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COUR D’APPEL
N° : 200-10-003459-174
(200-36-002390-169) (C.M.Q.: 223027-90679514)
ANDRÉ BÉRUBÉ
APPELANT – accusé
c.
VILLE DE QUÉBEC
INTIMÉE – poursuivante
ARRÊT
[2] Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Bouchard et
Gagnon, LA COUR :
[6] DÉCLARE contraires aux al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne des droits et
libertés, invalides et inopérants, tels qu’ils sont actuellement rédigés, l’alinéa 1 ainsi que
Me Enrico Théberge
DUMAS GAGNÉ THÉBERGE
Pour l’appelant
Me Steve Marquis
GIASSON ET ASSOCIÉS
Pour l’intimée
[10] Il faut à mon avis répondre à cette question par la négative, et ce, pour les
raisons qu’exposent les pages suivantes, dont voici l’essentiel : quoique la mesure
réglementaire contestée soit rationnellement liée à l’objectif poursuivi, lui-même
« urgent et réel », elle ne répond pas aux exigences de l’atteinte minimale, notamment
parce qu’elle pourvoit à la répression d’une manifestation pacifique par une sanction
pénale de responsabilité stricte. Les effets préjudiciables de cette mesure l’emportent
par ailleurs sur ses effets bénéfiques.
I. CONTEXTE
[11] Voici d’abord les extraits pertinents du Règlement sur la paix et le bon ordre
(« Règlement »)5, tel qu’en vigueur à l’époque des faits donnant lieu au litige :
1
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, ch. 11 (R.‑ U.) (« Charte canadienne »).
2
Québec (Ville de) c. Bérubé, 2016 QCCM 122.
3
Bérubé c. Ville de Québec, 2017 QCCS 5163 (« jugement de la Cour supérieure »).
4
Voir : Bérubé c. Ville de Québec, 2018 QCCA 88, et Bérubé c. Ville de Québec, 2018 QCCA 988.
5
Règlement R.V.Q. 1091. Ce règlement a originalement adopté par le conseil municipal de la Ville de
Québec en 2009, puis modifié en 2012 par le Règlement modifiant le Règlement sur la paix et le bon
ordre relativement aux manifestations, assemblées, défilés et attroupements, Conseil municipal de la
Ville de Québec, R.V.Q. 1959, entré en vigueur le 20 juin 2012 (« règlement modificateur »). Ce
règlement modificateur ajoute au texte original les art. 19.1 à 19.5 ainsi qu’une définition du terme
« manifestation », à l’art. 1. D’autres modifications ont également été apportées au règlement
original, mais elles ne sont pas pertinentes à l’espèce et il n'en sera donc pas question ici.
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« rue » : une rue, une ruelle, un chemin, un trottoir, un passage, une promenade
un autre endroit dédié à la circulation des piétons, des bicyclettes ou des
véhicules routiers.
Une manifestation est illégale dès que l’une des situations suivantes
prévaut :
[…]
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Si l’infraction est continue, cette continuité constitue, jour par jour, une
infraction séparée et l’amende édictée pour cette infraction peut être infligée pour
[12] La définition du terme « manifestation », que l’on trouve à l’art. 1, ainsi que
l’art. 19.2 furent introduits au Règlement en juin 2012, à la suite des rassemblements,
attroupements et défilés du « printemps érable », qui auraient eu, semble-t-il, des effets
perturbateurs. Selon la note explicative accompagnant le règlement modificateur 6 :
Ce règlement modifie le Règlement sur la paix et le bon ordre afin d’établir des
règles applicables lors de manifestations, défilés ou attroupements. Ces règles
visent à assurer la paix, le bon ordre et la sécurité des personnes et des biens
lors de tels évènements. Elles tendent assurer un juste équilibre entre l’exercice
du droit fondamental à la liberté d’expression, le maintien de l’ordre et de la paix
sur le territoire de la Ville de Québec, la protection des personnes et des biens et
l’accès au domaine public pour l’ensemble des citoyens.7
[13] C’est par le truchement de l’art. 19.2 (et par celui d’autres dispositions que
l’appelant n’a pas contestées8), dont la sanction est assurée par les art. 20 et 21, que
l’intimée entend atteindre cet objectif. Ainsi :
6
Supra, note 5.
7
Cette note explicative reproduit presque mot pour mot le texte de l’avis de motion qui a précédé
l’adoption du règlement modificateur.
8
Je n’en mentionnerai qu’une, soit l’art. 19.5, qui énonce que :
19.5 Il est interdit de gêner la circulation des citoyens sur un trottoir, une place publique ou un
passage piétonnier ou de les priver de l’utilisation normale d’une partie du domaine public.
9
Jugement de la Cour municipale, paragr. 122 et 134.
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vivendi et l’on rechignerait désormais à fournir sous la contrainte ce que l’on donnait
autrefois de bonne grâce.
B. Contexte et jugements
[17] Un constat d’infraction sera remis par la suite à l’appelant. Ce constat, daté du
8 mars 2013, décrit ainsi l’infraction qui lui est reprochée : « avoir tenu ou participé à
une manifestation illégale sur le domaine public » et mentionne l’art. 19.2 du
Règlement, sans autre précision.
[18] L’appelant subit son procès les 5 octobre et 27 novembre 2015, devant le juge
Ouellet de la Cour municipale de Québec. Il fait valoir comme seul moyen de défense
l’invalidité de l’art. 19.2 du Règlement, qui enclencherait l’application d’un régime
contrevenant aux al. 2b) (liberté d’expression) et c) (liberté de réunion pacifique) de la
Charte canadienne. Il allègue également violation de l’art. 7 de ladite charte, mais
abandonne ultérieurement cette prétention. Par ailleurs, l’intimée ne conteste pas
10
Voir le jugement de la Cour municipale, paragr. 39. Voir également le témoignage du lieutenant
Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 162.
11
En consultant certains réseaux sociaux, révèle la preuve (voir jugement de la Cour municipale,
paragr. 16; voir également le témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du
5 octobre 2015, p. 134).
12
Voir le jugement de la Cour municipale, paragr. 42 et 43. Voir également le témoignage du lieutenant
Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 176-178 et 181-182.
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l’existence d’une atteinte à l’art. 213, atteinte qui serait toutefois justifiée en vertu de
l’art. 1 de la Charte canadienne.
[20] Estimant que « [l]a participation à une manifestation combine le droit à la liberté
d'expression à celui de se réunir pacifiquement »14, le juge se penche en premier lieu
sur la question de savoir si l’art. 19.2 du Règlement attente à ces libertés :
[21] L’analyse à laquelle procède alors le juge en application du test élaboré par la
Cour suprême dans l’arrêt Oakes15 l’amène à conclure que les paragraphes 1 et 2 du
second alinéa de l’art. 19.2 du Règlement et l’exigence de préavis qu’ils contiennent
restreignent la liberté d’expression (et de réunion) d’une manière raisonnable dans une
société libre et démocratique, ce qui n’est toutefois pas le cas du paragraphe 3 de cette
disposition.
[22] Le juge estime ainsi que l’objectif sous-jacent à l’art. 19.2 est réel et urgent : il
s’agit d’assurer la paix, le bon ordre et la protection des personnes et des biens lors des
manifestations, l’usage libre et sécuritaire des voies publiques par tous de même que la
circulation des services d’urgence (pompiers, ambulanciers, etc.), et ce, afin de prévenir
la survenance de préjudices sérieux, réels ou appréhendés, ou d’y remédier.
[23] Le juge estime aussi que la mesure choisie par l’intimée afin d’assurer la
réalisation de cet objectif est proportionnelle à celui-ci. Tout d’abord, il existe à son avis
13
Elle le confirme dans son exposé d’appel, p. 2 : « Ayant reconnu en première instance que la
disposition litigieuse constitue une atteinte à la liberté d’expression de l’appelant […] ».
14
Jugement de la Cour municipale, paragr. 110.
15
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.
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[131] Les seules exigences des deux paragraphes de l'article sont donc de
divulguer l’endroit, l’heure et l’itinéraire, (aucun délai n’est prévu) et ne pas
modifier un tel itinéraire. La preuve révèle que la divulgation de l’itinéraire peut se
faire sur place au moment où les manifestants décident de se mettre en marche.
[…]
[133] Le Tribunal est d’avis que l’exigence d’un avis préalable avec délai serait
une contrainte minimale et serait constitutionnellement valide.
[134] Pour le défendeur (et ses témoins), la preuve révèle que l'exigence est
minimale puisqu'avant avril 2012, il s'exécutait volontairement. En raison de
l’adoption du Règlement, le refus de continuer la tradition est idéologique.
Toutefois, le Tribunal ne peut statuer sur la question en fonction de l’opinion du
défendeur, mais bien pour tout citoyen qui désire s'exprimer sur la place
publique.
16
Garbeau c. Montréal (Ville de), 2015 QCCS 5246, affaire relative à la validité de l’art. 500.1 du Code
de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2, au regard des libertés d’expression et de réunion pacifique.
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s’exprimer. À ce stade, une fois l’effet de surprise passé, cela implique une
certaine forme de consensus. On ne peut tenir une réunion (au sens de la
Charte) sans qu'un certain nombre de personnes s'entendent, au minimum, sur
[139] Le Tribunal convient que ce type de manifestation est très rare à moins,
que de façon plus ou moins organisée, on ne feigne la surprise.
réunion et sur certaines décisions qui s'y prennent; une manifestation n'est pas
une rencontre sociale sans but et qui ne s'exprime sur rien.
[148] Par contre pour celle où personne ne veut se rendre responsable, cela
implique à tout le moins un initiateur et elle s'apparente à la manifestation
spontanée; à la différence qu'il y a un certain laps de temps entre la décision
d'inviter et la tenue de la manifestation, ce qui donne l’opportunité d’aviser les
autorités du lieu et de l’heure.
[149] Force est de constater que le simple avis de la tenue d'une manifestation
et la divulgation de l'itinéraire sont des exigences peu contraignantes et
permettent l’application de l'article 1 de la Charte dans une société libre et
démocratique.
[150] La liberté dans une société démocratique est celle qui est notamment
définie comme suit dans Le Nouveau Petit Robert sous le titre dans le Domaine
politique et social :
[24] S’il conclut donc que les deux premiers paragraphes du second alinéa de
l’art. 19.2 sont valides au regard de l’art. 1 de la Charte canadienne, le juge est
cependant d’avis que ce n’est pas le cas du troisième paragraphe (qui vise la
commission d’actes de violence ou de vandalisme) : celui-ci impose à la liberté
d’expression une limite trop sévère, qui n’a pas les caractéristiques de l’atteinte
minimale et dont les effets préjudiciables l’emportent sur les effets bénéfiques :
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[…]
[162] Comme il existe des moyens moins contraignants, le Tribunal est d’avis
qu’il y a une disproportion entre l’effet préjudiciable et le bénéfice de l’objectif de
sécurité (Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; Hutterian
Brethren of Wilson Colony, précité).
[26] Par voie d’avis déposé au greffe de la Cour supérieure, conformément aux art.
267 et 270 à 272 C.p.p., l’appelant se pourvoit. Avant d’aborder le jugement qui, le
10 novembre 2017, rejette cet appel, il convient de préciser trois choses.
[27] D’une part, l’intimée n’a pas fait appel de la déclaration du juge de la Cour
municipale relative au paragraphe 3 du second alinéa de l’art. 19.2 du Règlement,
disposition qui ne sera donc pas débattue devant la Cour supérieure, pas plus qu’elle
ne l’est dans le présent appel. D’autre part, l’intimée, tout comme devant la Cour
municipale, n’a pas non plus contesté l’atteinte à la liberté d’expression (et de réunion
pacifique) garantie par la Charte canadienne. Enfin, il appert que l’appelant lui-même
n’a pas remis en cause l’objectif que poursuivait l’intimée par l’adoption, en juin 2012,
des art. 19.2 et autres du Règlement, objectif qui « consiste à assurer la protection des
personnes et des biens ainsi que l’accès au domaine public pour l’ensemble des
citoyens lors de manifestations »19. L’appelant ne s’en est pris qu’à la proportionnalité20
de la mesure contestée (lien rationnel, atteinte minimale, pondération des effets
bénéfiques et préjudiciables).
17
Jugement de la Cour municipale, paragr. 164.
18
Ce qui ressort du paragr. 155 du jugement de la Cour municipale.
19
Jugement de la Cour supérieure, paragr. 29.
20
Jugement de la Cour supérieure, paragr. 30.
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[28] Le débat étant ainsi circonscrit, la Cour supérieure, sous la plume de la juge
Gagné, telle qu’alors, écarte en ces termes le premier argument de l’appelant, qui porte
sur la nature de l’infraction créée par l’art. 19.2 du Règlement et, implicitement, la
nature de l’atteinte :
[14] Je suis d’avis que, même avant la Charte, il fallait interpréter l’article
66 comme ne rendant pas coupable le membre d’un rassemblement qui
n’aurait pas eu connaissance d’un fait donnant lieu de craindre que la
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paix ne fût troublée tumultueusement. Le droit pénal n’a jamais voulu punir
une personne qui ignore une situation de fait. (…)
[Caractères gras ajoutés]
[29] Rappelant ensuite que le moyen choisi par le législateur ou le régulateur appelle
un certain degré de déférence et n’a pas à être parfait, la juge entreprend de réviser
l’application du critère de proportionnalité.
[30] Tout comme le juge de la Cour municipale, elle conclut à l’existence d’un lien
rationnel entre l’objectif poursuivi par la disposition réglementaire et le moyen de sa
mise en œuvre :
[40] Il doit exister un lien rationnel entre le moyen choisi par l’intimée et
l’objectif qu’elle poursuit. Ce critère « n’est pas particulièrement exigeant »
[renvoi omis]. Comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Association de la
police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général) :
[…]
[41] Ici, on ne peut pas dire que le fait d’exiger de connaître l’heure et le lieu
ou l’itinéraire d’une manifestation, même dans le cas où l’itinéraire est divulgué à
la toute dernière minute, n’est pas rationnellement lié à l’objectif de sécurité visé
par l’intimée. Au contraire, la preuve démontre que ces renseignements facilitent
l’encadrement par les policiers. Comme l’explique le lieutenant Hamel, cet
encadrement vise à assurer la sécurité des manifestants et du public en général :
R. (…) en premier lieu, c’est que les droits de tous les gens soient respectés;
deuxième chose, c’est que les gens qui font l’activité soient sécurisés, qu’elle
se fasse sans danger; et que tout ce qu’il y a comme services d’urgence de
la Ville ne soient pas pénalisés dans le sens qu’ils peuvent fonctionner, tout
simplement, comme il doit être, là. [renvoi omis]
[31] Selon la juge, le fait que, dans le passé, les policiers n’arrêtaient pas les
manifestants ayant fait défaut de les instruire de la tenue de la manifestation ou de
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[47] De toute façon, à supposer que le SPVQ ait fait montre d’une certaine
[54] C’est aussi l’opinion de la juge Masse dans Villeneuve c. Montréal (Ville
de) [renvoi omis] au sujet d’une disposition réglementaire similaire :
21
Jugement de la Cour supérieure, paragr. 49.
22
Supra, note 16.
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dont la tenue résulte d’une coïncidence » [renvoi omis]. Selon elle, de telles
manifestations se produisent rarement [renvoi omis].
