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Dictionaire Critique Du Marxisme PDF
Dictionaire Critique Du Marxisme PDF
du marxisme
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Gérard Bensussan
Georges Labica
Dictionnaire critique
du marxisme
QUADRIGE / PUF
DICTIONNAIRE CRITIQUE DU MARXISME VI
bien sur des concepts, du genrefétic/ti.mu*, po/ycentr~* ou rlijiçatïon*, que sur des
contributions de tel ou tel théoricien, Kautsky, Gramsci ou Boukharine.
2 - LES ENTRÉES
Elles l'inscrivent, cela vient d'etre dit, dans le champ de la théorie mamte.
Mais qu'entendre par là? Ne SOlnmes-now pas en présence d'un nouveau préa-
lable? Nous avons délibérément écarté la question de savoir s'il convenait de
parler du marxisme ou d~ marxism~l. Pour une raison de principe : le refus,
déjà dénoncé plus haut, de réduire le marxisme à l'une de ses figur~ ou l'un de
ses moments, c'est-à-dire de lui infliger une théorie de la définition que précisé-
ment il récuse. Au nom aussi de la pratique: inscrire dans le domaine marxiste
tous ceux qui s'en sont réclamés. Le lecteur de ce dictionnaire aura toutes occasions
de juger sur pi~ces.
Les entréea retenuea appartiennent à plusieurs catégories. Sans ~tre toutes
spécifiquement marxistes, elles sont néanmoins toutes lignifiantes du marxisme,
1. Sicnalons cependant deux petits livres utiles .. qui, biu qu'jb soiut différents entre eu:<
ct du MIR, participent de la mbnc préoccupation: J. Roux, Prltis hiJI«iqw th RUlTJtÏJm6-umn.--,
Paris, R. Lafl'OD', '969, ct P. MAMn, Ln 50""" CUl'" IMT><ÎJmI, Toulouse, Privat, 1970. Le DÎlIifIft-
IUIi" ~ " lfKial. 4( ma.rxiate » corrunc le qualificut ICI auteuR, édité par le CEJl.JoI (Centre
d'Etudes ct de Rcchcrcbcs marxistcs) aux Ed. Socialcs (Psns, 1975; rUel•• gB.), qui comble llSIUlé-
soit qu'elles éclairent sa connaissance, soit que, produites par lui, elles expriment
sa capacité heuristique. A cet égard les concepts-gouverneurs, fortement spécifiés et
féconds, ont été l'objet d'un traitement privilégié. Tel est le cas, entre autres, de
Accumulation*, Alliances*, Capital*, Classes*, Collsctivisation*, DialutitjU4·, Esprit d8
parti., Forl7llJtion économiquc-sociale·, Hégémonie·, ImpirialismJJ· , InternationaliSmJJ· ,
Mod8 de production*, OpportunismJJ·, Petite-bourgeoisie·, Pratiquc*, &pports d8 produc-
tion., Reproduction·, Stratégie/tactiquc·, Survaleur* ou Transition·. Auprès de ces
seigneurs théoriques, une place, d'analogue dignité, a été accordée aux environ-
nements idéologiques : Aliénation*, AnarchismJJ·, HégélianismJJ., MalthusianiSmJJ·,
Proud/wnismJJ· ou Utopie·.
Précisons que la cohérence de notre démarche nous faisait une règle ici égaie-
ment de nous en tenir aux seules acceptions marxistes. BlanquiSmJJ ou hégélianismJJ,
en conséquence, ne prétendent nullement exposer la pensée ou l'action de Blanqui
ou de Hegel, mais la ou les représentations que le marxisme en a produite(s). Les
spécialistes, s'ils n'y trouvent pas leur compte, découvriront peut-~tre avec intér~t
des éclairages inattendus de leurs auteurs. Les différents devenirs dans le marxisme
lui-même ont été abordés de préférence sous l'angle historique; ainsi de Bolche-
visme", de Maorsnu. ou de Stalinisme·; mais parfois sous leur seul aspect séman-
tique : tels, le mot 1711JrxismJJ*, l'expression marxismJJ-léniniSrrlJJ*, ou le mot Riva-
lution·. Au rang des occurrences, que l'on pellt généralement nommer dérivées,
se rencontrent des objets auxquels la théorie a attribué un statut particulier ou
sur lesquels elle a pris parti : Appropriation·, Bureaucratie., Ch81711Jge·, Conscience*,
Crédit*, Egalité·, HommJJ·, Négation·, Prix· ou Secret·; ainsi que des questions:
Antisémitisme*, Colonisation·, Droit·, Ecole·, Famille· ou Mariage·. En bonne dialec-
tique de nombreux opposés ont été présentés en couples: Abondance/&reté, Campagnef
Ville· , Exposition/Investigation*, Général/Particulier", ou RiformefRéoolution·• A quelques
métaphores enfin on n'a pas craint de donner la parole, du modeste Pudding*
aux ambitieuses Robinsonnades·.
Si la conception et la typographie elle-même nous ont fort à propos dispensés
de sérier des régions où tenir de force des concepts, par exemple Economie, Poli-
tique, Philosophie ou Pédagogie, il n'en apparaîtra pas moins clairement que des
occurrences tendent à se grouper par affinités, que des constellations se forment spon-
tanément et que les concepts s'organisent volontiers en chaînes de sens. Au lecteur,
aidé en cela par les corrélats consignés en fin d'articles, d'inventer ses propres routes.
Ont été par contre délibérément écartées les géographies du marxisme : ses
lieux de naissance, Rhénanie, France, Grande-Bretagne ou Belgique; comme ses
lieux actuels d'exercice, pays « socialistes» ou socialisants. Sa littérature n'a pas
été non plus retenue: ni les maîtres livres (les autres défient toute recension), ni
les gazettes et journaux où son histoire fut si bavarde. Fut exclu également son
bottin, aux quelques -ismes bien commodes près du BoulchariniSrrlJJ*, du G,amscisme·
ou du Trotskisme·. A cela nulle autre raison que celle de l'espace, car la matière,
quant à elle, est d'une richesse à amplement justifier, pour les hommes et les lieux,
sans parler des textes, un ouvrage semblable à celui-ci. Lequel, s'il ne se limite
sans doute pas au basic 1711J,xism, n'a assurément pas la prétention de se faire passer,
si peu que ce soit, pour une sorte d'Index général de la théorie. Les difficultés
rencontrées par l'éditeur de .\1arx/Engels Wer,u pour établir la liste des seules occur·
rences des 39 tomes publiés' suffisent à montrer ce qu'un tel projet aurait d'exor-
1. On peut espérer que les Index de la nouvelle ~farxJ Engels G6Sflmlausgabl, en cours de parution.
depuis 1976, par les soins des Instituts du !\.{arxismc·Uninisme d'URSS et de RDA, combleront cette
lacune.
IX AVANT-PROPOS
bitant et de proprement inaccessible. C'est dire à quel point nous sommes conscients
des omissions et des lacunes de toutes sortes que comporte notre entreprise en son
état actuel et qu'à la dénommer, Dictionnaire est encore un terme excessif.
3 - LES AUTEURS
4 - LA FICHE TECHNIQUE
ment indiquée, surtout quand clIe n'était pas aUbnent repérable (ex. ~f. à la
3" éd. de 18 B).
t / La bibliographie eorrespond à un double souci : elle est complémentaire des
références déjà précisées dans le corps de l'article, et, sauf nécessité, spécifique de
l'en~ traitée.
g / Liste tUs entrhs : On trouvera, en fin de volume, une liste des entrées, y
compris les termes n'ayant fait l'objet que d'une simple mention et renvoyant à
des occurrences traitées; les noms de leurs auteurs figurent entre parenthèses.
5 - ENVOI
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Présentation de la deuxième édition
Cette seconde édition n'est rien moins qu'une simple reprise de la pre~i~.
Elle est considérablement revue, corrigée et augmentée. En elfet, nous avons
pensé devoir apporter d'importantes modifications, après que nous eûmes appelé
de nos vœux, en IgBl, ('appropriation collective d'un travail lui-même collectif,
soit les « critiques, suggestions, rectifications, compléments ». Ce souhait a été
pleinement comblé; en témoignent le volumineux courrier que nous avons reçu,
l'abondance des comptes rendus de la preMe écrite, des médias audio-visuels et
des revues spécialiséo, les rencontres et débats. En France, comme à l'étranger,
la qualité de l'accueil fait à notre ouvrage, ainsi que les traductions en cours
- dont, pour l'allemand, les premiers volumes, au format de poche, ont déjà
été publi~ chez DasArgument à Berlin - , nous ont été le meilleur encouragement
à prendre en considération, autant qu'il était possible, les nombreuses et diverses
remarques permettant d'améliorer le travail entrepris.
Dix-neuf nOuveaux collaborateurs font leur entrée et apportent, sur des questions
où leur compétence est généralement reconnue, de féconds développements. Le
lecteur trouvera près de 100 nouveaux articles, qui élargissent les champs déjà
couverts: Dimocratie ( - avancée, - directe, - nouvelle, - populaire, etc.),
Etat ( - Rapport salarial, - soviétique, - Etatisme, elc.), Motk tk production
(- communiste, - socialiste, - étatique, etc.), Rivolution ( - culturelle, - fran-
çaise, - industrielle, - mondiale, - permanente, - scientifique et technique);
qui complètent l'éventail historique (Babouuisme, Ecole tk Budapest, FouriérisrtU,
Lassa//isrtU, etc.), politique (Antimilitarismt, CoIUgia/iti, Dissitknce, Exltnninisme,
Gauchisme, TitisrtU, etc.), philosophique (Logiqru, Nature, ,'.!atéri.alisrtU, Ontologie,
SpinoûsrtU, etc.), économique (Keynisianisme, Physiocratie, Marginalisme, Suhsomp-
tion, etc.); ou encore qui approfondissent les problématiques (CAfE, Division du
travail manuellinuluctuel, Transition, Structuralisme, etc.). Le risque de quelques
synthèses, dont la nécessité semblait d~orrnais inévitable, n'a pas été écarté : voir
Communauti, Crises du marxisme, Es/hitique, Id/ologie ou ScÎ4nce. Dans le même esprit,
suivant également en cela des indications convergentes de collaborateurs, utilisa-
DICTIONNAIRE CRITIQUE DU MARXISME XIV
teurs ou commentateurs, certaines entrées ont été remaniées, parfou metne réécrites.
Les bibliograplùes ont été, pour la plupart, augmentées et mues à jour, les corres·
pondances à l'édition allemande de référence (1oIEW) systématiquement rétablies,
lorsqu'elles fauaient encore délàut, et les chaînes de corrélats précisées et affinées'.
Un Index des noms cités dans le corps des articles a été constitué, qui facilitera
la production de nouveaux ensembles de significations pertinentes, trans\'ersaux
et complémentaires de ceux indiqués dans les corrélats.
1. Signalons aux lecteurs les plus exigeants qu'ila disposent maintenant d'un pr~cieux outil de
travail avec le Sathrtgisur ..W EW, paru en 1g83 à Cologne, chu Pahl-Rugcrutcin.
Priface à la troùième édition
Ces qu..stions emponaient bien sûr, dans leur radicalité, que soit fondamenta-
lement réorientée la traditionnelle prise en vUe de l'his/qirr, déjà plutôt mise à mal
dans les deux éditiom prfcédentes. Si son " tribunal .. cn efTet. ses « poubelles .. et
son " sens» pouvait'nt à eux seuls l''Kitimer ct déléKitimer pensées et exphiences,
actes ,·t mouvements collectifs, engag"mt'nt ct militantismes, comment hhapper à
la tentation du sabordag.. pur et simple? Jusqu'à la caricature, l'historicisme se
mord ici la queue: ce qui le vérifie le d..stitue. Sa th"oril" était vaincue au nom de
sa substance théorique. l'historicité des pratiques humaines. Le communisme était
donc soluble dans l'histoire. Comme pour toutes les générations pr"ci·dentes, la
situation obligeait à fain', dans le marxisme, le tri entre le vivant et le mort - mais
Ct'tle fois dans une conjoncture si inouïe que celui-ci semblait devoir di-finitive-
ment saisir celui-là. ClOS considérations, ces interrog-.ltions, ces raisons nous ont
conduit à penser qu'il serait sinon impossible, du moins point immédiatement
indispensable de fairt' pour la présente édition ce que nous avions fait pour la
seconde: ajouter. rectifier, combler, ri'rcrire ou couper, proposer d,' nouveaux
cheminem..nts, transwrsaux ou bibliographiques. br..f mettrç à jour,
D'abord parce qu,' la chute du communisme, comme celle d..s corps, a subi
une accélération uniformt' de son proprt' mouvement. L'insertion d,' nouvelles
entrres s'y rapportant (jNrtslToiJal par t'xt'mple) Te\iendrait à l'enreKistremt'nt plat
d'un moment, déjà éphémère, ou d'un événement pétrilié dans sa signification his-
toriqu,·. D'autrt's anid,,, auraient pu aussi bien augmenter cellt' édition (molwiali-
salioll, zapatismt...) : awc, du coup, le phil inverse d'ull<' retranscripLion immédiate
ct lluidifiée de tend.lllces (apparemnll"nt) lourdes. A défaut de véritables innova-
tions conceptuelles, on pouvait éga\..melll tt'nter de dn'SS<'r la liste des noms multi-
ples des impensés du marxisme désonnais décelables t't articulables. C'eût été
DICTIONNAIRE CRIT/QUE DU MARXISME XVI
s'engager dans une tout autre entreprise qui par ailleurs ne serait certainement pas
vaine, On SI' dira peuL-être encore qu'il aurait fallu effeuiller le Dietioll/Illire et en
supprimer ClTtainl's entrées, I\Jais quel serait l'intérêt d'un réami'nagl'JIlI'nt' plus ou
moins improvis;' d'une disposition d'I'llSl'mble? Sans doute ais;', œ bricolage
brouillerait, à coup sûr. une lisibilité, unI' tonalité générales dont nous Ifardons la
comiction qu'dle est celle du marxisme. avec ses dissonances et ses à-coups,
En fin dl' compte, sous ses trois "'ditions datées, aussi indicaliVl's 'lu.. les posi-
tions succ..ssivl's d'un curseur sur Unt' ri-gll', le Dictionnaire critique du marxisme cons-
titue 1.. témoignage d'une vie, la vie du marxisme dans les conditions déterminées
d'un espan' et d'une époque, r"ous avons donc opté pour la reprisl' ,'n l'état de
l'édition de 1!JH:l. Est ainsi proposé le- tahleau vaste et dorénavant à distance (à
bonne distan,',' ?) d'un site. Pour autant. il n" s'agit en aucun l'as dl' satisfaire avec
Cette édition de poch.. une simple curiosilé historique, et moins encon' un intérêt
archéologique, Le site en question, en elft't, fUI d'emblée k dUlmp d'urIe crise et le
terrain occupé un terrain critique, Donc ouverts à rous vents. Dés I·... dition
de 1982, nous nous donnions pour bUI dl' « produire un corps de d"finitions qui
/l'en soinlt pas H. Disons-le: notre marxisml' fut spontanément travaill" et vécu
comme marxisme « n"'gatif» si l'on prut dire, marxisme en crise, marxisme sans
dieu ni maître, lA' grand chantier du Dietioll/wirt. avec aussi ses aVt'nUI'S "t ses cons-
tructions. le montre à souhait, Bien d,'s articles, relus dans la rétrospection
inquiéte l't le souci de l'actualisation, annonn'nt "n effet l'entrée du communisme
dans l'histoire. non poim celle que font ks masses mais celle, plutôt nécrophagt',
des historiographes, Le communisme nt· s.. laissant décidément pas p,'ns..r au sein
du mouvement d" la matiére (en son «in"luctabilité H), le marxism.. critique du
Dictionnaire. conséquent à cet égard, supportait une critique du marxisme comme
ontologie général,' ayant vO"ation à instruir" dl' tout, comme mythologie de la
production ou encore comme roman cosmologique, Ce qui en subsist<' "t qui passe
en aulT<' chose pour s'y transfomler n'impli'lul' plus guérI' une adh;'sion théorique
à une syslématicité globale el cohésiVl',
G. M.
jurisles F. o. Mohamed Moulfi, philasopM M. MOU.
Marcel Drach, Iconomisl. M. D. Zdravko Munisic, philosopll. z. M.
Martine Dupire, anlh,opologue M. nu. Sami Naïr, philosophe s. N.
Victor Fay, journaliste v. F. Jean·Michei Palmier, J.-M. P.
Osvaldo Fernalldez.Diaz, philosophe
philosopM o. F.·O. Michel Paty, physicitn w. P.
Françoise Gadet, linguisl' F. O. Hugues Portelli, poliloiagut JI. P.
René Galliuot, hUlorim R. o. Pierre Raymond, pIailosopM P. R.
Jean.Marc Gayman, hista,itn J.-... o. Catherine Régulier, li/Urai" c. R.
Maurice Godelier. anÙlropolagUi! M. o. Henry Rey, hUlarim H. R.
Alain Guerreau, hislorien A. G. Jean Robc:lin, philosopM J. R.
DICTIONNAIRE CRITIQUE DU MARXISME XVIII
p. 159 (p. 509); lU, l, p. 203-206 (25, p. 198-200), p. 259-272 (p. 257-27°); III, 3,
p. 220-221, n. 1 (p. 851-852, n. 53); K4, ES, 1. 1, p. 31-4'/, p. 63-83, p. 161-399 p.usim;
t. 2, p. 121-129, p. 355-362, p. 41°'443, p. 592-637, p. 658-702. - ENGEU, AD, ES, p. 163,
p. 178, p. 293, p. 297, p. 312. - R. MALTHUS, Essai sur 1. principe d. populalioll, lrad. par
P. el G. PRtvOST, Paris, Guillaumin, 1845: texte abrégé el reclassé, Paris, Gonthier, 1963,
passim. - Principes d"eollomi. POlilique, Paris, Calmann-Lévy, 1969,3-172. - F. QUESNAY,
Tabl.tnJ iconamique d.s Playsiocralt!, Paris, Calmann-Lévy, 1969, passim. - D. RICARDO,
Principes dt l'iconami. politique el dt l'imp4I, Paris, Calmann-lhy, 1970, p. 9-10, p. 13-66,
p. 218-228, p. 262-271, p. 280-283, p. 309-345. - J.-P. SAXTJlE, Crilique dt la raison diaJu-
lique, Paris, Gallimard, IgOO, p. 200-225. - J..B. SAY, Traill d'konamie politique, Paris,
Calmann-lhy, 1972, passim. - A. SMITH, Reclurehn SUT la nature el les causes d. la riehesu
d.snaliolls, Paris, Guillaumin, 1859: totte abrégé, Idées/Gallimard, 1976, p. 33-46, p. 79-87,
p. 114-123, p. 2°7-21 4.
J.-Y. L. B.
Absolu/Relatif
Al : A6sol.t/Jù/atÙJ. - An : Ab,olull/Rtlati... - R : A6soijubt.1i/Obulsilll'rui.
l'image du Fruit absolu qui recouvre la diversité réelle des fruits. Mais
par ailleurs, en abandonnant le point de vue anthropologique (à partir
des ThF), Marx donne à ce « relativisme» un fondement sui generis: la
praxis. Dès lors c'est jusqu'aux notions d' « absolu» et de « relatif», soli-
daires dans leur opposition, qui sont virtuellement contestées.
Dans le Ludwig Feuerbath, il est dit que « la philosophie dialectique
dissout toutes les notions de vérité absolue définitive et d'états absolus de
l'humanité qui y correspondent », en sorte qu' « il ne subsiste rien de défi-
nitif, d'absolu, de sacré devant elle ». Cette profession de foi relativiste a
pour finalité d'affirmer que le« caractère révolutionnaire (de la dialectique)
est absolu - le seul absolu, d'ailleurs, qu'elle laisse prévaloir » (LF, ES,
l, 18, in EturUs philosophiques).
Avec Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine se met en place un régime
nouveau du couple absolu/relatif. Mais c'est significativement à travers un
commentaire du texte sus-cité de l'Anti-Dühring que s'introduit ce régime
(au chap. Il, § 5). Lénine oppose précisément le relativisme d'Engels au
relativisme de Bogdanov, inspiré de Mach :« Pour Engels, la vérité absolue,
commente Lénine, résulte de l'intégration de vérités relatives» (o., l'l, 137).
« Ainsi, la pensée humaine est, par nature, capable de nous donner et nous
donne effectivement la vérité absolue, qui n'est qu'une somme de vérités
relatives» (op. cit., p. 138).
Il faut donc penser simultanément la matérialité comme détermi-
nant absolu et le caractère approximatif du processus par lequel la connais-
sance humaine (scientifique) appréhende cet « absolu». Donc « la vérité
absolue résulte de la somme des vérités relatives en voie de développement»,
celles-ci étant « des reflets relativement exacts, d'un objet indépendant de
l'humanité », donc contenant un élément de vérité absolue» (o., 5, 8,
322 ).
Cela s'exprime par un monisme dont Lénine donne la formule dans un
encadré des Cahiers philosophiquu à propos de la SCÙTUe rU la logique de Hegel :
« L'absolu et le relatif, le fini et l'infini = parties, degrés d'un seul et même
univers» (o., 38, 104). « Absolu» veut dire dès lors « plus concret» (op. cit.,
p. 21 7).
... CoRRRLATS. - Critique) Dialectique, Dualiame/~{onismeJ Théorie de Ja connaiuance,
Thèse, Vérité.
P.-L. A.
Abstrait/Concret
Al: A6sl,ul/K..wtl. - An: A6slracl/Conn,'" - R : A6slru"rQ/KotJa,"rQ.
(Prague, Dilia éd., 1967); A. NEGRI, M..." Gu-d./d tû M...", C. Bourgeoio, 1979, p. 93 et s.;
M. M. ROIEHTAL, Dit ma,xistisdu tlillhlctisdu M.1iuHk (remarquable précis de Ilalinisme
théorique), DielZ, 1953; du tmlDe, Du tlialeklischl M.1iuHk tltr jlMilisdtm {JkoMmil von Karl
M...", Ditlz, 1969, p. 393-431.
~ CORR4LATS. - Cat~orie, Dialectique, GénéralfParticulier, Hégélianisme, Hiotorique/
Logique, Idéalisme, PJùIolopJùe, Rationnel/Réel.
G. Be.
Accumulation
AI : AU...ul.'i.... - An : Accumul.,;"'. - Il : NaI<~lm;'.
moyenne idéale. C'est pourquoi Marx prend bien soin de définir chacun
des termes indispensables à sa construction, aussi bien du point de vue valeur
que du point de vue matériel : « Le produit total de la société, donc
l'ensemble de sa production aussi se décomposent en deux grandes sec-
tions : 1 1Moyens de production, marchandises qui, de par leur forme, doi-
vent ou du moins peuvent entrer dans la consommation productive;
II 1:t\Ioyens de consommation, marchandises qui, de par leur forme, entrent
dans la consommation individuelle de la classe capitaliste et de la classe
ouvrière. Dans chacune de ces deux sections, toutes les branches de pro-
duction distinctes qui en font partie ne forment qu'une grande branche de
produclion unique - les moyens de production pour les unes, les moyens
de consommation pour les autres. L'ensemble du capital employé dans
chacune de ces deux branches de production forme une grande section
particulière du capital social. Dans chaque section, le capital se décompose
en deux parties: 1 1Capital variable. En valeur, il est égal à la valeur de la
force de travail social employée dans celte branche de production; donc à
la somme des salaires payés pour cette force de travail. Au point de vue
matériel, il se compose de la force de travail en action eIIe-m~me, c'est-à-dire
du travail vivant mis en mouvement par cette valeur capital; 2 1Capital
constant, c'est-à-dire la valeur de tous les moyens de production utilisés
pour la production dans cette branche. Ceux-ci, à leur tour, se décomposent
en capital fixe : machines, instnlments de travail, bâtiments, bêtes de
travail, etc., et en capital constant circulant: matériaux de production tels
que matières premières et auxiliaires, produits semi-finis, etc. La valeur du
produit annuel total fabriqué à l'aide de ce capital, dans chacune des deux
sections, se décompose en un élément valeur qui représente le capital
constant C consommé dans la production et, quant à sa valeur, simplement
transféré au produit, et en un autre élément de valeur ajouté au produit
par tout le travail de l'année. Ce deuxième élément se décompose encore
en deux parties : l'une remplace le capital variable avancé v et l'autre, en
excédent de ce capital, constitue la plus value pl. Comme la valeur de toute
marchandise particulière, celle du produit total se décompose donc aussi
dans chaque section en C + v + pl» (K., ES, II, 5, 49-50; MEW, 24,
394-395)·
L'hypothèse de la reproduction simple est qu'une société ne peut repro-
duire, c'est-à-dire produire d'une manière continue, sans transformer
continuellement une partie de ses produits en moyens de production, en
éléments de nouveaux produits. Toutefois l'analyse des rapports capita-
listes dans le cours de la reproduction ne manque pas de faire apparaître
la source véritable du capital: « La reproduction simple suffit pour trans-
former tôt ou tard tout capital avancé en capital accumulé ou en plus-value
capitalisée» (K., ES, 1,3, 13; MEW, 23, 595). Pour qu'il y ait reproduction
simple, il faut que le montant des moyens de production usés dans chacun
des secteurs (soit CI + C2) soit égal au montant des moyens de production
offerts par le secteur 1 (soit " + VI + pli) d'où l'on déduit aisément
la condition d'équilibre C2 = VI + plI. II faut de même que le revenu
formé dans les deux secteurs (VI + pli + V2 + p12) soit consommé en
biens produits par le secteur II (C2 + V2 + p12) ce qui, après transfor-
mation, permet de retrouver c2 = VI + pli.
Dans la reproduction élargie une partie de la plus-value est convertie
en capital, donc transformée en achat de moyens de production supplé-
9 ACCUMULATION
Achat/Vente
/\1 : "a'lf/Vtrkarif. - An : l'urchas,/Sal,. - R : ""!>Ua/Prad";"'.
générale du capital, où, cette fois, l'achat précède la vente (K., ES, t. l,
p. 151 et s. ; MEW, t. 23, p. 161 et s.). Par un argument déduit de la pério-
dicité de ces deux moments (si tous les échangistes vendent au-dessus de la
valeur, aucun ne peut faire des profits), Marx écarte - ainsi qu'il le fit au
cours de l'hiver 1857-1858, avant de donner la première formulation cor-
recte de la théorie de la plus-value (Grund., ES, l, 254 et s.) - l'idée que la
plus-value puisse se former dans le procès de circulation.
21 Dans l'achat et la vente de la force de travail, le couple achat/vente
est rapporté à la séparation (Trmnung) des travailleurs vis-à-vis des moyens
de production. Les textes auxquels il faut se référer sont le chapitre IV
du livre 1 du Capil4J et le chapitre 1 du livre Il (K., l, l, 170 et s.; MEW, 23,
. 181 et s.; K, Il, l, 32 et s.; MEW, 24, 34 et s.). L'achat et la vente de la force
de travail, que Marx, à la différence de l'achat et de la vente des marchan-
dises, présenle comme un trait spécifique du mode de production capita-
liste, mettent également en jeu la figure M-A-M, la première place étant
occupée par la marchandise force de travail. Cependant, alors que dans
l'échange de marchandises, la prcmière métamorphose d'une marchandise
(M-A) est simultanément la dernière d'une autre marchandise, la trans-
formation de la force de travail en argent est en m~me temps le premier
moment du cycle du capital (A-M-N). Alors que la reproduction des pro-
ducteurs séparés était conditionnée par la sanction sociale des valeurs
d'usage produites, celle de la force de travail est articulée au procès de
mise en valeur du capital.
La vente de la force de travail transfère sa valeur d'usage à l'acheteur.
C'est de suivre en cela le sort commun à toutes les marchandises qui
confère à la force de travail cette faculté, qu'elle ne partage avec aucune
autre, de créer de la plus-value.
31 Le procès de circulation du capital social, tel qu'il est exposé par
Marx dans la section 3 du livre Il du Capital (K., Il, 2, 46 et s.; MEW, 24,
391 et s.), fait jouer ensemble la séparation des producteurs et celle des tra-
vailleurs vis-à-vis des moyens de production. Il ramène l'achat et la vente
des marchandises et de la force de travail à l'achat de moyens de production
par la section Il (section produisant des biens de consommation) et à l'achat
de biens de consommation par la section 1 (section produisant des moyens
de production). Soit, pour se limiter à l'exposé de la reproduction simple,
qui suffit ici, la figure I(v + pl) - A - I1(e). Elle se décompose ainsi,
si on considère seulement l'échange de I(v) contre une fraction de I1(e)
a) Force de travail de la section I-A-biens de consommation;
b) Biens de consommation-A-moyens de production.
Cette troisième approche du couple achatfvente interdit, contrairement
aux deux premières, de traiter ces deux moments uniquement comme
éléments d'un procès formel. L'ensemble du procès de reproduction n'est
plus seulement conditionné par une suite de transformations ; il dépend
aussi de la nature et de la quantité des marchandises transformées.
C'est dans le cahier 1 des Grundrisse, que Marx rédigea au mois d'octo-
bre 1857, que l'on trouve la première analyse du couple achat/vente en
termes de moments séparés et autonomes de la métamorphose des mar-
chandises (Grund., ES, l, 126 et s.). Elle est reprise en 1858 dans la Contri-
bution et figure dans Le Capilol, publié neuf ans plus tard. L'analyse de
l'achat et de la vente de la force de travail s'ébauche, dans la forme qu'elle
13 ACHAT/VENTE
Action réciproque
AI: W..ltstlwir_,. - An : In"'adion. - R : VzaimodQ".i,.
Agitation IPropagande
At : ~/~. - An : ~/~"", - R : Ati""v./ProI<r,.....
Ces notions liées, doublet fameux et distinction canonique à la fois,
jouèrent un rôle éminent dans l'histoire du mouvement ouvrier russe notam-
ment, dont elles marquèrent, à l'étape de sa constitution, certains moments
importants. G. Plekhanov en fut l'introducteur majeur : « Le propagan-
diste présente beaucoup d'idées à un seul individu ou à plusieurs individus.
L'agitateur présente une seule idée ou quelques idées mais à toute une masse
de gens... » (Les tâches des socialistes dans la lutte contre lafamine en Russie, ISgI).
Fort de son expérience d'organisation des masses ouvrières juives de Russie,
le Bund fut le premier mouvement à en consigner la pratique dans un petit
texte de 1894, De fagitation, rédigé par A. Kremer et préfacé par Martov.
Vers 1901-1902, la question de l'agitation et de la propagande tint une
place décisive dans les débats politico-organisationnels qui agitb'ent le
Parti ouvrier social-démocrate de Russie et fut alors une de ces « questions
brûlantes de notre mouvement », selon le sous-titre de Que faire? Dans ce
texte en effet, Lénine, contre les « économistes», confirme la définition de
Plekhanov et de « tous les chetS du mouvement ouvrier international »
(Q.F, O., 5, 418) et précise le sens de sa distinction: « ... Un propagandiste,
s'il traite par exemple le problème du chômage, doit expliquer la nature
capitaliste des crises, montrer ce qui les rend inévitables dans la société
moderne, montrer la nécessité de la transformation de cette société en société
socialiste, etc. Traitant la même question, l'agitateur, lui, prendra le fait
le plus connu de ses auditeurs et le plus frappant, par exemple une faInîlle
de chômeurs morte de faim, l'indigence croissante, etc., et, s'appuyant
sur ce fait connu de tous, il mettra tous ses efforts à donner à la « masse »
une seule idil : celle de la contradiction absurde entre l'accroissement de la
richesse et l'accroissement de la Inîsère; il s'efforcera de susciter le méconten-
tement, l'indignation de la masse contre cette injustice criante, laissant le
soin au propagandiste de donner une explication complète de cette contra-
diction» (ibid., 418-419). « C'est pourquoi le propagandiste agit principa-
lement par l'lait, l'agitateur de vive voix », écrit Unine (ibid., 419) qui
illustre son propos en invoquant les exemples des « propagandistes »
Kautsky et Lafargue et des « agitateurs» Bebel et Guesde. Il semble encore
y ajouter la catégorie des « théoriciens», super-propagandistes en quelque
sorte, et définit les fonctions respectives de chaque groupe par le lieu et les
modes de leurs interventions : l'ouvrage général pour le théoricien, la
revue pour le propagandiste et le discours public pour l'agitateur (ibid.).
Effet historique mondial de cette inscription russe: à partir de 1919,
le Comité exécutif de l'Internationale Communiste, puis le KoInînform,
ainsi que les secrétariats des Comités centraux des partis communistes
organisent en leur sein des sections ou des départements d'agitation et de
propagande (Agit-Prop) .
• BIBUOORAPIfIE. - LtmNE, o., 2, p. 335-336, 338-339, 34': O., 4, p. 287, 29°-291, 336-
337: O., 5, p. 408-4"9: 0.,6, p. 168-16g; o., 42, p. 224-225: O., 43, p. 3'-32: R. LUXEloOlURO,
Massenslreik, Partei und Gewerbchaflen, in Politise'" Seltriftttl, Leipzig, Redam, 1969,
p. 129 et s. (trad. franç., Maspero, 1964).
~ CoRRtUTS. - Anticommunisme, Esprit de parti, Interrultionale(s), Parti, Permanent,
Strato!gie(Tactique.
G. Be.
AGNOSTICISME 16
Agnosticisme
AI : ACMSliVmws. - An : AgMslieism. - R : AgMSlicium.
Aliénation
Al : Entfrnndung (frt1lld .. étranger), Enl4usstnmg J V"iW5ttrUlg (dusseT: extérieur). - An : Alienalion. -
R : DladJen;'.
conforme à sa vraie nature est amené à aliéner son etre générique dans l'Etat
qui joue, sous la forme d'Etat politique, vis-à-vis de la société un rôle ana-
logue à celui du ciel vis-à-vis de la terre. Alors que l'homme mène dans la
société sa vie réelle égoïste, privée, il mène dans l'Etat politique, sphère
de l'intérêt général, une vie collective qui répond à sa vraie nature, mais
de manière chimérique, illusoire, dans le ciel» (A. Cornu). L'Etat des
Principes de la philosophü du droit a tout perdu de sa pesanteur ontologique,
il n'est plus que « sophistique », irréalité. Entre le citoyen et l'homme, c'est
la faille. La Question juive épuise à la nommer le vocabulaire du négatif:
« conflio> (Konftikt), « scission » (Spaltung) , « contradiction» (Widerspruch),
« opposition» (Gegensat;:;),« antagonisme» (Widerstrtit) ..• Le meme ouvrage,
d'autre part, prépare le transfert du concept vers le domaine économique:
« L'aliénation (Die VerliusstTlmg) est la pratique du dessaisissement (Entlius-
smmg). De même que, tant qu'il est imbu de préjugés religieux, l'homme ne
sait objectiver son etre qu'en en faisant un /ltre étranger (ftemd) et fan-
tastique, de même il ne peut, sous la domination du besoin égoïste, exercer
une action pratique, produire des objets sur le plan pratique, qu'en pla-
çant ses produits, de même que son activité, sous la domination d'une entité
et en leur conférant la signification d'une entité étrangère - l'argent»
(ibid., 142-143).
Avec ses A1anuscrits de 1844, Marx commence par s'installer dans le
propre champ de l'économie politique, dont il déclare accepter les « pré-
misses », le« langage» et les « lois », mais sa perspective est résolument cri-
tique. « L'économie politique part du fait de la propriété privée. Elle ne
nous l'explique pas» (Erg., l, 510; ES, 55). Or il faut aller du fait, soit
« l'aliénation (dü Entfrtrndung) de l'ouvrier et de sa production », au concept
de ce fait, soit « le travail rendu étranger, aliéné (die entfrtrndelt, entiiusserlt
Arbeit)>> (ibid., 518; 65), si l'on veut exposer le procès de constitution des
catégories économiques et produire, sous les discours mystificateurs qui les
développent, leur vérité, celle de la séparation de l'homme d'avec son
essence, laquelle, à son tour, mettra au jour la nécessité du communisme, en
tant qu'« abolition positive de la propriiti privie (elle-même aliination humaine de
soi) (menschliche Selbstentfttrndung) et par conséquent appropriation réelle de
l'essence humaille par l'homme et pour l'homme» (536; 87). L'erreur de
Hegel peut désormais être exactement assignée. « Hegel se place du point de
vue de l'économie politique moderne. Il appréhende le travail comme
l'essence. comme l'essence avérée de l'homme; il voit Je côté positifdu travail,
non son côté négatif. Le travail est le devenir pour soi de l'homme à l'intérieur de
l'alimation (Enttiusserung) ou en tant qu'homme alimi (enttiusserter Mensch).
Le seul travail que connaisse ou reconnaisse Hegel est le travail abstrait
de l'esprit. Ce qui, en somme, constitue donc l'essence de la philosophie,
l'aliénatioll (EnttiuSStrutlg) de l'homme qui a la connaissance de soi, ou la science
aliénée qui St pense elle-même (sich denkende enttiusStrte Wissenschofl), Hegel le
saisit comme l'essence du travail et c'est pourquoi il peut, face à la philo-
sophie antérieure, rassembler ses divers moments et présenter sa philosophie
comme la Philosophie» (574-575; 132-133). C'est ainsi que la considération
du travail aliéné permet de comprendre comment on substitue l' « aliénation
de la consciellcc de soi (Entfremdrl1lg des Stlbstbewusstseins) » à l' « aliénatioll
rhlle de l'essence humaine» (ibid.) et par quel procédé « le philosophe
- lui-même forme abstraite de l'homme aliéné (tine abslrakte Gestalt des
mtfrmldeten i\fenschen) - se donne pour la mesure du monde aliéné (der
19 AulNAT/ON
vivant comme valeur d'usage ou, pour exprimer la chose en d'autres termes,
le travail se rapporte à ses conditions objectives - et donc à l'objectivité qu'il
a lui-même créée - comme à une propriété d'autrui: aliénatjOlI du travail
(Entliusserung deT Arbeit) », dont Marx ajoute qu'elle est « laforme extrlme de
fatimation (Entftemdung)>> (Dietz Verlag, 414-415; ES, Il,7-8). Ou encore;
« Les économistes bourgeois sont tellement enfermés dans les représentations
d'une phase déterminée du développement historique de la société que la
nécessité de l'objectivation des forccs sociales du travail leur apparaît insé-
parable de la nécessité de rendre celles-ci étrangères face au travail vivant.
Mais avec l'abolition du caractère immédiat du travail vivant, comme pure
singularité, ou comme universalité uniquement intérieure ou extérieure, en
posant l'activité des individus comme immédiatement universelle ou
sociale, les moments objectifs dc la production sont dépouillés de cctte
forme d'aliénation (Entfremdung); ils sont alors posés comme propriété,
comme corps social organique, dans lequel les individus se reproduisent en
tant qu'individus singuliers, mais individus singuliers sociaux» (ibid.,
7 16 ; 32 3).
Ainsi en va-toi! dans telle analyse du Capital. « En réalité le rapport
capitaliste dissimule sa structure interne dans l'indifférence totale, l'exté-
riorisation (Ausserlichkeit) et l'aliénation (Entfremdung), dans lesquelles il
place l'ouvrier à l'égard des conditions de la réalisation de son propre
travail (...) l'ouvrier se comporte en réalité envers le caractère social de son
travail, sa combinaison avec le travail d'autrui en vue d'un but commun,
comme envers une puissance étrangère (.fremde Macht) » (MEW, 25, 95;
ES, III, 1. 103). Que l'on pense au célèbre chapitre du Livre 1II, intitulé
significativement:« Le capital porteur d'intérêt, forme aliénée (VtT/lusseT-
lichullg) du rapport capitaliste» (ibid., 404; III, Il, 65): ou à tel passage du
Chapitre inédit, soulignant « le fait que les conditions matérielles indispen-
sables à la réalisation du travail soient devenues étrangères (entfremdet) à
l'ouvrier et, qui plus est, apparaissent comme des fétiches doués d'une
volonté et d'une âme propres; le fait enfin que les marchandises figurent
comme acheteuses de personnes» (trad. UOE, 165).
Qu'est-ce à dire? Sinon que l'aliénation n'a pas sculement perdu sa
position centrale, mais sa propre maîtrise en tant qu'elle n'est plus ce qui
explique mais ce qu'il s'agit d'expliquer. Elle ne se gouverne plus. Elle est
au contraire soumise à des conceptualisations, celles dufétichisme ou de la
réification qui ne tiennent même pas leurs raisons d'clles-mêmes, mais de ce
socle qui les produit comme sa propre mystification, lc mode capitaliste
de production.
Alliances
AI : Bllndnûs,. - An : Alli.netS. - R : Alïansy.
ibid., 222). L'!ÙStoire tourmentée des rapports pc/ps est, à bien des égards,
un effet de ce type d'alliance et des contradictions qu'il véhicule.
- L'alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie est celle qui
prévalut dans les premiers pays où s'engagea le procès de la révolution
socialiste, en Europe (Russie, démocraties populaires), en Asie (Chine,
Vietnam), en Amérique latine (Cuba) comme, sous nos yeux, en Afrique
(Angola); ce qui n'alla pas sans soulever d'importantes questions théoriques
et pratiques. L'alliance avec la paysannerie vint à l'ordre du jour du mou-
vement ouvrier au début des années 90 du siècle dernier. Prenant la suite
des analyses de Marx dans son Dit-huit Brumairl ou dans les Gloses et pour-
suivant sa propre réflexion commencée avec la Guerre des paysalls, F. Engels
en fut le premier théoricien, par ses vigoureuses recommandations au Parti
socialiste de passer « de la ville aux champs », de « devenir une puissance
à la campagne» (Q.P, ES, 12; MEW, 22, 486) et son exposition, à cette fin,
de la structure de classe de la paysannerie, où l'ouvrier agricole côtoie le
petit propriétaire et le gros fermier capitaliste. « Causes économiques» et
« effets politiques», expliquait Engels, sont étroitement liés. Car les rapports
capitalistes de production ont achevé de transformer le statut de la paysan-
nerie : en Angleterre, la Jenny a fait du tisserand-agriculteur un ouvrier
d'industrie et libéré la terre; en France le petit paysan parcellaire connaît
une situation dans laquelle il « ne peut ni vivre ni mourir» (ibid., 18; 492),
or, en protégeant sa propriété on ne protège nullement sa liberté « mais
simplement la forme particulière de sa servitude» (ibid.). En Allemagne,
les hobereaux dépossèdent les paysans et accroissent considérablement leur
part de propriété foncière. Pour la grande masse des paysans, l'union avec
la classe ouvrière est désormais indispensable. C'est à Unine, dans les
conditions spécifiques de la Russie, qu'il appartenait de définir la nouvelle
alliance. Dans ses finalités: le prolétariat entraînera la paysannerie au-delà
de la réalisation de son projet propre, savoir l'obtention de réformes démo-
cratiques, jusqu'au socialisme, à la construction duquel elle demeurera
organiquement associée (o., 9, 458-459). Quant à ses conditions de possi-
bilité : autonomie et rôle dirigeant de la classe ouvrière qui prend partout
la t!te de tout mouvement révolutionnaire (o., 5. 435; aussi 15,48; 23, 316;
28,93,345, etc.); après Marx et Engels (MPC, 1; MEW, 4, 473), Lénine parle
de la « domination» nécessaire de la classe ouvrière; rôle du parti: après
Engels, Lénine souligne qu'il lui faut impérativement « faire pénétrer la
lutte de classes au village» (o., 4, 440); l'importance enfin des programmes,
à chaque étape des luttes communes, du Programme de 1902, où est avancée
l'idée de convaincre le paysan qu'il est de son propre intérêt d'en finir avec
la propriété même petite (o., 6, 107 et s.), à celui de 1917, où est proclamé
le mot d'ordre de la nationalisation des terres (o., 24, 292-295).
A son tour, dans un tout autre contexte, Mao Zedong, en mars 1927,
entamera sa carrière politique en dénonçant « les mesures erronées prises
par les autorités révolutionnaires à l'égard du mouvement paysan »
(o., l, 24; ES, 1955) et en entreprenant de les rectifier; ce qui conduira
la Chine à la Longue Marche et à l'instauration de la République
populaire.
- Dans les pays du capitalisme développé, où s'achève le procès de
disparition des exploitations agricoles traditionnelles et où, par conséquent,
la question de l'alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie a perdu
beaucoup de son importance, d'autres alliances viennent au premier plan
26 ALLIANCES
Amour libre
AI : F"i. Liebe. - An : Fm 1.... - R : l,jvbofI .......j •.
Analyse
AI : AM!1st. - An : .....!Josis. - R : A",di~.
n'a gu~ élé reprise dans la littéralure de langue françaùe (sauf par L. SSYE, Unt inlTo-
dUdion à la phüasop/lU mtJT"islt, Pan., 1980, par exemple, p. 70 el S., p. 137)·
3 1 Un poinl de déparl : G. LUKAcs, lA pinslr dt Unint, 1924 (posl-face en 1967);
G. LADICA, Prérapport sur Lénine el la pralique polilique, Uni,1l tl ln praliqlM StitllliJiqlM,
Paris, 1974.
~ CoaatLATlI. - Cor\ioncture, Dialectique, Grea, Hislorique/logique.
J.-P. C.
Anarchie de la production
AI. : ..tMrdIit dIT !'rodakliMl. - An : AM~ qf prodvtlion. - R : AMrIùja pr.~.
Anarchisme
AI : ~. - An : AMnhism. - R : Ana,IlUm.
Ancien/Nouveau
AI : A/Iu/N_J. - An : OM/N,w. - R : SI4..../N_.
Antagonisme
Al : ARla,.,mSlJUlS. - An : ARIIJ,.".isM. - R : .4.IIJ,...i"".
Anthropologie
Al : A>tIJI,..",zi" - An : A.tIJ"''''D. - R : AtIlTDJIDlogija.
Anticipation
Terme utilisé par Marx dans les Grundrisse pour indiquer l'existence
concrète de temporalités différentielles de la base et des superstructures et
évoquer, à titre d'exemple, l'avance possible et agissante des dernières sur
la première. Deux illustrations principales en sont fournies. Les robinsonnades
smithienne et ricardienne : elles représenteraient, en dépit de leur « appa-
rence esthétique » rétrograde (lntrodmtwn de 57 à la Cont., MEW, 13, 615),
le roman de l' « anticipation de la « société civile» qui se préparait depuis
le XVIe siècle» (ibid.). Le droit Tomain : il ne ferait qu' « anticiper celui de la
39 ANTICOMMUNISME
Anticommunisme
Al : Antikommuninnus. - An : Anlicommrmism. - R : Antikommun;lll1.
Antimilitari sme
Al : AnJimiUl4mmus. - An : ÂntimiHt",ism. - R : Antil1lititari.rm.
Appareil
AI : Apparal. - An : Appa,atus. - R : AHMal.
aussi l'équivoque qui subsistait. Tantôt Lénine insiste sur les effets de
rationalisation et de simplification des tâches de régulation de la production
sociale que comporte la constitution d'un tel appareil. Il n'est donc pas
question de le « détruire », comme l'appareil répressif bureaucratico-
militaire, mais de l'utiliser au service de la révolution. En défendant la
« militarisation de l'économie », Trotski accentue encore cette tendance.
Tantôt au contraire Lénine insiste sur l'inertie et les tendances spontanément
contre-révolutionnaires de l'appareil, lui-même gangrené par le « bureau-
cratisme» et par l'idéologie bourgeoise: on ne peut donc l'utiliser sans une
lutte permanente, politique et culturelle. Cette question ne cessera de hanter
les débats de la période de la NEP sur la question du contrôle ouvrier,
du rôle des syndicats, et de l'utilisation des « spécialistes bourgeois». La
difficulté est éclairée également par les références de Lénine aux réseaux de
coopératives comme à un autre aspect de l'appareil économique, encore plus
éloigné de l'identification de l'appareil d'Etat à un « groupe d'hommes »
restreint placé au-dessus et à l'écart de la société. Un tel appareil peut être
appelé un « appareil de masse ». La contradiction historique le traverse de
part en part, et appelle des formes inédites de lutte de classe.
En fait, on rejoint ici la grande question déjà posée par la constitution
des soviets et le problème de leur nature. Sur ce point, dans la social-démo-
cratie russe et européenne, la controverse a été immédiatement très vive.
Contre l'interprétation « spontanéiste» des soviets et la sous-estimation de
leurs possibilités, Lénine et Trotski ont affirmé, après 1 905, que les soviets
constituaient le germe d'un appareil d'Etat (d'où le mot d'ordre: « Tout le
pouvoir aux soviets»). Gramsci et Togliatti ont appliqué l'idée aux « conseils
d'usine» de Turin. Mais à la condition de préciser aussitôt qu'il s'agit d'un
appareil de type nouveau « incomparablement plus démocratique » (Lénine,
O., 25, 402), dont le seul précédent historique est la Commune de Paris,
car la constitution de cet appareil représente le transfert aux masses elles-
mêmes des tâches de gouvernement. On notera l'évolution par rapport
aux formulations de Marx.
On ne peut s'empêcher de relever ici les limites que comporte ce concept.
Il contraint Lénine à soutenir à tour de rôle des thèses plus que divergentes.
Si la métaphore conceptuelle de l'appareil, au maximum de son extension
contradictoire, permet bien au marxisme de désigner le champ dans lequel
se manifestent les problèmes politiques cruciaux (ceux qui, dans ses derniers
mois, se concentraient pour Lénine autour de deux impératifS: « révolution
culturelle » de masse, réforme radicale du fonctionnement du parti et de
son rapport à l'Etat), elle s'avère toutefois insuffisante à en faire progresser
l'analyse et les solutions.
Précisément, c'est la question du parti que vise le dernier avatar de la
notion d'appareil dans le marxisme de la Ille Internationale. Alors que de
nos jours l'expression « appareil du parti» est devenue courante aussi bien
chez les non-marxistes que chez les marxistes, il est frappant de constater
sa quasi-absence chez Lénine. Lorsque, dans les débats de 1922, celui-ci
tente de développer une critique de l'étatisation du parti, les références à
« notre appareil» et à ses défauts visent toujours l'administration d'Etat,
à travers le contrôle que le parti exerce (ou n'exerce pas suffisamment...)
sur elle. On est ici, du point de vue conceptuel, tout à fait dans la tradition
des marxistes de la Ile Internationale qui avaient le plus systématiquement
combattu la centralisation bureaucratique du mouvement révolutionnaire,
63 APPAREIL
Appropriation
AI : AMigmm,. - An : A~41;... - R : PrisPomi,.
pas sans un acte de prise de possession (Besitz) par lequel un sujet (supposé
libre) fait sienne une chose: la notion est reliée à celle de propriété, plus
précisément de propriété privée (Hegd, § 46).
2 / Quelle que soit l'importance de la critique feuerbachienne de la
spéculation philosophique hégélienne, la notion d'appropriation ne sera
plus, ici, pensée dans le champ du droit mais uniquement à partir de son
contraire, l'aliénation (de l'essence humaine) : c'est ce qui nous est propre
qui nous paraît étranger. La désaliénation consiste en une réappropriation
de l'essence (humaine). Lorsque ce couple d'opposés est présent dans les
Manuscrits de 1844 (M 44, 57), il faut donc en revenir à Feuerbach, quelle
que soit la nature de la reprise de Feuerbach par Marx dans ce texte.
3 / On peut distinguer deux grandes directions pour élucider le concept:
si l'on suit le cours de l'œuvre, par rapport à cette butte témoin cons-
tituée par les Manuscrits, il faudra expliquer pourquoi l'appropriation
demeure un terme clé propre à approcher le communisme (et non pas
seulement « la première phase de la société communiste », Gloses, 32 ;
MEW, 19, 21);
mais il est toute une constellation sémantique : l'appropriation se dit
de multiples manières. Marx parle même d'appropriation du monde
par la religion (Intr. 57, in Cont., 166; Grund., 22 : Rtligiose(n) (00')
Aneignung dieur Welt; MEW, 13, 22).
4/ La question (peut-être mal formulée) serait de savoir s'il est quelque
chose de commun entre l'Aneignung des Alanuscrits et l'analyse esquissée
d'une société qui a rompu avec le capitalisme (Engels, AD, 315-316; MEW, 20,
260 : on notera l'expression: die ProduJctions-, Aneignungs- IInd Austauschweise)
où « la société prend possession ouvertement et sans détours des forces
productives qui sont devenues trop grandes pour toute autre direction que
la sienne» (ibid., 316).
Visiblement, l'appropriation n'est d'abord pas séparable d'une cer-
taine conception (globalement feuerbachienne) de l'essence humaine :
certains textes d'économie politique une fois mis sous la grille d'une nou-
velle philosophie qui « fait de l'homme joint à la nature (00') l'objet unique, uni-
versel et suprlme de la philosophie» (Feuerbach, Principes de la philosophie
de l'avenir, § 54, in ManifesttS... , 197), il devient possible de déchiffrer
l'aliénation de l'homme et de penser la désaliénation comme réappro-
priation de l'essence humaine (M 44, 87 : à propos d'une définition du
communisme; 91 : « L'abolition positive de la propriété privée, c'est-à-dire
l'appropriation sensible pour les hommes et par les hommes de la vie et de
l'être humains »; 92 : identification de l'appropriation-désaliénation et de
l'émancipation; l'appropriation par l'homme est conçue comme une huma-
nisation de la nature, 87; Erg., l, 536 et s.).
La question est de !avoir ce que devient ce supposé « sujet », cette pré-
tendue « substance ». En un mot, le sujet n'est-il qu'un suppôt, voire un
support (K, ES, l, 20; MEW, 23, 16), de telle sorte que le terme d'appropria-
tion, avec sa connotation juridique, trouve sa pleine signification dans
l'analyse des formes de propriété et de ce qu'elles« expriment» des rapports
sociaux qu'elles reflètent et mettent en forme (au plan juridique) ? A la
limite, le concept n'aurait plus de spécificité, servant seulement à signaler
des analyses différenciées sans lesquelles il n'est plus qu'une vulgaire
abstraction spéculative.
APPROPRIATION 66
Argent
Al : QU. - An : M«N7. - R : Dm'p.
Aristocratie ouvrière
Al : A,b<i,.,.ri,IDA:,.ti,. - An : Lobour .,i'Iom.". - R : Jl,01>oUJj• • ,j,~",V"
Armée de réserve
Al : 1ùurMmrIt,. - An : !ùstTPI ""'V. - R : R _ j . onnij••
Voir : Chômage.
69 ASSOCIA TION
Art
AI : KlIIlSt. - An : Art. - R : IsIwsJII1o.
Associatio'1
At : ÂSStl~ÛJlionJ V",ini,.".,. - An : SOÛt!y. Trt2dt·rtnion. - R : ilssotÎaeija ou ObU,dinonit.
elle-même. Dans la lutte (...) cette masse se réunit, elle se constitue en classe
pour elle-même» (MPh, 178; MEW, 4, 180 et s.).
Des prolétaires qui deviennent classe sociale, une classe sociale qui
devient société: le concept d'association essaie de penser le développement
de cette tendance au communisme, inscrite matériellement dans le procès
de production capitaliste.
• BIDI.lOORAPIIlE. - Le In Congrès ouvrier (Paris, (876) affirmait dans une Iisolution
fondamentale « que le principe vital qui devait régénérer les travailleun était sorti des
nuages de l'utopie: c'était l'association »; et que « la question de l'alfranehiJsement du
travailleur trouverait sa solution dans le principe de l'association coopérative» (cf. Uon
BLUM, Les congrès ouvriers ct socialistes français, apud L'lIuvre de L. B. (,89"'9°5),
Paris, A. Michel, 195.10 p. 395); Jean MONTREUIL note: « Le vieux rêve de la libération
oU\Tière par l'association vit toujoun : il vient réchauffer l'idée un peu abstraite d'une
expropriation des expropriateun qu'a vullflllÜ<! le collectivisme ", Hulqj" du l7tDUMJltnl
.....,;" m Franu, Paris, Aubier, '946, p. 153; P. NOUlUlDSON, Histoin de ". libtrtl d'assoda·
tiofI, Paris, 1930.
~ CORRÉLATS. - CIa.."", Coalitions ouvrihes, Collectivisme, Grêve, Parli, Syndicat.
J.•F. C.
Athéisme
AI : AIII,ismw. - An : Allltism. - R : Aui.em.
fonction, ses ambiguïtés (Marx dit qu'en un certain sens « l'athéisme est
le dernier degré du théisme» (SI', ES, 135; MEW, 2, 1 16).
L'irréligion théorique et pratique de Marx est irréductible : la religion,
l'humanisme athée sont à expliquer, non pas principes d'explication.
Cette explication est complexe : pour l'analyse matérialiste-historique,
il faut distinguer les religions et athéismes qui sont consécration pieuse ou
laïque d'une domination de classe et les religions et athéismes qui expriment
la révolte des masses opprimées. Engels a jeté les bases d'une telle enquête
(op, écrits sur le christianisme primitif). Sans nul compromis théorique, des
alliances pratiques entre croyants et incroyants sont possibles.
Lénine, le plus violemment athée des marxistes, et ce en raison de
l'obscurantisme particulièrement abrutissant de la religion orthodoxe,
n'a pas dévié de cette ligne sur le plan théorique. Le matérialisme est
« incontestablement athée, résolument hostile à toute religion» laquelle
« sert à défendre l'exploitation et intoxiquer la classe ouvrière». Mais la
lutte contre la mystification exige que l'on sache « expliquer dans le sens
matérialiste la source de la foi et de la religion des masses», sans se lier à
« une prédication idéologique abstraite». « La peur crée les Dieux. » Il
importe de « lutter contre les racines sociales de la peur», ce qui exclut de
faire de la diffusion des idées athées la tâche principale, mais exige les
alliances avec certains croyants, c'est-à-dire « la subordination de la pro-
pagande athée à la tâche fondamentale, le développement de la lutte de
classes des masses exploitées contre les exploiteurs» (Attitude du parti ouvrier
à l'égard de la religion, 1905, O., 15.371-381).
Mais la pratique bolchevique fut autre, surtout sous le régime stalinien.
L'athéisme devint officiel; la religion fut persécutée. Elle ne disparut pas
pour autant, sans doute parce que « ses racines sociales» ne furent pas
entamées et que le socialisme existant n'a su ni pu jusqu'à présent en finir
avec toutes les formes d'exploitation et de domination. Il n'a pu empêcher
que la peur et l'impuissance des masses devant les forces séparées de l'Etat-
Parti se transforment en espérances religieuses d'un monde meilleur.
• BmuOGRAPHlE. - TultS elassiqws : LUCRtCZ, De NallUa Rnum, Belles·Lellres, 1960;
SPINOZA, Traill t1Ilt>logito ""Ulique, 1967: FWEIlBACH, L'wenee du ehrislûmimu, Maspcro,
1968. Etudes: E. BLOCH, 71Iomas MlJ1lZtr, t1Ilologitn de/a I/Jwllllion, 196.j., « 10/18»: E. BLOCH,
L'a,hlisml dons le ehrislianism., Gallimard, 1978: CERM, Philosophie el religion (conlributions
de G. BESSE,j. BIDET, O. BLOCH, A. MATHERON. G. 1.ABlaA,j. MILHAU, S. MERCIER.jOSA
et L. SkYE); R. P. de LUBAC, Le dronu d. l'humanisme alhl., Spes, 1945; K. U\W1TH, D.
Hlgr/ d Nutue/u, Gallimard, 1969: M. VERRET, LtS marxisltS el la religiorl, ES, 1965.
~ CoRRtLATS. - Ali&\ation, Fétichisme. Genre, HumaniJme, Religion, Spinozisme.
A. T.
Atomisme
Al : A_u-.. - An : A_ism. - R : A"'mWn.
Au-delà de ses variations dans les lextes de Marx-Engels, ce terme tend
à désigner la représentation imaginaire (économique et éthico-juridique)
que l'individualité bourgeoise se dOllne elle-même de la réalité de sa pratique.
C'est à partir de la pratique économique de la libre concurrence généralisée
dam la course au profit au sein de la société capitaliste où sur la base de
certains éléments de son mode de production que l'individu bourgeois se
ATOMISME 62
Austromarxisme
Al : Awtromarxïsmus. - An : Aust,.".nuzrx;sm. - R : AllStro-nurrbivn.
repose sur les alliances de classes, vers la paysannerie (<< arracher la paysan-
nerie au cléricalisme »), vers la petite bourgeoisie et les classes moyennes
qui sont victimes de la concentration monopoliste; ce front démocratique
suppose le développement d'un mouvement de masses dans tout le pays à
l'encontre du risque de coupure entre soulèvement ouvrier et régions
agraires, qui doit se traduire par une majorité électorale et parlementaire.
Cette plate-forme est explicitée notamment au Congrès de Linz en Ig26
qui maintient les références au marxisme, mais vote l'abandon de la for-
mule de la dictature du prolétariat: la marche au socialisme ensuite se
fonde sur les nationalisations, le contrôle du crédit, le mouvement coopé-
ratif dans les campagnes, comme sur la généralisation de la gestion démo-
cratique et de la vie associative. Cette orientation repose sur une pratique de
la lutte de classes défensive: « Nous ne voulons pas la guerre, déclare Otto
Bauer, mais, si l'autre nous attaque, il doit nous trouver armés ct prêts à
nous défendre. » C'est cet attentisme qui fut emporté par la violence des
provocations fascistes, l'action des ligues armées, la répression anti-ouvrière
qui rencontrait l'assentiment d'un catholicisme pétri de corporatisme social.
en attendant l'offensive nazie et l'Anschluss. L'austromarxisme, prétendait
l'Internationale communiste, n'était que « la théorie savante de la passivité
et du capitalisme )). Plus que la théorie, c'était certainement la pratique de
défense passive qui était hors des circonstances.
Ce qui distingue les approches austromarxistes de l'orthodoxie ou
plutôt de la vulgarisation du marxisme par Kautsky et. à sa manière, par
Lénine, c'est le refus d'aligner l'analyse sociologique et historique sur les
sciences de la nature (sciences physiques et sciences naturelles), de résoudre
les problèmes philosophiques par un matérialisme immédiat, d'identifier
conception matérialiste de la nature, fût-elle dite dialectique, et conception
matérialiste de l'histoire. L'évolution sociale n'obéit pas à des lois semblables
aux lois naturelles comme le répète à outrance la vulgate marxiste victime
du scientisme d'époque. !\'!ax Adler et Otto Bauer voulaient faire la preuve,
non sans reprendre en partie ses tendances à l'explication psychologique,
que les marxistes étaient capables en philosophie de la connaissance de
faire mieux que le néo-kantisme qui régnait alors dans le milieu univer-
sitaire viennois. Si, de son côté, le jeune Fritz Adler (fils du fondateur du
Parti social-démocrate Victor Adler, physicien ami d'Einstein, secrétaire
du parti qui démissionnera par pacifisme en 1914, rédacteur du premier
appel à l'internationalisme en 1915 et auteur de l'attentat contre le premier
ministre en Ig16, futur secrétaire de l'Internationale II et demie, puis de
la Ile Internationale) défendit les thèses empirio-criticistes d'Ernst Mach,
professeur de physique à Zurich, en subissant les critiques peu compé-
tentes de Lénine dans ,\fatiTialisme et empirio-critidsme (lg0g), c'est qu'il
reconnaissait l'insuffisance du matérialisme mécanique et participait au
mouvement de renouvellement de la physique et des mathématiques
(Le dépasseme1lt du matérialisme méca1lique che;:. Emst Mach, 1918).
Tandis qu'Otto Bauer rêvait d'une théorie marxiste des formations
sociales, Max Adler entendait montrer que le marxisme permettait une
« théorie de l'expérience sociale ». L'austromarxisme, si l'on peut dire,
se trouve ainsi traiter des phénomènes de conscience qu'il interprète comme
conscience sociale, mais en manifestant et leur efficace (y compris celle de
la religion et de la foi comme celle de l'idéologie nationale), et leur impos-
sible réduction automatique à des faits de classe et à des rapports écono-
67 A US TROMARXISME
Autocritique
AI : S,lbslk,ilik. - An : S'lf..,ilicinn. - R : Samokritiko.
Lawrence & Wishart Ldt, 1955, p. 137). Une fois substituées à la lutte de
classes, la critique et l'autocritique, permettant d' « établir une distinction
rigoureuse entre la pseudo-critique... et la critique authentique» (Ioudinel
Rosenthal), deviennent, on le sait, entre les mains dumêmeJdanov, le moyen
de régenter non seulement la politique et la philosophie, mais aussi les
sciences, les lettres et les arts.
REMARQ.UE. - La codification de l'autocritique dans les statuts des PC
constitue assurément un phénomène positif (<< La critique et l'autocritique
s'exercent librement sans considération de personne dans toutes les orga·
nisations du parti. Faites de façon franche, constructive, elles permettent
de corriger les défauts et les erreurs, de surmonter les faiblesses et les insuffi-
sances »; Statuts du PCF, adoptés au XVIIe Congrès, art. 5, e). La pratique
a toutefois connu de graves dérèglements : confusion de la critique et de
l'autocritique, qui aboutit curieusement à faire l'autocritique de l'autre;
autocritiques se retournant contre leurs auteurs; militants contraints de
s'auto-accuser;« aveux» enfin qui peuvent conduire au lavage de cerveau
et même à la peine capitale. Par où s'explique peut-être que les directions
communistes ne fassent de leur autocritique qu'un usage exceptionnel et
très modéré. Mais il n'y a là non plus rien de spécifiquement marxiste :
quel est le pouvoir qui ne répugne pas à sa propre mise en question?
• BIBUOGRAPffiE. - V. AFANASSII!V, LIS principts d. la philosoplli., Moscou (postérieur
au XXII- Congrès, ce manuel ne mentionne plus la 4" loi de la dialectique, mais il en
conserve l'idée; cf. p. ,61 et s.); M. BUHR et A. KO"NO, Kl.in" W6r1erbuth tÛr marxÎJ/ÎJeh·
leninislÎJeMn Philosophi., Berlin, Dietz Verlag, 1974, s.v.; L.1IARRv GOU1.O, Afarxirt Glossary,
San Francisco, Prolétalian Publishers, 1946, s.v.; HÎJ/oi" du PC(b.) d. l'URSS, ~Ioscou,
1949, chap. IV, 2, et Conc!.; IOUDINE et RosENTHAL, P.tit di&tûmnai" pIIilosOfJlùtlut, Moscou,
'955, s.o., et «Jdanov »; LtNINIl, cf. Index, t. 47, s••. (N.B. - Les références supra au t. 10
ne sont que des exemples); MAo ZEDONG, Citatians, Pékin, 1966, chap. xxvu; MARX!
ENGELS, LtNtNE, MAG ZEDONO, GruntlJans zum dialektischtn Materialismus, Berlin, Ober-
baumverlag, '976; G. A. WElTER, Der Jial.kliseM Ma/trialismus. Seine Gesehi&ht. und ..in
System in der Sowjtlunion, Fribourg, 1952; trad. angl. : Dialteticat maltrialism, London, 1956;
trad. franç., Ma/lr/alism. dial., Paris, Doclée, '962.
~ ColllltLATS. - Avance/Retard, Diamat, Dogmatisme, Esprit de parti, Marxisme-
léninisme, Stalinisme.
G. L.
Autogestion
Al : S,/6slvtrwaltlmg. - An : Workers' contro/ "lImana"mml. - R : Samo"",av/mi••
Aujourd'hui, le terme d'autogestion - véritable mot-valise - recouvre
tout un ensemble de pratiques, de théories et de démarches fort dissem·
blables entre elles mais qui toutes traduisent un désir de prise en charge
par les gens de leurs propres affaires. La dissémination des idées et pratiques
autogestionnaires se lit également dans la profusion des expressions qui
associent l'autogestion à des projets plus ou moins importants de trans-
formation sociale, économique, politique: « habitat autogéré », « auto-
gestion des luttes », « autogestion pédagogique », « autogestion sociale »,
« socialisme autogestionnaire »...
En raison de cette multiplication des formulations théoriques et des
manifestations pratiques, il paraît plus exact de parler des auJogestions
plutôt que d'une Autogestion entendue comme un modèle unique et
AUTOGESTION 70
Autonomie
AI : .<fulonornù. - An : .<fulonon[7. - R : AcrtonomijtJ.
3/ C'est de cette double exigence que part Gramsci dans les années
1917-1920 pour élaborer sa réflexion politique. Pour lui, IIne révolution
ne peut réussir qu'en s'émancipant des déterminations issues de l'éco-
nomie. D'où sa formule célèbre à propos de la révolution russe; « Elle
est la révolution contre Le Capital de Karl Marx » (Gr. ds le texte, Paris,
ES, 1975, 46).
Sur la base de ce concept d'autonomie, Gramsci va être conduit à
accentuer la coupure entre lutte défensive et lutte révolutionnaire, ct à
traduire cette coupure en termes d'organisations politiques; « La classe
prolétarienne (...) se regroupe aussi dans les syndicats et les coopératives,
mais par nécessité de résistance économique, non par choix spontané,
non selon des impulsions nées librement de son esprit. Toutes les actions
de la masse prolétarienne ont nécessairement cours sous des formes (...)
établies par le pouvoir d'Etat de la classe bourgeoise» (ibid., 76). Une classe
ouvrière ainsi organisée ne peut échapper, pour Gramsci, à l'idéologie de
la classe dominante. C'est pourquoi l'économisme, si fréquent dans le
mouvement ouvrier sous la forme du « syndicalisme théorique», n'cst
qu'une variante à allure marxiste du libre-échangisme bourgeois: croyance
en la toute-puissance de la sphère économique: « Dans le mouvement du
syndicalisme théorique, (...) l'indépendance et l'autonomie du groupe
subalterne qu'on prétend exprimer sont sacrifiées à l'hégémonie intellec-
tuelle du groupe dominant, parce que le syndicalisme théorique n'est
justement qu'un aspect du système libre-échangiste, justifiées au moyen
de quelques affirmations tronquées, donc banalisées, de la philosophie
de la praxis» (ibid., 470).
On voit donc l'importance fondamentale que revêt, dans la théorie
grarnscienne, le concept d'autonomie: c'est un concept central pour ana-
lyser le degré d'évolution d'une classe ouvrière, de son organisation comme
de son idéologie. Mais cc concept, d'autre part, est investi dans l'analyse
des révolutions modernes : la révolution communiste ne peut pas, pour
Gramsci, être simplement définie par la destruction des structures bour-
geoises; elle doit être définie positivement, à partir d'un ordre propre. Une
révolution peut n'être ni prolétarienne, ni communiste, alors même qu'elle
« vise et parvient à renverser le gouvernement politique de l'Etat bourgeois»,
alors même que « le raz de marée de l'insurrection populaire met le pou-
voir entre les mains d'hommes qui se disent (et sont sincèrement) commu-
nistes. (...) La révolution n'est prolétarienne et communiste que dans la
mesure où elle est libération de forces productives prolétariennes qui
s'étaient élaborées dans le sein de la société dominée par la classe capita-
liste, elle est prolétarienne et communiste dans la mesure où elle réussit
à favoriser et à promouvoir l'expansion et l'organisation des forces prolé-
tariennes et communistes capables de commencer le travail patient et
méthodique nécessaire pour construire un nouvel ordre dans les rapports
de production et de distribution» (ibid., go).
La philosophie politique de Gramsci peut donc bien apparaître, en ce
qu'elle élabore le concept d'autonomie de la classe ouvrière, comme le
contrepoids, dans le marxisme, de la théorie du capital. Celle-ci propose
une description du réel social: le mode de production capitaliste a tel type
d'effeu sur le corps social, tel type d'effets sur les luttes ouvrières. La théorie
de l'autonomie propose un impératif: il ne faut pas, il ne faut plus que le
mode de production capitaliste ait d'effeu sur les luttes ouvrières, ou celles-ci
AUTORITl 78
Autorité
Al : lIulQritiil. - An : :ittlhQrÎ!y. - R : .41110rÎIII.
Voir: Bakouninismo:.
Avance/Retard
Al : VorJpnmg/Vmpd11Ul1' - An : Advdntt{D,brI. - R : Ruvili,{OUldlOJI',
seulement à se former, et les luttes sociales étaient entravées par les survi-
vances du féodalisme, auxquelles s'ajoutait le fractionnement de l'Alle-
magne en petits Etats sous hégémonie prussienne (Description de la situa-
tion allemande: Programme d'Erfurt, op). Cependant, pour Marx, il n'est
pas exclu que l'Allemagne puisse tirer profit de son retard: en venant le
dernier dans le mouvement ouvrier, le prolétariat allemand pourrait uùliser
les expériences et les erreurs des autres, auxquelles il ajouterait son rapport
caractéristique à la théorie, ainsi, « pour la première fois, la lutte pourrait
être menée dans ses trois directions (théorique, politique et économique pra-
tique) avec harmonie, cohésion et méthode» (p. 39, préface juillet 1874, op).
L'économie politique anglaise de Ricardo, la philosophie classique
allemande représentée par Hegel et l'expérience politique française sont
connues sous le nom des « trois sources du marxisme ». Placées ainsi à
l'origine du marxisme, elles ouvrent un débat sur sa nature.
Lénine détaille à partir de ces trois sources la composition du marxisme
en ; une philosophie, le matérialisme, qui poussé plus avant et enrichi de la
philosophie classique (Hegel) produit la dialectique. Puis, le matérialisme
philosophique étendu à la connaissance de la société devient le matérialisme
historique (détermination par la base économique) sur lequel se développe
une économie qui aboutit à la thJorie de la plus-value. Quant à la vie poli-
tique française, elle amène à l'édifice la lutte des c/asses comme moteur de
l'histoire (Les trois sources et lu trois parties constitutives du marxisme, apud O., 19).
Scion Gramsci (Les parties constitutives de la philosophie de la praxis,
apud Gr. ds le texte, p. 318), cette conception des trois parties constitutives « est
davantage une recherche générique des sources historiques qu'une classi-
fication qui naîtrait du cœur de la doctrine»; pour lui, le cœur de la doc-
trine est plus spécifiquement une théorie de l'histoire.
Le marxisme est-il philosophie, économie, sociologie, histoire?
C'est aussi en référence à sa composition et à son origine que vont se
poser les questions de l'orthodoxie et du révisionnisme.
Sans être exempts de toute référence théorique, retard et avance
sont les termes typiques du vocabulaire qui touche à la conjoncture. Ils
se sont ensuite ancrés dans le langage politique (cf. Lénine, Q.F, Un pas
en ava'it deux pas en arrière... ) devenant des instruments, voire même des
mécanismes de la réflexion militante, appuyant une analyse ou initiant
une certaine autocritique dans les termes de« retards» à combler (cf., par
exemple, pour la France, le Manifeste dit de Champigny, Paris, ES, 1968, et
les textes du PC!', passim, depuis cette date).
~ CoRRÉLATS. - Ancien/nouveau, Anticipation, Autocritique, Conjoncture, D~mocratie
avanctt, Philosophie, Possible, Rq,étition historique, Révisionnisme, Traductibilit~.
M. Du.
Avant-garde
Al : A.wgard., V.rhul. - An : Van",ard. - R : A""",a,d.
Voir : Classe, Direction/Domination, Esthétique, Parti.
Aventurisme
Al : Ab,nllu",tum. - An : Atlumturism. - R : Auanljurion.
Voir : Gauchisme.
B
Babouvisme
Al : BIIbovI>imau, - An : BaII"""ism. -. R : Bali"";",,.
plus comme capital (cas des entreprises publiques); une partie du capital
total équivalente à K' se met en valeur à un taux réduit permettant au
capital global K de voir son taux de profit se relever (cas de l'artisanat et
du petit commerce); une partie du capital total éventuellement inférieure
à K' se met en valeur de façon négative, il y a perte de capital (cas de mise
en faillite légale ou de fait des entreprises du secteur privé non monopoliste
ou de sous-utilisation des capacités de production du secteur monopoliste) .
• BIBUOGRAPHII!. - M. COGOY, The fall of the rate of profit and the theory of accumu-
lation, a reply to Paul Sweezy, Bull.tin of tIu ,onfir."". of so<Wut teOllbmuts, winter 1973,
p. 52-57: M. D. DICKINSON, The falling rate of profit in marxian economics, &vwof
«anomie studûs, vol. XXIV, '956-1957: J. M. G.LUlAN, TM folliJ" roI. of profit, Doboon,
'957; S. 1lDOŒLWltIT, The continuing saga of the fa1ling rate of profit, a reply to Mario
Cofloy, BulUtin of tIu "",,,nu. of s«ialut tetmOmuts, autumn 1974. p. 1-6; S. LATOueH.,
A propos de la baiue rendancielle du taux de profit, R.11UI! "tmOmiqut, janvier 1973, p. 153-
'75: A. MAA1lEK, Inlroduelian au Capitol d. Marx, Calmann.Lévy, 1975: R. MEEK, The
falling rate of profil, in /tI.ology antI otlur essays, Chapman & Hall, '9fi7: P. SALAMA et
J. VALLIER, UIlJI inlroduetùm li l'üollbmi. POliliqlJll, Maspero, 1973; 1. STEEOMAS, Marx and the
falling rate of profit, Awlralian teonomi, papers, '97', vol. 10, p. 6.-66; A. WALKER, Kasl
Marx, the dec1ining rate of profit and british poülical eeonomy, Economiea, november 1979,
p. 362-377-
~ CoRRtLATS. - Accumulation, Composition organique, ImpUialisme, Monopoles,
Profit, SurvaIeur.
G. C.
Bakouninisme
AI : Bohnimuu. - An : Bnkounism. - R : B.kuniniDfl.
Avant 1868, la question anarchiste n'a qu'une importance secondaire
pour Marx et le marxisme (si l'on excepte la polémique permanente avec
les proudhoniens). Bakounine, qui avait participé lui aussi aux révolutions
de 1848 en Allemagne, peut trouver avec Marx des terrains de rencontre.
En 1864, Marx saluait encore en lui« un des rares hommes chez qui, après
seize ans, je constate du progrès et non pas du recul» (lettre à Engels,
4 nov. 1864). Ils font alliance au sein de l'AIT contre les positions de Mazzini.
Le conflit éclate entre les deux courants lorsque Bakounine fonde l'Alliance
internationale de la démocratie socialiste au sein même de l'AIT. Au Congrès
de Bâle en 1869 la controverse se développe sur la question de l'héritage,
présenté par les bakouniniens comme l'institution bourgeoise fondamentale
dont la suppression entraînerait celle de la propriété privée en général. La
Commune de Paris consomme la rupture. D'abord par le contraste entre la
tactique de Bakounine à Lyon et celle des « internationaux» à Paris, entre
les interprétations de Bakounine dans La Commun, de Paris et la notion de
l'Etat et celles de Marx dans La Gue"e civile en France. Ensuite par le déve-
loppement en 1871-1872 de la lutte entre les deux tendances. Accusés par
Marx et Engels d'organiser une opposition clandestine au sein de l'AIT
(cf. Die angebliclun Spaltungen in der Inltrnalionale, 1872; Ein Kompwtt gegen
die Internationale, 1873, MEW, 18), les bakouniniens reprochent de leur côté
au Conseil général d'établir une dictature personnelle en faisant de l'Inter-
nationale un parti politique centralisé. On aboutit au Congrès de La Haye
à leur exclusion (1872). Victoire à la Pyrrhus, puisqu'elle est suivie à brève
échéance de l'éclatement et de la dissolution de l'AIT, incapable de main-
tenir les positions m~es que, sous l'influence de Marx, elle avait adoptées
contre les anarchistes.
BAKOUNINISME 86
la fausse univocité de concepts tels que « capital» et« Etat» qui provoque
ici l'impasse théorique, dans la mesure meme où, pour définir la rupture
avec la politique bourgeoise (et l'Itatisme bourgeois) que représente le commu-
nisme, Marx et Engels sont conduits à retrouver les formules saint-simo-
niennes de la « fin de toute politique» dans« l'administration des choses »,
qui sont aussi l'une des sources immédiates du bakouninisme.
2 1 Pour débrouiller ce piège, qui est d'abord au niveau des mots, il
faut prendre la mesure de la différence de nature qui existe entre le discours
marxiste et le discours bakouninien. Plutôt que d'opposer ici simplement
« science» et « utopie» (comme s'il ne pouvait exister d'utopies scienti-
fiques), il vaut mieux dire que ce dernier est d'essence profondément méta·
phorique (ce qui lui confère une cohérence verbale à toute épreuve),
tandis que le premier rcflète, jusque dans ses équivoques et ses retourne-
ments de positions, les contradictions d'un problème réel : celui de la
transilioll, auquel il est dérisoire de prétendre apporter par avance une
solution toute faite.
Cc qui fait la cohérence extérieure du bakouninisme, c'est avant tout
la simplicité des métaphores spatiales et temporeUes dans lesquelles il
exprime SOli idée-force de libération de l'individu par rapport à l'Etat, et,
plus généralement, à toute institution établie qui limite et aliène la liberté
individueUe. L'Etat et les institutions incarnent Je principe d'autorité :
c'est dire qu'ils représentent des « centres » dominant une « périphérie »,
ou encore un « haut» dominant un « bas ». Le modèle général du change-
ment révolutionnaire est donc l'abolition de toute autorité centrale, l'in-
version du haut et du bas, du centre et de la périphérie, le remplacement
du centre dirigeant par l'organisation fédérale surgie de l'initiative des
individus périphériques eux-mêmes. Tout individu devient alors lui-même
un « centre» autonome, cependant que la société s'organiserait comme un
réseau fédératif, depuis les « communes» autogérées de la base jusqu'à la
« fédération internationale des peuples >l.
D'où les formulations névralgiques de Bakounine, qui en eUes-mêmes
sont souvent peu originales: « c'est l'Etat qui crée l'exploitation », etc.
U ne nie pas l'exploitation, mais il n'y voit qu'un aspect particulier du
pouvoir centralisé cullninant dans l'Etat, une conséquence de l'autorité
absolue du propriétaire dans l'entreprise, qui s'incarne dans la division du
commandement et de l'exécution. De même et surtout pour la thèse
reprise de Stirner qui fait dériver l'Etat lui·même rU la religion (cf. Dieu et
l'Etat, 1871, Ire partie: « L'Empire knouto-germanique »). CcUe-ci est
plus qu'un moyen de renforcer l'autorité étatique dans certaines sociétés
« traditionneUes» : eUe constitue la source origineUe du modèle politique
hi/rarchique, forçant les hommes à reconnaître comme loi intérieure le pou-
voir extérieur et« transcendantal» des chefs de toute espèce. C'est pourquoi
Bakounine fonde en dernière analyse son credo anti-politique (puisque
« politique» = « Etat» = « centralisation ») sur un « athJism4 glnlralisl ».
Mais faut-il véritablement s'étonner que le mot d'ordre de « négation
absolue de l'Etat et de Dieu» coexiste lui-même avec une conception
religieuse de la révolution? « La démocratie est une religion (... ) non une
nouvelle forme de gouvernement, mais une nouveUe forme de vu (...) une
nouvelle révélation vitale, créatrice de vie, un nouveau ciel et une nouvelle
terre (... ) » (Die Realetion in Deutschland. Ein Fragment von einem Franzosen,
1842).
89 BAKOUNINISME
Anarchismus von Proudhon.cu Kropo/kin, Berlin, '927; G. PLEKJlANOV, Nos controvers<3, apud
Œu,'resphilos6phi'lIlllS, t.J. Moscou; La /re/n/moa/io1lfJu, Paris, Ed. du CNRS, .g68; D. RJAZANOV
Marx tI Eng.ls, Paris, Anthropos, réé<!. 1967.
Banque
AI, An, R : BOlIk.
Barricades
AI : 1J<zrriMJm. - An : BtmitlJJlu. - R : lùnilsJ.J.
(o., 5, 26). Il établira, dans Que faire? (o., 5, 462 ct s.). qu'il existe une
liaison nécessaire entre l'action économique de masse des ouvriers (la
gr~e) et l'action politique contre la police de la part des révolutionnaires
professionnels. L'efficacité des barricades relève de cette conjonction
(cf. S, p. 64, IlS, t 32, 569).
3 / Après 1905, reprenant à son compte les leçons tirées par Kautsky
des combats de Moscou, Lénine admettra la révision des conclusions
d'Engels et définira, contre le scepticisme de Plekhanov, « une nouvelle
tactique des barricades» dans La guerre des partisans (o., I I , 176; 15, 5S).
• CoIUlÉLATS. - Gumlla, Guerre, Guerre du peuple, Insurreeùon, Terrorisme, Violence.
G. L.
Base
AI : Basis. - An : Basis. - R : Bazis.
Ce concept, emprunté sans doute à dessein au grec, comme celui de
praxis, possède la double connotation de fondation/fondement (Grundlage),
familière à la langue philosophique allemande, et de structure (Struktur).
Il est la marque même de la révolution matérialiste opérée par l\1arx dans
la théorie de l'histoire: la base économique, comme détermination de dernière
instance, signifie qu'on a substitué à la relation conscience~tre la relation
être-conscience. C'est pourquoi la base ne prend son plein sens qu'au sein
du couple qu'elle forme avec la superstructure (tJberbau), cette dernière
rcprésentant à la fois sa forme et sa dépendance. Il ne convient donc pas
de lui préférer, avec la tradition économiste qui prévaudra rapidement et
durablement dans le marxisme, le terme d'irifrastructure dont l'apparente
réciprocité avec celui de superstructure fait perdre de vue qu'il ya une
homogénéité interne à la structure, entre base et superstructure, qui ne se
laisse pas réduire à la simple causalité.
1 / Marx présente lui-même, dans la page célèbre de la Préface à sa
Contribution, comme le résultat de ses recherches, l'idée que « dans la pro-
duction sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports
déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de produc-
tion qui correspondent à un degré de développement détcrminé de leurs
forces productives matérielles ». Et il ajoute: « L'ensemble de ces rapports
de production constitue la structure économique de la société (die okorw-
mische Struktur fÛr Gtstllschaft), la base concrète (die reale Basis), sur laquelle
s'élève une superstructure (lJberbau) juridique ct politique et à laquelle
correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de
production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social,
politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes
qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine
leur conscience» (ES, p. 4; MEW, 13. S-9).
La préface à la 2 6 édition du Capital dans un passage non moins célèbre,
précise : « Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base
(Grundlage) de la méthode hégélienne, mais elle en est même l'exact
opposé» (1, 1, 29; MEW, 23, 27). Voici pour le matérialisme. Quant aux
procès inhérents à la structure, c'est un des derniers chapitres du Capital
qui nous en fournit la conception la plus affinée: « C'est toujours dans le
rapport immédiat entre le propriétaire des moyens de production et le
producteur direct (rapport dont les différents aspects correspondent natu-
BASE 94
Besoin
AI : 1J«IiIrfitis. - An : Xlltl. - R : Pm.iIMsti.
Blanquisme
AI : BltlltquisnlllJo - An : Bl<mquismo - R : Blankiono
Mouton, 1969 (plLaieun autres études du même auteur sont consacrées à Bl.); R. GAIlAUDY,
Les souretS françaists du socialismt scitntifiqUt, Paris, 19..8 (p. 217-273); J. JAURÈS, Qjustion "t
mitlrodt, apud Œuvrts, VI, Rieder, '933; LÉNINE, o., 10, " " ct s.; A. MÜNSTER, &rils sur
la rivolulion Ct. 1 des ŒUf"'s CQIIlpUlts de BI.), Paris, Galilée, 1977; Alan B. SPITZER, TIrt
rtooMionnary tIrtori<s of Louis-Augwù Blanqvi, New York, Colombia Univenity Prest, 1957;
A. B. ZÉvAts, A. Blanqvi, Paris, 192",
~ CORRÉLATS. - Anarchisme, Barricades, Communisme, Dictature du prolétariat,
Insurrection, Petite bourgeoisie, Proudhonisme, R~volution, Romandsme, Violence.
G. L.
Bloc historique
AI : Historisrlrtr BI,,". - An : Historir hI«. - R : !storiùskij Blok.
De tous les concepts développés par Gramsci, celui de bloc historique
est sans doute l'un des plus importants, celui où se soudent son apport spéci-
fique au marxisme et sa conception du processus révolutionnaire comme
« construction d'un nouveau bloc historique». Destiné au départ à résoudre
la « question cruciale» du matérialisme historique: celle de la dialectique
entre infrastructure et superstructure, le concept de bloc historique en
souligne d'emblée l'unité organique: « L'infrastructure et les superstructures
forment un bloc historique» (Quadn7ri tht Carure, Ed. a cura di V. Gerra-
tana, Einaudi, p. 1501). Bien loin de se réduire à une simple alliance de
classes ou d'aboutir à un renversement unilatéral des priorités marxistes
(le primat de la superstructure sc substituant à celui de la base), le bloc
historique gramscien présuppose que ses éléments constitutifs ne sont ni
réellement, ni chronologiquement séparables. En effet, dans un tel bloc :
« Les forces matérielles sont le contenu et les idéologies la forme. » Mais
« la distinction de forme et contenu est purement didactique, car les forces
matérielles ne seraient pas concevables historiquement sans les formes, et
les idéologies seraient de simples fantaisies individuelles sans les forces
matérielles» (ibid., p. 869). Aussi le concept de bloc historique engage-t-il
l'ensemble de la recherche marxiste de Gramsci sur la nature de ce lien qui
fait intervenir des notions connexes et liées: hégémonie, idéologie, rôle des
intellectuels...
Il s'agit donc d'un concept nouveau dans le marxisme. Toutefois,
Gramsci lui-même se réfère à plusicurs reprises à son origine sorélicnne
(ibid., p. 1300, 1316, 1321). Si des travaux minutieux ont maintenant
montré que sous cette forme le concept de bloc historique est introuvable
chez Sorel, par contre le rapport Sorel-Gramsci dans la reformulation et
la visée du concept est loin d'être négligeable (cf. tout particulièrement
N. Badaloni, Il marxismo di Gramsci, Torino, Einaudi, chap. 5 et 13).
En 1896, dans son Etuth sur Vico, Sorel appréhende l'affrontement dans
l'histoire en termes de « bloc en mouvement», reliant différents groupes
associés à partir de leur place dans la vic économique. D'où les deux sens
soréliens de la notion de bloc :
a 1Rejetant toute périodisation de l'histoire en « stades déterminés de
la production » à partir des forces productives, Sorel réinterprète la
Préface de Marx de 59 en privilégiant la société civile et l'unité des rapports
de production ct des rapports juridiques. Le bloc sorélien est un bloc
« socio-juridique » où l'économique joue le rôle de « contraintes» du
système et les formes juridiques l'élément actif.
b 1Dans celle optique, la « désintégration» d'un « bloc complexe»
103 BLOC HISTORIQUE
ne peut venir que de l'esprit de scission des producteurs. Rejetant tout rôle
des intellectuels (réputés bourgeois) et toute fonction de l'Etat et des
partis politiques, Sorel voit dans les mythes organisateurs l'instrument de
l'unification et de l'autonornisation de la « classe des producteurs ». Or
ces mythes (la grève générale ou la révolution violente par exemple), on
doi t les prendre « en bloc» comme une « force historique» : le bloc sorélien
est idéologique (cf. G. Sorel, Rij/exions sur la violence, Paris, Marcel Rivière).
En reprenant à Sorel ce concept introuvable chez lui, Gramsci le
reformule et l'enrichit considérablement. Certes, il s'agit toujours d'éviter
l' « économisme » ct de penser l'efficace des idées-idéologies dans l'his-
toire. Mais le bloc sorélien ne devient historique qu'en réintroduisant
précisément des éléments que Sorel expulsait : les intellectuels, le rôle
du politique et du Parti révolutionnaire comme « Prince moderne», une
problématiquc élargie ct nouvelle des superstructures. C'est pourquoi,
tout moment historique (conjoncture, rapports de forces) n'est pas encore
un bloc historique. Gramsci s'attache donc à définir les conditions d'exis-
tence, de destruction ou de transformation des blocs historiques, au point
de renouveler l'interprétation du matérialisme historique de Marx.
Bolehevisation
AI : 801s,MwisÎmJIII. - An : B.lslrnùtUi.... - R : Boü",i~",ij(J.
Bolchevisme
Al : Bols<Iuwismus. - An : Bow...ism. - R : Bot'itviz:m.
Le terme de « bolchevisme », de bolchinslvo (majorité) provient de la
majorité obtenue par les partisans de Lénine lors de l'élection des orga-
nismes dirigeants du Parti au cours du Ile Congrès du POSDR (Bruxelles-
Londres, août 1903). Il désigne désormais la théorie de Lénine et la pra-
tique de sa fraction au sein de la social-démocratie russe.
1 1 Historique. - A la charnière des xrx8 et xx e siècles, deux courants
dominent l'opposition révolutionnaire en Russie: le populisme ct l'écono-
misme. Pour les combattre, à l'inverse d'autres marxistes russes, tel
Plekhanov, exégètes du marxisme, Lénine s'intéresse d'emblée aux voies
de la Révolution en Russie. LI développement du capitalisme en Russie (18g8)
expose la situation originale de ce pays: l'avènement du capitalisme n'a pas
em~ché la pérennité d'un bloc paysan soudé par l'opposition aux grands
propriétaires fonciers. En rupture avec l'orthodoxie kautskyste, Lénine
insère la paysannerie dans le processus révolutionnaire, tout en récusant
l'utopie populiste d'une révolution centrée sur la communauté paysanne,
victime d'une inéluctable dissolution. Dans Que faire? (1902), acte de
naissance du bolchevisme, Lénine s'attaque à la dichotomie économiste
entre lutte revendicative, préoccupation des ouvriers, et lutte politique,
restée l'affaire des libéraux bourgeois, à laquelle il oppose une théorie de la
pratique politique du prolétariat et de son parti d'avant-garde constitué
de « révolutionnaires professionnels» organisés de façon quasi-militaire
(conception qui prendra plus tard le nom de« centralisme démocratique »).
