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L’évolution de la politique

législative de l’union
de fait au Québec
Alain Roy*

INTRODUCTION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

A. Éléments de droit québécois . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

1. La réforme du droit de la famille (1980) : l’entrée


de l’union de fait dans la licéité . . . . . . . . . . . . . . 85

2. L’institution du patrimoine familial (1989) :


la question de l’union de fait à l’ordre du jour . . . . . . 96

3. La réforme du Code civil du Québec (1991) :


la confirmation d’un choix de société . . . . . . . . . . 101

4. La loi 32 sur les droits sociaux (1999) : l’uniformisation


des définitions et la reconnaissance des conjoints
de fait de même sexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

5. L’avènement de l’union civile (2002) : la consolidation


du régime juridique de l’union de fait . . . . . . . . . . 110

B. Éléments de droit comparé . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

1. Le droit français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

* LL.D. Professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Ce texte


constitue l’expertise produite en 2008 pour le compte du Procureur général du
Québec dans le dossier Lola c. Éric.

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a) La lente ascension du « concubinage »


en droit civil français . . . . . . . . . . . . . . . . 121

b) Le droit social et fiscal . . . . . . . . . . . . . . . 124

c) La loi du 15 novembre 1999 introduisant le


Pacte civil de solidarité... . . . . . . . . . . . . . . 126

d) ... et le concubinage . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

2. Le droit belge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

a) Un code civil emprunté, une évolution


semblable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

b) Le droit social et fiscal . . . . . . . . . . . . . . . 135

c) La Loi du 23 novembre 1998 instituant la


cohabitation légale . . . . . . . . . . . . . . . . . 136

3. Le droit des provinces canadiennes de


common law . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141

a) Common law et droit statutaire . . . . . . . . . . 141

b) Le droit social et fiscal . . . . . . . . . . . . . . . 144

c) Le droit privé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

d) La loi néo-écossaise du 19 avril 2000 instituant


le régime de « domestic partnership » . . . . . . . 147

CONCLUSION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152


INTRODUCTION GÉNÉRALE

Au Québec, la progression de l’union de fait figure au rang des


phénomènes sociaux les plus fascinants des 30 dernières années. De
1981 à 2001, la proportion de couples vivant en union de fait est
passée de 7,9 % à 28,8%1. Selon Statistique Canada, cette croissance
se serait poursuivie entre 2001 à 20062. Chez nous, observe-t-on, plus
du tiers des couples opteraient pour l’union de fait, une proportion
nettement supérieure à celle que l’on peut observer dans les autres
provinces canadiennes3.

Dire que le droit reflète les changements sociaux est un lieu


commun, mais un lieu commun qui se révèle plus véridique que
jamais. Si le législateur québécois faisait autrefois preuve de grande
retenue à l’égard de l’ensemble législatif dont il voulait préserver la
cohérence, il n’hésite plus aujourd’hui à recourir au droit pour norma-
liser les problématiques sociales émergentes4. L’évolution des règles
juridiques applicables à l’union de fait est très révélatrice de cette
tendance. Depuis 1980, le législateur québécois n’a pas cessé de
s’intéresser à l’union de fait, non seulement pour consolider la légi-
timité sociale nouvellement acquise par les conjoints de fait, mais
également pour leur reconnaître un certain nombre de droits et
d’avantages.

Ce texte expose l’histoire législative récente de l’union de fait au


Québec et tente d’en démontrer la spécificité à la lumière du droit
étranger. À cet égard, il répond au document présenté par le pro-
fesseur Benoît Moore intitulé « Nature et évolution historique du

1. Chantal GIRARD, La situation démographique au Québec – Bilan 2007, Institut de


la statistique du Québec, Québec, 2007, p. 66.
2. STATISTIQUE CANADA, Portrait de famille : continuité et changement dans les
familles et les ménages au Canada en 2006, Recensement de 2006, no 97-553-XF1,
p. 10.
3. Guillaume BOURGAULT-CÔTÉ, « Le Québec, champion mondial de l’union libre »,
Le Devoir, 13 septembre 2007, disponible à <http://www.ledevoir.com/2007/09/13/
156634.htmI>.
4. Christine MORIN, L’émergence des limites à la liberté de tester en droit québécois :
étude socio-juridique de la production du droit, thèse de doctorat, Montréal, Faculté
des études supérieures, Université de Montréal, 2007, p. 344-350.

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84 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

mariage ». Ensemble, les deux rapports devraient permettre de tra-


cer un portrait relativement complet des règles régissant la conjuga-
lité au Québec.

La première partie recense les grandes étapes législatives au


cours desquelles l’État québécois a contribué à façonner le cadre nor-
matif de l’union de fait. Pour chacune des étapes identifiées, nous
expliquerons la teneur, la portée et la finalité des règles adoptées en
matière d’union de fait, en prenant soin de dégager le contexte social
et politique à la base des innovations législatives. Nous puiserons
l’éclairage nécessaire dans les travaux parlementaires et, le cas
échéant, dans la doctrine et la jurisprudence5.

Nous comparerons ensuite la loi québécoise au droit des princi-


paux États de droit civil que sont la France et la Belgique et à celui
des autres provinces canadiennes. Cet exposé devrait nous permettre
de constater que le cadre légal à l’intérieur duquel évoluent aujour-
d’hui les conjoints de fait québécois6 ne tient pas du déni de légitimité,
mais qu’il procède plutôt d’une vision distinctive axée sur les valeurs
de liberté et d’autonomie. Plus précisément, notre analyse nous
amènera à conclure (voir la conclusion aux pages 152 à 154, suivie de
notre curriculum vitæ aux pages 80 à 105) que :

• Le choix politique de ne pas réglementer les rapports mutuels des


conjoints de fait a été clairement affirmé lors de la réforme du droit
de la famille de 1980 et ensuite reconduit avec force en 4 autres
occasions ;

5. La présente étude n’a pas pour objectif de décrire les droits et obligations dont les
conjoints de fait peuvent se prévaloir en vertu du droit commun ou en trouvant
appui sur une interprétation libérale de la notion de l’intérêt de l’enfant, si appli-
cable. En conséquence, nous ne traiterons pas des développements jurisprudentiels
et doctrinaux relatifs à l’action en enrichissement sans cause et en partage d’une
société tacite que certains conjoints de fait intentent. Nous n’analyserons pas
davantage les décisions judiciaires où l’on a attribué certains droits dans la rési-
dence familiale au conjoint de fait non propriétaire, en prenant appui sur le principe
du meilleur intérêt de l’enfant, le cas échéant. À ce propos, le lecteur pourra consul-
ter l’ouvrage de Jocelyne JARRY, Les conjoints de fait au Québec. Vers un encadre-
ment légal, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 115-145 et le texte de Jocelyn
VERDON, « L’égalité entre les enfants d’une union de fait et ceux du mariage. Réa-
lité ou utopie ? », dans Conjoints de fait : leurs droits et leurs recours, Montréal CCH,
mai 2008, p. 1.
6. Nous ne discuterons pas des éléments de définition de la notion de « conjoint de
fait », si ce n’est de façon accessoire. Ainsi, nous présenterons l’évolution du droit
des conjoints de fait sans faire référence aux critères de qualification que le législa-
teur peut imposer aux couples en union de fait, que ce soit aux plans de la durée de
leur relation, de la notoriété, de la cohabitation sous un même toit ou de tout autre
aspect.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 85

• Ce choix politique a été fait en toute connaissance de cause,


d’autres options ayant été ouvertement discutées et débattues au
sein des instances parlementaires ;

• L’État québécois aborde aujourd’hui les statuts conjugaux que


sont le mariage, l’union civile et l’union de fait en toute neutralité,
les époux, les conjoints unis civilement et les conjoints de fait béné-
ficiant des mêmes droits et avantages sociaux, sans distinction ;

• Toute comparaison du droit québécois avec certains droits étran-


gers doit être faite avec circonspection puisque :

• Dans certains États (France et Belgique), l’absence d’enca-


drement des rapports qu’entretiennent les conjoints de fait
témoigne effectivement d’un déni de légitimité et d’une volonté
législative de maintenir une certaine forme de hiérarchisation
des statuts conjugaux ;

• Dans d’autres États (provinces canadiennes-anglaises), l’exis-


tence de certaines obligations entre conjoints de fait traduit
diverses préoccupations gouvernementales au rang desquelles
on doit considérer le bénéfice indirect que l’État est susceptible
d’en retirer sur le plan des finances publiques.

A. Éléments de droit québécois

1. La réforme du droit de la famille (1980) :


l’entrée de l’union de fait dans la licéité

Si l’union de fait représente aujourd’hui une manière sociale-


ment et juridiquement acceptable de vivre une relation conjugale, il
n’en a pas toujours été ainsi. Avant la réforme du droit de la famille de
1980, l’union de fait – alors dénommée « concubinage » – n’était rien
de moins qu’un état contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs7.
Dans une société assujettie à l’emprise du clergé comme l’était le

7. Édith DELEURY, « Le concubinage au Québec et dans l’ensemble du Canada. Deux


systèmes juridiques, deux approches », dans Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI
(dir.), Des concubinages dans le monde, Paris, Éditions du CNRS, 1990, p. 85, p. 88
et Ernest CAPARROS, « Observations sur la première partie du rapport de
l’O.R.C.C. sur la famille », (1975) 16 C. de D. 621, 623.
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Québec, le couple et la famille ne pouvaient bénéficier d’assises légiti-


mes qu’à travers le mariage8.

Les dispositions de l’ancien Code civil du Bas Canada en


matière familiale laissent clairement entrevoir l’angle moral sous
lequel les rapports hors mariage étaient autrefois observés9. Con-
vaincu de la menace que pouvait représenter l’union de fait sur la sta-
bilité de la famille et la morale publique10, l’État ne reconnaissait de
droits qu’aux seuls époux11. Loin d’être ignorés par le droit civil, les
concubins étaient l’objet d’une suspicion pour le moins évidente12.
Comme l’écrivait le professeur Jean Pineau, le législateur distinguait
« [...] le mariage – « cérémonial social » – de l’union libre, ce qui est
digne de ce qui l’est moins »13. Ainsi niait-il expressément aux concu-

8. « [...] si l’union libre est vécue de la même façon que l’union [matrimoniale],
c’est-à-dire consentie, strictement observée et maintenue, pourquoi favoriser le
mariage et proscrire le concubinage ? Il s’agirait là d’une morale laïque équiva-
lente à la morale chrétienne » : Jean PINEAU, Traité élémentaire de droit civil.
La Famille, Montréal, P.U.M., 1972, p. 18.
9. Cette angle moral se percevait parfois en jurisprudence, comme en fait foi cette
déclaration du juge Rinfret appelé à disposer de la demande de pension alimen-
taire d’une conjoint de fait à l’égard de son ex-époux : « Que des personnes vivent
en concubinage, c’est leur affaire ; je n’ai pas à les juger ; mais qu’elles ne comptent
pas sur quelqu’un d’autre, qu’elles prennent les dispositions requises pour subve-
nir elles-mêmes aux besoins du ménage » : Michaud c. Bernier, [1976] C.A. 469,
472.
10. « Accorder au concubinage un droit de cité en droit civil n’est pas la meilleure façon
de favoriser la stabilité entre conjoints ni, par conséquent, l’épanouissement de la
famille » : Ernest CAPARROS, « Observations sur la première partie du rapport
de l’O.R.C.C. sur la famille », (1975) 16 C. de D. 621, 623. « Reconnaître le concubin
comme héritier légal au même titre que l’époux est un encouragement à la désa-
grégation de la famille » : Armand LAVALLÉE, « Correspondance. Le concubin,
héritier légal », (1976-77) 79 R. du N. 152.
11. Le droit social ne reconnaissait pas davantage l’union de fait. La relation d’inter-
dépendance économique pouvant exister entre les concubins était tout simple-
ment ignorée par l’État. Bien que le législateur québécois ait permis, dès 1965, à
une « veuve non mariée » d’obtenir une rente viagère en vertu de la Loi sur le
régime de rentes (L.Q. 1965, ch. 24, art. 105), ce n’est qu’après l’adoption de la
Charte des droits et libertés de la personne en 1975 que les conjoints de fait purent
véritablement accéder aux mêmes prestations, services publics et programmes
sociaux que les personnes mariées. Sur le sujet, voir infra, p. 103 et s.
12. « Il est clair que le droit civil ne favorisait aucunement le concubinage et le punis-
sait sévèrement » : André COSSETTE, « Le concubinage au Québec », (1985) 88 R.
du N. 43, 45. Voir cependant Dominique GOUBAU pour qui le C.c.B.C. n’était pas
véritablement hostile à l’égard des conjoints de fait, mais se contentait de les
ignorer : « Le Code civil du Québec et les concubins : un mariage discret », (1995) 74
Rev. du Bar. can. 474, 475.
13. Jean PINEAU, Traité élémentaire de droit civil. La Famille, Montréal, P.U.M.,
1972, p. 11. Voir également Pierre-Basile MIGNAULT, Le droit civil canadien, t.
IV, Montréal, Théorêt, 1899, p. 45 et François LANGELIER, Cours de droit civil
de la province de Québec, t. III, Montréal, Wilson & Lafleur, 1907, p. 25.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 87

bins le droit de se consentir des donations entre vifs14, les privant de


ce fait d’une forme d’organisation contractuelle susceptible de conso-
lider leur relation et d’en assurer une certaine stabilité15.

Qui plus est, le législateur discréditait sévèrement les enfants


issus du concubinage16. Désignés sous le vocable d’« enfants natu-
rels »17, ceux-ci étaient privés d’un grand nombre de prérogatives
légales. À moins d’avoir été légitimés par le mariage subséquent de
leurs parents18, les enfants naturels ne pouvaient compter sur le
devoir d’entretien et d’éducation auquel les parents sont normale-

14. Les conjoints de fait pouvaient toutefois se consentir des aliments par donation
entre vifs. Ainsi se lisait l’article 768 C.c.B.C. : « Les donations entre vifs faites par
le donateur à celui ou à celle avec qui il a vécu en concubinage, à ses enfants inces-
tueux ou adultérins, sont limitées à des aliments. Cette prohibition ne s’applique
pas aux donations par contrat de mariage intervenu entre les concubinaires. Les
autres enfants illégitimes peuvent recevoir des donations entre vifs comme toutes
autres personnes ». Notons que la prohibition légale n’a jamais trouvé application
en matière testamentaire. Vu la liberté illimitée de tester introduite en 1774 par
l’Acte de Québec, les concubins ont toujours pu se consentir des legs. Soulignons
que les tribunaux québécois n’ont jamais considéré de tels legs comme étant con-
traires à l’ordre public et aux bonnes mœurs suivant l’article 831 C.c.B.C. Ainsi,
dans Archambault c. Guérin, Cour du Banc de la reine, Montréal, 28 avril 1948,
no 2974 (cité par André Morel à la note 33 de sa thèse publiée sous le titre Les limi-
tes de la liberté testamentaire dans le droit civil de la province de Québec, Paris,
1960, L.G.D.J.), la Cour d’appel déclarait : « Étant donné la liberté complète de tes-
ter qui existe en cette province, rien n’empêche un homme de déshériter son
épouse et sa famille en faveur de sa concubine, quelque malheureuse puisse être
une telle décision ». Voir cependant Vaudreuil c. Falardeau, [1950] R.P. 193 où le
juge Fabre-Surveyer procéda à l’annulation d’un tel legs. Par ailleurs, suivant l’in-
terprétation de la Cour supérieure, la concubine désignée comme bénéficiaire
d’une police d’assurance-vie pouvait recueillir le produit au décès de l’assuré, l’as-
surance-vie n’étant pas assimilée à la donation prohibée par l’article 768 C.c.B.C. :
Lessard c. Denis et autre, [1970] C.S. 521.
15. « En effet, écrit le notaire Jean Sylvestre, l’article 768 C.C.B.-C., en prohibant
toutes donations entre vifs entre concubins et entre personnes ayant vécu en
concubinage, fermait la porte à tous arrangements financiers quelconques entre
personnes vivant en union libre, revêtant un caractère de libéralités, de gratuité
ou de don. Or, puisqu’on retrouve presque toujours l’un ou l’autre de ces caractères
dans ce qu’il est convenu d’appeler des accords entre conjoints ou concubins, il
était impossible de penser à convenir de tels accords entre concubins » : Jean
SYLVESTRE, « Les accords entre concubins », [1981] C.P. du N. 197.
16. Sur le statut juridique de l’enfant naturel, voir Jean PINEAU, « La situation
juridique des enfants nés hors mariage », (1973) 8 R.J.T. 209 et Jean-Louis
BAUDOUIN, « Examen critique de la situation juridique de l’enfant naturel »,
(1966) 12 R.D. McGill 157.
17. Pour un exposé sur les différentes catégories d’« enfants naturels » prévues par le
C.c.B.C., voir Jean PINEAU, Traité élémentaire de droit civil. La Famille, Mont-
réal, P.U.M., 1972, p. 127 et s.
18. Jean PINEAU, Traité élémentaire de droit civil. La Famille, Montréal, P.U.M.,
1972, p. 137.
88 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

ment tenus envers leur progéniture19. Les enfants naturels ne pou-


vaient non plus hériter ab intestat de leurs ascendants, la dévolu-
tion successorale demeurant fondée sur la légitimité20. Fruit d’une
relation conjugale jugée socialement répréhensible, l’enfant naturel
n’était en fait qu’un « déclassé juridique »21. Comme l’écrivait Jean-
Louis Baudouin, alors professeur :

Les raisons juridiques qui ont été invoquées pour justifier l’ignorance
du groupe de la famille naturelle transparaissent clairement à la lec-
ture de notre Code [...] : désir de protéger les droits de la famille légi-
time, refus de sanctionner une conduite contraire aux bonnes mœurs,
refus d’encourager la prolifération des unions libres, etc.22

Il fallut attendre la réforme du droit de la famille de 1980 (intro-


duite par la Loi 89)23 pour que l’union de fait fasse officiellement son
entrée dans la licéité. Une entrée toute en douceur provoquée par
l’abrogation des dispositions de l’article 768 C.c.B.C. prohibant les
donations entre les concubins24. Aux yeux des commentateurs, la dis-

19. Seule une obligation alimentaire limitée était imposée aux parents de l’enfant
naturel : art. 240 C.c.B.C. Ce n’est qu’en 1970 que les parents furent formellement
soumis au devoir d’entretien et d’éducation à l’égard de leur enfant naturel : Loi
modifiant le Code civil et concernant les enfants naturels, L.Q. 1970, c. 62.
20. Art. 598 et 606 C.c.B.C. Les enfants naturels pouvaient cependant recevoir par
testament, en vertu du principe de la liberté de tester. Toutefois, comme l’écrit
André Cossette, « [...] rares sont les testateurs qui iront, par leur testament,
rendre public un fait qui n’est connu que par eux et qui, par surcroît, viendrait ter-
nir la bonne réputation qu’ils avaient de leur vivant, car, il faut se rappeler que la
naissance d’un enfant hors mariage était encore considérée, jusqu’à récemment,
comme étant le signe visible d’un dérèglement des mœurs, le résultat d’un acte
méprisable... » : André COSSETTE, « Le concubinage au Québec », (1985) 88 R. du
N. 43, 48.
21. L’expression est de Jean-Louis BAUDOUIN : « Examen critique de la situation
juridique de l’enfant naturel », (1966) 12 R.D. McGill 157, 158. Notons que l’enfant
naturel pouvait être légitimé par le mariage subséquent de ses parents : art. 237
C.c.B.C.
22. Jean-Louis BAUDOUIN, « Examen critique de la situation juridique de l’enfant
naturel », (1966) 12 R.D. McGill 157, 158.
23. Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q.
1980, c. 39.
24. Ibid., art. 35. Évidemment, l’institution du principe d’égalité entre les enfants
(consacré à l’article 594 C.c.Q., aujourd’hui l’article 522) participe également de
l’élévation juridique de l’union de fait. Le professeur Goubau écrit en ce sens : « En
affirmant clairement le principe de l’égalité juridique de tous les enfants quelles
que soient les conditions de leur naissance, le Code civil reconnaît du même coup
que le mariage n’est plus le cadre obligé de la famille. D’autre part, la consécration
du principe de l’égalité des enfants a pour conséquence que les droits des enfants
nés hors mariage sont identiques à ceux des enfants qui étaient qualifiés autrefois
de « légitimes », avec des conséquences importantes dans différents secteurs du
droit civil où traditionnellement le statut des enfants naturels (« illégitimes »)
était caractérisé par une quasi-absence de droits [...] » : Dominique GOUBAU,
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 89

parition de ces dispositions a marqué la fin d’une époque et le début


d’une autre. En éliminant du Code la dernière limite à la liberté con-
tractuelle des conjoints de fait, le législateur leur conférait le bénéfice
d’en appeler au droit pour encadrer leur relation25. Désormais, de tel-
les conventions seraient jugées valides et exécutoires devant les
tribunaux, sans que l’on ne puisse y voir une atteinte directe ou indi-
recte à l’ordre public et aux bonnes mœurs26.

À première vue, l’intervention du législateur québécois paraît


bien timide. Bien que les conjoints de fait se soient vu octroyer le
droit de convenir d’ententes, le législateur n’a pas pour autant
reconnu d’effets juridiques à leur relation. Alors même qu’il se lais-
sait convaincre de consolider les effets générés par le mariage par
l’adoption d’un nouveau régime primaire27, le législateur n’aura
prévu aucune obligation mutuelle entre conjoints de fait.

D’aucuns ont pu voir dans cette retenue la manifestation d’un


manque d’égard, voire d’une méfiance toujours vive à l’égard de
l’union de fait28. Les conjoints de fait, ont-ils pu croire, ne méritaient

Ghislain OTIS et David ROBITAILLE, « La spécificité patrimoniale de l’union de


fait : le libre choix et ses dommages collatéraux », (2003) 44 C. de D. 3, 13.
25. D’aucuns ont vu dans l’abrogation de l’article 768 C.c.B.C. une manifestation du
droit à l’égalité garanti par la charte québécoise des droits et libertés adoptée
quelques années plus tôt : André COSSETTE, « Le concubinage au Québec »,
(1985) 88 R. du N. 43.
26. Soulignons toutefois que l’article 768 C.c.B.C. faisait déjà, depuis quelques
années, l’objet d’une interprétation restrictive de la part des tribunaux. Ainsi,
dans Belleau c. Carrier, [1971] C.A. 58, la Cour d’appel limitait la portée de la dis-
position aux seules donations entre ex-concubins, considérant de ce fait comme
valides les donations entre concubins faisant toujours vie commune. Voir sur la
question Michelle GIROUX et Anouk LAURENT, « L’union de fait en droit québé-
cois », (1989) 20 R.G.D. 129, 135-136. Voir également Michel LÉGARÉ, « Libéra-
tions des donations entre vifs entre concubins », (1977) 79 R. du N. 278.
27. Du mariage, articles 115 à 185 (numérotation de 1980).
28. Voir en ce sens Michelle GIROUX et Anouk LAURENT, « L’union de fait en droit
québécois », (1989) 20 R.G.D. 129, 135 et 142 : « Il n’est pas étonnant de constater
le quasi-silence du législateur dans les codes civils parce que le droit civil se veut
l’organisation législative d’une société qui préfère encore le mariage au concubi-
nage. [...] Le législateur a choisi de ne pas institutionnaliser l’union de fait, favori-
sant ainsi le mariage ». D’autres conçoivent plutôt l’intervention du législateur
sous l’angle de l’indifférence : Dominique GOUBAU, Ghislain OTIS et David
ROBITAILLE, « La spécificité patrimoniale de l’union de fait : le libre choix et ses
dommages collatéraux », (2003) 44 C. de D. 3, 11. Commentant la même dyna-
mique législative, le député de Rimouski, Alain Marcoux, parle plutôt de « recon-
naissance » : « Un autre point qui m’apparaît important, dans la loi et qui, je pense,
est très sage, c’est de reconnaître un fait. Il y a des unions de fait, des couples qui
vivent ensemble, qui ont choisi de vivre ensemble sans faire reconnaître légale-
ment cette union. On respecte ce choix, on admet légalement qu’il y a des gens
qui souhaitent demeurer ensemble, être unis, mais sans vouloir faire reconnaître
90 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

pas la protection de la loi. L’analyse des travaux parlementaires qui


ont précédé l’entrée en vigueur de la réforme permet de relativiser
cette impression. Après avoir déclaré devant l’Assemblée nationale
que la nouvelle loi s’attachait, dans tous ses aspects, à concrétiser
l’affirmation et la protection de la dignité, de la liberté et de l’égalité
des membres de la famille, le ministre de la Justice de l’époque,
Marc-André Bédard, ajoutait :

Une autre application concrète du principe de liberté des individus


dans le choix de la forme d’organisation de leur cellule familiale doit
également exister à l’égard de l’union de fait. Lors de la commission
parlementaire de la justice sur la réforme du droit de la famille en mars
1979, la plupart des mémoires soumis demandaient aux législateurs de
respecter cette volonté des couples non mariés de distinguer leur choix
de formule de vie par rapport au mariage. Il nous a donc paru opportun
de ne pas intervenir à l’égard de ce mode de vie librement décidé ; il n’y a
donc pas lieu de l’institutionnaliser ou de le réglementer. Par ailleurs,
dans la logique du respect absolu de cette formule, il a paru raisonnable
de placer les personnes vivant en union de fait sur le même pied que
les autres justiciables en proposant d’abolir les restrictions que leur
impose l’article 768 du Code civil qui limite leur droit de se faire des
donations.29

Il est donc faux de prétendre que le législateur a ignoré l’union


de fait en s’abstenant d’établir toute forme d’obligations entre con-
joints de fait. Son abstention témoigne plutôt d’une vision clairement
orientée vers le respect de leur autonomie et de leur liberté30. Une

juridiquement ce fait. Par contre, dans le droit actuel, ces couples ne pouvaient
pas se faire des donations réciproques. On enlève, en somme, cette chose qui était
interdite et on la rend possible ; par ceci, je pense qu’on accroît, dans notre droit
familial, un élément de justice » : ASSEMBLEE NATIONALE DU QUÉBEC,
Journal des débats, 4 décembre 1980, no 15, p. 645.
29. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 4 décembre 1980,
no 15, p. 608 (adoption du projet de loi 89 en deuxième lecture). Cette position a
reçu l’aval du chef de l’Opposition officielle de l’époque, Claude Ryan. À la page
663, celui-ci s’exprime ainsi : « Sur l’union de fait, par conséquent, je pense qu’il
faut procéder avec beaucoup de prudence. Si les personnes ne veulent pas conférer
elles-mêmes un caractère juridique ou légal à leur union, il ne peut pas être ques-
tion de le leur imposer de force, non plus ».
30. Dans l’affaire Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, 450, le juge Gonthier semble
reconnaître cet état de fait : « Je trouve intéressantes, également, certaines obser-
vations du procureur général du Québec, qui a expliqué que l’on avait décidé, lors
de la grande réforme du droit de la famille au Québec en 1980, de ne pas étendre
aux couples non mariés les droits et obligations rattachés au mariage ; cette déci-
sion a été prise pour respecter le choix des couples non mariés, non pour les stig-
matiser ». Deux des principaux responsables de la réforme de 1980 à la direction
de la législation ministérielle du ministère de la Justice du Québec partagent éga-
lement cette vue. Ainsi, écrit Marie-Josée Longtin : « La Loi n’a pas voulu traiter
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 91

vision dont le caractère éclairé semble par ailleurs difficilement


contestable, l’idée d’assujettir les conjoints de fait à différentes obli-
gations mutuelles (dont l’obligation alimentaire)31 ayant été pro-
posée par l’Office de révision du Code civil dans son rapport final
déposé en 197732, puis ouvertement et longuement discutée en 1979
devant la Commission permanente de la Justice chargée d’en analy-
ser le contenu33.

Si l’on s’en remet aux propos précités du ministre Bédard, il


semble que la plupart des intervenants entendus par la Commission
permanente de la Justice aient dénoncé la proposition de l’Office, et

de l’union de fait comme un mariage consensuel et lui attacher certains effets


stricts. Elle a opté plutôt pour reconnaître aux concubins une entière liberté sur
l’aménagement de leur relation, respectant ainsi un mode de vie qui se veut – par
choix ou par la force des choses – hors la loi du mariage. La Loi cependant laissera
ouverture à des ententes possibles entre concubins sans imposer de modèles ou de
règles, mais elle se permettra, dans certaines circonstances particulières, de
reconnaître le fait de l’union et de lui attacher certains effets, notamment en
matière de droit social » Marie-Josée LONGTIN, « Les lignes de force de la Loi 89
instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille », (1981)
22 C. de D. 297, 302. Dans le même sens, André Cossette observe : « Toute la
réforme du droit de la famille s’est inspirée de deux grands principes : l’égalité de
l’homme et de la femme entre eux et devant la loi et la liberté des personnes dans
la façon d’organiser leurs relations familiales. Le législateur québécois a donc
choisi de n’imposer aucune contrainte aux concubins, de ne pas définir cette situa-
tion et de ne pas les assimiler à des époux. D’autre part, en abrogeant la prohibi-
tion des donations entre concubins, le concubinage perd son caractère péjoratif et
n’est plus considéré comme contraire aux bonnes mœurs. Il est entré dans le
domaine du licite. » André COSSETTE, « Le concubinage au Québec », (1985) 88
R. du N. 42, 52-53.
31. II était également proposé d’instituer le principe de la responsabilité commune à
l’égard des dettes du ménage, de même qu’une obligation de contribution propor-
tionnelle aux charges du ménage. Des droits successoraux réciproques et une pré-
somption de paternité étaient également envisagés.
32. OFFICE DE RÉVISION DU CODE CIVIL, Rapport sur le Code civil du Québec,
vol. II – Commentaires, tome 1, livres 1 à 4, Québec, Éditeur officiel, 1978, p. 115
et 208. On notera que les membres du Comité du droit des personnes et de la
famille de l’Office étaient profondément divisés sur la pertinence d’introduire une
telle obligation alimentaire entre conjoints de fait : COMITÉ DU DROIT DES
PERSONNES ET DE LA FAMILLE DE L’OFFICE DE RÉVISION DU CODE
CIVIL, Rapport sur la famille, Première partie, 1974, Québec, p. 296-298.
33. L’article 338 du projet se lisait ainsi : « Les époux de fait se doivent des aliments
tant qu’ils font vie commune. Toutefois, le tribunal peut, si des circonstances
exceptionnelles le justifient, ordonner à un époux de fait de verser des aliments à
l’autre après la cessation de la vie commune » : OFFICE DE RÉVISION DU CODE
CIVIL, Projet de loi portant sur la réforme du droit de la famille, 1979. Notons que
la notion d’« époux de fait » était consacrée à l’art. 102 du rapport initial de l’ORCC
(ensuite repris à l’article 49 du Rapport final de l’ORCC sur le Code civil du
Québec, vol. I, Montréal, Éditeur officiel, 1977, p. 63, Livre II) : « Sont époux de fait
deux personnes de sexe différent qui, sans être mariées l’une avec l’autre, vivent
ensemble ouvertement comme mari et femme, d’une façon continue et stable ».
92 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

ce, au nom des principes d’égalité et de liberté de choix34. L’opposition


la plus remarquée fut incontestablement celle du Conseil du statut de
la femme, un organisme voué à la défense et à la promotion des droits
des femmes. Dans son mémoire déposé en mars 1979, le Conseil écri-
vait :

[...] cette attitude constitue une atteinte au principe du libre choix qui
anime les conjoints de fait. Le [Conseil du statut de la femme] préconise
qu’aucune obligation ne doive résulter de l’union de fait pour respecter
la volonté des parties en cause. [...] Notre prise de position concernant
l’union de fait repose sur une véritable reconnaissance de l’égalité des
personnes et leur autonomie. C’est pourquoi il nous apparaît essentiel
d’insister sur la non-institutionnalisation de ce genre d’union et de res-
pecter la volonté des parties en présence.35

34. Les seuls intervenants qui ont rejeté la proposition pour des raisons d’ordre moral
sont l’Association des parents catholiques (Commentaires sur le projet de code
civil en regard de la famille, 5 mars 1979) et le professeur Ernest Caparros,
(ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE
LA JUSTICE, Journal des débats, 22 mars 1979, no 17, p. B-835 à B-837). On
notera également la teinte moraliste du mémoire de l’Assemblée des évêques du
Québec qui proposait de considérer comme « contraires à l’ordre public et aux bon-
nes mœurs les contrats ayant pour but de créer ou de perpétuer le concubinage. »
(Lettre au président de la Commission permanente de la Justice, 12 mars 1979,
p. 10).
35. CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, Mémoire présenté à la Commission par-
lementaire sur la réforme du droit de la famille, 20 février 1979, p. 23-24. Notons
que le C.S.F. a réitéré sa position en 1988 lors des travaux parlementaires entou-
rant l’adoption des dispositions sur le patrimoine familial (voir infra, note 48).
Dans le même sens, on peut noter la position du Comité national de la condition
féminine du Parti québécois (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COM-
MISSION PERMANENTE DE LA JUSTICE, Journal des débats, 15 mars 1979,
no 12, p. B-636) ; celle du Comité de condition féminine de la CSN (ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE LA JUSTICE,
Journal des débats, 27 mars 1979, no 24, p. B-1171 et B-1172) ; celle de la Fédéra-
tion des femmes du Québec (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COM-
MISSION PERMANENTE DE LA JUSTICE, Journal des débats, 27 mars 1979,
no 24, p. B-1183 et B-1184) et celle du Réseau d’action et d’information pour les
femmes (qui semble toutefois admettre le principe d’une compensation financière
destinée au conjoint de fait qui se voit octroyer la garde d’un enfant) (ASSEM-
BLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE LA
JUSTICE, Journal des débats, 28 mars 1979, no 25, p. B-1209). Le R.A.I.F. a réi-
téré sa position en 1988 lors des travaux parlementaires entourant l’adoption des
dispositions sur le patrimoine familial (voir infra, note 48). Voir également la posi-
tion des Organismes familiaux associés du Québec (ORGANISMES FAMILIAUX
ASSOCIÉS DU QUÉBEC, Mémoire de l’O.F.A.Q., février 1979, p. 19). D’autres,
au contraire, se sont montrés favorables à la proposition d’encadrer les rapports
des conjoints de fait. Ainsi, la Commission des services juridiques recommanda
l’établissement d’une obligation alimentaire encore plus large que celle proposée
dans le projet de loi, tout en plaidant en faveur d’un partage égalitaire des biens
acquis durant l’union de fait (COMMISSION DES SERVICES JURIDIQUES,
Mémoire présenté à la Commission permanente de la justice sur le Rapport de
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 93

La question de l’organisation juridique de l’union de fait refit


par ailleurs surface à quelques reprises devant la Commission per-
manente de la Justice chargé d’étudier le projet de loi article par
article. S’intéressant au champ d’application des nouvelles mesures
de protection de la résidence principale appartenant aux époux, le
ministre de la Justice fut interpellé par le député Herbert Marx en
ces termes :

M. Marx : Avant de passer à l’article suivant, j’aimerais soulever un


problème. Je ne sais pas si c’est le moment. Je vois ici, dans cette section
du Code civil, qu’on va protéger les conjoints mariés. Je ne vois aucune
protection pour des conjoint qui vivent en union de fait [...].

M. Bédard : C’est un choix qui a été fait de ne pas réglementer l’union


de fait. Je l’ai expliqué dans mon discours de deuxième lecture. La base
de la décision est le respect des personnes qui ont décidé, mutuelle-
ment, de consentement, d’adopter un genre de vie, je pense qu’il y a eu
plusieurs représentations dans le sens, justement, de ne pas réglemen-
ter le cas. C’était un choix de vie.

[...]

M. Marx : Si j’ai bien compris la politique du gouvernement, c’est de ne


pas protéger les unions de fait dans cette section du Code civil.

M. Bédard : ... c’est de ne pas réglementer l’union de fait en respectant


le choix de vie que ces personnes ont fait.[36]

l’Office de révision du Code civil traitant de la réforme du droit de la famille,


21 février 1979. p. 13-19). Pour sa part, le Barreau plaida en faveur d’un régime
supplétif auquel les conjoints de fait pourraient déroger par convention (BAR-
REAU DU QUEBEC, Mémoire à la Commission parlementaire sur la réforme du
droit de la famille, mars 1979, p. 52. Pour un avis favorable à la proposition, voir
également les propos tenus par les Femmes diplômées des universités (ASSEM-
BLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE LA
JUSTICE, Journal des débats, 15 mars 1979, no 12, p. B-645), par la Ligue des
droits et libertés (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION
PERMANENTE DE LA JUSTICE, Journal des débats, 22 mars 1979, no 17,
p. B-825-B-826) et par la Chambre des notaires du Québec (CHAMBRE DES
NOTAIRES DU QUÉBEC, Mémoire sur la résidence familiale – Loi instituant un
nouveau code civil et portant réforme du droit de la famille (Projet de loi 89), Mont-
réal, novembre 1980.
36. Le caractère éclairé de ce choix a été questionné quelques jours plus tard par la
députée Thérèse Lavoie-Roux. Lors des travaux de la Commission permanente de
la Justice, celle-ci s’est adressée au ministre Bédard en ces termes : Je me sou-
viens d’un groupe en particulier qui disait que les unions de fait étaient une forme
de vie librement choisie. [...] Par contre, moi-même et la députée des îles-de-la-
Madeleine nous étions inquiétées des personnes qui, souvent sont beaucoup plus
démunies et qui vivent en union de fait sans avoir nécessairement fait le chemine-
ment. [...] Bien des gens se trouvent mis dans une situation d’union de fait sans
94 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

[...]

M. Bédard : À la suite des représentations faites, la décision est de les


laisser libres et de ne pas les réglementer.37

Le projet de loi 89 fut finalement adopté à l’unanimité en troi-


sième lecture par l’Assemblée nationale le 19 décembre 198038, sans
qu’aucune nouvelle disposition n’ait été ajoutée à l’égard des con-
joints de fait. L’entrée en vigueur de l’article 35 instaurant une totale
liberté contractuelle au bénéfice des conjoints de fait par l’abrogation
de l’article 768 C.c.B.C. eut lieu quelques mois plus tard, soit le 2 avril
198139.

Les écrits produits au lendemain de la réforme témoignent


d’une grande réceptivité face au changement d’attitude manifesté
par le législateur québécois à l’égard de l’union de fait. Ainsi, plu-
sieurs auteurs se sont-ils empressés de promouvoir la mise en œuvre
d’une nouvelle pratique axée sur la rédaction d’accords entre con-
joints de fait40. À l’occasion des cours de perfectionnement du notariat
de 1981 consacrés aux incidences de la Loi 89 sur la pratique nota-
riale, le professeur Marcel Guy déclarait :

avoir fait ce même cheminement théorique, intellectuel [...] que certaines femmes
professionnelles peuvent faire plus facilement ou d’autres femmes qui ont eu plus
de chance dans la vie » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMIS-
SION PERMANENTE DE LA JUSTICE, Journal des débats, 16 décembre 1980,
no 17, p. B-1035.
37. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION PERMANENTE DE
LA JUSTICE, Journal des débats, 11 décembre 1980, no 15, p. B-300. Au terme
de la discussion, l’analyse de l’article a été suspendue, le ministre ayant accepté
d’analyser la possibilité d’étendre les mesures de protection aux conjoints de fait
ayant des enfants : voir p. B-304-305. Voir également les discussions tenues
devant la Commission le décembre 1980 (p. B-1033 et suiv.). Voir enfin les propos
de la députée Thérèse Lavoie-Roux lors de l’adoption du projet de loi 89 en troi-
sième lecture : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats,
19 décembre 1980, p. 1260. Notons que certains organismes avaient préalable-
ment proposé d’étendre les mesures de protection de la résidence familiale aux
conjoints de fait : voir CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, Mémoire sur la
résidence familiale – Projet de loi 89, novembre 1980, Montréal, p. 25 et 31.
38. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 19 décembre
1980, no 26, p. 1269-1271.
39. Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme au droit de la famille, pro-
jet de loi 89, L.Q. 1980, c. 39, art. 75.
40. Le notaire Jean Sylvestre écrit : « La porte est large ouverte à l’imagination des
rédacteurs d’actes, et des notaires en particulier, qui pourront désormais, sous la
seule restriction des dispositions de l’article 13 C.C.B.-C., prévoir de multi-
ples conventions et accords entre personnes vivant en union libre » : Jean
SYLVESTRE, « Les accords entre concubins », [1981] C.P. du N. 197.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 95

Ainsi, le concubinage n’est plus perçu par le législateur comme un dérè-


glement des mœurs ou une atteinte à l’institution du mariage. Les
concubins deviennent alors aussi libres que quiconque de conclure
entre eux les ententes les plus inédites que permet l’exercice de la
liberté contractuelle. Il faut espérer que le tribunal, libéré du poids de
l’article 768 C.C.B.-C, accueillera avec autant d’ouverture les accords
des concubins qui respecteront par ailleurs les impératifs généraux de
l’ordre public et des bonnes mœurs.41

Dès 1985, la Chambre des notaires mit à la disposition de ses


membres deux modèles de convention d’union de fait. Le premier, dit
« participatif », prévoyait l’établissement de différentes obligations
de nature économique entre les conjoints de fait, tandis que le second,
dit « autonomiste », confirmait plutôt l’absence de tout rapport juri-
dique entre eux42. Dans les années subséquentes, plusieurs juristes
s’employèrent à promouvoir les conventions d’union de fait, considé-
rant le recours au cadre contractuel comme étant un moyen efficace
d’assurer le règlement équitable d’une éventuelle rupture de l’union
de fait43. Après quelques hésitations, les tribunaux ont reconnu la
pleine validité de telles ententes, que ce soit aux fins d’établir des
mesures de protection de la résidence familiale appartenant à l’un
des conjoints de fait, une obligation alimentaire au profit du conjoint

41. Marcel GUY, « Les accords entre concubins et entre époux après la loi 89 », (1981) 1
C.P. du N. 157, 164. Le souhait du professeur Guy semble avoir été exaucé. Dans
l’affaire Droit de la famille – 2760, [1997] R.D.F. 720, 727 (C.S.), le juge écrit à pro-
pos des conventions d’union de fait : « Un tel engagement ne viole nullement la loi
ni l’ordre public puisque, depuis l’abrogation de l’article 768 C.c.B.C., le concubi-
nage n’est plus considéré comme contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.
[...] Les concubins, du choix du législateur, ne sont soumis à aucun régime juri-
dique particulier. Ils jouissent de toute la liberté contractuelle possible en matière
de convention et de contrat. Chacun est donc libre de se créer ses obligations et
d’en déterminer l’entendue ».
42. CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, « Le concubinage », Les Cahiers,
vol. 8, no 1A, mars 1985, nos 77 et s.
43. Voir André COSSETTE, « Le concubinage au Québec », (1985) 88 R. du N. 42, 54 ;
Marc GAUTHIER, « L’union libre, un état de fait ou un état ambigu ? », dans Ser-
vice de la formation permanente du Barreau du Québec, Nouveaux développe-
ments en droit familial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, p. 225, p. 226 ;
Denis LAPIERRE, « Les contrats de vie commune », dans Service de la formation
permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit familial,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 59 ; Brigitte LEFEBVRE, « Le traite-
ment juridique des conjoints de fait : deux poids, deux mesures ! », (2001) 1 C.P. du
N. 223 ; Nataly CARRIER, « La convention de vie commune au Québec : palliatif à
l’absence de législation », dans Jacques BEAULNE et Michel VERWILGHEN
(dir.), Points de droit familial : rencontres universitaires belgoquébécoises, Mont-
réal, Wilson & Lafleur, 1997, p. 239.
96 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

dépendant ou un partage de biens calqué sur ceux que prévoit le Code


civil en matière matrimoniale44.

2. L’institution du patrimoine familial (1989) :


la question de l’union de fait à l’ordre du jour

En 1989, le législateur du Québec adoptait la Loi 146 introdui-


sant au Code civil les dispositions relatives au patrimoine familial45.
Par ces nouvelles mesures, le législateur entendait consacrer l’entre-
prise commune qu’est le mariage et, incidemment, assurer un plus
grand équilibre économique entre époux, indépendamment des ter-
mes de leur régime matrimonial. Dès le 1er juillet 1989, l’ensemble
des époux québécois fut donc assujetti à l’obligation de partager, au
moment d’une rupture ou d’un décès, la valeur des résidences de la
famille, des meubles du ménage, des véhicules automobiles servant
aux déplacements de la famille et des régimes de retraite privés et
publics acquis ou accumulés par l’un ou l’autre d’entre eux durant le
mariage.

