieu avant la chariat, cet ordre politique
englobant se situant au-dela du formalisme des pres-
criptions religieuses. Sayyid Qotb parle du « figh en
mouvement » (figh haraki), qui est plus une dyna-
mique que le respect littéral de préceptes. Liayatol-
lah Khomeyni, dans une lettre célébre adressée au
président de la république de I’époque, Ali Khame-
ney (février 1987), déclare nettement que la logique
révolutionnaire l'emporte sur le strict respect de la
Joi islamigue.
Cette radicalisation théorique renforce le role du
Guide religieux : car, si l'on peut se détacher de la
lettre pour étre’fidéle au projet révolutionnaire, c'est
seulement celui qui a le pouvoir d’interprétation qui
peut indiquer la voie, D’out le role clé des fatwa (con-
sultations juridiques) dans la mouvance radicale
elles ne sont plus de simples points de droit, comme
dans la tradition des oulémas, mais elles deviennent
vraiment fondatrices. Le formalisme de la loi n'est
plus 18 pour limiter Je réle des chefs charismatique:
En méme temps, cette importance fondamentale
60
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
accordée a la pensée du Guide renforce la tendance
la parcellisation du mouvement islamiste en sectes
centrées autour d'un personnage charismatique, jetant
V'anathéme sur tout autre que lui. C'est le uiomphe
des Emirs et des Guides qui entrainent autour d’eux
un noyau de disciples convaincus.
Avec I’Egyptien Abdel Salam Farag, la pensée
de Qoth est elle-méme radicalisée. II écrit un livre
intitulé /’Obligation absente, pour démontrer que le
djihéd, quoique ne figurant pas parmi les cing piliers
de islam (pritre, profession de foi, auméne, jedine
et pélerinage), en constitue pourtant le sixitme. Théo-
ricien du groupe Takfir wal Hijra (« anathéme et
retrait »), il est pendu le 8 avril 1982, Ici réside le
¢ méme de ’islamisme radical : définir soi-
ible et intemporel que chacun
doit imposer ; c’est-A-dire confier a l’interprétation
d'un homme seul, sans formation particuligre, la défi-
nition du sens du message divin, C'est le temps des
nouveaux prophétes, scandale pour lislam orthodoxe,
pour qui Mahomet est le dernier des prophétes
Dans le monde chi'ite, c'est la théorie de Paya-
tollah Khomeyni qui constitue la forme la plus radi-
cale, Son apport principal est le concept de la
velayat-i fagih, ou « régence du docteur de la loi ».
Crest la seule théorie authentique d'une théocratie
dans le monde musulman, et elle est relativement tar-
dive dans Ja pensée de Khomeyni lui-méme (elle date
des années 1970). Mais ce concept illustre bien
Vambivalence islamiste entre primat de la révolution
et primat de la Révélation : le Guide, chef politique
du mouvement islamique, doit étre celui qui détient
aussi la primauté dans le savoir religieux. Or, le
61GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
clergé chi'ite dispose, contrairement au clergé sun-
nite, de procédures pour déterminer le plus savant,
Fayatollah ozmah (« le plus grand »), marja’-i tagh-
lia («source d’imitation) : c'est le consensus des
grands ayatollahs. Mais Khomeyni commenga préci-
sément par casser le systéme de la collégialité des
grands ayatollahs, parce qu’ils étaient hors de son
contr6le et de l’ordre du politique. Il est certes diffi
cile de parler d’anticléricalisme chez Khomeyni, mais
il poursuivra pourtant avec un égal acharnement les
oulémas tiédes vis-a-vis de 1a révolution : l’ayatollah
Chariat Madari sera « défroqué » et mis en résidence
surveillée, oi! il mourra en 1983. Le grand ayatollah
Khou’y, sans doute plus vénéré que Khomeyni avant
Ja sévolution, sera disqualifié aux yeux de imam par
son refus de quitter I'Irak (od il mourra en 1994) lors
de la guerre avec ['Iran, Plutot que d’aligner le pol
tique sur le religieux, et donc de mettre au pouvoir
les grands ayatollahs, 1a politique de la république
islamique d’Iran sera au contraire de donner I'hégé-
monie religieuse au personnel politique issu de la
révolution. Aprés la mort des grands ayatollahs
Khou'y et Araki en 1994, le régime s‘efforcera de
faire reconnaitre. en vain, comme « source d’imita-
tion » le Guide de 1a révolution et ancien président
de la république, Ali Khameney, qui, par I'dge et les
titres, n'a pas d'autre droit & une telle promotion que
sa position politique. Loin de cléricaliser la vie poli-
tique, la révolution islamique d'Iran a politisé la fonc-
tion religieuse, mais I'a en méme temps largement
disqualifiée, au grand dam dune partie importante du
haut clergé, comme l’ancien dauphin de Khomeyni,
Vayatollah Montazéri.
62
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQ!
On voit que Ja logique de I'islamisme radical,
derridre l'exigence d'islamisation, est avant tout celle
d'une définition politique de Vislam, qui s'exacerbe
dang la contradiction entre primat de la loi et primat
de la volonté de ceux qui veulent imposer la loi.