Le POSDR, créé en 1898, reste alors à construire.
Lorsque paraît Que faire?, les militants groupés autour de l' Iskra sem-
blent partager cette critique de l'économisme. De fait, la séparation de 1903
entre bolcheviks et mencheviks se produit sur des questions d'organisation.
Très vite, les divergences s'approfondissent, les mencheviks préconisant
une stratégie économiste. Selon eux, dans la réalisation de la révolution
démocratique bourgeoise, le rôle dirigeant revient à la bourgeoisie : la
social-démocratie se contente de la soutenir. Pour Lénine, les réalités russes
infirment ce schéma: d'une part, la bourgeoisie est trop faible pour conduire
le combat démocratique contre l'Etat tsariste; d'autre part, les potentialités
107 BOLCHEVISME
d'une économie ruinée par les années de guerre, l'échec du contrôle ouvrier,
conduisent rapidement à la prédominance d'appareils économiques
d'Etat et d'une direction centralisée et autoritaire. Sur le plan politique,
l'impossibilité d'un gouvernement de coalition illustrée par l'échec en
mars 1918 de l'accord avec les socialistes-révolutionnaires de gauche, les
hésitations des partis socialistes face à la contre-révolution, laissent au seul
parti bolchevique la redoutable tâche de triompher des Blancs. Le départ
massif des ouvriers les plus conscients vers l'Armée Rouge prive les Soviets
de leur substance, et le parti, avec ses commissaires, se substitue à la démo-
cratie soviétique. Cette bolchevisation et cette bureaucratisation à la base
accélèrent le processus du passage « du stade de parti unique à celui de
parti, unique institution dirigeante; ce n'était plus la bolchevisation des
institutions, mais une institutionnalisation du bolchevisme» (M. Ferro,
Des soviets au communisme bureaucratique, Gallimard/Julliard, 1980, p. IBo). A
la fin du Communisme de Guerre, en 1921, la victoire des Rouges a pour
prix l'abandon - jugé provisoire - des principes initiaux et la quasi-
disparition du prolétariat.
D'où les débats des années 1920 ct 1921. Boukharine et Préobrajenski
(dans L'Economie de /a plTiodt dt transi/ioll et L'ABC du communisme) conçoi-
vent le Communisme de Guerre comme l'instauration rapide du commu-
nisme. Ils interprètent la nationalisation généralisée des entreprises sous
l'égide du Vesenkha, la disparition de la monnaie, comme autant de
signes de la socialisation de l'économie et du dépérissement des catégories
marchandes. De la même optique que ces théorisations dans l'après-coup
relève le programme de Trotski de militarisation de la force de travail
par la création d'armées du travail. Opposée à ce projet, dénonçant les
dures réalités vécues par les travailleurs, l'Opposition ouvrière d'Alexandra
Kollontai et Chliapnikov, de l'intérieur du parti, réclame le respect de la
démocratie ouvrière ct récuse la confusion Parti/Etat. Le Parti, devenu
Parti communiste (bolchevique) de Russie en 1919, se divise en fractions,
quand la fin de la Guerre civile révèle l'ampleur du désastre économique,
que, le péril blanc écarté, se multiplient les révoltes anti-bolcheviques
(Kronstadt) et que tarde la révolution mondiale dont l'avènement condi-
tionne le succès de l'expérience soviétique. Depuis mars 1918, la Ille Inter-
nationale s'efforçait d'en hâter l'éclosion, en Europe centrale surt'JUt.
Lénine condamne les plate-formes des diverses fractions, repousse
l'étatisation des syndicats et la militarisation du travail comme la gestion
ouvrière. Préconisant la subordination des syndicats et des appareils
d'Etat au Parti, il reconnaît aux syndicats le devoir de défendre les travail-
leurs contre l'Etat soviétique qui n'est qu' « un Etat ouvrier et paysan à
déformation bureaucratique» (o., 32, /6-17). Devant le X· Congrès
(mars 1921), il dénonce les illusions du Communisme de Guerre et, pour
restaurer l'économie, définit une Nouvelle Politique Economique faite de
concessions à la paysannerie. Cette NEP est présentée comme un « recul »
par rapport aux objectifs révolutionnaires. Hanté par le spectre de la
division du pc(b)R dans un contexte aussi critique, Lénine fait adopter
l'interdiction des fractions; la mesure, considérée comme provisoire, se
révélera un tournant dans l'histoire du bolchevisme par l'élargissement
considérable des pouvoirs qu'elle procure dt facto à la direction du Parti.
De 1923 datent les derniers textes de Lénine. De /Q coopération, Mieux
vaut moins, mais mieux témoignent de ses ultimes préoccupations et livrent
BOLCHEVISME 110
Le dmtin unnbal de UnÙlt, Paris, Ed. de Minuit, '967: M. LIEBKAN, Le Uninimu sous UnÎM,
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~ CoRRtLATS. - Alliances, Bolchevisation, Capitalisme d'Etat, Centralisme démocratique,
Communisme, Dictature du prolétariat, Economisme, Fusion, Kautskysme, Impérialisme,
Inspection ouvrière et paysanne, Insurrection, Uninisme, Liquidateurs, Lulle des classes,
Marxisme, Marxisme-Uninisme, Menehevisme, NEP, Octobre, OlZovisme, Révisionnisme,
Socialisme, Stalinisme, Soviets, Trotskisme.
J.-M. G.
Bonapartisme
Al: Ikm.",tismw. - An : BlTIIDjHJrlism. - R : Bonofldrtw..
Boukharinisme
Al : BUlharinismw. - An : Bukharinism. - R : Buharinion ou TItJ,U Buhar;na.
nationale (cf. Vers une thiorie de l'Etat impirialiste, Moscou, 1925, non trad.).
La politique économique de Boukharine sous la NEP, son insistance
permanente sur l'enjeu central de l'alliance ouvrière-paysanne, la notion
apparemment baroque de « transition au socialisme à travers le marché »,
restent obscures tant qu'on les sépare de la question de l'Etat. Qu'il soit
dans l'opposition communiste de gauche en 1918, ou le dirigeant modéré
de droite de 1925, Boukharine pense toujours à l'Etat et à son dépérisse-
ment. Après avoir cherché à le briser à toute force (le « gauchisme»
de 1918), il se résigne à sa nécessité dans la phase de transition mais
s'efforce d'en trouver des formes n'excluant aucun moyen (y compris le
« Enrichissez-vous!» qu'il lance aux paysans) sauf un : le renforcement de
l'Etat aux dépens des fragiles équilibres de la société soviétique. Le marché,
la coopérative sont tout ce qui reste à la révolution pour sortir la Russie
de son passé sans réveiller le spectre du Léviathan, de l'exploitation
féodale-militaire des paysans qui pointe dans l'industrialisation à marche
forcée.
Mais dans sa volonté d'orthodoxie marxiste et dans sa fidélité incondi-
tionnelle à l'esprit de parti, Boukharine ne peut trouver la solution théo-
rique et politique au problème du Léviathan. Le Boukharine défait et
pessimiste des années 30 n'a plus l'ambition d'un révolutionnaire mais
espère encore sauver ce qui peut l'être pour que la Russie échappe au
totalitarisme: l'Etat soviétique est irrémédiablement bureaucratique, mais
peut-on encore y insuffler l'humanisme nécessaire pour qu'il ne devienne
pas purement et simplement fasciste ?...
• BIBLlOORAPIIIE. - Œuvres de Boukharine : L'lconomie politique <hl rentier, 1915, lrad.
franç., EDI, 197~; L'lconomie mondiale et l'impérialisme, 19'7, trad. franç., Anthropos, 1967;
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jensky, L'ABC du communisme, 19~o, trad. franç., Maspero, 1967; La thiorie du matérialimu
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d'articles '9~5-19~7 sous le titre Le socialisme dans la! seul pa~s, UOE, '974,« 1O{18 ». - Sur
Boukharine : Stephen COHEN : Nicolas Boulcharint, la vie d'la! bolchevik, Maspero, 1979;
Y. BLANC et D. KAlsERORUBER, L'qifaire Boukharine, l\Iaspcro, 1979.
~ CORRiLATS. - Bolchevisme, NEP, Paysannerie, Socialisme, Stalinisme.
P. S.
Bourgeoisie nationale
AI : NatÙ1lltÜt BIJurgtomt. - An : JUftioMl hurgtoisil. - R : }/acional"llzjll l;ur!lJ~a.
des ouvriers: (...) elle exploite ces mots d'ordre pour conclure des accords
réactionnaires avec la bourgeoisie des nations dominantes... » (Lénine,
0.,22, 161). C'est la conjoncture de la guerre (1916) : la bourgeoisie obéit
à son aînée. Pourtant, en 1912, évoquant l'éveil de l'Asie, Lénine parle
d'une bourgeoisie qui « est encore avec le peuple contre la réaction »,
et dont « le principal représentant ou le principal étai social (...), encore
capable d'une tâche historiquement progressiste, est le paysan» (o., 18,
164). D'un autre mot, c'est la démocratie révolutionnaire dont le discours
peut même être socialisant (cf. Sun Yat-sen).
Cette reconnaissance prépare proprement la conception stratégique du
ne Congrès de l'le (1920). Elle y fonde les principes du rapport que propose
Lénine devant la commission chargée des questions nationale et coloniale.
Il s'agira d'accorder une aide effective aux mouvements révolutionnaires
de libération, appelés, dans une autre mouture non retenue, mouvements
de libération démocratiques-bourgeois. Des divergences s'y sont exprimées,
notamment du fait de Roy ou de Serrati rejetant tout soutien du prolé-
tariat à la bourgeoisie, mais à vrai dire sans se cristalliser en courants
de pensée et d'action. L'approche reste toujours circonstanciée, voire
controversée, comme cela s'est vu à propos de la Chine: Trotski ironisant
contre les quatre classes de Staline, ou Boukharine amorçant la critique
de la politique de 1'10, ou Mao, rééditant La nOl/velle démocratie (1940) et
y substituant bourgeoisie nationale à bourgeoisie.
De là, s'est fait jour une oscillation entre l'attitude dure (cf. Jdanov à
la séance inaugurale du Kominform, 1947) et son assouplissement (confé-
rence des PO à Moscou en 1960). L'attitude« souple» recommande l'alliance
des communistes « avec la meilleure fraction de la bourgeoisie» (cf. déjà
FE, Sil., in fine), anti-féodale et anti-impérialiste (cf. Lénine, o., 32, 153)
afin de mener à bien les tâches démocratiques post-indépendance. Mais,
à la lIe Conférence (1969), la crainte d'une confiscation du pouvoir par la
bourgeoisie nationale s'est exprimée. D'où la recommandation d'une
radicalisation de la démocratie nationale dans le sens du rapprochement
avec le marxisme: évolution et fusion de groupes ou partis révolutionnaires
avec le PO (Cuba, Vietnam) ou mise en place de fronts avec participation
des communistes dans les pays ayant opté pour le socialisme dans le cadre
de la voie non capitaliste (Irak, Syrie, Sud-Yémen...)•
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La nation arabe, nationotisme el luites tIe ctasse, Paris, Minuit, 1976; E. Cololti PISCHEL et
C. ROBERTAZZI, L'le et les problimes colonÜJux, 1919-1935, Paris-La Haye, Ed. Mouton,
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Bakou, 1920, Jo.Iaspero, 1971; LâNINE, cf. Index, o., 47, s.v., à cela il faut ajouter, entre
autros occurrencos liées à cette question: 15, 4°5: 17, "0: 20, 27; 22, 156 et 385; 25,
218 cl s.; 31, 145-152, ou encore le recueil Le mouvement tIe lib/ratwn natwnale de l'Orient,
Moscou-Paris, 1962; La Nouvelk /ùVlU inlernolwnale, en particulier, les na' 12/13, 1959;
12, 1972; Il, 1974.
~ CORRÉLATS. - Alliances, Bourgeoisie, Colonisation/ Colonialisme, Démocralie nouvelle,
Front) Fusion, Impériaüsme, Nationalisme. Populisme, Transition, Voie non capitaliste
de développement.
M. Mou.
127 BUDAPEST (tCOLE DE)
Boutique
AI : BMdil[Ul. - An : SilO/'. - R : LmJk••
e/ dbnocra/Ît (recueil d'articles chez Maspcro, (981); La dic/a/ure sur les hesoim (1963); La
Hongrie de 1956 reumU. (1963); Les Temps modernes, numéro spécial consacré à )'Ecole
de Budapest, août.septembre 1974.
~ CoRRtLATS. - Autogestion, Besoins, Bureaucratie, Démocratie directe, art. Etat, Huma-
nisme, Ontologie (de l'être social), Parti, Praxis, Quotidienneté, Stalinisme, Totalitarisme.
S. N.
Bund
Bureaucratie
AI : Bürokrali•• - An : BUretmCTtJC,Y. - R : Bjurokralija.
Bureau politique
Al : Poli/hüro (poli/ischtS Bü.o). - An : Poli/ieal Bureau. - R : Poli/hiuro.
Voir : Parti.
, ~ l': ""l, :~ _', ~: ~ ',•. • 1~ . J~' , .l : l ':•
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; :; , ~ ," .: ,,'~, ' •• ' 1
, .... ...
'
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c
Cadets
Al : K.d,ttm. - An : Cad,lS. - R : Kad.".
R. PORTAL, La Rwsù rh 1894 li 1914, Coun agrl!gation, Parù, cou; M. ROOZJANKO, Gosu-
tiars'/''<1IIIIJja dam i jedral'skIJja 1917 G. JlIlJ()/jucia, Archives de la révolution russe, Berlin,
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H. SEroN-WATSON, The rhclint ojïmptrial Rwsia, Londres, '952
~ CoRRtLATS. - Douma, Octobre
Camp
AI : La'eT. - An : Cam/>, - R : La,,,',
La notion de camp apparaît dès 1919 chez Staline et chez Lénine qui
assimile« le camp de tous les pays bourgeois» au« camp de la bourgeoisie»
(o., 33, 268). Dérivée de la notion de lutte et de rapports de force (Le
camp adverse, c'est-à-dire bourgeois, Lénine, O., 45, 521) entre deux
classes antagonistes et sur le plan international entre deux systèmes, entre
« deux mondes », elle trouve son expression la plus précise dans le thème
de la défense de l'URSS, modèle et centre du mouvement révolutionnaire.
« Quiconque se propose de protéger le mouvement révolutionnaire inter-
national sans vouloir en même temps protéger l'URSS ou s'insurge contre
elle, en fait s'insurge contre la révolution et glisse irrévocablement dans le
camp des ennemis de la révolution» (Staline, 1927, in La silualion inler-
71ationale et la difmu de l'URSS, cité par J. Levcsque). Mais c'est avec la
guerre froide que la notion de camp va devenir un des thèmes majeurs
de l'idéologie et de la politique soviétique. Le rapport Jdanov (Sur la
situation internationale, septembre 1947), se fondant sur la constatation
d' « un changement radical dans le rapport des forces entre les deux sys-
tèmes - socialiste et capitaliste - », conclut à l'existence de deux camps
et définit comme « anti-impérialiste et démocratique» ce qui deviendra
«le camp socialiste». Les partis communistes, d'Europe occidentale notam-
ment, sont alors invités à « se mettre à la tête de la résistance dans tous les
domaines », politique, économique, et idéologique. Au-delà donc des
limites étatiques des deux camps, le « camp démocratique» trouve des
points d'appui au sein même des pays capitalistes.
Les infléchissements de la politique extérieure de l'URSS après la mort
de Staline, puis le XX· Congrès du peus, où, en même temps que « la
possibilité de conjurer les guerres », sont affirmés le principe de « la coexis-
tence pacifique des deux systèmes» et la reconnaissance de la possibilité
de voies pacifiques au socialisme, en précipitant l'abandon d'une vision
binaire et manichéenne du monde, vont conduire à la marginalisation
de la notion de camp. La notion de« polycentrisme» avancée par Togliatti
dès 1956 comme plus tard la théorie maoïste des« trois mondes» marquent
cette évolution. Le « camp socialiste» finit par ne plus désigner que l'aire
géopolitique d'influence soviétique.
• B'BUOORAPHlI!. - Chez Lénine, pour un premier repérage des différentes formes que
prend l'opposition entre socialisme et capitalisme, voir o. : t. ,6. p. 322-330; t. '7. p. 77-
81. t. 2'h p. 20-21; t. 26, p. 464-473 et p. 479"4g8; t. 27, p. 482-400; t. 28, p. 22 et 71;
t. 3', p. 423-443. t. 33, p. 268; t. 42, p. 425; t. 45, p. 521; F. FE.JTd, Hisloire dIS ti/mOtTa/ifs
populaiT<s,2 tom"", Ed. Seuil, 1972,380 et 333 p.; A.JOANOV, Sur la situation internationale,
Cahu" du Communisme, novembre 1947, nO l', p. 1124-'15'; Le devoir essentiel des partis
communist"" : défendre contre 1"" plans impéralùtes d'expansion et d'agression, l'honneur
nalional et lB souveraineté de leur pays. Communiqué sur la Conférence d'Information
des représentants de quelques partù eommunùtes, Cahiers du Communism., octobre 1947,
141 CAPITAL
p. 963-969; XX, Congrès du Parli ",mmunisle de {'Union soui/tique, supplément aux Comers
du OnnmUllisme, man 1956, 484 p.; J. LEVESQ.UI~, L'URSS et sa politique internatiolUlk de 19'7
d MS jours, A. Colin, 1980,335 p., coll.« U»; L. MARcou, La problématique d'un rapport
difficile : uRSS/mouvement communiste, in L'URSS vue d. gauche, sous la direction de
L. MARcou, PUP, 1982,296 p.
~ CoRRÉLATS. - Anticommunisme, Démocratie populaire, Démocratie nouvelle, Euro-
communisme, Esprit de parti, Impérialisme, Jdanovisme, Kominform, Modèle, Poly-
centrisme, Stalinisme, Titisme, Totalitarisme.
M.-C. L.
Capital
AI : Ir.pilal. - An : C.pilal. - R : Kopilal.
Cepitel constent/verieble
AI : K_/NTi",,/n Kyil4l. - An : CoruIJIIllI...rWù ,';;I4l. - R : Pos";""'l1iIPmmntlfJli KllliJ.l.
Cepitel fixe/circulant
AI : Fi_lzi,hlimndu K/lf1iI4l. - An : Fiut/ltirRd4IUrg 'lIIi"". - R : O,,-.uIDH'DIIW Kyi"".
Capitalisme
Al : Kapil4lismus. - An : Capil4lism. - R : Kapil4lù:m.
n'est lui aussi qu'une tendance qui se heurte à des obstacles de plus en plus
nombreux avec le passage au capitalisme des monopoles. Enfin, si le
producteur de marchandises s'approprie le premier la plus-value, il n'en
reste pas le dernier possesseur, devant la partager avec d'autres capi-
talistes qui accomplissent d'autres fonctions dans la production sociale :
la plus-value se scindera ainsi en profit industriel, intérêt, gain commercial,
rente foncière. Au fil des trois livres du Capital, on passe ainsi de l'analyse
de la production des marchandises, qui est production de plus-value, à
l'étude des mécanismes de l'accumulation et de la circulation du capital
et à la description de la réalisation des marchandises (qui doivent être
vendues si le capitaliste veut récupérer le capital avancé, ce qui suppose
l'existence d'une demande sociale solvable et l'existence d'un prix rému-
nérateur) par laquelle se clôt l'examen du procès d'ensemble de la pro-
duction capitaliste.
Au cours de son histoire, le capitalisme a traversé différentes étapes,
chacune d'elles étant liée à une évolution quantitative et qualitative des
forces productives et à une modification profonde des rapports sociaux.
Toute périodisation risque de présenter quelque risque d'arbitraire; on
peut néanmoins s'y essayer, Marx nous en fournissant quelques éléments
lorsque, dans la quatrième section du Livre Premier du Capital, il évoque
tour à tour la coopération, la manufacture et le machinisme. Lénine nous y
invitant de son côté en considérant que le capitalisme à son stade suprême
prend la forme de l'impérialisme tout autant que Mandel qui intitule l'un
de ses récents ouvrages, Le troisième âge du capitalisme. Une première étape
serait ainsi celle du capitalisme commercial et manufacturier, marquée
par la dissolution du mode de production féodal, le jeu des mécanismes
de l'accumulation primitive, la constitution d'une force de travail « libre»
se prolétarisant rapidement. Dans cette étape qui s'étend approximati-
vement de la Renaissance à environ 1760 en Angleterre, et qui pourrait
se subdiviser en une première période marquée par le perfectionnement de
l'outillage et une seconde période d'acheminement vers le machinisme,
le bouleversement des forces productives provoqué par la révolution
industrielle s'accompagne, avee la division du travail que consacre la
manufacture, de l'émergence du rapport fondamental du capitalisme, le
rapport capital/travail, et de la division en deux classes fondamentales
antagonistes, la classe capitaliste et la classe ouvrière. Une seconde étape
serait celle du capitalisme industriel et concurrentiel, celui que Marx
étudie de manière approfondie. Couvrant en Angleterre les années 1760-
1880, cette étape serait scandée par deux sous-périodes en fonction de
l'évolution du machinisme: la machine à vapeur est la figure marquante
de la première période, le moteur électrique celle de la seconde; le textile
serait l'industrie dominante dans la première période, relayé par la sidé-
rurgie dans la seconde; le capitalisme anglais d'abord dominant verrait
l'Allemagne puis les Etats-Unis prendre son relais; les rapports sociaux,
marqués au plan juridique par le libéralisme économique d'un Smith et,
au plan politique, par la philosophie du contrat social, se disciplineraient
peu à peu sous la pression des organisations ouvrières et des luttes sociales.
Une troisième étape s'ouvrirait vers 1880, celle du capitalisme de mono-
poles et de l'impérialisme que l'évolution des procès techniques permettrait
de subdiviser en une période d'épanouissement et d'apogée du maclùnisme
et une période de la révolution scientifique et technique; l'organisation
149 CAPITALISME
Paris, uaa, 1976: B. MARx, L'ktmamù ~isu, Paria, as, 1979: T,ai" d'ktmamù ptJIitiqw,
U <IJJ>ÏI4lÜ'nu -J>tIlisu d'EIIJJ, Paris, as, 2 vol., 1971,
• CoRlliLA'R. - Capila1, CHE, Déve1oppcment/Soua-d~doppement,Impérialilme, Mode
de production, Profit, R~olution induslrielle, Suboomption formelle/réelle, Survaleur,
Valeur.
G. C.
Capitalisme d'Etat
AI : SIDQlWl/>ilD/isrnru. - An : S/QI<-<apilalisrn. - R 1 Ga""'arslvlM.ri ""IilDliun.
1 1Le capitalisme d'Etat : tendance historique de la production capitaliste? -
Le Capital ne semble pas contenir de référence explicite au capitalisme
d'Etat, même si Marx mentionne l'existence d'un capital d'Etat, qui
fonctionne en fait comme le capital privé, sans modifier les lois du capita-
lisme (K., 2,4,90; MEW, 24,101). Pourtant les analyses de Marx et d'Engels
dessinent en creux une problématique du capitalisme d'Etat, notion limite
qui concentre leurs difficultés à analyser l'histoire du mode de production
capitaliste.
Réfléchissant l'histoire du capital comme le processus par lequel
celui-là s'empare de la production sociale, les Grundrisse mesurent son
degré de domination par son degré d'autonomie, par sa capacité à assurer,
sans le secours de l'Etat, la reproduction des conditions générales de la
production (t. II, 23-24; Diet<. Verlag, 1974, 429-430). L'histoire du capital
consiste pour lui à se détacher de l'Etat; l'intervention de celui-ci dans
l'économie devient une préhistoire. Le Capital étudie au contraire l'histoire
du capitalisme à partir de l'accumulation du capital, qui produit sa
concentration, la formation de monopoles, dont la limite ultime serait la
formation d'un capital social unique, aux mains d'un capitaliste individuel
ou collectif unique (K., l, 3, 68; MEW, 23, 655-656). Mais cette tendance
à la formation de monopoles provoque « l'immixtion de l'Etat» (K., 3, 7,
104; MEW, 25, 454). La formation d'un véritable capitalisme d'Etat serait
inscrite dans l'histoire du capital, comme combinaison de ces deux ten-
dances. Pourtant, Marx ne peut y voir qu'un cas limite, une abstraction
théorique, dans la mesure où la socialisation du capital, dont la prise en
main par l'Etat serait la dernière limite, lui apparaît comme une contra-
diction, et comme un dépassement interne du capitalisme ; « C'est la
suppression du mode de production capitaliste à l'intérieur du mode de
production capitaliste lui-même, donc une contradiction qui se détruit
elle-même et qui, de toute évidence, se présente comme une simple phase
transitoire vers une forme nouvelle de production» (ibid,).
Le capital serait par nature une propriété privée et anarchique des
moyens de production. Il serait donc incapable d'une véritable socialisa-
tion. Parce qu'il saisit le capital comme une essence, Marx ne peut en
penser l'histoire.
Chez Engels au contraire, si le capitalisme d'Etat reste une limite, il
n'en est pas moins vu comme un aboutissement réel du capital: « L'Etat
moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement
capitaliste : l'Etat des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il
1àit passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capi-
taliste collectif en fait» (AD, 318; MEW, 20, 260-261). Préparant l'expropria-
tion des expropriateurs, le capitalisme d'Etat est à la fois limite et transition;
il n'est achevable que par la révolution prolétarienne, qui s'en sert comme
151 CAPITALISME D'tTAT
bien Boukharine que Préobrajenski font de la NEP une lutte entre un secteur
socialiste (l'industrie étatisée) et des secteurs capitalistes (commerce et
grande production agricole). L'appropriation sociale cst ramenée à la
propriété d'Etat et à l'organisation étatique de la production.
De Terrorisme et communisme (1921) aux Bolcheviks dans l'impasse (1930;
rééd. Paris, 1982), Kautsky réitère ses critiques. Il esquisse une analyse
de la nouvelle classe qui a pris le pouvoir en URSS par la fusion de la bureau-
cratie du capital avec celle de l'Etat. Si sa tendance à assimiler cette classe
avec le Parti communiste, dont la base reste largement ouvrière, manque
de clairvoyance et lui vaut une volée de bois vert de Boukharine, il annonce
l'analyse de Bahro en soulignant que le capitalisme d'Etat donne naissance
en URSS à une aristocratie quasi féodale.
Boukharine établit une première ligne de défense : ni le Parti, ni sa
direction ne sont de véritables propriétaires des moyens de production;
ils n'en disposent pas et n'en retirent aucun profit personnel; ils ne sont
pas une classe; le raisonnement de Boukharine se fonde sur une opposition
avec le capitalisme privé occidental. Il n'envisage pas une seconde que
l'appropriation d'Etat puisse être une appropriation collective, directement
sociale, ce qui implique qu'aucun des membres de la classe dirigeante ne
dispose à titre personnel des moyens de production et des profits. Trotski
retrouvera la même inspiration dans La révolutiOlI trahie, et elle s'est maintenue
jusqu'à nos jours chez les tenants du socialisme « réel ».
Retrouvant un argument de Deville, Lapidus et Ostrovitianov établis-
sent une deuxième ligne de défense, qui va demeurer la base de l'apologie
du socialisme« réel ». La plus-value est abolie par la production d'Etat,
car elle revient, sous forme de services et d'allocations sociales, à la satis-
faction des besoins sociaux, à commencer par ceux des travailleurs. C'était
renverser la position de Kautsky pour qui la production d'Etat n'était
pas une production pour les besoins. :t\.fais c'était aussi substituer au pro-
blème de la production de la plus-value celui de sa répartition. Lénine
avait déjà rétorqué à L'écOIlomique de la période de transition de Boukharine
que le profit satisfait à sa façon les besoins sociaux; il invalidait par avance
toute cette problématique des besoins, en soulignant que la véritable
socialisation signifiait l'appropriation par les travailleurs de leur surproduit.
Tels sont les soubassements sur lesquels va s'élever l'idéologie stali-
nienne ; identifiant jusqu'à la caricature le capital à une production privée
et anarchique, elle bloque toute analyse du capitalisme d'Etat, ce qui lui
permet de reprendre l'assimilation du socialisme à l'organisation étatique
de la production. Une des fonctions du premier plan quinquennal était
selon Staline « d'éliminer complètement les éléments capitalistes» de
l'industrie (Bilan du 1er Plan quinquennal, in Questions du léninisme, 601).
Alors même que ce plan, imposé par l'Etat, exécuté grâce à la surexploi-
tation de la force de travail et au travail forcé, ne fait que matérialiser
dans la politique la coupure du travailleur et des moyens de production,
essentielle à la définition du rapport capitaliste de production.
La division du travail reste l'incarnation d'un rapport social de classes
dans lequel les producteurs sont derechef dépouillés de la direction de
l'économie. Le dessaisissement des travailleurs au niveau du procès de
production immédiat, souligné lors de la révolution culturelle chinoise,
n'est que l'envers du dessaisissement général des travailleurs par l'Etat.
Les tenants du « socialisme réel » l'avouent parfois, non sans réticences
CAPITALISME D't1AT 154
(cf. Radvany. L'URSS. le glant aux paradoxes. Paris, Ig81, 145; et Dimet
et Estager, La Pologne, une rivolu/ion dans le socialisme? Paris, Ig81, 142).
Le propre du capitalisme d'Etat est de faire la fusion de ces deux modes
de soumission du travailleur en unifiant l'appropriation économique et le
pouvoir politique, ce qui structure l'unité de la classe dominante. Mais la
division du travail interne aux appareils d'Etat masque en la dissolvant
cette appropriation par une classe dominante étatique. en la dissimulant
derrière un ensemble de fonctions apparemment techItiques. tant de plaIti-
fication que de direction des entreprises. C'est ce qui permet le fonctionne-
ment du mythe de l'Etat du peuple entier. La disparition de Staline n'a
rien changé à la situation. La Constitution de Ig77 proclame le principe:
le Parti dirigc, l'Etat gère; en fait la nomination des dirigeants économiques
même locaux est étroitement contrôlée par le Parti.
Marx faisait de l'existence du travail salarié, coupé tant des moyens de
production que de tout moyen de subsistance, le ressort proprement
capitaliste de la production marchande et la condition de sa généralisation
(K., 1, 3, 27; MEW, 23, 613). En maintenant la coupure du travailleur et
des moyens de production, la production étatique en reproduit nécessaire-
ment la conséquence, le maintien des catégories marchandes, le caractère
marchand de la force de travail. Staline concède la conséquence (Problèmes
économiques du socialisme, Tex/es, II, 212) mais tente d'échapper à la
prémisse en niant l'existence du salariat: « Les propos sur la force de travail
comme marchandise et sur le « salariat » des ouvriers paraissent assez
absurdes dans notre régime; comme si la classe ouvrière. qui possède les
moyens de production, se salariait elle-même et se vendait à elle-même
sa force de travail» (ibid., 210). La pétition de principe, qui consiste à
affirmer l'appropriation des travailleurs pour Itier l'existence du salariat,
le dispute à l'absurdité qui consiste à affirmer l'existence du salaire, tout
en Itiant le salariat. Tel est le principe de la transsubstantiation des
catégories économiques par l'idéologie stalinienne: il suffit d'accoler l'épi-
thète de socialiste à un rapport social pour en changer la nature.
Le « socialisme réel» recouvre donc l'existence d'un véritable marché
du travail, attesté par l'existence d'un chômage camouflé ou ouvert selon
les pays, et qui donne leur sens aux exigences d'autonomie financière des
entreprises et de rentabilité qui n'ont fait que s'accroître ces dernières
années. Même si cette rentabilité est sociale et nationale (Staline, o. c., 216),
même si le plan fixe un taux de profit global compatible avec l'existence
de secteurs déficitaires, cette rentabilité n'en repose pas moins sur l'exploi-
tation de la force de travail. La loi de la valeur et les catégories marchandes
ne sont nullement des survivances nées de l'existence provisoire de deux
secteurs extérieurs, l'un étatique, l'autre coopératif, selon la thèse de
Staline (o. c., 208-20g), universellement reprise. Les polémiques actuelles
accentuant Ja nécessaire autonomie des entreprises, la remise cn cause de
nombreux dogmes staliniens sur J'efficacité d'une planification autoritaire
montrent l'incapacité des sociétés « socialistes » à intégrer totalement
l'économie nationale, dans la mesure où les entreprises fonctionnent
comme centres relativement autonomes d'accumulation.
Les descriptions du capitalisme d'Etat en termes de totalitarisme, qui
visent à montrer l'ingérence de l'Etat dans toutes les activités sociales, se
laissent donc piéger par l'image de monolithisme et d'intégration que ces
sociétés donnent d'elles-mêmes. Les contradictions internes à l'appropria-
155 CAPITALISME MONOPOLISTE D'tTAT
Castes
AI : Sl4ndt, Kos/m. - An : CosIes. - R : Kos!)!.
Catégorie
Al : Katego';,. - An : Ca/,gory. - R : Kol,gorja.
Causalité
AI : KaUJalild/. - An : Causo/ilJ. - R : P,i~innlJsl"
Centralisme démocratique
AI : D.-IcTalisclu, ZmlrolÎsmJIS. - An : D"""".'Î< <mlrolism. - R : D"""tJtimJ:ij <ml<olw..
Staline). Les fractions sont officiellement interdites dès 1921. Tout affai-
blissement du parti équivaut alors à un affaiblissement de l'Etat, donc à
un risque de mort pour la révolution. Les textes conjoncturels de Lénine,
écrits dans le contexte que l'on sait, vont être alors récupérés pour servir
de caution théorique à l'organisation d'un Etat autoritaire et, dans la
foulée, à celle de tous les panis communistes.
Toute tentative d'application effective du centralisme démocratique,
c'est-à-dire en clair toute critique de la direction et de sa ligne pourra alors
être dénoncée comme entreprise visant à affaiblir l'organisation dans la
guerre contre l'ennemi de classe, donc comme une trahison.
Le centralisme démocratique semble donc condamné par ce qu'il
est inapplicable et pour avoir servi de légitimation à la dictature bureau-
cratique de l'Etat soviétique. Cependant, deux sortes d'arguments militent
encore en sa faveur: l 1 L'expérience des partis et organisations admet-
tant formellement le droit de tendance montre que l'exercice réel de la
démocratie n'y est guère plus satisfaisant, même si les directions y sont
moins inamovibles; 21 Dès lors qu'on admet qu'il peut y avoir un
fondement scientifique à l'élaboration d'une ligne politique, nullement
incompatible avec la démocratie considérée comme méthode de recherche
de la vérité politique, il est légitime que la ligne du parti fasse autorité
sur les opinions particulières. Le centralisme démocratique serait alors
garant d'une certaine rationalité de l'action politique dégagée à la fois de
l'arbitraire du chef et de l'atomisation des volontés particulières.
• BIBLIOGRAPHIE. - L. ALTHUSSER, C. qui n' peUl plus tlurer tlalU 1. Parli communisl., Paris,
Mmpero, 1978; ID., Interview au Pœs. Sera, mai '978; P. BRout, lA Parli bolchevik, Pari.,
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g-IO juin '978.
~ CoRRÉLATS. - Bolchevisme, Démocratie, Discipline, Parti, Soviet, Tendances (droit de),
Trotskisme.
P. S.
Centre/Périphérie
AI : Zmtrvm/P";~rÎl. - An : CmI"/peri~'7. - R : C""/,,"iferija.
Césarisme
AI : C4urimuu. - An : Cuarism. - R : CtzarWn.
Voir : Bonapartisme.
Chartisme
AI : Cha,fismltS. - An : CJ.artism. - R : Ca,/ion.
Chômage
AI : Arb,itsu.sigk,it. - An : UnemplD)lment. - R : B,reTabo"'ta.
les M 44} qu'il entame le retour au concept de « classe» : « Quelle est la base
d'une révolution partielle, uniquement politique? Celle-ci : une partie de
la société civile bourgeoise s'émancipe et parvient à dominer l'ensemble de la
société, une classe déterminée entreprend, à partir de sa situation parti-
culière, l'émancipation générale de la société. Cette classe libère la société
entière, mais seulement à la condition que la société entière se trouve
dans la situation de cette classe, donc possède par exemple argent et
culture, ou puisse les acquérir à son gré... » (ouvr. cit., p. 208). Dans
L'idéologie allemande la terminologie des classes (et de la « classe domi-
nante ») est généralisée.
Mais le texte de L'idéologie allemande contient aus~i l'amorce (ou la
survivance ?) d'un problème délicat, qui continuera de hanter la théorie
marxiste.
D'un côté il applique systématiquement le concept de classe à toute
division de la société en dominateurs et dominés qui se fonde dans
l'organisation de la production, donc dans un stade déterminé de la
division du travail. L'Antiquité, le Moyen Age, voire les sociétés « asia-
tiques », sont donc, tout autant que la société bourgcoise des « sociétés
de classes », dès lors que s'est dissoute la propriété communautaire :
« C'est collectivement que les citoyens [antiques] exercent leur pouvoir
sur leurs esclaves qui travaillent (...) Le rapport de classes (Klasstll-
l'erhliilnis) entre citoyens et esclaves a atteint son complet développe-
ment » (MEW, 3, p. 23); « La structure hiérarchique de la propriété
foncière et les troupes armées qui allaient de pair avec elle conférèrent
à la noblesse la toute-puissance sur les serfs. Cette structure féodale,
tout comme la propriété commune de l'Antiquité, était une association
contre la classe productrice dominée (...) La réunion de pays d'une
certaine étendue en royaumes féodaux était un besoin pour la noblesse
terrienne comme pour les villes. De ce fait, l'organisation de la classe
dominante, c'est-à-dire de la noblesse, eut partout un monarque à sa
tête» (ibid., p. 24-25).
Mais, d'un autre côté, Marx conserve la distinction entre Stand et
Klasse pour tracer une ligne de démarcation entre la société capitaliste
(<< bourgeoise ») et les sociétés pré-capitalistes: « Dans le monde antique
comme au Moyen Age, la première forme de la propriété est la propriété
tribale (...) la propriété privée proprement dite commence, chez les
Anciens comme chez les peuples modernes, avec la propriété mobi-
lière (...) [elle aboutit] au capital moderne, conditionné par la grande
industrie et la concurrence universelle, qui représente la propriété privée
à l'état pur, dépouillée de toute apparence de communauté et ayant
exclu toute action de l'Etat sur le développement de la propriété (...)
Du seul fait qu'elle est une classe (Klasse) et non plus un état (ou un ordre:
Stand) la bourgeoisie est contrainte de s'organiser sur le plan national,
et non plus sur le plan local, et de donner une forme universelle à son
intérêt moyen (Durchschnittsinteresse) (...) L'indépendance de l'Etat n'existe
plus aujourd'hui que dans les seuls pays où les Silinde ne sont pas encore
parvenus dans leur développement au stade de Klassen et jouent encore un
rôle, alors qu'ils sont éliminés dans les pays plus évolués» (ibid., p. 61-62).
On peut penser, dans ces conditions, soit que l'existence de classes, au sens
propre, est spécifique de la société bour~eoise; soit, selon la terminologie
ultérieure, d'origine hégélienne, que seule la société bourgeoise permet le
CLASSES 172
liquidée (..•) Peut-on après cela appeler notre classe ouvrière prolétariat?
Il est clair que non (...) le prolétariat de l'URSS est devenu une classe
absolument nouvelle, la classe ouvrière de l'URSS (00') une classe ouvrière
comme n'en a jamais connu l'histoire de l'humanité» (Rapport sur le
projet de Constitution de l'URSS, in Les questions du léninisme, Paris, 1947,
ES, vol. Il, p. 214-215). Rudolf Bahro, qui n'hésite pas à faire le rappro-
chement avec le pré-capitalisme, parle du « non-concept» (UnbegrijJ)
de cette « classe ouvrière» (cf. Die Alternative, EVA, Kôln et Frankfurt a. M.,
1977, p. 215 et s.; trad. franç., Stock, 1979).
A vrai dire, la distinction des sociétés divisées en états, ordres ou castes
fermés et des sociétés divisées en classes économiques « ouvertes » par la
division du travail, la concurrence et l'égalité formelle entre les individus
est un lieu commun de l'évolutionnisme sociologique au XIXe siècle, qu'il
s'agisse de Maine, de Tônnies, de Durkheim ou de Max Weber (cf. une
claire présentation dans le livre de G. Therborn, Science, class and Society,
New Left Books, 1976). Il est donc significatif qu'Engels, et après lui
Lénine, bien que fortement marqués à l'évidence par cette idéologie,
s'efforcent constamment de reconstituer ce qu'il y a au contraire de fonda-
mentalement invariant entre le capitalisme et les formes d'exploitation anté-
rieures, bien que la division des classes prenne, ici, une forme « person-
nelle » et hiérarchique, là une forme « impersonnelle» et juridiquement
égalitaire (qu'on peut rattacher au « fétichisme» de la marchandise).
L'origine de lafamille (Engels, 1884) et la conférence De l'Etat (Lénine, 1919)
montrent bien quel en est l'enjeu ; indiquer le lien interne qui relie les
formes de la démocratie politique aux formes de l'extorsion du surtravail.
La distinction des sociétés de castes, ordres, états, etc. (non marchandes)
et des sociétés de classes (marchandes) est en effet la simple projection
dans le temps de la dichotomie société/Etat telle que la réfléchit l'idéo-
logie politique et économique moderne.
2 1 Critères de di.finition et d'analyse. - L'un des textes classiques les plus
souvent utilisés à titre de « définition» des classes sociales est probablement
le passage suivant de Lénine :
« ('00) Qu'est-ce que la « suppression des classes» ? Tous ceux qui
se disent socialistes reconnaissent ce but final du socialisme, mais tous,
loin de là, ne réfléchissent pas à sa signification. On appelle classes de
vastes groupes d'hommes qui se distinguent par la place qu'ils occupent
dans un système historiquement défini de production sociale, par leur
rapport (la plupart du temps fixé et consacré par les lois) vis-à-vis des
moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du t"ravail,
donc, par les modes d'obtention et l'importance de la part de richesses
sociales dont ils disposent. Les classes sont des groupes d'hommes dont
l'un peut s'approprier le travail de l'autre, à cause de la place différente
qu'il occupe dans une structure déterminée, l'économie sociale. Il est clair
que, pour supprimer entièrement les classes, il faut non seulement renverser
les exploiteurs, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, non
seulement abolir leur propriété ; il faut encore abolir toute propriété des
moyens de production; il faut effacer aussi bien la différence entre la ville
et la campagne que celle entre les travailleurs manuels et intellectuels (00') »
(La grande initiative, 1919, O., 29, 425).
Cette « définition» montre bien que l'analyse des classes ne peut être
CLASSES 174
schéma à deux classes, dans lequel il est aisé de voir le reflet direct de
l'antagonisme fondamental. La position exposée dans le livre m du. Capital
tire les conséquences de la découverte de la « rente absolue » (contre
Ricardo), qui rend impossible de réduire le monopole de la terre au
monopole capitaliste des moyens de production. Elle conclut donc à
l'irréductibilité de l'opposition d'intérêts entre rente foncière et profit,
bien que l'une et l'autre aient pour source la survaleur extorquée à
l'ouvrier. Elle conduit donc à un schéma à trois classes, comme chez les
économistes classiques, mais dissymétrique, dans lequel l'antagonisme fonda-
mental de la production n'est reflété que de façon médiate par les rap-
ports de distribution.
Lorsque Engels, dans L'Anti-Dühring (ES, 125), énumère à son tour
« les trois classes de la société moderne », il les désigne comme « l'aristo-
cratieféodale, la bourgeoisie et le prolétariat». Formulation de compromis?
Elle permet de reconstituer le couple antithétique caractéristique du
mode de production capitaliste en rapportant les propriétaires fonciers, à
titre de « survivance », à des rapports de production antérieurs, mais en
laissant dans l'ombre la question de ce que deviennent, symétriquement,
les exploités de la « féodalité » (serfs, devenus « paysans parcellaires »
avec la monétarisation de la rente...). Question qui devait s'avérer politi-
quement cruciale lorsque se manifestera l'insuffisance des schémas de bipo-
larisation des campagnes entre prolétariat et capitalistes agraires (cf. Kautsky,
La question agraire, 1898; Lénine, DeR, [899). Le même Lénine, dans la
période post-révolutionnaire (cf. L'impôt en nature, O., 32; et Sur l'infan-
tilisme de gauche, o., 3 l, 192), puis Mao Tsé-toung (dans L'ana(yse des classes
de la sociité chinoise, 1926, in Œuvres choisies, t. 1) esquisseront une autre voie:
celle de la combinaison de plusieurs modes de production dans toute forma-
tion sociale moderne, inégalement développés et transformés par le capi-
talisme dominant. Cette voie conduit à redonner au concept de peuple,
désignant l'alliance ou l'unité des classes exploitées, une pertinence sociale
et politique dont l'analyse de classes l'avait d'abord privé. Tous les
marxistes conséquents n'en maintiennent pas moins une double thèse :
a 1 une seule classe peut être dominante (toutes les autres, exploiteuses ou
exploitées, doivent donc se plier aux conditions de sa domination); b 1une
seule « source» de tout revenu peut exister : le travail, donc le surtravail
(qui, dans une société marchande, se réalise d'une façon ou d'une autre
comme survaleur).
En réalité, ces divergences s'expliquent par des voies diflërentes que
peut emprunter la critique de l'économie politique classique. En ce sens,
elles marquent bien à quel point, dans ses définitions, la théorie marxiste
reste dépendante de la problématique des économistes. Son évolution n'en
est pas moins significative. On peut la retracer schématiquement en notant
que le point de départ, dont elle n'a cessé en un sens de s'éloigner, est tout
simplement la vieille idée de l'antagonisme entre les pauvres et les riches,
transformée par la critique socialiste (Sismondi) en théorie de la paupéri-
sation (absolue) du prolétariat comme conséquence inévitable des lois de
l'économie marchande. Les Jl1anusmts de r844 exposent cette « logique»
de l'accumulation de richesse monétaire à un pôle et de la paupéri-
sation à l'autre. Ils l'expliquent par la double concurrence des capitalistes
entre eux et des ouvriers entre eux, dans les conditions de la propriété
privée. L'idéologie allemande explique à son tour celle-ci comme le résultat
CLASSES 176
nel « Capitale ", Bari, De Donato, 1976; Rudolf HERRNSTADT, Entdeclcung der Klassen.
Dit Geschichte du Begrifft Klasse von dm Anflngen bis ~ Vorabtnd der Pariser ]ulirefJOlution 1830,
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Ed. du Seuil; HODGSKIN, Défense du travail contre les prétentions du capital, inJ.-P. OSIER,
Thomas Hotigskin, Une critiqll4 proUtarienne de /'économie politique, Maspero, 1976; B. !.AUTlER,
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1974; SISMONDI, Nouveaux princip.. d'iconomie politiqll4, rééd. Calmann-Uvy, 1971; SOREL,
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D. WEDDERBURN, ed., Pooerty, Inequa/ity and Class structure, Cambridge University Press, 1974.
.... CORRÉ.LATS. - Bourgeoisie, Castes, Communauté, Concurrence, Conditions de vie,
Couche sociale, Division du travail manuel et intellectuel, Formation économique-sociale,
Lutte de classes, art. Mode de production, Paysannerie, Petite bourgeoisie, Prolétariat.
E. B.
Classes moyennes
AI : Milltisl4luf, MiuelkLusm. - An : Middle clolUs. - R : S"d...,e klassy.
Coalitions
AI : KOQliliontn. - An : Cf'mbinalions. - R : Koa/ilsii.
Marx évoque pour la première fois les coalitions ouvrières dans .Misère
de la philosophie à l'occasion d'une controverse avec Proudhon relative aux
effets d'une hausse des salaires. C'est pour lui l'occasion de montrer l'utili-
sation que les capitalistes peuvent faire du machinisme comme arme anti-
ouvrière mais aussi d'évoquer l'influence qui peut en résulter quant au
développement de l'industrie. On peut dès lors soutenir que 1" degré auquel
sont parvenues les coalitions dans un pays marque le degré que celui-ci
occupe dans la hiérarchie des marchés de l'univers. Reconnues en Angleterre
par la loi de [825 (elles ne le seront en France qu'en [864) les coalitions
passagères qui n'avaient d'autre but qu'une grève deviennent permanentes
avec les trade-unions dont Engels décrit les moyens d'action (Sil., ES,
267-297; MEW, 2, 420-455). Par l'association qui alors se développe et en
partie sous l'impulsion de l'AIT, la masse ouvrière se transforme en classe.
Cette idée sera reprise par Le Manifeste communiste dont on connaît la fameuse
fonnule :« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous.» Encore faut-il pour
cela, comme le montre Salaire, prix el profit, que les syndicats remplissent leur
véritable rôle, qu'ils ne se limitent pas à une action de guérilla contre les
effets du système capitaliste mais qu'ils entreprennent de le changer en
abolissant le prolétariat.
COEXISTENCE PACIFIQUE 180
Collaboration de classes
Al : KltUsmkollaborat,'on. - An : Class collaboral,'on. - R : Kla.uovot Jolt'Udnié,stvo.
Collectivisation
AI : K.II,kliuierung. - An : C.llutivisatWn. - R : Kclltktioimcija.
ES, p. g8). Les considérants du Parti ouvrier français rédigés par Marx
mentionnent le « retour à la collectivité des moyens de production» (ibid.,
p. 117)·
C'est que le terme de socialisation permet, face aux anarchistes et aux
réformistes, qui se réclament en des sens différents du collectivisme, de
tracer une double ligne de démarcation: a 1 rappeler la nécessité de l'action
politique révolutionnaire de la classe ouvrière s'emparant du pouvoir
d'Etat, centre de la socialisation; b / maintenir l'unité de l'appropriation
communiste en dépit de la diversité des formes de gestion, et la centrali-
sation des moyens de production, contre le mutuellisme de Proudhon, les
diverses formes de coopératives ou les visions anarchistes fédéralistes
dans. lesquelles les travailleurs de chaque entreprise se l'approprient
collectivement.
Ce refus de parler de collectivisation, alors même qu'on définit le com-
munisme comme appropriation collective, renvoie à une difficulté théorique
plus profonde sur l'unité de l'appropriation communiste : est-elle une
véritable pratique politique reliant directement les diverses pratiques
sociales et s'autotransformant sans cesse (schéma qui tend à s'imposer à
Lénine), ou bien n'est· elle qu'une association de producteurs, selon un
quasi-contrat social, assurant la transparence du communisme, la maîtrise
totale des travailleurs sur les moyens de production, et l'universalité du sujet
collectif indiquerait alors la disparition de tout véritable rapport social
sous le communisme au profit de relations interindividuelles? Dans les
Grundrisse (ES, t. 1, p. 108-110), le terme désigne le lien entre production,
distribution et consommation communistes, ce qu'Engels réfutera (AD, ES,
Ig63, p. 3 1 9).
Cette ambiguïté se manifeste chez Marx dans ses vues sur le dévelop-
pement concret du communisme. Tantôt il voit dans celui-ci une association
de coopératives, thème expressément relié à l'appropriation collective
(Notes sur étatisme et anarchie de Bakounine, traduit dans Socialisme autoritaire,
socialisme libertaire, 10/18, t. 2, p. 379), bien que Le Capital réduise les coopé-
ratives à n'être qu'une solution positive interne au capitalisme (liv. III,
ES, 7, 106); tantôt il conçoit le socialisme à partir des réalités politiques de la
révolution comme une centralisation planifiée dans l'Etat des moyens de
production. La transition socialiste se coupe ainsi du communisme.
Malgré ces réserves terminologiques, Lénine développe une véritable
problématique de la collectivisation. Marx - sauf exceptions - n'a envi-
sagé la révolution que comme la conséquence de la domination et de la
maturité du capital. Aussi condamne-t-il (Notes sur étatisme et anarchie)
un partage des grands domaines qui renforcerait la petite exploitation
paysanne. Kautsky reste fidèle au schéma de Marx et d'Engels: le but du
socialisme reste la formation de grandes exploitations collectives, qui passe,
dans un premier temps, par la nationalisation des grands domaines. Mais il
souligne avec Engels qu'il n'est pas question de contraindre les exploitants
individuels qu'il faudra intégrer progressivement à la socialisation. Si
Lénine, avant 1917, suit ce schéma, ce n'est pas sans introduire une contra-
diction avec ses affirmations sur le rôle révolutionnaire des paysans. Aussi,
en octobre 1917, fidèle au primat de la politique, il tranche dans le vif en
appliquant le « mandat paysan» et en se ralliant, au nom de l'alliance
ouvriers-paysans, au programme SoR : nationalisation du sol, maintien
de l'exploitation individuelle et partage des grands domaines.
183 COLLECTIVISATION
Collectivisme
Al : Kotkktioismus. - An : Col/tc/ivism. - R : Kol/,ktiviun.
tel que le diffusera Jules Guesde. Au Congrès de Lyon (1878), deux des
partisans de ce dernier, Dupire, délégué des tailleurs parisiens, et Ballivet,
représentant des mécaniciens lyonnais, proposent, pour la première fois,
une motion invitant« toutes les associations ouvrières en général à étudier
les moyens pratiques pour mettre en application le principe de la propriété
collective du sol et des instruments de travail ». Le texte n'est pas adopté.
Mais avant que Guesde ne le reprenne dans le « Programme et adresse des
socialistes révolutionnaires français», qu'il publie dans son journal, L'Egalil/,
le 21 février t880, le Congrès de Marseille (1879), réuni sous le mot d'ordre
«La terre au paysan, l'outil à l'ouvrier», l'adopte à une très large majorité.
La résolution du congrès se donne « comme but : la collectivité du sol,
sous-soL instruments de travail, matières premières, donnés à tous et rendus
inaliénables par la société à qui ils doivent retourner. » Le collectivisme se
substitue dès lors au mutuellisme et au coopératisme, déclarés incapables
d'assurer l'émancipation des travailleurs. Il coïncide avec la fondation du
Parti ouvrier français, dont le programme a été mis au point à la faveur
d'une rencontre, à Londres, entre Guesde, !vlarx et Engels. « En trois ans,
relève Seignobos, une fédération de syndicats partisans de la coopération
s'était transformée en une Eglise socialiste soumise à l'orthodoxie du col-
lectivisme marxiste» (cité par Ligou, p. 36). Par la suite, les collectivistes,
ou guesdistes, comme on dit aussi à l'époque, auront à s'opposer en outre
aux« possibilistes », qui l'emportent au Congrès de Saint-Etienne (1882),
et aux anarchistes, qui domineront dans le mouvement syndical, les pre-
miers prônant, avec P. Brousse, une modération favorable à toutes les
réformes possibles, les seconds proclamant, comme Pouget, la nécessité de
« faire la guerre aux patrons et non de s'occuper de politique» (cité par
Montreuil, p. t52).
Depuis le terme a été abandonné au profit de ceux de socialisme,
social-démocratie ou communisme. Son sens en effet recélait des ambi-
guïtés qui ne correspondaient pas, pour les partis ouvriers, à la politique
qu'ils préconisaient en matière d'appropriation foncière (défense de la
petite propriété) et de contrôle des instruments de production (nationali-
sations). Pour les classes dirigeantes, la portée péjorative du collectivisme
opposé au libéralisme, sur le plan économique, et à l'individualisme, quant
à l'idéologie, s'est trouvée accusée encore à la suite des mesures de collecti-
visation en URSS et dans les pays socialistes.
• BIBUOGRAPlIJE. - L. BLUM, Les congrès ouvriers, apud L'œuvre th L. Blum, t. 1, Paris,
A. Michel, 1954-> p. 3920416; Dütionnaire IconomiqUJ! ., SOCÙJt, CERM, Paris, ES, 1975, arl.
« Collectivisme »; D. Lloou, Histoire du socialisme en Franc., 18';101961, Paris, PUF, 1962,
chap. 1 et II: J. MONTREUIL, Histoire du mou<,.mtnl ouurier en Franc., Paris, Aubier, 1946,
p. 142-153; C. WILLARO, Lu GlJJ!Sdislts, Paris, ES, 1966; ID., T.xtes choisis (1867-1882)
d. J. GUJ!sdt, Paris, ES, 1959; A. ZEVAES et divers, Histoire dts divers parlis socialislts d. Franc.,
Paris, '912-1923; t. 11 : D. la Semaine sangl<Jnl. au Congrts dt Marseille; t. In : Les Guesdi,sl.s.
~ CORRÉLATS. - Anarchisme, Collectivisation, Coopération, Coopérative, Guesdismc,
Individualisme, Nationalisation, Socialisation.
G. L.
Collégialité
AI : Kolltkti", Fllhn..g. - An : Colllgial ItlUltrship. - R : l ...lltktivruJJt' ",ko,..dstv•.
Colonisation 1 Colonialisme
Al : Kol""isalion{Kalonisierung/Kol""ialismus. - An : Colonisalion/Coumialism. - R : Kolonizacija/
Kolonializm.
Combinaison
AI : VerbindWlg. - An : CombinaIion. - R : Sqjuz.
Sous ce terme, !vlarx pense la mise ert rapports, dans le procès de pro-
duction, de ses agents et de ses conditions matérielles, soit de ses « facteurs »,
comme il dit. La Verbindung constitue donc le moment de la réalisation du
procès de production, le moment où les rapports sociaux de production
prennent corps et matérialité. « Quelles que soient les formes sociales de la
production, les travailleurs et les moyens de production en restent toujours
les facteurs. Mais les uns et les autres ne le sont qu'à l'état virtuel tant qu'ils
se trouvent séparés. Pour une production quelconque, il faut leur combi-
naison. C'est la manière spéciale d'opérer cette combinaison qui distingue
les différentes époques économiques par lesquelles la structure sociale est
passée» (K., ES, II, 1,38; MEW, 11, 42). Ce petit texte appelle deux remarques:
1 1 La « combinaison» des « facteurs» de la production induit la réalité
d'un rapport de « distribution-attribution» (L. Althusser, Lire Le epi/al, li,
46) entre les moyens de production et les agents de la production. A ce
titre, elle indique que « les rapports sociaux de production... ne mettent
pas en scène les seuls hommes... }) (ibid., 45)'
2 1 Le mode de « combinaison}) des « facteurs» de la production (tra-
vailleurs, non-travailleurs, objets et instruments de production, etc.) permet,
selon Marx, de définir les modes de production ou des modes de production.
Cette dernière ambiguïté a autorisé le traitement et l'usage structuralistes
de la notion de Verbindung, et le glissement de son sens manifeste, combi-
naison, à un sens latent, combinatoire (cf. par exemple, malgré d'impor-
tantes précautions ct réserves qui contredisent le passage suivant, E. Balibar,
LLC, 98-99 : « Nous pouvons... finalement dresser... le tableau des éléments
de tout mode de production, des invariants de l'analyse des formes... Par
combinaison variée de ces éléments entre eux... nous pouvons donc recons-
tituer les divers modes de production}». Il faut au contraire souligner, sans
se dissimuler que ce glissement inavoué est parfois à l'œuvre chez l\1arx lui-
même (voir la notion de « mode de production marchand}», que les rapports
connectés par la Verbindung sont en nombre restreint, qu'ils sont commandés
par des relations précises qui sont l'effet de l'existence des classes, de leur lutte,
et qu'enfin la finalité de leur connexion même n'est rien moins qu'histo-
rique puisque c'est la production réelle. Leur « combinaison}) logique,
abstraite et indéterminée s'en trouve ainsi parfaitement invalidée.
• BIBUOGRAPHIE. - L. ALTHUSSER, L'objct du Capital, LLO, Il, p. 45 et s.; E. BALtRAR,
Sur les <:oncepts fondamentaux du matérialisme historique, LLO, Il, p. 94 et s.
~ CoRRÉLATS. - Base, Correspondance/non-correspondance, Formation économiquc et
sociale, Instance(s), Mode de production, Structuralisme.
G. Be.
Comité central
Al : Zmlralkomile<. - An : Cmlral Comm'U". - R : Cmlral'ni} Komiùl (C.K.).
Voir: Parti.
COMMUNAUTt 194
Communauté
AI : GmttiNtlo'!ft. - An : c..nn-i!1. - R : 06ilrw,'.
chez Engels, même s'il est pris fait et cause pour telle ou telle lutte natio-
nale, et, passionnément, pour la cause irlandaise. La compréhension de
la nation comme communauté d'assimilation culturelle s'exprimant dans
un destin, voire un caractère national, est esquissée cependant par Engels
dans le brouillon d'Histoire de l'Irlande (1869, MEW, 16,459-502). Mais en
s'en tenant généralement à la notion de société civile ou de société moderne
pour désigner la formation sociale liée au développement capitaliste, Marx
et Engels minimisent la puissance des mouvements nationaux, comme la
cohérence de l'Etat national, ne perçoivent guère la nation comme une
collectivité politique, pas plus qu'ils n'évoquent les fondements historiques
de la nationalité.
Il faut attendre les dernières notes de lecture de Marx qui portent
notamment sur l'ouvrage de Maxime Kowalewski, La propriété collective
du sol, causes, historique, conséquences de sa décomposition (Moscou, 1879) pour
que l'interrogation s'élargisse sur la généralité et la perdurée de l' « élément
collectif», voire sur ses chances d'avenir comme en Russie. .tvfarx et plus
encore Engels se lancent en 1880-1881 dans l'étude « ethnologique» de
la parenté, de l'organisation dite gentilice et de l'organisation tribale à
travers le livre de Lewis :Morgan, Ancient Society, paru en 1877, ce qui
vaudra l'ouvrage d'Engels, L'origine de la famille, de la propriété privée et de
l'Etat (1884), prolongé par les recherches sur les anciens Germains, qui
privilégient au demeurant les « liens du sang », selon la terminologie et
l'idéologie d'époque. Le vocabulaire apparaît à tel point défaillant qu'En-
gels démultiplie l'utilisation du terme de gens pour en faire comme la
référence généalogique, sinon raciale, de tout groupement ethnique. Du
moins, reconnaît-il qu'il est des réalités collectives et un ordre de la repro-
duction sociale qui ne se réduisent pas aux seuls rapports de classes. C'est
dans la préface à L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat qu'il
passe le plus près de cette distinction en écrivant : « Selon la conception
matérialiste, le facteur déterminant en dernier ressort, dans l'histoire,
c'est la production et la reproduction de la vie immédiate. l'vIais, à son tour,
cette production a une double nature. D'une part, la production des
moyens d'existence, d'objets servant à la nourriture, à l'habillement, au
logement, à des outils qu'ils nécessitent; d'autre part, la production des
hommes mêmes, la propagation de l'espèce. Les institutions sociales sous
lesquelles vivent les hommes d'une certaine époque historique et d'un
certain pays sont déterminées par ces deux sortes de production; par le
stade de développement où se trouvent d'une part le travail, et d'autre
part la famille» (ES, 15; MEW, 21, 27-28). Emporté par une conception
évolutionniste et naturaliste parallèle à celle de Darwin, Engels cherche
à établir en époques et en stades, la succession des formes collectives ali-
gnées sur les types de consanguinité, qui conduit de la barbarie à la civili-
sation, et fait place aux Etats de classe. Après Engels, un véritable divorce
s'institue entre la recherche ethnographique et l'orthodoxie marxiste,
l'ethnologie fonctionnaliste, et plus encore structuraliste, apparaissant même
comme donnant la réplique scientifique au matérialisme naturaliste de
Marx et Engels.
41 C'est la question nationale telle qu'elle se posait dans l'empire
d'Autriche-Hongrie, puis dans l'Empire russe qui va relancer la réflexion
sur les communautés. A la suite du Congrès de Londres en 1896 et de
l'intervention de Rosa Luxemburg contre la priorité accordée à l'indé-
197 COMMUNAUTÉ
caractère psychologique dont héritera Staline sans trop savoir qu'en faire.
Mais cette communauté culturelle qu'est la nation est tronquée par les
barrières de classes, par l'appropriation de la culture et des valeurs natio-
nales, par les classes dominantes et tout spécialement par la bourgeoisie;
seule la révolution prolétarienne et le socialisme permettront la pleine
participation à la culture, la pleine réalisation de la communauté culturelle
et politique; la voie du socialisme est celle de la démocratie et de l'épanouis-
sement de la culture nationale. Tout en critiquant l'autonomie culturelle,
Staline emprunte tous les éléments de définition et met en avant le tenue
de communauté; mais il fixe la nation (<< communauté stable») sur sa
base territoriale, insiste sur l'unification économique (marché, vie écono-
mique qui suppose donc des frontières et présuppose l'Etat) et, plus encore,
ne retient de la démocratie culturelle que le droit à la reconnaissance des
langucs en complément de la citoyenneté égalitaire, c'est-à-dire indivi-
duelle qui assure l'unité politique. L'Etat est fondamental, et l'union
politique, tout comme l'unité de volonté prolétarienne dans le Parti,
l'emporte sur l'autonomie et le fédéralisme. Staline implante la notion
de communauté qui va régner comme allant de soi dans ce qui va devenir
à travers l'histoire de l'URSS et du mouvement communiste le marxisme
dominant.
5 1 Pendant ce temps, l'idée de communauté fait son chemin dans les
sciences sociales; elle sert fréquemment à opposer aux analyses de classes
une vision unanimiste et une interprétation idéaliste au titre de la primauté
du vouloir collectif (en reprenant la formule de Renan sur la nation comme
unité de volonté). Cependant l'austro-marxisme nourrit un double dévelop-
pement de la réflexion sur les faits collectifs dans leur liaison avec les contra-
dictions de classes et les rapports de domination, par filiation directe à travers
la pensée de Max Weber qui construit ainsi sa typologie des Etats, et
ensuite par transmission première à l'Ecole de Francfort dont la théorie
critique s'emploie à expliquer et l'adhésion aux fascismes et les oblitérations
de la conscience de classe, par une psychologie sociale faisant une grande
place aux idéologies collectives (Max Horkheimer, Geschichte und Psycho-
logie, 1932), comme à la double aliénation sociale: individuelle et collec-
tive, et aux phénomènes de masses (jusqu'à l'analyse critique de« la culture
de masses» d'Horkheimer à ~1arcuse). Dans l'isolement, l'effort de Gramsci
fut de saisir la nation comme collectivité politique, déterminant un champ
idéologique et culturel dans lequel se joue la question de l'hégémonie
intellectuelle ct du pouvoir.
D'autre part, après le tournant de 1934-1936 qui réintroduit les réfé-
rences nationales contre les nationalistes mêmes (cf. Henri Lefebvre, Le
nationalisme contre les nations, 1937), le mouvement communiste fuit de
l'austro-marxisme sans le dire, en se réclamant de la démocratie nationale
qui accomplit réellement par le socialisme ce qui en république bourgeoise
n'était que démocratie formelle par suite de la limitation de classe. La
communauté nationale est constituée par l'assimilation des communautés
antérieures, locales ou régionales: les provinces avant que l'on ne dise les
ethnies. Ce marxisme qui invoque Staline exalte la communauté et la
culture nationale. La résistance antifasciste puis la guerre interprétée
comme la « grande guerre patriotique» font de cette doctrine marxiste-
nationale l'idéologie de légitimation de la patrie socialiste et de la démo-
cratie populaire. Le patriotisme soviétique et la constitution renvoient à
199 COMMUNAUTÉ PRIMITIVE
Communauté primitive
Al : UrgnneinscluJft, UTSprüllgUWS GnneinW6sm. - An : Primitive (omnumig. - R : Zodovaja Ob!tina.
plus ou moins isolées les unes des autres et regles par la coutume et la
tradition, en constitue la base. Le travail s'effectue selon le type de coopé-
ration simple avec division naturelle selon le sexe et l'âge. A une production
communautaire correspond une répartition également communautaire des
produits du travail. Il n'y a, en principe, pas d'excédent ou de surproduit,
donc ni classes, ni exploitation, ni a fortiori Etat. Dans ces sociétés sans
classes, les rapports familiaux, analysés par Engels en détail à la lumière
de l'ethnologie de son temps, ont une importance décisive. Toutefois,
l'étude des structures de parenté qu'à l'époque contemporaine des ethno-
logues non marxistes (Malinowski, Radcliffe-Brown, Lévi-Strauss) ou
marxistes (Meillassoux, Terray, Godelier) ont conduite de manière appro-
fondie a suscité un renouvellement de l'interprétation marxiste tradition-
nelle. En même temps qu'ils insistent sur le rôle des symboles, des rites,
du sacré, c'est-à-dire sur les formes et les fonctions de l'idéologie, ces
travaux montrent le rôle décisif des rapports de parenté : leur dominance
est interprétée par Terray comme résultant du caractère non marchand
de la circulation et de la coïncidence entre unité de production et de
consommation tandis que Godelier, estimant qu'une même structure peut
servir de support à plusieurs fonctions, les interprète comme fonctionnant
comme rapports de production. Enfin, à la vision d'une société figée, dont
le temps était quelque peu absent, s'est substituée la vision d'une société
siège de contradictions et d'oppositions entre aînés et cadets, maîtres ct
esclaves, hommes et femmes, antagonismes que certains n'hésitent pas
à traiter comme des antagonismes de classes.
Le passage de l'élevage à l'agriculture introduit la division sociale du
travail, l'apparition d'échanges et l'émergence de l'artisanat. Progressi-
vement la propriété privée fait son apparition et, avec elle, )a désagrégation
de la gms remplacée par la communauté rurale. L'apparition de surplus
engendre en outre leur appropriation privée et, avec la première division
de la société en classes, l'apparition d'un autr~ mode de production.
• BIBUOGRAPIlIE. - M. ABELES, Anthropologie et marxisme, Complexe, 1976; M. GoDELlER,
Horir.on, trajets marxistes en anthropologie, Paris, Maspero, '973; C. MEILLASSOUX, Femmes
greniers et capitaux, Paris, Maspero, 1975; E. TERRAV, Le marxisme dtvantles socUlés primitives,
Paris, l\faspero, 1969•
.... CoRRÉLATS. - Anthropologie marxiste, Communauté, Communisme, Division du tra-
vail, Famille, Forces productives, Formation économique et sociale, Mode de production.
G. C.
Commune de Paris
Al : Paristr KDmmunt. - An : Parh Communt. - R : PoriJ.sktlja Kommuna.
La Commune de Paris donne à la fois un exemple de la manière dont
l\farx réagissait à l'actualité immédiate, et l'exemple d'un remaniement
théorique important dans la théorie marxiste.
La façon dont Marx a vécu ces événements est résumée par Lénine dans
une préface de Ig07 aux Lel/res à Kugelmann (o., 12) : « Marx disait en
septembre 1870 que l'insurrection serait une folie: en avril 1871, lorsqu'il
vit un mouvement populaire de masse, il le suivit avec l'attention extrême
d'un homme qui participe à de grands événements marquant un progrès
du mouvement révolutionnaire historique mondial. » Et en effet, si Marx
éInit certaines critiques sur la stratégie des Communards au pouvoir, il
soutint inconditionnellement le mouvement, fût-ce contre certains amis :
201 COMMUNE POPULAIRE
Voir : Maoïsme.
COMMUNISME 202
Communisme
AI : KDmnJunismus. - An : Communism. - R : Kommunizm.
« Les lois de leur propre pratique sociale qui jusqu'ici se dressaient devant
eux comme des lois naturelles, étrangères et dominatrices, sont dès lors
appliquées en connaissance de cause, et par là dominées. La vie en société
propre aux hommes, qui jusqu'ici se dressait devant eux comme octroyée
par la nature et l'lùstoire, devient maintenant leur acte propre et libre.
Les puissances étrangères, objectives, qui jusqu'ici dominaient l'lùstoire,
passent sous le contrôle des hommes eux-mêmes. Ce n'est qu'à partir de
ce moment que les hommes feront leur histoire en pleine conscience ».•.
(ibid.). La rationalité absolue de l'association des producteurs assure la
transparence des rapports sociaux : « Représentons-nous enfin une réunion
d'hommes libres travaillant avec des moyens de production communs et
dépensant, d'ap~ un plan concerté, leurs nombreuses forces indivi-
duelles comme une seule et même force de travail sociaL. Les rapports
sociaux des hommes dans leurs travaux et avec les objets utiles qui en pro-
viennent restent ici simples et transparents dans la production aussi bien
que dans la distribution» (K., l, l, go); détail troublant, le texte allemand
(MEW, 23, 92) porte « d'une façon consciente de soi» au lieu de « selon
un plan commun »; la traduction, revue par Marx, accentue l'effet de
maîtrise en identifiant conscience et planification. La rationalité du
communisme consiste en J'équivalence totale du sujet social, les hommes,
et de l'objet, la société, parce que cette dernière est l'œuvre propre,
J'accomplissement conscient des premiers. Le communisme n'est qu'une
nouvelle version du savoir absolu, s'il est vrai que « la force de l'esprit
est plutôt de rester égal à soi-même dans son extériorisation » (Hegel,
Phéno., trad. Hyppolite, t. 2, 309).
Une telle figure conduit au suicide du matérialisme historique. La
préface de la Contribution définissait les rapports de production comme
« déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ». Echappant à
cette nécessité, le communisme n'est plus un rapport de production. Il
est une gigantesque organisation technique, résultant d'un accord entre
les producteurs, un quasi-contrat social implicite. La société se trouve
ramenée à la collectivité et l'appropriation sociale à la propriété collective.
Définie par la libre association, cette propriété collective se réduit à une
simple « administration des choses» (Engels, AD, 320; MEW, 20, 262).
Une telle transparence, cette totale conscience de soi ne peuvent plus
comporter d'idéologies, s'il est vrai que celles-ci, selon le schéma que la
4" thèse sur Feuerbach développe pour la religion, ne sont que des projec-
tions de la scission interne de la société. C'est aussi pourquoi l'Etat
s'éteindra avec les contradictions de classes dont il est la projection,
remplacé par l'association : « La classe laborieuse substituera, dans le
cours de son développement, à l'ancienne société civile une association qui
exclura les classes et leur antagonisme, et il n'y aura plus de pouvoir poli-
tique proprement dit, puisque le pouvoir politique est précisément le
résumé officiel de l'antagonisme de la société civile» (MPh, in fine). Les
rapports entre les personnes ne prenant plus l'aspect de rapports entre les
choses, le droit, égalisation des personnes à travers l'échange des marchan-
dises, disparaîtra (cf. Gloses, 31-32; MEW, 19, 20). La disparition de la
politique, du juridique, des idéologies, élève l'économie au rang de pra-
tique sociale totalitaire incluant toutes les formes d'activité sociale. La
constitution des forces productives, leur unité, leur transformation sont le
résultat immédiat de l'activité des hommes. La production devient la
COMMUNISME 206
Communisme de gauche
AI : Linksbmmanimnu. - An : 411-wm, c_i,m. - R : Lev:» bmms...i.....
Composition organique
Al : Organise'" <,us.",,,,...,,,,,,,,,,. - An : O,t""ic ~ilw.. - R : Org""il<s""r sl,.,ni, kDpil4/a.
Compromis historique
Al : HisIl>risdJn X........p. - An : His",", ~,. - R : InmWJ;., ~.
Concept
Al : BttrÎff. - An : e-.,I. - R : 1'eJIjéù.
Voir: Catégorie.
215 CONCEPTION DU MONDE
Conception du monde
AI : W'''''''''''-g. - An : Wo,ld UN9Ii"". - R : Mir_UTmi,.
Concurrence
Al : K....aarnu. - An : ~tiJÛJft. - R : KMkvrm<ij4.
Conditions de vie
AI : 1.tMuNdDo,..,.,,,,. - An : Living ,....iJWns. - R : Us1lJDij. li""i.
profit d'un temps machinique, uniforme, non poreux (l, 2, 93; MEW, 23,
433) ; l'âge m~me, cc1ui des enfants, est objet de « décrets de l'anthropologie
capitaliste» (l, l, 274; 296). Marx montre que le passage d'un mode
d'extorsion à l'autre résulte des luttes ouvrières (l, 2, 92 ; 432) grandissantes
pour la journée de travail « normale ».
Ce n'est pas dans une rupture, un arrachement à une appartenance
sociale, dans ce qu'elle modèle de conformismes normatifs, que se découvre
l'autre prolétarien dans l'atrocité de ses conditions d'existence, mais dans
le procès théorique d'explicitation des constantes et des formes d'une bar-
barie historiquement déterminée, en tant qu'analyse de la structure du
rapport social qui l'engendre. Moins que le résultat du constat d'une
« observation intelligente» (K., ES, l, l, 204; MEW, 23, 220), le concept
de conditions de vie ne prend toute sa portée qu'en changeant de statut,
c'est-à-dire en se subsumant sous ceux de plus-value et de taux de plus-
value, dont dépend le mode de rémunération de la force de travail ou
salaire.
Les conditions de vie renvoient aux formes du procès d'exploitation de
la force de travail dans la production comme à sa réparation-reproduction
que conditionne le salaire hors du procès de production. Cette réparation-
reproduction qu'appréhendent les statistiques des budgets ouvriers, comme
la nature et la structure des biens consommés (pratiques de consommation),
rev~t l'allure d'une dépendance fonctionnelle stricte (K., ES, l, 3, 14, 15;
596-598). C'est seulement parce que la force de travail est constitutivement
séparée des moyens de sa mise en œuvre comme de son produit que la
consommation-destruction des biens qui entrent dans sa réparation-
reproduction contraint cette force de travail à renouveler l'acte de sa
vente et l'appropriation de son usage par le capital.
La force de travail n'existe pas dans le mode de production capitaliste
comme élément isolé, autonome, mais comme terme d'un rapport social
qui lui préexiste. Sa production-reproduction (conditions de vie de la
classe ouvrière) est simultanément, parce qu'elle l'est structuralement,
condition d'existence du capital.
Que Marx n'ait mentionné qu'allusivement les conditions de vie de la
bourgeoisie comme telle n'est pas fortuit, il n'a cessé d'en mettre en lumière
les principes d'existence.
~ CoRRI1LATS. - Aliénation, Capitalisme, Chômage, Classes, Fabrique (Législation de),
Métier, Quotidienneté.
s. C.
Conjoncture
Al : Ko"junklur. - An : Cortiuncture. - R : K01I'jungtura.
en //(Jlie, Paris, 196~; R. RODIN, Histoire et linguistique, Paris, A. Colin, 1973: A. SAUVY,
Conjoru:lurt économique el prévision iconomique, Paris, 1969; P. VILAR, Histoir~ marxist~, histoir~
~n construction, in Fairt dt fhisloire, Gallimard, 1974.
Conscience
AI: B6Wu/Jlsein. - An: ConstWUS7Iess. - R : SOmJJni,.
Conseil
AI : R.,. - An : e-i/, O>mmilllt. - R : Sowl.
compagtÙes et les régiments, les paysans dans les communes... comme des
communautés naturelles» (Démocratie et con.reils ouvriers, p. 77-78). Le
conseil est une forme efficace et opérationnelle de la lutte, mais il n'est
pas destiné à devenir une forme plus permanente d'organisation ou de
préfiguration du socialisme : « Il n'y a plus de séparation entre action
politique et action syndicale... les conseils ouvriers ne doivt1lt Îlre rien d'autre
que de simples formes nouvelles de la lutte des classes» (ibid., p. 81-82).
A ce titre, pour Adler, ils devraient se nommer conseils socialistes, car ils
n'ont de sens que par rapport à la lutte pour le socialisme.
Pour Gramsci, qui thématise les problèmes de fond posés par les conseils
d'usine de Turin en m~me temps qu'il dirige leur création, en t920, au
contraire, le conseil représente d'emblée une forme plus permanente d'orga-
nisation de la démocratie, une forme de construction/déconstruction de
l'Etat socialiste. En effet, pour Gramsci, « le processus réel de la révolution
prolétarienne ne peut être confondu avec le développement et avec l'action
d'organisations révolutionnaires de types volontaristes et contractualistes,
telles que le parti politique et les syndicats professionnels, qui sont des
organisations nées sur le terrain de la démocratie bourgeoise» (&rits
politiques, t, p. 347). Tandis que les partis, comme les syndicats, demeurent
(pour Gramsci, et en t920) sur le terrain « des relations de citoyen à
citoyen », seuls les conseils d'usine sont la base non corporatiste et non
purement représentative d'un Etat ouvrier. Avec les conseils, « la classe
ouvrière affirme que le pouvoir industriel, que la source du pouvoir indus-
triel doit revenir à l'usine; elle considère l'usine comme étant, dans une
nouvelle perspective ouvrière, la forme où la classe ouvrière se coule en un
organisme déterminé, la cellule d'un nouvel Etat: l'Etat ouvrier, et la
base d'un nouveau système représentatif: le système des Conseils» (ibid.,
p. 350). L'idée de conseil est intrinsèquement liée à celle de cOlltr8le de la
production et par là m~me, d'établissement d'un nouvel Etat sur la base
d'un nouveau pouvoir industriel, « d'une économie populaire... capable
de mettre en œuvre et de diriger le processus de production de l'ensemble
des biens économiques» (ibid., p. 388-389).
3 / Dans l'histoire du mouvement ouvrier, le conseil demeurera - en
référence au modèle essentiel, voire parfois au mythe fondateur des conseils
turinois - l'une des revendications importantes d'auto-organisation de la
classe ouvrière. Le conseil apparaît comme la véritable forme de la démo-
cratie directe tandis que les soviets russes ont été assez rapidement l'objet
de vives critiques dans une partie du mouvement ouvrier : « A la place
des institutions représentatives issues d'élections populaires générales,
Lénine et Trotski ont imposé les soviets comme la seule représentation
véritable des masses laborieuses. l'.lais si on étouffe la vie politique dans le
pays, la paralysie gagne obligatoirement la vie dans les soviets » (Rosa
Luxemburg, Œuvres, JI, Maspero, p. 85).
Cette revendication a été fortement appuyée par la COlL italienne
(Confédération syndicale), par le Parti communiste italien, par les Com-
missions ouvrières espagnoles qui, sous le franquisme, ont organisé sur
un mode conseilliste leurs « conseils d'ateliers », avant d'être aujourd'hui
prises comme références par le syndicat polonais Solidarité. La revendi-
cation du « conseil d'atelier » fait depuis peu partie des propositions de
la CGT française (XLe Congrès, Grenoble, t978). Elle se retrouve, de
manière différenciée, dans les théories de l'autogestion.
CONSOMMA TION 232
Consommation
AI : Konsum, K'DllSumtion. VnuArm. - An : COftSlI1I1/JtiM. - R : Polr,bltnjt.
Contradiction
Contre-révolution
Al : KlJIÙtrr"",I.,ion. - An : Counllr."",I./i"". - R : Kontrrtvo/jutija.
révolution, qui vient ( trop tôt» ou « trop tard »), cette double dimension
sera toujours présente.
Mais, non par hasard peut~tre, cette innovation est contemporaine des
ultimes avatars de la dialectique révolution/contre-révolution dans le
marxisme, cette fois pour essayer de faire face à l'évolution politique des
pays socialistes. Ce n'est pas chez Staline qu'il faut les chercher : avec
celui-là, dans le cadre de sa théorie de l'aggravation des luttes de classes
dans la «. forteresse assiégée » du « socialisme dans un seul pays », on en
revient plutôt à l'idée du complot de l'étranger et de ses« agents» corrompus
(c'est toujours ainsi que la direction soviétique explique les luttes de
classes en Tchécoslovaquie de 1968 ou en Pologne de 1980). Voyons plutôt
chez Trotski qui, après 1927, fonde toute sa critique du stalinisme sur la
métaphore d'une « contre-révolution thermidorienne» ou « bonapartiste ».
Sensiblement différente est l'inspiration du maoisme de la révolution cultu-
relle dans sa critique du régime soviétique, identifié à un « nouveau tsa-
risme» : elle se fonde plutôt sur un principe philosophique général (( Un
se divise en deux») d'où résulterait que toute révolution produit nécessaire-
ment, par une nécessité interne, sa propre contre-révolution spécifique. Façon
de dire qu'aucune révolution n'est jamais acquise, du point de vue de
« ceux d'en bas », prolétaires d'ruer ou d'aujourd'hui.
• BmuooRAPHI&. - J. GoDECHOT, Laconl..-r/""lu/ion, Paris, pur, 1!J84; Antonio GRAMSCI,
QlUJlitrni tUl car...., Roma, Institut Gramsci.Einaudi, 1975: Karl KORSCH" al., La eonlr,-
rlvolulion bur.alJÇ(aliqUl, ParÎJ, 1973: Uon TROTSKI, SlaliM, Paris, 1948: ID., La r/""lulion
Irahil, Paris, 1961: r~. in D.la RholvIian, Paris, 1973.
~ ContLATS. - Appareil, Bonapartisme, Démocratie, Dictature du prolétariat, DIoil,
LUlle do classes, Révolution, Violence.
E. B.
Contrôle
AI : K_III. - An : 0Jnlr01. - R : K...".I'.
Coopération
Al : K. .lIJi.... - An : CÀoJ'trIllÎ#ft. - R : ""/JIV•.
« Quand plusieurs travailleurs fonctionnent ensemble en vue d'un but
commun dans le même procès de production ou dans des procès différents
mais connexes, leur travail prend une forme coopérative » (K.. ES,
l, 2, 18; MEW, 23, 344).
La cOl~pération permet donc de socialiser le procès de travail : aspect
positif en ce qu'il anticipe l'association des travailleurs en société commu-
niste. :Mais cet aspect est immédiatement recouvert, en régime capitaliste,
par un deuxi~me aspect : le fait que cette coopération est imposée du haut
par le capital. D~s lors: « La puissance sociale, c'est-à-dire la force productive
décuplée qui naît de la coopération des divers individus conditionnée par
la division du travail, n'apparaît pas à ces individus comme leur propre
puissance conjuguée, parce que cette coopération elle-même n'est pas
volontaire, mais naturelle; elle leur apparaît au contraire comme une
puissance étrangère située en dehors d'eux, dont ils ne savent ni d'où elle
COOPtRATIVE 244
vient, ni où elle va, qu'ils ne peuvent plus dominer» (IA, ES, 1968, 63;
MEW, 3, 34)·
Coopération (( naturelle» ou bien coopération (( volontaire»; coopération
par division (du travail) ou coopération par conjugaison; soit coopération
descendante ou coopération ascendante: l'opposition contient en germe
l'antagonisme entre le capitalisme et le projet communiste.
• COlUlt......rs. - AlSociation, Communisme, Coopérative, Manufacture, Su bsomption
fonnelle/réelle.
J.-F. C.
Coopérative
AI : ~jl. - An : CooJ>nllli... - R : Jf~
Couche sociale
AI : Sozi.1I &JtidlI. - An : So<idl J',._. - R : 06/lu/wwOO J~ (06/""""",," .loi).
commencement d'une histoire sans fin ... Cette coupure est... une cou-
pure continuée, à l'intérieur de laquelle s'observent des remaniements
complexes» (Lénine et la philosophie, p. 25).
Tht cast Althusstr, in Marxism TodaJ, janvitr tt févria 1972;J. RA."lCltRE, Sur la lhéoritdt
l'id<!ologit, apud ùclura tÛ AII/wssn, 1970; F. REGNAULT, Q)lul-u 1[11- COII/Jur.1pistimo-
logiqru? (tl'Xtt inédit), '968: L. SÈVE, Méthodt structurait tt méthodt dialtcùquc:, in LiJ
Ptns/t, nO 135, déc. 1967, ct Marxisme .,Ihi";t tÛ laj>trsonnalili, ES, 1969, p. 92 tt s.; Sur It
jtunt Marx, Rteoochts Inltrnalionalts, nO '9, 1g60.
Crédit
AI : ';",/il. - An : C..dit. - R : ,;..dil.
Crise
AI : X,-is;J, Kr;le. - An : C,il;s. - R : K,iÛs.
Les débats sur la crise économique actuel/e. - L'analyse ici suggérée ne fait
évidemment pas l'unanimité chez les marxistes. Pas même la distinction
entre (( petite crise » et ( grande crise » : ainsi, pour E. Mandel, les
dépressions de '974 et Ig81 ne constitueraient que les 20· et 2,e crises
cycliques du capitalisme. La plupart pensent néanmoins qu'il s'agit de
fluctuations dans la même grande crise, ct s'interrogent sur l'absence de
crise cyclique notable de 1950 à 1973. Il Y a en tout cas unanimité pour
réduire le rôle du « choc pétrolier» à un simple détonateur d'une crise
latente.
Un premier courant y voit l'épuisement des méthodes keynésiennes
destinées à contrecarrer la tendance croissante à la surproduction :
c'est l'optique dominante avant la crise aux Etats-Unis (P. Sweezy).
La cause de cet (( épuisement » est alors recherchée dans les limites
économico-politiques à l'intervention de l'Etat au détriment du capital
privé (chez Sweezy, qui y voit une cause de la (( préférence» pour les
dépenses militaires; chez Altvater et l'école allemande de la (( dérivation
de l'Etat »), ou bien dans les limites financières au soutien de la demande
par le crédit (Mandel).
Un second courant, selon la tradition kautskyste, reconnaît J'efficacité
du soutien de la demande par la dépense publique et l'Etat-Providence,
assimilés à des conquêtes ouvrières, voire à une contamination socialiste
du capitalisme, mais souligne la tendance à Ja baisse du taux de profit, par
hausse de la composition organique, qui serait contrecarrée de plus en plus
difficilement par les subventions publiques : c'est la thèse soutenue en
France (avant la crise) par l'école du capitalisme monopoliste d'Etat
(organiquement liée au PCF et animée par P. Baccara). Avec l'ouverture de
la crise, ce courant (ayant à lutter contre les politiques patronales
257 CRISE
Crise, Paris, ES, 1975; Cri/iqULJ de l'konomù poIi/i'fUI, nO 7-8, Paris, MllJpero, 1979; A. GoRZ,
Lu Chemiru du Paradis, Paris, Galilée, 1983; A. GRANOU, Y. BARON, B. BILLAUDOT, Croil-
Janee et cri", Paris, Maspero, 1979; cf. les élUdes de L. LAURAT parues dans les I l numéros
de La Cri/i'fUI Jociai4, rééd. de la Différence, Paris, 1983; A. UPIETZ, Crü, '1 itiflation: pou-
quoi?, Paris, Maspero, 1979; ID., Le monde e",hanli, Paris, La Découverte, 1983; ID., La
mondialisation de la crise générale du fordisme, in TempJ modemtJ, nov. '964; E. MANDEL,
La tris. '974-'982, Paris, Flammarion, 1982. - Sur 1.. « tris.. MtionaJtJ»: les lexies de
LÉNINE entre février et octobre '917, ainsi que La rnaltu/ü infantile cIv communiJml (MIe);
G. PALA, L'u/lima <rÎli, Milano, F. Angeli ed., 1982; N. POULANTZAS, La tris, deJ die/a-
/urel, MaJpero, '975. Sur la crise actuelle en France, voir A. LIPIETZ, La double com-
plexité de la crise, Lel TlmpJ modmtu, juin 1980.
~ CoRRÉLATS. - Antagonisme, Capitalisme monopoliste d'Etat, Composition organique,
Concurrence, Conjoncture, Economie politique (crilique de l'), Elal/Rapport salarial,
Révolution.
A. L.
Crises du marxisme
Al : Ens". du MtJrxismuJ. - An : Cruis of MarXÙ1n. - R : Kruis m«tksiJ:ma.
A vouloir esquisser la courbe historique des crises, multiples et poly-
morphes, du marxisme, à vouloir en repérer les moments comme autant de
quantités discrètes, on se trouve de fait confronté à la continuité, elle-
m~me problématique, du marxisme et de son histoire centenaire tout
entière. Comme si la crise constituait la forme aiguë, mais nullement
exceptionnelle, dans laquelle le marxisme se manifestait dans son rapport
vivant à son objet. Dans cette structure expressive qu'est la « crise» peuvent
être saisis aussi bien la constitution même du marxisme - au travers de
l'inégalité originaire des éléments qu'elle tend à fusionner - que le
marxisme constitué - au travers des phases de déstabilisation de cette
unité relative, soit de ses crises proprement dites. Dans cette perspective, on
verra que les crises du marxisme affectent moins un corps tU doctrine, dont
l'existence serait pensée hors de toute configuration historique, que des thbes,
issues d'un ensemble théorico-politique complexe, à géométrie plus ou moins
variable. L'analyse de ces crises exige donc l'examen des reformulations-
réagencements qu'elles produisent et des conditions qui les ont produites.
