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Topoi

Sépultures islamiques
Thierry Bianquis

Citer ce document / Cite this document :

Bianquis Thierry. Sépultures islamiques. In: Topoi, volume 4/1, 1994. pp. 209-218;

doi : https://doi.org/10.3406/topoi.1994.1501

https://www.persee.fr/doc/topoi_1161-9473_1994_num_4_1_1501

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SÉPULTURES ISLAMIQUES

Dans une société de tradition bédouine, il suffit d'enfouir le mort pour le


mettre à l'abri des bêtes sauvages pendant les quelques mois de la
décomposition. La tribu s'en va et l'abandonne. Le passage sur terre est court et
ne doit guère laisser de traces matérielles, il ne se perpétue qu'à travers la
descendance mâle. Mieux que tout héritage matériel, le nasab, litanie
généalogique de noms d'ancêtres, fondatrice de toute identité, mentionnera à son
rang chronologique le nom du défunt, lui assurant la pérennité du souvenir.
Dans la tradition sédentaire paysanne, les tombes des ancêtres identifient
un terrain, l'approprient à la famille. Le tombeau en bordure du champ devient
borne de propriété, témoignant de l'ancienneté de la présence et de la
transformation profonde de la nature grâce au travail accumulé par les
générations.
Dans la tradition urbaine, le notable politique, religieux, commerçant, qui
s'est fait respecter de son vivant, doit perpétuer son rang, après sa mort, par un
monument-signe, un mausolée, qui le distingue, lui et ses descendants, du
commun. Pour ceux-ci, ce sera une référence à une citadinité ancienne, voire à
une noblesse urbaine.

Comme dans d'autres grandes religions, le mort musulman, à travers une


série programmée d'étapes et d'épreuves, abandonne le dunya, monde physique
d'ici-bas, pour rejoindre l'espace du métaphysique et du religieux, le dîn, et
atteindre enfin son « ultime » destination dans le monde de l'au-delà, al-akhîra.
Le passage, complexe et prolongé, s'effectue au cours des heures, ou plutôt des
jours, qui suivent le décès. Ce passage doit s'effectuer le plus régulièrement
possible car les vivants risqueraient d'être tourmentés par un mort qui se
heurterait à des difficultés pour intégrer son nouvel état. C'est pourquoi un rituel
complexe régit les enterrements et la période qui suit la mise au tombeau.

Séminaire présenté en 1992 dans le cadre du Thème « Nécropoles », Maison de


l'Orient Méditerranéen-Institut d'Archéologie Classique.

Topoi 4 (1994)
p. 209-218
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En effet, le tombeau n'est pas une fin mais un commencement, une


première étape, une porte vers une éternité. Le mot persan et arabe de Barzach,
désigne ainsi l'obstacle mis par Dieu, la barrière, séparation entre le monde des
vivants et le monde des morts. La mort qui survient ouvre une brèche
temporaire dans cette barrière. La tombe que l'on creuse et où l'on dépose le
cadavre, constitue pour les vivants, pendant les premiers jours après le décès,
une porte entrouverte sur l'au-delà. Sur son seuil, l'homme averti peut espérer
entr'apercevoir ce monde métaphysique, en autre temps dissimulé aux mortels,
d'où les traditions de magie, bienfaitrice ou maléfice, liées à la tombe
fraîchement renfermée.
Le Coran, dépourvu de référence rurale ou citadine, ne reprend que la
première et la quatrième des approches de la mort que nous venons d'énumérer.
Craignant par dessus tout l'idolâtrie et le culte des morts, il fait obligation au
musulman d'enterrer le défunt dans une structure légère destinée à s'effacer. Les
hadiths recommandent la taswiyyat al-qubûr, aplanissement des tombes, en vue
de leur disparition dans le paysage. En fait, une fois la société musulmane
ruralisée et citadinisée, ce commandement ne fut à peu près jamais respecté sauf
en bordure de la steppe ou dans les espaces désertiques. On n'aurait dû ne pas
pouvoir parler des sépultures islamiques, or on peut en traiter longuement.
Le mourant s'entend murmurer la shahâda, la confession/profession de foi,
à l'oreille. Il lève un seul doigt de la main droite pour réaffirmer une dernière
fois l'unité de Dieu. Le mort est lavé, sauf s'il s'est lavé lui-même pour préparer
sa mort. Le martyr n'est pas lavé mais enterré là où il est tombé dans ses
vêtements ensanglantés. Le mort est entouré de trois vêtements, linceuls blancs
ou de toutes autres couleurs, sauf rouge, serrés. Puis, il est porté le jour même,
pas de nuit, sur une civière par des hommes qui courent, « si je suis bon
emmenez moi vite vers Dieu, si je suis mauvais débarrassez-vous vite de moi ».
Le jeune homme, mort célibataire, est accompagné par ses compagnons
d'âge qui courent, portant la civière au bout des doigts dressés vers le ciel,
chantant et parfois, c'est le cas en Tunisie, maudissant Dieu d'avoir voulu la
mort d'un homme sans avenir sur terre, puisque sans enfant mâle. Dans tous les
cas, les porteurs se relaient et parfois chantent une mélopée. Il faut se lever au
passage du mort, même si c'est un juif ou un chrétien ou même si on n'honore
pas le défunt en question, par respect pour les anges qui l'accompagnent. Il est
encore plus méritoire d'aller porter un coin de la civière. Il est courant d'assister
aux funérailles des membres importants des autres communautés. Les
funérailles solennelles, suivies par une foule immense de notables et de simples
particuliers, que Damas réserve au XIe siècle après Jésus-Christ à ses savants ou
à ses juges sunnites, témoignent de l'affirmation d'une forte solidarité urbaine
face aux autorités militaires fatimides chiites, en général non arabes et venues
d'ailleurs. L'organisation du cortège permet à la hiérarchie civile locale de
manifester sa propre échelle de valeur.
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De tous temps, il a été coutume pour le cortège de passer à l'extérieur d'une


