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Maladies infectieuses

B 196

Infections des parties molles


par les germes anaérobies
Étiologie, diagnostic, traitement
Dr Irène JARRIN, Dr Bertrand GACHOT
Service des maladies infectieuses et tropicales (Pr B. Dupont), hôpital de l’Institut Pasteur, 75724 Paris cedex 15

Points Forts à comprendre létale, nécrosante, et hémolytique. Les Clostridium sont


des bactéries gazogènes et non pyogènes ;
• les germes anaérobies non sporulés, moins virulents, ne
• Les infections des parties molles à germes possédant pas de toxine, mais dont le pouvoir pathogène est
anaérobies sont graves et constituent une urgence lié à la production d'enzymes – protéinases, hyaluronidase
infectieuse médico-chirurgicale, le principal (entraînant un clivage des structures de soutien), fibrinoly-
facteur pronostique restant le délai de prise en sine, coagulase – et de facteurs anti-phagocytaires. On
charge. Ce sont la plupart du temps des infections retrouve dans ce groupe des cocci à Gram-positif (Peptos-
polymicrobiennes, mixtes aéro-anaérobies, ce que treptococcus, Peptococcus) ou négatif (Veillonella) et des
doit prendre en compte l’antibiothérapie bacilles à Gram-positif (Propionibacterium acnes, Actino-
empirique initiale. La moindre suspicion clinique myces) ou négatif (Bacteroides, Prevotella, Fusobacterium).
impose une exploration chirurgicale qui Il est important de souligner que les infections des parties
confirmera le diagnostic. À côté de la chirurgie, de molles à germes anaérobies sont, en dehors de la myoné-
l’antibiothérapie adaptée et du traitement crose le plus souvent monomicrobiennes, clostridiales, de
symptomatique, l’oxygénothérapie hyperbare fait véritables infections mixtes, polymicrobiennes. Ainsi, il
partie intégrante de la prise en charge est également fréquent de mettre en évidence, à côté de
thérapeutique pour de nombreux auteurs, sans plusieurs anaérobies, la présence de germes aérobies à
oublier le traitement de la porte d’entrée. Gram-positif (staphylocoques, streptocoques) ou à Gram-
négatif (entérobactéries, Haemophilus, Pseudomonas),
ceux-ci favorisant eux-mêmes, en diminuant le potentiel
Les infections anaérobies des tissus mous sont peu fré- d'oxydo-réduction locale, la multiplication des germes
quentes mais graves, constituant une véritable urgence anaérobies. Il existe donc une véritable synergie bacté-
infectieuse. Elles sont polymorphes, tant par leur présen- rienne, dont un autre exemple est représenté par les Bac-
tation clinique (myonécrose, fasciite), que d'un point de teroides qui ont la capacité d'inhiber le pouvoir phagocy-
vue bactériologique. Le diagnostic doit en être évoqué rapi- taire des polynucléaires vis-à-vis des germes aérobies,
dement afin d'assurer une prise en charge médico-chirur- favorisant à leur tour leur croissance.
gicale immédiate.
2. Facteurs favorisants
Tout ce qui entraîne une hypoxie ou une ischémie tissu-
Étiologie laire est susceptible de favoriser ce type d'infections (angio-
pathie diabétique, athérome, lésions œdémateuses, pré-
1. Bactériologie sence d'un corps étranger, intervention chirurgicale, froid,
Les bactéries anaérobies sont incapables de pousser en prolifération néoplasique) ainsi que le développement d'une
atmosphère contenant plus de 20 % d'oxygène. En fonc- infection à germes aérobies. De même, un terrain prédis-
tion de leur degré de tolérance, on distingue les germes posant est le plus souvent retrouvé : dénutrition, éthylisme
« EOS » (extrêmement sensible à l'oxygène), les anaéro- chronique, granulopénie, traitement immunosuppresseur.
bies stricts et les anaérobies facultatifs. Parmi les germes La contamination est externe, par inoculation directe d'une
anaérobies, on différencie : plaie souillée, ou interne, par effraction des muqueuses,
• les germes sporulés : du genre Clostridium (perfringens, mettant alors en continuité une cavité septique avec des tis-
septicum, novyi, bifermentens), bacilles à Gram-positif sus normalement stériles.
retrouvés dans le sol ou le tube digestif de l'homme ou des
animaux, dont la pathogénicité est liée à la production 3. Classification
d'exotoxines : exemple de la toxine α de C. perfringens, Différentes classifications sont utilisées, essayant de

