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[980a] L'homme a naturellement la passion de connaître; et la preuve que ce penchant existe en


nous tous, c'est le plaisir que nous prenons aux perceptions des sens. Indépendamment de toute utilité
spéciale, nous aimons ces perceptions pour elles-mêmes; et au-dessus de toutes les autres, nous plaçons
celles que nous procurent les yeux. Or, ce n'est pas seulement afin de pouvoir agir qu'on préfère
exclusivement, peut-on dire, le sens particulier de la vue au reste des sens; on le préfère même quand on
n'a absolument rien à en tirer d'immédiat ; et cette prédilection tient à ce que, de tous nos sens, c'est la
vue qui, sur une chose donnée, peut nous fournir le plus d'informations et nous révéler le plus de
différences.
2 La nature, on le sait, a doué les animaux de la faculté de sentir. Mais, chez quelques-uns, la
sensation ne produit pas le souvenir, [980b] tandis que chez d'autres elle le produit. C'est là ce qui fait
que ces derniers sont plus intelligents, et qu'ils sont susceptibles de s'instruire infiniment plus que ceux
qui n'ont pas la faculté de la mémoire. 3 Les animaux, qui, tout en étant intelligents, ne peuvent rien
apprendre, sont en général ceux à qui la nature a refusé un organe pour percevoir les sons, comme
l'abeille et les autres espèces, s'il y en a qui soient à cet égard dénuées comme elle. Au contraire, ceux
des animaux qui, à la mémoire, peuvent ajouter le sens de l'ouïe sont en état de s'instruire.
4 Ainsi, les animaux autres que l'homme ne vivent que sur des représentations sensibles et sur des
souvenirs ; mais ils ne profitent que médiocrement de l'expérience, tandis que l'espèce humaine a, pour
se conduire dans la vie, l'art et la réflexion. 5 C'est la mémoire qui forme l'expérience dans l'esprit de
l'homme; car les souvenirs d une même chose constituent, en se multipliant pour chaque cas,
l'expérience dans toute son énergie ; [981a] et l'expérience est bien près de valoir la science et l'art,
auxquels elle ressemble beaucoup. C'est l'expérience en effet qui a enfanté l'art et la science chez les
hommes, attendu que, comme le dit si bien Polus, «C'est l'expérience qui engendre l'art, tandis que
l'inexpérience ne doit le succès qu'au hasard qui la favorise ». 6 Le moment où l'art apparaît est celui où,
d'un grand nombre de notions déposées dans l'esprit par l'expérience, il se forme une conception
générale, qui s'applique à tous les cas analogues. Ainsi, avoir cette notion que Callias, atteint de telle
maladie, a été soulagé par tel remède, et que Socrate et une foule d'autres personnes qui souffraient du
même mal, ont été soulagés de la même manière, c'est là un fait d'expérience et d'observation. 7 Mais
concevoir que, pour toutes les personnes qui peuvent être rangées dans une même classe comme ayant
la même affection maladive, inflammation, mouvement de bile, fièvre ardente, etc., le même remède a
eu la même efficacité, c'est là une conception qui appartient au domaine de l'art 8 Dans la pratique,
l'expérience semble se confondre avec l'art, dont elle ne se distingue pas ; et même on peut remarquer
que les gens qui n'ont pour eux que l'expérience, paraissent réussir mieux que ceux qui, sans les données
de l'expérience, n'interrogent que la raison. Le motif de cette différence est manifeste; c'est que
l'expérience ne fait connaître que les cas particuliers, tandis que l'art s'attache aux notions générales, aux
universaux .9 Or, quand on agit et qu'on produit quelque chose, il ne peut jamais être question que de
cas particuliers. Le médecin, qui soigne un malade, ne guérit pas l'homme, si ce n'est d'une façon
détournée; mais il guérit Callias, Socrate, ou tel autre malade affligé du même mal, et. qui est homme
indirectement, dans le sens général de ce mot. 10 II s'ensuit que, si le médecin ne possédait que la notion
rationnelle, sans posséder aussi l'expérience, et qu'il connût l'universel sans connaître également le
particulier dans le général, il courrait bien des fois le risque de se méprendre dans sa médication,
puisque, pour lui, c'est le particulier, l'individuel, qu'avant tout il s'agit de guérir.
11 Néanmoins savoir les choses et les comprendre est à nos yeux le privilège de l'art bien plus
encore que celui de l'expérience ; et nous supposons que ceux qui se conduisent par les règles de l'art
