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Le choix du juge.

L’ambiguïté de l’intitulé du sujet réside dans le fait qu’il peut faire référence à la désignation
du juge mais aussi au choix que ce dernier opère lors de la prise de décision.
A la réflexion l’on peut se demander si les deux (désignation ; décision) ne sont pas liés. Mais
s’ils le sont c’est l’indépendance de la magistrature qui est en cause. Le sujet tâchera de traiter
les deux.
Le choix du juge recouvre la désignation, et la décision de celui-ci.

Lorsque l’on reprend la Justice de Salomon, on s’aperçoit que cette justice est le lieux des
choix, le choix du juge est envisagé dans ces deux dimensions, lesquelles sont mises en
étroites connexion.
« Donnez à la première, le bébé vivant », c’est là le choix fait par Salomon ? Lequel se justifie
par un supplément laconique… « C’est elle qui est la mère… ». La seule utilité de cette
précision est la motivation de son choix.
Or ce n’est pas sur ces paroles que se conclue le texte ; la conclusion semble d’ailleurs
décalée, lointaine. Car le passage conclue par « Tout Israël entendit parler de ce jugement
qu’avait rendu le roi et l’on craignit le roi, car on avait vu qu’il y avait en lui une sagesse
divine pour rendre la justice. »
Le roi apparaît donc comme le choix de D…
Ainsi comprise, cette conclusion justifie une seconde fois le choix de Salomon, le choix du
juge qui répond au choix de D… Suprême Juge.
S’il a bien choisi entre les femmes, c’est que lui-même a bien été choisi parmi les Hommes.
Ce rapprochement entre les deux choix est lourd de conséquences judiciaires, politiques.
Le choix du juge (désignation) conditionne-t-il le choix du juge (se décision) ?

Le choix (désignation ; décision) porte à s’interroger sur le rapport souvent plus politique que
juridique qui relie ces deux choix.

Idéalement l’ambiguïté ne devrait pas se résoudre. La désignation du juge ne devait pas avoir
d’effets sur sa décision. Pourtant l’ambiguïté disparaît parfois. Le premier choix motive
parfois le second. L’histoire met en garde contre cette confusion.

I) Le choix du Juge dans l’histoire moderne.

Depuis le Moyen-âge, et l’Ancien Régime, le roi, source de toute justice, tient aussi le
monopole de la désignation des charges et presque toutes les charges judiciaires sont érigées
en offices. Ce mouvement s’amplifie au cours de trois derniers siècles de l’Ancien Régime.
Le juge est choisi par le roi.

A) La désignation royale du juge.

L’office permettant d’accéder à la magistrature est exclusivement obtenu par des lettres
royaux (lettres étant ici au masculin). Ce titre est un dépôt de l’autorité royale, les officiers
sont nommés par le roi. « Nommé tant qu’il Lui plaira ». Ce choix du roi ouvert à l’origine, se
limite assez vite, le roi ne revient pas sur ces nominations et cette absence de sanctions
accélère une situation acquise. L’inamovibilité s’impose de plus en plus. Le roi s’interdit de
déplacer, révoquer un officier de sur sa simple volonté. L’officier commence à jouir s’une
situation qui le garantit même contre l’autorité royale. L’offre ne peut vaquer que par une
résignation volontaire (démission) ou à la suite de forfaiture de l’officier (forfaiture dûment
constatée par une sentence judiciaire). Au fin du XVe siècle, nombres d’agents royaux sont
inamovibles. La position sociale de l’officier royal est enviable, au point de devenir
monnayable (système de la vénalité). Vénalité occulte de la fonction, qui commence à
s’insinuer jusqu’en 1499 où Louis XII officialise et utilise la vénalité de l’office pour garantir
des revenus précieux (pour financer les campagnes militaires, et le Trésor). Ce qui a favorisé
les créations d’offices. Cette source de revenus permise par les offices est exploitée avec une
certaine ingéniosité. Les lettres de survivance vont, moyennant finance, permettre d’associer
le fils à la charge du père, du vivant de ce dernier. Père et fils se trouvent co-titulaire de
l’office. A la mort du père, le fils par cette lettre de survivance continue d’exercer sans avoir à
renouveler l’investiture. En 1597, le Parlement supprime la formalité du serment de gratuité
que les juges prêtaient depuis des décennies, alors que dans le même temps la législation
royale organise elle-même la vénalité des fonctions. Au XVIe siècle, le roi Henri III habitue
ses officiers au principe de l’hérédité, il va même, pour renflouer les finances, vendre
l’hérédité de l’office. Cette vénalité de l’office rend moins efficace le choix du juge par le roi.
Cependant, au moins théoriquement, est à ce titre, le roi est encore susceptible de peser sur la
décision, sur le choix du juge qui reste malgré tout officier royal.

