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Khalid Chraibi - Oumma.

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Charia, Droit musulman, Questions de sociétés musulmanes

La charia et les droits de la femme au 21è


siècle
Par Khalid Chraibi
mardi 11 mars 2008

Des dispositions nationales différentes en fonction des interprétations

La question des droits de la femme dans les pays musulmans est entourée de paradoxes.
L’islam fut un précurseur en matière de libération de la femme, redéfinissant dès le 7è siècle
son statut au sein de la société, et lui donnant sa pleine quote-part de droits et de
responsabilités. Elle acquit le droit de recevoir un héritage, de gérer librement ses biens et
d’accéder au domaine du savoir, entre autres innovations dans sa situation. La charia redéfinit
et rééquilibra les rôles respectifs des époux, au sein de la famille, afin que chacun d’eux
puisse assumer pleinement les responsabilités qui lui étaient attribuées, et contribuer de
manière efficace à l’épanouissement de la cellule familiale et à la consolidation des assises de
la communauté.

Les autorités politiques et religieuses des pays musulmans insistent, à cet égard, dans les
documents qu’elles soumettent à des organismes internationaux spécialisés, tels que le
« Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes » de l’ONU
(CEDAW), sur le fait que « le Coran et la Sunna contiennent des règles qui ne souffrent
d’aucune ambiguïté en faveur de la non-discrimination entre les hommes et les femmes,
visant à s’assurer que les femmes jouissent des mêmes droits et responsabilités (que les
hommes), sur une base d’égalité. » Elles ajoutent que « si une femme est victime de
discrimination ou d’une injustice, les lois du pays exigent qu’on la rétablisse dans ses droits. »

Néanmoins, en ce début du 21è siècle, les associations féminines opérant dans le domaine des
droits des femmes, ainsi que les différents organismes internationaux spécialisés en la matière,
estiment que le statut de beaucoup de femmes reste peu enviable, dans de nombreux pays
musulmans. Les femmes dont ces associations s’occupent vivent dans des foyers caractérisés
par l’oppression, l’exploitation, le mauvais traitement, la menace constante de répudiation, la
polygamie, la violence domestique, les « crimes d’honneur », le mariage « misyar », etc. Elles
sont, de même, victimes de pratiques discriminatoires sur le lieu de travail, que ce soit au
niveau de l’emploi, du statut, du niveau de rémunération et de responsabilités exercées, des
promotions, etc., sans parler des cas de harcèlement sexuel.

Ainsi, à l’occasion de la soumission par l’Arabie Saoudite à la CEDAW, en 2007, de son


premier rapport sur la condition de la femme en Arabie Saoudite, un groupe de femmes
s’identifiant comme « Women for reform » (Femmes pour la Réforme) fit parvenir
anonymement à la CEDAW un « shadow-report » (contre-rapport) de 75 pages détaillant
toutes les difficultés auxquelles les femmes saoudiennes étaient confrontées, de manière
routinière, dans tous les aspects de leur vie quotidienne.

Ce rapport dénonce la ségrégation totale qui existe entre les sexes, et toutes les conséquences
négatives qui s’ensuivent pour les femmes, dans tous les aspects de leur vie. « Women for
reform » expliquent, avec force détails, que les femmes saoudiennes vivent littéralement
« sous tutelle » d’un mâle et, « sans la permission de son « tuteur », une femme ne peut ni
étudier, ni accéder aux soins médicaux, ni se marier, ni voyager à l’étranger, ni gérer des
affaires, ni faire pratiquement quoi que ce soit de significatif… »

En réponse à ces observations, les autorités politiques et religieuses d’Arabie Saoudite


répliquent qu’elles ne font preuve d’aucune discrimination dans leur manière de traiter les
femmes. Elles se contentent d’appliquer les règles de la charia. Elles expliquent qu’en
appliquant à chacun des deux sexes les règles de la charia qui le concernent, les autorités
politiques ne bafouent les droits d’aucun individu, qu’il soit mâle ou femelle. Elles font, tout
simplement, preuve d’une conception des droits humains qui est différente de celle des pays
occidentaux.

Mais, est-ce vraiment le cas ? On peut se poser honnêtement la question, sur la base des deux
exemples suivants. Ils illustrent ce que beaucoup de personnes peuvent considérer comme des
abus dont les autorités font preuve, dans certains pays musulmans et dans certaines situations,
quand elles confondent ce qui relève, à proprement parler, des coutumes et traditions du pays
et ce qui peut être attribué, à juste titre, à la charia.