[57] Le Tribunal partage ce point de vue. Dans la très grande majorité des
cas, les paragraphes 1 et 2 de l’article 19.2 du Règlement ne feront pas obstacle
à une manifestation « instantanée » ou « surprise ». Les participants à une
manifestation de ce type pourront toujours, une fois sur place, se concerter pour
dévoiler leur itinéraire à la police. Il vaut de rappeler qu’en l’espèce, les
manifestants ont fait l’inverse, c’est-à-dire qu’ils se sont concertés pour ne pas
dévoiler leur itinéraire.
[58] À supposer que le moyen choisi puisse, dans de rares cas, empêcher la
tenue d’une manifestation vraiment « instantanée » ou « surprise », il se situerait
tout de même « à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables » [renvoi
omis]. Du reste, l’appelant n’a suggéré aucune mesure qui serait moins
attentatoire et tout aussi efficace pour permettre à l’intimée de réaliser son
objectif.
[Je souligne]
[61] Ainsi, l’exercice du droit de manifester sur le domaine public, bien que
couvert par la liberté d’expression, doit s’harmoniser autant que possible avec la
destination première du lieu.
(…) Ces règles visent à assurer la paix, le bon ordre et la sécurité des
personnes et des biens lors de tels événements. Elles tendent à assurer un
juste équilibre entre l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression,
le maintien de l’ordre et de la paix sur le territoire de la Ville de Québec, la
protection des personnes et des biens et l’accès au domaine public pour
l’ensemble des citoyens. [renvoi omis]
23
[1991] 1 R.C.S. 139.
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[…]
[67] C’est le cas ici. Compte tenu de l’importance de l’objectif poursuivi par
l’intimée et de l’atteinte somme toute minimale à la liberté d’expression, le
Tribunal conclut que les paragraphes 1 et 2 de l’article 19.2 du Règlement fixent
des balises raisonnables et justifiées dans une société libre et démocratique.
II. ANALYSE
[37] La seule question en litige est donc celle de savoir si les mesures litigieuses,
bien qu’elles enfreignent l’art. 2 de la Charte canadienne, ce que ne conteste pas
l’intimée, sont justifiées dans une société libre et démocratique au sens de l’art. 1 de
cette même charte. Dans ce cadre, il s’avérera toutefois nécessaire de se pencher sur
la nature précise de l’atteinte en cause. Pour le reste, l’existence d’un « objectif urgent
24
2018 QCCA 321.
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A. Observations préliminaires
[39] Deux observations préliminaires sont ici de mise : la première se rapporte à une
dimension négligée de la présente affaire, qui concerne la liberté de réunion pacifique;
la seconde, d’un tout autre ordre, rappelle l’importance du domaine public comme lieu
d’exercice des libertés d’expression et de réunion pacifique.
[40] Devant la Cour municipale comme devant la Cour supérieure, le débat fut mené
principalement sous le signe de la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte
canadienne. C’est encore le cas en appel, quoique certains passages de l’exposé de
l’appelant renvoient à la liberté de réunion pacifique, protégée par l’al. 2c) de ladite
charte. Les jugements antérieurs ne font cependant que de brèves allusions à cette
seconde liberté, le juge de la Cour municipale ayant conclu, comme on l’a vu, que « [l]a
participation à une manifestation combine le droit à la liberté d'expression à celui de se
réunir pacifiquement »26 et ayant analysé l’affaire essentiellement sous l’angle de la
première.
25
RLRQ, c. C-12.
26
Jugement de la Cour municipale, paragr. 110 (reproduit supra, paragr. [20]).
27
C’est un rapprochement – voire un amalgame – fréquent et noté. Voir par ex. : Guy Régimbald et
e
Dwight Newman, The Law of the Canadian Constitution, 2 éd., Toronto, LexisNexis, 2017, §22.70-
22.75. On inclut même souvent la liberté de réunion pacifique dans le grand giron de la liberté
d’expression, dont elle est issue et dont elle serait la manifestation collective et publique. Voir par
e
ex. : Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6 éd., Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2014, paragr. XII-5.4 et XII-5.31; Irwin Cotler, « Freedom of Assembly,
Association, Conscience and Religion », dans Walter Tarnopolsky et Gérald-A. Beaudoin (dir.), The
Canadian Charter of Rights and Freedoms – Commentary, Toronto, Carswell, 1982, 123, p. 138-139.
Cela n’est pas en soi problématique, nombre de situations appelant concomitamment la protection de
plusieurs garanties fondamentales (« Fundamental freedoms tend to travel together », a déjà écrit le
professeur Cotler, dans l’article précité, p. 133), même si cela, dans le cas de liberté de réunion
pacifique, semble avoir freiné le développement d’un corpus propre à celle-ci.
28
Voir, par ex., la définition du Grand Robert de la langue française (édition numérique 4.1, 2017) :
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se réunissant afin d’exprimer une opinion ou de soutenir une cause : on manifeste pour
affirmer collectivement le point de vue partagé par les individus ainsi réunis29, « activité
expressive » par excellence, laquelle est protégée comme le discours lui-même30. C’est
d’ailleurs ainsi que l’art. 1 du Règlement définit la manifestation, alors qu’il parle de
[42] On peut bien sûr concevoir la « manifestation » d’une seule personne, qui se
posterait par exemple devant des bureaux gouvernementaux ou l'établissement d’une
société en brandissant une pancarte ou en scandant des slogans 32, mais le mot a
ordinairement une connotation collective, à laquelle renvoie expressément l’art. 1 du
Règlement.
32
Voir par ex. : Bracken v. Fort Erie (Town), 2017 ONCA 668.
33
Voir : G. Régimbald et D. Newman, supra, note 27, §22.72; Ken Norman, « Freedom of Peaceful
Assembly and Freedom of Association », dans Gérald-A. Beaudoin et Errol P. Mendes (dir.), Charte
canadienne des droits et libertés, Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 1996, 299; I. Cotler, supra, note 27,
p. 139. Voir aussi : Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général),
supra, note 29, paragr. 62 à 66.
34
À l’instar, d’ailleurs, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. A.G. 217A (III), Doc.
N.U. a/810 (1948) 71, art. 20, paragr. 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, ratifié par le Canada le 19 mai 1976, art. 21, ou de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950,
213 R.T.N.U. 221, entrée en vigueur le 3 septembre 1953 (dite « Convention européenne des droits
de l’homme »), art. 11, ainsi que de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, supra,
note 25, art. 3, instruments qui font tous de la liberté de réunion pacifique un droit distinct. On peut
mentionner également le Premier Amendement de la Constitution américaine, qui protège
expressément « the right of the people peaceably to assemble ». C’est également le cas de la
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, dont l’al. 1e) reconnaît la « liberté de réunion et
d’association » (outre les libertés de religion, de parole, de presse, etc.).
35
Voir : I. Cotler, supra, note 27, p. 139; G. Régimbald et D. Newman, supra, note 27, §22.70 et 22.73.
Je n’exclus pas ici l’idée d’une réunion dématérialisée ou d’un rassemblement prenant place par le
truchement de forums informatiques, mais je n’ai pas l’intention de m’avancer davantage sur ce point,
qui n’a nullement été abordé, s’agissant en l’espèce d’une manifestation tenue physiquement en un
lieu qui n’avait rien de virtuel.
36
B. S. Alexander, supra, note 29 (2018), p. 4.
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[45] Selon les termes d’un auteur, la liberté de réunion pacifique est pourtant « the
least judicially explored freedom »37 et l’on pourrait même dire qu’elle est,
doctrinalement et jurisprudentiellement, le parent pauvre du domaine des libertés
fondamentales garanties par l’art. 2 de la Charte canadienne38. Cela n’en fait pas pour
[47] Le domaine public et, plus précisément, la rue, le trottoir, la place ou le parc sont,
cela va sans dire, les lieux privilégiés, traditionnels et historiques de l’expression
collective et de la réunion populaire : ils forment le terrain naturel de la manifestation40.
Comme le rappelle la Cour suprême, succinctement, dans Greater Vancouver
Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants —
Section Colombie-Britannique41, sous la plume de la juge Deschamps :
37
B. S. Alexander, supra, note 29 (2018), p. 5.
38
Outre l’article cité à la note 37 ci-dessus, voir, sur ce thème : Roman Stoykewych, « Street Legal :
Constitutional Protection of Public Demonstration in Canada », (1985) 43 U. of T. Fac. L. Rev. 43;
G. Babineau, supra, note 29; P. Forget, supra, note 29, notamment aux p. 24-34. Ce serait
également le cas aux États-Unis; voir : John D. Inazu, « The Forgotten Freedom of Assembly »,
(2010) 84 Tulane Law Review 565.
39
Toutefois, selon certains auteurs, la liberté de réunion pacifique, particulièrement lorsqu’elle
s’exprime à travers le phénomène de la manifestation, ne paraît pas générer le même enthousiasme
que d’autres libertés : voir les textes cités aux notes 37 et 38 supra. Dans le même sens, voir :
Francis Villeneuve Ménard, « L’infraction d’attroupement illégal dans la régulation de la
manifestation : un embarras pour la théorie pénale », (2017) 47 R.G.D. 149; Marie-Ève Sylvestre,
Francis Villeneuve Ménard, Véronique Fortin, Céline Bellot et Nicholas Blomley, « Conditions
géographiques de mise en liberté et de probation imposées aux manifestants : une atteinte injustifiée
aux droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association », (2017) 62 R. D. McGill
923.
40
Kent Roach et David Schneiderman écrivent ainsi que « [s]treets and parks seem to be paradigmatic
of the sorts of public places available for the conduct of expressive activity » (Kent Roach et David
Schneiderman, « Freedom of expression in Canada », (2013) 61 S.C.L.R. (2d) 429, p. 480, renvoi
omis).
41
Supra, note 30. Le juge Fish écrit des motifs concourants.
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[1989] 1 R.C.S. 927; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697. L’activité par laquelle
on transmet ou tente de transmettre un message bénéficie de prime abord de la
protection de l’al. 2b) (Irwin Toy, p. 968‑ 969). De plus, la Cour a reconnu que
[48] Dans Montréal (Ville) c. 2952‑ 1366 Québec Inc.42, la juge en chef McLachlin et
la juge Deschamps, au nom des juges majoritaires43, écrivent que :
[49] Tous les espaces publics ne se prêtent pour autant pas à l’exercice de la liberté
d’expression ou de réunion pacifique et, comme l’expliquent la juge en chef McLachlin
et la juge Deschamps dans l’arrêt précité :
b) les autres caractéristiques du lieu qui laissent croire que le fait de s’y
exprimer minerait les valeurs sous‑ jacentes à la liberté
d’expression.44
42
Supra, note 30.
43
Le juge Binnie, dissident, conclut comme ses collègues à une atteinte à la liberté d’expression,
atteinte qu’il estime cependant n’être pas justifiée par l’art. 1 de la Charte canadienne. La plus grande
partie de son analyse est toutefois fondée sur le caractère ultra vires et déraisonnable du règlement
en cause.
200-10-003459-174 PAGE : 22
[37] Pour que le mode ou lieu de communication d’un message soit exclu de
[51] Selon cette grille d’analyse, les rues sont donc « manifestement des lieux de
rencontre publics et non privés, où diverses formes d’expression sont acceptées depuis
longtemps »46. Le même point de vue ressort de l’affaire Comité pour la République du
Canada c. Canada47, arrêt dans lequel la juge McLachlin, qui n’était pas encore juge en
chef, écrit par exemple que :
[…] Le droit à la liberté de parole a toujours été associé aux rues, aux chemins et
aux parcs, qui constituent tous des propriétés gouvernementales.48
44
Cette approche est parfois critiquée. Voir par ex. : Brian Slattery, « Freedom of Expression and
Location : Are There Constitutional Dead Zones? », (2010) 51 S.C.L.R. (2d) 245.
45
[2011] 1 R.C.S. 19.
46
Montréal (Ville) c. 2952‑ 1366 Québec Inc., supra, note 30, paragr. 28.
47
Supra, note 23.
48
Id., p. 230.
49
Id., p. 194.
200-10-003459-174 PAGE : 23
[TRADUCTION] La Bible elle‑ même démontre que la voie publique, qui est
en certains cas le seul moyen commode dont on dispose pour faire appel à
la collectivité, constitue depuis les temps les plus reculés le canal de ce
e
genre de communication. On trouve au 6 verset du chapitre XI de Jérémie
les mots suivants: « Proclame toutes ces paroles dans les villes de Juda et
dans les rues de Jérusalem… »
[53] Il en va de même aux États-Unis et l’on peut renvoyer ici aux propos du juge
Roberts de la Cour suprême des États-Unis dans Hague v. Committee for Industrial
Organization51 :
[…] Wherever the title of streets and parks may rest, they have immemorially
been held in trust for the use of the public and, time out of mind, have been used
for purposes of assembly, communicating thoughts between citizens, and
discussing public questions. Such use of the streets and public places has, from
ancient times, been a part of the privileges, immunities, rights, and liberties of
citizens.52
[54] La notion de « public forum » à laquelle s’intègre cette remarque n’a pas été
retenue par la Cour suprême du Canada, mais tant le droit canadien que le droit
américain, chacun par leur lorgnette, reconnaissent le même statut aux rues, trottoirs,
parcs et, généralement, à la « voie publique » ou à la « place publique » comme lieu
coutumier, normal et légitime de la liberté d’expression, mais aussi celui de la liberté de
réunion pacifique53.
[55] En fin de compte, les rues, les trottoirs, les places et les parcs sont non
seulement les lieux privilégiés de l’expression individuelle, mais aussi – et peut-être
même surtout – ceux de l’expression collective qui s’incarne dans les manifestations :
les manifestants qui les utilisent en font un usage légitime. Les rues, les trottoirs et les
places ont sans doute pour fonction quotidienne de permettre, selon le cas, la
circulation automobile, cycliste ou piétonnière, les parcs ayant habituellement une
50
[1953] 2 R.C.S. 299.
51
307 U.S. 496 (1939), p. 515.
52
Dans le même sens, voir : United States v. Grace, 461 U.S. 171 (1983), notamment aux p. 177 et
179 (motifs majoritaires du j. White), ainsi que 184 (motifs dissidents du j. Marshall).
53
Dans le même sens, voir l’analyse méticuleuse que le juge Cournoyer fait de la question dans :
Garbeau c. Montréal (Ville de), supra, note 16, paragr. 114-156. Voir aussi le jugement majoritaire
prononcé dans : Director of Public Prosecution v Jones, [1999] UKHL 5 (droit d’accès aux voies
publiques (« highways »), notamment aux fins d’y exercer la liberté de réunion pacifique (sous la
forme d’une manifestation pacifique), à la fois au regard de la common law et de l’art. 11 de la
Convention européenne des droits de l’homme). Voir également : Figueiras v. Toronto (City) Police
Services Board, supra, note 30, paragr. 71, 79-81.