La sociologie des acteurs
Les fondateurs et les militants de la grande époque
islamiste (1970-1985) se recrutent, non dans les sec-
teurs traditionalistes, mais dans des catégories qui
sont des produits de la modernisation des sociétés
musulmanes. Leur probléme n'est pas le refus de la
modernité, mais liskamisation de cette modernité. Les
pays du monde musulman ont tous connu une urba-
nisation massive & partir des années 1960: la popu-
lation des grandes villes a été gonflée par l’exode
rural et a souvent quadruplé. En 1978, année de la
révolution islamique en Iran, le pourcentage de popu-
lation urbaine y dépasse pour la premiére fois celui
de la population rurale dans I’ensemble du pays. Les
Etats ont du mal a assurer la socialisation et |"urba-
nisation des nouveaux quartiers, qui prennent des
dimensions considérables (banlienes sud de Tehéran
ou de Beyrouth, Embata au Caire), L'urbanisation
implique le déracinement social : les vieilles solida-
rités rurales (familles étendues, clans, respect des
anciens, religion populaire) s’effacent. Les syndicats
et les partis de gauche sont actifs presque uniquement
dans les campus et parmi une classe ouvritre qui fait
figure de privilégiée (ouvriers du pétrole en Iran) et
ignorent les « nouveaux pauvres ». Ces espaces nou-
Veaux sont peu & peu occupés par des associations
religieuses et des militants islamistes, qui font de
63GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
action sociale. La mosquée redevient une forme de
maison communautaire, qu'elle soit gérée par le
clergé traditionnel (ce qui est le cas dans le monde
chi’ite) ou, plus fréquemment dans le monde sunnite,
par des militants islamistes ou des mollahs autopro-
Dans un tel contexte, il va de soi que les
préches prennent vite un aspect social et contestataire,
dénongant la carence de I’Etat, la corruption et l'enri-
chissement des nouvelles élites.
Lalphabétisation de masse, caractéristique de la
plupart des pays musulmans dans les années 1960 et
1970, met sur le marché une génération de bache-
liers et de diplimés & un moment oit les débouchés
se raréfient. Une jeunesse urbanisée et scolarisée se
retrouve déclassée socialement. En Algérie, le nombre
moyen d’années de scolarisation pour les hommes
passe de deux pour ceux nés dans Ja décade 1940 a
sept pour ceux nés dans la décade 1960 (cf. Philippe
Fargues, inv Salamé, 1994, p, 187 sq.). En Egypte, le
chiffre passe de trois a six. Jusqu’au début des années
1970, 1'Etat assure en général un débouché a la jeu-
nesse dipldmée, c'est l'époque des économies étati-
s6es ct centralisées et des grandes bureaucraties
pléthoriques. Mais la crise économique et les poli-
tiques de libéralisation entrainent partout un rétrécis
sement des bureaucraties et une paupérisation des
fonctionnaires. En méme temps, les sommets de
TEtat sont tenus par des castes qui ne s'ouvrent pas
aux nouvelles catégories montantes : en Egypte et en
Algérie, c'est 'ancien parti unique qui monopolise
le pouvoir et les bonnes places par ses réseaux de
clientélisme ; en Syrie et en Irak, c’est un clan (les
clam
64
OU'E:
ECE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
Alawis et les Takritis) ; en Iran, c'est la bourgeoisie
du palais
Les mouvements islamistes ont done fait une
percée sur les campus universitaires (Tunis et Kaboul
en 1971, Khartoum en 1972), au détriment des mou-
vements communistes et progressistes. Ce phénoméne
a souvent été diserétement encouragé par les gouver-
nements (en Tunisie et en Egypte), qui voyaient la
principale menace dans les mouvements de gauche
el non parmi les islamistes, percus a I’époque comme
ervateurs. Les islamistes recrutaient plutot dans
facultés d”ingénierie ou les écoles normales d’ins-
tituteurs. Beaucoup de cadres du mouvement isla-
miste ont une formation scientifique (Hekmatyar en
Afghanistan ; Nabawi, ministre de I'Industrie lourde
en Iran; Erhakan, président du parti Refah en Tur
quie ; Hashani, porte-parole du FIS algérien en 1991).
La politisation des étudiants islamistes dans un milieu
jusqu’ ici de gauche contribue & radicaliser le discour
et les formes d'action de ces militants.
Les islamistes ne restent pas enfermés dans le
ghetto sociologique des militants de gauche intelli
gentsia, armée, aristocratic ouvriere), C'est qu’ils sont
aussi l'expression d'un mouvement général de moder-
nisation sociologique des sociétés qui connaissent une
évolution rapide et profonde de leur structure démo-
graphique les rapprochant du modéle occidental,
néme si les valeurs affichées restent traditionnelles.
Par modemisation démographique, nous entendons
Purbanisation, I’allongement de la scolarité, la réduc
tion de la différence d’age entre maris et femmes,
Valphabétisation des femies et la baisse (toujours
corollaire) du taux de fécondité (nombre d’enfants par(ANFALOGIE DE L'ISLAMISME
fenmne en de den avoir). Or les sociétés musul-
wines connaissent une telle évolution & partir des
années 1970: Mindice de fécondité des femmes algé-
fiennes passe de huit enfants par femme en 1970 a
cing en 1990, I'écart moyen du niveau d’édncation
entre hommes et femmes passe de trois années de
scolarisation en 1950 a une année et demie en 1970
(Egypte, Tunisie). L’geart moyen d'age entre maris
et femmes chute aussi. Enfin, les fils disposent d’un
niveau d’édueation supérieur & celui de leur pere. Ces
tendances montrent que les sociétés musulmanes sont
en pleine mutation dans un espace de temps ts
court, une génération, alors qu'il a fallu plusieurs
générations & Europe pour absorber un tel change-
ment
Lislamisme s'enracine done dans une société
profondément transformée par la modernisation, Il ne
‘agit plus de la société rurale et patriarcale, ni méme
de celle du bazar des cités musulmanes tradition-
nelles. Ces transformations posent un probléme anti-
cipé par AI Banna et Maududi: peut-on entériner
cette modemisation sans perdre son ame, son authen-
licité ? L'idgologie islamiste offre une réponse : elle
Permet de rejeter la tradition et offre un instrument
conceptuel pour penser cette modernisation,
La base sociale des mouvements islamistes se
trouvait dans les masses populaires récemment urba-
nisées. Cette base sociale est toujours présente dans
les années 1980: le sort des nouveaux urbanisés ne
s'est pas amélioré. Mais & la génération des dipld-
més et des intellectuels des années 1970 va succéder
une nouvelle génération ; celle qui n'a pas pu termi-
net ses études ou bien dont le diplime est totalement
66
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
dévalué. Car la ctise du systéme d’enseignement ne
Tait que s'aceroitre dans les années 1980: baisse du
niveau, surcharge des cours, professeurs qui font
payer les cours particuliers, voire les diplomes,
absence de débouchés renforeée par Ia crise écono-
mique.
