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Université de La Réunion

Licence 3 FLE

Le Créole à La Réunion, langue d’intégration ?


Dossier

Par : Karen Lopez, Olivier Hutin

Avril 2010
Sommaire

I. Présentation du sujet

Introduction 3
Justification du choix 3

Le constat théorique ou empirique 3


a. Le cadre historique 3
b. Le constat actuel 4

Problématique 8

Hypothèse 9

II. Appareil théorique en construction

A. cadre théorique 9
B. Appareil d’enquête en construction 11
C. Analyse des résultats envisagés 12
D. Population à considérer 14
E. Traitement des questionnaires 14

Conclusion 16

Bibliographie 17

2
I. Présentation du sujet

Introduction

Justification du choix

Le métissage à l’île de La Réunion apparaît comme le résultat de la proximité des différents


groupes culturels : bien que chaque groupe préserve son identité, aucun n’est resté enfermé
sur lui-même. Ce constat peut être fait dès qu’on arrive à La Réunion, mais petit à petit on
découvre que la culture réunionnaise est beaucoup plus complexe car bien que la plupart des
Réunionnais parlent créole, il y en a qui parlent chinois, tamoul, malgache ou mahorais dans
leur famille ou dans des groupes réduits : l’intégration de chaque groupe dans la société est
évidente mais en même temps l’existence d’une frontière entre ces groupes est très marquée.
Dans ce cadre nous nous demandons alors si la langue créole est effectivement une langue
d’intégration et pour qui. Avec quel rythme historique, uniforme et différencié selon les
groupes ? quel groupe serait exclu ou s’excluerait de lui-même de cette pratique du fait d’une
identification à sa langue d’origine ?
Nous avons mis en place en novembre 2009 une table ronde pour répondre à ces questions :
Nous voulions que chaque groupe y soit représenté, et cela s’est réalisé pour une grande part,
mais ont manqué à l’appel, malgré nos efforts pour les motiver, des représentants des groupes
mahorais et « zarabs ». La question qui nous touchait plus particulièrement a été posée au
début du débat, mais elle n’a été traitée que partiellement, du fait de la concurrence que lui
faisait une autre question : y-a-t-il des minorités exclues à La Réunion? En réalité ces deux
questions se complètent et des réponses importantes ont été apportées par les représentants
des groupes chinois, tamoul, zorey, et malgache.

Constat Théorique ou empirique

a. Le cadre historique

La langue créole à l’île de La Réunion a été construite dans une relation conflictuelle à la
langue française : elle s’est constituée en une langue vernaculaire et véhiculaire en
compétition1/opposition avec le français. Compétition dans laquelle un positionnement
sociopolitique des personnes qui parlent créole s’exprime.

Les questions qui, où, quand, à qui et pourquoi on parle créole sont en relation contrastive
(ou de contraste) avec qui, quand, où et pourquoi on parle français.

Pour Mufwene (2008) la naissance du créole est donnée dans un milieu de « feature poll » ou
compétition/sélection car il y avait dans le milieu socioculturel d’autres langues (langues du
maîtres ou langue base, et les langues substratiques ou langues parlées pour la population des
esclaves).

D’après Robert Chaudenson (2004), le créole est né dans les conditions socioculturelles et
économiques qui correspondent à la transition de la société d’habitation à la société de
plantation, sociétés construites au moment de l’esclavage ; la première avec un système
agricole avait privilégié la proximité d’habitation entre esclaves et maîtres ce qui a permis la
1
Notion de Mufwene (2008)

3
transmission du français ; la deuxième développe le système de culture de canne et le système
d’habitation se construit à partir de l’éloignement physique entre esclaves et maîtres : ici les
esclaves anciens transmettent le français (français approximatif qu’il avaient pris pendant la
société d’habitation) aux nouveaux arrivants et servent de pont entre ceux-ci et les maîtres.
Certains linguistes pensent que la société de plantation a occasionné une rupture dans la
transmission du français qui était installé dans la société d’habitation, c’est ce qui a permis la
création d’un pidgin. D’après ce courant, le créole est né d’un pidgin. D’autres linguistes
vont argumenter que dans la société de plantation les enfants vont jouer un rôle primordial
dans la création du créole : ce sont les enfants qui parlent le créole et ce sont eux qui
deviennent un modèle et transmettent à leur tour cette langue à leurs enfants. Dans ce cadre,
les enfants véhiculent la langue pour faciliter leur intégration, leur relation entre eux mêmes.

Mais d’autres conditions sociohistoriques ont permis la constitution du créole. D’un côté,
l’interdiction des langues maternelles des esclaves a été imposée comme une stratégie
opérationnelle du pouvoir des maîtres ; d’un autre côté, la jeunesse et la diversité culturelle
des esclaves (la plupart des esclaves était entre les 18 et 20 ans) fragilisent la transmission
culturelle et requièrent un code facilitateur pour communiquer entre eux. En effet, cette
population venait de différentes sociétés ce qui rendait impossible qu’une langue s’imposât
comme la langue véhiculaire. Donc le français, langue du maître, sera la langue de base pour
la constitution du créole, qui deviendra la langue véhiculaire entre les esclaves.
(Chaudenson, 1992).