Le document de consultation sur les droits économiques des


conjoints46 qui a servi de base à la rédaction du projet de loi 146 ne
proposait ni directement ni indirectement de modifier la situation
juridique des conjoints de fait47. Tel n’était pas véritablement l’enjeu

44. Droit de la famille – 2760, [1997] R.D.F. 720 (C.S.) (protection de la résidence fami-
liale et obligation alimentaire) ; Droit de la famille – 3162, J.E. 98-2333 (C.S.)
(obligation alimentaire) ; Couture c. Gagnon, [2001] R.J.Q. 2047 (C.A.) (requête
pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée le 3 octobre 2003 (no
28896)), commenté par Alain ROY, « La liberté contractuelle des conjoints de fait
réaffirmée par la Cour d’appel... Un avant-goût des jugements à venir ? », (2002)
103 R. du N. 1. Pour une revue des différents jugements portant sur la validité des
conventions entre conjoints de fait, voir Jean-Pierre SENECAL (texte mis à jour
par Murielle DRAPEAU), « L’union de fait ou le concubinage », Droit de la famille
québécois, Farnham, Publications CCH, 2007, p. 1,217 et s.
45. Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions législatives afin de
favoriser l’égalité économique des époux, L.Q. 1989, c. 55. Les dispositions relati-
ves au patrimoine familial se trouvaient initialement aux articles 462.1 et s.
C.c.Q. On les retrouve aujourd’hui aux articles 414 et s. C.c.Q.
46. Herbert MARX (ministre de la Justice) et Monique GAGNON-TREMBLAY
(ministre déléguée à la Condition féminine), Les droits économiques des conjoints,
Document présenté à la consultation, Gouvernement du Québec, Ministère de la
Justice, Sainte-Foy, juin 1988.
47. La seule référence aux conjoints de fait apparaît à la page 8 du document de
consultation : « On ne saurait non plus ignorer le fait que notre droit familial rela-
tif aux conjoints ne s’adresse qu’aux époux, non pas aux conjoints de fait, et qu’il
réserve à ceux-ci, en raison surtout de la multiplicité des situations et de l’absence
de données précises relativement à cette question, une entière liberté dans l’amé-
nagement de leurs rapports. Toute option législative doit tenir compte de l’effet
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 97

au centre de la démarche gouvernementale. Dans ce contexte, on


comprend pourquoi la très grande majorité des mémoires déposés
devant la Commission des institutions par les organismes, groupes et
autres personnes intéressées par les mesures de redressement écono-
mique entre époux ne contenait aucun développement spécifique sur
l’union de fait48.

Lors des auditions publiques d’octobre 1988, l’une des ministres


responsables du projet de loi, la ministre déléguée à la condition
féminine Monique Gagnon-Tremblay, se permit toutefois de sonder
l’opinion des différents intervenants concernant l’idée d’édicter des
obligations entre conjoints de fait49. Certains lui ont clairement men-
tionné qu’ils ne pouvaient se prononcer valablement sur cette ques-
tion, le sujet n’ayant pas été débattu au sein de leur organisme50.

qu’elle peut entraîner sur le droit fondamental des personnes de choisir entre le
mariage et l’union de fait. Or, force est de reconnaître que cette alternative au
mariage qu’est l’union de fait est de plus en plus répandue. »
48. Seulement 7 mémoires sur les 26 déposés contenaient certaines énonciations sur
l’encadrement juridique de l’union de fait. Parmi les 7 mémoires, on notera celui
du Conseil du statut de la femme qui réitéra son opposition à toute forme d’enca-
drement juridique de l’union de fait (CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME,
Mémoire du Conseil du statut de la femme présenté lors de la consultation générale
sur les droits économiques des conjoints, août 1988, p. 40). On notera également
celui du Réseau d’action et d’information pour les femmes qui reprit, en l’élargis-
sant, sa proposition présentée lors de la réforme de 1980 de réglementer l’union
de fait avec enfants (RÉSEAU D’ACTION ET D’INFORMATION POUR LES
FEMMES, Les droits économiques des conjoints : une réforme en peau de chagrin,
septembre 1988, p. 1617). Les autres intervenants s’étant prononcés sur la ques-
tion de l’union de fait dans leur mémoire (tous en faveur d’un encadrement
juridique de l’union de fait), signalons Marthe Vaillancourt (Marthe VAILLAN-
COURT, Mémoire, Chicoutimi, 27 septembre 1988, p. 3) ; Edmont D. Pinsonnault
(Edmond D. PINSONNAULT, Mémoire, 24 août 1988, p. 4) ; Fédération de la
famille de Québec (FÉDÉRATION DE LA FAMILLE DE QUÉBEC, Mémoire,
16 septembre 1988, p. 2) ; Fédération nationale des associations de consom-
mateurs (FÉDÉRATION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE CONSOM-
MATEURS, Mémoire de la FNACQ concernant le document « Les droits écono-
miques des conjoints », Montréal, septembre 1988, p. 3-4 et p. 7).
49. Les propos de la ministre lors de l’adoption de principe du projet de loi 146 par
l’Assemblée nationale en témoignent : « Les membres de cette commission
devaient enfin s’enquérir auprès des intervenants de la pertinence de légiférer
pour englober les conjoints de faits » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC,
Journal des débats, 8 juin 1989, no 125, p. 6485.
50. Tel est le cas du Projet-Partage (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC,
COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 12 octobre 1988, no 28,
p. CI-1149-1150) ; de la Tribune unique et populaire d’information juridique
(ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITU-
TIONS, Journal des débats, 13 octobre 1988, no 29, p. Cl-1185-1186) ; du Mouve-
ment des Caisses populaires et d’économie Desjardins du Québec (ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des
débats, 18 octobre 1988, no 30, p. Cl-1219) ; du Cercle des fermières du Québec
98 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

D’autres ont plutôt pris spontanément position en faveur51 ou en


défaveur52 d’une réglementation de l’union de fait, mais sans que l’on
puisse nécessairement voir dans leurs propos autre chose qu’une opi-
nion personnelle émise sans égard à la position qu’aurait pu adopter
l’organisme représenté, le cas échéant53. D’autres encore ont souligné
la nécessité d’instruire davantage les conjoints de fait sur leur situa-
tion juridique de manière à ce que leur décision de vivre ainsi leur
conjugalité soit prise en toute connaissance de cause54.

En conclusion des travaux de la commission parlementaire, la


députée Louise Harel proposa la création d’un comité interministé-
riel chargé d’étudier la situation juridique des conjoints de fait :

(ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITU-


TIONS, Journal des débats, 19 octobre 1988, no 31, p. CI-1251) ; de l’Association
féminine d’éducation et d’action sociale (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉ-
BEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 1 octobre 1988,
no 31, p. CI-1276) ; de la Fédération des travailleurs du Québec (ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des
débats, 19 octobre 1988, no 31, p. CI-1284-CI-1285) et de la Commission des servi-
ces juridiques (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES
INSTITUTIONS, Journal des débats, 20 octobre 1988, no 32, p. CI-1302- CI-1304).
51. Fédération des associations de familles monoparentales du Québec, mais dans la
mesure où il y a des enfants issus de l’union de fait (ASSEMBLÉE NATIONALE
DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 20
octobre 1988, no 32, p. CI-1312-CI-1314) et Fédération des femmes du Québec,
également dans la mesure où il y a des enfants issus de l’union de fait (ASSEM-
BLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Jour-
nal des débats, 20 octobre 1988, no 32, p. CI-1338).
52. Femmes regroupées pour l’accessibilité au pouvoir politique et économique (ASSEM-
BLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Jour-
nal des débats, 13 octobre 1988, no 29, p. CI-1176) ; Professeur Roger Comtois
(ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITU-
TIONS, Journal des débats, 13 octobre 1988, no 29, p. CI-1197-CI-1198), Profes-
seur Pierre Issalys (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION
DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 19 octobre 1988, no 31, p. CI-1293) et
Chambre des notaires du Québec ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC,
COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 20 octobre 1988, no 32,
p. CI-1319).
53. Les échanges intervenus avec les représentants du Barreau du Québec et avec
William M. Mercer Ltée ne nous permettent pas de déduire leur position sur la
question (ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INS-
TITUTIONS, Journal des débats, 19 octobre 1988, no 31, p. CI-1243-CI-1245 et
CI-1262-CI-1265).
54. Voir l’échange entre la ministre Gagnon-Tremblay et la représentante du Conseil
du statut de la femme, Mme Olivier : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC,
COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 12 octobre 1988, no 28,
p. CI-1134-CI-1135 et celui entre la députée Harel et les représentants de la Com-
mission des services juridiques, M. Lafontaine et Mme Pilon : ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des
débats, 20 octobre 1988, no 32, p. CI-1302-CI-1304.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 99

[...] nous pensons que légiférer en ces matières n’amoindrit pas pour
autant l’urgence et l’importance d’examiner l’ensemble des protections
qui doivent être accordées à l’égard de toutes les familles, indépendam-
ment de l’état civil des parents et indépendamment du statut conjugal
des parents. Le ministre de la Justice avait raison d’appeler le patri-
moine familial « patrimoine commun » puisque, en l’appelant patri-
moine familial, c’est comme si on souscrivait à l’opinion voulant que les
familles doivent être confondues avec le mariage. Nous savons pour-
tant qu’il n’en est rien et que, même si elles doivent être examinées et
étudiées avec toute la réserve que la situation commande, le nombre
grandissant de naissances hors mariage nous amène à considérer tout
urgent l’examen de ces questions. Alors, nous proposons qu’un comité
interministériel obtienne immédiatement le mandat d’examiner à la
fois le statut des conjoints de fait dans nos lois sociales, fiscales, fami-
liales et autres, tout en examinant la nécessaire protection familiale
quel que soit le statut conjugal des parents qui cohabitent. J’ai senti,
tout au cours de ces travaux, le besoin de plus en plus évident d’harmo-
niser des lois qui sont de plus en plus incohérentes dans leur applica-
tion [...]. On pourrait évidemment – ce qui n’est pas mon intention –
faire une liste impressionnante de ces incohérences qu’on retrouve
dans les diverses lois, qu’elles soient familiales, fiscales, sociales ou
autres. Nous pensons qu’il est d’autant plus important d’étudier cette
question que nous avons pu élucider au cours des travaux de notre com-
mission que les jeunes couples choisissent de plus en plus de vivre en
union de fait [...].55

Le projet de loi demeura néanmoins inchangé, le champ d’appli-


cation du patrimoine familial restant limité aux seuls époux. Lors de
l’adoption de principe du projet par l’Assemblé nationale, la ministre
Gagnon-Tremblay justifia ainsi l’exclusion des conjoints de fait :

Les dispositions sur le patrimoine familial affectent les époux, mais


elles ne visent d’aucune façon les conjoints de fait, même dans le cas où
ces derniers auraient des enfants. Il va de soi que dans la mesure où les

55. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITU-


TIONS, Journal des débats, 20 octobre 1988, no 32, p. CI-1348 à CI-1349. De
retour devant la Commission des institutions pour l’étude détaillée du projet de
loi, Mme Harel précisa dans les termes suivants sa pensée sur les protections de
droit civil dont pourraient éventuellement profiter les conjoints de fait en suggé-
rant d’élargir le champ d’application de l’obligation alimentaire : « En vertu des
dispositions du Code civil, il y a une obligation alimentaire seulement en ligne
directe et dans le mariage. Je souhaite qu’on arrive à une obligation alimentaire
entre conjoints de fait quand il y a la présence d’enfants issus de l’union. Entre
adultes consentants qui habitent ensemble, est-ce qu’il faut introduire une obliga-
tion alimentaire ? Je n’en suis pas certaine parce qu’ils décident ensemble et il n’y
a pas d’enfants victimes de ces choix [...] » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU
QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 8 juin 1989,
no 64, p. CI-2674.
100 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

conjoints de fait ne sont pas assimilés, par le Code civil, à des époux, en
ce qui concerne leurs droits et obligations entre eux, notamment pour
ce qui est de l’obligation de secours et d’assistance, nous voyons mal
comment nous pourrions leur appliquer les règles sur le patrimoine
familial. Cette question devra être discutée de nouveau, et ce, de façon
globale. Il faut cependant noter que les conjoints de fait peuvent tou-
jours convenir entre eux de régimes ou de règles similaires à celles qui
concernent les époux au Code civil du Québec, notamment ils pour-
raient donc être assujettis au règles sur le patrimoine familial. [...] On
peut facilement, quant aux couples mariés, connaître leurs motivations
et aspirations, puisque ceux-ci choisissent une forme d’union qui est
reconnue socialement et législativement. Ce n’est pas le cas des person-
nes vivant en union de fait. [...]. Aux plans juridique et social, il faut
aussi considérer que l’application, sans distinction, aux concubins
des règles du mariage, aurait pour effet d’assimiler les deux formes
d’union, ce que nous avons rejeté, en 1980, lorsqu’on a débattu de cette
question. Une telle assimilation ne serait pas sans conséquence, quel
serait alors le sens du mariage ou la valeur civile du mariage religieux
et quelle serait la forme d’union développée par ceux qui ne veulent pas
être réglementées ?56

Reprenant l’idée soumise plus tôt par la députée Harel de créer


un comité interministériel sur la question, la ministre conclut en ces
termes :

En conséquence et en l’absence d’études plus approfondies du phéno-


mène, il nous semblait, à ce moment-ci, inopportun de légiférer sur les
rapports civils des concubins. Nous avons donc proposé qu’un groupe de
travail interministériel soit formé et que ce groupe ait le mandat
d’analyser la question et de faire effectuer les recherches sociologiques
nécessaires afin d’éventuellement apporter, s’il y a lieu, les corrections
législatives appropriées.57

56. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 8 juin 1989, p.


6487. Le professeur Goubau a par la suite fait remarquer que la politique autono-
miste du gouvernement à l’égard des conjoints de fait s’oppose catégoriquement à
l’approche interventionniste développée à l’égard des conjoints mariés : « On peut
s’interroger sérieusement sur la pertinence actuelle de l’argument du respect de
la volonté et de la liberté des conventions lorsqu’on constate que ces deux princi-
pes ont précisément été mis de côté à l’occasion de la création du patrimoine fami-
lial obligatoire. [...] Que l’on soit partisan ou adversaire des règles du patrimoine
familial obligatoire, on ne peut que constater que le législateur n’a pas, à l’égard
des gens mariés, la même conception de l’autonomie de la volonté qu’à l’égard des
concubins » : Dominique GOUBAU, « Le Code civil du Québec et les concubins »,
(1995) 74 Rev. du Bar. can. 474, 476, note 6.
57. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 8 juin 1989, p.
6487. Une décision du Conseil des ministres (89-73) en date du 3 mai 1989 donne
suite à cette intention dans les termes suivants : « Le Conseil des ministres
décide : [...] 3 – de confier au ministre de la Justice, au ministre de la Main-d’œuvre
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 101

Le projet de loi 146 fut adopté en troisième lecture à l’unanimité


par l’Assemblée nationale le 21 juin 198958. Les nouvelles règles
entrèrent en vigueur le 1er juillet suivant59.

3. La réforme du Code civil du Québec (1991) :


la confirmation d’un choix de société

En 1991, l’Assemblée nationale du Québec adoptait le projet de


loi 125 introduisant le nouveau Code civil du Québec60. Par ce projet
de loi, le législateur entendait parachever la grande réforme du droit
civil qu’il avait amorcée en 1980 en matière familiale. Évidemment,
le projet de loi 125 ne proposait que très peu de modifications au droit
de la famille, l’essentiel des règles adoptées onze ans plus tôt n’ayant
pas encore subi l’usure du temps. Lors de l’adoption du projet de loi le
4 juin 1991 (adoption du principe), le ministre de la Justice de
l’époque, Gil Rémillard, fut toutefois interpellé par l’Opposition
officielle au sujet de l’organisation juridique de l’union de fait. S’in-
terrogeant sur certaines problématiques « ignorées » par le projet de
réforme, la députée Louise Harel déclara en chambre :

Doit-il y avoir une réglementation minimum [sic] des effets de l’union


de fait, notamment à l’égard de l’obligation de contribuer aux charges
du ménage ? Cette réglementation minimum [sic] doit-elle également
s’appliquer aux conjoints de même sexe ?61

La réponse du ministre de la Justice vint quelques semaines


plus tard dans le cadre des travaux de la Sous-commission des insti-

et de la Sécurité du revenu et à la ministre déléguée à la condition féminine le soin


d’entreprendre des études avec les ministres responsables de la famille et de la fis-
calité sur la question de l’union de fait ».
58. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 21 juin 1989,
no 134, p. 7026-7027.
59. Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions législatives afin de
favoriser l’égalité économique des époux, projet de loi 146, L.Q. 1989, c. 55, art. 47.
60. Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.
61. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 4 juin 1991, p.
8775. La députée Harel semblait avoir une opinion personnelle sur la question. En
effet, lors des travaux de la commission parlementaire chargée d’étudier le projet
de loi article par article, la députée fit état en ces termes de la position du Conseil
du statut de la femme : « J’imagine que le ministre avait déjà pris connaissance de
ce mémoire préparé par le Conseil du statut de la femme sur le projet de loi 125 et
déposé, je crois, à son ministère dès juillet dernier [...]. À la page 27 de ce mémoire,
le Conseil du statut de la femme se réjouit du choix effectué par le législateur à l’ef-
fet de ne pas régir de façon particulière les rapports privés entre les conjoints de
fait, ce à quoi je souscris également, M. le Président » (nos italiques) : ASSEM-
BLÉE NATIONALE DU QUEBEC, SOUS-COMMISSION DES INSTITU-
TIONS, Journal des débats, 19 novembre 1991, no 22, p. SCI-856.
102 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

tutions. Le ministre se contenta de déclarer que les propositions ins-


crites au projet de Code civil étaient les mêmes que celles retenues en
1980 lors de l’adoption de la Loi instituant un nouveau Code civil et
portant réforme du droit de la famille62 :

Dans le cadre de ma réflexion sur le projet de loi 125, il m’est apparu


préférable comme principe de base d’assurer une plus grande protec-
tion des enfants dont les père et mère vivent en union de fait, quitte à
développer des études qui ont été continuées par le gouvernement
actuel sur l’ensemble de la situation des conjoints de fait, incluant les
conjoints de même sexe.63

Poursuivant dans la même veine, le ministre ajouta un peu plus


tard :

Pour ma part, ce que je trouve important, c’est de respecter la volonté


de vivre en dehors de l’institution formelle du mariage, donc de se réfé-
rer à une union libre. Si c’est libre, c’est parce que c’est basé sur une
relation consensuelle qu’ils établissent comme ils veulent bien l’établir.
Ça a moins de formalisme, ça a moins de sécurité sur certains aspects,
mais ça a plus de liberté, plus de souplesse et c’est exactement ce que
permet le Code avec ce que nous proposons.64

C’est donc en ces termes que le ministre de la Justice manifesta


l’intention du gouvernement de reconduire, dans le nouveau Code
civil du Québec, la politique législative arrêtée onze ans plus tôt à
l’égard des conjoints de fait. Une politique, faut-il le rappeler, fondée
sur le respect de la volonté de ceux et celles qui, expressément ou
implicitement, ont choisi de vivre leur conjugalité en marge du
mariage65. Une politique à laquelle certains intervenants de premier
ordre renouvelèrent d’ailleurs leur appui. Dans son avis émis en juin
1991, le Conseil du statut de la femme déclarait :

62. Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q.
1980, c. 39.
63. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, SOUS-COMMISSION DES INSTI-
TUTIONS, Journal des débats, 27 août 1991, no 3, p. CSI-45.
64. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, SOUS-COMMISSION DES INSTI-
TUTIONS, Journal des débats, 19 novembre 1991, no 22, p. CSI-859.
65. En commission parlementaire, la députée Harel plaida en faveur d’une campagne
d’information qui permettrait aux couples en union de fait de connaître leur véri-
table situation juridique : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, SOUS-
COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 10 septembre 1991,
no 6, p. CSI-296-CSI-298. Notons que le Conseil du statut de la femme préconisait
également la tenue d’une telle campagne d’information : CONSEIL DU STATUT
DE LA FEMME, Les partenaires en union libre et l’État. Résumé de l’avis du
Conseil du statut de la femme, juin 1991, Québec, p. 9.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 103

Le conseil du statut de la femme croit que le Code civil ne doit pas confé-
rer à l’union libre les mêmes effets qu’il attribue au mariage. Il est
d’avis que le mariage et l’union libre constituent des engagements dif-
férents. Il importe que cette différence soit respectée au nom de la
liberté de choix des conjointes et des conjoints et de l’acceptation d’un
certain pluralisme social.66

Tout comme en 1980, l’abstention du législateur de réglementer


les rapports entre conjoints de fait ne saurait donc, du moins en appa-
rence, être envisagée sous l’angle de l’ignorance ou du déni de droit67.
Cette assertion prend tout son sens lorsqu’on constate l’introduction
ou la reconduction, lors de la réforme de 1991, de dispositions recon-
naissant certains avantages aux conjoints de fait.

On notera ainsi la modification apportée à l’article 555 C.c.Q.


dans le but d’autoriser le « concubin »68 à adopter l’enfant de son
conjoint sur la base d’un consentement spécial69. On notera égale-

66. CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, Les partenaires en union libre et l’État.


Résumé de l’avis du Conseil du statut de la femme, juin 1991, Québec, p. 9. Notons
cependant que le C.S.F. recommanda « [q]ue l’on étudie la possibilité de modifier
le Code civil de façon à ce que, à la fin d’une union de fait, le tribunal puisse, dans
l’intérêt des enfants, accorder à celui des parents qui en a la garde un droit d’occu-
pation de la résidence familiale pour une durée déterminée ». Ibid., 10 (Recom-
mandation no 8).
67. II convient toutefois souligner les propos du ministre de la Justice dans le cadre
des travaux de la Sous-commission des Institutions. Parlant de la stabilité inhé-
rente au mariage, favorisée à ses dires par le patrimoine familial, le ministre
déclare : « Définitivement, dans le Code, nous prenons parti pour le mariage,
dans ce sens que nous valorisons le mariage par certaines exigences et que, par
conséquent, les gens choisissent le mariage qui implique ces exigences, implique
une stabilité pour la famille. C’est toute la philosophie qu’il y a derrière la loi du
patrimoine. Ceux qui ne veulent pas se marier, qu’ils ne se marient pas, mais pour
ceux qui se marient, il y a des conséquences légales, et dans le Code c’est très
clair » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, SOUS-COMMISSION DES
INSTITUTIONS, Journal des débats, 5 septembre 1991, no 7, p. SCI-249-251.
Dans le même sens, voir ses propos tenus le 19 novembre 1991, no 22, p. SCI-856 :
« Je me permets d’insister, M. le Président, sur le fait que le mariage est une insti-
tution formelle, à part [...] Pour recevoir une sécurité de vie commune, c’est le
mariage qui est là. C’est l’institution de notre société, l’institution première, qui
est le mariage. [...] le mariage est une institution, pour moi, qui est fondamentale,
qui est formelle, que je dirais même sacrée dans notre société. L’union libre est là
pour les gens qui veulent l’utiliser et c’est leur liberté de le faire. Respectons leur
liberté et ne créons pas un régime matrimonial en dehors du mariage ».
68. L’utilisation de ce terme a été critiquée lors de la commission parlementaire
chargée d’étudier le projet de loi article par article : Voir ASSEMBLÉE NATIO-
NALE DU QUÉBEC, SOUS-COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des
débats, 27 août 1991, no 3, p. SCI-46.
69. Avant l’introduction de cette disposition, le conjoint de fait ne pouvait adopter
l’enfant de son conjoint qu’aux termes d’un consentement général, lequel implique
l’intervention du Directeur de la protection de la jeunesse dans le dossier. Loin de
104 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

ment le nouvel article 540 C.c.Q. précisant qu’un conjoint de fait


qui ne reconnaît pas l’enfant issu d’une procréation médicalement
assistée à laquelle il a préalablement consenti engage sa responsabi-
lité envers cet enfant et la mère qui lui a donné naissance70.

Soulignons enfin la reconduction, en matière de logement loca-


tif, du droit reconnu au « concubin » d’être maintenu dans les lieux
loués à la suite d’une séparation ou du décès du conjoint locataire71,
de même que de la règle autorisant le « concubin » copropriétaire d’un
immeuble avec son conjoint de reprendre possession d’un logement
qui s’y trouve72.

Mis à part ces références expresses au conjoint de fait, le législa-


teur profita également de la réforme de 1991 pour adopter des dispo-
sitions générales qui, sans mentionner spécifiquement le conjoint
du fait, lui attribuent indirectement des droits à titre de « proche » ou
de « personne intéressée ». Tel est le cas en matière successorale où
l’héritier qui résidait dans la résidence principale avec le défunt s’est
vu accorder le droit de demander qu’on lui attribue, par voie de préfé-
rence, l’immeuble qui servait de résidence au défunt73. Tel est égale-
ment le cas en matière de responsabilité civile où toute personne (et
non plus seulement les ascendants, descendants et époux)74 s’est vu

bouleverser l’économie générale du droit de la famille, cette nouvelle disposition


permit de corriger une lacune, voire un oubli. En effet, les conjoints de fait et les
conjoints mariés jouissaient d’ores et déjà des mêmes droits dans toutes les autres
sphères du droit de l’adoption, le législateur n’exigeant plus, depuis 1982, qu’un
couple présentant une demande d’adoption dans toute autre circonstance soit uni
par les liens du mariage. Voir Droit de la famille – 543, [1988] R.J.Q. 2601 (T.J.).
Dans cette perspective, l’assimilation du conjoint de fait au conjoint marié en
matière d’adoption sur consentement spécial parut s’imposer d’elle-même.
70. Lors de la commission parlementaire chargée d’étudier le projet de loi article par
article, la portée de la disposition a été largement commentée, le ministre insis-
tant pour préciser que la responsabilité du conjoint de fait n’était justifiée qu’en
raison du « bris de contrat » résultant de son changement d’attitude et non d’une
quelconque volonté d’élargir la portée de l’obligation alimentaire en toute circons-
tance : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, SOUS-COMMISSION DES
INSTITUTIONS, Journal des débats, 5 septembre 1991, no 7, p. SCI-249 et
SCI-250.
71. Art. 1938 C.c.Q. Cette disposition a été introduite dans le C.c.B.C. en 1979, aux
termes de la Loi instituant la Régie du logement et modifiant le Code civil et
d’autres dispositions législatives, L.Q. 1979, c. 48. La disposition se trouvait alors
aux articles 1657.2 et 1657.3 C.c.B.C. Sur le sujet, voir André COSSETTE, « Le
concubinage au Québec », (1985) 88 R. du N. 42, 49.
72. Art. 1958 C.c.Q. Cette disposition a été introduite dans le C.c.B.C. en 1987,
aux termes de la Loi modifiant la Loi sur la Régie du logement et le Code civil,
L.Q. 1987, c. 77.
73. Art. 857 C.c.Q.
74. Voir l’ancien article 1056 C.c.B.C. Voir également l’interprétation restrictive
qu’en a retenue le tribunal dans l’affaire Marier c. Air Canada, [1976] C.S. 1947.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 105

attribuer le droit d’exercer un recours direct en responsabilité à la


suite du décès d’un proche75, de même qu’en matière d’assurance per-
sonnelle où l’on a reconnu la validité d’une assurance souscrite par
une personne sur la vie de celui ou de celle qui contribue à son
soutien76. On soulignera également l’adoption, en matière de soins
requis par l’état de santé d’un majeur inapte, d’une disposition per-
mettant à un proche parent ou à une personne démontrant un intérêt
particulier pour le majeur de fournir le consentement requis, dans le
cas où le majeur en question n’a ni représentant légal, ni conjoint
marié77.

Adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 18 décembre


199178, le projet de loi 125 instituant le nouveau Code civil du Québec
représente donc une étape importante dans l’évolution du statut juri-
dique du conjoint de fait. Si le législateur a réitéré sa volonté de res-
pecter l’autonomie et la liberté des conjoints de fait, il a néanmoins
innové en assimilant le conjoint de fait au conjoint marié en matière
d’adoption et en lui permettant de faire valoir certains droits en sa
qualité de « proche » ou de « personne intéressée ».

4. La loi 32 sur les droits sociaux (1999) : l’uniformisation


des définitions et la reconnaissance des conjoints
de fait de même sexe

C’est en 1965 que le législateur québécois a assimilé pour la


toute première fois les conjoints de fait aux conjoints mariés dans une
loi dite statutaire, en permettant à une « veuve non mariée » d’obtenir
une rente viagère aux termes de la Loi sur le régime de rentes du
Québec79. Au cours des années subséquentes80, plus de 30 législations

75. Voir Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 4e éd., Cowansville, Édi-


tions Yvon Blais, 1994, p. 200-202 et Claude MASSE, « La responsabilité civile »,
dans Barreau du Québec, La réforme du Code civil, t. II, Sainte-Foy, P.U.L., 1993,
p. 269-270. Dans la mesure où l’accident subi par la personne n’était pas mortel,
son concubin pouvait intenter un recours direct en dommages-intérêts contre l’au-
teur du dommage en vertu de l’interprétation généreuse que la Cour supérieure
avait retenue, en 1976, de l’article 1053 C.c.B.C. dans l’affaire Therrien c. Gun-
ville, [1976] C.S. 777.
76. Art. 2419 C.c.Q.
77. Ou en cas d’empêchement de ce représentant légal ou conjoint marié.
78. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 18 décembre
1991, no 180, p. 11799-11800.
79. La durée de la cohabitation exigée était alors de 7 ans : Loi sur le régime de rentes
du Québec, L.Q. 1965, ch. 24, art. 105.
80. Le mouvement d’assimilation s’est intensifié après l’adoption de la Charte des
droits et libertés de la personne en 1975 qui interdit, à l’article 10, la discrimina-
tion fondée sur l’état civil : « Toute personne a droit à la reconnaissance et à
106 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

à caractère social ou fiscal81 furent modifiées afin que soient reconnus


aux conjoints de fait des avantages similaires à ceux dont bénéfi-
ciaient déjà les époux. À la fin des années 80, époux et conjoints de fait
pouvaient donc prétendre à l’ensemble des mesures de soutien social
et économique mises à la disposition des couples aux termes des lois
dites statutaires. Comme l’explique le professeur Goubau, la recon-
naissance des conjoints de fait en droit public est fondée sur « [...]
l’idée que la décision de se marier ou non concerne essentielle-
ment l’organisation des rapports privés entre individus [...] et qu’il
s’agit dès lors d’un choix éminemment privé qui ne devait pas avoir
d’incidence sur l’accès aux avantages et aux services dispensés par
l’État »82.

Les modifications à la pièce apportées au corpus législatif au fil


des années n’ont certes pas favorisé l’uniformisation des définitions
de l’union de fait, chaque loi définissant la notion de « conjoint de fait »
sur la base d’éléments aussi diversifiés que l’âge des conjoints, la
durée de leur cohabitation, l’existence d’un lien matrimonial avec une
autre personne, la présence d’enfant et la représentation publique83.

l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction,


exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orien-
tation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion,
les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition
sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap » : Charte
des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.
81. Le professeur Jacques Beaulne divise ces lois en 3 catégories, soit les lois d’assis-
tance sociale comme la Loi sur l’aide financière aux études, les lois à caractère éco-
nomique, comme la Loi sur le régime de rentes du Québec et les lois fiscales, comme
la Loi sur les impôts : Jacques BEAULNE, « Aperçu de la situation juridique des
conjoints de fait au Québec : aspects civils, sociaux et fiscaux », dans Jacques
BEAULNE et Michel VERWILGHEN (dir.), Points de droit familial : rencontres
universitaires belgoquébécoises, Montréal, Wilson & Lafleur, 1997, p. 223, p. 233-
236.
82. Dominique GOUBAU, Ghislain OTIS et David ROBITAILLE, « La spécificité
patrimoniale de l’union de fait : le libre choix et ses dommages collatéraux »,
(2003) 44 C. de D. 3, 17. Dans le même sens, voir également Nicole ROY, L’union
de fait au Québec, Groupe de la coopération internationale, Ministère de la Justice
du Canada, Ottawa, janvier 2005, p. 1. Pour ces auteurs, le droit social et le droit
civil, même si en apparence contradictoires, forment donc un tout cohérent en
matière d’union de fait. Pour d’autres auteurs, cependant, il y a distorsion ou illo-
gisme puisque le législateur assimile les conjoints de fait aux époux dans un
domaine du droit, alors qu’il les distingue dans l’autre : Michelle GIROUX et
Anouk LAURENT, « L’union de fait en droit québécois », (1989) 20 R.G.D. 129, 137
et Brigitte LEFEBVRE, « Le traitement juridique des conjoints de fait : deux
poids, deux mesures ! », (2001) 1 C.P. du N. 223, 227.
83. Certains auteurs croient que « [...] la diversité des critères utilisés et retenus
pour des fins distinctes témoigne des préoccupations spécifiques aux différents
ministères qui, de façon plus ou moins arbitraire, appliquent leurs politiques
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 107

Une condition semble toutefois s’être imposée de manière univer-


selle, soit le caractère hétérosexuel de l’union de fait84. Ainsi, les
conjoints de fait de même sexe ont-ils été traditionnellement privés
des mesures de soutien social et économique auxquelles les conjoints
de fait hétérosexuels et les époux pouvaient prétendre.

Vraisemblablement influencé par les décisions de la Cour


suprême qui, aux débuts des années 90, ont jugé contraires aux droits
à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte des droits et libertés85
certaines lois provinciales réservant des droits et avantages aux
seuls conjoints de fait hétérosexuels86, le gouvernement du Québec
s’engagea, dès 1998, à modifier les définitions de « conjoints de fait »
contenues aux différentes lois statutaires afin d’y intégrer les con-
joints de même sexe et d’en harmoniser les critères. Le 18 juin 1998,
le ministre de la Justice Serge Ménard annonçait en ces termes les
intentions du gouvernement en prenant soin de bien distinguer
l’approche englobante du droit social du cadre juridique régissant les
rapports de droit privé :

[...] au cours des dernières décennies, les unions de fait sont devenues
une forme courante d’union. Ce choix d’un mode de vie relève entière-
ment du domaine de la vie privée. Cependant, le développement de
cette forme d’union suscite des interrogations non seulement sur les
aspects juridiques, mais aussi sur l’évolution de nos modèles sociaux.
Au Québec comme ailleurs, le droit reconnaît plus ou moins les con-

législatives à l’union de fait » : Michelle GIROUX et Anouk LAURENT, « L’union


de fait en droit québécois », (1989) 20 R.G.D. 129, 134.
84. Ainsi, sur les 31 législations concernées, 7 excluaient spécifiquement les conjoints
de même sexe de leur champ d’application (soit la Loi sur l’assurance-médica-
ments, L.R.Q., A-29.01 ; la Loi concernant les droits sur les mutations immobiliè-
res, L.R.Q., c D-15.1 ; la Loi concernant les droits sur les transferts de terrains,
L.R.Q., c. D-17 ; la Loi sur les impôts, L.R.Q., c. 1-3 ; la Loi sur les normes du tra-
vail, L.R.Q., c. N-1.1 ; la Loi sur la sécurité du revenu, L.R.Q., c. R-20.1 et la Loi sur
la taxe de vente du Québec, L.R.Q., c. T-0.1) alors que les 24 autres, bien que silen-
cieuses, faisaient néanmoins l’objet d’une interprétation similaire. Voir Serge
MÉNARD, Mémoire au Conseil des ministres – Avant-projet de loi modifiant
diverses dispositions législatives concernant les conjoints de fait, Gouvernement
du Québec, Ministère de la Justice, Québec, 20 octobre 1998, p. 1.
85. « La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont
droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de
toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences
mentales ou physiques » : Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982),
R.-U., c. 11]), art. 15.
86. Voir particulièrement Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513. Voir également l’ana-
lyse de Nicole ROY, L’union de fait au Québec, Groupe de la coopération interna-
tionale, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, janvier 2005, p. 5-6.
108 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

joints de fait. Le législateur leur a accordé certains droits dans différen-


tes lois à caractère social. Il a adapté certaines de ses pratiques à cette
réalité. Cependant, la reconnaissance de ces unions n’est qu’accessoire
dans le droit civil québécois. Cette situation n’est pas fortuite. Lorsque
le législateur a révisé le droit de la famille, tant en 1980 qu’en 1991, il
s’est interrogé sur l’opportunité de prévoir des conséquences civiles aux
unions de fait. S’il s’est abstenu de le faire, c’est par respect pour la
volonté des conjoints : quand ils ne se marient pas, c’est qu’ils ne veu-
lent pas se soumettre au régime légal du mariage. D’ailleurs, le légis-
lateur a, en 1980, levé les obstacles juridiques qui empêchaient la
pleine reconnaissance des conventions entre conjoints de fait. À cette
dynamique récente de l’union de fait s’ajoute aujourd’hui une autre
dimension, les unions de fait où les conjoints sont de même sexe. Le
gouvernement du Québec a décidé d’intervenir pour remédier à certai-
nes situations juridiques, puisqu’elles ne reflètent plus les valeurs
sociales actuellement acceptées par l’ensemble des citoyens. Aussi,
j’annonce aujourd’hui, ce 18 juin 1998, qu’il est de l’intention du gou-
vernement de réviser l’ensemble de la législation publique du Québec
afin de revoir son application aux conjoints de fait de sexe différent ou
de même sexe. [...] Cette démarche consiste, en premier lieu, à harmo-
niser dans la législation la notion juridique de « conjoint ». Les critères
de reconnaissance de l’union de fait, notamment quant à la durée de la
vie commune, devront, dans la mesure du possible, être uniformes.

En second lieu, elle inclura les conjoints de fait de même sexe. Cette
démarche vise les lois particulières du Québec. Il n’est pas l’intention
du gouvernement de bouleverser l’institution du mariage et d’y assimi-
ler les unions de fait ou de donner le statut d’époux aux conjoints de fait.
Toutefois, le gouvernement est ouvert à la possibilité de prévoir un
mécanisme pour assurer, en droit privé, la reconnaissance juridique et
sociale des unions de fait. Ce mécanisme ne s’adresserait qu’aux
conjoints de fait qui veulent officialiser leur union et lui donner des
effets civils particuliers.87

Quelques mois plus tard, soit le 21 octobre 1998, le premier


ministre du Québec Lucien Bouchard déposait lui-même l’avant-pro-
jet de loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les
conjoints de fait. Cet avant-projet, déclara-t-il, propose de modifier
« [...] les lois et règlements qui comportent une définition du concept
de conjoint de fait pour que les unions de fait soient reconnues sans
égard au sexe des personnes »88. Le dépôt du projet de loi 32 eut lieu
le 6 mai 1999 par la nouvelle titulaire du ministère de la Justice,

87. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 18 juin 1998,


no 197, p. 12069-12070.
88. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 21 octobre 1998,
no 200, p. 1229.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 109

Linda Goupil. Les termes employés par la ministre témoignent du


caractère inclusif de la démarche législative :

Le gouvernement du Québec a décidé d’agir et de revoir le cadre législa-


tif des unions de fait afin de marquer l’évolution de la société québé-
coise dans ce domaine. En effet, la reconnaissance des couples de même
sexe fait l’objet d’un vaste consensus et reflète les valeurs sociales
actuellement acceptées par une grande partie de la population. Les
Québécoises et les Québécois seront d’ailleurs sans doute très fiers
d’être partie prenante d’une société qui témoigne une fois de plus de son
ouverture, de sa solidarité et du respect de ses minorités, d’une société
qui mise sur la cohésion sociale et non sur les différences existant entre
ses citoyens. Il est important de mentionner qu’avec le projet de loi
présenté aujourd’hui, le gouvernement du Québec devient le premier
gouvernement au Canada, et à notre connaissance, le deuxième en
Amérique du Nord, à proposer une législation prévoyant que l’ensem-
ble de ses lois octroie le même traitement aux conjoints de fait de même
sexe que celui réservé aux conjoints de fait de sexe opposé. J’émets
d’ailleurs humblement le souhait que le Québec inspire rapidement
d’autres gouvernements à agir de même, à commencer par le gouverne-
ment fédéral, qui n’a toujours pas pris de position officielle dans le
domaine.89

Lors de la prise en considération du rapport de la Commission


des Institutions le 9 juin suivant, le député Geoffrey Kelley salua les
modifications suggérées par le gouvernement, mais non sans inviter
les élus à élargir éventuellement la réflexion sur les droits et obliga-
tions des conjoints de fait :

Et un jour, il faudrait faire un débat élargi sur tous les bénéfices et les
obligations de tous nos conjoints de fait. Et ça, c’est un débat, comme j’ai
dit, peut-être pour un autre jour. Mais c’est quelque chose que, sur le
plan financier, il y a également des obligations, et un jour le débat sera
fait [sic].90

Poursuivant dans le même sens, le député Thomas Mulcair


ajouta :

[...] vous savez que le Québec est la seule province au Canada, puis en
fait la seule juridiction en Amérique du Nord, à ne pas reconnaître ce
qu’on appelle en anglais « common law marriage ». [...] je pense que le
gouvernement serait bien avisé d’accepter notre invitation, d’accéder à

89. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 6 mai 1999, no 26,
p. 1350.
90. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 9 juin 1999, no 42,
p. 2368.
110 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

notre invitation de regarder cet ensemble, les droits patrimoniaux, en


vertu des relations dites de « common law » pour s’assurer qu’on n’est
pas en train de faire fausse route.91

Curieusement, aucun élu n’interpella le gouvernement sur


l’idée émise par le ministre de la Justice le 18 juin 1998 d’élaborer un
mécanisme d’enregistrement des unions de fait qui permettrait aux
conjoints de fait d’obtenir des droits et obligations l’un à l’égard de
l’autre. On n’interpella pas non plus le gouvernement sur l’intention
manifestée par le ministre d’harmoniser la notion juridique de con-
joint de fait dans les diverses législations sociales et fiscales 92.

Le projet de loi 32 fut adopté à l’unanimité par l’Assemblée


nationale le 10 juin 1999 et entra en vigueur le 16 juin suivant93.
Dix mois plus tard, soit le 11 avril 2000, le Parlement canadien adop-
tait une loi similaire dans le but d’étendre la notion de « conjoint de
fait » employée dans les lois fédérales à l’ensemble des conjoints de
fait, indépendamment de leur orientation sexuelle 94.

5. L’avènement de l’union civile (2002) : la consolidation


du régime juridique de l’union de fait

La loi 84 instituant l’union civile et établissant de nouvelles


règles de filiation adoptée par l’Assemblée nationale en 200295 s’ins-
crit dans la continuité des politiques législatives mises de l’avant en
matière conjugale depuis la réforme de 1980. Une politique d’abord

91. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 9 juin 1999, no 42,
p. 2370.
92. À ce sujet, Nicole Roy écrit : « Depuis longtemps, une définition uniforme est
demandée, notamment pour éviter des différences quant à l’effet économique des
lois. Si elle a souvent été promise, force est de constater que cette normalisation se
fait encore attendre » : L’union de fait au Québec, Groupe de la coopération inter-
nationale, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, janvier 2005, p. 6. Dans le
même sens, Dominique Goubau et al. écrivent : « [...] malgré les différentes décla-
rations gouvernementales en faveur d’une uniformisation de la définition des
conjoints de fait dans les lois sociales, force est de constater que cet objectif
n’est pas encore atteint » : Dominique GOUBAU, Ghislain OTIS et David
ROBITAILLE, « La spécificité patrimoniale de l’union de fait : le libre choix et ses
dommages collatéraux », (2003) 44 C. de D. 3, 10.
93. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 7 juin 2002,
no 112, p. 6736. Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les
conjoints de fait, L.Q. 1999, c. 14, art. 41. Cette loi eut pour effet de modifier 28 lois
et 11 règlements.
94. Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations, L.C.
2000, c. 12.
95. Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q.
2002, c. 6.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 111

respectueuse des différences. Fidèle à sa tradition d’ouverture et


d’inclusion96, le législateur souhaitait d’abord et avant tout apporter
réponse au besoin de reconnaissance civile et juridique des conjoints
de même sexe, alors privés du droit au mariage en vertu de la loi fédé-
rale97. En aménageant un nouveau statut civil permettant à l’ensem-
ble des couples non mariés (hétérosexuels et homosexuels) d’établir
entre eux des obligations et des droits similaires à ceux que procure le
mariage98, le Québec devenait, aux dires du ministre de la Justice
Paul Bégin, « [...] l’un des États les plus progressistes en matière
d’égalité des droits »99.

Une politique législative également respectueuse du libre choix.


