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législative de l’union
de fait au Québec
Alain Roy*
INTRODUCTION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
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5. La présente étude n’a pas pour objectif de décrire les droits et obligations dont les
conjoints de fait peuvent se prévaloir en vertu du droit commun ou en trouvant
appui sur une interprétation libérale de la notion de l’intérêt de l’enfant, si appli-
cable. En conséquence, nous ne traiterons pas des développements jurisprudentiels
et doctrinaux relatifs à l’action en enrichissement sans cause et en partage d’une
société tacite que certains conjoints de fait intentent. Nous n’analyserons pas
davantage les décisions judiciaires où l’on a attribué certains droits dans la rési-
dence familiale au conjoint de fait non propriétaire, en prenant appui sur le principe
du meilleur intérêt de l’enfant, le cas échéant. À ce propos, le lecteur pourra consul-
ter l’ouvrage de Jocelyne JARRY, Les conjoints de fait au Québec. Vers un encadre-
ment légal, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 115-145 et le texte de Jocelyn
VERDON, « L’égalité entre les enfants d’une union de fait et ceux du mariage. Réa-
lité ou utopie ? », dans Conjoints de fait : leurs droits et leurs recours, Montréal CCH,
mai 2008, p. 1.
6. Nous ne discuterons pas des éléments de définition de la notion de « conjoint de
fait », si ce n’est de façon accessoire. Ainsi, nous présenterons l’évolution du droit
des conjoints de fait sans faire référence aux critères de qualification que le législa-
teur peut imposer aux couples en union de fait, que ce soit aux plans de la durée de
leur relation, de la notoriété, de la cohabitation sous un même toit ou de tout autre
aspect.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 85
8. « [...] si l’union libre est vécue de la même façon que l’union [matrimoniale],
c’est-à-dire consentie, strictement observée et maintenue, pourquoi favoriser le
mariage et proscrire le concubinage ? Il s’agirait là d’une morale laïque équiva-
lente à la morale chrétienne » : Jean PINEAU, Traité élémentaire de droit civil.
La Famille, Montréal, P.U.M., 1972, p. 18.
9. Cette angle moral se percevait parfois en jurisprudence, comme en fait foi cette
déclaration du juge Rinfret appelé à disposer de la demande de pension alimen-
taire d’une conjoint de fait à l’égard de son ex-époux : « Que des personnes vivent
en concubinage, c’est leur affaire ; je n’ai pas à les juger ; mais qu’elles ne comptent
pas sur quelqu’un d’autre, qu’elles prennent les dispositions requises pour subve-
nir elles-mêmes aux besoins du ménage » : Michaud c. Bernier, [1976] C.A. 469,
472.
10. « Accorder au concubinage un droit de cité en droit civil n’est pas la meilleure façon
de favoriser la stabilité entre conjoints ni, par conséquent, l’épanouissement de la
famille » : Ernest CAPARROS, « Observations sur la première partie du rapport
de l’O.R.C.C. sur la famille », (1975) 16 C. de D. 621, 623. « Reconnaître le concubin
comme héritier légal au même titre que l’époux est un encouragement à la désa-
grégation de la famille » : Armand LAVALLÉE, « Correspondance. Le concubin,
héritier légal », (1976-77) 79 R. du N. 152.
11. Le droit social ne reconnaissait pas davantage l’union de fait. La relation d’inter-
dépendance économique pouvant exister entre les concubins était tout simple-
ment ignorée par l’État. Bien que le législateur québécois ait permis, dès 1965, à
une « veuve non mariée » d’obtenir une rente viagère en vertu de la Loi sur le
régime de rentes (L.Q. 1965, ch. 24, art. 105), ce n’est qu’après l’adoption de la
Charte des droits et libertés de la personne en 1975 que les conjoints de fait purent
véritablement accéder aux mêmes prestations, services publics et programmes
sociaux que les personnes mariées. Sur le sujet, voir infra, p. 103 et s.
12. « Il est clair que le droit civil ne favorisait aucunement le concubinage et le punis-
sait sévèrement » : André COSSETTE, « Le concubinage au Québec », (1985) 88 R.
du N. 43, 45. Voir cependant Dominique GOUBAU pour qui le C.c.B.C. n’était pas
véritablement hostile à l’égard des conjoints de fait, mais se contentait de les
ignorer : « Le Code civil du Québec et les concubins : un mariage discret », (1995) 74
Rev. du Bar. can. 474, 475.
13. Jean PINEAU, Traité élémentaire de droit civil. La Famille, Montréal, P.U.M.,
1972, p. 11. Voir également Pierre-Basile MIGNAULT, Le droit civil canadien, t.
IV, Montréal, Théorêt, 1899, p. 45 et François LANGELIER, Cours de droit civil
de la province de Québec, t. III, Montréal, Wilson & Lafleur, 1907, p. 25.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 87
14. Les conjoints de fait pouvaient toutefois se consentir des aliments par donation
entre vifs. Ainsi se lisait l’article 768 C.c.B.C. : « Les donations entre vifs faites par
le donateur à celui ou à celle avec qui il a vécu en concubinage, à ses enfants inces-
tueux ou adultérins, sont limitées à des aliments. Cette prohibition ne s’applique
pas aux donations par contrat de mariage intervenu entre les concubinaires. Les
autres enfants illégitimes peuvent recevoir des donations entre vifs comme toutes
autres personnes ». Notons que la prohibition légale n’a jamais trouvé application
en matière testamentaire. Vu la liberté illimitée de tester introduite en 1774 par
l’Acte de Québec, les concubins ont toujours pu se consentir des legs. Soulignons
que les tribunaux québécois n’ont jamais considéré de tels legs comme étant con-
traires à l’ordre public et aux bonnes mœurs suivant l’article 831 C.c.B.C. Ainsi,
dans Archambault c. Guérin, Cour du Banc de la reine, Montréal, 28 avril 1948,
no 2974 (cité par André Morel à la note 33 de sa thèse publiée sous le titre Les limi-
tes de la liberté testamentaire dans le droit civil de la province de Québec, Paris,
1960, L.G.D.J.), la Cour d’appel déclarait : « Étant donné la liberté complète de tes-
ter qui existe en cette province, rien n’empêche un homme de déshériter son
épouse et sa famille en faveur de sa concubine, quelque malheureuse puisse être
une telle décision ». Voir cependant Vaudreuil c. Falardeau, [1950] R.P. 193 où le
juge Fabre-Surveyer procéda à l’annulation d’un tel legs. Par ailleurs, suivant l’in-
terprétation de la Cour supérieure, la concubine désignée comme bénéficiaire
d’une police d’assurance-vie pouvait recueillir le produit au décès de l’assuré, l’as-
surance-vie n’étant pas assimilée à la donation prohibée par l’article 768 C.c.B.C. :
Lessard c. Denis et autre, [1970] C.S. 521.
15. « En effet, écrit le notaire Jean Sylvestre, l’article 768 C.C.B.-C., en prohibant
toutes donations entre vifs entre concubins et entre personnes ayant vécu en
concubinage, fermait la porte à tous arrangements financiers quelconques entre
personnes vivant en union libre, revêtant un caractère de libéralités, de gratuité
ou de don. Or, puisqu’on retrouve presque toujours l’un ou l’autre de ces caractères
dans ce qu’il est convenu d’appeler des accords entre conjoints ou concubins, il
était impossible de penser à convenir de tels accords entre concubins » : Jean
SYLVESTRE, « Les accords entre concubins », [1981] C.P. du N. 197.
16. Sur le statut juridique de l’enfant naturel, voir Jean PINEAU, « La situation
juridique des enfants nés hors mariage », (1973) 8 R.J.T. 209 et Jean-Louis
BAUDOUIN, « Examen critique de la situation juridique de l’enfant naturel »,
(1966) 12 R.D. McGill 157.
17. Pour un exposé sur les différentes catégories d’« enfants naturels » prévues par le
C.c.B.C., voir Jean PINEAU, Traité élémentaire de droit civil. La Famille, Mont-
réal, P.U.M., 1972, p. 127 et s.
18. Jean PINEAU, Traité élémentaire de droit civil. La Famille, Montréal, P.U.M.,
1972, p. 137.
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Les raisons juridiques qui ont été invoquées pour justifier l’ignorance
du groupe de la famille naturelle transparaissent clairement à la lec-
ture de notre Code [...] : désir de protéger les droits de la famille légi-
time, refus de sanctionner une conduite contraire aux bonnes mœurs,
refus d’encourager la prolifération des unions libres, etc.22
19. Seule une obligation alimentaire limitée était imposée aux parents de l’enfant
naturel : art. 240 C.c.B.C. Ce n’est qu’en 1970 que les parents furent formellement
soumis au devoir d’entretien et d’éducation à l’égard de leur enfant naturel : Loi
modifiant le Code civil et concernant les enfants naturels, L.Q. 1970, c. 62.
20. Art. 598 et 606 C.c.B.C. Les enfants naturels pouvaient cependant recevoir par
testament, en vertu du principe de la liberté de tester. Toutefois, comme l’écrit
André Cossette, « [...] rares sont les testateurs qui iront, par leur testament,
rendre public un fait qui n’est connu que par eux et qui, par surcroît, viendrait ter-
nir la bonne réputation qu’ils avaient de leur vivant, car, il faut se rappeler que la
naissance d’un enfant hors mariage était encore considérée, jusqu’à récemment,
comme étant le signe visible d’un dérèglement des mœurs, le résultat d’un acte
méprisable... » : André COSSETTE, « Le concubinage au Québec », (1985) 88 R. du
N. 43, 48.
21. L’expression est de Jean-Louis BAUDOUIN : « Examen critique de la situation
juridique de l’enfant naturel », (1966) 12 R.D. McGill 157, 158. Notons que l’enfant
naturel pouvait être légitimé par le mariage subséquent de ses parents : art. 237
C.c.B.C.
22. Jean-Louis BAUDOUIN, « Examen critique de la situation juridique de l’enfant
naturel », (1966) 12 R.D. McGill 157, 158.
23. Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q.
1980, c. 39.
24. Ibid., art. 35. Évidemment, l’institution du principe d’égalité entre les enfants
(consacré à l’article 594 C.c.Q., aujourd’hui l’article 522) participe également de
l’élévation juridique de l’union de fait. Le professeur Goubau écrit en ce sens : « En
affirmant clairement le principe de l’égalité juridique de tous les enfants quelles
que soient les conditions de leur naissance, le Code civil reconnaît du même coup
que le mariage n’est plus le cadre obligé de la famille. D’autre part, la consécration
du principe de l’égalité des enfants a pour conséquence que les droits des enfants
nés hors mariage sont identiques à ceux des enfants qui étaient qualifiés autrefois
de « légitimes », avec des conséquences importantes dans différents secteurs du
droit civil où traditionnellement le statut des enfants naturels (« illégitimes »)
était caractérisé par une quasi-absence de droits [...] » : Dominique GOUBAU,
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 89
juridiquement ce fait. Par contre, dans le droit actuel, ces couples ne pouvaient
pas se faire des donations réciproques. On enlève, en somme, cette chose qui était
interdite et on la rend possible ; par ceci, je pense qu’on accroît, dans notre droit
familial, un élément de justice » : ASSEMBLEE NATIONALE DU QUÉBEC,
Journal des débats, 4 décembre 1980, no 15, p. 645.
29. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 4 décembre 1980,
no 15, p. 608 (adoption du projet de loi 89 en deuxième lecture). Cette position a
reçu l’aval du chef de l’Opposition officielle de l’époque, Claude Ryan. À la page
663, celui-ci s’exprime ainsi : « Sur l’union de fait, par conséquent, je pense qu’il
faut procéder avec beaucoup de prudence. Si les personnes ne veulent pas conférer
elles-mêmes un caractère juridique ou légal à leur union, il ne peut pas être ques-
tion de le leur imposer de force, non plus ».
30. Dans l’affaire Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, 450, le juge Gonthier semble
reconnaître cet état de fait : « Je trouve intéressantes, également, certaines obser-
vations du procureur général du Québec, qui a expliqué que l’on avait décidé, lors
de la grande réforme du droit de la famille au Québec en 1980, de ne pas étendre
aux couples non mariés les droits et obligations rattachés au mariage ; cette déci-
sion a été prise pour respecter le choix des couples non mariés, non pour les stig-
matiser ». Deux des principaux responsables de la réforme de 1980 à la direction
de la législation ministérielle du ministère de la Justice du Québec partagent éga-
lement cette vue. Ainsi, écrit Marie-Josée Longtin : « La Loi n’a pas voulu traiter
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 91
[...] cette attitude constitue une atteinte au principe du libre choix qui
anime les conjoints de fait. Le [Conseil du statut de la femme] préconise
qu’aucune obligation ne doive résulter de l’union de fait pour respecter
la volonté des parties en cause. [...] Notre prise de position concernant
l’union de fait repose sur une véritable reconnaissance de l’égalité des
personnes et leur autonomie. C’est pourquoi il nous apparaît essentiel
d’insister sur la non-institutionnalisation de ce genre d’union et de res-
pecter la volonté des parties en présence.35
34. Les seuls intervenants qui ont rejeté la proposition pour des raisons d’ordre moral
sont l’Association des parents catholiques (Commentaires sur le projet de code
civil en regard de la famille, 5 mars 1979) et le professeur Ernest Caparros,
(ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE
LA JUSTICE, Journal des débats, 22 mars 1979, no 17, p. B-835 à B-837). On
notera également la teinte moraliste du mémoire de l’Assemblée des évêques du
Québec qui proposait de considérer comme « contraires à l’ordre public et aux bon-
nes mœurs les contrats ayant pour but de créer ou de perpétuer le concubinage. »
(Lettre au président de la Commission permanente de la Justice, 12 mars 1979,
p. 10).
35. CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, Mémoire présenté à la Commission par-
lementaire sur la réforme du droit de la famille, 20 février 1979, p. 23-24. Notons
que le C.S.F. a réitéré sa position en 1988 lors des travaux parlementaires entou-
rant l’adoption des dispositions sur le patrimoine familial (voir infra, note 48).
Dans le même sens, on peut noter la position du Comité national de la condition
féminine du Parti québécois (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COM-
MISSION PERMANENTE DE LA JUSTICE, Journal des débats, 15 mars 1979,
no 12, p. B-636) ; celle du Comité de condition féminine de la CSN (ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE LA JUSTICE,
Journal des débats, 27 mars 1979, no 24, p. B-1171 et B-1172) ; celle de la Fédéra-
tion des femmes du Québec (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COM-
MISSION PERMANENTE DE LA JUSTICE, Journal des débats, 27 mars 1979,
no 24, p. B-1183 et B-1184) et celle du Réseau d’action et d’information pour les
femmes (qui semble toutefois admettre le principe d’une compensation financière
destinée au conjoint de fait qui se voit octroyer la garde d’un enfant) (ASSEM-
BLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE LA
JUSTICE, Journal des débats, 28 mars 1979, no 25, p. B-1209). Le R.A.I.F. a réi-
téré sa position en 1988 lors des travaux parlementaires entourant l’adoption des
dispositions sur le patrimoine familial (voir infra, note 48). Voir également la posi-
tion des Organismes familiaux associés du Québec (ORGANISMES FAMILIAUX
ASSOCIÉS DU QUÉBEC, Mémoire de l’O.F.A.Q., février 1979, p. 19). D’autres,
au contraire, se sont montrés favorables à la proposition d’encadrer les rapports
des conjoints de fait. Ainsi, la Commission des services juridiques recommanda
l’établissement d’une obligation alimentaire encore plus large que celle proposée
dans le projet de loi, tout en plaidant en faveur d’un partage égalitaire des biens
acquis durant l’union de fait (COMMISSION DES SERVICES JURIDIQUES,
Mémoire présenté à la Commission permanente de la justice sur le Rapport de
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 93
[...]
[...]
avoir fait ce même cheminement théorique, intellectuel [...] que certaines femmes
professionnelles peuvent faire plus facilement ou d’autres femmes qui ont eu plus
de chance dans la vie » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMIS-
SION PERMANENTE DE LA JUSTICE, Journal des débats, 16 décembre 1980,
no 17, p. B-1035.
37. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE
LA JUSTICE, Journal des débats, 11 décembre 1980, no 15, p. B-300. Au terme
de la discussion, l’analyse de l’article a été suspendue, le ministre ayant accepté
d’analyser la possibilité d’étendre les mesures de protection aux conjoints de fait
ayant des enfants : voir p. B-304-305. Voir également les discussions tenues
devant la Commission le décembre 1980 (p. B-1033 et suiv.). Voir enfin les propos
de la députée Thérèse Lavoie-Roux lors de l’adoption du projet de loi 89 en troi-
sième lecture : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats,
19 décembre 1980, p. 1260. Notons que certains organismes avaient préalable-
ment proposé d’étendre les mesures de protection de la résidence familiale aux
conjoints de fait : voir CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, Mémoire sur la
résidence familiale – Projet de loi 89, novembre 1980, Montréal, p. 25 et 31.
38. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 19 décembre
1980, no 26, p. 1269-1271.
39. Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme au droit de la famille, pro-
jet de loi 89, L.Q. 1980, c. 39, art. 75.
40. Le notaire Jean Sylvestre écrit : « La porte est large ouverte à l’imagination des
rédacteurs d’actes, et des notaires en particulier, qui pourront désormais, sous la
seule restriction des dispositions de l’article 13 C.C.B.-C., prévoir de multi-
ples conventions et accords entre personnes vivant en union libre » : Jean
SYLVESTRE, « Les accords entre concubins », [1981] C.P. du N. 197.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 95
41. Marcel GUY, « Les accords entre concubins et entre époux après la loi 89 », (1981) 1
C.P. du N. 157, 164. Le souhait du professeur Guy semble avoir été exaucé. Dans
l’affaire Droit de la famille – 2760, [1997] R.D.F. 720, 727 (C.S.), le juge écrit à pro-
pos des conventions d’union de fait : « Un tel engagement ne viole nullement la loi
ni l’ordre public puisque, depuis l’abrogation de l’article 768 C.c.B.C., le concubi-
nage n’est plus considéré comme contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.
[...] Les concubins, du choix du législateur, ne sont soumis à aucun régime juri-
dique particulier. Ils jouissent de toute la liberté contractuelle possible en matière
de convention et de contrat. Chacun est donc libre de se créer ses obligations et
d’en déterminer l’entendue ».
42. CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, « Le concubinage », Les Cahiers,
vol. 8, no 1A, mars 1985, nos 77 et s.
43. Voir André COSSETTE, « Le concubinage au Québec », (1985) 88 R. du N. 42, 54 ;
Marc GAUTHIER, « L’union libre, un état de fait ou un état ambigu ? », dans Ser-
vice de la formation permanente du Barreau du Québec, Nouveaux développe-
ments en droit familial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, p. 225, p. 226 ;
Denis LAPIERRE, « Les contrats de vie commune », dans Service de la formation
permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit familial,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 59 ; Brigitte LEFEBVRE, « Le traite-
ment juridique des conjoints de fait : deux poids, deux mesures ! », (2001) 1 C.P. du
N. 223 ; Nataly CARRIER, « La convention de vie commune au Québec : palliatif à
l’absence de législation », dans Jacques BEAULNE et Michel VERWILGHEN
(dir.), Points de droit familial : rencontres universitaires belgoquébécoises, Mont-
réal, Wilson & Lafleur, 1997, p. 239.
96 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
44. Droit de la famille – 2760, [1997] R.D.F. 720 (C.S.) (protection de la résidence fami-
liale et obligation alimentaire) ; Droit de la famille – 3162, J.E. 98-2333 (C.S.)
(obligation alimentaire) ; Couture c. Gagnon, [2001] R.J.Q. 2047 (C.A.) (requête
pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée le 3 octobre 2003 (no
28896)), commenté par Alain ROY, « La liberté contractuelle des conjoints de fait
réaffirmée par la Cour d’appel... Un avant-goût des jugements à venir ? », (2002)
103 R. du N. 1. Pour une revue des différents jugements portant sur la validité des
conventions entre conjoints de fait, voir Jean-Pierre SENECAL (texte mis à jour
par Murielle DRAPEAU), « L’union de fait ou le concubinage », Droit de la famille
québécois, Farnham, Publications CCH, 2007, p. 1,217 et s.
45. Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions législatives afin de
favoriser l’égalité économique des époux, L.Q. 1989, c. 55. Les dispositions relati-
ves au patrimoine familial se trouvaient initialement aux articles 462.1 et s.
C.c.Q. On les retrouve aujourd’hui aux articles 414 et s. C.c.Q.
46. Herbert MARX (ministre de la Justice) et Monique GAGNON-TREMBLAY
(ministre déléguée à la Condition féminine), Les droits économiques des conjoints,
Document présenté à la consultation, Gouvernement du Québec, Ministère de la
Justice, Sainte-Foy, juin 1988.