sont plus éclairés et plus sages que ceux qui ne suivent que l'expérience seule, parce que toujours la
sagesse nous semble bien davantage devoir être la conséquence naturelle du savoir. 12 Cela vient de ce
que ceux qui sont guidés par les lumières de l'art connaissent la cause des choses, tandis que les autres
ne s'en rendent pas compte. L'expérience nous apprend simplement que la chose est; mais elle ne nous
dit pas le pourquoi des choses. L'art, au contraire, nous en révèle le pourquoi et la cause. 13 Aussi, en
chaque genre, ce sont les hommes supérieurs, les architectes, que nous estimons le plus, et à qui nous
supposons plus de science qu'aux ouvriers, [981b] qui ne font que travailler de leurs mains. Si les
premiers nous paraissent plus savants et plus éclairés, c'est qu'ils connaissent les causes de ce qu'ils
produisent, tandis que les autres, à la manière de certains corps sans vie, agissent certainement, mais
agissent sans aucune connaissance de ce qu'ils font, comme le feu, qui brûle et ne le sait pas. 14 II est
vrai que, si c'est par suite d'une organisation naturelle que les corps inanimés produisent chacun leur
action propre, c'est grâce à l'habitude que les manœuvres remplissent si bien les leurs, de telle sorte que
ce n'est pas pratiquement que les chefs sont plus habiles que leurs ouvriers, mais encore une fois c'est
parce qu'ils raisonnent ce qu'il faut faire et qu'ils connaissent les causes de leurs actes.
15 D'une manière générale, ce qui prouve qu'on sait réellement une chose, c'est d'être capable de
l'enseigner à autrui ; et voilà comment nous trouvons que l'art est de la science beaucoup plus que
l'expérience ne peut en être, parce que ceux qui sont arrivés à l'art sont en état d'enseigner et que ceux
qui n'ont que l'expérience en sont incapables. 16 C'est là encore pourquoi nous ne confondons jamais les
perceptions sensibles avec la science. Cependant la sensibilité nous donne les notions les plus
puissantes et les plus décisives des objets particuliers; mais elle ne nous dit jamais le pourquoi de la
chose. Ainsi, dans l'exemple qui vient d'être cité, la sensation ne nous explique pas pourquoi le feu est
chaud; elle nous informe simplement qu'il nous brûle. 17 Aussi le premier qui inventa un art quelconque,
en allant au-delà des impressions sensibles que tout le monde éprouve, dut vraisemblablement exciter
parmi les hommes une réelle admiration, non pas seulement comme ayant fait une découverte utile,
mais comme étant un sage, fort supérieur à tous ses semblables. Plus tard, quand les arts se furent
multipliés, les uns l'appliquant aux besoins nécessaires et les autres à l'agrément de la vie, on ne cessa
pas pour cela de toujours considérer les gens qui s'élevaient jusqu'à l'art comme plus savants que les
gens de simple expérience; et cette estime leur fut accordée précisément parce que leurs connaissances
n'avaient pas un but d'application immédiate. 18 Mais, une fois que tous les arts indispensables se furent
constitués, on vit surgir des sciences dont l'objet ne peut être ni l'agrément ni le besoin. Elles naquirent
tout d'abord dans les climats où l'homme peut se livrer plus facilement au repos; et c'est ainsi que les
sciences mathématiques prirent naissance en Egypte, où la caste des prêtres employait de cette façon les
loisirs qui lui avaient été ménagés.
19 Dans notre Morale, on a pu voir par quels caractères se distinguent réciproquement l'art, la
science et les autres connaissances de cet ordre ; mais pour notre étude actuelle, tout ce que nous
voulons dire, c'est que, dans l'opinion de tout le monde, la science que l'on décore du nom de Sagesse,
la Philosophie, a pour objet les causes et les principes des choses. 20 Je le répète donc, en résumant ce
qui précède : l'expérience, à ce qu'il semble, est un degré de science plus relevé que la sensation, sous
quelque forme que la sensation s'exerce ; l'homme qui se guide par les données de l'art est supérieur à
ceux qui suivent exclusivement l'expérience ; l'architecte est au-dessus des manœuvres; et les sciences
de théorie sont au-dessus des sciences purement pratiques. [982b] Enfin, et par une conséquence
évidente, la Sagesse ou Philosophie est la science qui étudie certaines causes et certains principes
définis.

