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Revue germanique internationale

14 | 2011
La philologie allemande, figures de pensée

La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie,


mythologie, philosophie

Mildred Galland-Szymkowiak

Éditeur
CNRS Éditions

Édition électronique Édition imprimée


URL : http://rgi.revues.org/1278 Date de publication : 24 octobre 2011
DOI : 10.4000/rgi.1278 Pagination : 91-112
ISSN : 1775-3988 ISBN : 978-2-271-07333-4
ISSN : 1253-7837

Référence électronique
Mildred Galland-Szymkowiak, « La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie,
philosophie », Revue germanique internationale [En ligne], 14 | 2011, mis en ligne le 24 octobre 2014,
consulté le 30 septembre 2016. URL : http://rgi.revues.org/1278 ; DOI : 10.4000/rgi.1278

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 1

La Symbolique de Friedrich Creuzer


Philologie, mythologie, philosophie
Mildred Galland-Szymkowiak

à mon fils Mayeul

1 La Symbolique et mythologie des peuples anciens, particulièrement des Grecs (première édition :
1810-1812)1 de Friedrich Creuzer (1771-1858) constitue une étape singulière de l’histoire
de la philologie. En ce qui concerne le matériau utilisé, Creuzer fait des récits
mythologiques2 et des représentations imagées des dieux (y compris sur les pièces de
monnaie, les vases, etc.) des objets d’étude philologique à part entière, au même titre que
les textes des auteurs antiques. Du point de vue de la méthode, la Symbolique s’inscrit dans
la conception dite scientifique des études mythologiques (par opposition à la conception
poétique), qui veut lier une approche historienne, empirique, et une interprétation plus
spéculative ou philosophique, tendant à la recherche d’une unité entre les différentes
mythologies3. Une telle approche aboutit souvent à mettre en lumière une origine
indienne de la mythologie grecque (Fr. Schlegel, J.A. Kanne). Mais si l’idée d’une influence
de l’Orient sur la Grèce (présente par exemple chez Herder, lu et cité par Creuzer) 4, si la
thèse d’une unité fondamentale des mythologies orientales (trouvée dans l’Histoire des
mythes du monde asiatique publiée en 1810 par Joseph Görres, collègue de Creuzer à
Heidelberg en 1806-1808), ainsi que l’alliance d’hypothèses spéculatives et de données
historiques ne sont pas proprement creuzériennes, ce qui l’est en revanche, c’est la mise
en ordre, dans la Symbolique, d’une masse réellement impressionnante de données
linguistiques, littéraires, historiques, mythologiques, artistiques et archéologiques –
l’organisation d’une documentation immense en fonction, d’une part, d’une conception
originale du rapport du mythe avec le symbole, et, d’autre part, d’une orientation
philosophique marquée par le néoplatonisme. La Symbolique veut découvrir le principe
systématique5 d’intelligibilité des mythes antiques : « Enquêter sur la cohésion et sur
l’esprit de la foi, de la poésie et de l’art plastique antiques, et faire voir dans les œuvres de
l’Antiquité le centre religieux dans lequel elles sont unies – voilà ce que je considère

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 2

comme le but principal de mon enseignement et de mes autres aspirations scientifiques » 6


.
2 Si le moment creuzérien a indubitablement marqué l’histoire de la philologie, il est en fait
assez limité dans le temps, et le débat de la conception creuzérienne avec une approche
plus empiriquement historique, voire « ethnographique », apparaît dès la fin des années
vingt comme tranché en faveur de cette dernière7. En outre, les compétences
scientifiques mobilisées par Creuzer – philologie antique, histoire de l’antiquité,
archéologie – vont assez vite se développer en secteurs académiques différenciés, sans
qu’il ne soit plus possible pour les « mythologues » de détenir des chaires universitaires 8.
Cependant, alors qu’en philologie sa « défaite » face à l’école rationaliste et critique sera
progressivement tenue pour une évidence, Creuzer fera des années 1820 aux années 1840
l’objet d’une réception enthousiaste et productive dans les philosophies hégélienne et
schellingienne. Nous voudrions ici esquisser une reconstruction des liens que la
philologie telle que Creuzer l’entend – comme « symbolique » et comme « mythologie » –
entretient avec la philosophie. Après avoir brièvement présenté le contenu de la
Symbolique, on précisera la conception de la philologie qui y est à l’œuvre ; puis l’on
présentera les grandes lignes de la réception de la Symbolique par Hegel et par Schelling.

Friedrich Creuzer, Symbolique et mythologie des


peuples anciens, particulièrement des Grecs :
présentation
3 Creuzer fait des études de théologie et de philologie à Marbourg et à Iéna, où il suit
notamment les cours de Tiedemann sur les dialogues de Platon et ceux de Schiller sur
l’histoire ancienne et le Moyen Âge. Il est marqué par la lecture de Lessing, de
Winckelmann, de Goethe, de Friedrich August Wolf. En 1803 il est nommé professeur
ordinaire de philologie classique à l’université de Heidelberg qui vient d’être refondée ;
en poste de 1804 à 1845, son rayonnement y est important, bien au-delà des sciences de
l’antiquité9.
4 Il nous semble utile ici, vu les difficultés d’accès à l’œuvre, de parcourir brièvement la
première édition de la Symbolique10. Celle-ci comprend trois livres, répartis en quatre
volumes.
5 1. Le premier livre, « Description générale de la sphère symbolique et mythique », fournit
la théorie générale du symbole, du mythe, et plus généralement de la Bildnerei ou du «
domaine iconique (ikonisches Gebiet) », sur laquelle les analyses concrètes des diverses
institutions religieuses et mythologies pourront ensuite faire fond. Dans la troisième
édition, en grande partie sous l’effet des critiques reprochant une pratique trop intuitive
de la philologie, cette partie spéculative deviendra un appendice final. Creuzer affirme la
nature et l’origine essentiellement religieuses des mythes. Ils ne sont ni des inventions
arbitraires destinées à manipuler le peuple, ni un ensemble de fables absurdes dont la
raison n’aurait que faire (J. H. Voß) ; ils ne sont pas non plus à comprendre comme le
déguisement de contenus théoriques, théologiques ou philosophiques qui seraient
exprimables par d’autres moyens (G. Hermann), mais bien comme un mode d’expression
iconique sui generis de l’intériorité humaine, par lequel s’instaure à chaque fois une
culture. La nouvelle tâche dévolue à la philologie, comme science des systèmes iconiques,
consistera dès lors à « trouver les lois de la langue systématique des images » 11.

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 3

6 2. Le deuxième livre, « Étude des divinités et du culte divin », voit à partir de la deuxième
édition, de manière significative, son titre modifié en « Étude ethnographique… ». Ses sept
chapitres fournissent une description raisonnée des grandes religions (occidentales et
orientales) de l’antiquité12 et de leurs figures mythologiques principales, s’appuyant
essentiellement sur des sources littéraires grecques, latines, ou parfois contemporaines.
Les rapprochements entre différentes religions sont fondés sur des analyses du contenu
des mythes (tout spécialement sur leur signification physique, leur lien aux phénomènes
et aux cycles de la nature), sur l’examen des noms et des étymologies, le repérage
d’attributs analogues d’une divinité à l’autre, la comparaison des rites religieux et sur des
hypothèses historiques plus discutables relatives aux déplacements géographiques des
mythes. Il est d’abord question des institutions religieuses des Grecs (ch. 1), puis (ch. 2 et
3) de la symbolique, de la mythologie et de la religion égyptiennes (qui reposent
essentiellement sur l’intuition de la nature) et de leur influence remarquable au Proche-
Orient (ainsi le mythe d’Osiris, dont F. Schlegel voyait l’origine en Inde, fait l’objet d’une
réappropriation par les Phéniciens et les Syriens, etc.). Le chapitre4 présente les religions
du Proche et du Moyen-Orient : Creuzer renvoie à la thèse de Görres affirmant, dans l’
Histoire des mythes du monde asiatique, « l’unité de l’intuition mythique des anciens
Hindous, Perses, Égyptiens, Phéniciens et d’autres peuples » et l’illustre sur des cas précis,
Cybèle, Adonis, Apollon et Artémis, ainsi que Héraclès qui est rapproché des dieux
solaires de l’Orient. Pour comprendre comment on passe des religions orientales à la
netteté des Olympiens, Creuzer examine ensuite la religion la plus ancienne des Grecs,
celle des Pélasges (ch. 5). Les Kabires, puissances cosmiques, y sont repérés comme la
figure de transition essentielle entre Phénicie et Égypte d’une part, Samothrace et les
Pélasges de l’autre ; ils réapparaissent dans la mythologie gréco-romaine (Asclépios) et
indirectement dans les mystères d’Eleusis. Alors que les contours des divinités
pélasgiennes étaient encore relativement flous, avec Homère et Hésiode « tout devient,
dans la religion grecque, plus clair et plus décidé »13, les dieux reçoivent chacun leurs
attributions propres et leur configuration autonome : Creuzer présente (ch. 6)
rapidement ce « système grec des dieux ». Le livre II se termine avec l’analyse des
religions italiques (étrusque, romaine) (ch. 7) dont on constate la proximité avec celles
des Pélasges et de l’Orient. Ainsi le contenu doctrinal enseigné sur Ptah à Memphis ou sur
Amon à Thèbes se retrouve à propos du Jupiter et Janus étrusque.
7 3. Le troisième livre commence après la préface du troisième volume. Creuzer reformule,
dans cette préface, l’une de ses idées récurrentes : ce n’est pas dans Homère qu’il faut
chercher la religion grecque originelle, les idées religieuses présentées par ce dernier « ne
sont pas les plus anciennes, elles sont la sécrétion poétique d’un stock d’idées qui avaient
davantage de contenu doctrinal qu’elles ». Ce stock, insiste-t-il, n’a pas été inventé par les
Grecs, mais leur a été transmis par les Asiatiques et les Égyptiens14.
8 Le livre III a pour thème « la doctrine grecque des génies et des héros », ainsi que
Bacchus, Pan, les Muses, Cérès, Proserpine et les Mystères. Il s’agit là de tout l’aspect
chtonien de la mythologie, que Creuzer est le premier à valoriser de cette manière : cette
« réhabilitation des mystères »15 occupe deux volumes ! Elle lui vaudra les critiques les
plus acerbes d’un côté, la postérité la plus enthousiaste de l’autre, « de Bachofen au jeune
Nietzsche, Klages, Frobenius, W. Fr. Otto, Kerényi »16. Après un premier chapitre traitant
des héros et des démons, dits aussi génies et que l’on retrouve dans les mystères, il
revient (ch. 2) sur l’un de ses thèmes favoris, celui des « religions bacchiques » c’est-à-
dire du culte de Dionysos sous ses multiples figures : derrière le récit allégorique du «