Les nouveaux arrivants (nouveaux esclaves et après l’esclavagisme, les engagés) ont appris le
créole. Bien qu’ils aient eu l’usage de leurs langues, ils ont adhéré au créole. Il s’agit d’un
processus de socialisation : parler créole signifie la création d’un processus d’identité par
réaction/ opposition aux maîtres qui parlent le français. Les nouveaux arrivants, par exemple
les engagés, sont associés et identifiés, dans la structure socioéconomique de l’époque, et
poussés vers le groupe des dominés : les engagés et les esclaves vont constituer alors un
groupe social rejoint par les petits blancs2 en opposition au groupe dominant, le groupe des
gros blancs français. Socialement il y a eu une division polarisée.

b. Le constat actuel

Cependant, le créole va traverser des périodes de refus et de déni de la part des locuteurs
réunionnais. En reconnaissant que le français est la langue associée au pouvoir et à la
domination, certains Réunionnais ont pu se sentir obligés de parler le français et de l’imposer
à leurs enfants et non le créole pour réussir dans la vie socioéconomique. En même temps une
grande partie de la population était rejetée dans l’illettrisme, sans que le système scolaire
puisse modifier véritablement les données de cette réalité statistique.

L’action des militants culturels


Cette situation qui prédomine après la départementalisation de La Réunion (1946) est remise
en question dans les années 1970/1980 pour un mouvement hétérogène d’intellectuels
réunionnais (écrivains, enseignants, personnalités religieuses et politiques, militants
d’associations) par ailleurs de générations proches: « L’élaboration d’une revendication

2
A l’intérieur du groupe social des blancs s’est mis en place une division : les gros blancs et les petits blancs.
Ces derniers dépourvus de tout pouvoir économique s’installent dans les hauts et ils vont établir des relations
avec les descendants des esclaves et des engagés : ils apprennent le créole.

4
culturelle (dont la langue constitue un élément) dans un objectif politique (l’émancipation du
peuple réunionnais) a été formulée essentiellement par des générations nées dans les années
quarante et cinquante … »3. L’UDIR, union pour la défense de l’identité réunionnaise, qui
fêtait ses trente ans en 2008, en est le symbole. Présidée aujourd’hui par Jean-François
Samlong, l’association trentenaire a été fondée par Monseigneur Aubry, Jean-Henri Azéma,
Jean Albany, Guy Douillère avec l’idée de « rassembler quelques écrivains de La Réunion et
de développer un axe de réflexion commun pour arriver à exister au niveau régional et
national »4 .

Le continuum réunionnais
Bien que le créole ait permis une intégration entre les différentes groupes, il véhicule aussi les
différenciations socioéconomiques et culturelles entre les Réunionnais : les différentes
variétés basilectale et acrolectale du créole sont associées aux statuts sociaux des locuteurs.
Le fait de parler créole n’efface pas les différenciations sociales et l’intégration de celles-ci
représente un enjeu lié à la complexité des espaces, des locuteurs, des situations ou contextes .
On pourrait dire que le créole intègre ou exclut selon le contexte et selon les acteurs. En fait,
le créolophone moyen gère une double tension : l’appartenance régionale et la légitimité
nationale ; pour en rendre compte, certains auteurs (Armand, 1987) proposent un continuum
qui s’étend du créole basilectal au français standard, en passant par le créole acrolectal et le
français régional. Il y a un mésolecte, certains mélanges étant courants et d’autres peu
probables. Un locuteur peut aborder une conversation avec le créole acrolectal puis se balader
sur le continuum, revenir au basilectal sur la syntaxe avec une prononciation acrolectale.

Le créole dont on est fier et dont on se méfie encore


Actuellement le créole prend une place centrale dans la culture réunionnaise et devient un
symbole d’identité et de fierté culturelle. On entend parler le créole au marché, à l’école
(bien que le français soit la langue de l’école), dans les boutiques, enfin dans la vie
quotidienne sauf dans les espaces institutionnels. Cependant, bien que le créole soit désormais
valorisé, la compétition par rapport au français reste vivante car celui-ci demeure dans
l’imaginaire institutionnel la langue de la réussite scolaire anticipant la réussite sociale :
« améliorer la maîtrise de la langue française, c’est un élément essentiel dans la réussite d’un
élève »5 signale Bernard Kuntz, président national du syndicat national des lycées et collèges.

La tendance anti-institutionnelle
Cette opposition se constate aussi dans les événements de mai 2009 où des grèves
successives se sont déclenchées à La Guadeloupe et à La Réunion. En réponse à cette
situation, l’Etat français lance le projet des états généraux où les citoyens furent invités à
débattre sur les principaux problèmes sociaux : le créole était alors, au titre de la culture et de
la langue, traité dans plusieurs ateliers. Dans l’Atelier n°8, nous avons pu constater en début
de séance une intervention très polémique de militants dirigés par Mickaël Crochet qui
accusait le Rectorat de La Réunion d’être responsable de l’échec scolaire de milliers d’enfants
scolarisés, du fait de l’absence de prise en compte de la langue créole, bafouée et méprisée par
les responsables du système d’enseignement sur l’île. Les organisateurs (M. Ramassamy,
président de l’Atelier) et des participants (M. Axel Gauvin), quasiment tous créoles et
s’exprimant dans leur langue, ont demandé aux militants de bien vouloir rester, ce qu’ils ont
refusé, ce qui montre que les positionnements sont extrêmes en ce qui concerne le sujet du
créole à l’école et que la tendance à poser les problèmes hors de l’institution prévaut pour

3
Gauvin, Axel. Le monde diplomatique. Mars 2010.
4
Le Quotidien du 06/11/2008
5
Le Quotidien de La Réunion. Vendredi 17/04/09

5
certains groupes ; on est dans le cas de figure d’une opposition créole/français qui se
renforcerait et irait dans le sens d’un refus d’ intégration à la société nationale et hexagonale.