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prendre en compte la variabilité des germes, la nature du tridiale d’une myonécrose non clostridiale, les signes géné-
tissu infecté, les particularités liées à la localisation de l'in- raux et locaux sont souvent plus précoces et plus marqués
fection. En pratique, il n'est pas toujours évident de dis- dans le premier cas. L’odeur putride de l’exsudat, par
tinguer cliniquement une fasciite d'une cellulite progres- ailleurs pauvre en polynucléaires neutrophiles et présen-
sive ; en outre, l'évolution d'une forme à une autre est tant des bacilles à Gram-positif à l’examen direct, est éga-
toujours possible au cours du temps. La classification ana- lement fortement évocatrice du premier diagnostic.
tomo-clinique distingue, en fonction du tissu primitivement – L’intervention chirurgicale confirme le diagnostic, en
touché, et du mode évolutif : les myonécroses (atteinte pri- retrouvant des masses musculaires œdématiées, pâles ou
mitive du muscle), clostridiales ou non ; les cellulites brunâtres, atones, saignant peu au contact. La peau et les
(atteinte des tissus sous-cutanés et des fascias), nécrosantes tissus sous-cutanés, initialement normaux, sont atteints de
si le mode évolutif est aigu ou progressives dans le cas façon secondaire.
contraire. Finegold propose en outre une classification cli- – Les diagnostics différentiels (érysipèle, phlébothrom-
nico-bactériologique en 5 entités : cellulite clostridiale, bose) ne posent en général aucun problème étant donné
myonécrose clostridiale, myosite streptococcique anaéro- l’aspect local et l’importance des signes infectieux. On
bie, fasciite nécrosante, cellulite nécrosante synergistique. retiendra, par ailleurs, en faveur d’une cellulite à germes
Ces classifications ont, néanmoins, un certain nombre de anaérobies, le caractère plus modéré des signes généraux,
caractères en commun, qui permet de les regrouper dans l’évolution plus lente et la moindre tendance au décolle-
un même cadre nosologique : caractère non limité de l'in- ment sous-cutané lors des constatations chirurgicales.
fection ; absence de pus franc ; caractère nécrosant de ce – Il existe une forme particulière de myonécrose, sponta-
type d'infections, lié à des phénomènes thrombotiques mul- née, sans porte d’entrée retrouvée, dont plusieurs cas ont
tiples au niveau des petits vaisseaux. été décrits à C. septicum, invitant alors à rechercher une
pathologie tumorale sous-jacente, notamment iléo-colique.
C. septicum serait plus aérotolérant que C. perfringens et
Diagnostic la dose infectante nécessaire serait moins grande, d’où une
plus grande toxicité.
1. Formes cliniques – La mortalité de la gangrène gazeuse varie selon les études
• Myonécrose à germes anaérobies : la myonécrose à de 5 à 31 %, les principaux facteurs pronostiques étant le
germes anaérobies, ou gangrène gazeuse, est le plus sou- retard diagnostique, l’âge avancé, l’extension au tronc et
vent clostridiale (80 à 90 %) mais peut se voir avec d'autres le caractère spontané.
germes (Bacteroides ou streptocoques anaérobies). Elle • Cellulites nécrosantes à germes anaérobies : on
implique une atteinte musculaire initiale. Son incidence regroupe, sous ce terme, les infections des tissus sous-cuta-
reste faible (0,1-0,4 pour 100 000) mais en recrudescence nés diffusant le long des fascias, avec atteinte secondaire
actuelle, parallèlement avec la traumatologie routière. Elle de la peau. Il n’y a pas en pratique d’atteinte musculaire,
est le plus souvent d'origine traumatique, parfois post-chi- hormis comme complication tardive. Elles font souvent
rurgicale ; rarement, elle fait suite à un geste infectant suite à un traumatisme local avec une contamination poly-
(injection intramusculaire ou intra-articulaire de corticoïdes microbienne d’origine endogène. Il en existe plusieurs
ou d'anti-inflammatoires non stéroïdiens). Elle peut sur- formes cliniques, en fonction de la localisation :
venir enfin suite à une contamination d'ulcères ou d'escarres – Cellulites périnéales. Initialement décrite en 1883, la gan-
(pied du diabétique notamment). La contamination se fait grène de Fournier correspondait à une nécrose du scrotum
rarement par une flore endogène, contrairement aux cellu- et du fourreau de la verge, en apparence primitive, surve-
lites nécrosantes, mais par une flore exogène d'origine tel-
lurique à partir d'une plaie souillée.
– Le délai d'apparition varie de quelques heures à un ou
deux jours, le plus souvent très court, entre 12 et 24 heures
avec un mode évolutif aigu. Le premier signe et le plus
constant est la douleur locale qui se majore rapidement
pour devenir intolérable. La peau, à ce stade est encore peu
inquiétante, pâle, tendue, ou discrètement érythémateuse,
froide ; puis apparaissent un œdème, un exsudat avec issue
de sérosités dont l'odeur fétide doit interpeller, et une cré-
pitation au palper.
– L'évolution non traitée se fait par une extension locale
rapide : la peau prend un aspect « bronzé » avec des zones
nécrotiques et des bulles sérosanglantes (fig. 1), parallèle-
ment à l’apparition de signes généraux : hyper- ou hypo-
thermie, tachycardie, hypotension, agitation, oligurie,
ictère, état de choc, autant de signes évoquant un état sep- 1
Gangrène gazeuse de cuisse après traumatisme minime.
tique grave, conduisant au décès du patient. Si clinique- Flore polymicrobienne dont E. coli, E. foecalis, Bacteroïdes
ment, il est difficile de différencier une myonécrose clos- distasonis et C. perfringens.

