DAYOT UPAMECANO  SERGIO BUSQUETS  BRUCE GROBBELAAR  JOHNNY MARR

SALUT LE MUSCLÉ

CHILAVERT
Il n’a peur de rien
sauf des socialistes!

LÉGENDE DE L’EST

CHEVTCHENKO
Le serial buteur
passe enfin à table!

BALLON D’OR FÉMININ

ADA HEGERBERG
Elle ne sait pas twerker
mais elle sait jouer au foot!

INTERVIEW DEUX ÉTOILES

FRANCE MÉTROPOLITAINE 4,50 E / DOM 7,20 E / BEL – LUX – ESP – GRÈCE – POR 6,20 E / UK 4 £ / SUISSE 9 CHF / ALL – ITAL 7,90 E / MAROC 50 MAD / TUN 9 TND / 9,99 CAD

NZONZI

ICI C ’E S T
“À cause de mon body
language, les gens pensent
que je m’en fous”

P  AR
LE
IA ! LES BLEUS, SA MÈRE, LE PSG
ENFIN LA VÉRITÉ SUR LES CAPRICES DE RABIOT
 N°163 – FÉVRIER 2019
résumé
de l’épisode
précédent édito
Vous avez manqué le dernier
numéro de So Foot ? Voici les infos Malgré la concentration
qu’il ne fallait pas louper. des richesses et des talents, le football
reste aujourd’hui le sport le plus imprévisible qui
Jessy Moulin n’est pas adepte des
soit. Qui aurait pronostiqué que Guingamp éliminerait
voitures qui coûtent cher et qui vont
le PSG en coupe de la ligue, et que le PSG répliquerait par
très vite. Florent Balmont a été surpris
un 9-0 face au même adversaire, dix jours plus tard? Qui savait
par le poids de l’uniforme d’une unité
qu’Ole Gunnar Solskjær serait le bon manager pour Manchester United?
d’élite de la gendarmerie. Il est arrivé
Qui aurait envisagé qu’Emiliano Sala atteindrait les cimes du classement
à Silvio Berlusconi de se toucher
des buteurs de ligue 1, avant de signer à Cardiff, relégable, alors que son rêve
l’annulaire droit avec sa main gauche
était de jouer l’Europe? Qui aurait prédit que l’avion monomoteur qui allait l’emmener
en souriant bêtement. Emiliano Sala
vers son nouveau club disparaîtrait, et que cela déclencherait un tsunami d’émotions
a l’impression de ne pas être jugé à
dans le monde entier?
sa juste valeur.
Il y a ses proches évidemment. Il y a ceux qui l’ont croisé dans sa carrière, comme Nicolas
L’été dernier,
Pallois, coéquipier à Niort, Bordeaux et Nantes, qui l’accompagnait encore à l’aéroport,
Bonaventure
ce terrible 21 janvier. Ou Valentin Rongier, jeune capitaine qui, comme Didier Deschamps
Kalou a
à l’époque du décès de Seth Adonkor, le demi-frère de Marcel Desailly, a dû rester solide
distribué des
face à ce nouveau drame nantais. Eux connaissaient l’homme, sa douceur hors du terrain,
téléviseurs
sa fureur une fois dessus. Mais il y a aussi les supporters. Ceux de Nantes, qu’on a vus déposer
en polo et
des tulipes jaunes sur la place Royale. Ceux de Cardiff, qui ne l’auront jamais vu jouer. Et les
mocassins.
autres, qui au Parc des Princes ou au Roudourou ont chanté son nom. Y compris à Rennes,
Sven-Göran
les rivaux des Canaris ont prié tous les dieux pour que Sala revienne un jour leur mettre
Eriksson
un but au Roazhon Park.
pense que son
Et puis il y a ces footballeurs qui ne l’ont jamais fréquenté. Son idole, Gabriel Batistuta,
succès avec
et les demi-dieux argentins Maradona et Messi, représentants d’un pays qui n’avait
les femmes
encore aucune idée de qui était Sala il y a six mois. Ces joueurs, petits ou grands, qui
ne vient pas de son visage ou de
ont parfois déposé plusieurs milliers d’euros dans la cagnotte organisée par la
son corps. Le nouveau propriétaire
famille pour financer la poursuite des recherches, parvenant presque à nous faire
des Girondins de Bordeaux, Joe
avaler le cliché de la “grande famille du foot”. Non, la vérité est que personne
DaGrosa, a révélé l’âge moyen d’un
ne sait vraiment pourquoi la disparition d’Emiliano Sala a touché
fan de base-ball aux USA: 54 ans.
autant de monde. Il y a le timing, le scénario, la personnalité, un
Les Reggae Boyz jamaïcains ont
peu de tout ça, mais, au fond, personne ne sait. Le football
suivi des cures de remise en forme
est le sport le plus imprévisible qui soit. Qui aurait
à Bourbonne-les-Bains. Youssoupha
cru qu’un jour nous verrions pleurer Vahid
aime les noms allemands. Rocco
Halilhodzic?è TP
Siffredi a répété au défenseur
amateur Davide Iovinella qu’il avait
“un sacré potentiel”. La Jupiler est la
bière qui a suivi la chanteuse Angèle
lors de ses premières cuites. – PAR
STÉPHANE MOROT

