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Sépultures islamiques
Thierry Bianquis
Bianquis Thierry. Sépultures islamiques. In: Topoi, volume 4/1, 1994. pp. 209-218;
doi : https://doi.org/10.3406/topoi.1994.1501
https://www.persee.fr/doc/topoi_1161-9473_1994_num_4_1_1501
Topoi 4 (1994)
p. 209-218
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est retenue à l'Enfer. Une branche de palmier plantée sur la tombe protégera le
mort de ces tourments tant qu'elle demeurera verte.
Interdictions transgressées
Un tas de cailloux, une ou deux pierres plates dressées au pied ou à la tête
du défunt sont tolérés. Toute décoration durable, briques cuites, marbres, de
même que la ziyâra, « visite des tombes », est « réprouvée » maqrûh par les
fuqaha, mais non harâm, « interdite ». En fait elles furent très vite tolérées à
condition de ne pas faire comme les chrétiens. Surtout ne pas identifier le mort
par une inscription ni édifier de monument funéraire qui pourrait amener la
naissance d'un culte du Saint, activité religieuse idolâtre, associationiste ou
fractionniste du Divin, chose que déteste par dessus tout l'Islam et qu'il reproche
aux chrétiens. Pour la même raison, on interdit les ziyârât, visites aux tombes de
défunts particulièrement vénérés. Aucune des deux interdictions ne fut
respectée. Nous avons des dizaines de milliers de stèles sunnites médiévales,
particulièrement bien gravées. Nous disposons de plusieurs ouvrages pieux
consacrés aux visites des grands cimetières pour recueillir les bénédictions qui
émanaient du tombeau des saints personnages.
Les cimetières
Les tombes sont en général rassemblées en cimetières, maqbara, maqâbir,
placés à l'extérieur des cités car un cadavre ne peut entrer en ville, il ne peut
qu'en sortir, sauf circonstances exceptionnelles. Les cimetières jouaient dans la
ville un rôle propitiatoire important dans l'islam populaire, rôle qui a disparu
avec la modernisation. En général, ils sont situés à proximité immédiate des
villes, en périphérie, près d'une porte dont ils peuvent porter le nom. Non clos,
ils sont pourtant désignés sous un terme signifiant clôture. Les plus célèbres : al-
Baqîc de Médine, Hadjûn à La Mecque, Bâb al-Saghîr à Damas, les Qarâfa du
Caire. Normalement on ne doit pas prier dans un cimetière, pourtant très
souvent on y trouve des enclos avec mihrâb ou même des mosquées. Les
musai là, grandes enceintes ouvertes dotées d'un mur de qibla et d'un mihrâb,
utilisées pour rassembler la population lors des prières des deux grandes fêtes
annuelles, al-Fitr et al-Adhà, sont souvent situées à proximité des cimetières.
On trouve dans certains cimetières de simples tombes ; dans d'autres,
notamment près des grandes villes d'Egypte et de Syrie, il existe une véritable
architecture funéraire, tombeau-maison ou mausolée entourant la tombe, signe
attirant l'attention sur le tombeau, enclos funéraire à ciel ouvert. Des cérémonies
avec zikr et chants sont signalées. On se fait enterrer près d'un musulman que
l'on admire par exemple, Ibn Hanbal ou Abu Hanîfa à Bagdad, l'Imam Shaféi au
Caire, etc.
Damas comptait, à la fin de l'époque mamlouke, une quinzaine de
cimetières, placés à l'extérieur des grandes portes et au nord des faubourgs
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septentrionaux uu a l'ouest de la ville. Les deux plus grands étaient Bâb Saghîr,
dix-huit hectares, et Dahdah à Bâb al-Farâdîs, environ huit hectares. Le
cimetière de Bâb al-Saghîr à Damas était célèbre par la tombe de Mucâwiya et
d'autres califes omayyades, des grands compagnons du Prophète, notamment le
muezzin noir Bilâl, et de chérifs, descendants de cAlî et de Fâtima. Quand les
Abbassides ont mis fin en 750 à la dynastie omayyade, ils ont détruit le
cimetière de Bâb al-Saghîr, sortant les ossements et les brûlant, mettant le
terrain en culture. Mais, très rapidement le cimetière se reconstitua. Certaines
tombes de personnages célèbres furent réidentifiées. Pour les détails, se référer à
la savante étude de Solange Ory, Inscriptions arabes de Damas, les stèles
funéraires de Bâb al-Saghîr, parue à l'Institut Français de Damas en 1977. Les
tombes arrondies sunnites, an yusannama qabrahu, « qu'on modèle sa tombe en
forme de bosse de chameau », s'y différencient aisément des tombes aplanies au
sommet des chiites, et de leurs mausolées qui supportent un dôme doré quand
ils abritent la dépouille d'un des douze imams, cAlî ou un de ses descendants.
