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Autour du premier siècle de l’an 1000 PCD, un moine bénédictin, immergé dans
la prière et la méditation, forge un « argument » qui fascinera et interpellera les plus
grands penseurs des siècles à venir. En ce période on assiste en ce période à la
fleuraison des universités, des véritables foyers de culture ou l’on se dédiait à la lecture,
la méditation et l’approfondissement du savoir ancien. Cela ce faisait en forme de lectio
(lecture), ou l’étudiant était exposé aux différentes disciplines, et de disputatio (débat),
ou l’on s’appropriait du savoir en l’utilisant dans un débat sous forme de question-
réponse. Le résultat de cela était une grande synthèse que l’on appelait summa (somme,
compendium).
S. Anselme outre être un scolastique invétère, il était aussi profondément augustinien.
En raison de son influence capitale sur s. Anselme on est obligé d’exposer très
brièvement sa théorie de la connaissance.
Grace à son génie, Augustin arrive à trouver les points de convergences et
divergence entre la pensée grecque et les données de la révélation, et arrive, plus que
tout les autres auteurs de l’époque à les harmoniser. 1 On peut voir cela par exemple,
dans l’explication philosophique du dogme de la Création, grâce auquel il a développé
l’idée d’un début absolu au temps. Le temps assume alors un sens profond, une
direction spécifique, et il est affranchi de l’idée d’un eternel retour. Il y a une évolution
dans la création, qui s’achemine vers son accomplissement définitif. Malheureusement
dans son anthropologie il n’arrive pas tout à fait à s’en débarrasser, il ne comprend pas
comment bien comment l’âme immortelle puisse fonctionner avec un corps mortel. La
séparation entre matière et esprit, âme et corps demeure latente. Sa fameuse doctrine de
l’illumination signale cette déficience : l’homme, âme intelligente créé à l’image de
Dieu, ne connait pas le monde à travers les donnés qui lui parvienne de sa sensibilité
corporelle, mais à travers ce à quoi le monde le renvoie, c'est-à-dire les « idées innées »
que Dieu a planté en son intérieur. C’est seulement à travers un travail de réminiscence,
ou l’on cherche l’illumination divine qu’on parvient à connaitre les choses. C’est un
mouvement qui part du plan extérieur du monde, vers le plan intérieur du « je » (ab
exteriora ad interioribus), et du plan intérieur au plan supérieur des Idées Divines. La
1
DASSELEER P., Histoire de la philosophie médiévale, Syllabus, Namur, 2018, pp. 13-22.
raison est première, et son union au corps reste un mystère. 2 Anselme, on va voire, reste
tributaire du rationalisme d’Augustin, chose qui transparaitra dans « l’audace idéaliste »
de son argument. Par contre, l’école thomasienne, qui redécouvrira et retravaillera la
philosophie d’Aristote, part de la position opposé. C’est à partir du monde sensible que
l’homme, grâce aux facultés de sa sensibilité (corps) est capable de le connaitre. Cela se
fait à travers un procès laborieux d’abstraction, sensible et intellectuelle, des donnés qui
parviennent à notre intellect (âme) grâce à notre corps sensible, qui retrouve ici toute sa
place et sa dignité. En effet, celui-ci est le seul qui « touche » directement le réel lui-
même, l’être qui se donne dans les étant. 3 Finalement, pour revenir à Anselme, il nous
reste maintenant à entrer dans le vif du sujet, en clair, qu’est ce que l’argument de s.
Anselme ? Et, plus fondamental encore, pourquoi produire un tel argument ? Pourquoi
prouver l’existence de Dieu ? Pour répondre à ces questions et pour regarder de près le
développement de l’argument d’Anselme on va le parcourir ensemble à travers la
traduction française de Michel Corbin, s.j.4
« […] j’ai commencé à chercher, à part moi, s’il se pouvait trouver, par hasard,
un argument unique (unum argumentum) qui n’eut besoin que de lui seul pour
se prouver (se solo indigeret) et qui seul garantît que Dieu est vraiment »5
Cela est important car, tout comme Dieu se suffit à lui-même, l’argument qui
prouve son existence est sensé être tout aussi simple et nécessaire. Cette recherche, loin
d’être une spéculation entre autres, devient une véritable nécessité existentielle pour s.