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nant chez le sujet jeune et bien portant. Actuellement, cette lité moyenne est de 21 %, plus élevée chez le diabétique,
pathologie est la plus souvent rencontrée chez le sujet âgé, l’éthylique, et en cas d’infection initiale colorectale (pré-
une cause est retrouvée dans 95 % des cas et le terme de sentation atypique à l’origine d’un retard diagnostique).
gangrène de Fournier englobe dorénavant les fasciites – Cellulites cervico-faciales. Elles font suite le plus sou-
nécrosantes des régions génitales, périnéales, et périrec- vent à un abcès ou une extraction dentaire (2e et 3e molaires
tales. C’est une pathologie potentiellement létale caracté- inférieures surtout), parfois à une infection rhinopharyn-
risée par un début brutal et une nécrose rapidement pro- gée (angine, phelgmon amygdalien), plus rarement à un
gressive des tissus sous-cutanés par un mécanisme traumatisme (fracture mandibulaire) ou à une intervention
d’endartérite oblitérante. L’infection est mixte, chaque bac- chirurgicale. La richesse des flores buccales et pharyngées
térie impliquée ayant une pathogénicité limitée mais agis- en germes anaérobies expliquent la possibilité de telles
sant de façon synergique, pour aboutir à une infection infections. Là encore, la flore responsable est mixte. La
sévère. Les germes les plus souvent rencontrés sont : Esche- gravité de cette pathologie s’explique en majeure partie par
richia coli, Streptococcus, Klebsiella, Enterobacter, Bac- la possibilité d’une extension médiastinale, du fait de l’ab-
teroides et Clostridium. Ces germes font partie de la flore sence de barrière anatomique s’opposant à la progression
commensale normale urétrale, rectale ou cutanée. En du processus infectieux.
moyenne, quatre germes sont associés. Cliniquement, les signes initiaux se résument à ceux de
Les étiologies sont multiples : infections anorectales ou l’affection causale, précédant un œdème extensif qui donne
génito-urinaires ; traumatismes locaux iatrogènes (biopsie alors un aspect empâté à la région sous-maxillaire. La peau
prostatique) ou non (folliculites) ; postchirurgicales (cure devient érythémateuse et la douleur est intense. L’existence
de fistule anale) ; complications d’hémorroïdes. Un terrain d’un œdème laryngé latéral ou postérieur conditionne le
prédisposé est par ailleurs le plus souvent retrouvé : dia- pronostic immédiat, par le risque d’asphyxie aiguë qu’il
bète, pathologie tumorale, âge avancé, éthylisme, immu- entraîne.
nodépression, cirrhose, insuffisance rénale. L’extension de la fasciite se fait différemment en cas d’ori-
Cliniquement le début est insidieux, marqué par des signes gine dentaire ou pharyngée : en règle générale, en cas de
aspécifiques : malaise, irritabilité, gêne ou douleur scrotale foyer dentaire, sont atteints successivement : les espaces
lancinante. Puis, apparaissent un œdème scrotal doulou- sous-maxillaires, sous-mandibulaires et sublingual. À ce
reux, une tuméfaction périnéale, une suppuration et une stade, si l’atteinte est bilatérale, on parle d’angine de Lud-
crépitation parallèlement, là encore, à l’installation de wig. De là, l’infection peut facilement gagner le médiastin
signes généraux. La rapidité de progression de l’infection par les espaces latéropharyngé, puis rétropharyngé.
s’explique par les liens anatomiques étroits existant entre Lorsque l’origine de l’infection est amygdalienne, c’est
les différents fascias du périnée (fascia de Colles en arrière, l’espace latéropharyngé atteint le premier.
de Scarpa en avant, de Buck et Dartos autour des organes Dans tous les cas, le risque d’atteinte médiastinale (pleu-
génitaux externes). résie, empyème, péricardite, médiastinite), rend l’examen
Une fois le processus engagé, l’extension est donc rapide tomodensitométrique cervico-thoracique à visée diagnos-
conduisant à une atteinte locale sévère (fig. 2) et à une dété- tique quasi systématique en préopératoire dans la mesure
rioration clinique, marquée par un état de choc parfois irré- où la clinique et même l’exploration chirurgicale peuvent
versible. On notera néanmoins que, si l’atteinte des tissus être prises en défaut (fig. 3 et 4). De même, on aura ten-
pelviens et périnéaux peut être massive, la vessie, le rec- dance à répéter cet examen au cours de l’évolution, de façon
tum et les testicules sont le plus souvent épargnés car sous systématique pour certains, au moindre signe d’appel pour
la dépendance d’un réseau vasculaire différent. La morta- d’autres.
La mortalité varie entre 22 et 50 % avec comme principales
causes une défaillance multiviscérale ou un choc septique
et une asphyxie par obstruction des voies aériennes. Les
principaux facteurs de mauvais pronostic sont l’âge, l’exis-
tence d’un diabète, l’apparition d’un choc septique dans
les 24 premières heures, l’existence d’une coagulopathie,
l’extension au médiastin et là encore le retard thérapeu-
tique.
• Cellulites progressives à germes anaérobies. L’atteinte
infectieuse est limitée dans ce cas aux tissus sous-cutanés ;
les fascias profonds sont épargnés. L’infection se développe
après chirurgie abdominale ou thoracique, à partir d’un ori-
fice de drainage d’un abcès, d’un orifice de colostomie, ou
encore spontanément sans lésion primitive décelable.
L’évolution est beaucoup plus progressive, l’extension sou-
2 vent limitée au tiers superficiel des tissus sous-cutanés, les
Gangrène de Fournier après sondage urinaire traumatique.
Flore polymicrobienne à l’examen direct, culture négative sous manifestations générales rares. La clinique est avant tout
antibiothérapie. Évolution favorable sous traitement médico- marquée par des signes locaux : existence d’une zone cen-
chirurgical. trale indurée évoluant progressivement vers la nécrose puis