Une décennie à peine après la mort de Marx, le marxisme était devenu
l'idéologie théorique dominante dans la Ile Internationale et, plus sensi-
blement encore, dans la social-démocratie allemande. Cette remarquable
rapidité de diifusion masquait cependant la faiblesse de pinl/ration du
mouvement ouvrier socialiste par la théorie marxiste. Il faut se garder de
considérer cet effet double dans l'illusion rétrospective de la bonne ou
de la mauvaise modalité d'expansion du marxisme. On a là en m~me
temps un processus politique de première importance (hégémonie tendan-
cielle) et une équivoque profonde mais quasi nécessaire (vulgarisation
et/ou dégénérescence) qui allaient rapidement ouvrir à toute une série de
contradictions agissantes. L'opposition du vieil Engels et des « jeunes»
du parti (cf. L. àJ. Bloch du 2t sept. 1890) en procède pour une part et,
à certains égards, constitue en quelque sorte une première crise, embryon-
naire, du marxisme, de ses propres prolongements dans la pratique de la
lutte des classes. C'est dans ce contexte général qu'est « inventée »
J'expression même crise du mJlrxisme. T. G. Masaryk, un honorable pro-
fesseur de l'Université de Prague, publie en effet, dans la -{eit de
février 18g8 (n OI 177-179, Vienne), une série d'articles intitulée « Die
CRISES DU MARXISME 260
4 mars 1983; W. BENJAMIN, Über den Bcgriff der Gesehiehle, G.sammeilt Schriflm,
Frankfurl, s. d., " 2, 6g1 ct s.; M. BETrATI, Le conf/il sino-sooiéliqut, 2 va!., Paris. 1971;
S. CARI LLO, Eurocommunism•• 1 Elal, Paris, 1977; ID., D.main l'Espdgn. (cf. notamment p. 127
et s.), Paris, 1974; C. CAsToRlADIS, Les crises d'Althusser... , in LibTt, n° 4. Paris. 1978;
U. CERROl'/I, Crisi d.1 marxismo?, Rome, 1978; F. CERtrrl1, Lebendiges und Totes in der
Theorie von Karl Marx. Das Argumenl, nO 138, p. 23' el ••• 1gB3; Y. CHILI'''', Problem4
der kmnmunislischm B.wtgung... (trad. du russe). Moscou, 1972; P. CHlOOI. SarlTt t il
marxismo, Milan, 1965; F. CLAUDIN, La cris, dv mow.'tmmt communistl, :2 vol., Paris, 197'2;
ID•• L'turOCommunisrat, Paris, 1977; L. CoLLETTl, ldeo!tJgia • socilld, Bari, 1969; ID., Le
diclin "" marxism" Paris, 1984; Dibat sur la ligne gboirdÛ du ""'UMnnII eommuniste inter-
naliontJ1, Pékin, 1965; R. DEBRAY, CrilÜJut d. la raison polilique. Paris, IgBI; H. DE },lA....
La cri.u du sacitJ1isme, 1927, et Socialisme Il eommunismt, 1928, Bruxelles, Soc. d'Edo L'Eglan-
tine; J. P. FAOES, lnlr_tion à la dWersili du marxismts, Toulouse, 1974; P. et M. FAVRE,
Les marxismes après Marx, Paris, 1970; I. FETSCHER, Von Marx {UT Sowj.'ideologit. Francfort.
1957: R. GARAUOY, Le problème chinois, Paris, 1967: V. GERRATASA, RictrC'" di storitz dei
marxismo. Rome, '972; A. GoRZ, Adûux au prOUlarial, Paris, 1gBl ; B. GUSTAFSSON. lJarxismus
rmd Reoisionismus•••• Francfort. '972. trad. du suéd.; Hisloire du marxisme cont.mporain, Paris,
1976-1979; P. INGRAO, La poliliqut m grand Il ta "'Iil, Paris, '979 (trad. de l·it. Crisi
., Itr~a oia); L. KOLAKOWSKl, Die Hauptstromungta des Marxismus, Munich/Zurich, 3 vol.,
1976-1978; 1D., Der Mtnsch ohnt Alttrnaliot. Von der M6glieilk.il und UlIm6glichktil. Mar.•;sl
.cu snn, Munich IgGO; K. KORSCII, Afarxism, et contrt-rltlfJlutùm, Paris, 1975 (cf. notamment
p. 264 et s.); G. LAnlCA, art. « Marxisme », Encycl. Univ., vol. 18: ID., Le marxisme-
lininisme, Paris, 1984; E. LACLAU, Polilik rmd ldeologit im Marxismus, Berlin, 1981; La cris.
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ID•• Staline, in La philosophie sans feint•• Paris, ,gB2; V. LEDUC, Isl der Marxismus wiTklich
iiberholl? Berlin, 1949, trad. du français; H. LEFEBVRE, Uat JltrUk deomue monde, Paris,
1980; M. G. !..ANOE, Marxismas, LtninùnuLS. SItJ1inismus, 1955; LtSINE. O., 1 (AP, CEP); o••
5 (QF); O., 14 (.. et E); 0.,24; 26; 38 (cp); G. 1.ICHTHF.I", Marxism. An historicaJ dnd tritictJ1
sl"q" New York. (g6,; G. LuKAcs, His/qÏrt " ,onscimc. de cWu, Paris, ,g60; R. LtnŒ..-
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stand und Fortschritt im Marxismus. ibid., 1/2, p. 363"369, art. paru dans le Vorwârts du
14-3-1903: Masaryk on Marx, éd. abr. des Grundlagen, par E. V, KOIlAK. Lewisburg, 1972;
CRISES DU MARXISME 270
P. MATI1CK, Krilik thr Neomarxislen, Francfort, 1974: A. NEGRI, La classe .uurür. &Ilnlr.
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Critique
AI : KriJik. - An : CriIi",1 ""./11... Cri/if"'. - R : KrilÎkll.
IlLe terme crilique remonte, dans son usage technique, aux humanistes.
Il nomme l'étude philologique des textes de l'Antiquité gréco-romaine.
Mais quand Marx le reprend, pour en faire une partie de son système. le
terme est déjà chargé de connotations philosophiques et politiques liées
étroitement au développement de la pensée bourgeoise.
Marx utilise le terme critique dans plusieurs de ses écrits. Il apparaît,
notamment, dans le titre de la majorité des œuvres publiées de son vivant
(SF, Cont., K.). Il apparaît aussi dans sa correspondance, pour désigner
plusieurs manuscrits publiés apr~ sa mort.
On peut différencier deux périodes dans l'utilisation faite par Marx
du concept de critique. Dans la première, Marx reprend à son compte le
concept tel qu'il était développé par les jeunes hégéliens; mais, dès sa
rupture avec Bauer, il donne à crilique son sens original.
La première occurrence date de sa thèse de doctorat. Marx se borne à
reprendre l'usage en vigueur dans les milieux radicaux. La crilique est
étalon, puisque« c'est la critiq ue qui mesure l'existence singulière à l'essence,
la réalité effective particulière à l'idée» (MEW, Erg., 1,327-328; trad. franç.,
K. M. Différence de la philosophie de la nature chez Dérrwcrite et Epicure, Bordeaux,
Ed. Ducros, 1970, p. 235). Elle est alors « acte de se tourner vers l'extérieur
de la philosophie », pour rendre le monde philosophique.
Pendant la période où Marx collabore à différents organes de la presse
d'opposition, en particulier à la Rheinische Ztitung, dont il assurera la
direction, le terme réapparaît souvent, sans que pour autant on puisse
lui attribuer un sens définitif. Ainsi, la critique peut être identifiée avec la
faculté de jugement, « la censure est la critique officielle; ses normes sont
normes critiques» (MEW, l, 3); mais aussi avec la raison dans son dévelop-
pement historique: « la situation aIlemande... se trouve au-dessous du
niveau de l'histoire, elle est au-dessous de toute critique» (Cridr., MEW, l,
380; Paris, Aubier, 197 l, p. 59). La crilique apparaît aussi comme activité
théorique spécifique: « La vraie critique n'analyse pas les réponses mais les
questions» (MEW, Erg., 1,379), et chaque question est résolue aussitôt qu'elle
devient une question véritable (wirklich). Il s'agit enfin d'une activité
réflexive, d'une autoréflexion de la raison: « La critique est la véritable
censure, fondée sur l'essence de la liberté de la Presse. Elle est le regard
que ceIle-ci engendre à partir d'eIle-même» (MEW, l, 55).
Or, comme l\1arx le reconnaltra quelques mois plus tard dans une lettre
à Ruge (mai 1843), toute l'agitation de la presse libérale et oppositionneIle,
à laquelle le projet critique se trouvait intimement lié, ne reposait que sur
une (( tentative malheureuse pour supprimer l'Etat des philistins sur la base
de lui-même» (Corr., l, 295). La Critique doit abandonner ce projet raté,
pour (( réaliser... la critique radicale de tout ordre existant» (Corr., 1, 298),
crilique qui doit (( apporter au monde les principes que le monde a lui·même
développés dans son sein» (Corr., l, 230). C'est dans la même période que
Marx reprend un projet de crilique de la philosophie politique de Hegel.
Il s'agissait, au départ, de démontrer que la monarchie n'était (( qu'une
chose barbare, contradictoire et qui se condamne elle-même» (L. à Ruge,
5 mars 1842), mais Marx dépasse dans son écrit le domaine strictement
CRITIQUE 272
Croissance
AI : Wadtslwn. - An : Gr,,","'. - R : RDS'.
On ".rltll/ùv MlJTx, Cambridge Uni"enity l'na, 19~3; P. Swuzv, Studïcs in the thcory
of capitalist deve1opmmt, MtmI/aly Reuiew Prm, 19~6; O. W. THWl!.AlT, A growth equation
analysis of the ricardian and marxian theories, Pakülœl tœllD1llÏejollmlll, 1962, 12, p. 6~·74'
Culte de la personnalité
Al : P",-.wJI. - An : Pmtm.li!1 tIIll. - R : Kul'I li6lasli.
Culture
Al : BilduJt6, KrJJou. - An : Cult,,,.,. - R : Kultura.
Darwinisme
AI : DIInI1ÙfÏmttu. - An : DnwiniJm. - R : DlnPiaiDtt.
Définition
AI : Dtfiniti..., Btpiffsbutimmun,. - An : Dtjiniti.... - R : OP.tJtlmit.
Délégation
AI : D,u,ISIiort. - An : DtllK"li.... - R : Dtltttstijc.
Demande/offre
AI : NodifrtsgtJA.,thoi. - An : SoHI.7JDtmGIIIi. - R : sp..sJPrtdl.u.it.
Voir : Marché.
Démocratie
AI : Dtn»k,ati,. - An : DIT.Dmuy. - R : DlTIlDk,atija.
Démocratie avancée
Al : FortgtJchriltme D,rt'lDkralie. - An : AdlNlnCltl tltmocrtlcy. - R : P",dovaJa tinnokralija.
Démocratie directe
AI : Di,,/rl. DmtoIr,./i,. - An : Di,«1 "'"""'.9, - R : Prjdm4i. dmtolr'./ijd.
Marx, Engels et, à leur suite, Rosa Luxemburg, en s'appuyant sur des
recherches antérieures, ont conslaté que pendant une longue période,
celle du communisme primitif, les premiers groupements humains igno-
raient la propriété privée, la division de la société en classes et l'Etat,
que ces phénomènes n'ont pas toujours existé et qu'ils pouvaient dispa-
raître ultérieurement.
Cette référence à la préhistoire tend à démontrer la possibilité, mais
non la certitude, d'une société communiste développée à laquelle abou-
DtMOCRATIE DIRECTE 288
Allemagne. C'est alors seulement que Marx renonce à ses illusions pas-
séistes et, mis en présence d'un paysage politique profondément modifié,
surtout à la suite de la Commune de Paris, abandonne le modèle jacobin.
La Commune de Paris est considérée par Marx comme « la forme enfin
trouvée sous laquelle il a été possible de réaliser l'émancipation écono-
mique du travail ». Marx tire de l'expérience de la Commune, malgré sa
confusion ct son caractère embryonnaire, l'esquisse d'une société de
transition au socialisme ct une conception nouvelle de l'Etat qui y cor-
respond (acF). Le modèle jacobin est dépassé, la révolution socialiste,
que doit réaliser le prolétariat, ne s'inspirera pas de la révolution bour-
geoise. La Commune offre un autre modèle de l'Etat de transition au
socialisme. Marx rejette à la fois la dictature de type jacobin et la démo-
cratie parlementaire.
La dictature du prolétariat n'est plus, selon lui, une brève période de
lutte des classes aiguë pouvant aboutir à la guerre civile, inspirée par
l'exemple robespierriste. C'est toute une époque historique qui permettrait
au prolétariat, érigé en classe dominante, de rattraper son retard histo-
rique d'organisation et de culture, et non seulement de conquérir mais de
généraliser la démocratie, d'affirmer, dans la pratique de l'exercice du
pouvoir, sa supériorité sur la bourgeoisie déchue de ses privilèges, mais
conservant encore pour longtemps les habitudes et les avantages de
l'ancienne classe dominante.
Il s'agit donc d'un autre type de dictature qu'exercerait le prolétariat
après la conquête du pouvoir et qui durerait pendant toute la période de
transition au socialisme, période qui pourrait être beaucoup plus longue
que celle que laissait prévoir Marx.
Tout cela n'est qu'esquissé dans l'analyse de la Commune de Paris. Il
faut attendre la critique du programme de Gotha où, en 1875, Marx
s'attaque à l'héritage théorique de Lassalle, pour qu'il aboutisse à une
conception d'ensemble d'un autre type d'Etat ct d'une autre démocratie.
Malgré quelques références d'Engels, datant de 1891, le modèle jacobin
est abandonné par Marx dès 1871, ou plutôt dépassé. Engels parle de
la république démocratique comme de la forme que pourrait revêtir la
dictature du prolétariat. Mais il ne précise pas quelles pourraient être les
institutions de cette république démocratique.
Pour Marx, tirant des enseignements de l'expérience communaliste, il
n'cst plus question d'une démocratie parlementaire, Ollie peuple est appelé à
élire tous les quatre ou cinq ans les députés qui, affranchis de tout contrôle
réel, pourraient sans risque perpétuer son exploitation et son oppression
sous des oripeaux démocratiques.
Le partage des prérogatives entre les pouvoirs législatif et exécutif,
sans parler du pouvoir judiciaire, ne fait que répartir les rôles parmi les
représentants de la classe dominante, l'influence populaire étant déjà très
réduite sur le législatif, quasi nulle sur l'cxécutif, dont on a pu apprécier
la férocité lors de la répression de la Commune de Paris.
De la Commune, Marx déduit un autre type de démocratie. C'est celui
de la fédération des communes ou des conseils, élus au suffrage universel,
dotés à la fois des pouvoirs législatif et exécutif, peut-être même judiciaire,
c'est-à-dire détenant la totalité du pouvoir.
Contre le risque qu'une telle concentration du pouvoir pourrait
présenter pour les travailleurs, Marx dresse de multiples entraves. Avant
DÉMOCRA TIE DIRECTE 290
noyées dans le sang par l'armée soviétique en Hongrie, comme elles ont été
avortées en août 1968 en Tchécoslovaquie par une intervention militaire
des autres pays du pacte de Varsovie. En Pologne, les accords de
Gdansk d'août 1980 ont reconnu, à l'issue d'une grève victorieuse, le
droit de grève et l'existence d'un syndicat ind~ndant et autogéré,
englobant la quasi-totalité des travailleurs. Cet accord aurait pu déboucher
sur un processus de transition pacifique du monopartisme à la démocratie
directe. Le coup d'Etat militaire a fait échouer cette possibilité en
décembre IgBl.
Une forme de transition du système monoparti à la démocratie
directe a été expérimentée en Yougoslavie après la rupture de juillet 1948
avec l'URSS. Ayant préservé son indépendance, la Yougoslavie applique,
à partir de 1950, un système d'autogestion, combinant démocratie directe
et démocratie représentative, et coexistant avec le rôle dirigeant de la
Ligue des Communistes, rénovée dans son programme et ses structures.
Ces expériences, tant positives que négatives, présentent différente,
variantes de transition d'un régime monoparti à l'autogestion. En revanches
il est malaisé de prévoir comment pourrait s'effectuer la transition d'une
démocratie parlementaire à l'autogestion. C'est là que se pose le problème
des relations entre les institutions parlementaires et autogestionnaires.
La seule et brève expérience des années 1918.1919 a montré que le pouvoir
central, issu du système parlementaire, impose son autorité au pouvoir
décentralisé d'origine conseilliste. En cas de coexistence entre les deux
pouvoirs, et pour éviter le dessaisissement rapide du système conseilliste,
la dualité du pouvoir, d'une certaine durée, devrait s'exprimer sous la
forme d'institutions très décentralisées ct de l'égalité des prérogatives de
l'Assemblée issue du suffrage universel direct et de celle issue du système
conseilliste.
• BIBUOGRAPHIE. - Max ADLER, Dim«ralù ., cOnJeils out'mrs, Maspcro, 1967; Karl
KORSCH, Marxisme et contre·rlvolution, Seuil, 1975; KORSCH, MAlTICK, PANNEKOEK, RUilLE,
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~ CoRRtUTS. - Autogestion, Bolchevisme, Communauté, Commune, Cons";II, Dépé.
riuement de l'Etat. Dictature du prolétariat, Direction{domination, Etat/lOCiété civile,
Hégémonie,Jacobinisme, Octobre,.Révolution française, Socialisation, Titisme, Transition.
V. F.
Démocratie nouvelle
AI : N,," DnntJJ:roIÎ,. - An : New dtmt>tr"",. - R : .,.....Jo Jrrrwluolijo.
Démocratie populaire
AI : VoIkslhmDkrotit. - An : Poprd4r dmJO<TI"~. - R : Narodntjjo dm,M".tij4.
centage des commissaires dans les différents pays; l'URSS avait aulS1
obtenu 90 % pour la Roumanie, 50 % pour la Yougoslavie et la Hongrie,
75 % pour la Bulgarie et tO % pour la Grèce. C'est au même Dimitrov que
revient de codifier la « démocratie populaire », en tant que forme de la
dictature du prolétariat. Il distingue quatre traits fondamentaux de
« l'Etat démocratique-populaire » : 1 / Il « représente le pouvoir des
travailleurs, de la grande majorité du peuple, sous le rôle dirigeant de la
classe ouvrière »; 2 1Il « apparaît comme un Etat de la période transi-
toire, appelé à assurer le développement du pays, dans la voie du socia-
lisme »; 3 / Il « s'édifie dans la collaboration et l'amitié avec l'Union
soviétique »; 4/ Il «appartient au camp démocratique anti-impérialiste »;
en conséquence, il « peut et doit, ainsi que l'expérience l'a déjà prouvé,
exercer avec succès les fonctions de la dictature du prolétariat, pour la
liquidation du capitalisme et l'organisation de l'économie socialiste »
(La démocratie populaire, apud Œuvreschoisies, Paris, ES, 1952, p. 259 el s.).
Ioudine et Rosenthal, dans leur Dictionnaire philosophique, entérinent la
définition, à leur manière catégorique, en précisant, de « cette sorte de
dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie », que sa naissance et
ses progrès « ont pour condition fondamentale l'existence de la puissante
Union soviétique ». Quant aux pays concernés, qu'ils soient d'Europe ou
d'Asie, s'ils « comptent plusieurs partis, cependant la force dirigeante
y est représentée par les partis communistes qui ne partagent ni ne peuvent
partager la direction avec qui que ce soit » (s.v.; Moscou, 1955). Un
modèle unique est dès lors en place, dont la différence avec le type de
pouvoir instauré en URSS et en Mongolie (pourtant autre « république
populaire ») se mesure aux caractéristiques suivantes : l'Armée Rouge,
pour ce qui concerne les pays européens (ce n'est pas le cas en Asie), s'est
en quelque sorte substituée au processus révolutionnaire; en évitant
l'entrée sur leur territoire des troupes alliées, elle a rendu possible un
développement « pacifique» vers le socialisme; mais ce développement
rencontre des contraintes spécifiques, dues à l'existence d'un secteur,
parfois important, d'économie capitaliste, au maintien de la propriété
foncière, à la résistance de la petite production marchande, sur le fond
d'une complexe composition de classes qu'aggrave la pesanteur des
traditions culturelles; les tâches prioritaires qui en découlent s'appellent
réforme agraire, édification d'un secteur socialiste, industrialisation, alpha-
bétisation, autrement dit liquidation du passé, au travers de conflits de
classes exacerbés; c'est pourquoi les PC, si faibles ou si récents aient-ils été,
en tant qu'ils représentent, dans des pays ruinés par la guerre, le seul
facteur de dynamisme, en seront également l'élément fondamental du
pouvoir politique; l'URSS les unira en un bloc, au service de transformations
radicales, à l'image des siennes, en créant notamment, grâce à la division
du travail qu'elle leur impose, la structure nouvelle d'un « marché
socialiste mondial ». Ce rapport inégal se redouble des disparités, parfois
considérables, entre les différents pays et de leurs multiples implications.
Ainsi de la distance, si souvent évoquée, qui sépare la Tchécoslovaquie
industrielle et la Roumanie médiévale; ainsi de la RDA ou de la Corée
du Nord, résultats d'une division arbitraire, et de l'Albanie, isolée dans
ses montagnes eUes-mêmes; ainsi, comme le remarque Gélard, des nations
de tradition orthodoxe (Bulgarie, Roumanie, Serbie), i.e. habituées à la
domination de l'Eglise par l'Etat, et des nations catholiques (Pologne,
297 DtMOCRA TIE POPULAIRE
des voies », il n'est sans doute pas illégitime de penser qu'ils n'en sont
plus seulement les signes annonciateurs, mais qu'ils tracent déjà le pro-
gramme de nouvelles étapes révolutionnaires.
G. L.
Dépendance
Al : Abh4.gi,klil. - An : Dtfundtlll:•• - R : T'D'va .avisi...Sli.
/ / Notion solidaire de celle de système économique national, désignant
l'effet d'éléments dont la source ou l'aboutissement sont extérieurs à un
système donné qui verrait son fonctionnement gravement altéré s'ils
venaient à manquer.
2 / Quand ces systèmes économiques sont ceux des pays sous-développés,
ce terme désigne certains mécanismes définis. On parlera ainsi de dépen-
dance financière (balance des payements déficitaire, investissements étran-
gers, aide, etc.), de dépendance commerciale (déficit de la balance commer-
ciale, types de denrées et termes de l'échange), de dépendance technique,
de dépendance culturelle (importation de modes de consommation et de
styles de vie), de dépendance politique (gouvernements fantoches, impor-
tation de modèles politiques). Ces dépendances sont censées induire certains
processus (ainsi les débouchés perpétueraient la monoculture) et/ou en
limiter d'autres (ainsi le capital étranger ne s'investirait que dans certaines
branches et ne dépasserait pas certains seuils), imposant à ces pays un rythme
de développement qui relèverait des seuls besoins des pays industrialisés.
3/ Pour les théories de la dépendance (effets théoriques de la révolution
cubaine) ces mécanismes ne prennent cependant tout leur poids que dans
la mesure où ils sont envisagés comme autant d'articulations assurant
l'insertion des pays pauvres dans un système capitaliste mondial. La
dépendance devient alors le concept de celte insertion.
Il y a deux façons d'envisager ce système : a / conceptuellement
(Cardozo, Amin) par le biais d'une certaine réinterprétation des deux
secteurs de la production établis par Marx : le capitalisme dépendant
n'aurait pas de secteur 1, son secteur II serait articulé aux différents sec-
teurs 1 des productions centrales (éventuellement à un secleur e..xportateur
local de produits primaires); b / descriptivement à travers l'histoire des
divers mécanismes sus-nommés.
Dans IOUS les cas, ce système possède les traits suivants : a / il est
hiérarchisé et reconduit nécessairement cette structure hiérarchique;
b / il est fonctionnel, entièrement organisé en fonction de son centre, il
peut engendrer des conflits mais il n'est pas l'effet d'une contradiction
(au sens marxiste); c / son moteur est l'exploitation conçue comme
« extraction, appropriation de surplus économiques » (quel que soit le
mécanisme social de sa production) ce qui se traduit par l'effet systémique
(constitutif et nécessaire) que résume la formule de A. G. Frank: « Le
développement des uns (pays du centre) ne peut se faire sans le sous-
développement des autres (ceux de la périphérie);"» Il agit donc comme
régulateur des développements différentiels et partant de l'histoire concrète
des formations économiques et sociales qui le ,conforment. La dépendance
devient dès lors une thèse d'histoire générale. Et étant donné que la
plupart des auteurs déclarent souscrire au/ matérialisme historique, ils
sont amenés à élaborer des modes de production capitaliste possédant des
DtptRISSEMENT DE L'irAT 300
E. H.
Dépérissement de l'Etat
Al : A6sltrb," dIS SIDDttS. - An : .vt'he";n, lJtvq>' of tlu Slaie. - R : OIm;lan;,.
a) Elle porte sur la machine d'Etat et non sur le pouvoir d'Etat (qu'il
s'agit de conquérir dans la révolution). Mais le pouvoir d'Etat ne
s'exerce qu'au moyen d'un appareil qui le matérialise. La visée prolétarienne
d'un dépérissement de l'Etat qualifie donc la modalité (révolutionnaire)
selon laquelle le prolétariat exerce ce pouvoir (Lénine: « Pour l'utilisation
révolutionnaire de formes révolutionnaires de l'Etat ». Lettres de loin, 1917, o., 23,
p. 353)·
h) Elle se distingue de la destruction (:(,erhrechm, Zerstiirung, Zerschlagen)
de la « machine» : celle-ci porte sur l'Etat capitaliste, tandis que le dépéris-
sement concerne l'Etat en gbliral, y compris l'Etat de la dictature du prolé-
tariat, si démocratique soit-il. Mais il n'y a pas là une simple succession:
puisque « détruire» l'Etat bourgeois, c'est transférer le pouvoir à la masse
des travailleurs eu.x-mêmes, un tel processus suppose que le « dépéris-
sement » s'amorce concrètement dès la révolution prolétaricnne, même
s'il ne peut s'achever tant que subsistent des rapports d'exploitation
économique.
C'est pourquoi Marx et Engels soutiennent que la tendance au dépéris-
sement de l'Etat est déjà présente dans les luttes révolutionnaires actuelles.
Témoin la Commune de Paris: « Il conviendrait d'abandonner tout ce
bavardage sur l'Etat, surtout après la Commune, qui n'était plus un Etat
au sens propre (...) le jour où il devient possible de parler de liberté l'Etat
cesse d'exister comme tel. Aussi proposerions-nous de mettre partout à la
DtptRISSEMENT DE L'trAT 302
Despotisme oriental
AI : Ori,."'/isch, D,spoti" ori,."'/isthlr DISpolismw. - An : Earlml dfSpotism. - R : Voslolnii dlSpotizm.
Détermination
AI : BulÎmmIIIIl. - An : DtIImIinalitm. - R : D_ÙUJ<ij4.
G. Ile.
Déterminisme
AI : DllnmmimJw. - An : DtlnminiJm. - R : DllnminWn.
Développement inégal
AI : UIIlUicJu EMeickltmg. - An : U..qrud "-~/. - R : N"._ ,1UPi/i,.
Développement / Sous-développement
AI : &~UoIn",""iddtmg (RiJd:sl<mdigùiJ). - An : D",,/aI-//Undmuw/aFwtl. - R :
RtU:lrÏri,/N~IMI·.
Déviation
AI : A61.1WÎc111m1. - An : DtviOli••• - R : Ulclon.
Dialectique
Al : DÜJltkliJc. - An : DÜJur'ùs. - R : DÜJuuiU.
Dialectique de la nature
Al : NII1>ITdÙJl,kliJ:, Di.I,41iJ: dl' Nalvr. - AD : Di.lttlù, 'II "aI>tr•• - R : Dialt41iJ:a trirtJd.1.
Dictature du prolétariat
AI : Diktatur dts Proletariats. - An : Diclokmhip 'If th, pro/flariat. - R : Diklau.ra proletariata.
tariat» (DP) résument les problèmes que pose le marxisme comme théorie
politique. Un cycle en effet s'achève, dans lequel nous pouvons observer
successivement sa formation, sa formalisation dans la doctrine « marxiste»
des partis de la classe ouvrière, son institutionnalisation dans la révolution
soviétique et dans le mouvement communiste issu de la IIIc Internationale,
enfin sa décomposition dans la crise du « système socialiste» et des partis
communistes.
Histoire du concept, et de ses contradictions pratico-théoriques, telle
est donc la seule forme que peut prendre une tenta~ive de définition.
Pour la clarté, nous distinguerons quatre moments successifs, auxquels corres-
pondent des innovations effectives dans la définition de la DP. Bien entendu
cette distinction n'a qu'un caractère tendanciel. Un sens et un usage nou-
veaux s'introduisent toujours par référence aux précédents, parfois sous
le masque de la fidélité littérale au sens initial, comme un « développement»
ou un « retour» à la doctrine classique. Surtout, chaque innovation est
à la fois « réponse » à la sollicitation d'une pratique historiquement
imprévue, et développement de contradictions déjà latentes dans les
moments antérieurs.
Le paradoxe initial de la notion de DP réside dans la rareté et la discon-
tinuité des occurrences de ce terme dans les textes de Marx et Engels,
au regard du problème crucial qu'il désigne: celui de la transition révo-
lutionnaire. D'autant que la signification attribuée par les classiques à la
DP commonde en fait leur conception de l'Etat capitaliste, identifié sous ses
diverses formes historiques comme une « dictature de la bourgeoisie »,
dans le cadre d'une problématique qui caractérise tout Etat comme
institution ou organisation d'une « dictature de classe » particulière.
La fonction de ce terme de « dictature » est donc déterminante. Or le
terme DP n'est employé en tout et pour tout qu'une dizaine de fois, en
comptant des textes de la correspondance, des brouillons et documents de
travail internes au « parti» (comme la Critique du Programme de Gotha).
Le seul texte dans lequel il soit utilisé systématiquement et à plusieurs
reprises est la brochure sur Les luttes de classes en France (1850).
Ceci établi, il faut encore noter que les formulations de Marx et
Engels se groupent historiquement en deux ensembles nettement disjoints,
séparés par une longue éclipse.
DP 1 : stratégie révolutionnaire (},farx). - Ce premier sens appartient
à la brève période qui s'étend de l'écrasement des révolutions de 1848-1849
jusqu'à la dissolution définitive de la « Ligue des communistes» (1852).
DP désigne alors une stratégie nécessaire du prolétariat dans la conjoncture
de crise révolutionnaire. Il est possible que le tenne ait été employé dès
les années 37-40 par Blanqui, en qui Marx désignera en 1848 « le véri-
table chef du parti prolétarien français ». Ce qui est certain, c'est que dans
cette brève période de rapprochement étroit entre Marx et le blanquisme,
l'un et l'autre vont l'utiliser alors dans des sens très voisins, mais qui diver-
geront ensuite de plus en plus nettement (cf. le texte significatif d'Engels,
Programm der blanquistischen Kommune jfüchtlinge, 1874, MEW, lB, 52B et s.).
Les analyses de l\-farx présupposent trois thèses essentielles :
a) L'antagonisme caractéristique de la société bourgeoise conduit
inéluctablement à une crise ouverte, mondiale. La « guerre civile» latente
dans la société bourgeoise ne peut donc plus être contenue ni différée.
326 DICTATURE DU PROUTARIAT
Programme da imigris communards blanquislts (1874); Critiq~ du Programme d'Erfurt (1891) (ES);
Préface à MARx, lA guerre civile en France (1891). - 1. 3. Stanley MOORE, Thr.. Tadia,
New York, Monthly Re,oiew Press, 1963; E. BALmAR, Cinq Etudes du mat/rialisme his/briq~,
Paris, Maspero, 1974; F. CLAUDIN, Marx, Engelsy la revolucion de 1848, Madrid et Mexico,
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rééd. Berlin, Dietz Verlag, 1965; Karl KAUTSKY, lA dictature duprolltariat (1918), rééd. Paris,
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1974; Max AnLER, Dmwcratie <1 conseils ouvriers (1919), Paris, Maspero, 1967. -11I.1. LÉNINE,
Deux tlUtiques de la social-dimocratie (1905), in Œuvres, vol. 9; L'Etat et la Révolution (1917),
ibid., vol. 25; L'économie et la politique à l'époque de la dictature du prolétariat (1919),
ibid., vol. 30; La grande initiative (1919), ibid., vol. 29; Contribution à l'histoire de la ques-
tion de la dictature (1920), ibid., vol. 31; lA rivolutionprolltarienne <Ile renigal Kautsky (1918),
ibid., vol. 28; lA maladie infantik du communisme (1920), vol. 31; Les syndicats. La situation
actuelle et les erreurs de Trotski et de Boukharine (1920-1921), ibid., vol. 32; L'impôt en
nature (1921), ibid., vol. 32; Mieux vaut moins, mais mieux (1923), ibid., vol. 33; Le Cahier
bleu (Bruxellc.., Complexe, (979). - III. 2. Manifestts, thèses et risolutions da quatre premiers
congres de l'Internationale communiste, Paris, Librairie du Travail, 1934 (réimpression Maspero,
1969). -lU. 3. E. H. CARR, A Hisrory of Soviet Rusna, Bvol., London, Penguin Books, 1966;
M. GEFTER, Unine ct la perspective historique au début du xx' siècle, in Recherches interna-
tionaks, nO 62, Paris, Editions de la Nouvelle Critique, 1970; R. LINHART, 1./nine, ks paysans,
Taylor, Paris, Ed. du Seuil, 1976; E. BAUDAR, Sur la dictature du prolétariat, Paris, Maspero,
1976. - III. 4, Georg LUKAcs, 1.Inine (1924) (rééd. Paris, EOI, 1965); N. BOl1KIIARINE,
L'iC01/omie de la ptriode de tranrition; E. PRÉOIlRAJENSKI, lA Nouvelk &01/Omiq~; M. LAVIGNE
et al., Economie politi~ de la planification en sys/ème socialiste, Paris, Economica, 1978 (( La
société socialiste avancée »). - III. 5, MAO ZEDONG, De la juste solution des contradictions au
sein du peuple (1957), in Quatre essais philosophi~s; A propos de l'expérience historique de la
dictature du prolétariat (1956-1957) (deux articles), Mao Tre Toung et la construction du socia-
lisme, textes inédits traduits et présentés par Hu Cm-HSI, Paris, 1975; On democratic centra-
lism, Talk at an Enlarged Central Work Conference (1962) in St. SCHRAMM ed., Mao Ts<
/ung unrehearred, London, Penguin, 1974: anonyme, Sur la révolution culturelle, in Cahiers
marxistes IIninir/es, nO 14> nov.-déc. 1966, Paris. - Rédactions du Renmin Ribao, du Hongqi
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1978). - TV .3. O. ANWEILER, Les Soviets en Russie, Part" Gallimard, 1972; Parti commu-
niste français, Le socialisme pour la France, Paris, ES, 1976: M. HARNECKER, Cuba: dictature
ou tlémoeratie J, Paris, Maspero, 1976; M. RAROVSKI, Le marxisme face aux pays de l'EsI, Paris,
Savelli, 1977; R. BAHRO, Die Alternative, Kôln-Frankfurt-a.-M., EVA, 1977; L. ALTHUSSER,
R. ROSSANDA et al., Discutere la Stalo, Bari, De Donato, 1979 (trad. partielle apud Dialte-
liq~s, nO 23, printemps 1978).
Direction 1 Domination
AI : Führung/ Hf"',""]t. - An : Ltadmhip/Dominalion. - R : Rukovodstvo/Go,podslvo.
Discipline
AI : DiszipUn. - An : Disdplinl. - R : Disciplina.
M. M.
Dissidence
Al : DissiJmz. - An : DissidmCl. - R : DissMmdja
durablement diviser les dissidents entre ceux qui, comme Roy Medvedev,
tiennent la société soviétique pour une société socialiste et militent pour
une réforme du système politique sur la base de la même « infrastructure»
économique, et ceux qui, Comme Soljenitsyne, la considèrent comme un
capitalisme d'Etat maintenu par une dictature totalitaire. On sait que
Soljenitsyne n'a cessé, depuis la publication de L'Archipel du Goulag,
d'accentuer la teinte nationaliste russe de ses positions, englobant les
démocraties occidentales dans sa critique.
Ce mouvement de résistance a suscité notamment en Europe occiden-
tale un écho très fort : des intellectuels se sont engagés toujours plus
nombreux dans le soutien actif, résolu et généreux aux luttes des dissidents :
ils ont été rejoints par des syndicalistes et des militants politiques. Mais
cc mouvement est aussi devenu, en '977-'978, I"occasion et le thème central
d'une mobilisation idéologique de grand style, ponctuée à l'échelle inter-
nationale de colloques et congrès spectaculaires et nourrie d'une profusion
de publications sonores de tonalité radicalement anti-marxiste. Ainsi s'est
constituée de toutes pièces ce que Robert Linhart a appelé l' « idéologie
occidentale de la dissidence » (cf. Il Manifesta. Pouvoir et opposition dans les
soci/lis post-révolutionnaires, Paris, '978), qui visait à un désengagement poli-
tique des intellectuels et dont les « nouveaux philosophes» ont donné, de
France, une version systématique et flamboyante qui a fait le tour du
monde capitaliste. Pour le plus grand profit des politiques « libérales »
adoptées par les gouvernements de ces pays face à la grande crise écono-
mique et politique qui les menaçait.
Le destin de la dissidence reste aujourd'hui énigmatique: ses divisions,
la répres.ion qui s'est abattue sur elle en Union soviétique pendant les
années '978-1980 et dont l'un des aboutissements a été la réclusion
d'Andrei Sakharov à Gorki, en ont, semble-t-il, entamé la force. Tout
dépendra, comme le montre la situation polonaise, de la capacité de
l'intelligentsia à nouer des liens avec un éventuel mouvement de résistance
des masses ouvrières et paysannes, jusqu'ici restées méfiantes vis-à-vis
d'une couche sociale qui leur apparaît, non sans raisons, comme
privilégiée.
• BIDLIOCRAPHIE. - R. BAHRO, L'Altn'native, Seuil, 1978; V. BouKoVSKl, Et le vmt reprend
ses /Qurs; J. CH1AMA et ].-F. SOUl..ET, Oppositions el révoltes en URSS et dans les démocraties
popublires, de la mort de Staline à nos jours, Paris, Seuil, 1983; F. CLAUDlN, L'opposition dans les
pays du ( socialisme réel». Paris, PUF, J083; D. COOPER, Qui sont/es dissidents l, Galilée, 1977.
A. G-LUCKS~fANN, La cuisinière et le mangeur d'hommes, Seuil, [975; G. LABlCA et A. POtRSON,
Les petits maîtres (les« nouveaux philosophes»), apud Critka marxista, n° 2, Rome, 1978;
D. LECOUR", Dissidence ou révolution?, Maspero, 1978: B.•H. LÉVY, La barbarie à visage humain,
Grassel, 1977: R. MEDVEDEV, Le stalinisme, Seuil, 1972; R. ct]. MEDVEDEV, Khrouehlc/rev,
les ann/es du pouwir, Ma<pero, 1977; M. RAKOVSKl, Le marxismeface aux pays de l'Est, Savelli,
1977; R. ROTMAN, Dissidetu:es et dissidmt(e)s, Le Sycomore, 1982: A. SAKHAROV, Sakharov
parle, Seuil, 1974: A. SOLJENITSYNE, Unejourn/e d'Ivan Dmissovileh,]ulliard, 1963; L'Archipel
du Goublg, Seuil, 1974-; A. ZINOVIEV, Les hauleurs blanles, L'Age d'Homme, 1977.
~ CORRÉLATS. - Dogmatisme, Parti, Stalinisme.
D. L.
Distribution
Al : VnuiJung, Distribution. - An : Distribution, - R : Rasprtdelenie.
Division du travail
Al : A,b4i/Sùilwtg. - An : Division of la60u" - R : Razae/m,', lruaa,
Djoutché
AI : JwN, Dsd#IIstM. - An : Djuldu. - R : Diuu, olmi, Kim II SW18.
Figure nord-coréenne du marxisme-léninisme, les Idées du Djoutché
entendent enregistrer les deux principales étapes du MOI, représentées par
le marxisme des fondateurs, Marx et Engels, et le léninisme, comme étape
de la période de l'impérialisme et de la Révolution d'Octobre. Elles se
donnent comme la théorisation de la révolution mondiale aujourd'hui.
Cette dernière est caractérisée par le fait que le processus révolutionnaire
ne s'est pas déroulé selon les prévisions de Marx, mais par l'arrivée sur
la scène de l'histoire des luttes des peuples colonisés ct opprimés. Sont
pris romme acquis à la fois la réussite du matérialisme et de la dialectique
dans le domaine des sciences de la nature, et, d'autre part, le rôle déter-
minant de la classe ouvrière et des masses, définies dans le cadre du
matérialisme historique, C'est dès lors sur l'Homme, les masses ct les
nouvelles conditions de la révolution que toute l'attention doit être
portée. Ces thèses, conjuguées à l'analyse de la spécificité de la Corée
(pays colonisé, semi-féodal; guerre contre deux impérialismes; luttes
internes contre le marxisme « de club », le dogmatisme ct les fractions),
mettent au premier plan la nécessité d'un « marxisme créateur », rejetant
toute application de modèles, l'exportation aussi bien que l'importation
de la révolution, les formes diverses de « servilité » à l'égard des hégé-
monismes. « Compter avant tout sur ses propres forces », tel est le sens
du redressement opéré à la Conférence de Khalun, en 1930, qui voit la
naissance du nouveau parti, sous l'impulsion de Kim Il Sung.
Au rang des principes de « la philosophie djoutchéenne », on trouve
le Djadjouseung (sorte de force d'auto-détermination), la conscience et la
créativité qui permettent d'affirmer que l'Homme, c'est-à-dire les masses,
« est maître de tout et décide de tout ». L'histoire se confond avec la lutte
pour le djadjouseung des peuples, à travers diverses étapes, l'actuelle
accordant expressément la primauté à l'idéologie, grâce au développement
de la conscience de classe et à la liaison ligne de classe fligne de masse.
La politique se fonde sur l'indépendance et la souverainelé. Sans renoncer
au rôle primordial de l'industrie lourde, elle le combine étroitement avec
celui de l'industrie légère et l'essor de l'agriculture; une place à part, dans
le même souci, devant être faite à l'auto-défense. Elle associe également
les stimulants moraux, politiques et matériels. Elle insiste sur l'éducation et
la persuasion et engage la lutte pour les « trois révolutions » - idéologique,
technique et culturelle - , décidées au Ve Congrès du Parti du Travail de
Corée (1970) et réaffirmées au VIe (1980). Elle milite pour de nouveaux
rapports lant au sein du mouvement communiste international qu'entre
les pays en voie de développement, à partir du strict respect de l'égalité et
avec, pour la période récente, semble-t-il, une moindre volonté d'autarcie.
REMARQ.UE. - Les idées du djoutché connaissent une assez vaste
audience dans le Tiers Monde et dans les mouvements de libération
349 DOGMATISME
nationale, ainsi que dans certains grands pays, tels l'Inde et le Japon, à
juste titre sensibilisés par les principes de la souveraineté, de l'auto-
développement, du non-alignement et du primat de l'idéologie, eux-
mêmes confirmés par une expérience historique exemplaire. Mais elles
suscitent souvent, en Occident et au sein même des partis communistes,
réserves et interrogations. Le culte de Kim Il Sung est-il un avatar du
culte de la personnalité? Un moyen original de court-circuiter la bureau-
cratie et de réaliser le consensus national? « Une force révolutionnaire»
(S. Carrillo, Le communisme malgré tout, Paris, PUF, 1984) ? L'ignorance dcs
traditions culturelles ct de la situation nord-coréennes n'est pas seule ici en
question, puisque le rôle décisif du leader, dans le processus révolutionnaire,
est constamment souligné (cf. Kim Djeung Il, Des idées du cij., Pyongyang,
1982, p. 69). L'assurance du caractère « non-exportable» d'une telle par-
ticularité suffit-elle à la débarrasser de toute contradiction ? Il appar-
tiendra, comme toujours, à la pratique de délivrer ses leçons.
• BrnUOORAPillE. - L'Institut international des Idées du djoutché publie une revue
intitulée Etuthsur tes idlts du djoulehi, Tokyo; KIlo[ DJEUNG IL, Le Parti du Travail th Corle est
un parti rlvolutionnaire tU type djoutchéen, héritier tUs gtoriewes traditions de rUAI, Pyongyang,
1982; ID., Allons d. l'avant en porlant bien haut le drapeau du marxisme-lininisme el tks idées du
djoulehi; KIM IL SUNG, Œuvres, 13 vol. parus; ID., A propos du djoutchi dans notre rlwlation,
3 vol. parus, Pyongyang, 1982; ID., Rlponses aux questions posits par tks correspondants Itran-
gers, Pyongyang, 1974; C. OPPETIT, 1.D Corle, <Us origines au Djoulehi, Paris, Le Sycomore,
IgBO; Signification historique mondial. des idées tU djoutchi, Pyongyang, 1975; J. SURET-CANALE
et J. E. VIDAL, 1.D COTle populaire, Paris, ES, 1973.
~ CoRRÉLATS. - Culte de la personnalité, Démocratie nouvelle, Démocratie populaire,
Idéologie, Modèle.
G. L.
Dogmatisme
Al : DognullÎstruls. - An : Dogmatism. - R : DogrrJ(ltizm.
titre, et dans une très large mesure, beaucoup de ses adversaires actuels, et
particulièrement celui qui écrit ces lignes, seraient marxistes. Le marxisme
consiste surtout dans le système qui tend, non à répandre la doctrine
marxiste, mais à l'imposer, et dans tous ses détails» (cité par D. Ligou,
Histoire du socialisme en Frame, Paris, PUF, 1962, p. 67).
C'est toutefois avec la consécration étatique du marxisme et sa trans-
position en philosophie officielle, autrement dit avec la période dite stali-
nienne, que le dogmatisme revêt son acception la plus forte et concerne
l'ensemble du mouvement ouvrier international. Dès les années 30, l'œuvre
de Marx et d'Engels et ceUe de Lénine sont en quelque sorte arrêtées; eUes
ne donnent plus lieu à recherches et ne sont plus l'objet de travaux. Avec la
publication de Malirialisme dialectique et matJriaLisme historique (Staline, apud
Histoire du PC(b) del' URSS) et l' achèvemen t du processus de jdanovisation,
la Vulgate, ainsi qu'on la nommera fort justement, l'emporte. Le marxisme,
désormais commué en lois régissant la nature, la pensée et le mouvement
historique, est devenu théologie. Il a ses rites et ses prêtres, ses promotions
et ses excommunications. Le recours aux Célèbres Citations, comme dit
Althusser, ces hadith-s du marxisme, est le sceau de la vérité.
L'envers du dogmatisme, son contradictoire, n'est nuUement le scepti-
cisme, mais bien, ainsi que Kant l'avait vu, la critique.
• BmUOGRAPHlE. - P. KAAN, Dogme et \'érité, apud La cri/i'lu, $o<iale, n" 2, juill. 193',
Paris, M. Rivière éd .
.. CORRÉLATS. - Conception du monde, Crises du marxisme, Définition, Déviation,
Dia-mat, Dialectique de la nature, Economisme, Esprit de parti, Marxis.me, Marxume-
Léninisme, Matérialisme dialectique, Orthodoxie, Réalisme soeialiste, Seience, Stalinisme.
G. L.
Douma
La Révolution russe de Ig05 oblige l'autocratie tsariste à des concessions.
Le 6 août est annoncée la réunion prochaine d'une Assemblée consultative,
la Douma de Boulyguine. Ce n'est pas la constituante exigée par les masses.
Aussi, pendant la grève générale d'octobre, le 17, le tsar publie le ,\lanifeslt
d'Oclobr. accordant les libertés démocratiques et une Douma d'Etat,
« parlement russe », aux fonctions législatives. Le nouveau recul de l'auto-
cratie divise les forces d'opposition : Oetobristes et Cadets, inquiets du
développement du mouvement révolutionnaire, s'en satisfont.
La loi électorale du II décembre Ig05 prive du droit de vote la
moitié au moins de la population: le vote est censitaire. La Ire Douma
comprend une majorité de Cadets; eUe est rapidement dissoute le
8 juiUet 1906. La contre-révolution progressant, la Ile Douma l'est égale-
ment le 3 juin Ig07 et la fraction social-démocrate est arrêtée. Une
nouveUe loi électorale assure aux curies des propriétaires fonciers et de
la grande bourgeoisie plus des trois quarts des grands électeurs, et les
populations aUogènes d'Asie centrale sont exclues du scrutin. La Ille Douma
est donc tout à fait docile : issue du « régime du 3 juin », elle appuie la
réaction stolypinienne.
Elue à l'automne 1912, la IVe Douma présente la même majorité
réactionnaire. La loi à nouveau modifiée, les curies ouvrières ne peuvent
élire des députés que dans six régions industrielles. Les élections, au lende-
351 DOUMA
J.-M. G.
Droit
Al : Recht. - An : LDw. - R : Pra...
Pour Marx et Engels le droit n'a pas d'histoire qui lui soit propre
(cf. lA, ES, 1968, p. 108; MEW, 3, 63) et l'analyse qu'ils enfont,de manière
disséminée, tout au long de leur œuvre intervient dans le cadre de l'étude
des formes politiques où, au XIX· siècle, s'est développé le capitalisme.
Le droit obtient ainsi une place essentielle; quand en 1847 Marx et
Engels, en une formule d'une extrême densité, déclarent à la bourgeoisie:
« Votre droit n'est que la volonté de votre classe érigée en loi, volonté
dont le contenu est déterminé par les conditions matérielles d'existence
de votre classe» (Aubier, éd. bi\., II6-117) ils définissent le complexe
politico-juridiquc par la fonction qui lui est historiquement assignée
d'assurer la reproduction des rapports capitalistes de production. Pour
l'analyse, on peut considérer que Marx et Engels posent d'abord les
conditions politiques de l'établissement du mode de production capi-
taliste et marquent ainsi la nécessité d'un droit centralisé, codifié et
légiféré pour ensuite (Marx surtout) s'attarder plus précisément sur la
forme contractuelle moderne qui permet l'achat et la vente de la force
de travai\'
ainsi être refusées au droit deux qualités que la législation prétend lui
accorder: autonomie et naturalité.
Cependant Marx et Engels ne nient pas que le droit doive apparaître
comme autonome et naturel. Son efficacité dépend bien du degré de
perfection de la procédure législative. Le système représentatif, « produit
tout à fait spécifique de la société bourgeoise moderne» (IA, p. 227;
MEW, 3, 181), est l'une des voies de ce perfectionnement comme l'est, plus
globalement, l' « Etat démocratique » fondé abstraitement sur « la
communauté civique », ce « simple moyen (servant) à la conservation
des droits de l'homme », c'est-à-dire des droits du bourgeois (QJ, Aubier,
éd. bil., 110-111). « La constitution de l'Etat politique et la décomposition
de la société bourgeoise en individus indépendants dont les rapports sont
régis par le droit... s'accomplissent en un seul et même acte » (ibid.,
118-1 19). Ce moment constitue « le point culminant de l'évolution juri-
dique» (SF, ES, 1972, p. 120; MEW, 2, 102). Etant au fondement de la légis-
lation, les valeurs libérales (l'égalité et la liberté) deviennent des garanties
que les rapports sociaux demeurent des rapports d'individu à individu.
Ainsi Marx ne fait pas de l'intervention de l'Etat la simple sanction d'un
droit déjà là mais souligne son rôle à la fois régulateur et constitutif dans
la structuration juridique de l'ensemble des activités sociales. Certes la
législation eSI bien désignée comme étant liée intimement aux principes
qui gouvernent l'Etat social et économique existant mais, dans le mode
de production capitaliste, c'est bien le moment législatif qui est constitutif
de la juridicité. Le droit moderne est donc de classe dans sa forme (procé-
dure) puisque la classe n'est historiquement déterminante et agissante
que lorsqu'elle trouve avec l'Etat moderne le moyen de faire passer
ses intérêts particuliers pour l'intérêt général (cf. lA, p. 362; MEW, 3, 311).
Le droit et l'Etat sont liés pour faire exister la volonté de ceux qui, domi-
nant économiquement, s'assurent la maîtrise du pouvoir politique
(cf. Engels, Orfa., ES, 1974, p. 180; MEW, 21, 166). Quant aux modalités
précises de l'exercice du pouvoir, seule l'analyse des conditions empi-
riques peut en rendre compte et livrer les raisons « des variations et
nuances infinies» que prend l'Etat « à partir d'une même base écono-
mique » (K., liv. 3. t. 3, p. 172; MEW, 25, 799). Les méthodes législatives
peuvent varier, voire paraître s'opposer d'une nation à une autre, elles
cherchent toutes à développer les seuls rapports d'individu à individu
(opposition par exemple entre l'Angleterre et le continent: K., liv. l,
t. 2, p. 179 n.; MEW, 23, 527 n.). Souvent une bourgeoisie ne peut cons-
tituer sa domination que comme « domination moyenne » (lA, p. 362;
MEW, 3, 311), c'est-à-dire typique. Les codes donnent au droit une plus
grande apparence d'autonomie et il semble s'originer dans la volonté
du législateur. Le mouvement qui « ramène le droit à la loi» s'accentue
encore lorsque « des professionnels de la politique, des théoriciens du
droit public et des juristes du droit privé escamotent la liaison avec les
faits économiques» (Engels, LF, ES, 1966, p. 77; MEW, 21, 302). L'Etat et
ses lois peuvent atteindre un certain degré d'autonomie certes mais cette
autonomie n'est que relative à l'actualité de la société bourgeoise et non
pas à la structure contradictoire de cette société (cf. 18 B, ES, 1969,
p. 130-131). L'Etat et le droit assurent le développement et éventuel-
lement la survie des conditions propres à la reproduction de la société
bourgeoise. Ce que Marx et Engels montrent, c'est la nécessité d'une
354
structure de droit public; le droit privé qui se fonde sur la volonté libre
du sujet doit être à la fois garanti et produit par des lois se présentant
comme issues de la volonté générale.
marchande. Par ailleurs Marx note que le capital qui « est de nature
niveleur» exige que « les conditions de l'exploitation soient égales pour
tous » montrant encore la nécessité d'une législation moderne seule apte
à lever les obstacles au capital lui-même (K., Iiv. 1, t. 2, p. 81; MEW, 23,419).
En synthétisant les deux moments de l'analyse de Marx et d'Engels,
le droit se définit comme étant l'expression obligée des rapports de
production capitalistes; comme tcl il suppose la personne privée dotée
d'une volonté libre et autonome et il exige d'être produit et présenté
idéologiquement en tant qu'œuvre d'une communauté politique de
citoyens. C'est rapporté à la société civile bourgeoise dans la totalité de ses
aspects que le droit peut être envisagé par Marx et Engels selon la thèse
de son dépérissement.
Le dépérissement du droit envisagé en même temps que celui de
l'Etat s'inscrit dans le cadre du dépassement de la société bourgeoise.
La norme bourgeoise c'est l'égalité que le droit pousse à son comble et en
fait nie en autorisant l'emploi d'une « unité de mesure commune » pour
évaluer le travail de chacun (Gloses, ES, 1972, p. 31; MEW, 19, 20). « Le
droit égal reste toujours grevé d'une limite bourgeoise » (ibid.). Pour
Marx le processus de dépérissement du droit semble être mis en mouve·
ment essentiellement lorsque, « au sein d'un ordre social communautaire »,
la notion concrète de travailleur est substituée à celle abstraite de
personne. Un universalisme concret remplace l'universalisme abstrait du
droit et pervertit le caractère juridique des règles sociales. Marx ne nie
pas que la réduction de l'individu au travailleur engendre un principe
d'égalité formelle encore juridique mais il pense qu'une telle disposition
jette les bases de la disparition progressive d'une problématique sociale
fondée sur l'indifférenciation des hommes et des choses.
C 1La théorie du droit eII Union soviétique. - C'est la pensée de Lénine qui
inspire les premiers juristes de l'Union soviétique. Les positions léni-
niennes sont conformes à celles de Marx et d'Engels : dans la phase de
transition du capitalisme au communisme le droit bourgeois subsiste « sans
la bourgeoisie », il demeure en tant que « régulateur de la répartition
des produits... et du travail », la collectivisation des moyens de production
ne le supprime que partiellement (ER, apud o., 25, 509). La position de
Lénine rejetait, en son fond, la notion même de « droit prolétarien» mais
la revalorisation du politique opérée par la Révolution et organisée par les
Constitutions de 1918 et 1924 rendait délicate la définition du statut d'une
régulation juridique en période de transition.
Les théoriciens du droit de la période léninienne se caractérisent par
leur anti-juridisme qui se veut rigoureux et Inilitant. En 1919, Stucka
donne du droit la définition suivante: c'est « un système (ou ordre) de
rapports sociaux qui correspond aux intérêts de la classe dominante et qui
est garanti par la force organisée de cette classe » (cil. in Stoyanovitch,
La philosophie du droit en URSS, LOD], 1965, p. 68). Se trouve accentué
l'aspect contraignant du droit sans que le rôle constitutif de l'Etat soit
vraiment dégagé.
Pashukanis qui est la figure majeure pour cette période rectifie l'écono-
misme de Stucka en accordant à la forme juridique une valeur spécifique:
si le droit n'a pas de réalité sui generis, il a bien une efficacité particulière.
Pashukanis s'attache à montrer que le sujet de droit constitue le moment
DROIT 356
Dualisme 1 Monisme
AI : Dualismus/Monismus. - An : Dua/ism/Monism. - R : Dualizm/Moniz,m.
Ces deux termes, apparus au XVIII" siècle (c'est C. 'Wolff qui les forge),
servent génériquement à désigner deux positions antagoniques, l'une qui
pose l'existence de deux principes indépendants et irréductibles et l'autre
qui postule au contraire l'unité fondamentale et substantielle du monde.
Leur sens et leur usage philosophique général se constituent au XIX" siècle.
En même temps, les divers courants du socialisme pré-marxien, fidèles
en cela à la typologie saint-simonienne, en imposent un emploi secondaire
et différencié, axiologique et non théorique : le Dualisme fait ici figure
magistrale de toutes les divisions qui traversent le corps social, à quoi
s'oppose l'unité anticipée d'une société réconciliée, l'Harmonie, laConcorde,
Si ce sens singulier marquera peu ou prou la pensée politique marxienne,
c'est surtout à partir du moment où le matérialisme marxiste commen-
cera à s'interroger sur ses propres fondements philosophiques et épistémo-
logiques qu'i! croisera les préoccupations concurrentes de certains secteurs
des sciences de la nature et sera dès lors porté à s'appuyer sur les thèses
« monistes» de quelques hommes de science, matérialistes sans le savoir,
entre autres et notamment sur les travaux d'E. Haeckel, célèbre natu-
raliste dont un ouvrage, Les énigmes de l'univers, eut en son temps un
considérable succès. C'est bien ce que feront successivement Engels
(DN, MEW, 20, 479 et 516), puis Lénine (dans la dernière partie de ME,
o., 14, 361 et s.).
Mais c'est de fait l'ouvrage de G. Plekhanov, Essai sur le développement
de la conception moniste de l'histoire, paru sous un pseudonyme en 1895, qui
devait introduire et généraliser jusqu'à un certain point l'usage du terme
dans la pensée marxiste. En un temps où cette dernière n'avait point
droit de cité ni reconnaissance académique, la visée de l'auteur fut de la
re-situer, de la réinscrire dans une lignée philosophique qui irait de
Démocrite et Epicure aux matérialistes français du XVIIIe siècle en passant
par G. Bruno et, surtout, Spinoza. Plekhanov écrit ailleurs: « Le maté-
rialisme moderne est... un spinozisme plus ou moins conscient » et
« Feuerbach et Engels étaient spinozistes » (D'une prétendue crise du
marxisme, in Œuvres philosophiques, Moscou, II, 354). C'est encore à cette
unique fin que servent, dans le Philosophisches Wlirterbuch publié en RDA,
les deux définitions complémentaires du dualisme (l, 287) et du monisme
(2, 823) - la première s'appliquant essentiellement à une chaîne de
« conceptions du monde idéalistes» qui irait d'Anaxagore à Kant.
Quant au terme monisme, Plekhanov semble avoir admis qu'il s'agissait
d'une expression « volontairement maladroite» et ambiguë, uniquement
destinée à « dépister la censure» (cf. V. Fomina, in ouvr. cité, l, 814).
Il en a toutefois rigoureusement défendu l'usage en tant qu'il qualifierait
constitutivement le matérialisme marxiste; comre Bernstein en parti-
culier, par lui accusé d'avoir par son apostasie « (atteint) le havre du
dualisme» : « M. Bernstein n'approuve pas notre formule: la conception
moniste de l'histoire... M. Bernstein ne comprend pas que, si l'évolution
des rapports sociaux, donc, en dernière analyse économiques, ne constitue
pas la cause fondamentale de l'évolution du facteur appelé spirituel, ce dernier
devrait alors évoluer par soi et que cette évolution spontanée du facteur
spirituel n'est rien de moins qu'une des variétés de (1') « autodéveloppement
DUALISME!MONISME 358
Dualité de pouvoir
AI : DO/>P<lhtrTschoft. - An : Dualiry qf po,"r. - R : DlIOIIllOJti,
1 1Transfert
réciproque de propriété des biens économiques inhérent
à la division du travail fondée sur la propriété privée. En un sens plus
général, rapport de réciprocité dans la prise de participation des individus
ou des groupes aux travaux ou produits sociaux.
2 1 Le Manuscrit de 1844 consacré à J. Mill présente une réélaboration
philosophique critique du thème de l'échange et de la division du travail
cher à l'économie classique. « L'échange tant de l'acLÏvité humaine à
l'intérieur de la production elle-même que des produits humains entre
eux est: l'activité générique et l'esprit générique, dont l'existence véritable,
consciente et vraie, est l'activité sociale et la jouissance sociale» (MEW,
Erg., l, 450-451). Mais, dans les conditions de la propriété privée, cet
échange est aliéné, non « social », non « humain », « abstrait» (447),
parce que finalisé par l'argent ou par le désir d'acquérir (454). L'activité,
n'étant plus immédiatement orientée vers la satisfaction des besoins, cesse
d'être jouissance; elle tend au « vol réciproque» (459), à l'hostilité
générale entre les hommes. On trouve ainsi chez le Jeune Marx, à côté
de la condamnation du capitalisme formulée dans les iWanuscrits parisiens
de 1844, une critique plus fondamentale, inspirée elle aussi de Feuerbach,
portant sur les rapports d'échange liés à la propriété privée en général.
3 1 C'est par l'analyse de ce rapport d'échange que Marx ouvre, dans
ses quatre rédactions successives, Gnmtirnse (1857), Vernon primitive (1858),
Contribution (1859), Capital (1867), l'exposé de sa théorie du mode de
production capitaliste. L'échange suppose la propriété privée des moyens
de production et du produit. Le produit échangé est marchandise,
c'est-à-dire unité de valeur d'usage et de valeur, de travail concret et de
travail abstrait. Le procès d'échange consiste en ce que chacun des échan-
gistes aliène la valeur d'usage de sa marchandise et acquiert sa valeur
d'échange sous la forme d'une autre marchandise. L'échange requiert
donc que les deux biens soient qualitativement différents et quantitative-
ment déterminés.
Marx a exposé sa génèse théorique : échange simple de deux mar-
chandises, échange d'une marchandise contre les diverses autres, échange
tCHANGE 362
des diverses marchandises contre une seule, qui se définit ainsi comme
argent.
Les catégories juridiques de liberté et d'égalité sont les conditions impli-
quées par le rapport économique d'échange. Il n'y a en effet échange que
par un « acte volontaire commun» (K., ES, l, 1,95; MEW, 23, 99), par lequel
les échangistes se reconnaissent mutuellement propriétaires, donc comme
« personnes ». « Ce rapport juridique, qui a pour forme le contrat, légalement
développé ou non, n'est que le rapport des volontés dans lequel se reflète
le rapport économique» (ibid.). « Chacun des sujets est un échangiste,
c'est-à-dire a la même relation sociale à l'autre que l'autre envers lui.
En tant que sujets de l'échange leur relation est donc celle de l'égalité»
(Grund., l, 110; (53). « Ainsi donc le procès de la valeur d'échange (...) ne
développe pas seulement la liberté et l'égalité: il les crée, il est leur base
réelle» (Version primitive, Cont., 224; ibid., 9(5). Ainsi le droit romain est-il
né de la réalité des échanges « entre les hommes libres» (ibid., g(6).
Sur le fondement de l'échange Marx exprime parfois des vues proches
de celles des classiques, notamment dans les Grundrisse et la Version primitive
(p. 219 et s.; Grund., glo et s.). Chacun n'atteint son but qu'en prenant
l'autre comme moyen, donc aussi en devenant moyen pour l'autre. L'intérêt
collectif s'affirme donc ainsi comme à l'insu des agents, qui ne connaissent
d'autres mobiles que leur intérêt exclusif, opposé à celui d'autrui. « L'in-
térêt universel est précisément l'universalité des intérêts égoïstes» (Grund.,
l, 184; (56).
Seulement, pour Marx, le monde réglé par l'échange ne constitue pas
le meilleur des mondes possibles. L'échange comporte en effet une contra-
diction interne, liée au rapport valeur d'usage 1valeur et à l'expression de
celle-ci en argent. S'il peut se définir par la séquence MAM, qui fait
apparaître la valeur d'usage de la seconde marchandise comme sa fin
(Cont., 233; K., ES, l, l, 151-156; MEW, 23, 161-(67), et son mouvement
global comme « solution» (Cont., 22; MEW, 13, 30) des contradictions de
la marchandise, il comporte aussi la virtuc.lité d'une finalisation par
l'argent, dont la thésaurisation (Grund., l, 156; (30) ou le commerce proto-
capitaliste (ibid., 83; 67) fournissent des exemples. Et lorsque la force de
travail fait son apparition parmi les objets possibles d'échange, c'est-à-dire
quand apparaissent les rapports proprement capitalistes, les catégories
de liberté et d'égalité vont manifester leurs limites. Le rapport salarial
constitue bien en effet un échange de deux marchandises de même valeur,
la force de travail et les biens salaires, mais il produit pour les échangistes
un résultat inégal, puisque la force de travail produit plus que les biens
salaires. Ici prennent fin l'égalité et la liberté, en même temps que se
manifestent dans toute leur ampleur les contradictions inhérentes à
l'échange: la richesse abstraite devient la fin de la production (K., ES, l, l,
155-159; MEW, 23, 167-(70).
Mais tout cela demeure caché aux échangistes du fait que le rapport
d'échange comporte une mystification essentielle, le fétichisme de la
marchandise, selon lequel ce qui est en réalité échange entre travaux
humains, entre hommes, apparaîl comme rapport entre choses, réglé par
les propriétés des choses elles-mêmes (K., l, 1,83-88; ibid., 85-91).
4 1 Marx développe tout à tour son analyse de l'échange dans le cadre
de deux problématiques distinctes. D'un côté une trame historique qui
363 ÉCHANGE
J. B.
Echange inégal
Al : Ungltithtr Tousch. - An : Un'lJUol .xthongt, - R : NeravnJd obmm.
G. C.
ÉCOLE 366
Ecole
AI : Schult. - An : Sch..t. - R : .§Jrota.
(Sit., ES, 160-161; MEW, 2, 342). Ce rapport entre le savoir el son « antidote»
idéologique est toujours présenté comme une question polÎlique (non
pédagogique) en rapport avec l'Etat (non avec l'Eglise). Ainsi la loi Falloux
sur l'enseignement religieux est « condition d'existence du suffrage uni-
versel » (LCF, ES, 141). A partir de 1850 les textes affirment des posÎlions
radicalement anti-étatistes : l'école est« la force spirituelle de la répression »,
il faut la libérer des « entraves de la pression gouvernementale et des
préjugés de classe » (GCF, ES, 261 ; MEW, 17,596-597; voir également l'imer-
venuon de Marx à l'AIT les 10 et 17 août 186g dans le recueil Critique de
NdlUation et de renseignement, Maspero, 1976). Ces textes n'échappent pas à
une interprétation scientiste du savoir débarrassé de toute idéologie de classe.
- L'leole dans le procès du capitiJl. - L'école est productive d'une mar-
chandise particulière : la force de travail normalisée : « Pour... faire une
force de travail dans un sens spécial il faut une certaine éducation qui
coûte elle-m~me une somme plus ou moins grande d'équivalent en mar-
chandise. Cette somme varie selon le caractère plus ou moins complexe
du travail» (K., ES., l, l, 175; 23,186).
Ji 1 Politique. - Les programmes de Gotha, puis d'Erfurt, et la Ile Imer-
nationale après Marx abandonnent les positions de classes et se bornent à
réclamer une meilleure école bourgeoise: « Le nouveau régime multipliera
et perfectionnera les écoles... », écrit Kautsky. Après la Révolution
d'Octobre, les bolcheviks veulent une école communiste qui doit lier la
formation polytechnique et communiste (N. Kroupskaïa, De l'Uucation,
Ed. de Moscou, 1958) et s'efforcent de promouvoir de nouvelles pratiques
éducatives (auto-organisation) et pédagogiques (système des complexes,
cf. Pistrak, Les prohlèrnesfondamentaux de l'école du travail, DDB, 1973) .. Sur ce
modèle l'Internationale des Travailleurs de l'Education dénonce l'idéologie et la
pédagogie de l'école bourgeoise et suscite des mouvements de jeunesse
(Pionneers, Sexpol, qui, fondé par W. Reich, n'eut pas l'agrément du
PC allemand). Mais après 1931 la tendance est - en URSS - à l'école éta-
tisée, productiviste et élitiste; tendance qui utilise les ambiguïtés de la
notion de « révolution culturelle» chez Lénine. En Occident, les commu-
nistes se battent désormais pour l'amélioration de l'école bourgeoise :
démocratisation, laïcité, moyens financiers, voire même adaptation aux
nouvelles forces productives.
3 1 Thiorie. - Pour Gramsci, l'école, comme le droit et d'autres insti-
tutions, est un appareil d' « hégémonie » qui « tend à faire disparaître cer-
taines mœurs et attitudes et en diffuser d'autres» (Gr. ils le texle, ES, 566).
Gramsci est le premier marxiste à développer une analyse sociologique minu-
tieuse de l'appareil scolaire; mais il tend à autonomiser l'aspect idéologique
et ne l'articule pas sur le procès du capital. Althusser, par contre, en dési-
gnant l'école comme « l'Appareil Idéologique d'Etat nO 1 » de la bour-
geoisie, insiste sur l'unité organique production-idéologie-politique. Cette
unité est pensée selon les concepts de « qualification » et d' « assujetisse-
ment ». L'école reproduit une force de travail qualifiée; c'est-à-dire:
1) correspondant à un savoir-faire productif; 2) transformant imaginaire-
ment cette qualification technique en qualité individuelle du travailleur;
3) faisant de ce travailleur un « sujet » reconnaissant ses « qualités» comme
siennes et adoptant spontanément sa place dans la division du travail
(Positions, ES, 67 et s.).
ÉCONOMIE POLITIOUE (CRITIOUE DE L') 368
analyse les contradictions n'est pas une réalité « économique ». C'est seulement la
« théorie» économique, ce sont les théoriciens de l'économie qui la repré-
sentent idéologiquement comme « économie ».
4 1 On aboutira à une conclusion analogue en examinant ce que
signifie, corrélativement, la « critique » de la réalité économique, lors-
qu'elle se dégage de l'indistinction initiale. Il s'agit de mettre en évidence
les « contradictions antagonistes» des rapports de production et d'échange.
Ces contradictions - avant tout celles qui se manifestent sous la forme des
crises - ne sont pas des effets contingents ou des formes superficielles de
la réalité économique, qui pourrait exister sans elles (ou en ~tre débarrassée
par des techniques politiques appropriées) : elles constituent bien son
« essence » m~me. Elles n'admettent donc pas de « conciliation », sinon
comme r~ve idéologique. C'est que les conditions sociales de la production
matérielle (<< rapports sociaux de production ») sont en elles-mêmcs des
conditions antagonistes, reposant sur la lutte des classes, qui ne cesse de
les « reproduire» à leur tour. Mais alors il faut rapporter tout l'ensemble
de la structure économique et de ses « lois» (depuis la « loi de la valeur»
jusqu'à la « loi d'accumulation» et la « loi de population ») à l'histoire
des formes de la lutte des classes. Or ces formes sont elles-m~mes prises
dans le procès de transformation en cours de l'état de choses existant,
« destiné à périr ». Ce que l\hrx exprime en définissant finalement les
« lois» de structure de la réalité économique comme des « tendances»
révolutionnaires, plus ou moins efficacement équilibrées par un complexe
de « contre-tendances ». Ainsi la critique matérialiste échappe au relati-
visme auquel conduirait un simple point de vue historique (comme c'est
le cas par exemple chez Stuart Mill, et plus tard chez Max Weber et
dans l'anthropologie sociale contemporaine), sans pour autant recons-
tituer une philosophie de l'histoire universelle.
Ces thèses générales rejoignent l'argumentation portant sur le sens
des catégories fondamentales de travail et de valeur. Pour l'économic
politiquc, la forme valeur des produits du travail est un donné indépas-
sable. Si elle s'interroge sur l' « origine» de cette forme, c'est d'une
façon nécessairement fictive, « métaphysique », en en développant la
genèse idéale à partir de la nature humaine, ou d'une axiomatique, mais
toujours dans la sphère même de l'lchange (d'où sa tendance permanente
aux « robinsonnades » qui mettent en scène la ,( propension à échanger»
de l'homme « primitif »). Pour Marx, ce point de vue élude deux
questions fondamentales :
a) Qu'est-ce que le « travail social» qui détermine la valeur, non seule-
ment quanritativement, mais d'abord en conférant à ses produits la
forme (de) valeur? Toute l'argumentation du Capital est desrinée à montrer
que seul le mode de production capitaliste, en tl'ansformant universel-
lement les moyens de production en « monopole» d'une classe particulière,
slparls de la force de travail, permet de les utiliser comme moyens de
« pomper» du travail humain, indépendamment de toute utilité immédiate
de ce travail (pour le producteur, mais aussi pour le propriétaire des moyens
de production). C'est donc le procès m~me de production de survaleur à
partir du surtravail qui généralise, à l'échelle sociale, la distinction du« travail
concret » et du « travail abstrait », subordonne le premier au second,
et reproduit ainsi en permanence la forme de valeur de tous les produits.
373 tCONOMIE POLITIQUE (CRITIQUE DE L')
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travail, Survaleur, Utilité{Ulilitari.me.
E. B.
Economisme
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Education
AI : Erzitlwng. - An : EJuclÙion. - R : Obrazovani,.
Egalité
AI : G/eitlrJreit. - An : Equa!ilJ!. - R : Ra.tIIts'...
MEW, 20, 99; voir également ibid., 50/17, et Gloses, Gotha, Il, in fine).
Lénine fera sienne cette leçon : « Ce que Marx a combattu le plus,
pendant toute sa vic, ce sont les illusions de la démocratie petite-
bourgeoise et du démocratisme bourgeois. Ce qu'il a raillé le plus, ce
sont les phrases creuses sur la liberté et l'égalité, quand elles voilent la
liberté des ouvriers de mourir de faim, ou l'égalité de l'homme qui vend
sa force de travail avec le bourgeois qui, sur le marché prétendument
libre, achète librement et en toute égalité cette force de travail, etc. »
(0.,29, 199) .
• B18LIOGRAPHŒ. - B. ANDRÉAS, lA Ligul des Communistes, Paris, Aubier, 197~; G. BEN-
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l'idéologie égalitaire, apud Actualité du marxisme, Paris, Anthropos, 198~; A. HELLER, lA
théorie des besoins che~ Marx, Paris, UGE, Cond., 1976: G. LABICA, De l'égalité, Il et III,
apud Dialectiques, nO 6, automne 1974, et nO ~~, hiver 1978: ID., Sur le stotu! marxiste de
la plùlosoph~, Bruxelles, Complexe, 1976, chap. XVII: LÉNINE, O., 2, 140 et s.; 13,249:
~o, 148; ~5, 505; ~8, 261, 265; 29, 341 et s., 538-539: 30, 36, 383, 420; P. LEROUX, De
l'Egalité, Paris, P. Leroux éd., 1848 (rééd.) ; A. PIZZORUSSO, Che cos't l'eguaglÙl1l.(.a, Roma,
Ed. Riuniti, 1983; P.-J. PROUDHON, Qu'est.ce que la propriité?, Paris, G. Flammarion, 1966:
J.-J. ROUSSEAU, Le Contrat social, Il, XI; SAINT.JUST, Pages choisies, Paris, 1947: L. SFEZ,
Le;ons sur Ngalité, Paris, 1984; A. SOBOUL, apud J. DRoz, Histoire glnba1e tbJ socialisme,
Paris, PUF, t. l, 197~, Ir. partie, chap. IV et V: A. de TOCQ.UEVILLE, Egalité sodale et liberté
politique, textes choisis par P. GIBERT, Biblio. sociale, Paris, 1977.
~ CoRRÉLATS. - Babouvisme, Circulation, Communisme, Démocratie, Droit, Echange,
Fétichisme, Fouriérisme, Idéologie, Libertés, Petite bourgeoisie, Proudhonisme, Roman-
tisme, Science, Utopie.
J .-F. C. (participation G. L.)
Emancipation
AI : Emanzipalion. - An : Emandpalion. - R : Emansipacija.
Le terme, de résonance spinozienne (Tractalus polilicus) et de prove-
nance rousseauiste (Du Conlrat social propose, aussi, une théorie de la libé-
ration des « forces propres» de l'homme), est ancré dans la tradition des
Lumières puis inscrit dans l'histoire par les révolutions américaine et,
surtout, française. C'est tout naturellement qu'il servit à nommer un réel
problème politique dans la Rhénanie française, puis prussienne : celui
de l'émancipation des Juifs qui est alors au centre des revendications de
l'opposition libérale. C'est encore à cette « source »-là que s'origine le
marxisme, c'est dans ce paysage, tout au moins, que Marx, comme bien
d'autres dans l'aire germanique, commence à penser la politique.
La Critique du droit politique hégélim (été 1843) conslÎtue le premier
texte où il entame un projet, dont il ne se dessaisira finalement jamais,
de critique de la politique comme linéament de l'émancipation, de sa
quête. L'émancipation y est en effet caractérisée comme émancipatÙJn poli-
tique au terme d'une critique double visant à la fois la philosophie poli-
tique hégélienne et l'Etat semi-féodal prussien, voire plus largement la
république conslÎtutionnelle elle-même. Mais c'est cependant la critique
de cette première critique, telle qu'elle s'opère dans La question juive et
dans l'Introduction de 1843, qui va décisivement lier les destinées du concept
d'émancipation et de celui, vêtement trop vaste, de communisme. L'éman-
cipation « politique » qu'envisageait la Critique du droit politique hégélien
et que continue de promouvoir B. Bauer dans ses deux articles sur la
383 tMANCIPATION
(économie de pensée). Dans son Ana/.)'se des sensations (1885), Mach élabore
une théorie de la connaissance qui tente d'abolir toute séparation entre la
psychologie et la physique en établissant leur unité sur des principes
communs. Selon la réduction phénoménaliste qu'il propose, toutes les
propositions empiriques concernant la connaissance commune ou relatives
à des théories scientifiques sont réductibles en dernier ressort à des énoncés
référés aux sensations; il substitue aux « objets » physiques ou psy-
chiques des « complexes d'éléments de sensations », tels que l'on n'ait
plus à distinguer entre l'intérieur et l'extérieur et à poser le problème
d'une source extérieure des sensations, problème déclaré métaphysique et
superflu. L'empiriocriticisme, conçu comme alternative philosophique au
conflit séculaire opposant idéalisme et matérialisme, ne va pas sans pro-
blèmes réels : au moment même où il combat la réalité des atomes,
Mach admet l'existence des éléments psychiques (substitution du « simple»
psychique au « simple» physique).
Le programme de réduction phénoménaliste n'a été mené à bien ni
par Mach ni par ses successeurs. Sa philosophie, si elle a aidé à renverser
des obstacles épistémologiques tcIs que les absolus newtoniens, faisant
ainsi sentir ses effets en physique comme en philosophie, a été violemment
critiquée, du côté scientifique notamment, par Planck et par Einstein.
Son influence, qui fut importante de son temps, se perçoit encore en
sciences dans la permanence d'un important courant positiviste; en philo-
sophie, la pensée de Mach fut une des sources d'inspiration du Cercle de
Vienne dans les années 20.
On doit mentionner ici, car de nombreux points la rattachent à l'cm-
piriocriticisme, l'école énergétiste, dont Mach faisait également partie,
avee notamment le chimiste Wilhelm Ostwald (1853-1932) et le physicien
et philosophe Pierre Duhem (1861'1916). Au nom des découvertes survenues
en physique dans la deuxième moitié du XIX e siècle - et en premier lieu
la thermodynamique - les savants énergétistes opposaient le concept
d'énergie à celui de matière, et prétendaient dépasser la mécanique newto-
nienne, comme le mécanisme qui en est issu, aussi bien en science qu'en
philosophie. Ils cherchaient dans la théorie énergétique un substitut à la
mécanique comme théorie générale de l'univers. « L'énergie s'affirme de
plus en plus comme une réalité tandis que les droits de la matière s'étei-
gnent »; « Il est impossible de définir les concepts de lumière ou d'électricité
par celui de Matière, car on leur reconnaît un caractère immatériel, mais
on peut les définir au moyen de l'Energie, car la lumière et l'électricité
sont des modes ou facteurs de l'énergie» (Ostwald). L'énergétisme est une
doctrine positiviste car elle se réfère essentiellement à ce caractère de
l'énergie d'être une quantité expérimentale. Les énergétistes niaient la
réalité des atomes. En fait, pour Ostwald, l'énergie est une substance qui
remplace la matière et en ce sens il n'est pas si éloigné d'un matérialisme.
L'influence de ce courant de pensée fut extrêmement forte à la fin du siècle
dernier.
En 1909, Lénine publie Matérialisme et empiriocriticisme, intervention
politico-philosophique contre le courant des « bolchevistes de gauche »,
principalement représentés par Alexandre Bogdanov. Bogdanov pense
pouvoir renouveler la philosophie marxiste en rapport avec la transforma-
tion des sciences physiques survenue depuis l'élaboration du matérialisme
dialectique par Marx et Engels. Les exigences philosophiques de la science
EMPIRIOCRITICISME 386
Raymond J. SEEGER, eds, Emst Mach physicisl and philosoplut, Dordrecht, Roide!, '970;
Hermann von HELMHOLTZ, Epislemologieal writings, Dordrecht, Reide!, 1977; Dominique
LECOURT, Une crise el son enjeu, Paris, Maspero, 1973; Vladimir I. LÉNINE, Malirialisme el
empiriocriticisme (1908), O., 14; Ernst MACH, lA ""conique (,883), Paris, Hermann, '9°4;
ID., L'analyse des sensations (,885), Paris; ID., lA connaissance el l'erreur ('9°5), Paris, Ig08
(00. critique en anglais, Knowledge and mOT, Dordrecht, Reidcl, '976); Wilhelm OSTWALD,
L'lntTgÎt, Paris, Alcan, 1910; ID., Esquisse d'une philosophie dts sciences, Alean, Paris, '9' 1;
ID., Fondements lnergltiques d'une science dt la civilisation, Paris, Giard & Brière, 1910; Abel REy,
L'inergilique el la ""conique au poinl de vue dt la philosophie de la connaissance ('907), Paris,
Flammarion, '927.
~ CORRÉLATS. - Concept, Connaissance, Crises du marxisme. Matérialisme, Otzovisme,
Philosophie, Léninisme, Marxisme, Solipsisme.
M. P.
Emulation
Al : Wltl6ewnb. - An : Emulalion. - R : So"""ovanie.
Engelsianisme
AI : Eng,uill1lÜmus. - An : Engtuianism. - R : Ué,.i, Engels••
Epuration
AI : ~. l/';niflUlI. - An : PuT", - R : ëis/Ù.
Voir: Parti.
Esclavage
Al : Sihw"i. - An : st-ry. - R : /ùbs"".
Bien que Marx n'ait jamais élaboré une théorie particulière de l'escla-
vage, ce mode d'exploitation est souvent évoqué dans Le Capital. Au
xrx e siècle, l'esclavage constitue une donnée d'actualité; la dénonciation de
la surexploitation pratiquée par les planteurs américains est un acte poli-
tique essentiel dans le combat émancipateur de l'auteur du Manifeste.
Le regard porté sur l'esclavage dans Le Capital est cependant rétros-
pectif. Il s'agit le plus souvent de comparer la condition du salarié à celle
des travailleurs appartenant à des modes de production antérieurs (serfs,
esclaves, producteurs en communauté). Marx fait ainsi apparaître la
spécificité du mode d'appropriation de la force de travail dans le système
capitaliste où celle-ci se présente comme valeur du travail ou salaire. Le
thème de l'esclavage est d'autre part abordé dans l'étude des formes primi-
tives du capital, à propos de l'existence dès l'Antiquité d'un capital mar-
chand. Dans deux textes antérieurs au Capital, Marx situe l'esclavagisme
dans l'évolution des formes de propriété. L'idéologie alternaI/de présente cette
oppression comme contemporaine de la forme tribale et se prolongeant
dans la forme communale propre à l'Antiquité. Les Grul/drisse nOliS livrent
des indications plus heuristiques: d'abord « l'esclavage, le servage, etc.,
sont toujours des états secondaires, jamais des états primitifs» (ES, J, 430 ;
Dietz, 392). Ce mode d'exploitation apparaît dans un contexte où l'homme
n'est pas encore séparé des conditions naturelles. En conséquence l'esclave
« est placé au rang des autres êtres naturels en tant que condition inorga-
nique de la production, à côté du bétail et comme appendice de la terre»
(ibid., 426; 389).
La caractéristique de l'esclavage, c'est que le travailleur a le statut de
moyen de production. En ce sens il se distingue à la fois du serf et du
producteur salarié: le premier est certes un travailleur non libre adscriptus
glebae, mais qui est maître de ses moyens de producrion, alors que
« l'esclave ne travaille pas de façon indépendante mais avec les moyens de
production appartenant à autrui » (K., 3, 3, r 7 r ; MEW, 25, 799). Le second
est un travailleur séparé des moyens de production, mais libre de vendre
sa force de travail qui, de droit, lui appartient. Cette différence est clai-
rement indiquée dans Le Capital: « Le système capitaliste se distingue du
mode de production fondé sur l'esclavage en ceci notamment que la valeur
(ou le prix) de la force de travail s'y présente comme la valeur (ou le prix)
du travail lui-même, comme salaire» (K., 3, r, St ; 25,41).
Dans ses formes les plus modernes (l'esclavage de plantation), comme
dans la Grèce archaïque, l'esclavage est toujours la marchandise d'autrui.
L'économie esclavagiste suppose l'existence d'un marché, « l'association
permanente de l'esclavage avec un appareil destiné au transfert organisé
d'individus depuis les zones productrices d'êtres humains vers les zones
consommatrices» (Meillassoux, Lel/re sur l'esclavage, Dialectiques, 21, 145).
ESPRIT DE PARTI 392
Esprit de parti
Al : Parlcilichktil. - An : Party spirit. - R : Partijnost'.
en parti politique» pour faire face aux autres classes. Ils assurent, s'agissant
des « idéologues bourgeois », aussi bien que des « classes moyennes », que
rien ne les emp~che de « s'élever jusqu'à l'intelligence théorique de
l'ensemble du mouvement historique », autrement dit d'abandonner leur
propre point de vue « pour se placer à celui du prolétariat». Car l'originalité
de la notion tient à ce qu'elle affirme la complète coïncidence de l'attitude
de classe et de la démarche scientifique. L'atteste, par-dessus tout, Le Capital,
ce missile lancé à la t~te de la bourgeoisie, selon les propres paroles de Marx.
Ce que retient Josef Dietzgen, quand il adresse à Marx ce compliment véri·
tablement inouï: « Vous avez bien mérité de la science et tout parti-
culièrement de la classe ouvrière» (L. du 7 nov. 1867, apud LK, Paris, ES,
1971, p. 77). Marx lui-même n'avait-il pas écrit, quelques mois plus tôt,
à L. Buchner: « ... la confiance que je mets en vous, en tant qu'homme de
science et homme de parti» (L. du 1er mai 1867; IdEW, 31, 544)? Et
Unine s'en fait l'exact écho: « Marx et Engels furent en philosophie, du
commencement à la fin, des hommes de parti» (Id et E, O., 14, 353). Dès
l'un de ses premiers ouvrages, il confère à l'esprit de parti la valeur d'un
opérateur théorico-politique : « Le matérialisme suppose en quelque sorte
l'esprit de parti; il nous oblige dans toute appréciation d'un événement
à nous en tenir ouvertement et sans équivoque au point de vue d'un
groupe social déterminé» (o., 1,433). Pour Lénine, la fonction de l'esprit
de parti est double. D'une part, il permet « l'analyse d'une situation
historique déterminée» (o., 15, 162). D'autre part, et en retour, il impose
de développer la conscience politique dans les masses (o., 16, 59). Mais
cela suppose l'existence d'un parti et de militants formés à remplir une
telle tâche. L'équation sciencefmatérialisrnefrévolutionfprolétariat sollicite
ainsi un cinquième terme qui l'institutionnalise - le parti. Or, du même
coup, l'esprit de parti se charge d'ambiguïté en ce qu'il ne renvoie à la
classe que par le canal de sa représentation et de sa délégation dans une
organisation. Intervenir donc, en matière de politique, d'économie, de
philosophie, d'art ou de littérature, sera, comme on le voit clairement
chez Lénine, l'affaire du parti; lequel, par hypothèse, agit au nom et au
service des intér~ts de la classe (de la science, de la révolution), en tant
que son avant-garde qui dirige les masses. Et, sauf à admettre qu'il a toujours
raison (voir infra), il faudra bien, dans les faits cette fois, convenir qu'il
peut se méprendre ou même, en s'érigeant en sujet autonome, confondre
ses propres intérêts avec ceux de la classe.
3 1 Il est donc un usage pathologique du concept. Durant la période
stalinienne, en particulier avec la théorie élaborée par Jdanov de la « prise
de parti en philosophie », on atteint un point d'extrême simplification.
L'opposition idéalisme-matérialisme ~t durcie dans l'affrontement transhis-
torique et manichéen d'une idéologie par essence réactionnaire et d'une
idéologie par essence progressiste. Il est vrai que telle thèse de Lénine
avait préparé ce glissement; par exemple, quand il écrivait, dans ltJaté-
rialisme et empiriocriticisme: « L'indépendance à l'égard de tout parti n'est
en philosophie que servilité misérablement camouflée à l'égard de l'idéa-
lisme et du fidéisme» (o., 14, 370). Sur cette voie, on ira beaucoup plus
loin encore, jusqu'à l'entière confiscation de la classe (de la science de la
révolution) par le parti, jusqu'à l'identification de ce dernier avec son
appareil, sa direction et enfin la personne du Secrétaire général. Le
parti détient, proclame et dispense la vérÎlé sur tout. Il est la loi que
ESSENCE 394
G. L.
Essence
Al : W"m. - An : &lmee. - R : SuIl!nDsl'.
Esthétique
AI : Aslh"iJ;. - An : EJlh"ùs. - R : Élltlik••
roman, mais non la poésie, la peinture et la musique, car elles usent des
mots, des couleurs, des sons, comme choses et non comme signifiants. Mais
Eluard et Maiakovski ne furent-ils pas des « poètes engagés» au même titre
que Gide ou Zola? Il faudra attendre les essais de G. Lukacs en Hongrie,
de P. Matvejevic en Yougoslavie, d'Ho Gallas en Allemagne, pour que la
question soit à nouveau posée avec rigueur.
:3 1 Rapports entre l'art et la réalité
La cité grecque et son harmonie, l'art grec et sa beauté intemporelle
ne s'expliquent pour Hegel que par l'incarnation dans l'histoire d'une
certaine figure de l'Esprit. C'est à travers l'Art, avant la religion et la
philosophie, que l'homme parvient à saisir l'Absolu de manière encore
confuse, allant de l'art symbolique vers l'art classique, puis vers l'art
romantique.
Marx, dans la perspective du matérialisme historique et dialectique,
montrera comment l'œuvre est, non pas l'incarnation d'une figure de
l'Esprit (Hegel), de « formes intemporelles » (esthétique classique
jusqu'à Malraux), mais l'expression d'un certain univers culturel, social,
politique et historique. L'art s'inscrit parmi les superstructures, mais
de manière singulière. Il ne reflète pas mécaniquement les infrastructures.
Il y a même souvent un décalage entre l'art et les infrastructures. Marx
reconnaît que l'art grec, par sa beauté, transcende l'esclavage antique.
Les avant-gardes des années 20 ne furent pas suivies forcément de révo-
lutions, mais de contre-révolutions. Aussi la question du rapport de l'art
et de la réalité suscitera-t-elle d'abondantes controverses.