47. La seule référence aux conjoints de fait apparaît à la page 8 du document de
consultation : « On ne saurait non plus ignorer le fait que notre droit familial rela-
tif aux conjoints ne s’adresse qu’aux époux, non pas aux conjoints de fait, et qu’il
réserve à ceux-ci, en raison surtout de la multiplicité des situations et de l’absence
de données précises relativement à cette question, une entière liberté dans l’amé-
nagement de leurs rapports. Toute option législative doit tenir compte de l’effet
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 97
qu’elle peut entraîner sur le droit fondamental des personnes de choisir entre le
mariage et l’union de fait. Or, force est de reconnaître que cette alternative au
mariage qu’est l’union de fait est de plus en plus répandue. »
48. Seulement 7 mémoires sur les 26 déposés contenaient certaines énonciations sur
l’encadrement juridique de l’union de fait. Parmi les 7 mémoires, on notera celui
du Conseil du statut de la femme qui réitéra son opposition à toute forme d’enca-
drement juridique de l’union de fait (CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME,
Mémoire du Conseil du statut de la femme présenté lors de la consultation générale
sur les droits économiques des conjoints, août 1988, p. 40). On notera également
celui du Réseau d’action et d’information pour les femmes qui reprit, en l’élargis-
sant, sa proposition présentée lors de la réforme de 1980 de réglementer l’union
de fait avec enfants (RÉSEAU D’ACTION ET D’INFORMATION POUR LES
FEMMES, Les droits économiques des conjoints : une réforme en peau de chagrin,
septembre 1988, p. 1617). Les autres intervenants s’étant prononcés sur la ques-
tion de l’union de fait dans leur mémoire (tous en faveur d’un encadrement
juridique de l’union de fait), signalons Marthe Vaillancourt (Marthe VAILLAN-
COURT, Mémoire, Chicoutimi, 27 septembre 1988, p. 3) ; Edmont D. Pinsonnault
(Edmond D. PINSONNAULT, Mémoire, 24 août 1988, p. 4) ; Fédération de la
famille de Québec (FÉDÉRATION DE LA FAMILLE DE QUÉBEC, Mémoire,
16 septembre 1988, p. 2) ; Fédération nationale des associations de consom-
mateurs (FÉDÉRATION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE CONSOM-
MATEURS, Mémoire de la FNACQ concernant le document « Les droits écono-
miques des conjoints », Montréal, septembre 1988, p. 3-4 et p. 7).
49. Les propos de la ministre lors de l’adoption de principe du projet de loi 146 par
l’Assemblée nationale en témoignent : « Les membres de cette commission
devaient enfin s’enquérir auprès des intervenants de la pertinence de légiférer
pour englober les conjoints de faits » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC,
Journal des débats, 8 juin 1989, no 125, p. 6485.
50. Tel est le cas du Projet-Partage (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC,
COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 12 octobre 1988, no 28,
p. CI-1149-1150) ; de la Tribune unique et populaire d’information juridique
(ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITU-
TIONS, Journal des débats, 13 octobre 1988, no 29, p. Cl-1185-1186) ; du Mouve-
ment des Caisses populaires et d’économie Desjardins du Québec (ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des
débats, 18 octobre 1988, no 30, p. Cl-1219) ; du Cercle des fermières du Québec
98 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
[...] nous pensons que légiférer en ces matières n’amoindrit pas pour
autant l’urgence et l’importance d’examiner l’ensemble des protections
qui doivent être accordées à l’égard de toutes les familles, indépendam-
ment de l’état civil des parents et indépendamment du statut conjugal
des parents. Le ministre de la Justice avait raison d’appeler le patri-
moine familial « patrimoine commun » puisque, en l’appelant patri-
moine familial, c’est comme si on souscrivait à l’opinion voulant que les
familles doivent être confondues avec le mariage. Nous savons pour-
tant qu’il n’en est rien et que, même si elles doivent être examinées et
étudiées avec toute la réserve que la situation commande, le nombre
grandissant de naissances hors mariage nous amène à considérer tout
urgent l’examen de ces questions. Alors, nous proposons qu’un comité
interministériel obtienne immédiatement le mandat d’examiner à la
fois le statut des conjoints de fait dans nos lois sociales, fiscales, fami-
liales et autres, tout en examinant la nécessaire protection familiale
quel que soit le statut conjugal des parents qui cohabitent. J’ai senti,
tout au cours de ces travaux, le besoin de plus en plus évident d’harmo-
niser des lois qui sont de plus en plus incohérentes dans leur applica-
tion [...]. On pourrait évidemment – ce qui n’est pas mon intention –
faire une liste impressionnante de ces incohérences qu’on retrouve
dans les diverses lois, qu’elles soient familiales, fiscales, sociales ou
autres. Nous pensons qu’il est d’autant plus important d’étudier cette
question que nous avons pu élucider au cours des travaux de notre com-
mission que les jeunes couples choisissent de plus en plus de vivre en
union de fait [...].55
conjoints de fait ne sont pas assimilés, par le Code civil, à des époux, en
ce qui concerne leurs droits et obligations entre eux, notamment pour
ce qui est de l’obligation de secours et d’assistance, nous voyons mal
comment nous pourrions leur appliquer les règles sur le patrimoine
familial. Cette question devra être discutée de nouveau, et ce, de façon
globale. Il faut cependant noter que les conjoints de fait peuvent tou-
jours convenir entre eux de régimes ou de règles similaires à celles qui
concernent les époux au Code civil du Québec, notamment ils pour-
raient donc être assujettis au règles sur le patrimoine familial. [...] On
peut facilement, quant aux couples mariés, connaître leurs motivations
et aspirations, puisque ceux-ci choisissent une forme d’union qui est
reconnue socialement et législativement. Ce n’est pas le cas des person-
nes vivant en union de fait. [...]. Aux plans juridique et social, il faut
aussi considérer que l’application, sans distinction, aux concubins
des règles du mariage, aurait pour effet d’assimiler les deux formes
d’union, ce que nous avons rejeté, en 1980, lorsqu’on a débattu de cette
question. Une telle assimilation ne serait pas sans conséquence, quel
serait alors le sens du mariage ou la valeur civile du mariage religieux
et quelle serait la forme d’union développée par ceux qui ne veulent pas
être réglementées ?56
62. Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q.
1980, c. 39.
63. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, SOUS-COMMISSION DES INSTI-
TUTIONS, Journal des débats, 27 août 1991, no 3, p. CSI-45.
64. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, SOUS-COMMISSION DES INSTI-
TUTIONS, Journal des débats, 19 novembre 1991, no 22, p. CSI-859.
65. En commission parlementaire, la députée Harel plaida en faveur d’une campagne
d’information qui permettrait aux couples en union de fait de connaître leur véri-
table situation juridique : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, SOUS-
COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 10 septembre 1991,
no 6, p. CSI-296-CSI-298. Notons que le Conseil du statut de la femme préconisait
également la tenue d’une telle campagne d’information : CONSEIL DU STATUT
DE LA FEMME, Les partenaires en union libre et l’État. Résumé de l’avis du
Conseil du statut de la femme, juin 1991, Québec, p. 9.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 103
Le conseil du statut de la femme croit que le Code civil ne doit pas confé-
rer à l’union libre les mêmes effets qu’il attribue au mariage. Il est
d’avis que le mariage et l’union libre constituent des engagements dif-
férents. Il importe que cette différence soit respectée au nom de la
liberté de choix des conjointes et des conjoints et de l’acceptation d’un
certain pluralisme social.66
[...] au cours des dernières décennies, les unions de fait sont devenues
une forme courante d’union. Ce choix d’un mode de vie relève entière-
ment du domaine de la vie privée. Cependant, le développement de
cette forme d’union suscite des interrogations non seulement sur les
aspects juridiques, mais aussi sur l’évolution de nos modèles sociaux.
Au Québec comme ailleurs, le droit reconnaît plus ou moins les con-
En second lieu, elle inclura les conjoints de fait de même sexe. Cette
démarche vise les lois particulières du Québec. Il n’est pas l’intention
du gouvernement de bouleverser l’institution du mariage et d’y assimi-
ler les unions de fait ou de donner le statut d’époux aux conjoints de fait.
Toutefois, le gouvernement est ouvert à la possibilité de prévoir un
mécanisme pour assurer, en droit privé, la reconnaissance juridique et
sociale des unions de fait. Ce mécanisme ne s’adresserait qu’aux
conjoints de fait qui veulent officialiser leur union et lui donner des
effets civils particuliers.87
Et un jour, il faudrait faire un débat élargi sur tous les bénéfices et les
obligations de tous nos conjoints de fait. Et ça, c’est un débat, comme j’ai
dit, peut-être pour un autre jour. Mais c’est quelque chose que, sur le
plan financier, il y a également des obligations, et un jour le débat sera
fait [sic].90
[...] vous savez que le Québec est la seule province au Canada, puis en
fait la seule juridiction en Amérique du Nord, à ne pas reconnaître ce
qu’on appelle en anglais « common law marriage ». [...] je pense que le
gouvernement serait bien avisé d’accepter notre invitation, d’accéder à
89. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 6 mai 1999, no 26,
p. 1350.
90. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 9 juin 1999, no 42,
p. 2368.
110 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
91. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 9 juin 1999, no 42,
p. 2370.
92. À ce sujet, Nicole Roy écrit : « Depuis longtemps, une définition uniforme est
demandée, notamment pour éviter des différences quant à l’effet économique des
lois. Si elle a souvent été promise, force est de constater que cette normalisation se
fait encore attendre » : L’union de fait au Québec, Groupe de la coopération inter-
nationale, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, janvier 2005, p. 6. Dans le
même sens, Dominique Goubau et al. écrivent : « [...] malgré les différentes décla-
rations gouvernementales en faveur d’une uniformisation de la définition des
conjoints de fait dans les lois sociales, force est de constater que cet objectif
n’est pas encore atteint » : Dominique GOUBAU, Ghislain OTIS et David
ROBITAILLE, « La spécificité patrimoniale de l’union de fait : le libre choix et ses
dommages collatéraux », (2003) 44 C. de D. 3, 10.
93. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 7 juin 2002,
no 112, p. 6736. Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les
conjoints de fait, L.Q. 1999, c. 14, art. 41. Cette loi eut pour effet de modifier 28 lois
et 11 règlements.
94. Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations, L.C.
2000, c. 12.
95. Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q.
2002, c. 6.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 111
96. Selon le ministre de la Justice Paul Bégin, « [...] le Québec a toujours été reconnu
pour son ouverture et pour son grand respect des différences » : ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 6 juin 2002, no 111, p. 6656.
97. La loi 84 a également consacré le phénomène que l’on désigne sous le nom d’homo-
parenté en permettant à deux personnes de même sexe d’être inscrits en qualité
de parents sur l’acte de naissance d’un enfant. C’est également par la loi 84 que le
législateur a ajouté à la liste de l’article 366 C.c.Q. de nouveaux célébrants civils
pour le mariage civil (et incidemment l’union civile) : voir Alain ROY, « Le droit de
la famille. Une décennie d’effervescence législative », (2003) 105 R. du N. 215.
98. À quelques exceptions près... Comme l’explique le ministre de la Justice Paul
Bégin : « Le nouveau régime d’état civil présenté aux membres de cette assemblée
permet aux couples qui le désirent de s’unir civilement devant un célébrant. Les
droits et obligations qui découleront de cette union sont les mêmes que ceux du
mariage. Cependant, il y a quelques différences majeures entre les conditions du
mariage et celles de l’union civile. Ainsi, les conjoints qui désirent s’unir civile-
ment doivent être âgés d’au moins 18 ans. Autre distinction, l’union civile est
ouverte aux couples homosexuels et hétérosexuels. Et, finalement, la dissolution
de l’union civile peut être faite devant notaire lorsqu’il n’y a pas d’enfant impli-
qué » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 6 juin
2002, no 111, p. 6656.
99. Débats de l’Assemblée nationale, 6 juin 2002, p. 6656.
112 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
61.1. Sont des conjoints les personnes liées par un mariage ou une
union civile.
Sont assimilés à des conjoints, à moins que le contexte ne s’y oppose, les
conjoints de fait. Sont des conjoints de fait deux personnes, de sexe dif-
férent ou de même sexe, qui font vie commune et se présentent publi-
quement comme un couple, sans égard, sauf disposition contraire, à la
durée de leur vie commune. Si, en l’absence de critère légal de recon-
naissance de l’union de fait, une controverse survient relativement à
l’existence de la communauté de vie, celle-ci est présumée dès lors que
les personnes cohabitent depuis au moins un an ou dès le moment où
elles deviennent parents d’un même enfant.103
111. Voir par exemple le mémoire de la Fédération des femmes du Québec : FÉDÉRA-
TION DES FEMMES DU QUÉBEC, De l’union à la famille... une étape de plus à
franchir – Mémoire présenté par la Fédération des femmes du Québec, février
2002, Québec, p. 6.
112. BARREAU DU QUÉBEC, Mémoire sur la loi instituant l’union civile des person-
nes de même sexe et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives,
Montréal, janvier 2002, p. 8.
113. ASSOCIATION DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT FAMILIAL DU
QUÉBEC, Mémoire de l’Association des avocats et avocates en droit familial du
Québec, Montréal, janvier 2002, p. 2.
114. Bien que le mémoire de la Chambre ne pèche pas excès de clarté sur la question
(CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, Mémoire portant sur l’avant-projet
de loi intitulé Loi instituant l’union civile des personnes de même sexe et modi-
fiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, Montréal, janvier 2002,
p. 17) , le président de l’Ordre a tenu des propos non équivoques lors de la com-
mission parlementaire : « Nous sommes également satisfaits de constater que le
régime proposé aux termes de l’avant-projet n’affecte en rien l’autonomie de
ceux et celles qui vivent leur conjugalité en marge de l’ordre juridique formel. La
Chambre des notaires croit fermement à la liberté des individus de disposer de
leur propre cause et manifesterait son opposition à toute réforme législative au
terme de laquelle l’État s’arrogerait le droit de dicter, directement ou indirecte-
ment, totalement ou partiellement, le contenu obligationnel de l’union de fait,
quelle que soit l’orientation sexuelle des conjoints ».
115. Jocelyn VERDON et Mireille PÉLISSIER-SAVARD, Les enfants du mariage
ceux d’unions de fait. Peut-on parler d’égalité ?, juin 1999.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 117
Les élus n’ont pas été plus loquaces sur la question de l’union de
fait que les organismes, groupes et autres intervenants ayant com-
paru en commission parlementaire. Que ce soit à l’occasion des tra-
vaux de la Commission des Institution ou des débats à l’Assemblée
nationale, aucun parlementaire n’a véritablement interpellé le gou-
vernement sur son intention de préserver le libre choix des conjoints
de fait. À cet égard, les discussions sur le projet de loi 84 se distin-
guent des débats entourant les autres projets de loi dont nous avons
jusqu’ici exposé les tenants et aboutissants.
124. Nicole Roy écrit : « Ce choix, effectué en 1980, de n’instituer aucune régime par-
ticulier pour les conjoints de fait aurait pu être remis en question par la suite.
Toutefois, chaque fois que la question de l’encadrement juridique de l’union de
fait a été soulevée depuis, et elle l’a notamment été à l’occasion de l’adoption du
nouveau Code civil en 1991 et en 2002 lors de l’étude de l’avant-projet de loi
ayant mené à l’institution de l’union civile, le législateur a réaffirmé qu’il n’avait
pas l’intention d’imposer des effets juridiques contraignants à l’union de fait » :
Nicole ROY, L’union de fait au Québec, Groupe de la coopération internationale,
Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, janvier 2005, p. 3.
125. Évidemment, certains sont en désaccord avec cette politique législative. Plutôt
que de s’en remettre au principe du libre choix et de l’autonomie de la volonté, ils
invoquent le besoin de réglementer toute relation où l’interdépendance écono-
mique risque d’affecter, à plus ou moins long terme, l’équilibre des rapports. Le
professeur Beaulne pose la problématique ainsi : « Le phénomène de l’union libre
au Québec a suscité de nombreuses questions sur le plan juridique, dont les plus
importantes sont sans aucun doute de savoir si une telle union doit ou non faire
l’objet d’une reconnaissance législative explicite et si les relations qui s’établis-
sent alors entre ses membres doivent être encadrées. Certains ont donné une
réponse affirmative à la question, soulignant qu’il était essentiel de protéger le
conjoint le plus faible de l’union » : Jacques BEAULNE, « Aperçu de la situation
juridique des conjoints de fait au Québec : aspects civils, sociaux et fiscaux »,
dans Jacques BEAULNE et Michel VERWILGHEN (dir.), Points de droit fami-
lial : rencontres universitaires belgo-québécoises, Montréal, Wilson & Lafleur,
1997, p. 223, p. 226.
126. Par ailleurs, on notera la teinte quelque peu partisane des échanges, les partis
politiques s’échangeant le rôle d’objecteur de conscience selon leur fonction à
120 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
1. Le droit français
unique depuis 1972 (D.29 juin 1972). Par ailleurs, la condition de concubin peut
parfois entraîner la perte d’avantages sociaux, par exemple l’allocation de sou-
tien familial prévue à l’article L. 523-2 du Code de la sécurité sociale) : Alain
SÉRIAUX, « De l’opportunité d’un statut des concubins », dans Regards civilistes
sur la loi du 15 novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solida-
rité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 39, p. 31.
140. Ainsi, depuis 1978, l’article L. 161-14 du Code de la sécurité sociale permet au
concubin notoire d’être ayant droit d’un assuré au titre des prestations en nature
de l’assurance maladie et l’article L. 361-4 du même code lui permet de bénéfi-
cier du capital décès. Le législateur a assimilé le couple hétérosexuel et le couple
homosexuel aux fins de l’application de ces mesures aux termes de la Loi du 27
janvier 1993 (Loi no 93-121). Cette modification a été apportée après que la Cour
de cassation eut refusé, dans sa décision du 11 juillet 1989, d’assimiler les cou-
ples de même sexe aux couples hétérosexuels dans le cadre des lois ou règlement
reconnaissant des avantages aux concubins : Cass. Soc., 11 juill. 1989, Gaz. Pal.
1990, 1, p. 217. La Cour devait reconfirmer cette interprétation quelques années
plus tard, soit en 1977 : Cass. 3e civ., 17 déc. 1997, D. 1998, jur. 111.
141. Voir Loi du 2 janvier 1978 (art. 13 et 161.4 du Code de la sécurité sociale).
142. Voir Alain BENABENT, Droit civil. La famille, 11e éd., Paris, Litec, 2003, p. 348,
no 530.
143. Ainsi, l’assimilation du conjoint de fait à l’époux en matière de droit social ne
touche pas le bénéfice de l’assurance-veuvage (art. L. 356-3 du Code de la sécu-
rité sociale, depuis abrogé par la Loi du 21 août 2003 portant réforme des retrai-
tes) ; la pension de retraite ou de réversion (art. L. et R. 353-1) et le bénéfice de
l’assurance-invalidité (art. L. 342-1 du Code de la sécurité sociale). Voir Domi-
nique VICH-Y-LLADO, La désunion libre, t. II, Paris, l’Harmattan, 2001, p. 71
et Alain BENABENT, Droit civil. La famille, 11e éd., Paris, Litec, 2003, p. 348,
no 530. Les professeur Malaurie et Fulchiron écrivent : « [...] l’assimilation du
concubinage et du mariage quant à leurs effets est aujourd’hui en partie réalisée
en France comme dans nombre de pays d’Europe. L’affirmation vaut depuis
longtemps en droit social et en droit fiscal qui s’attachent plus à la réalité sociale
qu’à un statut juridique » : Philippe MALAURIE et Hugues FULCHIRON, Droit
civil. La famille, Paris, Defrénois, 2004, p. 142.
144. Voir l’article 6-1 du code général des impôts. Cette situation présente certains
avantages inattendus. Ainsi, observe le professeur Bénabent : « Si ce n’est pas
avantageux en ce qui concerne le taux d’imposition, cela place en revanche les
concubins dans une situation améliorée à certains autres égards, notamment en
leur permettant de bénéficier deux fois de certaines déductions plafonnées, qui
sont applicables une seule fois par foyer ». Cela dit, poursuit l’auteur « [...] les
126 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
donations ou legs entre concubins sont assujettis au taux entre étrangers, soit
60 %. Pour plus de détails sur la situation fiscale des concubins, voir : Alain
BÉNABENT, Droit civil. La famille, 11e éd., Paris, Litec, 2003, p. 347, no 529.
Notons également que les concubins déclarent en commun l’impôt de solidarité
sur la fortune.
145. Loi no 99-944 du 15 novembre 1999. La loi a été adoptée à 315 voix contre 249 et
quatre abstentions : Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, « Présentation de la loi
adoptée le 13 octobre 1999 relative au PACS », J.C.P. éd. N. 1999.1.1551.
146. C.civ., art. 515-3. Avant la modification du 23 juin 2006 (en vigueur depuis le 1 er
janvier 2007), les pacsés étaient assujettis à un régime d’indivision. Pour une
analyse détaillée du pacs, voir Alain ROY, « Le partenariat civil, d’un continent à
l’autre », 3-2002 Revue internationale de droit comparé 759.
147. Le pacs est pris en compte pour l’exercice par les salariés de leurs droits à congé
et pour l’application des dispositions du Code du travail au partenaire salarié de
l’employeur. Les pacsés jouissent également des bénéfices liés à l’assurance-
décès.
148. Voir Corinne RENAULT-BRAHINSKY, Droit de la famille, 5e éd., Paris,
Gualino, 2003, p. 40-41.
149. Depuis la Loi du 23 juin 2006, l’article 515-6 du code civil reconnaît au pacsé sur-
vivant l’attribution préférentielle sur le local servant effectivement d’habitation
s’il avait sa résidence à l’époque du décès et sur le mobilier le garnissant et si le
partenaire décédé l’a expressément prévu dans un testament. Est également
reconnu au pacsé survivant un droit temporaire au logement pendant une
durée d’un an (qu’il s’agisse d’un logement appartenant en pleine propriété au
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 127
d) ... et le concubinage
515-8. Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie
commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre
deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en
couple.