mosquée où des prières sont dites, tout le monde restant debout et portant la
civière qui ne doit pas être posée à terre avant l'enterrement.
Arrivé au cimetière, le mort est mis dans la tombe, dont l'extrémité où
repose la tête est dirigée vers La Mecque et l'extrémité où sont les pieds est en
direction opposée. On introduit le corps, les pieds en avant. Le corps est déposé
sur le côté dans une fosse étroite, shaqq, coutume de La Mecque, soit enterré à
plat, glissé dans une niche horizontale creusée dans la paroi verticale, lahd,
coutume de Médine. Les vêtements ou les linceuls, jusque-là serrés sur le corps,
sont dénoués dans la tombe par des membres de sa famille qui veillent à ce que
le haut de la tête soit tourné vers La Mecque. En Tunisie, les parents font humer
au défunt une pincée de poussière afin qu'il s'accoutume à l'odeur de sa nouvelle
demeure. On jette successivement sur le cadavre trois poignées de terre, en
prononçant ces paroles : « avec elle (la terre) nous l'avons créé, à elle nous le
rendons, d'elle nous le ferons renaître à nouveau ». Cette coutume musulmane
renvoie sans doute à l'antique légende mésopotamienne des hommes, façonnés à
partir de la glèbe pour remplacer les dieux serviteurs désobéissants, et créés
mortels afin de parer à toute rebellion.
On place au-dessus de la tombe rebouchée des briques de terre crue. La
tombe est signalée au passant par une pierre volumineuse au-dessus de la tête du
cadavre, et une plus petite, au-dessus des pieds. Il ne faut utiliser au-dessus du
niveau du sol, ni briques cuites, ni marbre trop durable et trop visible. Il vaut
mieux ne pas plâtrer la tombe, ni mettre de signes distinctifs, ni d'inscriptions.
Chez les chiites, le dessus de la tombe doit être aplani, chez les sunnites, en tous
cas, chez les hanbalites et malékites, il doit être en bosse de chameau. De l'eau
peut être répandue sur la tombe, on laisse un trou au-dessus du cadavre pour que
l'eau puisse arriver à lui. Dans certains recueils de hadiths, un homme se place à
la hauteur de la tête du mort et l'interpelle par son nom, « Ô, untel fils
d'untel,...», il lui rappelle qu'il a témoigné de l'Unicité de Dieu et de la Mission
de Muhammad. Le mort entend, il faut qu'il ait la place de bouger un peu dans
sa tombe.
Dans les jours qui suivent, on lit ou on fait lire par un lecteur professionnel
le Coran près de sa tombe, on inscrit sur la stèle, la fâtiha, première sourate du
Coran sur la stèle, soit le texte entier, soit simplement le titre.