B) La décision non motivée du Juge.

La motivation des décisions de justice est récente. L’histoire antérieure à la Révolution de


1789 ne reconnaît pas au juge le droit de motiver son choix. C’est le principe classique
enseigné. Le principe avant 1789 est celui de l’absence de motivations des décisions.
Malgré, ce principe classiquement enseigné, la pensée des magistrats de l’Ancien Régime
n’est pas totalement inconnue. Les critiques, les praticiens, dès le XIVe et XVe siècles
rédigent de ouvrages pour connaître les réactions de ceux qui jugent au nom du roi. Des styles
de procédures tendent à regrouper des « arrêts notables », caractéristique des différents genres
de procès jugés en Parlement. Le principe de non motivation des décisions ne cache donc pas
la connaissance précise de l’élaboration de la décision du juge. L’élaboration formelle de la
procédure au Parlement est fixée très tôt, par une Ordonnance de 1258.
Cette procédure débute devant la Grand’ Chambre (dite aussi Chambre des plaies), l’instance
commence avec la représentation des parties qui rédigent les points de l’enquête. Les parties
sont représentées par un avocat (obligatoire). La procédure se poursuit ensuite devant la
Chambre des enquêtes, qui instruit l’affaire (appelée aussi chambre des commissaires).
Laquelle porte autant sur les faits que sur le droit applicable. Et les commissaires de cette
chambre dressent un rapport des témoignages, lequel revient ensuite devant la Grand’
Chambre où se déroule alors les plaidoiries des avocats et où enfin, le juge rend sa décision.
Les registres de plaidoiries sont une source essentielle pour reconstituer les débats, retrouver
les arguments qui ont influencé le choix du juge, sa décision. Les registres de plaidoiries
montrent que le juge est sensible aux arguments de droits mais aussi à l’éloquence, au beau
raisonnement. Ces registres de plaidoiries du Parlement permettent de suivre les arguments
juridiques avancés par les parties et d’en conclure la meilleure décision. Ainsi même non
motivé, les arrêts du Parlement ne restent pas sans explications. Le suivi des registres permet
aussi d’étudier les interventions directes du roi. Lesquelles sont susceptible d’influencer le
choix du juge.
Ces interventions sont extrêmement rares. Sur le principe pourtant, le roi est source de toute
justice. Il pourrait agir immédiatement au nom de sa mission de justice. Il lui arrive
d’intervenir, par ex, pour transformer une cause criminelle en une cause civile. Le roi
cependant, ne peut annuler le procès. Lors de ces interventions royales exceptionnelles, le
Parlement respecte, suit les injonctions qui lui sont faite. Mais il les examine auparavant,
vérifie qu’elles ne contredisent pas les règles de la procédure. La Cour peut aussi aménager la
décision royale. Ex, en ne relâchant que 3 prisonniers sur 4 demandes d’élargissements
(libération). Les demandes de dessaisissement de la Cour, par les lettre royaux, font toujours
l’objet de protestations véhémentes. L’indépendance du Parlement vis-à-vis des interventions
royales est réelle. Même en cas de prévention théoriquement pourtant par la prévention, le roi
se donne le droit de se saisir d’office de l’affaire en cas de négligence ou pour motif grave.
Même dans les cas de préventions il arrive au Parlement de montrer sa mauvaise volonté, et le
roi devant ces protestations doit souvent renoncer à cette intervention. De ce fait les décisions
purement politiques du Parlement sont rares. Ces décisions politiques sont celles où la
décision, où le choix du juge, ne s’accorde pas avec la logique juridique défendue dans les
plaidoiries.