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2. Diagnostic
Il est avant tout clinique et la réalisation d’examens com-
plémentaires ne doit pas retarder la prise en charge théra-
peutique. Dès le diagnostic suspecté, on effectuera :
– Un bilan biologique à la recherche d’un syndrome infec-
tieux et de signes de gravité : numération formule sanguine,
fonction rénale, ionogramme sanguin, bilan hépatique,
enzymes musculaires, lactates, bilan d’hémostase, gaz du
sang, protides, calcémie.
– Un bilan radiologique : radiographie de thorax, radio-
graphie des zones touchées (ces dernières peuvent parfois
mettre en évidence des bulles ou des traînées gazeuses au
sein des parties molles). Un examen scanographique est
utile dans certaines localisations (cellulites cervico-
faciales). L’imagerie par résonance magnétique peut être
3 utile en cas de doute diagnostique. Elle retrouve dans les
Cellulite cervico-faciale compliquant un phelgmon amyg- cellulites nécrosantes un hypersignal au niveau des fascias
dalien. Scanner cervical mettant en évidence une collection atteints sur les séquences acquises en T2 alors que ceux-ci
abcédée. Flore polymicrobienne à l’examen direct, culture paraissent sains en cas d’érysipèle par exemple.
négative sous antibiothérapie. – Un bilan bactériologique qui sera poursuivi en peropé-
ratoire : hémocultures, et surtout prélèvements de toute
sérosité. Ces derniers seront effectués de façon stricte, à la
seringue avec ensemencement rapide sur milieu anaérobie
et acheminement dans les plus brefs délais au laboratoire
de bactériologie.

