Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Presses
universitaires
de
Provence
Politique, religion et laïcité | Christine Peyrard
Une laïcité
coloniale.
L'administration
française et l'islam
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 1/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
en Afrique de
l’ouest (1860-1960)
Jean-Louis Triaud
p. 121-143
Texte intégral
1 On connaît la phrase célèbre généralement attribuée à
Gambetta – mais aussi à Paul Bert – rarement datée1, et
contextualisée de façon erratique : « l’anticléricalisme n’est
pas un produit d’exportation ». La formule a servi
notamment de justification au financement, par la
République laïque, des institutions catholiques outre-mer.
2 L’Algérie est d’ailleurs l’exemple fondateur le plus souvent
cité à l’appui de cette doctrine informelle. Il y eut, en effet,
entre le cardinal Lavigerie, l’homme du ralliement à la
République, et Gambetta, le radical « opportuniste », de
multiples échanges de bons procédés. En Algérie, terre
d’islam, la christianisation pouvait être, aux yeux des
autorités françaises, un instrument de colonisation. La
question de la laïcité, au sens « anti-catholique » du terme,
n’était donc pas d’actualité. Contrairement à la métropole, la
République pouvait trouver son intérêt, au-delà de la
Méditerranée, à l’activité de congrégations enseignantes.
3 Mais il y avait plus. En ces terres où l’islam avait été
rapidement identifié, non sans excès, comme une contre-
culture potentiellement subversive, il s’agissait aussi de
garder la main de la puissance publique sur cette religion
suspecte. Pendant toute la période de domination, la
République conserva le contrôle du culte musulman en
Algérie, nommant les directeurs des Medersas,
établissements de formation des personnels du culte
islamique, nommant les imams et leur attribuant des
indemnités de fonction2, selon un modèle assez proche du
régime concordataire qui sera appliqué jusqu’à nos jours,
après la Première Guerre mondiale, dans les départements
d’Alsace et Moselle. Il s’agissait d’utiliser, et donc de
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 2/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 3/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 5/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
Le miroir britannique
13 La comparaison s’impose d’elle-même avec le grand rival
colonial britannique. Dans les territoires britanniques
(Soudan et Nigeria principalement), après que les différents
pouvoirs musulmans en place, et non des moindres, eurent
été contraints, de gré ou de force, d’accepter la conquête
étrangère, les Britanniques pratiquèrent volontiers une
politique des notables, dite Indirect Rule, moins coûteuse en
encadrement métropolitain, au nom de laquelle ils
déléguèrent, dans les zones islamisées, des pouvoirs
d’administration et de juridiction locaux aux autorités
politiques islamiques. En Nigeria du nord, terre sensible par
excellence, où un puissant califat islamique avait triomphé
au XIXe siècle, on laissa en place, après épuration, les
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 6/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 8/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
L’islam suspect
26 Après la politique volontariste de Faidherbe, le « modèle
algérien » cessa progressivement d’être pertinent. Le
« fétichisme » se révélait moins redoutable qu’on ne l’avait
pensé et certains administrateurs mirent en évidence les
valeurs humaines et culturelles que l’on pouvait trouver dans
les sociétés animistes. Là aussi se trouvaient des « prêtres »
et praticiens divers qui pouvaient servir de relais pour
l’œuvre coloniale. Il y avait surtout, sous-jacente, la
conviction que les musulmans étaient bloqués à mi-chemin
dans l’échelle du progrès humain et qu’ils ne pourraient plus
passer à un stade supérieur de civilisation, alors que les
animistes, moins fortement endoctrinés et imprégnés,
pourraient gravir cette échelle avec plus de facilité et, au prix
de quelques accommodements transitoires, atteindre
directement la civilisation moderne sans passer par la
« case » islam. La facilité (d’ailleurs relative) avec laquelle
certains d’entre eux se prêtaient alors, plus au sud, aux
entreprises de christianisation permettait d’espérer de leur
part une « francisation » plus rapide. L’islam cessa donc
d’être un partenaire jugé plus rassurant pour devenir un
interlocuteur parmi d’autres. Les priorités étaient ainsi
renversées.