Le premier à l'affronter fut N. Tchernychevski dans sa célèbre thèse
sur les Rapports esthétiques entre l'art et la réalité (1855), puis son Essai sur
la période gogolienne de la littérature russe. Refusant la définition hégélienne
du beau comme « ce qui est conforme à son essenee » - un énorme
crapaud, remarque Tchernychevski, est conforme à son essence, mais
nullement « beau» - il affirmera que « le beau c'est la vie ». Tcherny-
chevski fut l'un des premiers critiques russes à tenter, à partir de l'esthé-
tique hégélienne, une discussion précise du rapport entre les critères
esthétiques et les classes sociales. G. Plekhanov, traducteur de Marx en
russe, accordera aussi dans ses essais plùlosophiques et politiques, une
grande place à la question du rapport entre l'art et la réalité. Dans L'art,
miroir de la vie sociale, il popularisera ce concept de « miroir» par la suite
abandonné par Lénine qui lui préférera celui de reflet (Matérialisme et Empi-
riocriticisme, Ig08). L'application de la catégorie du reflet à l'esthétique sera
aussi riche de contresens. L'idée que l'art doit « refléter » la réalité,
que l'on trouvera au cœur de toutes les discussions sur le réalisme socialiste
n'est pas léniniste. La position de Lénine est beaucoup plus complexe et
subtile comme le montrent par exemple ses six articles sur Tolstoi (lg08-
1g II), où il reconnaît que l'idée de reflet implique aussi celle de contradic-
tions. La complexité de cette théorie du reflet chez Lénine sera outrageu-
sement simplifiée dans la plupart des discussions de l'époque stalinienne sur
l'esthétique et sera utilisée, comme son article sur la littérature de parti,
en un sens limitateur, stérile et répressif.
La lutte contre les aberrations de l'approche marxiste de l'esthétique
de l'époque stalinienne suscitera en France et en Autriche un certain nombre
de travaux (R. Garaudy, E. Fischer) qui en prendront souvent le contre-
401 ESTHtTIQUE
pied, sans permettre pour autant - surtout dans le cas des essais de
Garaudy - une approche plus rigoureuse du problème. Georg Lukacs
s'efforcera dans sa grande Esthétique de reprendre l'ensemble de ces
questions d'une manière nouvelle en réfléchissant sur le concept de reflet
et de mimésis. Si l'œuvre d'art n'est ni l'imitation (Platon), ni le « reflet»
de la réalité, elle doit s'efforcer de présenter une certaine « totalité dialec-
tique » des rapports sociaux puisque la totalité est la catégorie centrale
du marxisme. Aussi pour lui le seul style révolutionnaire et conséquent
sera le « réalisme critique» (Balzac, Tolstoï). Cette conception l'amènera
fatalement à méconnaître la richesse des tentatives artistiques des années 20-
30, à condamner leurs procédés expérimentaux, et à ignorer la plupart
des œuvres importantes de l'art et de la littérature moderne. Ernst
Bloch insistera dans toute son œuvre, en particulier dans L'esprit de
l'utopie, sur la dimension utopique et non seulement critique de l'œuvre
d'art. Th. Adorno et Herbert Marcuse verront aussi en elle une promesse
de liberté à réaliser dans un monde aliéné.
4 1Art révolutionnaire, art prolétarien, culture prolétarienne
L'apparition entre 1900 et 1930 d'un grand nombre de courants
artistiques qualifiés « d'avant-gardes », la volonté de beaucoup de ces
artistes de « mettre l'art au service de la révolution », de « rejoindre le
prolétariat» entraîneront une nouvelle série d'ambiguïtés qui susciteront
de nombreux débats dans la critique marxiste. Les deux plus importants
s'articuleront autour de la notion d' « avant-garde artistique révolution-
naire » et d' « art prolétarien ».
Le terme d'avant-garde est emprunté au vocabulaire militaire qui
l'utilise depuis le XIIe siècle. Il fut introduit dans celui de l'esthétique autour
de 1820 dans les milieux saint-simoniens qui affirment que l'art doit être à
l' « avant-garde» de la société. Un glissement de sens aboutira ensuite à
faire de l'art une « avant-garde ». La rencontre entre les « avant-gardes»
russes et la révolution bolchevique, l'adhésion de leurs plus grands
représentants à l'enthousiasme de la Révolution d'Octobre amèneront à
considérer que l'avant-garde artistique et l'avant-garde révolutionnaire vont
de pair. Si cela s'est produit en URSS pendant une dizaine d'années, on
constate que l'idéologie de la plupart des autres courants dits d'avant-
garde : « expressionnisme », « nouvelle objectivité », « surréalisme »,
« dadaïsme », « futurisme », était souvent très floue et que le Futurisme
italien par exemple, mouvement d' « avant-garde» sur le plan artistique,
se ralliera au fascisme. Al~jourd'hui le terme d' « avant-garde» mérite d'être
abandonné par la critique marxiste car il ne signifie plus rien. Nul ne
songerait sérieusement à identifier« révolutionnaire» en art et« révolution-
naire » au sens politique. Enfin, le décalage entre les aspirations esthétiques
des « avant-gardes », même les plus politisées, et celles du prolétariat ne
seront pas sans susciter de nombreux problèmes lors de la réception par
les ouvriers soviétiques par exemple des œuvres des années 20 : une
sculpture cubo-futuriste de Marx ou de Bakounine faisant figure de provo-
cation et d'insulte à l'égard de ce qu'elle voulait représenter. La prudence
du Parti bolchevique, à cette époque, consistera à laisser se développer
librement ces mouvements d'avant-garde en évitant qu'ils s'entre-déchirent
et qu'un seul puisse se prétendre « art officiel », « art de parti» ou « art
révolutionnaire ».
ESTHtTlQUE 402
garda bien d'imposer les goûts qui le poussaient vers le réalisme, une iden-
tification s'effectua rapidement entre « littérature progressiste» et « litté·
rature réaliste ». Si tous les styles purent se développer librement dans les
années 20 - du cubo-futurisme au « réalisme prolétarien », ce dernier style
aura tendance à se généraliser avec la VAPP et la RAPP et il faudra
attendre 1934 pour voir le mot « réalisme socialiste» consacré par Gorki.
S'il ne désigne alors qu'un style parmi d'autres de réalismes - Maiakowski
lui-même se considérait comme « réaliste », il allait donner naissance, à
l'époque stalinienne, à un style de plus en plus schématique, le « réalisme
socialiste », qui consistait à développer systématiquement l' « esprit de
parti » dans la littérature : le romancier se devait de décrire la réalité
soviétique dans la perspective héroïque de la construction du socialisme,
en multipliant les évocations optimistes et les portraits de « héros positifs ».
Ce style, étranger à Marx comme à Lénine, imposé à tous les secteurs de
la vie artistique, conduira bien vite à les stériliser (disparition des courants
abstraits, disgrâce de V. Meyerhold, réhabilitation de Stanislavski, condam-
nation d'Eisenstein, élimination d'un grand nombre d'écrivains). Il
faudra attendre le XXe Congrès du Parti communiste de l'URSS pour qu'il
soit condamné comme dogme, laissant la parole à une nouvelle génération,
celle du Degel d'IIya Ehrenbourg, mais aussi des poèmes d'Evtouchenko et
de Voznessenski. En Europe, des critiques analogues seront menées par
Miroslav Karleja en Yougoslavie, Tibor Dery en Hongrie, E. Fischer en
Autriche, R. Garaudy en France (D'un réalisme sans rivages).
Georg Lukâcs, le plus important esthéticien marxiste d'origine hongroise,
n'en continuera pas moins à combattre toutes les tentatives « formelles»
des années 20 - théâtre anti-aristotélicien de Brecht, roman prolétarien
de E. Ottwalt ou de Willi Brede), mais aussi l'Expressionnisme. Ces affron-
tements qui eurent d'abord comme organe la rcvue Linkskurve (organe
du BPRS, association des écrivains prolétariens révolutionnaires) conduiront
à la grande polémique de la revue Dos Wort (1937-1938) sur l'expression-
nisme et l'avant-garde allemande. Née d'une discussion sur le ralliement
du pœte Gottfried Benn au national-socialisme, elle opposa partisans
et adversaires de l'avant-garde allemande des années 20 - en particulier
de l'Expressionnisme. La qualité des participants - écrivains, esthéticiens,
artistes antifascistes en exil parmi lesquels G. Lukacs, Anna Seghers,
A. Kurella, E. Bloch - font de cette polémique théorique l'un des grands
moments de la réflexion marxiste sur l'esthétique : elle enveloppe non seule-
ment la question de l'avant-garde, de l'irrationnel, du formalisme, du classi-
cisme, de l'héritage, de l'attitude par rapport aux classiques mais aussi
l'opposition entre « réalisme» et « formalisme» qui sera abordée dans la
dernière étape de cette polémique par une critique systématique des essais
de Lukâcs par Brecht.
Toute la période qui suivra le XXe Congrès du Parti communiste de
l'URSS donnera naissance à une série de tentatives de définir de nouveaux
styles réalistes étrangers aux dogmes du réalisme socialiste. Georg Lukâcs,
pour sa part, s'il condamna les tentatives« formalistes », «avant-gardistes»,
« expérimentales» des années 20-30 n'adhéra jamais au réalisme socialiste
(Signification prlsente du rlalisme critique) et continuera à défendre un ccrtain
style réaliste critique issu de Balzac, qui lui fit rejeter la plupart des
grands auteurs contemporains (Proust, Kafka, Beckett, Faulkner, etc.)
ct célébrer Thomas :ll.lann comme le plus progressiste des « écrivains bour-
ESTHI!TIQUE 404
J.-M. P.
Etatisation
AI : YmlUJlùltunl. - An : S"'II OU'fltrSlrip. - R : Opsuti."tvlioani,.
ils s'exercent dans les limites que leur imposent désormais des rapports de
production transformés par l'existence de la propriété d'Etat. L'importance
de cette transformation est évidemment très dépendante de la nature de
classe de l'Etat.
~ CoRR2LAT. - Etatisme, Etat soviétique, Nationalisation.
L. C.
Etatisme
AI : EtaIUmUJ. - An : Sl4tism. - R : El4tizm.
nement de l'Etat bourgeois. Mais c'est elle qui requiert une pratique
politique spéciale destinée à le briser et incarnée pour Marx dans la
Commune (ibid.). La démocratie directe communaliste apparaît comme une
politique anti-étatiste des producteurs.
L'id/ologie allemande avait au contraire donné naissance à une véritable
théorie générale de l'Etat, comme incarnation illusoire de la communauté
sociale. Dans une société aliénée marquée par l'affrontement des intér!ts
particuliers, l'intér!t commun prend nécessairement la forme extérieure et
illusoire d'un intérêt général incarné par l'Etat qui refrène lcs intérêts
particuliers (62; MEW, 3, 33). L'Etat est donc le résultat de l'aliénation
de la société, une projection de l'intérêt commun hors de celle-ci. Dans sa
régulation des intérêts privés, il fait valoir l'intérêt de la classe écono-
miquement dominante comme intérêt général; il devient l'organe de
domination d'une classe (ibid., 105; 61). Misère de la philosophie résumera
ce double mécanisme de projection et de condensation de la société en
définissant l'Etat comme « le résumé officiel de l'antagonisme dans la
société civile» (MPh, infine),
Cette théorie générale ne disparaît pas dans l'œuvre ultérieure. Le
Capital définit encore l'Etat comme « la force concentrée et organisée de
la société» (K, l, 3, 193; MEW, 23, 779). L'Anti-Düllring fait de l'Etat un
représentant aliéné de la société (AD, 319; MEW, 20, 259 et s.), avec cette
conséquence : quand l'aliénation, liée à la scission en classes, disparaît,
l'Etat, devenu véritable représentant de la société, s'éteint spontanément:
« Quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société,
il se rend lui-même superflu. » En même temps disparaît la politique
remplacée par l'administration des choses. C'est cette théorie générale qui
induit dans le marxisme des effets étatistes. Si l'Etat est une communauté
aliénée consubstantielle à la politique, il suffit pour faire disparaître
l'aliénation de retirer à ses fonctions leur caractère politique en les trans-
formant en fonctions administratives (Notes sur Etatisme et anarchie, in
Socialisme libertaire ou autoritaire, Paris, 1975, t. 2, 379). Cette vision du
communisme comme au-delà de la politique induit une contradiction
entre le but révolutionnaire, non poliIique, et les moyens utilisés, qui le
restent. Une fois coupés du but, il est douteux que les moyens employés
disparaissent, car la politique du prolétariat ne peut plus être qu'étatique.
Il s'organise dans l'Etat en classe dominante (MPC, II), et ce dernier, centre
de la socialisation de l'économie, reste forcément « la force organisée de la
société ». Le dépérissement est renvoyé à une date non précisée, après
l'affranchissement total du prolétariat, finalement impuissant à dépasser
la politique bourgeoise. Marx annule sa découverte de la démocratie
directe comme bris de l'Etat. Engels finira par lui tourner le dos, et par
rétablir les droits de la démocratie représentative dans la Critique du
programme d'Erfurt. Il en va ainsi parce que Marx a accepté les pré-
supposés de Bakounine : l'assimilation de la politique à l'étatique et au
pouvoir. Mais c'est là, contrairement aux réquisits anarchistes, ce qui
reproduit l'étatisme dans le marxisme, dans la mesure où la classe
ouvrière, pour s'emparer d'une machine d'Etat qui structure et domine la
société, ne peut se passer d'une action politique générale.
1/ 1Les théoriciens de la Ile Internationale assurent le triomphe de la
théorie générale et de ses ambiguïtés. Dès 1893, Kautsky rejette la
démocratie directe de la Commune dans Parlementarisme et socialisme
tTATISME 408
t. 31 ; Les tâtw immtdÎIJüs du poUJJoir dts souùts, t. 27; Sur l'infa,"i/isrne dt gaucr"" ibid.; Brouillon
du projet de programm" ibitf.; Rapport sur le programme tfu Parti au VIlle Congrès, t. 29; Notes
d'un publiciste, t. 30; Discours à la conflrtnee tfts tiir«tions de r,nseigntmtn/ politÙJue, t. 31; Les
discours au Ile Congrès, t, 33; Le Cakier bleu, Bruxelles, 1977; POULANTZAS, L'Etat, le poUL'Oir,
u socialisme, Paris, 1978; SOREL, Rlf/txions sur la uü>ltnee, réimpr., Paris, 1972; STALINE, Les
qutstionsdu IInÏtlisme (textes jusqu'en 1939), Pékin, 1977; Tex/es choisis, Paris, 1983; Marxisme
e/ questions dt la linguistÙJue est traduit dans Les mai/res dt la langue, ouvr. coll., Paris, 1979.
~ CORRÉLATS. - Aliénalion, Anarchisme, Bakouninisme, Bureaucratie, Commune,
Communisme, Conseils, les art. Démocratie, Dépérissement de l'Etat, Dictature du pro-
létariat, Etat/Société civile, Etat soviétique, Jacobinisme, Lassallisme, Orthodoxie, Par-
lement, Pluralisme, Socialisation, Socialisme, Soviet, Totalitarisme.
J. R.
La liaison opérée ici entre Etat et rapport salarial est justifiée par
l'idée que l'Etat dont il va être question est celui du capitalisme et non
pas celui de formations pré- ou non capitalistes. Dès lors son principe de
compréhension comme son rôle sont à rechercher du côté du travail
salarié, comme l'indiquent l'entrée obligée dans le salariat, la gestion
qualifiée d'étatique de la force du travail ou le caractère lui aussi
étatique de la soumission salariale.
Dans le cadre de cette relation principale toutefois, on observe plu-
sieurs façons de concevoir le rapport salarial, c'est-à-dire la contrainte au
travail salarié, et par ricochet, plusieurs façons d'appréhender l'Etat
dans le capitalisme. Différentes approches, qui ont toutes Marx comme point
de départ, mais se prolongent ensuite de façon plus ou moins hétérodoxe
par rapport à lui :
- Une première conception de l'Etat, classique dans le marxisme,
consiste à partir de la notion de force de travail comme marchandise
particulière, et à penser le rapport salarial comme un rapport marchand,
ou encore un rapport d'échange entre équivalents. Le rapport salarial
est alors décrit comme un rapport d'achat-vente d'une marchandise, la
force de travail, que le salaire (direct) rémunère à sa valeur (quotidielUle).
Quant à l'Etat, dans cette problématique, il est introduit en second, comme
adjuvant au processus d'accumulation et son rôle consiste soit à consolider
l'entrée obligée dans le salariat (cf. Marx et le rôle de la législation
sanguinaire), soit, plus généralement, à atténuer les contradictions qui
opposent la mise en valeur du capital privé et les besoins de reproduction
de la force de travail.
S'inscrivent dans cette perspective de la reproduction sociale les
analyses contemporaines de la gestion étatique de la force de travail
(S. de Brunhoff), de la socialisation du salaire (A. Capian) et de la régu-
lation (R. Boyer, A. Lipietz). La montée du salaire indirect, caractère
essentiel du rapport salarial aujourd'hui, est ainsi présentée comme l'expres-
sion d'une prise en charge progressive par l'Etat de tout rôle requis par le
fonctionnement du système, de toute exigence dc la reproduction sociale.
Ce n'est pas sous-estimer l'apport fondamental de ces analyses que
d'en souligner deux limites, qui expliquent le développement d'une démarche
plus hétérodoxe. La première est qu'il ne suffit pas de constater la nécessité
tTAT/RAPPORT SALARIAL 412
la nécessité d'un regard de l'Etat sur les mœurs de la société civile, dit
Marx. Car « il n'a rien fait d'autre que de développer la morale de
l'Etat moderne et du droit privé moderne. On a voulu séparer davantage
la morale de l'Etat, l'émanciper davantage. Qu'a-t-on prouvé par là? Que
la séparation de l'Etat d'aujourd'hui d'avec la morale est morale, que la
morale n'est pas chose d'Etat et que l'Etat est immoral. C'est tout au
contraire un grand mérite de Hegel, encore qu'à un certain point de vue
inconscient (celui qui consiste à faire passer pour l'Idée réelle de la vie
éthique l'Etat qui a une telle morale pour sa présupposition), que d'avoir
assigné sa vraie place à la morale moderne» (Cripol., 169-170; MEW,
l, 313).
Et l'on remarquera que c'est en des termes hégéliens que Marx lui-
même fait sa Critique. Ainsi le concept de classe n'apparaît-il pas encore ici.
Mais, précisément, l'appropriation de mots tels que société civile bourgeoise
peut être considérée comme la médiation vers de tels concepts.
3 1187 1 : L'Etat est la machine qui sauve la domination d'ulle classe. - Cepen-
dant la Commune va apprendre à Marx que « la classe ouvrière ne peut
pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'Etat et de la faire
fonctionner pour son propre compte» (MPC, Préface de 1872; MEW, 4, 574).
Et c'est un tout nouveau concept de l'Etat que l'on peut former à partir
de cette citation, par l'auteur lui-même, de la Guerre civile en FrallCe
(OCF, Adresse, m). Car ainsi, le pouvoir politique n'est plus une classe en
sa domination mais un instrument que cette classe adapte aux fins de sa
domination, un instrument qui a donc bien d'abord une existence séparée
d'elle. Comme le précisera L'origine de la famille, de la propriété privée et de
l'Etat, il ne naît pas d'une classe particulière mais de la nécessité pour une
société de classes de régler les rapports des forces qui la divisent. Cette
société, en effet, quand elle a rompu l'organisation fondée sur les liens
417 tTA TISOCltTt CIVILE
naturels qui était la sienne (organisation gentilice), pour donner libre cours
aux rapports strictement sociaux que son nouveau mode de production
engendrait et exigeait, s'est donné une forme qu'elle ne peut contenir
d'elle-même. Et pour diriger vers la seule production ces forces qui tendent
à s'annuler en une conflagration générale, il lui a fallu se créer, « au-dessus
d'elle », une autorité dont la loi ne pût être matière à dispute. L'Etat est
cette autorité. Il est, dit Engels, « un produit de la société à un stade
déterminé de son développement; il est l'aveu que cette société s'empêtre
dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en
oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Mais pour que
les antagonistes, les classes aux intérêts opposés, ne se consument pas,
elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui,
placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le main-
tenir dans les limites de l' « ordre »; et ce pouvoir, né de la société, mais
qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est
l'Etat» (Oifa., ES, 156; MEW, 21, 165). Or chaque classe n'ayant pas le
même intérêt à pareille économie générale de la société, c'est en premier
chef à la faire admettre à celle qui pourrait la juger contre nature que l'Etat
servira, celui-ci sera, par conséquent, « dans la règle l'Etat de la classe
la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui,
grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante ct acquiert ainsi
de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée »
(ibid., 157; 167).
Soulignons ce changement important par rapport à la définition
antérieure: ce n'est pas un Etat qui fait d'une classe la classe dominante,
l'Etat n'est que l'auxiliaire politique de la domination économique, domi-
nation dont il montre l'insuffisance pour la mainmise durable d'une classe
sur l'ensemble de la société. Aucune classe ne saurait en effet compter sur la
reconnaissance par l'autre d'une supériorité qui n'est, encore une fois,
qu'un fait social; l'Etat sera donc la force qui rendra à l'évidence de cette
soumission, et ce, sans cesse plus clairement à mesure que la conscience de
son illégitimité se fait jour. « Après chaque révolution, qui marque un
progrès dans la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir
d'Etat apparaît de façon de plus en plus ouverte », dit Marx (CGF,
Adresse, nI, initia).
L'Etat, ce n'est donc pas des membres d'une classe détachés à l'admi-
nistration des intérêts de celle-ci ou ayant reçu pouvoir d'elle à cet effet;
ce n'est pas un ensemble d'individus organisant leur pouvoir mais un
ensemble d' « organes» propres au pouvoir d'une classe. Organisé autre-
ment selon la classe qu'il sert, il n'est par suite utilisable « tcl quel »
que par ceHe classe exclusivement. Ce n'est pas une machine de domination
qui fonctionnerait de la même façon, indifféremment selon que ce seraient
tels ou tels hommes qui la contrôleraient, c'est une machine qui, selon sa
disposition particulière, produit tel ou tel type de domination : bourgeoise,
prolétarienne, etc. L'Etat bourgeois, notamment, n'est donc pas l'Etat
des bourgeois, soit un instrument au moyen duquel ces hommes, après
d'autres, imprimeraient à présent sur la société civile leur qualité de bour-
geois, c'est une fabrication qui porte elle-même le label de la classe
« bourgeoise ». Aussi peut-on le reconnaître à sa seule forme, indépendam-
ment des appellations politiques de ses gouvernants (Thiers lui-même ne
se disait-il pas « du parti de la révolution ») : c'est « le pouvoir
tTAT/SOCIÉTÉ CIVILE 418
4 1Lénine : Un Etat qui soit déjà un non-Etat. - Telle est bien selon
Lénine « la principale leçon du marxisme sur les tâches du prolétariat à
l'égard de l'Etat au cours de la révolution» : « La classe ouvrière doit
briser, démolir la « machine de l'Etat toute prête », et ne pas se borner à en
prendre possession» (ER, O., 25, 439). Non qu'il faille tenter de supprimer
« d'emblée, partout et complètement» cette « machine bureaucratique et
militaire» dont le prolétariat a lui-même besoin pour réprimer les menées
de ses oppresseurs (ibid., 449); mais il s'agit d'instituer « une démocratie
simplement plus complète» en supprimant l'armée permanente et cn ren-
dant éligibles et révocables « tous les fonctionnaires sans exception ». « Or,
en réalité, ce « simplement» représente une œuvre gigantesque: le rempla-
cement d'institutions par d'autres, foncièrement différentes» (ibid., 453).
C'est là, remarque Lénine (qui se rappelle ici ce qu'il considère
comme le principal enseignement de Hegel), « un cas de transformation
de la quantité en qualité» : sa fonction étant exercée différemment (ct
non seulement par d'autres hommes), c'est en son essence même que
l'Etat se trouve changé. En fait, quand la démocratie, de bourgeoise qu'elle
était, se fait prolétarienne et devient réellement l'affaire du plus grand
nombre, elle cesse de n'être que l'instrument le plus efficace de la domi-
nation d'une classe pour se transformer « en quelque chose qui n'est plus,
à proprement parler, l'Etat » (ibid.). Réciproquement : un pouvoir
exercé par une majorité de plus en plus grande, et ce, de plus en plus
directement, ne peut plus être appelé « pouvoir spécial de répression ».
Car un tel pouvoir tend, de la sorte, à s'incarner dans la classe numérique-
ment dominante elle-même (laquelle élimine progressivement le système des
représentants en confiant aux producteurs l'organisation de la société civile),
pour réaliser alors effectivement la formule du lvlanifeste : « Un
prolétariat organisé en classe dominante » (ibid., 499). - Toutefois,
c'est à la lumière de La guerre civile en France que Lénine relit ce texte, et
le sens en est donc profondément modifié. Ce n'est pas par son origine
que l'Etat s'identifie à la classe dominante, mais par un long processus
419 tTATISOCltTt CIVILE
Etat soviétique
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R. Z.
Eurocommunisme
Al : E....k<>mnwnÎJmus. - An : Euroc.mmunism. - R : E.,..kommuni:m.
D'où surtout l'impact profond des mouvements sociaux qui s'cn sont pris
à des formes d'oppression de sexe, d'Etat ou de développement irréduc-
tibles aux antagonistes de classe et renouvelant l'approche du socialisme.
Bref le développement d'un marxisme critique et posùéniniste est au cœur
de tous ces travaux qui ont connu une audience internationale à la faveur
du développement eurocommuniste et de l'intérêt pour Gramsci.
Une telle diversité n'a pas épargné non plus les différents partis. Car si en
Italie le projet eurocommuniste pouvait se réclamer d'une certaine tradi·
tion gramscio-togliattienne, en France par contre, en raison du fameux
« retard » dans la déstalinisation, en raison surtout d'un néo-.ltalinisme
persistant greffé sur des traditions ouvriéristes et jacobines, l'eurocommu-
nisme prit des formes assez « spectaculaires », parfaitement conu'adictoires
avec les valeurs démocratiques revendiquées. En décrétant l'abandon de la
dictature du prolétariat sans débat réel, le PCF en sa courte phase d'euro-
communisation manifesta déjà ce qui deviendra son véritable talon
d'Achille après la rupture de la gauche et le conduisit à son échec électoral
de 1981 : le refus d'un débat démocratique approfondi sur sa stratégie, la
permanence d'une direction unanimiste, rejetant toute critique et prati-
quant un centralisme plus bureaucratique que démocratique.
Et sans doute est-on là au cœur des dilemmes d'un eurocommunisme
pris entre deux feux : le réformiste et le néo-stalinien, et ne mettant guère
en pratique celle stratégie démocratique-autogestionnaire, de base, dont
il se réclame. Aussi, à l'épreuve des faits, déclenche-t-i1 une véritable
crise d'identité historique et stratégique des partis communistes, donnant
prise aux contre-attaques « pro-soviétiques » les plus sectaires ct les pl us
régressives. Particulièrement dramatique et criante, la crise du PCP, déjà
sanctionné par sa régression électorale sans précédent aux élections du
26 avril 1981. Avec ses 16 %, il retrouve son niveau des années 1930 et
perd de son électorat. Certes cette crise est plutôt liée à un eurocommu-
nisme purement tactique et assez inconséquent à toute une série de volte-
face à 180 %, détruisant toute stratégie. A l'ouverture eurocommuniste
superficielle de 1975-1977, préscnte dans le XXII" Congrès (stratégie
d'Union de la gauche, prise de distance critique avec l'URSS. abandon de la
dictature du prolétariat), a succédé la phase (( pro-soviétique» de soutien
à l'invasion de l'Afghanistan, de (( bilan globalement positif du socialisme»
(XXIlIe Congrès) et d'anti-soeialisme digne des années 1930. La victoire
socialisle de François Mitterrand, à laquelle le PCF contribua, puis la
participation des communistes au gouvernement n'ont pas manqué de
donner lieu à un nouveau réajustement tactique, sans débat démocratique
sur les origines réelles de l'échec subi.
Plus diluée, mais tout aussi révélatrice, est la crise du PCE et du PCI,
en dépit de leur eurocommunisme maintenu, et même confirmé dans leurs
positions internationales. Au moment même où le pCP appuyait de Moscou
l'invasion de l'Mghanistan, le PCI (ainsi que le PCE) la désapprouvait pour
des raisons de principe et au nom d'une conception polycentriste favorable
à un nouvel internationalisme non aligné sur les deux blocs et refusant de
réduire les forces politiques mondiales à un affrontement de (( grandes
puissances », à un conflit mondial militarisé. A la faveur d'une prise de
position - qui s'est encore durcie dans la solidarité apportée à l'expé-
rience polonaise - , le rôle de l'URSS comme (( puissance de paix» ct de détente
s'est trouvé pour la première fois remis en cause.
EUROCOMMUNISME 432
Evolution
AI : EDolulion, Entwiekt...,. - An : ENlulio•• - R : Evoljuqjo.
Expérience
Al : &ftUtnml. - An : ~t. - R : Obi.
Exploitation
AI : Ausbtulunl. - An : Expl.illJli... - R : Eksplmllaûj•.
par les formes de production pré-capitalistes, ce alors même que les travail-
leurs opèrent dans des conditions techniques relativement semblables à
celles des ouvriers dans les pays capitalistes avancés.
Dans la phase actuelle du capitalisme monopoliste d'Etat et si l'on
retourne dans les pays de capitalisme développé, l'essentiel des changements
dans le processus d'exploitation réside dans la socialisation capitaliste
et dans le rôle nouveau de l'Etat. Le salaire demeure certes toujours le
prix de la force de travail mais atùourd'hui le salaire direct qui tend de
plus en plus à être fixé par des procédures collectives ne correspond plus,
à lui seul, à la valeur de la force de travail. Aussi la structure actuelle du
capital variable comprend-elle des éléments salariaux et non salariaux
(salaire, prestations sociales, services collectifs utilisés gratuitement ou à
prix réduit). Les dépenses de reproduction de la force de travail ne se
trouvent donc plus entièrement régulées par le marché. A la phase du
capitalisme monopoliste d'Etat, l'exploitation du travail constitue, de
plus en plus, un système d'ensemble à l'échelle sociale tout entière. Par
ailleurs l'élargissement à l'ensemble de la nation des sources de l'accumu-
lation capitaliste par la fiscalité, l'inflation, le développement des diverses
formes d'épargne forcée, etc., marque le rôle croissant de l'appareil d'Etat
dans l'intensification de l'exploitation capitaliste et le pillage des couches
monopolistes. Mais dans la mesure où l'opposition entre le travail et le
capital se manifeste d'abord sur le lieu de travail et dans la mesure aussi où,
par nature, l'exploitation ne met pas en présence un travailleur et un capita-
liste isolés, mais constitue un rapport social entre classes antagonistes, la poli-
tique de l'emploi constitue une pièce essentielle du dispositif mis en place par
l'Etat. En effet, les mécanismes concrets de l'accumulation du capital entraî-
nent la formation de réserves de main-d'œuvre déclassées et sous-payées
(jeunes, femmes, immigrés) que la pratique des entreprises et la politique
monopoliste de l'emploi visent à développer dans un vaste processus de seg-
mentation de la force de travail. Ces différentes modalités de rémunération,
de mobilisation et d'utilisation de la force de travail contribuent à leur tour
à donner aux luttes de classes contemporaines une physionomie nouvelle.
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Expropriation
AI : &1';_. - An : ExpnJFialÛm. - R : E1s~ja.
Expulsion
AI : AwschlufJ. - An : ExPulsion. - R : lsk{juu.i,.
Exterminisme
Al : E:derminiJmUl. - An : Exttmûnùm. - R : Bs/erminizm.
en même temps que son « ignorance technique », (p. 16-17 de l'ouvr. cité
en biblio.), se refusant à réduire la question de la « bombe» aux catégories
traditionnelles de la rationalité marxiste (luttes des classes internationales,
aggressivité de l'impérialisme, réaction défensive du camp socialiste...).
Si l'exterminisme n'est pas sans rapport avec le militarisme et l'impéria-
lisme dont l'analyse a été produite en son temps par les théoriciens
marxistes, il désigne leur au-delà contemporain, soit aussi leur inadéquation
à la situation actuelle. Le terme sert à décrire l'intégration des systèmes
d'armements nucléaires dans une logique de l'innovation militaro-industrielle
relativement indépendante des choix politiques conscients et dont le principe
est de s'auto-engendrer. Thompson renverse en quelque sorte la célèbre
proposition de Clausewitz et affirme que, dans les conditions de l'exter-
minisme, la politique tout entière est militarisée puisque l'arme nucléaire
n'est pas une chose inerte, le prolongement réifié d'une rationalité politique
abstraite, mais au contraire un agent historique dont l'autonomie est
terrifiante : « La technologie militaire presse-bouton... supprime le moment
même du politique. Un système exterministe en affronte un autre et l'action
se conformera à la logique de l'avantage maximum» (p. 25). Dans cette
perspective, la fin du politique et la logique des superpuissances se
confondent, dans la mesure où Thompson considère le « parallélisme isormor-
phique » URSs/Etats-Unis (p. 44) comme la ligne de fracture principale
du monde moderne.
L'analyse de Thompson a donné lieu en Angleterre, entre 1980 et 1982,
à de vives critiques et à d'importants débats : on en trouvera référence
dans la bibliographie ci-après.
• BIBLIOGRAPHIE. - Outre l'article de THOMPSON, Exterminisrn and Cold IVar, Verso Edi.
tions and New Left Books, Londres, 1982; la traduetion française, L'exterminis7lU. Al"I7le11Unt
nucllaire et paâjis7IU, Paris, PUP, 1982, comprend les interventions de R. BARRO, E. BALIBAR,
N. CHOMSKY, M. DAVIS, F. HALLIDAY, L. MAGRI, R. et J. MEDVEDEV, R. WILLIAMS ainsi
qu'une réponse d'E. THOMPSON: Entretien avec E. Thompson, in Le Monde, 27/28-11-1983;
M. KALDOR, Krieg wu! Kapitalismus, trad. de l'anglais, Dos Argu7lUnt, 141, sept-oct. 1983:
Rüstungsbarok. Dos Arsenal der ZerstOrwtg wu! <las Ende der militarisehen Techrw-Logik, Berlin,
1981; R. ROWTHORS, Capitalism, conf/iet and inflatwn, Londres, 1980.
~ CoRRÉLATS. - Antimililarisme, Coexistence pacifique, Effondrement (théorie de l'l,
Guerre, Impérialisme, Rapports de force.
G. Be.
Fabianisme
AI : Fabia.Umw. - An : Fabia.Um. - R : FabianslDo.
Famille
AI : Fami/ie. - An : Fami/y. - R : Sem)a.
F. B. 1 N. L.
Fascisme
Al : Fasthislnus. - An : Fascislil. - R : FafiJ;l71.
Idéologie. - D'un pays à l'autre l'accent est mis sur des aspects différents.
Racisme et antisémitisme en Allemagne, corporatisme en Italie, mais tous
les fascismes ont en commun et mettent au premier plan la lutte contre
le marxisme accusé de mettre en péril la famille et la patrie. A la révolution
marxiste, synonyme de désordre, ils opposent une révolution qui rétablira
l'ordre et l'autorité.
La condamnation de l'Etat libéral et du système capitaliste est justifiée,
pour une part, parce que l'un et l'autre sont incapables de s'opposer au
marxisme. Les fascismes ont souvent bénéficié, au début tout au moins,
et plus durablement au Portugal et en Espagne (où la religion catholique
constituait la base de l'idéologie dominante), de l'appui des églises.
La communauté nationale, dans le fascisme allemand surtout, est
fondée sur l'affirmation d'une identité biologique : la communauté de
sang et de sol (idéologie Blubo) dont sont exclus notamment les Juifs. Le
fascisme affiche un idéal de« pureté» propre à séduire la jeunesse ct promet
à tous les déclassés un statut social qui mette fin à l'humiliation qu'ils
éprouvent. Les fascismes réussissent à détourner un ressentiment d'origine
économique (chez les victimes de la crise économique: petits bourgeois
ruinés, chômeurs) vers la sphère extra-économique (antisémitisme, anti·
communisme, etc.).
Le principe hiérarchique est opposé au nivellement que créerait la
démocratie. Les individus supérieurs ont un droit à l'exercice du comman-
dement. L'inégalité sociale se trouve ainsi justifiée, mais elle serait fondée
sur la capacité individuelle et non plus sur la fortune ou la naissance.
FASCISME 450
Féminisme
AI : Fr_NwllJI1'l, F.mirWmw. - An : F,mi.ism. - R : Frmi.iOll.
Femmes
Al : Frou,n, 11',;6IT. - An : Womtn. - ft : tmltin.1o
leur entrée massive dans la production, même si, pour le moment, cela se
traduit par un accroissement de souffrance et d'exploitation. Comme
l'explique Bebel « il n'est pas douteux qu'avec le développement pris
par le travail féminin, les maladies de toute nature, la mortalité des
enfants augmentent dans d'effroyables proportions; malgré tout cela, cette
évolution, dans son ensemble, n'en constitue pas moins un progrès» (La
femme et le socialisme, 156). A ces objections d'ordre moral venaient s'ajouter
des arguments économiques que Clara Zetkin résume ainsi : « La main-
d'œuvre féminine peu rémunérée évince les hommes du marché du travail,
et si ces derniers veulent continuer à gagner leur vie, ils sont eux aussi
contraints d'accepter une rémunération inférieure. » La controverse
sur le travail des femmes devait se poursuivre âprement pendant longtemps
au sein de l'AIT et il fallut attendre 1879 pour qu'enfin soit reconnue la
revendication du droit au travail des femmes. Cela dit, il est clair que, pour
les marxistes, la surexploitation des femmes salariées ne peut pas durer
et doit être combattue. « Grâce à la propagande socialiste, le prolétariat
conscient a appris à envisager le problème sous un autre aspect, sous
l'aspect de sa signification historique, pour la libération de la femme et du
prolétariat... L'intégration dans le mouvement syndical (des milliers de
femmes travaillant dans l'industrie) est, pour ce dernier, une nécessité
vitale (Clara Zetkin, Die GleühJJeit, 1er nov. 1893)' On le voit, le travail
des femmes et les conditions de ce travail sont pour les marxistes une raison
supplémentaire pour exiger un changement complet de société : seuls
le socialisme, la disparition des classes et l'appropriation collective des
moyens de production par les travailleurs pourront créer les conditions
matérielles de l'égalité économique et sociale des femmes.
Il a semblé en 1917 que ces conditions étaient réalisées en URSS: « Le
pouvoir soviétique a été le premier et le seul au monde, affirme Lénine
en 1920, en tant que pouvoir des travailleurs, à abolir tous les principes
attachés à la propriété et maintenus au profit de l'homme... Là où le
pouvois des travailleurs édifie la vie nouvelle, il y a égalité de l'homme et
de la femme devant la loi. » Mais, ajoute immédiatement Lénine, « ce
n'est pas assez. L'égalité devant la loi n'est pas l'égalité devant la vie»
(Prada, 22 févr. 1920; o., 1. 30, 383). Dans ces conditions, la tâche princi-
pale de la République des Soviets est maintenant de « soustraire la femme à
l'esclavage domestique, la libérer du joug abrutissant et humiliant, éternel et
exclusif de la cuisine et de la chambre des enfants» (ibid.). Ce thème du
travail domestique « asservissant», ({ improductifet mesquin» a littéralement
hanté Lénine qui y revient sans cesse, que ce soit dans ses discours aux
travailleuses ou dans ses conversations avec Clara Zetkin : « La véritable
émancipation de la femme, le véritable communisme ne commencent que
là, et au moment où s'engage la lutte de masse - dirigée par le prolé-
tariat, maître du pouvoir - contre cette petite économie domestique, ou
plutÔt sa refonte massive en une grande économie socialiste. »
Les bolcheviks de 19 17-1924 ont fait des efforts désespérés pour mettre
en place, malgré la pénurie et la guerre civile, les conditions matérielles
d'une vie nouvelle pour les femmes. Comme le retard économique rendait
impossible la création d'organismes collectifs, Trotski incita les gens à se
grouper en « unités de ménages collectifs», organisées en collaboration avec
les Soviets. L'espoir qui soutenait tous ces efforts était qu' « avec la modi-
fication des conditions économiques, avec l'évolution des rapports de
459 FEMMES
F. B.' N. L.
Féodalisme
AI : F...w;-, FttllÛlit4l, MiItt/aJln. - An : FttllÛlÎJm, FttllÛl ~1Im. - R : FIOd.flflÎ stroit
FIOd.liDn.
Moyen Age (MEW, 23, 96) : elle ne faisait que reprendre une observation
déjà contenue dans un manuscrit de 1851 : « les liens sociaux doivent être
organisés sur une base politique, religieuse, etc., aussi longtemps que la
puissance de l'argent n'est pas le ruXUJ rn'Um et Iwminum» (Grund., p. 987).
On trouve enfin des indications qui restent à exploiter dans les manus-
crits de Marx des années 1870 (notes sur des ouvrages relatifs à des sociétés
précapitalistes) .
Globalement, on ne saurait trop répéter que Marx n'a jamais donné
d'indications nettes concernant ce qu'il aurait pu considérer comme les
articulations principales du mode de production féodal.
Pour autant, il ne semble guère permis de douter qu'il ait très réelle-
ment pensé qu'il avait existé en Europe un mode de production original,
né au moment des grandes invasions et mort avec la domination de la
grande industrie, qu'il dénommait féodal. Les deux références inexpu-
gnables à cet égard sont dans le ,Uanifeste et dans la Priface de 1859. Ce sont
ces références et quelques autres analogues qui ont constitué le féodalisme
en tant que pièce obligée de la vulgate marxiste.
3/ Jusqu'à plus ample informé, il ne semble pas qu'aucun des théo-
riciens importants du marxisme, de quelque pays et de quelque tradition
qu'i! fût, ait repris avec quelque originalité les textes de Marx et d'Engels
relatifs à cette question (à l'exception peut-être d'Ernst Bloch). Il faudrait
d'autre part mener une vaste enquête sur la manière dont les penseurs
marxistes du Tiers ~10nde ont tenté au xx8 siècle, avec des perspectives
et des succès variés, d'appliquer la notion de féodalisme cn Amérique
latine, en divers pays d'Afrique (Ethiopie et zone des grands lacs notam-
ment), dans les pays arabes, aux Indes, en Chine. On a là un ensemblt~ de
contributions très abondant, mais dont l'analyse ne semble pas avoir été
entreprise: lacune importante et regrettable.
En Europe même, l'étude marxiste des sociétés féodales ne commença
que très, très lentement, demeura et demeure le fait des historiens profes-
sionnels : d'où une double modification par la chute du niveau théorique et
par la concentration de l'effort de recherche sur le mode de production
féodal pour lui-même, et non plus comme simple substrat.
Le premier groupe fut constitué par des historiens soviétiques qui
publièrent leurs premiers travaux en russe dans les années 30 : Evguéni
Kosminski, N. Grazianski, puis ]\'1. Smirin, V. Rutenlmrg, B. Porchnev.
En 1942 parut le premier numéro de Srednie Veka (Le ,\c/oyen Age). Ces
travaux, d'une indéniable qualité, demeurèrent sans écho tant qu'ils ne
furent pas accessibles dans une langue occidentale. c'est-à-dire à partir
de la fin des années 50. L'Essai d'économu politique dufiodillisme de B. Porchnev
paru à Moscou en 1956, ne fut traduit en français qu'en 1979 et encore est-il
resté à peu près inconnu en France.
En Angleterre naquit après la seconde guerre mondiale un groupe
d'historiens marxistes assez pugnaces (citons: R. Hilton, E. Hobsbawm,
C. Hill), qui créèrent en 1952 la revue Past and Present. Un important débat
sur le féodalisme démarra en 1950 à partir de la discussion entre ~I. Dobb
ct P. Sweezy sur le problème de la transition du féodalisme au capitalisme.
Un nouveau débat d'ampleur internationale fut centré autour de celle
revue à partir de 1976, né de la controverse entre R. Brenner et I. \Valler-
stein à propos de certaines perspectives dites « néomarxistes ».
Les années 50 virent également se développer des écoles d'historiens
463 FtODALlSME
bées notables chez les historiens. La création en 1975 de la« Société d'Etude
du féodalisme », le Colloque international de Trêves sur le féodalisme de
mai IgBI montrent qu'on s'achemine lentement dans cette direction.
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G. L.
Force(s) productive(s)
AI : Produktiokraf/ (Pluriel: ProdukliokrqJI.). - An : Produtli.. flrce(s). - R : Proizvodiu/'ny. siIY.
partir de ces mots allemands que l'on peut traduire de façon tout aussi
rigoureuse sur le plan linguistique par « la formation économique de la
société» ou par « une formation socio-économique ».
La première traduction désigne la succession des divers modes de pro-
duction qui sont apparus au cours de l'histoire et qui forment en quelque
sorte l'histoire économique de l'humanité. C'est de cette manière qu'il faut
traduire le texte de la Préface de 59 ;« A grands traits, les modes de produc-
tion asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés
d'époques progressives de la formation économique de la société », et non,
comme dans la traduction française des Editions Sociales (p. 5),« d'époques
progressives de la formation sociale économique ».
Dans ce contexte, le mot « formation» met l'accent sur la notion dc
processus, le processus d'engendremcnt et de développement des divers
modes de production. Or, en allemand, Marx disposait du mot Bildung
pour exprimcr la même idée, d'un procès, d'un mouvement d'engendre-
ment; c'est ainsi qu'il parle parfois de « iikonomischer Bildungsprozess der
Gesellschafl» ; procès de formation économique de la société (K., MEW, 23,
386; ES, I, 2, p. 53).
Pourquoi a-t-il privilégié le terme plus abstrait de formation? Il semble
qu'il ait été influencé par le vocabulaire d'une science alors naissante, la
géologie, dont le fondateur, Lyell, venait de décrire la succession des
différents âges de la Terre sous les termes de formation primaire, secondaire,
tertiaire et quaternaire. Il désignait ainsi à la fois la structure spécifique de
couches rocheuses différentes accumulées les unes sur les autres au cours
de l'histoire de la Terre, et leur ordre de succession correspondant à des
époques différentes de l'évolution de la nature. C'est donc avec la volonté
de désigner dans le même mot un processus et son résultat que Marx a
privilégié le terme deformation : toute réalité naturelle ou socialc doit être
considérée comme le résultat d'un procès, résultat qui est lui-même en
mouvement, et ne prend forme qu'au sein et au terme d'un processus qui
lui confère ses caractères et ses propriétés spécifiques, processus qui a lui-
même ses conditions d'existence et de reproduction.
Il faut ajouter que le mot Form, dans le vocabulaire philosophique du
début du xrxe siècle, chez Hegel par exemple, est employé comme équi-
valent de Struktur. Cette équivalence apparaît également chez 1-farx : le
mot Form peut être remplacé par Gliederung (articulation) ou par Zusam-
menhang (enchaînement, dépendance, connexion mutuelle). Or, le terme
Struktur recouvre également ces deux notions d'articulation et de connexion,
d'où l'équivalence forme/structure.
Du point de vue épistémologique, ceci montre que Marx assigne à la
connaissance scientifique d'aller de l'analyse des formes visibles (Erschei-
nungsjormen) des rapports sociaux à leurs structures internes (Kernstruktur,
Kerngestalt ou encore wirkliche Form, que l'on peut traduire par « structure-
noyau» ou « forme-noyau»).
On voit donc que la notion de « formation économique de la société»
désigne globalement les problèmes de l'analyse théorique des processus de
passage d'un mode de production à un autre, d'une formation socio-
économique à une autre.
Que faut-il entendre par une formation socio-économique? C'est une
réalité historique particulière composée d'un mode de production déter-
miné et de l'cnsemble des rapports sociaux non-économiques qui se sont
475 FORMATION lCONOMIQUE ET SOCIALE
Forme(s)
Al: Form{.n), G.stalt(..). - An: Form(,j, Shap.(s). - R : Furmo,form.y.
vulgaire fait ses points de départ est révélé par l'analyse scientifique comme
formes phénoménales. Elle prend l'apparence pour l'essence, ce qui est
produit d'un procès comme préalable, traite de la rcnte comme provenant
de la terre, du profit comme émanant du capital ou encore du salaire
comme émanant du travail (cf. Lettre du 30 avril 1868 de Marx à Engels,
ES, p. 213). Or il s'agit de dévoiler d'abord la catégoric économique dans
toute sa généralité indépendamment de ses manifestations phénoménales,
de ses formes particulièrcs (cf. K., l, l, 63; MEW, 23, 63); soit, par exemple,
de la plus-value comme rendant raison du profit, de l'intérêt ou de la rente
foncière (cf. Lettre de Marx à Engels, 24 août 1867, ES, p. 174). Il
faut d'abord traiter de la forme générale de la plus-value où ses formes
particulières se trouvent mêlées « pour ainsi dire en solution » (Lettre de
Marx à Engels, 8 janvier 1868, ES, p. 195).
Le procès des formes et leur apparent achèvement en système de formes
est un procès de complexification croissante : la forme y apparaît de
plus en plus étrangère à eUe-même, à ses origines réeUes. On comprend
dès lors que pour les problématiques modernes il y ait eu là de quoi
réinstaurer le concept d'aliénation dans une dignité nouvelle : la forme
est le modèle même de la mystification idéologique et, en tant qu'elle
s'accorde à imprimer un caractère fétiche aux objets, qu'elle est génératrice
d'illusions, eUe structure le monde en monde des objets. On trouvera, en
guise de références exemplaires, chez G. Lukâcs (Histoire et conscience
de classe, Paris, Ed. de Minuit, 1960) ou chez H. Lefebvre (Critique de la
vie quotidienne, t. 1 et Il, L'Arche, 1958) les essais pour faire du marxisme
une connaissance critique du quotidien et de l'apparence évidente fondée
en partie sur le concept de forme et son interprétation comme faisant
surgir la conscience « réifiée ». De même, la « Théorie critique » de
l'Ecole de Francfort avait souligné la portée démystificatrice du Capital.
Mais pour attirer aussitôt l'attention sur la relativité de l'objet pensé par
Marx, la marchandise, à son stade développé, forme généralisée du rapport
social dominant, et sur les dangers qu'encourait la dialectique à se clore
sur elle-même en construisant le concept de valeur et de forme à partir de
celui de marchandise (cf. Horkheimer, Théorie critique, 1931). Rendre raison
du MPC comme déploiement d'un système de formes, n'est-ce pas mettre
fin à l'histoire et prétendre en donner un modèle rationnel parfait?
D'autre part, de la forme considérée comme transitoire en son rapport
dialectique au contenu, le marxisme a tenté de rendre compte sous l'espèce
du dépérissement de la forme marchande et de l'économie monétaire,
i.e. des formes spécifiques du MPC. La problématique de la transition est le lieu
où se nouent ces questions, et singulièrement celle de la subsistance de
la forme valeur en économie de transition (cf. pour mémoire la « solu-
tion » de Staline : « Chez nous se sont principalement conservés la
forme, l'aspect extérieur des anciennes catégories du capitalisme; quant
au fond, ces catégories ont changé radicalement selon les nécessités du
développement national» (in Le communisme et la Russie, Gonthier-Denoël,
p. 211-214, « Economie socialiste et crise du capitalisme. La loi de la valeur
en régime socialiste », novembre 1951». La question radicale est plutôt:
y a-t-il « désaliénation progressive par la construction de la société socia-
liste ou bien aliénation inévitable dans la « société industrielle » »?
(E. Mandel, La formation de la pensée économique de K. Marx, Maspero,
1972, p. 178).
481 FORMEL/RtEL
Formel/Réel
Al : Form.lI/mll, formal/reol. - An : Fonn.l/Rtal. - R : FOTm4Cno/>tal'no.
advient, naît du procès social qui établit l'équation objective entre des
travaux inégaux, entre des marchandises inégales que l'économie politique
réfère d'ailleurs à l' « égalité... subjective des travaux individuels »
(Cont., ES, 36; MEW, 13, 45). La liberté formelle dont jouit ainsile travailleur
est le résultat de la dissociation d'avec ses conditions objectives de travail.
Le « libre travailleur salarié» (K., l, l, 179; MEW, 23, 189-190) n'est
apparemment indépendant qu'en tant que ses conditions lui sont désormais
extérieures (cf. Grund., l, 100; Dietz, 81; K., l, l, 116; MEW, 23, 121), que
les rapports sociaux sont devenus indépendants. La société bourgeoise
sera donc le lieu de déploiement de l'illusion de la liberté, de la libre
expansion individuelle - mise en forme juridique de la liberté d'exploiter-
subsumées sous les variétés idéologiques de l'individualisme théorique.
L'accession au règne de la liberté réelle, d'une liberté supérieure, rendue
possible par les contradictions internes au MPC, sera le contrôle des échanges
avec la nécessité naturelle et la maîtrise effective de la nécessité sociale
devenue contingente.
Ce que dissimule ainsi le formel, c'est sa propre genèse, son substrat
matériel-réel, et donc aussi sa disparition nécessaire. Dans les derniers
fragments de la Version primitive de la Contribution (Grund., ES, 227-255;
Dietz, 919-940), Marx fait apparaître le procèsformel de formation du capital
qui n'est que l'expression idéale du mouvement réel au cours duquel le
capital devient capital. Le capital est capital et ne manifeste pas qu'il est
le résultat d'un procès social : la fonction réductrice du formel tient à
ce que le rapport économique réel qu'il pose néglige la « différence qui
fait le développement» (Grund., ES, l, 190; Dietz, 161) et l'absence de
différence devient détermination économique, propriété sociale universelle.
En définitive, le formel peut se donner ainsi comme « déterminité
simple » - puisque aussi bien le plus abstrait est le plus simple - et
réduire le rapport du travail salarié au capital à une pure extériorité
« natu;'elle », à l'autonomie idéale des sphères par où se constitue et prend
prise l'idéologie.
• BIBLIOGRAPHIE. - L. SÈVE, U"e i"troduction à la philosophie marxiste, Paris, ES, 1980,
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Possible/Possibilité, Réalité, Subsomption fonnelle/réelle.
J.-L. C.
Fouriérisme
AI : Fouritrismus. - An : Fourinism. - R : Fur'tri.zm.
3 1Le bilan historique. - Chaque fois, par contre, qu'il s'agit de situer
Fourier, dans l'histoire du socialisme, son importance et la dette à son
égard sont expressément reconnues. Auprès des passages déjà évoqués,
on rappellera les appréciations de La Nouvelle Gazette rhénane (21 janv. 1849,
nO 201), du Manifeste (m, 3; cf. également L. de KM à Kugelmann du
9 oct. 1966 : « Dans les utopies d'un F., d'un Owen, etc., se lit le
485 FOURltRISME
Fraction 1 Fractionnisme
Al : Frakti""",Ue, sJUllttrische Gruppe (FraktiO')ITdtigkrit (Fraktionswesttl). - An : Fractio./Fractional
act;v;ty. - R : Frakt1j(JIFraJcdonni~m.
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Freuda-marxisme
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Front
AI, An, R : FTt1IIl.
Fusion
AI : Vmchm.lomg. - An : M"ging. - R : Slijanj,.
tout son désir, le prolétariat ne peut créer ni l'une ni l'autre; toutes deux
surgissent du processus social contemporain. Or, le porteur de la science
n'est pas le prolétariat, mais les intellectuels bourgeois; c'est en effet dans le
cerveau de certains individus de cette catégorie qu'est né le socialisme
contemporain, et c'est par eux qu'il a été communiqué aux prolétaires
intellectuellement les plus évolués, qui l'introduisent eruuite dans la lutte
de classe du prolétariat, là où les conditions le permettent. Ainsi donc, la
conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de
classe du prolétariat, et non quelque chose qui en surgit spontanément. »
La fusion ainsi entendue n'atteste pas seulement du caractère scientifique
du marxisme, elle fonde la double récusation de l'ouvriérisme et de la
spontanéité.
3 1C'est ainsi également que Lénine prendra les choses notamment
dans Que faire J, où, citant longuement la Neue Zeit, il déclare se rallier au
jugement de Kautsky (o., 5, 390-391). Il ne s'agit pourtant pas, comme
l'avance une idée reçue, d'un emprunt qui traduirait à nouveau l'influence
du maître à penser de la social-démocratie allemande sur le jeune Lénine.
Car, ce dernier, en 1899, afin de réfuter l'appréciation portée par la Rabot-
cha;a lt-fysl sur la situation du mouvement ouvrier de Russie, donnait
l'analyse suivante :
« Dans tous les pays d'Europe occidentale, le socialisme et le mouvement
ouvrier ont d'abord existé indépendamment l'un de l'autre. Les ouvriers
lu liaient contre les capitalistes, organisaient des grèves et montaient des
associations, cependant que les socialistes se tenaient à l'écart du mouvement
ouvrier et créaient des théories qui critiquaient l'actuel régime capitaliste,
le régime bourgeois, et réclamaient son remplacement par un autre régime
social d'un ordre supérieur, le régime socialiste. La séparation entre le
mouvement ouvrier et le socialisme faisait que l'un et l'autre étaient faibles,
peu développés : les doctrines socialistes, non fusionnées avec la lutte
ouvrière, restaient simplement des utopies, de pieux souhaits sans effet
sur la vie réelle; le mouvement ouvrier demeurait axé sur des détails,
fragmenté, n'acquérait pas d'importance politique, n'était pas éclairé par
la science d'avant-garde de son temps. Aussi constatons-nous que, dans
tous les pays européens, s'est manifestée une tendance de plus en plus
marquée à fusionner le socialisme et le mouvement ouvrier au sein d'un
mouvement sOCÙJl-dinwcrate unique. Par suite de cette fusion, la lutte de
classe des ouvriers devient une lutte consciente du proUtariat pour s'affranchir
de l'exploitation dont il est l'objet de la part des classes possédantes; en
même temps, il s'élabore une forme supérieure du mouvement ouvrier
socialiste: le parti oUurW social-démocrate indépendant. L'orientation du socia-
lisme vers la fusion avec le mouvement ouvrier est le principal mérite de
K. Marx et de F. Engels: ils ont créé une théorie révolutionnaire qui a
expliqué la nécessité de cette fusion et qui a fait un devoir aux socialistes
d'organiser la lutte de classe du prolétariat» (o., 4, 264-265).
Et Lénine ajoutait que le mérite de la fusion revenait au groupe « Libé-
ration du travail» de Plekhanov et de ses atnis et qu'i! n'existait point de
tâche plus importante que « de consolider cette fusion» (ibid., 265). Reve-
nant peu de temps après sur cette idée, il précise encore que la brochure
de Plekhanov, Socialisme et lutte politique, « a montré très précisément com-
ment et pourquoi le mouvement révolutionnaire russe doit aboutir à la
fusion du socialisme et de la lutte politique, à la fusion du mouvement
FUSION 498
Futurisme
AI : Fulvrismus. - An : Fulvrism. - R : Fulvrizm.
vous, vous faites la même chose avec le prolétariat» (Révélations sur le procès
des communistes de Cologne; MEW, 8, 409-417).
Dans une lettre à J. B. von Schweitzer du 13 octobre 1868, Marx
écrit que Lassalle « a imprimé d'emblée un caractère de secte religieuse
à son agitation» et ajoute : « Il tomba dans l'erreur de Proudhon qui,
au lieu de chercher la base réelle de son agitation dans les éléments réels
du mouvement des classes, voulut prescrire à celui-ci son évolution selon
une certaine recette doctrinaire. » En 1872-1873, il qualifie de « sectaires
professionnels » Bakounine et ses amis du conseil général de la Ire Inter-
nationale. De son côté, Engels raille gentiment les blanquistes de Londres :
« Nos blanquistes ont en commun avec les bakouninistes qu'ils veulent
représenter la tendance la plus avancée et la plus extrémiste ». Ils les
surpassent même « pour ce qui est des formules creuses et enliées» car leur
objectif est de parvenir au but sans s'arrêter à des stades intermédiaires et
à des compromis, or « il est puéril et naïf d'ériger l'impatience en fonde-
ment de la conviction théorique» (Der Volksstaat, 26 juin 1874).
Auparavant, rédigeant le premier essai de La guerre civile en France,
Marx revient en une phrase sur la préhistoire du mouvement ouvrier :
« Tous les fondateurs de sectes socialistes appartiennent à une époque
où la classe ouvrière elle-même n'était pas suffisamment entraînée et
organisée par le développement même de la société capitaliste pour faire
sur la scène mondiale une entrée historique, à une période où, d'ailleurs,
les conditions matérielles de son émancipation n'étaient pas suffisamment
mûres dans le vieux monde lui-même» (p. 224; MEW, 17, 557; voir aussi
la lettre à BoIte du 28-11-1871).
Mais, en 1882, Marx s'effraye de la caricature de ses idées chez les
socialistes français et, douze ans plus tard, Engels reconnaît que « le
sectarisme anglo-saxon règne dans le mouvement ouvrier. La fédération
social-démocrate, de même que votre parti socialiste ouvrier allemand
(d'Amérique), a réussi le tour de force de transformer notre théorie en un
dogme rigide d'une secte orthodoxe» (10-11-1894, L. à Sorge).
Ces quelques citations montrent que, chez Marx et Engels, l'esprit de
secte, le dogmatisme et le volontarisme (encore que, constatons-le, les
-ismes soient rares, à la différence de ce qui se dira chez Lénine et, beaucoup
plus, chez Staline) dessinent soit une figure primitive et dépassée du mou-
vement ouvrier, soit, ce qui est contradictoire, un de ses modes d'existence
récurrent et parfois dominant.
Toutefois le développement de la social-démocratie allemande est
l'occasion de voir apparaître, sous une forme embryonnaire, le couple
opportunisme/ultra-gauche. Ainsi, Engels lie la pusillanimité des diri-
geants socialistes (W. Liebknecht en tête) avec l'agitation des « héros de
la phrase révolutionnaire qui cherchent à désorganiser le parti par leurs
manœuvres et intrigues» (L. à Becker, 1-7-1879). Marx reprend cette cri-
tique en la centrant sur Most (député socialiste, partisan de Dühring, qui,
exilé à Londres, adopte des positions anarchistes) : « Nous n'en voulons
pas à Most parce que sa Freiheit est trop révolutionnaire, nous lui reprochons
de ne pas avoir de contenu révolutionnaire et de ne faire que de la phraséologie
révolutionnaire» (L. à Sorge, 19-9-1879).
Une situation similaire apparaît en 1890 avec l'opposition des
« jeunes », des « littérateurs super-intelligents » et « autres jeunes
bourgeois déclassés» (Engels) qui s'exacerbe quand la fraction parlemen-
503 GAUCHISME
la genèse de ces thèmes d'autant qu'ils sont associés à l'origine avec d'autres
qui n'eurent aucune postérité et que certains de leurs auteurs abandon-
nèrent le marxisme. Enumérons donc simplement: dans les années 1920
et 1930 le jeune Lukacs, puis l'école de Francfort jusqu'à Marcuse et
Habermas, le conseillisme de Pannekoek et le freudo.marxisme de W. Reich;
après la deuxième guerre mondiale, la revue française Socialisme ou
Barbarie, la critique de la vie quotidienne par Henri Lefebvre et les analyses
des révolutionnaires du Tiers Monde tels Frantz Fanon ou Che Guevara...
Par-delà son échec politique et ses mésaventures ultérieures, il est
incontestable que le gauchisme a projeté sur le devant de la scène histo-
rique certains des grands sujets de préoccupation de notre temps.
• BIBLIOGRAPHŒ. - JI n'existe pas d'étude d'ensemble sur le gauchisme mais en revanche
d'innombrables ouvrages sur ses formes contemporaines. On lira surtout la remarquable
synthèse de Jacques DROZ dans le tome IV de l'Histoire géniTale du socialisme, Paris, 1978,
avec une bibliographie.
~ CORRÉLATS. - Anarchisme, Aristocratie ouvrière, Bakouninisme, Blanquisme, Boukhari-
nisme, Communisme de gauche, Conseils, Déviation, Dogmatisme, Intellectuels, Marxisme,
Opportunisme, Otzovisme, Petite bourgeoisie, Révisionnisme, Spontané{Spontanéité,
Volontarisme.
G. M.
Général 1 Particulier
Al : AlIgnnnnes/BtSoodms. - An : G,,,,ra/{Parliçu/ar. - R : ObU../éaSIml,.
(cf. Lénine, CP, 38, 304,345) avec son devenir réel de l'universel dans le
particulier. « Le particulier n'existe que dans la mesure où il se relie au
général. Le général n'existe que dans le particulier, à travers le particulier.
Toute chose particulière est (de quelque façon) générale. Toute chose
générale est (une parcelle, un côté, une essence) du particulier. » [A
rapprocher de Marx : le mode de production capitaliste signifie « la
généralité abstraite de l'activité créatrice de richesse, la généralité de
l'objet, le produit considéré absolument, le travail en général ». Mais
celui-ci « présuppose l'existence d'une totalité très développée de genres
de travaux réels dont aucun n'est plus absolument déterminant. Les
abstractions les plus générales ne prennent naissance qu'avec le dévelop-
pement concret le plus riche, où un caractère apparaît comme commun à
tous (Grund., Introd. ES, 1, 38; MEW, 13, 635)]. Les catégories les plus
abstraites ont une généralité qui a un présupposé réel. « Bien que valables
pour toutes les époques, elles n'en sont pas moins le produit de conditions
historiques et ne restent pleinement valables que pour ces conditions et
dans le cadre de celles-ci» (ibid., 39; ibid., 636). Cette problématique est
aussi présente chez Gramsci sous le thème de l'homme collectif et de l'uni-
fication socioculturelle du genre humain dans la constitution de l'hégémonie
par et pour la classe des producteurs (Quaderni, éd. Gerratana, p. 1134,
1330 , 1376).
~ CoRRÉLATS. - Abstrait/Concret, Catégorie, Détermination, Dialectique, Genre, Réifi-
cation, Représentation.
A. T.
G. L.
509 GRAMSCISME
Gliederung
Fr : Artitll/lI/i.,. ou TolJJliti (tornbùo4isOTI) .,titllU, (Althusser) ou encore C.,.nr.ion o"oniqru (Della
Volpe).
Si ce mot, utilisé par :Marx dans les GrunJrisse notamment, parait
parfois désigner un procès (du verbegliedern: articuler, organiser, ordonner),
il signifie le plus souvent son résultat, soit une totalité au sein de laquelle
des « moments» entrent en des rapports de cohésion organique ainsi que
la structure de ces rapports comme corps apte à coordonner des « membres »
(GliednJ. Ainsi l'Introduction fÙ 57 définit la production, la distribution,
l'échange et la consommation comme les « membres d'une totalité, diffé-
rences au sein d'une unité» (Textes sur la mithofÙ de la scieru:e ico/tornique, ES,
155; MEW, 13,630). Cette totalité structurée et différenciée, cette GlitdtTung,
se présente donc comme une configuration de rapports hiérarchisés. C'est
en ce sens que Marx parle de« l'articulation de la production» (145-147;
627-628) qu'il spécifie comme« articulation sociale déterminée» (149; 628)
ou encore « articulation interne de la société bourgeoise» (179; 639).
Il prend ici le soin méthodologique de rigoureusement distinguer entre
deux types de Gliednung : l'articulation des « rapports de la société» et
celle des « catégories qui expriment ces rapports» (171 ; 636; cf. également
177-179; 638-639), sans que la nature de cette distinction soit par lui
péremptoirement élucidée.
La question demeurait donc très largement ouverte : qu'en était-il
de la relation entre ces deux espèces de totalité structurée, ces deux ordres
(l'historique et le logique), ces deux temporalités, « passé-présent » pour
Della Volpe, « résultat historique - structure actuelle de la société» pour
Althusser? Ces deux noms suffisent à dire combien la réflexion marxiste
contemporaine s'est attachée à intervenir autour de ce nœud problé-
matique. Le travail théorique du second, L. Althusser, procède d'ailleurs
en bonne part et de façon constitutive de la distinction épistémologique
essentielle entre les deux Gliederungen : « C'est ... cette Gliederung, cette
totalité-articulée-de-pensée qu'il s'agit de produire dans la connaissance.. ,
pour parvenir à la connaissance de la Gliederung réelle... qui constitue
l'existence de la société bourgeoise. L'ordre dans lequella Gliederung de pensée
est produite est un ordre spécifique, l'ordre méme de l'analyse théorique
que Marx accomplit dans Le Capital, l'ordre de la liaison, de la « synthèse»
des concepts nécessaires à la production de ce tout-de-pensée, de ce
concret-de-pensée qu'est la théorie du Capital » (LLe, l, 59-60; pour ce qui
concerne Della Volpe, cf. Historique/Logique).
~ CollRtLATS - Abstrait/Concret, Analyse, Combinaison, Fonnalion ttonomique el
sociale, Fonne(s), Instance, HistoriquefLogique, Mode de production, Structuralisme.
G. Ile.
Gramscisme
Al : Gromscismus. - An : G,omscism. - R : UUni, G,mnli.
Que l'œuvre de Gramsci ait toujours été suspecte d'une hérésie quel-
conque: néo.crocienne, historiciste, réformiste, voire léniniste, telle pourrait
étre la constante des étranges rapports qui la lient au « gramscisme », terme
qui connaît une assez grande diffusion dès la fin des années 60. En effet,
avec le pré et le post-I968, la reInise en cause, ou méme l'interprétation de
l'œuvre de Gramsci, devient désormais inséparable de celle du - ou de
GRAMSC/SME 510
4/ Voir par ailleurs P. ANDERSON, Sur Gramsci, Maspero, 1978; N. BADALOSI, Il marmmo
di Gramsti, Einaudi, 1975; C. BUCI.GLUCKSMANN, Gramsci et l'Etal, Fayard, 1975; G. MARA-
MAO, Morxisl7UJ e ..tisionismo in Italia, De Donato, 1971; L. PACGI, Gramsti e il nuxkrna printipe,
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textes présentés par Rossana ROSSANDA, Seuil, 1971; Da Toglial/i alla nuova sinistra, Il
Manifesto/Quaderno, Alfani Editore; Gramsci and Mar.tisl Theory, cdited by Chantal
MOUFFE, Routlcdge & Kegan, 1979; Polilica e storia in Gramsci, colloque de Florence,
2 tomes, Riuniti, 1977.
Grecs
AI : G<iech.... - An : Cruks. - R : C"ki.
Grève
AI : Slrlik. - An : S/rikt. - R : Zab"''''.ka, S",aa.
Groupe anti-parti
AI : P.rtlifdndlich, Gruppe. - An : Anli.party granp. - R : Anlipartijnaja lmpp•.
Voir : Parti.
Guérilla
AI : Gueril/akri,g, Gn,rillaluw,gnng. - An : Gue"illa. - R : Gui/'j••
Guerre
Al : Krill. - An : W.r. - R : V.in•.
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(et ""', L. du 3 ma~ 1960); Ubtr Jm Kmg (FE), I(EW, 17; M. PLON, lA Ih/orU tUsjnue, 1/114
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d la R/vo/alÎOll rusSl, Paris, Mouton, 1959; Eug. SOI(AINI, La guerre lOCialiste. Punti per
un'analisi, apud Probùmi tkIIa Ir~, 6/1gBI, Bologna, p. 144-162; STALINE. KIStIJir,
th< PC(b) tU l'URSS, Moscou, 1949, chap. VI, 3; ID., U marxisml " la I[IIISIÎOII MIÎOIIIIU"
coIoni4lI, Paris, ES, 1953; TRonC, &rils miUttrins, Paris, 196B.
Guerre du peuple
AI : VDJbkri". - An : P'"iJl,'s wa•• - R : Xarodnaja ""jna.
voit apparaître également ses propres limites ; à court terme, dans son
incapacité de dépasser le stade de la guérilla pour parvenir à la guerre
de mouvement faute d'un commandement unique, c'est-à-dire de l'Etat
jacobin; à long terme, le risque de déboucher, en l'absence d'une classe
révolutionnaire hégémonique, sur une dictature de type militaire (pro-
nunciamento)•
A ces « brèches » largement ouvertes par Marx et Engels grâce à
l'analyse concrète des événements en rapport avec la lutte qu'ils menaient
au nom du prolétariat allemand et européen de leur temps sont venues
se greffer d'autres leçons tirées de la guerre civile russe (Frounzé,
Trotski) et surtout de la « Longue Marche » chinoise (Mao, Chu Teh
et Lin Biao) : l'accent « marxiste-asiatique» sur l' « alliance indestruc-
tible » entre la paysannerie et le prolétariat urbain, la stratégie du Front
national uni placé sous la direction hégémonique du Parti communiste,
la version luxemburgiste-léniniste de la nature universelle de l'impérialisme,
de la solidarité organique entre les mouvements de libération et la révolution
socialiste et de la nature de « base révolutionnaire » de l'URSS Uusqu'à
la rupture sino-soviétique de 1956).
Tout comme en Chine, la pensée militaire vietnamienne semble avoir
intériorisé les effets du communisme de guerre qui a, peu à peu, investi le
marxisme des sociétés périphériques dominées directement ou indirectement
par l'impérialisme (Vo Nguyên-Giap, Lê Duân, Truong Chinh). Il en
résulte un double déplacement problématique ; à la stratégie des
« guerres de position» qui, scion A. Gramsci, caractérisent la lutte de
classe dans les sociétés industrielles avancées se substituent les guerres
de mouvement et la guérilla qui représentent la trame des conflits
entre « les plus forts » (les forces impérialistes) et « les plus faibles »
(les forces progressistes du Tiers Monde); la place du prolétariat constitué
en classe distincte, concentré dans les grands centres urbains et placé au
poste de commandement dans les sphères d'hégémonie (production,
culture, politique) face à l'Etat bourgeois est occupée par des milliers et
des millions de petits paysans (ou fenniers) peu instruits, vivant en vase
clos (la commune rurale), disséminés à travers tout le pays.
Aux affrontements entre deux formations de combat de type classique
disposant d'un potentiel industriel et humain comparable se substituent
des guerres inégales dissymétriques opposant la puissance industrielle - dont la
dynamique de la victoire repose sur la capacité de détruire rapidement
l'armée ennemie (Blitzkrieg) ou la contraindre à déposer les armes - à
une armée faible dont la survie réside dans la durée (renaissance des
guerres populaires prolongées). C'est en ce sens que Vo Nguyên-Giap
définit la guerre révolutionnaire de longue durée comme le passage continu,
progressif, linéaire de la guerre de guérilla à la guerre de mouvement en
passant par une étape intermédiaire; la guerre de position (Les trois formes
de combat de la guerre du peuple, apud Guerre du peuple, Armée du Peuple). Il
s'agit là d'une version vietnamielme de la thèse maoiste du rOle straté-
gique de la guérilla dans la guerre du peuple (De la guerre révolutionnaire).
Outre le fait que la durée seule permet au pays faible de « modifier
le rapport de forces» (Mao), le caractère total, multiforme de la lutte
(économique, culturelle, politique), la nature imprévisible (l'absence de
front défini, dissymétrie - inversée - dans la connaissance des mouve-
ments ennemis) de la guerre du peuple détruit l'homogénéité et l'unicité
525 GUERRE DU PEUPLE
unes avec les autres et la saisie de leur « pertinence» en vue du choix stra·
tégique du moment de l'engagement.
Dans la pratique militaire proprement dite, il commande le « saut
qualitatif» d'une situation politico-militaire à une autre, notamment la
détermination du passage de la guerre défensive (qui correspond à l'état
d'~uilibre des forces) à la contre-offensive généralisée (T6ng plum cOng)
et à l'insurrection généralisée (TOng kiwi nghia).
Ce qu'il convient d'ajouter, pour éviter toute confusion entre les écrits
marxistes vietnamiens et la phraséologie marxisante des années 60 (en
France surtout), c'est cette absence de prétention métaphysique et univer-
salisante qui caractérise les « discours de guerre » des Vietnamiens. Ils
constituent le simple « témoignage» vivant des luttes d'un peuple, d'un
pays et d'une époque. Et aussi, à leur manière, leur apport spécifi-
que au processus d'élargissement et d'approfondissement du marxisme
contemporain.
Produit de l'histoire, le conjancturalisme révolutionnaire ne s'apparente
ni à un corpus de recettes ou de « techniques » du parfait « guérillero »,
ni à une théorie « scientifique » au sens classique. Le principal mérite de
Vo Nguyên-Giap et de ses émules (Van Tiên-Dung, Trân Van-Tra, Nguyên
Chi-Thanh...) réside dans le fait d'avoir rappelé constamment que les
« conditions de victoire n'ont rien à voir avec la certitude d'une
prévision, (que) l'essentiel - du point de vue pratique - est la tactique,
le quotidien, la continuité du travail» (P. Raymond, La résistible fatalité
de l'histoire, Paris, t982), que l'homme, l' « individu» libéré des chaînes
de l'exploitation et son héroïsme, individuel ou collectif, restent en dernière
instance le facteur décisif de la guerre et de la paix.
Il en est de même de la théorie guévariste dufoco qui, tout en réOéchis-
sant sur les conditions objectives et subjectives de la lutte armée en
Amérique latine, apporte un autre éclairage sur les guerres révolutionnaires
dans le monde contemporain. En assignant à la guérilla une double fonction:
politico-idéologique (provoquer la prise de conscience révolutionnaire
au lieu d'en attendre une hypothétique maturation) et politico-militaire
(former le futur noyau dirigeant à partir de l'alliance dans le combat des
paysans, ouvriers et intellectuels), Guevara soutient des thèses assez proches
de l'historicisme critique des années 20 (Gramsci, Lukâcs, Korsdl,
R. Luxemburg). A condition, toutefois, d'être relues à un double éclai·
rage conjoncturel : refus du statu quo imposé par les marxismes d'Etat
(URSS, Chine); défense d'un front de solidarité « tricontinentale » en
s'appuyant sur les « noyaux durs» en lutte (Vietnam, Cuba). Dépassant
les intuitions tiers-mondistes de F. Fanon (Les damnis de la terre), la
pensée du « Che» continue d'exercer une infiuence diffuse sur les mou-
vements de libération nationale de l'Mrique et de l'Amérique latine et sur
des hommes tels que A. Cabral (Pratique révolutionnaire. L'arme de la théorie,
Paris, t968) .
• BIBUOGRAPHlE. - G. BoUDAUt., Essai sur la pensée militaire vietnamienne, in Homm.
"SociiU, tg6S; F. ENGELS, La rivotulUm tIimoeroliqw hoUTI"'is. m A1ulfl4l1V, Paru, 1952;
F. FANON, L'an V d. l'int/JpetuJane•• SO<ÙIlogi. tl'UTI. Rivotulion, 1959; C. GutVARA, Crilr
tUux, Irois... '" nambw", Villnom, voilà U mol ti'ortir., ParU, 1967; Ho CHI-MINH .1 al., Ban vi
chiln IraM nIuIn dân và lue IUDng /lU Irang nIuIn dân (A pro"", d. ta gum. du p.U/>u " d. t'amll.
du p.upl.) , Hanoi, 1966: M. LACHERAF, L'Alghù, noIUm., sodJti, Paru, 1965; MAo ZE-
DONG, US probUmes SlTaUgiqws '" la gUffT' rivolulionnaiTl, in œuvres choisi", Paru, vol. l,
527 GUESDISME
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HAANo VAN-TtIAJ, N. V.-VlNt!••• ; TIUNt! VAN TtlAO, Et ils prirent Saigon, in Polit. /lUj.,
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1977: In. ct tJl., &hIc d l'aulSSÎon amIrieaiN, tiN, 1967,
Guesdisme
AI : Guudismw. - An : GUlJJism. - R : Gldw..
.q
~L
(: ' :1 r::i ~ ,
'., i ::;-f! J' ;:1 ,-;;: i~lrJ! ;':
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H
Hégélianisme
AI : H",Ii""ürmu. - An : H",litmüm. - R : Gt"I'jllrU""',
Hégémonie
Al : H",,,,,,,,i,, V.nnacIrI. - An : H"m-:!. - R : Gt'""""ij•.
société civile constitue pour l'art politique comme les tranchées et forti-
fications du front durant la guerre de position» (Q.uaderni, cité, p. 1567).
Dans des situations où il n'y a pas de passage direct de l'économique au
politique, la stratégie de guerre de position « est la seule possible» (( ... en
Occident », ajoute A. G.; ibid., p. 866). De ce point de vue, les deux inter-
prétations divergentes de l'hégémonie, centrées sur les rapports Gramsci-
Lénine, sont pour le moins unilatérales. D'un côté l'hégémonie, complément
de la dictature, serait un concept unificateur du moment de la domination
et de la coercition. Ce qui aboutit à nier la nouveauté théorique et straté-
gique de l'interprétation gramscienne par rapport à un léninisme le plus
souvent réduit à la seule « dictature du prolétariat ». Or, à la diffé-
rence de ce léninisme-là, Gramsci sépare radicalement le processus de
direction de classe du moment de la domination étatique: « L'hégémonie
peut et doit exister avant de parvenir au gouvernement ct il ne faut pas
compter seulement sur le pouvoir, sur la force qu'il donne, pour exercer la
direction ou hégémonie politique» (ibid., p. 40-41 ct 2010. Gramsci sou-
ligne que la domination s'exerce sur les adversaires ct l'hégémonie sur les
classes alliées). Comme stratégie, l'hégémonie est à la fois un préalable à la
conquête du pouvoir et une condition permanente de son exercice et de
sa conservation.
Cela signifie-t-il pour autant que l'hégémonie gramscienne s'iden-
tifierait purement et simplement à « la voie nationale - parlementaire»
au socialisme, voire à une recette politique pour le présent, faisant de
Gramsci le « père de l'eurocommunisme »? Certes l'hégémonie chez
Gramsci définit les conditions ct le préalable de la reformulation togliat-
tienne de la stratégie. Elle s'enracine bien dans un certain « plura-
lisme » institutionnel propre aux sociétés occidentales. A côté du parti
qui joue un rôle prioritaire, Gramsci souligne l'enracinement hégémo-
nique dans les « conseils » de base, dans la conquête des intellectuels
comme masse... Au point qu'on a interprété l'hégémonie comme un pro-
cessus nouveau d'articulation des sujets révolutionnaires, rompant avec la
conception « c1assiste » des idéolologies. (Dans cette direction interprétative,
cf. l'article de Chantal Mouffe, Hegemony and Ideology in Gramsci,
Gramsci and A1arxist Theory, Edited by Chantal Mouffe, London, Routledge
& Kegan, 1979.)
Mais il est vrai que Gramsci n'élude jamais le moment de la force dans
l'Etat et le moment d'articulation entre force et hégémonie dans l'exercice
du pouvoir. Tout au plus, la place et la nature de la coercition sont-elles subor-
données à la capacité d'hégémonie dans les rapports de forces, comme la
guerre de position est la stratégie fondamentale qui se subordonne « la
guerre de mouvement » comme moment tactique.
En ce sens, le concept d'hégémonie - avec toutes ses articulations
nouvelles - conserve une référence critique pour l'approche du pouvoir
propre à une période historique. Ce qui explique sans doute l'extraor-
dinaire diffusion internationale de Gramsci, au-delà de la « Révolution
en Occident ». Si la stratégie d'hégémonie peut répondre aux « démo-
craties modernes» à société civile organisée et « Etat intégral », elle semble
également concerner les sociétés civiles désagrégées par un Etat-domination.
(Sur l'interprétation de Gramsci en Amérique latine et dans le cadre de
société dominée, cf. Juan Carlos Portantiero, Los usos de Gramsci, Escritos
Politicos, Cuadernos de Pasado y Presente, 54, Siglo Veintiuno, Mexico.)
HtRITAGE 538
Héritage
AI : Er6schoft, Er6TtChl. - An : Htirdom. - R : NosùdslllO.
Voir : Bakouninisme.
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Répétition, Science.
~. M.
Historicisme
AI : Historicismw J Hr'Jlorismus. - An : H"JltJriciJffl. - R : Isloriûzrn.
Historique 1 Logique
AI : Hi.!/oriuhllogÏJch. - An : Hl'slor;cal/Log/caJ. - R : /sloriùs};Q,/URii'Jkoe.
Cf. également sur l'Introduction tk 57: K. KORSCH, Karl Afarx, p. 37, 59 et s., et L. SÈVE,
Mlthotk en scimets lconomiques, in NC, nO 71, févr. 1974, p. 34-35; sur la lhéorie de l'abstrac-
tion déterminée: G. DELLA VOLPE, La logique comme ScÎ'Mt historique, p. 173, 179-180;
sur le primaI épistémologique du présent sur le passé : L. ALTHUSSER, LLC, U.
Homme
Al : Menuh. - An : Man. - R : CtlDveIr..
2{ R. GARAUDY, Peut-<Jn être communiste aujourd'/Wi? (ParL., 1968), 1" partie, 3" partie,
chap. IV : « Le capitalisme monopoliste d'Etat et l'homme»; L. SÈVE, Marxisme et lhiorie
/Ù la jJtrsannalitJ (ParL., 1Te éd., 1969). chap. 2 : « Personnalité humaine et matérialisme
historique»; M. VERRET, ThitJTÜ et palitiqlU! (ParL., 1967). chap. 3: « Sur l'humanisme»;
L. ALTHUSSER, Riponse d Jahn ùwis (Paris, 1973).
3 { Les œuvres de DIDEROT. ROUSSEAU. KANT et FlcHTI!.
4 { Une discussion est amorcée par L. SÈVE in Analyses marxL.tes de l'aliénation :
religion el économie politique. Philo et religion. Paris, 1973 (il s'agit d'une réponse à la
cantonade aux travaux d'Althusser, en particulier).
5 { A. CORNU, Karl Marx et Früdrich Engels (Pam, 1955-1970); E. lloTIIGELU, G....se
du sacialisol8 scientifiqlU! (Pam, 1967) ainsi que sa présentation de la traduction des Manus-
crits /Ù 1841 (Pam, 1962).
6 { M~me bibliographie. Y ajouter G. LABlCA, Sur le s"'tut marxiste /Ù la philasophie
(Pam-BnJxe11es, 1976), 3. partie.
7 { L. SÈVE, Une introduction à la philasophie marxiste (ParL.. 1980). particulièrement,
p. 218 et s. (<< (Marx) forme (00') un nouveau conc.pt d'homme en tant qu'individu social».
p. 221). Il n'est pas certain que l'individu social (concept central des Gnmdriss.) ne soit
qu'une nouvelle « figure » de l' « homme ».
8 { Débats sur les problèmes idéologiques et culturels, Cahiers du Communisme. mai·
juin 1966; G. SOREL. Rijkxions sur la violence (1908); A. GRAMSCI, Gramsci dans le lexie
(trad. franç., Paris, 1975), Cahiers d. prison, 111, notes critiques sur une tentative de manuel
populaire de sociologie (p. 303 et s.). On pourrait relire bon nombre de textes de Lukâcs
avec ces « problématiques » présentes à l'esprit (en particulier Gesclrû:h/t und Klassen-
h.wusstsein; trad. franç. Histoire et conscience /Ù classe, Paris, Minuit, 196o); R. MONOOLFO.
El hu:mmrimlo /Ù J.farx, l\,fexico. Fondo de Cultura economica. 1964.
~ .~' ,-'-1 ;I·, ". :-.,,\-, '. ',< ~;.'.'" ;"<, " q,
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1
Idéalisme
Al : ld,aliImU1. - An : ldtalism. - R : ItftaliQ1l.
Idéologie
Al : UN/agie. - An : Ideology. - R : U ../ogija.
machie; fausse science plus encore que fausse conscience, qui se dissipe
comme la brume du matin aussitôt que pointe le soleil. C'est la tradition
des Lumières. Et celle de Bacon, le « créateur » du matérialisme (SF 155;
135), qui, le premier, recensa les idoles et salua l'iconoclastie comme
l'avènement de la connaissance scientifique.
En cette première acception, le concept marque un acquis qui sera
conservé, - la critique de la philosophie assimilée à l'idéalisme, inscrite
dans la problématique du rt1WeTsement. Engels y revient, dans son Anti-
Düluing, quand il évoque « la vieille et chère méthode idéologique qu'on
appelle ailleurs méthode a priori et qui consiste non pas à connaître les
propriétés d'un objet en les tirant de l'objet lui-même, mais à les déduire
démonstrativement du concept de l'objet » (Ire partie, chap. x, début);
et plus durement encore, dans le Ludwig Feuerbach... , où il situe les racines
de la philosophie, comme de la religion, « dans les conceptions bornées et
ignorantes de l'état de sauvagerie» (Il, début). Pour un Croce - et
pour bien d'autres, les deux mots « idéaliste » et « idéologue » seront
synonymes (Matérialisme historique et économie marxiste, Paris, Giard &
Brière, IgOI, p. 156).
2 / Base et superstructure. - Renversement cependant n'est pas genèse,
ni métaphore explication. Marx est de la sorte conduit à l'exposition d'une
autre problématique, celle de la célèbre Préface à la Contribution, qui peut
être ramenée au tableau suivant :
(2) RP (rapports de prod.) } t t ou base
(1) FP (forces prod.) s rue ure lAI 1
Superstructure juridique/politique IB/' FES
Formes de conscience Icd
Lequel schéma s'explicite en une série de propositions
le rapport A/B-C, dans sa généralité: le matérialisme;
l'ensemble A/B/C circonscrit le concept de formation économique-
sociale (FES);
la contradiction FP/RP, où FP joue le rôle déterminant (<< moteur »),
définit le procès révolutionnaire et provoque le « bouleversement » de
toute la FES;
l'hétérogénéité de ce bouleversement est double :
du point de vue de sa connaissance : elle est « scientifiquement
rigourewe » pour la « base matérielle » ou les « conditions de
production économiques »; et scientifiquement non rigoureuse
(proposilion implicite) pour les « formes idéologiques »;
du point de vue de sa temporalité : c'est cc plus ou moins rapi-
dement » que se transmet l'effet du changement dans la base à
« l'énorme» (ungeheure) superstructure.
Ces propositions, à leur tour, ne vont pas sans remarques:
- concernant la cc réduction» des trois éléments AIBICI à deux, base et
superstructure, où l'on constate à lafois que B et C, d'être pensés dans
leur différence avec A (1)/(2), se trouvent fusionnés ou confondus, les
termes « superstructure », « formes de conscience» ct c< formes idéolo-
giques » étant pris comme synonymes; et que, cependant. le B (qui sc
présente d'abord comme « superstructure juridique et politique », cl,
563 IDtOLOGIE
sous lesquels ils vivent» (L. Althusser, Positions, Paris, ES, 1976, p. 104).
Porté à son comble, il aboutit à la conscience d'une autonomie des caté-
gories. « On pourra alors dire, par exemple, qu'au temps où l'aristocratie
régnait, c'était le règne des concepts d'honneur, de fidélité, etc., et qu'au
temps où régnait la bourgeoisie, c'était le règne des concepts de liberté,
d'égalité, etc. » La conception idéaliste de l'histoire enregistre ce phéno-
mène et en fait son point de départ. Il ne lui reste plus qu'à déduire la
société ciuile de la catégorie qui l'incarne et des formes de conscience qu'elle a
elle-même enfantées. Autrement dit, « elle croit chaque époque sur parole,
sur ce qu'elle dit d'elle-même et pour quoi elle se prend» (lA, 79; 49).
b ( L'autonomisation de la profession
Marx en a ainsi fixé le cadre général : « Les individus sont toujours
partis d'eux-mêmes, partent toujours d'eux-mêmes. Leurs rapports sont
les rapports de leur procès de vie réel. D'où vient-il que leurs rapports
accèdent contre eux à l'autonomie? Que les puissances de leur propre vie
deviennent toutes-puissantes contre eux ? En un mot: la division du travail,
dont le degré dépend de la force productive développée à chaque moment »
(lA, 108-lOg; 540). Il précise que l'inversion, ou le « auf den Kopf »,
idéologique est d'autant plus inévitable que le métier, de sa nature, s'y
prête davantage : « le juge, par exemple, applique le code, et c'est
pourquoi il considère la législation comme le véritable moteur actif»
(lA, 108; 539); sa marchandise est en rapport avec l'universel (ibid.).
L'autonomie de la profession ne joue pas indépendamment de l'existence des
classes. Elle se combine avec elle, car les conditions personnelles sont
devenues les conditions communes et générales, pour toute classe, et
l'individu leur est subordonné, comme la politique l'est au commerce
(394; 342 ). Encore, précisons-le, que la relation classe/individu soit sujette
à flottements dans L'idéologie allemande et marquée de l'imprécision inhé-
rente à ce qui est en travail dans l'ensemble de la problématique. On le
voit, pour prendre un exemple, qui a le mérite de mettre fortement en
évidence la diversité des points de vue possibles, dans un énoncé tel que
celui-ci : « Cette contradiction entre les forces productives et le mode
d'échanges qui, comme nous l'avons déjà vu, s'est produite plusieurs fois
déjà dans l'histoire jusqu'à nos jours, sans toutefois en compromettre la
base fondamentale, a dû chaque fois éclater dans une révolution, prenant
en même temps diverses formes accessoires, telles que totalité de conflits,
heurts de différentes classes, contradictions de la conscience, lutte idéo-
logique (Gedankenkampf) etc., lutte politique, etc. D'un point de vue borné,
on peut dès lors abstraire l'une de ces formes accessoires et la considérer
comme la base de ces révolutions, chose d'autant plus facile que les
individus dont partaient les révolutions se faisaient eux-mêmes des illusions
sur leur propre activité selon le degré de culture et le stade de dévelop-
pement historique» (9 0 -9 1 ; 74).
c / Le rôle des idéologues
On retrouve la division du travail, qui ne se manifeste pas seulement
dans la division de la société en classes et la répartition des individus
dans des emplois différents. Qui traverse aussi les classes. Qui crée, au sein
de la classe dominante, une dichotomie entre « travail intellectuel et
matériel» (76; 46), entre penseurs et acteurs ou, plus exactement dit,
567 IDtOLOGIE
montre; qu'il n'y a pas de « muraille de Chine» entre les classes; que la
lutte de classes est le mode d'existence des classes, et, comme le disait Marx,
« le dénouement de toute cette merde» (L. à FE, 30 avr. 1868; MEW, 32,
75). Lénine excellera dans le genre, ainsi que le Brecht des Ecrits sur la
politique et la société ou le Bloch de L'esprit de notre temps.