200-10-003459-174 PAGE : 24
[57] Il faut souligner tout d’abord que les manifestations visées par les dispositions
réglementaires litigieuses sont des manifestations pacifiques. Certes, le paragr. 3 du
second alinéa de l’art. 19.2 cible les manifestations au cours desquelles des actes de
violence ou de vandalisme seraient commis, mais cette disposition, que la Cour
municipale a jugée « inopérante et inopposable », n’est pas en jeu ici. L’affaire ne
concerne donc pas des manifestations qui tourneraient à l’émeute ou seraient
l’occasion de la perpétration d’actes criminels, ce qui entraînerait de toute façon
l’application du Code criminel. Il est plutôt question ici de manifestations pacifiques, qui
sont rendues illégales (art. 19.2, al. 1 du Règlement) par le fait d’une contravention à
une exigence formelle (art. 19.2, al. 2, paragr. 1 et 2), contravention qui enclenche la
responsabilité pénale de l’organisateur, ainsi que celle de tout participant (art. 19.2, al.
1, 20 et 21). Il faut noter aussi que, indépendamment de cette responsabilité pénale, la
police, gardienne de l’ordre, pourra ordonner la cessation de la manifestation en raison
de cette illégalité. Il est vrai que le Règlement ne prescrit pas la dispersion de la
manifestation devenue illégale aux termes de l’art. 19.2 du Règlement, mais, vu le rôle
dévolu aux forces policières de prévenir et de réprimer les infractions aux règlements
municipaux, la chose va de soi54.
[58] On doit observer ensuite – et cela est capital – que le jugement de la Cour
municipale et celui de la Cour supérieure examinent la contravention constitutionnelle
54
Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1, art. 48, al. 1.
48 Les corps de police, ainsi que chacun de 48. The mission of police forces and of each
leurs membres, ont pour mission de maintenir police force member is to maintain peace, order
la paix, l’ordre et la sécurité publique, de and public security, to prevent and repress
prévenir et de réprimer le crime et, selon leur crime and, according to their respective
compétence respective énoncée aux articles jurisdiction as set out in sections 50, 69 and
50, 69 et 89.1, les infractions aux lois ou aux 89.1, offences under the law and municipal by-
règlements pris par les autorités municipales, et laws, and to apprehend offenders.
d’en rechercher les auteurs.
Pour la réalisation de cette mission, ils In pursuing their mission, police forces and
assurent la sécurité des personnes et des police force members shall ensure the safety of
biens, sauvegardent les droits et les libertés, persons and property, safeguard rights and
respectent les victimes et sont attentifs à leurs freedoms, respect and remain attentive to the
besoins, coopèrent avec la communauté dans needs of victims, and cooperate with the
le respect du pluralisme culturel. Dans leur community in a manner consistent with cultural
composition, les corps de police favorisent une pluralism. Police forces shall target an
représentativité adéquate du milieu qu’ils adequate representation, among their
desservent. members, of the communities they serve.
[Je souligne]
200-10-003459-174 PAGE : 25
sous le seul angle suivant, délimité par l’art. 19.2, al. 2 du Règlement : l’obligation de
communiquer au service de police un préavis de la date, de l’heure, du lieu d’une
manifestation et, le cas échéant, d’un itinéraire, ainsi que celle de respecter les
paramètres de ce préavis sont-elles justifiées par l’art. 1 de la Charte canadienne?
[59] La restriction n’est en effet pas que dans l’obligation de notifier le service de
police de l’heure, du lieu et, s’il y a lieu, de l’itinéraire d’une manifestation et de se
conformer à ce préavis. Elle est aussi – et surtout – dans le fait que la manifestation
pacifique tenue sans préavis ou hors les paramètres annoncés est illégale, d’où les
conséquences suivantes : 1° en vertu de la mission générale qui lui est confiée55, la
police peut en ordonner la cessation, ce qui met fin à l’activité expressive, et 2° la
participation à une telle manifestation de même que son organisation constituent une
infraction aux termes des art. 20 et 21 du Règlement et, plus exactement, une infraction
de responsabilité stricte, dont la commission est sanctionnée par une amende.
[60] Sur le premier point, il va sans dire que la discontinuation forcée d’une activité
expressive pacifique, et ce, par l’État (représenté en l’occurrence par le service de
police municipal), est une restriction aux libertés d’expression et de réunion.
[61] Sur le second point, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur les conditions
d’existence et d’application des infractions de responsabilité stricte, qui sont bien
connues et qui ont maintes fois été examinées par la Cour suprême, par exemple dans
les arrêts R. c. Sault Ste-Marie56 (arrêt-phare, qui distingue les infractions de mens rea
des infractions de responsabilité stricte ou absolue et qui établit la présomption voulant
que les infractions réglementaires, créées en vue de protéger le bien-être public, soient
de responsabilité stricte), R. c. Wholesale Travel Group Inc.57 (qui valide de telles
infractions au regard des art. 7 et 11, al. d) de la Charte canadienne), Lévis (Ville) c.
55
Voir supra, note 54.
56
[1978] 2 R.C.S. 1299, notamment aux p. 1325-1326.
57
[1991] 3 R.C.S. 154.
200-10-003459-174 PAGE : 26
[62] En l’espèce, la présomption établie par l’arrêt Sault Ste-Marie n’a pas été réfutée
par l’intimée. En effet, d’une part, les art. 19.2, 20 et 21 n’usent pas des mots
« volontairement », « sciemment », « intentionnellement », « avec l’intention de » ou
autres du genre, indicateurs de l’exigence d’une mens rea, et leur formulation ne
contient rien qui, implicitement, permettrait d’inférer une telle exigence. Le texte de ces
dispositions ne contient pas non plus le langage clair qui aurait été nécessaire pour
créer une infraction de responsabilité absolue62. D’autre part, l’objet et l’économie
générale de la réglementation (assurer la libre circulation et la sécurité des usagers, y
compris celle des manifestants) ainsi que la teneur de la peine (une amende de 150 $ à
1 000 $, pour la première infraction commise par une personne physique; une amende
de 300 $ à 2 000 $ en cas de récidive) sont entièrement compatibles avec l’idée d’une
infraction de responsabilité stricte. En ce sens, et au contraire de ce qu’indique le
jugement de la Cour supérieure, l’infraction ainsi créée se distingue du crime
d’attroupement illégal prévu par les art. 63 et 66 C.cr., qui requiert la mens rea63.
58
[2006] 1 R.C.S. 420, paragr. 13 et s.
59
[2013] 3 R.C.S. 756.
60
Id., paragr. 31.
61
2018 QCCA 234.
62
À ce propos, voir notamment : Ville de Saint-Jérôme c. Sauvé, supra, note 61, paragr. 40 et 60-69.
63
Lecompte c. R., J.E. 2000-1554 (C.A.), paragr. 15 (demande d’autorisation d’appel à la Cour
er
suprême rejetée, 1 mars 2001, n° 28171); Aubré c. R., 2005 QCCA 36, paragr. 14 et 19; R. c.
Aubin, 2008 QCCS 4543, paragr. 50 et s.
64
La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, supra, note 59.
200-10-003459-174 PAGE : 27
[64] Dans Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville)65, la Cour suprême,
65
[2014] 1 R.C.S. 784.
66
Id., paragr. 35.
67
Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629‑ 4470 Québec inc., supra, note 58, paragr. 30.
68
Voir : La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, supra,
note 59, notamment aux paragr. 57, 68-70 et 76.
69
Id., notamment aux paragr. 57 et 65. Voir généralement : R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, motifs
du j. en chef Lamer.
200-10-003459-174 PAGE : 28
[70] Quant à la manifestation surprise, elle est, elle aussi, en pratique, empêchée par
l’obligation de préavis instituée par l’art. 19.2 du Règlement : les citoyens qui voudraient
se présenter devant l’hôtel de ville afin de protester contre l’adoption de telle ou telle
mesure en augmentant l’impact de leur manifestation par un effet de surprise vont
perdre l’effet en question s’ils sont tenus de prévenir le service de police de leurs
intentions. Même chose pour les grévistes qui souhaiteraient organiser un piquetage
devant le siège social du fournisseur principal de leur employeur 70 et profiter, là encore,
70
Le piquetage, même secondaire, est une forme d’expression protégée par l’al. 2b) de la Charte
canadienne. Voir : S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd.,
supra, note 30.
200-10-003459-174 PAGE : 29
[71] Si, par ailleurs, l’imposition d’une exigence de préavis à l’organisateur d’une
manifestation (lorsqu’il en est) peut sembler peu contraignante au premier abord
(abstraction faite de la sanction pénale rattachée au défaut), il peut être en pratique
difficile pour le simple participant de s’assurer personnellement que le préavis a été
donné et que la manifestation se déroule conformément à ce préavis. Doit-il contacter
l’organisateur (lorsqu’il en est) pour s’assurer que le préavis a été remis? Doit-il obtenir,
s’il est prévu que la manifestation se déplace, une copie de l’itinéraire? Peut-il se fier à
la réponse qu’on lui donne sans faire d’autres vérifications? Doit-il plutôt contacter le
service de police pour s’assurer que le préavis requis a été fourni et s’informer de
l’itinéraire (on peut imaginer l’embarras que généreraient, pour la police elle-même, des
démarches de ce genre si elles devaient se multiplier)? Doit-il, sur place, vérifier (et
revérifier au besoin) auprès des policiers présents (s’il en est) le caractère légal de la
manifestation (ce qui, à première vue, paraît en dissonance avec l’idée de la liberté
d’expression et de réunion pacifique)? Doit-il quitter la manifestation dès qu’il se rend
compte qu’elle s’écarte du trajet prévu ou que certains participants dévient du chemin?
Quant à l’organisateur, pour revenir à lui, il pourrait éprouver des difficultés à assurer le
respect du préavis qu’il a donné. Pensons ici, par exemple, à une manifestation de type
défilé ou marche : l’organisateur pourrait peiner à assurer, sur le plan pratique, le
respect de l’itinéraire prévu, particulièrement si le nombre des manifestants est élevé.
Or, dans tous ces cas, un manquement engendre la responsabilité pénale du
participant et de l’organisateur71, avec le fardeau de preuve qui l’accompagne d’établir
sa diligence raisonnable.
71
Dans l’avis qu’elle donne au sujet de la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement
dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, L.Q. 2012, c. 12, la
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse se penche sur les art. 16 et 17,
qui instaurent un système de notification préalable, et elle évoque le même genre de problème :
Par ailleurs, bien que l’article 16 vise explicitement les organisateurs d’une manifestation, la
Commission souligne qu’il peut avoir pour effet d’enfreindre les libertés d’expression et de réunion
pacifique de toute personne qui souhaite participer à un rassemblement visé par cette disposition sans
pouvoir ou vouloir l’organiser. Ainsi, les obligations que prescrit la Loi pourraient spécifiquement avoir
pour effet de créer un doute dans l’esprit des gens à savoir si leur participation à une réunion ou une
manifestation sera considérée ou non comme une infraction. L’imprécision qui caractérise l’application
des interdictions de la Loi et la difficulté, voire l’impossibilité, pour les personnes désirant s’exprimer
dans le cadre d’une manifestation de savoir si elles seront 50 ou plus ou encore si les organisateurs de
celle-ci se sont pliés aux exigences de l’article 17 risquent de soulever des craintes de sanction non
fondée. L’article 16 de la Loi porte donc indûment atteinte aux libertés fondamentales puisqu’en raison
des sanctions qui y sont rattachées, certains préféreront s’abstenir d’exercer leurs libertés
fondamentales.
(Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec,
Commentaires sur la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par
les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent (L.Q. 2012, chapitre 12),
200-10-003459-174 PAGE : 30
[73] En tout respect, il y a dans cette suggestion d’intégrer les services policiers à la
préparation d’une manifestation (à quel stade? dès le début? seulement lorsqu'un
nombre suffisant de personnes ont répondu à l’invitation? lorsqu’il appert avec certitude
que la manifestation aura lieu?) quelque chose d’antinomique à la liberté d’expression
ou de réunion pacifique, qui s’apparente à une forme de surveillance étatique.
[74] Il faut tenir compte également du fait que, la « manifestation » étant définie de
façon très large par l’art. 1 du Règlement, celui-ci se trouve à cibler autant les
rassemblements politiques devant l’édifice de l’Assemblée nationale (peu importe la
taille du rassemblement, d’ailleurs, taille qui n’est pas un critère définitionnel retenu par
le Règlement), que les salariés qui font du piquetage primaire ou secondaire sur le
trottoir (exerçant ainsi un droit spécifiquement reconnu par la Cour suprême72) ou les
parents réunis dans un parc ou un centre sportif municipal afin d’apporter leur soutien
aux enfants qui participent à un match de hockey ou de soccer ou à l’adolescente qui
prend part à un concours provincial de natation. Il viserait même, si l’on s’en tient à la
lettre de l’art. 1 du Règlement, les personnes qui se rendent en groupe, à pied, à une
partie de football au stade du Pavillon de l’Éducation physique et des sports de
l’Université Laval et qui, marchant sur le trottoir, manifestent leur appui à l’équipe du
Rouge et Or en brandissant des drapeaux, en agitant des cloches ou en soufflant dans
leurs vuvuzelas. Dans tous ces cas, le préavis requis par l’art. 19.2, al. 2, paragr. 1,
préavis adressé au Service de police de l’intimée, est exigé (peu importe sa pertinence
véritable), de même que le respect de l’itinéraire (si les personnes sont appelées à se
déplacer ou, dans les faits, se déplacent), avec les conséquences pénales qui
s’ensuivent potentiellement si la notification n’a pas eu lieu.
[75] Tout cela pour dire que, en l’espèce, l’atteinte à l’art. 2 de la Charte canadienne
doit être définie non seulement en fonction des exigences de préavis énoncées à l’art.
19.2, al. 2, paragr. 1 et 2 du Règlement, mais en fonction également du sens très large
que l’art. 1 donne à la « manifestation », s’agissant par ailleurs d’exigences affectant
très concrètement des activités expressives pacifiques tenues dans des endroits dont
plusieurs (rues, trottoirs, places, parcs) sont des lieux traditionnellement utilisés à cette
e
document adopté à la 584 séance extraordinaire de la Commission, tenue le 17 juillet 2012,
résolution COM-582-3.1.1, p. 47).
72
Voir : S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., supra, note 30;
Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation
et du commerce, section locale 401, [2013] 3 R.C.S. 733, notamment au paragr. 35.
200-10-003459-174 PAGE : 31
fin. Il faut considérer aussi que le Règlement a pour effet de rendre cette activité
expressive illégale, alors qu’elle est pourtant constitutionnellement garantie par les al.
2b) et 2c) de la Charte canadienne. Enfin, l’atteinte ne peut être cernée correctement
sans tenir compte de la nature de la mesure de répression pénale qui sanctionne
[76] Tout cela nous amène à la question que la Cour doit trancher : les art. 1, 19.2, 20
et 21 du Règlement, qui, ensemble, circonscrivent les contours de l’atteinte aux libertés
garanties par les al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne, sont-ils justifiés par l’art. 1 de
celle-ci? Ces dispositions réglementaires constituent, bien sûr, des règles de droit au
sens de l’art. 173, mais sont-elles raisonnables dans une société libre et démocratique?
Considérant la façon indûment restreinte dont l’atteinte a été définie par les jugements
précédents, c’est un exercice qu’il faut reprendre ici largement.