En effet, l’union civile demeure, comme le mariage, une institution
d’adhésion volontaire. Le législateur n’a pas voulu imposer quelques
obligations que ce soit à l’encontre de la volonté des principaux inté-
ressés, mais mettre à leur disposition un cadre susceptible de répon-
dre à leurs besoins juridiques et identitaires, le cas échéant. À cet
égard, le professeur Goubau affirme :

Lorsqu’il s’agit des effets de la conjugalité en droit privé cette fois, la


position traditionnelle du droit québécois consiste, au nom du droit à la
liberté, à ne pas imposer aux conjoints de fait les droits et obligations
des époux mariés. La récente législation sur l’union civile est révéla-
trice de cette approche, dans la mesure où elle permet aux couples,
hétérosexuels comme homosexuels, de se soumettre ou non à un cadre
normatif prédéterminé. [...] En permettant aux couples homosexuels
de s’unir légalement et en réitérant que les individus sont libres de

96. Selon le ministre de la Justice Paul Bégin, « [...] le Québec a toujours été reconnu
pour son ouverture et pour son grand respect des différences » : ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 6 juin 2002, no 111, p. 6656.
97. La loi 84 a également consacré le phénomène que l’on désigne sous le nom d’homo-
parenté en permettant à deux personnes de même sexe d’être inscrits en qualité
de parents sur l’acte de naissance d’un enfant. C’est également par la loi 84 que le
législateur a ajouté à la liste de l’article 366 C.c.Q. de nouveaux célébrants civils
pour le mariage civil (et incidemment l’union civile) : voir Alain ROY, « Le droit de
la famille. Une décennie d’effervescence législative », (2003) 105 R. du N. 215.
98. À quelques exceptions près... Comme l’explique le ministre de la Justice Paul
Bégin : « Le nouveau régime d’état civil présenté aux membres de cette assemblée
permet aux couples qui le désirent de s’unir civilement devant un célébrant. Les
droits et obligations qui découleront de cette union sont les mêmes que ceux du
mariage. Cependant, il y a quelques différences majeures entre les conditions du
mariage et celles de l’union civile. Ainsi, les conjoints qui désirent s’unir civile-
ment doivent être âgés d’au moins 18 ans. Autre distinction, l’union civile est
ouverte aux couples homosexuels et hétérosexuels. Et, finalement, la dissolution
de l’union civile peut être faite devant notaire lorsqu’il n’y a pas d’enfant impli-
qué » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 6 juin
2002, no 111, p. 6656.
99. Débats de l’Assemblée nationale, 6 juin 2002, p. 6656.
112 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

leurs choix lorsqu’il s’agit d’adopter l’une ou l’autre forme de conjuga-


lité, la réforme s’inscrit bien dans la continuité de la philosophie légis-
lative québécoise.100

Dans le même esprit d’ouverture et d’adaptation aux nouvelles


réalités conjugales, le législateur profita également de la loi 84 pour
formaliser et actualiser sa conception de l’union de fait. Lors de
l’adoption de principe du projet de loi, le ministre de la Justice
déclara :

Le projet de loi reconnaît trois types de conjugalité : celle des conjoints


unis en mariage, celle des conjoints en union civile et celle de conjoints
de fait. Le projet de loi ne propose aucune modification touchant la
modalité de vie commune des conjoints de fait qui conservent ainsi la
liberté d’établir les modalités régissant leur couple. Le projet de loi
comprend toutefois des dispositions sur certains aspects de l’union de
fait [...].101

Parmi les dispositions nouvelles en matière d’union de fait, on


notera l’introduction d’une définition englobante du terme « con-
joint » dans la Loi d’interprétation102 :

61.1. Sont des conjoints les personnes liées par un mariage ou une
union civile.

100. Dominique GOUBAU, Ghislain OTIS et David ROBITAILLE, « La spécificité


patrimoniale de l’union de fait : le libre choix et ses dommages collatéraux »,
(2003) 44 C. de D. 3, 6 et 45.
101. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 7 mai 2002, no
96, p. 5816. Voir également les propos du ministre Bégin lors des travaux parle-
mentaires de la Commission des Institutions où, rassurant la représentation de
l’Association des nouvelles conjointes du Québec, le ministre réaffirme claire-
ment ne pas vouloir faire « disparaître » l’union de fait en lui attribuant des
conséquences juridiques : « Nous pensons qu’effectivement dans notre société il
doit y avoir cette chose qui s’appelle « conjoint de fait ». Nous le reconnaissons
tellement que, comme législateurs, nous avons récemment, en 1999, modifié,
pour les conjoints de même sexe, l’union de fait – conjoints de même sexe, pour
permettre que cette institution soit là. Et, quand on fait l’union de fait, la base de
tout ça est à l’effet que les gens veulent ne pas vivre le mariage, civil ou religieux,
et vivre quand même ensemble d’une certaine manière [...] il n’est pas du tout, du
tout de notre intention de légiférer pour faire disparaître à toutes fins pratiques
l’union de fait » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION
DES INSTITUTIONS, Journal des débats, 12 février 2002, no 45, p. C1-46 (en
ligne à <http://www.assnat.QC.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020212.
htm>).
102. Loi d’interprétation, L.R.Q., c. 1-16. Le nouvel article 61.1. a été introduit par
l’article 143 de la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de
filiation, L.Q. 2002, c. 6.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 113

Sont assimilés à des conjoints, à moins que le contexte ne s’y oppose, les
conjoints de fait. Sont des conjoints de fait deux personnes, de sexe dif-
férent ou de même sexe, qui font vie commune et se présentent publi-
quement comme un couple, sans égard, sauf disposition contraire, à la
durée de leur vie commune. Si, en l’absence de critère légal de recon-
naissance de l’union de fait, une controverse survient relativement à
l’existence de la communauté de vie, celle-ci est présumée dès lors que
les personnes cohabitent depuis au moins un an ou dès le moment où
elles deviennent parents d’un même enfant.103

Cette définition supplétive applicable à l’ensemble du corpus


législatif du Québec, constitué à la fois des lois statutaires104 et du
Code civil, est révélatrice de l’attitude résolument positive adoptée

103. Commentant cette définition devant la Commission des Institutions, le ministre


Bégin déclarait : « Le Code civil ne reconnaît pas directement ces unions [les
unions de fait] et le terme « conjoint », tel qu’il est aujourd’hui utilisé au Code ne
vise que les époux. Ce n’est pas l’objet de l’avant-projet de loi d’octroyer un statut
civil aux unions de fait. Cependant, au-delà du statut et des liens patrimoniaux
qui s’établissent entre les conjoints de fait et qui continueront de relever de leur
volonté, il est nécessaire d’apporter certaines clarifications. C’est ainsi que
l’avant-projet de loi, à son article 142, vient modifier la Loi d’interprétation pour
y introduire une définition du terme « conjoint » qui modifiera la porté de ce
terme dans l’ensemble de la législation, y compris au Code civil : ASSEMBLÉE
NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal
des débats, 5 février 2002, no 42, CI-43, p. 5.
104. Ainsi, les définitions disparates de « conjoints de fait » contenues dans les diffé-
rentes lois à caractère social et fiscal sont-elles demeurées intactes, le législa-
teur n’ayant pas procédé à l’abrogation de ces dispositions pour y substituer la
définition de l’article 61.1.
Constatant le manque d’uniformité, la députée Lamquier-Éthier déclarait le
6 juin : « [...] on a pu constater qu’il y avait des variables dans le corpus législatif,
donc dans les différents textes de loi, en ce qui avait trait à la définition de
« conjoint de fait ». Ça varie d’une loi à l’autre. Le ministre de la Justice était bien
conscient de cette difficulté-là, et je pense que subséquemment il va y avoir
quelque chose qui sera fait pour qu’on puisse faire en sorte d’uniformiser et de
reconnaître dans tous les textes de loi une définition qui soit la même pour les
conjoints » : ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 6
juin, no 111, p. 6660. Rappelons que, quelques années plus tôt, soit en 1998, le
ministre de la Justice Serge Ménard avait laissé entendre qu’il était de l’inten-
tion du gouvernement d’« [...] d’harmoniser dans la législation la notion juri-
dique de « conjoint ». Supra, p. 105. Dans ses commentaires sur le projet de loi 32,
la Commission des droits de la personne et de la jeunesse incitait pourtant le
gouvernement à procéder à cette harmonisation le plus rapidement possible, et
par la même occasion, invitait les autorités à profiter de cette révision pour « exa-
miner l’opportunité de rendre applicables aux conjoints de fait les dispositions
qui confèrent des droits et des obligations aux conjoints mariés » : COMMIS-
SION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DE LA JEUNESSE DU QUÉBEC,
Commentaires sur le Projet de loi no 32 – Loi modifiant diverses dispositions
législatives concernant les conjoints de fait, Québec, juin 1999, p. 6.
114 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

par l’État québécois à l’égard des conjoints de fait105. On notera


d’abord le changement terminologique. Le législateur abandonne
une fois pour toute le terme « concubin » autrefois utilisé pour dési-
gner les conjoints de fait. Les rares dispositions du Code civil qui
employaient cette terminologie à connotation péjorative en ont donc
été épurées106, le simple terme « conjoint » suffisant désormais à
les y intégrer.

On soulignera également le changement de paradigme qu’im-


plique la nouvelle définition. Alors qu’il lui fallait auparavant men-
tionner spécifiquement les conjoints de fait pour que les droits et
obligations découlant d’une disposition leur soient reconnus107, le
législateur n’aura désormais qu’à employer le terme « conjoint » pour
en élargir le champ d’application au-delà des seuls conjoints légale-
ment unis. Bien qu’en apparence technique, ce changement de para-
digme est porteur d’une puissante charge symbolique : en droit
québécois, la notion de « conjoints » n’est pas l’apanage des époux et
conjoints unis civilement. Autrement dit, un conjoint de fait n’est pas
moins « conjoint » qu’un conjoint de droit, d’où la nouvelle définition.
Si, au plan substantif, le législateur souhaite moduler les droits et
obligations des uns et des autres, il lui incombera alors d’employer
une terminologie distinctive.

Ainsi, en matière de patrimoine familial, de régimes matrimo-


niaux et d’obligation alimentaire, les conjoints de fait ne peuvent-ils
être assimilés aux conjoints légaux, le législateur ayant délimité le
champ d’application des dispositions pertinentes par l’emploi des ter-
mes « époux » et « conjoints unis civilement »108 ? Les conjoints de fait

105. Conformément à l’article 244 de la Loi instituant l’union civile et établissant de


nouvelles règles de filiation (L.Q. 2002, c. 6), le ministre de la Justice a déposé, au
mois de juin 2005, un rapport concluant à l’opportunité de maintenir l’ar-
ticle 61.1 de la Loi d’interprétation (L.R.Q., c. 1-16). Voir MINISTÈRE DE LA
JUSTICE, Rapport sur l’application de l’article 61.1 de la Loi d’interprétation de
le maintenir ou de le modifier, Québec, juin 2005. Ce rapport précise notamment
la portée reconnue par les tribunaux à l’article 61.1 depuis son entrée en
vigueur.
106. Ainsi, la Chambre des notaires soulignait-elle à juste titre en 1985 que « [...] la
question de la terminologie à employer pour qualifier les couples non mariés est
fort délicate. Le vieux terme « concubinage » employé par le droit civil a pris, avec
le temps, une connotation hautement péjorative. Il est presque devenu inconve-
nant de l’utiliser » : CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, « Le concubi-
nage », Les Cahiers, vol. 8, no 1 A, mars 1985, p. 125-126.
107. Di Paolo (Syndic de), [1998] R.J.Q. 174 (C.S.). Voir cependant Bagnoud (Syndic
de), [2002] R.J.Q. 2055 (C.S.).
108. En ces matières, le législateur a d’ailleurs pris soin d’employer les termes
« époux » et « conjoints unis civilement » : art. 414 et 521.6 C.c.Q. ; 432 et s. et 585.
Voir Brigitte LEFEBVRE, « Projet de loi 84 : quelques considérations sur les
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 115

seront cependant assimilés à ces derniers en matière d’assurance-vie


(art. 2419 C.c.Q.), de rentes (art. 2380 C.c.Q.) et de régimes de protec-
tion (art. 264, 266 et 269 C.c.Q.) puisqu’on y emploie le terme
« conjoint », sans autre indication. Forts de l’appellation spécifique
nouvellement enchâssée dans la Loi d’interprétation, les conjoints de
fait exerceront dorénavant les droits prévus dans ces articles en qua-
lité de réels conjoints et non plus en tant que simple « proche » ou
« personne intéressée »109.

Plus fondamentalement, les conjoints de fait se sont également


vu accorder une pleine reconnaissance en matière de consentement
aux soins. Les propos du ministre de la Justice permettent de saisir
l’importance que revêt l’intervention législative dans ce domaine :

Parmi les effets de cette modification, je veux en souligner un fort


important dans la vie de tous les jours, celui sur les règles de consente-
ment aux soins. Actuellement, ces règles ne reconnaissent pas directe-
ment le droit du conjoint de fait de consentir à des soins pour sa
compagne ou son compagnon de vie. Ce droit est donné au premier chef
au représentant légal de la personne et il le demeure. Mais, pour toutes
les personnes majeures qui ne sont pas sous un régime de protection et
qui sont, pour une raison ou une autre, inaptes à consentir à des soins,
le consentement est aujourd’hui donné par l’époux, et ce n’est qu’à
défaut qu’il est donné par un parent ou par une personne qui démontre
pour le majeur un intérêt particulier. C’est sous cette périphrase que se
cache aujourd’hui le conjoint de fait. L’avant-projet clarifie la situation
et donne aussi au conjoint par union civile et au conjoint de fait le droit
de consentir à des soins au même titre que l’époux.110

À l’invitation de plusieurs des organismes qui ont comparu en


commission parlementaire, le ministre de la Justice a décidé, par
souci de clarté, d’ajouter une référence expresse au conjoint de fait à
l’article 15 C.c.Q. qui traite spécifiquement du consentement aux

nouvelles dispositions en matière de filiation et sur la notion de conjoint », (2002)


2 C.P. du N. 9, 20 et s.
109. Dans une perspective plus technique, la nouvelle définition entraîne l’inhabilité
d’un juge à siéger lorsque son conjoint de fait est intéressé dans le procès, l’im-
possibilité de contraindre un témoin à divulguer une communication faite par
son conjoint de fait dans le cadre de leur vie commune. La définition permet éga-
lement d’assujettir le conjoint de fait à des dispositions traitant de conflit d’inté-
rêts ou d’opérations interdites entre personnes liées.
110. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITU-
TIONS, Journal des débats, 5 février 2002, 5 février 2002, no 42, CI-43, p. 5.
En ligne à <http://www.assnat.QC.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/
020205.htm>.
116 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

soins destinés au majeur inapte111. Bien que le simple recours au


terme « conjoint » eût suffi à inclure le conjoint de fait – rien ne
s’opposant à l’assimilation prévue à l’article 61.1 de la Loi d’interpré-
tation –, le ministre a choisi de rendre la disposition autonome, les
intervenants appelés à en assurer l’application (essentiellement des
intervenants du monde médical) ayant intérêt à en délimiter rapide-
ment la portée.

Évidemment, les différents groupes, organismes et personnes


qui ont présenté des mémoires à la Commission des Institutions ont
axé leurs observations et suggestions sur l’union civile. Plusieurs ont
également traité de la question des droits parentaux des gais et les-
biennes. Très peu d’intervenants se sont attardés à la situation juri-
dique des conjoints de fait en général ou, plus précisément, à la
volonté du gouvernement de maintenir sa politique non intervention-
niste.

Ainsi, sur les 56 mémoires présentés à la Commission des Insti-


tutions, seulement 4 comportent une position claire sur la probléma-
tique, soit celui du Barreau du Québec112, de l’Association des avocats
et avocates en droit familial du Québec113, de la Chambre des notai-
res du Québec114 et de Mes Jocelyn Verdon et Mireille Pélissier-
Simard115. Les trois premiers saluent le maintien de la liberté de

111. Voir par exemple le mémoire de la Fédération des femmes du Québec : FÉDÉRA-
TION DES FEMMES DU QUÉBEC, De l’union à la famille... une étape de plus à
franchir – Mémoire présenté par la Fédération des femmes du Québec, février
2002, Québec, p. 6.
112. BARREAU DU QUÉBEC, Mémoire sur la loi instituant l’union civile des person-
nes de même sexe et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives,
Montréal, janvier 2002, p. 8.
113. ASSOCIATION DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT FAMILIAL DU
QUÉBEC, Mémoire de l’Association des avocats et avocates en droit familial du
Québec, Montréal, janvier 2002, p. 2.
114. Bien que le mémoire de la Chambre ne pèche pas excès de clarté sur la question
(CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, Mémoire portant sur l’avant-projet
de loi intitulé Loi instituant l’union civile des personnes de même sexe et modi-
fiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, Montréal, janvier 2002,
p. 17) , le président de l’Ordre a tenu des propos non équivoques lors de la com-
mission parlementaire : « Nous sommes également satisfaits de constater que le
régime proposé aux termes de l’avant-projet n’affecte en rien l’autonomie de
ceux et celles qui vivent leur conjugalité en marge de l’ordre juridique formel. La
Chambre des notaires croit fermement à la liberté des individus de disposer de
leur propre cause et manifesterait son opposition à toute réforme législative au
terme de laquelle l’État s’arrogerait le droit de dicter, directement ou indirecte-
ment, totalement ou partiellement, le contenu obligationnel de l’union de fait,
quelle que soit l’orientation sexuelle des conjoints ».
115. Jocelyn VERDON et Mireille PÉLISSIER-SAVARD, Les enfants du mariage
ceux d’unions de fait. Peut-on parler d’égalité ?, juin 1999.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 117

choix des conjoints de fait, alors que le quatrième le dénonce ferme-


ment. De façon moins directe, le Centre de recherche en droit privé et
comparé du Québec se dit en accord avec l’inclusion du conjoint de fait
dans les « [...] domaines où le Code civil ne peut justifier de discrimi-
ner entre époux et conjoints de fait, comme notamment en matière de
consentement aux soins »116. L’Action des nouvelles conjointes du
Québec s’inquiète pour sa part de l’impact que la nouvelle définition
de conjoint proposée dans la Loi d’interprétation pourrait avoir sur la
liberté de choix des conjoints de fait117. Dans le même sens, la Com-
mission des droits de la personne et de la jeunesse invite le législateur
à examiner attentivement la portée de l’article 61.1 pour éviter que
son « [...] application ait des effets non souhaités » en rendant par
erreur « [...] applicable à des conjoints de fait des dispositions qui
ne devraient toucher que les époux ou les partenaires [en union
civile] »118. Saluant l’avènement de l’union civile, la Commission se
réjouit par ailleurs du fait que les couples de même sexe puissent
désormais bénéficier d’un « [...] choix similaire à celui dont dispose les
couples hétérosexuels, à savoir une union de fait ou une union
encadrée par le Code civil du Québec »119. Enfin, le Conseil du statut
de la femme invite en ces termes le législateur à une réflexion plus
globale sur le sujet :

Le Conseil considère que l’avant-projet de loi ouvre sur un exercice de


révision des conditions de fond de toute union conjugale légalement
reconnue et du statut légal des unions de fait. Le Conseil considère
aussi que toute la question de la conjugalité, autant légale que de fait,
et de ses implications en droit, devrait faire l’objet d’une réflexion glo-
bale au Québec, afin que soit posée de façon uniforme la question des
droits, des responsabilités et des obligations issus de la vie de couple.120

116. CENTRE DE RECHERCHE EN DROIT PRIVÉ ET COMPARÉ DU QUÉBEC,


Mémoire présenté à la Commission des Institutions dans le cadre des consulta-
tions publiques concernant l’Avant-projet de loi, Loi instituant l’union civile des
personnes de même sexe et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législa-
tives, Montréal, janvier 2002, p. 20.
117. L’ACTION DES NOUVELLES CONJOINTES DU QUÉBEC, Mémoire présenté
à la Commission des Institutions – Impact sur les unions de fait hétérosexuelles
de la loi instituant l’union civile des personnes de même sexe et modifiant le Code
civil et d’autres dispositions législatives, 2002, Québec, p. 8.
118. COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA
JEUNESSE DU QUÉBEC, Mémoire – Avant-projet de loi instituant l’union
civile des personnes de même sexe et modifiant le Code civil et d’autres disposi-
tions législatives, février 2002, Québec, p. 24.
119. Ibid., p. 25.
120. CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, Avis du Conseil du statut de la
femme – L’égalité... Oui ! Dans la conjugalité et la parentalité. Mémoire sur
l’avant-projet de loi instituant l’union civile des personnes de même sexe et modi-
fiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, février 2002, Québec, p. 29.
118 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

En outre, un dernier intervenant considère qu’un régime


d’union civile à la fois accessible aux couples de même sexe et aux cou-
ples hétérosexuels pourra éventuellement répondre à la volonté des
conjoints de fait qui, tout en rejetant le statut matrimonial pour
des raisons liées à l’héritage religieux ou culturel qui l’accompagne,
voudraient néanmoins adhérer volontairement à un cadre juridique
établissant entre eux des droits et des obligations121.

Les élus n’ont pas été plus loquaces sur la question de l’union de
fait que les organismes, groupes et autres intervenants ayant com-
paru en commission parlementaire. Que ce soit à l’occasion des tra-
vaux de la Commission des Institution ou des débats à l’Assemblée
nationale, aucun parlementaire n’a véritablement interpellé le gou-
vernement sur son intention de préserver le libre choix des conjoints
de fait. À cet égard, les discussions sur le projet de loi 84 se distin-
guent des débats entourant les autres projets de loi dont nous avons
jusqu’ici exposé les tenants et aboutissants.

Le projet de loi 84 a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée


nationale le 7 juin 2002122. Les modifications apportées au Code civil
par la loi sont entrées en vigueur le 24 juin suivant123.

Pour une opinion similaire, voir les propos du représentant du Mouvement


laïque québécois : « Le MLQ aurait souhaité que le gouvernement et l’Assemblée
nationale entreprennent une réflexion plus large que celle évoquée dans le docu-
ment de consultation, une réflexion qui aurait permis la remise en question des
certitudes officielles concernant le mariage et les besoins des couples aussi bien
hétérosexuels qu’homosexuels. Nous espérons que l’occasion nous sera donnée
bientôt de reprendre ce débat dans toute son ampleur » : MOUVEMENT
LAÏQUE QUÉBÉCOIS, Mémoire du Mouvement laïque québécois sur l’avant-
projet de loi instituant l’union civile, février 2002, Québec, p. 4. Les propos du
président de la Commission des Institutions, M. Henri-Paul Gautrin, tenus
devant l’Assemblée nationale lors du dépôt du rapport de ladite Commission, le
30 mai, laissent croire que ces propos ont été entendus : « Toute cette discussion
autour du concept de conjoint de fait et en faisant rapport à l’Assemblée qu’on a
modifié la loi, on l’a modifié substantiellement, mais on est bien conscient, de
part et d’autre, que la loi n’est pas... le travail sur la définition de conjoint de fait
n’est seulement qu’ébauché, n’est pas terminé » : ASSEMBLÉE NATIONALE
DU QUÉBEC, COMMISSION DES INSTITUTIONS, Journal des débats,
30 mai 2002, no 99, p. 6425.
121. Ibid., p. 2. Cette opinion rejoint d’une certaine façon le sens de la proposition du
ministre Ménard qui, le 18 juin 1998, se disait ouvert à l’idée de prévoir un méca-
nisme pour assurer, en droit privé, la reconnaissance juridique et sociale des
unions de fait. Voir supra, p. 28.
122. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Journal des débats, 6 juin 2002,
no 111, p. 6656-6664. La sanction de la loi a eu lieu le lendemain, soit le 8 juin.
123. Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q.
2002, c. 6, art. 245.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 119

L’exposé qui précède aura permis de situer le droit québécois de


l’union de fait dans sa juste perspective. Plusieurs constats s’impo-
sent. D’abord, l’absence de toute forme d’obligations mutuelles entre
conjoints de fait en droit civil québécois n’est pas le fruit d’une indif-
férence législative. Les différents travaux parlementaires que nous
avons analysés démontrent clairement l’attachement du législateur
québécois au principe du libre choix et de l’autonomie de la volonté124.
Les conjoints de fait qui ne se marient pas (ou, depuis 2002, qui ne
s’unissent pas civilement) sont présumés vouloir demeurer en marge
du mariage. Il importe en conséquence de ne pas leur imposer d’obli-
gations auxquelles ils n’ont pas expressément consenti125.

Certes, le gouvernement a été régulièrement interpellé sur la


pertinence de maintenir une politique législative axée sur les princi-
pes du libre choix et de l’autonomie de la volonté des conjoints de fait.
Que ce soit lors des discussions en commission parlementaire ou des
débats à l’Assemblée nationale, certains élus ont plaidé en faveur de
l’établissement d’un minimum d’obligations entre conjoints de fait.
Tel fut le cas en 1980, en 1989, en 1991 et en 1999. En aucun cas,
cependant, ces interrogations ou tergiversations n’ont eu d’impact
sur le vote final, chacune des lois où le principe aurait pu être utile-
ment remis en cause ayant été adoptée à l’unanimité126.

124. Nicole Roy écrit : « Ce choix, effectué en 1980, de n’instituer aucune régime par-
ticulier pour les conjoints de fait aurait pu être remis en question par la suite.
Toutefois, chaque fois que la question de l’encadrement juridique de l’union de
fait a été soulevée depuis, et elle l’a notamment été à l’occasion de l’adoption du
nouveau Code civil en 1991 et en 2002 lors de l’étude de l’avant-projet de loi
ayant mené à l’institution de l’union civile, le législateur a réaffirmé qu’il n’avait
pas l’intention d’imposer des effets juridiques contraignants à l’union de fait » :
Nicole ROY, L’union de fait au Québec, Groupe de la coopération internationale,
Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, janvier 2005, p. 3.
125. Évidemment, certains sont en désaccord avec cette politique législative. Plutôt
que de s’en remettre au principe du libre choix et de l’autonomie de la volonté, ils
invoquent le besoin de réglementer toute relation où l’interdépendance écono-
mique risque d’affecter, à plus ou moins long terme, l’équilibre des rapports. Le
professeur Beaulne pose la problématique ainsi : « Le phénomène de l’union libre
au Québec a suscité de nombreuses questions sur le plan juridique, dont les plus
importantes sont sans aucun doute de savoir si une telle union doit ou non faire
l’objet d’une reconnaissance législative explicite et si les relations qui s’établis-
sent alors entre ses membres doivent être encadrées. Certains ont donné une
réponse affirmative à la question, soulignant qu’il était essentiel de protéger le
conjoint le plus faible de l’union » : Jacques BEAULNE, « Aperçu de la situation
juridique des conjoints de fait au Québec : aspects civils, sociaux et fiscaux »,
dans Jacques BEAULNE et Michel VERWILGHEN (dir.), Points de droit fami-
lial : rencontres universitaires belgo-québécoises, Montréal, Wilson & Lafleur,
1997, p. 223, p. 226.
126. Par ailleurs, on notera la teinte quelque peu partisane des échanges, les partis
politiques s’échangeant le rôle d’objecteur de conscience selon leur fonction à
120 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

Il est par ailleurs difficile de voir dans la législation québécoise


actuelle et, plus particulièrement dans le Code civil, le signe d’une
quelconque hiérarchisation des modes de vie conjugale. Il n’y a pas,
en droit québécois, un statut conjugal de référence, mais plusieurs
modes de vie dont l’ordonnancement juridique diffère en fonction
d’une rationalité politique qui lui est propre. Dans cette perspective,
il faut se garder d’apprécier la reconnaissance législative dont béné-
ficie un « statut » à la lumière des conséquences juridiques qui accom-
pagnent les autres statuts. L’appréciation ne doit pas se faire sur
une base quantitative, mais qualitative. Or, sans parler des droits
sociaux auxquels peuvent universellement prétendre les conjoints de
fait, la modification apportée en 2002 à l’article 15 C.c.Q. témoigne de
la considération que le droit québécois accorde aux conjoints de fait.
Dans la liste des personnes autorisées à consentir aux soins requis
par l’état de santé d’une personne majeure inapte à fournir son
propre consentement, le conjoint de fait prime les autres proches de la
personne inapte, y compris ses enfants. Si le législateur ignore ou
déconsidère le conjoint de fait, comment expliquer qu’il lui accorde
ainsi priorité dans un contexte aussi important que la dispensation
de soins souvent vitaux ?

Les réactions à chaud que certains observateurs du milieu


médiatique peuvent avoir à la vue d’un Code civil qui réserve les régi-
mes matrimoniaux, le patrimoine familial et l’obligation alimentaire
aux seuls conjoints légalement unis doivent être appréciées avec cir-
conspection. S’il est vrai que, dans certains États, l’absence d’obliga-
tions entre conjoints de fait relève de l’indifférence ou du déni, tel
n’est manifestement pas le cas du Québec.

B. Éléments de droit comparé

Les conjoints de fait ne bénéficient pas d’une même reconnais-


sance juridique dans tous les pays. Sans nécessairement voir dans
l’union de fait un mode de vie immoral, certains États postulent tou-
jours la supériorité du mariage. D’autres, en revanche, adoptent une

l’Assemblée nationale. Lors de la réforme de 1980, le Parti québécois, formant le


gouvernement, défendait le principe du libre choix, alors que l’Opposition
formée par le Parti libéral le remettait en cause. Les rôles étaient inversés en
1989, lors de l’adoption de la loi instituant le patrimoine familial. Cette fois, c’est
le Parti libéral, formant le gouvernement, qui défendait le principe du libre
choix, alors que l’Opposition péquiste le remettait en cause. En 1999, lors de
l’adoption de la Loi 32, le gouvernement péquiste a réitéré son attachement à ce
principe, alors que des députés libéraux se sont ouvertement interrogés sur son
bien-fondé et sa pertinence.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 121

conception égalitaire des modes de vie conjugale mais, au contraire


du Québec, soumettent les conjoints de fait à certaines obligations
mutuelles.

Dans cette seconde partie, nous décrirons sommairement l’évo-


lution du statut juridique des conjoints de fait en France, en Belgique
et dans les provinces canadiennes de common law. Cet exposé nous
permettra de dégager l’approche politico-législative de l’union de fait
qui prévaut dans ces États et, incidemment, d’en comparer les fonde-
ments avec ceux qui caractérisent l’approche québécoise. Puisque
nous ne pouvons avoir accès à l’intégralité des travaux parlementai-
res étrangers, nous puiserons l’essentiel des données nécessaires à
l’analyse dans la législation et la doctrine locale.

Certes, il n’est pas dans notre intention de présenter l’évolution


du droit étranger de manière aussi exhaustive que nous l’avons fait à
propos du droit québécois. Dans la perspective comparatiste qui est la
nôtre, le recours au droit étranger ne vise qu’à faire mieux ressortir
les traits particuliers de la politique législative québécoise de l’union
de fait.

1. Le droit français

a) La lente ascension du « concubinage » en


droit civil français

« Les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse


d’eux »127. Cette célèbre déclaration de Napoléon explique sans doute
pourquoi le Code civil français ne contenait, à l’origine, aucune allu-
sion directe aux concubins128. Contrairement au Code civil du Bas
Canada qui, comme nous l’avons vu, se montrait explicitement suspi-
cieux envers eux en les privant du droit de se consentir des donations
entre vifs, le Code civil français n’a jamais spécifiquement prohibé les
libéralités entre concubins. Le désintérêt du législateur français pou-
vait donc se mesurer à travers son silence, mais un silence dont les
concubins n’ont pu néanmoins tirer profit. Se réclamant de l’ordre
public et des bonnes mœurs, les tribunaux furent prompts à invalider

127. René SAVATIER, Bonaparte et le code civil, Paris, Dalloz, 1927.


128. Au contraire de l’Ancien droit qui, lui, réprimait le concubinage : Mirelle
DEWEVRE-FOURCADE, Le concubinage, Paris, P.U.F., 1992, p. 14. Notons
qu’à l’origine, le Code français ne contenait qu’une seule disposition relative au
concubinage, soit l’article 230 suivant lequel la « femme pouvait demander le
divorce pour cause d’adultère de son mari lorsqu’il avait tenu sa concubine dans
la maison commune ».
122 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

la plupart des transferts et arrangements dont ils avaient pu conve-


nir129.

Cela dit, le législateur français trahissait indirectement sa


conception unitaire de la famille en disqualifiant sévèrement les
enfants issus du concubinage. Comme au Québec, ceux-ci firent pen-
dant très longtemps l’objet d’une nette discrimination par rapport
aux enfants légitimes130. Une discrimination dont les dernières tra-
ces sont d’ailleurs demeurées dans le Code civil jusqu’en 2006131.

La réprobation sociale de l’union de fait s’étiola rapidement à la


fin des années 60, le concubinage se hissant au rang des phénomènes
dits normaux et moraux132. L’absence de toute règle législative à
l’égard des conjoints de fait prit dès lors une autre signification. Les
concepts d’ordre public et de bonnes mœurs ne purent plus, à eux
seuls, justifier la disqualification juridique du concubinage et l’annu-
lation des arrangements privés destinés à l’organiser.

L’entrée de l’union de fait dans la licéité fut cependant moins


visible qu’en droit québécois où, comme nous l’avons souligné, divers
intervenants du monde juridique ont rapidement cherché à occuper

129. Jean CARBONNIER, Droit civil, vol. 1, « introduction. Les personnes. La


famille, l’enfant, le couple », lre édition, Quadrige, collection « Quadrige.
Manuels », Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 1459, no 649. Rien,
affirmait Delvincourt, n’est plus contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs
que le concubinage et l’adultère. D’autres auteurs, cependant, s’abstenaient
d’aborder la problématique dans une perspective morale. Pour un exposé sur les
tenants et aboutissants de la jurisprudence ancienne sur les libéralités entre
concubins, voir Alain BÉNABENT, Droit civil. La famille, 11e éd., Paris, Litec,
2003, p. 343, no 526. Ce n’est que le 3 février 1999, la Cour de cassation a affirmé
la validité des libérations entre concubins en toutes circonstances, y compris
lorsque le concubinage équivaut à une relation adultère : Cass. Ire civ., 3 févr.
1999 : D. 1999, 267. Pour une analyse sommaire de l’arrêt, voir Philippe
MALAURIE et Hugues FULCHIRON, Droit civil. La famille, Paris, Défrénois,
2004, p. 151-152. Certains ont froidement accueilli cet arrêt, faisant observer
qu’une libéralité destinée à maintenir une relation adultère du donataire avec le
bénéficiaire devrait toujours être econsidérée comme illicite : Patrick COURBE,
Droit de la famille, 4e éd., Paris, Armand Colin, 2005, p. 249, no 595.
130. Pour un exposé sur la situation juridique des enfants nés hors mariage qui pré-
valait autrefois, voir Philippe MALAURIE et Hugues FULCHIRON, Droit civil.
La famille, Paris, Défrénois, 2004, p. 349 et s.
131. Voir infra, note 134.
132. Voir Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI et Hugues FULCHIRON, « Avant-pro-
pos », dans Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI (dir.), Des concubinages dans le
monde, Paris, C.N.R.S., 1990, p. 15. Selon une source (2005), sur les 15 millions
de couples que l’on compte aujourd’hui en France, environ 3 millions seraient
des couples en union de fait : Patrick COURBE, Droit de la famille, 4e éd., Paris,
Armand Colin, 2005, p. 235, no 580.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 123

l’espace nouvellement dégagé au profit des conjoints de fait en pro-


mouvant une pratique de contrats d’union de fait. En France, le « con-
trat de concubinage » est, aujourd’hui encore, abordé avec beaucoup
de curiosité et de scepticisme, voire de méfiance133.

Quant au législateur, il prit acte de l’évolution des mœurs de dif-


férentes manières. Au début des années 70, il consacra l’égalité des
filiations, enfants « légitimes » et « naturels » pouvant dès lors jouir
des mêmes droits134. En 1989, il reconduisit le droit du concubin au
133. Les formules utilisées par de grands auteurs contemporains en témoignent :
« Certains professionnels proposent même une formule de « contrat de concubi-
nage » destiné à régir de façon générale les rapports patrimoniaux, à la manière
d’un contrat de mariage » : Alain BÉNABENT, Droit civil. La famille, 11e éd.,
Paris, Litec, 2003, p. 342, no 525 ; « Aux États-Unis, au Canada, aux Pays-Bas,
une pratique s’est introduite de contrats notariés de concubinage [...] Des
notaires de chez nous ont pu être tentés par cette nouveauté [...] » : Jean
CARBONNIER, Droit civil, vol. 1, « introduction. Les personnes. La famille, l’en-
fant, le couple », 1re éd., Quadrige, collection « Quadrige.Manuels », Paris, Pres-
ses universitaires de France, 2004, p. 1456, no 648 ; « Pour pallier l’absence de
règles spécifiques, les concubins peuvent être tentés par le contrat. La pratique
en est florissante dans les pays anglo-saxons. [...] La valeur et la portée de tels
contrats laissent perplexe » : MALAURIE et Hugues FULCHIRON, Droit civil.
La famille, Paris, Défrénois, 2004, p. 142, no 322 ; « Certains praticiens ont
essayé de développer en France, sur le modèle de certains droits étrangers,
notamment de l’Ontario ou du Québec, des contrats de concubinage, mais ces
conventions [...] sont encore très marginales, et, dans l’esprit, semblent contrai-
res à la liberté et la précarité qui définissent la relation de concubinage » :
AUTEURS MULTIPLES, Droit de la famille (sous la direction de Jacqueline
Rubellin-Devichi), Paris, Dalloz, 2001-2002, p. 392. On doit également noter la
frilosité d’une certaine doctrine juridique (et non la moindre) qui, encore
aujourd’hui, refusent d’avaliser le contrat par lequel les conjoints de fait adopte-
raient des dispositions empruntées au régime juridique du mariage. Ainsi, écrit
le doyen Carbonnier : « Un contrat global de concubinage, où les parties déclare-
raient vouloir aligner leurs rapports sur les rapports entre époux, serait assuré-
ment nul de nullité absolue. [...] C’est par sa dynamique d’ensemble que l’acte
est suspect, non pas comme immoral, mais comme illicite, parce qu’il tend à
revêtir de force obligatoire une sorte de mariage privé, violant ainsi le monopole
de l’État » : Jean CARBONNIER, Droit civil, vol. 1, « introduction. Les person-
nes. La famille, l’enfant, le couple », 1re éd., Quadrige, collection « Qua-
drige.Manuels », Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 1452 et 1456,
nos 647-648.
134. Voir Loi du 3 janvier 1972 (introduisant le nouvel article 334 dans le C.civ.). À la
suite de cette loi, des différences furent toutefois maintenues en ce qui a trait
aux règles relatives à l’autorité parentale et à l’établissement et la contestation
du lien de filiation. Par la Loi du 8 janvier 1993, les parents d’un enfant naturel
se virent octroyer la vocation à exercer en commun l’autorité parentale, mais à la
condition qu’ils l’aient tous les deux reconnu avant son premier anniversaire et
qu’ils vivent ensemble au moment de reconnaissance seconde en date. La Loi du
4 mars 2002 relative à l’autorité parentale établit (à l’article 310-1 C.civ.) le prin-
cipe suivant lequel « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont
les mêmes droits et les mêmes devoirs dans les rapports avec leur père et mère.
Ils entrent dans la famille de chacun d’eux ». Le législateur supprima les
124 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

maintien dans les lieux loués en cas de décès ou d’abandon du conjoint


locataire135, mais sans pour autant faire du contrat de location un
bail commun comme en matière matrimoniale136. Quelques années
plus tard, en 1994, il autorisa les couples de concubins à recourir à la
procréation médicalement assistée137, sans toutefois leur permettre
de procéder conjointement à l’adoption d’un enfant138.

b) Le droit social et fiscal

Outre ces changements au Code civil, certaines mesures conte-


nues aux lois sociales furent étendues aux concubins, soit de manière
explicite, soit en référence à la notion de « personne à charge »139.

références aux enfants légitimes et naturels et renforça le principe d’une auto-


rité parentale exercée en commun, dépendant non plus du statut des parents,
mais de la date d’établissement de la filiation. Puis, le 1er juillet 2006, les notions
de filiation légitime et naturelle disparurent officiellement du vocabulaire
juridique.
135. En matière de logement locatif, la Loi du 1er septembre 1948 reconnaissait déjà à
la concubine un droit au maintien dans les lieux : Catherine NOIR-MASNATA,
Les effets patrimoniaux et leur influence sur le devoir d’entretien entre époux
séparés, Genève, Droz, 1982, p. 19. On s’en remet aujourd’hui à la Loi du 6 juillet
1989 qui accorde, à l’article 14, au concubin notoire le bénéfice de la continuation
du bail en cas d’abandon ou de décès. L’article 15 de la même loi accorde au bail-
leur le droit de reprise du logement au profit de son concubin notoire ou de ses
ascendants et descendants de celui-ci.
136. Art. 1751 C.civ.
137. Voir Loi du 29 juillet 1994 (C. santé publ., art. L. 152-2).
138. C.civ., art. 346. Toutefois, l’article 343-1 C.civ. permet l’adoption par un céliba-
taire. ASSEMBLÉE NATIONALE, CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE, Enregistré à la Présidence de l’Assemblée natio-
nale le 24 juillet 2002, PROPOSITION DE LOI, tendant à permettre aux couples
non mariés, d’adopter conjointement un enfant. Cette proposition de loi ren-
voyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’admi-
nistration générale de la république semble être demeurée au stade de l’examen
car, dans le plus récent rapport ayant été déposé à l’Assemblée nationale sur la
question (Rapport au nom de la mission d’information sur la famille et les droits
des enfants, ASSEMBLÉE NATIONALE, CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE
1958, no 2833, Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 janvier
2006) madame Valérie Pecresse précise que : « L’adoption conjointe est actuelle-
ment réservée aux époux. Étant donné la forte augmentation du nombre de
familles constituées hors mariage, la question se pose d’une éventuelle ouver-
ture de l’adoption conjointe aux concubins, de sexe différent, voire de même
sexe ».
139. Notons que le législateur français reconnaît des droits sociaux aux concubins
depuis fort longtemps. Ainsi, les veuves de guerre non mariées se voyaient
reconnaître le droit aux allocations militaires prévues dans les Lois du 9 mars
1918 et 1er avril 1926 : Yann FAVIER, « Les concubins et leurs droits sociaux »,
dans Des concubinages en droit interne, droit international, droit comparé. Étu-
des offertes à J. Rubellin-Devichi, Paris, Litec, 2002, p. 241 (voir aujourd’hui
Loi du 12 nov. 1955). Les concubins ont également droit à l’allocation de salaire
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 125

Ainsi, le législateur permit-il au concubin de bénéficier de la Sécurité


sociale reconnue à l’époux en attribuant la qualité d’ayant droit à la
personne vivant maritalement avec un assuré et se trouvant à sa
charge effective, totale et permanente140. Les concubins se virent
également offrir l’accès aux bénéfices de l’assurance-maladie et
maternité141, de même qu’à certaines caisses de retraite142. Le droit
statutaire aura donc été graduellement ouvert aux conjoints de fait,
mais jamais de manière intégrale, certains bénéfices demeurant tou-
jours réservés aux époux143. En revanche, les règles en matière
d’impôt sur le revenu demeurèrent distinctives, les concubins fran-
çais étant appréhendés par le fisc de manière tout à fait séparée et
non en termes d’unité commune comme c’est le cas des époux144.

unique depuis 1972 (D.29 juin 1972). Par ailleurs, la condition de concubin peut
parfois entraîner la perte d’avantages sociaux, par exemple l’allocation de sou-
tien familial prévue à l’article L. 523-2 du Code de la sécurité sociale) : Alain
SÉRIAUX, « De l’opportunité d’un statut des concubins », dans Regards civilistes
sur la loi du 15 novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solida-
rité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 39, p. 31.
140. Ainsi, depuis 1978, l’article L. 161-14 du Code de la sécurité sociale permet au
concubin notoire d’être ayant droit d’un assuré au titre des prestations en nature
de l’assurance maladie et l’article L. 361-4 du même code lui permet de bénéfi-
cier du capital décès. Le législateur a assimilé le couple hétérosexuel et le couple
homosexuel aux fins de l’application de ces mesures aux termes de la Loi du 27
janvier 1993 (Loi no 93-121). Cette modification a été apportée après que la Cour
de cassation eut refusé, dans sa décision du 11 juillet 1989, d’assimiler les cou-
ples de même sexe aux couples hétérosexuels dans le cadre des lois ou règlement
reconnaissant des avantages aux concubins : Cass. Soc., 11 juill. 1989, Gaz. Pal.
1990, 1, p. 217. La Cour devait reconfirmer cette interprétation quelques années
plus tard, soit en 1977 : Cass. 3e civ., 17 déc. 1997, D. 1998, jur. 111.
141. Voir Loi du 2 janvier 1978 (art. 13 et 161.4 du Code de la sécurité sociale).
142. Voir Alain BENABENT, Droit civil. La famille, 11e éd., Paris, Litec, 2003, p. 348,
no 530.
143. Ainsi, l’assimilation du conjoint de fait à l’époux en matière de droit social ne
touche pas le bénéfice de l’assurance-veuvage (art. L. 356-3 du Code de la sécu-
rité sociale, depuis abrogé par la Loi du 21 août 2003 portant réforme des retrai-
tes) ; la pension de retraite ou de réversion (art. L. et R. 353-1) et le bénéfice de
l’assurance-invalidité (art. L. 342-1 du Code de la sécurité sociale). Voir Domi-
nique VICH-Y-LLADO, La désunion libre, t. II, Paris, l’Harmattan, 2001, p. 71
et Alain BENABENT, Droit civil. La famille, 11e éd., Paris, Litec, 2003, p. 348,
no 530. Les professeur Malaurie et Fulchiron écrivent : « [...] l’assimilation du
concubinage et du mariage quant à leurs effets est aujourd’hui en partie réalisée
en France comme dans nombre de pays d’Europe. L’affirmation vaut depuis
longtemps en droit social et en droit fiscal qui s’attachent plus à la réalité sociale
qu’à un statut juridique » : Philippe MALAURIE et Hugues FULCHIRON, Droit
civil. La famille, Paris, Defrénois, 2004, p. 142.
144. Voir l’article 6-1 du code général des impôts. Cette situation présente certains
avantages inattendus. Ainsi, observe le professeur Bénabent : « Si ce n’est pas
avantageux en ce qui concerne le taux d’imposition, cela place en revanche les
concubins dans une situation améliorée à certains autres égards, notamment en
leur permettant de bénéficier deux fois de certaines déductions plafonnées, qui
sont applicables une seule fois par foyer ». Cela dit, poursuit l’auteur « [...] les
126 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

c) La loi du 15 novembre 1999 introduisant le


Pacte civil de solidarité...