Passage du monde des vivants à celui des trépassés


cadhâb al-qabr, « tourments du tombeau », en attendant le yawm al-
qiyâma, le « Jour du Jugement », les deux anges, Munkar et Nakir, interrogent
le défunt. L'interrogatoire dure sept jours pour les Croyants dont la sépulture
s'élargira et qui y seront à l'aise jusqu'au Jugement, et quarante jours pour les
Incroyants qui se trouveront écrasés par les parois trop étroites de leur tombe.
On montrera à l'un la place qui lui est réservée au Paradis, à l'autre celle qui lui
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est retenue à l'Enfer. Une branche de palmier plantée sur la tombe protégera le
mort de ces tourments tant qu'elle demeurera verte.

Interdictions transgressées
Un tas de cailloux, une ou deux pierres plates dressées au pied ou à la tête
du défunt sont tolérés. Toute décoration durable, briques cuites, marbres, de
même que la ziyâra, « visite des tombes », est « réprouvée » maqrûh par les
fuqaha, mais non harâm, « interdite ». En fait elles furent très vite tolérées à
condition de ne pas faire comme les chrétiens. Surtout ne pas identifier le mort
par une inscription ni édifier de monument funéraire qui pourrait amener la
naissance d'un culte du Saint, activité religieuse idolâtre, associationiste ou
fractionniste du Divin, chose que déteste par dessus tout l'Islam et qu'il reproche
aux chrétiens. Pour la même raison, on interdit les ziyârât, visites aux tombes de
défunts particulièrement vénérés. Aucune des deux interdictions ne fut
respectée. Nous avons des dizaines de milliers de stèles sunnites médiévales,
particulièrement bien gravées. Nous disposons de plusieurs ouvrages pieux
consacrés aux visites des grands cimetières pour recueillir les bénédictions qui
émanaient du tombeau des saints personnages.