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voyage » de Dionysos en Inde et en Égypte, il faut voir la généalogie réelle menant du


Shiva de l’Inde à l’Osiris égyptien puis au Dionysos thébain (qui n’est autre que le «
taureau équinoxial, l’auteur du renouveau de l’année »17). Creuzer s’intéresse au
développement de l’orphisme, à Silène et à Pan, aux Muses, au lien de Dionysos avec
Iakkhos et Zagreus (dont l’écartèlement a un sens cosmogonique : le dieu qui est présent
en tout). Un excursus consacré aux mystères, en particulier bacchiques, présente Dionysos
comme Weltseele, comme créateur et guide de toutes les âmes individuelles, fondant ainsi
une « pneumatologie » et une « anthropologie ». Le ch. 3, qui inaugure le quatrième et
dernier volume de la Symbolique, porte sur Cérès et Proserpine et les mystères d’Eleusis.
Creuzer reconnaît la figure de Proserpine sous des divinités aussi diverses que Vénus,
Diane, Minerve, Fortuna, Cérès et Isis. Isis-Cérès-Proserpine est « le premier de tous les
êtres (das erste aller Wesen) »18 ou encore « das Grundwesen » 19. Les mystères sont donc
repérés comme le cœur signifiant de la mythologie ; ils exposent ésotériquement le
symbole, l’intuition religieuse centrale de l’immortalité de l’âme, du retour de l’âme à
Dieu et de l’unité de Dieu. Leur contenu est repris par les écoles philosophiques, avant
tout par les Pythagoriciens, plus tard et ouvertement par les néoplatoniciens (Plotin,
Porphyre, Jamblique, Proclus). Ces corpus philosophiques, pourvu qu’on les confronte à
ceux des historiens, des tragiques etc., sont ainsi une source philologiquement
intéressante pour l’étude des mystères.
9 4. Dans un regard rétrospectif final, Creuzer ressaisit ce qui fait l’unité de la pensée
religieuse et mythologique des Grecs. Les éléments récurrents caractéristiques de la
pensée religieuse grecque peuvent se comprendre à partir de l’idée d’une « divinisation
de la nature corporelle (Vergötterung der leiblichen Natur) »20 ; c’est la physis comme telle,
dans la diversité de ses phénomènes (végétaux, animaux, célestes) qu’ils révéraient avant
tout. C’est ce même principe physique qui fournit l’unité permettant de comprendre la
Bildnerei, l’imagerie mythologique des Grecs21. Mais ici la figuration de l’intériorité s’est
pour ainsi dire esthétisée, dans la présentation d’une « belle individualité » qui est la
configuration phénoménale d’une « idée ». De manière générale, la doctrine qui condense
toutes les doctrines secrètes et fait le lien avec l’Orient, c’est selon Creuzer celle de «
l’émanation de toutes choses hors de Dieu et de leur reprise en lui »22, philosophiquement
formulée dans le néoplatonisme. S’appuyant sur Görres, il souligne que la question à
laquelle répond cette doctrine – « pourquoi la chute ? », c’est-à-dire : pourquoi l’essence
éternelle a-t-elle été posée hors d’elle-même, pourquoi a-t-elle voulu se révéler en un
monde ? – a préoccupé toutes les religions anciennes. Les mystères grecs, les philosophies
ioniennes et platonicienne ont également tenté d’y répondre – ajoutons qu’à l’époque de
Creuzer, cette question (réinterprétée) est déterminante pour les philosophies de Fr.
Schlegel et de Schelling23. Avec le christianisme, souligne Creuzer, c’est un autre type de
réponse qui est donné à cette interrogation, la question étant maintenant interprétée en
un sens non plus physique mais éthique, autour de la personne du Christ.

La conception de l’image, du symbole et du mythe


10 La « description générale » du symbolique et du mythique dans la première partie
détermine la nouvelle figure prise ici par les études mythologiques et philologiques. Elle
s’appuie (ch. 1) sur une série de présupposés historico-anthropologiques relatifs à
l’émergence du symbolisme. Entre les premiers habitants de la Grèce, les Pélasges, dont
les dieux selon Hérodote n’eurent d’abord pas de noms, et les Hellènes, il faut supposer

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une période intermédiaire, celle de prêtres venus d’Orient qui indissociablement créent
les noms et les images des dieux et les interprètent, c’est-à-dire sont les premiers
instruments d’une révélation avec l’objet de laquelle ils tendent à se confondre. Ce
moment du symbolique est mis en perspective (ch.2) dans une typologie des discours sur
les choses divines (intuitif/discursif, symbolique/mythique etc.) et dans un essai de «
physique du symbole et du mythe » (ch.3) qui analyse le domaine iconique (ikonisches Gebiet)
– le domaine des images physiques et mentales – et ses fondements dans l’esprit humain ;
cette « physique » est donc en même temps une psychologie et une anthropologie, qui
présente l’imagé (das Bildliche) comme une forme caractéristique de la pensée humaine, et
différencie les figures du symbolique en fonction du type de rapport instauré entre la
forme de l’image et son sens. Le ch. 4 donne un important « tableau de l’iconisme » : il
s’agit d’une typologie du symbolisme pris en son sens le plus large. L’énumération des
différentes formes du culte – les configurations religieuses concrètes dans lesquelles vont
s’inscrire les formes du symbolique – précède un dernier chapitre qui met en place un
panorama historique des phases du symbolisme et de la mythologie, allant de la période
préhomérique, où domine le symbolique, c’est-à-dire l’intuition mystique en sa
fulgurance, à la période chrétienne ; entre les deux, la période homérique déplie la
condensation symbolique dans le discours mythologique de l’épopée ; la philosophie
ionienne tente un mouvement inverse de retour au symbolique dans la religion orphique
et les mystères ; plus tard les néoplatoniciens veulent également retrouver la symbolique
à partir de la mythologie.
11 Chez Creuzer, le symbole, on le voit, n’est pas un concept esthétique-artistique comme il
peut l’être chez K.Ph. Moritz, Goethe ou Schelling ; sa portée est également bien plus
vaste que simplement linguistique, ou même simplement religieuse24. Ce qu’il doit en effet
éclairer, c’est le processus même de la civilisation – comprise comme spiritualisation et
comme verbalisation–, c’est le passage de l’informe et du balbutiant à ce qui a pris forme
par l’action humaine. Tels sont les enjeux de l’entreprise de dénomination des dieux dans le
cadre de laquelle Creuzer situe d’emblée son élucidation du symbolique. En nommant les
dieux, en établissant un rapport proprement humain au divin, c’est en même temps la
connaissance de soi que l’homme instaure. Or, Creuzer le souligne, la création des noms,
ou verbalisation, et la création des images ou « monstration des dieux » (deixeis theon) 25
procèdent d’une seule et même « impulsion universelle de la nature humaine (allgemeiner
Drang der Menschennatur) »26, que l’on peut également désigner comme besoin du
symbolique (Drang zum Symbolischen)27. L’idée que le commerce avec les dieux au moyen de
symboles caractérise en propre l’homme est sans doute contemporaine de leur apparition
28
. Si donc Creuzer attribue à des prêtres venus d’Orient le passage d’une muette
vénération religieuse, « semi-animale »29, à l’univers mythologique, il ne faut pas y voir
une thèse rationaliste attribuant un savoir discursif sur les dieux à une caste sacerdotale
qui l’aurait déguisé en images pour le rendre plus efficace. Les premiers prêtres certes «
donnent forme »30, donnent les noms, créent les images ; mais cette création des
symboles, Creuzer y insiste, est absolument indissociable d’une part de leur interprétation,
d’autre part de la révélation divine comme telle. Ce qu’il faut penser, donc, c’est la non-
préexistence de la révélation à ses symboles : il fallait que le prêtre « agît et configurât ; et
si maintenant il édifiait ce qui auparavant était invisible sous une figure visible, si, de
cette manière, il engendrait le divin, alors il attestait aussi, les deux ensemble, la force du
dieu et la vérité de sa dévotion […] »31. D’où l’idée antique que les dieux eux-mêmes sont
les premiers éducateurs, que ce sont eux-mêmes qui instaurent leur propre culte (comme

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Apollon à Delphes) ou leurs propres symboles (comme Déméter à la recherche de