153. Voir également Jean Carbonnier qui écrit : « Le Sénat avait lancé cet article
comme un missile sur l’Assemblée nationale dans l’espoir de décontenancer les
députés de la majorité en train de débattre du pacs. Mais loin d’être impression-
nés, ils s’emparèrent de l’article et l’incorporèrent à leur œuvre – enrôlement
sans stratégie claire » : Jean CARBONNIER, Droit civil, vol. 1, « introduction.
Les personnes. La famille, l’enfant, le couple », 1re éd., Quadrige, collection « Qua-
drige.Manuels », Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 1453, no 648.
154. Avis présenté par Patrick Bloche au nom de la Commission des affaires culturel-
les, familiales et sociales sur la proposition de loi modifiée par le Sénat relative
au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité, No 1483 – Assemblée
nationale, – Constitution du 4 octobre 1958, Onzième législature. Enregistré à
la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mars 1999. En ligne à <http://www.
assembleenationaleir/11/rapports/r1483.asp>.
155. Irène THÉRY, Couple, filiation et parenté aujourd’hui – Le droit face aux muta-
tions de la famille et de la vie privée, Rapport à la ministre de l’Emploi et de la
Solidarité et au garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, Éditions Odile
Jacob, 1998.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 129
2. Le droit belge
écrit : « [...] le mariage est juridiquement un et unique. Quel que soit leur degré
de stabilité, les autres relations sexuelles sont toutes réduites à puiser en lui
leur inspiration : seul un modèle peut prétendre à la catégorie juridique de sta-
tut, ce n’est d’ailleurs que dans la mesure où les concubinages participent de la
nature du mariage qu’ils relèvent davantage d’une telle catégorie... » : Alain
SERIAUX, « De l’opportunité d’un statut des concubins », dans Regards civilistes
sur la loi du 15 novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solida-
rité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 39, p. 32.
164. Nicole Verheyden-Jeanmart et Jean-Louis Renchon décrivent en ces termes
l’histoire commune du Code Napoléon et du Code belge : « Le Code Napoléon
constitue toujours le Code civil de la Belgique. Au moment de sa promulgation
par la loi du 30 ventôse an XII, les provinces belges faisaient en effet partie inté-
grante de la France pour y avoir été annexées par les décrets des 1er août et
26 octobre 1795. Comme la Hollande fut également annexée, en 1810, par la
France, le Code civil des Français y fut également introduit et il y demeura pro-
visoirement en vigueur, après la défaite de la France, pendant toute la période
où les provinces belges furent réunies à la Hollande sous la souveraineté de la
Maison d’Orange. Quelques mois avant la date qui avait été fixée pour l’entrée
en vigueur sur les territoires hollandais et belge du nouveau code civil hollan-
dais, la Belgique proclama son indépendance et décida de conserver provisoire-
ment le Code civil des Français. Bien que l’article 149 de la Constitution belge,
voté le 7 février 1831, proclama la nécessité de pourvoir à la révision de tous les
codes, ce travail ne fut jamais réalisé pour le Code civil et la Belgique est, dès
lors, toujours restée soumise au Code civil des Français de 1804, dont le
texte a, jusqu’à présent, subi moins de modifications qu’en France » : Nicole
VERHEYDEN-JEANMART et Jean-Louis RENCHON, « Le développement de
la famille de fait en droit belge », dans Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, Les
concubinages en Europe. Aspects socio-juridiques, Paris, Éditions du CNRS,
1989, p. 63, p. 89, note 85.
165. Nicole VERHEYDEN-JEANMART et Jean-Louis RENCHON, « Le développe-
ment de la famille de fait en droit belge », dans Jacqueline RUBELLIN-
DEVICHI, Les concubinages en Europe. Aspects socio-juridiques, Paris, Éditions
du CNRS, 1989, p. 63, p. 66.
166. La validité des autres types de transferts fut également contestée puisqu’on
y voyait l’instrument par lequel les concubins entendaient faire « [...] naître,
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 133
[...] tant que la loi n’aura pas substitué au mariage l’union libre, le fait
du concubinage sera irrégulier, illégal, non seulement sous l’angle des
bonnes mœurs, telles que la loi les entend, mais sous l’angle spécifique
de l’ordre public, dont le mariage est l’une des institutions. D’où il suit
que tout acte qui favorise le concubinage, battant en brèche l’institu-
tion du mariage, emporte de soi échec à la loi.167
Depuis quelques années, les notaires et avocats sont de plus en plus sol-
licités pour rédiger les conventions qui détermineront le statut patri-
monial des concubins. De telles conventions sont valables sous réserve
de la théorie de la cause illicite. En effet, dès l’instant où le concubinage
n’est plus tenu pour immoral en soi, on voit mal à quel titre on refuse-
rait aux parties, le droit d’éviter, par une convention, les conflits que de
toute manière le juge devra trancher.169
renonciation » : ibid., p. 76. Au sujet d’une clause par laquelle les conjoints de fait
établiraient une obligation alimentaire entre eux, voir Nathalie DANDOY, « Les
effets alimentaires de la vie en couple », dans Jean HAUSER et Jean-Louis
RENCHON (dir.), Différenciation ou convergence des statuts juridiques du
couple marié et du couple non marié ?, Bruylant – L.G.D.J., Bruxelles – Paris,
2005, p. 81.
170. Revue trimestrielle de droit familial (1979), p. 227. Voir Sophie DEMARS, « La
problématique générale des conventions de vie commune », dans Jean-Louis
RENCHON et Fabienne TAINMONT (dir.), Le couple non marié à la lumière
de la cohabitation légale, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 73 et, dans le même
ouvrage, Jean-François TAYMANS, « La convention notariée de vie commune »,
p. 103.
171. Loi du 31 mars 1987. Cette loi a maintenu toutefois certaines distinctions quant
au mode d’établissement de la filiation des enfants nés hors mariage. Ces diffé-
rences portent essentiellement sur la reconnaissance volontaire par le père de
l’enfant né d’une mère non mariée et sur l’absence de présomption de paternité
en matière d’union de fait. Par ailleurs, jusqu’en 2006, l’enfant né d’une relation
adultérine ne pouvait porter le nom de son père qu’avec le consentement de
l’épouse de celui-ci (ancien art. 334 bis C.civ., abrogé par la loi du 1er juillet 2006,
M.B., 29 décembre 2006). Il ne pouvait recueillir des biens en nature dans la suc-
cession de son auteur qu’avec le consentement du conjoint survivant ou des
enfants nés du mariage (ancien art. 837 C. civ. abrogé par la loi du 1er juillet
2006, M.B., 27 décembre 2006) : Nicole VERHEYDEN-JEANMART et Jean-
Louis RENCHON, « Le développement de la famille de fait en droit belge », dans
Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, Les concubinages en Europe. Aspects socio-
juridiques, Paris, Éditions du CNRS, 1989, p. 63, p. 91-97. Pour ces auteurs,
(p. 107), le législateur belge, « hanté par les archétypes de la famille tradition-
nelle », n’a pu s’empêcher de réintroduire de telles distinctions entre enfants nés
hors mariage et enfants « légitimes ».
172. Code civil belge, art. 334.
173. Code civil belge, art. 346 (1987). Cependant, les conjoints de fait peuvent recou-
rir à la procréation médicalement assistée : Nicole VERHEYDEN-JEANMART
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 135
185. Une proposition de loi présentée le 14 mai 2001 visait à rendre applicable aux
cohabitants légaux le régime dont bénéficient les époux en matière de pensions
de retraite et de survie, d’accident de travail et de maladie professionnelle, mais
cette proposition est restée lettre morte (Doc. Parl. Ch., session 2000-2001,
no 0661/002).
186. Loi du 10 août 2001, M.B., 20 septembre 2001. Les cohabitants purent ainsi
bénéficier des dispositions fiscales avantageuses aux époux, mais subirent du
même coup l’application des dispositions qui leur sont désavantageuses. Il
semble que cette modification ait été rendue possible en raison de la nouvelle
configuration du Parlement belge qui, au contraire du précédent, privilégia une
approche plus neutre de la conjugalité : « Il n’y avait plus lieu pour l’État, dans
une telle perspective, de privilégier le mariage, dès lors que l’Etat n’avait plus à
défendre un modèle plutôt qu’un autre de conjugalité et que c’est au contraire la
liberté de choix du citoyen qui devait être assurée en n’attachant pas à un
modèle plutôt qu’à un autre une quelconque faveur ou défaveur fiscale » :
Jean-Louis RENCHON, « Les conjugalités en droit belge », dans Jacqueline
FLAUSS-DIEM et Georges FAURÉ (dir.), Du Pacs aux nouvelles conjugalités :
où en est l’Europe ?, Paris, P.U.F., 2005, p. 85, p. 98. Avant cette date, la cohabi-
tation légale n’avait aucun impact en matière fiscale : Voir Renaud THUNGEN
et Philippe DE PAGE, « Les couples mariés et les cohabitants : leurs assimila-
tions fiscales atypiques », (2002) 4 Revue trimestrielle de droit familial 537.
187. Voir l’analyse de Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre 1998
relative à la cohabitation légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15 novem-
bre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris, L.G.D.J.,
2002, p. 141, p. 150 et s.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 139
188. II semble que cette idée ait été directement proposée à la Commission de la Jus-
tice de la Chambre par un expert, le professeur A.C. Van Gysel de l’Université
Libre de Bruxelles. Voir Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre
1998 relative à la cohabitation légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15
novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris,
L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 151. Le professeur Renchon semble lui-même être par-
tisan de cette approche : « [...] la fonction de la loi est, souvent, dans les relations
juridiques privées, d’assurer une protection impérative minimale, sans la subor-
donner au choix qui aurait nécessairement dû être préalablement fait de s’y sou-
mettre volontairement. Ne doit-on pas constater, en effet, que le « libre marché »
des règles juridiques emporte presque toujours un risque de soumission de la
partie la plus faible à la loi ou exigences de la partie la plus forte ? » : Jean-Louis
RENCHON, « La loi belge du 23 novembre 1998 relative à la cohabitation
légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15 novembre 1999 relative au concu-
binage et au pacte civil de solidarité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 146.
189. Propos rapportés par Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre
1998 relative à la cohabitation légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15
novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris,
L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 151.
190. Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre 1998 relative à la cohabi-
tation légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15 novembre 1999 relative au
concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 152.
Ainsi, poursuit Sabrina Otten, « la crainte de certains parlementaires de créer
une organisation juridique du couple portant atteinte au mariage a poussé le
législateur belge à adopter un régime excluant tout élément affectif ou sexuel » :
Sabrina OTTEN, « La cohabitation légale en droit belge et en droit allemand :
deux itinéraires dissemblables », (2007) 52 Revue de la Faculté de droit de l’Uni-
versité de Liège 101, 103.
140 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
In the early 60s cohabitants as a group were largely ignored by the legal
system. To take but one example, a widely used text in the family law
field in England defined the family as follow : “[f]or our purpose we may
regard the family as basis social unit which consists normally of a hus-
band and wife and the children”. The term cohabitation which appears
in the index refers only to married cohabitation. The situation in
Canada and other jurisdiction was comparable.196
200. Il s’agit de l’Ontario (Family Law Act, R.S.O. 1990, c. F.3, section 55(1) et s.) ; de
l’Île-du-Prince-Édouard (Family Law Act, c. F-2.1, section 54(1)) ; du Nou-
veau-Brunswick (Marital Property Act, S.N.B. 1980, c. M-1.1, section 35(1)
et s.) ; de Terre-Neuve (Family Law Act, R.S.N.L. 1990, c. F-2, section 63(1)
et s.) ; de la Colombie-Britannique (Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128,
section 89(1)) et du Manitoba (Family Maintenance Act, R.S.M. 1987, c. F-20,
section 5 et s.). En Alberta, en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan, aucune dis-
position spécifique ne porte sur les contrats de cohabitation, ce qui ne veut
pas dire cependant que les conjoints de fait de ces provinces ne peuvent y
avoir recours : Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Cohabitation Agree-
ment, Common Law Provinces », dans Winifred HOLLAND et Barbro E.
STALBECKER-POUNTNEY, Cohabitation – The law in Canada, Toronto,
Carswell, 2007, p. 5-1, p. 5-10 et 5-34.
201. En Colombie-Britannique, la loi prévoit expressément qu’un couple de conjoints
de fait qui s’engage par contrat d’union de fait est assujetti aux dispositions léga-
les relatives au partage des biens familiaux. Ainsi, dans la mesure où le couple
ne veut pas d’un tel partage, il doit le mentionner dans le contrat, sous réserve
du pouvoir du tribunal d’écarter l’entente en cas d’iniquité : Family Relations
Act, R.S.B.C. 1996, c. 128.
202. Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Children », dans Winifred HOLLAND
et Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, Cohabitation – The law in Canada,
Toronto, Carswell, 2007, p. 6-1, p. 6-1 et 6-3.
203. Nicholas BALA et R. JAREMKO BROMWICH, « Context and Inclusivity in
Canada’s Evolving Definition of the Family », (2002) International Journal of
Law, Policy and the Family 145, 150.
204. Alberta : Dependants Relief Act, R.S.A. 2000, c. D-10.5 ; Colombie-Britannique :
Law and Equity Act, R.S.B.C. 1996, c. 53, s. 56 ; Manitoba : The Family Mainte-
nance Act, R.S.M. 1987, c. F-20, s. 17 ; Nouveau-Brunswick : Family Services
Act, S.N.B. 1980, c. F2.2, s. 96(4) ; Terre-Neuve : Children’s Law Act, R.S.N.L.
1990, c. C-13, s. 3(1) ; T.N.O : Dependant Relief Act, R.S.N.W.T. 1988, c. D-4, s. 1 ;
Nouvelle-Écosse : Maintenance and Custody Act, R.S.N.S. 1989, c. 160, s. 50 ;
Ontario : Children’s Law Reform Act, R.S.O. 1990, c. C.12, s. 1(1) ; Île-du-Prince-
144 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
Édouard : Child Status Act, R.S.P.E.I. 1988, c. C-6 ; Saskatchewan : The Chil-
dren’s Law Act 1997, S.S. 1997, c. 8.2, s. 40 ; Yukon : Children’s Act, R.S.Y. 2002,
c. 31, s. 5.
205. En 2001, selon Martha Bailey, 4 provinces leur refusaient toujours ce droit :
Martha BAILEY, « Le mariage et les unions libres », étude réalisée pour le
compte de la Commission du droit du Canada, 2001, Annexe B.
206. Terre-Neuve : Adoption Act, S.N.L. 1999, c. A-2.1, tel que modifiée par 2002, c.
13, s. 10 ; Nouveau-Brunswick : Services à la famille, L.N.-B. 1980, c. F-2.2, tel
que modifiée par 2007, c. 20, art. 5.
207. Alberta : Adult Adoption Act, R.S.A. 2000, c. A-4, s. 6 ; Île-du-Prince-Édouard :
Adoption Act, R.S.P.E.I. 1988, c. A-4.1, s. 15-16.
208. Déjà en 1985, Suzanne Boivin écrivait : « Le droit social traite donc, à peu de
chose près, l’union de fait comme un mariage. Ce qui permet au conjoint de fait
de bénéficier de prestations mais peut, par contre, l’empêcher aussi d’en rece-
voir » : Voir Suzanne BOIVIN, « J’me marie ? J’me marie pas ? », Étude de la
situation juridique des conjoints de fait en droit canadien, dans Élizabeth
SLOSS (dir.) Le droit de la famille au Canada : Nouvelles orientations, Ottawa,
Conseil consultatif canadien de la situation de la femme, 1985, p. 179, p. 182.
209. Alberta : Pensions Benefits Standards Act, R.S.C. 1985 (2nd supp.), c. 32 ;
Colombie-Britannique : Pension Benefits Standards Act, R.S.B.C. 1996, c. 352 ;
Manitoba : Pension Benefits Act, R.S.M. 1987, c. P-32 ; Nouveau-Brunswick :
Pension Benefits Act, S.N.B. 1987, c. P-5.1 ; Nouvelle-Écosse : Pension Benefits
Act, R.S.N.S. 1989, c. C.340 ; Ontario : Pension Benefits Act, R.S.O. 1990, c. P.8 ;
Saskatchewan : Pension Benefits Act, S.S. 1992, c. P-6.00. Selon Martha Bailey,
le droit applicable dans l’Île-du-Prince-Édouard contenait, en 2001, certaines
dispositions en faveur des seuls conjoints mariés : Martha BAILEY, « Le
mariage et les unions libres », étude réalisée pour le compte de la Commission du
droit, Annexe B.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 145
c) Le droit privé
210. L’incertitude vient du fait que certaines législations accordent les prérogatives
aux « personnes à charge ». Martha Bailey (2001) semble considérer que le
conjoint de fait n’est pas systématiquement reconnu comme « personne à
charge » : Martha BAILEY, « Le mariage et les unions libres », étude réalisée
pour le compte de la Commission du droit, Annexe B.
211. L.R.O. 1980, c. 218
212. Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418.
213. Family Property Act, S.S. 1997, c. F-6.3.
214. Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Tax Implications of Cohabitation »,
dans Winifred HOLLAND et Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, Cohabita-
tion – The law in Canada, Toronto, Carswell, 2007, p. 8-1, p. 8-5. Voir également
Martha BAILEY, « Le mariage et les unions libres », étude réalisée pour le
compte de la Commission du droit du Canada, 2001, Annexe B.
215. Family Relations Act, S.C. 1972, c. 20, s. 15(e).
146 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
216. Pour une description détaillée des facteurs d’attribution et des conditions d’ap-
plication de ces obligations, voir Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Sup-
port Obligations », dans Winifred HOLLAND et Barbro E. STALBECKER-
POUNTNEY, Cohabitation – The law in Canada, Toronto, Carswell, 2007, p.
3-1, p. 3-8 et s.
217. Ontario : Family Law Reform Act, 1978, S.O. 1978, c. 2, s. 14. À l’origine, la loi
ontarienne exigeait une cohabitation minimale de 5 ans. Cette période fut
réduite à 3 ans en 1986 : Family Law Act, 1986, S.O. 1986, c. 4, s. 29. Voir
aujourd’hui Family Law Act, R.S.O. 1990, c. F.3, ss. 1(1) et 29, tel que modifiée
par S.O. 1999, c. 6, s. 25(1) et (2). Pour les autres provinces voir : Nou-
veau-Brunswick : Family Services Act, S.N.B. 1980, c. F-2.2, s. 112(3), telle que
modifiée par S.N.B. 2000, c. 59, s. 1 ; Manitoba : Family Maintenance Act, R.S.M.
1987, c. F20, ss. 1, 4(1) et 14(1) ; Nouvelle-Écosse : Maintenance and Custody
Act : R.S.N.S. 1989, c. 160, s. 2, tel que modifiée par S.N.S. 2000, c. 29, s. 3 ;
Colombie-Britannique : Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128, s. 1, tel que
modifiée par S.B.C. 1997, c. 20, s. 1(c) ; Terre-Neuve : Family Law Act, R.S.N.L.
1990, c. F-2, s. 35(c), telle que modifiée par S.N.L. 2000, c. 29, s. 1) ; Saskatche-
wan : Family Maintenance Act, S.S. 1997, c. F-6.2, s. 2, telle qu’amendée par S.S.
2001, c. 51, s. 5(4) ; Île-du-Prince-Édouard : Family Law Act, S.P.E.I. 1995, c. 12,
s. (29(1)(b), telle que modifiée par S.P.E.I. 2002, c. 7 ; T.N.O : Family Law Act,
S.N.W.T. 1997, c. 18, s. 1(1), telle que modifiée par S.N.W.T. 2002, c. 6 ; Yukon :
Family Property and Support Act, R.S.Y. 2002. c. 83, s. 1 (non en vigueur) ;
Nunavut : Family Law Act, S.N.W.T. 1997, c. 18, s. 1(1). L’Alberta fut la dernière
province à légiférer en ce sens (Domestic Relations Act, R.S.A. 2000, c. D-14, s.
17.1). Notons que la loi albertaine ne prévoit pas spécifiquement d’obligation
alimentaire entre conjoints de fait, mais entre adult interdependent rela-
tionships », dont font désormais partie les conjoints de fait (Interdependent Rela-
tionships Act, S.A. 2002, c. A-4.5).
218. Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128, s. 124.
219 Miscellaneous (Domestic Relations) Act, 2001 (No 2), S.S. 2001, c. 51 et Common
Law Partners Property and Relates Amendments Act, S.M. 2002, c. 48. Les
T.N.O. et le Nunavut ont récemment adopté une législation assimilant les
conjoints de fait aux époux pour les fins du régime de partage des biens fami-
liaux (Family Law Act, S.N.W.T., c. 18, applicable au Nunavut vu le Nunavut
Act, S.C. 1993, c. 28, s. 29 et le Yukon (S.Y. 1998, c. 8, s. 10(1)(b)). Dans ces terri-
toires, cependant, les lois n’ont pas encore été mises en vigueur. À Terre-Neuve,
les conjoints de fait peuvent volontairement se soumettre, au moment de la rup-
ture, aux dispositions relatives au partage des biens familiaux : Family Law Act,
R.S.N. 1990, c. F-2, art. 63.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 147
220. Saskatchewan : Intestate Succession Act, 1996, S.S. 1996, c. 1-13.1, telle que
modifiée par S.S. 1999, c. 5 et 2001, c. 51 et Family Property Act, S.S. 1997, c.