3.2. S'agissant de l'Etat, c'est la relation dominant-dominé qui est en
cause. L'lA laisse clairement entendre que domination de l'idéalisme et
domination de la bourgeoisie sont une seule et même chose. Un pont est
ainsi jeté entre l'idéologie et la position privilégiée d'une classe, entre
pouvoir matériel et pouvoir spirituel, donc également, en principe, entre
la possibilité d'une critique radicale, i.e. historiquement fondée, ou
« scientifique », des idées dominantes et celle de la révolution prolé-
tarienne. Le Manifeste sera, de ce point de vue, catégorique : « Le
prolétariat, couche la plus basse de la société actuelle, ne peut se mettre
debout, se redresser, sans faire voler en éclats toute la superstructure des
couches qui constituent la société officielle» (l, in fine). Toutefois, si les
idées dominantes ne sont toujours que les idées de la classe dominante, s'il
n'y a « rien d'étonnant à ce que la conscience sociale de tous les siècles,
en dépit de toute multiplicité et de toutes variétés, se meuve dans cer-
taines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront
pleinement qu'avec la disparition complète de l'opposition de classes »
(ibid., Il, infine), comment le prolétariat parviendra-toi! à affirmer sa propre
idéologie, sa propre politique, et, en conséquence, à assurer sa propre
domination? Tout ne se passe-toi! pas, de l'lA au MPC, comme si
« idéologie prolétarienne» comportait une contradiction dans les termes?
La fonction de l'Etat, en tant que « première puissance idéologique », en
tant que créateur d'une idéologie, dont le propre est d'escamoter la liaison
avec les faits économiques, comme l'assure, plus tard, FE (LF, IV; MEW,
21, 302), n'est-elle pas celle d'un slÎr verrou? Deux réponses sont
possibles, qui peuvent également invoquer la caution de la Préface de 1859,
soit qu'on la lise comme une structure à deux étages (base/superstructure;
cf. supra A/C), soit qu'on la lise comme structure à trois étages (ibid.,
A/B/C/). Dans le second cas on a affaire au schéma scission-projection
(autonomisation de l'lA, ou détachement de la ThF IV). La classe qui règne
sur les rapports de production impose, grâce à l'Etat, sa domination sur
l'ensemble de la structure. L'idéologie c'est le reflet inversé d'un monde à
l'envers, enchanté. L'image optique est inévitable, de l'aliénation au
fétichisme, tous deux omniprésents. Dans le premier cas, l'idéologie circule
partout dans la structure sociale. Conscience des conflits et des pratiques,
elle est conscience des maitres qui veillent à conserver leur pouvoir, et
conscience des dominés, qui tentent l'affirmation de leur identité, au travers
même du miroir que leur tendent les dominants. Les premières revendi-
cations travaillent l'idéologie bourgeoise afin de la retourner contre
elle-même : liberté-égalité-fraternité, justice sociale; même le droit, qui
reste encore bourgeois, sous la dictature du prolétariat. De semblables
rapports sociaux gouvernent les deux types de conscience et fixent leurs
limites, sous le contrôle de la lutte de classes. Il est donc bien une histoire
de l'idéologie, une pratique prolétarienne possible. En fait, les deux logiques
se croisent sans parvenir à se recouvrir exactement. Et, en ce sens, la
problématique du fétichisme dans le K. n'est pas fondamentalement
différente de celle de la Préface de 1859. Pour le Manifeste, comme autrefois
569 lotOLOGIE
IÙla pmoll1ll1/iti, Paris, ES, 1974; G. SOREL, Matlriaux tl'une IhJorù dll prolitarial, Paris-Genève,
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Détermination, Di\;sion du travail manuel et intellectuel, Economisme, Egalité, Esprit
de parti, Esthétique, Etre social/ conscience, Fétichisme, Fusion, Hégémonie, Idéalisme,
Instances, Littérature, Matérialisme, Orthodoxie, Philosophie, Réification, Religion,
Renversement, Répétition, Représentation, Science, Spontané, Superstructure.
G. L.
Immigration
Al : Immigration, ausliindische Arb.ilJkTfifle. - An : Immigralion. - R : Immigroûja.
Impérialisme
Al : lmperiatismus. - An : lmperialism. - R : lmpni4ticII.
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Industrialisation
AI : Intiustriolisi,nmg. - An : lndust,ialisati"".- R : lndustrializacija.
Industrie domestique
ou travail à domicile
AI : Hausa,b.it, H.imindust,i•. - An : Hame i_dust". Pulti_, ouI SJlstem. - R : Kustamaja pr.-
my!lmnOlI'.
Industrie (grande)
AI : GrllfJindustrit. - An : Larg. stal. iMuslry. - R : Kru/maja ",ornyfl.nno"'.
Inflation
AI : l""alion. - An : lnjlalit",. - R : lnjllltiia.
Infrastructure
AI et R : imwlé. - An : l'lfraslnJJ:/w' CIl rare.
J.-M. G.
Instance(s)
AI : Inslmu(m). - An : Insl4nt.(s). - R : llUl4N:jja(ii).
Institution
Al : [lISlit.lion. - An : lllSlilulion. - R : Utrtb/mit.
Insurrection
Al : Aufttand. - An : Insu,mtion. - R : Voss/lmie.
1 1 F.
Engels, qui doit à son intérêt pour les choses militaires le surnom
de « général », donne une définition: « l'insurrection est un art aussi bien
que la guerre ou n'importe quel autre art; elle est soumise à certaines
règles pratiques... ; [elle] est un calcul avec des grandeurs très indéterminées
dont la valeur peut varier tous les jours... » C'est le mot de Danton,
« le plus grand maître en tactique révolutionnaire connu jusqu'ici »,
qui en résume l'esprit: « de l'audace, de l'audace, encore de l'audace»
(MEW, B, 95; ReR, 2B9)·
2 1 Lénine, dont Engels demeurera le modèle en la matière, évoque
constamment la formule « l'insurrection est un art»; il cite, à plusieurs
reprises la page d'Engels (Cahier bleu, BI; O., 26, 129) et la commente
(O., 26, IB2-183). Les traits sur lesquels il insiste sont les suivants :
l'aspect<< offensif» (1 l, 175), la liaison armée et gouvernement révolution-
naires, aussi « indispensables» l'un que l'autre (8, 571).
3 1A la veille d'octobre, il écrit: « Pour réussir, l'insurrection doit
s'appuyer non pas sur un complot, non pas sur un parti, mais sur la
classe d'avant-garde. Voilà un premier point. L'insurrection doit s'appuyer
sur l'élan révolutionnaire du peuple. Voilà le second point. L'insurrection doit
surgir à un tournant de l'histoire de la révolution ascendante où l'activité
de l'avant-garde du peuple est la plus forte, où les hésitations sont les plus
fortes dans les rangs de l'ennemi et dans ceux des amis de la révolution faibles,
indécis, pleins de contradictions; voilà le troisième point. Telles sont les trois
conditions qui font que, dans la façon de poser la question de l'insurrection,
le marxisme se distingue du blanquisme » (26, 13-14).
~ CORRÉLATS. - Barricades, Blanqui.me, Guerre, Guerre du peuple, Guérilla, Jacobi-
nisme, Violence.
G. L.
Intellectuel s
Al : Inkllige~, lnùllektuelle. - An : lnulleetuo/s. - R : lnt,lligmlY, lnt,lligentsija.
vernés - est défini par une adhésion organique dans laquelle le sentiment-
passion devient compréhension et par conséquent savoir (non pas méca-
niquement mais d'une manière vivante), on a alors, et seulement à cette
condition, un rapport qui est de représentation et c'est alors qu'a lieu
l'échange d'éléments individuels entre gouvernés et gouvernants, entre
dirigés et dirigeants, c'est-à-dire que se réalise la vie d'ensemble qui seule
est la force sociale; c'est alors que se crée le « bloc historique ». » L'intel-
lectuel n'est donc pas un fonctionnaire du parti: il a fait de la politique
une passion; mais, en retour, le parti ne le traite pas comme tel: « Il
paraît nécessaire que le lent travail de la recherche de vérités nouvelles
et meilleures, de formulations plus cohérentes et plus claires des vérités
elles-mêmes, soit laissé à l'initiative de chaque savant, même s'ils remettent
continuellement en discussion les principes mêmes qui paraissent les plus
essentiels» (Gr. ds le lexie, p. 161).
On le voit, le concept d'intellectuel est pour Gramsci un concept
politique par excellence: il se construit autant comme objet de la science
historique que comme impératif catégorique de l'art politique. Au regard
de ces exigences, l'évolution du marxisme, après la mort de ses grands
fondateurs, montre que le mouvement ouvrier sera long à poser correc-
tement la « question des intellectuels » : « (La philosophie de la praxis)
en est encore aujourd'hui à sa phase populaire: susciter un groupe d'intel-
lectuels indépendants n'est pas chose facile, et exige un long processus, avec
des actions et des réactions, des adhésions et des dissolutions et de nouvelles
formations très nombreuses et complexes. Elle est la conception d'un
groupe social subalterne, sans initiative historique, qui s'élargit conti-
nuellement mais non organiquement, et sans pouvoir dépasser un certain
niveau qualitatif (...). La philosophie de la praxis est devenue elle aussi
« préjugé» et « superstition »... (p. 260) .
• BIBLIOGRAPHIE. - Bertolt BRECIIT, Ecrits sur" lh/âlTl et Journal, L'Arche, '965; David
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.. CoRRÉLATS. - Démocratie, Direction/Domination, Fusion, Hégémonie, Ouvriérisme,
Petite bourgeoisie, Pratique, Théorie.
P. S.
Intensité du travail
Al : Arbeitsinttnsit4l. - An : IntmI;/)! qf work. - R : Inlmsilm.sl' ITUd••
Intérêt
AI : .(;ins. - An : [ollwl. - R : P,.lml.
C'est pour l'essentiel dans deux manu~crits que Marx scrute l'intérêt,
le cahier XV des Théories sur la plus-value, rédigé en 1862 (K 4, ES, t. III,
p. 535 et s.; MEW, t. 26, 3, p. 445 et s.), et celui, écrit en 1865, dont Engels
fera la section 5 du livre III du Capital (K., ES, t. 7; MEW, t. 25, p. 350 et s.).
Le premier présente l'intérêt comme un rapport social fétichisé. Le second,
après un nouvel exposé de cette thèse, ébauche une étude des rapports
entre le taux de profit et le taux d'intérêt, et, plus généralement, de ce qui
détermine le niveau de ce dernier.
L'intérêt met en jeu deux personnes et une chose. Cette dernière
- l'argent - est cédée par celle qui en est le propriétaire à celle qui en
fait usage, le capitaliste industriel. L'argent parcourt alors les trois étapes
du cycle du capital, A-M-A' : dans les mains de l'emprunteur, il devient
du capital. L'argent est prêté comme capital, non comme argent, même si
c'est là le mode d'être privilégié du capital; même si, pour s'accomplir
comme capital, l'argent doit fonctionner comme argent. La valeur d'usage,
dont l'argent transféré est le support, est la faculté de se mettre en valeur,
d'augmenter sa propre valeur.
Si l'argent change de mains, le titre de propriété reste du côté du
prêteur. L'argent doit lui revenir, après un certain temps, augmenté de
l'intérêt. Emprunté comme capital, l'argent devient du capital pour son
propriétaire. Smith, Massie, Hume (K 4, ES, t. l, p. 73-83 et 435-442;
MEW, t. 26, l, p. 48-56 et 349-353) considéraient l'intérêt comme un
prélèvement sur le profit du capitaliste industriel. Marx intègre ce point
de vue dans la théorie de la plus-value, l'intérêt et le profit résultant d'un
partage de celle-ci.
L'intérêt est par conséquent un effet de propriété: il a pour origine
le rapport existant entre deux personnes du fait de leurs rapports à l'égard
d'une chose. Cet effet de propriété, Marx le tient à la fois pour un passage
à la limite du rapport de production capitaliste et pour une manifestation
fétichisée de celui-ci.
Passage à la limite: dans le prêt à intérêt, le seul fait de la propriété
privée est générateur de profit (l'intérêt, en l'occurrence). Le rapport de
production capitaliste, c'est d'abord la propriété privée des moyens de
production, la séparation entre ceux-ci et les travailleurs. Il en découle la
vente et l'exploitation de la force de travail, la création de plus-value. La
propriété privée de la richesse est bien dans les deux cas condition nécessaire
à la perception d'un profit. Mais, dans le premier, elle est en outre condition
suffisante. C'est pourquoi l'intérêt est l'expression limite de l'aliénation
des conditions de travail (die entfremdete Form der Arbeitsbedingungen) (K 4,
ES, t. 3, p. 581; MEW, t. 26, 3, p. 484) dans le mode de production
capitaliste.
Manifestation fétichisée: l'extension de l'équivalence caractéristique
du prêt à intérêt : propriété privée Ç> profit, au rapport de production
capitaliste est une représentation fétichisée de celui.ci. Elle consiste à faire
du profit le résultat de la propriété d'une chose et non celui de l'exploi-
tation de la force de travail. Conformément à cette représentation, le
capital est pure séparation, alors que l'exploitation réelle, ce que Marx
appelle l'action réelle de l'aliénation (die wirkliche Aktion der Entfremdung)
(K 4, ES, t. 3, p. 583; MEW, t. 26, 3, p. 486), à laquelle se consacre le
capitaliste industriel, apparaît paradoxalement comme un travail, dont
le profit serait le salaire. Marx affirme iei que le rapport de production
601 INTtRlT
Internationale (s)
AI : Inl<rnQtiona/«n). - An : Inl<rnalionQ/(s). - R : Int...nadona/(;y).
Depuis cette date, sa recréation, telle quelle, ne s'est jamais plus posée
dans les hautes instances du communisme mondial.
Le Kominform, bien qu'il perpétue l'esprit et les mœurs de l'Inter-
nationale, sera limité aux principaux PC européens et n'aura, outre son
journal, aucune structure institutionnelle.
On retrouve la problématique de l'Internationale avec des formes et
des contours nouveaux dans les Conférences mondiales des PC - celles
de 1957, de 1960 et de 1969' Malgré leur dimension planétaire et les
tentatives de reproduire les mœurs de l'Internationale, ce dernier vestige
n'aura pas de réel impact sur le mouvement communiste, n'aura plus de
prise sur l'évolution interne des partis. Trop diversifié, tiraillé par des
divergences, le mouvement communiste n'est plus à l'heure de l'Inter-
nationale, tout en étant à la recherche d'un nouvel internationalisme et de
nouvelles formes de relations.
Malgré sa faiblesse initiale, la IVe Internationale existe encore. Les
analyses erronées du Komintern, surtout celles qui classent la social-
démocratie comme social-fascisme, bloquant toute union des forces de
gauche contre la montée de Hitler, amènent Trotski (exclu depuis 1927
de l'Internationale communiste) à s'orienter, dès 1933, vers l'édification
de la IVe Internationale. Mais bien qu'elle eût réussi à défier le temps et
qu'elle proclame un internationalisme authentique, cette dernière Inter-
nationale n'aura jamais eu de réel impact sur les masses ouvrières.
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CLAUDIN, La crise du mouvnnenl communist., du Kominum au Komirifonn, préf. de Jorge Sil'"
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WALDI!CK. RocHIlT, Paris, I!S, 1969, 159 p. (Notre Temps); G. D. H. COLIl, The Second
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socialist thought, 3); Georges HAUPT, Le Omgrès manqui. L'I.ternationah à la ueille dt la pre-
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merwald à Moscou, Neuchâtel, Ed. de La Baconnière, 1968,255 p., bibliogr.; Annie Ktu1!OIlL,
Les Inumationales o.orières, 1864'1943, Paris, PUP, 1964, 128 p. «< Que sais-je? »); Ernest
LAnROUSSl!, dir., La Ir. Inumalionah, Paris, Ed. du Centre national de la Recherche scien·
tifique, 1968, 499 p., bibliogr.; Richard LoWIlNTHAL, Khrouchteheu .t la disagr/gation du
bloc communiste, Paris, Calmann.Lévy, 1964,338 p.; Lilly MARcou, Le Komiriform,le commu-
nism. d. guerre froidt, Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1977,
344 p., bibliogr., index; ID., L'International. après StaliM, Paris, Grasset, 1979, 317 p.,
bibliogr., index; ID., Le Mo.oement communist. international d.puis 1945, Paris, PUP, 1980,
128 p. «< Que .ais.je? »); Roy M1!DVllDIlV, Jaures M1!DVllDI!V, Khrouchtehev, les annies
de po.ooir, Paris, Maspero, 1977, 220 p.; Miklos MOLSAR, Le dielin dt lJJ Ire Internatio-
nale, lJJ Confirenee fk Londres dt 1871, Genève, Droz, t963, 262 p., bibliogr., index (Publi.
cations de l'Institut universitaire des Hautes Etudes internationales, 42); Boris N. PONO-
WAREV, Les Internationales ouurières, Paris, ilS, 1955, 95 p.; Ernesto RAGlONlI!Rl, Il Marxismo
• l'Inlmta<.ional., Roma, Ed. Riuniti, 1968, XII'3IO p., index (Biblioteca di .toria, (6);
Vadim V. ZAGLADINE, dir., Le mouuemmt communiste inumational, Moscou, Editions du Progrès,
1978, 727 p.
Internationali sation
Internationalisme
AI : I_ _limws. - An : llIÛTIt4/ÎM41is.... - R : lnlmt«Ît>NJ/it;m.
Investi ssement
Al : [nvutilion, An/agt. - An : /tWtstnunl. - R : V101tnijt.
Investissement est parfois mis pour l'un ou l'autre de ces deux concepts.
Ainsi Marx parle des multiples façons d'investir une valeur comme capital
(Die Arten, worin Wert angelegt werden kann, um au Kapital ~uJungieren, ..• sind
ebenso verschùden, ebenso mannigfDl:h wie die AnÛlgesphiiren des Kapitau,. K.,
Iiv. 11, sect. 2; ES, t. 4, p. '76; MEW, t. 24, p. 'g'; cf. également: K., liV.III,
sect. 6; ES, t. 8, p. '5; MEW, t. 25, p. 636; l'achat d'une terre en vue de
percevoir une rente y est comparé au pr~t d'argent rapportant un intérêt)
et de la vague d'investissements à laquelle les crises donnent lieu après coup,
base matérielle de leur périodicité (K., liv. III, sect. 2, ES, t. 4, p. '7';
MEW, t. 24, p. ,86). Plus empiriquement, ce vocable peut être appliqué
au stock des moyens de production existants, autrement dit au capital
constant accumulé (Kapitalanlage est alors le mot utilisé).
Ce n'est que dans la section 6 du livre III du Capit4l qu'il reçoit un
sens plus spécifique. Par opposition à la « terre matière », pure étendue de
sol à l'état naturel, Marx parle, dans Misère de la phirosophù, de la « terre
capital », c'est-à-dire du capital incorporé au sol pour le bonifier: engrais,
canaux, bâtiments, etc. TI reprend cette distinction dans l'étude de la
rente foncière et appelle investissement ce capital ajouté au sol ainsi que
les capitaux avancés par le fermier pour mettre sa terre en valeur mais qui,
telles les machines, ne font pas nécessairement corps avec elle (K., Ill,
3, sect. 6, p. 7; MEW, 25, 627).
La distinction des deux formes de la rente différentielle repose, dès
lors, sur la prise en compte de l'investissement, dans le sens où celui-ci vient
d'~tre défini. La rente différentielle de première espèce a pour origine
l'inégale fertilité naturelle des terres. La rente différentielle de seconde
espèce dépend, elle, des productivités inégales (en particulier croissantes),
de capitaux successivement investis sur une même terre (ou encore de
l'accroissement du volume de capital investi sur les terres les plus fertiles,
sans augmentation de la productivité des capitaux additionnels). Quant à
la rente absolue, elle ne dépend ni de la fécondité disparate des terres ni
de la productivité variable des investissements, puisqu'elle représente le
tribut qu'en tout état de cause le fermier capitaliste doit payer à la
propriété foncière pour pouvoir faire du sol le support de ses investis-
sements.
Ce rôle joué par les investissements dans la formation du second type
de rente différentielle conditionne la perception de celle-ci à l'importance
du capital détenu par le fermier et aux facilités de crédit dont il peut
disposer. La distribution non uniforme du capital dans l'agriculture se
traduit par le fait que les fermiers capitalistes, qui, à la différence de la
paysannerie parcellaire, peuvent investir, sont en mesure de prélever une
rente différentielle.
Mais, alors que la rente différentielle issue de la fertilité naturelle
inégale des sols, fondée sur la stabilité et la notoriété de cette inégalité,
est recouvrable par le propriétaire foncier sans procédures complexes, celle
qu'engendrent les investissements des fermiers se laisse transférer plus diffi-
cilement. Des baux de fermage trop longs, dans l'intervalle desquels les
progrès de productivité dus aux investissements élèvent la rente différentielle,
privent les propriétaires fonciers de ce surcroît de revenu, qui échoit
entièrement aux fermiers. De là l'effort des détenteurs du sol pour raccourcir
les baux et celui de ses exploiteurs pour en maintenir ou en augmenter la
durée. De là encore, lors du renouvellement des baux et la redéfinition
621 IRRATIONALISME
Irrationalisme
AI : /rr~. - An : /rrlllÜJMlisln. - R : /rr~
Jauressisme
AI : Jaurûismus. - An : Jaurmism. - R : t.rUiQlI.
définir des rapports d'un autre type. Plus conscient que ne le sont les
guesdistes des problèmes nouveaux nés du développement de l'impérialisme,
il n'en fournit pourtant qu'une analyse partielle. Au colonialisme et à
l'impérialisme fauteurs de guerre, il oppose une stratégie qu'il veut interna-
tionale et dont la sauvegarde de la paix devient l'axe majeur.
• BlBUOGRAPHIE. - Textes de JAURÈS, Dùcouts parlementaires, Paris, 19'<j.; Histoire sotÏa-
liste <k la RivoluJion fran;aise, Paris, 1968; La classe ouvrière (textes choisis), Paris, '976;
L'arlnle nOllJ)elle, Paris, 1977; Anthologie, présentée par L. LEvY, préface de M. REBÉRIOUX,
Paris, 1983; Colloque Jauth et la Nation, Faculté des Lettres et Sciences humaines de
Toulouse, 1965; Colloque Jautès et la classe omri"e, Paris, 1981; J. J. FIECHTER, Les dtwc
mitho<ks, Genève, 1965; H. GoLDBERO, Jaurès, Paris, 1970; J. RABAUD,Jautès, Paria, 1971;
R. TRJ!Ml'É, Les mintU1s <k Carrruwx, Paris, 1971; M. REBÉRIOUX, Marxisme et critique du
marxisme, in Histoire du marxisme contemparain, Paris, 1977; ln., Jaurès historien, La Pensée,
décembre 1968.
~ CORRÉLATS. - Crises du marxisme, Guesdisme, Socialisme, Syndicat.
D. T.
Jdanovisme
Al : Zdanowismus. - An : ZMan..ism. - R : )danovlèina.
Juifs
Al : ]rJJf.... - An : J'w. - R : EvrlÏ.
~,_~"" ,,_ . r-
.:,.\~ ~.\ é
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1 ~ , , ;, ,.
·r "
l, "
K
Kantisme
Al : Kanlismus. - An : KanIÏJm. - R : KanlimulDo.
Kautskysme
Al : KDUIs9œ<ismus. - An : KDUIs/;yism. - R : KDUlskians",..
Ce concept semble avoir été défini par Lénine (en même temps qu'il
forgeait le terme de kautskysme), après 1914, alors qu'avant cette date, il
nourrissait la plus vive admiration pour Karl Kautsky.
Dans une série d'articles publiés dans Le Social-démocrate et Le Commu-
niste et réunis en volume en Igl8 sous le titre Contre le courant, Lénine analyse
« la rupture de Kautsky avec le marxisme ». Dans une brochure
d'avril 1917 intitulée L'opportunisme et la faillite de la Ile Internationale,
figure en note, à la première page, une définition des kautskystes :
« Il ne s'agit point ici de la personnalité des partisans de Kautsky en
Allemagne, mais de ce type international de pseudo-marxistes qui
osclilent entre l'opportunisme et le radicalisme et qui en réalité servent
simplement de feuille de vigne à l'opportunisme. )) A peu près à la même
date, dans Les tdches du prolétariat dans notre révolution, Lénine distingue trois
tendances dans le mouvement ouvrier et socialiste international : les
social-chauvins (Plekhanov en Russie, Scheidemann en Allemagne,
Renaudel. Guesde et Sembat en France, etc.). « le « centre ») et les inter-
631 KAUTSKYSME
G. Ba.
Keynésianisme
At : Ktyntlianismus. - An : Kgnesl'anism. - R : Kljnsiarutvo.
Kolkhoze
Des mots russes kollektivnoe kluujajstvo (exploitation collectIVe).
Les kolkhozes datent du lendemain de la Révolution de 1917. Pendant
la NEP, leur développement reste très lent: début 1928, les 18000 kolkhozes
ne regroupent qu'un million de paysans sur 121 millions, 0,7 % de la
surface agricole et ne représentent que 0,6 % de la production totale. Le
degré de socialisation de ces kolkhozes est très variable. Pendant le commu-
nisme de guerre, la commune est tenue pour la forme la plus avancée dans
la voie du socialisme : elle collectivise terres et moyens de production et
pratique un mode de vie communautaire et égalitaire. Dans l'arle/la vie
familiale garde son caractère privé, les terres sont mises en commun, sauf
un petit lopin, comme tous les outils importants et les bêtes de trait. Le toz
(tovariUestvo po obUestvennoj obrabotke zemli : association pour le travail de la
terre en commun) réunit des terres cultivées en commun et la répartition
des revenus dépend de la quotité de terres; bêtes et outils sont rarement
collectivisés. Ces kolkhozes rassemblent quelques familles et restent de
petites dimensions. Fin 1929, les toz;)' constituent 60 % de tous les kolkhozes,
les arteli 31 % et les communes 7 %.
A la fin de l'année 1929, la collectivisation générale doublée de la
dékoulakisation est une conséquence de la mise en œuvre du r er Plan
quinquennal et de la crise des collectes du blé commencée en 1928. En 1934,
230000 kolkhozes environ remplacent 15 millions de fermes collectivisées, le
plus souvent sous la contrainte, soit 71,4 % du nombre total des exploi-
635 KOLKHOZE
tations. Le statut type de février 1930 retient l'artel comme structure des
kolkhozes sans préciser le degré de socialisation. Celui du I7 février 1935
reconnaît aux kolkhoziens le droit au lopin individuel et restera en vigueur
jusqu'en 1969. En principe, les kolkhozes sont des coopératives. Les terres,
propriélé de l'Etat, leur sont attribuées gratuitement à perpétuité. L'assem-
blée générale des membres du kolkhoze, dotée de tous les pouvoirs, élit
le conseil d'administration et le président. Le travail agricole s'effectue
dans le cadre de la brigade divisée en équipes (ZlImo). Durant la période
stalinienne, dans la pratique, le principe coopératif n'est qu'une fiction. Les
kolkhozes ne sont pas maîtres de leur plan de production et ne pf:uvent que
s'efforcer d'atteindre des objectifs de production élevés fixés arbitrairement
par les autorités. Ils ne disposent pas des moyens de production essentiels,
propriélé des MTS, organismes étatiques dont le contrôle leur échappe
totalement. L'absence générale d'excédents les empêche d'investir et de
répartir les bénéfices. Les présidents sont nommés. « Coopérateurs », les
kolkhoziens ne bénéficient pas de la Sécurité sociale. Les kolkhozes ne
sont que le moyen de réaliser le transfert de valeurs de l'agriculture vers
l'industrie nécessaire à l' « accumulation socialiste primitive ».
Après la deuxième guerre mondiale, la situation des kolkhozes est si
difficile qu'elie impose des réformes. V. C. Venger propose de remettre les
moyens de production détenus par les MTS aux kolkhozes et de leur accorder
le principe de l'échange équivalent dans leurs relations avec l'Etat. Prônant
la socialisation de la gestion des kolkhozes et leur démocratisation, il
s'attaque au principe officiellement admis depuis longtemps: la supériorité
du sovkhoze vers lequel doit tendre le kolkhoze au fur et à mesure de sa
modernisation. A la direction du parti, Khrouchtchev professe des idées
voisines : il est en 1949 l'auteur d'un plan de regroupement des
kolkhozes réalisé en 1950 et le partisan des « agrovilles » dont le projet est
rejeté par le cc. Staline, en publiant Problèmes économiques du socialisme
en URSS, réfute ces thèses, maintient le primat du sovkhoze sur le kolkhoze,
s'oppose à toute réforme de fond du système kolkhozien dont il fait le
responsable de la pérennité en URSS des catégories marchandes. Il faut
attendre sa mort et la direction de Khrouchtchev pour que viennent
enfin ces réformes indispensables : hausse des prix à l'achat des récoltes,
diminution des impôts frappant les produits des lopins, hausse des
revenus des kolkhoziens, décret du 9 mars 1955 autorisant les kolkhozes à
élablir leur plan de production, et, en mars 1958. la suppression des Mn
dont le matériel est vendu aux kolkhozes. Depuis 1965, les quantités de
produits à livrer à l'Etat, ainsi que les prix sont fixés à l'avance pour cinq
ans. Le kolkhoze, en fait, ne peut planifier et vendre librement que l'excé·
dent des livraisons. En 1967, le salaire garanti est institué, confirmé par le
nouveau statut du 28 novembre 1969 qui accorde aux kolkhoziens la
Sécurité sociale et les pensions de vieillesse.
Depuis la collectivisation, la tendance est à l'agrandissement des
kolkhozes. D'abord, de 1930 à 1938, aux dépens des sovkhozes, et le
nombre moyen des foyers kolkhoziens passe durant cette période de 70
à 78. Après la guerre, il s'agit surtout du regroupement des kolkhozes et
de la concentration de l'habitat rural. Puis, durant les années 60, nombre
de kolkhozes parmi les plus productifs sont tramformés en sovkhozes. Aussi,
au début des années 70, on compte en URSS 36 200 kolkhozes, d'une super-
ficie moyenne de 6 100 ha, réunissant 420 familles (en 1932 : 211 000 kol-
KOMINFORM 636
Komintern
Voir : Internationale(s).
Komsomol
C'est à l'été 1917 que se constituent les premiers groupes de jeunes
bolcheviks en Russie. Du 29 octobre au 4 novembre 1918, le r er Congrès
des Fédérations de la jeunesse ouvrière et paysanne proclame la création
de l'Union de la Jeunesse communiste de Russie (Komsomol). Lors de son
lIre Congrès, le Komsomol adopte le programme tracé par Lénine le
2 octobre 1920. En 1922, la formation du Mouvement des Pionniers place
l'organisation des enfants sous leur responsabilité. A la mort de Lénine,
en 1924, les Komsomols incorporent son nom dans leur sigle (VLKSM).
« Ecole du communisme» placée sous le contrôle politique du parti, le
Komsomol développe sa politique parmi les jeunes travailleurs et forme
une pépinière de militants. Favorables, au milieu des années 20, à l'oppo-
sition trostskiste et zinoviétiste, les jeunes prônent l'égalisation des salaires
dans l'industrie (position condamnée lors de leur ve Conférence en 1926).
Plus tard, ils sont à la tête du mouvement d'émulation socialiste, de déve-
loppement du travail non rémunéré des « samedis communistes » et
animent la création des brigades de travailleurs de choc (udarniki). Pen-
dant la période stalinienne, leur activité ne se distingue plus de celle
du PC de l'us auquel elle reste étroitement soumise. La « Grande guerre
patriotique» les voit s'illustrer dans les combats de partisans (cf. La Jeune
Garde d'Alexandre Fadeev).
Regroupant les jeunes de 14 à 28 ans, le Komsomol compte 22000 adhé-
rents en 1918,96000 en 1919,400000 en 1920, près de 2 millions en 1926,
3 millions en 1931, 20 millions en 1962 et 37 millions en 1978. En 1974,
68,8 % des nouveaux adhérents du pcus provenaient du Komsomol. Tous
les partis, issus de l'IC, s'inspireront de ce modèle pour leurs organi-
sations de Jeunesse.
~ CoRRÉLATS. - Emulation.
J.-~l. G.
Koulak
Du mot russe signifiant « poing » : le koulak est le paysan riche qui
rassemble la terre dans son poing.
Depuis la fin du XIXe siècle, la communauté villageoise russe, le mir,
connaît un processus de différenciation sociale corrélatif du dévelop-
pement du capitalisme dans les campagnes. Après la Révolution de 1905,
le tsarisme, pour élargir sa base sociale et hâter cette évolution, s'attaque
au mir avec la politique agraire de Stolypine (ukaz de 1906 et loi de 1910)
permettant aux paysans qui se retirent du mir de recevoir un lot (hutor
ou otrub) pris sur les meilleures terres. Octobre et le communisme de
guerre ont pour effet la « moyennisation» de la paysannerie en limitant
la puissance des koulaks. La NEP, cependant, permet une reprise du procès
de différenciation sociale : la XIVe Conférence du Parti, notamment,
autorise le fermage et le travail salarié dans les campagnes (27-29 avrilI92S).
641 KOULAK
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Langue 1 Linguistique
AI : sP'lJCh,/s/",u/rwissnlsc""f' LinguislÜ. - An : LlUlgu.,,/Lin,uisli<s. - R : JO'!JIk/JalJ'l;o:na.it,
lin,,»stiA:••
Lassallisme
AI : Ltusaillanismus. - An : Lassalism. - R : LdsstJl;tlIUtvo.
Le lassallisme n'a jamais été défini par Marx et Engels, qui consi-
déraient l'apport théorique de Lassalle comme erroné et inconsistant. Ils
ont critiqué et réfuté ses conceptions sans rendre publics leurs désac-
cords. De son côté, Lassalle (1825-1864) s'est toujours proclamé disciple
de Marx, tout en simplifiant et déformant les enseignements de son
« maître ». Il estimait que ses désaccords avec Marx étaient purement
personnels et lactiques. Marx y a mis la sourdine sous la pression des
dirigeants de la social-démocratie allemande. Il a fallu qu'en 1891
Engels impose la publication des notes critiques de Marx sur le programme
de Gotha de 1875, pour que ces désaccords soient rendus publics et
escamotés aussitôt après leur publication. Car les différences sont réelles
entre les conceptions de Marx et de Lassalle. Ce dernier reste attaché à
la théorie de la population de Malthus, à celle de l'Etat national de Fichte
et de Hegel, au rôle du héros dans l'histoire, du chef dans la lutte pour
l'émancipation nationale et sociale. Il n'accorde qu'une importance
secondaire à la dimension internationale du mouvement ouvrier et de la
lutte pour le socialisme. L'Association générale des Travailleurs allemands,
qu'il a fondée en 1863, n'a jamais adhéré à l'Association internationale des
Travailleurs (Ire Internationale). En s'inspirant de Malthus, Lassalle for-
mule la « loi d'airain des salaires » qui, à cause de la surpopulation
permanente, ne permettrait pas aux travailleurs d'obtenir un salaire
supérieur à leur minimum physiologique. D'où le peu d'efficacité des luttes
revendicatives et de l'action syndicale. En se référant à Fichte et à Hegel,
Lassalle admet non seulement la pérennité de l'Elal nalional, mais son
rôle majeur dans la réalisation du socialisme. En effet, les luites partielles,
en raison de leurs résultats éphémères, ne pourraient aboutir à la luite
politique pour le socialisme. L'Etat, ayant perdu, grâce à la conquête du
suffrage universel, son caractère de classe, devrait prendre en charge la
LASSALLISME 648
peu à peu, sans que soit proclamée son abolition le lendemain de la révo-
lution, comme le préconisent les anarchistes.
La conception marxiste de l'Etat est, dans une certaine mesure,
ambivalente, puisque le prolétariat, en s'emparant du pouvoir, abolit
l'Etat bourgeois et crée son propre Etat. Il y exerce, pendant toute la
période de transition au socialisme, les fonctions de la classe dominante
sous forme de sa dictature révolutionnaire. Il crée ainsi les conditions
objectives du « dépérissement» de son propre Etat et, partant, de l'Etat
en général.
Occultée pendant une longue période, l'opposition fondamentale entre
le lassallisme et le marxisme est encore peu connue et mal ressentie
par les travailleurs. Pourtant la filiation entre le lassallisme et le stali-
nisme devient de plus en plus évidente, en ce qui concerne le culte de
l'Etat et du chef infaillible, culte dont les travailleurs ont subi et subissent
encore les effets.
• BIBUOORAPffiE. - F. 1.AssALLE, Ge.riU1l11l4lte Ruien llIUi &hriftm, éd. E. Bernslein, 12 vol.,
Ilttlin, '919-1920; ID., Awgewtl/rlte Texte, 1962, éd. T. Ramm; ID., Eine AwwaJolfrù lUISere
Znt, éd. H. Hirsch, 1983; COfTts/Joru!anee Mane-Lassalle, 1848-1864, PU" '977; MARX-
ENGELS, Œuvres, t. 3. 4, S. 6,7,8, Paris, ES, 1971-1981; 10., NEW, 6, 4fl2 et S.i 19, Il et Jo;
22, 225 el s.; ID., La social-dimocralie allemantfe, Paris, « 10/18, » '975; S. BARON, Die politisc'"
Theorie Ferdinand Lassalle's, Leipzig, 1923; J. DROZ, Hisloi.. ginirau du socialisme, t. l, Paris,
PUF, 1974; H. KELSEN, Marx oder Lassalle. Wandlungen in der poliùschen Theorie des
Légalisme
Al : 1.I,.lismus. - An : 1.I,alism. - R : 1.Ig.lû:In.
Léninisme
Al : Lminismus. - An : Lminism. - R : Lmi.ù:m.
Libéralisme
AI : Li6".lismus. - An : Lillnalism. - R : LiNralim.
Liberté 1 nécessité
AI : Frtih,it/NoIwmJi,k-it. - An : FrttJ.mIN"'ssi~. - R : SvoboJaIN,obhoJisnOJt'.
« Les hommes se croient libres pour la seule raison qu'ils sont conscients
de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont d6terminés »
(Spinoza, Ethique II, p. 7).
Pour Hegel, qui est au point de rencontre et de critique r6ciproque de
ces deux traditions, la libert6 est la nttessit6 comprise : non pas sentiment
du pouvoir faire ou ne pas faire, mais action raisonnable rendue possible
par la connexion interne de moments qui ne sont plus arrach6s à leur
totalit6, mais compris dans leur sens, comme moments de réalisation de
cette action dans la nature elle-meme, moments de constitution de« l'empire
de la libert6 r6alis6e... monde de l'esprit produit comme seconde nature
à partir de lui-même» (PrincifnS de 14 philosophie du droit, § 4). Cette libert6
se réalise dans les œuvres et institutions de l'esprit objectif, par le déve-
loppement des passions et int6rêts 6goïstes, comme avènement d'une
communaut6 (soci6té civile et Etat) où la raison consciente prend la direc-
tion des puissances nttessitantes des passions, règle leur spontanéité comme
volonté générale en laquelle se reconnaît la volonté de l'individu.
/1 1 Marx renouvelle profondément cette problématique.
a) Il critique comme mystification idéologique le pmupposé d'indi-
vidus, sujets abstraits d'une liberté d'indifférence; il refuse toute fondation
transcendantale du procès historique dans le principe théorique « huma-
niste » d'une volonté, pouvoir myst6rieux d'inaugurer quelque chose,
abstraction faite des conditions produites (critique de Stirner, lA, ES, 332;
MEW, 3, 283).
b) Le procès historique, en effet, est nécessité, non pas au sens du
d6terminisme métaphysique, mais au sens dialectique : il est procès
de production des conditions concrètes - naturelles et sociales - , qui
dictent à chaque génération, comme « résultat matériel », cc le rapport
avec la nature et des individus entre eux », qui définit cc ses propres condi-
tions d'existence », circonscrivant l'espace d'action, les formes que la
nouvelle génération pourra modifier (lA, 70; MEW, 3, 38). Tout en étant
possibilité réelle d'une cc activité radicalement différente », l'acte de
modification propre à l'action humaine dépend des possibilités réelles pro-
duites par ces conditions déjà déterminées. Le procès historique est toujours
d'abord nécessité, au sens du tissu du monde réel, irréductible comme
toujours déjà donné à la pensée, à la volonté libre.
c) Mais cette nécessité est unité dialectique de la nécessité et de la
possibilité : la n6cessité, sous la forme du cycle de reproduction du capital
qui est simultanément production de ses contradictions n6cessaires et
des conditions de possibilité de leur molution tendancielle, nécessite la
possibilité historique réelle d'une maîtrise théorique et pratique des
formes devenues superflues de la condition. Elle nécessite le procès de
libération.
d) Ce procès de libération ne saurait être libération de la forme géné-
rale de la condition, qui est la nécessité de la production des conditions
de l'existence matérielle elle-même. Les possibilités que le mode de pro-
duction capitaliste libère contradictoirement ne sont pas celles d'une fin
de l'obligation de « la lutte contre la nature ». Pour tout mode de produc-
tion, ce domaine de la nécessité s'impose. « En ce domaine, la seule liberté
possible est que l'homme social, les producteurs associés règlent rationnelle-
ment leurs échanges avec la nature, qu'ils la contrôlent ensemble au lieu
d'être dominés par sa puissance aveugle, et accomplissent ces 6changes en
655 LIBERTÉ/NÉCESSITt
Li bro-écha ngo
AI : F,ti""""". - An : FTt' trad,. - R : Svabadnaja la,poIja.
Ligne
AI : Lùli,. - An : T",tJ (kNI"",,), P4rl.1liM. - R : Lùlijo.
Liquidateurs
AI : LiqllidakJrt•. - An : Liquida"'", - R : LilrviJal6ry.
J.-M. G.
Littérature
Al : Li1n41ur. - An : Li'mlbtrt. - R : Li'mlbtr4.
Logique
AI : lAgi!. - An : lAgie. - R : LogiU.
vient conforter l'analyse (cf. Lénine, O., 38, 30S)' C'est en cc point que
les programmes d'Engels et de Lénine voient le jour : le manque que
représente l'absence de Logique (avec un grand L) doit trouver de quoi
être comblé. Si le traitement marxien de la société bourgeoise représente
un modèle et un « cas particulier de la dialectique» (345), alors c'est
« la méthode d'exposition de la dialectique en général» (ibid.) qui peut
être ébauchée. Marx désigne dans sa pratique de la dialectique le lieu
où peut surgir une théorie systématique de la dialectique, une logique
dialectique. Aux catégories les plus générales de la pensée et à leur
théorie, i.e. à la logique, il faut faire subir le même traitement qu'aux
catégories spécifiées de l'économie politique, les déduire d'abord en
partant des plus simples, des plus fondamentales. La tâche préalable
s'énonce ainsi : « La pensée dialectique... a pour condition l'étude de la
nature des concepts eux-mêmes» (Engels, ON, ES, 22S; MEW, 20, 491).
S'il doit y avoir une spécificité de la logique dialectique, celle·ci a d'abord
à rendre compte de la logique, à la penser et à la résoudre.
A cet égard, l'histoire de la logique est instructive et sa lecture
nécessaire (cf. ON, ES, 243; 20, s06) en ce qu'elle révèle, chez Aristote et
Hegel, la présence de catégories fluides (ibid., 204, 230; 20, 47S, 49S) et
l'opposition en mouvement progressif des déterminations simples de la
pensée. Lire La Science de la Logique - comme le font de façon très
attentive Engels et Lénine - c'est d'abord suivre textuellement le
dépassement de la vieille logique formelle : à la simple coordination!
juxtaposition des formes du mouvement de la pensée, Hegel substitue
la transition, le lien intime et nécessaire. Le mérite incommensurable
de Hegel est d'avoir « génialement deviné... la dialectique des choses
dans la dialectique des concepts » (Lénine, O., 38, 186); « Hegel a
effectivement démontré que les formes et les lois logiques ne sont pas une
enveloppe vide, mais le reflet du monde objectif. Plus exactement, il ne
l'a pas démontré mais génialement trouvé» (170). Hegel travaillait au
dépassement des pures formes extérieures (liussere Formen) et son apport
décisif tient en l'exigence de gehaltsvolk Formen, de formes pleines de contenu,
indissolublement liées au contenu réel (90).
Seulement, et malgré ces promesses, la critique feuerbachienne avait
déjà démontré que, dès ses prémices, la Logique se heurte à l'entende-
ment et à l'intuition sensible et que seul l'être pourvu de détermination
est être ou que tout être est un être déterminé : « L'être sensible dément
l'être logique » (Feuerbach, Critique de la philosophie de Hegel, in
Manifestes philosophiques, PUF, 1960, p. 33). L'être hégélien, point de départ
de la logique, est « l'immédiat, l'indéterminé, l'égal à soi·même, l'indiffé-
rencié » (ibid.). C'est pourquoi la Logique hégélienne est cette clôture
sur soi où la pensée se pense elle-même, où la pensée est sujet sans
prédicat, ou plus exactement sujet ct prédicat (cf. Thèses provisoires pour
la réforme de la philosophie, ibid., p. 120).
La tâche est désormais clarifiée et, au centre des préoccupations
d'Engels, puis de Lénine, on trouvera la notion de « déduction ». La
logique ne peut plus être comprise comme la science des pures lois de la
pensée mais ces lois doivent être déduites de la sphère du réel, la nature
et l'histoire (cf. ON, p. 6g; MEW, 20, 348), la logique et la théorie de la
connaissance doivent être déduites de la totalité du réel, i.e. du dévelop-
pement de toute la vie de la nature et de la pensée (Lénine, o., 38,
LOGIQUE 666
1970; D. LBcoURT, POlIT U7It criliqU4 tk l'ipisUmolDgit, M....pero. '972; Morxisme.1 exislmlia-
limJI. controverse sur la dialectique (interventions de J.·P. SARTRE. R. GARAUDV), Paris.
1961; H. LEnmVRE, Logiquef_lU tllogiqU4 dïaUeliqU4, Paris, ES. 3· éd., 1982; N. Mou-
LOUD. US SI''''''UTtI, la ,«IIn.hI ., 1. s""oi,. Payot. 1968; La Pmsi., na 14-9, fé"rier 1970 :
M. GODEJ.lER, Logique dialectique et analyse des structures: L. SÈVE. Réponse à M. Gode.
lier; J.-P. SARTRE. Crilique de la ,oison dialulique. Gallimard. 1960; L. SÈVE, In1,odu&lion aux
« T.xles d. la milhod. d. la seienu icorwmiq•• ». ES. "974; I. ZELENY, Thl logic of Ma,x.
trad. angl. T. CARVER, Oxford, Basil Blackwell. 1982•
• CORRÉLATS. - Catégorie. Connaissance (théorie de la), Dialectique. E><position/lnves-
tigation, Forme(s), Hégélianisme, Historique/Logique. 1IIatérialisme. :>Iatérialisme dialec-
tique, Philosophie, Science.
J.-L. C.
Loi
AI : G.Jm. - An : lAw. - R : Zohn.
La notion de loi exprime l'idée d'une nkessili contraignante s'imposant
à l'être (esse) et/ou à l'agir (operari) de l'homme, édictée sous forme de
règle: d'où son double caractère, gtnJraL et impératif, puisqu'elle est censée
s'imposer à l'universalité des cas ou phénomènes qu'elle subsume sous elle
et constitue pour ceux-ci une prescription de s'y soumettre.
Cette caractérisation suffit pour apercevoir la surdétennination de la
notion, prise dans des registres polysémiques :
a) Au sens métaphysique, la loi est représentée comme une structure
d'intelligibilité ontologique;
b) Au sens logique, la loi désigne une légalité inhérente à la pensée ou
au logos;
c) Au sens scientifique, la loi désigne la structure d'itération des phéno-
mènes, c'est-à-dire le principe selon lequel les phénomènes se répètent;
d) Au sens éthico-politique, la loi se présente comme une prescription
faisant autorité en s'énonçant comme une déontologie (<< il faut que »).
Cette homonymie du terme dans des champs sémantiques apparem-
ment hétérogènes est en soi révélatrice du travail idéologique auquel a été
soumis le concept: d'un côté, la loi dénote l'idée d'une nécessité inhérente
au donné; de l'autre, elle connote l'idée d'un devoir-être, à la fois expression
de la nécessité ct valorisation de cette nécessité.
Le matérialisme historique va donc définir, conformément à l'inédit
de son intervention, un régime différent de cette notion, tout en se déter·
minant par rapport au long usage ainsi surdéterminé du concept, depuis
l'origine de la réflexion philosophique (le ,/Omos grcc) jusqu'à « la philo-
sophie classique allemande », liant la loi au destin de l'Esprit.
En vertu des principes de sa théorie tle la connaissance, le matérialisme
historique récuse la notion métaphysique de loi comme expression de la
structure idéale du monde (sens a). Aussi bien récusant l'identité du réel
et du rationnel accréditée par l'idéalisme, il récuse l'identité des lois du
monde qui serait garantie par les lois de la subjectivité (sens b). Mais cette
critique n'invalide pas la notion d'une légalité objective, fondée sur la
matière en mouvement. L'idée de loi renvoyant à l'idée d'invariant, on désignera
donc par la loi une structure d'identité relative inhérente au mouvement
de la matérialité, sous sa double dimension, naturelle et socio-historique.
Corrélativement, la loi scientifique ne saurait, dans l'optique maté·
669 LOI
P.-L. A.
Luddisme
AI : LrdJismOl. - A : LuJJism. - R : D.i!...;, t,,'Jilo•.
Lumières
AI : A'fflUnm,. - An : Enli,nlmmt. - R : Pros.,;;".;'.
Lumpenproletariat
,n glUllillts. Pro"",.i.t gutux, sow?U""i.t.)
(Pr.ut.
Les fondateurs du marxisme n'ont pas été tendres pour les dicliusis qui
composent le Lumpen et représentent, à leurs yeux, la véritable lie de la
société.
IlLe ,"'Janifeste n'évoque qu'au passage ce « pourrissement passif des
couches les plus basses de la vieille société» (MPC, 1, in fine; MEW, 4, 472).
Les lulles de classes tIl Frame, parlant des bataillons de gardes mobiles formés
par le gouvernement provisoire en 1848, propose cette définition: « Ils
appartenaient pour la plupart au Lumpen- qui, dans toutes les grandes
villes, constitue une masse nettement distincte du prolétariat industriel,
pépinière de voleurs et de criminels de toute espèce, vivant des déchets
de la société, individus sans métier avoué, rôdeurs, gens sans aveu et sans
feu, différents selon le degré de culture de la nation à laquelle ils appar-
tiennent, ne démentant jamais le caractère de lazzaroni» (MEW, 7, 26;
ES, 39). Engels félicite les ouvriers français d'avoir fusillé quelques-uns de
ces individus au cours de leurs révolutions (Prif. de 1869 à la GP; MEW, 16,
398; ES, La Riool. dhruN:r. bourg. en Ali., 16). Le procès du Lumpen- est
sans appel. Son existence n'est caractéristique d'aucun mode de production
en particulier; ici la décomposition du féodalisme augmente la masse des
gens sans gagne-pain d'une foule de vagabonds (Engels, GP; MEW, 7, 738;
ES, ibid., 33); là, les croissances concomitantcs des « couches des Lazare
de la classe salariée» et du « paupérisme officiel» expriment « la loi géné-
rale, absolue, de l'accumulation capitaliste» (K., 1, 3, 86; MEW, 23, 673;
un peu plus haut, Roya traduit Lumpen- par « classes dangereuses »).
Il n'est propre non plus à aucune classe, mais « racaille » de toutes (ainsi,
sous le Second Empire, « l'armée elle-même n'est plus la fleur de la jeunesse
paysanne, c'est la fleur de marais du sous-prolétariat rural»; MEW, 8,
203; ES, 110). Quant à son rôle historique, il suffit de voir ce qu'il a été
avec la Société du 10 décembre (18 B, ES, 62-63; MEW, 8, 160-161), pOUl'
n'en rien attendre,
2 1 Lénine n'cst pas moins dur. Le Lumpen- est composé de va-nu-
pieds et de clochards n'ayant rien à voir avec le prolétariat (o., 5, 157-158).
Il y inclut les chômeurs et les gens sans travail (6, 384)' Les jeunes s'y
recrutent (18, 160). En 1906, sous l'effet de la crise, de la famine et de la
répression, une forme de lutte armée apparut « adoptée exclusivement
par les éléments déclassés de la population, Lumpen- et groupes anar-
chistes »; mais, commente Lénine. ce n'était que du blanquisme, l'acte
d'individus désorganisant les masses (II, 218-219). De même en ce qui
concerne « la petite bourgeoisie paupérisée» chère aux otzovistes : on
ne peut compter sur elle (15, 411).
de lutte, aussi bien dans les pays capitalistes que dans les pays à majorité
paysanne, et des analyses plus affinées de la composition de la classe
ouvrière notamment conduisent à renoncer à l'usage du concept de
Lumpen-. On lui préférera la neutralité de celui de sous-prolétariat.
• BIBLIOGRAPHIE. - L. CHEVALIER, C/QJsrs tDboTin",s " closus dong",usrs, Paris, Plon,
'958 (rééd. 1978): VERCAUTEREN, us sous-poUloirtS, Bruxelles, Ed. Vie ouvr., '970.
G. L.
1 1 Il est peu contesté que la lulle des classes soit le « maître mot»
de la théorie marxiste. S'il n'en reste qu'un, ce sera celui-là. Mais comment
l'entendre? S'agit-il d'un principe, quasi métaphysique (ou méta-historique)
d'explication ou plutôt d'interprétation de l'histoire universelle? Ou bien
s'agit-il de la désignation du champ des phénomènes, mieux: des processus,
qu'une science historique analyse et qu'une pratique historique transforme,
en constituant pour cela les concepts et les stratégies collectives qui lui
correspondent? L'un et l'autre, incontestablement, au vu du destin
lùstorique du marxisme, mais de façon contradictoire. Ce qui explique que
le texte du ,W:allijeste, où s'en trouvent exposées pour la première fois les
implications de façon synthétique. ait pu jusqu'à présent fonctionner à la
fois comme un nouvel Evangile de masse, et comme l'ouverture à l'inves-
tigation d'un nouveau (( continent » dans lequel s'inscrivent toujours,
qu'ils le reconnaissent ou non, les débats actuels de l'historiographie.
2 1 Empruntons au R.P. Pedro Arrupe, supérieur général de la Com-
pagnie de Jésus, une remarquable mise en place, en forme de réfutation,
des problèmes philosophiques posés par le concept de la lutte des classes :
(( (00') L'analyse sociale marxiste comporte comme élément essentiel une
théorie radicale de l'antagonisme et de la lutte des classes (00') le chrétien
voit d'ailleurs quelque rapport entre ce mal et le péché (00') il faut pourtant
éviter la généralisation; il n'est nullement vérifié que toute l'histoire
humaine passée et présente soit réductible à des luttes, encore moins à des
luttes de classes au sens précis du terme. La réalité sociale ne se comprend
pas au moyen de la seule dialectique du Maître et de l'Esclave ('00) il Y a
d'autres forces profondes qui l'animent (00') le christianisme ne peut
admettre que le moyen privilégié d'en finir avec les luttes soit la lutte
elle-mêmeoo.; au contraire, il cherchera toujours à faire droit à d'autres
moyens de la transformation sociale ('00) ne recourant qu'en dernière
instance à la lutte proprement dite, surtout si elle implique une violence,
pour se défendre contre l'injustice» (1. aux provinciaux d'Amérique latine,
juin Ig81). La lutte des classes, «( dernière instance» du mouvement histo-
rique, c'est bien ce que dit Marx; mais, pour lui, cette dernière instance a
toujours dijà commencé d'opérer: elle est donc incontournable.
C'est Engels lui-m~me qui a inauguré (dans sa Contdhution à l'histoire
du christianisme primitif, IBg.j., MEW, 22, p. 449 et s.) le parallèle entre l'his-
toire du christianisme et celle du (( socialisme scientifique» comme idéolo-
LUTTE DES CLASSES 674
Anthropos, 1966; D. S,NGER. The road 10 Gdansk. Pol4l1d alld lM USSR, New York.London,
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• Accumulation, Crises du marxisme, GauchÎJme, Guerre, Impérialisme,
CoRRtLATlI. -
Kautskysme, Nalion, Opportunisme, Spartakisme.
G. Ba.
Lyssenkisme
Al : l,)Iumbismus. - An : L.1SJlllkism. - R : T ""ii L.YSJmb.
Voir : Appareil.
Machines
AI : MasÙlinl1l. - An : Machines. - R : Mafi'lJl.
Machinisme
Al : Mascllinni,. - An : Maclritti'n1, - R : MaIinizm.
(K., ES, l, 2, 71; MEW, 23, 407). La fabrique rend nécessaires des foncuons
particulières d'administration, surveillance, coordination des différents
travaux. Avec elle s'accentue et s'aggrave l'opposition du travail manuel
et du travail intellectuel. L'instauration d'une discipline capitaliste du
travail y devient une nécessité. Les luttes de classes entre salariés et capi-
talistes se développent, prenant la forme tout d'abord du luddisme ou bris
des machines. Aussi extension du système des machines et essor du mouve-
ment ouvrier sont-ils intimement liés ainsi qu'Engels l'avait établi dans
La situation de la classe laborieuse en Angleterre. Au total on peut dire « le
passage de la manufacture à la fabrique marque une révolution technique
totale qui renverse l'art manuel acquis pendant des siècles par le maître
ouvrier. Cette révolution technique entraîne à sa suite une démolition
brutale des rapports sociaux de la production, une scission définitive
entre les divers groupes de participants à la production, une rupture totale
avec la tradition, l'accentuation et l'extension de tous les côtés sombres du
capitalisme et, en même temps, la collectivisation en masse du travail
par le capitalisme. La grande industrie m~nique apparaît donc comme
le dernier mot du capitalisme, le dernier mot de ses facteurs négatifs et de
ses « éléments positifS» » (DCR, ES, 513-514).
~1arx et Lénine ne pouvaient observer que l'essor des deux premières
formes du machinisme; les machines automatiques qui devaient pour
partie donner naissance à l'automation ne se sont répandues que plus
tard. La révolution scientifique et technique qui en est résultée ne pouvait
qu'accentuer les tendances évoquées en leur conférant une portée radi-
calement nouvelle : « a) les moyens de travail dépassent, dorénavant,
par leur développement, les limites des machines mécaniques et assument
des fonctions qui en font en principe des complexes autonomes de pro-
duction... b) le progrès se manifeste aussi avec force dans les objets de
Iravail... c) l'aspect subjectif de la production, immuable pendant des
siècles, se modifie; toutes les fonctions de la production directe, remplies
par la force de travail simple, disparaissent progressivement... d) de nou-
velles forces productives sociales, notamment la science et ses applications
techniques... pénètrent de plain-pied dans le processus de production...
Son originalité est de faire la synthèse du processus naturel, technicisé,
imposé, assimilé - et de ce fait réglable - par l'homme, d'assurer le
triomphe du principe automatique» (La civilisation au carrefour, 4-5) •
• IlInLIOGRAPHlE. - Académie des Sciences de l'UR.... Manu.l d·/coMmi. politique. Paris.
liS, '956; K. AXELOS, Marx pellselu d. la technique, P"ris, Editions de Minuit, 196'; B. GILLE
(sous la direction de), Histoire des techniques, Gallimard. 1978; R. R,cHTA. La ch'ilisation
au <a"ifour. Paris, Anthropos. '969.
Machisme
AI : MM},i"",,,. - An : MadliJm. - R : MdA;':",.
Majorité 1 Minorité
Al : MJuluitlMintlnIltit. - An : MIJjDriIJIMi••,iIJ. - R : &l'JjrulDo/Alm'lwlDo.
Malthusianisme
AI : Aldllhusianismus. - An : ~lallhusiQ,1fi.sm. - R : .\ld/·'uÛIJIrJI&1O.
Manifestation
Al : K""',6""1. Manifist4Ji.... - An : D_tr4lioft. - R : Manifultuij4, D_'4cjjts.
Manufacture
AI : Manufaktu,. - An : Mamifacture. - R : Mami/aklu,".
à la fois dans le domaine des forces productives qui connaissent, de son fait,
un elSor remarquable, et dans celui des rapports de production qui subissent
une transformation profonde. On pourra donc dire que la manufacture
« n'est qu'une méthode particulière de produire de la plus-value relative
ou d'accroître aux dépens du travailleur le rendement du capital, ce qu'on
appelle richesse nationale (Wealth ofnation). Aux dépens du travailleur elle
développe la force collective du travail pour le capitaliste. Elle crée des
circonstances nouvelles qui assurent la domination du capital sur le travail.
Elle sc présente donc et comme un progrès historique, une phase nécessaire
dans la formation économique de la société, et comme un moyen civilisé
et raffiné d'exploitation » (K., ES, l, 2, 53; 386) .
• B'BLIOGRAPIIIE. - Académie des sciences de I·v..... Manutl d'/conmnÎ4 politiqw, Paris. ES.
1956; J. BAECHLER. ÙS origÏ1us tiJl capil41isml. Gallimard. '97'; P. MAHToux, La riDolution
intillstrillû au XVIII- sikk. Gtnin. 1959; R. MARx. La rilloJutÏbn intillstrillk en Graruû-Brelafnt.
Colin. 1970; E. R. PlltE. Human tIoaannW ofthe ùJwtriJJ/ nllOiation in Bril4in. Allen & Unwin.
1966·
~ CoRRtLATS. - Division du travail. Machines. Mode de production, Rapporu de
production. Révolution industrielle. Subsomption formelle/rtdle.
G. C.
Maoïsme
Al : Alao;Jmus. - An : J\faoÏJm. - R : Mao;zm.
tive par les masses de leur travail individuel et social (au niveau de la
division du travail dans l'atelier comme au niveau de toute une région),
ou en confère-t-illa maîtrise à un corps de spécialistes de plus en plus coupés
des masses? Dans ce dernier cas, les rapports marchands s'étendent, les
cadres du parti et des entreprises se comportent tendanciellement en bureau-
crates, puis en exploiteurs purs et simples, ne sont plus que les fonction-
naires gérant l'accumulation d'un capital anonyme: donc tout simplement
les bourgeois, « une bourgeoisie au sein du parti ».
En fait, si Mao est très proche de cette conclusion dès 1964, cc n'est que
dix ans après que lui-même et les théoriciens du « groupe de Shanghai »,
Weng Hong-wen, Yao Wen-Yuan (La base sociale de Lin Piao) et surtout
Tchang Tchouen-kiao (De la dictature intégrale sur la bourgeoisie) la formu-
leront en ces termes. Cette fois encore, la théorie n'aura pu mûrir qu'après
un immense mouvement social : la Grande Révolution culturelle prolé-
tarienne.
Feu sur le quartier général! - En 1966, la Crune est totalement dominée par
ces « vétérans» qui ont dirigé la révolution nationale au nom d'une idée du
socialisme peu différente de l'accumulation capitaliste. La bourgeoisie
apparemment dépossédée dispose de « villages fortifiés» où se reproduit
son idéologie, dans l'imitation servile des modèles occidentaux: l'appareil
scolaire. Très vite les luttes d'influence au sein du parti se localisent sur cet
enjeu. Le mouvement étudiant, d'abord canalisé, déborde de son lit et se
transforme en une immense révolte contre l'autoritarisme et l'académisme.
Dès lors, il touche la question du pouvoir, celui de l'Etat et du parti. Alors,
chose inouie, on voit un président du parti appeler les masses à se révolter
contre le parti, à faire « feu sur le quartier général », à créer de nouveaux
organes de pouvoir « du type de la Commune de Paris ». Les ouvriers de
Shanghai entendent cet appel en janvier 1967. La Chine entre dans la plus
incroyable des guerres civile, politique, idéologique, culturelle et même
militaire, dont le bilan et même l'histoire sont à peine esquissés.
Guerre inextricable, et Mao en voit bien les raisons : « Dans le passé,
nous avons livré bataille au nord comme au sud. Cette guerre-là était
facile. Car l'ennemi était apparent. La Grande Révolution culturelle prolé-
tarienne en cours est beaucoup plus difficile... La question, c'est que les cas
qui relèvent d'erreurs idéologiques et ceux qui relèvent de contradictions
entre l'ennemi et nous se trouvent confondus et que, pendant un temps,
on ne parvient pas à y voir clair. »
Incapable de maîtriser cette révolution contre le parti à l'appel du parti,
Mao fait appel à l'armée, dont le chef Lin Piao transforme la révolution en
vaste « autocritique» de la société civile par elle-même, et au nom du refus
des lois ct de la ferveur révolutionnaire établit un régime « fasciste-féodal»
que dénoncera, au X· Congrès (1973), une coalition de modernistes pro-
gressistes (Chou En-lai) et de radicaux modérés (le groupe de Shanghai).
Ces derniers, privés de l'appui du mouvement de masses, et incapables de
trouver des réponses à la grande question qu'ils avaient eux-mêmes posée
(comment développer la Chine sans développer en même temps les rap-
ports sociaux de type capitaliste ?), tomberont à la mort de Mao. Mais
les « nouvelles choses socialistes » qui se sont développées durant cette
décennie, de la commune de Tatchai à l'usine de machines-outils de
Shanghai, de la liaison entre l'école et la vie à la médecine « aux pieds
699 MAOïsME
couranl significatif insistait plutôt sur l''''p''ct anarchiste du maoisme de la révolution cul-
turelle (G. LARDEAU. Le singe d'DT, ~{ercure de France, t973; J. P. DOl.LÉ, Le d'sir th r4'O-
lu/ion, Grasset, 1972). Ven la fin des annt'cs 70, le maoïsme franco.italien sc dt'composa,
soit par un reniement total chez les « nouveaux philosophes » (A. GLUCK'MANN, Les
matlres P'fIS.urS, Grasset, 1977), soit il traven une l't'évaluation critique nuanct'c (C. fin-
TELIfElM, Qpeslions sur la Chin. aprJs la mor/ d. Mao, Masp"ro, (978).
Si la sinophilie occidentale et la mythologie de la « révolution culturelle» ont rait
l'objet de critiques féroces et documentées, des libertaires aux libt'raux (lA Bih/io/lùqu.
asio/iqUl est consacrée il cette instructive Iittt'rature), p"u de critiqucs st'rieuses ont t'tt'
consacrt'cs spt'ciliquement il la p"nst'e de Mao. Voir cependant, du cllté trotskiste, la cri·
tique t'clair<'< et assez bienveillante de D. AVEsAS, ...ftlDisTm el communism., Galilt'c, 1977, et,
du clltt' stalinien, celle d'E. HOXHA, L'implrialism. el la rivo/ution, Nonnan Bt'Ihune, '979
(pas tm difft'rente de ce que les « communistcs prosoviétiqucs» ont toujoun p"nst').
Marché
Le marché est le procès par lequel, séparés par la double partition des
producteurs individuels, des possesseurs et des non-possesseurs des moyens
de production, les agents de la production capitaliste recherchent, s'impo-
sent ct transforment les déterminations sociales générales de leurs activités.
Il est d'usage de dire, suivant l'indication donnée dans la Contrihution
(ES, p. 38; MEW, 13,47-48), que le marché devait ~tre étudié par Marx dans
un livre consacré à la concurrence et que ce livre n'a pas été écrit. On
trouve toutefois, notamment dans Le Capital, des analyses où le marché
apparaît comme un procès à travers lequel les agents - capitalistes et
travailleurs - accèdent à la généralité de leurs rapports et en induisent la
transformation.
L'existence du marché présuppose la division sociale du travail et la
séparation des travailleurs des moyens de production. Il est une procédure
qui, tout en maintenant ces rapports d'extériorité, fait surgir leur cohé-
rence sociale. C'est ce que montre la manière dont Marx traite de l'échange
des marchandises, de la vente de la force de travail et de la péréquation
du taux de profit.
Les marchandises s'échangent « sur le marché ». Du fait de la division
sociale du travail, le produit de chaque producteur doit être pour celui-ci
l'équivalent général de tous les autres. Il lui faut donc être utile à touS les
autres possesseurs de marchandises. Son utilité doit être générale. La
mesure dans laquelle le bien offert présente une utilité sociale, compte tenu
de son prix, est donnée par le marché. Le producteur individuel rencontre
là sa vérité sociale. Celle·ci s'exprime par la quantité et le prix unitaire
auquel il peut vendre. Prix et quantité fonctionnent comme des signaux
transmis par la société et fixent la part du travail social qui revient au
producteur.
Ici se montre l'ambiguïté de la forme prix. Le prix est l'expression
de la valeur d'une marchandise au moyen d'une autre marchandise (la
monnaie). Expression de la valeur: il indique ce que la société doit céder
pour que la marchandise soit reproduite. Dans une autre marchandise:
celte extériorité du signifiant vient de ee que la valeur ne se manifeste
que dans l'échange; et elle rend possible l'écart entre le prix ct la valeur.
La forme prix appartient tout entière à l'échange: c'est lui qui fonde et
en même temps altère sa valeur expressive ou, ce qui est équivalent, elle
n'est rapport de valeur que dans les rapports d'échange. Mais cette
possibilité d'écart, loin d'être un défaut de la forme prix lui confère
- et, partant, au marché - son pouvoir régulateur. Car, la valeur ne peut
apparaître et la marchandise être reproduite que si le produit présente un
degré de généralité sociale suffisant, aussi bien sur le plan des normes de
production que sur celui de la valeur d'usage. Ce degré de généralité,
chaque producteur converge vers lui par un processus aléatoire d'essais
et d'erreurs. Le marché est une multiplicité de ventes et d'achats isolés
les uns des autres, que l'on peut totaliser à tout moment en une offre et
une demande globales. Les caractéristiques générales de cette oITre et de
celle demande, ainsi que leur rapport, se « cabrent» devant les produc.
teurs individuels ct les contraignent à rectifier les paramètres de leur
activité.
705 MARCHé
Marginalisme
AI : GrnrDlutunscltuû. - An : JJarginnlism. - R : TMrij" prtd,l'noj poltznOJli.
Mariage bourgeoi s
Al : BIIr",lidI. Elu. - An : &urg<ois numi~t. - R : Br4/; bun..mij.
Mariatéguisme
AJ : ~\furial(guismus. - An : A!an'at(gul·~m. - R : AlarialtgWn.
thèmes marxistes. Les uns ont voulu voir une espècc de révisionnisme
larvé chez Mariâtegui; d'autres l'ont expliqué par le caractère inachevé de
sa formation marxiste. L'historien soviétique V. Miroshevski, au début
des années 40, crut trouver, chez le Péruvien, une tendance « populiste »,
et l'accusa d'oublier le matérialisme dialectique. De méme, M. Kossok,
quand il évoque le flirt de Mariâtegui « ... avec certaines conceptions de
Nietzsche et de Bergson» ou, en matière de lutte de classes, l'influence du
principe anarcho-syndicaliste de l'action directe cher à G. Sorel; et qu'il
met en garde contre la possible substitution du « mariatéguisme au
marxisme» (Kossok, 1971, p. 120-122).
Assurément, l'œuvre de Mariâtegui n'est pas étrangère à ces jugements.
L'éclectisme cultivé s'y offre comme l'aboutissement de débats d'idées et le
besoin de côtoyer d'autres positions philosophiques; son attirance, par
exemple, pour Nietzsche, Croce ou Unamuno lui fait adopter des concepts,
tels que ceux de « volonté de puissance» ou d' « agonie ». Le marxhme
et la psychanalyse, en tant que ruptures avec l'idéologie dominante, sont
présentés comme proches parents (cf. sa « Défense du marxisme »,
ensemble d'articles qu'il publia entre 1918 et 1929 dans Amauta). Sa
conception de la lutte politique assimilée à la passion ou à une forme de
religion, sa constante référence au mythe, lui permettent de développer
certains contenus émancipateurs du discours de Marx, et de les lier à la
pratique religieuse populaire propre aux peuples latino-américains. Les
allusions à Sorel, qui, dans sa Défense du marxisme, apparaît comme
continuateur de Marx préparant le moment de Lénine, constituent, à ses
yeux, autant de recours vis-à-vis d'un Marx taxé de déterminisme, ou
de l'absence d'une éthique dans le marxisme. Toutefois, ces incursions
étrangères à l'orthodoxie sont les signes évidents d'une pratique intellec-
tuelle volontairement confrontée à d'autres positions théoriques; ainsi du
rôle de l'intellectuel conçu dans une dynamique propre, où l'hérésie avait
la force du dogme.
Pour Mariâtegui, le marxisme devait prendre en compte les réalités
péruviennes: « ... il n'est pas, comme certains se l'imaginent, un corps de
principes rigides, valables pour tous les climats et toutes les latitudes
sociales... Le marxisme de chaque pays, de chaque peuple, agit en
fonction de l'ambiance, du milieu, sans négliger aucune de ses déter-
minations » (Amauta, nO 5).
La fin des années 70 voit apparaître de nouvelles tendances dans les
études sur Mariâtegui. Les positions hagiographiques laissent la place aux
analyses qui cherchent à découvrir le mouvement spécifique de sa pensée.
Les travaux se font de plus en plus rigoureux. En même temps, des circons-
tances sociales et politiques conjoncturelles influent sur la teneur de la
recherche. Une relation s'établit alors, entre la problématique du
marxiste péruvien et les questions contemporaines, notamment dans la
remise à l'ordre du jour, face à l'autoritarisme, des projets démocratiques
anciens. Car, le principal effort du« premier marxiste d'Amérique» (Melis)
fut de produire une analyse scientifique, capable de répondre, dans les
conditions du Pérou, à la question de la possibilité du socialisme; réponse
que Mariâtegui savait nécessairement non européenne (il avait séjourné
trois années en Italie où il se forma au marxisme) et ne relevant donc
pas de quelque « application» à un contexte aussi radicalement différent.
C'est pourquoi, dès son arrivée au Pérou en 1923, toutes ses activités visent
MARIA TlGUISME 712
Marxisme
Al : MdfxÏJmus. - An : Marxism. - R : Ala,kJiDIII.
Marxi smeioccidental
AI : lV,stliche-r J.\farxisfIlld. - An : Jt'tsJ,rn Alarxism. - R : ZaJ"u/'w ma,/Uizm.
~ CoRRtLATS. - Budapest (Ee. de), Crises du m.uxisme, Francfort (Ec. de), Gramsci.me,
Philosophie, R~ifici\lion,
Romantisme. Science.
M. L.
Masses
AI : Ma",n. - An : MtUSIJ. - R : MtUJJ'
Matérialisme
Al : .\lattr;aliJmus. - An : .\faterialum. - R : ll.fattrialir.m.
Matérialisme dialectique
AI : Di4lUlùdrer Maurio/i,mus. - An : Dioltclieal mallriolism. - R : Dialtktiltskij malnÛIlizm.
dans son intégrité. Par exemple, dans son Ludwig Feuerbach, Engels s'est
servi de cette métaphore pour interpréter et résoudre la contradiction
interne de la philosophie hégélienne: celle-ci se ramène à l'opposition du
système (représentant l'idéalisme hégélien) et de la méthode (la dialectique
intrinsèquement matérialiste), et elle peut être simplement dénouée par
la séparation de ce contenu et de cette forme. Mais que reste-t-il alors de
l'esprit même de la dialectique hégélienne qui refuse de ramener les
contradictions à de simples oppositions, c'est-à·dire à la juxtaposition de
contraires, et qui pose comme son principe fondamentall'umté des contraires?
La conversion matérialiste de la dialectique ne va donc pas de soi,
d'autant plus qu'elle rencontre une nouvelle difficulté : la dialectique
qui, d'après son contenu rationnel, vient d'être présentée comme une
méthode de connaissance, doit être aussi l'expression, dans son principe
matériel, de la réalité elle-même. Engels a posé ce problème comme celui
du passage de la dialectique subJective (qui est une forme spéculative) à la
dialectique objective (qui est un contenu matériel) : les conditions de ce
passage sont alors données par l'existence de lois de la dialectique, c'est-à-dire
de lois de la réalité qui se reflètent dans des lois de la connaissance.
Les lois de la dialectique sont universelles, dans la mesure où elles
déterminent la réalité à tous ses niveaux: nature, histoire et pensée. Toutefois
leur universalité ne peut être celle de principes a priori, qui seraient formel-
lement posés en vertu de leur nécessité rationnelle intrinsèque, mais elle
est seulement « extraite » de la réalité matérielle, dont elle exprime les
différents aspects. La dialectique ne s'applique pas en dehors d'elle-même,
mais elle représente le mouvement du réel dans son développement imma-
nent. Dans ces conditions, comment peut-elle être ramenée à l'énoncé
général. de lois et d'une méthode?
Marx et Engels ont parlé de trois « lois de la dialectique », qu'on a
cherché ensuite à rassembler dans un système cohérent et exhaustif :
passage de la quantité à la qualité, négation de la négation, unité des
contraires. Dans son interprétation de la dialectique (Cahiers philoso-
phiques), Lénine, suivi en cela plus tard par Mao (Sur la contradiction),
n'a retenu qu'un seul principe fondamental (il n'est plus question alors
de « loi ») : celui du dédoublement de l'un et de l'unité des contraires.
Enfin, dans son exposé du « matérialisme dialectique », Staline a écarté
la « loi de la négation de la négation », d'inspiration trop directement
hégélienne (Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique).
La loi du passage de la quantité à la qualité, dans les textes d'Engels
où il y est fait référence (AD, DN) signifie que tout changement qualitatif
(<< bond », « rupture », « saut ») a pour base objective une modification
quantitative de la réalité dont il est le résultat; d'autre part, aucune
transformation matérielle ne se ramène à un accroissement continu, mais
s'accompagne nécessairement de ruptures qualitatives. Cette « loi» déve-
loppe donc, sous un aspect particulier, la notion de contradiction : elle
exprime le caractère processif de la réalité matérielle, dans laquelle une
forme ne peut être produite sans que soient données en même temps les
conditions de sa destruction. Il n'y a donc pas lieu d'isoler cette loi, et de lui
consacrer un énoncé autonome.
La loi de la négation de la négation donne une formulation différente
du même contenu. Ainsi, lorsque Marx écrit à la fin du livre 1 du Capital
que « la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec
727 MATiRIALISME HISTORIOUE
Matérialisme historique
AI : His10risdln M~. - An : Hislorir.1 lINlnWUm. - R : IJI..ilnkjj 1fWlIri.,.....
La mise au jour d'une conception cohérente de l'histoire par Marx
et Engels peut ~tre aisément datée. Elle remonte aux années 1845-1846, au
moment où ils rédigent en commun L'idéologie allemande qui ne sera
publiée dans une édition critique compl~te qu'en 1932 dans le tome v de
la MEOA (Berlin). Il s'agissait pour eux de se livrer méthodiquement à la
critique de la philosophie spéculative posthégélienne et du socialimu vTai
de Moses Hess, Karl GrUn, etc., fondée sur un humanisme sentimental
d'où l'on faisait découler la nécessité du communisme.
Bien que cet ouvrage ait attendu quatrc-vingt-six ans sa publication
MATéRIALISME HISTORIQUE 728
ordres ou des classes, en un mot, telle société civile. Posez telle société civile
et vous aurez tel état politique qui n'est que l'expression officielle de la
société civile ». De même, dans L'id/ologie allemande après l'énonciation du
principe de base: « ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la
vie qui détermine la conscience », le commentaire comportait de dange-
reuses tendances réductrices: « De ce fait, la morale, la religion, la méta-
physique et tout le reste de l'idéologie, ainsi que les formes de conscience
qui leur correspondent perdent toute apparence d'autonomie. Elles n'ont
pas d'histoire, pas de développement... ».
Dans les années 1880 et au début des années 18go, lorsque les gues-
distes français manièrent de façon quelque peu mécaniste le matérialisme
historique (qu'ils nommaient significativement comme Plekhanov maté-
rialisme iconomique) et surtout lorsque le groupe des « jeunes » de la
social-démocratie allemande avec P. Ernst ct C. Schmidt entreprit de
donner du matérialisme historique une vulgarisation dangereusement dog-
matisée, F. Engels s'efforça dans une série de lettres de rectifier ces défor-
mations. En rappelant que Marx et lui-même s'étaient « d'abord allachés
à diduire les représentations idéologiques, politiques, juridiques et autres
ainsi que les actions conditionnées par elles des faits économiques qui sont
à leur base» et qu'ils« avaient eu raison », il reconnut qu'en« considérant
le contenu, ils avaient négligé la forme, la manière dont sc constituent ces
représentations» (Engels à Franz Mehring, 14juill. 18g3). Ainsi admettait-
il la responsabilité qu'ils portaient dans le fait que« les jeunes (donnaient)
plus de poids qu'il ne lui est dû au côté économique. Face à nos adversaires
il nous fallait souligner le principe essentiel nié par eux et alors nous ne
trouvions pas toujours le temps, le lieu ni l'occasion de donner leur place
aux autres facteurs qui participent à l'action réciproque» (L. à J. Bloch,
21-28 sept. 1890).
« La méthode matérialiste se transforme en son contraire toutes les fois
qu'on en use non pas comme un fil conducteur de l'investigation histo-
rique, mais comme un modèle tout prêt à l'aide duquel on taille et retaille
les faits historiques », rappelait-il à P. Ernst (sjuin t8go) et à C. Schmidt
il conseillait de « réétudier toute l'histoire... (de) soumettre à une investi-
gation détaillée les conditions d'existence des diverses formations sociales
avant d'essayer d'en déduire les conceptions politiques, juridiques, esthé-
tiques, philosophiques, religieuses qui leur correspondent» (ibid.). Et de
préciser avec force dans la lettre à Joseph Bloch (ibid.) : « D'après la
conception matérialiste de l'histoire, le facteur déterminant est en dernière
instance la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx ni moi
n'avons jamais afiirmé davantage. Si quelqu'un dénature celle position
en ce sens que le facteur économique est seul déterminant, il le transforme
en une phrase vide, abstraite, absurde ». Dans ce texte, Engels met en
valeur la relative autonomie des composantes de la superstructure: formes
politiques de la lutte de classe et ses résultats, constitutions, formes juri-
diques, théories juridiques et philosophiques, conceptions religieuses et
leur développement ultérieur en systèmes dogmatiques dans beaucoup
de cas déterminent de façon prépondérante la forme de l'évolution histo-
rique : « Il y a interaction de tous ces facteurs au sein de laquelle le
mouvement économique finit par se frayer un chemin comme une
nécessité au travers d'une infinie multitude de contingences ». C'est à propos
des « disciples» qui s'obstinaient à ne pas comprendre par quel mouvement
MATtRIALlSME HISTORIQUE 730
l'effet pouvait devenir cause et modifier à son tour le facteur qui l'avait
produit qu'Engels lança l'apostrophe fameuse que devaient reprendre
plus tard les surréalistes: « Ce qui manque le plus à ces Messieurs, c'est
la dialectique» (L. à C. Schmidt, 27 oct. 1890). Engels n'a donc pas
cessé, à la fin de sa vie, de mettre vivement en garde contre toute tentation
d'établir des rapports directs et unilatéraux entre l'économie et les produc-
tions intellectuelles d'une s!Jciété. En 1894 il nuançait encore cette rela-
tion : « Plus le domaine que nous étudions s'éloigne de l'économie et se
rapproche de la forme idéologique abstraite, plus nous constatons que son
développement présente de hasard et plus sa courbe se déroule en zig-zag.
Mais si vous tracez l'axe moyen de la courbe, vous trouverez que plus la
période considérée est longue et le domaine étudié est grand, plus cet axe
se rapproche de l'axe du développement économique et plus il tend à lui
!tre parallèle » (L. à Starkenburg, 25 janv. 1894).
Maximalisme
AI : Muinul/U-S. - An : Muinullism. - R : Mw;""l~.
J.• !>!. G.
MtCANI5ME 734
Mécanisme
AI : Mtch/lflÎsmus. - An : Mtdumism. - R : M,hlJ1l;un.
Menchevisme
At: MlfUcJuwimuu. - An: M-nmm.. - R : Mm'lnWn.
J.-M. G.
Mercantilisme
AI : Mnkmllilismus. - An : Mncl1llJÎlism. - R : Mnkmllilw...
G. C.
Métaphysique 1 Dialectique
Al : ~isdo/tlislelhsdo (M.~sik/Di.ukliJ:). - An : M,"'f>1o.JSics/Di.J«ties. - R : M,~/
Di./dtiJ:a.
Métier
Al : HlSIII1wt,k. - An : T"u/" O"opalion. - R : Maslmtw.
Millénarisme
Al ; Miu-ismw. - An ; MiJlDunism. - R ; MiJ~.
Mode de production
AI : 1'rodJIlIÎ4IISwns,. - An : Mode Df ~r"""'lÎOII. - R : S~,.. 1'roi-asIN.
double usage dans le texte canonique de la Préface de 59, d'une part en tant
que mode de production de la vie matérielle, d'autre part en tant que modes de
production ou époques progressives de la formation sociale iconomique. Le
matérialisme historique se fonde sur la prémisse selon laquelle le MP « condi-
tionne le processus de vie social, politique, intellectuel en général ».
Le MP est ici la base économique dont la connaissance procure « l'ana-
tomie de la société civile ». Mais le MP apparaît également comme le
concept d'un état donné de la société globale présentée alternativement
comme « formation sociale» ou « formation sociale économique ». Le MP
n'est donc pas seulement le concept de la détermination du tout social
par l'articulation forces productives/rapports de production; il suffit en
outre à définir chacune des configurations socio-économiques histori-
quement observables. Nous citons ces deux usages du MP à quelques lignes
d'intervalle car ils ont alimenté deux interprétations distinctes: l'une fait
du MP la structure économique de la société; l'autre le considère comme
une configuration de déterminations hétérogènes, incluant les aspects
politiques ct idéologiques, qui caractérisent une époque historique donnée.
Les deux usages du MP ne sont cependant nullement contradictoires,
comme l'indique l'Introduction de r857 : la détermination du MP sur le
processus social est comparable à « un éclairage général où sont plongées
toutes les couleurs et qui modifie les tonalités particulières... un éther parti-
culier qui détermine le poids spécifique de toutes les formes d'existence qui y
font saillie» (Gr., ES, l, p. 41; Dietz, 27). En mettant au jour l'ensemble
rapports de production/forces productives, on se donne un principe de
périodisation. Stricto sensu, c'est la formation sociale qui concentre la
pluralité des rapports économiques, politiques, idéologiques; par MP Marx
entend le concept d'un état donné de la structure économique, sachant
qu'en dernière instance celle-ci détermine le devenir de la formation tout
entière. Ainsi la révolution sociale est conçue comme le résultat de la
contradiction entre forces productives ct rapports de production. C'est
le développement des forces productives qui joue le rôle moteur, les
rapports de production anciens étant voués à disparaître, à laisser place à
des rapports « nouveaux et supérieurs» (Cont., Préf.). Quant à la super-
structure, elle subit « plus ou moins rapidement» l'effet des transforma-
tions de la base.
La Préface de 59 est l'un des rares textes qui thématisent explicitement
le concept de MP dans sa généralité, ouvrant une série de questions: celles-ci
concernent la validité de la métaphore topique (base/superstructure); la
détermination en dernière instance par l'économie; la conception de la
révolution qui en découle; et enfin la typologie « à grands traits » d'oll
émergent quatre MP résumant l'évolution de l'humanité. Chacune des
solutions proposées ici par Marx ancre le matérialisme historique dans un
solide déterminisme économiste et évolutionniste qui devait par la suite
faire des ravages au sein du mouvement ouvrier. La conception « catastro-
phiste » chère à la Ile puis à la Ille Internationale fondait son diagnostic
d'un effondrement imminent du capitalisme sur l'observation du déve-
loppement rapide des forces productives qui devait fatalement aboutir au
renversement des rapports capitalistes pour laisser place à un mode de
production supérieur. Accepter la description de l'édifice social, c'était se
condamner à traiter l'idéologique et le politique comme des moments
subordonnés à la toute-puissance de la sphère productive. D'autre part,
MODE DE PRODUCTION 746
M. A.
T. A.
-",..
Al : &Doüsti,'" 1'TodJIktÛJIUwtÏJt. - An : So<ialist.-l, ~~tÎDII. -
tion, disposant d'une base propre, régi par des lois spécifiques de fonc-
tionnement et de reproduction, il est caractérisé essentiellement par la
propriété « sociale », c'est-à-dire étatique, des moyens de production ;
cette dernière déterminerait la nature des rapports sociaux de production,
qu'elle délivrerait définitivement de toute forme d'exploitation. Le même
juridisme reconnaît la permanence de « différences de classe» entre la
classe ouvrière et la paysannerie et entre travailleurs manuels et travail-
leurs intellectuels, mais affirme concurremment que sont supprimées les
« raisons de conflits entre les classes » (Le communisme scientifique, Ed. du
Progrès, 1974, p. 372). En définitive, le MPS se présente « comme un
système éconoInique rationnel, où la société réunifiée et constituée en sujet
dans l'Etat-propriétaire contrÔle et organise son propre développement
par l'utilisation des rapports marchands et, en fait, capitalistes» (B. Cha-
vance, Le capital socialiste, Le Sycomore, IgBo, p. 308).
Conscience de soi de l'étatisme soviétique, la théorie du MPS n'opère
pas un simple retournement idéologique du marxisme, pas plus qu'elle
n'en constitue un développement scientifique ; elle est l'indice d'une
contradiction interne à la théorie marxiste, dont les effets se concentrent
ici dans l'équivoque du concept de transition, sous lequel les classiques
pensaient la période historique de la transformation révolutionnaire du
capitalisme en communisme. Dès lors que le socialisme est défini comme
phase transitoire où coexistent conflictuellement les deux modes de pro-
duction, il ne saurait exister, pour Marx et Lénine, ni de mode de pro-
duction socialiste, ni de rapports de production socialistes, ni d'Etat
socialiste, ni de propriété socialiste, ni de droit socialiste (cf. Althusser,
XXIIe Congrès, Maspero, 1977, p. 48-49). Pour accréditer l'idée d'un MPS
stable, et lui conférer un semblant de légitimité, les théoriciens soviétiques
procèdent au tronçonnage de la transition, désormais composée de trois
stades successifS, et mécaniquement séparés. Le premier stade, lui-même
désigné sous le nom de « transition au socialisme », est identifié à un
« programme léniniste », et coïncide avec la période, « achevée » par
Staline, de constitution du deuxième stade, c'est-à-dire de 4( la formation
du mode socialiste de production (et de) l'organisation de rapports
socialistes de production » (V. Tetiouchev, La transformation socialiste th
l'économie en URSS et ses critiques bourgeois, Ed. du Progrès, 1983, p. 51).
Selon le même schéma, le MPS, stade intermédiaire actuel, prépare matériel-
lement, à travers un processus graduel inéluctable, le stade ultime baptisé
communisme. Comme l'a montré pertinemment Alexandre ZiInine, cette
opération de transsubstantiation relève d'une escroquerie théorique, en
même temps qu'elle remplit une fonction de légitimation politique ;
« Dans ce découpage mécanique en tranches que les néo-staliniens effectuent
sur le processus un et indivisible de la transition historique en renvoyant
chaque moitié de l'ensemble à des périodes différentes, on reconnaît
immédiatement la méthode de Staline ; remplacer l'analyse économique
par un schéma dogmatique qui s'avère politiquement nécessaire » (Le
stalinisme et son « socialisme réel », La Brèche, PEe, 1982, p. 88). Incongruité
conceptuelle dans le sens où elle implique que « des classes j1ewJent existn
sans lutte de classes, des rapports de classes =ister sans antagonismes »
(E. Balibar, Sur la dictature du prolétariat, Maspero, 1976, p. 144), l'idée
de MPS est doublement fructueuse sur le plan idéologique ; en démarquant
le socialisme de la transition, elle produit « le sophisme de la construction
MODÈLE 760
B. T.
Modèle
AI : MoJtU. - An : Patum. - R : MoJtI'.
• DIBUOGRAPIflE. - A. ADLER el al., L'URSS dMW, Pari., ES, 1978: W. ANORF.FF, L'URS..
~t ~ux, apud A,tua/itl du marxisme, Paris, Anthropos, '982; C. CAsroRIAOIS, Les criso d'A1-
thussa. De la langu~ d~ bois à la langu~ d~ caoutchouc, apud Libr., 1978/4: F. CoHEN,
Connaissanc~ do pays socialisto, apud C4hins du communisme, juill.-août IgB3; G. DIMI-
TROV, Œuvres ,/wisits, Pari., IlS, 1952, p. 201-305; GIOrgi Dimitrov, an oulslanding mililan! of
lhe Cominlem, Sofia Press, '972, p. 3'4 ~t s.: R. GARAUOV, Le grand lournanl du socialisme,
Paris, Gallimard, 1969, chap. 111 ~t IV;.J. KANAPA, ~ passé n'a pas répons~ à tout, apud
Frane. 1IOIIl>t1u, 4 oct. 1976; ID., Un débal naturel ~t sain, apud ibid., 18 oct. 1976; ID., ~
mouv=~nl communist~ intC'fl1ational hia ~t aujourd'hui, apud ibid., 5 ~t 12 déc. 1977:
Parti communist~ ita1i~n, Docum~nt pn!paratoir~ au XVIe Congrès, apud l'Unild,
28 nov. IgB3: G. POLlTZ!!R, G. BESS" et M. CAVI!INO, Prindpesfondamtnlawr de philosoPhi,.