La crise et la montée des mouvements istamistes
dans les années 1970
Dans les années 1970, les régimes issus de la déco-
lonisation commencent a s'user. Les équipes au pou-
Voir se sont installées dans. le clientélisme et
Vaccaparement de l'appareil d’Etat a leur profit. Les
Pays qui n’ont pas éé colonisés (Turquie, Iran),
connaissent également une crise de Iégitimité poli:
tique, méme si, a la différence des autres, la contes-
lation semble d’abord menée par des mouvements de
gauche. Mais tous ces régimes se sont coupés de leur
base sociale, parce qu’ils sont accaparés par une
minorité religieuse (Syrie, Bahrein), un parti (Baath
irakien), une nomenclature (Egypte), un clan tribal
(Saoudiens), une monarchie (Iran), ou une combinai-
son de plusieurs de ces éléments. La crise écono-
mique surgit dans ce contexte de délégitimation des
lites politiques : plus d’embauche pour les éduqués,
réduction du secteur d’Etat, et émergence de nou.
veaux riches (infirah en Egypte) griice au premier
choc pétrolier (1971). Cette montée brusque des reve-
nus de V'Etat accentue les différences sociales et
Vexode rural, fait monter les espérances, mais n’a pas
le temps de produire une transformation positive de
économie car il est stivi de la chute des prix pétro-
liers et de la récession des années 1980. Les Etats
67EALOGIE DE L'ISLAMISME
pétroliers, devenus importateurs de produits alimen-
laires souvent subventionnés, doivent adopter une
politique de vérité des prix qui entraine des émeutes.
En Algérie, les émeutes d’octobre 1988, dues a l'aug-
mentation brutale du prix des produits de base, sont
durement réprimées et logiquement suivies par |
triomphe du FIS aux élections municipales. (ju
1990) et législatives (décembre 1991),
Ces mouvements populaires surviennent dans un
contexte oa la gauche a été réprimée et a presque
disparu du paysage politique. La crispation de
régimes sans légitimilé a entrainé, sinon le recul
d'une démocratie qui n’a jamais existé, du moins une
aecentuation de la répression, en Iran, Egypte, Algé-
tie et Syrie, qui permet aux islamistes de brandir
Vétendard de la liberté et des droits de "homme (le
demier avatar de cette fusion de la revendication ish
miste et de la détense des droits de l'homme est
création, en 1991, du « Comité saoudien des droits
légitimes », l'adjectif renvoyant aussi aux droits tels
qu'ils sont définis par la chariat et bafoués par la
monarchie).
Enfin, le dernier ingrédient de l'islamisme est la
crise de l'anti-impérialisme, Les mouvements isla-
mistes reprennent le flambeau tiers-mondiste de
groupes diserédités par la gestion du pouvoir (natio-
nalisme et socialise arabes, du FLN a l'OLP en pas-
sant par le nassérisme) ou bien d’une gauche qui
perdu le contact avec les milieux populaires. Ce fai-
sant, c’est aussi le lien entre l’anti-impérialisme o
dental de gauche et les mouvements contestataires du
liers-monde qui disparait. Les intellectuels européens
de gauche ne peuvent plus se reconnaitre dans les
68
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
mouvements islamistes, au contraire de OLP et du
FLN algérien. Un symbole de la récupération de
Vanti-impérialisme par les milieux islamistes a été le
soutien qu'ils ont accordé & Saddam Hussein, lors de
la guerre du Golf, en 1991, car il reste l'un des rares
leaders non islamistes populaires parce qu'il se bat
contre I"Oceident.
Mais cette crise de délégitimation ne touche pas
que VEtat : elle déborde aussi sur les oulémas. Les
oulémas officiels ont aussi perdu le contact avec les
masses populaires, qui ne peuvent plus fréquenter les
grandes mosquées des centres-villes, top éloignées
de leur domicile. On voit ainsi se multiplier les mos
quées de quartiers, « privées » et animées par des pré-
cheurs autoproclamés, exergant souvent un autre
métier pour vivre. Les oulémas perdent ainsi le mono-
pole de la prédication et de Ja jurisprudence. Les Etats
‘ont perdu le monopole du nationalisme, les oulémas
celui de la religion, la gauche celui de Ja démocratie
et de Ianti-impérialisme : le terrain est libre pour les
islamistes.
=
Les mouvements extrémistes
A panir de la matrice conceptuelle définie par Sayyid
Qoth, une multitude de groupuscules extrémistes se
sont eréés dans le monde sunnite, dont les plus impor-
tants se trouvent en Egypte, récemment rejointe par
l'Algérie, Dans le monde arabe sunnite, ces mouve-
ments se sont en général séparés des Freres musul-
mans, jugés trop modérés, 2 1a fin des années 1970.
La révolution islamique en Iran a accentué cette
dynamique de la radicalisation, méme si elle ne I'a
pas créée et bien que fort peu de mouvements sun-
69GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
nites aient eu des relations suivies avec Miran is
mique. Dans le monde chi’ite, en revanche, les
mouvements radicaux sont directement parrainés par
la république islamique d’Iran, elle-méme dominée,
dés Pautomne 1979, par les éléments les plus radi-
caux. En fait, la république islamique d'Iran est le
seul exemple oft les radicaux aient pris la téte d’un
mouvement islamiste majoritaire dans la société, A
inverse, dans le sous-continent indien sunnite, les
mouvements radicaux sont beaucoup moins extré-
mistes que dans le monde arabe : la violence est plus
lige a des conflits strictement religieux et communau-
taires, opposant en particulier les sunnites aux
chi'ites. Nous allons done examiner séparément les
mouvements extrémistes chi°ites, tous liés & "Tran,
et les mouvements extrémistes sunnites, au contraire
tres éclatés.
