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Philosophie (Tronc commun) Tle

Séquence 4

La raison / La vérité
Question. Toute vérité est-elle rationnelle ?
Axe de réflexion. La connaissance
Texte 1
De même qu’on nomme « bon » ce à quoi tend l’appétit, de même on nomme « vrai » ce à quoi tend
l’intelligence. Mais il y a cette différence entre l’appétition et l’intellection, ou tout autre mode de connaissance,
que la connaissance consiste en ce que le connu est dans le connaissant, tandis que l’appétition consiste dans le
penchant du sujet vers la chose même qui l’attire. Ainsi le terme de l’appétition, qui est le bon, se trouve dans la
5 chose attirante, mais le terme de la connaissance, qui est le vrai, est dans l’intelligence.
Or, de même que le bien est dans la chose, en tant qu'elle est ordonnée à l'appétit, en raison de quoi la raison
formelle passe de la chose attirante à l’appétit lui-même, de telle sorte que l’appétit est dit bon dès lors que ce
qui l'attire est bon, de même, le vrai étant dans l’intelligence selon que celle-ci se conforme à la chose connue, il
est nécessaire que la raison formelle de vrai passe à la chose par dérivation, de sorte que cette dernière soit dite
10 vraie elle aussi en tant qu'elle est en rapport avec l’intelligence.
Mais cette chose peut se rapporter à l’intelligence par soi ou par accident. Elle se rapporte par soi à
l'intelligence dont elle dépend selon son être ; elle se rapporte par accident à l'intelligence par laquelle elle est
connaissable. Comme si nous disions que la maison a un rapport essentiel à l’intelligence de son architecte, et un
rapport accidentel aux intelligences dont elle ne dépend pas. Or, une chose ne se juge pas en considération de ses
15 caractères accidentels, mais en raison de ses caractères essentiels. On dira donc qu’une chose est vraie,
absolument parlant, par comparaison avec l’intelligence dont elle dépend. De là vient que les productions de l’art
sont dites vraies par rapport à notre intelligence ; par exemple, une maison est dite vraie quand elle revêt la
forme d'art qui a été conçue par son architecte ; une parole est dite vraie quand elle est le signe d’une
connaissance intellectuelle vraie. Pareillement, les choses naturelles sont dites vraies en tant que se réalise en
20 elles la similitude des formes intelligibles qui sont dans l’intelligence divine : on appelle une vraie pierre celle
qui a la nature propre de la pierre, telle que l’a préconçue l’intelligence de Dieu. Ainsi donc, la vérité est
principalement dans l'intelligence, secondairement dans les choses, en tant que reliées à l'intelligence comme à
leur principe.
THOMAS D’AQUIN, Somme de théologie, I, q. 16, art. 1 ; Paris, Cerf, 2000, t. I, p. 000.

Texte 2
C’est une notion si transcendentalement claire, qu’il est impossible de l’ignorer : en effet, on a bien des
moyens pour examiner une balance avant que de s’en servir, mais on n’en aurait point pour apprendre ce que
c’est que la vérité, si on ne la connaissait de nature. Car quelle raison aurions-nous de consentir à ce qui nous
5 l’apprendrait, si nous ne savions qu’il fût vrai, c'est-à-dire si nous ne connaissions la vérité ? Ainsi on peut bien
expliquer quid nominis à ceux qui n’entendent pas la langue, et leur dire que ce mot vérité, en sa propre
signification, dénote la conformité de la pensée avec l’objet, mais que, lorsqu’on l’attribue aux choses qui sont
hors de la pensée, il signifie seulement que ces choses peuvent servir d'objets à des pensées véritables, soit aux
nôtres, soit à celles de Dieu ; mais on ne peut donner aucune définition de logique qui aide à connaître sa nature.
10 Et je crois le même de plusieurs autres choses, qui sont fort simples et se connaissent naturellement, comme sont
la figure, la grandeur, le mouvement, le lieu, le temps, etc., en sorte que, lorsqu’on veut définir ces choses, on les
obscurcit et on s’embarrasse. Car, par exemple, celui qui se promène dans une salle fait bien mieux entendre ce
que c’est que le mouvement, que ne fait celui qui dit : est actus entis in potentia prout in potentia, et ainsi des
autres.
15 L’auteur prend pour règle de ses vérités le consentement universel ; pour moi, je n’ai pour règle des miennes
que la lumière naturelle, ce qui convient bien en quelque chose : car tous les hommes ayant une même lumière
naturelle, ils semblent devoir tous avoir les mêmes notions ; mais il est très différent, en ce qu'il n'y a presque
personne qui se serve bien de cette lumière, d'où vient que plusieurs (par exemple tous ceux que nous
connaissons) peuvent consentir à une même erreur, et il y a quantité de choses qui peuvent être connues par la
20 lumière naturelle, auxquelles jamais personne n'a encore fait de réflexion.
René DESCARTES, Lettre à Mersenne du 16 octobre 1639, Œuvres complètes, VII, Correspondance, 1,
Paris, Gallimard, 2013, p. 000.
Texte 3
Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c’est de cette dernière
sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part,
essaye de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons
que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne
25 conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances,