Une nouvelle étape fut franchie le 15 novembre 1999 par l’intro-


duction, dans le Code civil, d’un Titre XII (du Livre I sur les person-
nes) intitulé « Du pacte civil de solidarité et du concubinage »145. Par
le pacte civil de solidarité, mieux connu sous son acronyme de « pacs »,
le législateur entendait reconnaître la réalité des couples de même
sexe en leur permettant d’adhérer consensuellement à un cadre légal
porteur de conséquences juridiques. De peur de colorer le nouveau
régime d’une teinte homosexuelle trop voyante, on décida d’en ouvrir
l’accès à tous les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle.

Régime minimaliste s’il en est, le pacs n’emporte entre les par-


tenaires (communément appelés « pacsés ») qu’un nombre limité
d’effets. Ainsi, ceux-ci ont-ils l’obligation de se procurer une aide
mutuelle et matérielle. Ils sont également tenus solidairement res-
ponsables des dettes communes. Depuis la Loi du 23 juin 2006, leurs
biens sont assujettis à un régime assimilable à la séparation de
biens146. Au terme de la même réforme, les pacsés se sont vu imposer
une « obligation d’assistance » et « un devoir de faire vie commune ».
Sans pouvoir prétendre aux mêmes privilèges que les époux, les pac-
sés bénéficient également d’un traitement particulier en matière de
droits sociaux147, fiscaux148 et successoraux149.

donations ou legs entre concubins sont assujettis au taux entre étrangers, soit
60 %. Pour plus de détails sur la situation fiscale des concubins, voir : Alain
BÉNABENT, Droit civil. La famille, 11e éd., Paris, Litec, 2003, p. 347, no 529.
Notons également que les concubins déclarent en commun l’impôt de solidarité
sur la fortune.
145. Loi no 99-944 du 15 novembre 1999. La loi a été adoptée à 315 voix contre 249 et
quatre abstentions : Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, « Présentation de la loi
adoptée le 13 octobre 1999 relative au PACS », J.C.P. éd. N. 1999.1.1551.
146. C.civ., art. 515-3. Avant la modification du 23 juin 2006 (en vigueur depuis le 1 er
janvier 2007), les pacsés étaient assujettis à un régime d’indivision. Pour une
analyse détaillée du pacs, voir Alain ROY, « Le partenariat civil, d’un continent à
l’autre », 3-2002 Revue internationale de droit comparé 759.
147. Le pacs est pris en compte pour l’exercice par les salariés de leurs droits à congé
et pour l’application des dispositions du Code du travail au partenaire salarié de
l’employeur. Les pacsés jouissent également des bénéfices liés à l’assurance-
décès.
148. Voir Corinne RENAULT-BRAHINSKY, Droit de la famille, 5e éd., Paris,
Gualino, 2003, p. 40-41.
149. Depuis la Loi du 23 juin 2006, l’article 515-6 du code civil reconnaît au pacsé sur-
vivant l’attribution préférentielle sur le local servant effectivement d’habitation
s’il avait sa résidence à l’époque du décès et sur le mobilier le garnissant et si le
partenaire décédé l’a expressément prévu dans un testament. Est également
reconnu au pacsé survivant un droit temporaire au logement pendant une
durée d’un an (qu’il s’agisse d’un logement appartenant en pleine propriété au
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 127

d) ... et le concubinage

Parallèlement à la mise en place du pacs, le législateur introdui-


sit au Code civil une définition formelle du concubinage 150 :

515-8. Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie
commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre
deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en
couple.

En dépit des apparences, l’ajout de cette définition n’aura en


rien modifié la situation juridique des conjoints de fait, aucune dispo-
sition de droit substantif n’ayant été introduite au Code civil aux fins
de consolider leur statut151. De fait, il appert que le législateur n’a
jamais voulu accroître les droits et obligations des conjoints de fait, ni
réglementer leurs rapports mutuels152. Selon toute vraisemblance,
l’adoption de la nouvelle définition ne serait qu’un simple accident de
parcours provoqué par la joute politique acerbe que se sont livrée
l’Assemblée nationale et le Sénat. Les professeurs Malaurie et Ful-
chiron adhèrent à cette vision des choses en déclarant :

Profondément hostile au Pacs, le Sénat rejeta le projet de statut sou-


tenu par le gouvernement et, pour tenir compte des situations de fait,
proposa d’inscrire dans le Code civil une définition du concubinage

partenaire décédé, ou d’un logement en indivision avec un tiers ou d’un logement


en location). Toutefois et contrairement aux couples mariés, il peut être privé de
ce droit, par testament (même olographe).
150. Selon le doyen Cornu, il y a donc aujourd’hui en droit français deux espèces
d’union libre : l’union libre pure et simple et l’union libre engagée dans les liens
d’un pacte civil de solidarité » : Gérard CORNU, Droit civil. La famille, 9e éd.,
no 44, Paris, Montchrestien, 2006, p. 84.
151. Dominique VICH-Y-LLADO, La désunion libre, t. Il, Paris, l’Harmattan, 2001,
p. 63 : « La situation des « concubins ordinaires » non signataires du pacte n’a fait
l’objet d’aucune modification. Comme auparavant, l’union libre ne fait l’objet
d’aucun ensemble de dispositions cohérent et homogène applicables systémati-
quement à tous les concubins ».
152. Tout au plus peut-on lui prêter l’intention d’avoir voulu uniformiser les critères
de définition et éliminer la discrimination dont faisaient l’objet les conjoints de
fait homosexuels. C’est d’ailleurs l’avis du Conseil constitutionnel : Décis. No
99-419 DC, 9 nov. 1999, JO 16 nov. 1999, p. 16962, considérant no 85. Rappelons
que la Cour de cassation avait considéré, le 11 juillet 1989, que les couples homo-
sexuels ne pouvaient pas être assimilés aux couples hétérosexuels dans le cadre
des lois ou règlement reconnaissant des avantages aux concubins (ceux-ci, pri-
vés du droit au mariage, ne pouvant être vus comme vivant « maritalement » au
sens des dispositions législatives pertinentes) : Cass. Soc., 11 juill. 1989, Gaz.
Pal. 1990, 1, p. 217. La Cour devait reconfirmer cette interprétation quelques
années plus tard, soit en 1977 : Cass. 3e civ., 17 déc. 1997, D. 1998, jur. 111.
128 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

qui embrasseraient les couples homosexuels. L’Assemblée nationale


imposa le Pacs et conserva la définition générale.153

Quoi qu’il en soit, la stratégie du Sénat aura amené certains élus


et autres intervenants à dévoiler leur vision de l’union de fait et, plus
généralement, des formes de vie conjugale. Bien que peu détaillés sur
le sujet, les travaux parlementaires semblent révéler un certain
consensus autour d’une conception relativement hiérarchisée des
modes de vie conjugale. Les propos du député Patrick Bloche, rappor-
teur pour avis à l’Assemblée nationale, sont à cet égard très révéla-
teurs :

Le mariage, le pacte civil de solidarité et le concubinage ne sont


pas trois états revêtus d’une force juridique et symbolique égale. Le
mariage est une institution et, à ce titre, dispose d’une force supérieure
aux autres. Il convient de réaffirmer que le pacte civil de solidarité ne
remet nullement le mariage en cause qui restera fermé à des personnes
du même sexe. Bien au contraire, dans certains cas, il peut être, pour
un couple, une étape vers cette institution. L’inscription du concubi-
nage dans le code civil permettra de conforter la situation des concu-
bins homosexuels qui, jusqu’à aujourd’hui, se voyaient opposer par le
juge une définition du concubinage par analogie avec le mariage, et
donc limitée aux couples hétérosexuels. Dans un premier temps, il sem-
blait que la seule institution du pacte civil de solidarité suffirait à
résoudre cette question mais, en raison des inquiétudes répétées de dif-
férentes associations, l’insertion d’une définition légale du concubinage
dans le code civil a finalement été décidée.154

Les propos de la sociologue et juriste Irène Théry, auteure d’un


important rapport réalisé en 1998 à la demande de la ministre de la
Justice et Garde des Sceaux155, s’avèrent également très instructifs.

153. Voir également Jean Carbonnier qui écrit : « Le Sénat avait lancé cet article
comme un missile sur l’Assemblée nationale dans l’espoir de décontenancer les
députés de la majorité en train de débattre du pacs. Mais loin d’être impression-
nés, ils s’emparèrent de l’article et l’incorporèrent à leur œuvre – enrôlement
sans stratégie claire » : Jean CARBONNIER, Droit civil, vol. 1, « introduction.
Les personnes. La famille, l’enfant, le couple », 1re éd., Quadrige, collection « Qua-
drige.Manuels », Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 1453, no 648.
154. Avis présenté par Patrick Bloche au nom de la Commission des affaires culturel-
les, familiales et sociales sur la proposition de loi modifiée par le Sénat relative
au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité, No 1483 – Assemblée
nationale, – Constitution du 4 octobre 1958, Onzième législature. Enregistré à
la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mars 1999. En ligne à <http://www.
assembleenationaleir/11/rapports/r1483.asp>.
155. Irène THÉRY, Couple, filiation et parenté aujourd’hui – Le droit face aux muta-
tions de la famille et de la vie privée, Rapport à la ministre de l’Emploi et de la
Solidarité et au garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, Éditions Odile
Jacob, 1998.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 129

Partisane déclarée d’un encadrement juridique de l’union de fait,


Mme Théry témoigna devant l’Assemblée nationale en ces termes
(propos résumés par le rapporteur) :

[...], elle a regretté que la proposition qui traite ensemble homosexuels


et hétérosexuels, dans une perspective qualifiée de « républicaine », ne
réaffirme pas que les couples en union libre sont respectables dans leur
choix, d’autant qu’il a été rappelé à maintes reprises au cours des
débats qu’il n’y avait pas de droits sans devoirs. Elle a jugé étonnant
qu’un tel dogme soit appliqué dans le domaine du droit social, ce droit
d’élaboration récente traitant du rapport de l’individu à l’État et non
des droits et devoirs réciproques de cocontractants. Elle s’est inquiétée
d’une remise en cause de la légitimité des revendications des concu-
bins, comme l’attribution des pensions de réversion ou la modification
des droits de succession. À l’inverse, elle a souligné que la proposition
de loi renforçait la perte de droits et de minima sociaux liés à l’isole-
ment des personnes dès qu’ils vivent en couple et jugé qu’il était pour le
moins peu attractif de prendre en compte la solidarité de fait lorsqu’elle
prive de droits mais de l’ignorer lorsqu’elle peut en permettre l’attribu-
tion. Enfin, il lui a paru dangereux d’instituer une hiérarchie en valeur
des couples alors que l’union libre mériterait une approche tout à fait
neutre, d’autant qu’elle se développe en prenant des formes multiples,
comme le concubinage des personnes âgées. Elle a exprimé la crainte
que les concubins hétérosexuels, seuls reconnus aujourd’hui par la
jurisprudence, ne soient les grands perdants de l’élaboration d’un texte
de portée générale [...].156

156. En ligne à <http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r1483.asp>. Mme


Théry avait livre les mêmes commentaires devant le Sénat le 27 janvier 1999,
lors Commission des Lois Constitutionnelles, de la Législation, du Suffrage Uni-
versel, du Règlement et de l’Administration Générale, Mercredi 27 janvier 1999.
Un autre intervenant, M. Xavier Tracol, président du collectif pour l’union libre,
s’est livré à un plaidoyer en faveur d’une réglementation des rapports entre
conjoints de fait : « Il a en effet considéré que le PACS était présenté de manière
erronée comme un mode de reconnaissance du concubinage octroyant des droits
pour les concubins, l’union libre étant en fait renvoyée dans le non-droit. [...] Il a
indiqué que le collectif pour l’union libre proposait d’instituer une reconnais-
sance juridique véritable du concubinage, dans le souci d’un égal accès de chacun
à la protection de la loi, en prenant en compte l’évolution sociologique du pays.
Il a cependant fait valoir qu’il ne s’agissait pas de donner par cette réforme
un cadre légal contraignant au concubinage qui constituait par essence une
union de fait [...] M. Xavier Tracol a considéré que des droits supplémentaires
devraient être accordés à l’ensemble des concubins, tant en ce qui concerne leurs
rapports privés que leurs relations avec les tiers [...]. Il a en effet fait valoir que
les concubins devraient être libres d’organiser leurs rapports matériels, grâce à
la possibilité d’opter pour un régime de biens contractuels et à une présomption
d’indivision qui s’attacherait aux biens acquis durant la vie commune. Il a relevé
que le principe d’indivision posé par la proposition de loi risquait de poser des
problèmes pratiques, aucune alternative n’étant prévue, ce qui apparaissait en
contradiction avec la logique de l’union libre et la liberté de disposer. Rappelant
130 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

Comme on peut le constater, la toile de fond du débat juridique


et politique sur l’union de fait en France et au Québec présente
d’importantes différences. L’absence d’encadrement juridique des
rapports des conjoints de fait est, en France, une donnée factuelle que
l’on ne cherche pas à rationaliser en recourant, comme au Québec,
aux arguments du libre choix et de l’autonomie de la volonté157.
Si quelques acteurs se sont récemment prononcés en faveur d’une
consolidation du « régime juridique » du concubinage (sans toujours
distinguer les différents droits dont pourraient éventuellement béné-
ficier les conjoints de fait), leurs prétentions ne semblent pas avoir
ébranlé le gouvernement au point de l’amener à justifier ouverte-
ment ses choix législatifs. Une telle attitude peut sans doute s’expli-
quer par la hiérarchisation des modes de vie conjugale qui semble
toujours prévaloir en France158. Si l’on postule la supériorité d’un sta-

que la logique du concubinage impliquait une absence d’engagement, il a estimé


qu’il n’y avait pas lieu de faire du concubin un héritier légal mais seulement de
lui permettre d’hériter dans les mêmes conditions qu’un conjoint sur le plan fis-
cal. Enfin, il a souhaité que soient étendus aux concubins les droits reconnus aux
conjoints en matière de sécurité sociale, vis-à-vis des instances médicales, quant
à l’organisation des funérailles et enfin pour la délivrance d’un titre de séjour et
d’un permis de travail à un partenaire de nationalité étrangère » : <http://
www.france.ard.org/texts/partnership/fr/senat990127.html>. Voir aussi les
propos de M. Bernard Teper, chargé de la communication au sein de l’Union des
familles laïques, qui s’est interrogé sur la possibilité de reconnaître aux concu-
bins dans certains domaines des droits identiques à ceux des couples mariés,
ce qui leur permettrait de faire un véritable choix entre le mariage et le
concubinage : En ligne <http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r1483.
asp>.
157. Un des rares auteurs à envisager directement la question sous cet angle est
Helen MARTY-SCHMID, La situation patrimoniale des concubins à la fin de
l’union libre. Étude des droits suisse, français et allemand, Genève, Librairie
Droz, 1986, p. 146-147.
158. Commentant le nouvel article sur le concubinage, Carbonnier écrit : « Quelle est
la portée d’un tel constat ? Le législateur de 1999 a entendu, sans doute, souli-
gner le contraste avec l’union de droit qu’il instituait simultanément – le pacs –
et du même coup valoriser celui-ci » : Jean CARBONNIER, Droit civil, vol. 1,
« introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le couple », 1re éd., Quadrige,
collection « Quadrige.Manuels », Paris, Presses universitaires de France, 2004,
p. 1455, no 648. À propos des règles de droit social qui couvrent en partie les
concubins, le doyen Cornu écrit : « Cette assimilation apparaît de façon atypique
comme une façon de ne pas faire à l’union libre une situation privilégiée, par rap-
port au mariage » : Gérard CORNU, Droit civil. La famille, 9e éd., Paris,
Montchrestien, 2006, p. 90, no 47. Dominique VICH-Y-LLADO, La désunion
libre, t. Il, Paris, l’Harmattan, 2001, p. 84 : « [...] en créant le pacte civil de solida-
rité, le législateur n’a pas réellement porté atteinte à ce monopole du mariage,
en faisant d’une union hors mariage un engagement aussi complet et contrai-
gnant que celui des époux ». Voir cependant Clotilde BRUNETTI-PONS qui
refusent de « [...] reconnaître à une forme d’union plus de qualités qu’aux
autres » : « De l’émergence d’une hiérarchie des couples », dans Regards civilistes
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 131

tut par rapport à un autre, nul besoin de justifier ou de rationaliser


autrement les différences et les divergences qui les distinguent. Il y a
d’abord et avant tout le mariage, viennent ensuite le pacs puis, non
loin, l’union de fait. Comme le reconnaissent tous les acteurs, le
législateur français a déployé moult efforts pour éviter qu’on ne
puisse assimiler le pacs à une véritable institution concurrente au
mariage159. Tout au plus s’agit-il d’un contrat patrimonial aux consé-
quences limitées160. Le mariage occupe donc encore et toujours le
haut du pavé. Quant à l’union de fait, le législateur français se
contente d’en mentionner l’existence, sans plus.

En somme, l’attitude du législateur français face à l’union de


fait témoigne non plus d’un désintérêt, comme à l’époque de Napo-
léon, mais d’une tolérance, voire d’une certaine résignation face à
ceux qui, comme le souligne Philippe Jestaz, préféreront toujours
rester au maximum dans le pur fait et l’officieux, « [...] en dépit
des efforts accomplis dans leur direction »161. Le législateur fran-
çais prend acte du phénomène, sans y voir un véritable « choix de
vie »162 et sans non plus chercher à le légitimer ou à reconnaître la
signification qui lui est propre. Tout au plus assure-t-il aux concubins
une protection sociale minimale, en empruntant çà et là au régime
juridique du mariage, sans véritable perspective d’ensemble. Comme
l’explique Carbonnier, « pas de lien de droit comparable à celui – à nul
autre pareil lui-même – qui existe entre les époux. Un lien de fait uni-
quement, qui sporadiquement émerge du droit, comme dans un effort
pour retrouver des traits du mariage »163.

sur la loi du 15 novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solida-


rité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 35, p. 39.
159. Alain ROY, « Le partenariat civil, d’un continent à l’autre », 3-2002 Revue inter-
nationale de droit comparé 759.
160. Sous réserve du nouveau devoir d’assistance et de vie commune auxquels les
pacsés sont tenus depuis la Loi du 23 juin 2006.
161. Philippe JESTAZ, « Rapport de synthèse », dans Regards civilistes sur la loi du
15 novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris,
L.G.D.J., 2002, p. 191, p. 204.
162. « Certes, le législateur intervient par des lois spéciales, soit en faveur, soit en
défaveur des concubins, souvent en opérant un rapprochement entre la situa-
tion des personnes mariées et celle de ceux qui ne le sont pas. C’est le cas, en droit
social, en droit fiscal, en droit du logement, mais, le concubinage n’est pas consi-
déré en lui-même » : Dominique VICH-Y-LLADO, La désunion libre, t. Il, Paris,
l’Harmattan, 2001, p. 64. Voir également Irène THÉRY, Couple, filiation et
parenté aujourd’hui – Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée,
Rapport à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au garde des Sceaux,
ministre de la Justice, Paris, Éditions Odile Jacob, 1998, p. 140.
163. Jean CARBONNIER, Droit civil, vol. 1, « introduction. Les personnes. La
famille, l’enfant, le couple », 1re éd., Quadrige, collection « Quadrige.Manuels »,
Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 1461, no 650. Alain Sériaux
132 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

2. Le droit belge

a) Un code civil emprunté, une évolution semblable

En faisant sien le Code civil français adopté en 1804164, la Bel-


gique a implicitement entériné la politique du législateur voisin à
l’endroit des conjoints non mariés : « [I]e Code civil [belge] se caracté-
rise par un silence absolu à l’égard des concubins. Rien ne leur est
interdit ; en revanche, aucun droit ne leur est reconnu »165. Le même
débat que celui qui eut cours en droit français à propos des libéra-
lités entre concubins se transposa donc naturellement en Belgique.
Les donations entre concubins belges subirent ainsi – et pendant
très longtemps – l’assaut d’une jurisprudence et d’une doctrine hos-
tiles166. Comme l’écrivait Jean Dabin :

écrit : « [...] le mariage est juridiquement un et unique. Quel que soit leur degré
de stabilité, les autres relations sexuelles sont toutes réduites à puiser en lui
leur inspiration : seul un modèle peut prétendre à la catégorie juridique de sta-
tut, ce n’est d’ailleurs que dans la mesure où les concubinages participent de la
nature du mariage qu’ils relèvent davantage d’une telle catégorie... » : Alain
SERIAUX, « De l’opportunité d’un statut des concubins », dans Regards civilistes
sur la loi du 15 novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solida-
rité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 39, p. 32.
164. Nicole Verheyden-Jeanmart et Jean-Louis Renchon décrivent en ces termes
l’histoire commune du Code Napoléon et du Code belge : « Le Code Napoléon
constitue toujours le Code civil de la Belgique. Au moment de sa promulgation
par la loi du 30 ventôse an XII, les provinces belges faisaient en effet partie inté-
grante de la France pour y avoir été annexées par les décrets des 1er août et
26 octobre 1795. Comme la Hollande fut également annexée, en 1810, par la
France, le Code civil des Français y fut également introduit et il y demeura pro-
visoirement en vigueur, après la défaite de la France, pendant toute la période
où les provinces belges furent réunies à la Hollande sous la souveraineté de la
Maison d’Orange. Quelques mois avant la date qui avait été fixée pour l’entrée
en vigueur sur les territoires hollandais et belge du nouveau code civil hollan-
dais, la Belgique proclama son indépendance et décida de conserver provisoire-
ment le Code civil des Français. Bien que l’article 149 de la Constitution belge,
voté le 7 février 1831, proclama la nécessité de pourvoir à la révision de tous les
codes, ce travail ne fut jamais réalisé pour le Code civil et la Belgique est, dès
lors, toujours restée soumise au Code civil des Français de 1804, dont le
texte a, jusqu’à présent, subi moins de modifications qu’en France » : Nicole
VERHEYDEN-JEANMART et Jean-Louis RENCHON, « Le développement de
la famille de fait en droit belge », dans Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, Les
concubinages en Europe. Aspects socio-juridiques, Paris, Éditions du CNRS,
1989, p. 63, p. 89, note 85.
165. Nicole VERHEYDEN-JEANMART et Jean-Louis RENCHON, « Le développe-
ment de la famille de fait en droit belge », dans Jacqueline RUBELLIN-
DEVICHI, Les concubinages en Europe. Aspects socio-juridiques, Paris, Éditions
du CNRS, 1989, p. 63, p. 66.
166. La validité des autres types de transferts fut également contestée puisqu’on
y voyait l’instrument par lequel les concubins entendaient faire « [...] naître,
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 133

[...] tant que la loi n’aura pas substitué au mariage l’union libre, le fait
du concubinage sera irrégulier, illégal, non seulement sous l’angle des
bonnes mœurs, telles que la loi les entend, mais sous l’angle spécifique
de l’ordre public, dont le mariage est l’une des institutions. D’où il suit
que tout acte qui favorise le concubinage, battant en brèche l’institu-
tion du mariage, emporte de soi échec à la loi.167

Le mouvement de libéralisation des mœurs qui balaya la France


à la fin des années 60 s’étendit à la Belgique et suivit le même chemi-
nement. En droit, ce mouvement permit d’aborder les libéralités et
les transferts entre concubins sous un angle relativement technique.
Prenant désormais appui sur les articles 1123 et 902 du Code civil qui
prévoient qu’une incapacité n’existe que dans la seule mesure prévue
par la loi, la jurisprudence et la doctrine reconnurent la validité des
donations entre concubins, même stipulées irrévocables168. Comme
au Québec (mais au contraire de la France), cette marge de man-
œuvre nouvellement reconnue aux conjoints de fait favorisa l’émer-
gence d’une pratique de contrats de vie commune. Ainsi que l’obser-
vent Nicole Verheyden-Jeanmart et Jean-Louis Renchon :

Depuis quelques années, les notaires et avocats sont de plus en plus sol-
licités pour rédiger les conventions qui détermineront le statut patri-
monial des concubins. De telles conventions sont valables sous réserve
de la théorie de la cause illicite. En effet, dès l’instant où le concubinage
n’est plus tenu pour immoral en soi, on voit mal à quel titre on refuse-
rait aux parties, le droit d’éviter, par une convention, les conflits que de
toute manière le juge devra trancher.169

maintenir ou rémunérer des relations considérées illicites ou immorales » :


Nicole VERHEYDEN-JEANMART et Jean-Louis RENCHON, « Le développe-
ment de la famille de fait en droit belge », dans Jacqueline RUBELLIN-
DEVICHI, Les concubinages en Europe. Aspects socio-juridiques, Paris, Éditions
du CNRS, 1989, p. 63, p. 81-82.
167. Jean DABIN, « Cause illicite en matière de donations », (1954) R.C.J.B. 14-15.
168. L’article 1906 du Code civil pose le principe de la révocabilité des donations
entre époux faites pendant le mariage autrement que par contrat de mariage.
Voir Michel HANOTIAU, « Réflexions sur l’union libre », dans Philippe DE
PAGE et Robert DE VALKENEER (dir.), L’union libre, Bruxelles, Bruylant,
1992, p. 6, p. 17. Et tandis que les ventes entre époux demeuraient frappées de
nullité, celles dont pouvaient convenir les concubins n’étaient plus soumises à
quelque restriction que ce soit : Code civil, art. 1595.
169. Nicole VERHEYDEN-JEANMART et Jean-Louis RENCHON, « Le développe-
ment de la famille de fait en droit belge », dans Jacqueline RUBELLIN-
DEVICHI, Les concubinages en Europe. Aspects socio-juridiques, Paris, Éditions
du CNRS, 1989, p. 63, p. 79. Il semble toutefois qu’en droit belge, une telle
convention ne pourrait régir les effets personnels de la relation : « Une clause qui
imposerait une obligation de fidélité ou qui entraverait la liberté de rupture
serait nulle sans aucune contestation possible puisqu’elle porterait atteinte à la
liberté du mariage qui, dans l’état actuel de notre droit, n’est pas susceptible de
134 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

Le statut des enfants nés hors mariage fut également rehaussé,


mais le législateur belge progressa en cette matière à un rythme plu-
tôt lent. En 1979, la Cour Européenne des droits de l’Homme rappela
d’ailleurs la Belgique à l’ordre, considérant qu’un certain nombre de
dispositions du Code civil relatives au statut de l’enfant naturel vio-
laient les articles 8 et 14 de la Convention Européenne des droits de
l’Homme170. Ce n’est qu’en 1987 que la Belgique réagit à ce jugement
en consacrant le principe de l’égalité des filiations171 :

Quel que soit le mode d’établissement de la filiation, les enfants et leurs


descendants ont les mêmes droits et les mêmes obligations à l’égard des
père et mère et de leurs parents et alliés, et les père et mère et leurs
parents alliés ont les mêmes droits et les mêmes obligations à l’égard
des enfants et de leurs descendants.172

La réforme de 1987 laissa cependant intact le principe hérité du


Code Napoléon suivant lequel « nul ne peut être adopté par plusieurs
si ce n’est pas deux époux »173. Le législateur belge reviendra toutefois

renonciation » : ibid., p. 76. Au sujet d’une clause par laquelle les conjoints de fait
établiraient une obligation alimentaire entre eux, voir Nathalie DANDOY, « Les
effets alimentaires de la vie en couple », dans Jean HAUSER et Jean-Louis
RENCHON (dir.), Différenciation ou convergence des statuts juridiques du
couple marié et du couple non marié ?, Bruylant – L.G.D.J., Bruxelles – Paris,
2005, p. 81.
170. Revue trimestrielle de droit familial (1979), p. 227. Voir Sophie DEMARS, « La
problématique générale des conventions de vie commune », dans Jean-Louis
RENCHON et Fabienne TAINMONT (dir.), Le couple non marié à la lumière
de la cohabitation légale, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 73 et, dans le même
ouvrage, Jean-François TAYMANS, « La convention notariée de vie commune »,
p. 103.
171. Loi du 31 mars 1987. Cette loi a maintenu toutefois certaines distinctions quant
au mode d’établissement de la filiation des enfants nés hors mariage. Ces diffé-
rences portent essentiellement sur la reconnaissance volontaire par le père de
l’enfant né d’une mère non mariée et sur l’absence de présomption de paternité
en matière d’union de fait. Par ailleurs, jusqu’en 2006, l’enfant né d’une relation
adultérine ne pouvait porter le nom de son père qu’avec le consentement de
l’épouse de celui-ci (ancien art. 334 bis C.civ., abrogé par la loi du 1er juillet 2006,
M.B., 29 décembre 2006). Il ne pouvait recueillir des biens en nature dans la suc-
cession de son auteur qu’avec le consentement du conjoint survivant ou des
enfants nés du mariage (ancien art. 837 C. civ. abrogé par la loi du 1er juillet
2006, M.B., 27 décembre 2006) : Nicole VERHEYDEN-JEANMART et Jean-
Louis RENCHON, « Le développement de la famille de fait en droit belge », dans
Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, Les concubinages en Europe. Aspects socio-
juridiques, Paris, Éditions du CNRS, 1989, p. 63, p. 91-97. Pour ces auteurs,
(p. 107), le législateur belge, « hanté par les archétypes de la famille tradition-
nelle », n’a pu s’empêcher de réintroduire de telles distinctions entre enfants nés
hors mariage et enfants « légitimes ».
172. Code civil belge, art. 334.
173. Code civil belge, art. 346 (1987). Cependant, les conjoints de fait peuvent recou-
rir à la procréation médicalement assistée : Nicole VERHEYDEN-JEANMART
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 135

à la charge en 2006 pour l’abroger de manière définitive. Aujourd’hui,


en Belgique (contrairement à la situation qui prévaut en France), les
conjoints de fait sont donc admis à adopter un enfant en commun, dès
lors qu’ils ont partagé trois années de vie commune174.

b) Le droit social et fiscal

Le législateur belge ajusta également la plupart de ses législa-


tions à caractère social afin d’y soumettre les concubins, que ce soit à
leur avantage ou leur désavantage. Tel fut le cas, notamment, en
matière d’assurance santé, de chômage et d’allocations familiales175.
La discrimination traditionnellement exercée à l’endroit des concu-
bins de même sexe fut par ailleurs levée en 2000, ceux-ci étant dès
lors habilités à profiter du régime de la sécurité sociale aux mêmes
conditions et dans les mêmes limites que les conjoints de fait hétéro-
sexuels176. Mais comme l’expliquent Jehanne Sosson et Nathalie
Dandoy, l’ouverture du législateur à l’égard des conjoints de fait ne
fut jamais universelle, certaines mesures de soutien social et écono-
mique et non les moindres (pensions de retraite et de survie) échap-
pant de tout temps à leur emprise177 :

et Jean-Louis RENCHON, « Le développement de la famille de fait en droit


belge », dans Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, Les concubinages en Europe.
Aspects socio-juridiques, Paris, Éditions du CNRS, 1989, p. 63, p. 98-100.
174. Art. 343 §1er C.civ., tel que modifié par la loi du 24 avril 2003 (M.B. 16 mai 2003).
La restriction à l’égard des couples homosexuels ne fut cependant levée qu’en
2006 (loi du 18 mai 2006, publiée au Moniteur Belge le 20 juin 2006, qui a permis
l’adoption par deux personnes de même sexe).
175. Florence REUSENS, « Différenciation ou convergence des statuts juridiques du
couple marié et du couple non marié : le statut social », dans Jean HAUSER et
Jean-Louis RENCHON (dir.), Différenciation ou convergence des statuts juridi-
ques du couple marié et du couple non marié ?, Bruylant – L.G.D.J., Bruxelles –
Paris, 2005, p. 310 et s. ; Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre
1998 relative à la cohabitation légale », dans Regards civilistes sur la loi du
15 novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris,
L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 150, note 9. Voir également Nicole VERHYDEN-
JEANMART et Jean-Louis RENCHON, « Le développement de la famille de fait
en droit belge », dans Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI, Les concubinages en
Europe. Aspects socio-juridiques, Paris, Éditions du CNRS, 1989, p. 63, p. 69-71
et Viviane VANNES, « Le droit social et le ménage de fait », dans Philippe DE
PAGE et Robert DE VALKENEER (dir.), L’union libre, Bruxelles, Bruylant,
1992, p. 249.
176. Loi du 12 août 2000, M.B., 31 août 2000. Le chap. IV de cette loi (art. 67 et s.) vise
en effet à remédier aux « discriminations fondées sur le sexe des personnes qui
forment un ménage ».
177. II s’agit essentiellement des pensions de retraite et de survie et des avantages
liés aux accidents de travail et maladies professionnelles : Florence REUSENS,
« Différenciation ou convergence des statuts juridiques du couple marié et
du couple non marié : le statut social », dans Jean HAUSER et Jean-Louis
136 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

Certains régimes ou secteurs de la sécurité sociale résistent aujour-


d’hui encore à la pratique presque généralisée d’assimilation du couple
non marié aux conjoints en maintenant une différence entre ces deux
catégories de couples, ou plutôt en ignorant la situation des couples non
mariés.178

Sur le plan fiscal, les réformes du 8 août 1980 et du 11 avril 1983


confirmèrent clairement l’absence de toute assimilation des conjoints
de fait aux conjoints mariés, le droit belge demeurant, à cet égard,
comparable au droit français. Aux yeux du fisc, les concubins belges
ne forment donc pas un « foyer fiscal », étant tenus de s’imposer de
manière individuelle179.

c) La Loi du 23 novembre 1998 instituant la cohabitation légale

En 1998, le législateur belge procéda à l’adoption de la Loi insti-


tuant la « cohabitation légale »180. Comme l’union civile et le pacs, la
cohabitation légale constitue une forme de partenariat civil permet-
tant aux couples non mariés de profiter d’un certain encadrement
juridique. En instaurant la cohabitation légale, explique Sabrina
Otten, le législateur belge visait un double objectif :

D’une part, le législateur a voulu prendre en compte l’augmentation du


nombre de couples non mariés et leur assurer une protection juridique,
et, d’autre part, la communauté homosexuelle éprouvait le besoin d’une
forme de reconnaissance légale de l’union entre deux personnes de
même sexe[181]. Elle présente un double avantage puisque, d’une part,

RENCHON (dir.), Différenciation ou convergence des statuts juridiques du


couple marié et du couple non marié ?, Bruxelles – Paris, Bruylant – L.G.D.J.,
2005, p. 323 et s. De même, aucun droit au maintien dans les lieux n’est accordé
au conjoint de fait non locataire, ce dernier étant tenu de quitter les lieux loués
en cas de décès ou de rupture du conjoint locataire.
178. Jehanne SOSSON et Nathalie DANDOY, « La reconnaissance juridique du
couple non marié », dans Jean-Louis RENCHON et Fabienne TAINMONT (dir.),
Le couple non marié à la lumière de la cohabitation légale, Bruxelles, Bruylant,
2000, p. 45, p. 48.
179. Il semble que les concubins tirent profit de cette situation, sauf en regard de l’im-
pôt sur les libéralités.
180. Loi du 23 novembre 1998, M.B., 12 janvier 1999. La loi est entrée en vigueur le
1er janvier 2000. Pour un exposé du processus législatif ayant mené à l’adoption
de cette loi, voir Jean-Louis RENCHON, « Les conjugalités en droit belge », dans
Jacqueline FLAUSS-DIEM et Georges FAURÉ (dir.), Du Pacs aux nouvelles
conjugalités : où en est l’Europe ?, Paris, P.U.F., 2005, p. 85, p. 89 et s.
181. Notons que le législateur belge a reconnu le mariage entre conjoints de même
sexe aux termes de la Loi du 13 février 2003. Voir Jean-Louis RENCHON, « Les
conjugalités en droit belge », dans Jacqueline FLAUSS-DIEM et Georges
FAURÉ (dir.), Du Pacs aux nouvelles conjugalités : où en est l’Europe ?, Paris,
P.U.F., 2005, p. 85, p. 99 et s.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 137

elle augmente l’offre de choix entre différentes formes de couples régle-


mentées, ce qui exprime un respect de l’autonomie de l’individu à choi-
sir son mode de fonctionnement du couple et donc sa vie affective, et,
d’autre part, elle constitue un véritable accès au droit pour les couples
homosexuels, ce qui conduit à lui conférer une véritable portée symbo-
lique.182

Contrairement au législateur français et au législateur québé-


cois qui réservèrent respectivement l’accès au pacs et à l’union civile
aux seuls couples composés de conjoints, le législateur belge rendit la
cohabitation légale accessible à tout couple, quelle que soit sa compo-
sition. Outre les conjoints hétérosexuels et homosexuels, deux amis
ou deux personnes apparentées, comme un frère et une sœur parta-
geant le même toit, furent admis à consacrer leur relation d’interdé-
pendance économique en adhérant au nouveau régime légal.

La cohabitation légale génère un certain nombre d’effets entre


cohabitants183. Ceux-ci ont l’obligation de contribuer aux charges de
la vie commune selon leurs facultés respectives et sont tenus solidai-
rement responsables des dettes contractées pour les besoins de la vie
commune. Tout comme les époux, les cohabitants sont assujettis à
certaines mesures de protection de la résidence familiale et des meu-
bles meublants. Un « régime matrimonial » légal de type séparation
de biens s’applique également à eux. Depuis le 28 mars 2007184, le
cohabitant légal survivant est appelé à recueillir l’usufruit (ou le
droit au bail si les cohabitants sont locataires) de l’immeuble affecté
durant la vie commune à la résidence commune de la famille, ainsi
que les meubles qui le garnissent. Il s’agit là d’une nouveauté puis-
qu’à l’origine, les dispositions du Code civil n’attribuaient aucune
vocation successorale particulière aux cohabitants.

La cohabitation légale ne constitue pas une voie d’accès privi-


légiée aux droits sociaux, les cohabitants n’étant nullement assimilés

182. Sabrina OTTEN, « La cohabitation légale en droit belge et en droit allemand :


deux itinéraires dissemblables », (2007) 52 Revue de la Faculté de droit de l’Uni-
versité de Liège 101, 103. Voir également Jean-Louis RENCHON, « La loi belge
du 23 novembre 1998 relative à la cohabitation légale », dans Regards civilistes
sur la loi du 15 novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solida-
rité, Paris, L.G. D.J., 2002, p. 141, p. 142-143 et Marta COSTA, « La cohabitation
légale belge et l’union de fait portugaise », (2007) 52 Revue de la Faculté de droit
de l’Université de Liège 131, 133.
183. Pour une description détaillée du régime juridique de la cohabitation légale, voir
Alain ROY, « Le partenariat civil, d’un continent à l’autre », 3-2002 Revue inter-
nationale de droit comparé 759.
184. Loi du 28 mars 2007, M.B., 8 mai 2007.
138 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

aux époux en droit statutaire185. Ils peuvent néanmoins prétendre


aux droits et avantages prévus aux termes des différentes législa-
tions sociales dans la même mesure et aux mêmes conditions que les
conjoints de fait. Le droit fiscal relève quant à lui d’une autre perspec-
tive. Depuis 2005, cohabitants légaux et époux sont appréhendés de
la même façon par les autorités fiscales, jouissant ainsi des mêmes
privilèges et subissant les mêmes fardeaux186.

Contrairement au législateur français qui profita de la réforme


du pacs pour introduire dans le Code civil une définition formelle du
concubinage, le législateur belge n’accompagna sa réforme d’aucune
allusion spécifique aux conjoints de fait qui, pour une raison ou pour
une autre, n’adhéreraient pas au cadre juridique de la cohabitation
légale. Le Code civil belge demeura donc parfaitement silencieux à
l’égard de l’union de fait « véritable », phénomène que certains dési-
gnent aujourd’hui sous le nom d’« union de fait non légalisée » pour le
distinguer de l’union de fait légalisée à quoi prétend correspondre la
cohabitation légale.

De l’avis même des autorités gouvernementales, la cohabitation


légale représente un compromis entre différentes tendances poli-
tique et idéologiques187. Si la plupart des acteurs du monde politique

185. Une proposition de loi présentée le 14 mai 2001 visait à rendre applicable aux
cohabitants légaux le régime dont bénéficient les époux en matière de pensions
de retraite et de survie, d’accident de travail et de maladie professionnelle, mais
cette proposition est restée lettre morte (Doc. Parl. Ch., session 2000-2001,
no 0661/002).
186. Loi du 10 août 2001, M.B., 20 septembre 2001. Les cohabitants purent ainsi
bénéficier des dispositions fiscales avantageuses aux époux, mais subirent du
même coup l’application des dispositions qui leur sont désavantageuses. Il
semble que cette modification ait été rendue possible en raison de la nouvelle
configuration du Parlement belge qui, au contraire du précédent, privilégia une
approche plus neutre de la conjugalité : « Il n’y avait plus lieu pour l’État, dans
une telle perspective, de privilégier le mariage, dès lors que l’Etat n’avait plus à
défendre un modèle plutôt qu’un autre de conjugalité et que c’est au contraire la
liberté de choix du citoyen qui devait être assurée en n’attachant pas à un
modèle plutôt qu’à un autre une quelconque faveur ou défaveur fiscale » :
Jean-Louis RENCHON, « Les conjugalités en droit belge », dans Jacqueline
FLAUSS-DIEM et Georges FAURÉ (dir.), Du Pacs aux nouvelles conjugalités :
où en est l’Europe ?, Paris, P.U.F., 2005, p. 85, p. 98. Avant cette date, la cohabi-
tation légale n’avait aucun impact en matière fiscale : Voir Renaud THUNGEN
et Philippe DE PAGE, « Les couples mariés et les cohabitants : leurs assimila-
tions fiscales atypiques », (2002) 4 Revue trimestrielle de droit familial 537.
187. Voir l’analyse de Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre 1998
relative à la cohabitation légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15 novem-
bre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris, L.G.D.J.,
2002, p. 141, p. 150 et s.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 139

s’entendaient sur la nécessité d’assurer une certaine reconnaissance


aux couples non mariés, certains s’opposaient vivement à ce que
la formule retenue puisse, directement ou indirectement, porter
ombrage au mariage. Ainsi, l’idée d’assujettir de plein droit les
conjoints de fait à un ensemble de droits et d’obligations empruntés
au statut matrimonial fut d’emblée rejetée188. Selon la Commission
de la Justice de la Chambre chargée d’examiner une version prélimi-
naire du projet de législation, « [m]ettre sur le même pied le mariage
et l’union libre reviendrait à brouiller les repères symboliques et tra-
ditionnels fondamentaux de la société »189. Dans cette perspective, la
seule option acceptable fut de créer un cadre aux effets patrimoniaux
minimalistes, ouverts à toutes les catégories de cohabitants, « y com-
pris ceux qui ne forment pas un couple au sens affectif et sexuel du
terme »190.