Paris, ES, 1954, leçons 22 à 24: STALINE, Les queslions JM Iininismt, Moscou, 1947; M. THOREZ,
Œuurts, Paris, IlS, t.""JII, p. 12-15: P. TOOLIATTI, intaview à NllOoi Argommli (11° 20, mai-
juin 1956; trad. franç. partielle. apud Le ,hot du XX- Congris du PCUS. Paris, ES. IgB2,
p. 292-3°3); 10., Sur Gramsci, Paris, IlS, 1977.
~ CoRRÉLATS. - Autogestion, Démocrati~ avancœ, Dbnocrali~ nouvelle, Dl!mocrati~
populaire, Djoutché, Eurocommu1lÎml~, Fusioll, Gramscisme, Loi (.) , Pacifiqu~ (voi~),
Polyœntrism~, Socia1i.un~, Titism~, Voi~ 11011 capilalist~ d~ dl!veloppc:menl.
.J.-P. C.
Monnaie
AI : GI/d. - An : MItIf9. - R : Dm'';.
Comme espèces ou billets en circulation :. CU"tn9 en anglais; Mw, en allemand - qui
,'inscrit dans Dt, Umlmif dll Ctld,s ; Oh,aii".i, nalilnykh Jtne, en russe, « circulation de la monnaie
en espèces ~~.
social en travaux privés, effectués par des producteurs séparés les uns des
autres. Les rapports sociaux d'échange sont des rapports de séparation
autant que de mise en relation. Contrairement à la thèse de J.-B. Say,
selon qui les produits s'échangent contre des produits, les marchandises ne
s'échangent pas directement entre elles. Leur prix « n'est d'abord que la
valeur sous forme-argent» (K., III, l, p. 208; MEW, 25, 202), fixé dans leur
rapport avec une marchandise particulière qui incarne le « travail en
général ». C'est la marchandise-monnaie, équivalent général de toutes les
autres marchandises, et par là non-marchandise.
Toutes les marchandises doivent pouvoir être échangées contre l'équi-
valent général, qui a le monopole social de la fonction monétaire. Il y a
polarité entre marchandises et monnaie, à la fois opposées et inséparables,
comme les pôles positif et négatif d'un aimant (K., l, 1,81 n.; MEW, 23, 82).
La genèse de la forme-monnaie dans le monde des marchandises telle
que Marx la présente n'est pas une rustoire du passage des communautés
sans monnaie aux sociétés marchandes, ni des sociétés avec des monnaies
archaïques aux sociétés où la monnaie aurait la même signification sociale
que dans le capitalisme. C'est l'exposé de la façon dont la forme-monnaie
est nécessairement appelée par la forme-marchandise comme expression
complémentaire et distincte des valeurs d'échange produites. Cette concep-
tion des rapports d'échange et de la polarité marchandises-équivalent général
est propre à Marx, qui fait à diverses reprises un exposé critique des théories
économiques de la monnaie (cf. surtout Cont., ch. II, c). Selon lui, toutes
reposent sur une confusion, dont l'objet varie selon les époques.
« Dans l'enfance de la production bourgeoise », les mercantilistes confon-
daient la richesse comme accumulation d'or avec le capital-argent, ce qui est
une forme du fétichisme. Plus tard l'économie politique classique est
incapable de distinguer la forme marchandise de la forme-monnaie;
amorcée par Hume, développée par Ricardo, elle fait de la monnaie un
moyen de circulation, établissant l'unité entre vente et achat, sans voir
que la monnaie est aussi séparation et dissociation; en vidant la monnaie
de sa substance, elle ouvre la voie à toutes les théories quantitatives qui
s'attachent à la masse de monnaie en circulation comparée à la quantité
des biens à faire circuler. Les prix des biens varient alors en raison inverse
de la quantité de monnaie; ainsi leur hausse générale (inflation) est-elle
attribuée à un excès de crédit ou à « la planche de billets»; il y aurait
« trop de monnaie pour pas assez de biens » - idée superficiel1e qui
n'explique rien. Quant aux spécialistes de la Banking School, ils
confondent monnaie et capital-argent, notamment dans les échanges
internationaux soldés par des exportations de lingots d'or. Enfin l'école
de Proudhon, et les réformateurs comme Gray ou Owen, croient que la
monnaie pourrait être remplacée par des bons de travail. Chaque pro-
ducteur recevrait un certificat représentant son droit à une fraction du
produit social, comptabilisé en heures de travail, quelque chose comme le
ticket de consigne qu'on reçoit en déposant son vêtement au vestiaire.
Selon Marx, cette conception confond le travail social fractionné en
travaux privés avec un travail qui aurait d'emblée un caractère commu-
nautaire.
Ces analyses critiques faites par Marx ne s'appliquent qu'en partie aux
conceptions contemporaines, notamment cel1e de (( la monnaie capitaliste»
de crédit, ou celle des (( encaisses réelles» détenues comme des biens. El1es
MONNAIE 764
niée par les théories de l'équilibre général des achats et des ventes.
La monnaie qui « fait face» aux marchandises dans l'échange, doit
avoir une forme concrète. Ce sont par exemple les espèces d'or monnayées
par l'Etat à partir des lingots, sur la base de l'étalon officiel. Si le droit de
seigneuriage est nul (c'est-à-dire si l'Etat frappe gratuitement les pièces), les
espèces ne se distinguent que par la forme des lingots. Cependant (abstrac-
tion faite des manipulations intéressées concernant leur teneur en métal),
elles s'usent normalement et perdent de leur poids initial en circulant, de
sorte que leur fonction comme moyen de circulation tend à se dissocier
de leur « existence metallique ». Dans le commerce de détail, les pièces
d'or sont remplacées par des monnaies métalliques d'appoint dont le
caractère est fiduciaire (de même qu'aujourd'hui toutes les pièces en circula-
tion sont des sous-multiples des billets émis par la Banque centrale). Il en
va de même au XIX e siècle pour les billets convertibles en or, signe sans
valeur propre de la monnaie métallique. Ainsi quand la monnaie joue le
rôle de moyen de circulation, elle peut être incarnée dans des signes,
pourvu qu'elle circule concrètement.
3 1 La troisième fonction (réserve de valeur), présentée par Marx
comme celle de « la monnaie proprement dite », ou de « la monnaie
comme monnaie », a été particulièrement négligée ensuite. Ainsi Hil-
ferding ne considère que les deux premières fonctions. Pourtant la troisième
se situe à la frontière de la circulation marchande ct de l'accumulation de
capital, de la monnaie et du crédit, de la circulation internationale par
rapport à la monnaie intérieure aux Etats.
Tout d'abord la relation entre la monnaie qui circule et la monnaie
socialement disponible, varie selon les besoins de la circulation, comme
l'indique la formule anti-quantitative présentée plus haut. Les réserves ou
« trésors» des particuliers, jouent le rôle de volant régulateur, en augmen-
tant ou en diminuant « de façon que lcs canaux dc la circulation ne
débordent jamais » (K., 1, l, p. 139; ~ŒW, 23, 148). Les trésors se forment
par thésaurisation, qui est demande de monnaie comme pouvoir d'échange
universel. Ainsi s'articulent les trois fonctions de la monnaie. Mais cn
même temps, la thésaurisation qui s'attache à la monnaie en tant que telle,
peut refléter une interruption de crise des échanges marchands, et non
plus la régulation de la monnaie qui circule. C'est ici que Marx évoque
« la soif de l'or ». qui aujourd'hui donne lieu à des interprétations
psychanalytiques.
Bien qu'elle fasse partie de la circulation simple, la thésaurisation se
trouve à la frontière de l'accumulation de capital-argent, dans la mesure
où elle a une double finalité : conservation de la monnaie comme incar-
nation de la valeur en général, accumulation de « richesse abstraite ».
Dans la même perspective la monnaie « mise en réserve » joue le rôle
de moyen de paiement, en rapport avec le crédit comme règlement différé,
mais cette fois à l'intérieur dc la circulation elle-même, et non, comme le
trésor, à l'extérieur (K., l, t, 141-147; MEW, 23, 149-(56). On est ici à la
frontière du crédit comme système de circulation propre au capitalisme.
Enfin le rapport entre une sphère marchande ayant des frontières poli-
tiques et « le marché du monde », liés et distincts, apparaît ici. On a vu plus
haut que l'étalonnage et la frappe (ou l'émission) de monnaie SOllt affairc
d'Etat. Quand il s'agit du règlement des échanges entre Etats-nations,
selon Marx « la monnaie fonctionne dans tOUle la force du terme, comme
MONNAIE 766
Monopole(s)
Al : M-.,.I(,}. - An : M....,./y(its}. - R : M.,...s(ii}.
par le prix que par la différenciation du produit qui devient ainsi une
variable d'action. Par ailleurs la maîtrise du progrès technique, les éco-
nomies d'échelle dont elles bénéficient, y compris pour l'accès aux marchés
des capitaux et leur gestion scientifique permettent à ces firmes une baisse de
leurs coûts. Structure des prix ct des coûts entraine élévation du surplus
potentiel ou masse se répartissant en profits nets d'entreprise, fonds drainés
par l'Etat, dépenses d'entretien des travailleurs improductifs et autres frais
de fonction. La loi de hausse du surplus prend ainsi le relais de la loi de
baisse tendancielle du taux de profit. Mais les entreprises capables de créer
un surplus croissant se heurtent au problème de son absorption. Au niveau
social, les débouchés traditionnels - investissement et consommation des
capitalistes - devenant insuffisants, les firmes doivent recourir à d'autres
moyens: publicité ou frais de vente des marchandises destinés à élargir le
marché, dépenses civiles et militaires de l'Etat destinées à soutenir la
demande globale, la tendance à un sous-emploi durable étant liée au
système monopoliste. Des impulsions extérieures sont donc nécessaires qui
ne peuvent être que le fait de l'Etat, la voie la plus significative étant de
créer un flux de dépenses publiques affectées à des fins improductives de
tous ordres.
L'objectif de Mandel est de rendre compte du jeu simultané de la
production marchande généralisée et de « l'organisation» du capitalisme
avec régulation (ou tentative de contrecarrer ou d'adoucir temporairement
les effets de la loi de la valeur) conjointe de l'Etat et du pouvoir des mOllO-
poles. Dans le marxisme, le mécanisme régulateur du mode de production
capitaliste est la péréquation du taux de profit, les capitaux refluant des
secteurs oil le taux est inférieur à la moyenne vers ceux où il est supérieur.
Mais cette redistribution des valeurs et des capitaux doit être compatible
avec la structure des valeurs d'usage suscitée par le mode de production.
La fonction des monopoles va consister à rendre plus difficiles le flux et
le reflux des capitaux dans certaines branches pour empêcher ou repouser
la péréquation des taux de profit. Pour ce faire le contrôle des monopoles
dépend moins de leur capacité à éliminer la concurrence par les prix (pra-
tique de prix administré) que de ce qui se passe dans la sphère de la
production. A cet égard, si le montant des capitaux nécessaires à la
pénétration dans les branches monopolisées constitue déjà en soi un obstacle
à la libre circulation des capitaux, c'est plus fondamentalement la redis-
tribution de la plus-value sociale à l'avantage des monopoles qui va être
invoquée avec, toutefois, la limite constituée par la quantité de plus-value
socialement produite. La capacité des monopoles à s'assurer plus ou moins
durablement un surprofit monopoliste dépend de leur capacité à garantir
un débouché continuel à leurs marchandises spécifiques : d'où le rôle
de la publicité ct de la diversification à la fois pour assurer une expansion
croissante des débouchés et une différenciation des produits. Faute de quoi
la concurrence reprend ses droits. On a, en définitive, une problématique
du double taux moyen de profit. celui du secteur monopolisé et celui du
secteur concurrentiel, la différence entre les deux taux étant le taux de
surprofit moyen. Le surprofit monopoliste apparaît ainsi comme la somme
des rentes différentielles liées à des avantages de productivité (surtout du
fait de la technique) et des transferts de valeur. A cette régulation par les
monopoles s'ajoute une régulation par l'Etat qui prend essentiellement trois
formes: subventions au capital privé, stimulation. inflation à fin anticrise.
MONOPOLE (5) 770
G. C.
771 MORALE
Morale
AI : Mo,ol. - An : Ethics. - R : .lfo,al'.
Alal'.~ et Ertgels
Philosophie: la morale n'a pas d'aul/momie. - Cette position est constante.
Le « grand mérite de Hegel » est de rendre la morale dépendante de
l'Etat moderne en montrant que « le sujet de la morale (est) ... le sujet
de l'Etat» (Cripol. , ES, 160; MEW, l, 3Ig). L'économie est dite « science
morale réelle, la plus morale des sciences» (loi 44, ES, lOg; Erg. l, 549) en tant
que « ... la morale, la science, l'art, etc., ne sont que des modes particuliers
de la production et tombent sous sa loi générale» (ibid., 88; 537) et en tant
qu'elle fonde un comportement normalisé par l'argent: « Le crédit est le
jugement que l'économie politique porte sur la moralité d'un homme»
(Notes de lecture, MEOA, l, III, 534; Pléiade Il, 20). La morale chrétienne
n'est qu'une arme pour le riche : elle traduit la différence réelle riche-
pauvre en opposition idéelle bien-mal (SF, ES, 238; MEW, 2, 215), de sorte
qu' (<il faut être millionnaire pour imiter leur héros» (ibid., 236; ibid., 2Ig),
lequel héros n'est qu'un assassin cruel, qui « en parant son acte cruel
de locutions dévotes... devient ... un assassin moral» (ibid., 216; ibid., 194).
L'idiologie allemande présente la morale sous un double aspect. Comme
pratique. elle est fonctionnelle : élément d'intégration de l'individu-
bourgeois à son état. « Ces institutions dans leur forme bourgeoise sont les
conditions qui font du bourgeois un bourgeois... La morale bourgeoise
constitue une des expressions Kénérales de ce rapport du bourgeois à
ses conditions d'existence» (lA, ES, 207; MEW, 3, 164). Comme théorie
(<< pure ») elle est une illusion produite par la division du travail
(ibid., 60; ibid" 31).
Le Capital reprend l'idée du rapport économie politique - morale ct
morale-crédit déjà présent dans les Afanuscrits de 18'14, « L'économie poli-
tique bourgeoise se devait de prêcher l'accumulation comme un devoir
civique... pour accumuler, il faut être sage... » (K., ES, l, III, 28; MEW, 23,
614-615) ct la banque « haute dignité morale », permet de tempérer
l'inconduite du jeune bourgeois en quête de crédit, de sorte que le
banquier, « honorable bandit », est plus efficace qu'un pasteur (K., ES,
lU, 2, 206; MEW, 25,561).
contradictions entre les objectifs politiques à court terme des Etats et les
aspirations fondamentales du mouvement, la complexité et la diversi-
fication des problèmes à l'échelle mondiale rendent de plus en plus aléatoire
cette cohésion, surtout après les révélations du XXe Congrès du peus.
Le mouvement communiste en mettant au premier plan la recherche
des voies nationales d'accès au socialisme n'a pas abouti à un accord una-
nime sur les formes nouvelles de ses relations au plan international.
~ CoRRÉLATS. - Internationales, Kominform, Lénini,me, Parti, Syndicats.
M. M.
Moyens de production
Al : ProJrJclionsmilUl. - An : M,ans qf p,oJutti... - R : S'ltÜhJa p,oi=dstoa.
Multinationales
AlI: M.lli_i... ,,>I, KlNtzmu (M.IlU). - An : M.IIiMtiMd/ co,/H",zli_. - R : .\(uJ·~I·'l1'
.......,../1.
Définition. - Les firmes multinationales (FMN par la suite) sont l'expres-
sion la plus récente d'un fait multinational qui leur est largement antérieur.
On date généralement du début des années 60 le développement des FMN
américaines ct du milieu de la même décennie, celui des FMN japonaises ct
européennes, alors que le type oligopolistique de concurrence et les
contraintes de l'impérialisme avaient provoqué depuis plus longtemps un
mouvement d'internationalisation du capital sous d'autres formes (investis-
sements directs à l'étranger par exemple). Les FMN apparaissent donc comme
une forme spécifique d'internationalisation, au triple niveau de leur défi-
nition, de leurs modalités et de leurs stratégies.
Au sens le plus étroit, les FMN sont des firmes cosmopolites, sans nationalité
majoritaire, agglomérats de capitau.'C de nationalités différentes, qui
transcendent les frontières des Etats-nations et inaugurent, par leurs struc-
tures et leurs stratégies, un mouvement de mondialisation. De telles firmes,
véritablement a-nationales, sont très peu nombreuses. Beaucoup plus
781 MUTUELLISME
nombreuses, par contre, sont les FMN au sens de firmes nationales, possé-
dant ou contrÔlant des filiales de commercialisation et/ou de production à
l'étranger. Dans ce dernier cas, les FMN gardent une base nationale, qui reste
une dimension importante dans la hiérarchisation des systèmes productifs
nationaux qu'opère le phénomène d'internationalisation de la production
et des échanges.
La mulùnaùonalisation des firmes prend plusieurs formes (cf.
C. A. Michalet, in Les Cahiers fraTifais) :
la production à l'étranger, par l'entremise des filiales-relais, qui repré-
sentent alors la forme moderne de l'exportaùon ;
l'éclatement entre plusieurs pays de la producùon d'un même bien (ou
d'une même ligne de biens), dont les différents éléments sont produits
dans les filiales-ateliers, spécialisées dans la fourniture d'un segment
de la ligne de produits, et localisées dans plusieurs pays;
le développement des FMN financières et de services, spécialisées dans
l'ingénierie, le conseil, le financement, la sous-traitance, etc., d'acti-
vités productives pluri-nationales.
C'est ici qu'on rencontre un autre aspect de la multinaùonalisation,
reflet de celui de la production et des échanges, mais aussi distinct de lui:
la multinationalisation des banques.
La multinationalisation des banques, phénomène sensible depuis 1965
environ, se réfère également au réseau de filiales possédées ou contrÔlées
hors du pays d'origine. Prolongement logique de l'internationalisation de
la production. ce phénomène tient aussi au développement des relations
de plus en plus étroites entre entreprises industrielles et entreprises finan-
cières (ou banques) qui conjuguent leurs logiques de fonctionnement dans la
formation de groupes financiers internationaux. Ceux-ci sont le résultat de
deux types de stratégies: la création par les FMN de banques qui leur soient
propres et les prises de participation par les banques dans les FM:\;.
De mfme que les FMN engendrent un processus de mondialisation de
l'économie qui, dans sa nature, s'oppose à l'économie internationale, même
si elles ne font pas que nier les disparités nationales, mais contribuent aussi
à les reproduire, parce qu'elles s'en servent, les banques multinationales,
par leurs pratiques monétaires, font naître un système monétaire inter-
national privé, avec tendance à une circulation privée des capitaux à
l'échelle mondiale.
• BIBLIOGRAPHIE. - W. ANURJtFF, Projits <1 S/ruetures tW ",pilalism. mondial, Calmann-Uvy,
'976; H. CLAUDE, Les mul/inalumales <Il'impirialism., Paris, IlS, '978: Les multinationalos,
Les Cahitrs fiançais, mars-avril '979, n° 'go; C. PALLO'X, L'lconomil mondiale capilalisl.
el les finnu mullinalianales, Maspero, '975: ~t. RAI""LU, lA multinalionaJisalion du jirmu,
Economiea, '979.
~ CoRRÉLATS. - Banque, Capitalùme, Crise, ImpUialisme, Monopoles.
L. C.
Mutuellisme
Al : .:\luJultlîsmuJ. - An : Mulualism. - R : Mutualivn.
Proudhon qui rejette l'action politique dont il craint les effets pervers
et résorbe le politique dans l'économique et le social mise sur le mutuellisme
pour assurer l'affranchissement des travailleurs et instaurer des rapports
MYSTICISME 782
Mysticisme
Al : AfJosti.timuu. - An : M.1sticiJm. - R : Misti<ù:m.
ainsi que les éléments d'une structure psychique et d'une culture communes
(cf. par exemple Istorileskij mattriali<:.m, A. D. Makarov, G. V. Terjaev et
E. N. Tchesnokov éd., Moscou, 1963, p. 156 et s.).
Nationalisation(s)
Al : N~(".). l'm1lulJlîdoIJtI(m). - An : N~IIIiM{s). - R : NdCÙ1M/UMij.(ii).
L. C.
Nationalisme
AI : Noti..olismus. - An : Notio.oUsm. - R : N",i..olizm.
l'Europe du XIX. siècle. Au reste s'il peut y avoir une théorie marxiste de la
nation comme collectivité politique ou forme communautaire contempo-
raine dans la succession historique des formations sociales, il n'cxiste pas
de fondement théorique d'une doctrine nationaliste; le nationalisme est
une idéologie et un complexe de sentiments dont l'argumentation est
répétitive et dont les constructions sont le plus souvent de l'ordre de
l'imaginaire (à commencer par les reconstructions historiques).
Les risques de dévoiement du mouvement ouvrier ou d'obnubilation
de la conscience de classe ont été perçus par !vIarx et Engels sur l'ensemble
de la classe ouvrière anglaise qui adopte l'idéologie nationale de sa bour-
geoisie face aux ouvriers immigrés irlandais et en opposition à la lutte
d'indépendance de l'Irlande: c'est un premier cas d'incompréhension de
la question nationale et coloniale par un mouvement ouvrier métropolitain
hostile au nationalisme des pays dominés par effet de son propre natio-
nalisme de pays dominant. A la fin du XIX e siècle, Engels sent bien, en
particulier pour la classe ouvrière allemande, toute la difficulté d'aller à
contre-courant de l'entraînement nationaliste, et parle de concession y
compris sur la question des crédits de guerre, pour que le parti ne perde
pas le bénéfice de ses progrès et ses chances de succès. Cette hésitation
d'Engels servira à couvrir le vote des crédits de guerre en 1914. La quasi-
totalité des syndicats et des partis ouvriers ont cédé à l'Union sacrée. La
critique du nationalisme ne restait plus le fait que de l'extrême-gauche
radicale (groupe de Brême, Strasser en Autriche-Hongrie, Rosa Luxem-
burg, etc.), de tendances ou de courants étroits dans les partis européens,
ct des bolcheviks. Le bolchevisme et Lénine maintenaient la primaulé de
l'intérêt de classe et du parti, portant le rejet du nationalisme jusqu'au
défaitisme révolutionnaire, du moins momentanément en 1917; en tout
cas, refusant les abandons nationalistes des partis de la Ile Internationale.
En réalité, la stratégie qui s'appuiera sur la théorie de l'impérialisme
comme système de dépendance opposant les puissances impérialistes, plus
qu'entre elles, awc pays dominés colonisés et setni-colonisés, opère à partir
de 19 (2 une distinction entre le nationalisme justifié par le préalable de la
libération nationale démocratique, celui des nations opprimées, ct lc natio-
nalisme des Etats dominants qui oblitère l'action du mouvement ouvrier
et le conduit à une complicité impérialiste. Cette différenciation qui
préside à la formation de la Ille Internationale ne cessera d'être affirmée
par Lénine prenant fait et cause sur ce qu'on appelle alors la question
d·Orient, pour le soutien des mouvements de libération nationale. Il
renoncera même à limiter leurs perspectives à la phase démocratique
petite-bourgeoise pour les considérer comme des « mouvements nationaux
révolutionnaires» (Ile Congrès de l'IC), c'est-à-dire permettant, par mobili-
sation des masses paupérisées, de passer de la révolution nationale à une
révolution sociale éventuellement socialiste, à la condition cependant de
maintenir l'action autonome et prééminente des partis communistes.
Si cette position sur la question nationale et coloniale, comme l'on dit
en une formule unique dans la Ille Internationale jusqu'en 1935, permet
aux partis communistes des pays dominés, fût-ce avec des vicissitudes
tragiques (cf. PC de Chine et Kouo Min Tang) de conjoindre marxisme et
nationalisme, elle place les PC occidentaux généralement à contre-courant
du nationalisme ancien-combattant qui domine idéologiquement après
guerre (sauf partiellement le PC d'Allemagne qui partage avec les natio-
793 NATIONALISME
Nationalité
(Politique soviétique des nationalités)
Al: N.lian.lilll (SolllÎllistlo, N.tümaliliUnfloliliA:). - An: Nali....lity (Polili" qfn.lùm.liti<s). - R :
Nocùmal'.oJI (NlJ&ÏOfIIJl'tulj. ~litiA:a).
D'une part, le travail aliéné aliène à l'homme la naturc ct, d'autrc part,
il exclut l'~tre de son corps inorganique, la nature, en lui arrachant ce
qui faisait sa spécificité, i.t. l'objet de sa production. C'est par là que le
communisme est réconciliation, téléologie du retour à l'unité, il sera
« naturalisme accompli de l'homme » (ibid.), « vraie solution de
l'antagonisme entre l'homme et la nature, entre l'homme et l'homme »
(ibid., 87; 536).
De la problématique anthropologistc des M 44, nous trouverons un
écho dans les GrundrÎ.sse, en particulier dans la reprise de la notion de
nature comme « corps inorganique de l'homme» (Grund., l, 413, 425, 426,
428; Dietz Verlag, Berlin, 1974, 377, 388, 389, 391). Seulement, l'unité
avec la nature n'est plus pensée comme « essentielle », elle est inversement
préhistorique et correspond aux conditions primitives de la production.
C'est qu'entre-temps Marx et Engels ont aperçu, dans L'idéologie a/./nnande,
que le rapport immédiat de l'homme avec la nature se nouait autour de
la notion de forces productives (déjà entrevue dans MPh), rcnvoyant toute
NaturpltilfJsophie au domaine du spéculatif. Au point de départ de la
réflexion renouvelée de l'lA, on trouvera à nouveau l'affirmation d'une
identité première de l'homme et de la nature (ES., 79; MEW, 3, 65). Mais
le lieu de cette unité est totalement déplacé : « L'homme se trouve
toujours en face d'une nature qui est historique et d'une histoire qui est
naturelle» (8g; 59). C'est de l'omission symptomatique de ce rapport que
naît la dichotomie métaphysique Histoire/Nature (84; 54). Marx et Engels
ne cesseront d'affirmer que cette unité passe d'abord par la connexion
organique. L'homme reste en sa spécificité même un être naturel et « le
processus de la pensée émane lui-même des conditions de vie, et est lui-
même un procès de la nature (Lettrc de Marx à Kugclmann, 11 juil-
let 1868, Lettres sur Le Capital, ES, 230) ... Il y a déjà une histoire naturelle de
l'homme qu'esquisse l'tA, une histoire des « stades» (29-30) de la conscience
qui se mesure au rapport entretenu avec la nature, qui est l'histoire même
de l'humanité s'extirpant de la conscience « grégaire... , moutonnière,
tribale» (29). Mais il y a plus encore une nature qui est historique, au
double sens où la nature est à la fois un complexe de processus et que
c'est sur le procès de travail que repose l'unité matérialiste de l'humain
et du naturel. Seule l'histoire fait advenir la nature à l'~tre et unc force
naturelle n'est rien si elle n'cst productive. Ainsi la nature d'avant
l'homme, la nature livrée à la pure extériorité (<< puissance foncièrement
étrangère, toute-puissante et inattaquable », lA, 79; MEW, 3, 65) n'est-elle
qu'un être de raison. C'est à partir du faible développement économique
de la période préhistorique qu'il faut comprendre que des représentations
fausses de la nature se sont développées : les religions de la nature sont à
la fois et dialectiquement causes et conséquences de l'état embryonnaire
des forces productives (cf. Lettre de Engels à Conrad Schmidt du
27 octobre t8go, LCAP, ES, 370), et la « lutte» de l'homme contre la
nature se résout en un développement de ces forces « sur une base adé-
quate» (lA, 89; MEW, 3, 59).
Si l'appropriation de la nature et de ses forces relève d'une probléma-
tique anté-historique, il reste à assigner à la fin de l'unité de l'humain et
du naturel un lieu précis. En l'état préhistorique, cn effet, l'homme est
« accessoire organique du terroir» (Grund., l, 428, ES; 391), appendice
naturel où les conditions de production sont naturelles, i.e. où elles sont
NATURE 800
dialectique: « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rap-
ports nécessaires qui dérivent de la nature des choses : et, dans ce sens
tous les êtres ont leurs lois» (Esprit des lois, t, 1; cf. auss~ Spinoza, Traiti
thiologito-politique, 4).
Négation ct négation de la négation cOllstituent simultanément des lois
de développement des processus naturels ct historiques et des éléments
composants de la méthode dialectique (<< Science des lois générales du
mouvement et du développement de la nature, de la société humaine et
de la pensée », AD, p. 170; MEW, 20, 131). Il faut toutefois mentionner que
le rapport de la méthode dialectique (et de ses éléments composants) à
son (ses) objet(s) ne va pas sans poser certains problèmes.
Si la méthode n'a d'autre but que de se tracer par avance une voie pour
la vérité qu'on va découvrir, elle n'est pas loin de voisiner ou de se confondre
avec une théorie de la connaissance (Lénine, « C'est la dialectique qui
est la théorie de la connaissance - de Hegel - et du marxisme ». CP,
ES, p. 346). Mais il est difficile d'admettre que les éléments de la méthode
- négation ct négation de la négation - soient induits de ce qu'ils ont
précisément pour objet d'établir. Si elle est au contraire la simple mise
en forme du déjà découvert (Engels,« C'est déjà un manque total d'intelli·
gence de la natUTC de la dialectique que la tenir (...) pour un instrument
de pure démonstration », AD, ES, p. 164: MEW, 20, 125), il semble difficile
de la concevoir comme un élément de pratique théorique productif de
connaissances (cf. L. Althusser, Pour Marx, Maspero, p. 204).
Dans le commentaire du chapitre 22 de la section 8 du Capital, Engels
écrit: « Donc, en caractérisant le processus comme négation de la négation,
Marx ne pense pas à en démontrer par là la nécessité historique. Au
contraire: c'est d'avoir démontré par l'histoire comment, en fait, le pro-
cessus s'est réalisé, en partie doit forcément se réaliser encore que Marx le
désigne en outre comme un processus qui s'accomplit selon une loi dialec-
tique déterminée» (AD, ES, p. 164; MEW, 20, 125).
Cette reformulation (<< en outre») du déjà établi n'est pas sans rapport
avec la manière dont Marx définit son propre rapport à la terminologie
hégélienne (<< flirt », K., 1, l, ES, 29; MEW, 23, 27, et Grund., op. cit. :
« Comme dirait Hegel... »). Ce type d'expression ou de codification
après coup permet de penser que les catégories hégéliennes - négation
ct négation de la négation - ne sont plus chez Marx (à l'inverse
d'Engels) mobilisées comme catégories opératoires ou pensées comme lois
de développement des processus économico-historiques (deux mentions seu-
lement dans tout K.). On se trouve alors renvoyé à la figure d'un autre
rapport possible de Marx à la dialectique hégélienne, non plus de simple
« renversement» acrobatique qui n'opère qu'un changement de contenu,
mais d'extraction par re-travail effectif du « noyau rationnel » qui est
en elle. Telle est l'une des conclusions du travail de L. Althusser sur
Marx lorsqu'il écrit : « Ainsi, dans les seules pratiques marxistes réelle-
ment constituées, les catégories hégéliennes se sont tues depuis longtemps.
Elles y sont des catégories « introuvables » » (Pour Marx, p. 205).
C. L.
805 NEP (NOUVELLE POLITIQUE ÉCONOMIQUE)
Non-alignement
AI : Bl«J;fr,iJztit. - An : N ... o4li"..,."". - R : NII,iswtli.,.i,.
Au sens littéral, ces termes désignent les doctrines qui valorisent respec-
tivement l'objectif et le subjectif.
a) Objectif désigne ce qui constitue un objet, soit une réalité subsistant
en elle-m~me, indépendamment de la connaissance qu'un sujet peut en
avoir (cf. Vocabulaire de Lalande, t. Il, p. 527) - par opposition à subjectif
pris dans le sens d' « apparent », d' « irréel », « illusoire ».
b) Objectif désigne ce qui est valable universellement, pour tout sujet,
par opposition à subjectif, pris au sens d' « individuel » ou valable pour
un seul sujet (Vocabulaire, p. 528).
Corrélativement, on désignera comme objectivistes « les doctrines qui
admettent que, dans la perception, l'esprit connaît directement une réalité
existant en soi » (op. cit., p. 530). Le subjectivisme se signalera au contraire
par cette « tendance à ramener toute existence à l'existence du sujet» et
à l'existence de « la pensée» en général, à l'exclusion des « choses»
(op. cit., p. 810).
Ces définitions opérationnelles suffisent pour constater que l'oppo-
sition sémantique « objectivisme/subjectivisme» croise l'opposition « maté-
rialisme/idéalisme » sans s'y réduire. L'idéalisme s'exprime en effet par
cette tendance majeure à « ramener toute existence à la pensée» ou « à
réduire l'existence à la pensée, en général» (op. cit., t. 1, p. 318) : d'où sa
connotation subjectiviste. Quant au matérialisme, il se réfère à un principe
d'inhérence, support d'objectivité, dénommé « matérialité », Cl subsistant
indépendamment de la connaissance, donc perceptible pour tout sujet,
puisque précédant toute appréhension subjective.
En fait, objectivisme et subjectivisme constituent la réfraction des
tJùses matérialistes et idéalistes dans l'ordre de la connaissance. c'est-à-dire
saisies du point de vue des relations des instances du processu; de connais-
sance. Mais l'ambiguïté de ces termes vient précisément du fait que l'on
postule implicitement une théorie dualiste ou bipolaire de la connaissance, à
l'intérieur de laquelle une double valorisation serait possible - « subjec-
tiviste », si l'on met l'accent sur le pôle « sujet ». « objectiviste » en valo-
risant le terme « objet ».
L'intervention matérialiste sur ce problème se doit donc de jouer sur
OBJECTIVISME/SUBJECTIVISME 808
Obscurantisme
AI : 06skuranlÎJmus. - An : 06scuranlism. - R : 06skuranlizm.
Octobre
AI : OklolHr. - An : Oflob". - R : Oklia6r'.
Operaïsme
Al : Operaisnlus. - An : O""GÙm. - R : Oj>lr.iun.
Opportunisme
Al : O/>f>orlunismus. - An : 0Ho,lunism. - R : O/>f>ortuni~m.
tous les partis ouvriers il ne peut manquer de se former une aile droite... »
(o., 13, 115); et une Iconomie de la division (plus tard, de la corruption)
dans la mesure où, dans des conditions historiques spécifiques, une « aris-
tocratie ouvrière » participe au partage des bénéfices particulièrement
élevés d'un capital national. La rupture de 1914, on va le voir, conduira
Lénine à approfondir sensiblement son analyse.
Faut-il prendre des mesures pratiques contre les opportunistes, par-delà
le combat théorique sur la vigueur et l'ampleur desquelles chacun est
d'accord? R. Luxemburg soutient que si « les tendances opportunistes
remontent assez loin » en ce qui concerne un ou deux thèmes de débat
dans la social-démocratie allemande, le livre de Bernstein « constitue
la première tentative pour donner aux courants opportunistes une base
théorique » et donc un phénomène nouveau. Dramatisant le conflit,
estimant que « ce qui est en jeu (...) c'est non pas telle ou telle tactique,
telle ou telle méthode de lutte mais l'e:wtence tout entière du mouvement
socialiste », car « c'est la propre peau des travailleurs qu'on veut vendre
ici », elle préconise, dès 1899, l'exclusion de Bernstein et de ses partisans.
C'est aussi l'opinion de Plekhanov alors que Kautsky ne voit de scission
nécessaire que si l'opportunisme cesse d'être un état d'esprit pour devenir
une tendance.
Lénine, en revanche, banalise peu à peu la « bernsteiniade » en
l'intégrant à toute une tradition. Dans Que faire? (février 1902), il
reconstitue brièvement une sorte de généalogie de l'opportunisme par
l'intermédiaire de couples déchirés, de frères ennemis du socialisme
moderne : lassalliens et eisenachiens, possibilistes et guesdistes, fabiens et
sociaux-démocrates anglais, narodovoltsy et sociaux-démocrates russes (o., 5,
358-359) et même, dira-t-il en 1904, reprenant ironiquement Axelrod,
Jacobins et Girondins. Ainsi, pour Lénine, depuis qu'elle existe, la social-
démocratie internationale a été divisée en deux courants, « deux ailes »,
dont l'un exprime « les tendances révolutionnaires du mouvement» et
l'autre « les tendances démocratiques intellectuelles ». Chaque fois qu'il
se penche sur l'histoire du mouvement ouvrier de masse en Russie - qui
débute en 1895-1896 -, pour des encyclopédies ou des recueils de bilan,
Lénine ne manque jamais de souligner qu'il fut aussitôt divisé entre une
tendance révolutionnaire et une tendance opportuniste, que cette division
perdure à travers ses changements de forme ou d'aspect et explique tous
les combats de la fraction marxiste: contre l'économisme (1895-1902),
le menchevisme (1903-1908), les liquidateurs (1908-1914) ... Cette position
a trois conséquences :
1 1 Lénine voit dans les tendances opportunistes l'occasion perma·
nente d'approfondir la théorie marxiste, de tremper le mouvement révo-
lutionnaire, d'affiner la politique bolchevique. C'est le plus souvent
contre, dans la lutte de courants, dans la confrontation d'idées et la remise
en cause de ses certitudes, que peut vivre et croître l'aile marxiste du
prolétariat.
1/ 1 Le terme opportunisme en vient progressivement à désigner toutes
les « déviations» du marxisme, à les discréditer également, quelles que
soient leurs significations, leurs origines et leurs nuances. Lénine quali-
fiera pêle-mêle d'opportunistes les socialistes-révolutionnaires en 1902,
Zinoviev et Kamenev lorsqu'ils s'opposent à l'insurrection d'octobre t917,
Trotski en de multiples circonstances, etc.
821 OPPORTUNISME
soeiDJisme (oct. 1916), O., t. ~3; L'EIaI" la ,'volulion (chap. Il et VI) (sept. 1911), O., t. ~5;
La mIllodi4 irifonlik du communisme (juin '9~0), O., t. 3" - A. PANNEKOEK, Di.lokliscirtn
Diiftrmr.m in dtr A,btittrbtwtgung, 1909, - PARVUS (de son vrai nom I. L. HRLPIIAND,
Russe émi~ en Allemagne en ,Sgl), Der Opportunismus in der Praxu, N.Ut ~tit, 1900-
1901. - G. PLEKHANOV, Bmutein" k mIllirialism., juillet 18gB.
~ CoRlltLAn. - Anarchisme, AriJtocratie ouvriùe, Déviation, Economume, Effondre-
ment (théorie de l'), GauchiJme, MencheviJme, Olzovisme, Pelite-bourgeouie, Révuion-
nisme, Tendances (droit de).
G. M.
Opposition ouvrière
AI : ArlHillTopposition. - An : W.,kmg-doss opp.si/i.... - R : Rob.tojo oppoÛcijo.
Or
Al Gold. - An : (;,,14. - R: <.bI,..
Organisation
Al : OrganisDlion. - An : Organisation. - R : Organiutija.
Orthodoxie
Al : OrtJoo4ui,. - An : O,tJoodO"J!. - R : o,lod<Jks.r",)S/'.
1 1La constitution de l'orthodoxie
Il fut un temps où le mot n'était pas une insulte. Revendiquée par les
socialistes qui se voulaient continuateurs de l'analyse marxienne du
capital et héritiers de son caractère révolutionnaire, l'orthodoxie s'affirme
étrangère à un dogmatisme érigeant les thèses de Marx en vérités éternelles
à appliquer mécaniquement. Si Kautsky en fut très officiellement
déclaré le « pape », c'est que son apport fut décisif pour fixer des
positions qui entendaient défendre, illustrer, mais aussi actualiser la doc-
trine de Marx contre ses critiques.
Dès les débats de l'AIT, Marx et Bakounine s'accusent mutuellement
d'ériger leurs thèses en orthodoxie de l'organisation. Marx entend montrer
que les idées de Bakounine conduisent à limiter la lutte de la classe
ouvrière en lui interdisant le terrain politique. Il fait de l'orthodoxie une
pensée de secte, qui prétend imposer ses idées au mouvement ouvrier au
lieu d'en faire l'analyse historique. En présentant sa pensée non comme
une doctrine ouvrière particulière, mais comme la réflexion sur une hisloire
et comme la conclusion de celle-ci, il entend se démarquer de toute
orthodoxie. C'est au nom de cette exigence historique que Bernstein criti-
quera les conceptions de la social-démocratie comme orthodoxes. Il n'a
pas tort de se réclamer en cela d'un certain marxisme.
Le problème rebondit quand les idées de Marx deviennent dominantes
dans le mouvement ouvrier et définissent la doctrine de partis nationaux,
prioritairement de la social-démocratie allemande, Marx et Engels semblent
mettre alors la main à la pâte dans la transformation de leurs analyses en
doctrine officielle de parti; en témoigne leur intervention massive et con-
jointe dans l'affaire Dühring. Leur démarche reste pourtant extérieure au
fonctionnement effectif du Parti, et elle est revendiquée comme telle.
En publiant la Critique du programme de Gotluz, Engels revendiquera la liberté
de critique scientifique et historique, refusant aux « fonctionnaires » du
Parti le droit d'instaurer en son sein un monopole de la théorie (L. à
Kautsky du 23 fé\T. 18gl). Son opposition à l'orthodoxie se focalise sur
l'autonomie nécessaire du débat scientifique devant le débat politique,
condition pour lui du véritable débat politique.
Cette extériorité scinde les mouvements marxistes en deux centres : un
centre théorique situé à Londres, où les « deux vieux» se veulent étrangers
aux vérités de parti, mais d'où ils indiquent des perspectives historiques
(Marx les esquisse pour les marxistes russes et rédige les considérants
du Parti ouvrier français); et un centre politique incarné par les directions
de partis dans la difficile conjoncture qui suit l'écrasement de la Commune
et les mesures d'exception de Bismarck.
L'orthodoxie se constitue au contraire par la suppression des conflits
nés de cette dualité de centres, prioritairement dans la s.d. allemande.
La mort d'Engels, puis la défaite officielle de Bernstein, qui lança la
polémique révisionniste depuis Londres, dans une situation d'extériorité
qui rappelait celle des fondateurs (il était un des exécuteurs testamentaires
d'Engels), ouvrent la voie à la constitution d'un bloc théorique et politique
devenu l'apanage des partis. Pour autant l'orthodoxie n'est pas assimilable
ORTHODOXIE 828
bulletin de vote (La luite pour le pouvoir de Bauer en est le plus parfait résumé).
La dialectique du subjectif et de l'objectif aboutit ainsi à leur coupure
perpétuelle, à la dislocation des rapports entre théorie et pratique, entre
buts et stratégie. Bernstein réclamait à bon droit de la s.d. allemande
qu'elle mît sa doctrine en accord avec ses actes et qu'elle osât paraître
ce qu'elle était. Dans cette coupure se trouve la source de la résurgence
continuelle d'un devoir-être kantien opposant l'idéal au réel. A cette
coupure de fait, les ténors de la Ile Internationale ne répondirent que par
la théorie, en fondant sur la nature l'unité entre subjectif et objectif,
donnant ainsi naissance à une sorte de darwinisme social. Kautsky appuie
la lutte politique sur l'existence d'un « vouloir-vivre », « fait primordial»
(Chm/in du pouvoir, 51), et Plekhanov sur la lutte pour l'existence: « La lutte
pour l'existence crée leur économie et c'est là aussi que la psychologie
prend racine» (Essai sur la conception moniste de l'histoire, 169). D'où l'oscil-
lation perpétuelle entre un matérialisme naturaliste et un idéalisme néo-
kantien destiné à finaliser l'histoire. La Ile Internationale fut un long règne
de rois philosophes.
Otzovisme
Avec l'échec de la Révolution de 1905 et les progrès de la réaction
stolypinienne, la social-démocr<'tie russe connait de nouvelles divisions.
Chez les mencheviks, les « liquidateurs» limitent l'activité du Parti aux
seules actions légales. Chez les bolcheviks, les otzovistes, bientôt rejoints
par les « ultimatistes » de Saint-Pétersbourg qui, arguant de l'impossibilité
des actions légales, ne retiennent que l'activité clandestine, demandent
d'abord le boycott des élections à la Ille Douma, puis le (( rappel >. des
députés du Parti (oLtoval : rappeler).
A. A. Bogdanov, principal dirigeant des bolcheviks avec Lénine et
Krassine, ancien animateur du groupe social-démocrate dans la Ile Douma,
est d'emblée partisan du boycott. Mais, respectant les résolutions du
ve Con~ du POSDR (avril-mai 1907), il dirige la campagne électorale.
A la Ille Conférence du POSDR (Kotka, 21-23 juillet 1907), les thèses de
Lénine hostiles au boycott - explicitées dans son article du 26 juin (( Contre
le boycottage» - n'obtiennent une majorité qu'avec l'appui des mencheviks
contre la plupart des bolcheviks qui suivent les otzovistes A. A. Bogdanov
et L. B. Krassine. Les organisations bolcheviques, notamment celles de Saint-
833 OTZOVISME
°
CHARSKI, K voproou fiJ050fikij dïslrusaii 1!j08-1910 gg., in Lileratumoe Nasletlstw, vol. 82,
Moscou, 1970, p. 497-502; O. P1ATNITIItI, S<nœenirs J'"" boidlluik, 1896-1917, Paris, BE, 1931,
chap. vm; G. l'uKIIANOV, lA mJltirialismt militant, ES, 1957;Julla SCHERIlER, L'Intelligentsia
russe: sa quête de la « vérité religieuse du socialisme ", in lA temps de la rlj/exion, Paris,
IgBl.
~ CoRRtLATS. - Agnosticisme, Bolchevisme, Douma, EmpiriocriJicisme, Liquidateurs,
Menchevisme.
J.-M. G.
Ouvriérisme
Al : Ouuri,rismw. - An : WorK,rÙm. - R : Uvrilrizm.
Ouvriers
AI : Ami/Ir. - An : Workers. - R : Raboii,.
successeurs ont à leur tour analysé les modifications induites hier pllr le
taylorisme et le fordisme, et aujourd'hui, avec la révolution scientifique
et technique, par l'automation, mettant en évidence le mouvement de
qualification/déqualifier .Ion qui caractériserait le groupe ouvrier dans la
phase contemporaine. Outre ce phénomène, deux autres peuvent, dans
une perspective éc .•1Omique, ~tre évoqués. Le premier est celui qui peut
être observé quant à la transformation des rapports entre le travail et
l'objet de la produ< ·in!'. L'organisation du travail aboutit, sembl -t-il, à
une dépossession croissante du savoir ouvrier, ce que traduit l'apostrophe
célèbre de Taylor: « Vous n'~tes pas ici pour penser ». En m~me temps,
le procès de travail obéissant à une loi de socialisation croissante donne à
la figure du travailleur collectif une réalité sans cesse plus prégm.:> te.
Le second est celui qui concerne la rémunération du travail, destinée à la
reconstitution de la force de travail. Si, dans le capitalisme, le salaire gravite
en principe autour de la valeur de la force de travail, différents processus
peuvent conduire à des écarts plus ou moins durables. Dans les formations
sociales en voie de transition vers le socialisme, la reconstitution de la
force de travail peut se faire en partie dans les couches pré-capitalistes et le
salaire demeurer par là même inférieur à la valeur de la force de travail.
Lorsque le machinisme jette dans le creuset de l'industrialisation femmes
et enfants, la valeur de la force de travail peut s'en trouver dépréciée
puisque les frais de reconstitution sont distribués sur plusieurs travailleurs
(K., ES, l, 2, 79; MEW, 23, 417). Dans le monde contemporain, la socialisation
croissante de la reconstitution de la force de travail peut conduire aussi à faire
diverger salaire et valeur de la force de travail. Inversement, le salaire
peut englober des éléments de plus-value, ce qui est le cas en général
pour les cadres dirigeants qui ne relèvent pas, il est vrai, de la catégorie
ouvrière, et aussi pour l'aristocratie ouvrière qui peut bénéficier d'une
partie de la redistribution des surprofits coloniaux.
Owenisme
A : Ollltrlimws. - An : Owm"'m. - R : Ul,nll Oumo.
Pacifique (Voie)
Al : FrilJlidIn W,g. - An : P-fiJ ,OtId. - R : Mimii FI'.
Pacifisme
Al : Pa<ifisrnus. - An : Patifism. - R : Patificn.
Parlement/Parlementari sme
AI : Parlamenl/Porlammtarisrnw. - An : PartiamenlJParliamentarùm. - R : ParlamenlJParlQl1llnlamm
Parti
Al : Pa,ki. - An : ParlY. - R : Pa'lija.
« Si elle ne le fait pas, elle sera désagrig~ par 1'6volution des choses qu'elle
n'a pas comprise et pour cela pas maîtris~» (La pensée tU Lénine, Denoël,
p. 13 2 et 149).
C'est pourquoi le parti ne saurait ~tre un havre d'harmonie d'où serait
exclue la contradiction. C'est au contraire un lieu de tension où doivent
se r6soudre dialectiquement une s&ie de contradictions entre dirigeants/
dirig6s, parti/classe, parti/masses, forme nationale du mouvement / objectifs
internationalistes.
Au stade de la prise du pouvoir par le parti de la classe ouvrière et de
la construction du socialisme, un autre problème alimente un débat très
contemporain : celui des rapports entre le parti et l'Etat.
La confusion du parti et de l'Etat constitue l'une des sources des blocages
que rencontrent, dans les pays qui se sont donn6 les bases économiques du
socialisme, le d6p6rissement de l'Etat et 1'6panouissement de la démocratie
socialiste. A plus forte raison le problème se pose lorsqu'on se réclame de la
construction du socialisme dans le pluralisme politique - l'un des objectifs
de l'tII,ocommunisme.
• NOTE
BIJ1.1JU palilÙJlU : Elu (comme le secrétariat) au sein du Comité central et par lui, il a
pour charge d'appliquer les dteisions du cc et de diriRer le parti entre les sessions de ce
dernier.
Cel/ul, : Organisation de base des partis communistes. Pour être membre du Parti
communiste il faut appartenir à une cellule, prteise l'article 1 des ltatuts du POP. Ces cellules
sont de trois sortes : cellules rurallS et lotalts et surtout cellules d'mtrtpris. dans la mesure
où le parti s'organise prioritairement sur le lieu dteisif des luttes de classes. Jusqu'au
IV" Congùs de l'(C on parlait de ~.... ou defraelUms. Le tenne de ullul. n'a été géné-
ralisé qu'aprb le V· Congùs (t924) qui donna l'impulaion de la « bolchevisation ».
Onnill cm/rai: Organisme supérieur de direction des partis communistes dans l'inter-
valle de deux congrès. Pouvoir extcutif responsable devant les congrès, il est un éll!ment
décisif de la centralisation. Dès la création de la Ligue des Communistes, un conseil central
(art. 21 dea statuts) assure des fonctions identiques. En France, il faudra attendre la bol-
ch""isation pour que le tenue de comité central remplace celui de comité directeur.
Epuration: Le terme n'apparaît de façon courante daw le vocabulaire marxiste qu'au
début des années 1920. Lors de la constitution des partis communistes, le Ile Congrb de
1'(C (juillet 1920) adopta les 'u eundilions destinées à se prémunir contre « l'envahissement
des groupes indteis et hésitants qui n'ont pas encore pu rompre avec l'idéologie de la
II" Internationale ». L'expérience qui avait abouti à l'tehec de la République des Soviets
hongrois pesa lourdement en faveur des mesures draconiennes destinées à écarter les oppor·
tunistes. La première épuration rtelle remonte au X· Congrès du Parti bolchevique
(man (921). Dans le cadre d'une remise en ordre au lendemain de la guerre civile, elle
visait à éloigner du parti d'anciens mencheviks ou locialistes-révolutionnaires considér<'.
comme éll!ments instables et des arriviates attirés par le pouvoir qu'assumaient les orga-
nisations communistes : sur 730000 membres, plus de 200 000 furent alon exclus. Le
XI" Congris (man-avriJ 1922) établit ensuite en matitte de recrutement une ségrégation
de nature sociale en facilitant l'adhésion de candidau daUS de la cl,...., ouvrière, des payuns
et des artisana pauvres, de l'Année rouge et en rendant plus difficile celle de candidats
provenant d'autres couches de la population.
Par le jeu d'épurations (accompagnées de promotions exceptionnelles et massives),
Staline put ultérieurement renforcer son autorité sur le Parti bolchevique. Il fit un axiome
de l'affinnation que le parti se fortifiait en s'épurant de ses éléments opportunistes (Lénine,
O., 5, 353)'
851 PAUPtRISME
(;ro~ anti-parti : Le X' Congr<- du Parti bolchevique eut à se prononcer sur des th~ses
tr<- différentes soutenues par Trotski (a1on partiJan de la milital'isation du travail produetil)
et par ropposiJUm 0UDriir. alliée du gro~ du UlltraJi.mu tfimoatJt~ favorables à une gestion
de la production par les syndicats et les soviets d'usine. Dans une situation politique péril-
leuse (l'insurrection de Cromtadt, février-man 1921), le Congrès préoccupé de protl!ger
avant tout l'unité du parti se rallia à une nsolution qui préconisait .. la dissolution irom~
diate et sans exception de tous les groupes crUs rur la base de telle ou telle plate.forme»
et chargeait« toutes les organisations de veiller strictement à ce qu'il n'y ait aucune action
fractionnelle ». Lénine qui avait préconisé celte solution l'assortissait de mesures destinées
il faciliter la discussion dam le parti, telles que la publication de feuilles de discussion et
de recueils spéciaux. Au regard d'une telle nsolution - pour peu qu'elle soit interprétée
étroitement - toute concertation entre des militants réunis par une communauté de vues
pouvait passer pour la constitution d'un groupe interdit - d'un grOfI/>I anti-parti.
Staline ne se priva pu d'utiliser - pour justifier toutes les purges - l'accusation de
constitution iIIl!ga1e d'un« groupe anti-parti». Elle servit encore en '957 il Khrouchtchev
pour écarter Molotov, Kaganovitch et Malenkov.
Militanl, mililantism. : En septembre 187" à la Conférence de Londres, les déll!gués
des sections de la l" Internationale déclaraient déjà (nsolution IX) que « dans 1'1'.1
rrùJitant de la classe oU\Ti~re son mouvement économique et son action politique sont
indissolublement unis ». L'adhésion au parti de la classe ouvriére entraine théoriquement
la participation aux luites qu'il mène sur le terrain économique et politique. Cette parti-
cipation est le fruit d'une analyse rationnelle de la société qui nourrit une morale de la
solidarité. Paul Vaillant·Couturier expliquait aimi son choix du militantisme : apris
avoir évoqué la guerre mondiale qui l'avait contraint à combattre « pour renforcer l'exploi.
tation des races », il ajoutait: « Dès lors j'ai acquis le désir passionné d'etre le soldat d'une
idée vivante, d'obéir il une discipline consentie, jwtifiée, aprO avoir subi la discipline
mécanique de l'armée bourgeoise. Et je suis devenu le militant. C'est.à-dire le soldat à
vie. Combattant de l'Internationale» (cité dans Lu Cahiers du ComtnunisrM, mars 1961).
Sm/tarial génlral : Au cours de la premiére réunion du Comité central élu par le
XI' Congréa du pc(b) de Russie (mars-avril 1922), Staline fut promu s""lai" KM.I,
Kouibichev et Molotov _urant avec lui ce secrétariat. Auparavant, Molotov accomplissait
la tâche effacée de s.crlt.i" "spons.hl. avec la collaboration de deux autres membres du
Comité central. A ce moment, les fonctions politiques essentielles étaient détenues par le
Politburo et le Comité central. La fonction de secrétaire général prit entre les mains de
Staline une importance déterminante el, en consacrant sa supériorité sur tow les autres
membres du parti contribua il l'établiJsement du .. culte de la personnalité ».
Les partis de la III" Internationale, il la suite du Parti russe, donnérent dam leur
hiérarchie à la fonction de secrétaire général une importance similaire.
SwVÎsml : Une interprétation méeaniste de la discipline et unilatérale du centralisme
dl!'mocratique, la féchitisation du parti, engendrent le souci prioritaire d'être « dans la
ligne» et de soutenir sanll discussion toutes les d~cisions des directions élues : ce suivisme
conduit à une redoutable sclérose de la vie du parti.
Paupérisme
AI : P~rrismus. - An : Pa.pnism. - R : P~tri_.
Pavlovisme
AI : Pau'lwismus. - An : Pow"'oism. - R : TIOrii P.o/..o.
Ivan Petrovitch Pavlov (l8.t9-1936) fut l'un des plus éminents physio-
logistes russes, initiateur, comme il le déclarait lui-même, des recherches
sur l' « activité nerveuse supérieure» et de la psychologie scientifique. Prix
Nobel, en 1904, pour ses travaux SUI' la physiologie cardio-vasculaire et
digestive, il fut honoré, au XV e Congrès international de Physiologie, qui
se tint à Rome, en 1932, du titre de prinaps physiologorum muru/j. Les « réflexes
conditionnels », qu'il appela tout d'abord « réflexes à distance» et« réflexes
signaux », demeurent sa principale découverte. Par distinction d'avec les
réflexes« innés », il s'agit des acquisitions, plus ou moins durables, opérées
par l'expérience individuelle en interaction avec le milieu ambiant. L'expé-
rience provoquant, chez un chien, l'association entre la salivation et une
excitation sonore ou lumineuse a connu la plus grande célébrité (y compris
sous la forme de la caricature du« chien de Pavlov»). L'étude des réflexes
conditionnels conduira Pavlov et, après lui, ses élèves, à l'énoncé d'un
certain nombre de théories concernant notamment une typologie animale
fondée sur le double processus irùlibition/excitation, la considération des
organes des sens conçus comme des « analyseurs» (<< le fait fondamental
de la physiologie des analyseurs, écrit-il, est que tout appareil périphérique
transforme l'énergie extérieure donnée en un processus nerveux », Œuvres
choisits, Moscou, 1954, p. 226) ,le phénomène des« névroses expérimentales»,
la distinction enfin entre un double « système de signalisation », le premier,
celui des signaux externes, commun à tous les animaux, le second, celui
des signaux issus du langage, propre à l'espèce humaine. Ces résultats
devaient influencer de façon décisive les recherches sur l'adaptabilité des
comportements, le <:onditionnement et l'apprentissage.
Ils devaient également donner naissance à une doctrine scientifico-
philosophique, le pavlovisme. Pavlov fut tout de suite l'objet de soins
jaloux de la part du jeune pouvoir soviétique, puisqu'un arrêté du Conseil
des Commissaires du peuple, signé Lénine, mit en place, dès janvier 1921
« une commission spéciale, investie des pouvoirs les plus larges, (...) chargée
d'assurer, dans les plus brefs délais, les meilleures conditions de travail à
l'académicien Pavlov et à ses collaborateurs» (Lénine, o., 32, 65); le même
PAVLOVISME 854
G. L.
855 PA YSANNERIE
Paysannerie
AI : B4WmJImot/, BawmscA4fI. - An : P'4SIJJI/ry. - R : /(,IS/'jIJJlJI1Jo.
comme une « clientèle» possible des partis ouvriers. Les années 90 sOnt
déterminantes à cet égard. « Conquérir les paysans c'est la question du
jour », écrira A. Labriola, en ISg5, dans son premier Essai en mémoire du
Manifeste. Engels, pour sa part, avait noté au début de son article de la
Neue Zeit de novembre 1894 : « Les partis bourgeois et réactionnaires
s'étonnent prodigieusement de voir la question paysanne subitement et
partout à l'ordre du jour chez les socialistes. Ils seraient plutôt en droit de
s'étonner que la chose n'ait pas eu lieu depuis longtemps. De l'Irlande à
la Sicile, de l'Andalousie à la Russie et à la Bulgarie, le paysan est un fac-
teur fort important de la population, de la production et du pouvoir poli-
tique... jusqu'ici le paysan ne s'est la plupart du temps avéré un facteur
politique que par son apathie, fondée sur la vie des champs. Cette apathie
de la grande masse de la population constitue le soutien le plus fort non
seulement de la corruption parlementaire de Paris et de Rome, mais encore
du despotisme russe» (QP, ES; MEW, 22, p. 485). Les étapes les plus mar-
quantes de cette « rectification» sont les suivantes :
a) Les rappels théoriques ou stratégiques-tactiques :
Gloses marginales (18gl). On sait que, sous ce titre, se trouvent deux
commentaires du programme du parti allemand;
- la Critique du programme de Gotha (1875, Marx) : Marx y critique vivement
l'idée qu'en face de la classe ouvrière les autres couches ne formeraient
« qu'une masse réactionnaire»; Engels le rappellera dans une lettre
à Bebel du 28 oct. 1882;
la Critique du programme d'Erfurt (ISg 1) : Engels signale une « lacune»
sw' les paysans (cf. aux ES, p. 80-81) et il conteste le principe de (c la
revendication de la concentration de tout le pouvoir politique dans les
mains de la classe ouvrière ». De telles divergences, on le notera, ne
sont sans doute pas étrangères au fait que les Gloses de K. Marx aient été
conservées pendant quinze ans « dans le vinaigre» par les chefs de la
social-démocratie allemande (L. d'Engels à Kautsky du 5 févr. 18gl).
La question paysamle en Franct tt t1l Allemagne (1894) d'Engels.
b) L'effort théorique créateur et la continuation du Capital :
Marqués par la parution de l'ouvrage de Karl Kautsky, La question
agraire (Die Agrarfrage, ISg8; trad. franç., Giard & Brière, 1900; réim-
pression, Paris, Maspero, Ig70), dont Lénine écrira en mars ISgg (son
propre ouvrage étant pratiquement achevé, cf. infra) : « Cc livre est, après
le livre III du Capital, le fait le plus remarquable de la littérature économique
moderne. »
Le dhJeloppement du capitalisme en Russie de Lénine lui-même, en 1899.
Ces analyses permettent de dégager trois caractères inhérents à la
paysannerie: son importance est considérable dans la population d'un pays
donné, elle est raison inverse du niveau de développement atteint et, avec
le MPC, en constante évolution (Kautsky, Lénine). La diversité de sa compo-
sition sociale, que dissimule le trait commun du rapport à la terre, en fait,
de l'ouvrier agricole au gros fermier capitaliste, le foyer de multiples
contradictions (Engels). Son ambiguïté politique ne tient pas seulement
au fait qu'elle appartient à deux modes de production différents, le MPF
ct le MPC, et qu'elle peut même entretenir l'illusion de servir de fondement
à un troisième, socialiste, elle provient avant tout de ce que les masses
PAYSANNERIE 858
procéder à des épurations périodiqlus de leurs organisations afin d'en écarter les
éléments intéressés et petits-bourgeois. »
Dans la Russie soviétique où le Parti communiste non seulement
milite légalement mais dispose du pouvoir, la lutte contre la bureaucrati-
sation des cadres permanents demeure à l'ordre du jour : « Pour em~cher
ceux-ci de devenir des bureaucrates, on prendra aussitôt des mesures minu-
tieusement étudiées par Marx et Engels :
1) Pas seulement éligibilité mais révocation à tout moment;
2) Salaire qui ne serait pas supérieur à celui d'un ouvrier;
3) Adoption immédiate de mesures afin que tous remplissent les fonctions
de contrôle et de surveillance, que tous deviennent pour un temps
« bureaucrates » et que, de ce fait, personne ne puisse devenir « bureau-
crate » (L'Etat et la révolution, O., 25, 520).
Mais, avec la saisie du pouvoir politique, le capitalisme ne disparaît pas
par enchantement. Or, « tant que les capitalistes n'ont pas été expropriés,
tant que la bourgeoisie n'aura pas été renversée, une certaine « bureaucra-
tisation » même des fonctionnaires du prolétariat est inévitable » (ibid.,
526). A plus forte raison lorsque la prise du pouvoir s'effectue avec une
avant-garde très minoritaire et dans les conditions extr~mement difficiles
d'une guerre civile implacable aggravée des rigueurs d'un sévère encer-
clement capitaliste. C'est ce que souligne Rosa Luxemburg, dès Ig18,
lorsqu'elle montre que les mesures de défense du pouvoir soviétique
limitent la vie politique tandis que « la bureaucratie demeure le seul
élément actif », et que « quelques douzaines de chefs de parti animés
d'une énergie inépuisable et d'un idéalisme sans bornes, dirigent et gou-
vernent» (La révolution russe, Ig18, Œuvres, éd. Maspero, Ig6g, t. Il, p. 85).
Au soir de sa vie, Lénine dressera le bilan inquiétant de la situation: « C'est
clair : ce qui manque c'est la culture chez les dirigeants communistes. De
fait, si nous considérons Moscou - 4 700 communistes responsables - et la
machine bureaucratique, cette masse énorme, qui donc mène et qui est
mené? Je doute fort qu'on puisse dire que ces communistes mènent. A dire
vrai ce ne sont pas eux qui mènent. C'est eux qui sont menés» (o., 33, 293).
Avec l'accession de Staline à la direction suprême du Parti et de l'Etat
soviétique, la disparition de toute démocratie et la pratique de la coopta-
tion favorisèrent le renforcement d'une bureaucratie privilégiée autant
que docile à l'intérieur du Parti et dans les organes de l'Etat. Dès Ig22,
date où il devient secrétaire général du Comité central, la commission
de recensement placée sous le contrôle du cc (l'ouchraspred) prit une
importance particulière. Staline, utilisant contre ses rivaux les possibilités
que lui ouvrait son poste peut s'appuyer sur la hiérarchie des permanents
dont il contrôle la carrière. Au plénum du Comité central de Ig37 il
décrivait en termes militaires fort significatifs cette pyramide des cadres
qualifiée d' « effectifs de commando» : composés de 3 à 4 000 « généraux »
(dirigeants de niveau élevé), 30 à 40000 « officiers» (cadres moyens),
100 à 150000 sous-officiers (cadres de base) (Staline, Œuvres, t. XIV,
p. 141). Dès 1923, Trotski s'élevait, dans une lettre au Comité central,
contre la nomination par le haut des secrétaires de comités provinciaux.
« La bureaucratisation de l'appareil du Parti, écrivait-il, s'est développée
dans des proportions inouïes, par la méthode de la sélection des secré-
tariats... on a créé de très larges couches de militants, entrés dans
863 PERMANENT
Personnalité
Al : P"Stm t Pns6nJitÜtil. - An : PtTsDnlUJ1it,y. - R : LiEnos,'.
RCR, Paris, ES, 1951, 293-294). Pour la France, Marx ne parvenait pas
à un autre constat. Lorsque s'engage, en juin 1848, « la première grande
bataille entre les deux classes qui divisent la société moderne» (LCF; MEW,
7, 3 1 ; trad. ES, 44), le prolétariat se retrouve seul. En face de lui sont
groupés, dans la défense de« l'ordre bourgeois» :« L'aristocratie financière,
la bomgeoisie industrielle, les classes moyennes (dtr Mitttlstand), la petite
bomgeoisie (die Kleinbürgtr), l'armée, le sous-prolétariat organisé en Garde
mobile, les intellectuels, les p~tres et toute la population rurale» (18 B;
MEW, 8, 121; ES, 20). Or, dit Marx, la Boutique est en première ligne contre
la Barricade. La Boutique, ce sont précisément« les petits bourgeois parisiens»
dont il dresse la liste suivante : « cafetiers, restaurateurs, marchands de vin,
petits commerçants, boutiquiers, artisans, etc. » (LCF, 51; MEW, 7, 37-38).
Mais, très vite, se voyant mal récompensés de leurs services, après la victoire
de la bourgeoisie, les petits bourgeois se rapprochent du prolétariat et
connaissent, comme en Allemagne, leur heure de gloire. Ce ne sera
qu'illusoire, « une comédie inénarrable », commente Marx, avant de
conclure: « En juin 1 849, ce ne furent pas les ouvriers qui furent vaincus,
mais les petits bourgeois, placés entre eux et la révolution qui furent
défaits» (ibid., 63; 75). De même que le 23 juin 1848 pour le prolétariat,
le 13 juin 1848, jour de l'insurrection des petits bourgeois, représente
« l'expression pure, classique» d'une classe (ibid., 69; 80). La petite bomgeoisie
est bien cette « classe intermédiaire» (eine Ubtrgangsklasse) - classe de
passage ou de transition « au sein de laquelle s'émoussent les intérêts de
deux classes opposées» (18 B, 144; 45)' Et Lénine, quelque trois quarts
de siècle plus tard, ajoute, à la veille d'un épisode analogue : « Il ne peut
pas y avoir de ligne (( moyenne» dans une société au sein de laquelle la
bourgeoisie et le prolétariat se livrent une lutte de classes acharnée, surtout
quand cette lutte est aggravée par la révolution. Or le propre de l'attitude
de classe et des aspirations de la petite bourgeoisie, c'est de vouloir l'impos-
sible, de rechercher l'impossible, bref cette ligne (( moyenne»» (o., 25, 94;
juin 1917). Quant à la composition de cette classe - car il s'agit bien
d'une classe (Engels, cité, précise diU( Klasse der Kleinbürger) , auprès des
éléments déjà considérés, rappelons la typologie du Afanifeste du PC. Elle
distinguait, à côté de la bourgeoisie, du prolétariat et du Lumpenproletariat,
(( les classes moyennes» (die Afittelsllinde) comprenant (( le petit industriel,
le petit commerçant, l'artisan, le paysan» (éd. bilingue, 100-101). Trai-
tant, de son côté, des partis à Paris, Engels énumère dans une lettre à
E. Blank (28 mars 1848) : (( Les grands bourgeois, les spéculateurs en
Bourse, les banquiers, industriels et gros commerçants, les anciens conser-
vateurs et libéraux. Deuxièmement, les petits bourgeois (Kleinb.), les
classes moyennes (lvIil/elstand) , la masse de la garde nationale, les (( radio
caux compréhensifs », les gens de Lamartine et du National. Troisième-
ment, le peuple, les ouvriers parisiens »; et Engels d'ajouter: « Les petits
bourgeois jouent un rôle d'intermédiaire, mais très pitoyable» (MEW, 27,
476; Corr.. l, 530). On voit les points mal établis: Klasse ou Sialld? Au
singulier ou au pluriel? En outre, quel rapport y a-t-il entre la petite
bourgeoisie, ou les « classes» moyennes et la paysannerie? Ici encore. on
trouve des frontières mal tracées. Au Manifeste qui les associe, on peut
opposer les Luttes de classes en France et Le 18 Brumaire qui, dans leur recons-
titution historique, font soigneusement le départ entre les protagonistes
historiques, successifs, les paysans venant précisément en dernier lieu, avec
PETITE BOURGEOISIE 1 CLASSE(S) MOYENNE(S) 866
nombreuses que les précédentes. C'est qu'il faut bien tenir compte et de
l'importance considérable de la petite bourgeoisie et de la nécessité pour
la classe ouvrière de tourner à son profit l'instabilité précisément des classes
moyennes. D'où les insistances sur les possibilités révolutionnaires de la
petite bourgeoisie (de la L. à Annenkov, du 28 déc. 1847; MEW, 27, 461-462;
Corr., l, 457-458, aux L. de FE aux Lafargue, cf. à Laura du 2 oct. 1884;
MEW, 36, 539; trad. l, 390). D'où les invitations répétées à l'alliance (de 1848
au Programme de Gotha, cf. Glom; MEW, 34, 126; trad. 44-45), étant
toutefois entendu qu'en l'occurrence, c'est essentiellement à la paysannerie
que pensent Karl Marx et Friedrich Engels.
pas une classe, à la nouvelle petite bourgeoisie apparue dans les pays
socialistes (et, à un bien moindre degré sans doute, ailleurs aussi), person-
nels des appareils du parti et de l'Etat? De là une première remarque :
de toutes les classes, des trois classes structurelles, la petite bourgeoisie est
assurément la plus mobile; elle est le lieu même du mouvement social:
on y vient, depuis les rapports de production caducs, mais aussi sans cesse
à partir de la bourgeoisie comme du prolétariat et du... lumpenproletariat
(à ne pas oublier); d'où l'on sort également et où l'on peut, le cas échéant,
retourner. La classe« intermédiaire» ne l'est pas seulement pour elle-même,
elle l'est pour ses voisines, auxquelles elle fait perdre leur homogénéité,
sans conquérir pour autant la sienne propre; par où elle est, normalement,
évanouissante et dilatée. Ce véritable creuset ne serait-il pas celui-là
même de la lutte de classes? Ou, en tout cas, le permanent rappel, et cen·
tral (médian), que la bipolarité essentielle au capitalisme, le face·à·face
de la classe sans propriété et de la classe possédante, loin de figer les prota-
gonistes sociaux, est elle-même prise dans des réseaux toujours entrecroisés ?
Mais alors, la petite bourgeoisie ne figure-t-clle pas la contrainte de l'histoire
elle-même au sein de la théorie? N'est-ee pas ce qu'entendait Lénine
devant l'le? Ce qui expliquerait à la fois que la petite bourgeoisie trouve,
chez Marx et Engels, sa terre d'élection dans les ouvrages politiques, et
qu'elle soit identifiée chez Uni ne à la petite production?
Il est une autre hypothèse que les textes semblent autoriser. Et si la
petite bourgeoisie devait sa plus grande homogénéité à l'idéologie dans
laquelle elle tente de se représenter à elle·même? Si « petite-bourgeoise»
ne revêtait son sens plein que de qualifier idéologie? Si l'idéologie était le
ciment de cette, ou de ces classes et de leur plus sûre manifestation externe?
De nombreuses notations vont dans ce sens. Ainsi de L'id/ologie allemande,
toujours paradigmatique, quand Marx écrit:« Le petit bourgeois allemand,
qui n'a participé activement au mouvement de la bourgeoisie que sur le
plan des idées, et qui du reste n'a fait qu'offrir sa propre peau au plus
offrant, ne conçoit sa propre cause que comme « la bonne cause», « la cause
de la liberté, de la vérité, de l'humanité », etc.» (MEW, 3, 102; trad., 141).
Ainsi, dans Le /8 Brumaire:« Il ne faudrait pas partager cette conception
bornée que la petite bourgeoisie a pour principe de faire triompher un
intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire que les conditions parti.
culières de sa libération sont les conditions générales en dehors desquelles
la société moderne ne peut être sauvée et la lutte de classes évitée» (MEW,
8, 141; trad. 42). Le kantisme d'un côté, la Montagne de l'autre ne sont-ils
pas d'exactes théorisations, l'une éthique, l'autre politique, de la conscience
de l'universalité propre au petit bourgeois? LéIÙne, quant à lui, n'en
juge pas autrement: « C'est dans ces éternelles oscillations entre l'ancien
et le nouveau, dans ces singulières prétentions à sauter par-dessus sa propre
tête, c'est-à-dire à se placer au-dessus de toutes les classes, que réside l'essence
de toute conception du monde petite-bourgeoise» (o., 2, 496). A un bout
c'est le populisme, on le sait, à l'autre c'est le menchevisme, qui n'est pas
seulement russe, mais aussi italien ou allemand (o., 32, 492); c'est 1'« impuis-
sance», la (( phraséologie», la (( débilité» de la Ile Internationale et de la
(( II et 1/2» sous leurs hérauts petits-bourgeois (ibid., 382); c'était le prou-
dhonisme hier, c'est le kautskysme aujourd'hui. Marx n'avait-il pas
affirmé : (( Le sodalisme petit-bourgeois, c'est le socialisme par excellence»
(LCF; MEW, 7, 89; trad., 99) ? L'entraînement d'une telle hypothèse concer-
PEUPLE 870
Peuple
AI : V.tk. - An : Ptopl,. - R : Narod.
Voir : Classes, Lumpenproletariat, Masses, Nation, Paupérisme,
Populisme.
Phénomène
AI : ErscJ",'mmg. - An : Phtnomtnono - R : Jaulnait.
Philistinisme
AI : Phili,/I,tum (SPi,J/bU,g"lum). - An : Phili,linÎsm. - R : Filislmtvo.
Philosophie
AI : PhiloJophu. - An : PhilosoJ"'y. - R : Filosofij".
Philosophie soviétique
AI: So".u,'iuh, Philoso{1hi,. - An : Sovi,' Philoso{1hy. - R : Sovi,"karaji"'sqb4.
sociale dont la force principale est constituée par les ouvriers salariés et
leur parti politique; la philosophie soviétique se dit ici prolétarienne et rk
parti. Par sa théorie et sa fonction pratico-idéologique, elle se situe dans
une stricte conformité avec les résultats majeurs obtenus par toutes les
sciences : aussi se définit-elle comme scientifique, voire, comme étant elle-
même une science.
Les disciplines générales de la philosophie soviétique, autant que les
particuli~res, ne détiennent qu'une autonomie relative à l'intérieur d'un
cadre que les manuels soviétiques représentent le plus souvent de la façon
suivante:
Physiocratie
Al : Plf1siolcrali•. - An : PIJ,'i",r"9' - R : NtfrlSfllmi. ji.c;,haknJ.
1964; L4 ~ d 14fin du ri".. tk Louis XV. '770-'774. Paris, PUF, 1954; L4 f1I!1si«ralil
saw lu minislbn tk Turgot Il tk N""",, '774-'78" Paris, PUF, 1950; G. WEULEIlSSE, LI mou-
vnrrnttf1l!1si«raliqwm FrlJ»&t tk 1756 d'770, Pam, AJcan, 1910.
~ CoRR&LATS. - Circulation, Reproduction, Survaleur.
G. C.
Plan
AI : PIIUI. - An : PI"". - R : Pkm.
Planification
AI : Wj,IJ'Nifls~. - An : û-u ~'-iItt. - R : PI"";,o_i,.
privés parce que déjà socialisés, de par leur conformité avec les choix
collectifs opérés dans le plan. Processus de choix et modalité de validation
sociale, la planification est à la fois un principe politique de révélation des
préférences nationales et un principe économique de validation des mar-
chandises produites.
Par adaptation volontaire de la production aux besoins, on entend
exprimer une socialisation des travaux et produits, qui fait de la production
une quantité d'emblée sociale, ce qui la distingue radicalement - dans son
principe de compréhension au moins - de la socialisation par l'échange
marchand. Dans ce dernier cas, en effet, c'est la concurrence entre produc-
teurs indépendants qui constitue le mécanisme validant les biens produits,
par sélection de ceux que l'échange marquera du sceau de l'agrément
social, en les désignant comme marchandises, socialisant par là même les
travaux qui les ont produits et eux seuls. Ce type d'adaptation, couramment
qualifié d'aveugle, de spontané, d'inconscient, d'invisible... est surtout
différent de celui qui repose sur une détermination d'emblée sociale des
quantités à produire, et sur une répartition également d'emblée sociale
des moyens d'acquisition de cette production. C'est à ce dernier type de
socialisation qu'on devrait, en toute rigueur, réserver te terme de planifi-
cation, comme mode de fonctionnement d'une économie traduisant une
autre logique de production que celle de l'échange marchand.
Cette opposition entre le plan et le marché comme modes alternatifs
de fonctionnement, même si elle doit être nuancée, notamment dans
l'appréciation des systèmes concrets, présente l'intérêt de souligner le lien
très étroit qui unit le type de socialisation des travaux et des produits à la
nature des rapports de production et de possession, dans lesquels s'inscrit
l'activité sociale. On comprend alors qu'aux rapports capitalistes de pro-
duction, corresponde l'adaptation par l'échange marchand, puisque la
propriété privée des moyens de production, par lesquels on les résumera
ici, fonctionne comme tenant lieu d'indication suffisante sur les quantités
à produire, sur leur répartition et sur celle des moyens de paiement. Par
contre, la planification, pour faire apparaître comme d'emblée sociales la
production et la répartition, doit s'articuler à des rapports de production
et de possession différents en ce qu'ils supposent une propriété sociale des
moyens de production. Elle repose sur une appropriation collective, ou
au moins étatique, des moyens de production, qui fait des unités de pro-
duction des fractions du capital social, et des chefs d'entreprise des gérants
de ces fractions au sein du collectif de travail. Que les relations, tant
politiques que techniques, qui unissent les unités économiques, comme
fractions du capital social, au centre de planification soient de type centra-
lisé ou décentralisé, selon le degré d'autonomie laissé aux collectifs de
travail, ne change rien à cette articulation essentielle entre propriété
collective des moyens de production et planification. Cela change par
contre beaucoup de choses quant à la possibilité pour la planification de
permettre cette « réunion d'hommes libres d'ap~s un plan concerté»
(l\farx, OCF, ES), qui sera l'instrument essentiel de leur désaliénation. A
ce niveau d'abstraction, on définira la planification comme l'ensemble des
procédures de recherche d'une maîtrise collective sur les conditions et les
résultats du travail, qui passe au minimum par la définition d'un ordre
des urgences socialement accepté et au maximum par la détermination
sociale des forces productives et de leur développement.
PLANIFICATION 888
Pluralisme
AI : PùaoJimws. - An : Plvr.lism. - R : P/ivr.IWn.
Voir : Survaleur.
Politique
AI : Politik. - An : Poliliu. - R : Politiko.
Polycentri sme
Al : Poliuntrismus. - An : Po/)l<mlrism. - R : PolitmlriJ:1ll.
Voir: Malthusianisme.
Populisme
AI : Populismus, Volkstamlntum. - An : Populism. - R : Na,odstiuslva.
Positivisme
Al : PositiviJlIUlS. - An : PosilÏvism. - R : POÛI;vi.tm.
Possible/Possibilité
Al : M6gti</u,/M6gtidll,il. - An : POJJib/,/Possihility. - R : VOV1lOZnOl.
vention» (B. Brecht, Ecrits sur la critique et la sociitt, L'Arche, 196" p. 133).
Fatalisme et volontarisme ne seraient-ils pas alors les deux formes d'un
même « donquichottisme » qui oublie que « les conditions matérielles
de production d'une société sans classe et les rapports d'échange qui leur
correspondent» se trouvent « masqués» (Grund., J, 95; Dietz, 77) ?
• BIBUOGRAPIIIE. - T. W. ADoRNO, Ntga/i,.. Dia/tA/j};, Francfort, Suhrkamp, 1966;
E. BLOCH, ZIU On/ologie dtJ Noch-Ni,h/ SrinJ, Francfort, 1961, p. '4-'5; A. GRA»SCI,
QlIIJdtrni, Turin, Einaudi, 1966; J. HAoEIUlA', TtdtniJ< rwl WÙJtnJ,JuJ!/ ais It1eologie,
Suhrkamp, 1968; L. StVE, Sur la cat~orie de possibilité, in lA PtnJ/t, nO 202,
déc. 1978; ID., Unt in/,odue/ÙnJ à la phiwsophir ma,xis/t, Es, IgBo (en particulier, p. 206-209,
487-4g6).
~ CORRÉLATS. - Anticipation, Autonomie, Avance/Retard, Conjoncture, Contradiction,
Crise, D~termini.me, Formel/Réel, Rationnel/Réel, Réalité, Téléologie, Utopie, Volon-
tarÎsme.
J. L. C.
Pouvoir
AI : voir cï-tltssous. - An : POUJn'. - R : V/MI'.
Pratique
Al : Prw. - An : Pr""i", - R : Prll/ilo,
par Marx et Engels dans La Sainte Famille et appliquée plus durement, car
sans réserves, à la Critique critique. Celle-ci a l'art de « métamorphoser
les chaînes réelils objectives, existant en dehors de moi, en chaînes purement
idiales, purement subjectWes, existant purement en moi, et par conséquent
toutes les luttes extérieures et concrètes en simples luttes d'idées» (SF, p. 105;
MEW, 2, 87). En ce sens Marx oppose à l'émancipation théorique de la
Critique critique allemande, accomplie par un acte pur, intérieur, spiri-
tuel, abstrait, transcendant l'humanité dans son grand nombre, les boule-
versements matériels pratiques tels que la masse les croit nécessaires
(SF, p. 118; MEW, 2, 100). « Chez les Français et les Anglais, écrit Marx, la
critique est en m~me temps pratique et leur communisme, un socialisme
dans lequel ils proposent des mesures pratiques, concrètes, dans lequel ils
ne se contentent pas de penser mais agissent plus encore » (SF, p. 114;
MEW, 2, 172). Sans doute est-ce à partir de ces textes que le terme de praxis
sera repris par la tradition philosophique marxiste comme totalité du procès
social de transformation matériel effectif de la réalité objective. En son
sens plus restreint, la « pratique » a été pensée comme critère de la
connaissance, pierre de touche de la vérité des assertions et des systèmes
d'assertions (cf. Lénine, M et E, o., 14, p. t46 : « Le point de vue de la
vie, de la pratique... mène infailliblement au matérialisme »).
On voit bien comment le questionnement de la notion de « praxis »
engage l'interprétation, proprement cruciale, de ce qu'est le malérialisme
de Marx et commande en bonne part l'analyse du rapport matérialisme!
marxisme (tous deux pouvant recevoir des déterminations hautement
variables). Les difficultés théoriques ouvertes par le texte dc 1145 demeu-
rent en suspens dans l'œuvre ultérieure. La notion de praxis semble en
effet tendanciellement disparaître du corpus marxien et y laisser place aux
concepts de lutte des classes d'une part, de production de l'autre. Cette
substitution non problématisée allait cependant autoriser la réactivation
du terme et du complexe théorique qui s'y agrège, la (re)constitution d'une
philosophie de la praxis pensée comme l'autre nom du marxisme (ce qui affec-
tera aussi bien l'histoire de la théorie que les approches de la question du
socialisme). Deux noms y sont plus particulièrement attachés : Lukacs
et Gramsci. Histoire el conscience de classe, publié à Berlin en 1923
(trad. franç., Paris, Minuit, 1960), vise à produire une science de la praxis,
matérialiste et positive. Pour Lukâcs, le prolétariat, en tant que ses intér~ts
particuliers correspondent à la finalité objective du développement histo-
rique, constitue la classe dans et par laquelle la praxis s'objective :
le « sujet-objet de l'histoire » (éd. ail., p. 179). Sa « conscience de
classe» peut donc tendanciellement s'identifier à une « conscience du procès
lui-même » ou « conscience pratique » (ibid.) et son « action libre »
(jreie Tat) devient alors la condition de possibilité du passage révolu-
tionnaire « de la philosophie à la praxis » - sans lequel « les
contradictions immanentes du procès... sont reproduites dans une forme
transformée... mais avec une intensité accrue par la dynamique dialectique
du développement» (ibid., 216). C'est donc la praxis du prolétariat qui,
sous ses considérants, détermine « la transformation de la réalité» (ibid.,
178). Ces positions, condamnées dès 1924 par Zinoviev au V· Congrès
de l'le, ont été rectifiées par Lukacs lui-même qui, en 1967, dans son En
guise de postface à la réédition allemande d'Histoire et conscience de classe,
assurait que son « exagération du concept de praxis » devait ~tre criti·
911 PRAXIS
G. Be. / S. M. J.
Presse révolutionnaire
AI : RtlJDlulùmlrt Presse. - An : RtrlOlutionary prtSJ. - R : RttlOlJ'u,ùmnaja ptl'at'.
Parti) pour laquelle s'est battu avec passion K. Marx durant toute sa
longue carrière de « publiciste ». Ce n'est pas un hasard si le premier
article du jeune philosophe rhénan est intitulé RemarqUlls sur la rJglerMntatüm
de la censu" prussienne (Anekdota, 1842)•
• BIBUOORAPIllE. - J. CHEsNEAUX, us synJi&a/s ,MMis de 1919 à 19119, rIPlf/oi", c/oeummts,
jJrrsS', Paris, Moulon. 1965;]' GoOECHOT (s.I.n.d.), La prtsSt 0IIlJriJr" 1819-1850 (Bibliogra-
phie de la ~olution de 1848), Paris, M. Rivi~, 1966; R. Gossaz. Lu OUIlrÏ6rs tU Paris,
liv.1 (1148-1851), Paris, M. Rivi~, 1967; J. GRANDJONC, Ma", Il lu annmunistu aIltmœuIs
à Paris, Vorw<Irts 1844, Paris, F. Mupero, 1974; D. HtlŒllv, RlooIutitmnaiTts UÏtIMmÏt1ls
.t /JWDOir eoklni4l ... Intlo<hiN. Paris, F. Mupero. 1975; D. Hbmav et TRINH VAN THAo,
ujDUr1llSlismt rloolutiomoai". Université de Picardie (Les Cahiers du CURM), 1978;J. RAN·
ClÈRE, La nuit des proUlllirts, Paris, Fayard, IgBl; R. ROBIN, Hisloir. Il linguistique. Paris,
A. Colin, '973; P. VILAR. Histoire marxiste, hisloire en construction, in Fai" d. l'Histoire,
Paris, Gallimard. '974.
~ CoRRiLATS. - Appareil, Conjoncture, Gramsci.me. Hégémonie, Histoire, Parti.
T. v. T.
Privé 1 Social
Al : PriodI/GouI/sdlqflJidI. - An : Pri_/SoNI. - R : CIIS1>toI/SoNI·...,.
du capital commercial à la péréquation des taux de profit (liv. III, sect. IV,
notamment K., III, 6, 317-323; MEW, 25, 319-326). De même l'incidence
de la rente sur les prix (sect. v), ou encore la question des prix de
monopole (K., III, 8, 238; MEW, 25, 86g-870)'
La notion de prix de la force de trlWail désigne le salaire, dont le mouve-
ment particulier se distingue de celui de la valeur de la force de travail,
leurs rapports mutuels ne se réduisant pas à ceux de valeur et prix de
marché en général.
Dans chaque cas, la démarche de Marx consiste à manifester que ces
diverses formes de prix, bien que relevant d'aspects relativement autonomes
du mode de production capitaliste, sont liées à la loi de la valeur et que la
détermination de la nature particulière de ces liens constitue la condition
de l'utilisation de ces diverses catégories pour ['analyse des situations
concrètes.
Par ailleurs, la catégorie de prix s'applique à des objets auxquels ne
correspond pas le concept de valeur, ainsi pour les œuvres d'art, qui échap-
pent à la notion de « temps socialement nécessaire », ou encore aux biens
non produits, principalement la terre, tous ces rapports demeurant, dans
le cadre de la société capitaliste, indirectement soumis à la loi de la
valeur.
Notons enfin que les schémas de la reproduction du livre n et l'analyse
de la transformation valeur/prix du livre III ont constitué des références
essentielles pour la constitution d'un système de prix socialiste.
~ CoRRÉLATS. - Abstrait/Concret, Concurrence, Crise, Inflation, Marché, Monnaie,
Salaire, Transformation, Valeur.
J. B.
Procès 1 Processus
g...,. -
AI : Prooss, V... An : Pro<us. - R : Pro<u.
Profit
AI : ProjiJ. - An : Prll;/il. - R : Prib~I'.
Progrès
F.ru,"'iu. -
AI : An : Pr.I'w, - R : Pro,r",.
Voir: Rationalisme.
Prolétariat
AI, An, R : ibid. Pr.ItUJTi~.
Son caractère central fait du concept de prolétariat l'un des plus com-
plexes de la théorie marxiste. Il est en particulier de ceux que l'on ne peut
dissocier du procès m~me de sa constitution. Du prolétariat « philoso-
phique» (/) au prolétariat« social» (JI) et à ses « tâches» (3), sa problé-
matique demeure, de part en part, tributaire de l'histoire continuée de
la théorie (4).
/ 1Le substantif« prolétaTlat », qui ne date alors que de quelques
années (1836), n'apparaît pas, semble-t.il, sous le plume de Marx, avant la
fin de 1843. Il utilisait auparavant, dans ses articles de la Rheinische Zeilung,
les mots« peuple »,« les pauvres» ou c< les classes pauvres ». J.-J. Rousseau,
dans son Contrat social (rv, 4), que Marx avait lu, avait, dans son acception
moderne, employé cc prolétaire ». Saint-Simon c!voquait « la classe des
prolétaires» (Œuvres, réimpr., Paris, Anthropos, 1966, t. 6, p. 457). Mais
c'est vraisemblablement Moses Hess, le premier à réagir à la lecture de
l'ouvrage de L. von Stein, consacré aux doctrines socialistes et communistes,
qui fait passer« proh!tariat» dans le vocabulaire de la gauche allemande.