Perséphone)32. Le symbolon – dans l’indissociabilité de sa création, de son interprétation,
et du culte qu’il permet – instaure l’unité originelle du dieu qui est prié et de celui qui
prie. Aucun arbitraire ici, aucune tromperie possible des prêtres, mais une forme
d’expression nécessaire, car propre à l’homme en tant qu’homme33.
12 On comprend, dès lors, que la pulsion de symbolisation ne se perpétue que de la tension
qui la constitue entre, d’un côté, le dieu qu’elle vise, et de l’autre la forme qu’elle lui
donne effectivement. L’indissociabilité originelle de la création des symboles et de leur
interprétation signifie l’inépuisabilité, au cœur même du symbolique, du non-encore-
verbal, de l’in-forme, ou si l’on veut du divin originaire et inatteignable. Ici se fondent (1)
la description creuzérienne des caractères propres au symbole, (2) la nécessité du couple
symbole/mythe.
13 (1) La littérature critique a souvent remarqué ce qui oppose de manière frappante la
conception creuzérienne à la conception (« classique », si l’on veut) moritzienne,
goethéenne, schellingienne du symbole comme parfaite adéquation de la forme au sens,
ou encore comme identité de l’être et de la signification34. Chez Creuzer au contraire, c’est
avant tout l’inadéquation, la tension entre l’essence (Wesen) ou idée et la forme (Form)
sensible qui ne l’exprime jamais entièrement, qui est mise en valeur – l’incongruence (
Inkongruenz) ou le trop-plein (Überfülle) du contenu par rapport à son expression. Par là, il
rejoindrait plutôt la caractérisation du symbole (ou de l’allégorie) donnée par Friedrich
Schlegel35, qui insiste sur son caractère signifiant (Creuzer également parle de
Bedeutsamkeit) et pour qui le symbole ne peut jamais qu’indiquer l’infini ou absolu, non le
présenter en plénitude. Dans les représentations des dieux de l’Inde, la démesure,
l’accumulation d’attributs reflètent selon Creuzer l’irreprésentabilité de l’être infini ; il en
va de même, verbalement, dans les hymnes orphiques36.
14 Toutefois, Creuzer ne s’en tient pas, dans sa caractérisation du symbolique, à ce «
douloureux désir d’engendrer l’infini dans le fini »37 – douloureux parce que conscient de
l’irréductible opposition entre la lumineuse simplicité de l’idée comme telle, et sa
diffraction dans l’existence sensible38. Son étude des sens antiques du symbolon les ramène
tous à l’idée d’une entité à la fois une et double, à un Zusammengesetztes ; sumballein c’est,
fondamentalement, articuler ensemble des éléments séparés, etwas Getrenntes
zusammenfügen39. D’un côté donc, il faut opposer, à ce qu’il appelle « l’image kyriologique
» (ou « historique »), simple reproduction ou répétition (par ex. une peinture
représentant telle étape du voyage d’Ulysse), l’image dans laquelle on veut en même
temps transmettre une signification, le Sinnbild ou le Symbolisches. Àl’intérieur de
l’iconique en général, le genre du kyriologique et celui du symbolique (en général)
diffèrent40, comme diffèrent l’un et la dyade. Mais, d’un autre côté, le propre du symbole,
c’est précisément de nous donner le double en son unité, dans un « coup d’œil unique »,
une intuition indécomposable41. Ce n’est qu’en tenant ensemble ces deux caractéristiques
du symbole creuzérien – dualité et unité, tension et réconciliation – que nous pouvons
comprendre ce qui a pu apparaître à certains critiques comme une incohérence42, savoir,
la coexistence chez Creuzer d’un concept mystique (oriental) du symbole, dans lequel
domine l’inexprimabilité de l’idée, et d’un concept plastique (grec) qui met au contraire en
valeur l’unité réalisée, rendue sensible, de l’essence et de la forme. Cette coexistence d’un
symbolisme du signifiant et d’un autre du beau – écho remarquable du dualisme kantien
de la sublimité et de la beauté, mais aussi de l’opposition herdérienne entre signification
orientale et beauté grecque43 – n’est pas contradictoire, si l’on remarque que le concept

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creuzérien de symbole contient d’emblée l’unité et l’opposition, l’opposition comme unité.


Pur mysticisme et claire plasticité n’en sont alors que les possibilités extrêmes.
15 Le symbole nous donne les opposés comme ne faisant qu’un : cela ne peut se faire que
dans une fulgurance, une brièveté saisissante : « C’est comme un esprit qui apparaît
soudainement, ou comme un éclair, qui illumine d’un seul coup l’obscurité de la nuit.
C’est un instant (Moment) qui sollicite notre être tout entier, un coup d’œil sur un lointain
sans limites, duquel notre esprit revient enrichi. […] l’entendement, pour autant qu’il
dissout en ses composantes la multiplicité renfermée par le moment prégnant de l’image,
et se l’approprie petit à petit, ressent un plaisir plein de vie, il est satisfait par la plénitude
de ce gain qu’il entrevoit progressivement »44. L’intuition symbolique, instantanée, est
opposée à la rationalité discursive, qui n’opère que dans la durée. Toutefois, cette
opposition n’a pas le sens d’une destruction mais bien d’une complémentarité, le
symbolique comme autre de la raison élargit le champ de la rationalité sans la remettre
en cause. Par là, Creuzer se rattache à l’interrogation idéaliste sur les limites de la raison,
sur son rapport à l’intuition et corrélativement sur la possibilité d’une « nouvelle
mythologie »45.
16 (2) En effet, c’est bien le dépl(o)iement discursif de l’inexplicable unité symbolique qui
constitue l’essence à la fois de l’allégorie et du mythe. L’allégorie présente à la manière
d’une plante entièrement développée ce qui dans le symbole se donne en germe. Le sens
de l’allégorie demande à être explicité en une série de moments successifs ; le mythe, qui
est essentiellement récit (et même récit épique), partage dès lors la nature successive de
l’allégorie46. Dans l’expérience symbolique en revanche, nous n’avons pas à chercher le
sens de l’image, il est là, rendu sensible. « Dans le symbole, un concept universel endosse
le vêtement terrestre, et s’avance comme image, de manière signifiante, devant l’œil de
notre esprit. Dans le mythe, l’âme comblée exprime son pressentiment ou son savoir en
une parole pleine de vie. C’est là aussi une image, mais une image qui parvient au sens
interne par une autre voie, par l’oreille »47. Creuzer donne notamment, suivant une
démarche de philologie comparée, un exemple frappant de la transformation progressive
d’un symbole en un mythe, avec la catenaaurea d’Homère. Partant d’un poème hindou où
Krishna dit que le Tout est uni en lui comme les perles sur le collier (coïncidence d’une
image et d’un « théologoumène »), Creuzer rappelle le déploiement de cette image dans le
stoïcisme (le Lien comme âme du monde et comme destin), le platonisme, les philosophies
ioniennes, mais aussi sa restitution dans l’Iliade (8, 18-27) à titre d’événement, d’action de
Zeus reliant tous les corps de l’univers par une chaîne d’or48. De manière générale,
Creuzer souligne (et déplore discrètement, à la suite de Fr. Schlegel et de Hamann49)
l’évolution ultérieure esthétisante du mythe : au départ bref commentaire de l’image
symbolique, le mythe, surtout sous sa figure homérique, devient de plus en plus plastique
et perd son caractère mystique et philosophique50.
17 Le ressort du mythe, ce qui lui donne sa consistance interne, c’est donc le symbole ; ainsi
la mythologie tout entière, comme degré originaire d’une histoire de la culture, doit être
comprise à partir de la pulsion symbolisante caractéristique de l’humanité, du Bildliches
ou de l’iconique. « 180ans avant ce qu’on a appelé Iconic turn, Creuzer met de manière
décidée l’image et la langue des images au centre des sciences philologiques » 51. Il est
particulièrement caractéristique de la décision creuzérienne que le symbolique soit ici
reconnu non seulement comme l’objet ultime, mais en même temps comme la méthode de
la philologie.

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Lien de la Querelle de la Symbolik à la conception du


symbole comme objet et méthode de la philologie
18 Dès 1807 (l’année où il fonde le séminaire philologique de l’université de Heidelberg),
Creuzer note que la philologie, en son essence, réunit « le conditionné de l’empirie et
l’inconditionné de l’aspiration idéale », et que les qualités requises du philologue sont «
l’application historique, le sens poétique et l’esprit philosophique » 52. Ces qualités sont mises
conjointement en œuvre dans le repérage et l’interprétation des symboles. Le symbole en
effet, nous l’avons vu, est le noyau de sens originaire, qui condense la manière dont un
monde de représentations religieuses – et par là un monde tout court – va pouvoir
s’ouvrir pour un peuple déterminé. Àce titre, il est d’abord pour le philologue, dans ses
diverses présentations matérielles (vases, statues, pièces de monnaie, textes antiques
d’historiens, de poètes, de philosophes…), un objet d’étude concret, qu’il s’agit de classer
en des typologies organisées non seulement selon la matière dans laquelle le symbole se
présente, mais aussi selon le rapport expressif qu’il instaure entre une idée et une forme. Le
symbole est ainsi, tout autant, un objet herméneutique, que le philologue ne peut
répertorier, classifier sans saisir son sens (et par là sa parenté avec d’autres symboles) : le
symbole est l’intuition centrale à laquelle le philologue doit pouvoir remonter, qu’il doit
pouvoir recréer « sympathiquement », s’il veut pouvoir établir l’identité de différentes
représentations mythologiques. En cela il doit donc mettre en œuvre une poïesis, une
intuition créatrice qui n’a rien d’arbitraire mais s’adosse à l’étude comparative rigoureuse
du matériau historique textuel, imagé ainsi que des systèmes religieux et philosophiques
de l’Antiquité, afin de pouvoir reconstituer le sens d’un système iconique pour ceux qui
l’ont forgé. Cette méthode symbolique en philologie s’est heurtée à différentes critiques.
Sans vouloir ici reconstituer toute la Querelle de la Symbolique, on en examinera quelques-
unes, en lien direct avec la conception du symbole comme méthode et objet53.
19 La critique – glissant rapidement sur le terrain de l’invective personnelle à motivations
politico-académiques – émise par Johann Heinrich Voß (1751-1826)54, pour autant qu’on
puisse tout de même y repérer un contenu scientifique55, conteste la compatibilité entre
d’une part, l’hypothèse creuzérienne de l’existence d’une symbolique préhomérique, et
d’autre part, la rigueur historienne qui exigerait bien plutôt selon Voß de rapporter
toutes les doctrines symboliques des Grecs à l’après-Homère et même aux Alexandrins 56.
Mais on voit bien que « symbole » ne signifie pas du tout la même chose pour les deux
philologues : l’idée de l’unité essentielle du bildliches Denken, propre à Creuzer, est
foncièrement étrangère à la conception rationaliste de symboles arbitraires (et
arbitrairement décomposables) qui se dessine chez Voß.
20 Le débat avec Gottfried Hermann (1772-1848, professeur à Leipzig depuis 1797) a
unanimement été reconnu comme plus sérieux et plus profond – d’abord par ses propres
protagonistes, qui lui ont donné la forme d’un échange de lettres publié, complété ensuite
par un écrit de Hermann57. Ce dernier partage tout de même avec Voß et l’école critique
rationaliste une réticence principielle à admettre des racines orientales de la mythologie
grecque. Si la mythologie est bien pour Hermann la « science des choses divines et
humaines » – ce qui pourrait être assez proche de la conception creuzérienne – , cette
définition selon lui 1) ne vaut que pour la mythologie grecque ; 2) exclut l’étude de la
provenance ou du développement de cette mythologie dans d’autres pays ; 3) exclut
l’étude des interprétations (historiques, philosophiques etc.) des Grecs eux-mêmes sur