Anselme, au point de ressembler à une obsession car ne il mange que rarement et
2
DASSELEER P., Histoire de la philosophie médiévale, Syllabus, Namur, 2018, pp. 20-21.
3
DASSELEER P., Introduction à la métaphysique, dans Questions Disputées, Téqui, Paris, 2019, pp.
161-300.
4
ANSELME DE CANTORBERY, Proslogion, dans Monologion, Proslogion (Tome 1), traduction du
latin par Michel Corbin, Paris, Cerf, 1986, pp.219-288.
5
Ibid.
commence à avoir des difficultés à prier. 6 En effet, un argument, dans la méthode de
disputatio est « une proposition qui permet de lever un doute, de trancher entre les deux
parties »7 et l’enjeu ici est le plus élevé et important sur lequel on puisse débattre :
l’existence même de Dieu.
C’est sous cette lumière qu’on peut comprendre pourquoi cet argument est
exprimé, et même immergé et pétri, dans un contexte de prière. S. Anselme raisonnait
car sa foi aspirait à la vérité (« desidero […] intellegere veritatem tuam »). La recherche
de cet argumentum devient le point cardinal de sa foi. Voila d’où jaillit son fameux
« fides quaerens intellectum», car, dit il dans son Proslogion : « je ne cherche pas non
plus à reconnaître (intelligere) pour croire, mais je crois pour reconnaître ». La foi en
Dieu, expérience profonde, n’a pas besoin d’une preuve, strictu sensu, mais le désir fait
partie d’une foi vivante, assoiffé de Vérité, et elle ne se contente pas de croire sans
« gouter ».8
« Enseigne-moi à Te chercher, montre-toi à qui Te cherche, car je ne puis Te
chercher si Tu ne m’enseignes, ni Te trouver si Tu ne Te montres. Que je Te
cherche en désirant, que je désire en cherchant. Que je te trouve en aimant, que
j’aime en trouvant. (Quaeram te desiderando, desiderem qaerendo. Inveniam
amando, amen inveniendo) »9
Voila alors qu’au même temps qu’il prie, s. Anselme « récite » son argument. Celui-ci
se trouve dans le II chapitre du Proslogion :
« Nous croyons en effet que Tu es quelque chose dont rien de plus grand ne
puisse être pensé. Est-ce qu’une telle nature n’est pas parce que l’insensé a dit dans son
cœur : Dieu n’est pas ? Mais certainement ce même insensé, lorsqu’il entend cela même
que je dis : « quelque chose dont rien de plus grand ne peut être pensé », reconnaît ce
qu’il entend, et ce qu’il reconnaît est dans son intelligence, même s’il ne reconnaît pas
que cela est. Car c’est une chose que la chose soit dans l’intelligence, une autre de
reconnaître que cela est (aliud intellegere rem esse). […] Même l’insensé est donc
6
ANSELME DE CANTORBERY, Proslogion, dans Monologion, Proslogion (Tome 1), traduction du
Latin par Michel Corbin, op. cit., p. 243
7
Ibid.
