Directeur de la publication : Edwy Plenel
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Des médias s’associent pour un comptage
indépendant des manifestants
PAR DAN ISRAEL
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 22 MARS 2018
Face aux écarts de chiffres, plusieurs dizaines de
rédactions, dont Mediapart, ont décidé d’appliquer le
22 mars à Paris un dispositif permettant de fournir leur
propre chiffre de fréquentation des défilés.
Pour essayer d’en finir avec les grands écarts
incohérents sur les chiffres ! Le 22 mars, Mediapart
s’associe à une vingtaine de rédactions, de différents
types de médias et de divers bords politiques (AFP,
France Inter, France Info et France Culture, Europe 1,
RTL, RMC, BFM-TV, CNews, France 2, Le Figaro,
Le Parisien, Libération, La Croix et la presse régionale
et départementale, représentée par l’Union de la presse
en région) pour faire effectuer et diffuser un comptage
indépendant du nombre de manifestants à Paris. Deux
défilés sont prévus, l’un organisé par les syndicats de
la fonction publique, l’autre par les cheminots, et ils
se rejoindront sur la place de la Bastille. Quelques
minutes après la fin de la manifestation, le collectif
de médias sera en mesure de divulguer un chiffrage
indépendant de ceux de la préfecture de police et des
organisateurs.
Comme nous l’avions raconté il y a quelques
semaines, la question se pose pour Mediapart depuis
sa création. Précisément depuis le 12 octobre 2010,
lors du premier mouvement social de l’histoire de
notre journal, contre la réforme des retraites du
gouvernement Fillon. Notre rédaction avait déjà
décidé de s’atteler au décompte, à l’aide de compteurs
manuels semblables à ceux utilisés par les hôtesses de
l’air et stewards. À l’époque, malgré mille précautions,
nous avions choqué une partie de nos lecteurs en
publiant « le chiffre qui fâche », inférieur à celui
de la police elle-même ! Malgré de nombreux biais
alors naturellement confessés (et à nouveau détaillés
dans un second article, ici), il n’en restait pas moins
une évidence : la guerre des chiffres entre syndicats
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et police « n'est que le reflet caricatural de l'état
déplorable de notre démocratie sociale », écrivions-
nous à l’époque.
L'ordinateur connecté au capteur vidéo, et muni d'un logiciel permettant
de compter toute personne franchissant le rayon vert. © Dan Israel
Il n’est aucunement question pour nous de réduire
un mouvement social ou une mobilisation à un banal
décompte de ses participants. Depuis les cortèges
de contestation de la loi El Khomri, nous tentons
systématiquement d’évaluer si les chiffres avancés
officiellement de part et d’autre sont crédibles, mais
nous essayons aussi de leur donner du sens : qui
est présent dans le cortège ? D’où viennent les
manifestants ? Sont-ils des militants aguerris ou des
citoyens habituellement peu mobilisés ?, etc.
Il n’en demeure pas moins qu’essayer d’obtenir un
chiffre crédible et indépendant nous semble important,
qu’il s’agisse d’une manifestation de gauche, de droite
ou d’extrême droite. Le débat a été relancé après
un éditorial de Thomas Legrand, le 25 septembre
2017 sur France Inter. Dans la foulée, le 14 octobre,
une petite vingtaine de représentants de rédactions
nationales se sont réunis dans les locaux de l’AFP.
Lors de cette réunion, Thomas Legrand a présenté
Assaël Adary, patron du cabinet d’études de l’opinion
Occurrence, qui l’avait contacté suite à son éditorial.
Le cabinet travaille notamment sur le décompte de
l’affluence lors d'un événement (par exemple, le
nombre de badauds autour de stands d'entreprise
dans les salons), au moyen de capteurs vidéo (de la
société Eurecam). Pour résumer, un rayon est tracé
numériquement sur l’image vidéo et un décompte
s’active dès qu’un manifestant franchit le rayon,
seulement s’il passe dans le sens de la manifestation,
et qu’il est bien sur le trottoir ou sur la chaussée.
Directeur de la publication : Edwy Plenel
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Assaël Adary ne cache rien des biais de sa méthode,
qu'il détaille sur le site de son entreprise. S’il y
a trop de lumière, le capteur peut temporairement
être aveuglé. S’il pleut, le compteur ne repère
que les parapluies. Il faut également trouver une
chambre d’hôtel ou un appartement au 5e ou 6e étage,
nécessaire pour l’angle idéal de vue des capteurs (37°
d’inclinaison), sans qu’il y ait trop d’arbres devant les
fenêtres, et si possible au début du parcours pour être
sûr d’avoir la foule maximale. Et cela dans un laps de
temps très court car les parcours des manifestations
sont parfois annoncés très tardivement. Pour contrer
ces biais, qui aboutissent selon ses constatations
à une sous-estimation de 16 à 23 % du nombre
de participants, Occurrence utilise des méthodes de
redressement : des extraits vidéo de 45 secondes sont
recomptés à la main, toutes les dix minutes, afin
d’estimer la marge d’erreur.
Cette méthode est apparue comme efficace. Lors de la
manifestation du 16 novembre dernier, le dispositif
a permis de décompter 8 250 manifestants à Paris.
Plusieurs médias ont recompté séparément le nombre
de manifestants, en se fondant sur un enregistrement
de l’intégralité du défilé, et sont parvenus à un chiffre
similaire ou très proche. Ce jour-là, la police avait
Directeur de la publication : Edwy Plenel
Directeur éditorial : François Bonnet
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dénombré 8 000 manifestants et la CGT 40 000. De
leur côté, les journalistes de Mediapart avaient estimé
à moins de 10 000 le nombre de participants.
Assaël Adary et deux capteurs vidéo, observant la
manifestation du 16 novembre 2017. © Dan Israel
Le cabinet Occurrence avait déjà compté une dizaine
de défilés depuis 2006 et était parvenu à des chiffres
chaque fois plus proches de ceux de la police, parfois
moindres, mais parfois sensiblement plus importants.
Lors de la manifestation du 12 septembre dernier, il
a compté 29 000 personnes (chiffre police 24 000 ;
chiffre CGT 60 000). Le 19 octobre, la police avait
compté 5 500 personnes et la CGT 25 000, mais
Occurrence « entre 6 300 et 7 300 ».
Le collectif des médias prendra en charge le coût de
l’opération. L'idée est aussi de convaincre syndicats
et préfectures (bienvenus pour en discuter) de la
pertinence d’une telle « indépendance du chiffre ».
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