La tendance institutionnelle
Cependant, il faut convenir que le colloque qui s’est déroulé en mai 2009 sur le créole à
l’école a montré la confirmation d’une tendance à prendre en compte les besoins des
apprenants créolophones, tels qu’ils sont perçus par les linguistiques, les socio-cognitivistes,
les psychologues et les enseignants. Ce colloque a mis en avant de multiples positionnements
par rapport à l’écriture créole, et affirmé que cette écriture pouvait être le résultat d’une
négociation entre le maître et les élèves. Ainsi, le problème de la graphie est posé de manière
souple, et présente les caractéristiques d’une situation-problème soluble ; la graphie est en
effet progressivement l’objet d’une normalisation évolutive en fonction du niveau de
scolarité, et les exigences réduites du départ croissent de manière à ce que la nécessité de
l’instauration d’un code soit bien compris par les apprenants. La possibilité d’apprendre les
deux langues simultanément est ouverte par l’institution, et leur cohabitation harmonieuse
résultera de la compréhension globale (en fonction des lieux, des situations de
communication…) qu’en aura chaque locuteur.

A cheval sur les deux tendances


Un événement récent, la prise de position de M. Latchoumanin, , au cours de la conférence
qu’il donnait au Tampon le 20 avril 2010 sur l’illettrisme nous permet d’affirmer que l’on
peut à la fois être dans l’institution et contre l’institution : pour l’ex-directeur du CIRCI, les
111 000 illettrés recensés en 2007 prouvent l’inefficacité des méthodes d’enseignement. Le
principal responsable est donc bien l’Education Nationale. Et de s’interroger avec acuité sur
ce phénomène : comment se fait-il que ce chiffre soit aussi élevé dans un département français
qui reçoit les mêmes moyens que les autres ?

L’illettrisme
Le phénomène est massif et il touche les locuteurs créolophones. Dire que le créole est la
langue d’intégration c’est donc dire en même temps que c’est cette langue qui éloigne de la
référence nationale. Les critères de la société nationale ne sont pas applicables à La Réunion,
et lorsqu’on poursuit son chemin en s’entêtant à refuser l’usage du français régional ou
standard, on s’intègre à la société qu’on a choisi, en réaction à celle dont on refuse la langue
et probablement la culture.

L’avis d’une chercheuse


Comme nous l‘avons dit plus haut, les recherches sur les langues créoles se multiplient ; celle
de Marie-Christine Hazaël-Massieux, professeur de linguistique à l’Université d’Aix-
Marseille, aboutit à cet encouragement : « L’apprentissage du créole n’empêchera pas les
enfants d’être bons en français et dans toutes les autres langues. Cette vieille idée a rendu les
Français « nuls en langues » ; il est temps de changer : apprenez toutes les langues, à
commencer par celle que vous parlez ici. »6 .
Cependant, on en peut pas s’arrêter à cette seule analyse pédagogique pour comprendre cet
enjeu de valorisation linguistique.

La valorisation relayée par l’émergence des figures emblématiques


6
Le Quotidien de La Réunion 29/05/2009.

6
La valorisation du créole va de pair avec l’émergence sur la scène réunionnaise de figures
emblématiques ; le sens que nous donnons ici au mot « scène » est celui d’un vaste champ,
incluant tout autant la scène culturelle au sens propre, avec la production en créole de
nombreux textes d’écrivains, de chanteurs, de poètes, de scénaristes, que la scène politique et
économique.

L’expression « figures emblématiques » peut être comprise ici comme l’aboutissement du


processus identitaire qui s’articule sur le sentiment d’appartenance au groupe des créoles ou
des créolophones : des personnalités apparaissent qui sont ressenties soit comme des modèles
à suivre, soit comme des références ou encore des illustrations de la réussite du modèle
réunionnais tout entier, en particulier de sa cohésion, elle même souvent vantée par les
politiques réunionnais ; ces figures véhiculent des valeurs, variables selon le champ ou la
scène dans ou sur lequel ou laquelle elles excellent. Ainsi, dans le champ économique, on
trouvera7 la famille Ravate et son fondateur Issop Adam Ravate, les King-Siong, les
Souprayenmestry (Malbert, 2005) etc., qui illustrent la valeur de la famille, valorisée aussi
dans d’autres champs, comme le champ politique, avec la famille Vergès, et on parlera à ce
titre de dynastie. Tout aussi forte, la valeur de la révolte, mise en avant par Danyel Waro,
intimement associée au fait de parler créole, etc. Tout comme celle de l’instruction
représentée par la famille Marimoutou qui voit dans la dernière génération un grand nombre
de diplômés de tout acabit. Ou celle de l’âme créole magnifiée par la famille Manglou qui
préconise : « l’unité réunionnaise ne vit que de ses différences. Ou encore celle de
l’enracinement dans l’expression la plus authentique du passé réunionnais : le Maloya, avec
les Philéas. On peut multiplier les exemples à l’infini et comprendre que chaque groupe peut
trouver sa figure de prédilection, et chaque préoccupation individuelle sa satisfaction.
L’image de soi se renforce grâce à ces conditions très favorables.

L’efficacité du vivre-ensemble
Ces figures prennent place et forment un contexte socio-historique riche et complexe, où
l’évolution est marquée par le vivre-ensemble. La langue créole est le fondement de cet
ensemble, elle est ce par quoi se construit, évolue et se transforme ce monde insulaire. Elle
fonde la culture et se nourrit d’elle, accompagne et structure les évolutions. On peut dire
qu’elle est intégrante et fournit en abondance les images de soi positives dont le locuteur a
besoin pour se construire avec les autres. Et parce que cette construction est
multidimensionnelle en ce qu’elle touche tous les aspects d’une société, elle a d’autant plus
d’efficacité. Dans ce cadre, les intentions des locuteurs créolophones, de quelque
communauté qu’ils soient, se rejoignent ; on peut dire que la compétence ethno-
socioculturelle se développe chez eux en proportion de la valorisation de l’image de soi qu’ils
reçoivent de leurs co-énonciateurs.