La révolution iranienne et le monde chiite. Les mou-
vements révolutionnaires dans le monde chi’ite ne
sont pas une exportation de Ja révolution islamique,
mais participent de la vague de radicalisation qui a
Ebranlé le monde chi'ite avant la révolution de 1979.
En Irak, un foyer de chi'isme radical s'était cons
tué autour de ayatollah Bager al Sadr (exécuté en
1980) et de ayatollah Muhsin al Hakim (mort en
1970), qui fonderent des 1957 le parti Hizb-al Da’ wat
ou Parti de la prédication, clandestin, Ce parti évita
de se ranger trop strictement dans la mouvance ira-
nienne et Téhéran préféra susciter, en 1982, le
Conseil de la révolution islamique d'lrak, dirigé par
un des fils de Al Hakim, Mohammad Bagir.
‘Au Liban, la radicalisation date du mouvement
10
ISLAMIQUE ?
Ai Amal, lancé par Iimam Moussa Sadr en 1969. Ce
mouvement regroupait les chi‘ites du sud du pays
la fois contre les notables traditionnels de la commu-
nauté chi‘ite et contre le systéme politique libanais,
dod les chivites étaient quasiment exclus. Le mou-
vement restait communautariste, représentant exclu-
sivement la communauté chi’ite. Limam Moussa
Sadr disparut en 1979 en Libye, La révolution isla-
mique d'lran et invasion du Liban par Israél, en
1982, conduisirent a un éclatement et & une radical
sation sous Timpulsion de l'ambassadeur iranien A
Damas depuis 1981, Ali Akbar Mohtachémi, un des
chefs de file des radicaux iraniens, Al Amal resta
dirigé par Nabih Berri, laique et pro-syrien, tandis
qw’apparaissait le mouvement Amal islamique, dirigé
par Husseyn Mussawi, pro-iranien installé dans la
plaine de la Bekaa avec l'accord des Syriens. Mais
Mohtachémi suscita l’apparition d’un autre mouve-
ment plus puissant, le Hezboullah, dirigé par un
conseil comprenant lui-méme, Abbas Mussawi (tué
par les Israéliens en 1992), Sobhy Toufayli et Sayyid
Nasrallah. Le vrai chef du Hezboullah est le cheykh
Mohammad Husseyn Fadlallah, né et éduqué dans le
sanctuaire chi’ ite de Najaf en Irak (sa famille est ori-
ginaire du Liban du Sud), Revenu au Liban en 1966,
il s‘installa 4 Beyrouth. Le mouvement, eré vers
1982, se donna une branche clandestine et militaire,
organisation du Djihad islamique, dirigé par Imad
Mughniyya, Ce groupe a été responsable de l'essen-
tiel des opérations terroristes menées contre les forces
occidentales installées & Beyrouth apres 1982: atten-
tats contre les marines américains et les parachutistes
frangais (1983), ainsi que de la majorité des prises
1GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
d'otages étrangers effectuées au Liban, Le Hezboul-
lah agit également en dehors du Liban; attentats &
Koweit en 1983 et en France en 1986. Dans tous ces
cas, Vobjectif essentiel était de soutenir leffort de
guerre iranien, alors que I'Irak était massivement sou-
tenu en matériel militaire par les Occidentaux.
En Afghanistan, il existait des groupuscules
chivites radicaux en exil (en Trak et en Iran) avant
Pinvasion soviétique, d’ailleurs plus nationalistes
qu'islamistes (ils défendaient identité hazara, une
ethnie qui constitue 90 % des chi’ites afghans). Les
mouvements chi’ites de la résistance étaient au début
plutét conservateurs, mais la guerre et influence de
iran ont eu un effet de radicalisation, L'lran a sus-
cité la eréation d'une alliance radicale de huit patti
chi ites, regroupés ensuite (1989) dans le Hizb-i Wah-
dat, ou Parti de l'unité
Durant la guerre avec I'Irak (1980-1988), Tehé-
ran s'est efforcé d"instrumentaliser et de controler les
mouvemients chi'ites étrangers, en. suscitant le Conseil
de la révolution islamique d'Irak, I'union des huit
partis chi’ites afghans, le Hezboullah libanais. Mais
cette instrumentalisation les ayant plutot isolés, aussi
bien sur la scéne intérieure qu’extérieure, aujourd’hui
les mouvements chi‘ites se sont largement autonomi-
sés par rapport & Téhéran et poursuivent des objec-
tis qui leur sont propres : essentiellement la
réintégration de la communauté chi'ite dans Ja. vie
politigue, mettant entre parentheses 1a revendieation
de 1’Etat islamigue (Irak, Afghanistan, Bahrein).
Les mouvemenis extrémistes sunnites. Faire la liste
des mouvements radicaux sunnites est difficile, car
2
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
beaucoup ont une existence éphémére ou bien ont uti-
lisé des « étiquettes » (Hezboullah, Djih’d) com-
munes & des mouvements différents. C’est en Egypte,
avec ’assassinat du président Sadate en octobre 1981,
que les mouvements islamistes sunnites ont fait une
apparition sanglante sur la scéne internationale. Les
trois principaux groupes égyptiens sont le Takfir wal
Hijra, les Gama’at Islamiyya et le Djihid islamique.
Le nom du groupe Takfir wal Hijra (« anathéme et
retrait ») semble lui avoir été donné de I’extériew
lui-méme se qualifiant de Jama'at al Muslimin
(«société des musulmans >). Dirigé par Shukri
Ahmed Mustafa (né en 1942 et exécuté en 1978), ce
groupe a poussé jusqu’au bout les théories de Sayyid
Qot : seuls les’ membres du groupe sont de vrais
musulmans. Le groupe s'est donc attaqué d’abord aux
coulémas officiels, accusés de trahir islam. Il a assas-
siné en 1978 le cheykh Dhahabi, ancien ministre des
Biens religieux. Si l'impact de l'action du groupe a
6té important et a déclenché une répression massive
contre les islamistes, son assise sociale semble pour-
tant assez. faible
Sous le nom de Djihad islamique, un certain
nombre de groupes apparaissent vers la méme
Spoque, dont le plus important est celui dirigé par
Mohammad Abdel Salem Farrag, l'auteur du livre
UObligation absente, qui déclare le djihad contre les
autorités du pays, Une fraction de ce groupe, menée
par un officier, Khalil Islambouli, assassine le pré-
sident Sadate en octobre 1981.