Les cimetières
Les tombes sont en général rassemblées en cimetières, maqbara, maqâbir,
placés à l'extérieur des cités car un cadavre ne peut entrer en ville, il ne peut
qu'en sortir, sauf circonstances exceptionnelles. Les cimetières jouaient dans la
ville un rôle propitiatoire important dans l'islam populaire, rôle qui a disparu
avec la modernisation. En général, ils sont situés à proximité immédiate des
villes, en périphérie, près d'une porte dont ils peuvent porter le nom. Non clos,
ils sont pourtant désignés sous un terme signifiant clôture. Les plus célèbres : al-
Baqîc de Médine, Hadjûn à La Mecque, Bâb al-Saghîr à Damas, les Qarâfa du
Caire. Normalement on ne doit pas prier dans un cimetière, pourtant très
souvent on y trouve des enclos avec mihrâb ou même des mosquées. Les
musai là, grandes enceintes ouvertes dotées d'un mur de qibla et d'un mihrâb,
utilisées pour rassembler la population lors des prières des deux grandes fêtes
annuelles, al-Fitr et al-Adhà, sont souvent situées à proximité des cimetières.
On trouve dans certains cimetières de simples tombes ; dans d'autres,
notamment près des grandes villes d'Egypte et de Syrie, il existe une véritable
architecture funéraire, tombeau-maison ou mausolée entourant la tombe, signe
attirant l'attention sur le tombeau, enclos funéraire à ciel ouvert. Des cérémonies
avec zikr et chants sont signalées. On se fait enterrer près d'un musulman que
l'on admire par exemple, Ibn Hanbal ou Abu Hanîfa à Bagdad, l'Imam Shaféi au
Caire, etc.
Damas comptait, à la fin de l'époque mamlouke, une quinzaine de
cimetières, placés à l'extérieur des grandes portes et au nord des faubourgs
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septentrionaux uu a l'ouest de la ville. Les deux plus grands étaient Bâb Saghîr,
dix-huit hectares, et Dahdah à Bâb al-Farâdîs, environ huit hectares. Le
cimetière de Bâb al-Saghîr à Damas était célèbre par la tombe de Mucâwiya et
d'autres califes omayyades, des grands compagnons du Prophète, notamment le
muezzin noir Bilâl, et de chérifs, descendants de cAlî et de Fâtima. Quand les
Abbassides ont mis fin en 750 à la dynastie omayyade, ils ont détruit le
cimetière de Bâb al-Saghîr, sortant les ossements et les brûlant, mettant le
terrain en culture. Mais, très rapidement le cimetière se reconstitua. Certaines
tombes de personnages célèbres furent réidentifiées. Pour les détails, se référer à
la savante étude de Solange Ory, Inscriptions arabes de Damas, les stèles
funéraires de Bâb al-Saghîr, parue à l'Institut Français de Damas en 1977. Les
tombes arrondies sunnites, an yusannama qabrahu, « qu'on modèle sa tombe en
forme de bosse de chameau », s'y différencient aisément des tombes aplanies au
sommet des chiites, et de leurs mausolées qui supportent un dôme doré quand
ils abritent la dépouille d'un des douze imams, cAlî ou un de ses descendants.
Bâb al-Saghîr, cimetière immense, situé à la porte sud de la ville, près du
grand marché extérieur aux moutons et des marchés intérieurs aux tentes et aux
cordages, donc mettant en présence les éleveurs de la steppe et les citadins, a
toujours été un lieu de désordres, crimes, bandes de mauvais garçons, de voyous
qui injurient les notables ou leur envoient des pierres. Les autres cimetières de
Damas, situés également aux portes de la ville, ont tous leur histoire ou leur
tonalité particulière. A Bâb Tûmâ, cimetière où ont été enterrés les premiers
musulmans tués au siège de Damas, à côté d'un cimetière chrétien, Ibn cAsâkir
raconte que lorsqu'on creusait des tombes on mettait à jour des vestiges
archéologiques plus anciens. Entre Bâb Sharqî et Bâb Kaysân, se trouvait un
cimetière juif, aujourd'hui recouvert par une autoroute. Le cimetière de Bâb al-
Farâdîs, au nord de la ville, qu'on nous décrit comme ombragé, recevait les gens
les plus riches qui habitaient le quartier de la Pierre d'Or, entre la grande
mosquée et Bâb al-Salâm. Un autre cimetière était réservé aux soufis, un autre
sur les flancs de Sâlihiyya, aux Hanbalites, etc..
Les cimetières du Qarâfa du Caire, gigantesque ville des morts, souvent
aussi étendue que la ville contemporaine des vivants, ont toujours eu une aura
magique, encore efficace aujourd'hui. Les khawsh, enclos-tombes, avec pièces
d'habitation, y sont nombreux. En effet, on désire partager la vie des défunts de
la famille, une petite maison est construite à côté de la tombe, on va y passer la
nuit du vendredi (du jeudi au vendredi), on pique-nique. Parfois les veuves y
allaient seules et n'y retrouvaient pas que les ombres de leur mari défunt. Sous
la pression démographique, ces Qarâfa se transforment à plusieurs reprises dans
l'histoire, en zone d'habitat populaire. La madrasa où est enterré l'Imâm Shaféi
joue un rôle important. On présente à ce mausolée tous les cadavres de ceux qui
sont morts au Caire dans la journée avant de les enterrer. Le Mashhad al-
Guyûshî, sur le flanc de la falaise qui domine le Qarâfa, est encore mal identifié.
214 Th. bianquis

Apport scientifique de l'épigraphie funéraire


Le fait pour les épigraphistes contemporains de pouvoir travailler sur les
stèles, qui portent un long texte gravé, identifiant le défunt par son nom
généalogique et social, complet, le qualifiant, précisant la date de sa mort, et
comportant quelques citations coraniques qui permettent de mieux situer ses
options religieuses, est très important. En effet, par suite d'un phénomène de
mode, les écritures lapidaires, très ornées, se modifient constamment et reflètent
des influences régionales qui prédominaient à l'époque, indications précieuses
pour les archéologues et les historiens. Des grandes familles d'écritures peuvent
être ainsi reconstituées après description et mesure précise des lettres de
l'alphabet, la hauteur de l'aleph sert de référence.