Bien qu’elle soit apparue moins marquée qu’en France, l’idée


d’une hiérarchie entre les formes de vie conjugale ressort donc du
discours politicolégislatif belge. On peut toutefois percevoir une cer-
taine évolution à travers les interventions des dernières années. Ces
interventions permettent de croire que le législateur belge cherche

188. II semble que cette idée ait été directement proposée à la Commission de la Jus-
tice de la Chambre par un expert, le professeur A.C. Van Gysel de l’Université
Libre de Bruxelles. Voir Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre
1998 relative à la cohabitation légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15
novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris,
L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 151. Le professeur Renchon semble lui-même être par-
tisan de cette approche : « [...] la fonction de la loi est, souvent, dans les relations
juridiques privées, d’assurer une protection impérative minimale, sans la subor-
donner au choix qui aurait nécessairement dû être préalablement fait de s’y sou-
mettre volontairement. Ne doit-on pas constater, en effet, que le « libre marché »
des règles juridiques emporte presque toujours un risque de soumission de la
partie la plus faible à la loi ou exigences de la partie la plus forte ? » : Jean-Louis
RENCHON, « La loi belge du 23 novembre 1998 relative à la cohabitation
légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15 novembre 1999 relative au concu-
binage et au pacte civil de solidarité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 146.
189. Propos rapportés par Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre
1998 relative à la cohabitation légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15
novembre 1999 relative au concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris,
L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 151.
190. Jean-Louis RENCHON, « La loi belge du 23 novembre 1998 relative à la cohabi-
tation légale », dans Regards civilistes sur la loi du 15 novembre 1999 relative au
concubinage et au pacte civil de solidarité, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 141, p. 152.
Ainsi, poursuit Sabrina Otten, « la crainte de certains parlementaires de créer
une organisation juridique du couple portant atteinte au mariage a poussé le
législateur belge à adopter un régime excluant tout élément affectif ou sexuel » :
Sabrina OTTEN, « La cohabitation légale en droit belge et en droit allemand :
deux itinéraires dissemblables », (2007) 52 Revue de la Faculté de droit de l’Uni-
versité de Liège 101, 103.
140 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

maintenant à atténuer la supériorité du mariage par rapport à la


cohabitation légale. Comme l’observe Jean-Louis Renchon :

Les effets juridiques du statut de la cohabitation légale vont aussi pro-


gressivement s’étendre, car la tendance actuelle est, à l’occasion de
législations particulières, d’adopter une règle identique pour le statut
du mariage et de la cohabitation légale.191

L’assimilation est cependant loin d’être acquise. La suprématie


du statut matrimonial se pose encore en principe, comme en témoigne
l’accès réservé aux pensions de retraite et de survie dont les époux
sont encore les seuls à bénéficier.

Cela dit, le modèle législatif belge se distingue du modèle fran-


çais en ce qu’il ne hiérarchise pas trois formes de vie conjugale
(mariage – pacs – concubinage), mais deux. Il y a, en Belgique, le
mariage (très inclusif puisque désormais ouvert aux couples de même
sexe) et la cohabitation qui peut être légalisée, si tel est le désir des
principaux intéressés. Au plan conceptuel, la « cohabitation légale »
n’est donc pas un régime intermédiaire entre le mariage et l’union de
fait, comme l’est le pacs. Il s’agit d’une union de fait, mais une union
de fait qui, outre les conséquences qu’on lui rattache en droit social,
produit également des effets en droit privé et en droit fiscal. La ter-
minologie employée dans plusieurs lois belges semble d’ailleurs
appuyer cette interprétation. Le législateur y désigne l’ensemble des
conjoints de fait sous le nom de « cohabitants ». Lorsqu’il veut cibler
les conjoints de fait qui ont adhéré au régime de la cohabitation légale
par rapport à ceux qui n’y ont pas adhéré, il les qualifie alors de
« cohabitants légaux »192. En permettant aux conjoints de fait de
« légaliser » leur union, le législateur belge n’aurait donc pas instauré
un nouveau type de structure conjugale, il aurait simplement doté
l’union de fait d’un cadre juridique qui lui est propre193 :

L’impact fondamental de cette loi est de légaliser – et par là même de


légitimer socialement – le concubinage. Le législateur reconnaît et

191. Jean-Louis RENCHON, « Les conjugalités en droit belge », dans Jacqueline


FLAUSS-DIEM et Georges FAURÉ (dir.), Du Pacs aux nouvelles conjugalités :
où en est l’Europe ?, Paris, P.U.F., 2005, p. 85, p. 99.
192. Voir Florence REUSENS, « Différenciation ou convergence des statuts juridi-
ques du couple marié et du couple non marié : le statut social », dans Jean
HAUSER et Jean-Louis RENCHON (dir.), Différenciation ou convergence des
statuts juridiques du couple marié et du couple non marié ?, Bruxelles – Paris,
Bruylant – L.G.D.J., 2005, p. 317.
193. Depuis 2003, la cohabitation légale n’a d’ailleurs plus d’autres destinataires que
les conjoints de fait pris dans leur globalité, les aspirations égalitaires des cou-
ples de même sexe pouvant désormais trouver réponse dans le mariage.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 141

consacre en effet, dans le Code civil, un modèle de vie en couple qui


avait jusqu’il n’y a guère longtemps été considéré comme « hors la loi »,
car incompatible avec le seul modèle légitime du mariage.194

Ainsi, contrairement au législateur français qui, après avoir


défini le concubinage, s’est abstenu de l’organiser en tant que modèle
de vie en couple, le législateur belge prétend quant à lui l’avoir consa-
cré par l’adoption des dispositions relatives à la cohabitation légale.
Bien qu’en définitive, le traitement juridique des « vrais » conjoints
de fait (c’est-à-dire ceux qui restent en marge de tout cadre légal,
qu’il soit marital ou partenarial) demeure sensiblement le même en
France et en Belgique, la nuance est intéressante en ce qu’elle nous
permet de comprendre la façon dont chacun des législateurs appré-
hende le phénomène de l’union de fait. En Belgique, l’union de fait
non légalisée ne constituerait pas un état soi-disant inférieur à
l’union de fait légalisée, mais une simple variante.

Mais peu importe les interprétations que l’on peut avancer


quant à l’attitude d’un législateur par rapport à l’autre, un constat
paraît s’imposer : l’union de fait demeure, dans les deux États, une
situation subordonnée au mariage, le « statut » de conjoint de fait
(légal ou non) étant nettement supplanté par celui d’époux.

3. Le droit des provinces canadiennes de common law

a) Common law et droit statutaire

Au Canada anglais, l’union de fait a connu une évolution sociale


comparable à celle qu’on a pu observer au Québec et en Europe195.
Jusqu’au début des années 60, seuls le couple et la famille unis par les

194. Voir Jean-Louis RENCHON, « Où vont le mariage et le concubinage ? État des


lieux en Belgique », dans Des concubinages en droit interne, droit international,
droit comparé. Études offertes à J. Rubellin-Devichi, Paris, Litec, 2002, p. 492,
p. 494. Cette manière de voir les choses laisse évidemment peu de place à l’idée
d’assujettir de plein droit les « vrais » conjoints de fait à des obligations
réciproques.
195. « Turning to the situation in Canada, [...] heterosexual cohabitation is now
almost fully accepted as social institution. Over the past 30 years or so we have
seen the increasing equation of mariage and heterosexual cohabitation » : Wini-
fred HOLLAND, « Introduction », dans Winifred HOLLAND et Barbro E.
STALBECKER-POUNTNEY, Cohabitation – The law in Canada, Toronto,
Carswell, 2007, p. 1-1, p. 1-3. Voir également Suzanne BOIVIN, « J’me marie ?
J’me marie pas ? Étude de la situation juridique des conjoints de fait en droit
canadien », dans Elizabeth SLOSS (dir.), Le droit de la famille au Canada : Nou-
velles orientations, Ottawa, Conseil consultatif canadien de la situation de la
femme, 1985, p. 179, p. 181.
142 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

liens du mariage bénéficiaient d’une véritable reconnaissance sociale


et juridique. Au sens de la common law canadienne et des lois statu-
taires alors en vigueur, la cohabitation hors mariage n’existait tout
simplement pas :

In the early 60s cohabitants as a group were largely ignored by the legal
system. To take but one example, a widely used text in the family law
field in England defined the family as follow : “[f]or our purpose we may
regard the family as basis social unit which consists normally of a hus-
band and wife and the children”. The term cohabitation which appears
in the index refers only to married cohabitation. The situation in
Canada and other jurisdiction was comparable.196

Les contrats dont pouvaient convenir les conjoints de fait subis-


saient le même sort qu’au Québec, la common law comme le droit
civil y voyant l’expression tangible d’une relation jugée socialement
immorale :

At common law contracts which promoted sexual immorality were con-


sidered illegal. Extra-marital sex was perceived as immoral and if con-
tract in question promotes extra-marital relationships it would not be
enforced.197

Outre le caractère immoral qu’ils y rattachaient, les tribunaux


étaient par ailleurs portés à voir dans les arrangements dont pou-
vaient convenir les conjoints de fait de simples promesses sans véri-
table conséquence juridique198. Certains s’interrogeaient également
sur la validité de la « considération » inhérente aux contrats interve-
nus, élément qui, au sens de la common law, participe de la formation
même du contrat199. Dans les années 70 et par la suite, plusieurs
législateurs provinciaux adoptèrent des dispositions dérogatoires à
la common law dans le but d’autoriser et d’encadrer le recours aux

196. Winifred HOLLAND, « Introduction », dans Winifred HOLLAND et Barbro E.


STALBECKER-POUNTNEY, Cohabitation – The law in Canada, Toronto,
Carswell, 2007, p. 1-1, p. 1-11.
197 Ibid., p. 1-23. Voir Fender c. Mildmay, [1938] A.C. 1 (U.K. H.L.) et Frere c.
Shields, [1939] 2 W.W.R. 396 (Sask. C.A.).
198. Voir Lazarenko c. Borowsky, [1966] R.C.S. 556, 560 et Deleeuw c. Deleeuw, 3
R.F.L. (2d) 347 (B.C.C.A.).
199. Voir Holli c. Kost, (1972) 7 R.F.L. 77 B.C.S.C. et Re Spear and Levy, 1974, 52
D.L.R. (3d) 146, 19 R.F.L. 101. Voir également ce qu’écrivent Edith Deleury et
Marlène Cano à propos de la « considération » en common law, comme élément
de formation du contrat : « Le concubinage au Québec et dans l’ensemble
du Canada. Deux systèmes juridiques, deux approches », dans Jacqueline
RUBELLIN-DEVICHI (dir.), Des concubinages dans le monde, Paris, Éditions
du CNRS, 1990, p. 85, p. 93-94.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 143

contrats d’union de fait200. Des dispositions traitant spécifiquement


des « contrats de cohabitation » furent ainsi intégrées au droit statu-
taire201.

La common law canadienne n’était guère plus réceptive à l’égard


des enfants issus de l’union de fait. Privés de droits, ceux-ci se
voyaient attribuer un « statut » tout aussi discriminant que celui
dont héritaient les enfants illégitimes des pays de droit codifié. C’est
d’ailleurs sous ce même vocable que la jurisprudence et la doctrine les
désignaient202.

La discrimination induite par la common law à l’endroit des


enfants de l’union de fait fut graduellement éliminée au cours des
dernières décennies203. Ainsi, dans toutes les provinces canadiennes,
les enfants peuvent-ils aujourd’hui prétendre aux mêmes droits et
aux mêmes privilèges, quelles que soient les circonstances de leur
naissance204.

200. Il s’agit de l’Ontario (Family Law Act, R.S.O. 1990, c. F.3, section 55(1) et s.) ; de
l’Île-du-Prince-Édouard (Family Law Act, c. F-2.1, section 54(1)) ; du Nou-
veau-Brunswick (Marital Property Act, S.N.B. 1980, c. M-1.1, section 35(1)
et s.) ; de Terre-Neuve (Family Law Act, R.S.N.L. 1990, c. F-2, section 63(1)
et s.) ; de la Colombie-Britannique (Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128,
section 89(1)) et du Manitoba (Family Maintenance Act, R.S.M. 1987, c. F-20,
section 5 et s.). En Alberta, en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan, aucune dis-
position spécifique ne porte sur les contrats de cohabitation, ce qui ne veut
pas dire cependant que les conjoints de fait de ces provinces ne peuvent y
avoir recours : Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Cohabitation Agree-
ment, Common Law Provinces », dans Winifred HOLLAND et Barbro E.
STALBECKER-POUNTNEY, Cohabitation – The law in Canada, Toronto,
Carswell, 2007, p. 5-1, p. 5-10 et 5-34.
201. En Colombie-Britannique, la loi prévoit expressément qu’un couple de conjoints
de fait qui s’engage par contrat d’union de fait est assujetti aux dispositions léga-
les relatives au partage des biens familiaux. Ainsi, dans la mesure où le couple
ne veut pas d’un tel partage, il doit le mentionner dans le contrat, sous réserve
du pouvoir du tribunal d’écarter l’entente en cas d’iniquité : Family Relations
Act, R.S.B.C. 1996, c. 128.
202. Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Children », dans Winifred HOLLAND
et Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, Cohabitation – The law in Canada,
Toronto, Carswell, 2007, p. 6-1, p. 6-1 et 6-3.
203. Nicholas BALA et R. JAREMKO BROMWICH, « Context and Inclusivity in
Canada’s Evolving Definition of the Family », (2002) International Journal of
Law, Policy and the Family 145, 150.
204. Alberta : Dependants Relief Act, R.S.A. 2000, c. D-10.5 ; Colombie-Britannique :
Law and Equity Act, R.S.B.C. 1996, c. 53, s. 56 ; Manitoba : The Family Mainte-
nance Act, R.S.M. 1987, c. F-20, s. 17 ; Nouveau-Brunswick : Family Services
Act, S.N.B. 1980, c. F2.2, s. 96(4) ; Terre-Neuve : Children’s Law Act, R.S.N.L.
1990, c. C-13, s. 3(1) ; T.N.O : Dependant Relief Act, R.S.N.W.T. 1988, c. D-4, s. 1 ;
Nouvelle-Écosse : Maintenance and Custody Act, R.S.N.S. 1989, c. 160, s. 50 ;
Ontario : Children’s Law Reform Act, R.S.O. 1990, c. C.12, s. 1(1) ; Île-du-Prince-
144 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

Durant la même période, la plupart des législateurs provin-


ciaux intervinrent pour autoriser les conjoints de fait à adopter un
enfant en commun205. Terre-Neuve ne leur a cependant reconnu ce
droit qu’en 2002, alors que le Nouveau-Brunswick ne le leur a attri-
bué qu’en 2007206. Par ailleurs, deux provinces, soit l’Alberta et
l’Île-du- Prince-Édouard, semblent toujours réserver des privilèges
aux seuls couples composés d’époux, du moins dans certaines sphères
du droit de l’adoption207.

b) Le droit social et fiscal

Le mouvement d’assimilation des conjoints de fait aux époux en


matière de droits sociaux débuta au cours des années 70 et s’inten-
sifia par la suite. Aujourd’hui, la plupart des protections sociales en
vigueur dans les provinces canadiennes de common law et les terri-
toires sont accessibles à la fois aux époux et aux conjoints de fait, sans
distinction208. Ainsi, toutes les provinces accordent aux conjoints de
fait le bénéfice des prestations et pensions de retraites du régime
publie209. Bien qu’il nous ait été impossible d’en vérifier la validité et
l’actualité, certaines informations laissent croire que des prérogati-

Édouard : Child Status Act, R.S.P.E.I. 1988, c. C-6 ; Saskatchewan : The Chil-
dren’s Law Act 1997, S.S. 1997, c. 8.2, s. 40 ; Yukon : Children’s Act, R.S.Y. 2002,
c. 31, s. 5.
205. En 2001, selon Martha Bailey, 4 provinces leur refusaient toujours ce droit :
Martha BAILEY, « Le mariage et les unions libres », étude réalisée pour le
compte de la Commission du droit du Canada, 2001, Annexe B.
206. Terre-Neuve : Adoption Act, S.N.L. 1999, c. A-2.1, tel que modifiée par 2002, c.
13, s. 10 ; Nouveau-Brunswick : Services à la famille, L.N.-B. 1980, c. F-2.2, tel
que modifiée par 2007, c. 20, art. 5.
207. Alberta : Adult Adoption Act, R.S.A. 2000, c. A-4, s. 6 ; Île-du-Prince-Édouard :
Adoption Act, R.S.P.E.I. 1988, c. A-4.1, s. 15-16.
208. Déjà en 1985, Suzanne Boivin écrivait : « Le droit social traite donc, à peu de
chose près, l’union de fait comme un mariage. Ce qui permet au conjoint de fait
de bénéficier de prestations mais peut, par contre, l’empêcher aussi d’en rece-
voir » : Voir Suzanne BOIVIN, « J’me marie ? J’me marie pas ? », Étude de la
situation juridique des conjoints de fait en droit canadien, dans Élizabeth
SLOSS (dir.) Le droit de la famille au Canada : Nouvelles orientations, Ottawa,
Conseil consultatif canadien de la situation de la femme, 1985, p. 179, p. 182.
209. Alberta : Pensions Benefits Standards Act, R.S.C. 1985 (2nd supp.), c. 32 ;
Colombie-Britannique : Pension Benefits Standards Act, R.S.B.C. 1996, c. 352 ;
Manitoba : Pension Benefits Act, R.S.M. 1987, c. P-32 ; Nouveau-Brunswick :
Pension Benefits Act, S.N.B. 1987, c. P-5.1 ; Nouvelle-Écosse : Pension Benefits
Act, R.S.N.S. 1989, c. C.340 ; Ontario : Pension Benefits Act, R.S.O. 1990, c. P.8 ;
Saskatchewan : Pension Benefits Act, S.S. 1992, c. P-6.00. Selon Martha Bailey,
le droit applicable dans l’Île-du-Prince-Édouard contenait, en 2001, certaines
dispositions en faveur des seuls conjoints mariés : Martha BAILEY, « Le
mariage et les unions libres », étude réalisée pour le compte de la Commission du
droit, Annexe B.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 145

ves en matière d’assurance-automobile et d’assurance-santé seraient


toujours, dans quelques provinces, refusées aux conjoints de fait210,
et ce, plus de 10 ans après que la Cour suprême du Canada eut déclaré
discriminatoires à l’encontre des conjoints de fait hétérosexuels les
dispositions de la Loi ontarienne sur les assurances211 réservant le
versement d’indemnités d’assurance-accidents aux seuls conjoints
mariés212.

Il importe de souligner qu’en matière fiscale, les provinces cana-


diennes de common law n’ont qu’une compétence limitée puisque,
contrairement au Québec, elles ne prélèvent pas d’impôt sur le
revenu. Dans les limites de leur juridiction fiscale, toutefois, les pro-
vinces assimilent les conjoints de fait aux époux dans presque toutes
leurs législations à caractère fiscal. Cependant, à l’exception de la
Saskatchewan213, les dispositions relatives aux charges fiscales pou-
vant résulter de la disposition de la résidence principale ne s’appli-
quent encore qu’aux seuls époux214.

c) Le droit privé

Si, en matière de droit social et fiscal, les provinces canadien-


nes-anglaises abordent les conjoints de fait d’une manière compa-
rable à celle que préconise le Québec, tel n’est pas le cas en matière de
droit privé. Contrairement au législateur québécois qui s’est toujours
abstenu de réglementer les rapports juridiques des conjoints de fait,
les provinces canadiennes anglaises se sont quant à elles empressées
d’intervenir dans la sphère du droit privé.

En 1972, la Colombie-Britannique modifia la Family Relations


Act215 dans le but de soumettre les conjoints de fait à une obliga-

210. L’incertitude vient du fait que certaines législations accordent les prérogatives
aux « personnes à charge ». Martha Bailey (2001) semble considérer que le
conjoint de fait n’est pas systématiquement reconnu comme « personne à
charge » : Martha BAILEY, « Le mariage et les unions libres », étude réalisée
pour le compte de la Commission du droit, Annexe B.
211. L.R.O. 1980, c. 218
212. Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418.
213. Family Property Act, S.S. 1997, c. F-6.3.
214. Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Tax Implications of Cohabitation »,
dans Winifred HOLLAND et Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, Cohabita-
tion – The law in Canada, Toronto, Carswell, 2007, p. 8-1, p. 8-5. Voir également
Martha BAILEY, « Le mariage et les unions libres », étude réalisée pour le
compte de la Commission du droit du Canada, 2001, Annexe B.
215. Family Relations Act, S.C. 1972, c. 20, s. 15(e).
146 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

tion alimentaire mutuelle216. Dans les années qui suivirent, les


8 autres provinces et les trois territoires lui emboîtèrent le pas217. En
Colombie-Britannique, le législateur adopta également de nouvelles
dispositions dans le but d’assujettir les conjoints de fait aux mesures
de protection de la résidence familiale initialement destinées aux
conjoints mariés218. Puis, en 2002 et en 2004, la Saskatchewan et le
Manitoba poussèrent la logique d’assimilation d’un cran en soumet-
tant les conjoints de fait à l’ensemble des mesures applicables aux
époux219. Dans ces provinces, l’encadrement juridique des rapports
entre conjoints de fait est maintenant semblable à celui qui prévaut
en matière matrimoniale. En sus de l’obligation alimentaire et des
mesures de protection de la résidence familiale auxquelles ils sont

216. Pour une description détaillée des facteurs d’attribution et des conditions d’ap-
plication de ces obligations, voir Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Sup-
port Obligations », dans Winifred HOLLAND et Barbro E. STALBECKER-
POUNTNEY, Cohabitation – The law in Canada, Toronto, Carswell, 2007, p.
3-1, p. 3-8 et s.
217. Ontario : Family Law Reform Act, 1978, S.O. 1978, c. 2, s. 14. À l’origine, la loi
ontarienne exigeait une cohabitation minimale de 5 ans. Cette période fut
réduite à 3 ans en 1986 : Family Law Act, 1986, S.O. 1986, c. 4, s. 29. Voir
aujourd’hui Family Law Act, R.S.O. 1990, c. F.3, ss. 1(1) et 29, tel que modifiée
par S.O. 1999, c. 6, s. 25(1) et (2). Pour les autres provinces voir : Nou-
veau-Brunswick : Family Services Act, S.N.B. 1980, c. F-2.2, s. 112(3), telle que
modifiée par S.N.B. 2000, c. 59, s. 1 ; Manitoba : Family Maintenance Act, R.S.M.
1987, c. F20, ss. 1, 4(1) et 14(1) ; Nouvelle-Écosse : Maintenance and Custody
Act : R.S.N.S. 1989, c. 160, s. 2, tel que modifiée par S.N.S. 2000, c. 29, s. 3 ;
Colombie-Britannique : Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128, s. 1, tel que
modifiée par S.B.C. 1997, c. 20, s. 1(c) ; Terre-Neuve : Family Law Act, R.S.N.L.
1990, c. F-2, s. 35(c), telle que modifiée par S.N.L. 2000, c. 29, s. 1) ; Saskatche-
wan : Family Maintenance Act, S.S. 1997, c. F-6.2, s. 2, telle qu’amendée par S.S.
2001, c. 51, s. 5(4) ; Île-du-Prince-Édouard : Family Law Act, S.P.E.I. 1995, c. 12,
s. (29(1)(b), telle que modifiée par S.P.E.I. 2002, c. 7 ; T.N.O : Family Law Act,
S.N.W.T. 1997, c. 18, s. 1(1), telle que modifiée par S.N.W.T. 2002, c. 6 ; Yukon :
Family Property and Support Act, R.S.Y. 2002. c. 83, s. 1 (non en vigueur) ;
Nunavut : Family Law Act, S.N.W.T. 1997, c. 18, s. 1(1). L’Alberta fut la dernière
province à légiférer en ce sens (Domestic Relations Act, R.S.A. 2000, c. D-14, s.
17.1). Notons que la loi albertaine ne prévoit pas spécifiquement d’obligation
alimentaire entre conjoints de fait, mais entre adult interdependent rela-
tionships », dont font désormais partie les conjoints de fait (Interdependent Rela-
tionships Act, S.A. 2002, c. A-4.5).
218. Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128, s. 124.
219 Miscellaneous (Domestic Relations) Act, 2001 (No 2), S.S. 2001, c. 51 et Common
Law Partners Property and Relates Amendments Act, S.M. 2002, c. 48. Les
T.N.O. et le Nunavut ont récemment adopté une législation assimilant les
conjoints de fait aux époux pour les fins du régime de partage des biens fami-
liaux (Family Law Act, S.N.W.T., c. 18, applicable au Nunavut vu le Nunavut
Act, S.C. 1993, c. 28, s. 29 et le Yukon (S.Y. 1998, c. 8, s. 10(1)(b)). Dans ces terri-
toires, cependant, les lois n’ont pas encore été mises en vigueur. À Terre-Neuve,
les conjoints de fait peuvent volontairement se soumettre, au moment de la rup-
ture, aux dispositions relatives au partage des biens familiaux : Family Law Act,
R.S.N. 1990, c. F-2, art. 63.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 147

assujettis, les conjoints de fait saskatchewanais et manitobains sont


appelés à se succéder l’un à l’autre220 et à partager leurs biens
à caractère familial en cas de séparation, aux mêmes conditions et
suivant les mêmes modalités que celles qui s’appliquent aux époux.

Au tournant des années 2000, une nouvelle vague de modifica-


tions aux législations provinciales fut provoquée par la décision de la
Cour suprême dans l’affaire M. c. H.221. Aux termes de ce jugement
fondamental, la loi ontarienne octroyant le droit à la pension alimen-
taire aux époux et conjoints de fait hétérosexuels fut déclarée discri-
minatoire à l’encontre des conjoints de fait homosexuels222, en regard
des droits à l’égalité garantis par la Charte canadienne des droits et
libertés223. Les lois provinciales (de droit privé, social ou fiscal) qui,
jusqu’alors, ne définissaient les conjoints de fait qu’en référence aux
seuls conjoints hétérosexuels, se révélèrent aussitôt contestables. La
pression politique et juridique exercée par le jugement de la Cour
suprême amena donc peu à peu les provinces à modifier les défini-
tions de « conjoints de fait » contenues dans leurs législations respec-
tives, de manière à y inclure les conjoints de fait de même sexe224.

d) La loi néo-écossaise du 19 avril 2000 instituant


le régime de « domestic partnership »

La Nouvelle-Écosse est la seule province de common law à avoir


institué un régime d’enregistrement civil des unions de fait225. Le
législateur néo-écossais ne peut toutefois s’attribuer le mérite d’avoir

220. Saskatchewan : Intestate Succession Act, 1996, S.S. 1996, c. 1-13.1, telle que
modifiée par S.S. 1999, c. 5 et 2001, c. 51 et Family Property Act, S.S. 1997, c.
F-6.3, telle que modifiée par S.S. 2001, c. 51. C.C.S.M. c. F25. Manitoba : Family
Property Act and Intestate Succession Act, S.M. 1989-90, c. 43, telle que modifiée
par S.M. 2002, c. 48.
221. [1999] 2 R.C.S. 3.
222. Mentionnons que, en 1994, une proposition législative (Bill 167) visant à étendre
l’obligation alimentaire aux conjoints de fait de même sexe avait été défaite par
la législature : Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, « Support Obligations »,
dans Winifred HOLLAND et Barbro E. STALBECKER-POUNTNEY, Cohabita-
tion – The law in Canada, Toronto, Carswell, 2007, p. 3-1, p. 3-9.
223. Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de
1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982), R.-U., c. 11]).
224. En Ontario, par exemple, c’est par la loi omnibus Spousal Relationships Statute
Law Amendment Act, 2005 » (S.O. 2005, c. 5) que le législateur procéda à l’élar-
gissement des définitions contenues dans ses lois.
225. Notons cependant que, depuis le 30 juin 2004, le Manitoba permet aux conjoints
de fait d’enregistrer leur union auprès du Bureau de l’état civil. Cet enregistre-
ment permet au couple de se soumettre aux différentes lois autrement applica-
bles après 3 ans de vie commune (ou 1 an dans certains cas) : The Vital Statistics
Act, C.C.S.M. c. V60, art. 13.1 et s.
148 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

amorcé le processus ayant mené à l’adoption du nouveau régime. Il a


plutôt réagi aux conclusions d’une décision de la Cour d’appel de la
province ayant déclaré discriminatoires, sur la base des droits à
l’égalité garantis par l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits
et libertés226, les dispositions de la Matrimonial Property Act227 réser-
vant le partage des biens matrimoniaux aux seuls couples mariés228.
Bien qu’il n’ait pas jugé bon de dégager les options à la disposition du
législateur, le tribunal lui a néanmoins accordé un délai d’un an pour
rectifier la situation.

Le législateur a répondu aux prescriptions judiciaires par


l’adoption de la Law Reform (2000) Act229, en vigueur depuis le 4 juin
2000230. Cette loi instaure un régime d’enregistrement civil des
unions de fait par l’ajout d’une partie intitulée « Domestic Part-
ners »231 à la Vital Statistic Act232. Les conjoints qui se prévalent des
dispositions se voient automatiquement et sans autre condition attri-
buer les droits et les obligations reconnus aux couples mariés aux ter-
mes de plusieurs législations233, tant durant l’union qu’au moment de
sa dissolution.

Dans les provinces canadiennes de common law, l’union de


fait emporte des conséquences juridiques extrêmement importantes
entre les conjoints. Contrairement au droit québécois, le droit des

226. Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le


Canada [1982), R.-U., c. 11].
227. R.S.N.S. 1989, c. 275.
228. Walsh c. Bona, [2000] N.S.J. No. 117, 19 avril 2000. Voir également « New Rules
Protect Common-Law and Same-Sex Couples Service Nova Scotia and Munici-
pal Relations », Service Nova Scotia and Municipal Relations, 1er juin 2001,
publié sur le site Internet du gouvernement de la Nouvelle-Écosse à l’adresse
<www.gov.ns.ca/news>.
229. R.S.N.S. 2000, c. 29.
230. Ibid., art. 46(1). Notons que les modifications apportées aux législations fiscales
sont quant à elles entrées en vigueur le 1er janvier 2001 : art. 46(2).
231. Law Reform (2000) Act, R.S.N.S. 2000, c. 29, art. 45.
232. R.S.N.S. 1989, c. 494.
233. II s’agit des lois suivantes : Fatal Injuries Act, R.S.N.S. 1989, c. 163 ; Health Act,
R.S.N.S. 1989, c. 195 ; Hospital Act, R.S.N.S. 1989, c. 313 ; Insurance Act,
R.S.N.S. 1989, c. 231 ; Intestate Succession Act, R.S.N.S. 1989, c. 236 ; Main-
tenance and Custody Act, R.S.N.S. 1989 c. 160 ; Matrimonial Property Act,
R.S.N.S. 1989, c. 275 ; Member’s Retiring Allowances Act, R.S.N.S. 1989, c. 282 ;
Pension Benefits Act, R.S.N.S. 1989, c. 340 ; Probate Act, S.N.S. 2000, c. 31 ; Pro-
vincial Court Act, R.S.N.S. 1989, c. 238 ; Testator’s Family Maintenance Act,
R.S.N.S. 1989, c. 465. Pour une analyse détaillée du « domestic partnership »,
voir Alain ROY, « Le partenariat civil, d’un continent à l’autre », 3-2002 Revue
internationale de droit comparé 759.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 149

autres provinces réglemente les rapports entre conjoints de fait de


manière plus ou moins étendue. Dans chacune des 9 autres provinces
canadiennes, une obligation alimentaire prend racine entre eux du
seul fait de leur cohabitation. Dans d’autres, les règles relatives à la
protection de la résidence familiale et au partage des biens fami-
liaux leur sont en sus applicables, indépendamment de tout acte de
volonté.

Est-ce à dire que les conjoints de fait jouissent d’une plus grande
reconnaissance juridique dans les autres provinces canadiennes ? En
assimilant les conjoints de fait aux époux dans certaines sphères du
droit privé de la famille, les législateurs des provinces de common law
s’efforceraient-ils d’atténuer, voire d’éradiquer à leur façon la hié-
rarchie des modes de vie conjugale qui prévalait autrefois ? Autre-
ment dit, en perçant le mur du droit privé pour y faire entrer les
conjoints de fait, même sans leur consentement, les législateurs pro-
vinciaux manifesteraient-ils une conception plus égalitaire des rap-
ports conjugaux que ceux qui s’y refusent ?

Compte tenu du contexte social et juridique qui prévalait dans


les provinces canadiennes au moment où furent adoptées les premiè-
res mesures en ce sens, nous ne le croyons pas. En effet, lorsque la
Colombie-Britannique a instauré en 1972 une obligation alimentaire
entre les conjoints de fait, plusieurs mesures de soutien social ne leur
étaient pas encore accessibles. En fait, les conjoints de fait avaient
beau « bénéficier » d’une obligation alimentaire mutuelle, on ne leur
donnait pas pour autant accès à toute la gamme des droits conférés
aux époux. Et comme on aura pu le constater, certaines provinces qui
assimilent pourtant les conjoints fait aux époux dans certaines sphè-
res de droit privé persistent encore aujourd’hui à les différencier
dans d’autres secteurs. On ne saurait donc voir dans l’aménagement
d’obligations entre conjoints de fait l’ultime consécration juridique de
l’union de fait.

Pour certains, les particularités que présente le droit des pro-


vinces canadiennes-anglaises sont révélatrices d’une approche poli-
tico-juridique de l’union de fait fondamentalement différente de celle
qui prévaut au Québec. Alors que chez nous, la politique législative
en matière d’union de fait relève d’une position de principe, celle du
respect de l’autonomie de la volonté (explicite ou implicite), elle repo-
serait, dans les provinces de common law, sur une perspective fonc-
150 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

tionnaliste234. Selon cette approche, il faut apporter aux situations


qui se comparent une réponse juridique comparable. Or, dans la
mesure où l’union de fait est susceptible, comme le mariage, d’en-
traîner des désavantages économiques pour l’une des parties, parti-
culièrement au moment de la rupture, il convient de soumettre les
conjoints de fait au même cadre législatif que celui applicable aux
époux, y compris en matière de droit privé235. Ainsi pourra-t-on
mieux répartir les inconvénients engendrés par la rupture d’une rela-
tion intime caractérisée par l’interdépendance économique236.

Bien qu’une telle explication s’avère plausible, il importe de


rechercher l’ensemble des motivations gouvernementales en cause.
À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que l’État est indirecte-
ment bénéficiaire de toutes les obligations alimentaires qu’il impose
aux membres d’une cellule familiale ou conjugale. Comme l’écrivent
Édith Deleury et Marlène Cano :

À bien des égards, les époux de fait jouissent aujourd’hui, dans la plu-
part des provinces, d’une protection identique aux époux de droit. Mais
s’ils se voient aujourd’hui imposer certaines contraintes et certaines
obligations, c’est non seulement dans le but de les responsabiliser, mais

234. Selon le professeur Robert LECKEY (« Self and Other : Cohabitation and Com-
parative Method », 3 juin 2008, p. 15, disponible en ligne à : <http://ssrn.com/
abstract=1140371>), on distingue deux discours différents à propos de l’enca-
dre- ment juridique de l’union de fait (ou plus généralement de la famille) : un
discours axé sur le formalisme qui domine au Québec et un autre sur le fonction-
nalisme, qui domine dans les autres provinces canadiennes : « Functionalism in
family law focuses, not on the functions of problem-solving rules, but on the func-
tions performed by family units. It contrasts with formalism, which assigns
rights and duties on the sole basis of format family status, such as marriage or
legal parentage ». Pour certains, l’approche formaliste du Québec serait tribu-
taire de la tradition civiliste de la province : « Il faut reconnaître que la société
québécoise est différente » : Claudia P. PRÉMONT et Michèle BERNIER, « Un
engagement distinct qui engendre des conséquences distinctes », dans Barreau
du Québec, Développements récents sur l’union de fait, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2000, p. 1.
235. Si l’on s’en remet effectivement à la perspective fonctionnaliste pour expliquer et
justifier l’établissement d’obligations entre conjoints de fait, on peut alors se
demander pourquoi subsistent encore, dans 7 provinces sur 9, d’importantes dis-
tinctions (en droit privé) entre conjoints mariés et conjoints de fait. Une poli-
tique législative fondée sur une telle perspective ne nous apparaît véritablement
cohérente que si les époux et les conjoints de fait sont assujettis aux mêmes
droits et obligations à tout point de vue comme c’est le cas en Saskatchewan et au
Manitoba.
236. C’est là la conception à laquelle adhère clairement la juge L’Heureux-Dubé dans
sa dissidence dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4
R.C.S. 325.
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 151

aussi d’éviter à la collectivité d’avoir à supporter, au plan économique,


des personnes qui autrement, seraient à la charge de l’État.237

Dans le même sens, Winifred Holland écrit au sujet de la loi


ontarienne de 1978 :

[...] the extension was rather grudging and seems primarily to have
been designated to “pass the buck” from welfare authorities to the
family.238

L’imposition d’obligations entre conjoints de fait traduirait donc


des préoccupations que l’on ne saurait rattacher à une philosophie
d’intervention législative particulière. D’ailleurs, on peut noter qu’à
l’exception de la Saskatchewan et du Manitoba qui soumettent
les conjoints de fait à l’ensemble des règles régissant les relations
des époux239, les provinces canadiennes-anglaises s’en remettent au
principe de l’autonomie de la volonté pour expliquer leur décision de
ne pas étendre aux conjoints de fait d’autres effets du mariage que
l’obligation alimentaire240. Ainsi, ces législateurs refusent-ils de sou-

237. Édith DELEURY et Marlène CANO, « Le concubinage au Québec et dans


l’ensemble du Canada. Deux systèmes juridiques, deux approches », dans
Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI (dir.), Des concubinages dans le monde,
Paris, Éditions du CNRS, 1990, p. 85, p. 111. Notons que la Cour suprême a for-
mellement reconnu qu’un des objectifs de la pension alimentaire était d’alléger
le fardeau financier de l’État : M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, no 93. Au no 98, le juge
lacobucci constate d’ailleurs qu’un tel objectif a été expressément évoqué lors
des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi ontarienne impo-
sant une obligation alimentaire aux conjoints de fait : « En ce qui concerne la
réduction du fardeau financier de l’État, les députés se sont plaints publique-
ment au sujet du nombre des personnes à charge qui se tournent vers l’aide
sociale à la suite de la rupture de leur union. L’idée que les dispositions relatives
à l’obligation alimentaire entre conjoints de la L.D.F. et des lois qu’elle a rempla-
cées visaient en grande partie à faire peser le fardeau financier jusque-là sup-
porté par l’État sur les partenaires qui sont en mesure de fournir des aliments
aux conjoints à leur charge a été exprimée plusieurs fois au cours des débats
législatifs ». Voir également ce qu’écrit le juge Gonthier à ce sujet dans Nou-
velle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325, no 204.
238. Winifred HOLLAND, « Intimate Relationships in the New Millennium : The
Assimilation of Mariage and Cohabitation ? », (2000) 17 C.J.F.L. 114, 128. Le
professeur Goubau partage cette conception lorsqu’il écrit : « L’imposition d’une
obligation alimentaire en dehors du cadre du mariage [est aussi] [...] une façon
d’alléger le fardeau de l’État sur le chapitre de l’aide sociale et de l’aide aux
familles » : Dominique GOUBAU, Ghislain OTIS et David ROBITAILLE, « La
spécificité patrimoniale de l’union de fait : le libre choix et ses dommages collaté-
raux », (2003) 44 C. de D. 3, 19.
239. Voir supra, p. 144.
240. La validité constitutionnelle de cet argument a été reconnue par la majorité
dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325,
no 141.
152 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

mettre les conjoints de fait au partage des biens familiaux en invo-


quant les mêmes arguments de libre choix que ceux auxquels le
législateur du Québec fait appel pour justifier l’ensemble de sa poli-
tique législative en matière d’union de fait. L’autonomie de la volonté
n’est donc pas, dans ces provinces, un dogme derrière lequel on se
retranche pour priver les conjoints de fait de droits et d’avantages.
Le principe demeure applicable, mais on y soustrait l’obligation ali-
mentaire pour des raisons dont les véritables fondements demeurent
discutables.

Mais quelles que soient les différences qui les distinguent et


indépendamment des motivations que l’on peut attribuer aux législa-
teurs de common law, les régimes en place chez nos voisins du
Canada anglais ne portent pas plus qu’au Québec la marque d’un dis-
crédit social ou juridique de l’union de fait. Que ce soit ici ou dans les 9
autres provinces canadiennes, l’union de fait jouit d’une reconnais-
sance sociale et juridique mais, en raison de choix politiques et/ ou
économiques distincts, ne fait pas l’objet d’un même encadrement
juridique.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Au Québec, comme dans la plupart des États occidentaux, la


progression de l’union de fait demeure l’un des phénomènes sociaux
les plus marquants de la seconde moitié du XXe siècle. Alors qu’au
début des années 60, l’union de fait figurait au nombre des modes de
vie marginaux, les statistiques publiées ces dernières années démon-
trent son ascension marquée et sa force d’attraction constante. Bref,
l’union de fait est définitivement entrée dans les mœurs et rares sont
ceux qui, au nom d’une quelconque morale, persistent encore aujour-
d’hui à y voir une menace au bon fonctionnement de la société.

Au cours des dernières décennies, le législateur du Québec a


revu l’ensemble de ses législations pour les adapter à cette nouvelle
réalité. Si, dans une perspective d’inclusion, il n’a pas hésité à attri-
buer aux conjoints de fait les droits et avantages sociaux et fiscaux
traditionnellement reconnus aux conjoints mariés, il s’est toutefois
abstenu de réglementer leurs rapports mutuels. Comme le démontre
l’étude qui précède, ce choix politique repose non pas sur l’indif-
férence ou le mépris, mais sur la liberté contractuelle et le respect
de l’autonomie de la volonté des conjoints de fait. Les couples qui
ne se marient pas sont présumés vouloir demeurer en marge du
droit matrimonial. Ceux qui souhaitent néanmoins obtenir un cer-
L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE... 153

tain encadrement juridique peuvent conclure une convention d’union


de fait241 ou s’unir civilement242.

L’analyse des travaux parlementaires ayant précédé l’adoption


des principales réformes en matière familiale nous a permis de cons-
tater que :

• Le choix politique de ne pas réglementer les rapports mutuels des


conjoints de fait a été clairement affirmé lors de la réforme du droit
de la famille de 1980 et ensuite reconduit avec force en 4 autres
occasions ;

• Ce choix politique a été fait en toute connaissance de cause,


d’autres options ayant été ouvertement discutées et débattues au
sein des instances parlementaires ;

• L’État québécois aborde aujourd’hui les statuts conjugaux que


sont le mariage, l’union civile et l’union de fait en toute neutralité,
les époux, les conjoints unis civilement et les conjoints de fait béné-
ficiant des mêmes droits et avantages sociaux, sans distinction ;

• Toute comparaison du droit québécois avec certains droits étran-


gers doit être faite avec circonspection puisque :

• Dans certains États (France et Belgique), l’absence d’enca-


drement des rapports qu’entretiennent les conjoints de fait
témoigne effectivement d’un déni de légitimité et d’une volonté
législative de maintenir une certaine forme de hiérarchisation
des statuts conjugaux ;

• Dans d’autres États (provinces canadiennes anglaises), l’exis-


tence de certaines obligations entre conjoints de fait traduit
diverses préoccupations gouvernementales au rang desquelles
on doit considérer le bénéfice indirect que l’État est susceptible
d’en retirer sur le plan des finances publiques.

241. Voir Couture c. Gagnon, [2001] R.J.Q. 2047 (C.A.). Voir également supra, p. 96.
242. Voir supra, p. 32 et s. Depuis 2002, l’union civile rallie un nombre toujours crois-
sant de conjoints hétérosexuels. Initialement destinée aux couples de même
sexe (qui n’ont pu avoir officiellement accès au mariage qu’en 2005), cette nou-
velle institution propre au Québec est aujourd’hui plus populaire auprès des
conjoints hétérosexuels que des conjoints homosexuels. Selon toute vraisem-
blance, l’union civile est donc perçue par un certain nombre de conjoints de fait
comme une manière efficace de se doter d’un cadre juridique hors mariage. Voir
les données publiées par l’Institut de la statistique du Québec à <http://www.
stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/demographie/etat matrm marg/501b.htm>.
154 XXe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

Certes, il incombe au gouvernement du Québec d’assurer la dif-


fusion de sa politique législative de manière à ce que les justiciables
puissent en comprendre la portée. Si certains observateurs rappor-
tent l’existence de croyances erronées quant aux droits et obligations
des conjoints de fait, peut-être est-ce justement parce que les campa-
gnes d’information n’ont pas été suffisamment nombreuses ou élabo-
rées243.