27 Elles l’étaient d’autant plus que la « marche à la guerre », qui
caractérisa le début du XXe siècle, mettait en vedette un
nouveau thème dominant, celui du « panislamisme »,
construction rhétorique et journalistique, qui faisait de
l’Empire ottoman l’organisateur d’une grande politique
islamique mondiale – ce qui revenait à prendre au pied de la
lettre des discours théoriques, peu suivis d’effets, du sultan
Abd ul-Hamid II16 et de son régime. La révolution jeune-
turque (1909) aggrava ensuite les craintes d’une collusion
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 11/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 12/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 13/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 17/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
Conclusion
54 Dans tous les cas de figure, il est décidément difficile à un
représentant de la République de rester neutre devant le fait
musulman : telle est la conclusion d’évidence à laquelle ces
observations nous conduisent. De façon plus globale, la
défiance à l’égard du religieux, contrairement à la pratique
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 22/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
Notes
1. Selon Frédéric Abécassis (ENS Lyon), « la formule dont on ignore s’il
faut attribuer la paternité à Gambetta ou à Paul Bert, a été employée à
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 24/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 25/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 26/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 27/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 28/30
18/01/2021 Politique, religion et laïcité - Une laïcité coloniale. L'administration française et l'islam en Afrique de l’ouest (1860-1960) - Presses u…
32. Voir Lansiné Kaba, The Wahhabiyya. Islamic Reform and Politics in
French West Africa, Evanston, Northwestern University Press, 1974.
33. Il y eut, entre Cardaire, qui avait été élève de l’ethnologue Marcel
Griaule, et Hampaté Ba, des liens privilégiés. Cardaire accepta, en
particulier, de cosigner l’un des premiers livres d’Hampaté Ba : voir
Marcel Cardaire et Amadou Hampaté Ba, Tierno Bokar, le sage de
Bandiagara, Paris, Présence Africaine, 1957. Dans l’avant-propos de la
nouvelle version publiée sous son seul nom, en 1980, Hampaté Ba rend
hommage à Cardaire en ces termes : « Si l’ouvrage put paraître alors, ce
fut grâce au courage entêté, à la patience, et, surtout, à l’esprit de justice
de Marcel Cardaire. » (Amadou Hampate Ba, Vie et enseignement de
Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 7
sq.).
34. Pierre Mendès-France, président du Conseil au ministre de la France
d’outre-Mer, 5 décembre 1954 (Archives Nationales d’Outre-Mer, Aix-
en-Provence, Affaires politiques, 2256, d. 4). Voir aussi Jean-Louis
Triaud, « Le crépuscule des affaires musulmanes. », op. cit., p. 514-516.
35. Pierre Mendès France vient de signer les Accords de Genève
(20 juillet 1954) qui mettent fin à la guerre d’Indochine et de prononcer
le discours de Carthage, qui ouvre la voie à l’indépendance tunisienne
(31 juillet 1954). La guerre d’Algérie commence (1er novembre 1954).
Mendès France a assurément d’autres soucis et d’autres priorités en ces
mois de novembre-décembre 1954.
36. L’islam, qui est lié de longue date aux activités de commerce dans
toute cette zone, a profité du percement des routes et de la construction
des chemins de fer. L’exode rural et l’urbanisation ont contribué, en ville,
à un abandon des cultes du terroir et à l’adoption de l’islam. Enfin, le
recrutement militaire a généralement eu les mêmes effets. Porté depuis
des siècles par des agents religieux négro-africains, cet islam était déjà
connu et acclimaté. À l’inverse du christianisme, aux yeux du plus grand
nombre, il ne représentait pas un « produit colonial » mais un héritage
local. Ces considérations valent plus pour les régions septentrionales de
l’Afrique de l’ouest (« soudano-sahéliennes ») que pour les régions plus
méridionales et forestières où l’islam n’avait pas percé et n’avait pas la
même historicité.
37. Sur la déception générale des responsables français à la veille des
indépendances, voir Jean-Louis Triaud, « Le crépuscule des « Affaires
musulmanes » en AOF, 1950-1956 », op. cit., p. 493-519.
Auteur
Jean-Louis Triaud
Du même auteur
https://books.openedition.org/pup/5444?lang=fr 30/30