OURS
SO FOOT, mensuel, édité par SO PRESS,
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 “P’tite chicha après le match?”

sommaire

28. Adrien Rabiot. Enfant gâté,

immature, égoïste, ingrat, mercenaire,
ingérable, sous l’influence d’une mère-
agent cupide et néfaste… Rien ni
personne n’épargne Adrien Rabiot.
Rabiotscopie du nouveau paria en chef
du football français.

Avant-match
12. Rapido. Le latéral de Montpellier Ruben
Aguilar est paraît-il indébordable. Il est aussi
incollable dès qu’il s’agit de répondre à des
questions existentielles.
14. Loto Foot. Laure Briard, chanteuse et fan
du TFC, paye sa grille.
14. Timothée n’est pas passé à côté de la
fashion week, et ça fait plaisir. Ce mâle alpha
de Dédé nous parle nouvelles tendances
textiles.
16. Effet papillon. Bielsa aime-t-il le billard?
Il vaudrait mieux, vu que l’invention de ce
jeu fut la cause directe de sa conférence de
presse improvisée, suite à l’affaire dite de
l’espionnage.
18. Photobomb. Pour fonctionner, le Barça Portraits
ne peut pas s’appuyer que sur des artistes, il a 44. José Luis Chilavert. Le gardien culte des
aussi besoin d’experts en gros œuvre, comme années 90 est persuadé que son assurance
Kevin-Prince Boateng. le mènera au poste suprême de président du Reportage
20. Conspiracy watch. La première Paraguay. Le Chila politicien diffère toutefois 38. Le foot en trans’ à Mexico. Dans
expérience de Thierry Henry sur un banc aura du Chila footballeur: cette fois, il n’a pas les faubourgs de Tepito, au Mexique, des
tourné court. Mais pourquoi tant d’éléments se l’intention de prendre de gants. transgenres ont décidé de monter une
sont ligués contre lui? Voici la réponse. 66. Dayot Upamecano. Atteint de dyslexie, équipe de football. Les Gardenias, c’est leur
22. Jour après jour. Un mois de coupe le colosse ne bégaye pas lorsqu’il s’agit de nom, disputent tous les ans leur clasico, une
AFP/DPPI

en bois, de plumes dans le cul et de destin diriger la défense du RB Leipzig. Rencontre parenthèse enchantée de 90 minutes dans un
tragique. avec le prénom le plus fou du football français. quartier miné par les trafics et la violence.
 sommaire