[77] Dans Frank c. Canada (Procureur général)74, le juge en chef Wagner, au nom
des juges majoritaires, résume en ces termes les étapes de l’analyse qui doit être faite
en vertu de l’article premier de la Charte canadienne et le fardeau qui repose en
conséquence sur les épaules de l’État :
[38] Deux critères fondamentaux doivent être respectés pour que la restriction
d’un droit garanti par la Charte soit justifiée en vertu de l’article premier. En
premier lieu, l’objectif de la mesure doit être urgent et réel pour justifier
l’imposition d’une restriction à un droit garanti par la Charte. Il s’agit d’une
condition préalable, dont l’analyse s’effectue sans tenir compte de la portée de
l’atteinte, du moyen retenu ou des effets de la mesure (R. c. K.R.J., 2016 CSC
31, [2016] 1 R.C.S. 906, par. 61). En deuxième lieu, le moyen par lequel l’objectif
est réalisé doit être proportionné. L’analyse de la proportionnalité comporte trois
éléments : (i) le lien rationnel avec l’objectif, (ii) l’atteinte minimale au droit, et (iii)
la proportionnalité entre les effets de la mesure (y compris une mise en balance
de ses effets préjudiciables et de ses effets bénéfiques) et l’objectif législatif
énoncé (Oakes, p. 138‑ 139; Association de la police montée de l’Ontario c.
Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, par. 139; K.R.J.,
par. 58). L’examen de la proportionnalité se veut à la fois normatif et contextuel,
73
Voir par ex. : Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084 (règlement municipal interdisant
tout affichage sur la propriété publique); Association de la police montée de l’Ontario c. Canada
(Procureur général), supra, note 29, paragr. 139 in fine (« Au départ, mentionnons qu’une mesure qui
porte atteinte à la Charte et qui est prise par voie de règlement est sans aucun doute “prescrite par
une règle de droit”, pour l’application de l’article premier (Hutterian Brethren, par. 39-40) »).
74
2019 CSC 1 (on examine dans cette affaire le droit de vote des citoyens non résidents).
200-10-003459-174 PAGE : 32
75
Dans le même sens, pour quelques arrêts récents reprenant ce test (initialement élaboré par l’arrêt
R. c. Oakes, supra, note 15), voir notamment : R. c Morrison, 2019 CSC 15, paragr. 63; R. c.
Boudreault, 2018 CSC 58, paragr. 96; R. c. K.R.J., [2016] 1 R.C.S. 906, paragr. 58; Canada
(Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, [2016] 1 R.C.S. 336, paragr. 89;
Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 R.C.S. 3, paragr. 90 (reprenant le test de
l’arrêt Oakes afin de l’appliquer à l’art. 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne du
Québec); Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, paragr. 94.
76
Voir par ex. : Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, [2013] 1 R.C.S. 467, paragr.
64 et s.; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 R.C.S. 214, paragr. 17; Grant c.
Torstar Corp., [2009] 3 R.C.S. 640, paragr. 47 et s.; R. c. Guignard, [2002] 1 R.C.S. 472, paragr. 19
et 20; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, paragr. 23 (dans lequel la j. en chef McLachlin, autrice de
l’opinion majoritaire, cite avec approbation le juge Cardozo dans Palko c. Connecticut, 302 U.S. 319
(1937), p. 327, qui reconnaît dans la liberté d’expression « the matrix, the indispensable condition, of
nearly every other form of freedom »); Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569,
paragr. 28-29; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 968-969
(renvoyant notamment aux motifs du j. Rand dans Switzman v. Elbling, [1957] R.C.S. 285, à la p. 306
in fine, qui disait de la liberté d’expression qu’elle était « little less vital to man's mind and spirit than
breathing is to his physical existence »).
77
Sans remonter à Mill ou Milton, voir par ex. : Frederick Schauer, Free Speech : A Philosophical
Enquiry, Cambridge, Cambridge University Press, 1982; Richard Moon, The Constitutional Protection
of Freedom of Expression, Toronto, University of Toronto Press, 2000, p. 8 et s.; Peter W. Hogg,
e
Constitutional Law of Canada, 5 éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (éd. à feuilles
mobiles, 2 mai 2019), paragr. 43.4 et s., p. 43-7 et s.; Stéphane Bernatchez, « La signification du
droit à la liberté d’expression au crépuscule de l’idéal », (2012) 53 C. de D. 687; Keith Dubick, « The
Theoretical Foundation for Protecting Freedom of Expression », (2001) 13 Nat’l J. Const. L. 1.
200-10-003459-174 PAGE : 33
752‑ 753 (la juge McLachlin); R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 763‑ 764 (le
juge en chef Dickson); Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2
R.C.S. 1326, p. 1355‑ 1356 (la juge Wilson)). Pour que les mesures de
[79] Comme l’écrit par ailleurs le juge Binnie, pour les juges majoritaires, dans Little
Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice) 79, si l’on doit
reconnaître une certaine déférence au législateur ou au régulateur, il demeure que
« [t]out doute quant à la justification doit être résolu en faveur de la liberté
d’expression »80. La liberté d’expression, certes, n’est pas absolue, mais commande un
examen attentif et prudent des restrictions qu’on tente d’y apporter.
78
B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie ‑ Britannique (Procureur général),
[2017] 1 R.C.S. 93 (motifs de la j. en chef McLachlin, pour la Cour). Dans le même sens, voir :
Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, paragr. 92 (motifs
majoritaires du j. Bastarache). Voir également : Saskatchewan (Human Rights Commission) c.
Whatcott, supra, note 76, paragr. 65-66; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances),
[2002] 2 R.C.S. 522, paragr. 75.
79
[2000] 2 R.C.S. 1120.
80
Id., paragr. 144.
200-10-003459-174 PAGE : 34
[83] L’appelant, on le sait, ne conteste pas la légitimité de cet objectif ni son caractère
urgent et réel (adjectifs qui traduisent en pratique une préoccupation concrète et
sérieuse81, plutôt qu’impérative, la norme de « la réalisation d’objectifs collectifs d’une
importance fondamentale »82 étant d’une certaine malléabilité). On ne peut nier en effet
81
Par contraste, voir : Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 49 et s., où l’on
rejette l’idée que la préservation du contrat social, objectif imprécis et « dénué de contenu » (paragr.
53 des motifs majoritaires du j. en chef Wagner), à la fois trop large et trop étroit, soit un objectif
urgent et réel; on reconnaît cependant que « le maintien de l’équité du système électoral des
Canadiens résidents est un objectif législatif suffisamment important pour justifier l’analyse fondée
sur l’article premier » (paragr. 55)).
82
Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, paragr. 37.
83
Supra, note 16.
84
Supra, note 16. L’art. 500.1 prescrit que :
500.1 Nul ne peut, au cours d’une action 500.1 No person may, during a concerted
concertée destinée à entraver de quelque action intended to obstruct in any way vehicular
manière la circulation des véhicules routiers sur traffic on a public highway, occupy the
un chemin public, en occuper la chaussée, roadway, shoulder or any other part of the right
l’accotement, une autre partie de l’emprise ou of way of or approaches to the highway or
les abords ou y placer un véhicule ou un place a vehicle or obstacle thereon so as to
obstacle, de manière à entraver la circulation obstruct vehicular traffic on the highway or
des véhicules routiers sur ce chemin ou l’accès access to such a highway.
à un tel chemin.
Un agent de la paix peut enlever ou faire A peace officer may remove or cause to
enlever aux frais du propriétaire toute chose be removed, at the expense of the owner, any
utilisée en contravention au présent article. Il thing used in contravention of this section. The
peut aussi saisir une telle chose; les peace officer may also seize such a thing; the
dispositions du Code de procédure pénale provisions respecting things seized in the Code
(chapitre C‐25.1) relatives aux choses saisies of Penal Procedure (chapter C‐25.1) apply, with
s’appliquent, compte tenu des adaptations the necessary modifications, to things so
nécessaires, aux choses ainsi saisies. seized.
Le présent article ne s’applique pas lors This section does not apply during
de défilés ou d’autres manifestations parades or other popular events previously
préalablement autorisées par la personne authorized by the person responsible for the
responsable de l’entretien du chemin public à la maintenance of the public highway provided the
condition que le chemin utilisé soit fermé à la highway used is closed to traffic or is under the
circulation ou sous contrôle d’un corps de control of a police force.
police.
Aux fins du présent article, un chemin For the purposes of this section, a public
public comprend un chemin servant de highway includes a road being used as an
déviation à un chemin public, même si ce alternate route for traffic diverted from a public
chemin est situé sur une propriété privée, ainsi highway even if the alternate route is situated
qu’un chemin soumis à l’administration du on private property, and a road under the
ministère des Ressources naturelles et de la administration of or maintained by the Ministère
Faune ou entretenu par celui-ci. des Ressources naturelles et de la Faune.
200-10-003459-174 PAGE : 35
[…]
[210] De l'avis du Tribunal, la Procureure générale fait valoir avec raison que la
sécurité, la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins
publics et l'accès aux immeubles qui les bordent est un objectif urgent et réel.
[84] L’objectif similaire que poursuit ici l’intimée est tout aussi sérieux, même si l’on
doit constater que la preuve reproduite au dossier d’appel ne permet pas de conclure
que les manifestations tenues sur le territoire de l’intimée sont ou ont été, dans les faits,
par leur nombre ou leur nature, une source récurrente ou occasionnelle de perturbation
indue85 ou une menace à la sécurité ou à l’ordre public 86 (l’intimée, en tout cas, n’a pas
invoqué le « chaos » que semblait craindre la Cour suprême dans l’arrêt Rio Hotel,
advenant des manifestations sans préavis 87). En fait, elle montre plutôt que le service
de police est en mesure d’encadrer convenablement les manifestations, et qu’il l’est
85
Je reviendrai subséquemment sur cette notion de perturbation indue, la manifestation pacifique,
activité expressive protégée par les al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne, comportant un élément
intrinsèquement perturbateur, ce qui n’en fait pas pour autant une nuisance à réprimer.
86
En ce qui concerne la situation des manifestations qui ont eu lieu au printemps 2012 et qui ont motivé
la modification du Règlement de l’intimée, la Commission des droits de la personne et des droits de
la jeunesse, à l’occasion de son examen de la Loi permettant aux étudiants de recevoir
l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent,
rapporte que les rassemblements en question se sont généralement déroulés dans le calme, malgré
certains incidents localisés, qu’elle relate et qui ne se sont pas produits dans la ville de Québec. Voir :
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, supra, note 71, p. 3-
15. La preuve testimoniale reproduite au dossier d’appel ne laisse aucunement entendre le contraire.
Le même constat ressort du Rapport de la Commission spéciale d’examen des événements du
printemps 2012, Québec, Publications du Québec, mars 2014, qui note que la très grande majorité
des manifestations tenues à l’époque se sont déroulées dans le calme, malgré des actes de
vandalisme (principalement à Montréal) et certains accrochages (incluant un incident majeur à
Victoriaville (une émeute, écrit la Commission) et un affrontement violent à Montréal) dont une partie
paraît, selon la Commission, découler des stratégies mises en place par les forces de l’ordre ou par
leurs interventions, sans exclure par ailleurs l’activité de casseurs.
87
Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d'alcool), [1987] 2 R.C.S.
59, p. 76.
200-10-003459-174 PAGE : 36
même en l’absence du préavis requis88, encore que cela soit moins commode et plus
coûteux. Forte de son expérience du « printemps érable » (c’est le contexte dans lequel
le règlement modificateur de 2012 a été adopté), l’intimée paraît donc avoir agi plutôt
par souci de prudence et dans une perspective de prévention : or, cela est une
[86] Cela étant dit, passons à l’examen de ce qui est au cœur de la contestation, à
savoir le critère de la proportionnalité.
2. Proportionnalité
[87] Qu’en est-il maintenant de l’existence d’un lien rationnel entre la mesure
restrictive et l’objectif poursuivi, du caractère minimal de l’atteinte aux libertés en cause
et de la proportionnalité entre les effets de la mesure et l’objectif?
88
C’était aussi le cas dans l’affaire Garbeau c. Montréal (Ville de), supra, note 16, paragr. 219
(« Finalement, l'objectif est urgent et réel même si la preuve démontre que les corps policiers sont
souvent en mesure d'encadrer les manifestations dont ils n'ont pas été avisés de la tenue »).
89
Voir en ce sens : Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d'alcool),
supra, note 87, notamment à la p. 76 (motifs du j. Estey, en obiter).
90
Supra, note 30.
91
Supra, note 73.
92
Supra, note 76.
93
Supra, note 74.
200-10-003459-174 PAGE : 37
un lien de causalité avec l’objectif recherché (RJR‑ MacDonald, par. 153). Dans
les cas où un tel lien n’est pas scientifiquement mesurable, son existence peut
être établie sur le fondement de la raison ou de la logique, plutôt que sur une
preuve tangible (RJR‑ MacDonald, par. 154; Toronto Star, par. 25).
[64] Je reconnais qu’il n’est pas aisé de prouver certains problèmes avec une
précision scientifique, et que la raison et la logique constituent des compléments
importants à la preuve matérielle (K.R.J., par. 90). Cette constatation est
particulièrement vraie dans le cas des questions qui relèvent des domaines
philosophique, politique et social. Dans les affaires portant sur de telles
questions, et surtout dans le contexte de l’analyse du lien rationnel, le
gouvernement peut s’appuyer sur un raisonnement par déduction fondé sur la
logique et le bon sens, et non pas exclusivement sur une preuve tangible, pour
s’acquitter du fardeau qui lui incombe en application de l’article premier (Sauvé
no 2, par. 18; Harper, par. 29; RJR‑ MacDonald, par. 154). Dans la présente
affaire, toutefois, contrairement aux autres affaires où l’objectif du gouvernement
était de maintenir l’intégrité et l’équité du système électoral (voir, p. ex., Bryan et
Harper), le gouvernement n’a présenté essentiellement aucune preuve pour
démontrer comment le vote de citoyens non résidents est susceptible de
compromettre l’équité ou l’intégrité du système électoral canadien. Au contraire,
les auteurs de quatre études parlementaires sur le droit de vote ont recommandé
que la restriction du droit de vote de citoyens canadiens fondée sur la résidence
soit supprimée (voir m.i., par. 26‑ 32).94
[89] Dans ses motifs concourants, le juge Rowe exprime le même point de vue, en
signalant que « la barre n’est pas élevée »95. Le juge Cromwell, dans Canada
(Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada96, ne
dit pas autrement lorsqu’il rappelle que le critère du lien rationnel n’est pas
particulièrement exigeant97.
94
Voir aussi : R. c. K.R.J., supra, note 75, paragr. 68.
95
Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 95.
96
[2015] 1 R.C.S. 401.
97
Id., paragr. 60, citant Little Sisters Book and Art Emporium (supra, note 79). Voir aussi: Health
Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2
S.C.R. 391, paragr. 148.
200-10-003459-174 PAGE : 38
utiliser la patrouille moto pour bloquer les rues [renvoi omis]. De cette façon, on
assure également la sécurité des autres usagers de la route en détournant le
trafic. On peut ainsi éviter le comportement imprévisible de certains
[92] On observera tout de même que, a priori, le témoin mine quelque peu la portée
de cette explication – ainsi que la démonstration du mal que le Règlement entend
prévenir ou pallier – lorsqu’il souligne que cet avertissement (heure, lieu, itinéraire et
tout changement de l’un ou l’autre) peut être donné à la dernière minute et même sur
place98 – ce qui, en réalité, équivaut à ne pas donner de préavis – et que, dans les faits,
les policiers arrivent néanmoins à sécuriser les rues. Leur tâche est alors rendue plus
compliquée, certes, notamment en termes de mobilisation et de répartition des effectifs
nécessaires, mais l’objectif n’en est pas moins atteint.