L’intégration des nouveaux arrivants


Dans le cas des nouveaux arrivants , comme les Mahorais, un conflit entre la pratique par les
parents du français et par les enfants du créole qui apprennent aussi le français à l’école se
dissipe au profit du créole vécu comme la langue d’intégration, de socialisation. Ont-ils la
même place que les engagés ? Non, les conditions socio-historiques ont largement évolué
depuis la période de l’engagisme : d’autres situations d’exclusion se sont installées,
manifestées par l’existence de stéréotypes (ta mère-comores),8 qui sont assimilables à
7
L’Express : « Ces familles qui font La Réunion ». Dossier réalisé par David Chassage et Romain Rosso. No
2753. Semaine du 5 au 11 avril 2004
8
« Ta mère-comores » est une insulte : cette expression dans la bouche d’un Réunionnais signifie que l’origine
d’un Comorien a moins de valeur que son origine. Explication donnée par un Réunionnais.

7
l’accueil faits aux Malgaches dans les années précédentes, comme le soulignait Mme
Volonona Picard, professeur à l’université, dans son intervention à la table ronde sur les
minorités, à l’université du Tampon le 4 novembre dernier. Mis à part l’intégration sociale,
l’intégration de ces groupes se fait difficilement, et la pratique du créole par les communautés
malgaches et mahoraises, dont Fabrice Georger disait qu’elle était courante et plus facile à
l’évidence que l’usage du français joue favorablement en dépit des rejets liés à l’origine.

Problématique

Dans le contexte de l’ histoire réunionnaise, la langue créole a produit l’intégration des


esclaves, des nouveaux arrivants et des petits blancs. Néanmoins si on parle d’intégration on
parle aussi d’exclusion : parler créole supposerait l’exclusion du français en termes de
différentiation sociale, économique et culturelle.

Aujourd’hui, si la valorisation ascendante de l’usage du créole manifeste un renforcement de


la polarisation entre les deux identités réunionnaise et française, comment se traduit cette
polarisation identitaire? L’intégration à la société réunionnaise est-elle inversement
proportionnelle à l’intégration à la société nationale? Le créole est-il devenu le principal
fondement de la cohésion sociale des différents groupes culturels? Peut-on alors parler de
cohésion sociolinguistique?

Cette problématique se décline aussi en différentes dimensions :

Identité

Familiale Créole Linguistique

Relations sociales entre les esclaves

La dimension linguistique : quelles représentations sociales du créole basilectal et créole


acrolectal ont les créolophones ?
La dimension relations sociales : dans quelles situations de communication se produit la
relation entre les différents groupes culturels ?
La dimension identitaire : dans quelles situations de communication l’individu parle créole et
parle français ?
La dimension familiale : quelle est la langue employée ?

Hypothèse :

8
La conception d’un créole réunionnais construit dans le contexte de la résistance
sociohistorique des esclaves, et par la suite des engagés, révèle que la polarisation sociale était
alors à l’origine de l’instauration de cette langue comme langue d’intégration. Intégration
évolutive qui aboutit au développement économique de chaque groupe culturel avec ses
réussites emblématiques tandis que la polarisation sociale dominant/dominé se déplace à
l’intérieur de et entre chaque groupe, et qu’une polarisation identitaire se structure entre
Réunionnais et Français de l’Hexagone, mobilisant ainsi les attentions sur les enjeux socio-
linguistiques. Il en résulte une convergence de facteurs favorables à l’intégration.

II Appareil théorique en construction

A-Cadre théorique

Pour mener notre recherche nous allons structurer notre cadre théorique à partir des notions
d’intégration, d’identité, de frontière culturelle.

a. La notion d’intégration
Bien que la notion d’intégration ait été une notion sociologique analysée largement par
des chercheurs comme Emile Durkeim9, celle-ci est encore un sujet d’actualité dans le
monde globalisé : avec les flux de migrations qui sont à l’ordre du jour, les pays sont
appelés à faire face aux processus d’intégration et/ou exclusion de nouveaux arrivants.
Mais la préoccupation de l’intégration n’est pas qu’une relation entre les personnes qui
habitent dans un pays et les personnes qui arrivent : c’est aussi un très vieux problème à
l’intérieur d’une société, qui exprime les relations sociales et économiques entre les
membres. En effet pour Durkheim la notion d’intégration est un processus où la société
lié chaque individu à travers les institutions come la famille, l’école, le travail, les
associations. C’est, l’inscrire dans une manière de recevoir et de donner où il prend sa
place. Dans ce sens, nous pouvons trouver des personnes qui ne sont pas intégrées, qui ne
reçoivent pas et ne donnent pas conformément à ses exigences : elles sont dans le système
mais n’y participent pas. Pour parler d’intégration il faut cependant délimiter le système
dont on parle : de la société en général ? des bénéfices économiques et sociaux comme
l’accès au services publics comme la santé, l’éducation, la résidence, le travail ? S’agit-il
de la reconnaissance sociale, de la participation active à la vie communale ? ou de la
possibilité d’établir des interactions avec n’importe qui sans être victime de
discrimination ou être marginalisé ?