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 9

leur mythologie et 4) exclut les inventions poétiques58. Ces points de divergence avec
Creuzer reposent sur le fait que Hermann dissocie formellement mythologie et foi
religieuse, et reconduit ultimement toute figuration mythologique à un « philosophème »,
c’est-à-dire qu’il la comprend comme le déguisement ou la déformation d’un noyau de
signification rationnelle : précisément ce que n’est pas le symbole chez Creuzer, mode
figuratif sui generis, hétérogène par rapport au mode rationnel, « pensée en images »
spontanée et indécomposable59. Corrélativement, Hermann conçoit la mythologie comme
une discipline purement historique, reposant sur des bases rationnelles, excluant toute «
participation » intuitive du chercheur à son objet60.
21 De manière remarquable, ceux-là mêmes qui, à l’opposé, approuvent chez Creuzer le lien
originaire établi entre religion et mythologie, ainsi que l’ambition systématique
conduisant à repérer les influences orientales et à reconstituer à l’aide d’une intuition
participative le symbolisme qui est la matrice des mythologies, critiquent tout de même
chez lui ce qu’ils interprètent comme une médiation « rationaliste » des premiers prêtres
fournissant des théologoumènes sous forme d’images aux premiers Grecs. C’est le cas
surtout de Karl Otfried Müller (1797-1840, élève d’Auguste Böckh et de Karl Solger61,
titulaire d’une chaire de philologie classique à Göttingen à partir de 1819) 62. La critique,
bien que parfaitement symétrique de celle de l’école rationaliste (ici on reproche trop de
raison, là trop d’intuition), semble toutefois, autant que cette dernière, passer à côté de la
notion originale de l’iconique et du Drang zum Symbolischen avancée par Creuzer. Tel n’est
pas le cas, en revanche, dans sa réception par Hegel63.

La philologie comme propédeutique à la philosophie


22 Sans doute la possibilité d’une réception philosophique féconde de la Symbolik était-elle
initialement déjà ouverte par la conception, exposée par Creuzer dès 1805, de la
philologie comme propédeutique à la philosophie. Ouvrant le premier volume des
célèbres Studien que Creuzer édita à Heidelberg entre 1805 et 1811 avec son ami et
collègue Carl Daub, l’article sur « L’étude des Anciens, comme préparation à la
philosophie »64 entend défendre la « valeur absolue » de la philologie 65. La caractéristique
essentielle du monde dans lequel nous plongent les textes antiques est, selon Creuzer, un
oubli de la subjectivité individuelle au profit de valeurs collectives, d’aspirations idéales,
un « anéantissement complet de toute individualité »66 dont on pourrait montrer qu’il fait
la grandeur de la poésie antique sous toutes ses formes67. Cet état d’esprit naturel aux
Anciens, la science de l’Antiquité peut l’éveiller en nous à titre de produit culturel ; elle
nous est alors « un organe de formation en vue de l’idéalité absolue »68. Difficile de ne pas
être frappé par la convergence entre cet oubli de l’individualité souligné par Creuzer, et
la condition du philosopher posée par Schelling dès 1795 dans le cadre d’une philosophie
du Moi absolu, mais surtout en 1801 puis en 1804 dans le cadre de sa philosophie de
l’identité absolue : faire abstraction, dans la pensée elle-même, du sujet pensant comme
tel. Àl’instar de Schelling qui réélabore le transcendantalisme issu de Kant en une
philosophie de l’absolu, c’est bien comme « la science de la condition de toutes les autres
sciences, la science de l’absolu », que Creuzer dit concevoir la philosophie 69. Et lorsqu’il
souligne que cette absoluité est celle d’une vie qui, bien distincte de l’existence ordinaire,
se saisit elle-même au moyen des idées, il rappelle une thèse essentielle à l’idéalisme aussi
bien qu’au premier romantisme (F. Schlegel, Fichte, Schelling, Hegel, Solger). La
philosophie comme science de l’absolu est en même temps une science de la vie, qui ne peut

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 10

selon Creuzer se réaliser qu’en échanges personnels : sur ce point, la philologie nous
transmet le modèle antique de la forme dialogique réactualisée dans la Symphilosophie
romantique, et celui de l’ironie socratique, langue naturelle de cette « vie supérieure »70.
Comme science de la vie absolue, la philosophie ne saurait être une simple ratiocination
par concepts, elle doit lier intimement rationalité et intuitivité : pourquoi ne pas se
laisser inspirer, en la matière, par l’usage antique (spécialement platonicien et
néoplatonicien) des symboles et des allégories, « comme d’un moyen de formation au
philosopher »71 ? Bref : la philologie bien comprise peut et doit contribuer à un
renouvellement des méthodes de la philosophie, le symphilosopher remplaçant la pure «
thétique »72, le discours symbolique se substituant à la « technique logique »73. La
fécondité de la Symbolik pour l’idéalisme ne suivra pas exactement ces voies. Toutefois,
ces réflexions de Creuzer pointent plusieurs préoccupations essentielles pour l’idéalisme,
dont la moins importante n’est pas la question du lien interne entre rationalité et
historicité.

La réception de la Symbolik dans les philosophies de


Hegel et de Schelling
23 Les idéalistes, Wilhelm von Humboldt, Schelling, Hegel, Solger, se sont reconnu une
parenté spirituelle avec l’auteur de la Symbolik74. Ce que Schelling et Hegel admirent dans
cette vaste construction, c’est son aspiration systématique à « trouver la vérité intérieure
des représentations mythologiques »75 ; tous deux s’appuient ainsi sur Creuzer pour
élucider le symbolisme (Hegel) et la mythologie (Schelling) comme des configurations de
l’imaginaire qui expriment les structures secrètes, essentielles de l’esprit humain. Sont
donc directement en jeu, dans ce transfert philologico-philosophique, la conception de la
rationalité et de son rapport à l’(apparemment) irrationnel, ainsi que le statut de
l’imaginaire comme logique supérieure de l’existence humaine.
24 Creuzer et Hegel entretiennent une relation d’amitié cordiale depuis le séjour de Hegel à
Heidelberg (1816-1818). Ils partagent un intérêt pour le néoplatonisme dont Creuzer,
éditeur de Proclus et de Plotin, fut le redécouvreur76. Outre son édition de Proclus,
Creuzer envoie en 1821 la deuxième édition de la Symbolik à Hegel (désormais à Berlin),
qui lui répond par une appréciation enthousiaste : « Franchement, il me semble que vous
avez dans ce travail entièrement embrassé cette immense matière – non pas seulement
avec cette vaste érudition, mais aussi avec l’idée, avec la philosophie, avec l’esprit […].
Àquel point je me sens encouragé pour mon esthétique, en ayant entre les mains un tel
ouvrage, c’est ce que je ne puis assez vous dire »77. Àvrai dire la réception hégélienne de l’
opus magnum creuzérien s’étend également à la philosophie de la religion et dans une
certaine mesure à la conception et à l’histoire de la philosophie (mythos et logos chez
Platon)78. L’intérêt de Creuzer pour la mythologie est à la fois esthétique, religieux,
historique et philosophique79 ; la réélaboration hégélienne du concept esthétique de
symbole met en valeur les enjeux de ce dernier pour l’esprit humain dans son ensemble.
25 Hegel trouve chez Creuzer la dissociation du symbolisme et de l’essence du beau ; elle lui
fournit un outil d’opposition non seulement à la philosophie de l’art schellingienne, mais
aussi à la conception du symbole développée par Friedrich Schlegel80. Loin de caractériser
la sphère entière du beau, le symbole hégélien n’en constitue que le préalable ( eine
Vorkunst)81, il est bien plutôt du côté du monstrueux, de l’étrange82, de l’énigmatique83.