Le développement de la voie de recours extraordinaire (notamment le pourvoi) contribue à


corriger éventuellement une décision contre laquelle le roi s’opposerait. Le pourvoi en
cassation est également la cause d’une évolution concernant la motivation des arrêts. Le
Conseil du roi saisit par un pourvoi peut demander à la Cour du Parlement, Cour dont l’arrêt
est attaqué, de faire connaître es motifs qui ont fondé sa décision. Le caractère souverain du
Parlement freine théoriquement ce genre de demande. Mais pratiquement, pour examiner le
pourvoi en cassation, le principe de l’absence de motivation tend à s’assouplir. A la fin de
l’Ancien Régime, le choix, la décision du juge est mieux connue et contribue par ailleurs à l
naissance de la jurisprudence contemporaine.

II) Le choix du juge dans l’histoire contemporaine.

Au lendemain de la Révolution de 1789 la souveraineté royale est passée à la Nation. Les


prérogatives royales sont devenues prérogatives nationales. La nomination des officiers
relèvent desormais de la Nation. Les magistrats sont élus par les citoyens. Le principe de
l’élection est donc inversé. L’élection qui avec le roi, se faisait de haut en bas (du roi vers le
juge), se lit du bas vers le haut (de la nation vers le juge). Le juge est choisi par la Nation.

A) La désignation nationale du juge.

En avril 1790, l’assemblée constituante adopte le principe de l’élection des juges. Mais deux
questions surgissent immédiatement : D’une part est posée, la question de la capacité des
juges d’autre part la question celle de leur indépendance.
En ce qui concerne la capacité, la question est de savoir si les juges seront ou non des
professionnels de la justice. Il est décidé qu’une partie du personnel judiciaire sera composée
de juges professionnels. Pour le choix de ces juges, l’assemblée révolutionnaire exige plutôt
des connaissances pratiques que des diplômes, les facultés de droit sont à l’époque en
complète décadence.
En ce qui concerne l’indépendance des juges, la durée des mandats électifs est portée à 6 ans
avec possibilité de se faire réélire. Mais la tradition d’Ancien Régime résiste encore en 1790,
et c’est un compromis qui est trouvé entre la nouveauté et la tradition. Les juges éluent seront
institués par lettres patentes du roi qui ne pourra pas refuser leur institution.
Pour la forme une investiture traditionnelle s’ajoute aux principes de l’élection. La loi du 1er
décembre 1790 organise même l’élection des juges au Tribunal de cassation. Des électeurs
aux assemblées départementales sont convoqués pour désigner les 42 premiers membres du
Tribunal de cassation avec leurs suppléants. Cette désignation nationale prend un certain
temps et l’installation des premiers juges de cassation est fixée par le décret du 10 juin 1791.
Ce système révolutionnaire disparaît progressivement en 1795.
En 1795, sous le Directoire, le pouvoir exécutif commence à exercer un contrôle sur les
élections et va jusqu’à réfuter des candidats élus par la Nation mais jugés indésirables par le
pouvoir. L’idée d’un corps de juges professionnels se dessine alors dans le cadre d’une
carrière libérée des aléas du système électif.
En 1799, le Consulat ouvre la voie au système actuelle. Le choix des juges, leur recrutement
au criminel et au civil est confié au premier consul. La magistrature tend à devenir une
administration nommé et spécialisée. Sous le Premier Empire une Commission est créée en
1807 pour enquêter sur la capacité et la conduite morale des magistrats. Enquête qui est
l’occasion d’écarter 60 magistrats du corps de la magistrature. Le concours de recrutement
imaginé en 1875 n’est organisé que par le décret du 13 février 1908 ; Le pouvoir exécutif
conserve toujours une certaine influence sur le corps de la magistrature. La nomination,
rémunération, des magistrats du parquet sont totalement entre les mains de l’administration.
Pour les magistrats du siège alors même qu’ils sont inamovibles, et que leu avancement
dépendent toujours du pouvoir exécutif. Et le gouvernement peut donc privilégier ceux avec
lesquelles il est ou croit être en communauté d’opinion.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature, limite, en cette matière délicate, toutes les dérives
possibles. Le CSM a l’initiative de la désignation des Présidents de juridictions et porte un
avis sur les nominations des autres magistrats du siège.
Le magistrat du siège, en définitive, doit décider lucidement, en son âme de conscience, il doit
dépasser cette dépendance politique qui pourrait être la sienne.
Au parquet, la situation est différente, les procureurs généraux sont nommés en conseil des
ministres. Le pouvoir exécutif a le dernier mot et prime sur l’avis du CSM. Mais même là, en
dépit de cette dépendance il revient toujours aux magistrats du parquet de décider en leur âme
et conscience.
C’est cette conscience qui doit servir la motivation du choix su juge.