8
BARTH K., S. ANSELME, Fides quaerens intellectum, La preuve de l’existence de Dieu, (Lieux
Théologiques n. 7), Labor et Fides, Genève, 1985, pp. 13-19
9
ANSELME DE CANTORBERY, Proslogion, dans Monologion, Proslogion (Tome 1), traduction du
Latin par Michel Corbin, op. cit., p. 243
convaincu que « quelque chose dont rien de plus grand ne peut être pensé (nihil maius
cogitari potest) », est au moins dans l’intelligence. Mais certainement cela dont plus
grand ne peut être pensé ne peut être dans la seule intelligence. En effet, s’il est au
moins dans la seule intelligence, qu’il soit aussi dans la réalité peut être pensé, ce qui est
plus grand. Alors si « cela dont plus grand ne peut être pensé » est dans la seule
intelligence, cela même « dont plus grand ne peut être pensé » est « cela dont plus grand
ne peut être pensé ». Mais certainement ceci ne peut être. Quelque chose dont plus
grand ne peut être pensé existe donc, sans le moindre doute, et dans l’intelligence et
dans la réalité. »10
« Cela est en tout cas si vraiment qu’on ne peut penser qu’il ne soit pas. Car on
peut penser qu’il est quelque chose dont on ne puisse penser qu’il ne soit pas, ce qui est
plus grand que ce dont on peut penser qu’il ne soit pas. Dès lors, si l’on peut penser que
cela dont plus grand ne peut être pensé n’est pas, cela même dont plus grand ne peut
être pensé n’est pas cela dont plus grand ne peut être pensé ; ce qui ne peut convenir.
Ainsi donc quelque chose dont plus grand ne peut être pensé est si vraiment qu’on ne
puisse penser qu’il ne soit pas (nec cogitari possit non esse) »12
Ce qui est affirmé ici c’est l’impossibilité de penser la non-existence de Dieu ou, en
d’autres mots, cet argument dit la nécessité de l’existence de Dieu. Si dans le premier
10
ANSELME DE CANTORBERY, Proslogion, dans Monologion, Proslogion (Tome 1), traduction du
latin par Michel Corbin, op. cit., p. 244
11
SCRIBANO E., L’existence de Dieu, Histoire de la preuve ontologique de Descartes à Kant,
Seuil, Paris, 2002.
12
ANSELME DE CANTORBERY, Proslogion, dans Monologion, Proslogion (Tome 1), traduction du
latin par Michel Corbin, op. cit., p.247-248.
argument Anselme démontrait que de l’idée de Dieu découle par nécessité logique son
existence réelle, dans le second argument il affirme que l’impossibilité de non-existence
est plus parfait que sa possibilité. L’idée de Dieu « contient » aussi son existence, et
l’idée de Dieu ne peut pas ne pas être pensée, donc Dieu existe nécessairement.
En somme, les deux arguments peuvent être résumés de la manière suivante :
l’être tel que rien de plus grand ne peut être pensé est l’être dont la non-existence est
impossible ; l’être tel que rien de plus grand ne peut être pensé existe donc
nécessairement.13
La question que surgit spontanément chez l’auditeur porte évidemment sur la
légitimité d’un tel raisonnement. De quel droit, en effet, peut-on déduire que d’une idée
découle nécessairement une réalité ou, plus exactement, quelle est la portée réelle de
notre raison? C’est ce sur quoi portera notre réflexion dans le chapitre suivant, qui
regardera de près les réactions à cet argument et ses implications.
13
Cf. SCRIBANO E., L’existence de Dieu, op. cit., p.39-41.
tellement parfaite à une idée dont ne peut concevoir rien de plus grand, que cet idée soit
impossible à ne pas être pensée. Cette idée est la Perfection elle-même. En effet, quand
nous disons que quelque chose « participe à x», on présuppose que ce « x » soit plus
grand que ce quelque chose. De cela découle que ce qui est le plus parfait devienne la
mesure ultime de toute la réalité, et cette dernière participera dans un dégrée plus ou
moins élevé à cette Perfection. En d’autre mot, l’idée de Perfection, comme la présente
Anselme, semble mesurer la réalité toujours limité de notre monde.
Or, l’intuition exprimée par Anselme à travers cet argument est beaucoup plus
profonde et fondamentale de ce que l’on peut juger à première vue. Son « argument
unique » provoque le questionnement plus fondamental que la philosophie puisse se
poser et dont la réponse divisera nécessairement les diverses courantes de pensée, en
clair : l’idée de Perfection est-elle seulement dans l’intellect, ou aussi dans la réalité ?