98
Témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 166-167,
168 in fine et 169. L’exposé de l’intimée le confirme, p. 4, point vii (qui parle de l’itinéraire), et p. 15,
paragr. 35, point iii (qui parle des renseignements requis par l’art. 19.2 du Règlement, lesquels
peuvent être communiqués « quelques instants avant la manifestation »).
200-10-003459-174 PAGE : 39
[93] En dépit de cela, les mesures contestées franchissent la barre à première vue :
en exigeant un préavis et le respect des paramètres de celui-ci, le Règlement favorise
logiquement la réalisation de l’objectif de sécurité publique que poursuit l’intimée.
Quoique cet objectif puisse être atteint en l’absence d’un préavis, ces mesures en
99
Voir : Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), supra, note 29,
paragr. 143.
100
RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, paragr. 82, cité avec
approbation dans Frank. c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 59 (reproduit supra,
paragr. [88]).
101
Le Public Order Act 1986 (R.-U.), c. 64, art. 11, exige un préavis de 6 jours (sauf lorsque la chose
n’est pas praticable ou qu’il s’agit d’une marche ou d’un défilé récurrent).
102 os
Voir par ex. : Navalnyy c. Russie, [GC], n 29580/12 et 4 autres, 15 novembre 2018, paragr. 128 et
s., où l’on recense divers arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté
de réunion pacifique faisant état des processus de notification préalable mis en place dans plusieurs
pays européens. Voir aussi : Lashmankin v. Russia, nos. 58818/09 and 14 others, 7 février 2017,
paragr. 443-458. Sans les recommander, la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique
constate l’existence de régimes de notification préalable dans plusieurs états européens : Conseil de
l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Lignes directrices du
e
BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, 2 éd.,
e
CDL-AD(2010)020, adoptées par la Commission de Venise lors de sa 83 session plénière, Venise,
4 juin 2010.
103
Plutôt que la notification comme telle, le droit américain admet le régime de l’autorisation préalable
(laquelle a l’effet d’un préavis). Voir par ex. : United States v. Grace, supra, note 52, p. 177 : « It is
also true that “public places” historically associated with the free exercise of expressive activities,
such as streets, sidewalks, and parks, are considered, without more, to be “public forums.” See Perry
Education Assn. v. Perry Local Educators' Assn., 460 U.S. 37, 45 (1983); Carey v. Brown, supra, at
460; Hudgens v. NLRB, 424 U.S. 507, 515 (1976); Cox v. New Hampshire, 312 U.S. 569, 574 (1941);
Hague v. CIO, 307 U.S. 496, 515 (1939). In such places, the government's ability to permissibly
restrict expressive conduct is very limited: the government may enforce reasonable time, place, and
manner regulations as long as the restrictions “are content-neutral, are narrowly tailored to serve a
significant government interest, and leave open ample alternative channels of communication.” Perry
Education Assn., supra, at 45. See, e. g., Heffron v. International Society for Krishna Consciousness,
Inc., 452 U.S. 640, 647, 654 (1981); Grayned v. City of Rockford, 408 U.S. 104, 115 (1972); Cox v.
Louisiana, 379 U.S. 559 (1965). […] » [Je souligne].
Au sujet des conditions (limitées) que les autorités américaines peuvent imposer à l’octroi d’une
autorisation, voir aussi : Thomas v. Chicago Park District, 534 U.S. 316 (2002); Watchtower Bible &
Tract Soc'y of N.Y., Inc. v. Vill. of Stratton, 536 U.S. 150 (2002).
200-10-003459-174 PAGE : 40
[96] Comme on l’a vu, la définition que l’art. 1 du Règlement donne à la manifestation
est très large et le champ d’application de l’art. 19.2 l’est en conséquence tout autant,
atteignant des groupes qui, sauf à s’abstenir de manifester, pourraient n’être tout
simplement pas en mesure de respecter les exigences de préavis (voir supra, paragr.
[97] Pour reprendre les mots du juge en chef Wagner dans l’arrêt Frank, « il n’est pas
nécessaire que les mesures en question soient parfaitement adaptées à cet
objectif »104 : on peut donc tolérer une certaine discordance entre l’objectif et les
moyens de sa mise en œuvre. On observe en l’espèce cette discordance, en ce que les
moyens paraissent excéder le champ de ce qui est nécessaire pour assurer la
réalisation de l’objectif. Ce dépassement, même réel, n’anéantit toutefois pas le lien
rationnel entre les mesures contestées et l’objectif de sécurité publique que poursuit
l’intimée. En définitive, s’il y a problème à cet égard, c’est plutôt au chapitre de l’atteinte
minimale qu’il faudra en traiter.
[99] On sait que l’imprécision d’un règlement municipal est un motif de nullité au
regard des principes du droit administratif (encore faut-il qu’il s’agisse d’une véritable
imprécision et non d’une « simple incertitude » quant à son champ d’application,
n’entraînant que « certaines difficultés d’interprétation »105). L’appelant, dans la
présente affaire, n’a pas abordé le sujet sous cet angle exactement, mais, vu qu’il
plaide l’arrêt Villeneuve c. Ville de Montréal106, l’on ne peut éviter de se poser la
question de savoir si la mesure réglementaire est, en l’espèce, imprécise au point de
couper le lien qui, aux fins de l’art. 1 de la Charte canadienne, doit la rattacher
rationnellement à l’objectif poursuivi, question à laquelle la Cour a répondu
affirmativement dans Villeneuve.
[100] Saisie d’un appel portant sur la validité de l’art. 2.1 du Règlement sur la
prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l'ordre publics, et sur l'utilisation
du domaine public de la Ville de Montréal107, règlement non pas identique, mais
104
Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 95.
105
Montréal c. Arcade Amusements Inc., [1985] 1 R.C.S. 368, p. 400-401, 402 in fine et 403.
106
Supra, note 24.
107
Cette disposition prévoyait que :
2.1 Au préalable de sa tenue, le lieu exact et 2.1 The exact location and itinerary, as the
l'itinéraire, le cas échéant, d'une assemblée, case may be, of an assembly, parade or other
d'un défilé ou autre attroupement doit être gathering must be disclosed, prior to the event,
communiqué au directeur du Service de police to the director of the Service de police or to the
ou à l'officier responsable. officer in charge.
200-10-003459-174 PAGE : 41
analogue à celui de l’espèce et qui poursuit les mêmes fins, la Cour conclut en effet que
l’imprécision de cette disposition est telle qu’elle affecte l’existence du lien rationnel.
Sous la plume de la juge Marcotte, elle écrit ainsi que :
[98] Aussi, c’est en raison de cette formulation trop générale que l’obligation
de communiquer au préalable un itinéraire ou un lieu exact dépasse ce que le
conseil municipal souhaitait viser en édictant une telle disposition, puisque
l’article 2.1 rend illégal tout attroupement sur le domaine public en raison du
défaut de communiquer au préalable un lieu exact ou un itinéraire. Il s’applique
même en l’absence de toute menace à l’ordre public et, surtout, à l’égard de
situations qui n’ont aucun lien avec les objectifs poursuivis. Partant, il ne satisfait
pas davantage au critère de l’atteinte minimale que ne le faisait l’article 3.2 au
sujet duquel la juge de première instance écrivait :
[…]
[Soulignement original]
[101] Il faut dire que, au contraire de l’art. 19.2 du Règlement, le texte de la disposition
réglementaire en cause dans cette affaire n’était assorti d’aucune définition des termes
« assemblée/assembly », « défilé/parade » ou « attroupement/gathering » qui y étaient
employés, ce qui laissait au service de police l’entière discrétion de déterminer quel
attroupement, défilé ou assemblée était ou n’était pas assujetti aux exigences de
notification préalable prévues par le règlement.
[102] Le Règlement de l’intimée, de son côté, comporte une définition que je reproduis
de nouveau par commodité :
[103] A priori, cette définition, quoique très extensive, n’en circonscrit pas moins la
portée de l’art. 19.2 : est visé tout rassemblement d’individus exprimant une opinion, un
mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de personnes ou une cause.
En l’espèce, le « groupe d’étudiants participant à une sortie d’école au musée et
cheminant sur un trottoir du centre-ville », pour reprendre l’exemple de la juge Marcotte
dans Villeneuve, ne serait pas ciblé, pas plus que les groupes de touristes faisant une
promenade guidée dans les rues du Vieux-Québec ou les pique-niqueurs rassemblés
autour d’une table dans un parc municipal, aucun de ces groupes n’exprimant d’opinion,
de mécontentement ou de soutien à une personne ou une cause. De ce point de vue,
on pourrait conclure que la définition est suffisamment précise : sa lettre, en tout cas,
englobe tous les types de rassemblements, petits ou grands, ayant pour objectif
l’expression d’une opinion, d’un mécontentement ou d’un soutien à l’endroit d’une
personne ou d’une cause. Cela est vaste, mais clair. Que cela puisse excéder (ou non)
le seuil de l’atteinte minimale sera examiné ultérieurement.
[104] Cela dit, si imprécision il y a, elle naît plutôt de la réponse que l’avocat de
l’intimée a donnée à une question de la Cour lors de l’audience d’appel : la définition de
l’art. 1 du Règlement, déclare-t-il, serait en réalité restreinte aux rassemblements,
attroupements ou défilés engendrant une perturbation publique, concept qu’il n’a
toutefois pas défini. Parle-t-on ici d’une manifestation engendrant de la violence (sujet
de l’art. 19.2, al. 2, paragr. 3 du Règlement, disposition déclarée inopérante par le
jugement de la Cour municipale)? L’existence d’une perturbation dépend-elle du
nombre des manifestants (un groupe de 10 personnes déambulant sur le trottoir ne
gênerait pas l’ordre ou la circulation108, au contraire des 1 000 personnes défilant dans
la rue)? Comment peut-on savoir qu’une manifestation engendrera une telle
perturbation et doit donc être soumise aux exigences de notification prévues par l’art.
19.2, al. 2? La perturbation anticipée varie-t-elle selon le lieu public où se déroule la
manifestation? Est-elle restreinte à l’occupation de la rue (c’est une hypothèse à
laquelle le témoignage du lieutenant Hamel donne une certaine substance, alors qu’il
estime apparemment que, dans le cas d’une manifestation sans préavis, est illégal le
108
Rappelons que l’art. 19.5 du Règlement (reproduit supra, note 8) pourrait s’appliquer également aux
manifestations telles que définies par l’art. 1. La violation de cette disposition (qui « interdit de gêner
la circulation des citoyens sur un trottoir, une place publique ou un passage piétonnier ou de les
priver de l’utilisation normale d’une partie du domaine public ») donne également prise à l’infraction
que créent les art. 20 et 21 dudit règlement. L’art. 19.5 n’est toutefois pas en cause ici.
200-10-003459-174 PAGE : 43
fait pour des manifestants de marcher dans la rue, mais non sur le trottoir109)? Et
comment l’organisateur ou le participant peut-il, dans ces circonstances, savoir que la
manifestation est de celles que l’intimée (ou son service de police) estime assujetties
(ou non) aux exigences du second alinéa de l’art. 19.2? Si la perturbation est appréciée
[105] En réalité, et quoi qu’ait affirmé l’avocat de l’intimée, la lecture des dispositions
litigieuses tout comme celle du Règlement dans son entier (dont l’objet général est
d’assurer la sécurité des personnes sur le domaine public, dans une perspective d’ordre
et de libre circulation) montre que les manifestations, telles que largement définies par
l’art. 1, sont intrinsèquement considérées comme des événements perturbateurs, au
même titre que l’ivresse publique (art. 3), le flânage ou le vagabondage (art. 5), les
batailles (art. 6), les insultes ou les injures (art. 8), la possession d’une arme blanche
(art. 12) ou le tir de projectiles, y compris les boules de neige (art. 13), et autres
comportements du genre. La preuve reproduite au dossier d’appel ne permet pas de
conclure autrement et si l’intimée n’applique pas les art. 19.2, 20 et 21 de manière
systématique, mais fait un tri entre les types de manifestations, cela indique plutôt que
son règlement a, à cet égard, une portée excessive, ce qui nous renvoie, là encore, à la
question du caractère minimal (ou non) de l’atteinte, à laquelle je reviendrai plus loin.
[106] Bref, alors que l’art. 2.1 du règlement de la Ville de Montréal souffrait
d’imprécision, ce n’est pas le cas du Règlement dont les dispositions litigieuses, bien
qu’elles aient une portée fort large, sont cependant suffisamment précises pour que l’on
puisse y voir un lien rationnel avec l’objectif de sécurité poursuivi par l’intimée. Là où le
bât blesse, c’est au chapitre de l’atteinte minimale, tout comme à celui de la mise en
balance des effets bénéfiques et préjudiciables des mesures contestées. Voyons ce
qu’il en est.
b) Atteinte minimale
[107] Dans R. c. K.R.J.110, la juge Karakatsanis, au nom des juges majoritaires, écrit
que l’atteinte est minimale lorsqu’« il n’existe aucun autre moyen d’atteindre le même
objectif en restreignant moins le droit en cause »111, propos qu’elle précise ainsi :
[70] La question à trancher à cette deuxième étape est celle de savoir si les
nouvelles dispositions portent atteinte le moins possible au droit constitutionnel,
c’est‑ à‑ dire si « la restriction du droit est raisonnablement adaptée à l’objectif »
(Carter, par. 102). Ce n’est que lorsqu’il existe d’autres moyens moins
préjudiciables de réaliser l’objectif de l’État « de façon réelle et substantielle »
109
Témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 177, 179,
182-184.
110
Supra, note 75.
111
Id., paragr. 58.
200-10-003459-174 PAGE : 44
[108] Le juge en chef Wagner s’exprime pour sa part de la manière suivante dans
[109] Dans R. c. Morrison, le juge Moldaver, qui écrit l’opinion majoritaire, renchérit en
ces termes après avoir noté que, dans cette affaire, la Couronne n’avait pas tenté de
justifier la contravention en cause113 :
[68] Pour démontrer que l’atteinte est minimale, la partie qui cherche à justifier
la contravention doit établir que la mesure contestée restreint le droit en question
« aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de
l’objectif législatif » : RJR‑ MacDonald, par. 160. L’atteinte au droit en question
doit être « minimale », en ce qu’elle « ne dépasse pas ce qui est nécessaire » :
par. 160.
[110] On peut ajouter à cela, comme l’indique la juge en chef McLachlin, pour la Cour,
dans Canada (Procureur général) c. Bedford114, que « le volet relatif à l’“atteinte
minimale” établit si le législateur aurait pu concevoir une disposition moins attentatoire;
il s’intéresse aux solutions de rechange raisonnables qui s’offrent au législateur ».
[111] Dans ce cadre général, une interdiction sera jugée plus sévèrement qu’une
simple limitation115, surtout s’il s’agit de la liberté d’expression, qu’il faut restreindre le
112
Supra, note 74.
113
R. c. Morrison, supra, note 75, paragr. 64.
114
[2013] 3 R.C.S. 1101, paragr. 126.