F-6.3, telle que modifiée par S.S. 2001, c. 51. C.C.S.M. c. F25. Manitoba : Family
Property Act and Intestate Succession Act, S.M. 1989-90, c. 43, telle que modifiée
par S.M. 2002, c. 48.
221. [1999] 2 R.C.S. 3.
222. Mentionnons que, en 1994, une proposition législative (Bill 167) visant à étendre
l’obligation alimentaire aux conjoints de fait de même sexe avait été défaite par
la législature : Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Support Obligations »,
dans Winifred HOLLAND et Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, Cohabita-
tion – The law in Canada, Toronto, Carswell, 2007, p. 3-1, p. 3-9.
223. Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de
1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982), R.-U., c. 11]).
224. En Ontario, par exemple, c’est par la loi omnibus Spousal Relationships Statute
Law Amendment Act, 2005 » (S.O. 2005, c. 5) que le législateur procéda à l’élar-
gissement des définitions contenues dans ses lois.
225. Notons cependant que, depuis le 30 juin 2004, le Manitoba permet aux conjoints
de fait d’enregistrer leur union auprès du Bureau de l’état civil. Cet enregistre-
ment permet au couple de se soumettre aux différentes lois autrement applica-
bles après 3 ans de vie commune (ou 1 an dans certains cas) : The Vital Statistics
Act, C.C.S.M. c. V60, art. 13.1 et s.
148 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
Est-ce à dire que les conjoints de fait jouissent d’une plus grande
reconnaissance juridique dans les autres provinces canadiennes ? En
assimilant les conjoints de fait aux époux dans certaines sphères du
droit privé de la famille, les législateurs des provinces de common law
s’efforceraient-ils d’atténuer, voire d’éradiquer à leur façon la hié-
rarchie des modes de vie conjugale qui prévalait autrefois ? Autre-
ment dit, en perçant le mur du droit privé pour y faire entrer les
conjoints de fait, même sans leur consentement, les législateurs pro-
vinciaux manifesteraient-ils une conception plus égalitaire des rap-
ports conjugaux que ceux qui s’y refusent ?
À bien des égards, les époux de fait jouissent aujourd’hui, dans la plu-
part des provinces, d’une protection identique aux époux de droit. Mais
s’ils se voient aujourd’hui imposer certaines contraintes et certaines
obligations, c’est non seulement dans le but de les responsabiliser, mais
234. Selon le professeur Robert LECKEY (« Self and Other : Cohabitation and Com-
parative Method », 3 juin 2008, p. 15, disponible en ligne à : <http://ssrn.com/
abstract=1140371>), on distingue deux discours différents à propos de l’enca-
dre- ment juridique de l’union de fait (ou plus généralement de la famille) : un
discours axé sur le formalisme qui domine au Québec et un autre sur le fonction-
nalisme, qui domine dans les autres provinces canadiennes : « Functionalism in
family law focuses, not on the functions of problem-solving rules, but on the func-
tions performed by family units. It contrasts with formalism, which assigns
rights and duties on the sole basis of format family status, such as marriage or
legal parentage ». Pour certains, l’approche formaliste du Québec serait tribu-
taire de la tradition civiliste de la province : « Il faut reconnaître que la société
québécoise est différente » : Claudia P. PRÉMONT et Michèle BERNIER, « Un
engagement distinct qui engendre des conséquences distinctes », dans Barreau
du Québec, Développements récents sur l’union de fait, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2000, p. 1.
235. Si l’on s’en remet effectivement à la perspective fonctionnaliste pour expliquer et
justifier l’établissement d’obligations entre conjoints de fait, on peut alors se
demander pourquoi subsistent encore, dans 7 provinces sur 9, d’importantes dis-
tinctions (en droit privé) entre conjoints mariés et conjoints de fait. Une poli-
tique législative fondée sur une telle perspective ne nous apparaît véritablement
cohérente que si les époux et les conjoints de fait sont assujettis aux mêmes
droits et obligations à tout point de vue comme c’est le cas en Saskatchewan et au
Manitoba.
236. C’est là la conception à laquelle adhère clairement la juge L’Heureux-Dubé dans
sa dissidence dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4
R.C.S. 325.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 151
[...] the extension was rather grudging and seems primarily to have
been designated to “pass the buck” from welfare authorities to the
family.238
CONCLUSION GÉNÉRALE
241. Voir Couture c. Gagnon, [2001] R.J.Q. 2047 (C.A.). Voir également supra, p. 96.
242. Voir supra, p. 32 et s. Depuis 2002, l’union civile rallie un nombre toujours crois-
sant de conjoints hétérosexuels. Initialement destinée aux couples de même
sexe (qui n’ont pu avoir officiellement accès au mariage qu’en 2005), cette nou-
velle institution propre au Québec est aujourd’hui plus populaire auprès des
conjoints hétérosexuels que des conjoints homosexuels. Selon toute vraisem-
blance, l’union civile est donc perçue par un certain nombre de conjoints de fait
comme une manière efficace de se doter d’un cadre juridique hors mariage. Voir
les données publiées par l’Institut de la statistique du Québec à <http://www.
stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/demographie/etat matrm marg/501b.htm>.
154 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
Au Québec, au cours du vingtième siècle, la Over the course of the twentieth century, the
progression de l’autonomie individuelle et la perte progression of individual autonomy and the loss of the
d’influence de l’Église catholique, accompagnée de la influence of the Catholic Church in Quebec,
concurrence religieuse induite par le multiculturalisme, accompanied by the religious diversity introduced by
ont profondément transformé le droit de la famille. multiculturalism, has profoundly transformed family
L’ancienne législation visait à favoriser la conception law. Old legislation favoured the traditional conception
unitaire de la famille, basée sur le mariage, au nom de of a nuclear family, based on marriage, in the name of
l’intérêt supérieur de la société. L’auteur estime qu’il overriding societal interests. The author argues that a
existe désormais un nouveau régime du droit de la new regime of family law is now in place, the principal
famille, dont l’objectif principal est d’assurer la objective of which is to assume the protection, notably
protection, notamment économique, des membres de la the economic protection, of members of the family unit.
cellule familiale. Le corps familial, institution sociétale This family unit, a central societal and cultural
centrale, dont la conception traditionnelle et religieuse institution that was traditionally conceived as being
faisait reposer l’autorité absolue sur le mari, n’échappe under the absolute authority of the husband, can no
dorénavant plus à la volonté individuelle et fonde ses longer escape the influence of individual liberty. Rather,
grandes lignes sur les valeurs fondamentales que sont the family is now defined by the fundamental values of
l’égalité et l’autonomie individuelle. equality and individual autonomy.
*
Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, titulaire de la Chaire Jean-Louis
Baudouin en droit civil, secrétaire général du groupe québécois de l’Association Henri Capitant des
amis de la culture juridique française. L’auteur tient à remercier Mme Martine Sirois pour l’aide
apportée à la rédaction de ce texte. Ce dernier reprend le rapport soumis aux Journées louisianaises de
l’Association Henri Capitant tenues en mai 2008. Il demeure donc essentiellement, dans la forme
comme dans le fond, un texte de conférence.
© Benoît Moore 2009
Mode de référence : (2009) 54 R.D. McGill 257
To be cited as: (2009) 54 McGill L.J. 257
258 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54
Introduction 259
Conclusion 272
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 259
Introduction
Tout comme son modèle français, le droit de la famille québécois a longtemps été
fondé sur une double puissance : la puissance paternelle et la puissance maritale.
C’est cette conception de la famille autorité, laquelle réside dans la réunion de
personnes autour d’un chef absolu1, qui est retenue en 1866 lors de l’adoption du
Code civil du Bas Canada. Le père exerce seul, en principe, l’autorité sur les enfants2.
L’épouse, devenue incapable par le mariage, est soumise à son mari3 ; elle lui doit
obéissance et a l’obligation de vivre avec lui4. En ce sens, la famille du Code civil du
Bas Canada est traditionnelle et se rapproche de la famille française.
Une différence importante avec la France existe toutefois en ce qui a trait à
l’influence religieuse. À l’époque de la codification de 1866, la France reconnaît
depuis la Constitution de 1791 le mariage comme un simple contrat, dont la
célébration est civile depuis une loi du 20 septembre 1792. Également, le divorce,
bien qu’abrogé depuis 1816, avait été introduit par la loi de 1792 et reconduit dans le
code de 18045. Les idées laïques révolutionnaires à l’origine de ces réformes n’ont
pas traversé l’océan pour pénétrer le Bas-Canada, où l’influence de l’Église est
encore très forte. La célébration du mariage y demeure l’apanage du religieux et est,
avant la conquête britannique, le monopole de l’Église catholique. Après la conquête,
grâce à l’Acte de Québec de 17746, l’Église catholique continue de procéder à la
célébration du mariage, mais partage cette charge avec l’Église protestante puis,
progressivement, avec d’autres religions7.
L’importance sociale et politique de la religion se retrouve dans les négociations
constitutionnelles qui ont mené à la Loi constitutionnelle de 1867. La compétence sur
le mariage et la question du divorce, ce dernier étant admis chez les protestants, sont
des enjeux importants des discussions. Le compromis retenu consiste à reconnaître à
l’État fédéral la compétence sur le mariage et le divorce, et aux provinces celle de la
célébration du mariage. La décision de donner au palier fédéral la compétence sur le
mariage est fondée sur la volonté d’assurer la validité, partout au pays, d’un mariage
célébré dans une province. Comme pour d’autres domaines, dont les banques et la
faillite, les pères de la Constitution s’assurent de l’existence d’«un organe de
coordination central afin de faciliter les échanges et mouvements d’une partie à
1
Voir Jean Pineau et Marie Pratte, La famille, Montréal, Thémis, 2006 à la p. 5.
2
Art. 243 C.c.B.-C. (avant 1977).
3
Art. 174 C.c.B.-C. (avant 1964).
4
Art. 175 C.c.B.-C. (avant 1980).
5
Voir Anne Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris,
Presses Universitaires de France, 1996 à la p. 193.
6
(R.-U.), 14 Geo. III, c. 83, art. 5, 8, reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 2. Les articles 5 et 8 de
l’Acte de Québec de 1774 permettaient respectivement aux sujets catholiques d’exercer librement leur
religion et d’appliquer le droit en vigueur avant la conquête en matière de droit privé au Québec.
7
Voir Pierre-Gabriel Jobin, «Loi concernant le mariage civil» (1969) 10 C. de D. 211 à la p. 212.
260 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54
l’autre du pays»8. Ce partage n’a toutefois pas de conséquence immédiate sur les
règles de formation du mariage puisque le Parlement fédéral n’intervient pas. Les
règles adoptées en 1866 dans le Code civil du Bas Canada continuent donc d’être
appliquées. Parallèlement à cette compétence sur les conditions de fond du mariage et
afin d’écarter toute crainte du clergé catholique, qui contrôle la célébration des
mariages sur le territoire du Bas-Canada, une compétence provinciale est ajoutée à
l’article 92(12) de la loi constitutionnelle en matière de célébration du mariage. Cette
compétence provinciale n’est pas une garantie constitutionnelle que l’Église
catholique conservera ce pouvoir, puisque la compétence en cette matière n’est pas
attribuée sur une base «confessionnelle», mais «territoriale»9. C’est toutefois, à court
terme, une garantie factuelle puisque l’Église catholique conserve une grande
influence sur la population francophone et le pouvoir politique provincial.
Quant au divorce, c’est le pouvoir fédéral qui en reçoit la compétence10. Ce choix
vise à satisfaire les membres des deux Églises majoritaires. D’un côté, il est prévu que
l’Église protestante, majoritaire au Canada anglais et minoritaire au Québec, conserve
le droit au divorce. D’un autre côté, l’Église catholique, majoritaire au Québec, reçoit
l’assurance que ce problème délicat sera réglé par les autorités fédérales et non
provinciales. Cette solution n’est pourtant qu’un succès partiel puisque le législateur
fédéral attend jusqu’en 1968 pour adopter sa première loi sur le divorce. Pendant près
de cent ans, le divorce n’est donc possible au Québec que par l’adoption d’une loi
fédérale d’intérêt privé et à partir de 1963, par une résolution du Sénat11.
Cette conception de la famille basée sur la tradition, sur l’autorité d’un chef de
famille et sur l’influence dominante de la religion s’érode progressivement au
vingtième siècle. Particulièrement à compter des années 1960, des phénomènes aussi
nombreux que connus interviennent : la diminution, voire la disparition progressive
de l’autorité sociale et politique de la religion ; la libération sexuelle ; la revendication
par les femmes de l’égalité de droit ; et plus généralement, les revendications de
toutes sortes fondées sur les droits et libertés de la personne. Le droit de la famille,
par ces phénomènes sociaux, ce changement de valeurs et de culture, se transforme
8
Hugo Cyr, «La conjugalité dans tous ses états : la validité constitutionnelle de “l’union civile” sous
l’angle du partage des compétences législatives» dans Pierre-Claude Lafond et Brigitte Lefebvre, dir.,
L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville (Qc),
Yvon Blais, 2003, 193 à la p. 218. L’auteur relève à la page 220 que l’attribution de la compétence sur
le mariage à l’État fédéral suscitait des craintes : «L’on craignait donc une compétence fédérale
étendue qui aurait pu permettre au Parlement de s’immiscer dans pratiquement tous les domaines du
droit civil touchant la famille. Or la famille était justement perçue comme le dernier retranchement des
Canadiens-Français face à la puissance britannique».
9
Ibid. à la p. 223.
10
Voir Anne-Marie Bilodeau, «Quelques aspects de l’influence religieuse sur le droit de la personne
et de la famille au Québec» (1984) 15 R.G.D. 573 à la p. 586 ; François Chevrette et Herbert Marx,
Droit constitutionnel : notes et jurisprudence, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1982 à la
p. 656.
11
Chevrette et Marx, ibid. à la p. 657.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 261
A. La sécularisation de la famille
Sécularisation de l’état civil. Les codificateurs de 1866 refusent la sécularisation
des actes d’état civil à laquelle la France a procédé dans sa loi du 20 septembre
179213. Dans la colonie, puis dans la province de Québec, les actes d’état civil, qu’ils
soient de naissance, de mariage ou de décès, sont confessionnels et la conservation de
ceux-ci relève des paroisses14. Les parents qui ne désirent pas faire baptiser leurs
enfants peuvent toutefois les déclarer auprès du secrétaire-trésorier ou du greffier
municipal ou d’un juge de paix15. Certaines autres exceptions existent en matière de
décès et à compter de 1969, pour le mariage civil16. Évidemment, ce système, en plus
d’être techniquement inefficace et artificiellement complexe, correspond de moins en
moins à la réalité sociologique où coexistent une pluralité de croyances et une laïcité
croissante. La sécularisation, devenue nécessaire, n’intervient toutefois qu’en 1991
dans le cadre de la réforme du Code civil, qui entre en vigueur en 1994. Les actes de
l’état civil sont désormais centralisés sous la responsabilité d’un fonctionnaire civil, le
directeur de l’état civil.
12
Voir Bjarne Melkevik, «Penser le droit québécois entre culture et positivisme : quelques
considérations critiques» dans Bjarne Melkevik, dir., Transformation de la culture juridique
québécoise, Sainte-Foy (Qc), Presses de l’Université Laval, 1998, 9 («Le changement fondamental est
sûrement la victoire de l’individualisme et de la sécularisation» à la p. 10).
13
Voir Canada, Commissaires pour la codification des lois du Bas Canada qui se rapportent aux
matières civiles, Code civil du Bas Canada. Premier, second et troisième rapports, Québec, George E.
Desbarats, 1865 («Ce nouvel ordre de choses [...] n’a pas paru aux Commissaires préférable à celui
qui a été constamment en usage dans le pays depuis son établissement, et qui est si intimement lié
avec ses institutions ; ils croient devoir conserver le système actuel et sont d’avis qu’il ne pourrait être
supprimé sans de grands inconvénients» à la p. 156). Sur la codification de 1866, voir généralement
Brian Young, The Politics of Codification: The Lower Canadian Civil Code of 1866, Montréal,
McGill-Queen’s University Press, 1994.
14
Bilodeau, supra note 10 aux pp. 576-77.
15
Art. 53(a) C.c.B.-C. Voir Bilodeau, ibid. à la p. 578.
16
Voir Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 4e éd., Cowansville
(Qc), Yvon Blais, 2008 à la p. 326.
262 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54
17
L.Q. 1968, c. 82.
18
Ibid., art. 1.
19
Voir Jobin, supra note 7 aux pp. 214-15.
20
Institut de la statistique du Québec, «Mariages selon le type (religieux ou civil) et la catégorie du
célébrant, Québec, 1969-2008» (2 juin 2009), en ligne : Institut de la statistique du Québec <http://
www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/demographie/etat_matrm_marg/513.htm>.
21
Art. 366 C.c.Q.
22
Supra note 20.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 263
23
Louis Baudouin, Les aspects généraux du droit privé dans la province de Québec, Paris, Dalloz,
1967 à la p. 173.
24
Art. 2(a), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur
le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 [Charte canadienne].
25
L.R.Q. c. C-12, art. 3 [Charte québécoise].
26
Art. 366 C.c.Q.
27
Voir Alain Roy, «Le droit de la famille — une décennie d’effervescence législative» (2003) 105
R. du N. 215 à la p. 229 ; Benoît Moore, «Le droit de la famille et les minorités» (2003-04) 34
R.D.U.S. 229 à la p. 236.
28
Baxter v. Baxter (1983), 45 O.R. (2e) 348, 6 D.L.R. (4e) 557 (H.C. Ont.) ; Droit de la famille —
1326, [1990] R.D.F. 401 (C.S. Qc).
264 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54
29
Voir John Tibor Syrtash, Religion and Culture in Canadian Family Law, Toronto, Butterworths,
1992 à la p. 121.
30
Loi modifiant la Loi sur le divorce (obstacles au remariage religieux), L.C. 1990 c. 18, art.
21.1(2) ; Loi sur le divorce, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 3, art. 21(1). Voir notamment Droit de la famille
— 08491, 2008 QCCS 838, [2008] R.D.F. 273.
31
2007 CSC 54, [2007] 3 R.C.S. 607, 288 D.L.R. (4e) 257 [Bruker]. Les motifs de la majorité sont
rendus par la juge Abella et ceux de la dissidence par la juge Deschamps.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 265
32
Bruker, ibid. au para. 1.
33
Art. 392 C.c.Q.
34
Loi modifiant le Code civil et le Code de procédure civile, relativement aux droits civils de la
femme, L.Q. 1930-31, c. 101. Nous pouvons également mentionner la «loi Perodeau» (Loi amendant
le Code civil relativement aux successions, L.Q. 1915, c. 74) qui permettait à une personne de
succéder ab intestat à son conjoint. Avant cela, le conjoint ne venait à la succession qu’après les
parents au douzième degré. Sur l’historique du statut juridique de la femme mariée, voir généralement
Jacques Boucher, «L’histoire de la condition juridique et sociale de la femme au Canada français»
dans Jacques Boucher et André Morel, dir., Le droit dans la vie familiale : Livre du centenaire du
Code civil (1), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1970, 155 ; Marcel Guy, «De
l’accession de la femme au gouvernement de la famille» dans Boucher et Morel, ibid., 199.
35
Loi sur la capacité juridique de la femme mariée, L.Q. 1964, c. 66 ; art. 177 C.c.B.-C.
36
Loi concernant les régimes matrimoniaux, L.Q. 1969, c. 77.
266 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54
civils sous ce nom». Cette disposition vise à mettre impérativement de côté la règle
selon laquelle l’épouse prenait le nom de son mari, règle qui, quoique coutumière37 et
facultative, avait une emprise très forte dans la conscience collective.
Égalité et rapport filial. L’égalité a également joué un rôle important à l’intérieur
des rapports de filiation en reconnaissant l’égalité entre les parents et les enfants. Le
Code civil du Bas Canada soumettait l’enfant mineur à l’autorité de ses père et mère,
mais confiait en principe l’exercice de cette autorité à la seule puissance paternelle, la
mère n’ayant que certains droits ponctuels38. Ce caractère patriarcal du droit de la
famille québécois est aboli en 197739. Le législateur remplace la notion de puissance
paternelle par celle d’autorité parentale. Depuis cette date, les père et mère, même
non mariés, exercent ensemble l’autorité parentale40. En cas de conflit entre les
parents, c’est le juge qui doit trancher en fonction du meilleur intérêt de l’enfant41. En
1980, le législateur complète cette réforme en prévoyant que le choix du prénom et du
nom de famille de l’enfant relève tant de la mère que du père, même non mariés42. Le
nom de famille peut être «formé d’au plus deux parties provenant de celles qui
forment les noms de famille de ses parents»43. Il n’est même pas nécessaire que les
enfants nés des mêmes père et mère portent le même nom de famille.
Dans les rapports entre enfants, le Code civil du Bas Canada établissait une
distinction entre les enfants légitimes, naturels, adultérins et incestueux en matière
successorale44 et alimentaire45. La réforme de 1980 modifie cet état de droit en
établissant l’égalité de tous les enfants, quelles que soient les circonstances de leur
naissance46. Tout enfant dont la filiation est établie possède les mêmes droits et
37
Sous réserve de l’art. 115 C.p.c. (avant 1982) qui prévoyait expressément que la femme mariée
(incluant la veuve) pouvait, dans le cadre d’une action en justice, utiliser le nom de son mari pourvu
que soient ajoutés les mots «épouse de» et la désignation du mari.