Ou pour l’exprimer de manière plus méthodique, quelle est la portée réelle de notre
raison? Cette question est immense et il nous serait impossible d’y répondre
exhaustivement ici. Néanmoins, on tentera de tracer une piste de réponse à cette
question en comparant le point de vue Kantien, traité dans ce chapitre, avec le point de
vue Hégélien, traité dans le chapitre suivant.
Pour aborder la critique que Kant fait de l’argument d’Anselme il faudra d’abord
clarifier l’intention de sa démarche.
14
KANT, Critique de la raison pure, traduction de Jules Barni, GF, Paris, 1976, pp. 63-71pp. 461-
491.
Cette question reprend notre propos et recadre l’argument d’Anselme. Toutefois, avant
de continuer, il faudra comprendre qu’est ce qu’un jugement synthetique et de quelle
manière cela rejoint notre réflexion. Un jugement est une affirmation, ou une négation,
où le rapport entre sujet(A) et prédicat(B) est possible de deux manières : 1) Dans la
manière analytique le prédicat B est déjà contenu dans le sujet A, exemple : tous les
corps (A) sont étendus (B). Je peux tirer le prédicat B a priori, sans devoir « sortir » du
concept et faire recours à mon expérience, car B est une qualité que je peux extraire en
pensant à A. 2) Le jugement synthétique, par contre, ajoute une détermination au sujet
qui n’était pas contenue en lui auparavant.
Dès lors, pour revenir à notre argument, si l’on affirme que l’idée de Dieu
(Perfection) prouve son existence, on fait découler l’existence (réelle) de son idée
(intellectuelle), mais cette idée n’est présente dans notre intellect qu’a priori. En termes
kantiens on est en train d’opérer un jugement analytique pour en extraire une conclusion
a posteriori. Cependant, si l’on affirme que quelque chose existe dans la réalité il
faudra confirmer cette hypothèse logique par une preuve a posteriori, ce qui revient à
dire qu’une preuve a priori ne peut pas démontrer l’existence d’une chose.
C’est pourquoi Kant dénonce dans l’argument d’Anselme un glissement de l’ordre
logique à l’ordre ontologique. Pour le démontrer il abordera son argument sur un plan
purement logique. Le fondement de sa critique se trouve dans la deuxième section du
chapitre 3, ou il nous parle de l’idéal transcendantal :
Dès lors, pour Kant, toutes les réalités sont des matérialisations, ou limitations, du
concept de « réalité suprême » qui demeure l’être originaire (ens originarium), ou l’être
15
Ibid.
suprême (ens summum). Mais cet idéal transcendantal s’il est dérivé de la réalité ne
saurait pas être lui-même réel, car il est seulement dans la raison. Il peut être décrit
comme la capacité de l’intellect humain de conceptualiser la « condition du possible »
mais qui n’a aucune raison d’être en dehors de l’intellect. Ce qu’on ressent ici c’est la
profonde coupure que Kant a voulu opérer entre les phénomènes physiques et leur
signification nouménale (métaphysique). Pour empêcher une mainmise sur la réflexion
métaphysique, le philosophe de Königsberg en privera l’accès à tous le monde.
Maintenant il nous reste à expliciter comment tout cela peut nous aider dans notre
propos d’élucider l’argument d’Anselme et de le recadrer.