‫ الفصل األول‬،‫ الكتاب األول‬،‫ أرسطو طاليس‬،‫ما بعد الطبيعة‬

Le désir de vérité ou l'amour de la vérité / connaissance

  "Quiconque veut chercher sérieusement la vérité, doit avant toutes choses concevoir de
l'amour pour elle. Car celui qui ne l'aime point, ne saurait se tourmenter beaucoup pour
l'acquérir, ni être fort en peine lorsqu'il ne réussit pas à la trouver. [...] Mais avec tout cela,
l'on peut dire sans se tromper, qu'il y a fort peu de gens qui aiment la vérité pour l'amour de
la vérité, parmi ceux-là même qui croient être de ce nombre. Sur quoi il vaudrait la peine
d'examiner comment un homme peut connaître qu'il aime sincèrement la vérité. Pour moi, je
crois qu'en voici une preuve infaillible : c'est de ne pas recevoir une proposition avec plus
d'assurance que les preuves sur lesquelles elle est fondée ne le permettent. Il est visible que
quiconque va au-delà de cette mesure n'embrasse pas la vérité par l'amour qu'il a pour elle,
qu'il n'aime pas la vérité pour l'amour d'elle-même, mais pour quelque autre fin indirecte.
Car l'évidence  [evidence] qu'une proposition est véritable (excepté celles qui sont évidentes
par elles-mêmes [self-evident]) consistant uniquement dans les preuves qu'un homme en a, il
est clair que, quelque degré d'assentiment qu'il lui donne au-delà des degrés de cette
évidence, tout ce surplus d'assurance est dû à quelque autre passion, et non à l'amour de la
vérité ; parce qu'il est aussi impossible que l'amour de la vérité emporte mon assentiment au-
dessus de l'évidence que j'ai (qu'une telle proposition est véritable), qu'il est impossible que
l'amour de la vérité me fasse donner mon consentement à une proposition, en considération
d'une évidence qui ne me fait pas voir que cette proposition soit véritable ; ce qui est en effet
embrasser cette proposition comme une vérité, parce qu'il est possible ou probable qu'elle ne
soit pas véritable. Dans toute vérité qui ne s'établit pas dans notre esprit par la lumière
irrésistible d'une évidence immédiate [self-evidence] ou par la force d'une démonstration, les
arguments qui déterminent notre assentiment sont les garants et le gage de sa probabilité à
notre égard, et nous ne pouvons la recevoir que pour ce que ces arguments la font voir à
notre entendement. De sorte que, quelque autorité que nous donnions à une proposition, au-
delà de celle qu'elle reçoit des principes et des preuves sur quoi elle est appuyée, on en doit
attribuer la cause au penchant qui nous entraîne de ce côté-là ; et c'est déroger d'autant à
l'amour de la vérité, qui ne pouvant recevoir aucune évidence de nos passions, n'en doit
recevoir plus aucune teinture.
  Une suite constante de cette mauvaise disposition d'esprit, c'est de s'attribuer l'autorité de
prescrire aux autres nos propres opinions. Car le moyen qu'il puisse presque arriver
autrement, sinon que celui qui a imposé à sa propre croyance soit prêt d'imposer à la
croyance d'autrui ? Qui peut attendre raisonnablement qu'un homme emploie des arguments
et des preuves convaincantes auprès des autres hommes, si son entendement n'est pas
accoutumé à s'en servir pour lui-même, s'il fait violence à ses propres facultés, s'il tyrannise
son esprit et usurpe une prérogative uniquement due à la vérité, qui est d'exiger l'assentiment
de l'esprit par sa seule autorité, c'est-à-dire, à proportion de l'évidence que la vérité emporte
avec elle ?"

John Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain, 1689, Livre IV,


chapitre 16, § 4, tr. fr. Pierre Coste, Le Livre de Poche, p. 1006-1007.

:‫الذاكرة والحفظ‬

"SOCRATE […] il est beau de tendre vers la beauté, et [274b ]de souffrir pour elle
ce qu'il peut arriver de souffrir. 

PHÈDRE 
Certainement. 

SOCRATE 
Mais nous avons suffisamment parlé de ce qui fait, à propos des discours, l'art ou le
manque d'art. 

PHÈDRE 
Assurément. 

SOCRATE 
Il nous reste, n'est-ce pas, à examiner la convenance ou l'inconvenance qu'il peut y
avoir à écrire, et de quelle manière il est honnête ou indécent de le faire ? 

PHÈDRE 
Oui. 

SOCRATE 
Sais-tu, à propos de discours, quelle est la manière de faire ou de parler qui te 
rendra à Dieu le plus agréable possible '? 

PHÈDRE 
Pas du tout. Et toi ? 
SOCRATE 
Je puis te rapporter une tradition des anciens, car les anciens savaient la vérité.   Si
nous pouvions la trouver par nous-mêmes, nous inquiéterions-nous des opinions
des  hommes ? 

PHÈDRE 
Quelle plaisante question ! Mais dis-moi ce que tu prétends avoir entendu raconter. 

SOCRATE 
J'ai donc ouï dire qu'il existait près de Naucratis, en Égypte, un des antiques dieux
de ce pays, et qu'à ce dieu les Égyptiens consacrèrent l'oiseau qu'ils appelaient ibis.
Ce dieu se nommait Theuth. C'est lui qui le premier inventa la     science des
nombres, le calcul, la géométrie, l'astronomie, le trictrac, les dés, et enfin l'écriture
(grammata). Le roi Thamous régnait alors sur toute la contrée ; il habitait la 
grande ville de la Haute-Égypte que les Grecs appellent Thèbes l'égyptienne,
comme ils nomment Ammon le dieu-roi Thamous. Theuth vint donc trouver ce roi
pour lui montrer les   arts qu'il avait inventés, et il lui dit qu'il fallait les répandre
parmi les  Égyptiens. Le roi lui demanda de quelle utilité serait chacun des arts. Le
dieu le renseigna ; et, selon qu'il les jugeait être un bien ou un mal, le roi approuvait
ou blâmait. On dit que Thamous fit à Theuth beaucoup d'observations pour et
contre chaque art. Il serait trop long de les exposer. Mais, quand on en vint à
l'écriture : « Roi, lui dit Theuth, cette science rendra les Égyptiens plus savants et
facilitera  l'art de se souvenir, car j'ai trouvé un remède (pharmakon) pour soulager
la science (sophia) et la mémoire. » 
Et le roi répondit : 
- Très ingénieux Theuth, tel homme est capable de créer les arts, et tel autre est  à
même de juger quel lot d'utilité ou de nocivité ils conféreront à ceux qui en feront
usage. Et c'est ainsi que toi, père de l'écriture (patêr ôn grammatôn), tu lui
attribues, par    bienveillance, tout le contraire de ce qu'elle peut apporter.

[275] Elle ne peut produire dans les âmes, en effet, que l'oubli de ce qu'elles savent
en leur faisant négliger la mémoire. Parce  qu'ils auront foi dans l'écriture, c'est par
le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d'eux-
mêmes, que les hommes chercheront à se  ressouvenir. Tu as trouvé le remède
(pharmakon), non point pour enrichir la mémoire, mais pour conserver les
souvenirs qu'elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu'ils ont la science,
non la science elle-même.  Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître,
ils s'imagineront devenus très  savants, et ils ne seront pour la plupart que des
ignorants de commerce incommode, des     savants imaginaires (doxosophoi) au
lieu de vrais savants. "
source : https://major-prepa.com/culture-generale/mythe-theuth-ecriture-memoire/

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