38
Par exemple, en cas de disparition du père (art. 113 C.c.B.-C. avant 1980) ou pour le consentement
au mariage des enfants mineurs (art. 119 C.c.B.-C.).
39
Loi modifiant le Code Civil, L.Q. 1977, c. 72.
40
Art. 600 C.c.Q. («Les père et mère exercent ensemble l’autorité parentale»).
41
Art. 604 C.c.Q.
42
Art. 56(1) C.c.B.-C. (à partir de 1980) et 51 C.c.Q. Voir Droit de la famille — 113, [1984] C.S.
119.
43
Art. 51 C.c.Q. Voir Albert Mayrand, «Égalité en droit familial québécois» (1985) 19 R.J.T. 249 à
la p. 260.
44
Art. 624(a)-(d) et 625 C.c.B.-C. Cet article prévoyait qu’il n’y avait aucune distinction basée sur
le sexe ou sur la primogéniture dans l’ordre de succession et dans la détermination des parts. Voir
Mayrand, ibid. à la p. 274 ; Germain Brière, Les successions ab intestat, Montréal, Thémis, 1979 à la
p. 49. Par ailleurs, le professeur Pineau fait remarquer que l’inaccessibilité à la succession ab intestat
pour l’enfant naturel peut être écartée par le principe de la liberté de tester de l’article 831 C.c.B.-C.
Un père pouvait donc tout léguer à son enfant adultérin si tel était son désir. Voir Jean Pineau, La
famille, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1972 aux pp. 130-31.
45
Art. 240 C.c.B.-C. (avant 1980).
46
Art. 594 C.c.Q. (1980) ; art. 522 C.c.Q.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 267
devoirs envers ses parents : il hérite ab intestat47, est créancier d’aliments et est
soumis à leur autorité.
Si cette quête d’égalité s’est d’abord concrétisée à l’intérieur d’une famille
uniforme, institutionnalisée par le mariage et la filiation, elle a dû progressivement
s’adapter à la pluralisation des types de relations conjugales et filiales. À terme, la
reconnaissance de cette pluralité a provoqué un retrait de l’État face à la volonté dans
les choix individuels et, par conséquent, mené à une privatisation de la famille.
47
Voir Germain Brière, «Rapports canadiens, droit des successions» dans Travaux de l’Association
Henri Capitant : Aspects de l’évolution récente du droit de la famille (Journées turques), t. 39, Paris,
Economica, 1988, 223 à la p. 230.
48
Canada, Statistique Canada, Rapport sur l’état de la population du Canada, Ottawa, Statistique
Canada, 1996 à la p. 135.
49
Statistique Canada, «Le Pays — État matrimonial/union libre» (1996), en ligne : Statistique
Canada <http://www.statcan.gc.ca/c1996-r1996/oct14-14oct/nalis2-fra.htm>.
50
Statistique Canada, «Recensement de 2006 : Portrait de famille : continuité et changement dans
les familles et les ménages du Canada en 2006 : Provinces et territoires. Québec : plus du tiers des
couples vivent en union libre» (2006), en ligne : <http://www12.statcan.gc.ca/census-
recensement/2006/as-sa/97-553/p24-fra.cfm>.
268 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54
51
Isabelle Rodrigue, «Les québécois sont champions de l’union libre» Le Droit (13 septembre
2007) 2.
52
Encyclopædia Universalis, 5e éd., vol. 14, «Mariage», par Marie-Odile Métral-Stiker à la p. 381.
53
Sur l’évolution historique de l’union de fait en droit québécois, voir généralement Brigitte
Lefebvre, «L’évolution de la notion de conjoint en droit québécois» dans Lafond et Lefebvre, supra
note 8, 3. Sur l’union de fait en général, voir Dominique Goubau, «Le Code civil du Québec et les
concubins : un mariage discret» (1995) 74 R. du B. can. 474.
54
Voir par ex. Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, 124 D.L.R. (4e) 693.
55
Au Québec, voir la Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les conjoints de
fait, L.Q. 1999, c. 14 ; au Canada, voir la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et
d’obligations, L.C. 2000, c. 12.
56
Loi sur le mariage civil, L.C. 2005, c. 33.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 269
57
Québec, Office de révision du Code civil du Québec, Rapport sur le Code civil du Québec, vol. 2,
Québec, Éditeur officiel, 1978 à la p. 63.
58
Voir généralement Benoît Moore, «Quelle famille pour le XXIe siècle ? : Perspectives québécoises»
(2003-04) 20 Can. J. Fam. L. 57 à la p. 87 ; Dominique Goubau, Ghislain Otis et David Robitaille, «La
spécificité patrimoniale de l’union de fait : le libre choix et ses “dommages collatéraux”» (2003) 44 C.
de D. 3.
59
Droit de la famille — 091768, 2009 QCCS 3210.
60
Jean Carbonnier, Droit civil 2 / La famille : L’enfant, le couple, 20e éd., Paris, Presses
Universitaires de France, 1999 à la p. 701.
61
Art. 366 C.c.Q.
62
Voir Pineau et Pratte, supra note 1 à la p. 90. Voir par ex. Simon Thibault, «Choisir le lieu, la date
et... l’ami-célébrant» La Presse (7 juillet 2007) A6. L’auteur écrit que seulement vingt-trois célébrants
avaient été accrédités en 2004, alors que mille quatre cent quarante-cinq l’ont été pour la période
270 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54
surprendre, d’abord parce que le texte ne la laissait aucunement présager, mais surtout
pour le message qu’elle véhicule. Alors que le but était de freiner les mariages
célébrés par des pseudo-sociétés religieuses non représentatives, la réforme a
accentué le phénomène par l’acceptation de la célébration du mariage par toute
personne, sans qu’elle ne soit, de par son rôle social, sa profession ou son statut d’élu,
un véritable représentant de la puissance publique. Quoique symbolique à bien des
égards, cette réforme participe d’une manière éclatante à la désinstitutionalisation de
la famille.
Privatisation de la filiation. La filiation n’a jamais eu comme ambition exclusive
de respecter la réalité biologique, mais elle s’est toujours efforcée de la «cloner» le
plus possible et d’être vraisemblable. Certes, la possession d’état et la présomption de
paternité constituaient des moyens d’établissement de la filiation qui laissaient une
place à la réalité sociale, possiblement contraire à la vérité biologique. Toutefois, sur
ses bases fondatrices, la filiation demeurait toujours vraisemblable : elle était binaire
et sexuée. Même la filiation adoptive, pourtant filiation fictive, devait se faire par des
personnes dont la différence d’âge avec l’enfant laissait le lien filial vraisemblable.
Aussi, et sous réserve du cas de l’adoption, la volonté comptait peu dans
l’établissement du lien filial. L’accouchement établissait la maternité même contre la
volonté de la mère et le lien filial à l’égard du père pouvait également être établi à son
encontre. Or, les choses ont fondamentalement changé lors d’une réforme intervenue
en 200263. Certains points méritent d’être soulevés. Ils participent tous du passage
d’une filiation à charge symbolique à une filiation à charge fonctionnelle, laquelle fait
de la volonté individuelle un élément clé et diminue beaucoup le rôle de l’État et le
caractère institutionnel de la filiation.
D’abord, la réforme de 2002 permet l’établissement du lien filial de manière
purement administrative lorsqu’une personne déclare son lien avec l’enfant après le
délai légal de trente jours prévu à l’article 113 C.c.Q. L’article 130 C.c.Q. donne dans
ce cas le pouvoir au directeur de l’état civil d’ajouter ce lien filial sans intervention
judiciaire si celui-ci ne contredit pas l’acte existant et si l’auteur de la déclaration
existante y consent. Cette disposition prévoit également que l’enfant de quatorze ans
ou plus qui fait l’objet de cette déclaration tardive doit consentir à l’ajout. Cela laisse
penser que cette possibilité ne vise pas uniquement le retard de quelques jours, mais
vise la désinstitutionalisation de la filiation en donnant à la déclaration volontaire un
statut qu’elle n’avait pas auparavant.
Surtout, la réforme de 2002 désexualise le couple parental. L’article 115 C.c.Q.,
qui concerne la déclaration de naissance, précise désormais que «[l]orsque les parents
sont de même sexe, ils sont désignés comme les mères ou les pères de l’enfant, selon
allant du 1 janvier au 5 juillet 2007. La procédure est simple, il suffit de remplir un formulaire et de le
faire parvenir au Ministère de la Justice. Le célébrant doit être majeur, citoyen canadien et ne pas
avoir de dossier criminel.
63
Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6. Voir
Marie Pratte, «La filiation réinventée : l’enfant menacé ?» (2003) 33 R.G.D. 541.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 271
le cas». Cette désexualisation a certes une incidence sur l’adoption, qui devient
possible pour les couples de même sexe, mais aussi sur la procréation assistée,
laquelle est profondément modifiée d’une double manière. Celle-ci est d’abord
accessible à toute personne (article 538 C.c.Q.). Cela signifie qu’une femme seule ou
deux femmes peuvent recourir à la procréation assistée64, de même qu’un couple
hétérosexuel marié ou non. Celle-ci n’est alors plus un simple mode subsidiaire de
procréation, mais bien un mode alternatif65. Un droit à l’enfant est ici reconnu, encore
au nom de l’égalité66. Ensuite, la procréation assistée n’est plus nécessairement
médicale. Elle peut intervenir par relation sexuelle avec un tiers, qui n’intervient qu’à
titre de géniteur. Il pourra, s’il le désire67, réclamer un lien filial, mais il aura pour le
faire une seule année à compter de la naissance68. À l’expiration de ce délai, seuls les
parents d’intention pourront réclamer un lien filial et il ne sera plus possible, même
pour l’enfant, de réclamer un lien filial à l’égard du tiers géniteur. Il s’agit ici d’une
exception importante au principe de l’indisponibilité de l’état civil d’une personne.
Le droit québécois accepte que la filiation de l’enfant soit soumise à des concessions
consenties en privé, réduisant l’enfant plus ou moins à une chose69.
64
Deux hommes ne peuvent pas avoir accès à la procréation assistée puisque le contrat de mère
porteuse n’est pas accepté dans notre droit. Voir art. 541 C.c.Q. Plusieurs auteurs ont soulevé qu’il y
avait là une inégalité de traitement à l’égard des couples d’hommes, alors même que la réforme
prenait sa justification dans le droit à l’égalité. Voir Suzanne Philips-Nootens et Carmen Lavallée, «De
l’état inaliénable à l’instrumentalisation : la filiation en question» dans Lafond et Lefebvre, supra note
8, 337 à la p. 353 ; Pineau et Pratte, supra note 1 à la p. 683. Sur le contrat de mère porteuse et
l’adoption, voir Adoption — 091, 2009 QCCQ 628.
65
Jean-Louis Baudouin et Catherine Labrusse-Riou, Produire l’homme : de quel droit ? — Étude
juridique et éthique des procréations artificielles, Paris, Presses Universitaires de France, 1987 à la p.
147 et s.
66
Avant la réforme, le Code civil était silencieux sur la question de l’accessibilité aux techniques
médicales de reproduction et les cliniques établissaient leur propre politique. Il reste que la
Commission royale d’enquête sur les nouvelles techniques de reproduction et la Commission de
réforme du droit du Canada avaient soutenu que l’accessibilité à la procréation médicalement assistée
ne devrait pas être liée au statut civil ou à l’orientation sexuelle, cela pouvant être discriminatoire en
vertu de la Charte canadienne. Voir Benoît Moore, «Les enfants du nouveau siècle (libres propos sur
la réforme de la filiation)» dans Développements récents en droit familial (2002), Cowansville (Qc),
Yvon Blais, 2002, 75 à la p. 87 [Moore, «Les enfants»].
67
La question de savoir si, pendant l’année où le tiers géniteur a l’option de réclamer ou non le lien
filial, l’enfant peut lui aussi le réclamer, est fortement contestée en doctrine. Voir Pineau et Pratte,
supra note 1 à la p. 699.
68
Art. 538.2 C.c.Q.
69
Cette réforme importante a fait l’objet de commentaires divergents. Pour des réactions négatives,
voir Moore, «Les enfants», supra note 66 ; Pratte, supra note 63 ; Philips-Nootens et Lavallée, supra
note 64. Pour une réaction favorable, voir Marie-France Bureau, «L’union civile et les nouvelles
règles de filiation au Québec : contrepoint discordant ou éloge de la parenté désirée» (2003) 105 R. du
N. 901.
272 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54
Conclusion
La famille reflète les mouvances d’une société. En cela, le droit qui la régule est
amené à prendre en compte les changements idéologiques et culturels qui la
traversent, voire à les devancer, tel que l’illustre le droit québécois des cinquante
dernières années.
La religion assurait autrefois la cohésion et l’homogénéité. En matière familiale
elle imposait, directement ou indirectement, une conception unitaire de la famille
basée sur le mariage, sacrement religieux et institution civile, lequel n’était pas
dissoluble. Le corps familial échappait à la volonté individuelle en constituant
l’institution centrale de la société dont le chef absolu était le mari. L’éclatement du
référent religieux, tant par l’affaiblissement de son pouvoir que par la multiplication
des dogmes, a été un élément déclencheur du repositionnement du droit de la famille.
Les valeurs fondamentales que sont l’égalité et l’autonomie individuelle ont pris le
relais et sont devenues les lignes fondatrices de cette révolution familiale.
C’est ainsi que d’une loi prophylactique70 qui «prétend[ait] dresser les mœurs»71
en institutionnalisant la famille dans le meilleur intérêt de la société, le droit
québécois s’est transformé en une législation ouverte dont le mot d’ordre est le
respect de la pluralité des modèles familiaux tout en maintenant, par ailleurs, une
législation impérative dans l’objectif de protéger le conjoint économiquement
vulnérable. D’un rôle organique, le droit de la famille est passé à un rôle individuel,
l’objectif de celui-ci n’étant plus de protéger la société, mais de proposer un équilibre,
pourtant difficile à atteindre, entre la protection de l’égalité des membres de la famille
et le respect de leur liberté.
70
Philippe Malaurie, «L’effet prophylactique du droit civil» dans Études de droit de la
consommation : Liber amicorum Jean Calais-Auloy, Paris, Dalloz, 2004, 669.
71
Jean-Jacques Lemouland, «Le pluralisme et le droit de la famille, post-modernité ou pré-déclin ?»
D. 1997.Chron.133 à la p. 134.
Enfances, Familles, Générations
No. 1, 2004, p. 101-120 - www.efg.inrs.ca
Résumé
En permettant l’établissement d’un lien de filiation entre un enfant et deux personnes du
même sexe, la réforme du 24 juin 2002 consacre non seulement l’existence des familles
homoparentales, mais elle marque également une profonde rupture avec la réalité
biologique à laquelle s’était depuis toujours modelé le droit de la filiation. Aux dires du
ministre de la Justice de l’époque, un tel réaménagement s’imposait, eu égard au besoin
de protection juridique des enfants en cause. Or, réformer la filiation n’était pas la seule
option législative disponible pour atteindre l’objectif visé. D’autres mesures, comme le
partage de l’autorité parentale ou la reconnaissance judiciaire d’une nouvelle forme de
«parentalité psychologique», auraient pu être envisagées pour assurer la protection
juridique des enfants concernés. Adoptée dans la précipitation, la réforme effectuée par le
législateur québécois ouvre des perspectives dont on ne peut encore mesurer toute la
portée sur le bien-être de l’enfant. Incomplète, elle laisse sans réponse le besoin de
protection juridique d’une majorité d’enfants évoluant au sein d’une dynamique
homoparentale.
Abstract
By allowing the creation of a parental relationship between a child and two persons of
the same sex, the reform adopted on June 24, 2002 not only formalizes homosexual
families, but also recognises the existence of a serious rift with the biological actualities
that had previously served as a model for laws dealing with filiation. According to the
then Justice Minister, some such overhaul had become necessary in order to be able to
provide legal protection for the children involved. However, remodelling the parameters
of filiation was not the only legislative option available to achieve the desired objective.
Other measures, such as joint parental authority or the legal recognition of a new form of
“psychological kinship” could have been contemplated as a way of ensuring the legal
protection of the children in question. This reform, adopted in haste by the Quebec
legislator, opens up prospects whose impact on children’s welfare cannot yet be fully
measured. This incomplete piece of legislation does not respond to the need for legal
protection of the majority of children growing up in a homosexual environment.
102
Introduction
La filiation figure au nombre des notions dont le sens et la portée ne peuvent être
délimités qu’à l’aune d’une approche pluridisciplinaire. Aux yeux du sociologue, de
l’anthropologue ou du psychologue, ce constat relève sans doute de l’évidence. Rompus
à l’idée d’entrevoir leur champ respectif sous l’angle de la complémentarité, ceux-ci
sont généralement enclins à aborder leur sujet d’étude dans une perspective globale,
n’hésitant pas à puiser dans les disciplines voisines pour enrichir leurs connaissances.
En revanche, les juristes ont souvent tendance à s’enfermer à l’intérieur des limites de
leur domaine d’appartenance. Les problématiques qui leur sont soumises sont
rapidement canalisées vers l’une ou l’autre des catégories juridiques établies dans les
lois[3]. Intégrés au corpus législatif, les concepts, notions ou institutions sont dès lors
coupés de leurs origines premières et prennent le sens que le législateur a bien voulu
leur donner. Ainsi, pour le juriste, la filiation fonde le rapport de droits et d’obligations
qui unit les descendants et les ascendants. De son point de vue, la filiation n’a d’intérêt
qu’en raison des conséquences juridiques que lui attribue le législateur, que ce soit en
matière d’autorité parentale, d’obligation alimentaire ou de dévolution successorale.
Pourtant, la filiation n’est pas et ne sera jamais qu’une simple affaire de droits et
d’obligations. En formalisant l’appartenance au sein d’un ordre généalogique, la
filiation ne fait pas qu’engendrer une série d’effets juridiques, elle contribue également
à l’édification sociale et psychologique des individus[4]. Comme l’écrit Pierre Legendre,
la filiation symbolise « […] la réserve inépuisable où les individus viennent chercher,
pour vivre, le bagage de leur identité.»[5] À la lumière de ces considérations, que doit-
on penser des modifications récemment apportées au Code civil du Québec en matière
de filiation[6]? En vigueur depuis le 24 juin 2002, ces modifications détachent la filiation
du cadre de l’hétéroparentalité, en permettant l’établissement d’un lien filial entre un
enfant et deux parents du même sexe.
Pour le juriste, ces modifications permettront d’aborder le rapport juridique à l’enfant
sans égard à l’orientation sexuelle des personnes qui lui tiennent lieu de parents. Pour
le sociologue ou l’anthropologue, elles opèrent une véritable révolution puisqu’elles
marquent une profonde rupture avec la réalité biologique à laquelle s’était depuis
toujours modelé le droit de la filiation.
Quelle que soit l’approche disciplinaire de l’analyste, et indépendamment des
impressions qu’elle lui inspire, la réforme du 24 juin 2002 suscite certaines
interrogations fondamentales dans l’esprit de tous ceux qui s’intéresse à l’enfant et la
famille. Des questions qui, conjuguées les unes aux autres, nourriront peut-être le
sentiment d’inconfort déjà éprouvé par plusieurs personnes, fortement ébranlées par
la rapidité du processus d’adoption des modifications législatives introduites au Code
civil et par l’étroitesse du cadre à l’intérieur duquel les consultations populaires ont été
menées. On se rappellera qu’un nombre restreint de consultations intervenues à
l’occasion d’une commission parlementaire – dont le mandat premier portait non pas
sur la parentalité homosexuelle mais sur l’union civile – auront suffi au ministre de la
Justice pour ajouter aux propositions législatives initialement déposées de nouvelles
dispositions renversant le principe soi-disant fondateur du droit de la filiation[7].
Les questions soulevées par la réforme du 24 juin 2002 sont multiples. Certaines
portent sur le principe même d’une filiation homoparentale, alors que d’autres, plus
générales, concernent les valeurs véhiculées par la reconnaissance et
l’ordonnancement législatif de ce qu’on a pu appeler « le droit à l’enfant »[8]. Le présent
article se limite aux questions du premier ordre, bien assez substantielles. Avant d’en
prendre la mesure, il convient de présenter le cadre juridique à l’intérieur duquel la
Perspectives descriptives
La filiation se prouve généralement par l’acte de naissance[9]. Cet acte consacre
l’existence civile des personnes, en attestant de leur nom, de leur sexe et du lieu, de la
date et de l’heure de leur naissance[10]. L’acte de naissance situe également les
personnes sur le plan générationnel, en énonçant le nom de leurs père et mère[11]. Si,
conformément aux règles nouvellement introduites, les parents sont de même sexe, ils
y seront désignés comme les mères ou les pères de l’enfant[12]. Conservé au registre de
l’état civil, l’acte de naissance témoignera ainsi, auprès des tiers appelés à prendre
connaissance des renseignements qui y sont consignés, du lien de filiation bimaternelle
ou bipaternelle de l’enfant[13].
Évidemment, le législateur n’aurait pu se contenter d’édicter le principe d’une filiation
homoparentale sans s’attarder aux voies susceptibles d’y donner accès. Eu égard aux
modifications apportées par la réforme, deux voies peuvent être envisagés, soit
l’adoption et, dans le cas des femmes, la procréation assistée.