Premièrement Kant nous dit qu’un être « dont plus grand ne peut être pensé » est
un idéal transcendental, c'est-à-dire une création de notre raison. Deuxièmement, il
affirme que l’existence de cet idéal est purement intellectuelle, car notre raison nécessite
un tel principe pour penser l’unité du réel, mais que cette nécessité est ressentie que par
et pour notre raison. En dernier, Kant nous enseigne qu’un concept est toujours possible
tant qu’il n’est pas contradictoire, ce qui rend illégitime la démarche d’Anselme quand
il déduit la réalité objective (objektive Realität) de la possibilité conceptuelle (cogitari
potest). En clair, si l’on dit : Dieu existe, cela peut être soit une proposition analytique
soit synthétique. Si elle est analytique on ne fait que répéter la même chose, ce qui est
une « misérable tautologie » ; de même dans le cas ou elle était synthétique, on
distinguerait la réalité de l’existence ce qui est aussi une redondance. Par ce
raisonnement, Kant affirme que l’on ne peut pas conclure à l’existence d’une chose par
simple concept, car l’existence n’est pas d’ordre conceptuel, ce qui rend une
démonstration a priori illégitime et impossible.16
Cette conclusion semble trancher définitivement le débat. La raison, de par sa
nature forge l’idée de perfection pour définir une réalité qu’elle n’arrive jamais à
atteindre. Sur un plan logique il n’y a aucune échappatoire, car l’homme est renfermé
dans les structures de son entendement, à partir desquelles ils « spatio-temporalise » la
réalité. Il faut avouer que cette solution semble assez radicale pour prouver que l’idée de
Dieu n’est que le fruit de la raison. Ce qu’on va voire dans le prochain chapitre c’est si
16
SEIDENGART M., Kant et la critique de la métaphysique dans la critique de la raison pure 2eme
partie (Syllabus), Université paris-ouest, 2008-2009, pp. 15-21.
la raison n’a vraiment aucune connexion avec la réalité, ou si l’on veut, si cette
connexion est plus que virtuelle. Pour cela on plongera dans la pensée de Hegel.
17
LEONARD A., Les raison de croire, Jubilé (edition revue et augmenté), 2010, p.46.
identité du fondement est « expérimentée », de manière irréfléchie.18 Le Gefühl
schleiermachérien est une expérience de l’ordre de l’intuition, on sait qu’il y a du réel,
mais on ne peut pas le comprendre. Ici, l’on voit le piège de réduire la connaissance à
une maîtrise de l’objet étudié, on est désormais réduits à « sentir » qu’il y a du réel
parce qu’on ne peut pas l’objectiver.
Cela démontre clairement que le mouvement analytique des sciences positives, ne
suffit pas à faire progresser le savoir, tout seul. De plus, la raison exige un principe
unifiant, par lequel après avoir morcelé une chose on puisse la reconstruire plus
solidement : c’est le mouvement synthétique de la raison!19 En effet, sans liens avec la
réalité, la raison est obligée à avouer la contradiction inhérente à sa propre existence.
Car si mes idées (concepts) ne disent rien de réel, la raison devient prisonnière de sa
réflexivité, condamnée à se contempler dans le miroir sans jamais avoir accès à l’altérité
du réel. Fichte bouclera le cercle en poussant Kant jusqu’au bout de sa réflexion, et cela
aboutira dans le solipsisme absolu.20
Tout cela semble très loin du moins de Canterbury, mais ce n’est pas ainsi. Ce
qu’Anselme fait en essayant de démontrer l’existence de Dieu, pourrait être définit, dans
un dégrée mineur, une preuve de le nécessité ressentie par la raison de trouver l’Altérité.
Pour être plus clair on peut dire que la nécessité de la raison de sortir d’elle-même est
celle de trouver sa finalité, le sens de son existence. Eh bien, cette « nécessité » projeté
vers le futur est ce qu’on nomme le principe de finalité, et si elle est projetée vers le
passée elle s’appelle principe de causalité.
Dit autrement la raison est transobjetive, c’est-à-dire qu’elle tend naturellement à
dépasser les simples objets (ou phénomènes) pour en chercher la finalité et la cause. Ce
qui manifeste, par l’acte même de chercher, l’identité profonde entre la raison et ce
qu’elle cherche.21 Maintenant, s’il y a un philosophe qui ait cherché de définir et
justifier cette unité entre la pensée et la réalité, ce philosophe c’est Hegel.