Traitement
Quelle que soit la localisation, le traitement de toute infec-
tion des parties molles à germes anaérobies constitue une
urgence médicochirurgicale, le délai de prise en charge
constituant le principal facteur pronostique. La prise en
charge sera au mieux réalisée en milieu spécialisé et com-
porte, outre les mesures de réanimation générale, trois
volets majeurs : l’antibiothérapie, la chirurgie, l’oxygéno-
thérapie hyperbare.
4
Même malade que la figure 3. Extension médiastinale au 1. Antibiothérapie
scanner thoracique. Évolution lentement favorable après drai-
nage par thoracotomie. Instaurée en urgence, l’antibiothérapie empirique doit
prendre en compte le caractère souvent polymicrobien

l’ulcération ; à ce stade il peut déjà exister des bourgeons


de granulation ou des îlots d’épidermisation. La zone péri-
phérique est érythémateuse, parfois précédée d’une zone
intermédiaire pourpre, douloureuse et hyperesthésique.
L’évolution se fait sur plusieurs jours avec une diffusion
sous-cutanée responsable de lésions satellites. Les com-
plications sont exceptionnelles. Le traitement associe un
drainage chirurgical et une antibiothérapie adaptée.
• Infections des parties molles abdominales (fig. 5). La
paroi abdominale peut être indifféremment le siège de cel-
lulites progressives, de fasciites nécrosantes ou même de
myonécrose. L’étiologie est le plus souvent postchirurgi-
cale, notamment quand il existe une ouverture de l’intes- 5
tin ou des voies biliaires. Il faudra toujours rechercher un Gangrène gazeuse abdominale à C. perfringens après abord
foyer localisé intra-abdominal ou une péritonite associée. chirurgical du pédicule hépatique.