L’adoption
En droit québécois, l’adoption confère à l’enfant une filiation qui se substitue
entièrement à sa filiation d’origine[14]. Le jugement d’adoption provoque donc la
rupture de tous les liens juridiques qui unissaient l’enfant à sa famille biologique et
donne lieu à l’établissement d’un nouvel acte de naissance[15]. Contrairement au droit
en vigueur dans certains États, le droit québécois ne connaît pas l’adoption simple,
dont les effets permettent la coexistence de certains liens entre l’enfant, sa famille
d’origine et sa famille adoptive[16].
Selon l’article 546 du Code civil, l’adoption peut être prononcée en faveur d’une
personne seule[17] ou d’un couple[18]. Alors qu’on interprétait naguère la notion de
«couple» en référence exclusive aux conjoints hétérosexuels[19], on doit désormais en
élargir la portée pour y intégrer les conjoints homosexuels. Le Code civil du Québec ne
pose aucune exigence quant au statut juridique des conjoints adoptants. Ainsi, les
couples qui vivent en union de fait sont tout aussi qualifiés que les couples légalement
liés par le mariage ou l’union civile pour se porter requérants.
Un enfant peut être adopté sur la base du consentement des parents biologiques ou,
dans les cas d’abandon, d’une déclaration judiciaire d’admissibilité à l’adoption[20]. Le
consentement des parents biologiques peut être général ou spécial[21]. Il est général
lorsqu’il permet de prononcer l’adoption en faveur de toute personne ou couple ayant
déposé une demande d’adoption auprès des Centres de protection de l’enfance et de la
jeunesse (CPEJ)[22]. Il est spécial lorsqu’il est spécifiquement donné en faveur d’un
grand-parent ou d’un arrière-grand-parent de l’enfant, d’un oncle, d’une tante, d’un
frère, d’une soeur ou du conjoint légal de l’une ou l’autre de ces personnes[23].
Le père ou la mère de l’enfant peut également donner un consentement spécial en
faveur de son conjoint légal ou de fait, à la condition, dans ce dernier cas, que leur
cohabitation date d’au moins trois ans[24]. Par exception au principe général, le
jugement d’adoption prononcé à la suite d’un tel consentement n’entraînera pas la
rupture du lien de filiation entre l’enfant et le parent qui en est à l’origine[25].
Évidemment, pour qu’un tel scénario soit légalement admissible, l’enfant ne devra
avoir aucun autre lien de filiation préexistant. Si tel est le cas, le conjoint du parent ne
pourra adopter l’enfant de ce dernier, à moins que l’autre parent ne soit décédé ou
déchu de son autorité parentale[26]. Bref, l’enfant ne pourrait, dans l’état actuel du droit
québécois, avoir un lien de filiation avec plus de deux personnes.
Dans les faits, l’établissement d’un lien de filiation adoptif entre un enfant et deux
personnes de même sexe résultera le plus souvent d’un consentement spécial. Ainsi, la
mère ou le père biologique consentira-t-il à l’adoption de son enfant en faveur de sa
conjointe ou de son conjoint. Les couples de même sexe qui voudront adopter un
enfant autrement admissible à l’adoption seront, quant à eux, confrontés aux mêmes
réalités que les couples hétérosexuels. S’agissant d’une adoption dite nationale, il leur
faudra soumettre leur demande au CPEJ, satisfaire aux différentes conditions
administratives[27] et attendre patiemment qu’on les interpelle[28].
Compte tenu du peu d’enfants adoptables au Québec, le délai entre l’expression d’une
première volonté et l’enclenchement du processus d’adoption à proprement parler
s’étirera probablement sur plusieurs années[29]. À l’instar des couples hétérosexuels,
les couples homosexuels pourront également se porter candidats pour héberger, à titre
de famille d’accueil, un enfant à risque ou en situation d’abandon, en espérant pouvoir
éventuellement l’adopter à travers la Banque-Mixte[30].
Dans le cadre de l’adoption internationale, les couples de même sexe auront à faire face
à une réalité juridique beaucoup moins favorable. En effet, les pays d’où proviennent la
majorité des enfants adoptables se réservent généralement le droit de sélectionner les
adoptants, en fonction de critères plus ou moins précis. Or, dans l’état actuel des
choses, la Chine, le Viêt-Nam ou Haïti, pour ne nommer que ceux-là, refusent de
cautionner l’adoption d’un de leurs ressortissants par un couple homosexuel[31]. À
moins de revirements inattendus, les critères de sélections élaborés par les autorités
étrangères feront donc obstacle au projet d’adoption internationale des couples de
même sexe.
Pour contourner la difficulté, certains conjoints de même sexe seront sans doute tentés
de procéder en deux étapes. La première étape consistera, pour l’un d’eux, à
entreprendre seul les démarches d’adoption internationale dans un pays qui accepte
l’adoption par un célibataire, en taisant évidemment son orientation sexuelle. Une fois
les formalités étrangères complétées et l’adoption prononcée conformément à la loi, le
parent adoptif de l’enfant fournira, à son retour au Québec, un consentement spécial en
faveur de son conjoint, conformément au droit québécois.
Bien qu’attrayante, cette stratégie pourrait, à plus ou moins long terme, se retourner
contre les couples de même sexe. Selon certaines sources, la Chine aurait déjà « […]
restreint le nombre d’enfants confiés à des Suédois vivant seuls après avoir découvert
que certains d’entre eux avaient dissimulé leur homosexualité »[32]. En toute lucidité,
les couples de même sexe devront donc miser sur un changement de mentalités des
instances étrangères avant de pouvoir réaliser leur projet d’adoption internationale.
La procréation assistée
La filiation de l’enfant avec deux parents de même sexe peut également résulter d’un
«projet parental avec assistance à la procréation», auquel cas le lien sera évidemment
bimaternelle. Selon le nouvel article 538 du Code civil, il y a projet parental avec
assistance à la procréation « […] dès lors qu’une femme seule ou des conjoints [de sexe
différent ou de sexe féminin] ont décidé, afin d’avoir un enfant, de recourir aux forces
génétiques d’une personne qui n’est pas partie au projet parental ».
Perspectives critiques
Il y a quelques années à peine, la réalité des enfants pris en charge par les couples de
même sexe était ignorée, voire objet d’ostracisme. Dans l’esprit d’une majorité de
personnes, la parentalité ne pouvaient être que le reflet, réel ou fictif, de la réalité
biologique[57]. D’ailleurs, selon un sondage réalisé au mois de décembre 2001, 51 % des
québécois se disaient contre l’adoption d’un enfant par un couple d’homosexuels[58].
Face à l’enjeu fondamental que représente le bien-être de l’enfant et devant les
résistances révélées par les sondages d’opinion, on aurait pu s’attendre à des années de
débats enflammés avant de voir poindre à l’horizon un projet de loi attribuant des
responsabilités parentales aux couples de même sexe. La réalité aura été toute autre. Il
n’aura fallu que huit semaines aux autorités gouvernementales pour déposer les
propositions législatives portant réforme de la filiation, consulter une quinzaine
d’intervenants en commission parlementaire et obtenir l’aval de l’Assemblée
nationale[59].
Le ministre de la Justice a justifié la réforme en invoquant, à maintes reprises, l’intérêt
de l’enfant. Le bien être de l’enfant, a-t-il répété, ne saurait se satisfaire de cadres
juridiques qui excluent, directement ou indirectement, les réalités homoparentales.
Lors des remarques finales formulées en commission parlementaire, le ministre
déclarait d’ailleurs :
« Tout cela m'amène à traiter d'une situation injuste, […], soit celle
des enfants des couples homosexuels. Il m'apparaît clair que l'intérêt
supérieur de l'enfant doit prévaloir dans tous les choix que nous
pourrons faire en matière de parentalité. […] Il faut faire en sorte que
soit reconnue, à tous les enfants, une pleine égalité des droits tant
juridiques que sociaux. […] Si, en 1980, mon prédécesseur comme
ministre de la Justice, Me Marc-André Bédard, a permis que soient
éliminées au Code civil les distinctions à la naissance, selon qu'un
enfant soit né à l'intérieur ou non du mariage, je suis d'avis qu'il faut
maintenant aller plus loin, car il en va, encore une fois, de l'intérêt
des enfants. »[60]
l’intérêt de l’enfant pour appuyer l’option choisie[72], aucune étude empirique réalisée
auprès d’enfants filialement liés à deux mères ou deux pères n’a été produite au
soutien de ses prétentions, et pour cause : le Québec fait office de pionnier en la
matière. Les précédents sont peu nombreux et ne datent que de quelques années[73].
Aucune étude sérieuse ne peut aujourd’hui être réalisée sur la base d’un tel
échantillonnage. Qui plus est, certaines législations étrangères, souvent citées en
exemple, ne peuvent être abordées qu’avec circonspection, les effets de la filiation
adoptive n’étant pas nécessairement les mêmes d’un État à l’autre. Il en est ainsi du
droit néerlandais où l’adoption d’un enfant, depuis peu accessible aux couples de
même sexe, entraîne non pas la création d’un nouvel acte de naissance, mais
l’inscription du nom des adoptants en marge de l’acte d’origine[74]. Au-delà des droits
parentaux dont elle permet la transmission, l’adoption néerlandaise ne vise pas,
contrairement à l’adoption québécoise, à resituer l’enfant sur un nouvel axe
généalogique[75].
Sans doute, dans une vingtaine d’années, les chercheurs pourront-ils disposer de
données leur permettant d’évaluer scientifiquement l’impact, sur l’enfant devenu
adulte, d’une filiation homoparentale, instituée en rupture du modèle de filiation
généalogique sur lequel les sociétés occidentales comparables à la nôtre ont érigé leur
conception de la parenté[76]. Dans l’intervalle, nul ne saurait objectivement prévoir les
conséquences psychologiques qu’occasionnera la formalisation d’une telle filiation au
registre de l’état civil[77], et ce, indépendamment des habilités parentales dont auront
su faire preuve les personnes concernées. Consacrer l’engagement des conjoints de
même sexe à l’égard d’un enfant est une chose, lui reconnaître deux mères ou deux
pères, dans son acte de naissance, en est une autre[78]. Car, faut-il encore le rappeler, la
filiation n’est pas qu’un montage juridique porteur d’autorité parentale. Lourdement
chargée sur le plan symbolique[79], elle contribue également à la construction de
l’identité sociale et psychologique des personnes.
Au-delà des polémiques d’ordre historique[80], anthropologique[81], moral[82] et
juridique[83] que soulève la filiation homoparentale et en dépit des préjugés favorables
que l’on peut entretenir sur la question, l’importance des enjeux en cause aurait
d’abord justifié l’instauration de mécanismes législatifs portant sur la parentalité, dans
l’attente des bilans que l’on dressera éventuellement des expériences législatives
étrangères[84]. En joignant le rang des États qui ont agi précipitamment, le Québec a-t-il
fait de l’enfant un objet d’expérimentation? Cette question est certes troublante, mais le
fait que l’on n’ait pas pu suffisamment en débattre avant l’entrée en vigueur des
nouvelles mesures l’est davantage.
parentales à l’égard de l’enfant, pas plus qu’on ne pourra lui imputer de responsabilités
particulières à l’occasion d’une éventuelle rupture conjugale, et ce, en dépit du rôle
parental qu’il aura pu assumer durant la vie commune et, dans certains cas, du
détachement factuel de l’autre parent.
Comme d’autres l’ont déjà souligné[87], l’omission du législateur affecte, de manière
comparable, l’ensemble des familles recomposées. Tout comme le conjoint
homosexuel, le conjoint hétérosexuel ne jouit d’aucun statut juridique durant la vie
commune et n’assume aucune obligation à l’endroit de l’enfant, à moins d’avoir pu
l’adopter[88]. Lors de la rupture conjugale, seul le conjoint marié fait l’objet d’une
certaine reconnaissance législative. En vertu de la Loi sur le divorce, l’époux qui, durant
le mariage, a agi à titre de parent (in loco parentis) auprès de l’enfant de son conjoint
pourra en revendiquer la garde ou faire valoir des droits d’accès[89]. En contrepartie, le
tribunal pourrait l’obliger à verser une pension alimentaire au bénéfice de l’enfant.
Quant au conjoint hétérosexuel non marié, il ne peut jamais se voir contraint de
pourvoir aux besoins de l’enfant, même s’il a occupé une place prépondérante auprès
de lui durant la relation conjugale[90]. Comme toute autre personne et aux mêmes
conditions, il pourra toutefois s’adresser au tribunal pour en obtenir la garde. Le
tribunal évaluera sa demande à la lumière du critère de l’intérêt de l’enfant, mais sans
accorder de statut préférentiel à sa requête[91].
Si le législateur voulait vraiment éliminer toute forme de discrimination entre les
enfants, comment a-t-il pu occulter le statut précaire des nombreux enfants qui
évoluent au sein d’une famille recomposée? À la lumière de l’article 39 de la Charte des
droits et libertés de la personne qui consacre le droit de l’enfant « […] à la protection, à
la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu
peuvent lui donner »[92], n’y aurait-il pas eu lieu d’établir un cadre juridique consacrant
l’engagement de tous ceux et celles qui remplissent un rôle parental auprès des
enfants, indépendamment de l’orientation sexuelle des uns et des autres?
Le partage de l’autorité parentale, tout comme l’institution d’une parentalité
psychologique pleine et entière, auraient sans doute permis d’assurer une protection
juridique adéquate à l’ensemble des enfants confrontés au phénomène de la
pluriparentalité, quel que soit le sexe des figures parentales en cause. Ainsi, le
législateur aurait-il permis d’additionner, au double lien de filiation des enfants
partagés entre leur mère et leur père, le support parental de leur conjoint respectif,
qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel.
Conclusion
Il faut certainement se réjouir de l’intérêt manifesté par l’État à l’égard des enfants pris
en charge par les couples de même sexe, trop longtemps marginalisés. En sanctionnant
l’homoparentalité, on en légitime l’existence et, incidemment, on contribue à en
accélérer l’acceptation sociale, au bénéfice des enfants concernés[93]. Comme d’autres
l’ont déjà fait, on doit saluer le courage politique dont les autorités gouvernementales
du Québec ont su faire preuve en assumant le leadership d’une telle démarche[94]. Mais
au-delà des principes, on parvient difficilement à concilier le choix législatif effectué le
24 juin 2002 avec les objectifs avancés au soutien de la réforme. Ni le réaménagement
du droit de la filiation, ni l’action précipitée du législateur, ne peuvent véritablement
trouver leur justification dans l’intérêt de l’enfant. Prématurée, la réforme ouvre des
perspectives dont on ne peut encore mesurer toute la portée sur le bien-être de
l’enfant. Incomplète, elle laisse sans réponse le besoin de protection juridique d’une
majorité d’enfants évoluant au sein d’une dynamique homoparentale.
Notes
[1]Nous employons l’expression «filiation homoparentale» en référence à l’organisation législative
d’un lien de filiation entre un enfant et deux parents de même sexe.
[2]L’auteur
remercie ses collègues, les professeurs Danielle Pinard, Michel Morin et Luc B. Tremblay,
ainsi que Mme Doris Baril, Me Nicole Poulin et Me Christian St-Georges pour leurs précieux
commentaires. Évidemment, les opinions émises dans le présent texte n’engagent que son auteur.
[3]Voir Roderick A. MACDONALD, «Triangulating Social Law Reform», à paraître.
[4]Voir Catherine LABRUSSE-RIOU, «La filiation en mal d’institution», (1996) 227 Esprit 91, 92.
[5]Pierre
LEGENDRE, «Analecta», dans Leçons IV, suite 2, Filiation – Fondement généalogique de la
psychanalyse, Paris, Fayard, 1990, p. 187. Voir également Françoise HÉRITIER-AUGÉ, «De
l’engendrement à la filiation. Approche anthropologique», (1989) 44 Topique – Revue Freudienne
173, 174.
[6]Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6.
[7]«Aucune institution du monde n’est biologiquement fondée : naturelle, elle serait alors nécessaire,
et nécessaire, universelle. Mais il existe cependant en ce domaine des limites d’ordre biologique qui
tiennent à l’ancrage dans le corps humain. La filiation en effet ne peut s’établir qu’en référence au
masculin et au féminin, parce que ce sont des hommes et des femmes qui font des enfants dans une
suite ininterrompue de générations» : Françoise HÉRITIER-AUGÉ, «De l’engendrement à la filiation.
Approche anthropologique», (1989) 44 Topique – Revue Freudienne 173, 174.
[8]Françoise HÉRITIER-AUGÉ, «De l’engendrement à la filiation. Approche anthropologique», (1989)
44 Topique – Revue Freudienne 173, 176. Voir également Irène THÉRY, «Pacs, sexualité et différence
des sexes», (1999) 257 Esprit 139, 181.
[9]C.c.Q.,
art. 523 : «La filiation tant paternelle que maternelle se prouve par l’acte de naissance,
quelles que soient les circonstances de la naissance de l’enfant […]».
[10]C.c.Q., art. 108, 109, 111 et suiv.
[11]C.c.Q.,
art. 115 : «La déclaration de naissance énonce le nom attribué à l’enfant, son sexe, les lieu,
date et heure de la naissance, le nom et le domicile des père et mère et du témoin, de même que le lien
de parenté du déclarant avec l’enfant. Lorsque les parents sont de même sexe, ils sont désignés
comme les mères ou les pères de l’enfant, selon le cas […]». Mes italiques.
[12]Id.
[13]Le Code civil prévoit essentiellement deux modes d’accès au registre de l’état civil. Toute personne
peut obtenir un certificat de naissance d’une autre personne, sans condition. Ce certificat énoncera les
noms, sexe, lieu et date de naissance de la personne concernée et, si elle est décédée, les lieu et date
du décès. Il fera également mention, le cas échéant, du lieu et de la date du mariage ou de l’union
civile, et du nom du conjoint. Les personnes mentionnées dans l’acte de naissance, de même que toute
autre personne qui justifie de son intérêt, pourront quant à elles obtenir une copie intégrale de l’acte
de naissance : C.c.Q., art. 145, 146 et 148. La notion d’«intérêt» n’étant pas définie dans le Code civil, le
directeur de l’état civil doit donc évaluer, au cas par cas, les motifs invoqués au soutien des demandes
de copie présentées par des personnes dont le nom ne figure pas à l’acte de naissance. Les
professeurs Deleury et Goubau estiment, par exemple, qu’un membre de la famille voulant compléter
des recherches généalogiques pourrait avoir l’intérêt requis: Édith DELEURY et Dominique GOUBAU,
Le droit des personnes physiques, 3e éd., Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2002, n° 374, p. 344, note 167.
[14]C.c.Q.,
art. 577. Ce type d’adoption est connu sous le nom d’«adoption plénière»: Françoise-
Romaine OUELLETTE, «Les usages contemporains de l’adoption», dans Agnès FINE (dir.), Adoptions :
ethnologie des parentés choisies, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, p. 155.
[15]C.c.Q.,
art. 129, 132 et 149. Notons cependant que les empêchements au mariage entre l’adopté et
sa famille d’origine demeurent applicables si tant est, évidemment, que les intéressés aient
connaissance de leurs liens biologiques malgré la confidentialité du dossier d’adoption. Ainsi, l’enfant
adopté ne pourra contracter mariage ni avec ses ascendants biologiques en ligne directe, ni avec ses
frères ou soeurs biologiques : C.c.Q., art. 577 et Loi sur le mariage, L.C. 1990, ch. 46, art. 2. Sur les
effets du jugement d’adoption, voir Alain ROY, «L’adoption en droit québécois : aspects civils et
procéduraux», dans La Famille - Extraits du Répertoire de droit/Nouvelle série, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2000, p. 163, p. 201-203.
[16]Telest le cas, notamment, du droit français : Code civil français, art. 360 à 370-2. Pour un tableau
identifiant les États européens permettant l’adoption simple, voir Isabelle LAMMERANT, «Tableaux
comparatifs des législations européennes en matière d’adoption», dans Marie-Thérèse MEULDER-
KLEIN (dir.), Adoption et formes alternatives d’accueil, Bruxelles, Éditions Story-Scienta, 1990, p. 217,
aux pages 218-219.
[17]Depuisplusieurs années, une personne célibataire peut donc adopter un enfant, et ce, quelle que
soit son orientation sexuelle. Voir Alain ROY, «L’adoption en droit québécois : aspects civils et
procéduraux», dans La Famille - Extraits du Répertoire de droit/Nouvelle série, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2000, p. 163, à la page 173.
[18]En somme, l’article 546 C.c.Q. permet à toute personne, seule ou conjointement avec une autre
personne, d’adopter un enfant. Un frère et une soeur pourraient-ils, sur la base de cet article, adopter
conjointement un enfant? On pourrait peut-être le soutenir, mais telle n’est pas l’interprétation
actuellement véhiculée par la doctrine et la jurisprudence. Puisque l’adoption vise à doter l’adopté
d’un milieu familial de substitution, les «deux personnes» réfèrent, dans l’esprit des juristes, aux seuls
conjoints. Par ailleurs, notons que, selon l’article 547 C.c.Q., l’adoptant doit avoir au moins 18 ans de
plus que l’adopté, sauf si ce dernier est l’enfant de son conjoint ou si le tribunal n’en décide
autrement, dans l’intérêt de l’adopté.