PROLtTARIAT 924
propriété privée, la sienne propre, Mais déjà, la« praxis» a miné ce contexte
encore spéculatif. « Il ne s'agit pas de savoir quel but tel ou tel prolétaire,
ou même le prolétariat tout entier, se représmte momentanément. Il s'agit
de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il sera obligé de faire, conformément
à cet être... il serait superflu d'exposer ici qu'une grande partie du prolétariat
anglais et français a déjà conscimce de sa tâche historique... »
2 / Ainsi, en 1845, le point de vue de la masse (SF, chap. VI), traduit
dans le point de vue du prolétariat, « la classe dépourvue de propriété»
(die besit~lose Kl4sse), comme dit Engels (Deuxième discours d'Elberfeld;
apud lOl/n, Critique de l'korwmÎe nationale, Discours d'Elberfeld, éd. bilingue
Paris, Eni, 1975, p. 136), l'a emporté et rend inévitable« une révolution
sociale» (ibid., 139). En 1895, Lénine s'en fera l'écho, quand, après avoir
rendu hommage à Engels pour La situatioll de la clQJse laborieuse en AngletelTe
(( Engels fut le premier à déclarer que le prolétariat n'est pas seulement une
classe qui souffre, mais que la situation économique honteuse où il se trouve
le pousse irrésistiblement en avant et l'oblige à lutter pour son émanci-
pation finale»), il résume la leçon de La Sainte Famille: « C'est évidemment
dans le prolétariat qu'ils [KM et FE] voient la force à la fois capable de mener
cette lutte et directement intéressée à la faire aboutir» (o., 2, 17-18).
L'entreprise de transformation de la Ligue des Justes en Parti communiste
conduit, trois ans plus tard, à une troisième et cette fois nouvelle exposition
du concept. Nous la trouvons évidemment dans Le Manifeste qui, en tant
que programme politique, fruit des travaux consacrés aussi bien à l'étude
des différentes conditions prolétariennes en Europe qu'à la critique de
l'idéologie allemande ou à celle de Proudhon, n'est rien d'autre que la
présentation du prolétariat sur la scène de l'histoire comme principal
protagoniste. De ce véritable portrait en pied se dégagent quelques notables
caractéristiques: la dualité (en tous les sens du terme duel) bourgeoisie/
prolétariat, structurale de la « société bourgeoise », autrement dit 4u mode
de production capitaliste; la nature d'une classe créatrice de richesses et
ne possédant aucun moyen de production; une histoire : le prolétariat
se recrute dans toutes les classes de la population; dépouillé de tout carac-
tère national, il inscrit cependant, dans un cadre national, sa lutte de classe,
« lutte politique », en s'organisant en classe précisément, puis en parti
politique; sa fonction: le prolétariat ne peut mettre un terme à l'exploi-
tation qui le constitue comme tel qu'en détruisant l'ancienne société dans
sa base économique et dans sa superstructure; les communistes servent ses
intérêts dans tous les domaines pour qu'il s'érige en « classe dominante»
et qu'il conquière la démocratie; ils proclament son mot d'ordre, celui
de la révolution mondiale : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. »
Une telle conception rompt sans retour avec les notions de« peuple »,
de « masse» ou de « producteurs ». Faisant du prolétariat le produit et
l'agent, dans la lutte de classes, d'une structure historique déterminée,
elle rend caducs le misérabilisme, le populisme et toute forme d'assistance,
fût-elle philosophique. Il n'est plus question du recouvrement de l'essence
humaine, mais de la révolution comme procès objectif. Le Capital va conférer
à ces analyses une ampleur sans analogue, puisque le point de /lue du proU-
tanat y devient celui-là même de la critique de l'économie politique. Marx
nous prévient: « En tant qu'une telle critique représente une classe, elle
ne peut représenter que celle dont la mission (Beruf) historique est de
révolutionner (die UmwlllQJ1lg) le mode de production capitaliste et,
PROUTARIAT 926
marxisme», Lille, avr. ,gllo); Maximilien RUDEL, K. Marx, Essai de biographie intel/ecluell.,
Paris, Rivière, '957, p. '40 et s. (à propos de « l'eschatologie prolétarienne »).
:J / lUI/Fr! : T'SC (ES, 31 : « L'accroissement du capital est par conséquent l'accroissement
du prolétariat, c'est.à-dire de la classe ouvrière lO: cité par KW, K., t, m,55, n. t); WPC
(éd. bi\., 9' : « Le prolétariat, la classe des oU\Tien modernes »); K., l, III (ES, '75 et s. : la
formation historique du prolétariat); LÉNINE, o., 47 (Index: classe oU\Tièrc, la rubrique
la plus étendue, 90-103); PLEKHANOV, ŒU1!TtS philos., t. 1 (659 et s. sur le rèle de la concur·
Proletkult
La Révolution russe de 1905 suscite l'émergence d'une poésie ouvrière
et la constitution de cercles culturels ouvriers. Dans les années 1908-19'2,
le groupe des bolcheviks de gauche (otzovistes, Constructeurs de Dieu,
Ecoles de Capri et de Bologne), autour de A. A. Bogdanov, Louna-
Icharski, Kalinine, Bessalko, forme les futurs cadres du Proletkult. Après
février 1917, Lounalcharski, devenu responsable des questions culturelles
pour le Soviet de Petrograd, rassemble les groupes de culture prolétarienne
qui, du 16 au 19 octobre 1917, tiennent la Ire Conférence constitutive du
Proletkult. Bientôt, Bogdanov et Lebedev-Polianski le dirigent alors que
Lounatcharski prend la tête du Comtnissariat aux Lumières (selon l'expres-
sion de Sh. Fitzpatrick pour le Comtnissariat à l'Instruction ou Narkompros).
Le Proletkult connaît un rapide et remarquable développement. Il
recrute nombre de travailleurs enthousiastes, encourage les poètes prolé-
tariens, soutient journaux ouvriers et revues culturelles, publie des ouvrages
de doctrine, anime des cercles culturels dans l'ensemble de la Russie
soviétique. Aidé matériellement par le Narkompros, le Proletkult attire
à lui des intellectuels engagés dans la Révolution (Pokrovski, O. Brik,
Brioussoy, A. Biély, Meyerhold, Eisenstein, etc.). De 400 000 à un tnillion
de personnes participent régulièrement à ses activités. En 192', il compte
au moins 115 cercles culturels dont 39 pour le théâtre, 34 pour la musique,
21 pour les arts plastiques, 21 pour la littérature; 44 % des adhérents
sont des ouvriers. Dans une Russie dévastée par la guerre civile, le Prolet-
kult est l'organisation de masse qui maintient vivante la culture parmi les
travailleurs.
Les projets de ses fondateurs sont ambitieux. La Révolution n'est pas
seulement une question politique et éconotnique. Elle est avant tout révo-
lution culturelle, dans l'Art comme dans le byt, l'ensemble des relations
humaines. Par exemple, le poète Gastev, d'origine ouvrière, lance des
recherches sur la« culture du Travail» et crée l'Institut pour l'Organisation
scientifique du Travail. Pour Bogdanov qui domine l'activité initiale du
Proletkult, la dictature du prolétariat se développe selon trois axes : le
premier, politique, relève du parti; le second, économique, intéresse les
syndicats; le troisième, culturel, est le domaine spécifique du Proletkult.
Comme la culture représente une sphère autonome du tout social, l'activité du
931 PROLETKULT
« pour la gauche du LEF» qui sera le REF (Front révolutionnaire des Arts)
et prêche la conciliation entre les groupes. Durant cet automne 1928 de
la crise de la NEP qui débouche sur la collectivisation, le premier Plan
quinquer.nal et la condamnation de la « droite » (avril 1929), la RAPP
publie un manifeste préparé par Lebedinski affIrmant son hégémonie sur
l'ensemble de la littérature prolétarienne «(( premier plénum» d'octobre).
A la fin du mois, Averbakh, dans Na LiJeraJunwm Postu, dresse un parallèle
entre le danger de droite dans le parti et les Compagnons de route en
littérature, stigmatise ( l'idéalisation de Tolsloï », « l'ultra-gauchisme »
du LEF, le groupe Pereval. En décembre, la Pravda critique la tolérance de
Lounatcharski, et, le 22, se réunit une Conférence dont la résolution Sur la
fourniture de livres aux masses définit la littérature comme l'instrument effectif
de la politique du parti, prône le développement d'une « littérature de
masse pour la mobilisation des masses autour des tâches fondamentales
économiques et politiques» et enjoint aux centres d'éditions de soumettre
au parti leur plan de travail. Au même moment, No1!Y LEF cesse de paraître:
dans son dernier numéro, Jakobson et Tynianov établissent un programme
mêlant recherche linguistique et préoccupations marxistes. L'année 1929
s'ouvre sur l'arrestation de Voronski pour «( trotskisme» et la critique de
la FOSP accusée de ne pas produire des ouvrages à la hauteur des tâches
sociales. Le 4 décembre, la Pravda déclare enfin qu'en littérature la RAPP
suit la ligne la plus proche de celle du parti et appelle au regroupement
autour d'elle. Peu après, ~faïakovski dissout le dernier groupe vraiment
indépendant, le REF, rejoint la RAPP, et se suicide en mars 1930. Désormais,
la prééminence de la RAPP est fermement établie. Le 23 avril 1932, le cc
publie sa Résolution sur la reconstruction des organisatiOlls artistiques: suppression
des associations d'écrivains prolétariens (le Proletkult sera aussi suspendu
à la fin de l'année), réunion des écrivains soutenant la plate-forme du pou-
voir soviétique et désirant participer à la construction du socialisme dans
une association unique. Le I!J mai, se tient la première séance du comité
d'organisation chargé de préparer le Congrès extraordinaire des Ecrivains
soviétiques qui s'ouvrira le 17 août 1934 sur les rapports de Jdanov et
Gorki et donnera naissance à l'Union des Ecrivains soviétiques.
Deux périodes divisent l'histoire de la littérature prolétarienne en URSS.
De 19t7 à 1921, le Proletkult dispose d'un quasi.monopole des pratiques
culturelles et artistiques (seuls les Futuristes développent alors une activité
autonome) et anime un véritable mouvement de masse dont l'ambition
est la révolution du byt. En 1921, ce monopole éclate: le Proletkult subsiste
dans l'ombre de nombreux groupes d'écrivains et d'artistes. En même
temps, le rapport politique/culture est modifié. Le Proletkult prétendait
laisser la politique au parti mais revendiquait l'hégémonie culturelle en
restant jaloux de son indépendance. Les groupes d'écrivains prolétariens
exigent la même hégémonie mais se considèrent comme les militants
d'une ligne littéraire expression de la ligne politique du parti. En mal de
reconnaissance officielle et de pouvoir, ils exigent du parti cette interven-
tion directe qu'il refuse d'abord et qu'il finit par accepter pendant la(( révo-
lution par en haut» stalinienne des années 1928-1934. La vie culturelle
s'aligne alors sur la politique du parti.
Propriété privée
Al : l'ri:NJùilfllbmt. - An : PriNu _nJtip. - R : .ws-'.
« La propriété privée est un fait dont l'explication n'est pas l'affaire de
l'économie politique, mais qui en constitue la base. Il n'y a pas de richesses
sans propriété privée et l'économie politique est par essence la science de
l'enrichissement. Par conséquent, il n'y a pas d'économie politique sans la
propriété. Dès lors, toute cette science repose sur un fait sans nécessité»
(M 44, ES, 55; Erg., l, 510). Dans l'élaboration de la critique de l'économie
politique, le concept de propriété privée occupe une place charnière
puisque, tout en étant un pilier de la société bourgeoise, ce n'est pas un
concept économique en propre. Il ressortit plutôt à la philosophie politique
classique où les débats sur l'origine de la propriété sont concomitants
avec ceux sur l'origine du « contrat social» ou du droit naturel.
La propriété privée est la catégorie juridique clé de la société bourgeoise:
la démarche de ]\[arx consistera, à partir de la critique qui en est faite
notamment par les socialistes français (Proudhon), à la ramener à la calé-
gorie économique de rapport de production.
« Tous les développements de l'économie politique supposent la pro-
priété privée. Cette hypothèse de base, l'économie politique la considère
comme un fait inattaquable: elle ne la soumet à aucun examen, et même,
pour reprendre l'aveu naïf de Say, n'en parle qu'accidtTItelkmt1lt. Et voici
Proudhon qui soumet la propriété privée, base de l'économie politique,
à un examen critique, au premier examen catégorique, aussi impitoyable
que scientifique. C'est là le grand progrès scientifique qu'il a réalisé, un
progrès qui révolutionne l'économie politique et rend pour la première
fois possible une véritable science de l'économie politique» (SF, ES, p. 42;
MEW, 2, 32-33). Le point de départ de cette critique n'est pas d'ordre théo-
rique, mais d'ordre pratique: « La première critique de la propriété privée
part naturellement du fait où se manifeste sous la forme la plus tangible, la
plus criante, la plus immédiatement révoltante pour le sentiment humain,
l'essence contradictoire de cette propriété : ce fait, c'est la pauvreté. c'est
la misère» (ibid., p. 45; 36).
La démonstration du caractère contradictoire de la propriété comme
rapport de production, affirmée dès La Sainte FamiLLe, est démontrée tout au
long de l'œuvre de Marx, en fonction des différents prédicats qui se rap-
portent à la propriété privée.
1) La propriété privée peut être pensée à travers le concept d'aliénation
puisque, dans la production capitaliste, elle incarne la séparation du
producteur direct d'avec le produit et les instruments de son travail :
« Il s'avérera finalement que la propriété privée du produit de son propre
PROPRllrt PRIVlE 936
par opposition au capital privé; ses entreprises les présentent donc comme
des entreprises sociales par opposition aux entreprises privées. C'est là la
suppression du capital en tant que propriété privée à l'intérieur des limites
du mode de production capitaliste lui-même» (K., ES, III, 2, p. 102; MEW,
25, 452).
Contradiction entre le processus objectifde socialisation de la production
et le maintien des superstructures juridiques axées sur la propriété privée :
« La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels
arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe
capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété
capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés» (K.,
ES, 1,3, p. 205; MEW, 23, 791).
On trouvera une autre formulation de cette dialectique de l'appro-
priation, dont la propriété représente donc un moment historique néces-
saire et déterminé, dans L'idéologie allnnande (ES, p. 103; MEW, 3, 68) comme
mouvement historique de l'appropriation particulière vers l'appropriation
universelle: « Seuls les prolétaires de l'époque actuelle, totalement exclus de
toute manifestation de soi, sont en mesure de parvenir à une manüestation de
soi totale, et non plus bornée, qui consiste dans l'appropriation d'une
totalité de forces productives et dans le développement d'une totalité de
facultés que cela implique. (00') Dans toutes les appropriations antérieures,
une masse d'individus restait subordonnée à un seul instrument de produc-
tion; dans l'appropriation par les prolétaires, c'est une masse d'instruments
de production qui est nécessairement subordonnée à chaque individu,
et la propriété qui l'est à tous »•
• BIBUOORAPHIE. - ENGELS, Oifa.; HEGEL, 1'riMipu tU Ùl pIà/osophit du dmit, Vrin, '975;
LocJœ, Stamd traili du ~ <Wil, Vrin, 1967; MARX, ,,",hi MORE, Utopie, n, '97';
PROUDHON, Qu'est-ce qUt la propriJ/I J, Paris, Garnier-Flammarion, '966.
• CoRRtLATS. - Accumulation, Ali4!nation, Division du travail, Prol4!tariat, Proudho-
nisme, Rapporu de production, Rente.
P. S.
Protectionnisme
AI : Prolfktionismus. - An : Prol"'iOrtism. - R : Prollk&ionivn.
Proudhonisme
AI : ~. - An : l'routIIttImsm. - R : l'rudMU.m.
tion que n'a résolue aucune des sCIssIons survenues dans le mouvement
ouvrier, celle de l'alliance non seulement entre la petite bourgeoisie ou les
couches moyennes et la classe ouvrière (sur quoi Marx et Proudhon pen-
saient la même chose; cf. L. à Annenkov, citl!e et De /Q. capacité des classes
ouvrilres) mais aussi entre les différents courants au sein même du mouve·
ment ouvrier. En ce sens demeure fondé le jugement de G. Pirou selon
lequel :« Lorsque Proudhon monte, Marx, par un mouvement en quelque
sorte automatique, descend » (apud Proudhon et noire tnnps, Paris, 1920,
citl! par A. Cuvillier) .
• BIBLlOORAPHU<. - a / Quelques occurrences complémenJaires : PB, apud NOM, III, 433
et s. ("EW, 6, 562 et ..): kW, Prif.dI 1869 au 18 B (WEW, 16,358); apudkW/n, Gorr., Il, les
L. de 1851 num6'otêcs 136, 137, 138, 139, 142, 152, 157, 158, 164> 165, 172, 177: Crund.,
trad. franç., IlS, l, 18-19 (Dietz Verlag, 6); Qlnl., 38 n. et 57 ('ŒW, 13,47 et 68); K., l, III,
27 n. (WEW, 23, 613 n.); Il, v, 84 (WEW, 24, 431): IV, III, 613 et s. (WEW, 26, 3, 512 et s.):
AIl, 302-303 (WEW, 20, 246) et 352 : Dühring = Proudhon (WEW, ibid., 291); K", L'üuliJfl-
renç. en matière POlilique (MEW, 18,302); L. de FE iL Bebel du 18-28 mars 1875; Prif. d. 1891
de FE iL OCF (il qualifie Pr. de« socialiste de la petite paysannerie et de l'artisanat" et ....ure
que« la Commune fut le tombeau de l'école proudhonienne du socialisme»): unjugement
de F. La.uaJle sur HPh, apud L. à Marx du 12 mai t851 (Gorrupotultmu Marx/Lassalll, Paris,
PUY, 1977); A. GRAMSCI dit de Proudhon qu'il est le« Gioberti français» (cf. Cr. tis le t.xle,
264, 538) et le compare iL Sorel et De Man (ibid., 289).
b / PllOunHON : ŒuvrlS œmpUIu, C. BouoLt et H. MoYSSET éd., 15 vol., Paris, 1926.
1959: Carnt/s, P. HAUBTMANN éd., 3 vol., Paris, 1960-1g68; Œuurts c1wisUs, J. BANCAL éd.,
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(Lambert), Lu itIJu antiproudhonimnu sur rllntDur, itJfnnm, " Il mariagt (Ro!ponse il Justiu
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dl l'onarthismt. Esquisse d'lJ1II upiitalion sotiologiqlllJ dl l'anarthïsmt, Paris, 1970; J. BANCAL,
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Paris, A. Colin, 1912: H. BoUROIN, Proudhon, Paris, Biblio. socialiste, 1903: G. CooNIOT,
Le vrai Proudhon, apud La PInS/<, nO 81, 1958; E. DOLLtANS, Proudhon, Paris, 1948: ID,
el J. L. PuECH, Proudhon" itJ rillo"'tion dl 1848, Paris, 1948: Ed. DROZ, P. J. Proudhon,
Paris, Libr. Les Pages libres, 1903: G. GURVITCH, Proudhon " Marx, lJ1II œrifrtmtatitm, Paris,
1962: ID., DialtttÛJIIII" sociologie, Paris, 1962; ID., Proudhon, sa uU, son lIuvr., lIVet un ,xpost
dl sa philosophi., Paris, 1965: G. GUY-GRAND, Pour eomprtndrt la pensl, dl Proudhon, Paris.
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nismI Il synditalisml rlooWlionnaire, Paris, Rousseau, 1910: J. L. PuECH, Le proudhonisml
""ru rAIT, Paris, 1907: G. SoREL, Introduetion d rla>lIDmù modmrI, Paris, 19o9.
Pudding
Cl!lèbre simplification engelsienne qui ne craint pas de faire concourir
la maxime populaire anglaise: « The proof of the pudding is in the eating»
(<< La preuve du pudding c'est qu'on le mange») à la rl!futalion de l'agnosti-
cisme (Prl!f. à l'éd. angl. de 1892 de Socialisme utopique el socialisme scie71lijiqut:
941 PUDDING
MEW, 22, 296; trad. apud Etudes philosophiques, Paris, ES, 1961, p. 120). Se
donnant comme didactique, un matérialisme extrêmement abaissé n'a
cessé d'invoquer cette formule (cf. encore récemment G. MARCHAIS, Le dlfi
dbnocralique, Paris, Grasset, 1973, p. 151) .
" \ .~,~~:j~./ ~, ,-J Jn"; -;';':',:.:)'1 ~\:;l' j:'~ ~'<' ::~"l':i;f ~_~;~.)':·Hi>- '/i(1
tt: .q .'~ ;1: J'J:'~'.'~':;;.) ... ~ .. ,..-; .,\,~l\'ci
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Q
Qualité 1 Quantité
AI : Qp.lil4l/Qlulnhl4l. - An : Qp./iVfQ1'lIIIIif1. - R : Kal,sa/Ka/iwa.
G. Be.
Question juive
Al : JuJ"Vmge. - An : J,wuh quesl;"". - R : E'''''iskij vop,"s.
nement qu'il provoque ne soit à son tour redevable d'un examen circons-
tancié, analytique et lùstorique. Tout commence ici avec Marx en personne
- ce qui n'est pas pour simplifier les choses: origine juive de Marx, origines
théoriques du marxisme dans La Qjustion juive. Ce dernier texte est rédigé
par Marx à la fin de 1843 puis publié dans les Annales franco-allemandes
de 1844 (MEW, 1,347-377; trad. franç. M. Simon, apud La Questionjuive,
Paris, Aubier-Montaigne, 1971). Son titre allemand, Zur Judenfrage,
indique clairement que Marx n'entend alors nullement écrire sur la
question juive, mais seulement répliquer à Bruno Bauer qui, lui, est l'auteur
de deux articles sur le problème (Die Judenfrage, Braunschweig, 1843,
trad. franç., J. M. Caillé, apud Karl Marx, La Qpestion juive, Paris, 10/18,
1968, p. 57-183, et Die Fiihigkeit der heutigen J uden und Christen, frei zu
werden, Vingt et une Feuilles de la Suisse, l, 1843), à propos desquels Marx
apporte son point de vue, sa contn'bu/ion : tel est bien le sens du zur. La
Qpestion juive est donc un ouvrage sur un ouvrage et non sur la question
juive. Le texte est divisé en deux parties puisqu'il répond à deux autres
textes. La première et la plus volumineuse tient en une démonstration
dense et serrée qui vise à très rigoureusement déconstruire la problématique
de Bauer. Celui-ci, s'autorisant d'une sorte d'hégélianisme du pauvre,
affirmait que les Juifs, en raison de leur profonde inaptitude à atteindre
l'universel ne pouvaient réclamer pour eux·m~mes l'émancipation poli-
tique, sauf à renoncer à leurs particularités et exclusivisme. Marx critique
l'extrême abstraction de cette position et montre que l'argumentation de
Bauer reste prisonnière de la « théologie» puisqu'en particulier elle ne
s'interroge jamais sur les contenus de la notion d'émancipation qu'elle
manie de façon confuse (QJ, 350/59)' Le rapport entre société civile
et Etat est donc au cœur du texte de Marx, tout entier organisé autour
d'un renversement, celui de la problématique bauerienne, théologico-
politique, dans une nouvelle problématique, économico-politique, où
ne serait plus considéré le « Juif du sabbat» mais le « Juif quotidien »,
réel (372/131). Ce postulat de déplacement, mis en œuvre dans La Question
juive, est posé dans l'Introduction de 1843-1844 à la Critique du droit
politique hégélien (les deux textes sont en elfet profondément solidaires) :
transformer la « critique du ciel » en « critique de la terre », la
« critique de la religion » en « critique du droit » et la « critique de la
théologie» en« critique de la politique» (~IEW, 1,379; trad. franç., Aubier-
Montaigne, 55). Pour ce faire, soit pour rompre ce que La Sainte Famille
(texte qui à son tour fait cohérence théorique avec les deux précédemment
cités) nomme le « cycle spéculatif » repérable dans la « critique »
bauerienne (SF, MEW, 2, 144; ES, 1969, 113), Marx établit dans la seconde
partie de La Qpestion juive une série d'équivalences : judaïsme = société
bourgeoise = égoïsme = besoin pratique. Or, si le « Juif du sabbat»
était déjà l'abstraction du «Juif quotidien », le Juif de ce judaïsme-là est
l'abstraction du « Juif du sabbat », l'abstraction d'une abstraction; il
rev~t purement et simplement « une fonction éponyme », comme écrit
E. de Fontenay (Les figures juives de Marx, Paris, Ed. Galilée, 1973, p. 105),
il est « philosophème » (ibid.), représentant de l'époque, i.e. de l'argent,
du capitalisme. H. Arvon (Les Juifs et l'idiowgie, PUF, 1978, chap. IV :
« Karl Marx, Juif antisémite? », p. 97 et s.) ne dit pas autre chose: « Ce
n'est pas par un libre choix et par une volonté délibérée de lutter contre
le judaïsme que Marx, dans La Question juive, assigne aux Juifs la place
947 QUESTION JUIVE
infamante qu'ils y occupent, mais ce sont les structures mêmes d'une cer-
taine idéologie, celle de la gauche hégélienne, qui l'amènent à faire jouer
aux Juifs un rôle qui leur est prédestiné... Ce Juif... dont parle Marx..•
est un pur concept... d'où les apparences d'une cruelle impassibilité qui
n'est en réalité que la rigueur implacable d'un raisonnement abstrait» (113).
Aussi, « là où Marx veut faire éclater à coups de marteau l'idéalisme
hégélien, on s'imagine qu'il pourfend les Juifs » (E. de Fontenay, op. cit., 23).
Est donc fortement en question le statut théorique de La Question JUÏl/e.
Sans nul doute, les Juifs sont le « prétexte» de ce texte (G. Labica, Le
statut marxiste tU la philosophie, Bruxelles, 1969, p. 209'210) qui représente
un moment fort de la formation du marxisme, en ce qu'il effectue un dépla-
cement décisif dans la problématique de l'émancipation. Le « prétexte»
ne peut toutefois se tenir en position de totale extériorité par rapport à
sa raison dans le texte, comme préservé d'elle, non affecté par sa cohé-
rence idéologique. Marx donc, à son corps défendant si l'on peut dire
- puisque son antisémitisme·« prétexte » reproduit celui de Bauer
(cf. H. Arvon, op. cit., 115) - , est conduit à formuler une hypothèse aporé-
tique sur les Juifs eux-mêmes, hypothèse hégélienne et non marxiste :
« L'analyse (de Marx) ne repose à aucun moment sur l'intance en
dernière analyse déterminante que sera l'infrastructure. (Marx) croit
pouvoir trouver dans une idéologie supposée, l'égoïsme du besoin pratique,
le principe de compréhension d'une société» (E. de Fontenay, op. cit., 37,
qui ajoute : « La rhétorique marxiste de la représentation juive de la
société bourgeoise n'a pu fonctionner que parce qu'un impensé hégélien
fortement structurant constituait la matrice infatigable de ses figures »).
On peut donc, sur ce point au moins, donner acte à R. Misrahi :
lorsqu'il est antisémite, Marx n'est pas marxiste et lorsqu'il est marxiste,
il ne pense plus la question juive (Marx et la question juive, Paris, 1972,
p. 90). Extraordinaire ambiguïté de La Question juive sous cet aspect
secondaire mais extrêmement sensible, qui fait écrire à H. Arvon que
Marx y est « moins antisémite qu'anti-antisémite... les deux contraires ne
s'annulant pas » (op. cit., 102) - antisémitisme de formulation, anti-
antisémitisme de teneur. Ajoutons que l'opposition théorique de Marx
à Bauer se redouble d'une politique, redoublement qui indique bien ce
que fut la position et la pratique réelles de Marx sur le problème. Au
moment où il rédige La Question juive, il engage en effet toutes ses forces
dans le travail politique qu'il accomplit à la tête de La Gautte rhénane.
A ce titre, il nùlite très activement pour l'émancipation politique des Juifs
dépouillés de leurs droits civiques par J'édit du 4 mai 1816 : ses corres-
pondances du 26 aoCll 1842 avec Opppenheim et du 13 mars 1843 avec
Ruge en témoignent.
Que dire enfin de ces « miettes antisémites» (E. de Fontenay), de ces
perles d'antisémitisme de formulation qui parcourent le corpus marxien,
de la première thèse sur Feuerbach au Capital en passant par la Corres-
pondance (E. Silberner dans Was Marx an Anti-Semite?, Princeton, NJ, 1949,
en dresse le répertoire exhaustif)? Symptôme de cette autophobie qui
marque, à J'époque moderne, le Juif névrosé de J'assiJnilation (cf. Theodor
Lessing, Der Jüdische Selbsthajl, 1930)? Si cette description clinique peut
être utile à la réflexion, die ne saurait à elle seule tenir lieu d'explication.
Au total, et quelque irritation qu'on puisse en éprouver, force est de
retenir ensemble les reflets croisés d'un jeu de miroirs et de contradictions
QUESTION JUIVE 948
où l'image de Marx éclate : Juif honni par les antisémites (Ruge, Bakou-
nine, Dühring, voire même tel mandat d'arrêt lancé contre lui en 1853 par
le gouvernement prussien) et reconnu par les siens (Hess, Beer, Hynd-
mann, etc.) autant qu'antisémite vitupéré par les uns (cf. par exemple
R. Payne, The unknown Marx, 1972) et curieusement récupéré par les autres
(certains idéologues nazis n'hésitèrent pas à avoir recours à La Question
juive!).
A cette figure si contrastée, on pourrait opposer le cas du vieil
Engels qui opéra en effet, à partir de la fin des années 70, un véritable
« tournant » personnel sur la question juive. Jusqu'à la publication de
l'Anti-Dühring (1877-1878), Engels partage peu ou prou l'antisémitisme
de formulation affiché à l'occasion par Marx. Quatre ordres de facteurs,
rappelés par E. Silberner (Sozialisten zur Judenfrage, Berlin, 1962, chap. 9,
p. 143-159), le conduisent à réviser sensiblement son point de vue et à
adopter une position politique très ferme. Les deux premiers relèvent en
quelque sorte d'une réaction individuelle: les attaques antisémites ad Iwmi-
Mm portées par Dühring contre Marx, la connaissance des milieux socialistes
juifs de l'East End londonien que lui apportait Eleanor Marx-Aveling
qu'Engels considérait comme sa propre fille et qui s'affirmait alors,
à en croire de nombreux témoignages (M. Beer, A. Cahan, M. Winl-
schewski, E. Bernstein), « juive ». Deux autres données, de caractère
historique, retinrent également le sens politique aigu d'Engels: l'émergence,
en Allemagne et en Autriche, d'un antisémitisme pangermaniste qu'on
peut déjà qualifier de pré-nazi et la montée d'un puissant mouvement
ouvrier juif tant en Russie qu'en Angleterre ou aux Etats-Unis, doté d'une
presse et d'organisations de masse remarquables. Aussi Engels fut-il de
ceux qui, dans la social·démocratie, se prononcèrent sans équivoque contre
l'antisémitisme et son utilisation à des fins « anticapitalistes ». Silberner
lui-même, peu enclin à l'indulgence en ce domaine, rend hommage à sa
perspicacité et à son courage politique (op. cil., 159) et cite ce passage
d'une lettre qu'il adressait le 19 avril 1890 à un correspondant viennois
inconnu : « Il y a en Angleterre et en Amérique... des milliers et
des milliers de prolitaires juifs : ces travailleurs juifS sont les plus exploités
et les plus misérables. Ici, en Angleterre, nous avons connu trois grèves
de travailleurs Juifs au cours des douze derniers mois - et now
devrions pratiquer l'antisémitisme comme moyen de lutte contre le
capital! »
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949 QUOTIDIENNETl
C. R.
R
Rapports de forces
AI : K,4f/-wrhofltnÎu,. - An : Balam, affo'''', - R : OtnaI,.ija <il.
bien moins nette dans la théorisation de Staline. Celui-ci oppose ainsi dans
Des principes du lininisme « les réserves directes et indirectes de la révo-
lution, les réserves indirectes désignant l'état des contradictions internes
au camp ennemi; ex. : la guerre entre Etats impérialistes ne pouvant
concentrer leurs forces contre le jeune pouvoir soviétique ». Si Staline
reconnaît l'importance décisive de ce facteur, la notion de réserves (directes
et indirectes) incline la théorie et la pratique politique du côté d'une vision
purement comptable des forces. Dans le même mouvement, l'analyse du
rapport de forces s'est identifiée aux figures de l'affrontement direct (un
camp contre un autre) sur le plan national (classe contre classe) et inter-
national (bloc contre bloc) selon un modèle frontal du rapport de forces
et le présupposé d'une antériorité logique et chronologique des forces à
leurs luttes, pour une autre part aux figures du contrat passé entre des
forces. Ces deux figures ont été vivement critiquées dans l'histoire du
marxisme. Comme l'a montré Gramsci dans ses Notes sur AfachialJcl, il faut
mettre en suspens le modèle de la bataille rangée au profit de la pensée des
« positions inextricables », le modèle de la domination d'une classe contre
une autre, au profit de la pensée de la notion de « bloc au pouvoir », le
modèle d'un même régime de distribution du rapport de forces pour la
classe dominante et la classe dominée.
De même, l'histoire du marxisme a permis de mieux différencier les
différents niveaux et registres ou moments du rapport de forces. Gramsci a
beaucoup fait pour spécifier le type d'articulation qui existe entre les divers
rapports de forces (économique, politique, militaire) qui fonctionnent de
façon relativement autonome et selon une hiérarchie variable suivant les
circonstances. Ces différents niveaux ou moments ne se présentent pas de
la même manière: si le rapport de forces économiques est une « réalité
rebelle» qui peut être effectivement mesurée « avec l'objectivité rigou-
reuse » dont parle Lénine, « avec les systèmes des sciences exactes et phy-
siques » nous dit Gramsci, le rapport de forces politiques exige tout au
contraire un doigté nécessaire pour pouvoir repérer la forme de conscience
et d'organisation homogène en voie de formation; enfin le rapport de
forces militaires est, en son fondement même, un rapport de forces politico-
militaires. Cette conception gramscienne du rapport de forces: 1) réserve
la possibilité d'une appréhension infaillible du rapport de forces au seul
domaine économique: ce serait là, et là seulement, que la métaphore des
sciences de la nature s'appliquerait de façon appropriée; 2) considère que
la « conscience » et « le degré d'organisation » des hommes agissent
comme « des forces matérielles », ce qui révoque toute conception cynique
et économiste du rapport de forces; 3) notifie le caractère conjoncturel du
rapport de forces militaires.
Cette histoire du marxisme permet précisément de critiquer l'usage
qui a sévi dans le mouvement stalinien: on a assisté à une « solennisation »
de l'expression « tenir compte du rapport de forces» qui devenait une
formule magique, dans son allure impérative, en lieu et place d'un concept
opératoire majeur du politique.
Cette « formule magique» a fonctionné comme le premier et le dernier
mot, par rapport auquel toute décision politique, tout risque politique était
tenu pour sacrilège. Sous couvert de réalisme et par un usage subreptice
des catégories propres aux sciences de la nature, « tenir compte du rapport
des forces » revenait à cou\Tir les modalités d'alliance et de lutte les plus
955 RAPPORTS DE PRODUCTION
Rapports de production
AI : 1'rrJukti_It4JmisSt. - An : /ù/JJlWm .t "..'i.... - R : P'.ioMill/'''Y' .IMlmija.
Les hommes se distinguent des autres êtres vivants parce qu'ils pro-
duisent eux-mêmes leurs moyens d'existence. La production matérielle
constitue donc l'objet même de toute histoire matérialiste digne de ce nom:
telle est la prémisse posée par Marx et Engels dès 1845-1846. Mais la
production apparaît toujours déjà comme un phénomène social. « Elle-
même [la production] présuppose pour sa part des relations (Verkehr) des
individus entre eux. La forme de ces relations est à son tour conditionnée
par la production » (lA, ES, 46; MEW, 3, 21).
Si l'implication réciproque entre relations sociales et production est clai·
rement énoncée, le concept de ces relations sociales demeure flou dans
L'id/ologie allemande: dans sa généralité, le « commerce» (Verkehr) recouvre
des rapports multiples de type familial et affectif autant qu'économique.
Certains textes de L'id/ologie allemande spécifient le concept en définissant la
propriété comme « une forme de relation (Verkehrsform) nécessaire à un
certain slade de développement des forces productives» (ibid., 390; !dEW, 3,
338). De même se fait jour la conception selon laquelle les relations sociales
évoluent parallèlement au développement des forces productives. L'his-
toire des « formes de commerce» est celle d'une extension progressive de la
propriété privée et de l'antagonisme entre la classe des producteurs directs
RAPPORTS DE PRODUCTION 956
Rapports sociaux
AI : e;",llseMjllic1l4 Vnh4J",ÙS,. - An : Social ,,1.1iœJ. - R : D6lus""""," .""'ÙIIij• •
MPC, 39-41). En ce sens, on peut bicn dire avec Hegel que la société civile
bourgeoise (bÜTgn-liche Gesellschaft) marque l'achèvement de la maîtrise
par l'homme de la nature, qui présidait à l'établissement des premières
relations sociales, et qu'avec elle une révolution historique s'est accomplie.
Mais « c'est seulement le capital, précise Marx, qui crée la société civile
bourgeoise et l'appropriation de la nature et des rapports sociaux par
les membres de la société» (Grund., l, 349; 313). C'est ici « la grande
influence civilisatrice du capital» (ibid.).
L'Etat capitaliste, cependant, n'est pas cet ordre social dont rêve
Hegel, en lequel l'individu pourrait trouver l'expression de sa propre
raison et ~tre de la sorte pleinement libre. En fait, cet individu parvenu à
« l'universalité et à la totalité de ses rapports et de ses facultés» n'est
réalisé ici - en supprimant les entraves naturelles au développement de
ses facultés et de ses rapports sociaux - qu'au prix de « l'aliénation géné-
rale de l'individu vis-à-vis de lui-même et des autres» (Grund.. 1, 98 ; 79).
Car celte libération de l'individu suppose d'abord, précisément, son entière
détermination par les seuls rapports sociaux - et non plus par la nature -,
sa personne, ici, ne comptant donc plus. Et les rapports sociaux eux-mêmes
ne deviennent autonomes vis-à-vis de la nature, ils ne cessent d'être dépen-
dants des liens personnels, qu'en s'érigeant d'abord en « autorité autonome»
au-dessus des individus comme une puissance désormais étrangère à leur
personne et qui leur est tout aussi extérieure que le milieu naturel à
l'origine (Grund., l, 100-101; 81). Il leur reste donc à se rendre maîtres de
ces rapports, et la société bourgeoise n'est pour cela qu'un moment
préalable nécessaire.
Quant à la libre concurrence, que le libéralisme olTre comme un affron-
tement des particuliers, dans la liberté la plus achevée, au plus grand
bénéfice de l'intérét général, elle se révèle, elle aussi, seulement au service
d'un capital en réalité indépendant des individus et de la communauté,
comme une condition nécessaire à ce capital pour se développer pleinement
(serait-ce, d'ailleurs, au détriment du capitaliste lui-même, lequel ne
saurait, en tant qu'individu, maîtriser une production dont il est, au même
titre que le prolétaire, une simple fonction). « Ce ne sont pas les indi-
vidus qui s'affirment librement dans la libre concurrence, c'est le capital
qui est mis en liberté» (Grund., Il, 142-143; Dietz, 544)'
Or, cette universalité et cette aliénation totale de l'individu ne sont
possibles que dans une production entièrement fondée sur la valeur
d'échange (elle ne l'était que partiellement jusqu'au capitalisme), soit
un marché où la valeur du produit ne tient qu'à la quantité de travail
qu'il a nécessité. Mais il ne s'agit ici que de travail social, Car cette
échangeabilité universelle des produits que suppose le capitalisme n'est
possible que si l'on peut considérer comme égaux les travaux des individus
différents qui ont élaboré ces produits, « comparer leurs travaux les uns
aux autres, comme s'il s'agissait d'un travail identique, et cela en réduisant
effectivement tous leurs travaux à un travail de même espèce » (Cont., I I ;
MEW, 13, 19), en faisant « abstraction de leur inégalité réelle» (K., 1, 1,86;
MEW, 23, 87-88). Le travail social est une « forme de rapports sociaux
spécifique» du capitalisme (Cont., ibid.) avec laquelle l'activité du pro-
ducteur, « quelle qu'en soit la forme individuelle (...), et le produit,
quelle que soit sa nature particulière », deviennent, en la valeur d'échange,
« une chose universelle où toute individualité, toute particularité, sont
963 RATIONALISME
niées et effacées» (Grund., 1,92; 75). Et, à séparer ainsi les marchandises
du contexte de leur production pour ne plus considérer en elles que leur
« pouvoir» d'être échangées, on en vient à oublier que ce pouvoir dont on
les valorise n'est que celui de leurs producteurs, et à voir les rapports
sociaux entre ces derniers comme des rapports sociaux entre les choses
elles-mêmes (Grund., 1,92-93; Dietz, 75-76; Cont., 13-14; MEW, 13, 21-22;
K., 1 , 1,84-85; NEW, 23, 86-87; K., ru, 3, 255; NEW, 25,887). Et, puisque les
rapports entre les marchandises se représentent dans l'argent, Marx peut
parler ici de « réification» (Verdingliclumg) des rapports sociaux (Grund., l,
96; 78; K., III, 3, 255; MEW, 25,887). Etonnant fétichisme (K., 1, 1,85; NEW,
23, 86-87) que celui-là où, cette fois, c'est le monde qu'ils ont eux-mêmes
créé - le monde des rapports sociaux - qui devient aux hommes invi·
sible et étranger.
• B,BI.,OGRAPHIE. - 1 1 MARX: Cont., ES, 5 (NEW, '3, 10), 9-14 (13, l6-~3); K., ES, l,
l, ~o (NEW, ~3, 16), 83-91 (85-94), 9S-g6 (99-100), IOO-IO~ (IOS-106), 18~-,83 (194.195);
K., Il, l, 1°7-108 (XXIV, 119-1~0); K.,lII, l, ~63 (XXV, ~60);K.,lII,3, 'S8-'S9(XXV, 784),
'7~ (799-800 ), ~52'253 (884-886 ), ~56 (88g), ~57-~58 (8g0-8gl); K 'l, " 44-45, 3~5, 45 6 ,
466,476-47 8 ; 3, 100-1'0, 15~-15S, 16~, 303, 3~1-3~~, 344-346, S08, S81-S8~, 597, 603
(.mw, ~6.l, ~6-~7, 325, 365, 374, 38~-384; ~6'3,14'94, 1~6-130, 136, ~S5, ~7l-~7~. ~90
~9~, 422, 484-485, 498,5°3); L. à Annenkov, 28 déc. 1846; L. à .1. B. von Schwdtzer,
~4 janv. 186s (NEW, ,6); ENGELS: LF; Oifa., passim.
" 1 L. ALTHUSSER, Marxisme et humanisme, in Pour Marx, Paris, Maspero, '965, 229-
238; L. FIWERIIAGH, L'Essence du ehrislianisme, trad. par j.-P. OSIER et j.-P. GROS'Ell<,
Paris, Maspero, 1968, passim, et 117-150 en particulier; ID., Thèses provisoires pour la
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1960, lIB; C. PALLOJX (avec la collaboration de S. ZAR'F1AN), D. la soeialisalion, Paris,
Maspero, 1981.
Rationalisme
AI : Rati"""lismlLJ. - An : RalÙmlllism. - R : Ra<imlaliem.
de l'empirique d'après les idées pures qui lui correspondent, alors c'est
toute la conviction des modernes qui est rationaliste » (Annexe III,
Gallimard, p. 323).
Cette définition globale et typologique du rationalisme renvoie à l'unité
qu'affirme le discours philosophique entre sa théorie de la connaissance et
la pratique des sciences auxquelles il se rapporte. C'est sur la base d'une
pratique scientifique donnée (les mathématiques ont joué ce rôle chez
Descartes, Leibniz et Spinoza) et de sa rationalité immanente que le
rationalisme spéculatif pratique une double opération: a) universalisation
de son mode de production conceptuel et de ses enchaînements discursifs
érigés en normes universelles du vrai, indépendantes de l'expérience sen-
sible, et capables d'y introduire une rationalité qu'elle ne peut exhiber
d'elle-même (base donc du postulat d'intelligibilité totale du réel);
b) repli de ces normes universelles sur la science elle-même qui en devient
l'objet pour en assurer le «fondement» (i.e. mettre àjour les principes qui lui
assurent le droit de parler) dans les facultés du sujet connaissant ou dans
la réalité divine.
Le rationalisme philosophique apparait ici comme un intellectualisme
qui éternise la raison et qui en vient à logiciser et subordonner (idéalisme)
l'être à la pensée.
C'est au moins sous ce dernier aspect que la philosophie de Hegel
constitue le prisme à travers lequel Marx et Engels interviennent de façon
théorique et critique sur ce rationalisme idéaliste. D'otl celle étonnante
opération: Marx et Engels critiquent dans Hegel et à travers lui le rationa-
lisme spéculatif en répétant à son endroit, au travers de Feuerbach (véritable
matérialiste du XVIIIe siècle), la critique opérée par le matérialisme du
XVIIIe siècle sur la métaphysique du XVII" siècle. Répétition dans le détour.
C'est l'histoire qui semble se répéter.
De la Critique du droit politique higélien (1843) et du Mystère de la construction
spéculative (SF, 1845) jusqu'au Capital, Marx ne cessera de s'opposer à cette
« déduction » du réel empirique par une raison spéculative qui s'auto-
développe comme pure pensée.
L'alliance avec Feuerbach dans la critique de la Raison hégélienne
n'implique pourtant pas une rupture totale avec Hegel. Comme la méta-
physique classique aux yeux du matérialisme français, l'hégélianisme
apparaît à Marx et Engels comme une formation idéologique de
« compromis ». « Elle a, il est vrai, également son côté conservateur; elle
reconnaît la légitimité de certaines étapes du développement de la connais-
sance et de la société pour leur époque et leurs conditions » (Engels,
LF, ES, 14; MEW, 2, 268).
Mais elle rompt d'autre part avec l'immobilisme et l'éternitarisme du
rationalisme classique; à travers la réduction du réel empirique à la
dimension d'un support où s'incarne et se manifeste l'Esprit, elle rend tout
procès rationnel et donne à la raison une histoire identique au devenir du réel
lui-même. Systèmes théoriques. concepts, sociétés, institutions, « cette
philosophie dialectique dissout toutes les notions de vérité absolue défi-
nitive et d'états absolus de l'humanité qui y correspondent » (Engels
op. cit., p. 14; 267).
L'histoire ne se répète pas, mais c'est au prix d'un profond « rema-
niement » de ce qui n'est qu'une tendance matérialiste de la philosophie
hégélienne (la dialectique), que l'on peut penser que Marx ct Engels en
967 RATIONALISME
C. L.
Rationnel 1 Réel
Al : VmoiiIfIlil/Wir!lKA. - An : ~1/1ù4l. - R : lIMioft.r_IJù4I'""..
cosmique. Cette raison est unité des structures théoriques de la raison pure
et de la liberté-volonté défmissant la raison pratique. La raison est un tout
et elle est le Tout; seul objet et seul sujet. Dans la société du travail moderne
et l'Etat qui en discipline les intérêts contradictoires autour de l'intérêt
général, le sens rationnel existe, et s'identifie à l'universalité des libertés
raisonnables se reconnaissant comme telles et décidant pour chacune de
surmonter sa naturalité et sa paMionnalité propre.
2 1 Supérieure à tout rationalisme « moralisateur », cette thèse laisse
dans l'indétermination le critère concret permettant de fixer dans quelle
mesure toute institution réalise la possibilité de la Raison comme liberté
raisonnable. Marx a commencé sa carrière en mettant en cause la capacité
de l'Etat à être figure achevée de la Raison. Loin de préjuger que l'Etat
est structure essentiellement rationnelle, Marx dénonce l'apparente conci-
liation des intérêts sociaux, et refuse dejuger de la conformité du réel à des
essentialités pures. La critique de toute rationalité hypostasiée est préalable
à la science de l'activité réelle des hommes. La science, l'analyse rationnelle
du réel, jette le doute sur les justifications « rationnelles» qui sont justifi-
cations d'intérêts. Elle part des hommes (( non point tels qu'ils peuvent
s'apparaître dans leur plOpre représentation ou celle d'autrui, mais tels
qu'ils sont en réalité; tels qu'ils œuvrent et produisent matériellement; donc
tels qu'ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles
déterminées et indépendnates de la volonté» (lA, ES, 50-51; MEW, 3, 25-26).
3 1On n'en finit pas pour autant avec la rationalité en expliquant
(( le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus
vital» (ibid.). La construction rationnelle de la science de l'activité réelle
fuit apparaître dans les besoins réprimés des producteurs, au nom d'une
Raison hypostasiée, les bases d'une rationalité substantielle en liaison avec le
processus vital. Le mode de production capitaliste apparaît comme une orga-
nisation de la vie sociale qui produit des possibilités de maîtrise par les
hommes de la nature et de la société, mais qui simultanément les entrave en
maintenant une exploitation du travail, une domination sur les masses qui
sont potentiellement superflues. La science fait apparaître l'écart existant
entre ce que les hommes sont en tant qu'individus sociaux dont le rôle est
défini unilatéralement par la structure des rapports de production et les aspi-
rations des individus insatisfaits des limitations, devenues irrationnelles,
imposées par les rapports sociaux de production. La science rationnelle
du mode de production capitaliste rend raison de cet écart comme irra-
tionnel, elle rend raison de la possibilité de le combler, de produire maté-
riellement un effet de maîtrise théorique et pratique des producteurs
associés sur les conditions de leur vie, leur travail, la direction de l'activité
humaine. La science rend ainsi raison de la possibilité objective d'une vie
rationnelle pour tous comme récupération par la communauté de cet écart,
comme formation, à partir de l'homme, du besoin de l'homme, des aptitudes
et de (( l'esprit » lui-même. En un sens nouveau, le réel est ratiOntlel et le rationne!
réel. Non seulement Nature et Histoire sont intelligibles, mais la raison est
réelle, se réalisant dans les structures du travail associé, dans les institutions
d'une communauté d'hommes libres. Sans que ce processus soit régi par
une téléologie transcendantale, le mouvement subjectif des concepts
n'atteint à la connaissance vraie du réel que parce qu'il répond à une
réalité objective du mouvement du réel. Le (( rationnel» est élément du
réel, forme d'appropriation théorique du réel dans la connaissance, forme
RGALISME SOCIALISTE 970
Réalisme socialiste
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Liberté/Nécessité, Matérialisme, Matériel/Spirituel, Métaphysique, Ontologie de l'ètre
social, Pratique, Rationnel/Réel, Science, Sensation/Sensualisme, Spéculation, Théorie,
Totalité.
A. T.
Reflet
AI : Widtrspitgelung. Widtrs,h,;n. - An : Rtji"tion. - R : Otratenil.
Réforme 1 Révolution
AI : Rif.nn/Jùoo/ulion. - An : R'finn/RIIIO/,,'ion. - R : Rifonrlo//ùootj..,ija.
1 1La notion d'ordre social. - Cette notion eM très tôt développée par
Marx. En 1843, dans La qutstion juive, parlant de l'émancipation poli-
tique réalisée par la bourgeoisie, il écrit : « L'émancipation politiqut est
certes un grand progrès; elle n'est sans doute pas la forme ultime de
l'émancipation humaine en général, mais la forme ultime de l'émanci-
pation humaine, à l'intérieur de l'ordre du monde qui a existé jusqu'ici »
(p. 79, éd. Aubier). La conséquence est claire: il ne faut pas se contenter
d'une émancipation dans tel ou tel secteur, c'est l' « ordre» lui-même, tel
qu'il « a existé jusqu'ici », qui doit être remplacé. D'où le second point.
977 RlFORME/RÉVOLunON
Religion
AI : Religion. - An : lùligi.... - R : R,/i,ün.
Rente
AI : Rme•• - An : Rml. - R : Rml4.
1) Il n'esl pas historiquement démontré que les terres les plus ancien-
nement exploitées soient les plus fertiles;
2) L'augmentation de la demande de produits agricoles n'induit pas
nécessairement l'extension des terres cultivées. mais peut être satisfaite
par une augmentation de la productivité agricole (progrès technique) ;
3) Compte tenu de ce progrès technique, les terres nouvellement mises
en culture ne sont pas nécessairement moins fertiles (amélioration dcs
terres par des procédés nouveaux, sélection des cultures...).
Ces trois critiques débouchent sur une critique plus fondamentale à
partir de laquelle Marx élabore sa théorie de la renie absolue: il reproche
à Ricardo qui explique l'existence de rentes foncières différentes, de ne
pas expliquer l'existence même de la 1 ente foncière, de ne pas accorder
d'effet économique à la propriété foncière. La rente n'apparaît comme
forme distincte de revenu qu'à partir du moment où il y a exploitation
capitaliste du sol, subordination de l'agriculture au mode de production
capitaliste du sol:
« Ce n'est que lorsqu'un capitaliste s'est glissé entre le cultivateur et
le propriétaire foncier en qualité defarmn - soit que l'ancien tenant ait
pu par ses manigances devenir capitaliste-Jarmn, soit qu'un industriel
place son capital dans l'agriculture au lieu de le placer dans la manu-
facture - alors seulement commence non pas la « culture du sol », mais
bien la culture « capitaliste» du sol, qui est très diflcrente, quant à sa
forme et à son contenu, des formes de cultures antérieures » (K 4, Il,
p. 171; MEW, 26.2, 152).
Et Marx ajoute, pour préciser les rapports qui s'établissent entre
capitaliste et propriétaire foncier:
« Le mode de production capitaliste une fois présupposé, le capitaliste
n'est pas seulement un agent nécessaire, mais l'agent dominant de la
production. Par contre dans ce mode de production, le propriétaire foncier
est tout à fait superflu. Tout ce qui est nécessaire pour le capitaliste, est
que le sol ne soil pas propriété commune, qu'il affronte la classe ouvrière
comme condition de production ne lui apparlmallt pas (...) Le propriétaire
foncier, agent essentiel de la production dans le monde antique et médiéval,
est, dans le monde industriel, une excroissance inutile. Le bourgeois radical,
tout en louchant d'un œil vers la suppression de tous les autres impôts,
en arrive ainsi sur le plan théorique, à nier toute propriété du sol, dont il
voudrait faire, sous la forme de propriété d'Etat, la propriété commune
de la classe bourgeoise, du capital. Dans la pratique, cependant, il n'en a
pas le courage car la contestation d'une forme de propriété - d'une des
formes de propriété privée des conditions de travail - serait très risquée
pour l'autre forme» (K 4, n, p. 42; 39).
l'.larx montre de la sorte que l'existence de la rente foncière ne relève
pas d'une nécessité économique, mais d'une nécessité historique et sociale.
Il faut toutefois expliquer pourquoi le capitaliste investit dans l'agri-
culture alors qu'en plus des salaires et du profit qu'il s'allribue, il doit
payer la rente foncière:
« S'il y a donc des sphères de production, où certaines conditions
naturelles de production telles que le sol cultivable, le gisement de charbon,
la mine de fer, la chute d'eau. etc., sans lesquelles le procès de production
ne pourrait avoir lieu, sans lesquelles la marchandise de cette sphère ne
RENVERSEMENT 990
pourrait être produite, sont en d'autres mains que celles des propriétaires
ou possesseurs de travail cristallisé, les capitalistes, alors cette seconde
catégorie de propriil4ires de conditions de prodr«tion déclare : Si je te
cède telle condition de production pour que tu t'en serves, tu réaliseras
ton profit moyen, tu t'approprieras la quantité normale de travail non
payé, mais ta production produit un excédent de plus-value, de travail
non payé au-delà du taux de profit. Cet excédent tu ne vas pas le porter
comme vous avez l'habitude de le faire, vous autres capitalistes, à un
compte commun: c'est moi qui me l'approprie, il m'appartient. Ce marché
devrait te satisfaire, car ton capital, dans cette sphère de production, te
rapporte autant que dans toute autre et, qui plus est, c'est une branche
de production très sûre » (K 4, t. li, p. 37; 34).
S'il peut satisfaire aux exigences du propriétaire des conditions de
production, c'est que le surtravail qu'il s'approprie dans cette sphère de
production y est plus grand que dans la sphère industrielle de production,
pour un capital constant dans des proportions moindres, il y réalise donc
un surprofit que le propriétaire foncier intercepte: « En toutes circonstances,
le prix auquel elle (la marchandise qui fournit la rente foncière) est vendue
est tel qu'il fournit plus que le profit moyen déterminé par le taux de
profit général du capital» (K 4, p. 32; 29).
Ce qui distingue ce surprofit des surprofits réalisés par les capitalistes
dans d'autres sphères de production, c'est qu'il ne tend pas automatiquement
à disparaître et se fixe sur une catégorie sociale déterminée, les proprié-
taires fonciers, il n'est pas soumis aux forces qui font tendre les différents
taux de profits vers un taux moyen: « La péréquation s'opère seulement
de capital à capital, car c'est seulement du capital qui a le pouvoir
d'imposer les lois immanentes du capital à un autre capital. Dans cette
mesure, ont raison ceux qui font dériver la rente foncière du rrwnopole;
tout comme le monopole du capital seul permet au capitaliste d'extorquer
à l'ouvrier un surtravail, le monopole de la propriété foncière permet au
propriétaire foncier d'extorquer au capitaliste la fraction du surtravail
qui constituerait un surprofit constant » (K 4, t. li, p. 98; 88) .
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E. A.
Répétition historique
Al : HiJtorische J1/iedtrholung. - An : histtlrical reptlilion. - R : /storiç,skH pou/Menie.
sens de son action. Ainsi cela ouvre-t·il la voie à une pensée féconde du
rôle des survivances et des traditions dans le tissu historique.
Ce rôle déterminant de la répétition doit, pourtant, pour être correc-
tement apprécié, être lesté de deux considérations complémentaires pré-
sentes chez Marx :
a) La répétition, si effective soit-elle, ne saurait accréditer l'idée d'une
identité des formes historiques. Comme il le souligne à travers la récusation
de la pseudo-répétition des communes du Moyen Age par la Commune
de Paris : « C'est en général le sort des formations historiques entièrement
nouvelles d'être prises à tort pour la réplique de formes plus anciennes, ct
même éteintes, de la vie sociale, avec lesquelles elles peuvent offrir une
certaine ressemblance» (GCF, ES, 65; MEW, 17, 363). Ainsi l'analyse maté-
rialiste doit-elle en dernier ressort rétablir la réalité de l'inédit par-delà
l'effet d'optique qui accrédite une continuité trompeuse;
b) La répétition, reprise par la conscience historique, doit être
ordonnée en stratégie futurisante par le prolétariat, en contraste de la
répétition compulsionnelle du passé par les anciennes classes de l'histoire :
elle sert en cc sens à alimenter « la poésie du futur », mot d'ordre d'un
imaginaire « prospectif ». Ainsi la répétition semble s'inscrire à la limite
de l'illusion ct de l'accès à la vérité historique. Elle exprime en dernière
instance la fonction d' « occultation» idéologique, par laquelle les acteurs
historiques vont puiser dans « les réminiscences historiques » pour (( sc
dissimuler à [eux-mêmes] leur propre contenu » (ES, 14; MEW, 8, 116), ct
la fonction de magnification, qui sert à idéaliser la tâche en puisant dans
l'arsenal des anciens modèles et des représentations valorisantes. Ainsi
Marx ouvre-t-il des perspectives en associant les (( maladies» de l'histoire
à une répétition (( pathologique ». Par là resterait à penser un destin
historique qui, sans être au-delà de la répétition (donc de la conscience
historique même), émanciperait le sujet de l'histoire de ses propres errances.
• RmLiOGRAPHIE. - P.·L. AssoUN, Afarx ri 14 r/plti/ion !Iis""i""" Paris, PUF, 1978.
Représentation
Al : l'orJI,lIung. - An : Rtpresenlal;on. - R : Prtt/stavl,n;t.
Reproduction
AI: R,proJuA:tiDII. - An : R,proJuaion. - R : V.~,.jDlOds""'.
capitaliste est donc d'emblée définie comme ayant pour fin sa reproduction,
et sa reproduction élargie A-M-A'. Ce mouvement en effet ne tire sa
raison que de la « différence quantitative,. entre A et A' (155; 165).
Progressivement apparaît le contenu concret de celte formule. Au
chapitre 6 de celte section, se manifeste que cette reproduction n'est pas
seulement celle d'une grandeur de valeur, mais aussi celle des classes
constituant le capital comme rapporl social : elle implique ainsi la
production des biens nécessaires à l'entretien de la force de travail
salariée, mais également à la perpétuation de la « race » (K., 1, l, 176; MEW,
23, 187) des travailleurs. En même temps Marx y définit les condilions juri-
diques de la permanence du système: les salariés sont libres, c'est-à-dire dis-
posent constamment de leur force de travail et constituent de cc fait un
marché du travail, par quoi le rapport capitaliste trouve le principe de son
permanent renouvellement.
La section III distingue deux aspects de la reproduction du capital:
le capital variable, du fait qu'il est dépensé en salaire dans le procès
productif, doit être remplacé par la création d'une nouvelle valeur équi-
valente, le capital constant voit au contraire sa valeur reproduite par
le transfert de celle-ci dans la marchandise nouvelle.
La question est reprise à travers toute la section VII, consacrée à
l'accumulation du capital. Le chapitre 23, « La reproduction simple »,
l'analyse à un triple niveau: reproduction 1) du capital comme grandeur
de valeur, 2) de l'existence matérielle des deux classes, capitaliste et
salariée, 3) de leurs rapports. Le salaire ne permettant que la reconsti-
tution de sa force de travail et non l'achat de moyens de production,
l'ouvrier se trouve pérennisé dans sa fonction. « Le procès de production
capitaliste reproduit donc de lui-même la séparation entre travailleur et
conditions de travail. Il reproduit et éternise par cela même les conditions
qui forcent l'ouvrier à se vendre pour vivre et en mettant le capitaliste en
état de l'acheter pour s'enrichir (...); il produit et élernise le rapport
social entre capitaliste et salarié» (K., J, 3, 19-20; MEW, 23, 603-604). Le
concept de reproduction simple vise à définir les conditions sille qua non
de toute reproduction structurelle et non à décrire un stade ou un type parti-
culier de reproduction empiriquement observable. Le chapitre 24 examine
« la reproduction élargie », comprise à la fois comme l'accumulation du
capital et transformation du contenu du rapport entre les classes. En cc sens
la reproduction élargie est aussi celle des contradictions de la structure
sociale capitaliste et porte en germe les conditions de son éclatement.
Le livre Il traite du rapport entre production et circulation comme
moments complémentaires d'une totalité organique en reproduction. Marx
y montre la nécessité d'analyser le cycle non simplement comme repro-
duction d'argent (A-M P ... M'-A'), mais aussi comme reproduction
de capital productif (P M' -N -M ... P) et de marchandise (M'oN-
M •.. P ... M). « Si nous réunissons les trois formes (les trois figures
du procès cyclique), conclut-il, toutes les conditions préalables du procès
apparaissent comme son résultat, comme condition produite par lui-même.
Chaque moment apparaît comme point de départ, point intermédiaire
et retour au point de départ» (K., Il, J, 93; MEW, 24, 104)' Celte analyse
fournit son cadre à l'étude de la rotation (Umschlag) du capital, objet de la
section Il de ce livre, qui définit notamment les conditions spécifiques de
reconstitution propres au capital fixe ct au capital circulant, ainsi que les
REPRODUCTION 1000
relations qui doivent exister entre les trois formes de capital (productif/
marchandise/argent) au sein d'un capital individuel pour que celui-ci
puisse fonctionner de façon continue, c'est-à-dire assurer sa reproduction.
Les schémas de la reproduction du livre Il. - Alors que jusqu'à ce
point Marx a posé la question de la reproduction du capital, global ou
individuel, du seul point de vue de la reconstitution (ou de l'accumulation)
en termes de grandeur de valeur, il franchit une étape nouvelle dans
l'analyse en examinant, à la section m, les contraintes d'équilibre entre
secteurs de production, c'est-à-dire entre les masses de valeurs d'usage
qu'implique la reproduction du système économique. (( II nous faut
considérer le procès de reproduction du double point de vue du remplace-
ment de la valeur et de la matière des divers composants (... )>> (K., n, 2, 47;
MEW, 24, 392). Cette problématique de la (( matière », c'est-à-dire de la
reconstitution des moyens de production et de consommation dans leur
commu déterminé est celle même qu'avait introduite Quesnay. Avec de
nombreuses différences cependant, dont la plus importante est que l'analyse
s'effectue ici en valeur définie par le temps de travail.
Marx procède à la construction d'un tableau fondé sur la distinction
entre une section l, produisant les moyens de production (C), et une
section Il, produisant les subsistances (Vou biens-salaires, et PL ou consom-
mation capitaliste). Soit:
Section 1 CI + VI + pli = C
Section Il C2 + V2 + pl2 = V + PL.
On a à gauche les éléments de la production (c) et de la consom-
mation des deux classes (v et pl) pendant la période considérée, et à droite
le produit de la période. La reproduction est assurée si :
1) C=CI+C2 et V+PL=VI+V2+plt+pI2
c'est-à-dire si la section 1 reproduit les moyens de production et la section Il
les subsistances que requiert le système.
2) C2 = VI +pli
c'est-à-dire si l'échange (Umsatz) entre les deux sections est équilibré.
Marx esquisse ensuite les schémas d'une «( reproduction élargie »,
reposant sur l'existence d'un excédent de la production à chaque période
par rapport à ce qui serait requis pour le simple renouvellement des
conditions de production et sur le maintien de l'équilibre entre les deux
sections. Cela suppose:
C = Cl + C2 + investissement prévu en CI et C2 à la période suivante
V + PL = VI + +
V2 pli + pl2 - cet investissement
C2 = VI + pli - cet investissement.
Il faut souligner que ces schémas se situent à un haut niveau d'abstrac-
tion : Marx n'y inclut ni le rôle du capital-argent nécessaire à la réali·
sation des marchandises, ni la question du temps nécessaire aux divers
échanges, ni celle des effets du progrès technique inhérent à l'accumu-
lation, etc. Il borne en outre l'analyse aux rapports entre deux agrégats
globaux.
Le livre lll, section III, manifeste que le mode de production capi-
taliste, du fait de ses contradictions internes, tend à s'écarter de ces
1001 REPRODUCTION
et, par suite, le même intérêt (TSC, ES, 31), l'ouvrier échangeant sa force de
travail comme son capital, aussi inutile, en soi, qu'à son employeur le
sien - il s'agirait là, en somme, d'une transaction entre deux capitalistes
égaux en pouvoir (Grurui., ES, t. l, 231-232). Or, « les faits changent d'aspect
quand on envisage non le capitaliste et l'ouvrier individuels, mais la classe
capitaliste et la classe ouvrière» (K., 1, 3, 14-15; 23, 597), et il devient
alors difficile de tourner davantage en loi éternelle de la raison ce qui
constitue une relation sociale essentiellement bourgeoise. Car, db que l'on
considère en ce travailleur le salarié, c'est-à-dire un être contraint, pour
vivre, de vendre sa force de travail à celui qui possède les moyens de
l'exploiter, il apparaîl qu'en fait cet homme « appartient à la classe
capitaliste avant de se vendre à un capitaliste individuel» (K., 1, 3, 19-20;
23, 603). Et, en lui accordant le vivre mais non l'accès aux moyens de
production qui lui permettraient de subsister par lui-même, le procb de
production entretient l'ouvrier dans sa dépendance initiale et perpétue
de la sorte ce rapport qui définit le capitalisme: la séparation du travailleur
et des moyens de production (et leur réunion dans la propriété bourgeoise)
(K., Il, 1, 38; 24, 42).
Aimi l'acte d'achat et de vente de la force de travail ne fait-il pas
qu'inaugurer le procès de production capitaliste. il en « détermine implici-
tement le caractère spécifique» (K., Il, 2, 39; 24, 384). En d'autres termes,
le contrat salarial « suppose le salarié » (K., Il. l, 58; 24. 67). ct, avec son
revenu, « ce n'est pas seulement la force de travail qui est reproduite
sans cesse, mais la classe des salariés en tant que classe, ce qui constitue la
base de la production capitaliste dans son ensemble» (K •• Il, 2, 4t; 24. 387).
En remettant continuellement le travailleur en sa place de salarié, le
procès de production recrée par son propre mouvement les rapports
qui le rendent possible et qui établissent les deux classes de la société
capitaliste.
Ce n'est donc pas à des individus qu'on a ici affaire mais à des repré-
sentants de classes; « le capitaliste et l'ouvrier salarié, en soi, SOllt simple-
ment l'incarnation, la personnification du travail salarié », le produit de
« rapports sociaux de production bien définis» (K., III, 3, 254; 25, 887). Ce
qui amène Balibar à conclure que la reproduction n'est pas le fait des
hommes ni même celui des classes (celles-ci ne sauraient, effectivement,
être le ~( sujet» de ce procès puisqu' « elles sont au contraire déterminées
par sa forme ») (Lire Le Capital. Paris, 1965, t. 2, 171) et qu'avec Marx,
c'est le concept d'une « production sam sujet » qui s'introduit (ibid.).
Cependant, avant même la production, une institution comme l'Uni-
versité tend, disent Bourdieu et Passeron, à rendre définitive l'appar-
tenance de l'individu à sa classe d'origine et à reproduire ainsi la partition
de la société en sanctionnant cette familiarité avec la culture qui ne peut
s'acquérir en milieu scolaire et que donne d'abord le bien-naître; l'Uni-
versité, constatent-ils, serait « la voie royale de la démocratisation de la
culture, si elle ne consacrait, en les ignorant, les inégalités sociales devant
la culture » (Les hiritiers, Paris, Ed. de Minuit, 1969. 35) .
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Révisionnisme
Al: Rtvisionismw. - An : Rnisl'onism. - R : R8I1idonion.
l'atténuation des crises que la baisse des rentes et des prix des biens de
consommation» (Les présupposés du socialisme, Paris, Seuil, 1972, p. 123)'
- Enfin, Bernstein propose d'adopter explicitement une stratégie
réformiste, fondée sur l'utilisation du suffrage universel, ayant pour objectif
le passage graduel au socialisme par l'élargissement du secteur économique
coopératif et l'approfondissement de la démocratie: « La démocratie est
à la fois un moyen et un but. C'est un outil pour instaurer le socialisme et
la forme même de sa réalisation» (ibid., p. 174).
Les thèses de Bernstein donnent lieu à de très vives critiques de Kautsky,
de Rosa Luxemburg et de Plekhanov, ainsi que de Uni ne. Ces critiques
sont de trois ordres : idéologique, économique et politique.
- Idéologique: le marxisme est une conception du monde, c'est-à-dire
un système. En prétendant ne vouloir critiquer que tel ou tel point du
marxisme. Bernstein vise en réalité à saper l'ensemble de l'édifice. Or, le
marxisme est l'arme du prolétariat. Donc, la critique du marxisme désarme
le prolétariat et fait le jeu de la bourgeoisie.
- Economique: à ce niveau, une partie des arguments (de Kautsky
et de R. Luxemburg) portent sur l'évaluation quantitative de la situation
économique. Mais, d'une manière plus générale, Bernstein se voit accusé de
confondre le court terme et le long terme. La concentration du capital et
la polarisation sociale sont des tendances fondamentales du capitalisme que
ne doivent pas masquer d'éventuels mouvements conjoncturels.
- Politique : le révisionnisme se situe à l'aile droite de la social-
démocratie. Comme tel, il tombe sous le coup des critiques du réformisme
et de la collaboration de classe. Mais il se trouve définitivement disqualifié
par le marxisme et le courant révolutionnaire en 1914, au moment où les
sociaux-démocrates votent les crédits de guerre.
La critique classique du révisionnisme par le marxisme orthodoxe ou
le marxisme de gauche revient à le taxer d'opportunisme: il abandonne
les principes fondateurs de la doctrine pour s'adapter à la conjoncture. Le
paradoxe est que cette critique s'avère juste pour le court terme (notam-
ment avant 1914 et avant octobre) mais démentie par le long terme: le
capitalisme surmonte ses crises successives, quelle que soit leur gravité, et
la polarisation sociale se trouve nuancée par la formation récurrente de
nouvelles couches sociales, dites « moyennes ». En sorte que la querelle du
révisionnisme se reproduira presque périodiquement dans l'histoire du
mouvement ouvrier (par exemple avec Boukharine et Krouchtchev
en URSS, avec Garaudy et le courant eurocommuniste en Europe de
l'Ouest).
Par contre. la constitution du révisionnisme en doctrine et en courant
politique abo~tit à la formation durable d'un courant réformiste du mou-
vement ouvrier assurant le renouveau du capitalisme des années 30 aux
années 80 : la social-démocratie.
Le problème de fond posé par le révisionnisme est celui du rapport enlre
la théorie et la pratique: le réalisme est-il de droite? La gauche est-elle
condamnée à l'utopie et au dogmatisme? En passant de l'état de recherche
théorique (chez Marx) à celui de doctrine éthico-politique (chez les vulga-
risateurs), le marxisme perd une part notable de sa capacité à interroger le
réel pour devenir la garantie morale de l'engagement révolutionnaire, puis
la légitimation de l'Elat autoritaire soviétique. Inversement, les tentatives
successives de renouvellement critique du marxisme conduisent presque
RtvOLUTION 1006
Révolution
AI : Rrvoluti.", UmWtlÙJtnl. - An : Rr..luli",., - R : Iùoolju<ija.
24 avr. 94, 16, 359, 18 B, Préf. 1869; 23, 37; K., l, l, Préf. 1886), seul
Engels parle de révolution philosophique (<< La révolution industrielle a
la même importance pour l'Angleterre que la révolution politique pour
la France et la révolution philosophique pour l'AIJemagne » (MEW, 2-250;
Sil., Introd. infine)) .
• NOTE. - Les connotations du concepl de révolution sont telles qu'elles tendent à reco....
vrir l'ensemble des entnes d'un Du/i01l1l/lirt du ""'rnmu. On renverra plus particulib'ement,
y compris pour les bibliographies, à : Bolchevisme, Classes, Communisme, Contre·rêvolu·
tion, Crise, Dl!mocratie, Dictature du prolétariat, Forces productives, Fusion, Léninisme,
Luites des cIaaes, Luxemburgisme, Parti, Pouvoir, Pratique, Praxis, Prolêtariat, RapportJ
de production, Réforme/Révolution, Socialisme, StratégieJTactique, Théorie, Transition,
Violence•
• BIBLIOGRAPHIE. - E. BLOCH, Marx und di. Iùvoiulion, Francfort, 1972; Y. BoURDET,
0110 BtnJn Il 14 rlvoiulion, Paris, 1968; T. FRORICHS et G. KRADŒR, KtmJlilulions~m
des bürgerli<hm Slaals und der sodttknIùVtJlulion I>ti Marx und Engels, Francfort, 1975; S. HElTMAN,
Nicolai Bukhari,,'s TMory tif Revolu/ion, Chicago, 1963; K. KAIITSKY, Die so~ale Reoolulion,
Berlin, 1907 (trad. franç., Paris, (921); W. OrITZ, Gedanken zur Aktualitat der rnarxis-
tischen Revolutions- und Staatstheorie, in Brilrlge VIT Marx-Engels Forsehung, Berlin, 1978,
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d. la rtvo/uei6n, Madrid, Abl éd., 1977; Th. SCIDEDER, Dao Problem der Revolution im
19. Jahrhundert, vol. 170, Munich, 1950; L. TROTSKt, De la rivolulion, Paris, 1963.
J.-P. L.
Révolution culturelle
AI : Kulturrevohdi... - An : Cu/Jur' Jùoo/ul;"'. - R : Kullumqjo 'tvo/iu<ijo.
bourgeois qu'il s'agit de faire travailler pour le socialisme. C'est là pour lui
un des problèmes de fond de la dictature. Cette thèse entend non pré-
senter des normes culturelles, mais décrire le travail de production de la
culture : elle porte sur son histoire. C'est sur ce terrain que se joueront les
enjeux politiques de sa pensée : Polivanov, pour sauver la linguistique
soviétique de la débâcle officielle, se battra sur les posi tions léniniennes
qui le mèneront devant un peloton d'exécution.
Ce qui différencie une culture d'une autre, ce n'est donc pas le
contenu, mais les rapports idéologiques qui président à sa production, eux-
mfmes effets de l'articulation pratique des diverses activités sociales. La
révolution culturelle définit une nouvelle articulation des pratiques sociales
par la fusion de la révolution prolétarienne et de la culture bourgeoise,
réappropriée par les masses : « Pour que la victoire soit totale et définitive,
nous devons encore prendre toute la science et toute la culture... Comment
unir la révolution prolétarienne à la culture bourgeoise, à la science et à la
technique bourgeoises jusqu'ici privilège d'une minorité? C'est - disons-
le - un problème difficile » (o., 29, 71). La réappropriation du travail
intellectuel par les masses vise à surmonter l'antagonisme du travail manuel
et du travail intellectuel, à refondre la division du travail, en trans-
formant la culture en une réalité pratique liée à la vie de tous les
jours (o., 31, 300). La fusion entre culture ct révolution proviendra du lien
entre la première et les grandes tâches sociales, prioritairement l'édification
économique (o., 30, 388-389). L'éducation du travailleur doit être poly-
technique pour transformer son rapport à la production (o., 31, 431),
mais surtout elle doit lui permettre de s'emparer du contrôle de l'Etat par
la gestion éconotnique (ibid., 420). En devenant politique,la culture permet
de surmonter la division entre éconotnie et politique. Cette culture pratique
constitue un facteur d'hégémonie du prolétariat sur les savants et les spécia-
listes, devant les entrainer à la réalisation des grandes tâches sociales
d'édification (o., 29, 179). Elle apparaît comme la base d'une alliance
politique. C'est cette alliance qu'essaiera de dessiner le célèbre article,
« La portée du matérialisme militant », lu après la mort du leader comme
un programme de bolchevisation des savants (o., 33, 235-237).
Lénine lira dans les insuffisances de la révolution culturelle les causes
de l'échec du pouvoir des soviets: la démocratie directe n'est pas devenue
une réalité culturelle (o., 33, 501-502). Elle restera alors la tâche primordiale
du pouvoir soviétique, destinée à relancer la participation des travailleurs
à ce pouvoir. Sa tâche primordiale sera d'affertnir l'alliance avec la paysan-
nerie, le développement de la culture devant se lier avec la formation
d'une pratique socialiste spécifiquement paysanne: la coopération (o., 33,
487-488). Jusqu'à la fin, Lénine voit donc dans la révolution culturelle une
pratique d'alliance et d'hégémonie, s'opposant au mythe sectaire et omTié-
riste d'une culture prolétarienne. Il demeure pourtant impuis.~ant à
dépasser la position qu'il critique, parce qu'il persiste à faire du travail
culturel un travail d'organisation, lié à la discipline du prolétariat, elle-
mfme portée par les appareils qui assument le pouvoir (cf. o., 29, 71-72).
2 1 Le stalinisme renouvelle et maintient jusqu'au bout le mythe d'une
culture prolétarienne. La culture socialiste est « nationale par sa forme,
prolétarienne par son contenu» (Staline, cité par le Petit Dictionllaire philo-
sophique de 1955). Ce caractère prolétarien est garanti par la soumission
à la ligne du Parti : « Le Parti a montré aux hommes de lettres et aux
RtVOLUTION CULTURELLE 1010
Révolution française
AI : F"...dsisch, Rm>/.'ioa. - An : FrmdJ R,vo/ution. - R : Fr",,~kojo "vo/iuclio.
Révolution industrielle
Al : 1.....1';'/1, R-mlioo. - An : 1""'lTial R~ - R : Prortpl~ """Ii"'Ü".
C'est à Engels (Sit., ES, Paris, p. 35; MEW, 2, 237) que l'on doit le
premier usage de l'expression de révolution industrielle, terme que l'on
peut définir comme le passage historique de la manufacture à la grande
industrie mécanique sur la base du machinisme. L'expression sera ensuite
d'un usage courant dans Le Capital. Elle sera reprise par Toynbee en 1884
en Grande-Bretagne, par Beales en 1901 aux Etats-Unis, par Mantoux
en 1906 en France; elle va, liée avec l'industrialisation des pays sous-
développés, conquérir le grand public après la deuxième guerre mondiale.
Le débat la concernant sera relancé en 1948 par Ashton, à la fois chez les
économistes et les historiens.
Dans la mesure où l'expression comporte deux idées - celle d'un
processus de transformations rapides entraînant rupture historique et
celle d'un domaine spécifique où ces transformations s'observent - le
débat comporte deux dimensions essentielles. Une dimension chronologique
tout d'abord : alors que Mantoux la limite, pour la Grande-Bretagne,
entre 1750 (invention de la machine de Watt) et 1802 (première loi sur
les fabriques), Nef la fait remonter jusqu'au milieu du XVIe siècle, Ashton
la prolonge jusqu'en 1830 et Beales jusqu'en 1850. Une dimension théma-
tique ensuite, car les transformations ne sont pas seulement industrielles
mais aussi sociales et intellectuelles, conduisant les spécialistes à s'interroger
sur le rôle de la technique, de l'investissement, de l'entrepreneur en tant
que facteurs endogènes et sur les transformations agraires, l'essor démo-
graphique, le rôle de l'éducation et de l'Etat en tant que facteurs
exogènes.
Dans une perspective marxiste, la révolution industrielle qui, en Grande-
Bretagne, se manifesta d'abord dans le secteur textile, puis engendra l'essor
de la métallurgie et le recours à une nouvelle énergie dérivée du charbon,
comporte un aspect technique et un aspect social, tous deux analysés en détail
par Marx et Engels.
Du point de vue technique, on a une série d'inventions (navette volante,
machine à filer, métier à tisser mécanique, machine à vapeur) entraînant
développement quantitatif et qualitatif des forces productives. La base
technique et matérielle en est la machine-outil (K., ES, J, 2, 60; MEW, 23,
393) qui libère du cadre étroit des organes humains et entraîne augmenta-
tion considérable de la productivité du travail et baisse de la valeur des
marchandises.
Du point de vue social, on a une modification profonde des rapports
de production, marquée entre autres par la naissance d'un prolétariat
urbain, l'emploi des femmes et des enfants que permettent la simplification
du processus de production et la diminution de l'effort musculaire, l'ins-
tauration d'une discipline capitaliste du travail, l'opposition croissante
entre travail manuel et intellectuel, l'exploitation renforcée, la socialisation
accrue du travail, l'achèvement de la séparation de l'industrie et de
l'agriculture et l'aggravation de l'opposition ville-campagne. Au total,
« au bouleversement de toute l'économie devait répondre celui de la société
tout entière, des classes et de leurs rapports, de leur ascension et de leur
déclin, de leurs oppositions» (R. Marx, La "valution industrielle en Grande-
Bretagne, Paris, A. Colin, 1970, 12).
RtVOLUTlON MONDIALE 1014
Révolution permanente
AI : P,rmanmtt RtvOlution. RtflOlul:'tm in P'1mantnJ;. - An : Pcrmatltnt R,volutùm. - R : P,rmantnlndja
rtvo/iu<ija.
Karl },farx devant les jurés de Cologne, Paris, A. Costes, 1939, p. 241-249).
Bien entendu, cette stratégie ne correspondait pas au rapport de forces réel
en Allemagne en 1850 : la révolution commencée en 1848-1849 était
déjà vaincue, et le prolétariat allemand était trop faible pour jouer un rôle
hégémonique. Ce document n'est pas moins une préfiguration étonnante de
la dynamique sociale ct politique de la révolution d'octobre 1917. Le
terme « révolution permanente» semble disparaître des écrits de Marx après
cette date; mais l'idée d'une révolution prolétarienne (ouvrière et paysanne)
à la fois antiabsolutiste et anticapitaliste, d'une transition au socialisme
dans les pays « périphériques» du système capitaliste apparaît dans ses
écrits sur l'Espagne (1856) et surtout sur la Russie (1877-t882).
C'est à travers l'œuvre de Trotski que le concept de révolution perma-
nente revient au lexique politique marxiste du xx. siècle. Il apparaît
d'abord dans des écrits de Trotski fin 1905, reprenant le terme d'un
article de Franz Mehring (Die Revolution in Permanenz, Die Neue Zeit,
novembre 1905), et se trouve au centre de sa brochure sur la révùlution
russe de 1905, Bilan et Perspectives, rédigée en prison au cours de
l'année 1906 (apud 1905, Paris, Ed. de Minuit, 1969). Dans cet écrit,
Trotski avance, pour la première fois dans l'histoire du marxisme russe,
la perspective d'une révolution prolétarienne en Russie, réalisant des
transformations à la fois démocratiques et socialistes. L'idée de l'hégémonie
du prolétariat dans la révolution antitsariste était acceptée par d'autres
marxistes (notamment Rosa Luxemburg ct Lénine) mais la prémisse
commune à l'ensemble du mouvement ouvrier russe était jusqu'alors le
caractère uniquement dlmocratique de cette révolution. Trotski a été le
premier à rompre avec cette présupposition traditionnelle (fondée sur une
lecture économiste du matérialisme historique, déduisant le caractère
de la révolution de la « maturité» des forces productives du pays), en
affirmant que le pouvoir ouvrier résultant de la révolution antiabsolutiste
serait nécessairement amené à prendre des mesures anticapitalistes, de
transition au socialisme : le pouvoir politique du prolétariat n'est pas
compatible avec la continuation de son esclavage économique. Lénine
défendra une conception stratégique semblable à partir de mars-avril 1917.
C'est à partir de sa polémique contre la doctrine du « socialisme
dans un seul pays» de Staline, et de l'expérience de la défaite de la
révolution chinoise de 1927-1928 que Trotski va formuler la théorie de
la révolution permanente comme conception générale valable pour t'en-
semble des pays coloniaux et semi-coloniaux (ou arriérés et semi-féodaux). Les
principales thèses de cette théorie, formulée dans l'œuvre polémique La
révolution permanente (1929) (apud De la Révolution, Paris, Minuit, 1963) sont:
1 1La doctrine néo-menchevique de la révolution par étapes - une
étape démocratique en alliance avec la bourgeoisie nationale, précédant
nécessairement l'étape socialiste - proposée par Staline pour la Chine
(et ensuite étendue à l'ensemble des pays coloniaux) ne peut conduire qu'à
la défaite, comme en Chine en 1927, parce que la bourReoisie de ces pays
ne peut pas jouer un rôle démocratique-révolutionnaire conséquent.
2 1 La révolution prolétarienne peut avoir lieu dans un pays arriéré ou
colonial plus tôt que dans les métropoles du capitalisme avancé. Ce sera
une révolution combinant des tâches démocratiques (la réforme agraire,
l'indépendance nationale, la démocratie politique) et des tâches socialistes
(l'expropriation du capital), dans un processus révolutionnaire permanent.
RÉVOLUTION SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE 1018
Robinsonnades
Al : R~ - An : &6i1OJ<M CruJH UI4pÜI. - R : &6illClftlUfJ.
G. L.
Romantisme
Al : &m.antik. - An : R.mnnliâsm. - R : &m.anlum.
Rotation du capital
AI : h·,.;t<lIlmJ'~u.,. - An : TlfT1lOV<r of t~I"I. - R : ObotoI4,.;14la.
dont sont cités la Lettre d'Utl habitant de Gmèue à ses contemporains, Le Noul'eau
Christianisme, le Catéchisme politique des industrieis; mais aussi des disciples,
Bazard, Enfantin, Chevalier (lA, t. Il, IV, Saint-simollismJ:). Plus de trente ans
après, Engels, s'en prenant à Dühring, qui le maltraite injustement (AD,
Introd., II; II, chap. VI; III, chap. 1), relève que, chez Saint-Simon, « la
tendance bourgeoise garde encore un certain poids à côté de l'orientation
prolétarienne » (~IEW, 20, 18; trad. ES, p. 51). La troisième partie de
l'Allti-Dühring s'essaie à un bilan concernant les « trois grands utopistes»
(ibid.). Partant du constat général qu' « à l'immaturité de la production
capitaliste, à l'immaturité de la situation des classes, répondit l'immaturité
des théories », Engels, qui commence par Saint-Simon, lui attribue les
mérites théoriques suivants : l'opposition entre travailleurs et oisifs, en
laquelle il a transposé celle du Tiers Etat et des ordres privilégiés; l'idée
que la science et l'industrie doÎl'ent diriger la société et engendrer un
« nouveau christianisme»; que« partout et toujours ce qui lui importe en
premier lieu, c'est le sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauure »;
d'avoir conçu la Révolution française comme une lutte de classes (<< une
découverte des plus géniales », commente-t-i1); d'avoir prédit, dès 1816,
que la politique devrait se résorber dans l'économie et donc qu'au passage
à « l'administration des choses» devrait correspondre « l'abolition de
l'Etat »; l'alliance, enfin, de la France, de l'Angleterre ct de l'Allemagne
comme condition du développement de l'Europe (même idée in L. au
Conseil national du Parti ouvrier français, du 2 déc. 1890; trad. apUdFEfP. et
L. Lafargue, Correspondance, ES). Au total, « une largeur de vue géniale »,
conclut Engels (AD. MEW, 20, 240 et s.; trad., 296 et s.), qui semble, par
là, avoir définitivement rectifié son jugement de jeunesse (des « éclats de
génie» dans « les nuages d'un mysticisme inintelligible» disait-il d'une
doctrine, qui, selon lui. n'appartenait plus qu'au passé; Fortschritte cit.).
C'est au Capital toutefois qu'il revenait de mesurer la distance avec le
plus de force. Se référant à l'ouvrage des disciples, Religion saint-simonienne.
Economie politique et politique (Paris, 1831), et prenant en compte l'évolution
de Saint-Simon lui-même, Marx souligne que le travailleur « ce n'est pas
l'ouvrier, mais le capitaliste industriel et commercial» (MEW, 25, 618;
trad. ES, III, 2, 264). Il ajoute:« Il ne faut pas oublier que c'est seulement
dans son dernier ouvrage, Le JVouveau Christianisme, que Saint-Simon se
présente directement comme le porte-parole de la classe laborieuse et
déclare que son émancipation est le but final de ses efforts ». Cela précisé,
le reste sert à « la glorification de la société bourgeoise moderne... celle des
industriels et des banquiers »; « on ne s'étonnera pas que l'aboutissement
de leurs rêves de crédit et de banque ait été le Crédit mobilier fondé par
l'ex-saint-simonien Emile Péreire» (ibid.; la même idée se trouvait déjà
exprimée dans Cont., MEW. 13, 76; trad. ES, 65 n.; Lénine citera ce texte.
apud 0.,2,219),« Apologie de la banque» (K., IV, MEW, 26, 3. 459; trad., 3,
553), méconnaissance de la spécificité et du rôle du prolétariat (dans une
L. à Marx, du 21 août 1851, FE déclarait que Proudhon régressait vers
Saint-Simon dans la mesure où il identifiait la bourgeoisie et le prolétariat
dans la« classe industrielle»), le saint. simonisme s'arrête devant la nécessité
du processus révolutionnaire.
Salaire
AI : LoIIn, Arb,;ul."". - An : WaglS. - R : <arab.lnaja plaid «arp/ala).
Samedis communistes
Al : """""...hm,,,, Sub6Dlnilu (SamsltJ,.j. - An : Co",munhl Sal.rd~,. - R : Sub6olniki.
Science
AI : U'îsJtnfchnft. - An : &i'llu. - R : J'r4ukll.
réflexion, sous forme d'idées, tout d'abord dans les cerveaux de la classe
qui en souffre directement, la classe ouvrière » (ibid.). Le K., en ce
sens, par la conversion de l'économie politique en « science positive »
(L. de KM à FE, 10 oct. 1868; MEW, 32, 181), a assuré la scientificité du
socialisme et permis de le rendre populaire : « Des essais scientifiques ne
peuvent jamais être populaires. Mais, une fois la base scientifique posée, il
est facile de les rendre accessibles à un public populaire » (KM à
L. Kugelmann, 28 déc. 1862; MEW, 30, 640). Ce à quoi FE s'emploiera:
« Le socialisme, depuis qu'il est devenu une science, veut être pratiqué
comme une science, c'est-à-dire étudié» (Préf. cit. à op). D'où l'intérêt
de l'élaboration de son programme, centré sur l'appropriation des moyens
de production par la classe ouvrière (Préf. de 18g5 à LCF, initio) , donc sur
la conquête du pouvoir d'Etat (AD, III, 2), dont la Commune de Paris
a démontré la nécessité. Une telle leçon, dans le cadre des luttes de
l'époque de la social-démocratie contre les bakouninistes, convie FE à
retrouver lcs meilleurs accents de l'lA traitant du communisme ou de
ConJrib. (Introd.) annonçant la fin de la « préhistoire », quand il écrit
qu'avec la fin de l'anarchie de la production « pour la première fois,
l'homme sc séparc, dans un certain sens définitivement du règne animal,
passc de conditions animales d'existence à des conditions réellement
humaines » (AD, 1II, 2). Le socialisme scientifique, « expression théorique
du mouvement prolétarien» (ibid.) garanlÎt aux hommes la possibilité
de faire consciemment leur propre histoire.
C'est Lénine qui développera cette thématique avec la plus grande
ampleur, aussi bien en ce qui concerne ses origines (cf. AP, O., l, '73;
Notre Programme, O., 4,217; Les trois sources..., O., Ig, '3 et s.) que la théorie
du Parti, de la transition révolutionnaire ou de la dictature du proléta-
riat, au point qu'après la révolution de '917, l'expression « communisme
scientifique» prévaudra sur celle de « socialisme scientifique ». On peut en
elfet penser qu'clle est plus adéquate à son objet et aux pratiques du mou-
vement ouvrier, dans la ligne du MPC (( socialisme et communisme critico-
utopiques »; cf. également Préf. de FE, mai Illgo : « Lc socialisme en 1847
signifiait un mouvement bourgeois, le communisme un mouvement
ouvrier »), et de la thèse des deux phases du mode de production,
socialiste et communiste (Gloses).