243. À l’occasion de la Sous-commission des institutions, on avait d’ailleurs claire-


ment évoqué la nécessité de mettre en place des campagnes d’information
au profit des conjoints de fait. Voir la discussion entre le ministre de la Justice
Gil Rémillard et la députée Louise Harel : ASSEMBLÉE NATIONALE DU
QUÉBEC, Sous-commission des Institutions, Journal des débats, 10 septembre
1991, no 6, p. CSI-296-CSI-298.
Culture et droit de la famille : de l’institution à
l’autonomie individuelle
Benoît Moore*

Au Québec, au cours du vingtième siècle, la Over the course of the twentieth century, the
progression de l’autonomie individuelle et la perte progression of individual autonomy and the loss of the
d’influence de l’Église catholique, accompagnée de la influence of the Catholic Church in Quebec,
concurrence religieuse induite par le multiculturalisme, accompanied by the religious diversity introduced by
ont profondément transformé le droit de la famille. multiculturalism, has profoundly transformed family
L’ancienne législation visait à favoriser la conception law. Old legislation favoured the traditional conception
unitaire de la famille, basée sur le mariage, au nom de of a nuclear family, based on marriage, in the name of
l’intérêt supérieur de la société. L’auteur estime qu’il overriding societal interests. The author argues that a
existe désormais un nouveau régime du droit de la new regime of family law is now in place, the principal
famille, dont l’objectif principal est d’assurer la objective of which is to assume the protection, notably
protection, notamment économique, des membres de la the economic protection, of members of the family unit.
cellule familiale. Le corps familial, institution sociétale This family unit, a central societal and cultural
centrale, dont la conception traditionnelle et religieuse institution that was traditionally conceived as being
faisait reposer l’autorité absolue sur le mari, n’échappe under the absolute authority of the husband, can no
dorénavant plus à la volonté individuelle et fonde ses longer escape the influence of individual liberty. Rather,
grandes lignes sur les valeurs fondamentales que sont the family is now defined by the fundamental values of
l’égalité et l’autonomie individuelle. equality and individual autonomy.

*
Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, titulaire de la Chaire Jean-Louis
Baudouin en droit civil, secrétaire général du groupe québécois de l’Association Henri Capitant des
amis de la culture juridique française. L’auteur tient à remercier Mme Martine Sirois pour l’aide
apportée à la rédaction de ce texte. Ce dernier reprend le rapport soumis aux Journées louisianaises de
l’Association Henri Capitant tenues en mai 2008. Il demeure donc essentiellement, dans la forme
comme dans le fond, un texte de conférence.
© Benoît Moore 2009
Mode de référence : (2009) 54 R.D. McGill 257
To be cited as: (2009) 54 McGill L.J. 257
258 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54

Introduction 259

I. Éclatement du référent religieux : entre laïcité et


confessionnalité multiple 261
A. La sécularisation de la famille 261
B. La concurrence religieuse et la nécessaire neutralité
de l’État 263

II. Éclatement du référent social : l’ascension de l’autonomie


individuelle 264
A. L’égalité : valeur fondatrice 264
B. Le rôle croissant de la volonté : la privatisation de la famille 267

Conclusion 272
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 259

Introduction
Tout comme son modèle français, le droit de la famille québécois a longtemps été
fondé sur une double puissance : la puissance paternelle et la puissance maritale.
C’est cette conception de la famille autorité, laquelle réside dans la réunion de
personnes autour d’un chef absolu1, qui est retenue en 1866 lors de l’adoption du
Code civil du Bas Canada. Le père exerce seul, en principe, l’autorité sur les enfants2.
L’épouse, devenue incapable par le mariage, est soumise à son mari3 ; elle lui doit
obéissance et a l’obligation de vivre avec lui4. En ce sens, la famille du Code civil du
Bas Canada est traditionnelle et se rapproche de la famille française.
Une différence importante avec la France existe toutefois en ce qui a trait à
l’influence religieuse. À l’époque de la codification de 1866, la France reconnaît
depuis la Constitution de 1791 le mariage comme un simple contrat, dont la
célébration est civile depuis une loi du 20 septembre 1792. Également, le divorce,
bien qu’abrogé depuis 1816, avait été introduit par la loi de 1792 et reconduit dans le
code de 18045. Les idées laïques révolutionnaires à l’origine de ces réformes n’ont
pas traversé l’océan pour pénétrer le Bas-Canada, où l’influence de l’Église est
encore très forte. La célébration du mariage y demeure l’apanage du religieux et est,
avant la conquête britannique, le monopole de l’Église catholique. Après la conquête,
grâce à l’Acte de Québec de 17746, l’Église catholique continue de procéder à la
célébration du mariage, mais partage cette charge avec l’Église protestante puis,
progressivement, avec d’autres religions7.
L’importance sociale et politique de la religion se retrouve dans les négociations
constitutionnelles qui ont mené à la Loi constitutionnelle de 1867. La compétence sur
le mariage et la question du divorce, ce dernier étant admis chez les protestants, sont
des enjeux importants des discussions. Le compromis retenu consiste à reconnaître à
l’État fédéral la compétence sur le mariage et le divorce, et aux provinces celle de la
célébration du mariage. La décision de donner au palier fédéral la compétence sur le
mariage est fondée sur la volonté d’assurer la validité, partout au pays, d’un mariage
célébré dans une province. Comme pour d’autres domaines, dont les banques et la
faillite, les pères de la Constitution s’assurent de l’existence d’«un organe de
coordination central afin de faciliter les échanges et mouvements d’une partie à

1
Voir Jean Pineau et Marie Pratte, La famille, Montréal, Thémis, 2006 à la p. 5.
2
Art. 243 C.c.B.-C. (avant 1977).
3
Art. 174 C.c.B.-C. (avant 1964).
4
Art. 175 C.c.B.-C. (avant 1980).
5
Voir Anne Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris,
Presses Universitaires de France, 1996 à la p. 193.
6
(R.-U.), 14 Geo. III, c. 83, art. 5, 8, reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 2. Les articles 5 et 8 de
l’Acte de Québec de 1774 permettaient respectivement aux sujets catholiques d’exercer librement leur
religion et d’appliquer le droit en vigueur avant la conquête en matière de droit privé au Québec.
7
Voir Pierre-Gabriel Jobin, «Loi concernant le mariage civil» (1969) 10 C. de D. 211 à la p. 212.
260 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54

l’autre du pays»8. Ce partage n’a toutefois pas de conséquence immédiate sur les
règles de formation du mariage puisque le Parlement fédéral n’intervient pas. Les
règles adoptées en 1866 dans le Code civil du Bas Canada continuent donc d’être
appliquées. Parallèlement à cette compétence sur les conditions de fond du mariage et
afin d’écarter toute crainte du clergé catholique, qui contrôle la célébration des
mariages sur le territoire du Bas-Canada, une compétence provinciale est ajoutée à
l’article 92(12) de la loi constitutionnelle en matière de célébration du mariage. Cette
compétence provinciale n’est pas une garantie constitutionnelle que l’Église
catholique conservera ce pouvoir, puisque la compétence en cette matière n’est pas
attribuée sur une base «confessionnelle», mais «territoriale»9. C’est toutefois, à court
terme, une garantie factuelle puisque l’Église catholique conserve une grande
influence sur la population francophone et le pouvoir politique provincial.
Quant au divorce, c’est le pouvoir fédéral qui en reçoit la compétence10. Ce choix
vise à satisfaire les membres des deux Églises majoritaires. D’un côté, il est prévu que
l’Église protestante, majoritaire au Canada anglais et minoritaire au Québec, conserve
le droit au divorce. D’un autre côté, l’Église catholique, majoritaire au Québec, reçoit
l’assurance que ce problème délicat sera réglé par les autorités fédérales et non
provinciales. Cette solution n’est pourtant qu’un succès partiel puisque le législateur
fédéral attend jusqu’en 1968 pour adopter sa première loi sur le divorce. Pendant près
de cent ans, le divorce n’est donc possible au Québec que par l’adoption d’une loi
fédérale d’intérêt privé et à partir de 1963, par une résolution du Sénat11.
Cette conception de la famille basée sur la tradition, sur l’autorité d’un chef de
famille et sur l’influence dominante de la religion s’érode progressivement au
vingtième siècle. Particulièrement à compter des années 1960, des phénomènes aussi
nombreux que connus interviennent : la diminution, voire la disparition progressive
de l’autorité sociale et politique de la religion ; la libération sexuelle ; la revendication
par les femmes de l’égalité de droit ; et plus généralement, les revendications de
toutes sortes fondées sur les droits et libertés de la personne. Le droit de la famille,
par ces phénomènes sociaux, ce changement de valeurs et de culture, se transforme

8
Hugo Cyr, «La conjugalité dans tous ses états : la validité constitutionnelle de “l’union civile” sous
l’angle du partage des compétences législatives» dans Pierre-Claude Lafond et Brigitte Lefebvre, dir.,
L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville (Qc),
Yvon Blais, 2003, 193 à la p. 218. L’auteur relève à la page 220 que l’attribution de la compétence sur
le mariage à l’État fédéral suscitait des craintes : «L’on craignait donc une compétence fédérale
étendue qui aurait pu permettre au Parlement de s’immiscer dans pratiquement tous les domaines du
droit civil touchant la famille. Or la famille était justement perçue comme le dernier retranchement des
Canadiens-Français face à la puissance britannique».
9
Ibid. à la p. 223.
10
Voir Anne-Marie Bilodeau, «Quelques aspects de l’influence religieuse sur le droit de la personne
et de la famille au Québec» (1984) 15 R.G.D. 573 à la p. 586 ; François Chevrette et Herbert Marx,
Droit constitutionnel : notes et jurisprudence, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1982 à la
p. 656.
11
Chevrette et Marx, ibid. à la p. 657.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 261

profondément autour de deux grands axes : l’éclatement du référent religieux (I) et


l’éclatement du référent social par l’ascension de l’autonomie individuelle (II)12.

I. Éclatement du référent religieux : entre laïcité et confessionnalité


multiple
L’éclatement du référent religieux procède d’une double manière. D’abord, la
religion catholique majoritaire perd son influence et par conséquent, la famille se
sécularise (A). Ensuite, l’immigration massive et le multiculturalisme mènent à une
concurrence religieuse qui interpelle l’État dans son devoir de neutralité (B).

A. La sécularisation de la famille
Sécularisation de l’état civil. Les codificateurs de 1866 refusent la sécularisation
des actes d’état civil à laquelle la France a procédé dans sa loi du 20 septembre
179213. Dans la colonie, puis dans la province de Québec, les actes d’état civil, qu’ils
soient de naissance, de mariage ou de décès, sont confessionnels et la conservation de
ceux-ci relève des paroisses14. Les parents qui ne désirent pas faire baptiser leurs
enfants peuvent toutefois les déclarer auprès du secrétaire-trésorier ou du greffier
municipal ou d’un juge de paix15. Certaines autres exceptions existent en matière de
décès et à compter de 1969, pour le mariage civil16. Évidemment, ce système, en plus
d’être techniquement inefficace et artificiellement complexe, correspond de moins en
moins à la réalité sociologique où coexistent une pluralité de croyances et une laïcité
croissante. La sécularisation, devenue nécessaire, n’intervient toutefois qu’en 1991
dans le cadre de la réforme du Code civil, qui entre en vigueur en 1994. Les actes de
l’état civil sont désormais centralisés sous la responsabilité d’un fonctionnaire civil, le
directeur de l’état civil.

12
Voir Bjarne Melkevik, «Penser le droit québécois entre culture et positivisme : quelques
considérations critiques» dans Bjarne Melkevik, dir., Transformation de la culture juridique
québécoise, Sainte-Foy (Qc), Presses de l’Université Laval, 1998, 9 («Le changement fondamental est
sûrement la victoire de l’individualisme et de la sécularisation» à la p. 10).
13
Voir Canada, Commissaires pour la codification des lois du Bas Canada qui se rapportent aux
matières civiles, Code civil du Bas Canada. Premier, second et troisième rapports, Québec, George E.
Desbarats, 1865 («Ce nouvel ordre de choses [...] n’a pas paru aux Commissaires préférable à celui
qui a été constamment en usage dans le pays depuis son établissement, et qui est si intimement lié
avec ses institutions ; ils croient devoir conserver le système actuel et sont d’avis qu’il ne pourrait être
supprimé sans de grands inconvénients» à la p. 156). Sur la codification de 1866, voir généralement
Brian Young, The Politics of Codification: The Lower Canadian Civil Code of 1866, Montréal,
McGill-Queen’s University Press, 1994.
14
Bilodeau, supra note 10 aux pp. 576-77.
15
Art. 53(a) C.c.B.-C. Voir Bilodeau, ibid. à la p. 578.
16
Voir Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 4e éd., Cowansville
(Qc), Yvon Blais, 2008 à la p. 326.
262 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54

Apparition du mariage civil. Le système qui lie nécessairement le mariage à une


célébration religieuse demeure en vigueur au Québec jusqu’en 1968, année où le
législateur adopte la Loi concernant le mariage civil17. Cette loi ajoute aux célébrants
du mariage, lesquels étaient jusqu’alors nécessairement religieux, un officier civil, le
protonotaire ou un adjoint, pouvant célébrer le mariage18. Cette création d’une
célébration civile convient aux communautés religieuses puisque celles-ci se voyaient
souvent dans l’obligation morale de célébrer des unions de complaisance, les couples
n’ayant pas d’autre alternative. Ce compromis est aussi un moindre mal puisque
certaines personnes avaient réclamé l’adoption d’un système similaire à celui de la
France, où le mariage civil est célébré distinctement du mariage religieux19. Plutôt
que d’aller dans cette voie, soit une réelle sécularisation du mariage, l’État maintient
aux communautés religieuses la compétence de célébrer le mariage civil et crée
parallèlement une célébration purement civile.
Les faits semblent donner raison à l’Église puisque le mariage civil peine à
s’établir malgré l’affaiblissement de la religion dans les valeurs collectives. En 1981,
il ne représente que 20,2 pour cent des mariages célébrés et 29,4 pour cent en 199920.
Quoiqu’en hausse, ces chiffres sont peu élevés, d’autant plus que la célébration civile
est souvent choisie en raison de l’impossibilité de la célébration religieuse. Cet état de
fait laisse à penser que le mariage demeure un acte religieux dans la conscience
collective et que la concurrence au mariage religieux repose, comme nous le verrons,
bien plus dans l’union de fait que dans le mariage civil. Il est aussi permis de penser
que le mariage civil est peu populaire car il doit en principe être célébré au palais de
justice devant un fonctionnaire de la cour. Afin de donner un peu plus de
«romantisme» au mariage civil, le législateur étend en 2002 le pouvoir de célébrer les
mariages aux notaires, aux maires, à d’autres membres des conseils municipaux et à
toute autre personne désignée par le ministre de la Justice21. De même, le mariage
peut être célébré dans le lieu choisi par les époux, dans la simple limite que ce lieu
respecte le caractère solennel de la cérémonie. Malgré ces modifications, le mariage
civil ne représente toujours en 2007 que 38,4 pour cent des mariages célébrés22.
Si l’Église a disparu du domaine des actes d’état civil, elle est toujours présente
dans celui du mariage, que l’officier religieux peut encore célébrer au nom de l’État.
Comme le fait remarquer le professeur Louis Baudouin, concernant les actes d’état
civil, «[o]n se trouve ainsi en face d’une situation pour le moins curieuse : celle d’un
droit civil qui entérine et donne pleine valeur juridique à des actes d’origine

17
L.Q. 1968, c. 82.
18
Ibid., art. 1.
19
Voir Jobin, supra note 7 aux pp. 214-15.
20
Institut de la statistique du Québec, «Mariages selon le type (religieux ou civil) et la catégorie du
célébrant, Québec, 1969-2008» (2 juin 2009), en ligne : Institut de la statistique du Québec <http://
www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/demographie/etat_matrm_marg/513.htm>.
21
Art. 366 C.c.Q.
22
Supra note 20.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 263

religieuse, dressés uniquement par des membres qualifiés de chaque religion»23. Si


cette situation peut sembler anachronique, elle est aussi problématique dans un pays
qui ne connaît pas de religion d’État et qui compte, parmi sa population, une grande
diversité de cultes.

B. La concurrence religieuse et la nécessaire neutralité de l’État


L’éclatement du référent religieux procède d’abord de la perte d’influence de
l’Église, mais aussi de la diversification des cultes pratiqués. Or, tant la Charte
canadienne des droits et libertés24 que la Charte des droits et libertés de la personne25
reconnaissent à tout citoyen la liberté de religion et de conscience. Ces garanties
impliquent que l’État doit permettre le libre exercice des dogmes religieux, mais aussi
qu’il doit demeurer neutre, c’est-à-dire ne pas favoriser une religion plutôt qu’une
autre. Elles se manifestent en matière familiale lorsque l’État persiste à impliquer la
religion dans le droit ou encore lorsque le dogme religieux s’oppose au droit civil.
Célébration du mariage. Nous avons vu que la célébration du mariage civil, si
elle n’est plus l’apanage de l’ordre religieux, peut encore être le fait d’un célébrant
religieux. Pour ce faire, ce dernier doit être autorisé par le ministre responsable de
l’état civil, lequel vérifie que sont remplies les conditions légales dont celle «que
l’existence, les rites et les cérémonies de [la] confession aient un caractère
permanent»26. Cette délégation peut mettre en péril l’obligation de neutralité de l’État,
puisque celui-ci reconnaît le pouvoir de célébrer un mariage civil à certains groupes
religieux et non à d’autres et se trouve nécessairement à favoriser les premiers par
rapport aux seconds. Afin d’écarter cette difficulté et plutôt que d’abolir cette
délégation au pouvoir religieux, le choix a été d’appliquer avec une très grande
souplesse les conditions légales et de reconnaître comme célébrant compétent, non
seulement les grandes religions, mais aussi des groupes religieux plus confidentiels,
voire sectaires ou artificiels27. Nous verrons qu’à terme, cette façon de faire a
participé à une dénaturation de la célébration du mariage.
Divorce religieux. La première loi sur le divorce au Canada date de 1968.
Quelques années après son adoption, les tribunaux ont conclu que cette loi ne violait
pas la liberté de croyance de l’époux qui refusait le divorce28, essentiellement parce

23
Louis Baudouin, Les aspects généraux du droit privé dans la province de Québec, Paris, Dalloz,
1967 à la p. 173.
24
Art. 2(a), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur
le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 [Charte canadienne].
25
L.R.Q. c. C-12, art. 3 [Charte québécoise].
26
Art. 366 C.c.Q.
27
Voir Alain Roy, «Le droit de la famille — une décennie d’effervescence législative» (2003) 105
R. du N. 215 à la p. 229 ; Benoît Moore, «Le droit de la famille et les minorités» (2003-04) 34
R.D.U.S. 229 à la p. 236.
28
Baxter v. Baxter (1983), 45 O.R. (2e) 348, 6 D.L.R. (4e) 557 (H.C. Ont.) ; Droit de la famille —
1326, [1990] R.D.F. 401 (C.S. Qc).
264 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54

qu’elle ne concernait que le mariage civil. Toutefois, l’étanchéité entre la rupture


civile et religieuse ne va pas toujours sans poser de problème, par exemple pour la
religion juive, au sein de laquelle la rupture religieuse implique que l’homme remette
à son épouse le get. Sans celui-ci, la femme demeure «enchaînée» à son mari et ne
peut se remarier religieusement ; au regard de la religion, ses éventuels enfants seront
illégitimes. Or, une pratique de chantage s’est développée, liant le get aux relations
civiles : le mari soumettait son consentement au get à la renonciation par la femme de
certains droits civils concernant les aliments ou la garde des enfants29.
Pour mettre fin à ces pratiques contraires à l’esprit de la législation civile, le
législateur fédéral est intervenu en 1990 en ajoutant à la Loi sur le divorce une
disposition qui permet au tribunal de rejeter tout affidavit, demande ou autre acte de
procédure de l’époux qui refuse de supprimer tout obstacle au remariage religieux de
son conjoint30. Plus encore, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Bruker c.
Marcovitz31, a récemment condamné un homme à payer des dommages-intérêts à son
ex-épouse pour défaut d’avoir consenti au get alors qu’il s’était contractuellement
engagé à le faire dans la convention de divorce civil. Outre le respect de la parole
donnée, l’égalité entre hommes et femmes est au centre de cette décision de la Cour
suprême. Pour cette dernière, si le droit à la différence, notamment religieuse, est un
trait distinctif de la culture juridique canadienne, certaines différences sont
incompatibles avec les valeurs fondamentales de la société, de sorte qu’il peut être
nécessaire de fixer des limites.

II. Éclatement du référent social : l’ascension de l’autonomie individuelle


Il est un lieu commun de dire que la période contemporaine est celle des droits
individuels et de la liberté, lesquels prennent l’ascendant sur les institutions. Il n’en
demeure pas moins que le droit de la famille est affecté de manière toute particulière
par ce phénomène. Celui-ci connaît une pluralisation du modèle familial où l’égalité
est la valeur fondatrice (A) et où l’autonomie individuelle tend à concurrencer le
statut institutionnel (B).

A. L’égalité : valeur fondatrice


La juge Abella de la Cour suprême écrivait récemment dans l’affaire Bruker que
le droit à la différence et, pouvons-nous ajouter, à l’égalité en tant que corollaire de

29
Voir John Tibor Syrtash, Religion and Culture in Canadian Family Law, Toronto, Butterworths,
1992 à la p. 121.
30
Loi modifiant la Loi sur le divorce (obstacles au remariage religieux), L.C. 1990 c. 18, art.
21.1(2) ; Loi sur le divorce, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 3, art. 21(1). Voir notamment Droit de la famille
— 08491, 2008 QCCS 838, [2008] R.D.F. 273.
31
2007 CSC 54, [2007] 3 R.C.S. 607, 288 D.L.R. (4e) 257 [Bruker]. Les motifs de la majorité sont
rendus par la juge Abella et ceux de la dissidence par la juge Deschamps.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 265

celui-ci, «est devenu un élément déterminant de notre caractère national»32. Cette


valorisation de l’égalité suit les modifications profondes qu’a connues la société
québécoise et découle de l’avènement et de la place qu’ont su prendre la Charte
québécoise et la Charte canadienne dans notre inconscient collectif et notre identité
nationale. Le droit à l’égalité juridique est présent dans tous les secteurs du droit et il
innerve d’une manière toute particulière le droit de la famille en assurant l’égalité des
membres de celle-ci, tant dans le rapport conjugal que filial.
Égalité et rapport conjugal. Si le droit de la famille retranscrit une société
traditionnelle patriarcale lors de l’adoption du Code civil du Bas Canada, le Code
civil du Québec reconnaît aujourd’hui le mariage comme une union où «[l]es époux
ont [...] les mêmes droits et les mêmes obligations»33. Cette égalité est le fruit de
réformes successives au cours desquelles la femme mariée a progressivement obtenu
des droits.
Ainsi, à titre d’illustration, en 193134 la femme mariée obtient le droit de gérer
elle-même les produits de son travail, à l’exception du droit d’aliéner à titre gratuit :
ce sont les biens réservés de la femme mariée. Puis, en 196435, elle se voit reconnaître
«la pleine capacité juridique, quant à ses droits civils, sous la seule réserve des
restrictions découlant du régime matrimonial», lequel est à l’époque celui de la
communauté de biens. En 1969, le législateur crée un nouveau régime légal, qui
subsiste encore aujourd’hui : la société d’acquêts36, qui allie l’indépendance de
gestion de la séparation de biens et la protection économique de la communauté de
biens. La réforme de 1980 complète la reconnaissance de l’égalité dans le couple et
cette réforme est reconduite en 1994 dans le code actuel. Il est ainsi prévu que les
époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille (article 394
C.c.Q.) ; qu’ils doivent contribuer en proportion de leurs facultés respectives aux
charges du ménage (article 396 C.c.Q.) ; que l’époux qui contracte pour les besoins
courants de la famille engage pour le tout son conjoint non séparé de corps (article
397 C.c.Q.) ; ou encore qu’ils choisissent de concert la résidence familiale (article
395 C.c.Q.). Un autre changement fondamental concerne le nom. L’article 393 C.c.Q.
prévoit que «[c]hacun des époux conserve, en mariage, son nom ; il exerce ses droits

32
Bruker, ibid. au para. 1.
33
Art. 392 C.c.Q.
34
Loi modifiant le Code civil et le Code de procédure civile, relativement aux droits civils de la
femme, L.Q. 1930-31, c. 101. Nous pouvons également mentionner la «loi Perodeau» (Loi amendant
le Code civil relativement aux successions, L.Q. 1915, c. 74) qui permettait à une personne de
succéder ab intestat à son conjoint. Avant cela, le conjoint ne venait à la succession qu’après les
parents au douzième degré. Sur l’historique du statut juridique de la femme mariée, voir généralement
Jacques Boucher, «L’histoire de la condition juridique et sociale de la femme au Canada français»
dans Jacques Boucher et André Morel, dir., Le droit dans la vie familiale : Livre du centenaire du
Code civil (1), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1970, 155 ; Marcel Guy, «De
l’accession de la femme au gouvernement de la famille» dans Boucher et Morel, ibid., 199.
35
Loi sur la capacité juridique de la femme mariée, L.Q. 1964, c. 66 ; art. 177 C.c.B.-C.
36
Loi concernant les régimes matrimoniaux, L.Q. 1969, c. 77.
266 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54

civils sous ce nom». Cette disposition vise à mettre impérativement de côté la règle
selon laquelle l’épouse prenait le nom de son mari, règle qui, quoique coutumière37 et
facultative, avait une emprise très forte dans la conscience collective.
Égalité et rapport filial. L’égalité a également joué un rôle important à l’intérieur
des rapports de filiation en reconnaissant l’égalité entre les parents et les enfants. Le
Code civil du Bas Canada soumettait l’enfant mineur à l’autorité de ses père et mère,
mais confiait en principe l’exercice de cette autorité à la seule puissance paternelle, la
mère n’ayant que certains droits ponctuels38. Ce caractère patriarcal du droit de la
famille québécois est aboli en 197739. Le législateur remplace la notion de puissance
paternelle par celle d’autorité parentale. Depuis cette date, les père et mère, même
non mariés, exercent ensemble l’autorité parentale40. En cas de conflit entre les
parents, c’est le juge qui doit trancher en fonction du meilleur intérêt de l’enfant41. En
1980, le législateur complète cette réforme en prévoyant que le choix du prénom et du
nom de famille de l’enfant relève tant de la mère que du père, même non mariés42. Le
nom de famille peut être «formé d’au plus deux parties provenant de celles qui
forment les noms de famille de ses parents»43. Il n’est même pas nécessaire que les
enfants nés des mêmes père et mère portent le même nom de famille.
Dans les rapports entre enfants, le Code civil du Bas Canada établissait une
distinction entre les enfants légitimes, naturels, adultérins et incestueux en matière
successorale44 et alimentaire45. La réforme de 1980 modifie cet état de droit en
établissant l’égalité de tous les enfants, quelles que soient les circonstances de leur
naissance46. Tout enfant dont la filiation est établie possède les mêmes droits et

37
Sous réserve de l’art. 115 C.p.c. (avant 1982) qui prévoyait expressément que la femme mariée
(incluant la veuve) pouvait, dans le cadre d’une action en justice, utiliser le nom de son mari pourvu
que soient ajoutés les mots «épouse de» et la désignation du mari.
38
Par exemple, en cas de disparition du père (art. 113 C.c.B.-C. avant 1980) ou pour le consentement
au mariage des enfants mineurs (art. 119 C.c.B.-C.).
39
Loi modifiant le Code Civil, L.Q. 1977, c. 72.
40
Art. 600 C.c.Q. («Les père et mère exercent ensemble l’autorité parentale»).
41
Art. 604 C.c.Q.
42
Art. 56(1) C.c.B.-C. (à partir de 1980) et 51 C.c.Q. Voir Droit de la famille — 113, [1984] C.S.
119.
43
Art. 51 C.c.Q. Voir Albert Mayrand, «Égalité en droit familial québécois» (1985) 19 R.J.T. 249 à
la p. 260.
44
Art. 624(a)-(d) et 625 C.c.B.-C. Cet article prévoyait qu’il n’y avait aucune distinction basée sur
le sexe ou sur la primogéniture dans l’ordre de succession et dans la détermination des parts. Voir
Mayrand, ibid. à la p. 274 ; Germain Brière, Les successions ab intestat, Montréal, Thémis, 1979 à la
p. 49. Par ailleurs, le professeur Pineau fait remarquer que l’inaccessibilité à la succession ab intestat
pour l’enfant naturel peut être écartée par le principe de la liberté de tester de l’article 831 C.c.B.-C.
Un père pouvait donc tout léguer à son enfant adultérin si tel était son désir. Voir Jean Pineau, La
famille, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1972 aux pp. 130-31.
45
Art. 240 C.c.B.-C. (avant 1980).
46
Art. 594 C.c.Q. (1980) ; art. 522 C.c.Q.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 267

devoirs envers ses parents : il hérite ab intestat47, est créancier d’aliments et est
soumis à leur autorité.
Si cette quête d’égalité s’est d’abord concrétisée à l’intérieur d’une famille
uniforme, institutionnalisée par le mariage et la filiation, elle a dû progressivement
s’adapter à la pluralisation des types de relations conjugales et filiales. À terme, la
reconnaissance de cette pluralité a provoqué un retrait de l’État face à la volonté dans
les choix individuels et, par conséquent, mené à une privatisation de la famille.

B. Le rôle croissant de la volonté : la privatisation de la famille


L’ancienne conception juridique de la famille reflétait les valeurs traditionnelles
et religieuses de la société québécoise. L’État y voyait la cellule fondatrice de la
société, qu’il entendait favoriser en protégeant sa stabilité et sa pérennité. C’est
pourquoi la famille échappait en grande partie à la volonté individuelle, au nom de
l’intérêt général. Cela était vrai tant pour l’union, qui procédait nécessairement du
mariage validement célébré par un représentant de l’État, que pour la filiation, qui
reposait sur les lois de la nature et échappait au pouvoir individuel. Cette conception
statique et institutionnelle de la famille laisse toutefois progressivement place à une
famille privatisée, à une famille où l’autonomie individuelle prend une place de plus
en plus importante. Il est possible d’illustrer cette mutation par trois phénomènes
contemporains.
Reconnaissance et popularité de l’union de fait. Le législateur a longtemps été
hostile à l’union de fait. Elle a été combattue, puisque perçue comme un obstacle à la
stabilité et à la paix des familles et comme une menace à l’intégrité de la lignée filiale.
Cette philosophie disparaît avec l’abrogation en 1981 de l’article 768 C.c.B.-C., lequel
prévoyait que «les donations entre vifs faites par le donateur à celui ou à celle avec
qui il a vécu en concubinage [...] sont limité[e]s à des aliments». Parallèlement,
l’union de fait prend une importance sociologique et s’impose au Québec comme un
mode de vie non seulement accepté, mais qui menace aussi la préséance du mariage.
En effet, si 8,2 pour cent des couples vivent en union de fait en 198148, cette
proportion passe à 24 pour cent en 199649 puis à 34,6 pour cent en 200650. Le Québec
est même, semble-t-il, l’endroit au monde où le phénomène de l’union de fait est le

47
Voir Germain Brière, «Rapports canadiens, droit des successions» dans Travaux de l’Association
Henri Capitant : Aspects de l’évolution récente du droit de la famille (Journées turques), t. 39, Paris,
Economica, 1988, 223 à la p. 230.
48
Canada, Statistique Canada, Rapport sur l’état de la population du Canada, Ottawa, Statistique
Canada, 1996 à la p. 135.
49
Statistique Canada, «Le Pays — État matrimonial/union libre» (1996), en ligne : Statistique
Canada <http://www.statcan.gc.ca/c1996-r1996/oct14-14oct/nalis2-fra.htm>.
50
Statistique Canada, «Recensement de 2006 : Portrait de famille : continuité et changement dans
les familles et les ménages du Canada en 2006 : Provinces et territoires. Québec : plus du tiers des
couples vivent en union libre» (2006), en ligne : <http://www12.statcan.gc.ca/census-
recensement/2006/as-sa/97-553/p24-fra.cfm>.
268 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54

plus important51. Les raisons de cette transformation sont nombreuses : rejet de


l’héritage inégalitaire de l’institution du mariage, perte d’influence de l’Église et
suprématie de l’individualisme. À ces raisons s’ajoute la transformation du rôle social
du mariage :
Tant qu’il s’agissait d’échanger des femmes et des biens, d’assurer un lignage et
de fournir des membres à la cité, le mariage régnait en maître. Voici que dans
l’Occident chrétien naissent, tantôt hors du mariage et tantôt dans le mariage,
des couples échangeant tendresse, parole, amour dans la conscience d’être
avant tout des personnes52.
Le mariage n’est plus affaires mais amour et il y a une volonté certaine de ne pas
soumettre ses amours au contrôle de l’État.
Cette concurrence au mariage, fondée sur l’égalité et la liberté, impose
nécessairement un changement d’attitude de la part du législateur. À compter des
années 1970, ce dernier étend aux unions de fait les avantages accordés par certaines
lois aux époux, par exemple en matière de régime de retraite ou d’indemnisation des
accidents du travail ou de la route53. Cette reconnaissance s’accentue dans les années
1980 et 1990, notamment par l’intervention des tribunaux, qui retiennent à plusieurs
reprises que la limitation de ces lois au seul mariage est discriminatoire en vertu de
l’article 15 de la Charte canadienne54. Ainsi, l’existence d’une pluralité conjugale est
acceptée et le statut des différents types d’union s’égalise sur la base des chartes.
Cette quête d’égalité se déplace à la fin des années 1990 et au début des années 2000
vers les unions homosexuelles, lesquelles reçoivent le même traitement législatif que
l’union de fait hétérosexuelle55 et ont accès au mariage partout au Canada depuis le
20 juillet 200556.
La transformation du rôle de l’État dans les relations conjugales semble donc
totale. D’une législation impérative avantageant et protégeant l’institution du mariage
au nom de l’intérêt supérieur de la société, la législation vise maintenant
principalement à assurer la protection, notamment économique, des membres de la
cellule familiale. Si la loi respecte ainsi la liberté de choix quant au mode de
constitution de l’union, elle impose un modèle associationniste du mariage afin de
protéger les époux de l’interdépendance créée par l’union.

51
Isabelle Rodrigue, «Les québécois sont champions de l’union libre» Le Droit (13 septembre
2007) 2.
52
Encyclopædia Universalis, 5e éd., vol. 14, «Mariage», par Marie-Odile Métral-Stiker à la p. 381.
53
Sur l’évolution historique de l’union de fait en droit québécois, voir généralement Brigitte
Lefebvre, «L’évolution de la notion de conjoint en droit québécois» dans Lafond et Lefebvre, supra
note 8, 3. Sur l’union de fait en général, voir Dominique Goubau, «Le Code civil du Québec et les
concubins : un mariage discret» (1995) 74 R. du B. can. 474.
54
Voir par ex. Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, 124 D.L.R. (4e) 693.
55
Au Québec, voir la Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les conjoints de
fait, L.Q. 1999, c. 14 ; au Canada, voir la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et
d’obligations, L.C. 2000, c. 12.
56
Loi sur le mariage civil, L.C. 2005, c. 33.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 269

Il se pose maintenant la question de savoir si cette législation protectrice devrait


aussi exister, partiellement ou totalement, pour les conjoints de fait afin de protéger le
conjoint vulnérable dans ce type d’union, qui représente une part de plus en plus
importante de la conjugalité. Le législateur québécois, quoiqu’il y ait été tenté lors de
la réforme du Code civil57, s’est refusé jusqu’à présent à le faire, non pas au nom de la
moralité ou de l’intérêt public comme jadis, mais au nom du respect de la liberté des
conjoints de fait, certes épris l’un de l’autre, mais aussi de liberté. Cet état du droit,
qui distingue le Québec de toutes les autres provinces, qui reconnaissent à tout le
moins une obligation alimentaire entre conjoints de fait58, fait actuellement l’objet
d’une contestation judiciaire59.
Privatisation de la célébration du mariage. Parallèlement à cette pluralisation de
la conjugalité, symbole de liberté individuelle et de la diminution du caractère
institutionnel de l’union, se produit aussi une certaine privatisation du mariage. Si le
mariage a toujours été l’union conjugale de référence, que l’union de fait copie60,
récemment le phénomène inverse s’est produit : le mariage a perdu, dans le désintérêt
complet, l’une de ses caractéristiques principales, la célébration par un représentant
de l’État. Nous avons déjà vu que le législateur est intervenu en 2002 afin d’autoriser
la célébration dans tout lieu respectant le caractère solennel de la cérémonie. Il a aussi
ajouté aux célébrants compétents les notaires ainsi que «toute autre personne
désignée par le ministre de la Justice, notamment des maires, d’autres membres des
conseils municipaux»61. Cette réforme était nécessaire pour mettre un frein au
phénomène des nouveaux rites participant au marché lucratif de la célébration du
mariage. Les groupes qui mettent en place ces nouveaux rites n’ont pas réellement de
légitimité dans leur statut de représentant de l’État. La réforme entendait donc élargir
le cercle des célébrants compétents afin de les rendre plus accessibles, tout en
préservant le mariage et en lui redonnant son caractère officiel.
Or, cette disposition a été appliquée de manière très souple et a donné lieu à la
désignation de personnes liées aux mariés comme célébrants compétents, tels les
parents, amis, frères ou sœurs, lesquels obtiennent une désignation ponctuelle pour ce
seul mariage62. Cette interprétation de la réforme par les fonctionnaires a tout lieu de

57
Québec, Office de révision du Code civil du Québec, Rapport sur le Code civil du Québec, vol. 2,
Québec, Éditeur officiel, 1978 à la p. 63.
58
Voir généralement Benoît Moore, «Quelle famille pour le XXIe siècle ? : Perspectives québécoises»
(2003-04) 20 Can. J. Fam. L. 57 à la p. 87 ; Dominique Goubau, Ghislain Otis et David Robitaille, «La
spécificité patrimoniale de l’union de fait : le libre choix et ses “dommages collatéraux”» (2003) 44 C.
de D. 3.
59
Droit de la famille — 091768, 2009 QCCS 3210.
60
Jean Carbonnier, Droit civil 2 / La famille : L’enfant, le couple, 20e éd., Paris, Presses
Universitaires de France, 1999 à la p. 701.
61
Art. 366 C.c.Q.
62
Voir Pineau et Pratte, supra note 1 à la p. 90. Voir par ex. Simon Thibault, «Choisir le lieu, la date
et... l’ami-célébrant» La Presse (7 juillet 2007) A6. L’auteur écrit que seulement vingt-trois célébrants
avaient été accrédités en 2004, alors que mille quatre cent quarante-cinq l’ont été pour la période
270 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54

surprendre, d’abord parce que le texte ne la laissait aucunement présager, mais surtout
pour le message qu’elle véhicule. Alors que le but était de freiner les mariages
célébrés par des pseudo-sociétés religieuses non représentatives, la réforme a
accentué le phénomène par l’acceptation de la célébration du mariage par toute
personne, sans qu’elle ne soit, de par son rôle social, sa profession ou son statut d’élu,
un véritable représentant de la puissance publique. Quoique symbolique à bien des
égards, cette réforme participe d’une manière éclatante à la désinstitutionalisation de
la famille.
Privatisation de la filiation. La filiation n’a jamais eu comme ambition exclusive
de respecter la réalité biologique, mais elle s’est toujours efforcée de la «cloner» le
plus possible et d’être vraisemblable. Certes, la possession d’état et la présomption de
paternité constituaient des moyens d’établissement de la filiation qui laissaient une
place à la réalité sociale, possiblement contraire à la vérité biologique. Toutefois, sur
ses bases fondatrices, la filiation demeurait toujours vraisemblable : elle était binaire
et sexuée. Même la filiation adoptive, pourtant filiation fictive, devait se faire par des
personnes dont la différence d’âge avec l’enfant laissait le lien filial vraisemblable.
Aussi, et sous réserve du cas de l’adoption, la volonté comptait peu dans
l’établissement du lien filial. L’accouchement établissait la maternité même contre la
volonté de la mère et le lien filial à l’égard du père pouvait également être établi à son
encontre. Or, les choses ont fondamentalement changé lors d’une réforme intervenue
en 200263. Certains points méritent d’être soulevés. Ils participent tous du passage
d’une filiation à charge symbolique à une filiation à charge fonctionnelle, laquelle fait
de la volonté individuelle un élément clé et diminue beaucoup le rôle de l’État et le
caractère institutionnel de la filiation.
D’abord, la réforme de 2002 permet l’établissement du lien filial de manière
purement administrative lorsqu’une personne déclare son lien avec l’enfant après le
délai légal de trente jours prévu à l’article 113 C.c.Q. L’article 130 C.c.Q. donne dans
ce cas le pouvoir au directeur de l’état civil d’ajouter ce lien filial sans intervention
judiciaire si celui-ci ne contredit pas l’acte existant et si l’auteur de la déclaration
existante y consent. Cette disposition prévoit également que l’enfant de quatorze ans
ou plus qui fait l’objet de cette déclaration tardive doit consentir à l’ajout. Cela laisse
penser que cette possibilité ne vise pas uniquement le retard de quelques jours, mais
vise la désinstitutionalisation de la filiation en donnant à la déclaration volontaire un
statut qu’elle n’avait pas auparavant.
Surtout, la réforme de 2002 désexualise le couple parental. L’article 115 C.c.Q.,
qui concerne la déclaration de naissance, précise désormais que «[l]orsque les parents
sont de même sexe, ils sont désignés comme les mères ou les pères de l’enfant, selon

allant du 1 janvier au 5 juillet 2007. La procédure est simple, il suffit de remplir un formulaire et de le
faire parvenir au Ministère de la Justice. Le célébrant doit être majeur, citoyen canadien et ne pas
avoir de dossier criminel.
63
Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6. Voir
Marie Pratte, «La filiation réinventée : l’enfant menacé ?» (2003) 33 R.G.D. 541.
2009] B. MOORE – CULTURE ET DROIT DE LA FAMILLE 271

le cas». Cette désexualisation a certes une incidence sur l’adoption, qui devient
possible pour les couples de même sexe, mais aussi sur la procréation assistée,
laquelle est profondément modifiée d’une double manière. Celle-ci est d’abord
accessible à toute personne (article 538 C.c.Q.). Cela signifie qu’une femme seule ou
deux femmes peuvent recourir à la procréation assistée64, de même qu’un couple
hétérosexuel marié ou non. Celle-ci n’est alors plus un simple mode subsidiaire de
procréation, mais bien un mode alternatif65. Un droit à l’enfant est ici reconnu, encore
au nom de l’égalité66. Ensuite, la procréation assistée n’est plus nécessairement
médicale. Elle peut intervenir par relation sexuelle avec un tiers, qui n’intervient qu’à
titre de géniteur. Il pourra, s’il le désire67, réclamer un lien filial, mais il aura pour le
faire une seule année à compter de la naissance68. À l’expiration de ce délai, seuls les
parents d’intention pourront réclamer un lien filial et il ne sera plus possible, même
pour l’enfant, de réclamer un lien filial à l’égard du tiers géniteur. Il s’agit ici d’une
exception importante au principe de l’indisponibilité de l’état civil d’une personne.
Le droit québécois accepte que la filiation de l’enfant soit soumise à des concessions
consenties en privé, réduisant l’enfant plus ou moins à une chose69.