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comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps,
mouvements, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces
connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. Le
cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite
30 qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre. Les principes se sentent, les
propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et
ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, que le
cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre, pour vouloir les recevoir.
Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison – qui voudrait juger de tout – mais non pas à
35 combattre notre certitude. Comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire, plût à Dieu que nous
n’en eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment,
mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette
sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement.
Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont bienheureux et bien
40 légitimement persuadés, mais ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en
attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut.
Blaise PASCAL, Pensées, L 110 ; Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1966, p. 000.

Texte 4
Le reproche d’indignité qui s’adresse à l’art comme produisant ses effets par l’apparence et l’illusion serait
fondé si l’apparence pouvait être regardée comme ce qui ne doit pas être. Mais l’apparence est essentielle à
45 l’essence. La vérité ne serait pas si elle ne paraissait ou plutôt n’apparaissait pas, si elle n’était pas pour
quelqu’un, si elle n’était pas pour elle-même aussi bien que pour l’esprit en général. Dès lors ce n’est plus sur le
paraître que doit tomber le reproche, mais sur la sorte particulière d’apparence employée par l’art pour donner
réalité au vrai en soi. Mais si on qualifie d’illusions ces apparences sous lesquelles l’art donne existence à ses
conceptions, ce reproche a surtout du sens par comparaison avec le monde extérieur des apparences et sa
50 matérialité immédiate, et aussi par rapport à notre propre affectivité, à notre monde intérieur et sensible : monde
extérieur et monde intérieur - à tous deux, dans notre vie empirique, dans la vie de notre apparence même, nous
sommes habitués à donner la dignité et le nom de réalité effective et de vérité, par opposition à l’art à qui
manquent pareille réalité et pareille vérité. Mais, justement, tout cet ensemble du monde empirique intérieur et
extérieur n’est pas le monde de la réalité véritable, mais on peut dire de lui, bien plus exactement que de l’art,
55 qu’il est une simple apparence et une trompeuse illusion. C’est au-delà de l’impression immédiate et des objets
perçus immédiatement qu’il faut chercher la véritable réalité. Car n’est vraiment réel que ce qui est en soi et pour
soi, la substance de la nature et de l’esprit, ce qui, tout en se manifestant dans l’espace et dans le temps, continue
d’exister en soi et pour soi et est ainsi véritablement réel. Or c’est précisément l’action de cette force universelle
que l’art présente et fait apparaître. Sans doute cette réalité essentielle apparaît aussi dans le monde ordinaire -
60 intérieur et extérieur - mais confondue avec le chaos des circonstances passagères, déformée par les sensations
immédiates, mêlée à l’arbitraire des états d’âme, des incidents, des caractères, etc. L’art dégage des formes
illusoires et mensongères de ce monde imparfait et instable la vérité contenue dans les apparences, pour la doter
d’une réalité plus haute créée par l’esprit lui-même. Ainsi, bien loin d’être de simples apparences purement
illusoires, les manifestations de l’art renferment une réalité plus haute et une existence plus vraie que l’existence
65 courante.
Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Cours d’esthétique, trad. J.-P. Lefebvre et V. von Schenck, Paris, Aubier,
1995, p. 000.

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