Ces deux mouyements ont leur base essenticlle
le nord de I'Egypte. Leur stratégie putschiste
a rendu vulnérables a la répression quia suivi
BGENEALOGIE DE L'ISLAMISME
Tassassinat du président Sadate. Plus inquiétant pour
le gouvernement égyptien est le développement dans
le sud du pays, resté rural, tribal et particulariste, d’un
mouvement beaucoup plus enraciné : les Gama’at
Islamiyya. Leur chef spirituel semble étre le cheykh
Omar Abdel Rahman, un ouléma aveugle, ancien
Frére musulman, un instant accusé d’étre membre du
groupe Djihid, mais acquitté en 1983, Le cheykh, ori-
ginaite du nord, a fait l'essentiel de sa carrigre de
précheur dans le sud du pays, a Fayoum et Assiout.
Exilé d’Egypte, on le retrouvera aux Etats-Unis,
impliqué dans Vattentat de février 1993 contre le
World Trade Center & New York. Les Gama'at,
contrairement aux autres groupes radicaux, ont une
assise rurale, Les groupes armés ménent campagne
contre l'appareil d’Etat mais aussi contre les coptes
(nombreux dans les campagnes du sud) et les tou-
ristes, qui représentent V'invasion culturelle occiden-
tale, et pour affaiblir I'Etat, L'action armée des
Gama’ at s'est développée a partir de 1991 et repré-
sente aujourd'hui le défi majeur pour le gouverne-
ment égyptien. Contrairement aux mouvements
islamistes des années 1970 et 1980, les Gama’at
semblent trés décentralisées, privées de chef incon-
testé, et recrutent dans un milieu beaucoup plus popu-
laire et moins intellectuel que les autres mouvements
islamistes. Le mouvement dispose aussi d’une forte
base dans la ville du Caire du fait de l’exode ru
La radicalisation islamique au Liban se fai
parmi les chiites. Les sunnites restent a l'écart, & une
exception prés: le Mouvement de l'unité islamique
du cheykh Chabane, basé dans la ville de Tripoli, au
nord du Liban. Ce dernier renvoie & un phénomene
74
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
récurrent dans histoire des mouvements islamistes :
la conjonetion entre un groupe exprimant une iden-
tité purement locale et un mouvement idéologique
transnational, Le cheykh Chabane a joué le « sunnite
de service » dans maintes conférences tenues & Téhé-
ran, mais son impact dans la vie politique libanaise
est resté faible (Michel Seurat, 1988),
En Afghanistan, la radicalisation islamique date
de la fin des années 1960, a 1a conjonction de deux
facteurs : le retour de professeurs envoyés Vuniver-
sité dal Azhar a la fin des années 1950, pour occu-
per les chaires de li nouvelle faculté de théologie
établie en 1951, et la politisation des campus univer-
sitaires. Les professeurs fondent le Jamiat-i Islami et
les Gtudiants créent le mouvement des « Jeunes
musulmans », qui, en. 1975, lance une insurrection
rurale qui échoue, Les militants survivants se
retrouvent en exil au Pakistan, Une scission intervient
alors entre le Jamiat-i Islami et le Hizb-i Islami, selon
trois lignes de fracture : 1) idéologique (Ie Jamiat est
proche du courant modéré des Fréres musulmans, le
Hizb est plus proche du Jama‘at pakistanais et des
idées de Qotb); 2) politique (le Hizb est et restera
tres lié aux services secrets pakistanais) ; 3) eth-
nique (le Hizb est surtout pachtoune et le Jamiat
persanophone). lei aussi, la surdétermination des
oppositions politiques par des clivages ethniques, tri-
baux ou nationaux est une constante parmi les mou-
vements islamistes,
Les Palestiniens connaissent la méme évolution
vers Vislamisme que le reste du Moyen-Orient. Mais
celle-ci est plus tardive : 'OLP de Yasser Arafat, offi-
ciellement laique, occupe le champ politique, et
75GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
espace radical a été tenu, jusque dans les. années
1 mouvements extrémistes qui n’ont rien
comme le FLP de Georges Habbache,
Je FDLP d’Hawatmeh et surtout le tristement célebre
groupe Abou-Nidal, 4 Midéologie tres vague, mais
extrémement violent, Un parti de Freres musulmans
centriste, Hamas, apparait dans les années 1980, [I
est flanqué dun mouvement terroriste, le Djihdd ista
mique palestinien, né dans la bande de Gaza en 1987,
Le contenu idéologique de ce mouvement est trés
jaible : son action violente est entigrement tournée
contre l’occupation israélienne. Il refuse tout compro-
mis avec Istaél et condamne le processus de paix.
Mais il n'y a rien de spécifiquement islamique dans
son message politique, sinon le « martyrologe » qui
entoure ses combattants utilisant 1a technique de com-
mandos suicides.
En Jordanie, l'extrémisme islamique reste faible
car espace politique est occupé par le mouvement
des Freres musulmans, actif et bien intégré au jeu
politique. Cependant, un groupe, « I'armée de
Mohammad », défraie la chronique en 1990 mais
semble désormais réduit. En Tunisie comme au
Maroc, on ne trouve pas de véritables partis extré-
mistes, mais des mouvements plutdt proches des
Freres musulmans.