Pour nous l’intégration signifie tout cela et nous voudrions ajouter que l’intégration n’est pas
que l’accès aux services publics ou à la vie sociale: c’est l’accès aux conditions d’ égalité de
droits car une personne discriminée à l’embauche sera dirigée vers un travail indigne ou mal
payé. Quoique la république française ait préconisé pour tous les français l’égalité, celle-ci
n’est pas une réalité pour certaines personnes. Par ailleurs, si la république française dans les
années cinquante a mis en place une politique d’assimilation celle-ci ne signifie pas non plus
intégration. Tandis que l’assimilation est un processus d’absorption qui efface toute
particularité culturelle, l’intégration permet que chaque personne, chaque groupe culturel
9
Pour Emile Durkheim la cohésion sociale des sociétés se manifeste par l'existence de différents liens :
marchands, politiques, communautaires. Voir : La division sociale du travail. Presses universitaire. 1973.

9
maintienne son identité : l’assimilation cherche l’homogénéité, la transformation de l’autre et
l’intégration penche pour la différence dans l’unité. (Schnapper, 1990, Wieviorka, 1998).

b. La notion d’identité
Dans ce cadre l’intégration met enjeu la notion d’identité qui est un processus dialectique
entre « le moi » et autrui. Pour Dubar (1998), « l'individu hérite d'une identité : enfant je
suis donc d'abord identifié(e) comme fils ou fille de, habitant tel quartier, appartenant à tel
milieu, parlant telle langue, puis il se définit par ses interactions avec les autres, la
socialisation à l'école. II ne s'agit plus d'une personne proche, familière, « significative »,
mais d'une collectivité avec ses règles, ses contraintes anonymes, ses personnages dotés de
rôles institutionnels. Les enfants y sont jugés, évalués par des professionnels de
l'éducation. Ils sont aussi identifiés, nommés par les autres enfants. Leur identité-pour-
autrui devient plus consciente, plus visible... Puis la troisième grande étape de la
socialisation est la professionnalisation…Chacun est identifié par autrui, mais peut refuser
cette identification et se définir autrement. Dans les deux cas, l'identification utilise des
catégories socialement disponibles et plus ou moins légitimes à des niveaux différents
(appellations officielles d'Etat, dénominations ethniques, régionales,
professionnelles...voire idiosyncrasies diverses...). On appellera actes d'attribution ceux
qui visent à définir quel type d'homme (ou de femme) vous êtes, c'est-à-dire l'identité
pour autrui ; actes d'appartenance ceux qui expriment quel type d'homme ou de femmes
vous voulez être, c'est-à-dire l'identité pour soi. »

Dans les enjeux de l’intégration, l’identité permet donc d’indiquer les distances ou la
proximité de la personne par rapport aux groupes : il y a alors une sorte de « frontière »
culturelle qui se renforce dans la relation individu-groupe.

c. La notion de frontière culturelle


La notion de « frontière » (Poutignat, 2005) clef dans la théorie barthienne, relève qu’il y a un
champ où se développent les relations entre les membres de différentes groupes : quelqu’un
prend conscience de son appartenance culturelle quand il est en face d’un autre qui
n’appartient pas à son groupe. C’est dans les interactions 10 que deux acteurs en situation de
face à face rendent visibles leurs traits saillants respectifs. Les acteurs choisissent des
ressources d’identification telles que des valeurs éthiques, des stéréotypes, des traits, qui
constituent tout un savoir culturel partagé ; l’interaction s’établit donc en fonction de choix de
saillance et chacun sait quelle signification lui donner. Ce savoir peut manifester autant
l’exclusion ou discrimination ( étiquettes et stéréotypes), que l’acceptation, la reconnaissance
ou la solidarité (savoir-faire et valeurs).

B- Construction de l’appareil d’enquête

Pour la construction de nos appareils d’enquête nous tiendrons compte de la grille suivante :

10
Ici nous voudrions mettre en valeur l’importance de la notion d’interaction chère au sociologue Erving
Goffman qui signale que dans toute « interaction l’image de chacun est exposé à l’autre ».

10
Qui parle créole ?

Avec qui on parle créole ?

Où on parle créole ?

Quand parle-t-on créole ?

Pourquoi parle-t-on créole ?

Où sont parlées les langues comme le


chinois, le tamoul et le mahorais ? 11

De même pour le français :


Qui parle français ?

Avec qui on parle français ?

Où on parle français ?

Quand parle-t-on français ?

Pourquoi parle-t-on français ?

a. Application d’un questionnaire


Questions :

• Vous parlez créole ?


• Vous parlez créole avec qui ?:
-votre médecin ?12
-votre pharmacien ?
-votre coiffeuse ?
-vos voisins ?
-les enseignants de l’école ?
-la famille ? Quelle est la langue parlée dans votre famille ?
• Vous parlez créole où ?
- au marché
- au restaurant ?
Autres ?
• Vous parlez créole avec un inconnu ?
• Vous parlez créole avec les (des locuteurs appelés) zoreils ?
• Parlez vous français ou créole dans votre travail?
• Vous parlez français depuis que vous êtes enfant ?
• Vous parlez français avec vos enfants ?
• Que pensez-vous des créoles qui parlent français

11
Nous avons choisi ces langues parce qu’elles sont pratiquées par les communautés dont l’enracinement est
plus fort et plus visible que celui d’autres groupes.
12
Ces catégories socioprofessionnelles relèvent du secteur de la santé où les praticiens ont comme langue
maternelle le français. D’autres items du questionnaire comme « voisins », « coiffeuse » expriment la vie
quotidienne où les praticiens ont comme langue maternelle le créole.