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 11

Hegel reprend le contenu de la distinction entre le symbolisme mystique préhomérique et


le symbolisme plastique, mais il la radicalise en restreignant le symbolisme à la première
forme de l’art84, celle où l’esprit humain se cherche à travers des formes naturelles qui lui
sont ultimement inadéquates85. La sphère lumineuse des dieux de la Grèce – la « forme
d’art classique » – se trouve ainsi déliée du fond obscur que Creuzer lui avait attribué.
Opposant de manière polémique symbole oriental d’un côté, perfection de l’art classique
de l’autre, et les complétant par la forme d’art romantique, Hegel « fait sauter le cadre » 86,
habituel à l’époque, de la dichotomie Ancien/Moderne (antique/chrétien, classique/
romantique) par laquelle on cherchait à comprendre la relation entre caractère
esthétique et existence historique des œuvres d’art. En redistribuant cette typologie,
Hegel historicise l’esthétique87 ; il décèle la logique intérieure du passage d’une époque à
l’autre. En effet si le symbolisme ne définit stricto sensu que la première forme d’art,
l’impulsion symbolisante donne en réalité sa dynamique à l’ensemble des productions
artistiques88. Hegel reprend au mot près le Drang zum Symbolischen89 de Creuzer : le besoin
d’autoconfiguration de l’esprit est « Drang », « der ungeheure Trieb nach symbolischen
Kunst »90.
26 Le chapitre de la Phénoménologie de l’Esprit (1807) sur la « Religion naturelle » parlait déjà
de « travail instinctif (instinktartiges Arbeiten) » à propos de l’art « artisanal » des
Égyptiens, rapproché alors des constructions instinctives des abeilles91. Hegel trouve dans
Creuzer la thèse d’une impulsion symbolisante caractérisant non pas seulement l’époque
préhellénique mais l’humanité comme telle. Dans les élaborations successives (à partir de
1820) de son Cours d’esthétique, il s’approprie le terme de symbole pour caractériser l’art
oriental (Perse, Inde, Égypte), mais il l’élargit à une anthropologie de l’esprit absolu.
Hegel « trouve donc de toute évidence dans la confrontation avec Creuzer l’occasion de
saisir plus précisément sa propre hypothèse, encore peu explicite, dans le cadre du
développement de son Esthétique […] » 92. Cette généalogie est confirmée par la remarque
que fait Hegel à Creuzer dans une lettre de mai 1821 : louant les améliorations apportées à
la Symbolik lors de sa deuxième édition, il dit apprécier qu’y soit adoucie l’opposition
entre la signification sue et consciente du symbole, et le « sentiment de la chose, la
production instinctive (dem instinktartigen Produzieren), bien plus : l’activité nécessaire de
la raison dans les religions mythiques symboliques »93. Les leçons d’esthétique données à
Berlin à partir de 1820/21 élaboreront précisément cette conception du symbolisme
comme urgence de donner forme à l’obscur, comme pulsion inconsciente
d’autoconfiguration de l’esprit en une forme encore grevée de naturalité.
27 L’esprit se définissant comme liberté qui s’est subordonné la nature, le symbole est donc
aussi pour Hegel une expression de l’idée qui se caractérise par son inadéquation. Celle-ci
n’est pas accidentelle mais substantielle94. C’est chez Creuzer, encore, que Hegel trouve
l’idée de l’inadéquation, de la disproportion entre le symbole et ce qu’il rend visible, et de
la démesure qui traduit phénoménalement cette disproportion. Mais là encore il
s’approprie cette idée dans le cadre de sa conception de l’autodéploiement de l’esprit.
Pour Creuzer, l’inadéquation est constitutive du rapport religieux du fini avec un divin
posé comme transcendant95 ; elle dit l’absoluité d’une vérité toujours déjà donnée. Pour
Hegel, qui conçoit la vérité comme advenant au terme du processus de prise de conscience
de soi de l’esprit dans le concept, l’inadéquation n’est pas la différence existentielle entre
le fini et l’infini, elle tient au manque de détermination du contenu même de la révélation
; l’idée du beau n’est pas déformée, mais encore à venir.

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 12

28 L’inadéquation symbolique, la massivité voire la monstruosité des configurations


hindoues ou égyptiennes se traduit dans l’expérience du spectateur par une sidération,
une stupéfaction (Verwunderung96) de la conscience saisie par leur caractère « imposant »
97
et énigmatique. Ce saisissement décrit par les deux auteurs a chez Creuzer le sens d’une
surprise due à l’instantanéité de la révélation symbolique, conjonction des contraires ;
chez Hegel, il renvoie à la fascination narcissique de la conscience qui se devine
émergeant en son Autre.
29 Les recherches de Creuzer servent donc à Hegel de matériau dans l’élaboration d’un point
de vue proprement spéculatif sur la symbolisation artistique et religieuse et plus
généralement sur la culture98. Ainsi la question de savoir si les Grecs ont reçu ou non leurs
dieux de l’Égypte et de l’Inde ne doit pas recevoir une réponse d’ordre empirique, mais
seulement spéculatif : il faut comprendre à la fois la spontanéité spirituelle de la création
culturelle grecque, et l’altérité de ce qu’elle s’est assimilé 99. Au-delà des hypothèses
historiques, c’est bien la conception creuzérienne de la philologie que Hegel reprend :
Creuzer a bien vu que « les mythes et histoires légendaires ont leur origine dans l’esprit
humain »100, donc qu’ils doivent (contre Voß et Lobeck) être élucidés à l’aune d’une
rationalité élargie. En s’appropriant Creuzer, Hegel ouvre la voie non seulement à la
philosophie cassirérienne des formes symboliques101, mais aussi, dès la seconde moitié du
dix-neuvième siècle, à l’élaboration de l’histoire de l’art, c’est-à-dire de l’histoire de
l’activité humaine comme création de mondes formels (ou styles).
30 Le rapport entre Creuzer et Schelling est, d’une certaine manière, circulaire : si la
philosophie de la mythologie du second (développée des années 1820 aux années 1840) «
repose directement sur la Symbolique de Creuzer et l’approfondit philosophiquement » 102,
dès 1804 Creuzer se montrait de son côté fortement impressionné par ses lectures
schellingiennes. Sa correspondance avec Caroline von Gunderöde montre qu’il a lu le
Bruno (1802), Philosophie et religion (1804) 103 mais aussi les écrits de philosophie de la
nature104, ainsi qu’un Collegienheft (cahier de notes prises par les étudiants) des leçons sur
la Philosophie de l’art, qu’il fait recopier pour Caroline105. Schelling a remis la philosophie «
en contact avec le divin », écrit Creuzer en mai 1805 de celui qui semble bien réaliser à ses
yeux l’idéal philosophique décrit dans l’article des Studien que nous évoquions plus haut 106
. Dans la Préface de la 3ème édition de la Symbolik, Creuzer sera fier de signaler l’attention
prêtée par Schelling à son ouvrage107. De fait, le parcours critique effectué par Schelling
au début de son Introduction à la philosophie de la mythologie à travers les différentes
explications philologiques de la mythologie conclut à la supériorité de celle de Creuzer. Il
faut remarquer que Schelling lui-même s’appuie fréquemment sur des analyses
philologiques (surtout étymologiques), spécialement justifiées ici par l’idée que le
langage, comme production instinctive, « n’est que mythologie pâlie »108.
31 Pour comprendre le sens de la mythologie, se demande l’« Introduction historico-critique
», les explications « historiques » (i.e. philologiques) ne pourraient-elles suffire ? En quoi
la teneur de vérité propre à la mythologie requiert-elle une élucidation philosophique ?
Schelling reprend la thèse que Creuzer a, dit-il, élevée « au rang d’une évidence
historique incontestable »109 : la signification de la mythologie est religieuse. Les théories
qui y voient un déguisement, conscient ou non, de propositions théoriques ou éthiques
(de « philosophèmes ») ne rendent pas davantage compte du phénomène mythologique
que celles qui ne lui accordent que le sens poétique d’une fable110. Les représentations
mythologiques expriment immédiatement – non pas allégoriquement, mais
tautégoriquement111 – un rapport de la conscience au divin.

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 13

32 Cette teneur religieuse, Creuzer la conçoit comme déploiement systématique112, dans les
différentes doctrines sur les dieux, d’un noyau unique de sens qu’il pense pouvoir
identifier à la doctrine de l’émanation de toutes choses hors de Dieu. Comme Hegel,
Schelling loue ici « la profondeur du coup d’œil philosophique », qui rend vivante « l’idée
d’un Tout originel, de l’édifice d’une science humaine immémoriale »113. Mais dans son
dévoilement de l’unité de « la » mythologie, Creuzer n’a pas vraiment choisi entre une
explication reposant sur l’hypothèse historique d’une migration des doctrines entre les
peuples et une explication spéculative reposant sur la nature de la conscience humaine.
Schelling tranche : la genèse de la mythologie s’explique comme « quelque chose
d’indépendant du monde extérieur et d’entièrement intérieur »114. La mythologie, qui n’a
« aucune réalité en dehors de la conscience », ne doit pas être expliquée à partir du
rapport de la conscience à un certain type d’objets extérieurs (la nature, la morale…),
mais bien de manière transcendantale, c’est-à-dire en tant qu’elle rend possible le rapport
à un objet en général115. En effet, les puissances qui surgissent pour la conscience sous la
figure des dieux de la mythologie « ne sont autres que celles qui produisent le monde
même […] »116.
33 Plus précisément, la conception de Creuzer revient à considérer comme « présupposition
historique de la mythologie »117 un monothéismeoriginel qui, « parce qu’il ne pourrait être
trouvé par l’humanité elle-même, devrait être révélé »118. La mythologie une et plurielle
est alors comprise comme un « monothéisme éclaté »119. Or pour Schelling, la manière
dont Creuzer conçoit ce monothéisme constitue la « dernière des présuppositions
arbitraires » qui doit être écartée pour parvenir à un point de vue « scientifique » sur la
mythologie. Un monothéisme révélé signifie en effet que la conscience se rapporte à un
dieu défini, su et reconnu comme tel. Mais la conscience humaine est le dieu avant de
l’avoir sous la forme d’une représentation distincte ; elle est d’abord sous l’emprise
inconsciente de ce « grand Un »120. En réalité, dès qu’il y a monothéisme comme tel, ce
dernier ne peut être que monothéisme relatif, c’est-à-dire se sachant tel dans sa
confrontation à un polythéisme. Le monothéisme qui a pour « objet » le « vrai Dieu » ne
peut surgir qu’après le polythéisme, et sous sa condition. En fait, on ne peut concevoir
l’emprise de l’Un absolu sur la conscience que dans un état absolument pré-historique, sans
avant ni après ; s’il y a originairement monothéisme, il est donc « suprahistorique », et
correspond non à un acte de la conscience mais à une définition de la nature humaine
(l’homme en son essence est nature qui-pose-Dieu) 121. Creuzer s’est trompé en posant une
hypothèse historique, alors même que l’origine de la mythologie survient avant toute
histoire. « La mythologie naît par un processus nécessaire (du point de vue de la
conscience), dont l’origine se perd dans le suprahistorique et se cache en lui […] » 122.
34 Avec l’idée de la mythologie comme processus se dessine le trait distinctif et original de
l’explication schellingienne. Il ne nous paraît pas impossible de voir, ici aussi, la
transformation d’une idée de Creuzer. On se souvient que ce dernier opposait
l’instantanéité symbolique à la successivité mythologique. Cette dernière avait alors un
sens physiologique (l’audition est successive, la vue simultanée), philologique (la
discursivité linguistique) et psychique (la considération de l’objet se déroulant dans une
durée de temps). Dans la compréhension schellingienne de la mythologie, le concept de
processus devient le concept central pour expliquer le mode de genèse, donc aussi la
signification de la mythologie, et détache par là définitivement l’explication
schellingienne de la sphère des explications philologiques précédentes123. Alors même que
le Schelling de la Philosophie de l’art mettait au premier plan le symbolisme des dieux, liés