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aéro-anaérobie de ce type d’infection et la possibilité de


germes anaérobies résistants à la pénicilline. L’adaptation
secondaire est souvent discutable compte tenu des diffi-
cultés habituelles d’isolement des germes anaérobies, a for-
tiori si les prélèvements ont été effectués après l’initiation
de l’antibiothérapie.
Le site de l’infection (germes aérobies associés) condi-
tionne le choix de l’antibiothérapie initiale. Dans les cel-
lulites cervico-faciales, l’association amoxicilline-acide
clavulanique (Augmentin) est l’antibiothérapie empirique
de choix ; l’adjonction de métronidazole (Flagyl) ou d’or-
nidazole (Tibéral) est théoriquement redondante au plan
du spectre, mais ces dérivés possèdent une excellente dif-
fusion tissulaire qui les font volontiers utiliser. L’intérêt de
la clindamycine (Dalacine), à bonne activité anti-anaéro- 6
Même malade que la figure 1. Premier temps chirurgical.
bies et à forte diffusion tissulaire, est également à souli-
Évolution initiale favorable. Décès après plusieurs semaines de
gner. Dans les cellulites abdomino-périnéales et de proxi- réanimation.
mité (membre inférieur), l’antibiothérapie empirique doit
prendre en compte les entérobactéries : place des associa-
tions pipéracilline-tazobactam (Tazocilline) + aminoside
ou imipénème (Tiénam) + aminoside ; la même remarque
que précédemment peut être faite concernant l’adjonction
initiale de métronidazole.
La durée de l’antibiothérapie varie selon l’évolution, en
pratique 10 à 15 jours.

2. Traitement chirurgical
Le traitement chirurgical doit être précoce et n’être différé
sous aucun prétexte. Il sera au mieux réalisé par une équipe
habituée et entraînée. Le geste chirurgical a un triple inté-
rêt : diagnostique, retrouvant les lésions typiques et en réa-
lisant le bilan d’extension exact, le degré d’extension de
l’infection sous-jacente ne pouvant en aucun cas être estimé
par l’atteinte en surface des tissus cutanés ; bactériologique,
permettant des prélèvements locaux avec mise en culture 7
Même malade que la figure 5. Péritonite généralisée d’ori-
de collections purulentes et analyse bactériologique tissu- gine biliaire. Évolution défavorable malgré une chirurgie déla-
laire ; curatif, un débridement chirurgical suffisant et cor- brante, une antibiothérapie d’emblée adaptée et l’oxygénothé-
rectement réalisé conduisant souvent rapidement à une rapie hyperbare.
amélioration du patient. La chirurgie permet, en outre, de
diminuer les phénomènes compressifs, responsables en par-
tie de l’ischémie et de l’hypoxie (favorisant eux-mêmes la
pullulation microbienne et la moindre diffusion des anti- tidienne, voir pluriquotidienne, au bloc opératoire, pour
biotiques). Des principes généraux restent valables quelle excision de nouveaux tissus nécrosés, mise en place de nou-
que soit la localisation : premier temps exploratoire avec veaux drains et irrigation large. La fréquence des panse-
bilan d’extension et prélèvements bactériologiques ; éva- ments sera progressivement diminuée en cas d’évolution
cuation des débris et des corps étrangers ; excision de tous favorable pour servir par la suite à une attitude de cicatri-
les tissus nécrosés et débridement des zones sous tension, sation dirigée. À distance, une chirurgie reconstructrice par
sans craindre un sacrifice trop important (l’expérience greffe cutanée et lambeaux musculaires sera réalisée le cas
montre en effet qu’un débridement initial inadéquat échéant. Il persiste souvent des séquelles esthétiques et (ou)
conduira à des procédures ultérieures encore plus muti- fonctionnelles.
lantes – en général, tant que la peau et les tissus sous-cuta- Il existe, par ailleurs, des aspects propres à certaines loca-
nés sont facilement clivables du fascia, c’est que la fasciite lisations. Dans les cellulites pelviennes, le drainage uri-
est présente (fig. 6) ; évacuation des collections purulentes, naire par cathétérisme suspubien en sonde urinaire, en fonc-
des hématomes et lavage abondant, hémostase complète ; tion des équipes, est le plus souvent nécessaire. De même,
drainage de toutes les zones infectées par de multiples une colostomie sera réalisée en cas d’infection de la zone
lames, en laissant souvent la plaie largement ouverte ; trai- anorectale ou dans toute atteinte pelvienne pour d’autres.
tement indispensable de la porte d’entrée (péritonite en cas Enfin, le problème de l’amputation peut se poser dans la
de cellulites abdominales, fig. 7). myonécrose de membre, constituant parfois le seul geste
Les pansements seront initialement réalisés de façon quo- salvateur.