[19]VoirAlain ROY, « Partenariat civil et couples de même sexe : La réponse du Québec », (2001) 35
Revue juridique Thémis 663, 685. Il semble que le Centre jeunesse Batshaw appliquait une
interprétation différente, en reconnaissant la légalité d’une adoption conjointe par deux personnes de
même sexe : Irène DEMCZUCK, Nicole PAQUETTE et Mona GREENBAUM, « Préambule. Légalité de la
parentalité homosexuelle », dans ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA SANTÉ MENTALE (Filiale de
Montréal), Parentalité gaie et lesbienne : famille en marge? Actes du colloque des 1er et 2 mars 2001,
Montréal, 2001, p. 55.
[20]C.c.Q.,
art. 544, 551 et suiv. (en matière de consentement) et 559 suiv. (en matière de déclaration
judiciaire). Notons que, en principe, l’enfant âgé de 10 ans ou plus doit également apporter son
consentement à sa propre adoption : C.c.Q., art. 549. Pour de plus amples explications sur les
conditions relatives à l’adoption et le processus d’ouverture du dossier d’adoption, voir Alain ROY,
«L’adoption en droit québécois : aspects civils et procéduraux», dans La Famille - Extraits du
Répertoire de droit/Nouvelle série, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 163, à la page 175 et
suiv.
[21]C.c.Q., art. 544 et 551 et suiv.
[22]C’estau Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) et aux membres de son personnel dûment
autorisés qu’incombe la responsabilité de recevoir les consentements généraux : Loi sur la protection
de la jeunesse, L.R.Q., c. P-34.1, (ci-après citée «L.P.J.»), art. 32(g). Le consentement général entraîne
par ailleurs une délégation de l’autorité parentale en faveur du DPJ : C.c.Q., art. 556 et 72.1(c) de la
L.P.J. Le DPJ pourra par la suite déléguer lui-même l'exercice de l'autorité parentale aux futurs
adoptants, en vertu de l'article 72.1(e) de la L.P.J. En outre, selon l'article 199, al. 2 C.c.Q., «le directeur
de la protection de la jeunesse est jusqu'à l'ordonnance de placement, tuteur légal de l'enfant [...] au
sujet duquel un consentement général à l'adoption lui a été remis, excepté dans le cas où le tribunal a
nommé un autre tuteur».
[23]C.c.Q.,
art. 555. Plus formellement, l’article permet le consentement spécial en faveur de tout
ascendant de l’enfant, d’un parent en ligne collatérale jusqu’au troisième degré ou du conjoint de cet
ascendant ou parent.
[24]Id.
déterminer s'ils sont en mesure d'assumer les responsabilités inhérentes à l'adoption d'un enfant. Si
l'évaluation s'avère positive, leurs noms s'ajouteront à la liste des postulants tenue par les C.P.E.J.
Dans la sélection des adoptants, «le respect de l'ordre chronologique d'inscription sur la liste est
subordonné aux besoins et aux caractéristiques des enfants disponibles pour adoption et aux attentes
des parents biologiques» : L.P.J., art. 72.3. Voir également DIRECTION DE L'ADAPTATION SOCIALE,
L'adoption, un projet de vie - Cadre de référence en matière d'adoption au Québec, Québec, Ministère
de la Santé et des Services sociaux, 1994, p. 19.
[28]MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, L’adoption : un projet de vie. Cadre de
référence en matière d’adoption au Québec, Québec, Gouvernement du Québec, 1994, p. 36. Selon des
données (non officielles) rapportées dans l’édition du 2 mars 2003 du Journal Le Soleil, environ 8
couples de même sexe auraient, depuis le 24 juin 2002, déposé une demande d’adoption : Claudette
SAMSON, «Un geste d’amour, non de charité», Québec, Le Soleil, 2 mars 2003, p. A-1.
[29]Alorsque le nombre annuel d’adoptions était de 4 000 dans les années 60, seulement 312
adoptions ont eu lieu entre le 31 mars 1991 et le 31 mars 1992. À cette date, le nombre de couples et
d’individus inscrits sur la liste d’attente s’élevait à 3 843 : Id., p. 69. Voir également p. 77.
[30]La Banque-Mixte est composée de couples ou d'individus désireux d'adopter un enfant. À ce titre,
ils sont inscrits comme postulants à l'adoption et acceptent de jouer le rôle de famille d'accueil auprès
d'un enfant à risque élevé d'abandon et dont le projet de vie est l'adoption à court ou moyen terme.
En effet, l’enfant en famille d’accueil pourrait bien devenir adoptable, par suite d’un consentement
général des parents biologiques ou par déclaration judiciaire d’admissibilité à l’adoption. La famille
d’accueil avec qui l’enfant aura peut-être développé des liens affectifs pourra, dans ce cas, proposer
un projet d’adoption aux autorités. Voir les renseignements publiés sur la Banque-Mixte à
www.quebecadoption.net.
[31]Selon certaines sources, il n'existerait pas d'État qui accepte expressément que des enfants
ressortissants du pays soient adoptés par des homosexuels. Voir les renseignements publiés sur le
site de l’organisation «Homoparentalité», à www.cometes.net/hmprt/adopt.php.
[32]Voir
Antoine JACOB, La difficile adoption d'enfants étrangers par les homosexuels en Suède, Paris,
Le Monde, 6 février 2003, en ligne à www.lemonde.fr/imprimer_article_ref/0,5987,3210--
308085,00.html.
[33]Voir C.c.Q., art. 538-542, tels qu’ils existaient jusqu’au 24 juin 2002.
[34]Danielle
JULIEN, Monique DUBÉ et Isabelle GAGNON, «Le développement des enfants de parents
homosexuels comparé à celui des enfants de parents hétérosexuels», (1994) 15 Revue québécoise de
psychologie 1, 3.
[35]L.R.Q., c. C-12, art. 10 : «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité,
des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la
couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, sauf dans la mesure prévue par la
loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la conditions
sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination
lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruite ou de compromettre ce
droit». Mes italiques.
[36]Certains dénoncent fermement cette nouvelle orientation : Benoît MOORE, « Les enfants du
nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de la filiation », dans Développements récents en droit
de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 75, à la page 86.
[37]Selon l’article 538.1 C.c.Q., « [l]a filiation de l’enfant né d’une procréation assistée s’établit, comme
une filiation par le sang, par l’acte de naissance. À défaut de ce titre, la possession d’état suffit; celle-ci
s’établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation entre l’enfant […] [et]
la femme qui lui a donné naissance […] ».
[38]C.c.Q., art. 525.
[39]Cetteprésomption est toutefois écartée à l’égard de l’ex-conjointe lorsque l’enfant naît plus de trois
cents jours de la fin de l’union, mais après l’union civile ou le mariage subséquent de la femme qui lui
a donné naissance : C.c.Q., art. 538.3 al. 3.
[40]C.c.Q., art. 540 a contrario. Voir Alain ROY, « Filiation homosexuelle. La conjointe de la mère doit-
elle adopter l’enfant issu d’une procréation médicalement assistée? », (2003) 105 Revue du Notariat
119. À défaut de reconnaissance volontaire par la conjointe, une possession constante d’état pourrait
suffire : C.c.Q., art. 538.1 et 524. Sur l’application de la possession d’état dans un contexte
homoparental, voir Benoît MOORE, « Les enfants du nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de
la filiation », dans Développements récents en droit de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon
Blais, 2002, p. 75, aux pages 82-83. Si une possession d’état ne peut être invoquée, aucun lien de
filiation ne sera établi entre l’enfant et la conjointe, malgré son consentement initial au projet
parental. Cependant, la conjointe engagera sa responsabilité envers l’enfant et la mère de celui-ci :
C.c.Q., art. 540.
[41]C.c.Q., art. 538.2.
[42]Si
un préjudice grave risque d’être causé à la santé de l’enfant ou de ses descendants, le tribunal
pourrait toutefois permettre la communication de données nominatives aux autorités médicales
concernées : C.c.Q., art. 542.
[43]C.c.Q., art. 538.2, al. 2.
[44]Comme le précise l’article 538 C.c.Q., le projet parental réalisé au moyen d’une relation sexuelle
pourrait également être celui d’une femme seule ou d’un couple hétérosexuel. Il serait toutefois
surprenant, dans ce dernier cas, que le conjoint de la femme privilégie cette alternative au détriment
d’une insémination artificielle…
[45]C’estd’ailleurs pour refléter les deux options désormais disponibles que le législateur a modifié le
titre qui chapeaute les dispositions pertinentes. Alors qu’il était autrefois question de «procréation
médicalement assistée», le Code civil réfère maintenant à «la filiation des enfants nés d’une
procréation assistée». Mes italiques.
[46]Voir
Journal des débats, Commission permanente des institutions, 15 mai 2002, en ligne à
www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci.htm.
[47]C.c.Q., art. 538.1.
[48]C.c.Q., art. 538.3, 538.1, 540 et 524.
[49]C.c.Q.,
art. 538.2 al. 2 : « […] Lorsque l’apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle, un
lien de filiation peut être établi, dans l’année qui suit la naissance, entre l’auteur de l’apport et
l’enfant. Pendant cette période, le conjoint [ou la conjointe] de la mère qui a donné naissance à
l’enfant ne peut, pour s’opposer à cette demande, invoquer une possession d’état conforme au titre ».
filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile :
nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2003, p. 337, à la page 343.
[51]En effet, le délai d’un an court à compter de la naissance, peu importe la connaissance qu’en a le
géniteur. Cela dit, après l’expiration du délai d’un an, le géniteur pourrait prétendre à l’inapplicabilité
du cadre juridique régissant la procréation assistée en prétendant qu’on ne l’a jamais avisé du projet
parental en cause ou en démontrant l’inexistence d’un tel projet. S’il réussit dans sa démarche, le
géniteur (devenu père en puissance) pourra réclamer la paternité de l’enfant au terme d’une action
en revendication (ou en contestation/revendication si un lien de filiation préexiste avec la conjointe
de la mère), laquelle est prescriptible par 30 ans (C.c.Q., art. 531, 532 et 536). Puisque le législateur
n’a prévu aucune règle particulière quant à la preuve du projet parental et quant à l’assentiment du
géniteur, d’importantes difficultés pourraient se poser. Toutefois, la preuve du projet parental (tel
que défini à l’article 538 C.c.Q.) sera probablement facilitée du seul fait de l’homosexualité de la mère.
On peut sans doute présumer que la relation sexuelle intervenue avec la personne de sexe masculin a
véritablement eu lieu dans un but de procréation. Ainsi, si la mère réussit à démontrer que le géniteur
connaissait cette réalité au moment de la relation sexuelle, le géniteur aura plus de difficultés à
prouver qu’il ignorait la nature de sa contribution. Notons que certains considèrent que la
connaissance, par le géniteur, de l’existence du projet parental d’autrui n’a aucune incidence sur
l’application de l’article 538.2 al. 2 C.c.Q. Une telle interprétation me paraît non fondée, puisqu’elle
équivaudrait à attribuer au législateur l’intention de cautionner une duperie, au détriment du
géniteur. Au soutien de cette interprétation, voir Brigitte LEFEBVRE, «Projet de loi 84 : quelques
considérations sur les nouvelles dispositions en matière de filiation et sur la notion de conjoint»,
(2002) 2 Cours de perfectionnement du Notariat 1, 11.
[52]Évidemment, la mère ne pourrait, au nom de l’enfant, intenter une action en réclamation de
paternité contre le géniteur. Admettre une telle hypothèse équivaudrait à reconnaître la possibilité
d’un déni, par la mère, du projet parental qu’elle partageait avec sa conjointe. Par ailleurs, on ne peut
croire à l’efficacité des dispositions sur la procréation «amicalement» assistée que si le géniteur
demeure à l’abri de toute action en réclamation de paternité. Dans le même sens, voir Benoît MOORE,
«Les enfants du nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de la filiation», dans Développements
récents en droit de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 75, à la page 92 et
Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à l’instrumentalisation : La
filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile :
nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p.
337, aux pages 343-344. Bien entendu, si la mère nie l’existence de tout projet parental et parvient à
convaincre le tribunal de la justesse de ses prétentions, le cadre juridique de la procréation assistée
ne sera pas applicable et le soi-disant géniteur pourrait devoir faire face à une action en revendication
de paternité intentée par la mère au nom de l’enfant, selon les règles générales (C.c.Q., art. 532-536).
Au sujet de la preuve du projet parental, voir supra, note 49.
[53]Des questions qui s’ajoutent à celles, déjà très nombreuses, soulevés par la procréation
médicalement assistée. Voir Louise VANDELAC, «La famille reconstituée par la biologie : des flous du
droit au droit floué?», (1999) 33 Revue juridique Thémis 343.
[54]L’accouchement de la mère sous X, processus admis en droit français, soulève la même question,
puisqu’il prive l’enfant du droit d’agir en justice pour faire établir sa filiation maternelle. Voir Code
civil français, art. 341-1. Voir également Catherine LABRUSSE-RIOU, «La filiation en mal
d’institution», (1996) 227 Esprit 91, 102-103.
[55]Notons que l'article 7 de la Convention relative aux droits de l'enfant reconnaît le droit d’un enfant
de connaître ses parents : « L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un
nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses
parents et d'être élevé par eux » : Voir Rés. AG 44/25, Doc. Off. AG NU, 44e sess., supp. n( 49, Doc. NU
A/44/49 (1989) 167. Sur l’importance de ce droit, voir Pierre VERDIER, «Ce que l’adoption nous
apprend à propos des enfants qui ne sont pas nés de la sexualité de leurs parents», dans Martine
GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux,
ESF, 2000, p. 33 et Geneviève DELAISI de PARSEVAL, «Qu’est-ce qu’un parent suffisamment bon?»,
dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-
Moulineaux, ESF, 2000, p. 207, à la page 212.
[56]Pourune analyse de ces enjeux, voir, notamment, Benoît MOORE, «Les enfants du nouveau siècle.
Libres propos sur la réforme de la filiation», dans Développements récents en droit de la famille
(2002), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 75 et Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen
réalité biologique ou non, la filiation reconnue par le droit a toujours été compatible avec le modèle
de la parenté généalogique. Ainsi, l’adoption se voulait jusqu’à tout récemment le reflet «fictif» de la
réalité biologique, puisque les dispositions législatives la régissant étaient fondées sur le schème
père-mère, du moins en principe. Comme l’écrivent Daniel Borrillo et al., «[l]a filiation sociale est en
effet, à bien considérer chacune de ces lois, définie sur le modèle de la reproduction biologique : une
filiation chassant l’autre, la loi imite la nature en confondant géniteur et parents» : Daniel BORRILLO,
Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de
l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 5.
[58]Sylvia GALIPEAU, «Les enfants de l’homoparentalité», Montréal, La Presse, 27 février 2002, p. B-1.
[59]En fait, l’avant-projet sur l’union civile – silencieux sur la question homoparentale – a été présenté
par le ministre de la Justice le 7 décembre 2001. Des auditions portant sur l’avant projet ont eu lieu en
commission parlementaire du 5 février au 21 février 2002. Le projet de loi réformant la filiation a
quant à lui été formellement déposé le 25 avril 2002. Après de courtes consultations tenues du 15 au
23 mai 2002, le projet a été adopté par l’Assemblée nationale le 7 juin 2002, à l’unanimité. La loi est
entrée en vigueur, pour l’essentiel, le 24 juin 2002.
[60]http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020221.htm#_Toc5784870.
[61]Voir,
notamment, Danielle JULIEN, «Trois générations de recherches empiriques sur les mères
lesbiennes, les pères gais et leurs enfants», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.),
L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2003, p. 359, particulièrement aux pages 365-367 (et les nombreuses analyses empiriques
étrangères recensées par l’auteure en bibliographie); Danielle JULIEN, Monique DUBÉ et Isabelle
GAGNON, «Le développement des enfants de parents homosexuels comparé à celui des enfants de
parents hétérosexuels», (1994) 15 Revue québécoise de psychologie 1 et Monique DUBÉ et Danielle
JULIEN, «Le développement des enfants de parents homosexuels : état des recherches et
prospective», dans ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA SANTÉ MENTALE (Filiale de Montréal),
Parentalité gaie et lesbienne : famille en marge?, Actes du colloque des 1er et 2 mars 2001, Montréal,
2001, p. 39. Voir cependant les réserves «instinctives» exprimées par certains psychanalystes :
Caroline ÉLIACHEFF, «Malaise dans la psychanalyse», (2001) 273 Esprit 62, 74-75 et Claude HALMOS,
«L’adoption par des couples homosexuels : et l’enfant?», Psychologies, Paris, mai 1999, p. 26.
[62]Voir Marie-France BUREAU, «L’union civile et les nouvelles règles de filiation : tout le monde à
bord pour redéfinir la parentalité», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union
civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions Yvon
Blais, 2003, p. 385, à la page 386.
[63]Les dispositions relatives à l’autorité parentale se retrouvent aux articles 597 à 612 C.c.Q. La Cour
d’appel du Québec a eu récemment l’occasion de rappeler que les dispositions actuelles du Code civil
du Québec ne permettaient pas un tel partage : Droit de la famille 3444, [2000] R.J.Q.2533 (C.A.). Pour
une opinion contraire, voir Ann ROBINSON, « Homoparentalité et pluriparentalité : d’une filiation
juridique à une parentalité solidaire », dans ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA SANTÉ MENTALE
(Filiale de Montréal), Parentalité gaie et lesbienne : famille en marge? Actes de colloque des 1er et 2
mars 2001, Montréal, 2001, p. 73, à la page 79.
[64]J’emprunte l’expression au professeur Dominique Goubau : «Le caractère contraignant de
l’obligation alimentaire des parents psychologiques», (1991) 51 Revue du Barreau 625.
[65]Telle était d’ailleurs la position défendue par le Barreau du Québec lors des auditions en
commission parlementaire. Voir les propos du professeur Dominique Goubau, en ligne à
http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020212.htm#_Toc4384989. Voir, dans
le même sens, Benoît MOORE, « Les enfants du nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de la
filiation », dans Développements récents en droit de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2002, p. 75, à la page 97 et suiv. Par ailleurs, notons que l’attribution judiciaire d’une autorité
parentale au conjoint du parent existe en droit néo-écossais, sous le nom de « residence order » :
Children and Law Family Services Act, S.N.S. 1990, c. 5, art. 79 et 106(9). Dans le même sens, le droit
belge prévoit la «tutelle officieuse», institution par laquelle les parents peuvent consentir, sous
contrôle judiciaire, à déléguer d’importants attributs de leur autorité parentale en faveur de tiers:
Code civil belge, art. 475bis et suiv. Sur le sujet, voir Jehanne SOSSON, «Les aspects juridiques du droit
belge en matière de formes alternatives d’accueil», dans Marie-Thérèse MEULDER-KLEIN (dir.),
Adoption et formes alternatives d’accueil, Bruxelles, Éditions Story-Scienta, 1990, p.153, aux pages
155-160.
[66]Évidemment, le partage d’autorité parentale, de même que l’institution d’une parentalité
psychologique, se seraient avérés incompatibles avec l’adoption extra-familiale où, à l’origine, l’enfant
n’est filialement lié à aucun des conjoints. Les procédures d’adoption sur consentement général ou
déclaration judiciaire auraient donc dû être menées par un seul conjoint, quitte à ce que ce dernier
consente par la suite au partage de l’autorité parentale en faveur de l’autre ou, à défaut, qu’un tribunal
lui attribue une parentalité psychologique. Pour d’autres réflexions sur le sujet, voir Agnès FINE,
«Pluriparentalités et systèmes de filiation dans les sociétés occidentales», dans Didier LE GALL et
Yamina BETTAHAR (dir.), La pluriparentalité, Paris, P.U.F., 2001, p. 69, à la page 89.
[67]Lelégislateur aurait pu rattacher des droits successoraux aux prérogatives parentales reconnues
au conjoint de même sexe, de manière à permettre à l’enfant d’hériter ab intestat de ce dernier, et
vice-versa.
[68]Agnès FINE, «Vers une reconnaissance de la pluriparentalité», (2001) 273 Esprit 40, 52.
[69]Selon l’article 601 C.c.Q., le titulaire de l’autorité parentale peut déléguer à tout tiers la garde, la
surveillance ou l’éducation de l’enfant. C’est dans cette disposition que, par exemple, la gardienne
d’enfant ou les établissements scolaires puisent leur autorité. Comme l’a précisé la Cour d’appel, la
délégation ne peut toutefois être que temporaire et demeure susceptible de révocation unilatérale par
le titulaire de l’autorité parentale : Droit de la famille-3444, [2000] R.J.Q. 2533 (C.A.).
[70]Ainsi,
la tutelle, la garde et les droits d’accès sont autant d’attributs de l’autorité parentale qui
peuvent être divisés entre plusieurs personnes : C.c.Q., art. 605.
[71]C.c.Q.,art. 606 et suiv. Sur la question, voir généralement Agnès FINE, «Pluriparentalités et
systèmes de filiation dans les sociétés occidentales», dans Didier LE GALL et Yamina BETTAHAR
(dir.), La pluriparentalité, Paris, P.U.F., 2001, p. 69, à la page 89.
[72]Voir,notamment, les remarques finales du ministre de la Justice de l’époque, Monsieur Paul Bégin,
à l’occasion des travaux en commission parlementaire : Journal des débats, Commission permanente
des institutions, 15 mai 2002, en ligne à
www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020221.htm.