La coupole sur cube


Appelée en arabe, qubba, la demi-sphère qui surmonte le tombeau est
assimilée soit à la voûte céleste que va rejoindre l'âme du mort, soit à la terre
enceinte qui a accouché de l'homme puis qui l'a repris en son sein. Voir la
symbolique beaucoup plus élaborée chez les Byzantins du baptistère et du
martyrion. Chez les Arabes, la qubbat al-sakhra, la Coupole du Rocher, un
monument de Jérusalem, est difficile à interprêter. D'autres monuments
funéraires de structure identique sont peut-être inspirés de temples du feu
sassanides zoroastriens. La coupole funéraire est un symbole féminin, sein,
ventre, alors que le clocher ou le minaret sont des symboles virils dressés vers le
ciel, appel vers un Dieu transcendant témoignant de l'opposition entre une
religion chthonienne, magique, féminine, opposée à une religion solaire,
intellectuelle et virile. Le symbole architectonique de la demi-sphère posée sur
un cube est repris par les walî, tombeaux de cheikhs à barakât, isolés sur un
haut relief, souvent peints en blancs et visibles de loin. Structures consacrées de
rencontre entre le divin et l'humain, entre la mort et la vie avec pouvoirs
magiques dont les descendants héritent. Souvent à l'intérieur, on ne trouve que
des cénotaphes. A proximité, un rocher où l'on égorge l'agneau pour demander
la pluie, de bonnes récoltes ou pour que la femme devienne féconde. La femme
peut attendre d'être enceinte pour égorger l'agneau afin de faire pression sur le
divin. Le cheikh du lieu, immunisé contre le mal par la barakât de son ancêtre,
peut aider charnellement le ciel à acccomplir le miracle.

La madrasa funéraire
Les sultans seljoucides Alp Arslân et Malik Shah et leur vizir Nizâm al-
Mulk voulurent reprendre en main la diffusion de l'idéologie sunnite en
instituant un financement et un contrôle de l'enseignement par le pouvoir
politique à partir des années 1070. Ils retirèrent à la grande mosquée
l'enseignement du droit religieux et créèrent des madrasa, établissements
spécialisés confiés à des professeurs choisis avec soin pour leur orthodoxie,
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établissements recevant de jeunes étudiants partiellement pris en charge. Leurs


successeurs, ayyoubides ou mammlouks, désireux de joindre l'utile et le
glorieux, se firent enterrer dans ces établissements. En effet, pour détourner
l'interdiction de faire entrer le corps des défunts en ville et de construire des
sépultures durables et immodestes, il suffisait au prince ou au marchand enrichi
de faire préparer son tombeau à l'intérieur d'un complexe qu'il avait fait édifier
pour permettre aux jeunes gens d'étudier. Sa dépouille mortelle profitait des
bénédictions de la parole divine, car elle gisait près d'un lieu où les étudiants
récitent le Coran, le Hadith et discutent de la Loi Sainte. Une salle, attenante à
l'établissement, ouvrait par une fenêtre grillagée sur la rue et offrait au passant
la vue sur la tombe de celui qui avait fondé le waqf ; une fontaine, sabîl,
chemin, pouvait également lui offrir son eau. Le passant reconnaissant priait
alors pour le défunt.
En général, centrée autour d'une cour sur laquelle s'ouvraient par des îwân
les salles d'enseignement, la madrasa funéraire de Syrie était édifiée en pierre
de taille. Construction souvent de taille réduite, mais de proportions
harmonieuses, la madrasa s'ordonnait selon un plan et recevait un décor,
s'inscrivant l'un comme l'autre dans un registre général connu, mais dont la
réalisation précise était toujours originale et soignée.
En Egypte, on ne trouve pas de madrasa ailleurs qu'à Alexandrie, avant
1171, début de l'époque ayyoubide. C'est principalement sous le régime
mamlouke, après 1252, qu'elles imposèrent leurs silhouettes majestueuses au
Caire et dans les grands cimetières du Qarafa. Monuments plus vastes et plus
massifs que les madrasa de Syrie, elles devaient personnifier la puissance et la
gloire du Sultan dans la pierre et dans la brique, et si possible en préserver le
souvenir après sa mort.
En Asie, les tombeaux chiites d'Iraq, d'Iran et de Syrie sont appelés
imamzadé ou mashhad ; ceux qui abritent la dépouille d'un des imans,
descendant d'al-Husayn, fils de cAlî, sont surmontés d'un dôme doré qui les
identifient aux yeux du pèlerin.