11
-entre eux :
-avec les touristes :
-au travail/dans les institutions avec d’autres créoles :
-au travail/dans les institutions avec des zoreys ?:
• Pensez-vous qu’il vaut mieux parler créole avec les zoreys ?:
Si oui, est-ce que vous le faites ? si vous le faites : est-ce avec plaisir ? En vous
forçant ? Comme à regret ? En éprouvant de l’insécurité ? En éprouvant la peur
d’être jugé ?
Si non, qu’est-ce qui vous empêche de le faire ?
(l’intention de l’enquêteur est de repérer si le regard d’autres créoles présents pèse sur
la personne interrogée)
• Pensez-vous qu’il vaut mieux parler français avec les zoreys ?
Si oui, est-ce que vous le faites ? si vous le faites : est-ce avec plaisir ? En vous
forçant ? Comme à regret ? En éprouvant de l’insécurité ? En éprouvant la peur
d’être jugé ?
Si non, qu’est-ce qui vous empêche de le faire ?
(l’intention de l’enquêteur est de repérer si le regard d’autres créoles présents pèse sur
la personne interrogée)

c. Analyse de situation de communication entre13 :

• Réunionnais qui parlent la même variété de créole


• Réunionnais qui parlent différentes variétés de créole
• Locuteurs appelés zoreils qui parlent avec des réunionnais

c. Analyse d’articles liés à notre sujet ( le JIR et le Quotidien).

d. Prise en compte des moments historiques.

C- Analyse des résultats envisagés :

a. Etat des représentations


Ce questionnaire nous permet de revisiter l’état des représentations que se font les
Réunionnais sur les deux langues principales qu’ils pratiquent, créole et français.
Désormais bien connues, ces représentations présentées par Fabrice Georger, chargé de
mission au Rectorat pour la culture et la langue régionale, nous montrent une
dévalorisation du créole par rapport au français ; nous présenterons ces décalages à travers
un tableau :

Représentation du créole Représentation du français


Pauvre en vocabulaire Tous les attributs lexicaux d’une langue
normalisée et standardisée
Sentiment de honte du locuteur Sentiment d’orgueil du locuteur
13
Cet aspect de l’appareil d’enquête mérite beaucoup plus de temps et nous ne le traitons pas.

12
Langue des pauvres Langue des gens aisés
Langue impolie, grossière, ordurière Langue de la distinction
Langue sans beauté Langue belle
Petite langue Grande langue
Patois Langue
Langue bancale, sans vraie syntaxe ou sans Langue parfaite
verbe

Certaines de ces représentations peuvent paraître exagérées, et pourtant il y a encore peu de


temps, devant 200 enseignants réunis, une personne déclarait que le créole était une langue
« ordurière ».

On ne peut cependant omettre de mentionner les points positifs que signalait cette étude :

-le créole est une langue jeune


-on l’aime
-c’est la langue de la connivence , de la familiarité
-c’est la langue de l’identité face à la langue de l’altérité

Cette dernière représentation est le point d’aboutissement de cet état des représentations en ce
qu’elle nous montre que l’utilisation de la langue capitalise le fonctionnement identitaire en
opposition avec le français. L’énoncé de Jean-François Samlong « La langue véhicule une
identité très forte, elle a été forgée au fil des siècles. C’est un héritage culturel. Le verbe
permet de dire : « Voilà ce que je suis et ce que j’aimerais devenir ». L’enjeu c’est de pouvoir
le dire tout en étant ailleurs» est confirmé par cette enquête . L’opposition sous-entendue
jusque là avec le français, langue de l’autre, devient explicite.

b. Réalisation
Pour réaliser notre analyse nous allons établir un croisement de variables : nous tiendrons
compte de la grille suivante :

• Caractéristiques de la personne : (âge, sexe, activité, niveau éducatif, lieu de


résidence).
• Contexte socio-spatial des personnes au moment de l’entretien : ils sont dans la ville ?
Ils sont dans la rue ? Dans quel endroit de la ville ? dans un bureau ? à l’école ?
Qu’est-ce qu’ils font ? Ils sont en train de faire des courses ? de travailler ?
• Gestuelle et tonalité de la personne : comment ils répondent ? (indifférence,
contentement, pressés).
• Extension de la réponse : si la réponse est longue ou courte.

Ces aspects nous permettent aussi d’apercevoir l’adhésion (image de soi et sentiment
d’appartenance), l’implication (image de soi, intention, sentiment de frustration ou de
contentement) et l’identification (image de soi inconsciente) de la personne à sa pratique
langagière.

D- Population à considérer

Habitants natifs et résidents. Des adolescents, des adultes au Tampon.

E- Traitement des questionnaires

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Remarque formelle : pour des raisons de lisibilité, on conservera le mot Créole au lieu du mot Réunionnais, à la
fois pour reprendre les mots utilisés dans les questionnaires et pour coller à l’emploi qu’en font les personnes
interrogées ; nous nous sommes également permis de corriger partiellement la syntaxe et l’orthographe des
réponses écrites. Le questionnaire appliqué aux adolescents a été ajusté.