On notera que la volonté de conférer au socialisme (ou au commu-
nisme) le caractère « scientifique» est antérieure au marxisme. L'idée est
dans l'air du temps et on la trouve chez nombre de prédécesseurs de KM
et FE, concomitante des espoirs de positivité nés de la révolution indus-
trielle. L'encyclopédisme de Saint-Simon et de son école en appelait à une
« science de l'homme» et à un « gouvernement des savants ». Auguste
Comte attendait du traitement des faits sociaux ct moraux, sur le modèle
des mathématiques, l'avènement d'une « politique scientifique» et voyait
dans la sociologie « la science des sciences » (cf. Cours de philosophie posi-
tive, 60 e leçon, t. VI, Paris, Sclùeicher fr., Paris, 1908; Discours sur l'esprit
positif, t. Il, Ire partie, in fine, Paris, Garnier, J 949; A. Kremer.Marielti,
Le concept de science positive, Paris, Klincksieck, 1983). Ch. Fourier se
défendait d'être un utopiste; se réclamant de Descartes, de Newton et de
Condillac, il était convaincu d'ouvrir à la science, grâce à ses « séries »,
le champ social et politique; il proclamait, en s'inspirant de la méthodo-
gloie de la physique, la révolution scientifique de la société (Thione des quatre
1041 SCIENCE
moUllemmls, Ire éd., Lyon, 1808). P.-J. Proudhon était littéralement obsédé
par le souci de fonder une science universelle (son « côté faible » ironi-
sera KM; NORh, nO 66, 5 août 1848). Il envisageait, dès ses premiers écrits,
de transformer la philosophie traditionnelle en « une science exacte »
(L de candidature à la pension Suard, 31 mai 1838, apud Corr., t. l, L. 7,
Paris, Lacroix éd., 1875). Il voyait, dans l'Egalité, la loi « suprême »; il
affirmait que « la politique est une science» et allait même jusqu'à annoncer
le triomphe de la « souveraineté de la raison dans un socialisme scientifique»
(Qu'est-ce que la propri/ti?, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 300).
Des ambitions analogues seraient repérées sans mal chez un Owen ou un
Pierre Leroux.
Or, de cette source également, KM et FE sont les héritiers, point les
contempteurs, malgré ce qu'en a assuré la tradition kautskyste-stalinienne,
avant tout soucieuse de strictement séparer science et utopie (le Petit Dic-
tionnaire philosophique de Ioudine et Rosenthal, Moscou, 1955, à l'art.
« Communisme scientifique », affirme que « les socialistes occidentaux ont
dû longtemps errer à l'aveuglette dans les déserts du socialisme utopique »),
afin de confier au Parti le monopole de la vérité et de la transmission des
dogmes (écoles et manuels). Il en allait différemment chez Engels, louant
les grands utopistes; chez Marx, repoussant l'idée de Bakounine d'un
« socialisme érudit» et précisant que « socialisme scientifique» n'avait été
usité qu'en « opposition au socialisme utopique qui veut inspirer au peuple
de nouvelles chimères» (MEW, 18, 635-66); chez Labriola, exprimant sa
défiance vis-à-vis de l'expression (Discorrendo... , éd. citée, p. 196); chez
Lénine, n'admettant la « fusion » de la science et du prolétariat qu'à
titre propédeutique; enfin, plus près de nous, chez E. Bloch, réintégrant
résolument dans la « science marxiste » les puissances de l'utopie. Du
catastrophisme de la théorie des crises et de l'effondrement au volonta-
risme dictant ses lois à la société socialiste, une certaine conception de
la scientificité n'est parvenue qu'à éliminer de l'histoire ses principaux
acteurs - les masses, les travailleurs ou le prolétariat.
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thiorie de la scieru;e, Paris, Plon, 1965; R. ZAPATA, Lutles philosophiques en URSS, 1922-1931,
Paris, PUF. 1983•
....
CoRRÉLATS. - Plus d'une centaine sont expressément mentionnés dans le corps de
Pentrée; certains noms d'auteurs sont à renvoyer aux articles qui les concernent {ex. Saint-
Simon : « Saint-simonisme»).
G.L.
Secret
AI : GdwiJMis. - An : $«",. - R : TaijM.
Secrétariat général
Al : GmnalstkrelMiat. - An : General Secretariat. - R : Gmual'ni) Sckrelatiat.
Voir : Parti.
Sectarisme
AI : &ktieTtrlum. - An : Sutarianism. - R : S,ktariDn.
Sensation 1 Sensualisme
AI : Emj>jindunz/S.....alïsmus. - An : S.nsali...jSmsualism. - R : OJéusmi./Smsualïzm.
Seuil
Al ; SduDtlu. - An ; ThruloDUJ. - R ; Pero,.
Sionisme
AI : Zi.nismUJ. - An : Zi.nism - R : SionWn.
Social-démocratie
AI : Sar.iaid'I7WMati•• - An : Social d,mocraf!. - R : Social-D.makratija.
H. P.
1057 SOCIALISATION
Sociali sation
Al : V.,gm/Ischaftung. - An : Socialùation. - R : Socia/ùacija.
producteurs séparés par le marché. Aucune des deux images ne peut assurer
la socialisation.
Mais pour Marx et Engels, chacune renvoie à l'autre et se complète
par elle. La conquête du pouvoir est le levier de la généralisation de la
coopération : « Pour convertir la production sociale en un large et harmo-
nieux système de travail coopératif, il faut des changements sociaux
généraux, changements dans les conditions générales de la société, qui ne
peuvent être réalisés que par le moyen de la puissance organisée de la
société - le pouvoir d'Etat arraché aux mains des capitalistes et des
propriétaires fonciers, et transféré aux mains des producteurs eux-mêmes»
(Instruction pour les délégués du Conseil central provisoire de l'AIT au
Congrès de Genève, in Le parti de classe, t. 2, 124). Inversement, la natio-
nalisation ne devient socialisation qu'accompagnée de la gestion coopéra-
tive; celle-ci n'est plus la forme communiste d'appropriation, mais un rap-
port social nécessaire pour lier l'appropriation sociale au procès de travail :
« Marx et moi n'avons jamais douté que, pour passer à la pleine économie
communiste, la gestion coopérative à grande échelle constituait une étape
intermédiaire. Seulement il faudra en prévoir le fonctionnement de sorte
que la société, donc tout d'abord l'Etat, conserve la propriété des moyens
de production afin que les intérêts particuliers des coopératives ne puissent
pas se cristalliser en face de la société dans son ensemble » (Lettre de
FE à Bebel, 23 janvier 1885). La Guerre civile en France nous donne la clé de
celle synthèse entre la propriété d'Etat et la coopération : la transfor-
mation de l'Etat en un Etat dépérissant, géré par les producteurs contrô-
lant les tâches étatiques « rendues aux serviteurs responsables de la sociélé »
(MEW, 17 ; OCF, 43 ; 340). La Commune devait « servir de levier pour renverser
les bases économiques sur lesquelles se fonde l'existence des classes, donc
la domination de classe» (ibid., 45; 342).
2 1 Les deux images vont se disjoindre chez les théoriciens de la
Ile Internationale, qui, à J'exception de Jaurès, refoulent l'image coopéra-
tiviste. Si Bernstein la reprend (Présupposés du socialisme, Paris, 1974, 125),
c'est pour en faire un bel idéal, condamné à échouer dans la réalité
(ibid., 147). Kautsky la condamne explicitement (Di&tature du prolél4Tiat,
Paris, 1972, 276-277), comme anarchiste et opposée à une véritable
production sociale, qui suppose une unité intégrée. L'image traditionnelle
étatiste s'impose alors. Dès 1879, Guesde confond socialisation et nationa-
lisation (Le collectivisme par la révolution, Textes choisis, ES, 1970, 98), avec cette
curieuse conséquence: « Un seul patron, un seul capitaliste, tout le monde»
(ibid.). Il confond totalement propriété et appropriation, que Marx avait
distinguées (Cont., Préf.) , dans la mesure où la propriété renvoie à une
domination (Séance du Conseil général de l'AIT du 20 juillet 1869, in
Procès-verbaux. Le Conseil géniTal de la Ire InJenultionale, 1868-1870, ru).
Kautsky, parce qu'il oppose simplement social à privé (Le chemin du pOU1)()ir,
Paris, 1969, 2), tend lui aussi à écraser la socialisation sur la nationali-
sation en la définissant comme « la transformation par le pouvoir public
de la propriété capitaliste des moyens de production en propriété sociale »
(ibid., 3).
Ce retour de J'image traditionnelle de la sociaJisation s'accompagne de
l'abandon de la démocratie directe de la Commune et du retour à la
démocratie représentative bourgeoise, virage amorcé par Kautsky dès 1893
dans Parlementarisme et socialisme (Paris, 1900). Dès lors la socialisation va
SOCIALISATION 1060
J. R.
Socialisme
AI : Suùlïs-s. - An : Soci.lism. - R : SocùJIizm.
communisme. Elle peut être définie comme « voie non capitaliste vers
l'industrialisation » (op. cit., p. 57 et s.), fondée sur le passage d'un
« despotisme agraire» à un « despotisme industriel » (98 et s.). Son
analyse emporte la refonte de certains concepts fondamentaux du maté-
rialisme historique et sa destinée se donne à voir dans les grandes convul-
sions qui la traversent périodiquement aussi bien que dans les tensions
latentes qu'clle recèle.
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1069 SOLIPSISME
Socialisme scientifique
Al : ~VisstnJ,hqftlidJ" S.zÎDlismlls. - An : Sdtntiji, Socialism. - R : NdU,"» s(J(ialivn.
Solipsisme
AI : Solipsismtls. - An : Solipsism. - R : SolipsiDn.
Soviet
AI : $ovj<I. - An : s..iIt. - R : Sowl.
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" GIIiITdIismt. O., 10; PIlIk-ftJnIU pour le amgrù ti'1IIIj/ic4tiIm tbI POSDR, o•• 10; La vietoir. du
ÛJiJlu " lu t4&/w tbI J-li oUDrin, o•• 10 (ttpria dans CoturiInaion d l'histoir, tU III dielatw.);
TIXI4s po", III rivùWn tblprogramrru "" Parti. o.• 24: Thùes d'iJl1riI, o•• 24; L·Etat., III R/volulion.
o •• 25: La C41as1ro/>h4 immÙlmk .1 Us lIIOj'I1lS d, III co'!i"'''' O., 25; Lu bokMvi/cs gardm",t-i/s 1.
pouvoir?, 0.,26; La ,'volutionprolilllriertnl" 1. ,tnigalliaub/cy. 0.,28; Thùes" ,apporl sur la
dimocr4tit bourglOis. " III dielatur. du prolitaritlt, o.• 28: Rapporl sur 1. p,ogramrru du Pa,'i, O.,
29; La ma/adu i'l!antil. du communisrru. O., 31; Conlribulion d l'histoi,, d. III dictatur•• O., 3';
us syntiieau, la silualiDn QCluelk ., lu m.urs th Trotski, o •• 32; Pour 1. IV· anni""sai,e th la
Rloolulion, O., 33; D. la coopiralion, O., 33; Comment ,/o,ganiser l' Ins/Jt<lion ollllribe .t paysanne?,
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CRONSTADT, Paru, 1969: VOLINE. La rloolulinn inco"""" 3 vol., Belfond, '972.
Sovkhoze
Spéculation
AI : $f>tJrvJiJli.... - An : Spuu/4IiDn. - R : ~luij••
1 1 La
pensée de Marx s'est fonnée par une critique de la dialectique
spéculative de Hegel. Pour celui-ci, le spéculatif est le rationnel, atteint
par-delà les limites de l'entendement. Pour Marx, la spéculation est le
type même du dévoiement de la pensée par et dans la mauvaise abstraction
qui substitue au mouvement du réel celui des idéalités pures. La critique
de la spéculation vient de Feuerbach: spéculer, c'est inverser les rapports
du réel et de sa pensée, substituant au réel, qu'il faut expliquer, une idée
abstraite, dont, par la suite, on tente de déduire le réel. La spéculation est
mysticisme logique (<< Le réel devient le phénomène de l'idée, mais l'Idée n'a
pas d'autre contenu que re phénomène» (Cripol., ES, 4t; MEW, 1,208). Hegel
en faisant de l'Etat le principe de la société civile fait de celle-ci, « sujet
réel », « le prédicat dernier du prédicat abstrait: l'Etat» (ibid., 51; 216).
2 1 Marx a considéré comme acquise cette critique de la spéculation,
de son idéalisme foncier (le moment idéal est posé comme essence et
moteur du moment réel). Il lui donne une dimension matérialiste, puisque
le réel mystifié est le présupposé réel de la production. Le « renversement
matérialiste » est effort pour penser la matérialité concrète du réel dans
son mouvement. Car la spéculation se veut pensée du mouvement. « Le
mystère de la construction spéculative » consiste à tirer des différentes
réalités apparentées (par ex. des fruits) un substitut abstrait (le « fruit »,
fruit de la spéculation) dont elle déduit les réalités qui sont sa matière:
«revenir du Fruit» aux fruits réels qui deviennent autant de« manifestations
du Fruit en soi », lequel devient (( un être doué de mouvement et qui se
différencie en soi» (SF, ES, p. 74-76; MEW, 2, 60-63). La dialectique matéria-
liste, science du mouvement des modes de production, en ses constructions
conceptuelles, réfléchit le mouvement historique concret. Si, plus tard,
elle prend d'autres formes et se transforme en critique de l'idéologie, la
lutte contre la spéculation demeure une constante de la pensée marxiste:
la théorie au sens marxien affirme que (( c'est là où cesse la spéculation,
c'est dans la vie réelIe que commencent la science réelle, positive, l'exposé
de l'activité pratique du processus de développement pratique des
hommes» (lA, ES, 51; MEW, 3, 26; voir NP, ES, 113- 134; MEW, 4, 125-139,
contre la métaphysique de l'Econonùe politique; de même la critique
du fétichisme marchand dans le K., l, 1). Les marxistes créateurs ont
dû à plusieurs reprises mener la lutte contre la transformation de la
dialectique matérialiste en philosophie spéculative de l'histoire, (( de la
marche générale fatalement imposée à tous les peuples» (KM/FE, COTT. 1845-
1895, Moscou, 1971, p. 321). De même Unine critique l'économisme et
rappelle : (( Le principe fondamental de la dialectique est qu'il n'existe
pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète» (o., VII, 431). Ainsi
Gramsci critique le matérialisme spéculatifde Boukharine. L'oubli du maté-
rialisme et de la dialectique conduit la pensée à un fonctionnement spé-
culatif que le marxisme doit aussi incessamment critiquer en lui-même.
• BmLlOORAPHIE. - L. CoLLIl'ITl, n m<I1'xismn • H.gtl, Bari, .969; M. DAL PRA, La dia/,,-
tiea in Marx, Bari, 1969; G. DEu.A VOLPE, Logi&4 <01714 ~a ponti••, Rome, 1969: FEUER-
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Histoin " consnmu th d4ss', Paris, 196"
~ CoRRÉLATS. - Dialectique, Fétichisme, Idœlim1e. A. T.
1081 SPINOZISME
Spinozisme
AI : Sp;nozùmus. - An : Sp;noûsmus. - R : Uémit Spw'J!.
avons fait le détour par Spinoza pour voir un peu plus clair dans le
détour de Marx par Hegel. Un détour donc: mais sur un détour» (p. 69).
L'espace qui sépare, chez Spinoza, le premier du deuxième genre de
connaissance est celui-là même qui rend compte de la distance de
l'idéologie à la science. Mais - et c'est ici que le « détour» sert à
l' « autocritique» -, de cet écart on ne saurait déduire que la science
est la « vérité », la juridiction transcendante, de l'idéologie. La connais-
sance du déterminisme n'en obère pas spéculativement la réalité. L'idéo-
logie ne se réduit pas à l'autre dépassé de la science, elle perdure quand
bien même son concept est produit (cf. Pour Marx, Paris, 1966, p. 75,
n. 40). Sur tous ces points, « Spinoza anticipait Hegel, mais il allait
plus loin» (Eléments... , p. 73).
Donc, si l'on tient que la réception marxienne de Spinoza se fait dans
et à travers Hegel, que, chez ce dernier, le spinozisme est un point
aveugle ou limite, on peut être autorisé à induire que le spinozisme est la
critique anticipét d'un certain marxisme - qui fut longtemps le tout certain
du marxisme - , savoir le marxisme hégélianisé, Hegel dans Marx. Il
est à tout le moins l'indice d'une aporie dont témoigne la recherche
lancinante et problématique des assises philosophiques du marxisme. D'avoir
à (re-)penser le matérialisme dans le marxisme ou, plus récemment, le
statut de la dialectique et de son potentiel heuristique signale, entre autres
choses fondamentales, que l'évolutionnisme historique fondé sur la juxta-
linéarité progressive (des grands systèmes philosophiques, chez Hegel,
ou des modes de production, chez Staline) doit être en toute rigueur inva-
lidé. C'est bel et bien à une déconstruction de la temporalité historique
qu'invite Spinoza, par où il se pourrait bien qu'il soit un penseur « post-
bourgeois» (Macherey) ou « post-dialectique» (Negri, cf. biblio.). La
présence contemporaine de Spinoza dans le marxisme se donne ainsi
comme le rappel réitéré d'une faille.
• BmuooRAPHIE. - E. ALLIEZ. Spinoza au-delà de Marx. in Crilique, n° 411-412, août-
sept. 1981 ; L. ALTHUSSEJl, Soutenance d'Amiens. in Pontùms. ES, 1976, p. 127 ct 5.; M. BER-
TRAND. Spino~ .1 l'imDginairt, Paris, PUP, IgB3; S. BRETON, SpillOza. IhIowgù.1 politique,
Paris. 1977: A. DEBORJNl!. Spinoza prttuneur, in Iùl'Ul rntJrxUl4, nO 1, '929; A. DUORINI!.
A. THALIŒI>lER, Spinol:lJS SteIltmg in tkr Vtwguehi&hl4 du di4Uk/isehm Maln'iolimws, Vienne-
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Rrnu_ H."I, MtlTX, Paris, 1963: G. DJU.J!uZJ!, Spïno~. P~ pratique. Paris, IgBl;
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chichle der neueren Philosophie von Bacon bis Spinoza (1847), in SlJmt/ieM WlTb. Bd III;
ID., Spinoza und Hon Barth (1836). ibid., Bd IV; ID•• Uba' SpiritWlJismus und Mate-
riaJismus (1836). ibid., Bd X; K. FISCHER, Guehieh14 tkr ntUIT7I p ~ . Heidelberg.
19": H. H1!nŒ, Zut Guthieh/4 tkr Iùligion und PhilastrphU in DftlIst1J4nd (1833-1834),
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PhiJosophy.... Londres, 1952: V. I. LBNINE. MaUri4tism4 " nnpiriotritÏ&isrM, o., '4 (cf. la
note 25 de J'éd•• p. 384): ID., CahilTsphib>sophiquu, o., 38. p. 157 et 5., p. 455 et •• ; A. V. Lou-
NATCHARSKI, D. Spino~ Il MtlTX. 1925: ID., B. SpillO~ .1 la !lourgeoisi., 1933; A. MATHERON.
Le TTP vu par le jeune Marx. in CahilTs Spino~. numéro cité: R. MONOOLPO. Il concello
marxistico della « umwllzende Praxis» e i suoi genni in Bruno e Spinoza, in FtSlsehrifl
fl6 Carl Griinbtrg, Leipzig, 1932; A. NEGRI, L'4norMlil sauvag., Paris, '982; I. P. RAzu-
>lOVlltl, Spino~ und lhe Slal4, 1917; M. RUBEL. Marx à la rencontre de Spinoza, in CaM"s
SpillOr.a, numéro cité; C. SCHHJDT, Spïnor.a, tin VtwkIJmPJ" der ntllln W.ll4nsehiwung, Berlin,
1085 SPONTANtlSPONTANtlTtISPONTANtlSME
Spiritualisme
AI : Sj>iri1udlùJnw. - An : Spirib.alism. - R : S/'Ï' ilu41ivn.
1 1 S'il est vrai que, dès ses origines, le mouvement ouvrier s'est vu
questionné par les formes spontanées prises par les révoltes de masse et
5PONTANtl5PONTANtlTtl5PONTANtl5ME 1086
Stade(s)
Al, SIlif,(n). - An : Slogt(S}. - R ; Stadijo(ii}.
Stalinisme
AI : Slalinisnms. - An : Slaimism. - R : Slalinizm.
de tous les secrétaires généraux d'autres partis, ensuite, qui domine cette
nouvelle mythologie. Ces mythes engendreront des osmoses avec de larges
répercussions politiques: parti/Etat; parti/secrétaire général; uRss/Armée
Rouge/Staline, etc.
Mais comme tout mythe possède son noyau de vérité, la mythologie sta-
linienne a engendré des exploits et déployé de grandes énergies, qui se sont
concrétisées par les gigantesques chantiers de l'industrialisation de l'URSS et
par le courage des combattants de l'Armée Rouge durant la seconde guerre
mondiale. Le phénomène fut si profond que, de nos jours encore, le mythe
de Staline, qu'on pourra appeler contre-mythe, dans la mesure où il prenait
la figure de l'effacement et de la simplicité, continue de fasciner l'imagerie
populaire. Une sorte de piété entoure le souvenir de Staline, de l'homme
qui navigua avec adresse entre les écueils de l'édification de l'Etat sovié-
tique et qui fut surtout le grand rassembleur des temps de guerre.
Le stalinisme fut aussi une pratique politique avec de larges réper-
cussions sur l'économie et sur la vie sociale de l'URSS; par la suite, elle se
transformera en « modèle » qui sera appliqué aux démocraties popu-
laires; on aboutira au glacis dont l'Union soviétique s'entourera lors de la
guerre froide. Le règne tout-puissant du parti unique monolithique et
replié sur lui-même en caste privilégiée, la pratique déformée de la
dictature du prolétariat qui, au lieu d'évoluer vers le dépérissement de
l'Etat, va vers son intronisation comme force omnipuissante et omni-
présente à tous les échelons de la société, l'abolition de toute liberté
d'expression et l'instauration d'un climat d'espionnite et de peur : ce
sont là les principaux éléments qui caractérisent le stalinisme en tant que
mode d'exercice du pouvoir.
Un autre aspect contradictoire du système est la nature de la lutte
des classes qu'il engendra. Ce fut la paysannerie en tant que classe qui fut
la plus sacrifiée, c'est elle qui paya le tribut le plus lourd à l'industriali-
sation du pays. La classe ouvrière, qui se forgea durant celte période,
puisa également ses racines dans la paysannerie. Tout cela donnera nais-
sance à une société nouvelle certes, mais non moins traversée par des
contradictions et regroupements de classes qui finiront par engendrer
de nouvelles luttes de classes.
Le pouvoir stalinien devait inscrire dans l'histoire de l'URSS une de
ses pages les plus sanglantes. La dékoulaquisation qui ensanglanta la
campagne soviétique à la fin des années 20 et au début des années 30,
ainsi que la terreur qui s'étendra à toutes les couches sociales dans les
années 36-38 avaient fait des millions et des millions de morts. L'esprit
de la guerre civile se perpétuera, plongeant la société soviétique dans un
climat de combat permanent contre des ennemis réels ou imaginaires.
Tout cela se fit parallèlement avec l'alphabétisation et l'urbanisation des
masses paysannes, avec la création d'une infrastructure industrielle, dont
sont sortis les chars de Stalingrad. « Le stalinisme accouple grotesquement
la charrue en bois et la pile atomique, exactement comme la barbarie
primitive et le marxisme », constate avec justesse Isaac Deutscher.
C'est à cause de cette complexité à multiples implications et reten-
tissements que le stalinisme ne peut être réduit ni à un épiphénomène,
comme le considère Roy Medvedev, ni à un « culte » autour d'une
personne, dont les défauts de caractère expliqueraient les maux d'une
société et d'un système politique forgé au long de trente années de règne,
1093 STALINISME
Stratégie / Tactique
AI : S"4IIKit/Tulik. - An : S"akv/Tactics. - R : Slra"riia/Tu'ika.
qui modifie correctement ces principes dans les iJuestions de détail, les adapte et
les ajuste comme il convient aux particularités nationales et politiques.
Rechercher, étudier, découvrir, deviner, saisir ce qu'il y a de particuliè-
rement national, de spécifiquement national dans la manière concrète dont
chaque pays aborde la solution du problème international, le mime pour tous:
vaincre l'opportunisme et le dogmatisme de gauche au sein du mou-
vement ouvrier, renverser la bourgeoisie, instaurer la République des
Soviets et la Dictature du Prolétariat » (ibid., 88).
Cette position de Unine, incomparablement plus nuancée que celle de
Staline, ne va pas néanmoins sans poser quelques problèmes.
Selon l'analyse de Lénine, les particularités de la société réelle sont
pensées comme le reste d'une soustraction : on ôte de la société réelle la
société théorique, définie par la théorie marxiste, et l'on obtient « ce
qu'il y a de particulièrement national» dans la société réelle. Et comme
on a soustrait deux constantes, on doit parvenir à une nouvelle constante,
sur laquelle l'accord doit se faire; d'où l'unité de tactique. Or cette
analyse semble présupposer que l'adaptation ne joue que dans un sens;
n'est prévue aucune rectification de la théorie, à la lumière des ensei·
gnements du réel. Tout se passe comme si la théorie marxiste était une
théorie finie, élaborée une fois pour toutes.
Cette difficulté théorique rend compte, peut-être, d'un problème
réel: l'unité de tactique n'existe que dans les discours théoriques; dans la
réalité historique, il n'y a jamais eu, ni dans le mouvement communiste
international, ni dans le seul peus, d'unité de tactique.
• BIBLloaRAPHIE. - (Voir ceUes des corrélats.) J. ATTALI, AlUlrys. iconomique d. to oit
poliliqUl, Paru, 1972: J. J. BECKE.R, Le PCF o,w-il p",,,Ir, l, pouvoir?, Paris, St:uil, IgBl:
B. BRECHT, At. Ti. LioTt du relountnnmlJ, Paru, L'Archt:, 1978; G. CHALIAUD et C. LUORT,
La stratégie commt: apprrntissagt: du réd, in Espril, avril IgBI; F. CLAUDIN. Alar", Eng.is
'lia rioolulion d, 1848, ParU. 1980; Saci.t.fi, '1 rivohaion, Colloque dt: Cabri., ParU, 10/18,
1974: R. OEBRAV. Rivotwion tÛ1nJ la rivollllion?, Pari., 1969; V. N. GIAP, Gut", du ","pt"
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Ztil, Xx..XI, t. l, 1913.
Structuralisme
Al : SIru!lurdlisnwJ. - An : SlrocluralÎJna. - R : Slruk'uralizm.
G. Be.
SUBSOMPTION FORMELLEIRtELLE 1102
Subsomption formelle/réelle
AI : FomuU4/R..lù Subsumli.. (Subsumimmg). - An : Iùal and fOnlUll Subsomplio•• - R : Formal'.../
rtal'noe JHHIéintnit.
Suffrage universel
Al : AI/gtmlinu Wahlretht. - An : Uni.,rsal jrtmtAis,. - R : VIt.bU" iz6iral,j'no, prav••
l'action légale que de l'action illégale du Parti ovrier, des succès des
élections que ceux de la rébellion» (LCF, introduction, ES, 26; MEW, 7,
520). Plus encore, ce texte souligne le rôle décisif du suffrage universel quand
le mouvement révolutionnaire peut espérer être majoritaire. Thème déjà pré-
sent chez Marx dès 1852 : « En Angleterre où le prolétariat forme la grande
majorité de la population (...), le suffrage universel signifie la montée au
pouvoir de la cla~se ouvrière; son institution serait donc infiniment plus
socialiste que tout ce qui a reçu ce nom sur le continent. Elle entraînerait
inévitablement la suprématie politique de la classe ouvrière» (cit. par
T. B. Bottomore, Elites et Société, Paris, Stock, 1964, p. 50-51).
Mais il ne faut pas attendre du suffrage universel plus qu'il ne peut
apporter. La position qu'Engels développait en 1884 dans L'origine de la
famille, de la propriété privée et de l'Etat, n'est pas remise en cause sur
le fond: « Le suffrage universel est donc J'index qui permet de mesurer la
maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera
jamais rien de plus dans l'état actuel, mais cela suffit. Le jour où le
thermomètre du suffrage universel indiquera pour les travailleurs le point
d'ébullition, ils sauront aussi bien que les capitalistes ce qu'il leur reste
à faire» (Orfa., ES, 181; ~mw, 21, 168).
Ce texte qui définit l'utilisation révolutionnaire du suffrage universel
dans la société bourgeoise, pose implicitement la question des institutions
de la future société socialiste, sur laquelle, par ailleurs, Marx et Engels
se sont peu étendus. La Commune de Paris telle que Marx la décrit
dans La guerre civile en France, préfigure l'usage socialiste du suffrage
universel dont le rôle sera étendu par la confusion des pouvoirs au
sein de l'assemblée élue et la révocabilité à tout moment des représen-
tants du peuple (GCF, 63; MEW, 17, 348). Encore faut-il préciser que la
Commune « était la preInière révolution dans laquelle la classe ouvrière
était correctement reconnue comme la seule qui f(H encore capable
d'initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de
Paris - boutiquiers, commerçants, négociants - les riches capitalistes étant
seuls e:mptés» (CCF, 69, souligné par nous; ibid., 357).
Cette double appréciation du suffrage universel comme instrument
de doInination de la bourgeoisie d'une part, et moyen privilégié dans la
lutte révolutionnaire d'autre part, sera reprise par Lénine et les bolche-
viques. Si le lIe Congrès de la IIIe Internationale (1920) mel fin aux
débats sur l'opportunité de la participation des communistes aux élections
et fixe les modalités de l'utilisation révolutionnaire du parlementarisme,
celui-là, contre les illusions réformistes des sociaux-démocrates que dénonce
Lénine, est refusé comme moyen d'émancipation du prolétariat d'une
part, et comme forme politique de l'Etat prolétarien d'autre part. Plus
encore, les soviets qui fondent le pouvoir de la classe ouvrière ne sont pas
élus au suffrage universel, car seuls les travailleurs sont électeurs et
éligibles.
Ces thèses, qui vont dicter la conduite des PC naissants, seront forte-
ment remises en question par l'expérience des fascismes en Europe. En
France, c'est avec la politique de Front populaire que les thèmes légalistes
et démocratiques envahissent le discours du PCF. L'évolution qui s'engage
alors se poursuit à la Libération avec le xe Congrès du PCF (Paris,
juin 1945) et trouve une expression en 1946 dans les déclarations de
Maurice Thorez au Times (r8 novembre 1946) : « Les progrès de la
SUIVISME 1106
Suivisme
AI : LinimlrftU. - An : Omformism. - R : Huostitm.
Voir: Parti.
Superstructure
AI : 06,,6••• -- An : Sllflmlroc".... - R : Nodstroju.
IlLe concept de superstructure fait famille avec celui de base (ou base
matérielle, infrastructure, base économique). Ces concepts désignent la
structure du tout social, conçu sous la métaphore topique d'une stratifica-
tion : la base matérielle de la société et, « au-dessus », la superstructure.
L'extension de la superstructure est variable - comme celle de la base-,
y compris dans les textes de Marx. Marx parle de la « superstructure
juridique et politique» (Préface de la Cont., 1859), mais à l'Etat et au
droit s'ajoutent les idéologies, les normes de comportement, la religion,
1107 SUPERSTRUCTURE
Il faut cependant noter que ces thèses et les formules qui les expriment
sont peu précises. Malgré leur portée polémique contre l'idéalisme et le
matérialisme mécaniste, elles demeurent à l'état d'énoncés extrêmement
généraux, qui ne peuvent servir comme tels de principes à une théorie
développée des superstructures. Les tentatives de concrétiser la nature des
rapports base-superstructure sous l'aspect de la détermination en arrivent
souvent à réduire la superstructure au simple reflet ou effet mécanique
de la base. La détermination en dernière instance devient détermination
tout court, causalité linéaire. La forme la plus triviale de cette tendance
est la « théorie des facteurs» : la société est divisée en de multiples facteurs,
rangés par ordre d'importance. Cette hiérarchie est bien sûr dominée
par le « facteur économique », conduisant ainsi à un réductionnisme
économiste. La théorie des facteurs rend impossible tout « point de vue
synthétique sur la vie sociale» (G. Plekhanov, Les questions fondamenJaks
du marxisme; sur la difficulté de penser avec rigueur l'action en retour de la
superstructure sur la base, voir, du même auteur, la critique du concept
d'interaction).
Même lorsqu'il insiste, contre le schématisme et l'économisme, sur
l'efficace propre des superstructures, Engels a peine à bâtir le concept de
l'action en retour de la superstructure, et en particulier de l'articulation
de cette action de la superstructure avec le rôle déterminant en dernière
instance (Engels écrit « à la longue ») de l'économie. Dans sa Lettre à
Bloch du III septembre 1890, Engels décrit les superstructures sous la
forme affaiblie d'une infinité d'effets microscopiques, illustrant sa démons-
tration par l'exemple du jeu des volontés individuelles qui s'ajoutent
et se contrecarrent pour former l'événement historique. Quant aux
volontés individuelles, elles sont déterminées par les conditions écono-
miques, i.e. par la base! Autrement dit, la superstructure est diluée dans la
multilUde des hasards.
Ainsi, celle conception peut conduire à la négation du concept de
superstructure lui·même : dès lors que l'économie est l'essentiel, voire le
tout de la vie sociale, le marxisme s'identifie à une économie politique
et élimine tout autre objet de son champ.
Le point de vue de la reproduction ne sépare pas la superstructure de la
SUPERSTRUCTURE 1110
P. d. L.
Surdétermination
AI : OHrddnmin;"""'. - An : OI>lTd,tnmin4lion. - R : Nad"!',ldd,ni,.
Surproduction
AI : 06rrfWOt/uA:lion. - An : ~. - R : V.S~'"'"
Voir : Crise.
Surtravail
AI: Mwar6ril. - An : ~ W-. - R : ~ 1nIt/.
entretien, elle diffère des autres marchandises par son usage. Celui-ci
étant de produire de la valeur, l'ouvrier qui vend sa force de travail est
capable de produire en une journée une valeur supérieure à la valeur des
marchandises nécessaires à sa subsistance.
La journée de travail peut donc se décomposer théoriquement en
deux fractions :
1 1 Pendant une partie de la journée, l'ouvrier travaille à la pro-
duction de biens nécessaires à sa subsistance - non pas directement,
mais indirectement, sous la forme d'une marchandise donnée. Du point
de vue du capitaliste, il ne fait alors que reproduire sa force de travail.
Marx désigne cette première partie théorique de la journée comme
ttmpS de travail nJcessaire. Nécessaire au travailleur pour vivre, nécessaire
au capitaliste pour reproduire la force de travail.
2 1 Une fois cette force de travail reproduite s'ouvre une seconde partie
théorique de la journée de travail pendant laquelle l'ouvrier produit
un « surplus» : « La période d'activité qui dépasse les bornes du travail
nécessaire colite, il est vrai, du travail à l'ouvrier, une dépense de force,
mais ne forme aucune valeur pour lui. Elle forme une plus-value qui a
pour le capitaliste tous les charmes d'une création ex nihilo. Je nomme
cette partie de la journée de travail temps extra et le travail dépensé en elle
surtravail. S'il est d'une importance décisive pour l'entendement de la
valeur en général de ne voir en elle qu'une simple coagulation de temps
de travail, que du travail réalisé, il est d'une égale importance pour
l'entendement de la plus-value de la comprendre comme une simple
coagulation de temps de travail extra, comme du surtravail réalisé »
(K., l, l, p. 214; MEW, 23, 231).
« Le capital n'a pas inventé le surtravail. Partout où une partie de la
société possède le monopole des moyens de production, le travailleur,
libre ou non, estforcé d'ajouter au temps de travail nécessaire à son propre
entretien un surplus destiné à produire la subsistance du possesseur des
moyens de production» (ibid., 231; 249). Pour le serf, le surtravail est
visiblement distinct du travail: il prend la forme de la corvée. Par contre, le
surtravail effectué par l'ouvrier ne se distingue pas concrètement du travail
nécessaire auquel il se mêle. C'est cette confusion qui permet au capi-
taliste d'augmenter la part du surtravail.
- En allongeant la journée de travail (plus-value absolue) : « Qu'est-ee
qu'une journée de travail? Quelle est la durée du temps pendant lequel le
capital a le droit de consommer la force de travail dont il achète la valeur
pour un jour ?Jusqu'à quel point lajournée peut-elle être prolongée au-delà
du travail nécessaire à la reproduction de cette force? A toutes ces ques-
tions, comme on a pu le voir, le capital répond : la journée de travail
comprend vingt-quatre heures pleines, déduction faite des quelques heures
de repos sans lesquelles la force de travail refuse absolument de reprendre
son service» (ibid., 259; 279-280).
- En réduisant le temps de travail nécessaire, c'est-à-dire en faisant
baisser le prix des marchandises nécessaires à l'entretien de l'ouvrier et en
intensifiant le travail (plus-value relative).
~ CoRRtLATB. - Exploitation, Force de travail, Interuité du travail, Survaleur.
E. A.
1113 SURVALEUR (OU PLUS· VALUE)
Syndicat
AI : Gtwrludrqfl. - An : Tradt-lDIi"", - R : Profi~.
1958; LtNINE, Ttxus sur us syndiuùs. Editions du Progrè>. IS/O; A. LoZOVSKI, JIar" and
110, Tradt·Unions, l.ondres, New York, 1935; G. MARTIN"T, S,pt syndiealismts, Pari<, Seuil,
1979; J. L. MOYNOT, Au milieu du gui.••• Paru. PUl'. 198~; Z. STERNHELL, }li droitt. ni
gaU&1ot. Pari., 1983•
... CORRélATS. - Anarchisme, Association, Autogestioll, Coalitions, Concurrence, Conseils,
Fusion, Internationale!, LassallismeJ ~lutuaHsmct Parti, ProudhonÎsme, Soviet, Trade-
unioni~mlcJ Travaillisme.
D.T.
Système
AI : S)'IInn. - An : SJ'lInn. - R : Sislnno.
Ce terme, venu d'un tout autre champ que celui du marxisme, prend
effet depuis longtemps dans des secteurs scientifiques différents (biologie,
mathématiques, économie, etc.) comme dans toute une tradition philo-
sophique (citons pour mémoire les Encyclopédistes qui discernaient l'esprit
de système -le dogmatisme - et l'esprit systématique -la cohérence - ou
la théorie kantienne dans sa critique de la notion de Système). Mais, pour
le marxisme, ce terme fonctionne tout autrement, et selon des régimes tout à
fait différents, suivant des places théoriques incomparables, selon que l'on
se réfère au registre du « philosophique », et c'est la critique de toute
ambition de « Système philosophique », ou à celui de l'Economie poli.
tique - et c'est l'usage interne à la théorie, du concept opératoire de
« système social »; on parle ainsi, suivant une terminologie qui ne suit
pas toujours l'écheveau des modes de production, de « système capitaliste»
ou de « système socialiste ».
l / Le premier usage d'abord : que reproche le matérialisme histo·
rique à la figure du Système? Le Système, incarnant le besoin de sur-
monter toutes les contradictions, les supprime « idéalement» et ce faisant
s'offre comme l'architecture fournissant un bénéfice d'idéalités maximum,
en lieu ct place des contradictions réelles. A ce titre, il fonctionne comme
une machine à soumettre le réel à la voix impérative de la Nécessité, à en
dissoudre le tranchant en faveur de l'ordre établi. Marx et Engels n'ont
cessé cIe critiquer le Mythe du Système dont la ténacité est à la base de tous
les discours philosophiques, « labyrinthe de systèmes ». Par là l'exigence
du Système est indissociable de l'acte d'interpréter le monde sans le
transformer. Mais, plus encore, le marxisme s'est opposé historiquement
à cc que l'on désignait comme le Système à l'époque, la philosophie de
Hegel. On entend ici par Système, un discours qui a pour étrangeté
d'englober toute thèse philosophique, toute prise de parti présente, passée,
ou à venir, comme un de ses rouages propres. Il convient ici de bien
discerner le Système des autres systèmes philosophiques. Celui-ci tient toute
sa puissance de sa reconnaissance de la contradiction interne. Et son
infaillibilité se résume au traitement qu'il opère des thèses externes: la
forme de ce Système n'est plus le rejet ou la forclusion, mais l'incorporation
prévoyante qui, au moment même où il assigne une place, un rang à telle
ou telle thèse, se la résorbe, la subsume et la relève en se l'appropriant,
c'est-à-dire très exactement en lui dérobant son appropriation même. Si la
taille des autres systèmes est visible, ouverte, celle-ci tient ici à l'infaillibilité
Ill~me du Système. C'est pourquoi chez Engels (LF) comme chez Lénine (cp),
on oppose à l'intérieur même du corpus hégélien, le Système (idéaliste)
1125 SYSTEME
; , ; ~, 1 1 \; l' tJ ., ~ ,~ '. l " ',' ~ , '~;';'1i :J;:,/ i!ltll'/ '~,~q liJq tlj~':'J 'll;;}:r;:; j :1)
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Technique
AI : Technik. - An : Technique. - R : T.Im/ka.
Téléologie
AI : T'''''IiIti'' - An : T,"""'V. - R : T,,..,"',Vo.
1 1 Le terme, forgé par un disciple de Leibniz, Chr. Wolff, semble bien
étranger à tout matérialisme (Engels, DN, 33; MEW, 20, 315) : si l'affir-
mation de l'existence d'une téléologie n'implique pas nécessairement
qu'il n'y ait qu'une cause finale, transcendante par rapport aux procès
naturels, une divinité, en somme (Feuerbach, résumé par Lénine, O.,
38, 69), elle suppose, à tout le moins, qu'il faille superposer à l'ordre de la
légalité naturelle celui des causes finales qui lui donne son sens dernier et
qui l'unifie (Leibniz, Lénine cite un jugement de Hegel à ce propos,
O., 38, 136). Le mouvement de la connaissance au XlXe siècle, dont participe
l'œuvre de Marx et d'Engels, semble devoir faire disparaître sans retour
une telle notion. Les travaux de Darwin ont joué, ici, un rôle essentiel
(Engels à Marx, I l ou 12 déc. 1859, ultres sc. nat., 19; Marx à F. Lassalle,
16 janv. 1861, ultres sc. nat., 21) : l'adaptation d'un organisme peut
s'expliquer sans référence à une fin naturelle (ou une fin de la nature).
En un mot, l'histoire de la nature élimine les vieilles représentations,
remontant au moins à Aristote, d'une nature comme accomplissement
- même inconscient - d'un but, comme procès d'actualisation d'une
forme qui constituerait, en même temps, la cause finale (représentation
que Hegel reprenait pleinement à son compte, Phénoménologie... , Préf., Il,
cf. Lénine citant Hegel, O., 38, 269).
2 1 Or, pour Marx, l'histoire est assimilable à un procès d'histoire
naturelle (K., ES, 1, 1, 20; MEW, 23, 16 : Marx fait, ici, usage du verbe
auffassen, concevoir, comprendre). L'histoire n'est plus, en quelque manière
que ce soit, le procès d'actuation d'une forme, d'une idée (avec un petit
ou un grand i) : à cela s'oppose une conception matérialiste de l'histoire,
nécessairement a-, voire anti-théologique (LV, éd. bilingue, 92-93). Mais les
hommes qui font l'histoire ont bien une certaine conscience de cette
histoire (LV, éd. bilingue, 94-95), bien plus, leur pratique productive ne
va pas sans une représentation d'un but : « Mais ce qui distingue dès
l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a
construit la cellule dans sa tête avant de la contruire dans la ruche. Le
résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination
du travailleur» (K., 1, 1, 181; MEW, 23, 193).
3 1 Deux points paraissent acquis:
- En tant que matérialistes, Marx et Engels font leur la traditionnelle
critique matérialiste de la téléologie (toujours liée à une théologie).
- Mais la causalité mécanique, telle que la science moderne de la
nature l'a dégagée depuis le XVIIe siècle, ne suffit pas pour dissoudre l'antique
figure de la téléologie (DN, 33, 20g : Engels relève, ici, une confusion de
Haeckel, MEW, 20, 478-479). Cela dit, l'on n'a pas à confronter la logique
des procès historiques à ce qui n'est qu'une détermination historique de la
conception théorique des procès naturels.
Il n'est donc pas superflu de comparer le savoir positif à la massive
téléologie hégélienne pour laquelle il n'est rien qui échappe au concept,
sinon l'accident, d'autant plus que la notion de finalité interne (chez Kant,
puis chez Hegel) est une « protestation contre le dualisme» (DN, 210;
MEW, 20, 479), contre un vitalisme qui croit s'opposer au mécanisme
conçu comme un monisme, d'autant plus que « chez Hegel déjà, l'oppo-
TÉUOLOGIE 1132
sition entre causa e.fJiciens et causa finalis est levée dans l'action réciproque»
(DN, 247; MEW, 20, 509).
'1 1Bien qu'il n'y ait ni enchaînement téléologique des divers modes
de production ni fin de l'histoire, il semble que, dans le mode de pro-
duction capitaliste (mais n'est-ce qu'un exemple ?), les lois tendancielles
se fraient un chemin non pas malgré, mais « à travers» les hasards (LF,
éd. bilingue, 94-95; Engels à Joseph Bloch, 21 sept. 1890, LF, éd. bilingue,
154-155). De plus, l'activité des hommes est une activité finalisée et cette
finalité n'est pas rien même si « les fins de l'homme sont engendrées par le
monde objectif et le supposent» (Unine, O., 38, 179). Lénine poursuit:
« Mais il semble à l'homme que ses fins sont prises en dehors du monde,
sont indépendantes du monde (<< liberté ») » (ibid.). La finalité n'est donc
pas qu'illusion anthropomorphique (Spinoza, Ethique, app. du livre 1) ;
«N.B. - Liberté = subjectivité (<< ou bien ») but, conscience, aspiration»
(Lénine, O., 38, 154). La question revient de savoir comment « les buts
particuliers dans l'histoire créent« l'idée» (la loi de l'histoire) » (ibid., 263)'
5 1Trois problèmes demeurent ouverts ;
- La nature des « lois tendancielles» ; qu'est-ce qu'une tendance
qui ne soit pas la finalité interne que découvre le jugement téléologique
(Kant, Critique de la faculté de juger) ? En un mot, y a-t-il, chez Marx, des
relents d'organicisme dans le modèle de causalité du tout social (certaines
critiques de L. Althusser semblent aller dans ce sens) ?
- La nature du « moment subjectif» : comment les hommes peu-
vent-ils se proposer des fins, voire le projet d'une édification consciente
d'une société non capitaliste, sans pour autant échapper à la nécessité
(sinon en la maîtrisant progressivement) ?
- Les apports des sciences de la nature (physico-chiInie, biologie),
voire des modèles cybernétiques pour une analyse actuelle de ce que la
métaphysique de la téléologie recouvrait (ainsi, la notion de téléonomie) .
• BmLIOGRAPHIE. - 1 1Ch. DARWIN, Alltobiographie, L'origine des esplees... (1859). « La
question essentielle est, ici, de déterminer les « limites de la compréheDllion par Marx et
Engels de la théorie darwinienne» (D. LECOURT, Marx au crible de Darwin, De Darwin
au darwinisme: science et idiologie, Paris, Vrin, 1983, p. 232). »
3 1 Ajouter aux textes cités des ouvrages qu'ont lus Marx, Engels, Unine (et quelques
autres) : KANT, Critique de lafaculti tiejuger, 2" partie, § 61 et s.; HEOEL, Science de la logique,
UV. III, 2' section, chap. III : « La téléologie ».
5 1 Par exemple, L. ALTHUSSER, Pour Marx: Sur la dialectique matérialiste, Lire Le
Capital, 1, §§ 4 et 5. Positions différentes: J. D'HoNDT, L'idlologie de la rupture, 1978 (qui
traduit, significaLivement, ursprüngliche Aklcumulation par accumulation originaire); S. MER-
ClER·JOSA, Pour lire Hegel el Marx, 1980 (par exemple, p. 103 et s.); L. SÈVE, Une inlroduction
à la philosophie nuuxiste, 1980 (en particulier, p. 206 et s., l'auteur voit, avec Darwin et Marx,
l'émergence d'une « conception matérialiste, non téléologique de la finalité naturelle et
historique», 211, mais aussi 218 et s., 228 et s.).
Des lectures en biologie (par ex~.mple, J. MONOD, Le hasard et la nlcessiti, chap. l, à
propos de la téléonomie; F. JACOB, La logique du vivant, introduction), voire en physique
ou en cybernétique (par exemple, L. von BERTALANFFY, Thiane ginirale tIes systèmes, trad.
franç., 1973) sont nécessaires pour préciser les enjeux actuels d'une analyse, par exemple,
de l'action réciproque.
~ CoRRtLATS. - Action réciproque, Dialectique, Hégélianisme, Histoire, Lois, Science,
Spinozisme.
J..P. C.
1133 TENDANCES (DROIT DE)
Temps de travail
AI : Ad,.ils..il. - An : W.rki.g liml, dorali•• qf work (parfois). - R : Vrrmj. lrodo.
Voir: Surtravail.
Terrorisme
Al : T,"orismus. - An : Terro,ism. - R : T,"onrm.
Théorie
Al: T1IIori,. - An : ~. - R : T..rijG.
« fusion» avec la pratique? N'a-t-elle pas pour effet d'effacer des formes
de la pensée théorique tout ce qui donne à celle-ci une consistance propre,
en les rattachant purement et simplement aux conditions pragmatiques
d'un usage? N'y a-t-il pas alors, au-delà du renversement de l'illusion
spéculative, déclin de la théorie, soumise au primat d'une base matérielle,
subordonnée à des conditions qui ne sont pas d'emblée théoriques? Comme
nous allons le voir, Marx s'est posé ces questions, surtout dans les années
qui, après 1850, correspondent au travail de préparation du Capital, ce
qui l'a amené, sans remettre en question le principe fondamental de l'unité
entre la théorie et la pratique, à rectifier son concept primordial de la
théorie comme émanation de la pratique.
2 1 La spécificité du moment théorique. - Marx et Engels affirment cette
spécificité d'un point de vue qui est d'abord purement gnoséologique, dès
lors qu'ils soumettent la nature et l'histoire à une investigation de caractère
scientifique, qui va coïncider pour eux avec un renouveau de l'intérêt
qu'ils portent à la dialectique hégélienne. Il apparaît alors que la pensée
théorique relève de « lois », de formes d'exercice qui lui sont propres et qui
peuvent être isolées. C'est le travail d'Engels sur les sciences de la nature
qui fait surtout apparaître la nécessité d'une telle élaboration théorique, à
l'opposé du pragmatisme et de l'empirisme des matérialistes vulgaires, qui
prétendent dégager la connaissance de la réalité du mouvement des « faits»
par une déduction mécanique faisant l'économie de la « synthèse
dialectique ».
Contre le mépris de la théorie, Engels affirme la nécessité d'une étude
des « lois de la pensée» et de leur histoire: « La science de la nature se
transporte dans le domaine de la théorie et ici les méthodes empiriques
échouent, la pensée théorique peut seule servir. Mais la pensée théorique
n'est une qualité innée que par l'aptitude qu'on y a. Cette aptitude doit
être développée, cultivée, et pour cette culture il n'y a pas jusqu'ici d'autre
moyen que l'étude de la philosophie du passé» (ancienne préface à AD,
in DN). Ainsi, certes, la validité de la pensée théorique ne peut être établie
a priori: elle est seulement un « résultat », la conséquence de ce processus
social qu'est l'appropriation cognitive de la réalité dans son ensemble,
nature et histoire: mais cet effet peut faire l'objet d'une assimilation spéci-
fique, sans quoi ce processus risque d'être interrompu ou retardé. Engels
se propose alors de tirer toutes les conséquences du travail scientifique de
Marx, qui l'avait porté très au-delà de l'empirisme encore insistant des
Thèses sur Feuerbach et de L'idéologie allemande : à la fois reconnaissance
d'une « méthode» théorique propre à l'économie politique et nécessité pour
la critique de l'économie politique de se développer à partir des formes
« scientifiques» déjà élaborées par Smith ou Ricardo. C'est cette double
reconnaissance qui conduit Engels, non seulement à entreprendre une
exposition systématique du matérialisme historique comme « théorie
générale », mais à isoler sous le nom de « dialectique matérialiste », au
moins pour les besoins de l'exposition, l'élément de pensée théorique
commun à la science de Marx et aux autres sciences. Ce résultat, dans le
principe, conserve l'idée fondamentale d'un primat de la pratique tout en
rendant à la théorie sa nécessité propre. Il reste cependant problématique.
On ne peut parler, à cette occasion, d'un simple « retour à la théorie ».
Car il est clair que l'insistance avec laquelle Marx et Engels reviennent
1145 THÉORIE
revient sans cesse, le résultat d'une « lutte ». Cctte lutte, qui se déroule
sur le terrain de la pratique sociale, dépend de conditions objectives,
qui revêtent des formes diversifiées, inégales, et elles-mêmes conflictuelles :
lutte pour la production, lutte des classes, expérimentation créatrice, c'est·à-
dire, pour reprendre la distinction déjà introduite par Engels dans sa préface
à La guerre des paysans, lutte économique, lutte politique et lutte idéologique.
D'autre part, la question du développement des connaissances, au cours
duquel se fonnent les idées justes, comporte indissolublement un autre
aspect: d'où viennent les idées qui ne sont pas justes? Or c'est sur le
même terrain de la pratique sociale et des trois luttes dont elle est le siège
que se produisent, en même temps que les idées justes, dans le même
mouvement celles qui ne le sont pas. Enfin, il ne suffit pas de savoir d'où
viennent idées justes et injustes, encore faut-il savoir « où elles vont» :
paradoxalement, ces idées ne vont nulle part ailleurs que d'où elles
viennent, puisqu'elles ne cessent d'être confrontées aux conditions maté-
rielles qui les ont produites, et qui exigent aussi leur incessante transfor-
mation. Les idées justes, et injustes, ne « sortent» jamais de l'élément de la
pratique sociale qui définit à la fois leurs conditions de possibilité et leurs
critères de validité.
La conception maoïste de la théorie comme lutte s'est retournée contre
elle-même dans la mesure où, dans les années qui ont suivi la révolution
culturelle, elle s'est transformée en une conception dogmatique du savoir
révolutionnaire, confusément partagé entre l'initiative du sage et la
passion des masses. Mais ce retournement n'est paradoxal qu'en appa-
rence: dans la mesure où la formule fameuse« Un se divise en deux» doit
aussi s'appliquer à elle-même, il était inévitable que surgisse, à l'intérieur
même de la «juste» conception de J'union de la théorie et de la pratique,
la contradiction .
.... CoRlliLAn. - Connaissance, Conscience, Dialectique, Fusion, Pratique, Science.
Spontan<!/Spontanéisme, Traductibilité.
P. M.
Thèse
AI : T/uJ,. - An : TluJÏJ. - R : TIÛJ.
Titisme
AI : Ti",ismus. - An : Titois... - R : Ti",izm.
la guerre froide (guerre froide qui éclate en 1947, mais qui est latente
durant la Grande Alliance des temps de guerre). Conflit classique - entre
une grande puissance et un petit pays; coriflit idéologique - deux lectures
du léninisme en tant que fondement de système politique; coriflit de
personnes - l'affrontement entre Staline et Tito devait engendrer la pre-
mière brèche de l'après-guerre dans le monolithisme forgé par la Ille Inter-
nationale au sein du mouvement communiste.
Les difficultés faites par les Yougoslaves lors des négociations pour
l'implantation des sociétés mixtes en Yougoslavie et leurs réticences face à
la collaboration avec les conseillers soviétiques, ainsi que le rôle de plus
en plus affirmé que Tito comptait jouer dans le mouvement communiste,
surtout dans le Sud-Est européen, constituent les signes précurseurs du
titisme dans sa phase potentielle. Un « modèle» de voie spécifique, de
traIlSition au socialisme, une conception différente du projet de fédération
balkanique, une mise en cause de la solidarité prosoviétique et de la
hiérarchie communiste en Europe de l'Est, sont les principaux enjeux de
crise qui marquent le conflit soviéto-yougoslave, conflit qui aboutira à
l'exclusion du PCY du Kominform (juin 1948) et à l'éclosion du titisme,
surtout à partir de 1952.
Du fait de l'intervention du Kominform dans un conflit initialement
étatique, la querelle s'internationalise, s'étendant à tout le communisme
mondial. Et comme la toile de fond du conflit est la guerre froide, le
titisme, perçu comme une troisième voie, est banni, avant même de
s'accomplir, par un monde bipolaire et manichéen. L'inconditionnalité
des partis communistes dans l'affaire yougoslave s'explique essentiellement
par la division en deux camps du monde de l'après-guerre. Le prestige
de l'URSS, renforcé par les victoires de l'Armée Rouge, le charisme
mondial dont bénéficie Staline, la croisade anti-communiste lancée par la
doctrine Truman font que, dans un réflexe d'autodéfense et de repli
sur eux-mêmes, les PC sont solidaires des Soviétiques. L'escalade de
la guerre froide commande l'escalade du conflit avec Tito qui domine le
mouvement communiste jusqu'à la fin de l'ère stalinienne. Nier le rôle
de l'armée soviétique dans la libération de la Yougoslavie, nier le rôle
de l'URSS dans l'instauration du régime de démocratie populaire et surtout
croire qu'on pourra construire le socialisme sans l'aide de la patrie du
socialisme, sont les points clés de la polémique engagée par lc Kominform
(et à travers lui par tous les pc), une fois la rupture consommée.
Blocus économique, pressions politiques, boycottage idéologique sont les
conséquences immédiates qu'aura à subir la Yougoslavie durant cette
période. Du « groupe Tito », on arrive à « la bande fasciste de
Tito» en passant par la « clique Tito ». Le rapport de Gheorghiu-Dej,
« Le Parti communiste yougoslave au pouvoir des assassins et des
espions », tenu à la troisième grande réunion du Kominform en
novembre 1949, marque le point culminant de cette escalade. Ce rapport
devient le document idéologique qui tente de légitimer la « chasse aux
sorcières » et la vague de procès qui déferlèrent dans les démocraties
populaires au nom de la lutte contre le titisme. Il faudra attendre le
voyage de Khrouchtchev à Belgrade, en mai 1955, pour que la page soit
tournée et la réconciliation faite. La Yougoslavie ne rejoindra pas pour
autant le « camp socialiste ». Quant à l'amende honorable des Soviétiques,
elle restera discrète, puisque la très officielle Histoire du PCUS, postérieure
1153 TITISME
Toistoïsme
AI : TouloismUJ. - An : Toutoism. - R : TouloN/DO.
P. M.
Totalitarisme
AI : Tol./iI.,ismus. - An : TotaJil.rw.um. - R : Tol.li/.rw..
Ce terme que les politologues ont fait passer dans la langue courante,
pour désigner la réalité de systèmes politiques, où l'Etat exercerait une
domination sans partage sur l'ensemble du corps social, appartient à l'ordre
des fausses évidences et ses connotations, dès qu'on tente de le cerner, se
révèlent des plus incertaines.
Le premier usage du mot remonte au fascisme italien. 11 affirme le
caractère absolu de l'Etat, dont J'existence ne laisse aucune place à celle
des individus. C'est en ce sens que Mussolini et Gentile parlent de
Stato totalitario. Avec le nazisme prévaut l'expression d'Etat total (Ernst
Jünger) qui sera opposée à la fois au libéralisme et au marxisme.
Dans le contexte de « guerre froide » des années 50, le totalitarisme
sera présenté comme le commun dénominateur du nazisme et du com-
munisme. Cette assimilation polémique se réduira progressivement, par
la suite, quand on croira écartée la menace de régimes de type hitlérien,
à ne désigner plus que le seul Etat soviétique et ses « satellites ».
L'antithèse passe alors entre « pays démocratiques» «(
J'Occident ») et
« pays totalitaires» (le « bloc de l'Est »). Tel est le sens qui s'est imposé
aujourd'hui, en dépit d'une double série d'objections: a) La difficulté et
même J'échec des tentatives de typologie, autres que descriptives, du
phénomène totalitaire, que l'on retienne ou non la thèse de l'assimilation,
sont désormais reconnus par les spécialistes les moins suspects de laxisme
(H. Spiro, G. Sartori ou R. Aron; voir J'exposé, informé et nuancé, de
F. Châtelet et E. Pisier-Kouchner, apud Les conceptions politiques du XX- siècle,
Paris, PUY, 1981, notamment p. 782 et s.); b) La facilité avec laquelle on
peut retourner J'accusation de totalitarisme contre la démocratie bourgeoise
et l'Etal capitaliste est également patente (cf., par exemple, Mao Zedong:
« Les réactionnaires étrangers qui nous accusent d'exercer la « dictature»
ou le « totalitarisme» sont ceux-là mêmes qui l'exercent. Ils exercent sur
le prolétariat et le reste du peuple la dictature d'une seule classe, le totali-
tarisme d'une seule classe, la bourgeoisie », Œuvres choisies, Pékin, 1962,
t. IV, p. 439; aussi l'analyse de N. Poulantzas, apud Pouvoir politique et
CUzsStS sociaks, Paris, Maspero, 1968, p. 315 et s.).
Totalité
AI : c.uw..i" Tollllil4l. - An : Tolllli/)l. - R : Vuobl600,,'.
Trade-unionisme
AI : T,oJ.-U...imws. - An : T,"'...""~. - R : T,Iti-jun;"..izm.
P. s.
1159 TRADITIONS
Traditions
Al : T,tJdilionm. - An : T,aditimu. - R : T,adi,ii.
Traductibilité
Al : OlHr"u.barUil. - An : TrlJ1lSl.WJili17. - R : Pm_imos".
Notion proposée par Gramsci dans ses Cahiers de prison, à partir d'une
réflexion générale sur la Traducibilitâ dei linguaggi scientifici e filosofici (la
« traductibilité des langages scientifiques et philosophiques »), à laquelle
correspond un double niveau de réflexion :
1 0 Elle introduit l'énoncé général d'un critère méthodologique d'enquête
historique;
2° Elle est lc signe expressif de l'unité organique des « parties» consti·
tuantes du marxisme: l'économie, la philosophie, la politique.
Aux deux niveaux, la notion a le même sens de « traduction réci·
proque », mais la portée en est différente, car si elle souligne dans le
premier cas la validité du marxisme comme science de l'histoire, dans le
second cas elle permet de saisir la notion de totalité définissant le
marxisme comme « conception du monde ». Enfin, unissant les deux
niveaux dans la même notion, elle récuse toute coupure entre une théorie
de l'histoire (le « matérialisme historique »,) d'une part, et une philosophie
(le « matérialisme dialectique Il), d'autre part, proposant au contraire la
dénomination de « philosophie de la praxis» qui englobe ces deux instances
et souligne le lien privilégié, dans le marxisme, entre théorie et pratique.
Que signifie donc la notion de « traductibilité » ou traduction réci-
proque de langages spécifiquement différents, puisqu'il s'agit de langages
politique, philosophique et économique? L'élaboration du critère de
validité de la notion, correspondant au premier niveau de réflexion (1 0), se
fait en deux temps: son énoncé proprement dit et l'énoncé d'un point
limite ou problématique:
- L'énoncé du critère de traductibilité est la conclusion d'une réflexion
prenant appui sur le passage de La Sainte Famille (MEW, 2, 40-4t, trad. ES,
50), où Marx affirme que « le langage politique français de Proudhon
correspond et peut être traduit dans le langage de la philosophie classique
allemande », passage que Gramsci commente ainsi: « Comme deux scien-
tifiques formés sur le terrain d'une même culture fondamentale croient sou-
tenir des « vérités » différentes seulement parce qu'ils emploient un
langage scientifique différent, ainsi deux cultures nationales, expressions
de civilisations (civiltà) fondamentalement semblables, croient être diffé-
rentes, opposées, antagonistes, l'une supérieure à l'autre, parce qu'elles
emploient des langages de traditions différentes : le langage politico-
juridique en France, le langage philosophique, doctrinaire en Allemagne.
Pour l'historien en réalité, ces civiltà sont traduisibles réciproquement,
réductibles J'une à l'autre» (Afaterialismo Storico, Einaudi, p. 64, trad. apud
Gr. ds le texte, 'ES, 23t-232).
1161 TRADUCTJ81LITÉ
Transformation
(des valeurs en prix de production)
AI : V...-wIIvIv. Tr""tfonuli.... - An : T~. - R : P,IOIw..-it.
L'état actuel du débat. - Face à ces résultats, une partie des marxistes
(C. Benetti, J. Cartelier) s'est résignée à ne plus chercher de rapport entre
valeur et prix de production, une autre a rejeté, au nom de critiques pas
toujours pertinentes, la solution Seton-Morishima (P. Salama, D. Yaffé)
sans proposer de solution plus convaincante, et en détournant l'attention
vers le troisième problème (comment s'égalisent les taux de profit).
On peut montrer cependant:
- Que dans la solution Morishima elle-même tous les paradoxes dispa-
raissent dès lors que l'on prend en compte les contraintes de la reproduction.
Ainsi la somme des emplois du profit reste la somme des plus-values, structure
de la production et structure de la consommation ouvrière sont liées, etc.
Par ailleurs il apparaît que le formalisme mathématique cache des présup-
posés logiques qui impliquent la théorie marxiste de la valeur et de
l'exploi tation.
- Qu'une autre solution (indiquée par G. Duménil) est possible, à
condition que l'on veuille bien considérer la valeur de la force de travail,
non comme la valeur d'un panier précis de marchandises, mais directement
comme une fraction de la valeur créée. Cette nouvelle solution rétablit à
la lettre les conclusions de Marx.
Ainsi. le problème apparemment technique ramène à un problème
plus fondamental: qu'est-ce que la « valeur de la force de travail»?
Comment se détermine-t-elle ?
• BIBLIOGRAPHIE. - De Ricardo à Marx: G. DOSTALER, Marx, la .'aleut el l'lcoMmÎe poli.
tique, Paris, Anthropos, 1978. - De Marx à \'on Bortkiewicz : G. DO....ALER. Valeur el
prix. Histoire d'W1 débal, PUG-PU~, Montréal, Maspero. 1978; 1. ROU81NE, Essais sur la lhiorie
de la valeur th K. J.farx, Paris, Maspero, 1977. - De \'on Bortkiewicz à la solution Seton-
Morislùma : P. SAMUELSON, Understanding the Marxis! Notion of Exploitation. Journal
of EcoMmù: Literalure, juin 1971, traduit dans G. ABRAHAM.FROIS et E. BERREBI, ProbU·
1165 TRANSITION
Transformisme
Al : Entwick/rmgsI,h", - An : Transjormism. - R : Tratu!ormÎlm.
Transition
Al : ~. - An : T,tlIISiIi.... - R : P"rNrrI.
fait partie des masses d'hommes et de femmes que le processus dit d'accumu-
lation primitive du capital a séparés de leurs anciennes conditions féodales
d'existence et subordonnés d'avance à ceux qui possèdent les moyens de
production et le capital.
L'analyse du processus de transition devrait commencer par l'analyse
des conditions et des formes de dissolution des rapports de production
féodaux, qui mènent à la séparation entre producteurs et conditions maté-
rieHes et sociales de production. Mener à fond cette analyse implique
d'écrire la théorie de l'évolution du mode de production féodal. Marx s'est
contenté de partir de la structure du MPC pour remonter dans le passé et
esquisser rapidement la généalogie des éléments que combine cette struc-
ture, qui sont au nombre de quatre: 1) Le mode de production capitaliste
est la forme la plus développée de la production marchande; 2) Production
qui repose sur la propriété privée des moyens de production et de l'argent;
3) Ceux-ci fonctionnent comme capital, c'est-à-dire sont utilisés pour
produire de la plus-value qui se présente comme le but et le moteur
immanent de cette forme de production; 4) Cette mise en valeur du capital
se réalise par l'exploitation de travailleurs salariés, libres de leur personne
mais dépourvus de moyens de production et de subsistance.
On remarquera qu'aucun de ces quatre éléments n'a commencé à
exister avec le capitalisme, mais la forme capitaliste a commencé à exister
lorsqu'ils se sont combinés. La démarche régressive de Marx ne consiste donc
pas à rechercher l'origine historique de chacun de ces éléments, mais à
découvrir les conditions et les raisons de leur combinaison en un rapport
nouveau apparu au sein de la société féodale, et par suite de son développe-
ment interne, caractérisé dès le XIVe siècle par l'expansion de la production
marchande sur la base m~me des rapports de production féodaux. C'est cette
expansion qui a poussé les artisans à devenir eux-mêmes marchands et les
marchands à organiser la production artisanale, donc qui ont poussé les
uns et les autres à s'opposer aux règlements des corporations et des guildes
auxqueHes ils appartenaient, c'est-à-dire à surmonter ou à abolir les limites
que faisaient peser les rapports féodaux sur le développement de la
production marchande.
TI faut souligner que cette démarche régressive ne remonte jamais dans
le passé que d'une façon limitée. Elle y cherche seulement la généalogie
des rapports capitalistes au sein des anciens rapports féodaux alors que
ceux-ci se sont décomposés en plusieurs formes de production, dont la
forme capitaliste n'est qu'une variété particulière.
Dans d'autres textes, Marx adopte au contraire une démarche que l'on
peut qualifier de progressive: il montre que le rapport de production féodal
dans l'agriculture se décompose dans plusieurs directions. Soit il est aboli
par rachat des rentes par les paysans ou par victoire de leurs luttes et il
est remplacé par le mode de production parcellaire, de paysans propriétaires
et travailleurs. Soit la rente foncière en argent évolue vers des formes
diverses de métayage et de fermage non capitalistes, que Marx appelle des
formes hybrides, des rapports de production intermédiaires (:(wischm-
formm) entre deux modes de production, soit elle évolue vers le fermage
capitaliste, c'est-à-dire un rapport de production au sein duquel la terre
reste propriété de l'ancien propriétaire féodal, mais est débarrassée des
servitudes attachées à ce rapport et est devenue une simple réalité écono-
mique, sans les attributs politiques et sociaux de l'ancienne propriété
TRANSIT/ON 1168
Transition socialiste
Al : Sozia[jJti,dl4' Obtrga,g. - An : SodaliJt t,a",ition. - R : Pemltod k ,ocia/ian••
B. T.
TRAVAIL 1176
Travail
AI : Arbtil. - An : LobOUT, W.rk. - R : T rud ou rab.'a.
même, qui est mesure interne de la valeur, parce qu'il est substance de la
valeur. C'est dire que s'il désigne le travail abstrait comme principe
d'homogénéisation du champ économique, permettant d'introduire le
calcul, la problématique qu'il ouvre échappe à l'économisme du fait
qu'il décrypte d'emblée le travail comme un rapport social chargé de
contradictions. La catégorie de « dépense de la force de travail» appelle,
nous semble-toi!, celle de « consommation» de la force de travail par le
capitaliste (K., ES, l, l, 178; ibid., 189). C'est pourquoi du reste, à la diffé-
rence de ce qui se passe dans le système ricardien, l'analyse de la relation
salariale comme rapport de domination appartient ici à l'exposé de la
théorie comme l'un de ses moments nécessaires (K., ES, 1, 1, 186-187; ibid.,
190 et s.).
Le procès de travail. - La section III du livre 1 s'ouvre par une longue
analyse du procès de travail en général, dont les éléments sont les suivants :
« I. Activité personnelle de l'homme, ou travail proprement dit; 2. Objet
sur lequel le travail agit; 3. Moyen par lequel il agit» (K., ES, 1, l, 181;
ibid., 193); et dont la finalité est l'obtention d'une valeur d'usage propre à
la consommation ou à la production. Le travail est ainsi défini comme un
procès de consommation productive par lequel l'homme approprie la
nature à ses besoins grâce à des moyens eux.mêmes fabriqués, le « travail
vivant» (K., ES, l, l, 185; ibid., 197 et s.) s'exerçant ainsi sur le travail
mort. L'intérêt de cette analyse tient surtout à ce qu'elle manifeste la diffé-
rence entre le concept de travail ou de production en général (production de
valeurs d'usage) et celui de production capitaliste (production de plus-value),
laquelle doit être conçue en termes de mode de production, c'est-à-dire
avec les déterminations sociales qui lui appartiennent : propriété des
moyens de production et direction du procès par le propriétaire. Le
premier concept ne fait qu'énoncer les conditions matérielles de toute vie
humaine. Le second est un concept du matérialisme historique ; il permet
de concevoir les conditions dans lesquelles se développe une société
déterminée. Dans le mode de production capitaliste précisément, dont la
logique est l'accumulation de la plus-value, le « travail productif» se
trouve défini comme celui qui produit de la plus-value. Il acquiert ainsi
une finalité, distincte de celle du travail en général, que manifestent les
développements propres au capitalisme.
Le travailleur collectif. - La section IV fournit ces éléments d'une socio-
logie historique du travail, notamment à travers le concept de t1 availleur
collectif (Gesamtarbeiter) qui désigne, aux divers stades (manufacture, grande
industrie...), les modes de division, d'organisation et de hiérarchisation
du travail dans l'entreprise ainsi que les caractères que le système tend à
conferer aux diverses couches de travailleurs.
Ajoutons que l'ensemble de l'analyse de Marx est dominé par le
clivage entre travail privé, où, les moyens de production étant la propriété
d'un individu (le travailleur lui-même ou le capitaliste), le produit l'est
aussi et ne devient social que par la médiation de l'échange - système qui
conduit à la transformation de la force de travail en marchandise et à toutes
les contradictions du capitalisme - , et le travail immédiatement social
fondé sur la propriété collective des moyens de production, qui doit
permettre d'ordonner le travail vers la satisfaction des besoins individuels
et collectifs.
1179 TRAVAILLISME
• BIBLIOORAPHIE. - M 44, 55-78 (Erg., l, +71-529); Nolts SII1' J. Mill, in PI~iade,Il, 23-2+
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J. B.
Travaillisme
AI : LobourbtwtglDlg. - An : Lobourism. - R : LojboriiUll.
Troc
AI : Unmill,/60rtr TausciJImuiti. - An : Bo,t", - R : To...,o 06mm,
Trotskisme
Al : T,olJkiz:mw. - An : T,olskyism. - R : Trotskiz'm.
Le trotskisme est avant tout une notion politique utilisée: ,) Avant '9'7
pour caractériser la position originale de Trotski dans le POSDR (( hors
fractions »); 2) A partir de '923, dans le lexique stalinien, comme para-
digme de toutes les oppositions de gauche dans le mouvement communiste
ct en URSS; et 3) Pour désigner, à partir de '938, l'ensemble des grou-
puscules et courants politiques qui se réclament de la pensée de Trotski
et de la IVe Internationale.
Au plan intellectuel, l'œuvre de Trotski ne constitue pas une doctrine
théorique proprement dite au sein du marxisme mais, plus précisément, un
ensemble de propositions visant à élaborer une stratégie révolutionnaire
cohérente à l'échelle mondiale ainsi qu'un témoignage historique critique
de grande valeur sur la Révolution d'Octobre, le stalinisme et le fascisme.
C'est du reste à cette tradition historiographique que se sont consacrés
les meilleurs des intellectuels trotskistes après Trotski.
1 1La politique. - Si l'on excepte la période '9'7-1924 pendant laquelle
Trotski forme avec Boukharine et Lénine le véritable sommet intellectuel
et politique du groupe dirigeant de la révolution (à Trotski étant dévolues
plus particulièrement l'organisation et la direction de l'Armée Rouge), le
trotskisme politique peut se définir globalement comme une gauche mino-
ritaire du parti ou du mouvement ouvrier appelant inlassablement à
l'unité de ce dernier.
Telle est en effet la position de Trotski avant '9'7 dans le POSDR :
il se situe « hors fraction» et mène son action politique à travers la presse
révolutionnaire (il fonde la première Pravda, '908). Quoique très provi-
soirement rallié aux mencheviks en '9' 0-'9' 1, Trotski ne cesse de
dénoncer leur tendance au compromis avec la bourgeoisie. Il n'accepte pas
pour autant de se rallier à Lénine, malgré la très grande proximité de
TROTSKISME 1182
leurs analyses, parce qu'il lui reproche son hypercentralisme dans l'orga.
nisation : ici apparaît ce qui sera la deuxi~me grande constante de l'action
politique trotskiste : la lutte pour la démocratie dans le parti. Enfin,
Trotski dénonce le « substitutisme » de Que faire?, c'est-à-dire la conception
léniniste de l'avant-garde du prolétariat où, selon lui, un petit groupe
d'intellectuels parés du nom de « révolutionnaires professionnels » se
substituent au mouvement des masses, Trotski ne nie pas la nécessité
d'un parti révolutionnaire ni d'une direction politique. Mais, contrairement
à Lénine, il ne pense pas que leur rôle soit d'apporter de l'extérieur la
conscience révolutionnaire aux masses, Pour lui, cette conscience naît
dans l'expérience r'volutionnaire (la gr~ve, l'insurrection) et le rôle du parti
est de cristalliser cette dialectique de la conscience et de l'expérience. On
comprend pourquoi Trotski est, d~ 1905, un partisan enthousiaste des
soviets: ils sont, mieux encore que le parti, l'expression de cette dialectique.
La démocratie dans le parti est encore le fil conducteur de la seconde
période du trotskisme politique (1924-1938), celle de la lutte de l'oppo-
sition de gauche d'abord dans le Parti bolchevique puis, après l'exclusion
ct l'exil de Trotski, dans le mouvement communiste international et sur
ses marges. Les divergences entre Trotski et le groupe dirigeant de
l'époque, Staline-Boukharine, ne portent pas seulement sur la démo-
cratie (cf. infra), mais celle-ci sera un enjeu central de la bataille, plantant
en quelque sorte le décor pour les nombreuses autres batailles pour la
démocratie interne à venir dans les partis communistes : l'opposition
réclame la démocratie pour pouvoir se battre politiquement sur ses thèses,
et la direction l'accuse en retour de vouloir porter atteinte à l'unité du
parti, si ce n'est à son existence. Il n'en reste pas moins que Trotski
trouve là l'occasion de dénoncer le premier des vices profonds de l'organi-
sation communiste et de l'Etat soviétique.
Démocratie dans le parti et unité du mouvement ouvrier sont les deux
leitmotive de l'action politique trotskiste. L'unité ne peut se faire qu'avec
la classe ouvrière telle qu'elle existe: il faut donc, pour l'avant-garde révo-
lutionnaire, soit entrer dans les partis communistes révisionnistes soit dans
les partis réformistes pour y faire monter le ferment révolutionnaire
«< entrisme» des années 30 et 50), soit soutenir l'union de ces partis en vue
de l'expérience révolutionnaire à venir où les masses déborderont d'elles-
mêmes leurs directions « traîtres» (stratégie de la IVe Internationale, par
exemple en France de 1973 à 1981 : « Pour un gouvernement pc-ps »).
Dans cc cadre, la lutte pour la démocratie sc verra périodiquement relayée
par les exclusions de trotskistes « entrés », mais aussi tout simplement ali-
mentée par l'histoire réelle des partis communistes.
II 1 La strat/gie. - Le concept central de la réflexion stratégique de
Trotski est celui de r'volution permanente, né d'une réflexion sur l'expérience
révolutionnaire de 1905 (in Bilan et perspectives, 1906). On sait que le
problème commun à tous les marxistes russes de cette époque est de
traduire la « théorie marxiste de l'histoire », c'est-à-dire de la succession
des modes de production, telle qu'elle a été enseignée tant par Kautsky que
par Plekhanov, pour l'adapter à la situation russe, c'est-à-dire à une
société massivement paysanne où le capitalisme, quoique très dynamique,
n'implique qu'une infime partie de la population. Puisque lois de l'histoire
il y a, le passage d'une société semi-féodale à une société communiste
1183 TROTSKISME
Mot forgé par K. Kautsky pour désigner la phase possible d'un déve-
loppement du capitalisme qui verrait se constituer l'union des divers impé-
rialismes. Il écrivait, dans un article de la Neue Zeil, en 1914: « D'un point
de vue économique, il n'est donc pas exclu que le capitalisme connaisse
encore une nouvelle phase, celle du passage de la politique des cartels à la
sphère de la politique étrangère, une phase d'ultra-impérialisme, que
nous devrions évidemment combattre avec autant d'énergie que l'impé-
rialisme, bien qu'elle ne se caractérise plus par le danger d'un réarmement
mondial et d'une menace contre la paix mondiale ». Et, en 1915: « ... la
politique impérialiste actuelle ne peut-elle pas être supplantée par une
politique nouvelle, ultra-impérialiste, qui substituerait à la lutte entre les
capitaux financiers nationaux l'exploitation de l'univers en commun
par le capital financier uni à l'échelle internationale? Cette nouvelle phase
du capitalisme est en tout cas concevable ». Kautsky suggérait même de
lancer le mot d'ordre: « Capitalistes du monde entier unissez-vous! »
Lénine, à plusieurs reprises fera une critique féroce de la thèse de Kautsky.
Il admet, avec1ui, comme probable l'évolution vers« un seul trust mondial»
(o., 22, 114), et il rappelle que Hobson, en 1902, évoquait déjà « l'inter-
impérialisme » (ibid., 317). Mais c'est démobiliser les révolutionnaires au
nom d'un r~e, dont les conditions sont loin d'être réunies. « Si la
critique théorique - écrit-il dans L'impérialisme - de l'impérialisme par
Kautsky n'a rien de commun avec le marxisme, si c1le ne peut que servir de
marche-pied à la propagande de la paix et de l'unité avec les opportunistes
et les social-chauvins, c'est parce qu'elle élude ct estompe justement les
contradictions les plus profondes, les plus fondamentales de l'impéria-
lisme : contradiction entre les monopoles et la libre concurrence qui
s'exerce à côté d'eux, celle entre les formidabies « opérations » (ct les
formidables profits) du capital financier el le commerce « honnête » sur
le marché libre, celle entre les cartels et les trusts, d'une part, et l'industrie
non cartellisée, d'autre part, etc. » (ibid., 316) .
• BIDUOORAPlilE. - R. Hn.FERDISG, u çapil4lfin_in, Paris, '97°; L'impirilllimu, Colloque
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Utilité/utilitarisme
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ger»; A. 1hLLER, La lhimû tIu buoÜls tM~ Marx, UDa, 1978, p. 85 et s.
G. L.
1187 UTOPIE
Utopie
AI : Uœpi,. - An : UœpiD. - R : Utopija.
• BlBLlOGRAPItIE. - Branislaw BACZKO, l..umü"s dIS utopies, Paris, PayOl, 197R t Ernst
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Thomas Miin~er, ''''''Iogi.n th la rioo/u/ion (Julliard), Traces (Gallimard), lA plJiJosophi, d, la
Rm.aissanu (PD Payol, nO 241), Droil nalurtl et digniti humai.. (Payot); sur Bloch, A. MONsTER,
Six .nlrelimr av<. E. B. (en allemand), Frankfurt. Suhrkamp, '977, Ulopi., Altssianismus und
Apokal:tps, im FriiJo Wtrk /XIn Emsl BIO&h, même M., 1982; ID., Figures dt /'Ulopü dans la
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UTOPIE 1192
J. B.
Verbindung
Voir: Combinaison.
Vérité
AI : Wan,htil. - An : TruJIr. - R : Praoda.
Vie 1 Vitalisme
Al : ubm, ubmsk,aft/Vitalismus. - An : LiJtJVild/ism. - R : .tim'/Vita/ion.
Ville 1 Campagne
AI :S'_"IL_"". - An : CilylC<nmlrysilÙ. - R : C.'''''Iv"'.IJi-.
La séparation (ou l'opposition) de la ville et de la campagne est
analysée par Marx et Engels comme un effet de la division du travail.
Plus précisément, elle constitue le premier stade de cette division : « La
division du travail à l'intérieur d'une nation entraine d'abord la séparation
du travail industriel et commercial, d'une part, et du travail agricole,
d'autre part; et, de ce fait, la séparation de la ville et de la campagne et
l'opposition de leurs intérêts» (lA, 16 j MEW, 3, 22).
1203 VILLE/CAMPA GNE
tions matérielles (200 et s.). Partant, Engels expose la thèse suivante: une
fonction économique de caractère social produit la violence politique;
celle-là acquiert une certaine autonomie, elle devient de servante maÎ-
tresse; deux types d'action peuvent alors s'ensuivre: ou bien la violence
s'exerce dans le sens de l'évolution économique normale, elle l'accélère,
ou bien elle agit à contresens, elle est tôt ou tard balayée par le dévelop-
pement économique. Dans le premier cas la violence est proprement « révolu-
tionnaire », elle est « l'accoucheuse de toute vieille société qui en porte une
nouvelle dans ses fiancs » ou « l'instrument grâce auquel le mouvementsocial
l'emporte et met en pièces des formes politiques figées et mortes» (ibid.,
214 et s.; 169 et s.). Engels évoque expressément Marx et son analyse de la
« genèse du capitaliste industriel », à l'appui de sa thèse. Marx avait écrit
à propos des « différentes méthodes d'accumulation primitive que l'ère
capitaliste fait éclore » : « Quelques-unes de ces méthodes reposent sur
l'emploi de la force brutale, mais toutes, sans exception, exploitent le
pouvoir de l'Etat, la force concentrée et organisée de la société, afin de
précipiter violemment le passage de l'ordre économique féodal à l'ordre
économique capitaliste ct d'abréger les phases de transition. Et, en effet,
la force est l'accoucheuse de toute vieille société en travail. La force est un
agent économique» (K., l, III, 193; MEW, 23, 779). Engels reprendra encore
ce jugement en t890 : « La violence (c'est-à-dire le pouvoir d'Etat) est,
elle aussi, une force économique!» (Die Gewalt (d.h. die Staatsmacht) ist auch
cine iikonomische Poteru:,' L. à C. Schmidt du 27 oct., MEW, 37, 493).
2 1 Cette thèse appelle un certain nombre de remarques. Elle ne
prend plIS seulement le contre-pied de l'idée reçue, dont Dühring se fait
l'écho, selon laquelle la violence serait le moteur de l'histoire, le monde
bruit et fureur, ou l'agressivité vertu première, et le tout, en tant que « mal
absolu », « péché originel » (AD, cil., 215; il s'agit du jugement de
Dühring encore), représentant la version chrétienne du Polémos héra-
clitéen. En ce qu'elle répudie les affirmations rousseauistes et proudho-
niennes concernant l'origine de la propriété, elle semble manifester une
évolution dans la pensée de Marx et Engels eux-mêmes. N'avaient-ils pas
approuvé et Rousseau et Proudhon (SI', chap. IV)? Ne s'étaient-ils pas,
au sein de la « Société universelle des communistes révolutionnaires »,
associés aux blanquistes, ces farouches partisans du coup de main?
N'avaient-ils pas conclu Le Manifute par le fameux appel « au renverse-
ment violent (durch dm gewaltramm Umstur.:) de tout le régime social du
passé »? Engels lui-même, quelques années auparavant, n'avait-il pas
achevé sa Situation de la classe laborieuse en Angleterre sur l'évocation du mot
d'ordre prolétarien « Guerre aux palais, paix aux chaumières »? Il est
certain que Marx et Engels éprouvèrent, dans leur jeunesse particulière-
ment, plus que de la sympathie pour ce genre de perspectives, mais ils n'en
firent jamais la panacée de la transformation sociale. L'observation des
expériences, et des échecs, des révolutions de 1848 jusqu'à la Commune de
Paris et, davantage encore, l'établissement du diagnostic de la société bour-
geoise, qui se donnait, en matière de violence également, comme un véri·
table révélateur, les conduisirent à la plus ferme intransigeance idéologique
à l'encontre des apologètes du chambardement, qu'ils fussent utopistes
ou anarchistes de toutes obédiences. Ils n'épargnèrent ni Blanqui. ni
Bakounine et s'élevèrent tout autant contre le bris des machines (luddisme)
que contre le spontanéisme insurrectionnel. C'est que la violence la plus
VIOLENCE 1206
~ CoRRÉLATS. - Cf. les diverses « entrées» citées dans le corps de l'article; ainsi que
Bakouninisme, Guerre, Marché, Pacifique (voie), Pouvoir, Robinsonnades.
G. L.
Volontarisme
AI : Volunl4rismus. - An : Votunlaryism. - R : VoUunlJrriDn.
G. Be.
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C"':
• j I,;J, "'i'i"ï
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Index des noms cités*
• A l'exception de Marx et Engels et des noms d'auteun citb dans les bibliosrapbies.
Nous te:nons A remerdf'r Mireille Delbraccio de IOn aide pour "~tabliacment de cet index.
DICTIONNAIRE CRITIQUE DU MARXISME 1214
Terrorisme.
WALICKI A., Dualisme/Monisme.
ZISS A., Littérature.
WALLERSTEIN L, Féodalisme, Impé-
rialisme, Révolution mondiale. ZOLA E., Esthétique, Réalisme socialiste.
WALRAS L" Etat{Rapport salarial, ZOSTCHENKO M., Esthétique.
:VlarginaIisme. ZUAITER W., Antisémitisme.
WANG MIN, Démocratie nouvelle. ZWEIG S., Proletkult.
;",,<
l' '"
:Û~:~I~: ~;:.;.n..: J .1 ; ·';t. "l,( ~::'1~51'-.JT·:,:(}:)_·~.~< .1 .• L
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"••." \.'-~'._ ~ l';. \.'
p,..
Renversement (G. L.uICA)
Petite bourgeoiaie (G. LAmCA) Répétition (P.-L. AssoUN)
Représentation (G. BENsulISAN)
Ph~nom~ne (J.-P. CarrzH) Reproduction (J. Bron)
Phiiislinisrru Reproduction des rapporU sociaux
Philosophie (P.-L. AuOUN) (J.-Y. La BEC)
Philosophie lOViétique (Z. MUNwo) Révisionnisme (P. SaVERAo)
Physiocratie (G. CAlRl!) Révolution (J••P. 1&noVJUt)
Plan (L. e.u.TItuu) Révolution culturelle (J. ROOEUN)
Planifieation (L. CARTltLlER) Révolution française (J. GmLHAUMou)
Pluralisme (G. BRAS) Révolution industrielle (G. CAnu)
PllU""alw Révolution mondiale (B. THIRY)
Politique (G. BEN5USSAN) Révolution permanente (M. Ulwv)
l'olycentrilme (Ch. Bucr-GLUcuMANN) Révolution scientifique et technique
POjNI/4titm (11IJorU do 14) (G. CAlRl!)
Populisme (G. L.ulCA) Robinsonnades (G. L.ulCA)
Positivisme (M. PATY) Romantisme (M. Ulwv)
Possible/pouibilité (J.-L. CACHON) Rotation du capital (G. CAnu)
Pouvoir (E. BAUBAR)
Pratique (A. TOIItL) Saint-simonisme (G. L.uJOA)
Praxis (G. BI!Jm1I&AN/S. MaRCIItR.JOIA) Salaire (J. BIDET)
Preooe révolutionnaire (TRINH VAN TllAo) SllIIIMiis wmmunisUs
Priv~/Social (J. BmET) Science (G. L.uICA)
Prix (J. BIDET) Science bourgeoise 1Science prolébrienne
Prodsl Proemw (G. BRAS)
Production (J. BIDET) Secret (G. SPItz)
Profit (G. CAnu) Slt:ril<lriol gin/ral
Progrù ScI4rimu
Prolétariat (G. L.uICA) 8ensation/SelUualisme (P.-L. AucUN)
Proletlrult (J.-M. GAYMAN) Smil
Propri~té privée (P. StVERAC) Sionisme (G. BaNSUSSA.~)
Prol«lionnù,.,.. Social-démocratie (H. PORTltLLI)
Proudhonisme (G. LABlCA) Socialisation (J. ROBELIN)
Pudding (G. L.uICA) Socialisme (G. BENSUSSAN/J. ROBELlN)
Soeüùism, « riel »
Qualit~/Quantit~ (G. BENSVSSAN) Soeialisrru scunlijiqlU
Question juive (G. BENSUSSAN) Solipsisme (P.-L. AssoUN)
Quotidienneté (C. RÉGuuER) Soviet (J.-M. GAYMAN et J. ROBlU.lN)
Sovkhoze (J.-M. GAYMAS)
Rapport5 de forces (G. SFU) Spartakisme (G. BADIA)
Rapporu de production (M. AatLàs) Sp~culation (A. TOSEL)
Rapporu sociaux (J.-Y. La BEC) Spinozisme (G. BENSUSSAN,J .•L. CACHON)
Rationalisme (Ch. LAZZERI) Spiritualisme (P.-L. AssoUN)
Rationncl/R~el (A. TOIItL) Spontané 1 Spontanéit~ 1 Spontanéisme
Réalisme socialiste (J.-M. Rom:R) (G. BENSUSSAN)
DICTIONNAIRE CRITIQUE DU MARXISME 1240