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 14

entre eux par un réseau de déterminations intemporelles, celui de la Philosophie de la


mythologie comprend leurs relations mutuelles avant tout comme relations
d’engendrement et de succession : « un dieu mythologique est le maillon d’une succession
historique de dieux »124. Ouranos, Kronos et Zeus ne s’excluent mutuellement – c’est-à-
dire ne valent chacun pleinement comme dieu – qu’en se succédant. Comprendre la
mythologie, c’est comprendre ce polythéisme successif. La successivité est comprise ici de
manière transcendantale (elle concerne les conditions des représentations d’objets, non
les objets) et comme une structure de refoulement125 (le dieu tombé dans le passé n’est pas
éliminé mais conservé dans le suivant).
35 Surtout, la successivité est la propriété essentielle des représentations mythologiques qui
nous permet de discerner en elles leur lien intrinsèque à une effectivité, à du factuel.
L’effectivité de la mythologie ne réside pas dans une réalité des dieux naïvement conçue,
mais dans la factualité du passage, réellement vécu par la conscience, d’une génération de
dieux à la suivante. C’est cette processualité de la mythologie qui nous indique qu’elle ne
peut être simple invention, mais décrit des étapes réellement vécues par la conscience et
conservées en elle en tant que passées. « […] jamais des dieux simplement penséset
représentés comme passés n’auraient pu inspirer ce frisson religieux et cette vénération
dont nous voyons Kronos [dieu révolu pour les Grecs, M.G.-S.] entouré non seulement dans
la mythologie grecque, mais jusque dans la poésie et l’art grecs »126. La détermination d’«
être passé » n’est pas une détermination que nous pourrions simplement ajouter à une
invention, à une représentation, elle indique la simultanéité dialectique d’une disparition
et d’une conservation, qui ne peut renvoyer qu’à l’expérience vécue de la conscience. Cela
signifie que la philosophie a, dans le processus mythologique, découvert à l’intérieur même
des représentations de la conscience la trace d’une effectivité qu’il n’est pas du ressort de
la conscience de créer. L’« historicité » des représentations mythologiques nous garantit
qu’elles ne sont pas seulement représentations mais en même temps vie, expérience
vécue. Schelling écrit : « Les dieux qui se sont succédé se sont effectivement emparés tour
à tour de la conscience. La mythologie entendue comme histoire des dieux, donc la
mythologie proprement dite, n’a pu s’engendrer que dans la vie elle-même, il a bien fallu
qu’elle fût quelque chose de vécu et d’éprouvé. Cela dit, ce m’est une joie de remarquer
qu’il est arrivé aussi à Creuzer de recourir à l’occasion à des termes similaires au sujet de
la mythologie »127. Mettre au centre de la philosophie de la mythologie la processualité de
cette dernière, c’est retrouver le point de tangence entre la philosophie et la vie, le
passage de la spéculation à l’existence dont Creuzer soulignait, dans son article de 1805, la
nécessité pour la philosophie contemporaine. C’est toutefois en un tout autre sens qu’il
concevait ce passage – à la manière socratique et platonicienne, avec une connotation
essentiellement éthique. On peut d’ailleurs se demander si l’admiration de Creuzer pour
Schelling ne repose pas sur un profond malentendu, qui lui ferait en réalité apprécier,
dans Schelling, le néoplatonisme, sans vraiment percevoir comment ce dernier est
refondu dans la problématisation schellingienne de l’héritage transcendantal kantien128.
36 Creuzer n’est pas un philosophe, et ne veut pas l’être. Son travail n’en demeure pas moins
le maillon central d’une interaction entre philologie et philosophie, dont les enjeux sont
essentiels pour la conception de la rationalité développée dans l’idéalisme allemand, à
travers la question d’une « mythologie de la raison » ou encore du rapport entre
spéculation et facticité. Il y a interaction avant tout dans le cas de Schelling qui,
influençant au début du siècle la direction prise par la philologie creuzérienne, se voit
ultimement à son tour inspiré par cette dernière. Pour Schelling comme pour Hegel, la

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 15

lecture et transformation de la Symbolik (et spécialement l’interprétation du monothéisme


originaire) est intrinsèquement liée à la question de l’historicité de l’esprit ou de la
conscience humaine – en un sens certes très différent pour chacun : alors que l’historicité
hégélienne de la quête de soi de l’esprit à travers les symboles religieux et artistiques est
appelée à son auto-transfiguration dans la clarté spéculative du savoir absolu, l’historicité
découverte par Schelling dans le processus mythologique est le rapport de la conscience à
sa propre absoluité archaïque, à son origine qui « se trouve dans une région à laquelle elle
n’a plus accès, dès lors qu’elle s’est séparée d’elle »129 et qui dès lors lui devient destin.

NOTES
1. Friedrich Creuzer, Symbolik und Mythologie der alten Völker, besonders der Griechen, Leipzig,
Darmstadt, Leske, 1810-1812, 4 vol.[désormais : Symbolik, suivi du numéro de volume ; traductions
M.G.-S.]. Deuxième édition : entièrement retravaillée, Leipzig, Darmstadt, Leske, 1819-1821, mit
einer Fortsetzung von F.J. Mone, Geschichte des Heidenthums im nördlichen Europa, 7 vol.Troisième
édition : Leipzig, Darmstadt, Leske, 1837-1843, mit einer Fortsetzung von F. J. Mone, Geschichte des
Heidenthums im nördlichen Europa, in : Deutsche Schriften, I. Abteilung, 6 vol. (reprint Hildesheim,
New York, G. Olms, 1990). La traduction-refonte française de la deuxième édition par Joseph
Daniel Guigniaut (Religions de l’Antiquité, de l’Inde, de la Perse et de l’Égypte, considérées principalement
dans leurs formes symboliques et mythologiques, Paris, Treuttel et Würtz, 1825-1851, t. I-V), témoin
du large succès de Creuzer en-deçà du Rhin, fut officiellement approuvée par l’auteur de la
Symbolique – lui-même associé étranger de l’Académie française. Cf. S. Fornaro, « Friedrich
Creuzer (1771-1858) à l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres », in : Flaubert. Revue critique et
génétique 4, 2010, [en ligne], mis en ligne le 15 décembre 2010. URL : http://flaubert.revues.org/
index1212.html. Consulté le 27 avril 2011.
2. Ce sont les leçons de Heyne sur Homère (à partir de 1766) qui avaient intégré pour la première
fois la mythologie à la philologie (Ch. Jamme, Introduction à la philosophie du mythe, Darmstadt,
1991, traduction française par A.Pernet, Paris, Vrin 1995, p.36).
3. Ch. Jamme, op.cit., 1991, p.64 sq.
4. Sur l’image de l’Orient, cf. de manière générale A.Polaschegg, Der andere Orientalismus. Regeln
deutsch-morgenländischer Imagination im 19. Jahrhundert, Berlin, New York, de Gruyter, 2005 ; chez
Creuzer, cf. E. Koczisky, « “Khalepa ta kala”. Das Konzept und die Rolle des Orients in Creuzers
Werk im Vergleich zu Görres », in : F. Strack (éd.), 200 Jahre Heidelberger Romantik, Heidelberger
Jahrbücher 51, 2007, p.299-320.
5. Dans une lettre à Savigny du 13 juin 1807 déjà, Creuzer dit accumuler du matériau « en vue
d’une sorte de système concernant le symbolisme (ou l’allégorie) des Anciens » (H. Dahlmann,
Briefe Friedrich Creuzers an Savigny, Berlin, E. Schmidt Verlag, 1972, p.218).
6. Symbolik, I, Vorrede, p.XV.
7. Cf. G. Schwinge, « Creuzers Symbolik und Mythologie und der Antisymbolikstreit mit Voß sowie
dessen Kryptokatholizismusvorwurf », in : Frank Engehausen, Armin Schlechter, Jürgen Paul
Schwindt (éd.), Friedrich Creuzer 1771-1858. Philologie und Mythologie im Zeitalter der Romantik.
(Begleitband zur Ausstellung in der Universitätsbibliothek Heidelberg, 12.Februar-8.Mai 2008),
Heidelberg et al., Verlag Regionalkultur, 2008, (p.73-88), p.88. Voir aussi Ernst Howald, Der Kampf
um Creuzers Symbolik. Eine Auswahl von Dokumenten, Tübingen, Mohr, 1926, p.27-28.