Entretiens
50. Steven Nzonzi. Son histoire est une
belle leçon de vie. Pas super à l’aise avec son
corps d’ado, recalé du centre de formation de
plusieurs clubs, obligé de s’exporter dans des
équipes de bourrins, il est finalement devenu
champion du monde. Encore la preuve que la
trentaine sonne l’heure de la revanche pour
beaucoup d’hommes.
60. Ada Hegerberg. La Norvégienne sera
à jamais la première femme de l’histoire du
football à avoir soulevé un Ballon d’or. Alors,
ça fait quoi d’être une légende à seulement
23 ans?
76. Andreï Chevtchenko. Interview avec
le dernier grand attaquant issu de l’école
soviétique. L’occasion, aussi, de réaliser que
le grand Milan AC nous manque.
Culture foot
Enquête 90. Johnny Marr. Sa famille était pour United,
ses amis étaient pour City. Le mythique
56. Les romans de Jean-Claude. Le
guitariste des Smiths a choisi de voir la vie
Camerounais Jean-Claude Mbvoumin était le
en bleu ciel. Son cœur de supporter en a
visage de la lutte contre le trafic des jeunes
beaucoup bavé, mais aujourd’hui, ça va mieux.
footballeurs africains. Sauf que derrière
l’homme de vertu se cacherait un gestionnaire
malhonnête, cumulant les chromes, et qui
aurait berné à son tour pas mal de monde.

Cahier international
72. Sergio Busquets. Le milieu du Barça
donne une leçon de football. Accrochez-vous.
74. Erik Lamela. Se cantonner à un rôle de
joker à Tottenham alors qu’il était considéré
comme l’une des plus belles promesses du
football mondial, voilà la vie que l’Argentin a
décidé de mener.
75. Filipe Luis. Interview avec le Colchonero,
sans doute le dernier footballeur à jouer Décrassage
encore avec un élastique dans les cheveux.
94. Histoire vraie. Brighton est une ville
dont la scène musicale compte parmi les plus
Légende influentes d’Angleterre. À tel point que même
un groupe de supporters du Brighton & Hove
84. Bruce Grobbelaar. Avant d’être le portier
Albion FC a réussi à cartonner dans les charts
le plus titré de l’histoire du FC Liverpool, le
en chantant son envie de nouveau stade.
Zimbabwéen a eu plusieurs vies. Notamment
une où il a fait verser le sang dans la jungle… 96. Amateur. Gustin Godet joue attaquant.
Gustin Godet a passé 728 jours sans
CAMILLO PASQUARELLI POUR SO FOOT

marquer. Il s’est beaucoup fait chambrer, mais

On n’est pas loin du sarouel.
le but de la délivrance a fait de lui une star en
Vendée.
98. Pierre La Police adresse ses vœux.
98. Dream team. Le droit de manifester est
inaliénable, mais mieux vaut savoir monter
une équipe pour profiter au maximum de
l’expérience. Suggestion de compo.
 CETTE FOIS, C’EST L’ENTRAÎNEUR QUI A REÇU LA SANCTION.

UN POLAR HALETANT AU CŒUR DU MONDE DU FOOTBALL

COÉCRIT PAR EMMANUEL PETIT ET GILLES DEL PAPPAS.
index
p. 12
AGUILAR n.m. mar. Cordage
terminé par un nœud de
chaise fait dans les règles de
l’art appelé nœud d’aguilar.
p. 94
ARCHER n.m. Tireur à l’arc.
?
p. 96
BARREAU n.m. Profession,
ordre des avocats. Être inscrit
au barreau.
p. 20
HENRY n.m. Unité de mesure de
l’inductance électrique (symb. H).
p. 66
HOULLIER adj. Qui renferme
des couches de houille. Bassin
houllier.
p. 20
JARDIM n.m. Terrain,
généralement clos, où l’on
cultive des végétaux utiles ou
d’agrément. Jardim potager.
#
p. 50
NZONZI interj. Encourage
au déplacement. Nzonzi,
nous allons être en retard!
p. 72
PIQUÉ adj. masc. Cousu
par un point de piqûre.
p. 90
BUTT 1. n.f. Magasin
spécialisé dans
l’équipement de la
maison, souvent situé au
bord d’une nationale.
p. 90
CHARLTON n.m.
anciennt. Vendeur
ambulant qui débitait
des drogues, arrachait
des tonnes de dents.
p. 50
PULIS adj. Qui a cessé
d’être lisse. Si c’est
rugueux, c’est pulis.
p. 28
RABIOT n.m. fam. vieilli.
Supplément, surplus.
p. 98
RONGIER v.tr. User en
coupant avec les dents par
petits morceaux. Pinot, simple goal.
p. 44
CHILAVERT n. Personne qui,
après avoir avalé une salade
verte et une salade de riz, choisit p. 96
toujours de faire évacuer la verte GODET n.m. Petit
lorsqu’il va à la selle. récipient sans pied ni
p. 84
anse.
!
CLOUGH n.m. Petite tige de
métal à pointe, souvent à tête, qui
sert à fixer, assembler, suspendre.
Planter un clough.
p. 22
MENDY n. m. Jour de la semaine
qui n’existe pas, entre le lundi et
le mardi.
p. 72
MESSI n.m. Remerciement.
p. 44
MOREL n.f. Jeu d’enfants qui
consiste à pousser à cloche-
pied un palet dans les cases
numérotées d’une figure
tracée sur le sol. Jouer à la
morel.
p. 22
NALDO n. et adj. abrév. Fam.
Jeune garçon, jeune fille à
l’âge de l’adolescence.
p. 20
SY conj. Introduit soit
une condition, soit une
simple supposition ou
éventualité.
p. 66
UPAMECANO
n.m. Individu qui
répète qu’il n’est pas
PICTURE-ALLIANCE/DPPI, BILDBYRÅN/ICONSPORT ET PA IMAGES/ICONSPORT
mécano.
p. 84
ZICO n.m. Roi de la
pomme de terre.
?
PAR SIM TRIQUETTE
 Le Haut Conseil de la Santé
Publique recommande dans
© 2019 American Pistachio Growers