115
Voir notamment : RJR-MacDonald, supra, note 100, paragr. 163 (motifs de la j. McLachlin). Voir
également : T.U.A.C. section locale 1518 c. KMart Canada, [1999] 2 R.C.S. 1083, paragr. 77; Toronto
Star Newspapers Ltd. c. Canada, [2010] 1 R.C.S. 721, paragr. 38; Association de la police montée de
l’Ontario c. Canada (Procureur général), supra, note 29, paragr. 152 (motifs majoritaires conjoints de
200-10-003459-174 PAGE : 45
[112] Les moyens mis en œuvre par les art. 1, 19.2, 20 et 21 du Règlement afin
d’atteindre l’objectif de sécurité publique que poursuit l’intimée constituent-ils une
atteinte minimale aux libertés d’expression et de réunion pacifique? Je réponds à cette
question par la négative. Les dispositions contestées, jumelées les unes aux autres, ne
restreignent en effet pas « le moins possible » la liberté d’expression de l’appelant et,
plus généralement, celle des personnes désireuses de faire valoir leur point de vue
dans le cadre d’une manifestation tenue dans des lieux publics, incluant ceux où se
déroulent traditionnellement pareille activité (la place, la rue, le trottoir), activité qui
bénéficie de surcroît de la protection constitutionnelle accordée à la liberté de réunion
pacifique. Elles ne sont pas soigneusement conçues pour faire en sorte que l’atteinte
aux droits ne dépasse pas ce qui est raisonnablement nécessaire à la réalisation de
l’objectif poursuivi et n’appartiennent pas, dans les circonstances, à la gamme des
options raisonnables : elles ont en effet une portée excessive, la preuve ne montrant du
reste pas que l’intimée ait considéré des moyens moins restrictifs ni même, tout
simplement, d’autres moyens et n’ayant pas davantage fourni d’explications a
posteriori.
[113] Ce dernier point – sur lequel je reviendrai – n’est pas sans importance : l’intimée
n’a pas tenté de démontrer qu’elle avait envisagé d’autres options avant d’adopter le
texte actuel de l’art. 19.2 du Règlement ainsi que la définition large de la
« manifestation » figurant à l’art. 1, créant ainsi une nouvelle infraction de responsabilité
stricte sanctionnée par les art. 20 et 21. Si les membres du conseil municipal, en 2012,
lors de l’insertion des dispositions litigieuses dans le Règlement, ont fait cet exercice de
réflexion et examiné des mesures différentes de celles qu’ils ont finalement adoptées,
cela ne ressort pas de la preuve. Or, comme l’écrit la juge McLachlin dans RJR-
MacDonald c. Canada (Procureur général), au chapitre de l’atteinte minimale, « si le
gouvernement [ici l’intimée] omet d’expliquer pourquoi il n’a pas choisi une mesure
beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi [ici le Règlement] peut être
la j. en chef McLachlin et du j. LeBel); Ramsden c. Peterborough (Ville de), supra, note 73, p. 1105-
1106.
116
Voir supra, paragr. [78] et [79]; voir de plus, notamment : Saskatchewan (Human Rights Commission)
c. Whatcott, supra, note 76, paragr. 111; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général),
supra, note 78, paragr. 111; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 771 (motifs majoritaires du j. en
chef Dickson), qui examine la question notamment sous l’angle du préjudice résultant d’une poursuite
en l’occurrence criminelle.
117
Ramsden c. Peterborough (Ville de), supra, note 73, p. 1106.
118
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), supra, note 76, p. 968 (motifs majoritaires du j. en chef
Dickson).
200-10-003459-174 PAGE : 46
déclarée invalide »119. Renforçant son propos, la juge McLachlin, devenue juge en chef,
et le juge LeBel concluent ainsi dans Health Services and Support – Facilities
Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique120 :
[114] Mais, plus encore, l’intimée n’a pas non plus tenté d’expliquer a posteriori, ne
serait-ce que sur la base de la logique et de la raison121, ce en quoi des mesures moins
restrictives – et les pages suivantes montrent qu’il en existe – ne lui auraient pas permis
de réaliser son objectif ni ce en quoi les mesures adoptées appartiendraient à une
gamme d’options raisonnables entre lesquelles elle avait la latitude de choisir. Son
exposé, là-dessus, se contente en effet de ceci :
35. Pour utiliser les termes de la Cour suprême, nous ne voyons pas quelle
autre « solution de rechange » raisonnable l’intimée aurait pu mettre en vigueur
afin justement de réaliser ses objectifs de sécurité et de libre accès au domaine
public considérant :
ii. Que la personne à qui les informations doivent être transmises sont bien
précisées (sic) (SPVQ), contrairement à la situation qui prévalait dans
l’arrêt Garbeau en lien avec l’article 500.1 du Code de la sécurité routière;
iii. Qu’aucun délai n’est requis, le SPVQ pouvant recevoir les informations
quelques instants avant la manifestation;
119
Supra, note 100, paragr. 160 (paragr. cité avec approbation dans Association de la police montée de
l’Ontario c. Canada (Procureur général), supra, note 29, paragr. 149 (motifs conjoints de la j. en chef
McLachlin et du j. LeBel).
120
Supra, note 97.
121
Dans B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie‑ Britannique (Procureur
général), supra, note 78, paragr. 58, la juge en chef McLachlin conclut son analyse de l’article
premier de la Charte canadienne en notant que « [l]a logique et la raison ne suffisent pas toujours,
mais elles suffisent parfois ». Voir aussi : R. c. K.R.J., supra, note 75, paragr. 90, qui, examinant, à la
seconde étape du test de l’article premier, les effets préjudiciables de la mesure contestée (en vue de
les comparer aux effets bénéfiques), souligne l’utilité du recours à la logique et à la raison,
« compléments importants à la preuve matérielle », laquelle, d’ailleurs, peut n’être pas disponible.
Voir aussi Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 78.
200-10-003459-174 PAGE : 47
[116] Tout d’abord, l’intimée limite son justificatif aux exigences de préavis en tant que
telles. Or, l’atteinte, comme on l’a vu précédemment, réside aussi – et même
davantage – dans l’assujettissement des violations à un régime de responsabilité
pénale stricte, le tout en fonction d’une définition très large de la « manifestation », sans
égard au caractère pacifique de celle-ci, qui devient illégale et peut être réprimée.
Ensuite, si les manifestants, antérieurement à avril 2012, remettaient volontairement
leurs préavis ou itinéraires à son service de police, pourquoi l’intimée a-t-elle cru
nécessaire d’adopter les dispositions litigieuses? On sait que le refus des manifestants
de remettre les itinéraires a coïncidé avec l’adoption, en mai 2012, de la Loi permettant
aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau
postsecondaire qu’ils fréquentent122, dont l’art. 16 formulait une semblable exigence
dans le cas des manifestations de 50 personnes ou plus, loi abrogée au mois de
septembre suivant. Mais pourquoi l’intimée a-t-elle estimé utile de renchérir sur cette
exigence en promulguant l’art. 19.2 du Règlement et en assortissant celui-ci d’une
définition très large de la manifestation? Pourquoi n’avoir pas reconsidéré sa décision
après l’abrogation de la loi provinciale? Sauf à invoquer son objectif de préservation de
la sécurité publique, l’intimée n’a pas fourni d’explications ou d’indications à cet égard.
[117] Cela dit, il est vrai que le Règlement ne comporte pas de prohibition absolue et
qu’il n’interdit pas les manifestations en général sur le territoire de l’intimée
(contrairement à la Ville de Peterborough, dans l’affaire Ramsden123, qui défendait
l’affichage sur toute propriété publique). Il ne les soumet pas non plus à un processus
122
Supra, note 71.
123
Supra, note 73.
200-10-003459-174 PAGE : 48
[118] Le cas des manifestations spontanées, dont je donnais plus tôt quelques
exemples (supra, paragr. [66] à [70]) est à cet égard préoccupant. Aucune différence
n’étant faite par le Règlement selon que le rassemblement est formel ou informel,
prémédité ou non, une telle manifestation est foncièrement illégale aux termes du
premier paragraphe de l’art. 19.2, puisqu’elle n’est pas précédée d’un préavis de l’heure
et du lieu de sa tenue. Et si les participants, une fois réunis, décident de se déplacer,
elle est doublement illégale du fait de l’absence d’un itinéraire dont la police aurait été
prévenue. En réalité, parce qu’elle enfreint nécessairement le Règlement, la
manifestation spontanée est toujours illégale, ce qui revient, en pratique, à l’interdire à
tous les citoyens qui souhaitent respecter la loi. Il en va de même de la manifestation
surprise qui, par définition, ne peut guère s’adapter à une exigence de notification
préalable.
124
Reproduit supra, note 84.
125
Supra, note 16.
126
Supra, note 5.
200-10-003459-174 PAGE : 49
[120] Peu importe par ailleurs le nombre des participants à une manifestation : les
5 personnes faisant des allers-retours sur le trottoir municipal devant l’édifice du
ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (rue De la Chevrotière) afin
d’appuyer telle ou telle réforme sont visées par la définition de l’art. 1, par l’exigence de
[122] Elle ne l’est pas moins parce que, ainsi que le laisse entendre l’intimée, le
service de police ne se préoccuperait pas de certains types de manifestations ou
qu’elle-même, en pareil cas, n’intenterait pas de poursuite pénale advenant la violation
de l’art. 19.2 du Règlement ou limiterait son action aux cas de « perturbation publique »
(voir supra, paragr. [104]), notion indéfinie dans le contexte des manifestations
pacifiques (rappelons en effet que le présent débat exclut la manifestation violente). Le
pouvoir discrétionnaire du policier ou du poursuivant (même lorsque l’un et l’autre
agissent en toute bonne foi, ce qui n’est pas mis en doute) n’atténue pas le caractère
excessif des dispositions litigieuses à cet égard, au contraire, et ne fait qu’en rendre
127
Voir supra, paragr. [105].
200-10-003459-174 PAGE : 50
l’application incertaine et, potentiellement, arbitraire 128. Or, l’arbitraire n’est pas
compatible avec l’atteinte minimale.
[124] De ce point de vue, les propos suivants de la juge Marcotte dans l’arrêt
Villeneuve130 sont transposables à l’espèce (même si le règlement que l’on examinait
dans cette affaire ne définissait pas la « manifestation » à laquelle une obligation de
préavis était associée). Je reproduis ci-dessous le paragr. 98 de cet arrêt, que j’ai déjà
cité (voir supra, paragr. [100]), ainsi que les paragraphes qui le complètent :
[98] Aussi, c’est en raison de cette formulation trop générale que l’obligation
de communiquer au préalable un itinéraire ou un lieu exact dépasse ce que le
conseil municipal souhaitait viser en édictant une telle disposition, puisque
l’article 2.1 rend illégal tout attroupement sur le domaine public en raison du
défaut de communiquer au préalable un lieu exact ou un itinéraire. Il s’applique
même en l’absence de toute menace à l’ordre public et, surtout, à l’égard de
situations qui n’ont aucun lien avec les objectifs poursuivis. Partant, il ne satisfait
pas davantage au critère de l’atteinte minimale que ne le faisait l’article 3.2 au
sujet duquel la juge de première instance écrivait :
128
On pourrait être tenté ici de faire une analogie avec ce qu’écrivait la j. en chef McLachlin dans R. c.
Nur, [2015] 1 R.C.S. 773 (motifs majoritaires), concluant que le pouvoir discrétionnaire du
poursuivant n’obvie pas à l’inconstitutionnalité, puisqu’elle « prive les citoyens du droit de savoir
d’avance ce que prévoit la loi et de la possibilité de se comporter en conséquence et elle invite à
l’application inégale de la loi » (paragr. 91). La j. en chef ajoute que « l’existence d’une loi invalide
dont le poursuivant corrige ponctuellement les défauts n’est pas compatible avec le rôle et la
responsabilité du législateur d’édicter des règles législatives constitutionnelles pour le peuple
canadien » (paragr. 91), propos qui peuvent être adaptés à la situation de l’intimée.
129
L’art. 1 définit en effet le domaine public de la manière suivante :
« domaine public » : ensemble des biens administrés par la municipalité affectés à l’usage général et
public;
Cela inclut les rues, qui incluent elles-mêmes les trottoirs.
130
Villeneuve c. Ville de Montréal, supra, note 24.
200-10-003459-174 PAGE : 51
[99] À mon avis, le raisonnement adopté par la juge à l’égard de l’article 3.2
doit être transposé, avec les adaptations nécessaires, à l’article 2.1, dont la
portée large couvre des situations qui ne pouvaient raisonnablement être
envisagées dans le champ d’application de la disposition.
[126] Quant à la crainte, vaguement évoquée, que les manifestations, sans égard à
leur nature ou leur taille, puissent engendrer des débordements, d’où la généralité des
exigences de l’art. 19.2 en matière de préavis (incluant l’itinéraire), elle ne saurait faire
pencher la balance dans l’autre sens, en l’absence de toute preuve ou explication à cet
[127] Bref, pour toutes ces raisons, vu la portée extrêmement large des art. 1
(définition de la « manifestation ») et 19.2 du Règlement, qui donnent une portée tout
aussi large à la sanction pénale prévue par les art. 20 et 21, il y a ici une entrave aux
libertés d’expression et de réunion pacifique, entrave qui ne répond pas aux exigences
de l’atteinte minimale, en particulier lorsque l’on considère la situation du simple
participant. L’atteinte est encore plus importante lorsqu’on l’envisage dans la
perspective des manifestations (pacifiques) politiques ou rattachées à un sujet d’intérêt
social, ces matières étant en effet au cœur des libertés d’expression et de réunion
pacifique et incarnant les valeurs démocratiques qu’elles promeuvent et dont elles sont
l’assise131.
[129] Quant aux exigences de notification, on peut penser ici au modèle britannique
établi par le Public Order Act 1986132. Tout en prévoyant une obligation de notification
semblable, dans ses grandes lignes, à celle de l’espèce, l’art. 11 de cette loi, applicable
aux défilés et aux marches (c.-à-d. aux manifestations mobiles, et non aux
manifestations statiques133), énonce que :
131
Voir notamment : B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie ‑ Britannique
(Procureur général), supra, note 78, paragr. 16 (reproduit supra, paragr. [78]; Harper c. Canada
(Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, notamment aux paragr. 1, 11-12 et 15-16 (motifs dissidents
de la j. en chef McLachlin et du j. Major), paragr. 84 (motifs majoritaires du j. Bastarache); Libman c.
Québec (Procureur général), supra, note 76, paragr. 29; R. c. Keegstra, supra, note 116, p. 763-764
(motifs majoritaires du j. en chef Dickson).
132
Supra, note 101.
133
Les assemblées statiques sont assujetties à d’autres types d’exigences (art. 14 à 14C du Public
Order Act 1986). Voir David Mead, supra, note 29, p. 169. Sur l’émergence et les raisons de la
distinction que fait le droit anglais entre la manifestation dont les participants se déplacent et la
manifestation statique, voir : Rachel Vorspan, « Freedom of Assembly and the Right to Passage in
200-10-003459-174 PAGE : 53
(1) Written notice shall be given in accordance with this section of any
proposal to hold a public procession intended—
(2) Subsection (1) does not apply where the procession is one commonly or
customarily held in the police area (or areas) in which it is proposed to be held or
is a funeral procession organised by a funeral director acting in the normal
course of his business.
(3) The notice must specify the date when it is intended to hold the
procession, the time when it is intended to start it, its proposed route, and the
name and address of the person (or of one of the persons) proposing to organise
it.