Mais avant de rentrer dans le vif de sa pensée il convient de démarquer les marges
de coïncidence que sa pensée peut avoir avec l’argument d’Anselme. C’est pourquoi il
18
BRITO E., Hegel et l’idéalisme allemand, dans « Montrer aux hommes le chemin qui mène aux
Christ, Mélanges offerts à Mgr André Léonard à l’occasion de son 80 e anniversaire», Lethielleux, Paris,
2020, pp. 135-136.
19
DASSELEER P., Histoire de la philosophie moderne, Syllabus, Namur, 2018, pp..
20
Ibid, pp..
21
DASSELEER P., Introduction à la métaphysique, dans Questions Disputées, Téqui, Paris, 2019,
pp..
nous faut voir comment Hegel pourrait défendre l’argument que l’idée d’une chose
puisse en prouver l’existence a priori. Pour ce faire on explorera, toujours brièvement et
de manière non-exhaustive, la pesée de Hegel en regardant son idée fondatrice : das
Concept.
Comme on l’a dit plus haut, Kant commet deux erreurs auxquelles Hegel répondra
en ajoutant un élément important pour notre réflexion. La première erreur est celle
d’affirmer, d’un coté, que l’entendement humain ne peut connaitre que des phénomènes
et, de l’autre coté, d’absolutiser l’acte de connaitre, en disant que le savoir humain ne
peut pas aller plus loin. Cela est un illogisme car « rien ne peut être connu comme limite
ou défaut qu’à condition en même temps d’être à cet égard en dehors. »22 C’est pourquoi
affirmer de manière sure qu’il n’y ait rien de connaissable en dehors de l’entendement
relève d’un dogmatisme injustifié. Si l’on affirme cela on peut tout à fait affirmer le
contraire, c'est-à-dire que la raison a accès à la réalité, parce qu’il est impossible de le
vérifier. La deuxième erreur est la conséquence de la première, elle consiste à confondre
le « sujet » et la « chose en soi » (objet). Kant pèche ici d’inconséquence, terme
employé par Adorno, car il déplace vers l'intérieur du sujet l'unité de l'étant et le concept
d'être tout en refusant d'avouer la différence ontologique, que lui-même affirme exister,
entre l'objet et le sujet. Il y aurait alors un objet hors du sujet (qui est inconnaissable,
noumène) et un objet dans le sujet. 23
En trichant contre sa propre pensée (séparation
phénomène/noumène), Kant fait coïncider l’identité de la chose (objet au delà de notre
entendement, noumène) et l’identité de la raison (objet en tant qu’il est connu par notre
entendement, phénomène). 24
V. « Das Concept »
Or, ce qui posait problème pour Kant n’en pose aucun pour Hegel, car pour lui la
sphère ontologique (nouménale) et logique (phénoménale) sont une seule et même
sphère. Le philosophe de Stuttgart peut arriver à cette conclusion car il fait ressortir
avec force, au contraire de Kant, le caractère positif de la contradiction. Là où Kant
22
Cf. GLOCKNER 8, 158-159 ; Gallimard, 1970, 123 cité dans NOBRE M., « Subjectivité et
objectivité selon Kant et Hegel : un modèle adornien de critique et de métacritique », DOI
10.3917/leph.043.0311.
23
NOBRE M., Subjectivité et objectivité selon Kant et Hegel : un modèle adornien de critique et de
métacritique, DOI 10.3917/leph.043.0311.
24
Ibid.
l’évitait hypocritement, Hegel la proclame à haute voix car il a enfin compris que toute
négation comme toute différence présuppose un pole positif préalable. Il n’y a pas de
différence sans identité, pas de négatif sans positif. La contradiction sera alors toujours
pensable comme passage obligatoire vers une unité plus profonde et plus vraie. 25
-contraddiction = pensable
-contraddiction=moteur du progres
-aufhebung= negation de ce qui est apparament contraddictoire
-Concept= negation absolu, esprit pure et plein
VI. La cogitative, le pont entre Dieu et l’homme
28
LEONARD A., Les raison de croire, Jubilé (edition revue et augmenté), 2010, pp.31-33.