En dehors du monde arabe, on trouve des mou-
vements extrémistes sunnites liés avant tout & des
luttes de libération nationale, comme le Hizb-i Islami
et le Hizb-ul Mujahidin du Cachemire et, surtout, le
mouvement Moros, au sud des Philippines, qui est
devenu, semble-til, une plaque tournante des mili-
tants extrémistes du monde entier, méme si ce groupe
76
QU’EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
n’a aucun contenu idgologique particulier qui le dis-
tingue par son radicalisme.
Les mouvements extrémistes connaissent une
Evolution différente dans le monde sunnite et chi’ite,
Dans le monde chi'ite, avec le reflux de l'exporta-
tion de la révolution, suivant la paix avec I'Irak
(1988) et la mort de Khomeyni (juin 1989), ils se
moderent et s’autonomisent par rapport 2 I'Iran, Us
deviennent des forces politiques, dont la violence se
« codifie » et se normalise, portant désormais sur des
objectifs politiques précis : les Israéliens du Sud-
Liban pour le Hezboullah, Saddam Hussein pour les
chivites d'lrak. A Bahrein, of des émeutes chi'ites
éclatent en 1994, i s'agit, comme en Irak et en
Afghanistan, d’obtenir la participation a ta vie poli-
tique d'une communauté jusqu’ici écartée et mépri-
sée,
Dans le monde sunnite, les mouvements radi-
caux font jamais eu de parrains ou de base arrigre.
Is sont, au début, des groupuscules et certains ne sont
jamais arrivés 2 passer de la secte au véritable mou-
vement politique, Leur évolution est conditionnée,
non pas par celle de la situation mondiale, mais par
l’évolution de la vie politique de chacun des pays ot
ils opérent. Aujourd’hui, les facteurs internes
lemportent sur le contexte géostratégique.
Les mouvements sunnites extrémistes entre-
tiennent une relation ambigué avec les grands cou-
rants centristes des Freres musulmans : beaucoup de
militants sont passés par les Fréres musulmans. En
fait, les Fréres musulmans, quand ils sont intégrés
dans le jen politique, se dissocient des groupes ra
caux ; sinon, ils ne sont pas fiichés de voir s’exercer
TiGi
NEALOGIE DE L'ISLAMISME
une pression sur un gouvernement qui les exclut du
jeu politique.
Le FIS
Le FIS est le mouvement le plus récent de la mou-
vance radicale islamiste. Curieusement, le Maghreb
est resté longtemps 4 Ja traine de l’agitation islamique
au Moyen-Orient, Certes, le FLN a toujours compté
une aile beaucoup plus islamique que le courant
nationaliste et socialisant dominant dans le Front. De
méme, c'est le FLN qui a lancé le début de islami-
sation en faisant appel & des professeurs Fréres
musulmans égyptiens pour impulser l'arahisation du
systéme d’enseignement, synonyme d’islamisation.
L’arabisation s'est traduite par une « lumpenisation »
de Vintelligentsia, c'est-a-dire par Parrivée dans les
universités dune nouvelle catégorie d’éduqués mai-
trisant mal et la langue et le corpus d’enseignement,
mais s'opposant a I’élite francophone. L'islamisation
est done ici le vecteur quasi automatique de promo-
tion sociale des élites arabisées.
S'il y a eu des mouvements armés islamiques
opposés au FLN (comme celui de Bouyali en 1987),
le FIS apparait brutalement sur la scéne politique
aprés les émeutes d'octobre 1988, mené par un car-
tel de précheurs de mosquées dont les deux plus en
vue sont Madani, un ancien du FLN, et Ali Bel Haj,
un jeune imam charismatique. Les réseaux du FIS
sont organisés autour des mosquées privées de quar-
tier qui ont proliféré aprés 1975 (Ahmed Rouadjia,
1990 ; Rémi Leveau, 1995), Pew structuré, il attire
immédiatement un vote protestataire massif qui lui
donne la victoire aux élections municipales de juin
78
QUEST
CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
1988 et au premier tour des élections parlementaires
de décembre 1991, brutalement interrompues en jan-
vier 1992 par l’armée, Le FIS va alors basculer dans
action violente, dont le fer de lance est le GIA
(groupe islamique armé), officiellement dissident du
FIS. La violence algérienne va étre particuligrement
terrible, nourrie par une répression indiscriminée et
brutale. De tous les mouvements radicaux du monde
musulman, le GIA apparait le plus brutal : non seule-
ment i! procéde a I'assassinat systématique des repré-
sentants du pouvoir d’Etat (ce qui est banal en guerre
de guérilla), mais aussi aux meurtres répétés d'intel-
lectuels, de journalistes et de femmes. Cette violence
contre les femmes marque particulirement le radiea
lisme algérien, au croisement d'une violence
«modeme s (une véritable guerre de guérilla, rurale
et urbaine) et d’objectifs néo-fondamentalistes (im-
poser le voile et le retour des femmes au foyer), qui
distingue le GIA (mais aussi le FIS) des mouvements
islamistes modernes, soucieux dassurer une place
dans la société & la femme, pourvu qu'elle soit voi-
Ie
Le terrorisme et la violence
Sous le mot un peu incantatoire de terrorisme, on
range des formes de violence fort différentes. I faut
d’abord souligner que le but principal des mouve-
ments islamistes n'est pas la conversion des infideles,
mais la ré-islamisation des sociétés. musulmanes,
considérées comme retombées dans I'ignorance. Pour
les islamistes, les premiers responsables sont les gou-
vernants actuels du monde islamique. Pour eux, ¢’est
la faiblesse du monde musulman qui a permis a
79GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
MOccident de prendre pied dans le monde islamique.