Ensevelissement et enterrement chez les arabes :


vocabu laire

cadhâba, s'abstenir de manger par excès de soif, cadhuba, être doux agréable au
goût, cadhdhaba, punir, tourmenter, cadhâb, punition, tourment.
âdjurr, briques cuites, durables, ne doivent pas être utilisées pour fermer la
tombe, carzamiyya, briques fabriquées à Kufa, avec des tessons et des
débris de roseaux, réprouvées pour couvrir les tombes, car impures et
inflammables.
camûd qabr, pilier dressé sur la tombe, pratique ottomane.
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dafana, cacher, dérober au regard, ensevelir un mort, enterrer, dafn, enterrement,


sépulture, madfin, sépulture, cimetière.
dar aha, éloigner, creuser une tombe à un mort, rejeter, séparer, adraha, gâter,
éloigner les chalands, darîh, tombe,
djabana, être lâche, poltron, tadjdjabana, être caillé, coagulé, djubn, fromage,
djabbân, grand poltron, marchand de fromage, cimetière, désert,
djabbâna, désert, vaste plaine, cimetière.
djanaza, couvrir, cacher, djannaza, mettre le mort sur le brancard, djanâ'îz,
funérailles, enterrement.
djarîd, branche de palmier plantée sur la tombe.
djassasa, tadjîss al-qubûr, enduire les tombeaux de gypse cuit, de plâtre,
théoriquement réprouvé.
fisqiyya, bassin avec jet d'eau, caveau funéraire.
gunbad, mot persan, dôme.
gûr, mot persan, tombe.
hâsha, yahûshu, rassembler un troupeau, haws h, enclos agricole, enclos
funéraire.
hâta, yahûtu, entourer, hawita, garde-manger, lieu ceint, entouré, enclos, jardin,
cimetière.
karkara, ramasser, accumuler des objets, et par assimilation avec qarqara, péter,
roter, gargouiller du ventre, karkur, monceau de pierres pour indiquer un
puits et éventuellement, une tombe.
labana, avoir beaucoup de lait dans les pis, labbana, faire des briques de terre,
labn, labin, briques crues préconisées pour couvrir les tombes.
lahd, espace creusé latéralement sur le flanc vertical d'une tombe pour y placer
le corps, tradition médinoise.
lawaha, briller (étoile), regarder, lawh, tablette, stèle portant une inscription.
makân, lieu quelconque, lieu où est enterré un défunt célèbre.
marbût, lieu lié, enclos funéraire.
nâwûs, caveau funéraire, mot d'origine persane.
qabara, enterrer, qabr, tombe, maqbara, cimetière.
qâma, yaqûmu, se tenir dressé, maqâm, l'endroit où se tient dressé, tombeau
dressé à un mort célèbre, qâma, toise, hauteur d'un homme debout, on doit
y ajouter une basta, hauteur d'une main ouverte ou d'un bras levé, pour
creuser une tombe profonde ; chez al-Ash'ari, chez d'autres elle ne doit pas
dépasser une soixantaine de centimètres de profondeur.
qasr, château, construction isolée, tombeau élevé.
qubba, coupole.
radjam, lapidation, mettre une pierre sur un tombeau, tas, fossé, déblai.
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rakhama, être lisse, doux, rukham, lait caillé, rukhâm, marbre, interdit sur les
tombeaux.
rawada, dompter par un exercice fréquent, riyadiyat, mathématiques, riyâda,
gymnastique, aller souvent travailler, d'où rawda, jardin paradisiaque, bien
travaillé, cimetière conduisant au paradis.
sanama, avoir une bosse élevée, sannama, engraisser le chameau, donner à une
construction une forme convexe, sanam, bosse de chameau, désigne la
forme bombée de la tombe sunnite alors que la tombe chiite est aplanie au
sommet.
sanduq, caisse, coffre, cénotaphe.
sâriyat qabr, pilier isolé sur une tombe, coutume ottomane.
sath, terrasse, toit plat, musattah, tombeau à couverture aplanie, reconnue légale
par les chiites et les ach'arites.
sawiya, avoir une certaine valeur, sawayya, égaliser, aplanir, taswiyyat al-qubûr,
égaliser la surface des tombeaux pour les faire disparaître, c'est une
obligation canonique pour leur donner à tous la même valeur devant
Allah.
shahada, voir, assister à, être témoin d'un événement, istushhida, mourir en
martyre pour une cause, shâhid, témoin, shahîd, martyr, mashhad, lieu de
la mort ou du tombeau d'un martyr, shahîd, la visite en est bénéfique
notamment chez les chiites.
shaqq, fente, fissure, crevasse, tombe simple, tradition mekkoise.
tâbût, caisse en bois, cercueil, arche de l'alliance.
taqsîs al-qubûr, enduire de plâtre les tombes, équivalent de tadjîss.
tariba, devenir pauvre, être en abondance (terre), tarraba, terrasser, manier la
terre, se changer en terre (cadavre), tarb, turb, terre, turba, terre, tombeau,
cimetière.
tâna, yatînu, enduire de boue, d'argile, tin, boue, argile, tatyin al-qubûr, enduire
d'argile la tombe, réprouvé par certains juristes car cela empêcherait le
mort d'entendre l'appel à la prière.
walî, ami de Dieu, saint homme dont on va visiter le tombeau, tombeau d'un
saint homme.
zâra, yazûru, visiter, mazâr, lieu à visiter, ziyâra, visite, visite des morts.