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8. Ch. Jamme, « Göttersymbole. Friedrich Creuzer als Mythologe und seine philosophische
Wirkung », in : 200 Jahre Heidelberger Romantik, Heidelberger Jahrbücher 51, 2007, (p.487-498), p.487.
9. Creuzer a laissé une autobiographie (Aus dem Leben eines alten Professors, 1848, in : Deutsche
Schriften, Leipzig, Darmstadt, 12 vol., 1837-1858, V,1). Voir aussi la « Notice historique sur la vie et
les travaux de Georges-Frédéric Creuzer, associé étranger de l’Académie », par J.D. Guigniaut, in :
Institut impérial de France. Académie des inscriptions et belles-lettres, séance publique annuelle du
vendredi 31 juillet 1863, Paris, Firmin Didot frères, 1863, p.39-85.
10. Voir le résumé plus détaillé de M.-M. Münch, La « Symbolique » de Friedrich Creuzer, Paris,
Ophrys, 1976, ch.III : « Analyse de la Symbolique » (p.77-100). T. Gabrielli (« Sous le signe de
Dionysos. Symbole, mythe et grécité chez Friedrich Creuzer », in : Archives de Philosophie 69,
2006/2, p.243-261) rend compte de manière suggestive et érudite de toute la partie sur Dionysos
et les Mystères.
11. H.-G. Gadamer, « Hegel und die Heidelberger Romantik » [1961], in : Hegels Dialektik. Fünf
hermeneutische Studien, Tübingen, Mohr, 1971, (p.71-81), p.75.
12. Si l’Inde et la Perse n’occupaient pas de chapitres à part dans la première édition (l’Orient
étant alors essentiellement représenté par l’Égypte), c’est en revanche le cas dans la deuxième
édition ; dans la troisième édition elles gagneront même une importance supérieure à l’Égypte.
13. Symbolik, II, p.365.
14. Symbolik, III, « Vorrede », p.V (non numérotée).
15. M.-M. Münch, op.cit. 1976, p.99.
16. T. Gabrielli, op.cit., p.14.
17. M.-M. Münch, op.cit., 1976, p.91.
18. Symbolik, IV, p.236.
19. Symbolik, IV, p.240.
20. Symbolik, IV, p.589.
21. Symbolik, IV, p.591.
22. Symbolik, IV, p.593.
23. La philosophie schellingienne de l’identité soutient qu’il « n’existe aucun passage continu de
l’absolu à l’effectif » (Philosophie und Religion, SW VI, p.38) et cherche à penser à la fois
l’immanence de l’absolu au réel et leur différence. [SW = F.W.J. von Schellings sämmtliche Werke, éd.
K.F.A. Schelling, Stuttgart, Augsburg, 1856-1861].
24. Contra, cf. B.A. Sørensen, Symbol und Symbolismus in den ästhetischen Theorien des 18.
Jahrhunderts und der deutschen Romantik, Copenhague, Munksgaard 1963, p.267, p.271.
25. Symbolik, I, p.10.
26. Symbolik, I, p.14.
27. Symbolik, I, p.21.
28. Symbolik, I, p.8.
29. Symbolik, I, p.4.
30. Symbolik, I, p.17.
31. Symbolik, I, p.14.
32. Cf. Symbolik, I, p.15-16.
33. Cf. Symbolik, I, p.62-63.
34. Cf. B.A. Sørensen, op.cit., 1963, p.270.
35. Creuzer a lu Fichte, les Schlegel et l’Athenäum (M.-M. Münch, op.cit., 1976, p.55).
36. Symbolik, I, p.169.
37. « Es ist ein schmerzliches Sehnen, das Unendliche im Endliche zu gebähren » (Symbolik, I,
p.67).
38. Cf. Symbolik, I, p.68.
39. Symbolik, I, p.38.
40. Symbolik, I, p.61.

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41. Symbolik, I, p.66.


42. B.A. Sørensen, reprenant une critique également émise par J. Görres et par W.Benjamin,
reproche à Creuzer d’avoir vainement voulu récupérer la conception weimarienne du symbole
plastique, alors même qu’elle ne correspondait pas à sa propre intuition originale (B.A. Sørensen,
op.cit., 1963, p.273-274).
43. Cf. B.A. Sørensen, op.cit., 1963, p.271.
44. Symbolik, I, p.69. Sur le rapport entre symbolisme et temporalité dans la philosophie idéaliste
(Schelling, Solger, Hegel) nous nous permettons de renvoyer à notre étude : « Symbol und
Zeitlichkeit bei Schelling, Solger und Hegel », in : Philosophisches Jahrbuch 2, 2007, p.324-345.
L’image de l’éclair est (notamment) préromantique et schellingienne.
45. Cf. Ch. Jamme, op.cit., 1991, chap.III.
46. Symbolik, I, p.83-84.
47. Symbolik, I, p.180-109.
48. Sur la catena aurea voir la Symbolik, I, p.116-120. Schelling avait mis en 1806 l’idée du Lien (
Band) au centre de sa philosophie et l’avait identifié à l’existence (Dasein, Existenz). Le passage
suivant montre que Creuzer connaît cette réflexion, dont il reprend les termes mêmes : « Es kann
nicht unsere Absicht seyn, dem Quell und Ursprung dieser Denkart nachzugehen, und sie an dem
Faden philosophischer Speculation in jenem Geheimniß alles Daseyns aufzusuchen, das originale
Denker unserer Nation bald durch den Ausdruck eines thätigen Bandes (copula) zwischen der Seele
und Natur bezeichnen, bald die lebendige Mitte beider nennen » ( Symbolik, I, p.62, nous
soulignons).
49. Cf. B.A. Sørensen, op.cit., 1963, p.272.
50. Cf. Symbolik, I, p.111-113.
51. J.P. Schwindt, « Sinnbild und Denkform. Creuzers „Althertumskunde“ und das romantische
Erbe der Klassischen Philologie », in : Frank Engehausen, Armin Schlechter, Jürgen Paul
Schwindt, op.cit., (p.41-58), p.49-56. J.P. Schwindt a suggéré l’établissement à Heidelberg, dans la
lignée de Creuzer, d’une tradition souterraine de recherche attachée au pouvoir structurant des
images, avec Erwin Rohde, Otto Crusius (lié à l’école de Hermann Usener), Otto Regenbogen (lié à
l’Institut Warburg), Viktor Pöschl, tradition dont la philologie elle-même n’aurait pas pris acte.
52. F. Creuzer, Das akademische Studium des Alterthums, nebst einem Plane der humanistischen
Vorlesungen und des philologischen Seminarium auf der Universität zu Heidelberg, Heidelberg, Mohr,
1807, p.21, souligné dans l’original.
53. Pour plus de détails voir E. Howald, op.cit., 1926 ; M.-M. Münch, op.cit.; Francesca Marelli, Lo
sguardo da Oriente. Simbolo, mito e grecità in Friedrich Creuzer, Milan, Ed. universitarie di lettere,
economia, diritto, 2000 ; G. Schwinge, op.cit. On laisse notamment de côté ici tout le débat avec
Christian August Lobeck (1781-1860), lié à Voß, qui après des recensions de Creuzer en 1809, 1810
et 1811, publie en 1829 l’Aglaophamus sive de theologiae mysticae graecorum causis libri tres (2vol.,
Königsberg ; reprint : Darmstadt, 1961), somme érudite qui reste une référence pour la philologie
allemande jusqu’à la fin du siècle.
54. J.H. Voß, Antisymbolik, 2 vol., Stuttgart, 1824-1826. Sur l’aspect académico-politique de la
querelle, cf. G. Schwinge, op.cit.
55. La faiblesse du noyau scientifique de cette critique est remarquée par Ernst Howald, op.cit.,
p.25 sq. ; M.-M. Münch, op.cit., ainsi que M.Schlesinger, Geschichte des Symbols, Berlin, L. Simion,
1912, p.114.
56. M. Schlesinger, op.cit., p.114.
57. Briefe über Homer und Hesiodus, vorzüglich über die Theogonie, von Gottfried Hermann und
Friedrich Creuzer, Professoren in Leipzig und Heidelberg, Heidelberg, 1818 ; Ueber das Wesen und
die Behandlung der Mythologie. Brief an Herrn Hofrat Creuzer, Leipzig, 1819. Ernst Howald, op.cit., p.24
voit l’échange de lettres comme « de loin, le document le plus riche en résultats de la
confrontation qui a duré des années avec la nouvelle mythologie ».

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58. Cf. Ernst Howald, op.cit., p.118.


59. Creuzer lui-même relève d’ailleurs que leurs conceptions diffèrent en raison d’une ambiguïté
relative au sens du « symbolique » et de l’« allégorique » ; il dit clairement que la poésie
originaire n’a pas recouru sciemment à une forme de représentation symbolique (F.Marelli, op.cit.,
p.171).
60. F. Marelli, op.cit., p.172.
61. Cf. G. Pinna, « Alle origini degli studi mitologici di K.O. Müller : Karl Wilhem Ferdinand
Solger », in : Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa 143, 1984, p.1021-1029.
62. Cf. F. Marelli, op.cit., p.173-178.
63. Il relève que Creuzer n’a jamais prétendu que les prêtres auraient déguisé symboliquement
des pensées par ailleurs séparément concevables (G.W.F. Hegel, Cours d’esthétique, trad. fr. par J.-
P. Lefebvre et V. von Schenck, Paris, Aubier, 1995, t.I [désormais : CE I], p.416-417 ; Werke in 20
Bänden, éd. E. Moldenhauer, M. Michel, Francfort-sur-le-Main, suhrkamp, 1970, abrégé en HW ; ici
HW 13, p.404).
64. F. Creuzer, « Das Studium der Alten, als Vorbereitung zur Philosophie », in : Studien 1, 1805,
p.1-22.
65. Ibid., p.3.
66. Ibid., p.5.
67. Ibid., p.6.
68. Ibid., p.7.
69. Ibid., p.15.
70. Ibid., p.18 et 19.
71. Ibid., p.19.
72. Ibid., p.21.
73. Ibid., p.15.
74. J. Hoffmeister, « Hegel und Creuzer », Deutsche Vierteljahrsschrift 8, 1930, (p.260-282), p.260.
75. G.W.F. Hegel, CE I, p.416 ; HW 13, p.403. Sur la réception de Creuzer par Hegel et Schelling
voir Ch. Jamme, « Göttersymbole », p.494-497, ainsi que S. Richter, op.cit., p.92-98.
76. Cf. H.-G. Gadamer, « Hegel und die Heidelberger Romantik » [1961], in : Hegels Dialektik. Fünf
hermeneutische Studien, Tübingen, Mohr 1971, (p.71-81), p.79. Voir aussi J.-L. Vieillard-Baron, «
L’interprétation du néoplatonisme dans l’école de Heidelberg : Creuzer interprète de Plotin », in
: F.Strack (éd.), Heidelberg im säkularen Umbruch. Traditionsbewußtsein und Kulturpolitik um 1800,
Stuttgart, Klett-Cotta, 1987, p.506-514.
77. Lettre de Hegel à Creuzer (brouillon), mai 1821, in : G.W.F. Hegel, Correspondance, trad. fr. par
J. Carrère, Paris, Gallimard, 1963, t. II, p.234.
78. Cf. J. Hoffmeister, op.cit., p.266-267. « Breite Stoffreferate der Hegelschen Ästhetik und
Religionsphilosophie sind für den Kenner als Creuzerexzerpte fraglos » (p.266).
79. Cf. J. Hoffmeister, op.cit., p.260.
80. G.W.F. Hegel, CE I, p.417-418 ; HW 13, p.404-405.
81. G.W.F. Hegel, CE I, p.405 ; HW 13, p.393.
82. G.W.F. Hegel, CE I, p.446-448 ; HW 13, p.430-432.
83. G.W.F. Hegel, CE I, p.474 ; HW 13, p.457.
84. G.W.F. Hegel, CE I, p.418 ; HW 13, p.405.
85. G.W.F. Hegel, CE I, p.483 ; HW 13, p.465.
86. O. Pöggeler, « Hegel und Heidelberg », Hegel-Studien 6, 1971, (p.65-133), p.109.
87. H.-G. Gadamer, « Hegel und die Heidelberger Romantik », p.77 et p.79-80.
88. M. Galland-Szymkowiak, « Symbol und Zeitlichkeit », p.340-341.
89. Symbolik, I, p.21 ; et p.14 : « so fordert ein allgemeiner Drang der Menschennatur sehr früh
bestimmte, äußerliche Zeichen und Bilder für unbestimmte Gefühle und dunkeles Ahnden ».
90. G.W.F. Hegel, CE I, p.470 ; HW 13, p.453. Cf. ci-dessus partie II.