son avis du 3 juillet 2018 la

consommation d’une
poignée de fruit à coque
sans sel ajouté par jour.*

*Haut Conseil de la Santé

Publique - AVIS relatif à
l’évolution des messages
sanitaires apposés sur les
actions de promotion des
acteurs économiques dans
le cadre du PNNS 4
12 SO FOOT _ AVANT-MATCH

Quels seraient les inconvénients d’une

vraie langue de bois? Avoir des échardes
sur les lèvres. Ça pique, c’est désagréable
toute ta vie, et puis tu ne peux pas pécho,
l’autre se rendrait tout de suite compte
que ça ne pourrait pas le faire.

Si tu pouvais remonter le temps, “Envoyer son sexe

t’irais où? Je reviens au début du collège
et je me concentre sur moi-même.
en photo à quelqu’un,
J’ai l’impression d’avoir complètement c’est un truc de gros
délaissé cette partie-là de ma vie.
Si j’avais pu percer dans un autre métier,
pervers”
j’aurais aimé faire kiné. Ou pompier,
un métier où il faut avoir des couilles.

RAPIDO Tupac disait que seul Dieu pouvait le

RUBEN
juger. Mais chez les athées, qui le fait?
Ma femme. Quand je fais mal la cuisine,
par exemple, elle peut m’éclater. Par
contre, elle ne peut pas juger toutes les

AGUILAR
personnes sur terre. Chez moi, je me
lâche plus qu’à l’entraînement, où je
reste sérieux. Je n’ai pas envie de voir le
Venom sortir chez Der Zakarian!

Donne un bon site porno pour ces

Montpellier HSC – Latéral rieur longues nuits d’hiver. TubeGalore.
Y a de tout, chacun y trouvera
son bonheur. Et puis il est peu
connu, donc je tiens à ce qu’il soit
exposé.