Nous avons mené une mini-enquête auprès de cinq adultes dont une femme et de vingt-trois
adolescents dont cinq filles ; voici les grands traits qui en ressortent :
1) les réponses des adultes qui se considèrent comme Français-Créole, Créole-
Kaf, Créole-Réunionnais, Réunionnais et Réunionnaise pure (on a choisi de
mettre une majuscule à la désignation qui vient en second tout en étant
conscient de l’arbitraire de ce choix).
La priorité est donnée à la communication dans les situations où les locuteurs du
français langue maternelle s’adressent aux locuteurs du créole langue maternelle :
le besoin de communiquer est géré avec une grande souplesse, car :
-si le «zorey » ne comprend pas, on parlera créole pour « le taquiner » (femme de
19 ans) ou l’embêter (homme de 40 ans) ou français pour lui permettre de
comprendre ; deux personnes affirment de manière catégorique que les « zoreys »
« doivent parler » ou « apprendre à parler créole », une troisième dit que si « c’est
bien de parler français, c’est très bien de parler créole », et l’une de ces trois
personnes justifie son opinion en disant que « si je dois me déplacer en Colombie,
je parlerai espagnol ».
-s’il comprend, on parlera créole
Quatre personnes disent qu’elles parlent français avec le médecin ou le
pharmacien, créole avec la coiffeuse, les voisins, au marché, c’est-à-dire dans les
espaces de la vie quotidienne .
De ce petit échantillon il ressort un aspect polémique pour ne pas dire conflictuel
dans la représentation que se font les locuteurs de langue maternelle créole de la
gestion du « continuum » créole-français ; simultanément ces derniers font preuve
d’ouverture comme le montrent leurs choix de s’exprimer en français pour être
compris. On peut parler de tolérance et en même temps, on sent bien qu’on est
dans le paradoxe car c’est la radicalité des réponses qui frappe en premier lieu ; il
faudrait par la suite tenter d’approfondir ce que recouvre le mot de tolérance dans
ces situations d’incompréhension où celui qui ne comprend pas est désigné
systématiquement comme le locuteur de langue maternelle française. Au total, il
semble bien que l’idée de polarisation autour des enjeux socio-linguistiques
connaît un début de vérification.

2) les réponses de 23 adolescents, dont 5 filles, tous scolarisés en collège, classes


de Segpa, âgés de 13 à 14 ans, niveau 5ème, tous créolophones, et tous de
langue maternelle créole, sauf un garçon qui indique que toute sa famille est
née en France, et que son père est français.
Dans l’ensemble, les adolescents interrogés expriment un très fort attachement à
leur langue, qu’ils pratiquent avec leurs pairs, leurs « dalons », situent dans le
registre de leurs habitudes, qualifient de maternelle, et à laquelle une adolescente
donne la capacité de plaisanter plus facilement que le français.
Le locuteur de langue maternelle française est là aussi situé hors de la sphère de
compréhension orale du créole, et les adolescents ajoutent qu’il vaut mieux parler
français si l’on veut être compris. La conséquence de ce passage à la production
orale en français est pourtant perçue comme impliquant des efforts, car dit une

14
jeune fille, « quelquefois c’est dur de s’exprimer, de trouver quelques mots et
quelques phrases ».
Cependant comme chez les adultes l’émergence d’une revendication d’égalité dans
le statut des locuteurs est forte, quoique plus nuancée chez les adolescents ; elle est
chez eux (en particulier deux Mahorais) présentée comme un échange de service
pédagogique dans lequel le Créolophone apprend au locuteur de langue maternelle
française à parler créole tandis que celui-ci, voire le Réunionnais sachant parler
français, « nous apprend à parler français ». Cette représentation d’une réciprocité
heureuse dans l’apprentissage simultanée des deux langues est partagée par un
grand nombre des élèves interrogés. Elle remplit l’exigence d’éprouver un
sentiment d’égalité entre locuteurs de ces deux langues.
C’est un aspect positif de la polarisation identitaire, qui s’enrichit aussi de
quelques remarques, lapidaires il est vrai, telles que « c’est bien » pour qualifier
les « Créoles qui parlent français » et les « Français-zoreys qui parlent créole ».
La prestation de ces derniers est même valorisée, car « ils découvrent une langue
nouvelle », « ils essaient d’apprendre notre langue », « ils veulent essayer engager
le créole avec nous » où le sentiment d’identité collective marquée par le
« nous/notre » se retrouve. La notion d’apprentissage est associée à la langue et à
la difficulté, sans que celle-ci soit considérée comme rédhibitoire, au moins du
côté apprenant de langue maternelle française.
La polarisation identitaire est aussi marquée par des aspects négatifs : quatre disent
« je n’aime pas le français » tandis que d’autres disent « ne pas aimer parler
français avec leurs camarades ». Les « Créoles » qui parlent français font « leur
intéressant » pour l’un tandis que pour l’autre, « ils ne parlent pas comme les vrais
Français mais bizarrement» ; un seul sur 23 dit vouloir apprendre le français pour
« plus tard dialoguer avec des Européens versus des Français » et un autre pense
que les créoles francophones « auront des métiers plus tard ». Ce sont des
exceptions. La valorisation de l’apprentissage du créole triomphe. L’apprenant est
alors caractérisé comme « en forme », tandis que l’apprenant en face est qualifié
de « vilain ». L’égalité est brisée. La balle est nettement placée dans le camp du
locuteur de langue maternelle française.
Le comble de la polarisation négative est atteint dans cette formule sibylline qui
marque un rejet définitif : « ils veulent essayer engager le créole avec nous » mais,
l’énoncé se poursuit mi-implicite, mi-explicite : c’est bien la dernière chose qu’ils
peuvent faire, car la langue nous protège et garantit notre immunité identitaire.
Enfin, une jeune fille propose : « je pense que les Français ne doivent pas parler
créole. Et les Créoles ne doivent pas parler français. Parce que c’est leur langue
maternelle ». Cependant, sa visée « intégrationniste » postule l’accueil du groupe
des zoreys qui sont selon elle « doivent rester créoles » quant les « Français
doivent rester français ».
La polarisation identitaire autour des aspects socio-linguistiques se caractérise
donc par des aspects positifs comme par des aspects négatifs. L’idéal d’égalité
entre locuteurs et le vécu d’une tolérance dans l’utilisation de la langue de l’autre
pour se faire comprendre s’accompagnent de la montée des exigences de
conformité à une pratique commune de la langue maternelle de la majorité. Dans
ce sens, aucune remarque n’est faite sur les variétés du créole. Le créole est
seulement perçu comme la langue opposée au français et y gagne un renforcement
de son identité.
Conclusion