B) La décision motivée du juge

La constituante par la loi des 16 et 24 Août 1790 fait obligation à tous les Tribunaux de
motiver leurs jugements. La loi du 1er décembre 1790 précise pour le Tribunal de cassation les
modalités de la motivation. L’article 17 de la loi du 1er décembre 1790 prévoit que les
jugements de cassation devront comprendre dans leurs dispositifs le texte de la loi sur lequel
ils s’appuient. L’article 22 de cette même loi, ordonne l’impression de ces jugements et leur
transcription sur les registres du Tribunal dont le jugement a été cassé. Cette exigence de
transparence des décisions permet de connaître les textes appliqués par le juge qui ont
construit on choix. Or il est fréquent d’observer que le gouvernement conçoit de plus en plu
de textes, destinés au juge, particulièrement en matière pénale. Par exemple, saisi s’un procès
dont la solution dépend d’un acte administratif, le juge pénal a le devoir d’apprécier la légalité
de cet acte, dans l’hypothèse d’une réponse négative, il peut s’en écarter.
Les circulaires d’orientation générale publiques ne posent pas de difficulté car ne sont pas de
nature à contraindre le juge. De même les demandes de poursuites soumises en audience
publique à l’appréciation du Tribunal.
De même pour les réquisitions présentées par écrit au nom du Garde des Sceaux, dans ce cas
le procureur peut les critiquer publiquement, en effet sa parole est libre.
En revanche, les difficultés surgissent lorsque le gouvernement par des instructions
clandestines demande à un magistrat de na pas engager de poursuites, alors qu’une infraction
été commise et que l’auteur est identifié. Cette instruction de non poursuite est le fruit d’une
tradition qui se justifie parfois, lorsqu’il est demandé de ne pas poursuivre une infraction qui
va être légalement supprimé (ex, avant la loi légalisant l’avortement). Une telle instruction
peut aussi se comprendre par la prévention d’un trouble public qui serait plus grave que celui
causé et disparu (ex, fin d’une grève).
Mais quand cette demande de non poursuite, est pour épargner un proche du gouvernement, le
magistrat doit décider. Le magistrat peut toujours convaincre par le dialogue le gouvernement.
Peut déjouer les risques de pression, la marge d’action, réaction, d’un magistrat n’est jamais
négligeable. Le gouvernement n’est pas D…et le magistrat n’est pas Salomon.

Le choix du juge, sa désignation, ne doit donc pas conditionner son choix, sa décision de juge.
L’indépendance, la crédibilité de la magistrature sont à ce prix.

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