[73]Ilsemble qu’aucun autre État que le Québec n’ait reconnu, à ce jour, l’établissement d’une filiation
homoparentale autrement qu’à travers un processus d’adoption. En matière d’adoption, le premier
précédent remonte au 24 mai 1995, date à laquelle la Cour provinciale de l’Ontario déclarait invalide
(parce que contraire au droit à l’égalité consacré par l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits
et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada
(1982), R.-U., c. 11]) la disposition de la loi ontarienne niant aux couples de même sexe le droit de
présenter une demande d’adoption : Re K., (1995) 125 D.L.R. (4th) 653. À l’heure actuelle, l’adoption
est accessible aux couples de même sexe dans d’autres provinces canadiennes et dans certains États
étrangers, que ce soit aux termes de dispositions législatives ou de jugements prononcés par des
tribunaux. Outre l’Ontario, tel est le cas de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, de l’Alberta,
de la Nouvelle-Écosse, des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et de l’État du Vermont. Pour un
exposé sur le sujet, voir Michel MORIN, «La longue marche vers l’égalité des conjoints de même sexe»,
dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile : nouveaux modèles de
conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 63, aux pages 82
à 85. En revanche, la Cour Européenne des droits de l’Homme a récemment refusé d’autoriser
l’adoption d’un enfant par un couple de même sexe : Affaire Fretté c. France (Hudoc référence
REF0000334). De même, la Belgique – qui vient tout juste d’autoriser le mariage gai – a, par la même
occasion, fermé la porte de l’adoption aux couples de même sexe: Loi ouvrant le mariage à des
personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil (adoptée le 30 janvier
2003, publiée le 28 février 2003 et entrée en vigueur le 1er juin 2003), art. 14, en ligne à
www.moniteur.be/index_fr.htm.
[74]Isabelle LAMMERANT, L’adoption et les droits de l’Homme en droit comparé, Bruylant, Bruxelles et
L.G.D.J., Paris, 2001, no 573, p. 553. Tel est aussi le cas de l’adoption simple du droit français (Code
civil français, art. 362). Comme l’écrit le professeur Patrick Courbe, « [l]e jugement qui prononce
l’adoption simple n’est pas obligatoirement transcrit sur les registres de l’état civil. Une mention de
l’adoption en marge de l’acte de naissance de l’adopté suffit [...]. Son acte de naissance originaire est
toujours valable. Solution qui s’explique par le fait que l’adopté garde tous ses liens avec sa famille
d’origine» : Droit de la famille, 2e éd., Paris, Armand Colin, 2001, p. 388, n( 995. Voir supra.
en premier lieu un mécanisme de protection de l’enfant, elle est conçue comme un simple transfert
des droits parentaux avant que d’être un mécanisme d’établissement de la filiation» : Suzanne
PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à l’instrumentalisation : La filiation en
question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile : nouveaux
modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 337,
à la page 357.
[76]En vertu de ce modèle, conceptualisé par l’anthropologue québécoise Françoise-Romaine
Ouellette, «[…] chaque individu est issu de deux autres individus d’une génération ascendante et de
sexe différent qui l’auraient en principe conjointement engendrée, ses père et mère» : Françoise-
Romaine OUELLETTE, «Les usages contemporains de l’adoption», dans Agnès FINE (dir.), Adoptions :
ethnologie des parentés choisies, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, p. 153, aux pages 156-
157. Pour un exposé sur les autres modèles de parenté qui ont pu exister dans certaines sociétés, voir
Anne CADORET, «La filiation des anthropologues face à l’homoparentalité», dans Daniel BORRILLO,
Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de
l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 205.
[77]Évidemment, il faut demeurer conscient qu’en matière de régulation sociale, l’objectivité ne sera
jamais que relative. Commentant cette réalité, Danièle Loschak observe : « […] derrière les calculs
prétendument objectifs se dissimulent des systèmes d’évaluation qui restent fondamentalement
normatifs et n’échappent pas à l’emprise des valeurs dominantes» : «Droit, normalité et
normalisation», dans Le droit en procès, Paris, P.U.F., 1983, p. 52, à la page 75. Cela étant, certains se
commettent dès aujourd’hui à préjuger des conséquences d’une filiation homoparentale sur l’enfant.
Pour un préjugé hautement favorable, voir Marie-France BUREAU, «L’union civile et les nouvelles
règles de filiation au Québec : contrepoint discordant ou éloge de la parenté désirée», p. 6 disponible
en ligne à l’adresse suivante:
http://www.chairedunotariat.qc.ca/fr/conferences/uciv/bureau2002.pdf . Pour un préjugé
défavorable, voir Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à
l’instrumentalisation : la filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE,
(dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2003, p. 337 et Catherine LABRUSSE-RIOU, «La filiation en mal d’institution»,
(1996) 227 Esprit 91, 93 et 105-106. Sur le sujet, voir également les propos de la psychanalyste
Caroline ÉLIACHEFF dans «Malaise dans la psychanalyse», (2001) 273 Esprit 62, 76.
[78]Il est intéressant de noter que certains couples de même sexe se rallieraient eux-mêmes au
principe voulant qu’un enfant puisse n’avoir qu’une seule mère et qu’un seul père. Ainsi, l’ethnologue
Anne Cadoret écrit : « La famille homosexuelle, quelle que soit la forme d’entrée dans la parenté
choisie, doit décider des termes d’appellation de chacun des membres du couple; très peu demandent
à être tous(tes) les deux appelé(e)s «Maman» ou «Papa». Dans les appellations de parenté, on note
donc un respect implicite de la règle fondamentale de notre système terminologique où ces termes de
«Maman» et «Papa» restent uniques, parfaitement descriptifs, parce qu’on n’est engendré que par une
seule femme et un seul homme. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’une autre appellation de parenté
est souvent recherchée; soit les parents choisissent d’être appelés de la même manière, voulant ainsi
uniformiser et consolider leurs rôle et statut de parenté; les parents seront ainsi tous les deux appelés
«Maman» ou «Papa», suivi du prénom, «Maman Marie» par exemple, soit encore, un des membres du
couple, celui qui est le parent légal (et aussi biologique lors de l’insémination) est appelé
«normalement» «Maman» ou «Papa»; et la ou le partenaire est appelé(e) par un autre terme de
parenté comme «tante»/«oncle», «marraine»/«parrain» ou encore «Maman Marie», «Papa Paul»…»:
Anne CADORET, «Figures d’homoparentalité», dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des
lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 169, à la page 172. À l’inverse,
il semble que les enfants vivant dans une famille homoparentale savent très bien différencier parent
et beau-parent : «Le second parent de même sexe – le compagnon ou la compagne – n’est pas perçu
comme un parent de substitution au parent de l’autre sexe, que celui-ci existe ou non. La différence de
sexe ou de genre limite cette possibilité d’autant plus que le besoin pour l’enfant d’avoir des référents
des deux genres est reconnu par tous. Ce compagnon ou cette compagne ne joue donc pas, au moins
au niveau explicite, le rôle de la mère ou du père non présent […] Cette personne peut être assimilée à
quelqu’un appartenant à la catégorie de la parenté spirituelle, un parrain ou une marraine qui prend
le relais des parents, non pas à titre exceptionnel (par exemple en cas de disparition des parents),
mais à titre permanent» : François DE SINGLY et Virginie DESCOUTURES, «La vie en famille
homoparentale», dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence
de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 193, aux pages 202 et 203. Voir cependant les observations
de A. Brewaeys et al. : «Insémination artificielle. Le fonctionnement familial et le développement des
enfants dans des familles de mères lesbiennes», dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état
des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 230, aux pages 233 et 235.
[79]Voir Irène THÉRY, «Le contrat d’union sociale en question», (1997) 236 Esprit 159, 179-182.
[80]Voir Élizabeth Roudinesco, La famille en désordre, Paris, Fayard, 2002.
[81]Anticipant l’accroissement constant des demandes d’adoption présentées par les couples de même
sexe, l’anthropologue québécoise Françoise Romaine Ouellette écrivait, en 1996 : «[l]’enfant adopté
par deux personnes de même sexe […] serait […] délibérément marginalisé par rapport à un système
de filiation que l’on peut considérer comme un bien symbolique commun. […] [s]i un jour le
législateur permet à deux personnes de même sexe d’adopter conjointement un enfant, le sens de
l’adoption – et, avec elle, du lien parent-enfant, s’en trouvera nécessairement altéré» : Françoise-
Romaine OUELLETTE, «Les usages contemporains de l’adoption», dans Agnès FINE (dir.), Adoptions :
ethnologie des parentés choisies, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, p. 153, à la page 168.
D’autres classent plutôt l’adoption homoparentale au rang des «innovations» que pourraient justifier
les changements qu’a connu le «contenu de l’adoption» au cours de l’histoire : Agnès FINE, «Adoption,
filiation, différence des sexes», dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés
et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 73, à la page 85. Pour une synthèse du débat
anthropologique que soulève la conjugalité homosexuelle et la filiation homoparentale : Éric FASSIN,
«La voix de l’expertise et les silences de la science dans le débat démocratique», dans Daniel
BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de
l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 89.
[82]Voir François DAGOGNET, «La famille sans la nature : une politique de la morale contre le
moralisme», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise
familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 79.
[83]Certains prennent appui sur le système juridique de l’adoption simple pour plaider en faveur de la
filiation homoparentale. Ainsi, Pierre Verdier écrit : «Peut-on avoir deux pères et deux mères? La
question ne se pose pas, puisque, de fait, certains enfants ont plusieurs pères et mères. Par hypothèse,
tout ce qui existe est possible. Le droit le prévoit d’ailleurs dans le système de l’adoption simple où un
enfant peut avoir légalement avoir deux pères et deux mères, l’adoption simple étant une nouvelle
filiation qui s’ajoute à la filiation d’origine» : Pierre VERDIER, «Ce que l’adoption nous apprend à
propos des enfants qui ne sont pas nés de la sexualité de leurs parents», dans Martine GROSS (dir.),
Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 33,
à la page 38. D’autres encore évoquent l’admissibilité légale d’une adoption par un célibataire pour
appuyer leurs prétentions. Le droit, observent-ils, cautionne donc des dérogations au schème
biologique : «[…] notre société accepte que des individus célibataires adoptent (ce qui veut dire
explicitement que, pour la loi, l’enfant n’a pas besoin d’une mère et d’un père présents) […]» :
Geneviève DELAISI de PARSEVAL, «Qu’est-ce qu’un parent suffisamment bon?», dans Martine GROSS
(dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000,
p. 207, à la page 208. Sur la rationalité juridique du mariage gai et, plus accessoirement, de la filiation
homoparentale, voir également Daniel BORRILLO, «Fantasmes des juristes vs Ratio juris : la doxa des
privatistes sur l’union entre personnes de même sexe», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et
Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris,
P.U.F., 1999, p. 161.
[84]Une attente pendant laquelle les représentations culturelles de la filiation auraient sans doute
évolué, sous l’impulsion des vents de changements sociaux et juridiques qui, ces dernières années, ont
propulsé la conjugalité homosexuelle et l’homoparentalité à l’avant-scène. Dans cette perspective, on
peut penser que la prégnance du modèle de parenté généalogique sur lequel notre système de
filiation est fondé se relativisera avec les années et que d’autres modèles de filiation s’en trouveront
légitimés, y compris la filiation homoparentale. Ainsi, comme l’affirme Marie-Élizabeth Handman, «
[…] ce qui semble relever de la nature dans notre société relève uniquement de la culture. A quoi on
m’objectera que, même si les cultures sont d’une grande diversité, la nôtre est la nôtre et que l’on ne
saurait impunément en saper les fondements. Or il est non moins évident, au vu des évolutions
historiques, que les fondements pris pour naturels de chaque culture évoluent sous des pressions
d’ordre divers et que les cultures ne sont en rien figées» : «Sexualité et famille : approche
anthropologique», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS.
L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 245, à la page 259. Voir
cependant Françoise HÉRITIER-AUGÉ, «De l’engendrement à la filiation. Approche anthropologique»,
(1989) 44 Topique – Revue Freudienne 173, 174.
[85]Selon
la présidente de la Coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints et conjointes
de même sexe, Mme Irène Demczuck, « […] plus de neuf enfants sur 10 qui ont un parent homosexuel
en ce moment sont nés d'unions hétérosexuelles antérieures […] » : Journal des débats, Commission
permanente des institutions, 5 février 2003, en ligne à
http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020205.htm.
[86]Voir Supra.
[87]Benoît MOORE, « Les enfants du nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de la filiation», dans
Développements récents en droit de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 75, p.
98 et suiv. et Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à
l’instrumentalisation : La filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE,
(dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2003, p. 337, aux pages 348-349.
[88]Commentant le droit français, comparable (avec quelques variantes) au droit québécois sur ce
point, la sociologue Irène Théry dénonce ce vide en ces termes : « Alors même qu’il vit
quotidiennement avec l’enfant, participe à sa prise en charge et son éducation, le beau parent ne
dispose d’aucun droit ni devoir d’autorité parentale […]. La non reconnaissance par le droit civil d’une
responsabilité alors qu’elle est exercée en fait […] est dommageable. » : Irène THÉRY, Couples,
filiation et parenté aujourd’hui – Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, Rapport à
la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, Éditions
Odile Jacob, 1998, p. 215. Il faut toutefois mentionner que la relation d’un enfant et du conjoint de son
parent est considérée dans plusieurs lois à caractère social. En permettant à l’enfant d’obtenir
différents bénéfices sociaux, ces lois traduisent plus ou moins directement la relation
d’interdépendance entre les protagonistes. Voir, notamment, la Loi sur le régime des rentes du
Québec, L.R.Q., c. R-9, art. 86, al. 1b) qui intègre le beau-fils ou la belle-fille aux personnes susceptibles
de bénéficier d’une prestation. Pour un exposé sur le sujet, voir Claire BERNARD, «Le statut juridique
de la famille recomposée et l’intérêt de l’enfant», (1999) 33 Revue Juridique Thémis 343, 355 et suiv.
[89]Loisur le divorce, L.R.C., 1985, c. 3 (2e suppl.), art. 2(2). Comme la Cour suprême l’a écrit en 1998 :
« L'interprétation la plus favorable à l'intérêt des enfants est celle qui veut que lorsque des personnes
se comportent comme des parents à leur égard, les enfants peuvent s'attendre à ce que ce lien
subsiste et que ces personnes continuent à se comporter comme des parents » : Chartier c. Chartier,
[1999] 1 R.C.S. 242, 258.
[90]Quelques jugements ont confirmé cette absence de relation juridique. Voir, notamment, V.A. c. S.F.,
[2001] R.J.Q. 36, (C.A.); Droit de la famille-2347, [1996] R.D.F. 129 (C.S.); Droit de la famille1860,
[1993] R.D.F. 598 (C.S.). Voir cependant Droit de la famille-3687, [2000] R.D.F. 505 (C.S.) où le
tribunal semble, au contraire, reconnaître la potentialité juridique d’une telle relation en droit
québécois. Contrairement au Québec, la quasi-totalité des autres provinces canadiennes attribuent
des obligations et des droits parentaux au conjoint de fait à l’occasion de la rupture conjugale. Voir
Colombie-Britannique: Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128, art. 1 et 88; Ile-du-Prince-Édouard:
Family Law Act, 1995 S.P.E.I., c. F-2.1, art. 1(1)(e) et 31.1(1); Manitoba : Family Maintenance Act,
R.S.M. c. F-20, art. 1 et 36(1); Nouveau-Brunswick: Family Services Act, S.N.B. c. F-2.2, art. 1 et 113;
Nouvelle-Écosse: Maintenance and Custody Act, R.S.N.S. 1989, c. 160, art. 8; Ontario: Family Law Act,
R.S.O. 1990, c. F.3, art. 1 et 31(1); Saskatchewan: The Family Maintenance Act, S.S. 1997, c. F-6.2, art. 2
et 3(1) et Terre-Neuve: Family Law Act, R.S.N. 1990, c. F-2, art. 2(1)(d) et 37.
[91]Ainsi,le tribunal conserve toute discrétion pour octroyer la garde de l’enfant ou des droits d’accès
à toute personne autre que le parent de l’enfant (y compris le conjoint), s’il estime que l’intérêt de
l’enfant le justifie : C.c.Q., art. 33, 605 et 606. La Cour suprême a d’ailleurs confirmé ce principe en
1987 dans l’affaire G.C. c. T.V.-F., [1987] 2 R.C.S. 244. En pratique cependant, il semble que les
tribunaux n’attribuent qu’exceptionnellement la garde ou des droits d’accès à d’ex-conjoints de fait.
Voir Michel TÉTRAULT, «L’enfant et les droits d’accès du parent psychologique», dans
Développements récents sur l’union de fait (2000), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 51, à la
page 55, de même que les décisions recensées par l’auteur aux pages 57 et suiv.
[92]Mes italiques. L.R.Q., c. C-12.
[93]On aura reconnu ici l’une des quatre fonctions du droit dégagées par Vincenzo Ferrari, soit le « […]
(net drive(, c’est-à-dire le pouvoir [du droit] d’orienter globalement une société vers des buts
utilitaires» : «Fonction du droit», dans André-Jean ARNAUD et al., Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du droit, 2e éd., Paris, L.G.D.J. et É. Story-Scienta-éditions juridiques et fiscales,
1993, p. 267. Ainsi, comme l’explique longuement Jacques Chevallier, « [l]e droit est aussi un discours
imprégné des valeurs fondamentales qui assurent la cohésion du groupe social et transcrivant [sic]
les déterminations élémentaires qui sont au coeur de l’ordre social : dans la norme juridique se
profile une certaine conception de la (normalité(, pétrie des représentations sociales dominantes. Or,
le droit est un vecteur privilégié de diffusion et d’inculcation de ces valeurs et de ces normes, dans la
mesure où la conjugaison de la systématicité et de la force persuasive confèrent à son discours une
singulière puissance persuasive, en la parant du privilège de l’incontestabilité; les représentations
qu’il véhicule bénéficient en effet par projection tout à la fois de l’aura de « rationalité » qui nimbe
l’ordre juridique entier et de l’ « autorité » qui s’attache à ses énoncés : la force obligatoire n’est pas
limitée au dispositif instrumental, elle s’étend aux valeurs qui en sont le soubassement. Parallèlement
à son contenu explicite, le texte juridique impose par voie d’autorité un ensemble de croyances, dont
la certitude ne saurait être mise en doute : il suffit qu’elles soient enchâssées dans la loi pour devenir
incontestables et sacrées» : «L’ordre juridique», dans Le droit en procès, Paris, P.U.F., 1984, p. 7, à la
page 29. Sur l’effet « pédagogique » ou « éducatif » de la loi, voir également Jean CARBONNIER,
Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris, L.G.D.J., 2001, p. 155 et suiv.
[94]Cefaisant, l’État a marqué de manière formelle l’entrée des couples de même sexe au sein de ce
que Jacques Commaille et Claude Martin appellent le «régime de citoyenneté»: «Les conditions d’une
démocratisation de la vie privée», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-
delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 61, aux pages
75-58.
[95]Pour une analyse des valeurs sous-jacentes aux aspirations des gais et lesbiennes, voir Andrée
LAJOIE, Quand les minorités font la loi, Paris, P.U.F., 2002, p. 34 et suiv.
[96]Pourune perspective similaire, voir Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état
inaliénable à l’instrumentalisation : La filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte
LEFEBVRE, (dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 337, à la page 353.
[97]Ilfaut ainsi se réjouir du récent dépôt, par le ministre de la Justice du Canada, d’un avant-projet de
loi élargissant les conditions d’accessibilité du mariage civil au bénéfice des couples de même sexe:
«Le mariage est, sur le plan civil, l'union légitime de deux personnes, à l'exclusion de toute autre
personne». Cet avant-projet fait actuellement l’objet d’un renvoi devant la Cour suprême du Canada :
Voir MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, Le ministre de la Justice annonce un renvoi devant la
Cour suprême du Canada, Communiqué, Ottawa, 17 juillet 2003. Selon toute vraisemblance, l’avant-
projet fédéral fait suite aux décisions de certains tribunaux canadiens ayant déclaré, au cours des
derniers mois, l’exclusion des couples de même sexe de la définition du mariage civil contraire au
droit à l’égalité garanti par l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982) [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982), R.-U., c. 11]). Voir
Hendrick c. P.G., J.E. 2002-1742 (C.S.) (Québec); Halpern c. Canada attorney general, (2003) C.A.O.
Docket: C39172 et C39174 (Ontario) et Egale Canada inc. c. Canada(Attorney General of), 2003 B.C.J.
No. 994 (Colombie-Britannique).
[98]Certains ne partagent manifestement pas cette perspective. Ainsi, Éric Dubreuil écrit : « Le désir
d’enfant n’est pas moins fort chez un homosexuel que chez un hétérosexuel. De ce fait, l’homosexuel
doit avoir les mêmes droits qu’un hétérosexuel par rapport à cela […] un homosexuel doit pouvoir se
marier s’il le veut et avoir le droit d’avoir des enfants s’il le désire » : Des parents du même sexe, Paris,
Odile Jacob, 1998, p. 80 (cité dans Claude HALMOS, «L’adoption par des couples homosexuels : et
l’enfant?», Psychologies, Paris, mai 1999, p. 28).
[99]«[…] les questions du mariage et de la filiation sont posées au moment même où les réponses ne
sont plus données de manière transcendante. Il convient donc de les produire : ce sont bien des choix
politiques. Loin d’être soustraite au débat démocratique, la définition du mariage et de la filiation y
est désormais immanente» : Éric FASSIN, «La voix de l’expertise et les silences de la science dans le
débat démocratique», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS.
L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 89, à la page 92.