Par exemple, la charia interdit-elle à la femme de conduire un véhicule, comme l’ont affirmé
pendant les deux dernières décennies les autorités politiques saoudiennes, sur la base d’une
fatwa du Grand Mufti du pays ? La situation était étonnante, dans la mesure où aucun autre
pays musulman n’interdit à la femme de conduire un véhicule. Le raisonnement du Grand
Mufti, pour justifier l’interdiction, est également inattendu : en sortant seule dans son
véhicule, la femme serait confrontée à toutes sortes de tentations peu recommandables,
auxquelles elle risquerait de succomber.

Aujourd’hui, les dirigeants du pays affirment, au plus haut niveau, qu’il s’agit d’une simple
« question de société » sans rapport avec la religion, et qui doit être réglée par consensus, dans
le cadre de discussions au sein des familles et des groupes sociaux. Mais, à ce jour, et malgré
les déclarations de certaines personnalités, les femmes ne sont toujours pas autorisées à
obtenir un permis de conduire, parce que des groupes saoudiens puissants s’opposent à toute
modification du statu quo.

La question de la « khulwa », dans certains pays du Moyen Orient, pourrait également relever
de ce genre de cas. Les médias internationaux ont rapporté, en février 2008, l’histoire de Yara,
une saoudienne de 40 ans, mariée et mère de 3 enfants, cadre supérieur d’une grande société
financière, qui fut arrêtée par des membres de la « Commission pour la promotion de la vertu
et la prévention du vice », alors qu’elle prenait un café avec un collègue, en public, dans un
établissement réputé de la chaîne Starbucks, à Riyad, en attendant le début d’une conférence
professionnelle organisée par ses employeurs.

Elle fut détenue pendant plusieurs heures dans une isolation totale, à la prison de Riyad. Son
téléphone lui fut confisqué, et elle dut « confesser » par écrit, sous la contrainte, avoir commis
la faute de « khulwa », parce qu’elle s’était assise à la même table qu’un homme, sans la
présence d’un « mehrem », (c’est-à-dire un proche parent qu’elle ne pouvait pas épouser,
chargé de surveiller sa conduite). Un interlocuteur invisible lui répéta comme une litanie,
pendant tout son temps de détention, qu’elle était une femme de mauvaise vie.

La faute de « khulwa » est habituellement sanctionnée, dans les pays du Golfe, de 80 à 160
coups de fouet et de 3 à 6 mois de prison ferme. Yara ne put ressortir de prison, et échapper à
une telle sanction, que grâce aux interventions de son mari en haut lieu.

Mais, existe-t-il vraiment en droit musulman une faute de « khulwa » sanctionnée par la
charia, comme l’affirme le Ministère de la Justice saoudien ? Ou bien s’agit-il de simples
coutumes et traditions locales, confondues à tort avec la religion, comme l’affirment les
associations de défense des droits des femmes, qui observent qu’il n’existe aucune mention de
la « khulwa » dans le Coran, et que de nombreux pays musulmans (comme ceux d’Afrique du
Nord) ne font aucune référence à une « infraction » de « khulwa » dans leur application de la
charia ?

Les juristes musulmans ne s’étonnent guère de l’existence de pratiques différentes, dans


l’application de la charia, d’un pays musulman à l’autre. L’existence officielle de 4 rites
différents dans l’islam sunnite (Abu Hanifa, Chafii, Malik, Ibn Hanbal), et d’un rite shiite
principal les a habitués à la confrontation, sur de nombreux points de droit, de raisonnements
juridiques complexes, aboutissant à des conclusions différentes selon les rites. Ils savent
également que, dans chaque pays qui a codifié le droit civil sous forme d’une
« moudawwana » nationale, les autorités politiques et religieuses du pays interprètent
différentes dispositions de la charia selon leur propre conception des choses, même au sein du
même rite.

La comparaison des « moudawwanas » adoptées en Egypte en 2000 et au Maroc en 2004


témoigne, ainsi, des divergences importantes dont les juristes musulmans peuvent faire preuve
dans l’interprétation de la charia, même s’agissant de pays musulmans à culture relativement
comparable.

Les juristes s’enorgueillissent de cette flexibilité du droit musulman, qu’ils considèrent


comme une bénédiction du ciel, et une preuve de sa vitalité et de sa capacité à s’adapter aux
besoins de tous les musulmans, en tous temps et en tous lieux.

Les associations féminines musulmanes devraient également se réjouir de cette flexibilité,


grâce à laquelle elles peuvent espérer accomplir des progrès considérables dans la protection
des droits des femmes dans les pays musulmans, dans le respect aussi bien de la lettre que de
l’esprit de la charia.

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