[Je souligne]
[130] Les paragr. 11(7), (8) et (9) de cette même loi réservent par ailleurs à
l’organisateur la sanction pénale d’une contravention aux exigences précitées (et donc,
implicitement, lui attribuent la responsabilité de ces exigences, ce qui n’est pas le cas
du Règlement) :
(b) the date when it is held, the time when it starts, or its route, differs
from the date, time or route specified in the notice.
Modern English Legal History », (1997) 34 San Diego Law Review 921, notamment aux p. 927-935,
e
942-990 (XIX siècle) et 1017 et s. (1980-).
134
La « public procession » est définie en ces termes par l’art. 16 de la loi : « “public procession” means
a procession in a public place ».
200-10-003459-174 PAGE : 54
(8) It is a defence for the accused to prove that he did not know of, and
neither suspected nor had reason to suspect, the failure to satisfy the
requirements or (as the case may be) the difference of date, time or route.
[131] Globalement, sur ce plan, la contrainte issue de ces dispositions est moindre 135
et moindre également l’atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique, que
reconnaît également le droit anglais136.
[132] Évidemment, les exemples tirés d’ailleurs ont leurs limites (et peuvent à
l’occasion prêter au reproche du « cherry picking »137). Ils peuvent néanmoins offrir des
pistes de réflexion utiles138, et c’est ici le cas de cette législation britannique.
135
Si on exclut le délai de 6 jours, que le Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit de réunion
e
pacifique et la liberté d’association juge excessif (Doc off CDH NU, 23 sess., Rapport du Rapporteur
spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. NU
A/HRC/23/39/Add.1 (24 avril 2013), p. 4, paragr. 11. Par comparaison, le Règlement n’impose pas de
délai particulier et, selon la preuve, la notification préalable peut même avoir lieu dans les minutes
précédant la manifestation.
136
Human Rights Act 1998 (R.-U.), c. 42., art. 1, 3 et 6, et art. 10 (« freedom of expression ») et 11
(« freedom of peaceful assembly ») de l’annexe I, partie 1.
137
L’exemple que je tire des exigences de notification du Public Order Act 1986 ne reflète par ailleurs
pas le caractère généralement restrictif des exigences anglaises, qu’un auteur décrit ainsi :
The law has developed as a series of pragmatic responses to particular problems and political
agendas and has become relentlessly more restrictive in recent years. For example the Public Order
Act 1936 was a response to fears of fascism and communism. It was superseded by the Public Order
Act 1986, which was provoked by race riots. Further legislation has been aimed at miscellaneous
targets of the government of the day. These included anti-nuclear demonstrations, hunt saboteurs,
travellers, ‘stalkers’, football hooligans, anti-war demonstrators, terrorists and animal rights groups (see
Criminal Justice and Public Order Act 1994, ss 60, 60AA; Protection from Harassment Act 1997; Crime
and Disorder Act 1998; Football (Offences and Disorder) Act 1999; Football (Disorder) Act 2000;
Serious Organised Crime and Police Act 2005; Terrorism Acts 2000, 2006). The legislation may be
drafted loosely enough to include wider political activities, thereby attracting human rights arguments
based on uncertainty, proportionality and discrimination.
This illustrates the weakness of the traditional residual approach to liberty under which according
to Dicey the right to hold a public procession is in principle no different from the right to eat a bun. The
notion that everything is permitted unless forbidden is particularly ironic in the case of public meetings.
[…]
e
(John Alder et Keith Syrett, Constitutional and Administrative Law, 11 éd., London,
Palgrave/Macmillan, 2017, p. 590).
138
Voir par ex. : Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’
Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504, où le juge Gonthier pour la Cour écrit que :
112 […] En d’autres termes, il ne suffit pas qu’un juge, libre de toutes ces contraintes, puisse
concevoir une solution de rechange moins restrictive. L’article premier prévoit plutôt que la mesure
législative doit restreindre le droit constitutionnel en cause « aussi peu qu’il est raisonnablement
possible de le faire » (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, p. 772, le juge en chef
Dickson). Toutefois, même un bref examen des autres solutions possibles, y compris les régimes
applicables en matière de douleur chronique que d’autres provinces ont adoptés, révèle clairement que
200-10-003459-174 PAGE : 55
[133] C’est également le cas des Lignes directrices de la Commission de Venise sur la
liberté de réunion pacifique, adoptées sous l’égide du Conseil de l’Europe139, et qui sont
riches d’enseignement, y compris au chapitre des définitions et du champ d’application
(qui devraient être aussi précis et étroits que possible140), ainsi que des exigences de
[134] Or, le Règlement va dans une tout autre direction. Ainsi, il impose les mêmes
exigences de notification à toute manifestation, terme défini de manière expansive. Il
aurait pu en dispenser les manifestations spontanées (qui se prêtent mal, en pratique, à
une telle exigence) ou les rassemblements ou défilés récurrents143, mais ne le fait pas.
Il aurait pu en dispenser également les manifestations de petite taille (moins de 20, 30
ou 50 ou 100 personnes, par exemple), mais ne le fait pas non plus. Il aurait pu en
affranchir aussi les rassemblements mobiles ou statiques qui, pour être techniquement
des manifestations au sens de l’art. 1 du Règlement, n’en sont pas dans le sens familier
du terme (pensons aux personnes qui viennent en groupe soutenir l’enfant ou l’équipe
qui participe à un événement sportif et autres exemples déjà évoqués). Pareillement, la
sanction pénale établie par le Règlement aurait pu être limitée aux organisateurs144
d’une manifestation tenue sans notification préalable ou en contravention de celle-ci
plutôt que d’être étendue aux participants (comme c’est le cas aux termes de l’art. 11,
paragr. (7) du Public Order Act 1986 de la Grande-Bretagne, disposition qui ne
sanctionne que l’organisateur).
[135] Comme on l’a vu déjà, aucune raison n’a été proposée pour expliquer ces choix,
ce en quoi ils permettent à l’intimée d’atteindre ou d’atteindre mieux son objectif et ce
pourquoi d’autres possibilités ont été écartées (on ne sait pas même si d’autres moyens
ont été envisagés). Le seul élément contextuel qui ressort de la preuve se rapporte au
fait que la définition de la « manifestation » (art. 1) de même que l’art. 19.2 ont été
édictés dans la foulée des nombreuses marches et rassemblements publics du
l’exclusion générale de la douleur chronique ne peut certes pas être considérée comme une atteinte
minimale aux droits des accidentés du travail qui en souffrent. [Je souligne]
139
Conseil de l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Lignes directrices du
BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, supra, note 102.
140
Id., notamment aux p. 19 (paragr. 11), 31 (paragr. 35).
141
Id., p. 61-62 (paragr. 115).
142
Id., p. 10 (paragr. 4.2), 66-68 (paragr. 126-131). Lorsque l’exigence de notification est applicable à la
manifestation spontanée, les Lignes directrices rappellent que « la décision de disperser une
manifestation spontanée “au seul motif que l’obligation de notification préalable n’a pas été
respectée, et sans que les participants se soient comportés d’une manière contraire à la loi constitue
une restriction disproportionnée à la liberté de réunion pacifique” » (paragr. 131, p. 67-68, citant
Bukta c. Hongrie, [GC], n° 25691/104, 17 octobre 2007, paragr. 36).
143
À ce propos, voir par ex. : Kay v Commissioner of the Police of the Metropolis, [2008] UKHL 69, qui
traite des défilés récurrents exemptés des exigences de notification par le paragr. 11(2) du Public
Order Act 1986.
144
Lorsqu’il en est, ce qui, on le sait, n’est pas toujours le cas.
200-10-003459-174 PAGE : 56
printemps 2012. Cet élément ne permet cependant pas de comprendre, par exemple,
pourquoi la définition que l’art. 1 donne à la manifestation et, conséquemment la portée
de l’art. 19.2, vont bien au-delà de ce cas de figure.
1° la date, l’heure, la durée, le lieu (1) the date, time, duration and venue
ainsi que, le cas échéant, l’itinéraire de of the demonstration as well as its
la manifestation; route, if applicable; and
145
Supra, note 71.
200-10-003459-174 PAGE : 57
[137] Quiconque contrevient à ces dispositions commet une infraction passible d’une
amende de 1 000 $ à 5 000 $, de 7 000 $ à 35 000 $ ou de 25 000 $ à 125 000 $ selon
qu’il s’agit d’un participant, d’un organisateur ou du dirigeant, employé ou représentant
de certaines associations ou personnes morales ou encore des associations et
personnes morales elles-mêmes (art. 26).
[138] Mais que l’intimée ait pris ces dispositions législatives pour modèle ne l’exonère
pas du fardeau qui lui incombe « de prouver l’absence de moyens moins attentatoires
d’atteindre l’objectif “de façon réelle et substantielle” »146, et ce, d’autant que les
dispositions en question, si elles n’avaient pas été abrogées quelques mois après leur
adoption, auraient elles-mêmes pu faire l’objet d’une contestation constitutionnelle
semblable à celle de l’espèce. Je citerai ici un passage de l’opinion qu’exprimait à ce
sujet la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dans ses
commentaires de juillet 2012 :
Cela dit, c’est dans le cadre du deuxième volet de l’analyse prescrite par l’article
9.1 que davantage d’inquiétudes peuvent être soulevées, et ce, dès la première
étape de ce volet. En effet, même si l’objectif visé est légitime, comment
démontrer que le fait de cibler toute manifestation réunissant 50 personnes ou
146
Carter c. Canada (Procureur général), supra, note 75, paragr. 102.
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plus, peu importe la forme qu’elle prend et le lieu qu’elle emprunte, puisse avoir
un lien rationnel avec celui-ci? La portée très large de l’article 16, combinée à
l’absence de définition des termes employés et l’imprécision qui en résulte, mène
[141] Ce qui m’amène à l’autre aspect du problème que soulève le Règlement. L’art. 1
de celui-ci définirait la manifestation de manière plus étroite que la sphère de risque ne
serait en effet pas moindre pour ceux et celles qui, dans un contexte ou un autre,
expriment collectivement et pacifiquement, dans un lieu appartenant au domaine public,
« une opinion, un mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de
personnes ou à une cause ». Ce problème se rattache à la nature de la responsabilité
pénale incombant personnellement au participant à une manifestation illégale du fait
qu’elle ne respecte pas les exigences de l’art. 19.2, al. 2, paragr. 1 et 2 du Règlement.
147
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, supra, note 71, p.
48-49.
148
Id., p. 52.
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[143] Comme on l’a vu, le participant à une manifestation qui, malgré son caractère
entièrement pacifique, est néanmoins illégale parce qu’elle n’a pas été précédée du
préavis requis ou n’a pas respecté les termes de celui-ci, ne peut échapper à sa
responsabilité pénale, une fois l’actus reus établi, sauf à démontrer, par prépondérance,
avoir pris toutes les mesures raisonnables afin de respecter la loi. Or, là-dessus,
l’intimée fait valoir ce qui suit au paragr. 47 de son exposé :
47. Or, contrairement à sa prétention, l’obligation qui est prévue à cet article
[19.2 du Règlement] n’est pas, pour chacune des personnes, de fournir
l’itinéraire au SPVQ, mais plutôt de ne pas « tenir ou de participer à une
manifestation illégale ». À cet égard, il est évident, selon nous, comme le
précisait la juge d’appel qu’il revient effectivement à l’intimée de faire la preuve
que les personnes ont été avisées préalablement que la manifestation est
illégale. D’ailleurs, dans le présent dossier, la preuve a démontré que le SPVQ a
fait plusieurs avis à la foule et que la presque totalité des gens s’y est alors
conformée, sauf quatre (4) personnes.
[145] D’une part, qu’entend au juste l’intimée en écrivant qu’il « revient effectivement à
l’intimée de faire la preuve que les personnes ont été avisées préalablement que la
manifestation est illégale »? Si l’intimée fait allusion ici à l’avis que son service de police
donnerait, sur place, aux participants d’une manifestation illégale (comme cela s’est
produit en l’espèce), il faut noter que le Règlement ne conditionne pas l’existence de
l’infraction créée par les art. 19.2, al. 1, 20 et 21 à un avis que devrait ou pourrait
donner le service de police : aucun tel avertissement n’est prévu par le Règlement, qui
n’impose par ailleurs aucun avis de dispersement (au contraire de ce que prévoyait le
règlement municipal en cause dans l’arrêt Villeneuve149). Le Règlement ne crée pas
149
Villeneuve c. Ville de Montréal, supra, note 24.
200-10-003459-174 PAGE : 60
[147] De toute façon, si l’intimée, comme elle le laisse entendre, n’a pas l’intention de
cibler les personnes qui n’ont pas conscience de participer à une manifestation illégale,
c’est donc qu’elle estime, implicitement, n’avoir pas besoin du mécanisme de la
responsabilité stricte pour atteindre l’objectif qu’elle met de l’avant : la mesure moins
contraignante s’impose alors d’elle-même. En effet, l’article 19.2, al. 1 du Règlement
pourrait être rédigé de la manière suivante :
[…]
[149] À mon avis, créer une infraction de mens rea plutôt qu’une infraction de
responsabilité stricte ne relève pas simplement de la latitude qui doit être laissée au
régulateur de choisir parmi une « gamme de mesures raisonnables » : opter pour la
responsabilité stricte plutôt que la responsabilité d’intention est une différence majeure,
qui change fondamentalement le caractère de la contrainte. Faire de la participation à
150
La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, supra, note 59.
Voir aussi : Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville), supra, note 65. Voir également les
paragr. [63] et [64] supra.
151
Voir à ce propos : R. c. Sault Ste-Marie, supra, note 56, p. 1326.
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une manifestation pacifique – car c’est ce dont il s’agit ici – une infraction pénale de
responsabilité stricte en raison d’un manquement à une obligation formelle de
notification préalable n’est pas une solution soigneusement adaptée à l’objectif
poursuivi et ne constitue pas une atteinte minimale aux libertés d’expression et de
[150] Là encore, l’exemple britannique n’est pas sans intérêt. Malgré leur caractère
restrictif, les art. 12 à 14C du Public Order Act 1986152 (qui imposent des exigences
particulières aux « public processions » et « public assemblies » ou les prohibent dans
certaines circonstances) créent, en cas de contravention, des infractions d’intention.
Ainsi, les art. 12 (imposition de conditions supplémentaires à une « public
procession »), 13 (prohibition d’une « public procession ») et 14 (imposition de
conditions à la tenue d’une « public assembly ») énoncent que :
[…]
(5) A person who takes part in a public procession and knowingly fails to
comply with a condition imposed under this section is guilty of an offence, but it is
a defence for him to prove that the failure arose from circumstances beyond his
control.
(6) A person who incites another to commit an offence under subsection (5)
is guilty of an offence.
[…]
[…]
(8) A person who takes part in a public procession the holding of which he
knows is prohibited by virtue of an order under this section is guilty of an offence.
152
Supra, note 101.
200-10-003459-174 PAGE : 62
(9) A person who incites another to commit an offence under subsection (8)
is guilty of an offence.
[…]
[…]
(4) A person who organises a public assembly and knowingly fails to comply
with a condition imposed under this section is guilty of an offence, but it is a
defence for him to prove that the failure arose from circumstances beyond his
control.