64
Deux hommes ne peuvent pas avoir accès à la procréation assistée puisque le contrat de mère
porteuse n’est pas accepté dans notre droit. Voir art. 541 C.c.Q. Plusieurs auteurs ont soulevé qu’il y
avait là une inégalité de traitement à l’égard des couples d’hommes, alors même que la réforme
prenait sa justification dans le droit à l’égalité. Voir Suzanne Philips-Nootens et Carmen Lavallée, «De
l’état inaliénable à l’instrumentalisation : la filiation en question» dans Lafond et Lefebvre, supra note
8, 337 à la p. 353 ; Pineau et Pratte, supra note 1 à la p. 683. Sur le contrat de mère porteuse et
l’adoption, voir Adoption — 091, 2009 QCCQ 628.
65
Jean-Louis Baudouin et Catherine Labrusse-Riou, Produire l’homme : de quel droit ? — Étude
juridique et éthique des procréations artificielles, Paris, Presses Universitaires de France, 1987 à la p.
147 et s.
66
Avant la réforme, le Code civil était silencieux sur la question de l’accessibilité aux techniques
médicales de reproduction et les cliniques établissaient leur propre politique. Il reste que la
Commission royale d’enquête sur les nouvelles techniques de reproduction et la Commission de
réforme du droit du Canada avaient soutenu que l’accessibilité à la procréation médicalement assistée
ne devrait pas être liée au statut civil ou à l’orientation sexuelle, cela pouvant être discriminatoire en
vertu de la Charte canadienne. Voir Benoît Moore, «Les enfants du nouveau siècle (libres propos sur
la réforme de la filiation)» dans Développements récents en droit familial (2002), Cowansville (Qc),
Yvon Blais, 2002, 75 à la p. 87 [Moore, «Les enfants»].
67
La question de savoir si, pendant l’année où le tiers géniteur a l’option de réclamer ou non le lien
filial, l’enfant peut lui aussi le réclamer, est fortement contestée en doctrine. Voir Pineau et Pratte,
supra note 1 à la p. 699.
68
Art. 538.2 C.c.Q.
69
Cette réforme importante a fait l’objet de commentaires divergents. Pour des réactions négatives,
voir Moore, «Les enfants», supra note 66 ; Pratte, supra note 63 ; Philips-Nootens et Lavallée, supra
note 64. Pour une réaction favorable, voir Marie-France Bureau, «L’union civile et les nouvelles
règles de filiation au Québec : contrepoint discordant ou éloge de la parenté désirée» (2003) 105 R. du
N. 901.
272 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 54

Conclusion
La famille reflète les mouvances d’une société. En cela, le droit qui la régule est
amené à prendre en compte les changements idéologiques et culturels qui la
traversent, voire à les devancer, tel que l’illustre le droit québécois des cinquante
dernières années.
La religion assurait autrefois la cohésion et l’homogénéité. En matière familiale
elle imposait, directement ou indirectement, une conception unitaire de la famille
basée sur le mariage, sacrement religieux et institution civile, lequel n’était pas
dissoluble. Le corps familial échappait à la volonté individuelle en constituant
l’institution centrale de la société dont le chef absolu était le mari. L’éclatement du
référent religieux, tant par l’affaiblissement de son pouvoir que par la multiplication
des dogmes, a été un élément déclencheur du repositionnement du droit de la famille.
Les valeurs fondamentales que sont l’égalité et l’autonomie individuelle ont pris le
relais et sont devenues les lignes fondatrices de cette révolution familiale.
C’est ainsi que d’une loi prophylactique70 qui «prétend[ait] dresser les mœurs»71
en institutionnalisant la famille dans le meilleur intérêt de la société, le droit
québécois s’est transformé en une législation ouverte dont le mot d’ordre est le
respect de la pluralité des modèles familiaux tout en maintenant, par ailleurs, une
législation impérative dans l’objectif de protéger le conjoint économiquement
vulnérable. D’un rôle organique, le droit de la famille est passé à un rôle individuel,
l’objectif de celui-ci n’étant plus de protéger la société, mais de proposer un équilibre,
pourtant difficile à atteindre, entre la protection de l’égalité des membres de la famille
et le respect de leur liberté.

70
Philippe Malaurie, «L’effet prophylactique du droit civil» dans Études de droit de la
consommation : Liber amicorum Jean Calais-Auloy, Paris, Dalloz, 2004, 669.
71
Jean-Jacques Lemouland, «Le pluralisme et le droit de la famille, post-modernité ou pré-déclin ?»
D. 1997.Chron.133 à la p. 134.
Enfances, Familles, Générations
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La filiation homoparentale[1] : esquisse d’une réforme


précipitée
Alain Roy[2]
Faculté de droit, Université de Montréal

Résumé
En permettant l’établissement d’un lien de filiation entre un enfant et deux personnes du
même sexe, la réforme du 24 juin 2002 consacre non seulement l’existence des familles
homoparentales, mais elle marque également une profonde rupture avec la réalité
biologique à laquelle s’était depuis toujours modelé le droit de la filiation. Aux dires du
ministre de la Justice de l’époque, un tel réaménagement s’imposait, eu égard au besoin
de protection juridique des enfants en cause. Or, réformer la filiation n’était pas la seule
option législative disponible pour atteindre l’objectif visé. D’autres mesures, comme le
partage de l’autorité parentale ou la reconnaissance judiciaire d’une nouvelle forme de
«parentalité psychologique», auraient pu être envisagées pour assurer la protection
juridique des enfants concernés. Adoptée dans la précipitation, la réforme effectuée par le
législateur québécois ouvre des perspectives dont on ne peut encore mesurer toute la
portée sur le bien-être de l’enfant. Incomplète, elle laisse sans réponse le besoin de
protection juridique d’une majorité d’enfants évoluant au sein d’une dynamique
homoparentale.

Abstract
By allowing the creation of a parental relationship between a child and two persons of
the same sex, the reform adopted on June 24, 2002 not only formalizes homosexual
families, but also recognises the existence of a serious rift with the biological actualities
that had previously served as a model for laws dealing with filiation. According to the
then Justice Minister, some such overhaul had become necessary in order to be able to
provide legal protection for the children involved. However, remodelling the parameters
of filiation was not the only legislative option available to achieve the desired objective.
Other measures, such as joint parental authority or the legal recognition of a new form of
“psychological kinship” could have been contemplated as a way of ensuring the legal
protection of the children in question. This reform, adopted in haste by the Quebec
legislator, opens up prospects whose impact on children’s welfare cannot yet be fully
measured. This incomplete piece of legislation does not respond to the need for legal
protection of the majority of children growing up in a homosexual environment.
102

Introduction
La filiation figure au nombre des notions dont le sens et la portée ne peuvent être
délimités qu’à l’aune d’une approche pluridisciplinaire. Aux yeux du sociologue, de
l’anthropologue ou du psychologue, ce constat relève sans doute de l’évidence. Rompus
à l’idée d’entrevoir leur champ respectif sous l’angle de la complémentarité, ceux-ci
sont généralement enclins à aborder leur sujet d’étude dans une perspective globale,
n’hésitant pas à puiser dans les disciplines voisines pour enrichir leurs connaissances.
En revanche, les juristes ont souvent tendance à s’enfermer à l’intérieur des limites de
leur domaine d’appartenance. Les problématiques qui leur sont soumises sont
rapidement canalisées vers l’une ou l’autre des catégories juridiques établies dans les
lois[3]. Intégrés au corpus législatif, les concepts, notions ou institutions sont dès lors
coupés de leurs origines premières et prennent le sens que le législateur a bien voulu
leur donner. Ainsi, pour le juriste, la filiation fonde le rapport de droits et d’obligations
qui unit les descendants et les ascendants. De son point de vue, la filiation n’a d’intérêt
qu’en raison des conséquences juridiques que lui attribue le législateur, que ce soit en
matière d’autorité parentale, d’obligation alimentaire ou de dévolution successorale.
Pourtant, la filiation n’est pas et ne sera jamais qu’une simple affaire de droits et
d’obligations. En formalisant l’appartenance au sein d’un ordre généalogique, la
filiation ne fait pas qu’engendrer une série d’effets juridiques, elle contribue également
à l’édification sociale et psychologique des individus[4]. Comme l’écrit Pierre Legendre,
la filiation symbolise « […] la réserve inépuisable où les individus viennent chercher,
pour vivre, le bagage de leur identité.»[5] À la lumière de ces considérations, que doit-
on penser des modifications récemment apportées au Code civil du Québec en matière
de filiation[6]? En vigueur depuis le 24 juin 2002, ces modifications détachent la filiation
du cadre de l’hétéroparentalité, en permettant l’établissement d’un lien filial entre un
enfant et deux parents du même sexe.
Pour le juriste, ces modifications permettront d’aborder le rapport juridique à l’enfant
sans égard à l’orientation sexuelle des personnes qui lui tiennent lieu de parents. Pour
le sociologue ou l’anthropologue, elles opèrent une véritable révolution puisqu’elles
marquent une profonde rupture avec la réalité biologique à laquelle s’était depuis
toujours modelé le droit de la filiation.
Quelle que soit l’approche disciplinaire de l’analyste, et indépendamment des
impressions qu’elle lui inspire, la réforme du 24 juin 2002 suscite certaines
interrogations fondamentales dans l’esprit de tous ceux qui s’intéresse à l’enfant et la
famille. Des questions qui, conjuguées les unes aux autres, nourriront peut-être le
sentiment d’inconfort déjà éprouvé par plusieurs personnes, fortement ébranlées par
la rapidité du processus d’adoption des modifications législatives introduites au Code
civil et par l’étroitesse du cadre à l’intérieur duquel les consultations populaires ont été
menées. On se rappellera qu’un nombre restreint de consultations intervenues à
l’occasion d’une commission parlementaire – dont le mandat premier portait non pas
sur la parentalité homosexuelle mais sur l’union civile – auront suffi au ministre de la
Justice pour ajouter aux propositions législatives initialement déposées de nouvelles
dispositions renversant le principe soi-disant fondateur du droit de la filiation[7].
Les questions soulevées par la réforme du 24 juin 2002 sont multiples. Certaines
portent sur le principe même d’une filiation homoparentale, alors que d’autres, plus
générales, concernent les valeurs véhiculées par la reconnaissance et
l’ordonnancement législatif de ce qu’on a pu appeler « le droit à l’enfant »[8]. Le présent
article se limite aux questions du premier ordre, bien assez substantielles. Avant d’en
prendre la mesure, il convient de présenter le cadre juridique à l’intérieur duquel la

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filiation homoparentale pourra effectivement se déployer. Cette incursion dans la


sphère légale devrait permettre au lecteur de cerner la portée des réaménagements
législatifs adoptés.

Perspectives descriptives
La filiation se prouve généralement par l’acte de naissance[9]. Cet acte consacre
l’existence civile des personnes, en attestant de leur nom, de leur sexe et du lieu, de la
date et de l’heure de leur naissance[10]. L’acte de naissance situe également les
personnes sur le plan générationnel, en énonçant le nom de leurs père et mère[11]. Si,
conformément aux règles nouvellement introduites, les parents sont de même sexe, ils
y seront désignés comme les mères ou les pères de l’enfant[12]. Conservé au registre de
l’état civil, l’acte de naissance témoignera ainsi, auprès des tiers appelés à prendre
connaissance des renseignements qui y sont consignés, du lien de filiation bimaternelle
ou bipaternelle de l’enfant[13].
Évidemment, le législateur n’aurait pu se contenter d’édicter le principe d’une filiation
homoparentale sans s’attarder aux voies susceptibles d’y donner accès. Eu égard aux
modifications apportées par la réforme, deux voies peuvent être envisagés, soit
l’adoption et, dans le cas des femmes, la procréation assistée.

L’adoption
En droit québécois, l’adoption confère à l’enfant une filiation qui se substitue
entièrement à sa filiation d’origine[14]. Le jugement d’adoption provoque donc la
rupture de tous les liens juridiques qui unissaient l’enfant à sa famille biologique et
donne lieu à l’établissement d’un nouvel acte de naissance[15]. Contrairement au droit
en vigueur dans certains États, le droit québécois ne connaît pas l’adoption simple,
dont les effets permettent la coexistence de certains liens entre l’enfant, sa famille
d’origine et sa famille adoptive[16].
Selon l’article 546 du Code civil, l’adoption peut être prononcée en faveur d’une
personne seule[17] ou d’un couple[18]. Alors qu’on interprétait naguère la notion de
«couple» en référence exclusive aux conjoints hétérosexuels[19], on doit désormais en
élargir la portée pour y intégrer les conjoints homosexuels. Le Code civil du Québec ne
pose aucune exigence quant au statut juridique des conjoints adoptants. Ainsi, les
couples qui vivent en union de fait sont tout aussi qualifiés que les couples légalement
liés par le mariage ou l’union civile pour se porter requérants.
Un enfant peut être adopté sur la base du consentement des parents biologiques ou,
dans les cas d’abandon, d’une déclaration judiciaire d’admissibilité à l’adoption[20]. Le
consentement des parents biologiques peut être général ou spécial[21]. Il est général
lorsqu’il permet de prononcer l’adoption en faveur de toute personne ou couple ayant
déposé une demande d’adoption auprès des Centres de protection de l’enfance et de la
jeunesse (CPEJ)[22]. Il est spécial lorsqu’il est spécifiquement donné en faveur d’un
grand-parent ou d’un arrière-grand-parent de l’enfant, d’un oncle, d’une tante, d’un
frère, d’une soeur ou du conjoint légal de l’une ou l’autre de ces personnes[23].
Le père ou la mère de l’enfant peut également donner un consentement spécial en
faveur de son conjoint légal ou de fait, à la condition, dans ce dernier cas, que leur
cohabitation date d’au moins trois ans[24]. Par exception au principe général, le
jugement d’adoption prononcé à la suite d’un tel consentement n’entraînera pas la
rupture du lien de filiation entre l’enfant et le parent qui en est à l’origine[25].
Évidemment, pour qu’un tel scénario soit légalement admissible, l’enfant ne devra

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avoir aucun autre lien de filiation préexistant. Si tel est le cas, le conjoint du parent ne
pourra adopter l’enfant de ce dernier, à moins que l’autre parent ne soit décédé ou
déchu de son autorité parentale[26]. Bref, l’enfant ne pourrait, dans l’état actuel du droit
québécois, avoir un lien de filiation avec plus de deux personnes.
Dans les faits, l’établissement d’un lien de filiation adoptif entre un enfant et deux
personnes de même sexe résultera le plus souvent d’un consentement spécial. Ainsi, la
mère ou le père biologique consentira-t-il à l’adoption de son enfant en faveur de sa
conjointe ou de son conjoint. Les couples de même sexe qui voudront adopter un
enfant autrement admissible à l’adoption seront, quant à eux, confrontés aux mêmes
réalités que les couples hétérosexuels. S’agissant d’une adoption dite nationale, il leur
faudra soumettre leur demande au CPEJ, satisfaire aux différentes conditions
administratives[27] et attendre patiemment qu’on les interpelle[28].
Compte tenu du peu d’enfants adoptables au Québec, le délai entre l’expression d’une
première volonté et l’enclenchement du processus d’adoption à proprement parler
s’étirera probablement sur plusieurs années[29]. À l’instar des couples hétérosexuels,
les couples homosexuels pourront également se porter candidats pour héberger, à titre
de famille d’accueil, un enfant à risque ou en situation d’abandon, en espérant pouvoir
éventuellement l’adopter à travers la Banque-Mixte[30].
Dans le cadre de l’adoption internationale, les couples de même sexe auront à faire face
à une réalité juridique beaucoup moins favorable. En effet, les pays d’où proviennent la
majorité des enfants adoptables se réservent généralement le droit de sélectionner les
adoptants, en fonction de critères plus ou moins précis. Or, dans l’état actuel des
choses, la Chine, le Viêt-Nam ou Haïti, pour ne nommer que ceux-là, refusent de
cautionner l’adoption d’un de leurs ressortissants par un couple homosexuel[31]. À
moins de revirements inattendus, les critères de sélections élaborés par les autorités
étrangères feront donc obstacle au projet d’adoption internationale des couples de
même sexe.
Pour contourner la difficulté, certains conjoints de même sexe seront sans doute tentés
de procéder en deux étapes. La première étape consistera, pour l’un d’eux, à
entreprendre seul les démarches d’adoption internationale dans un pays qui accepte
l’adoption par un célibataire, en taisant évidemment son orientation sexuelle. Une fois
les formalités étrangères complétées et l’adoption prononcée conformément à la loi, le
parent adoptif de l’enfant fournira, à son retour au Québec, un consentement spécial en
faveur de son conjoint, conformément au droit québécois.
Bien qu’attrayante, cette stratégie pourrait, à plus ou moins long terme, se retourner
contre les couples de même sexe. Selon certaines sources, la Chine aurait déjà « […]
restreint le nombre d’enfants confiés à des Suédois vivant seuls après avoir découvert
que certains d’entre eux avaient dissimulé leur homosexualité »[32]. En toute lucidité,
les couples de même sexe devront donc miser sur un changement de mentalités des
instances étrangères avant de pouvoir réaliser leur projet d’adoption internationale.

La procréation assistée
La filiation de l’enfant avec deux parents de même sexe peut également résulter d’un
«projet parental avec assistance à la procréation», auquel cas le lien sera évidemment
bimaternelle. Selon le nouvel article 538 du Code civil, il y a projet parental avec
assistance à la procréation « […] dès lors qu’une femme seule ou des conjoints [de sexe
différent ou de sexe féminin] ont décidé, afin d’avoir un enfant, de recourir aux forces
génétiques d’une personne qui n’est pas partie au projet parental ».

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Bien que les anciennes règles relatives à la procréation médicalement assistée


n’excluaient pas explicitement les couples de lesbiennes de leur champ d’application, la
plupart des intervenants se retranchaient derrière l’économie générale du Code civil
pour leur en refuser l’accès[33]. Qui plus est, plusieurs cliniques de fertilité
n’acceptaient d’intervenir qu’auprès des couples hétérosexuels dont l’un des conjoints
présentait un problème de stérilité[34]. Eu égard aux modifications apportées le 24 juin
2002, de telles pratiques ne pourront plus, dorénavant, être appliquées, sous peine
d’être déclarées contraires à la Charte des droits et libertés de la personne[35]. Ce n’est
plus uniquement par défaut, mais aussi par choix, qu’on pourra désormais se tourner
vers la procréation assistée[36]. L’enfant conçu au terme d’une procréation
médicalement assistée aura naturellement, suite à la naissance, un lien de filiation avec
la mère dont il est issu. Ce lien sera consacré dans l’acte de naissance dressé par le
directeur de l’état civil sur la base de la déclaration usuellement signée par la mère et
du constat de l’accoucheur[37].
Quant au second lien maternel, son mode d’établissement variera en fonction du statut
juridique du couple de lesbiennes. Si le couple est civilement uni, la conjointe de la
mère inséminée artificiellement sera présumée «co-mère» de l’enfant, en vertu d’une
présomption de parenté étroitement inspirée de la présomption de paternité
applicable en matière matrimoniale[38]. Ainsi, l’article 538.3 du Code civil énonce :
« L’enfant, issu par procréation assistée d’un projet parental entre
[…] conjoints unis civilement, qui est né pendant leur union ou dans
les trois cents jours après sa dissolution ou son annulation est
présumé avoir pour autre parent [la conjointe] de la femme qui lui a
donné naissance. »[39]
Si le couple de lesbiennes est plutôt en union de fait, aucune présomption de parenté
ne trouvera application, mais la conjointe de la mère pourra reconnaître l’enfant
auprès du directeur de l’état civil. Sa déclaration suffira à établir son lien de filiation
avec l’enfant, sans qu’il ne lui soit nécessaire d’entreprendre des procédures
d’adoption ou toute autre démarche[40].
Le tiers donneur ne pourra quant à lui revendiquer l’établissement d’un lien de filiation
avec l’enfant, pas plus qu’il ne pourrait lui-même être poursuivi aux termes d’une
action en réclamation de paternité. En effet, selon l’article 538.2 du Code, l’apport de
forces génétiques au projet parental d’autrui ne peut fonder aucun lien de filiation
entre l’auteur de l’apport et l’enfant qui en est issu[41]. Si les gamètes ont été obtenus
par l’intermédiaire d’une banque de sperme, le donneur ne pourra de toute façon être
retracé, les renseignements nominatifs permettant de l’identifier devant demeurer
confidentiels[42].
Par ailleurs, le législateur a profité de la réforme du 24 juin 2002 pour reconnaître une
autre forme d’assistance à la procréation, sans doute plus conviviale que l’insémination
artificielle. Désormais, la procréation assistée pourra résulter du concours d’un
« ami dévoué », offrant en toute connaissance de cause sa contribution au projet
parental d’autrui, au moyen d’une relation sexuelle[43]. Le couple de lesbiennes[44]
pourra donc choisir entre la procréation « médicalement » assistée et la procréation
« amicalement » assistée[45], selon l’expression utilisée par certains[46]. Comme en
matière d’insémination artificielle, l’enfant ainsi conçu bénéficiera d’un lien de filiation
avec la mère dont il est issu[47]. Eu égard au projet parental partagé, un second lien de
filiation pourra être établi entre l’enfant et la conjointe de la mère, soit par le jeu de la
présomption de parenté ci-dessus évoquée, si le couple est civilement uni, soit à la
suite d’une reconnaissance volontaire, si le couple est plutôt en union de fait[48].

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106

Toutefois, contrairement au tiers-donneur, le tiers-géniteur pourra, dans l’année qui


suit la naissance, revendiquer un lien de filiation avec l’enfant et, incidemment, faire
échec au lien de filiation avec la conjointe de la mère[49]. Le législateur préserve donc
temporairement les droits de l’« ami dévoué » qui, suite à la naissance, pourrait bien se
découvrir une « vocation à la paternité »[50], si tant est qu’il connaisse son nouvel
état[51]. Pendant le délai d’un an, la filiation de l’enfant né d’une procréation
« amicalement assistée » demeurera donc incertaine, ce qui la transformera
vraisemblablement en objet de négociations[52]. Le géniteur aura toute discrétion pour
reconnaître ou, au contraire, rejeter sa filiation avec sa progéniture.
Le législateur ouvre ainsi une voie minée de questions éthiques[53]. Peut-on
légitimement soumettre au libre marchandage l’un des liens de filiation de l’enfant?
Une décision individuelle ou une entente privément négociée doit-elle avoir préséance
sur le droit de l’enfant à une filiation paternelle et aux prérogatives juridiques qui en
résultent[54]? Peut-on valablement organiser l’effacement d’un véritable géniteur, et
partant, d’une moitié des origines de l’enfant[55]? Ces questions fondamentales, dont la
portée déborde largement le cadre de cet article, n’auront ni ébranlé le législateur, ni
ralenti sa cadence[56].

Perspectives critiques
Il y a quelques années à peine, la réalité des enfants pris en charge par les couples de
même sexe était ignorée, voire objet d’ostracisme. Dans l’esprit d’une majorité de
personnes, la parentalité ne pouvaient être que le reflet, réel ou fictif, de la réalité
biologique[57]. D’ailleurs, selon un sondage réalisé au mois de décembre 2001, 51 % des
québécois se disaient contre l’adoption d’un enfant par un couple d’homosexuels[58].
Face à l’enjeu fondamental que représente le bien-être de l’enfant et devant les
résistances révélées par les sondages d’opinion, on aurait pu s’attendre à des années de
débats enflammés avant de voir poindre à l’horizon un projet de loi attribuant des
responsabilités parentales aux couples de même sexe. La réalité aura été toute autre. Il
n’aura fallu que huit semaines aux autorités gouvernementales pour déposer les
propositions législatives portant réforme de la filiation, consulter une quinzaine
d’intervenants en commission parlementaire et obtenir l’aval de l’Assemblée
nationale[59].
Le ministre de la Justice a justifié la réforme en invoquant, à maintes reprises, l’intérêt
de l’enfant. Le bien être de l’enfant, a-t-il répété, ne saurait se satisfaire de cadres
juridiques qui excluent, directement ou indirectement, les réalités homoparentales.
Lors des remarques finales formulées en commission parlementaire, le ministre
déclarait d’ailleurs :
« Tout cela m'amène à traiter d'une situation injuste, […], soit celle
des enfants des couples homosexuels. Il m'apparaît clair que l'intérêt
supérieur de l'enfant doit prévaloir dans tous les choix que nous
pourrons faire en matière de parentalité. […] Il faut faire en sorte que
soit reconnue, à tous les enfants, une pleine égalité des droits tant
juridiques que sociaux. […] Si, en 1980, mon prédécesseur comme
ministre de la Justice, Me Marc-André Bédard, a permis que soient
éliminées au Code civil les distinctions à la naissance, selon qu'un
enfant soit né à l'intérieur ou non du mariage, je suis d'avis qu'il faut
maintenant aller plus loin, car il en va, encore une fois, de l'intérêt
des enfants. »[60]

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Si, d’emblée, tous partagent le souci du ministre d’assurer la même protection


juridique aux enfants, indépendamment du mode de vie choisi par leurs parents ou les
personnes qui en tiennent lieu, force est d’admettre qu’on parvient difficilement à faire
l’unanimité lorsqu’il s’agit d’établir les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre
l’objectif établi.
En choisissant d’intervenir au chapitre de la filiation, le législateur a-t-il vraiment
réussi son pari? Eu égard aux réaménagements législatifs effectués, les enfants du
Québec sont-ils aujourd’hui «plus égaux» qu’autrefois ? Rien n’est moins sûr. Aussi
noble et juste que soit l’intention évoquée au soutien de l’intervention législative, les
mesures nouvellement introduites témoignent d’une réforme à la fois prématurée et
incomplète.

Une réforme prématurée


Plusieurs études démontrent qu’un enfant évoluant auprès de figures parentales
homosexuelles aimantes se développe adéquatement[61]. Le bien-être d’un enfant ne
dépendrait pas de l’orientation sexuelle des personnes qui le prennent en charge, mais
des soins et de l’amour qu’il reçoit d’elles. Fort d’un tel constat, l’État était
certainement justifié d’aménager un cadre juridique à l’endroit de ceux et celles qui,
injustement ignorés par le droit, ne pouvaient formellement prendre part aux décisions
concernant leur enfant de fait. On peut facilement comprendre le désarroi vécu par la
personne qui, privée de toute reconnaissance légale, ne pouvait ni consentir aux soins
requis par l’état de santé de « son » enfant, ni procéder à son inscription à l’école, ni
bénéficier des prérogatives dont dispose généralement un parent durant la vie
commune et, éventuellement, à l’occasion de la séparation ou du divorce[62].
La reconstruction de la filiation en marge de la réalité biologique n’était pas,
cependant, le seul moyen disponible pour pallier les lacunes juridiques. D’autres
mesures législatives auraient permis de consacrer l’engagement des personnes qui,
dans les faits, agissent à titre de parents auprès d’un enfant, fussent-elles de même
sexe. Ainsi, le législateur aurait-il pu autoriser le parent de l’enfant à consentir, devant
notaire ou autrement, au partage de l’autorité parentale en faveur de son nouveau
conjoint[63]. Subsidiairement, il aurait pu organiser l’attribution judiciaire d’une
«parentalité psychologique»[64] pleine et entière en faveur du conjoint qui, au
quotidien, remplit depuis un certain temps et de manière constante un rôle parental
auprès de l’enfant de son conjoint[65].
L’introduction de telles mesures aurait permis d’encadrer la réalité des enfants pris en
charge par deux conjoints de même sexe, qu’ils aient été conçus dans le cadre de
l’union hétérosexuelle antérieur de l’un ou l’autre ou qu’ils soient liés à l’un d’eux par
suite d’un jugement d’adoption ou d’une procréation assistée[66]. Quelle que soit
l’hypothèse en cause, le conjoint homosexuel se serait vu reconnaître un rôle formel et,
incidemment, aurait pu exercer toute la gamme des droits relevant usuellement du
statut parental, sans que la filiation de l’enfant n’en soit pour autant modifiée[67].
L’intervention du législateur aurait porté sur la parentalité et non sur la filiation, deux
concepts distincts[68]. La filiation, rappelons-le, inscrit l’enfant sur l’axe généalogique,
alors que la parentalité confère l’exercice des droits et des devoirs originellement
attribués aux père et mère, mais néanmoins susceptibles de délégation[69] et de
subdivision[70], voire de déchéance[71].
Bref, réformer la filiation n’était pas la seule option législative disponible pour
reconnaître des responsabilités et des droits parentaux aux couples de même sexe.
Était-ce la plus favorable à l’enfant? Bien que le ministre de la Justice se soit réclamé de

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l’intérêt de l’enfant pour appuyer l’option choisie[72], aucune étude empirique réalisée
auprès d’enfants filialement liés à deux mères ou deux pères n’a été produite au
soutien de ses prétentions, et pour cause : le Québec fait office de pionnier en la
matière. Les précédents sont peu nombreux et ne datent que de quelques années[73].
Aucune étude sérieuse ne peut aujourd’hui être réalisée sur la base d’un tel
échantillonnage. Qui plus est, certaines législations étrangères, souvent citées en
exemple, ne peuvent être abordées qu’avec circonspection, les effets de la filiation
adoptive n’étant pas nécessairement les mêmes d’un État à l’autre. Il en est ainsi du
droit néerlandais où l’adoption d’un enfant, depuis peu accessible aux couples de
même sexe, entraîne non pas la création d’un nouvel acte de naissance, mais
l’inscription du nom des adoptants en marge de l’acte d’origine[74]. Au-delà des droits
parentaux dont elle permet la transmission, l’adoption néerlandaise ne vise pas,
contrairement à l’adoption québécoise, à resituer l’enfant sur un nouvel axe
généalogique[75].
Sans doute, dans une vingtaine d’années, les chercheurs pourront-ils disposer de
données leur permettant d’évaluer scientifiquement l’impact, sur l’enfant devenu
adulte, d’une filiation homoparentale, instituée en rupture du modèle de filiation
généalogique sur lequel les sociétés occidentales comparables à la nôtre ont érigé leur
conception de la parenté[76]. Dans l’intervalle, nul ne saurait objectivement prévoir les
conséquences psychologiques qu’occasionnera la formalisation d’une telle filiation au
registre de l’état civil[77], et ce, indépendamment des habilités parentales dont auront
su faire preuve les personnes concernées. Consacrer l’engagement des conjoints de
même sexe à l’égard d’un enfant est une chose, lui reconnaître deux mères ou deux
pères, dans son acte de naissance, en est une autre[78]. Car, faut-il encore le rappeler, la
filiation n’est pas qu’un montage juridique porteur d’autorité parentale. Lourdement
chargée sur le plan symbolique[79], elle contribue également à la construction de
l’identité sociale et psychologique des personnes.
Au-delà des polémiques d’ordre historique[80], anthropologique[81], moral[82] et
juridique[83] que soulève la filiation homoparentale et en dépit des préjugés favorables
que l’on peut entretenir sur la question, l’importance des enjeux en cause aurait
d’abord justifié l’instauration de mécanismes législatifs portant sur la parentalité, dans
l’attente des bilans que l’on dressera éventuellement des expériences législatives
étrangères[84]. En joignant le rang des États qui ont agi précipitamment, le Québec a-t-il
fait de l’enfant un objet d’expérimentation? Cette question est certes troublante, mais le
fait que l’on n’ait pas pu suffisamment en débattre avant l’entrée en vigueur des
nouvelles mesures l’est davantage.

Une réforme incomplète


Si le législateur souhaitait resserrer les protections juridiques applicables à l’ensemble
des enfants évoluant au sein de dynamiques homoparentales, force est d’admettre qu’il
a joliment raté sa cible. Aussi révolutionnaires soient-elles, les modifications
introduites le 24 juin 2002 ne règlent en rien la situation des nombreux enfants issus
d’une relation hétérosexuelle antérieure[85], vivant auprès d’un de leur parent et du
conjoint homosexuel de ce dernier, mais alors que l’autre parent n’est ni décédé, ni
déchu de son autorité parentale. Le droit québécois interdisant l’établissement d’un
triple lien de filiation, l’adoption de l’enfant par le conjoint ou la conjointe ne pourra,
dans cette hypothèse, être réalisée. En agissant sur la filiation et non sur la parentalité,
le législateur a tout simplement négligé la réalité de tous ceux et celles dont le double
lien de filiation fait obstacle à tout processus d’adoption[86]. Condamné au statu quo, le
conjoint homosexuel ne pourra, dans ces circonstances, exercer de prérogatives

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parentales à l’égard de l’enfant, pas plus qu’on ne pourra lui imputer de responsabilités
particulières à l’occasion d’une éventuelle rupture conjugale, et ce, en dépit du rôle
parental qu’il aura pu assumer durant la vie commune et, dans certains cas, du
détachement factuel de l’autre parent.
Comme d’autres l’ont déjà souligné[87], l’omission du législateur affecte, de manière
comparable, l’ensemble des familles recomposées. Tout comme le conjoint
homosexuel, le conjoint hétérosexuel ne jouit d’aucun statut juridique durant la vie
commune et n’assume aucune obligation à l’endroit de l’enfant, à moins d’avoir pu
l’adopter[88]. Lors de la rupture conjugale, seul le conjoint marié fait l’objet d’une
certaine reconnaissance législative. En vertu de la Loi sur le divorce, l’époux qui, durant
le mariage, a agi à titre de parent (in loco parentis) auprès de l’enfant de son conjoint
pourra en revendiquer la garde ou faire valoir des droits d’accès[89]. En contrepartie, le
tribunal pourrait l’obliger à verser une pension alimentaire au bénéfice de l’enfant.
Quant au conjoint hétérosexuel non marié, il ne peut jamais se voir contraint de
pourvoir aux besoins de l’enfant, même s’il a occupé une place prépondérante auprès
de lui durant la relation conjugale[90]. Comme toute autre personne et aux mêmes
conditions, il pourra toutefois s’adresser au tribunal pour en obtenir la garde. Le
tribunal évaluera sa demande à la lumière du critère de l’intérêt de l’enfant, mais sans
accorder de statut préférentiel à sa requête[91].
Si le législateur voulait vraiment éliminer toute forme de discrimination entre les
enfants, comment a-t-il pu occulter le statut précaire des nombreux enfants qui
évoluent au sein d’une famille recomposée? À la lumière de l’article 39 de la Charte des
droits et libertés de la personne qui consacre le droit de l’enfant « […] à la protection, à
la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu
peuvent lui donner »[92], n’y aurait-il pas eu lieu d’établir un cadre juridique consacrant
l’engagement de tous ceux et celles qui remplissent un rôle parental auprès des
enfants, indépendamment de l’orientation sexuelle des uns et des autres?
Le partage de l’autorité parentale, tout comme l’institution d’une parentalité
psychologique pleine et entière, auraient sans doute permis d’assurer une protection
juridique adéquate à l’ensemble des enfants confrontés au phénomène de la
pluriparentalité, quel que soit le sexe des figures parentales en cause. Ainsi, le
législateur aurait-il permis d’additionner, au double lien de filiation des enfants
partagés entre leur mère et leur père, le support parental de leur conjoint respectif,
qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel.

Conclusion
Il faut certainement se réjouir de l’intérêt manifesté par l’État à l’égard des enfants pris
en charge par les couples de même sexe, trop longtemps marginalisés. En sanctionnant
l’homoparentalité, on en légitime l’existence et, incidemment, on contribue à en
accélérer l’acceptation sociale, au bénéfice des enfants concernés[93]. Comme d’autres
l’ont déjà fait, on doit saluer le courage politique dont les autorités gouvernementales
du Québec ont su faire preuve en assumant le leadership d’une telle démarche[94]. Mais
au-delà des principes, on parvient difficilement à concilier le choix législatif effectué le
24 juin 2002 avec les objectifs avancés au soutien de la réforme. Ni le réaménagement
du droit de la filiation, ni l’action précipitée du législateur, ne peuvent véritablement
trouver leur justification dans l’intérêt de l’enfant. Prématurée, la réforme ouvre des
perspectives dont on ne peut encore mesurer toute la portée sur le bien-être de
l’enfant. Incomplète, elle laisse sans réponse le besoin de protection juridique d’une
majorité d’enfants évoluant au sein d’une dynamique homoparentale.

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Mais alors, qui sont les véritables bénéficiaires de la réforme? En permettant


l’établissement d’un lien filial entre un enfant et deux parents du même sexe, le
législateur a-t-il voulu assurer la protection juridique des enfants ou consacrer l’égalité
des couples de même sexe[95]? À la lumière des développements précédents, la
question mérite certainement d’être posée[96]. Non pas qu’il faille banaliser, voire
déconsidérer, les aspirations égalitaires des gais et lesbiennes. La discrimination doit
être bannie, dans tous les domaines et sans délai. En toute équité, les couples de même
sexe doivent disposer des mêmes droits et des mêmes prérogatives que les couples
hétérosexuels[97]. Seulement, la filiation n’est pas un droit des parents ou des
personnes qui en jouent le rôle; il s’agit d’un droit de l’enfant qu’on ne peut, sous aucun
prétexte, utiliser au service d’une cause, aussi juste soit-elle. Quoiqu’en disent certains
militants, on ne saurait donc en débattre à la lumière du droit à l’égalité[98], que ce soit
au parlement[99] ou au prétoire.

Notes
[1]Nous employons l’expression «filiation homoparentale» en référence à l’organisation législative
d’un lien de filiation entre un enfant et deux parents de même sexe.
[2]L’auteur
remercie ses collègues, les professeurs Danielle Pinard, Michel Morin et Luc B. Tremblay,
ainsi que Mme Doris Baril, Me Nicole Poulin et Me Christian St-Georges pour leurs précieux
commentaires. Évidemment, les opinions émises dans le présent texte n’engagent que son auteur.
[3]Voir Roderick A. MACDONALD, «Triangulating Social Law Reform», à paraître.
[4]Voir Catherine LABRUSSE-RIOU, «La filiation en mal d’institution», (1996) 227 Esprit 91, 92.
[5]Pierre
LEGENDRE, «Analecta», dans Leçons IV, suite 2, Filiation – Fondement généalogique de la
psychanalyse, Paris, Fayard, 1990, p. 187. Voir également Françoise HÉRITIER-AUGÉ, «De
l’engendrement à la filiation. Approche anthropologique», (1989) 44 Topique – Revue Freudienne
173, 174.
[6]Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6.
[7]«Aucune institution du monde n’est biologiquement fondée : naturelle, elle serait alors nécessaire,
et nécessaire, universelle. Mais il existe cependant en ce domaine des limites d’ordre biologique qui
tiennent à l’ancrage dans le corps humain. La filiation en effet ne peut s’établir qu’en référence au
masculin et au féminin, parce que ce sont des hommes et des femmes qui font des enfants dans une
suite ininterrompue de générations» : Françoise HÉRITIER-AUGÉ, «De l’engendrement à la filiation.
Approche anthropologique», (1989) 44 Topique – Revue Freudienne 173, 174.
[8]Françoise HÉRITIER-AUGÉ, «De l’engendrement à la filiation. Approche anthropologique», (1989)
44 Topique – Revue Freudienne 173, 176. Voir également Irène THÉRY, «Pacs, sexualité et différence
des sexes», (1999) 257 Esprit 139, 181.
[9]C.c.Q.,
art. 523 : «La filiation tant paternelle que maternelle se prouve par l’acte de naissance,
quelles que soient les circonstances de la naissance de l’enfant […]».
[10]C.c.Q., art. 108, 109, 111 et suiv.
[11]C.c.Q.,
art. 115 : «La déclaration de naissance énonce le nom attribué à l’enfant, son sexe, les lieu,
date et heure de la naissance, le nom et le domicile des père et mère et du témoin, de même que le lien
de parenté du déclarant avec l’enfant. Lorsque les parents sont de même sexe, ils sont désignés
comme les mères ou les pères de l’enfant, selon le cas […]». Mes italiques.
[12]Id.

[13]Le Code civil prévoit essentiellement deux modes d’accès au registre de l’état civil. Toute personne
peut obtenir un certificat de naissance d’une autre personne, sans condition. Ce certificat énoncera les
noms, sexe, lieu et date de naissance de la personne concernée et, si elle est décédée, les lieu et date
du décès. Il fera également mention, le cas échéant, du lieu et de la date du mariage ou de l’union
civile, et du nom du conjoint. Les personnes mentionnées dans l’acte de naissance, de même que toute
autre personne qui justifie de son intérêt, pourront quant à elles obtenir une copie intégrale de l’acte
de naissance : C.c.Q., art. 145, 146 et 148. La notion d’«intérêt» n’étant pas définie dans le Code civil, le
directeur de l’état civil doit donc évaluer, au cas par cas, les motifs invoqués au soutien des demandes
de copie présentées par des personnes dont le nom ne figure pas à l’acte de naissance. Les

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professeurs Deleury et Goubau estiment, par exemple, qu’un membre de la famille voulant compléter
des recherches généalogiques pourrait avoir l’intérêt requis: Édith DELEURY et Dominique GOUBAU,
Le droit des personnes physiques, 3e éd., Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2002, n° 374, p. 344, note 167.
[14]C.c.Q.,
art. 577. Ce type d’adoption est connu sous le nom d’«adoption plénière»: Françoise-
Romaine OUELLETTE, «Les usages contemporains de l’adoption», dans Agnès FINE (dir.), Adoptions :
ethnologie des parentés choisies, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, p. 155.
[15]C.c.Q.,
art. 129, 132 et 149. Notons cependant que les empêchements au mariage entre l’adopté et
sa famille d’origine demeurent applicables si tant est, évidemment, que les intéressés aient
connaissance de leurs liens biologiques malgré la confidentialité du dossier d’adoption. Ainsi, l’enfant
adopté ne pourra contracter mariage ni avec ses ascendants biologiques en ligne directe, ni avec ses
frères ou soeurs biologiques : C.c.Q., art. 577 et Loi sur le mariage, L.C. 1990, ch. 46, art. 2. Sur les
effets du jugement d’adoption, voir Alain ROY, «L’adoption en droit québécois : aspects civils et
procéduraux», dans La Famille - Extraits du Répertoire de droit/Nouvelle série, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2000, p. 163, p. 201-203.
[16]Telest le cas, notamment, du droit français : Code civil français, art. 360 à 370-2. Pour un tableau
identifiant les États européens permettant l’adoption simple, voir Isabelle LAMMERANT, «Tableaux
comparatifs des législations européennes en matière d’adoption», dans Marie-Thérèse MEULDER-
KLEIN (dir.), Adoption et formes alternatives d’accueil, Bruxelles, Éditions Story-Scienta, 1990, p. 217,
aux pages 218-219.
[17]Depuisplusieurs années, une personne célibataire peut donc adopter un enfant, et ce, quelle que
soit son orientation sexuelle. Voir Alain ROY, «L’adoption en droit québécois : aspects civils et
procéduraux», dans La Famille - Extraits du Répertoire de droit/Nouvelle série, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2000, p. 163, à la page 173.
[18]En somme, l’article 546 C.c.Q. permet à toute personne, seule ou conjointement avec une autre
personne, d’adopter un enfant. Un frère et une soeur pourraient-ils, sur la base de cet article, adopter
conjointement un enfant? On pourrait peut-être le soutenir, mais telle n’est pas l’interprétation
actuellement véhiculée par la doctrine et la jurisprudence. Puisque l’adoption vise à doter l’adopté
d’un milieu familial de substitution, les «deux personnes» réfèrent, dans l’esprit des juristes, aux seuls
conjoints. Par ailleurs, notons que, selon l’article 547 C.c.Q., l’adoptant doit avoir au moins 18 ans de
plus que l’adopté, sauf si ce dernier est l’enfant de son conjoint ou si le tribunal n’en décide
autrement, dans l’intérêt de l’adopté.
[19]VoirAlain ROY, « Partenariat civil et couples de même sexe : La réponse du Québec », (2001) 35
Revue juridique Thémis 663, 685. Il semble que le Centre jeunesse Batshaw appliquait une
interprétation différente, en reconnaissant la légalité d’une adoption conjointe par deux personnes de
même sexe : Irène DEMCZUCK, Nicole PAQUETTE et Mona GREENBAUM, « Préambule. Légalité de la
parentalité homosexuelle », dans ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA SANTÉ MENTALE (Filiale de
Montréal), Parentalité gaie et lesbienne : famille en marge? Actes du colloque des 1er et 2 mars 2001,
Montréal, 2001, p. 55.
[20]C.c.Q.,
art. 544, 551 et suiv. (en matière de consentement) et 559 suiv. (en matière de déclaration
judiciaire). Notons que, en principe, l’enfant âgé de 10 ans ou plus doit également apporter son
consentement à sa propre adoption : C.c.Q., art. 549. Pour de plus amples explications sur les
conditions relatives à l’adoption et le processus d’ouverture du dossier d’adoption, voir Alain ROY,
«L’adoption en droit québécois : aspects civils et procéduraux», dans La Famille - Extraits du
Répertoire de droit/Nouvelle série, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 163, à la page 175 et
suiv.
[21]C.c.Q., art. 544 et 551 et suiv.
[22]C’estau Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) et aux membres de son personnel dûment
autorisés qu’incombe la responsabilité de recevoir les consentements généraux : Loi sur la protection
de la jeunesse, L.R.Q., c. P-34.1, (ci-après citée «L.P.J.»), art. 32(g). Le consentement général entraîne
par ailleurs une délégation de l’autorité parentale en faveur du DPJ : C.c.Q., art. 556 et 72.1(c) de la
L.P.J. Le DPJ pourra par la suite déléguer lui-même l'exercice de l'autorité parentale aux futurs
adoptants, en vertu de l'article 72.1(e) de la L.P.J. En outre, selon l'article 199, al. 2 C.c.Q., «le directeur
de la protection de la jeunesse est jusqu'à l'ordonnance de placement, tuteur légal de l'enfant [...] au
sujet duquel un consentement général à l'adoption lui a été remis, excepté dans le cas où le tribunal a
nommé un autre tuteur».