L’appel au djthad ne se justifie guére dans la période
actuelle, od les Etats sont nominalement indépen.
dants, & moins de considérer comme impies les
musulmans actuelle ment au pouvoir, pas qu’ont fran-
chi les plus radicaux
En fait, une bonne part de la violence islamiste
est lige aux conflits entre Etats et done & la géostra-
tégie du Moyen-Orient. Il y a les réseaux terroristes,
islamistes ou non, utilisés par des services secrets,
en particulier de pays classés eux-mémes comme
radicaux : la Syrie, I"lran, I'Trak et la Libye. Ces pays
utilisent le terrorisme plus comme instrument de poli-
tique étrangére que comme expression d'une idéolo-
gie. Les mouvements terroristes sont donc loin d’étre
exclusivement islamistes : la Syrie et I'Irak ont sou-
tenu le groupe palestinien Abou-Nidal, plutot mar-
xiste @ lorigine. L'Iran islamiste a donné refuge au
groupe arménien Asala et, & un certain moment, au
PKK ture. Dans l'action du Hezboullah libanais
contre les Occidentaux durant la premiére guerre du
Golfe, il faut aussi voir la volonté de ['Iran de mettre
fin a l'aide apportée a Saddam Hussein (ce sont des
Mirage prétés par la France qui bombardaient l'Iran).
Loin de signifier l'irruption d’une violence aveugle
et fanatique, le terrorisme est ici un instrument de
stratégie étatique, une réponse du faible au fort.
Lorsque les iméréts de I"Etat changent, ou bien
lorsque le terrorisme devient contre-productif, il peut
disparaitre du jour au lendemain : le Hezboullah liba-
nais et le Djihéd istamique existent toujours, mais,
depuis 1989, aucune action terroriste n'a cu liew
contre les intéréts occidentaux (si l'on exclut les
80
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
attentats de 1994 contre des centres culturels juifs,
sans doute destinés & saboter Ie processus de paix),
Apres le pic de la décade 1980, les principaux Etats
concernés estiment aujourd’hui que le terrorisme est
contre-productif, largement du fait de 1a réaction occi-
dentale, qui, méme lente a se mettre en place, a été
efficace (toute une gamme de mesures de rétorsion,
de embargo au raid punitif sur Tripoli en Libye).
La fatwa iranienne condamnant l'écrivain Rushdi
mort est désormais un handicap majeur pour la répu-
blique islamique.
Mais la manipulation de mouvements radicaux
est loin d’étre Papanage d’Etats extrémistes. La Jor-
danie a donne reluge et ouvert des camps d'entraine-
ments aux Fréres musulmans syriens en 1980. Le
Pakistan a constamment soutenu, de 1974 & 1994, le
mouvement radical afghan Hizb-i Islami, contre tous
les régimes en place 4 Kaboul. Les Américains ont
armé ce mouvement de 198] & 1988, Maroc et Tuni-
sie ont donné quelques facilités au FIS avant 1993.
L’Arabie saoudite a donné armes et argent au mou-
vernent yéménite Islah, Les services secrets turcs ont
encouragé la naissance d'un Hezboullah kurde pour
contrer le PKK. L’Arabie saoudite a largement
finaneé 1a plupart des mouvements islamistes
jusqu’en 1991 ; ainsi, le mouvement de Hassan Tou
rabi, le Front islamique national, a pu se développer
grice A son réseau d’établissements financiers mis sur
pied avec l'aide de la Faysal Islamic Bank & partir
de 1978
Une autre forme de violence est celle des grou-
puscules radic: la limite de la secte et pratiquant
les meurtres « incantatoires », comme lassassinat du
81ALOGIE DE L'ISLAMISME
président égyptien Sadate en 1981, Plus difficilement
contrdlable, cette violence reste limitée du fait de la
dilficulté des mouvements sectaifes de se eréer une
buse sociale et de devenir des partis politiques de
masse.
Les mouvements qui teprésentent un véritable
danger sont ceux qui s‘avérent capables de passer au
stade de la guérilla et d’articuler violence armée et
stratégie politigue. I n'y que deux cas aujourd’hui ;
l'Algérie et I'Egypte, avec les GIA, qui tiennent des
portions de campagne, et les Gama'at, solidement
retranchées dans le sud de Egypte.
Enfin, une évolution récente, en rapport avec la
« lumpenisation » des mouvements islamistes, est le
lien croissant entre Maction violente et ia délinquance,
sensible la fois dans la radicalisation de certains
jeunes « beurs » de banlieues (affaire de Marrakech
en aoait 1994) et dans la dérive des GIA, en Algérie,
et de certains groupes de moudjahidins afghans (ra-
cket et trafic de drogue).
Les mouvements islamistes hésitent toujours
entre Je primat de la révolution ou celui de la Révé-
lation, entre le radiealisme révolutionnaire et le néo-
fondamentalisme. Cette oscillation se retrouve en
particulier dans la violence complexe du GIA algé-
rien: d’un cOté il est néo-fondamentaliste, car son
projet étatique et sociétal est faible, d’un autre cote
il utilise le droit que se sont arrogé les mouvements
modernes extrémistes de promulguer des fuswe et de
faire usage de leur propre interprétation afin de déci-
der ce qui est islamique et ce qui ne lest pas. La
violence du GIA est tres différente de celle des
groupes afghans, qui ne donnent jamais de justifi
82
QU'EST-CE QUE LE RADICALISME ISLAMIQUE ?
tion islamique & Ia violence « hors la loi » : vendet-
tas, viols et rapines. En Afghanistan, le code
traditionnel suffit, sinon a justifier, du moins pour
admettre et vivre cette violence. En Algérie, Iacte le
plus gratuit se doit d’étre fait au nom de Pislam. I
y aici une dérive de la violence qui est nouvelle dans
Je monde musulman et qui marque l'articulation entre
un radicalisme venu de l'islamisme contemporain et
une vision étroite et fermée de ce qu’est In chariat.
Dans le contexte algérien aussi bien qu’égyptien, le
néo-fondamentalisme, qui met en avant la scule cha-
riat, a hérité de Vislamisme radical la pratique de la
violence politique, exacerbée par des traditions
locales de vendetta et de banditisme,
Les mouvements néo-fondamentalistes des années
1990
Aprés une période de recrutement des islamistes dans
des milieux intellectuels modemes, un. net change
ment se fait sentir dés la fin des années 1980: 1a
«) manifeste une indigence
conceptuelle alarmante, qui va de pair avec le glisse~
ment de T'islamisme au néo-fondamentalisme, c’est-
adire & Tidée que la seule question est celle de
Papplication de la chariat.