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91. G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, trad. fr. par J.-P. Lefebvre, Paris, Aubier, 1998, p.457 ;
HW 3, p.508.
92. J.-I. Kwon, « Die Metamorphosen der „symbolischen Kunstform“. Zur Rehabilitierung der
ästhetischen Argumente Hegels », in : A. Gethmann-Siefert (éd.), Phänomen versus System [Hegel-
Studien : Beiheft 34], Bonn, 1992, (p.41-89), p.47.
93. Briefe von und an Hegel, éd. J. Hoffmeister, Hambourg, Meiner, 1953, vol.II, p.267 (ce passage ne
figure pas dans la traduction française).
94. Cf. J. Hoffmeister, op.cit., p.269-270.
95. Symbolik, I, p.68.
96. Cf. par ex. G.W.F. Hegel, CE II, p.263 ; HW 14, p.274.
97. Symbolik, I, p.4. Et p.73 sur le symbole mystique : « […] es bleibt nur ein sprachloses Erstaunen
».
98. J.-I. Kwon, op.cit., p.58.
99. Cf. S. Richter, « Perspektiven idealistischer Symboltheorien: Creuzers Forschungen im Fokus
von Schellings und Hegels Symbolverständnis », in : Frank Engehausen, Armin Schlechter, Jürgen
Paul Schwindt, (éd.), op.cit., (p.89-98), p.95.
100. G.W.F. Hegel, CE I, p.416 ; HW 13, p.403.
101. Cf. S. Richter, op.cit., p.98.
102. J. Hoffmeister, op.cit., p.261. Dès 1815, dans son écrit sur les Divinités de Samothrace, Schelling
reprend l’interprétation creuzérienne des Kabires et en donne une interprétation
transcendantale : les Kabires, deorum dii, sont les dieux qui, en tant que pures puissances, élevées
au-dessus de toute matière, engendrent tous les autres dieux (Cf. Schelling, Philosophie de la
mythologie, traduction française d’A. Pernet, Grenoble, J. Million, 1994, p.220, p.401, p.404 ; SW XII,
p.199, p.471, p.475).
103. Karl Preisendanz (éd.), Die Liebe der Günderode. Friedrich Creuzers Briefe an Caroline von
Günderode, Berne, Lang, 1975, p.38.
104. La Naturphilosophie a révélé « les secrets de l’être en sa totalité », elle a remplacé la réflexion
et la syllogistique, dont le formalisme imprègnent la philosophie critique, par un retour de la
révélation originelle du divin [!] (K. Preisendanz, op. cit., p.101).
105. Cf. K. Preisendanz, op. cit., p.117, 133, 143, 139.
106. Les écrits de Schelling tiendraient l’existence individuelle pour néant (K.Preisendanz, op.cit.,
p.38) ; Schelling a tenté, dans le dialogue Bruno, de renouveler la forme d’exposition de la
philosophie (p.225).
107. F. Creuzer, Symbolik, 3e édition, 1836, t. 1, « Einleitung », p.XIV.
108. F. Schelling, Introduction à la philosophie de la mythologie, traduction française du GDR
Schellingiana sous la direction de J.-F. Courtine et J.-F. Marquet, Paris, Gallimard, 1998 [désormais
: IntroPhiMyth], p.69 (SW XI, p.52).
109. Intro PhiMyth, p.101 ; SW XI, p.89.
110. Cf. les Leçons I à IV (Intro PhiMyth, p.25-105 [SW XI, p.3-93] ; ainsi que p.212 [SW XI, p.214]
pour un tableau récapitulatif).
111. Intro PhiMyth, p.195 ; SW XI, p.195-196.
112. Cf. Intro PhiMyth, p.103 ; SW XI, p.91.
113. Intro PhiMyth, p.102 ; SW XI, p.89.
114. Intro PhiMyth, p.91 ; SW XI, p.76.
115. Lothar Knatz qualifie la mythologie de « structure conditionnelle objective sur laquelle
repose tout conditionné » (Geschichte – Kunst – Mythos. Schellings Philosophie und die Perspektive einer
philosophischen Mythostheorie, Würzburg, Königshausen & Neumann, 1999, p.305).
116. Intro PhiMyth, p.213 ; SW XI, p.215.
117. Intro PhiMyth, p.104 ; SW XI, p.91.

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118. Intro PhiMyth, p.191 ; SW XI, p.191. Cf. la Préface de la Première Partie de la Symbolique, 2 e
édition (citée par Schelling, Intro PhiMyth, note 1 p.145 ; SW XI, p.137-138) où Creuzer affirme sa
thèse d’une connaissance initiale pure d’un Dieu unique, religion à laquelle les suivants se
rapportent comme les rayons diffractés au soleil.
119. Intro PhiMyth, p.103 ; SW XI, p.91.
120. Intro PhiMyth, p.181 ; SW XI, p.178.
121. Intro PhiMyth, p.186-187 ; SW XI, p.185-186.
122. Intro PhiMyth, p.193 ; SW XI, p.193.
123. Ibid.
124. Intro PhiMyth, p.135 ; SW XI, p.127.
125. Cf. Intro PhiMyth, p.132-134 ; SW XI, p.124-125.
126. Intro PhiMyth, p.133 ; SW XI, p.124.
127. Intro PhiMyth, p.134 ; SW XI, p.125-126.
128. Une étude complète du rapport de Schelling à Creuzer comprendrait une analyse des
emprunts de détail de la Philosophie de la Mythologie aux analyses de la Symbolik. Concernant les
deux points communs essentiels, le rôle de Dionysos et l’importance attribuée aux Mystères (ces
derniers dévoilent chez tous deux le cœur secret de la mythologie), on se reportera à l’article
déjà cité de Tiziana Gabrielli. On trouve aussi des indications dans X.Tilliette, La mythologie
comprise. Schelling et l’interprétation du paganisme [Naples, Bibliopolis 1984], Paris, Vrin, 2002,
passim.
129. Intro PhiMyth, p.192 ; SW XI, p.192.

RÉSUMÉS
Cet article s’intéresse aux rapports de la philologie, telle qu’elle est pratiquée dans la Symbolique
et mythologie des peuples anciens (11810-1812) de Friedrich Creuzer, avec la philosophie. Après avoir
reconstitué la visée de l’ouvrage puis la conception du symbole et du mythe qui en forme le
fondement spéculatif, on s’intéresse à la manière dont Hegel, dans sa conception du symbole, et
Schelling, dans sa philosophie de la mythologie, réinterprètent la somme de Creuzer autour de
points centraux pour leurs propres entreprises, comme la question de la naissance à soi-même de
la conscience humaine ou celle du rapport de la rationalité à l’historicité et à la facticité.

This article deals with the relationship between philology – as employed in Friedrich Creuzer’s
work Symbolik und Mythologie der alten Völker (Symbolism and Mythology of the ancient Peoples, 1

1810-1812) – and philosophy. After reconstructing the aims of this work and the conception of
symbol and myth that forms its speculative foundation, we examine the manner in which Hegel,
in his conception of the symbol, and Schelling, in his philosophy of mythology, reinterpret
Creuzer’s work with respect to central points of their own respective undertakings : the question
of the birth of human self-consciousness or the problem of the relationship of rationality to
historicity and facticity.

Dieser Beitrag untersucht die Beziehungen zwischen der Philosophie und der Philologie, wie sie
sich in Friedrich Creuzers Symbolik und Mythologie der alten Völker ( 11810-1812) darstellt. Zunächst
werden die Zielsetzung von Creuzers Werk und die Auffassung des Symbols und des Mythos
rekonstruiert, von der er ausgeht. Darüber hinaus wird untersucht, inwiefern Hegel in seiner

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La Symbolique de Friedrich Creuzer Philologie, mythologie, philosophie 21

Konzeption des Symbols und Schelling in seiner Philosophie der Mythologie dieses Hauptwerk
Creuzers im Hinblick auf einige zentrale Fragen umdeuten, wie z.B. im Hinblick auf die
Entstehung des Selbstbewusstseins oder auf das Verhältnis der Vernunft zu Geschichtlichkeit
und Kontingenz.

AUTEUR
MILDRED GALLAND-SZYMKOWIAK
Chercheur au CNRS (UMR 7172, ARIAS)

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