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[23]C.c.Q.,
art. 555. Plus formellement, l’article permet le consentement spécial en faveur de tout
ascendant de l’enfant, d’un parent en ligne collatérale jusqu’au troisième degré ou du conjoint de cet
ascendant ou parent.
[24]Id.

[25]C.c.Q., art. 579 C.c.Q.


[26]Le parent avec qui un lien de filiation subsisterait pourrait-il donner un consentement spécial en
faveur du conjoint de l’autre parent pour parfaire le processus d’adoption? Bien que les auteurs (et,
semble-t-il, certains tribunaux inférieurs (voir à cet égard l’article de Michèle Rivet cité à la fin de
cette note)) répondent affirmativement à cette question, on peut entretenir de sérieux doutes quant à
la conformité d’une telle interprétation avec l’intention du législateur. À mon avis, l’article 555 C.c.Q.
consacre le droit d’une personne de donner un consentement spécial à l’adoption de son enfant par
son conjoint, mais non par le conjoint de l’autre parent. Dans ses commentaires sur l’article 555 C.c.Q.,
le ministre de la Justice n’évoque d’ailleurs que cette première hypothèse, sans envisager la seconde,
ni même indirectement: Commentaires du ministre de la Justice, tome 1, Québec, Publications du
Québec, 1993, p. 333. Par ailleurs, autoriser un parent à se délester privément de son lien de filiation
en faveur du conjoint de l’autre (dans un contexte de recomposition familiale) ne risque-t-il pas de
transformer l’enfant en monnaie d’échange? Dans le cadre d’une adoption intrafamiliale où
l’intervention étatique est réduite au minimum, une telle perspective pourrait fort bien s’avérer
contraire à l’intérêt de l’enfant (C.c.Q., art. 543). À l’appui d’une interprétation favorable au
consentement donné par un parent en faveur du conjoint de l’autre parent, voir, notamment, Marie
PRATTE, «Le nouveau Code civil du Québec : Quelques retouches en matière de filiation», dans Ernest
CAPARROS, Mélanges Germain Brière, Montréal, Wilson & Lafleur, 1993, p. 283, à la page 302 et
Renée JOYAL, «La filiation homoparentale, rupture symbolique et saut dans l’inconnu», dans Pierre-
Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de
parentalité au 21e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 307, à la page 308. Sur la sujet,
voir aussi Michèle RIVET, «La vérité et la statut juridique de la personne», (1987) 18 Revue générale
de droit 843, 852.
[27]Tous les adoptants potentiels doivent faire l'objet d'une évaluation psychosociale destinée à

déterminer s'ils sont en mesure d'assumer les responsabilités inhérentes à l'adoption d'un enfant. Si
l'évaluation s'avère positive, leurs noms s'ajouteront à la liste des postulants tenue par les C.P.E.J.
Dans la sélection des adoptants, «le respect de l'ordre chronologique d'inscription sur la liste est
subordonné aux besoins et aux caractéristiques des enfants disponibles pour adoption et aux attentes
des parents biologiques» : L.P.J., art. 72.3. Voir également DIRECTION DE L'ADAPTATION SOCIALE,
L'adoption, un projet de vie - Cadre de référence en matière d'adoption au Québec, Québec, Ministère
de la Santé et des Services sociaux, 1994, p. 19.
[28]MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX, L’adoption : un projet de vie. Cadre de
référence en matière d’adoption au Québec, Québec, Gouvernement du Québec, 1994, p. 36. Selon des
données (non officielles) rapportées dans l’édition du 2 mars 2003 du Journal Le Soleil, environ 8
couples de même sexe auraient, depuis le 24 juin 2002, déposé une demande d’adoption : Claudette
SAMSON, «Un geste d’amour, non de charité», Québec, Le Soleil, 2 mars 2003, p. A-1.
[29]Alorsque le nombre annuel d’adoptions était de 4 000 dans les années 60, seulement 312
adoptions ont eu lieu entre le 31 mars 1991 et le 31 mars 1992. À cette date, le nombre de couples et
d’individus inscrits sur la liste d’attente s’élevait à 3 843 : Id., p. 69. Voir également p. 77.
[30]La Banque-Mixte est composée de couples ou d'individus désireux d'adopter un enfant. À ce titre,

ils sont inscrits comme postulants à l'adoption et acceptent de jouer le rôle de famille d'accueil auprès
d'un enfant à risque élevé d'abandon et dont le projet de vie est l'adoption à court ou moyen terme.
En effet, l’enfant en famille d’accueil pourrait bien devenir adoptable, par suite d’un consentement
général des parents biologiques ou par déclaration judiciaire d’admissibilité à l’adoption. La famille
d’accueil avec qui l’enfant aura peut-être développé des liens affectifs pourra, dans ce cas, proposer
un projet d’adoption aux autorités. Voir les renseignements publiés sur la Banque-Mixte à
www.quebecadoption.net.
[31]Selon certaines sources, il n'existerait pas d'État qui accepte expressément que des enfants
ressortissants du pays soient adoptés par des homosexuels. Voir les renseignements publiés sur le
site de l’organisation «Homoparentalité», à www.cometes.net/hmprt/adopt.php.
[32]Voir
Antoine JACOB, La difficile adoption d'enfants étrangers par les homosexuels en Suède, Paris,
Le Monde, 6 février 2003, en ligne à www.lemonde.fr/imprimer_article_ref/0,5987,3210--
308085,00.html.

A. Roy, La filiation homoparentale : esquisse d’une réforme précipitée,


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[33]Voir C.c.Q., art. 538-542, tels qu’ils existaient jusqu’au 24 juin 2002.
[34]Danielle
JULIEN, Monique DUBÉ et Isabelle GAGNON, «Le développement des enfants de parents
homosexuels comparé à celui des enfants de parents hétérosexuels», (1994) 15 Revue québécoise de
psychologie 1, 3.
[35]L.R.Q., c. C-12, art. 10 : «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité,

des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la
couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, sauf dans la mesure prévue par la
loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la conditions
sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination
lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruite ou de compromettre ce
droit». Mes italiques.
[36]Certains dénoncent fermement cette nouvelle orientation : Benoît MOORE, « Les enfants du
nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de la filiation », dans Développements récents en droit
de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 75, à la page 86.
[37]Selon l’article 538.1 C.c.Q., « [l]a filiation de l’enfant né d’une procréation assistée s’établit, comme
une filiation par le sang, par l’acte de naissance. À défaut de ce titre, la possession d’état suffit; celle-ci
s’établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation entre l’enfant […] [et]
la femme qui lui a donné naissance […] ».
[38]C.c.Q., art. 525.
[39]Cetteprésomption est toutefois écartée à l’égard de l’ex-conjointe lorsque l’enfant naît plus de trois
cents jours de la fin de l’union, mais après l’union civile ou le mariage subséquent de la femme qui lui
a donné naissance : C.c.Q., art. 538.3 al. 3.
[40]C.c.Q., art. 540 a contrario. Voir Alain ROY, « Filiation homosexuelle. La conjointe de la mère doit-

elle adopter l’enfant issu d’une procréation médicalement assistée? », (2003) 105 Revue du Notariat
119. À défaut de reconnaissance volontaire par la conjointe, une possession constante d’état pourrait
suffire : C.c.Q., art. 538.1 et 524. Sur l’application de la possession d’état dans un contexte
homoparental, voir Benoît MOORE, « Les enfants du nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de
la filiation », dans Développements récents en droit de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon
Blais, 2002, p. 75, aux pages 82-83. Si une possession d’état ne peut être invoquée, aucun lien de
filiation ne sera établi entre l’enfant et la conjointe, malgré son consentement initial au projet
parental. Cependant, la conjointe engagera sa responsabilité envers l’enfant et la mère de celui-ci :
C.c.Q., art. 540.
[41]C.c.Q., art. 538.2.
[42]Si
un préjudice grave risque d’être causé à la santé de l’enfant ou de ses descendants, le tribunal
pourrait toutefois permettre la communication de données nominatives aux autorités médicales
concernées : C.c.Q., art. 542.
[43]C.c.Q., art. 538.2, al. 2.
[44]Comme le précise l’article 538 C.c.Q., le projet parental réalisé au moyen d’une relation sexuelle
pourrait également être celui d’une femme seule ou d’un couple hétérosexuel. Il serait toutefois
surprenant, dans ce dernier cas, que le conjoint de la femme privilégie cette alternative au détriment
d’une insémination artificielle…
[45]C’estd’ailleurs pour refléter les deux options désormais disponibles que le législateur a modifié le
titre qui chapeaute les dispositions pertinentes. Alors qu’il était autrefois question de «procréation
médicalement assistée», le Code civil réfère maintenant à «la filiation des enfants nés d’une
procréation assistée». Mes italiques.
[46]Voir
Journal des débats, Commission permanente des institutions, 15 mai 2002, en ligne à
www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci.htm.
[47]C.c.Q., art. 538.1.
[48]C.c.Q., art. 538.3, 538.1, 540 et 524.
[49]C.c.Q.,
art. 538.2 al. 2 : « […] Lorsque l’apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle, un
lien de filiation peut être établi, dans l’année qui suit la naissance, entre l’auteur de l’apport et
l’enfant. Pendant cette période, le conjoint [ou la conjointe] de la mère qui a donné naissance à
l’enfant ne peut, pour s’opposer à cette demande, invoquer une possession d’état conforme au titre ».

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[50]Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à l’instrumentalisation : la

filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile :
nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2003, p. 337, à la page 343.
[51]En effet, le délai d’un an court à compter de la naissance, peu importe la connaissance qu’en a le

géniteur. Cela dit, après l’expiration du délai d’un an, le géniteur pourrait prétendre à l’inapplicabilité
du cadre juridique régissant la procréation assistée en prétendant qu’on ne l’a jamais avisé du projet
parental en cause ou en démontrant l’inexistence d’un tel projet. S’il réussit dans sa démarche, le
géniteur (devenu père en puissance) pourra réclamer la paternité de l’enfant au terme d’une action
en revendication (ou en contestation/revendication si un lien de filiation préexiste avec la conjointe
de la mère), laquelle est prescriptible par 30 ans (C.c.Q., art. 531, 532 et 536). Puisque le législateur
n’a prévu aucune règle particulière quant à la preuve du projet parental et quant à l’assentiment du
géniteur, d’importantes difficultés pourraient se poser. Toutefois, la preuve du projet parental (tel
que défini à l’article 538 C.c.Q.) sera probablement facilitée du seul fait de l’homosexualité de la mère.
On peut sans doute présumer que la relation sexuelle intervenue avec la personne de sexe masculin a
véritablement eu lieu dans un but de procréation. Ainsi, si la mère réussit à démontrer que le géniteur
connaissait cette réalité au moment de la relation sexuelle, le géniteur aura plus de difficultés à
prouver qu’il ignorait la nature de sa contribution. Notons que certains considèrent que la
connaissance, par le géniteur, de l’existence du projet parental d’autrui n’a aucune incidence sur
l’application de l’article 538.2 al. 2 C.c.Q. Une telle interprétation me paraît non fondée, puisqu’elle
équivaudrait à attribuer au législateur l’intention de cautionner une duperie, au détriment du
géniteur. Au soutien de cette interprétation, voir Brigitte LEFEBVRE, «Projet de loi 84 : quelques
considérations sur les nouvelles dispositions en matière de filiation et sur la notion de conjoint»,
(2002) 2 Cours de perfectionnement du Notariat 1, 11.
[52]Évidemment, la mère ne pourrait, au nom de l’enfant, intenter une action en réclamation de
paternité contre le géniteur. Admettre une telle hypothèse équivaudrait à reconnaître la possibilité
d’un déni, par la mère, du projet parental qu’elle partageait avec sa conjointe. Par ailleurs, on ne peut
croire à l’efficacité des dispositions sur la procréation «amicalement» assistée que si le géniteur
demeure à l’abri de toute action en réclamation de paternité. Dans le même sens, voir Benoît MOORE,
«Les enfants du nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de la filiation», dans Développements
récents en droit de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 75, à la page 92 et
Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à l’instrumentalisation : La
filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile :
nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p.
337, aux pages 343-344. Bien entendu, si la mère nie l’existence de tout projet parental et parvient à
convaincre le tribunal de la justesse de ses prétentions, le cadre juridique de la procréation assistée
ne sera pas applicable et le soi-disant géniteur pourrait devoir faire face à une action en revendication
de paternité intentée par la mère au nom de l’enfant, selon les règles générales (C.c.Q., art. 532-536).
Au sujet de la preuve du projet parental, voir supra, note 49.
[53]Des questions qui s’ajoutent à celles, déjà très nombreuses, soulevés par la procréation
médicalement assistée. Voir Louise VANDELAC, «La famille reconstituée par la biologie : des flous du
droit au droit floué?», (1999) 33 Revue juridique Thémis 343.
[54]L’accouchement de la mère sous X, processus admis en droit français, soulève la même question,

puisqu’il prive l’enfant du droit d’agir en justice pour faire établir sa filiation maternelle. Voir Code
civil français, art. 341-1. Voir également Catherine LABRUSSE-RIOU, «La filiation en mal
d’institution», (1996) 227 Esprit 91, 102-103.
[55]Notons que l'article 7 de la Convention relative aux droits de l'enfant reconnaît le droit d’un enfant
de connaître ses parents : « L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un
nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses
parents et d'être élevé par eux » : Voir Rés. AG 44/25, Doc. Off. AG NU, 44e sess., supp. n( 49, Doc. NU
A/44/49 (1989) 167. Sur l’importance de ce droit, voir Pierre VERDIER, «Ce que l’adoption nous
apprend à propos des enfants qui ne sont pas nés de la sexualité de leurs parents», dans Martine
GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux,
ESF, 2000, p. 33 et Geneviève DELAISI de PARSEVAL, «Qu’est-ce qu’un parent suffisamment bon?»,
dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-
Moulineaux, ESF, 2000, p. 207, à la page 212.
[56]Pourune analyse de ces enjeux, voir, notamment, Benoît MOORE, «Les enfants du nouveau siècle.
Libres propos sur la réforme de la filiation», dans Développements récents en droit de la famille
(2002), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 75 et Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen

A. Roy, La filiation homoparentale : esquisse d’une réforme précipitée,


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LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à l’instrumentalisation : La filiation en question», dans Pierre-Claude


LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de
parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 337.
[57]Le droit lui-même a traditionnellement fait écho à cette perception. Qu’elle soit fondée sur la

réalité biologique ou non, la filiation reconnue par le droit a toujours été compatible avec le modèle
de la parenté généalogique. Ainsi, l’adoption se voulait jusqu’à tout récemment le reflet «fictif» de la
réalité biologique, puisque les dispositions législatives la régissant étaient fondées sur le schème
père-mère, du moins en principe. Comme l’écrivent Daniel Borrillo et al., «[l]a filiation sociale est en
effet, à bien considérer chacune de ces lois, définie sur le modèle de la reproduction biologique : une
filiation chassant l’autre, la loi imite la nature en confondant géniteur et parents» : Daniel BORRILLO,
Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de
l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 5.
[58]Sylvia GALIPEAU, «Les enfants de l’homoparentalité», Montréal, La Presse, 27 février 2002, p. B-1.
[59]En fait, l’avant-projet sur l’union civile – silencieux sur la question homoparentale – a été présenté
par le ministre de la Justice le 7 décembre 2001. Des auditions portant sur l’avant projet ont eu lieu en
commission parlementaire du 5 février au 21 février 2002. Le projet de loi réformant la filiation a
quant à lui été formellement déposé le 25 avril 2002. Après de courtes consultations tenues du 15 au
23 mai 2002, le projet a été adopté par l’Assemblée nationale le 7 juin 2002, à l’unanimité. La loi est
entrée en vigueur, pour l’essentiel, le 24 juin 2002.
[60]http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020221.htm#_Toc5784870.

[61]Voir,
notamment, Danielle JULIEN, «Trois générations de recherches empiriques sur les mères
lesbiennes, les pères gais et leurs enfants», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.),
L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2003, p. 359, particulièrement aux pages 365-367 (et les nombreuses analyses empiriques
étrangères recensées par l’auteure en bibliographie); Danielle JULIEN, Monique DUBÉ et Isabelle
GAGNON, «Le développement des enfants de parents homosexuels comparé à celui des enfants de
parents hétérosexuels», (1994) 15 Revue québécoise de psychologie 1 et Monique DUBÉ et Danielle
JULIEN, «Le développement des enfants de parents homosexuels : état des recherches et
prospective», dans ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA SANTÉ MENTALE (Filiale de Montréal),
Parentalité gaie et lesbienne : famille en marge?, Actes du colloque des 1er et 2 mars 2001, Montréal,
2001, p. 39. Voir cependant les réserves «instinctives» exprimées par certains psychanalystes :
Caroline ÉLIACHEFF, «Malaise dans la psychanalyse», (2001) 273 Esprit 62, 74-75 et Claude HALMOS,
«L’adoption par des couples homosexuels : et l’enfant?», Psychologies, Paris, mai 1999, p. 26.
[62]Voir Marie-France BUREAU, «L’union civile et les nouvelles règles de filiation : tout le monde à

bord pour redéfinir la parentalité», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union
civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21 e siècle, Cowansville, Éditions Yvon
Blais, 2003, p. 385, à la page 386.
[63]Les dispositions relatives à l’autorité parentale se retrouvent aux articles 597 à 612 C.c.Q. La Cour
d’appel du Québec a eu récemment l’occasion de rappeler que les dispositions actuelles du Code civil
du Québec ne permettaient pas un tel partage : Droit de la famille 3444, [2000] R.J.Q.2533 (C.A.). Pour
une opinion contraire, voir Ann ROBINSON, « Homoparentalité et pluriparentalité : d’une filiation
juridique à une parentalité solidaire », dans ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA SANTÉ MENTALE
(Filiale de Montréal), Parentalité gaie et lesbienne : famille en marge? Actes de colloque des 1er et 2
mars 2001, Montréal, 2001, p. 73, à la page 79.
[64]J’emprunte l’expression au professeur Dominique Goubau : «Le caractère contraignant de
l’obligation alimentaire des parents psychologiques», (1991) 51 Revue du Barreau 625.
[65]Telle était d’ailleurs la position défendue par le Barreau du Québec lors des auditions en
commission parlementaire. Voir les propos du professeur Dominique Goubau, en ligne à
http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020212.htm#_Toc4384989. Voir, dans
le même sens, Benoît MOORE, « Les enfants du nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de la
filiation », dans Développements récents en droit de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2002, p. 75, à la page 97 et suiv. Par ailleurs, notons que l’attribution judiciaire d’une autorité
parentale au conjoint du parent existe en droit néo-écossais, sous le nom de « residence order » :
Children and Law Family Services Act, S.N.S. 1990, c. 5, art. 79 et 106(9). Dans le même sens, le droit
belge prévoit la «tutelle officieuse», institution par laquelle les parents peuvent consentir, sous
contrôle judiciaire, à déléguer d’importants attributs de leur autorité parentale en faveur de tiers:
Code civil belge, art. 475bis et suiv. Sur le sujet, voir Jehanne SOSSON, «Les aspects juridiques du droit
belge en matière de formes alternatives d’accueil», dans Marie-Thérèse MEULDER-KLEIN (dir.),

A. Roy, La filiation homoparentale : esquisse d’une réforme précipitée,


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Adoption et formes alternatives d’accueil, Bruxelles, Éditions Story-Scienta, 1990, p.153, aux pages
155-160.
[66]Évidemment, le partage d’autorité parentale, de même que l’institution d’une parentalité
psychologique, se seraient avérés incompatibles avec l’adoption extra-familiale où, à l’origine, l’enfant
n’est filialement lié à aucun des conjoints. Les procédures d’adoption sur consentement général ou
déclaration judiciaire auraient donc dû être menées par un seul conjoint, quitte à ce que ce dernier
consente par la suite au partage de l’autorité parentale en faveur de l’autre ou, à défaut, qu’un tribunal
lui attribue une parentalité psychologique. Pour d’autres réflexions sur le sujet, voir Agnès FINE,
«Pluriparentalités et systèmes de filiation dans les sociétés occidentales», dans Didier LE GALL et
Yamina BETTAHAR (dir.), La pluriparentalité, Paris, P.U.F., 2001, p. 69, à la page 89.
[67]Lelégislateur aurait pu rattacher des droits successoraux aux prérogatives parentales reconnues
au conjoint de même sexe, de manière à permettre à l’enfant d’hériter ab intestat de ce dernier, et
vice-versa.
[68]Agnès FINE, «Vers une reconnaissance de la pluriparentalité», (2001) 273 Esprit 40, 52.
[69]Selon l’article 601 C.c.Q., le titulaire de l’autorité parentale peut déléguer à tout tiers la garde, la
surveillance ou l’éducation de l’enfant. C’est dans cette disposition que, par exemple, la gardienne
d’enfant ou les établissements scolaires puisent leur autorité. Comme l’a précisé la Cour d’appel, la
délégation ne peut toutefois être que temporaire et demeure susceptible de révocation unilatérale par
le titulaire de l’autorité parentale : Droit de la famille-3444, [2000] R.J.Q. 2533 (C.A.).
[70]Ainsi,
la tutelle, la garde et les droits d’accès sont autant d’attributs de l’autorité parentale qui
peuvent être divisés entre plusieurs personnes : C.c.Q., art. 605.
[71]C.c.Q.,art. 606 et suiv. Sur la question, voir généralement Agnès FINE, «Pluriparentalités et
systèmes de filiation dans les sociétés occidentales», dans Didier LE GALL et Yamina BETTAHAR
(dir.), La pluriparentalité, Paris, P.U.F., 2001, p. 69, à la page 89.
[72]Voir,notamment, les remarques finales du ministre de la Justice de l’époque, Monsieur Paul Bégin,
à l’occasion des travaux en commission parlementaire : Journal des débats, Commission permanente
des institutions, 15 mai 2002, en ligne à
www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020221.htm.
[73]Ilsemble qu’aucun autre État que le Québec n’ait reconnu, à ce jour, l’établissement d’une filiation
homoparentale autrement qu’à travers un processus d’adoption. En matière d’adoption, le premier
précédent remonte au 24 mai 1995, date à laquelle la Cour provinciale de l’Ontario déclarait invalide
(parce que contraire au droit à l’égalité consacré par l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits
et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada
(1982), R.-U., c. 11]) la disposition de la loi ontarienne niant aux couples de même sexe le droit de
présenter une demande d’adoption : Re K., (1995) 125 D.L.R. (4th) 653. À l’heure actuelle, l’adoption
est accessible aux couples de même sexe dans d’autres provinces canadiennes et dans certains États
étrangers, que ce soit aux termes de dispositions législatives ou de jugements prononcés par des
tribunaux. Outre l’Ontario, tel est le cas de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, de l’Alberta,
de la Nouvelle-Écosse, des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et de l’État du Vermont. Pour un
exposé sur le sujet, voir Michel MORIN, «La longue marche vers l’égalité des conjoints de même sexe»,
dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile : nouveaux modèles de
conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 63, aux pages 82
à 85. En revanche, la Cour Européenne des droits de l’Homme a récemment refusé d’autoriser
l’adoption d’un enfant par un couple de même sexe : Affaire Fretté c. France (Hudoc référence
REF0000334). De même, la Belgique – qui vient tout juste d’autoriser le mariage gai – a, par la même
occasion, fermé la porte de l’adoption aux couples de même sexe: Loi ouvrant le mariage à des
personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil (adoptée le 30 janvier
2003, publiée le 28 février 2003 et entrée en vigueur le 1er juin 2003), art. 14, en ligne à
www.moniteur.be/index_fr.htm.
[74]Isabelle LAMMERANT, L’adoption et les droits de l’Homme en droit comparé, Bruylant, Bruxelles et
L.G.D.J., Paris, 2001, no 573, p. 553. Tel est aussi le cas de l’adoption simple du droit français (Code
civil français, art. 362). Comme l’écrit le professeur Patrick Courbe, « [l]e jugement qui prononce
l’adoption simple n’est pas obligatoirement transcrit sur les registres de l’état civil. Une mention de
l’adoption en marge de l’acte de naissance de l’adopté suffit [...]. Son acte de naissance originaire est
toujours valable. Solution qui s’explique par le fait que l’adopté garde tous ses liens avec sa famille
d’origine» : Droit de la famille, 2e éd., Paris, Armand Colin, 2001, p. 388, n( 995. Voir supra.

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[75]Comme l’expliquent les professeurs Philips-Nootens et Lavallée, l’adoption néerlandaise constitue

en premier lieu un mécanisme de protection de l’enfant, elle est conçue comme un simple transfert
des droits parentaux avant que d’être un mécanisme d’établissement de la filiation» : Suzanne
PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à l’instrumentalisation : La filiation en
question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE, (dir.), L’union civile : nouveaux
modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 337,
à la page 357.
[76]En vertu de ce modèle, conceptualisé par l’anthropologue québécoise Françoise-Romaine
Ouellette, «[…] chaque individu est issu de deux autres individus d’une génération ascendante et de
sexe différent qui l’auraient en principe conjointement engendrée, ses père et mère» : Françoise-
Romaine OUELLETTE, «Les usages contemporains de l’adoption», dans Agnès FINE (dir.), Adoptions :
ethnologie des parentés choisies, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, p. 153, aux pages 156-
157. Pour un exposé sur les autres modèles de parenté qui ont pu exister dans certaines sociétés, voir
Anne CADORET, «La filiation des anthropologues face à l’homoparentalité», dans Daniel BORRILLO,
Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de
l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 205.
[77]Évidemment, il faut demeurer conscient qu’en matière de régulation sociale, l’objectivité ne sera

jamais que relative. Commentant cette réalité, Danièle Loschak observe : « […] derrière les calculs
prétendument objectifs se dissimulent des systèmes d’évaluation qui restent fondamentalement
normatifs et n’échappent pas à l’emprise des valeurs dominantes» : «Droit, normalité et
normalisation», dans Le droit en procès, Paris, P.U.F., 1983, p. 52, à la page 75. Cela étant, certains se
commettent dès aujourd’hui à préjuger des conséquences d’une filiation homoparentale sur l’enfant.
Pour un préjugé hautement favorable, voir Marie-France BUREAU, «L’union civile et les nouvelles
règles de filiation au Québec : contrepoint discordant ou éloge de la parenté désirée», p. 6 disponible
en ligne à l’adresse suivante:
http://www.chairedunotariat.qc.ca/fr/conferences/uciv/bureau2002.pdf . Pour un préjugé
défavorable, voir Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à
l’instrumentalisation : la filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE,
(dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2003, p. 337 et Catherine LABRUSSE-RIOU, «La filiation en mal d’institution»,
(1996) 227 Esprit 91, 93 et 105-106. Sur le sujet, voir également les propos de la psychanalyste
Caroline ÉLIACHEFF dans «Malaise dans la psychanalyse», (2001) 273 Esprit 62, 76.
[78]Il est intéressant de noter que certains couples de même sexe se rallieraient eux-mêmes au

principe voulant qu’un enfant puisse n’avoir qu’une seule mère et qu’un seul père. Ainsi, l’ethnologue
Anne Cadoret écrit : « La famille homosexuelle, quelle que soit la forme d’entrée dans la parenté
choisie, doit décider des termes d’appellation de chacun des membres du couple; très peu demandent
à être tous(tes) les deux appelé(e)s «Maman» ou «Papa». Dans les appellations de parenté, on note
donc un respect implicite de la règle fondamentale de notre système terminologique où ces termes de
«Maman» et «Papa» restent uniques, parfaitement descriptifs, parce qu’on n’est engendré que par une
seule femme et un seul homme. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’une autre appellation de parenté
est souvent recherchée; soit les parents choisissent d’être appelés de la même manière, voulant ainsi
uniformiser et consolider leurs rôle et statut de parenté; les parents seront ainsi tous les deux appelés
«Maman» ou «Papa», suivi du prénom, «Maman Marie» par exemple, soit encore, un des membres du
couple, celui qui est le parent légal (et aussi biologique lors de l’insémination) est appelé
«normalement» «Maman» ou «Papa»; et la ou le partenaire est appelé(e) par un autre terme de
parenté comme «tante»/«oncle», «marraine»/«parrain» ou encore «Maman Marie», «Papa Paul»…»:
Anne CADORET, «Figures d’homoparentalité», dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des
lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 169, à la page 172. À l’inverse,
il semble que les enfants vivant dans une famille homoparentale savent très bien différencier parent
et beau-parent : «Le second parent de même sexe – le compagnon ou la compagne – n’est pas perçu
comme un parent de substitution au parent de l’autre sexe, que celui-ci existe ou non. La différence de
sexe ou de genre limite cette possibilité d’autant plus que le besoin pour l’enfant d’avoir des référents
des deux genres est reconnu par tous. Ce compagnon ou cette compagne ne joue donc pas, au moins
au niveau explicite, le rôle de la mère ou du père non présent […] Cette personne peut être assimilée à
quelqu’un appartenant à la catégorie de la parenté spirituelle, un parrain ou une marraine qui prend
le relais des parents, non pas à titre exceptionnel (par exemple en cas de disparition des parents),
mais à titre permanent» : François DE SINGLY et Virginie DESCOUTURES, «La vie en famille
homoparentale», dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence
de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 193, aux pages 202 et 203. Voir cependant les observations
de A. Brewaeys et al. : «Insémination artificielle. Le fonctionnement familial et le développement des

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enfants dans des familles de mères lesbiennes», dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état
des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 230, aux pages 233 et 235.
[79]Voir Irène THÉRY, «Le contrat d’union sociale en question», (1997) 236 Esprit 159, 179-182.
[80]Voir Élizabeth Roudinesco, La famille en désordre, Paris, Fayard, 2002.
[81]Anticipant l’accroissement constant des demandes d’adoption présentées par les couples de même
sexe, l’anthropologue québécoise Françoise Romaine Ouellette écrivait, en 1996 : «[l]’enfant adopté
par deux personnes de même sexe […] serait […] délibérément marginalisé par rapport à un système
de filiation que l’on peut considérer comme un bien symbolique commun. […] [s]i un jour le
législateur permet à deux personnes de même sexe d’adopter conjointement un enfant, le sens de
l’adoption – et, avec elle, du lien parent-enfant, s’en trouvera nécessairement altéré» : Françoise-
Romaine OUELLETTE, «Les usages contemporains de l’adoption», dans Agnès FINE (dir.), Adoptions :
ethnologie des parentés choisies, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, p. 153, à la page 168.
D’autres classent plutôt l’adoption homoparentale au rang des «innovations» que pourraient justifier
les changements qu’a connu le «contenu de l’adoption» au cours de l’histoire : Agnès FINE, «Adoption,
filiation, différence des sexes», dans Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés
et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 73, à la page 85. Pour une synthèse du débat
anthropologique que soulève la conjugalité homosexuelle et la filiation homoparentale : Éric FASSIN,
«La voix de l’expertise et les silences de la science dans le débat démocratique», dans Daniel
BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de
l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 89.
[82]Voir François DAGOGNET, «La famille sans la nature : une politique de la morale contre le
moralisme», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise
familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 79.
[83]Certains prennent appui sur le système juridique de l’adoption simple pour plaider en faveur de la

filiation homoparentale. Ainsi, Pierre Verdier écrit : «Peut-on avoir deux pères et deux mères? La
question ne se pose pas, puisque, de fait, certains enfants ont plusieurs pères et mères. Par hypothèse,
tout ce qui existe est possible. Le droit le prévoit d’ailleurs dans le système de l’adoption simple où un
enfant peut avoir légalement avoir deux pères et deux mères, l’adoption simple étant une nouvelle
filiation qui s’ajoute à la filiation d’origine» : Pierre VERDIER, «Ce que l’adoption nous apprend à
propos des enfants qui ne sont pas nés de la sexualité de leurs parents», dans Martine GROSS (dir.),
Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000, p. 33,
à la page 38. D’autres encore évoquent l’admissibilité légale d’une adoption par un célibataire pour
appuyer leurs prétentions. Le droit, observent-ils, cautionne donc des dérogations au schème
biologique : «[…] notre société accepte que des individus célibataires adoptent (ce qui veut dire
explicitement que, pour la loi, l’enfant n’a pas besoin d’une mère et d’un père présents) […]» :
Geneviève DELAISI de PARSEVAL, «Qu’est-ce qu’un parent suffisamment bon?», dans Martine GROSS
(dir.), Homoparentalités, état des lieux. Parentés et différence de sexe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000,
p. 207, à la page 208. Sur la rationalité juridique du mariage gai et, plus accessoirement, de la filiation
homoparentale, voir également Daniel BORRILLO, «Fantasmes des juristes vs Ratio juris : la doxa des
privatistes sur l’union entre personnes de même sexe», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et
Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris,
P.U.F., 1999, p. 161.
[84]Une attente pendant laquelle les représentations culturelles de la filiation auraient sans doute
évolué, sous l’impulsion des vents de changements sociaux et juridiques qui, ces dernières années, ont
propulsé la conjugalité homosexuelle et l’homoparentalité à l’avant-scène. Dans cette perspective, on
peut penser que la prégnance du modèle de parenté généalogique sur lequel notre système de
filiation est fondé se relativisera avec les années et que d’autres modèles de filiation s’en trouveront
légitimés, y compris la filiation homoparentale. Ainsi, comme l’affirme Marie-Élizabeth Handman, «
[…] ce qui semble relever de la nature dans notre société relève uniquement de la culture. A quoi on
m’objectera que, même si les cultures sont d’une grande diversité, la nôtre est la nôtre et que l’on ne
saurait impunément en saper les fondements. Or il est non moins évident, au vu des évolutions
historiques, que les fondements pris pour naturels de chaque culture évoluent sous des pressions
d’ordre divers et que les cultures ne sont en rien figées» : «Sexualité et famille : approche
anthropologique», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS.
L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 245, à la page 259. Voir
cependant Françoise HÉRITIER-AUGÉ, «De l’engendrement à la filiation. Approche anthropologique»,
(1989) 44 Topique – Revue Freudienne 173, 174.

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[85]Selon
la présidente de la Coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints et conjointes
de même sexe, Mme Irène Demczuck, « […] plus de neuf enfants sur 10 qui ont un parent homosexuel
en ce moment sont nés d'unions hétérosexuelles antérieures […] » : Journal des débats, Commission
permanente des institutions, 5 février 2003, en ligne à
http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/ci/020205.htm.
[86]Voir Supra.
[87]Benoît MOORE, « Les enfants du nouveau siècle. Libres propos sur la réforme de la filiation», dans
Développements récents en droit de la famille 2002, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 75, p.
98 et suiv. et Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état inaliénable à
l’instrumentalisation : La filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte LEFEBVRE,
(dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2003, p. 337, aux pages 348-349.
[88]Commentant le droit français, comparable (avec quelques variantes) au droit québécois sur ce
point, la sociologue Irène Théry dénonce ce vide en ces termes : « Alors même qu’il vit
quotidiennement avec l’enfant, participe à sa prise en charge et son éducation, le beau parent ne
dispose d’aucun droit ni devoir d’autorité parentale […]. La non reconnaissance par le droit civil d’une
responsabilité alors qu’elle est exercée en fait […] est dommageable. » : Irène THÉRY, Couples,
filiation et parenté aujourd’hui – Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, Rapport à
la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, Éditions
Odile Jacob, 1998, p. 215. Il faut toutefois mentionner que la relation d’un enfant et du conjoint de son
parent est considérée dans plusieurs lois à caractère social. En permettant à l’enfant d’obtenir
différents bénéfices sociaux, ces lois traduisent plus ou moins directement la relation
d’interdépendance entre les protagonistes. Voir, notamment, la Loi sur le régime des rentes du
Québec, L.R.Q., c. R-9, art. 86, al. 1b) qui intègre le beau-fils ou la belle-fille aux personnes susceptibles
de bénéficier d’une prestation. Pour un exposé sur le sujet, voir Claire BERNARD, «Le statut juridique
de la famille recomposée et l’intérêt de l’enfant», (1999) 33 Revue Juridique Thémis 343, 355 et suiv.
[89]Loisur le divorce, L.R.C., 1985, c. 3 (2e suppl.), art. 2(2). Comme la Cour suprême l’a écrit en 1998 :
« L'interprétation la plus favorable à l'intérêt des enfants est celle qui veut que lorsque des personnes
se comportent comme des parents à leur égard, les enfants peuvent s'attendre à ce que ce lien
subsiste et que ces personnes continuent à se comporter comme des parents » : Chartier c. Chartier,
[1999] 1 R.C.S. 242, 258.
[90]Quelques jugements ont confirmé cette absence de relation juridique. Voir, notamment, V.A. c. S.F.,
[2001] R.J.Q. 36, (C.A.); Droit de la famille-2347, [1996] R.D.F. 129 (C.S.); Droit de la famille1860,
[1993] R.D.F. 598 (C.S.). Voir cependant Droit de la famille-3687, [2000] R.D.F. 505 (C.S.) où le
tribunal semble, au contraire, reconnaître la potentialité juridique d’une telle relation en droit
québécois. Contrairement au Québec, la quasi-totalité des autres provinces canadiennes attribuent
des obligations et des droits parentaux au conjoint de fait à l’occasion de la rupture conjugale. Voir
Colombie-Britannique: Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128, art. 1 et 88; Ile-du-Prince-Édouard:
Family Law Act, 1995 S.P.E.I., c. F-2.1, art. 1(1)(e) et 31.1(1); Manitoba : Family Maintenance Act,
R.S.M. c. F-20, art. 1 et 36(1); Nouveau-Brunswick: Family Services Act, S.N.B. c. F-2.2, art. 1 et 113;
Nouvelle-Écosse: Maintenance and Custody Act, R.S.N.S. 1989, c. 160, art. 8; Ontario: Family Law Act,
R.S.O. 1990, c. F.3, art. 1 et 31(1); Saskatchewan: The Family Maintenance Act, S.S. 1997, c. F-6.2, art. 2
et 3(1) et Terre-Neuve: Family Law Act, R.S.N. 1990, c. F-2, art. 2(1)(d) et 37.
[91]Ainsi,le tribunal conserve toute discrétion pour octroyer la garde de l’enfant ou des droits d’accès
à toute personne autre que le parent de l’enfant (y compris le conjoint), s’il estime que l’intérêt de
l’enfant le justifie : C.c.Q., art. 33, 605 et 606. La Cour suprême a d’ailleurs confirmé ce principe en
1987 dans l’affaire G.C. c. T.V.-F., [1987] 2 R.C.S. 244. En pratique cependant, il semble que les
tribunaux n’attribuent qu’exceptionnellement la garde ou des droits d’accès à d’ex-conjoints de fait.
Voir Michel TÉTRAULT, «L’enfant et les droits d’accès du parent psychologique», dans
Développements récents sur l’union de fait (2000), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 51, à la
page 55, de même que les décisions recensées par l’auteur aux pages 57 et suiv.
[92]Mes italiques. L.R.Q., c. C-12.
[93]On aura reconnu ici l’une des quatre fonctions du droit dégagées par Vincenzo Ferrari, soit le « […]
(net drive(, c’est-à-dire le pouvoir [du droit] d’orienter globalement une société vers des buts
utilitaires» : «Fonction du droit», dans André-Jean ARNAUD et al., Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du droit, 2e éd., Paris, L.G.D.J. et É. Story-Scienta-éditions juridiques et fiscales,
1993, p. 267. Ainsi, comme l’explique longuement Jacques Chevallier, « [l]e droit est aussi un discours
imprégné des valeurs fondamentales qui assurent la cohésion du groupe social et transcrivant [sic]

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les déterminations élémentaires qui sont au coeur de l’ordre social : dans la norme juridique se
profile une certaine conception de la (normalité(, pétrie des représentations sociales dominantes. Or,
le droit est un vecteur privilégié de diffusion et d’inculcation de ces valeurs et de ces normes, dans la
mesure où la conjugaison de la systématicité et de la force persuasive confèrent à son discours une
singulière puissance persuasive, en la parant du privilège de l’incontestabilité; les représentations
qu’il véhicule bénéficient en effet par projection tout à la fois de l’aura de « rationalité » qui nimbe
l’ordre juridique entier et de l’ « autorité » qui s’attache à ses énoncés : la force obligatoire n’est pas
limitée au dispositif instrumental, elle s’étend aux valeurs qui en sont le soubassement. Parallèlement
à son contenu explicite, le texte juridique impose par voie d’autorité un ensemble de croyances, dont
la certitude ne saurait être mise en doute : il suffit qu’elles soient enchâssées dans la loi pour devenir
incontestables et sacrées» : «L’ordre juridique», dans Le droit en procès, Paris, P.U.F., 1984, p. 7, à la
page 29. Sur l’effet « pédagogique » ou « éducatif » de la loi, voir également Jean CARBONNIER,
Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris, L.G.D.J., 2001, p. 155 et suiv.
[94]Cefaisant, l’État a marqué de manière formelle l’entrée des couples de même sexe au sein de ce
que Jacques Commaille et Claude Martin appellent le «régime de citoyenneté»: «Les conditions d’une
démocratisation de la vie privée», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-
delà du PaCS. L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 61, aux pages
75-58.
[95]Pour une analyse des valeurs sous-jacentes aux aspirations des gais et lesbiennes, voir Andrée

LAJOIE, Quand les minorités font la loi, Paris, P.U.F., 2002, p. 34 et suiv.
[96]Pourune perspective similaire, voir Suzanne PHILIPS-NOOTENS et Carmen LAVALLÉE, «De l’état
inaliénable à l’instrumentalisation : La filiation en question», dans Pierre-Claude LAFOND et Brigitte
LEFEBVRE, (dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 337, à la page 353.
[97]Ilfaut ainsi se réjouir du récent dépôt, par le ministre de la Justice du Canada, d’un avant-projet de
loi élargissant les conditions d’accessibilité du mariage civil au bénéfice des couples de même sexe:
«Le mariage est, sur le plan civil, l'union légitime de deux personnes, à l'exclusion de toute autre
personne». Cet avant-projet fait actuellement l’objet d’un renvoi devant la Cour suprême du Canada :
Voir MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, Le ministre de la Justice annonce un renvoi devant la
Cour suprême du Canada, Communiqué, Ottawa, 17 juillet 2003. Selon toute vraisemblance, l’avant-
projet fédéral fait suite aux décisions de certains tribunaux canadiens ayant déclaré, au cours des
derniers mois, l’exclusion des couples de même sexe de la définition du mariage civil contraire au
droit à l’égalité garanti par l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982) [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982), R.-U., c. 11]). Voir
Hendrick c. P.G., J.E. 2002-1742 (C.S.) (Québec); Halpern c. Canada attorney general, (2003) C.A.O.
Docket: C39172 et C39174 (Ontario) et Egale Canada inc. c. Canada(Attorney General of), 2003 B.C.J.
No. 994 (Colombie-Britannique).
[98]Certains ne partagent manifestement pas cette perspective. Ainsi, Éric Dubreuil écrit : « Le désir
d’enfant n’est pas moins fort chez un homosexuel que chez un hétérosexuel. De ce fait, l’homosexuel
doit avoir les mêmes droits qu’un hétérosexuel par rapport à cela […] un homosexuel doit pouvoir se
marier s’il le veut et avoir le droit d’avoir des enfants s’il le désire » : Des parents du même sexe, Paris,
Odile Jacob, 1998, p. 80 (cité dans Claude HALMOS, «L’adoption par des couples homosexuels : et
l’enfant?», Psychologies, Paris, mai 1999, p. 28).
[99]«[…] les questions du mariage et de la filiation sont posées au moment même où les réponses ne
sont plus données de manière transcendante. Il convient donc de les produire : ce sont bien des choix
politiques. Loin d’être soustraite au débat démocratique, la définition du mariage et de la filiation y
est désormais immanente» : Éric FASSIN, «La voix de l’expertise et les silences de la science dans le
débat démocratique», dans Daniel BORRILLO, Éric FASSIN et Marcela IACUB (dir.), Au-delà du PaCS.
L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, Paris, P.U.F., 1999, p. 89, à la page 92.

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