Bâb al-Saghîr, cimetière immense, situé à la porte sud de la ville, près du
grand marché extérieur aux moutons et des marchés intérieurs aux tentes et aux
cordages, donc mettant en présence les éleveurs de la steppe et les citadins, a
toujours été un lieu de désordres, crimes, bandes de mauvais garçons, de voyous
qui injurient les notables ou leur envoient des pierres. Les autres cimetières de
Damas, situés également aux portes de la ville, ont tous leur histoire ou leur
tonalité particulière. A Bâb Tûmâ, cimetière où ont été enterrés les premiers
musulmans tués au siège de Damas, à côté d'un cimetière chrétien, Ibn cAsâkir
raconte que lorsqu'on creusait des tombes on mettait à jour des vestiges
archéologiques plus anciens. Entre Bâb Sharqî et Bâb Kaysân, se trouvait un
cimetière juif, aujourd'hui recouvert par une autoroute. Le cimetière de Bâb al-
Farâdîs, au nord de la ville, qu'on nous décrit comme ombragé, recevait les gens
les plus riches qui habitaient le quartier de la Pierre d'Or, entre la grande
mosquée et Bâb al-Salâm. Un autre cimetière était réservé aux soufis, un autre
sur les flancs de Sâlihiyya, aux Hanbalites, etc..
Les cimetières du Qarâfa du Caire, gigantesque ville des morts, souvent
aussi étendue que la ville contemporaine des vivants, ont toujours eu une aura
magique, encore efficace aujourd'hui. Les khawsh, enclos-tombes, avec pièces
d'habitation, y sont nombreux. En effet, on désire partager la vie des défunts de
la famille, une petite maison est construite à côté de la tombe, on va y passer la
nuit du vendredi (du jeudi au vendredi), on pique-nique. Parfois les veuves y
allaient seules et n'y retrouvaient pas que les ombres de leur mari défunt. Sous
la pression démographique, ces Qarâfa se transforment à plusieurs reprises dans
l'histoire, en zone d'habitat populaire. La madrasa où est enterré l'Imâm Shaféi
joue un rôle important. On présente à ce mausolée tous les cadavres de ceux qui
sont morts au Caire dans la journée avant de les enterrer. Le Mashhad al-
Guyûshî, sur le flanc de la falaise qui domine le Qarâfa, est encore mal identifié.
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La madrasa funéraire
Les sultans seljoucides Alp Arslân et Malik Shah et leur vizir Nizâm al-
Mulk voulurent reprendre en main la diffusion de l'idéologie sunnite en
instituant un financement et un contrôle de l'enseignement par le pouvoir
politique à partir des années 1070. Ils retirèrent à la grande mosquée
l'enseignement du droit religieux et créèrent des madrasa, établissements
spécialisés confiés à des professeurs choisis avec soin pour leur orthodoxie,
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cadhâba, s'abstenir de manger par excès de soif, cadhuba, être doux agréable au
goût, cadhdhaba, punir, tourmenter, cadhâb, punition, tourment.
âdjurr, briques cuites, durables, ne doivent pas être utilisées pour fermer la
tombe, carzamiyya, briques fabriquées à Kufa, avec des tessons et des
débris de roseaux, réprouvées pour couvrir les tombes, car impures et
inflammables.
camûd qabr, pilier dressé sur la tombe, pratique ottomane.
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rakhama, être lisse, doux, rukham, lait caillé, rukhâm, marbre, interdit sur les
tombeaux.
rawada, dompter par un exercice fréquent, riyadiyat, mathématiques, riyâda,
gymnastique, aller souvent travailler, d'où rawda, jardin paradisiaque, bien
travaillé, cimetière conduisant au paradis.
sanama, avoir une bosse élevée, sannama, engraisser le chameau, donner à une
construction une forme convexe, sanam, bosse de chameau, désigne la
forme bombée de la tombe sunnite alors que la tombe chiite est aplanie au
sommet.
sanduq, caisse, coffre, cénotaphe.
sâriyat qabr, pilier isolé sur une tombe, coutume ottomane.
sath, terrasse, toit plat, musattah, tombeau à couverture aplanie, reconnue légale
par les chiites et les ach'arites.
sawiya, avoir une certaine valeur, sawayya, égaliser, aplanir, taswiyyat al-qubûr,
égaliser la surface des tombeaux pour les faire disparaître, c'est une
obligation canonique pour leur donner à tous la même valeur devant
Allah.
shahada, voir, assister à, être témoin d'un événement, istushhida, mourir en
martyre pour une cause, shâhid, témoin, shahîd, martyr, mashhad, lieu de
la mort ou du tombeau d'un martyr, shahîd, la visite en est bénéfique
notamment chez les chiites.
shaqq, fente, fissure, crevasse, tombe simple, tradition mekkoise.
tâbût, caisse en bois, cercueil, arche de l'alliance.
taqsîs al-qubûr, enduire de plâtre les tombes, équivalent de tadjîss.
tariba, devenir pauvre, être en abondance (terre), tarraba, terrasser, manier la
terre, se changer en terre (cadavre), tarb, turb, terre, turba, terre, tombeau,
cimetière.
tâna, yatînu, enduire de boue, d'argile, tin, boue, argile, tatyin al-qubûr, enduire
d'argile la tombe, réprouvé par certains juristes car cela empêcherait le
mort d'entendre l'appel à la prière.
walî, ami de Dieu, saint homme dont on va visiter le tombeau, tombeau d'un
saint homme.
zâra, yazûru, visiter, mazâr, lieu à visiter, ziyâra, visite, visite des morts.
TH. BIANQUIS
Université Lumière-Lyon 2
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Bibliographie