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La langue créole permet une intégration sociale en compétition et opposition avec la langue
française, situation construite depuis l’époque de l’esclavage. La cohésion sociale des
différents groupes culturels est articulée et nourrie par le créole qui permet la mise en
perspective d’un développement économique. En effet, si parler créole donnait la possibilité
de se fondre en société en vivant une solidarité viscérale, son usage dans le champ
économico-social permit à travers le positionnement par rapport au maître colon blanc et à la
France de construire des identités économiques et des personnalités culturelles. Ces réussites
ont créé des disparités sociales14 plus fortes qu’en France Hexagonale mais l’intégration
sociale s’est maintenue et même renforcée. Nous n’avons pas pu établir si c’est la perception
de cette cohésion comme impérativement nécessaire qui fait dire à 85% des Réunionnais 15 que
le créole leur est utile. Cette utilité n’est d’ailleurs pas à priori la même pour chaque tenant du
puzzle. Il faudrait faire une nouvelle enquête pour étudier les motivations et les intérêts sous-
jacents de chaque groupe culturel. A travers les formes d’utilités recensées, on trouverait
probablement des raisons aussi différentes que le besoin d’intégration rapide de l’immigré, le
besoin de communication sociale du chef de grande entreprise, la facilité d’échanges avec le
clients pour les PME -Petite et Moyenne Entreprise-, l’aisance de la communication dans le
milieu de l’éducation, de la santé, de la restauration, et dans la vie quotidienne. Par ailleurs on
observe l’existence d’une frontière culturelle qui permet aux individus de parler leurs langues
maternelles, comme le chinois, le tamoul ou le mahorais, dans des espaces familiaux ou des
groupes réduits. A ce stade, tout en sachant qu’il ne nous est pas possible de mesurer la
cohésion, on peut confirmer que l’idée d’intégration –différence dans l’unité- selon la
définition de Schnapper vaut pour la langue créole à La Réunion.

Le point de départ de cette étude est son aspect historique que traduit le schéma ci-joint. On
peut se figurer l’évolution conjointe de la société réunionnaise et de sa langue comme un
escargot dont la spirale s’enrichit à partir de ce point de départ qu’est la cohésion linguistico-
sociale fait de la résistance des esclaves aux maîtres, de la solidarité de ceux-là avec les
engagés puis avec les yabs aboutissant à la reconnaissance de droits nouveaux octroyés par la
République française en 1946. Cette cohésion s’est développée sous l’effet conjoint du
dynamisme des groupes culturels et du militantisme qui les animait à la fois séparément et
conjointement. En même temps qu’un repositionnement identitaire se faisait par rapport aux
langues d’origine, l’identification à des réussites emblématiques dans les arts (littérature,
musique) et dans les champs économique et politique produisait une nouvelle structuration
identitaire caractérisée par l’oubli de la polarité sociale (patron-ouvrier) et par la réactivation
de la polarité identitaire Réunionnais-Français. L’ouverture récente sur les langues de France
engendrée par le rapport Cerquigliny et les nouvelles exigences européennes proposées par la
Charte européenne des langues nous permet de penser que la bipolarisation dont nous avons
parlée pourra s’épanouir en multipolarisation un jour. Mais pour l’heure, la cohésion est
possible grâce à l’usage du créole.

Bibliographie

Armand, Alain. Dictionnaire Kréol réunioné-Français. Océans éditions. 1987.

Chaudenson, Robert. La Créolisation : théorie, applications, implications. Institut de la


14
D’après Jean-Pierre Cambefort les enfants les plus en difficulté ne sont pas des zarabs ou des chinois. Ce sont
des enfants cafres, métissés, malabars et parfois yabs. Journal du dimanche JIR. Novembre 30 2008.
15
Monde diplomatique. Axel Gauvin. Mars 2010.

16
Francophonie. L’Harmattan. Paris. 2004

Chaudenson, Robert. Des Iles, des hommes, des langues. L’Harmattan. 1992.

Daleau Laurence, Duchemann Yvette, Gauvin Axel, Fabrice Georger. Oui au créole, oui
au français. Editions Tikouti, Ile de La Réunion, 2006.

Dubar, Claude. La socialisation. Armand Colin. 1998

Durkheim, Emile. La division sociale du travail. Presses universitaire. 1973.

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plurilingues : données linguistiques et sociolinguistiques.

Mufwene Salikoko, S. Créoles, écologie sociale, évolution linguistique. Institut de la


Francophonie. L’Harmattan. Paris. 2008

Fioux, Paule. Bilinguisme et diglossie à l’île de La Réunion . L’harmattan. Paris, 2007.

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réunionnaise, nouvelles perspectives et nouvelles approches. Laurent Médea. Karthala.
2005.

Poutignat, P et Streiff-Fenart J. Théories de l’ethnicité. Suivi de « Les groupes ethniques


et leurs frontières de Fredrik Barth. PUF. 2005.

Schnapper, Dominique. La France de l’intégration. Gallimard. 1990

Wieviorka, Michel. « Le multiculturalisme, est-il la réponse ? » Cahiers internationaux de


sociologie. Vol CV. Pag 233-260. 1998.

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