(5) A person who takes part in a public assembly and knowingly fails to
comply with a condition imposed under this section is guilty of an offence, but it is
a defence for him to prove that the failure arose from circumstances beyond his
control.
(6) A person who incites another to commit an offence under subsection (5)
is guilty of an offence.
[…]
[Je souligne]
[151] Mais, plus encore, on pourrait tout simplement éviter la sanction pénale et
l’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est
instructif à cet égard.
153
Supra, note 102, notamment aux paragr. 98 à 103 et 128 et s.
200-10-003459-174 PAGE : 63
149. Les États étant en droit d’exiger une autorisation, ils doivent pouvoir
150. Une situation illégale, telle que l’organisation d’une manifestation sans
autorisation préalable, ne justifie pas nécessairement une ingérence dans
l’exercice par une personne de son droit à la liberté d’expression (Cisse c.
France, no 51346/99, § 50, CEDH 2002 III, Oya Ataman, précité, § 39, Barraco,
précité, § 45, et Skiba, décision précitée). Si les règles régissant les réunions
publiques, telles qu’un système de notification préalable, sont essentielles pour
le bon déroulement des manifestations publiques, étant donné qu’elles
permettent aux autorités de réduire au minimum les perturbations de la
circulation et de prendre d’autres mesures de sécurité, leur mise en œuvre ne
doit pas devenir une fin en soi (Primov et autres, précité, § 118). En particulier,
en l’absence d’actes de violence de la part des manifestants, il est important que
les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance pour les
rassemblements pacifiques, afin que la liberté de réunion garantie par l’article 11
de la Convention ne soit pas vidée de sa substance (Oya Ataman, précité, § 42,
Bukta et autres, précité, § 37, Nurettin Aldemir et autres, précité, § 46,
154
Il n’est pas certain qu’un système d’autorisation préalable – restriction aux libertés d’expression et de
réunion pacifique – serait valide en vertu des art. 1 de la Charte canadienne ou 9.1 de la Charte
québécoise, à moins d’être très soigneusement conçu. À ce propos, voir d’ailleurs : Garbeau c.
Montréal (Ville de), supra, note 16. Voir aussi : Commission des droits de la personne et des droits de
la jeunesse, Les restrictions à la liberté de réunion pacifique dans le cadre de la réglementation
e
municipale, par Michel Coutu, document adopté à la 446 séance de la Commission, tenue le
17 décembre 1999, résolution COM-446-4.1.2 (qui examine le système d’autorisation préalable mis
en place par la ville de La Baie). Pour sa part, la Commission de Venise estime que « les personnes
désirant se réunir ne devraient pas être tenues d’obtenir une autorisation préalable » (Conseil de
l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Lignes directrices du
BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, supra, note 102,
notamment aux p. 8 (paragr. 2.1); voir aussi p. 10 (paragr. 3.4), 28 (paragr. 30) et 63-64 (paragr. 118-
119). La question ne se posant pas en l’espèce, puisque le Règlement n’exige pas une telle
autorisation, je n’en dirai pas plus.
155 o
[GC], n 37553/05, CEDH 2015.
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Achougian, précité, § 90, Éva Molnár, précité, § 36, Barraco, précité, § 43,
Berladir et autres, précité, § 38, Fáber, précité, § 47, İzci c. Turquie, no 42606/05,
§ 89, 23 juillet 2013, et Kasparov et autres, précité, § 91).
143. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les événements
susmentionnés ont pour point commun de ne pas avoir entraîné d’autre
perturbation de la vie quotidienne qu’une gêne mineure, si tant est qu’elles en
aient causé une (voir en particulier le paragraphe 109 ci-dessus). Comme elle l’a
maintes fois souligné, une situation illégale telle que l’organisation d’une
manifestation sans autorisation préalable ne justifie pas nécessairement une
ingérence dans l’exercice par une personne de son droit à la liberté de réunion.
Notamment, en l’absence d’actes de violence de la part de manifestants non
autorisés, il faut que les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance
à l’égard des rassemblements pacifiques pour que la liberté de réunion garantie
par l’article 11 de la Convention ne soit pas vidée de sa substance (Kudrevičius
et autres, § 150, cité au paragraphe 128 ci-dessus, avec d’autres références). À
ce titre, la présente affaire ne se distingue guère des précédentes affaires dans
lesquelles la Cour avait jugé qu’une telle tolérance s’imposait aussi lorsque la
manifestation s’était déroulée dans un lieu public en l’absence de tout risque
d’insécurité ou de perturbations (Fáber, précité, § 47) ou de danger pour l’ordre
public au-delà de la perturbation mineure (Bukta et autres, précité, § 37), ou
qu’elle avait été source dans une certaine mesure de perturbations de la vie
quotidienne, notamment de la circulation routière (Kudrevičius et autres, précité,
§ 155, et Malofeyeva, précité, §§ 136‑ 137).
[…]
145. Qui plus est, et malgré ce qui précède, le requérant a été frappé de
sanctions qui, bien que qualifiées d’administratives en droit interne, n’en revêtent
pas moins un caractère « pénal » au sens autonome de l’article 6 § 1, de sorte
que cette disposition trouve à s’appliquer sous son volet « pénal » (paragraphe
80 ci‑ dessus). Or une manifestation pacifique ne devrait pas, en principe, être
cause de menace de sanctions pénales et notamment de privations de liberté.
Lorsqu’une sanction infligée à un manifestant est de nature pénale, elle requiert
une justification particulière (Kudrevičius et autres, précité, § 146). La liberté de
participer à une réunion pacifique revêt une telle importance que la personne
intéressée ne peut faire l’objet d’une quelconque sanction – même une sanction
se situant vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires – pour avoir participé
à une manifestation non prohibée, pourvu qu’elle ne commette lui-même, à cette
occasion, aucun acte répréhensible (ibidem, § 149).
[154] Ces propos sont transposables à l’espèce, avec toutes les précautions et
adaptations qui s’imposent, évidemment. Le régime de notification préalable mis en
200-10-003459-174 PAGE : 65
place dans l’affaire Navalnyy était draconien156 et loin de moi l’idée de comparer le
Règlement et ses exigences de préavis à ceux de l’État russe. Tout de même, l’idée
d’un régime de notification préalable permettant la poursuite d’une manifestation
pacifique et n’entraînant de sanction pénale que si le participant trouble délibérément
[155] Je n'affirme bien sûr pas que seule l'absence d’une sanction pénale répondrait
aux exigences de l’atteinte minimale. L’exercice qui précède montre simplement
l’éventail des possibilités s’offrant au régulateur préoccupé par la sécurité des citoyens,
mais soucieux des libertés d’expression et de réunion pacifique. Sur ce spectre, la
responsabilité stricte de tout organisateur et de tout participant à une manifestation
pacifique n'ayant pas fait l'objet d'une notification préalable ou n’étant pas conforme à
cette notification ne constitue pas une atteinte minimale.
[156] Tout cela étant dit, l’intimée ne s’est pas déchargée du fardeau qui était le sien à
cette étape de l’analyse, se contentant d’invoquer son objectif et les bienfaits
administratifs de sa réglementation. Pas plus qu’au chapitre du calibrage de ses
exigences (voir supra, paragr. [113]), elle n’a fait état des options qu’elle a envisagées
au moment de soumettre l’infraction qu’elle se trouvait à créer par l’art. 19.2 au régime
ordinaire des art. 20 et 21. Nous ignorons tout de la gamme des choix qui ont pu être
considérés, s’ils l’ont été. Nous ne savons pas si elle a envisagé de ne pas imposer de
sanction pénale. Elle n’a pas non plus expliqué pourquoi elle avait choisi la
responsabilité stricte pour sanctionner cette infraction, plutôt que la responsabilité
fondée sur la mens rea ou ce en quoi la première seulement lui permet d’atteindre, en
pratique, son objectif et pas la seconde. En réalité, nous ne savons pas si elle a même
considéré l’approche basée sur la mens rea. Sous ce rapport, elle paraît plutôt avoir
traité le sujet de manière machinale, exactement comme elle aurait traité une infraction
aux règlements municipaux en matière de stationnement, de gestion des ordures ou de
nuisance et sans considérer que la situation met en jeu des libertés fondamentales.
[157] On ne peut, dans ces circonstances, parler d’atteinte minimale, les dispositions
pénales du Règlement ne restreignant pas les libertés d’expression et de réunion
pacifique « aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation
de l’objectif »158.
156
On exigeait ainsi une notification préalable de 10 jours. Navalnyy c. Russie, supra, note 102,
paragr. 140.
157
Kudrevičius c. Lituanie, supra, note 155, paragr. 156.
158
Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 66 (affaire dans laquelle la preuve
requise au chapitre de l’atteinte minimale était également lacunaire : voir les paragr. 67-68).
200-10-003459-174 PAGE : 66
159
Carter c. Canada (Procureur général), supra, note 75, paragr. 122.
160
Peter W. Hogg, supra, note 77, paragr. 38.12, p. 38-43.
200-10-003459-174 PAGE : 67
[160] Je ne reprendrai pas ce qui a été dit dans les sections précédentes au sujet des
effets préjudiciables que les mesures contestées ont sur l’appelant et, de façon
générale, sur les personnes qui veulent manifester dans des lieux appartenant au
domaine public, et plus précisément, les rues, les trottoirs, les places ou les parcs,
[161] À cela, quels effets bénéfiques oppose-t-on? Par un déploiement efficace des
ressources policières, notamment dans le cas des marches ou défilés, l’on cherche à
assurer la sécurité des individus, incluant les manifestants (dont l’intégrité physique
pourrait être compromise par des automobilistes impatients, agressifs ou effrayés 161), la
libre circulation des usagers des voies publiques, le passage des véhicules d’urgence et
la prévention des débordements.
[162] On peut sans doute concéder que même les organisateurs d’une manifestation
ou les participants pourraient théoriquement profiter d’un tel encadrement, qui peut
diminuer le risque d’incidents de toutes sortes. J’estime néanmoins que le prix à payer
pour cette sécurité est en l’occurrence trop élevé. Compte tenu des menaces
hypothétiques qu’on cherche à contenir, il ne paraît pas essentiel en effet ni même
simplement raisonnable de cibler toute la variété des « manifestations » qui se trouvent
englobées dans la définition large qu’en donne l’art. 1 du Règlement, pas plus qu’il n’est
raisonnable d’imposer les mêmes exigences de notification à toutes les manifestations,
statiques ou mobiles, petites ou grandes, spontanées ou non, isolées ou récurrentes,
peu importe le lieu public où se déroule l’activité ou la menace réelle que l’affaire est
susceptible de présenter. Enfin, la sanction pénale dont ces exigences sont assorties,
par le moyen d’une infraction de responsabilité stricte applicable sans égard au
caractère pacifique de la manifestation, est en elle-même particulièrement excessive.
L’application de ces règles laisse par ailleurs aux policiers et à l’intimée un pouvoir
discrétionnaire très étendu, constitutif d’une forme d’arbitraire difficilement conciliable
avec la libre expression et la libre réunion pacifique. En somme, les effets bénéfiques
anticipés ne l’emportent pas sur les effets préjudiciables, le champ d’application
161
Témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 145-147.
200-10-003459-174 PAGE : 68
[164] L’arrêt de la Cour suprême dans S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola
Canada Beverages (West) Ltd.165, sous la plume de la juge en chef McLachlin et du
juge LeBel, est à cet égard particulièrement intéressant. On y reconnaît que tout
piquetage, primaire ou secondaire, est licite sauf acte fautif, défini comme
comportement délictuel (le contexte étant celui de la common law, on parle de « torts »
tels ceux d’intrusion, d’intimidation ou de diffamation et autres166; on parlerait d’une
faute en vertu de l’art. 1457 C.c.Q., dans le contexte québécois) ou criminel. Le
piquetage lui-même, activité expressive protégée par la Charte canadienne et variation
sur le thème de la manifestation, n’est pas un acte fautif et les contrecoups qu’en
subissent certaines personnes (employeurs, fournisseurs ou clients faisant affaire avec
celui-ci, public en général) ne sont pas un préjudice. Seul le préjudice « indu » peut être
considéré, c’est-à-dire celui qui résulte d’un piquetage comportant « un délit (une faute
civile) ou un crime (une faute criminelle) »167.
162
Voir notamment : F. Villeneuve Ménard, supra, note 39; G. Babineau, supra, note 29; P. Forget,
supra, note 29.
163
Pour une critique de la logique de la manifestation comme nuisance, voir : Sarah E. Hamill,
« Location Matters : How Nuisance Governs Access to Property for Free Expression », (2014) 47
U.B.C. L. Rev. 129.
164
La Commission de Venise n’exclut pas que, exceptionnellement, une manifestation pacifique puisse
engendrer un préjudice indu. Par exemple, lorsqu’elles ont lieu dans un même lieu ou un même
voisinage, « [l]es manifestations répétées, même si elles sont pacifiques, de groupes spécifiques
peuvent également – dans certaines circonstances – s’analyser en un abus de position dominante
[…] et, elles aussi, faire légitimement l’objet de restrictions visant à protéger les droits et libertés de
tiers » (Conseil de l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Lignes
directrices du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, supra,
note 102, p. 49, paragr. 84). Ce n’est toutefois pas la situation en cause dans le présent appel.
165
Supra, note 30.
166
Id., paragr. 103.
167
Id., paragr. 62.
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[166] Ce n’est donc pas parce qu’elle est perturbatrice que la manifestation pacifique
doit être régulée et si elle doit l’être pour des raisons de sécurité, ce ne peut être
prioritairement par le recours à des sanctions pénales de responsabilité stricte, ce qui
porte atteinte à la substance même de la liberté d’expression et de réunion pacifique.
III. CONCLUSION
Dans un tout autre contexte, celui du pouvoir de common law d’arrêter une personne en vue de
prévenir une violation de la paix, alors même que cette personne ne contrevient aucunement à la loi,
on observe un raisonnement du même ordre. Dans Fleming c. Ontario, 2019 CSC 45, la Cour
suprême, sous la plume de la j. Côté, précise ainsi que l’expression « violation de la paix », en
common law, « a toujours impliqué un “[TRADUCTION] danger pour l’individu” » (paragr. 58), un acte ne
pouvant violer la paix que « s’il comporte un certain degré de violence et un risque de préjudice »,
ajoutant que « [u]n comportement qui est simplement perturbateur, embêtant ou indiscipliné n’est pas
une violation de la paix » (paragr. 59). Elle conclut qu’il n’existe pas de pouvoir, en common law,
d’arrêter une personne qui agit en toute légalité parce qu’on appréhende une violation de la paix, par
cette personne ou par d’autres (étant entendu que le Code criminel permet par ailleurs d’arrêter la
personne qui se trouve sur le point de commettre une telle violation, voir les paragr. 61 et 62 de cet
arrêt). L’affaire Fleming concerne l’arrestation d’un individu alors qu’il se dirige vers le lieu où doit se
tenir une manifestation à laquelle il entend participer. Elle offre une perspective intéressante sur les
conditions auxquelles on peut vouloir prévenir les violations de la paix, enseignement qui peut être
utile aux municipalités qui cherchent à prévenir les « désordres » associés aux manifestations (même
pacifiques).
168
Supra, note 23.
169
Supra, note 30.
170
Supra, note 30.
171
Supra, note 45.
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