TH. BIANQUIS
Université Lumière-Lyon 2
218 Th. bianquis

Bibliographie

Encyclopédie de l'Islam, nouvelle édition, articles, kabr, makbara, al-Kâhira, Dimashk,


Djanâza, al-Madîna, etc..
Les cimetières les plus célèbres, Hadjun à La Mecque, Bâb al-Harb et Bâb
Dimashq à Bagdad, Karbala, cimetière de l'Imâm Husayn, al-Baqî' de Médine, le
cimetière de Bâb al-Saghîr à Damas, la tombe de l'Imâm Shafi1! et les Qarâfa du Caire,
ont donné lieu à de nombreuses publications de stèles islamiques par Max van Berchem,
H. Laoust, Janine Sourdel Thomine, Solange Ory, etc....
Le lecteur non arabophone, outre les traductions en français des grands géographes
arabes du Xe siècle et des voyageurs arabes des siècles suivants, pourra consulter avec
profit quelques ouvrages d'accès facile.
Elisseef N., La description de Damas d'ibn 'Asâkir, PIFD, Damas, 1959.
Galal M., « Essai d'observations sur les rites funéraires en Egypte actuelle », Revue des
Études Islamiques, XI (1937), 131-299.
GiLLON J. Y., Les anciennes fêtes du printemps à Homs, Institut Français de Damas,
1993, PIFD 144, présente, notamment p. 20, 25, et 96, le khamis al-amwât, le « jeudi
des morts », fête gaie : on fabriquait des gâteaux et on rendait visite au cimetière pour
distribuer aux pauvres « la part des morts » de ces gâteaux, souvenir, semble-t-il,
d'une époque plus ancienne où l'on allait nourrir les morts de gâteaux qu'ils avaient
aimés durant leur vie.
Laoust H., Le précis de droit d'ibn Qudama, (traduction), PIFD, Damas, 1950, donne,
pp. 45-49, sous le titre « les pratiques funéraires », une description très détaillée du
rituel sunnite de lavage du corps du mort, de l'ensevelissement et de la mise en terre.
Laoust H., La profession de foi d'ibn Batta, (traduction), PIFD, Damas, 1958, pp. 93-
100, les châtiments de la tombe, p. 149, l'interdiction « de prier dans un bain, sur le
lieu où les chameaux ont laissé leurs excréments, sur les chemins battus, dans un
cimetière, maqbara, dans un abattoir, sur un dépôt d'ordure ou sur le toit de la
Maison de Dieu ».
Massignon L., « La cité des morts au Caire », BIFAO, Le Caire, 1958, pp. 25-79.
Mo'az KH. et Ory S., Inscriptions arabes de Damas, Les stèles funéraires, I, Le
cimefière de Β ab al-Saghir, Damas, 1977.
Ragheb Y., « Les premiers monuments funéraires de l'Islam », Annales Islamologiques,
X (1970), pp. 21-36.
Ragheb Y., « Essai d'inventaire chronologique des guides à l'usage des pèlerins du
Caire », Revue des Études Islamiques, XLI/2 (1973), pp. 259-280.
Ragheb Y., « Structure de la tombe d'après le droit musulman », Arabica, XXXIX
(1992), 395-403, article très complet sur l'aspect matériel de la tombe, avec une
bibliographie arabe en note relativement abondante. Le texte que nous présentons ici
s'en est largement inspiré sur ces points et le complète sur d'autres, notamment à
l'aide des manuels de hadîth. Yusuf Ragheb, le meilleur spécialiste actuel dans ce
domaine, a publié un grand nombre d'articles que nous ne pouvons tous citer ici sur
les rituels de la mort, la tombe, l'enterrement des morts vivants, les cimetières les
plus célèbres, les pèlerinages qui leur sont liés.
Sordel-Thomne J., le guide de pèlerinage de 'AU al-Harawi, traduction, PIFD, Damas,
1957.

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