Ty aun mythe de lislamisme comme expres-
sion de la société civile contre Etat, qui repose sur
ce vieux théme « progressiste » que le peuple est un.
Unanimisme réducteur sans doute.
Quel est alors le contenu de Mislamisme ? C'est
un moment, expression idéologique de mouyements
aux et d'une crise identitaire profonde et violente.
si-ce un simple épiphénomene face 4 une intégra-
tion des populations immigrées qui s'opére de toute
u7GENEALOGIE DE L'ISLAMISME
fagon selon les modéles mis en place par les socié-
és d'accueil! ? La sociologie n'est pas tout et la crise
identitaire n’est pas un simple épiphénomene. Nous
nen avons pas fini avec l'islamisme comme protes-
tation sociale, recherche d'une identité fondée sur un
code normatif, faute de véritables racines, mais aussi
comme stratégie de pouvoir pour une intelligentsia
exclue des avenues du pouvoir.
De la démocratie...
I est clair que, dans Jes pays oi existe un jeu poli-
tique ouvert, sinon démocratique, les grands mouve-
ments islamistes se sont modérés et intégrés dans le
jeu politique (Turquie, Jordanie, Maroc, Koweit).
Bien sGr, les islamistes ne mettent pas leur drapeau
dans leur poche. Par définition, ils ne peuvent renon-
cer & l'idée que la loi de Dieu est supérieure 1a loi
des hommes. Mais il est évident que la démocratie
ne se réduit pas A un consensus sur les valeurs : elle
correspond d'abord au fonctionnement d’institutions
qui permettent au jeu politique de rester ouvert, quels
que soient les partis au pouvoir, Le chemin que les
catholiques ont difficilement fait ~ passer du refus de
la république & la démocratie chrétienne quand ce
n'est pas A Ia laicité — est ouvert aux islamistes, La
question n'est pas de sonder la « sineérité » des isla-
mistes. La sincérité n'est pas un concept politique.
C'est dans la prévalence des institutions sur les
hommes que réside la meilleure garantie de la démo-
J. C'est analyse stimulante &t optimiste d’Eramanvel Todd, en ce qui
sconcerne Mimmigration, dans son livre Le Destin des immisrés, Payard,
1994.
118
LE MYTHE DE LA MENACE ISLAMIQUE
cratie. Si celle-ci est bien née dans un contexte cultu-
rel donné, son universalisme repose sur I’adoption
d'un systéme d’ institutions. Parler de « culture démo-
cratigue » est un peu une reconstruction aprés coup :
la culture démocratique ne précéde pas les institu-
tions, elle en est l'intériorisation.
Liislam n'est porteur ni d'une culture ni d'un
modéle politique qui soient intangibles et universels.
1 un dogme et un code (rituel) qui s'est toujours
adapté A des contextes culturels tres variés, méme s'il
Jes marque en retour. La laicité existe de facto dans
la configuration musulmane. La question aujourd'hui
est celle des institutions démocratiques.TABLE DES MATIE
PREFACE ... 7
INTRODUCTION d'Olivier Mongin 15
islam, une réalité multiforme... 21
I. Qu’est-ce que le radicalisme islamique .
1. Le radicalisme dans l'histoire de Vislam .. 30
Aux sources de {islam ss...
Le fondamentalisme traditionaliste sunnite .. 31
Le Ch SME orn 33
Le hanbalisme et le Walthabisme sovosessn 36
2.Les mouvements islamistes contempo-
rains merges comes BF
Les péres fondateurs : Abu Ala Maududi et
Hassan al Banna " 38
Les grands mouvements historiques > les
Freres musuimans et le Jama’at-i Islami... 41
Le corps de doctrine serves 45
Les penseurs radicaux : Sayyid Qotb et l'aya
tollah Khomeyni assess 58
La sociologie des acteurs siaronienGENEALOGIE DE L'ISLAMISME
La crise et la montée des mouvements isla
mistes dans les années 1970 A 67
Les mouvements extrémistes 4 69
Le FIS 78
Le terrorisme et la violence 79
Les mouvements néo-} fondamentalistes des
andes 1990 eecocee
TL, Une menace islamique ? 87
La question de U'internationale islamique .. 87
Les internationales néo-fondamentalistes .... 93
L’« islamo-nationalisme » 96
La variété des stratégies 99
La ré-islamisation des miliewx immigrés 101
TI. Le mythe de Ja menace islamique Ml
Islam et islamisme : le grand malentendu .... NV
Lislamisme comme avatar de la modernité et
comme tiers-mondisme ns
De ta démocratie sss. 118
OUvRAGES cITés 121DU MEME AUTEUR
L'Asie contemporaine, PUR, 2010.
La Sainte Ignorance. Le temps de la religion sans culture
Seuil, 2008.
Le Croissant et le chaos, Hachette Littératures, 2007
Les Mlusions du 11 septembre. Le débat stratégique face au
terrorisme, Seuil, 2002.
L'Islam mondialis 1002 ; Points, 2004,
iran, Comment sortir d'une révolution religieuse (avec
Farhad Khosrokhavar), Scuil, 1999.
La Nouvelle Asie centrale ow la fabrication des nations,
Seuil, 1997.
L'Echec de I'Islam politique, Seuil, 1992.
Leibniz et la Chine, Vrin, 1972.
Dans la méme collection
Jam
La connexion afighano-pakistanaise
hab).
La Laicité face & |
Réseaux islamique
(avec Mariam Abou
OLIVIER ROY
GENEALOGIE
DE L’ISLAMISME
Préface inédite de auteur
Introduction d'Olivier Mongin
Pluriel