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3. Oxygénothérapie hyperbare 4. Mesures générales


Si l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare a fait la La prise en charge médico-chirurgicale, urgente, se fera en
preuve de son efficacité dans des modèles expérimentaux milieu de réanimation et si possible dans une structure pos-
de gangrène gazeuse chez la souris et le chien, aucune étude sédant une unité de traitement hyperbare. Les mesures
contrôlée n’a été conduite chez l’homme. Elle reste néan- générales seront rapidement mises en œuvre afin de res-
moins de mise dans les gangrènes gazeuses et est recom- taurer le cas échéant les conditions circulatoires, d’assurer
mandée par beaucoup d’équipes dans les autres infections l’équilibre hydroélectrolytique et acido-basique. La prise
des parties molles à germes anaérobies. Les effets béné- en charge de toute défaillance viscérale se fera de manière
fiques de l’oxygénothérapie hyperbare s’expliquent d’une habituelle. Enfin, on n’oubliera pas des apports nutrition-
part, par l’augmentation de la pression partielle en oxygène nels adaptés, préférentiellement par voie entérale, un trai-
permettant une meilleure diffusion péricapillaire de l’oxy- tement analgésique adéquat faisant le plus souvent appel
gène et donc une restitution de pressions normales au sein aux dérivés morphiniques et l’immunisation antitétanique
de zones préalablement hypoxiques (récupération du pou- en cas de vaccination douteuse ou ancienne. La prise en
voir bactéricide des polynucléaires et effet direct de fortes charge de tels patients est donc lourde, difficile, nécessi-
concentrations d’oxygène sur certains agents bactériens) ; tant le plus souvent un support ventilatoire prolongé. ■
d’autre part par un effet eutrophique et cicatrisant ; enfin,
par un effet bénéfique sur l’angiogenèse, permettant une Remerciements : Les auteurs remercient vivement le professeur François
Vachon, les photos illustrant cet article ayant été prises de 1991 à 1995
majoration de la microcirculation et donc une augmenta- dans la clinique de réanimation des maladies infectieuses de l’hôpital
tion de la diffusion des antibiotiques au site d’infection. Bichat-Claude-Bernard.
En pratique, l’oxygénothérapie hyperbare sera le plus sou-
vent instituée si elle ne retarde pas le geste chirurgical, si
son accès est facile et que le déplacement du patient vers
un centre équipé ne retarde en rien la prise en charge et
enfin si le patient est stable au plan hémodynamique. Il POUR EN SAVOIR PLUS
existe peu de contre-indication (en dehors du pneumotho- Mathieu D, Neviere R, Changnon JL, Wattel F. Les infections anaé-
rax, de l’emphysème et de l’épilepsie) et son utilisation est robies des tissus mous. Réan Urg 1994 ; 3 : 435-9.
pratiquement dépourvue d’effets secondaires hormis le Clair B, Gajdos P. Infections des parties molles par les germes
risque de crise convulsive hyperoxique et de barotrauma- anaérobies. In : Société de Réanimation de Langue Française, ed.
Actualités en Réanimation et Urgences. Paris : Arnette Blackwell,
tisme pulmonaire ou ORL. Les modalités d’application 1997 : 333-46.
comprennent le plus souvent 3 séances de 90 minutes à Wattel F, Mathieu D, Nevière R. Place de l’oxygénothérapie
–3 ATA le premier jour sous une FI02, à 100 % puis deux hyperbare dans le traitement des infections aiguës à germes anaé-
séances par jour par la suite, la durée étant fonction des robies. Chirurgie 1992 ; 118 : 615-20.
équipes et de l’état de cicatrisation.

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