Il faut s’arrêter à combien de sextos

avant de passer pour un pervers? Si t’en Peut-on mesurer la valeur de
envoies quatre et que tu n’as pas de quelqu’un en fonction de sa cylindrée?
réponse, t’en es un. Quoi qu’il arrive, Maintenant, ça ne veut plus rien
envoyer son sexe en photo à quelqu’un, dire. Il faut penser à l’écologie et
ça reste un truc de gros pervers. acheter des Renault électriques.
Et peut-être que lorsque nous serons
tous agglutinés sur des bornes
Faut-il baffer les gens qui répondent rechargeables, on apprendra à se
“à l’huile” lorsqu’on leur dit “allô”? connaître vraiment.
Carrément! Ça me rend fou… Le pire,
c’est que tu sais très bien qu’à chaque
appel, t’es exposé à ça. Faut sanctionner,
ça soûle tout le monde. Si t’étais célibataire, tu mettrais quelle phrase
de présentation sur Tinder? Déjà, je n’évoquerais
pas le foot. “Célibataire, 25 ans, la joie de vivre.”
Ça ressemble à quoi, une colère noire? Avec le petit émoji qui cligne des yeux et qui sort
Je vois un fantôme, une grosse la langue à la fin, du genre: “Je tire la langue et
ombre noire avec des yeux rouges qui plus si tu veux…”
t’engueule jusqu’à ce que tu pleures.
Une créature possédée… Venom dans
Spider-Man, voilà!
Ton pire souvenir au moment de Faut-il choisir un livre en fonction de la
larguer une caisse? Une fois, je me couverture? De la quatrième de couverture
Quelle est la chose la plus incroyable mais souviens avoir carrément réveillé plutôt. Comme ça, tu te fais une idée. Mais si
fausse qu’on t’ait déjà racontée? Combien ma femme en pétant sous les t’es déterminé selon le sujet ou la personne
de fois j’ai entendu, en fin de soirée: draps. C’était il y a longtemps, mais qui te l’a recommandé, tu vas acheter. Si un
“T’inquiètes, j’ai pas bu, je peux conduire!” pendant un quart d’heure, elle m’a jour le coach me demande de lire un livre, je
Alors qu’en vérité, le type était rond… jugé et notre couple a été en péril. le ferai. PAR ANTOINE DONNARIEIX / PHOTO: ICONSPORT
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14 SO FOOT _ AVANT-MATCH

“Faudrait pas que

Alors que sa musique alterne entre les nouvelles dents
la pop, la bossa-nova ou le yéyé, en de Deschamps lui
football, Laure Briard n’a toujours enlèvent son mojo”
juré que par le TFC. Il était temps de
récompenser cette fidélité.

OT
LOTO FO

LAURE
BRIARD
Happiness manager 1 N 2
Les anciennes dents de Deschamps 1 N 2
Balotelli à l’OM vs Drogba à l’OM 1 N 2

vs Football Manager vs les nouvelles Drogba a quitté l’OM en légende. Balo, il a

Parce que ce serait le seul moyen de faire
gagner la ligue des champions –ou peut-être
juste la coupe de France– au TFC.
Jean-Clair Todibo vs Claude Nougaro 1 N
Car lui au moins il a attendu le succès avant de
quitter Toulouse.
Twitter vs l’enfer 1 N
J’irais bien faire un tour en enfer
pour voir ce qu’il s’y passe. Mais vite fait, hein.
Le pack du Stade Toulousain 1 N
vs un pack de six
Plutôt le pack de vingt-quatre, en fait…
#10YearsChallenge 1 N
vs “Et vous, plutôt plage ou montagne?”
Alors, j’ai rien capté au #10YearsChallenge…
Mais j’aime bien demander “mer ou montagne?”
à mes nouveaux amis. Je trouve la question
assez intéressante.
Il a tout gagné avec les anciennes… plutôt l’habitude de partir des clubs en paria.
J’espère que ses nouvelles lui porteront autant Aya Nakamura vs Gen Shoji 1 N 2
chance. Faudrait pas que ça lui enlève le mojo J’ai suivi le Nîmes-TFC dans un lieu
2
quand même. chic à Toulouse, et je pense que sa femme était
Bebeto vs Bébête Show 1 N 2 juste à côté. C’est sûr, même! À moins que
Pour sa célébration de but au mondial 94! ce soit sa sœur… PAR JPS / PHOTO: LISA BOOSTANI
j
2
C’était autre chose que Fortnite, à l’époque!
Laure Briard sera en concert le 5 mars à Paris, au Point Éphémère,
avec son nouvel album, Un peu plus d’amour s’il vous plaît
Sérotonine de Michel Houellebecq 1 N 2
(Midnight Special Records).
vs Toujours y croire d’Iris Mittenaere
2
Je ne suis pas une fan et je n’ai pas lu son
livre, mais bon… Cela dit, Toujours y croire
est un bon titre, et c’est bien vrai. Beau message
de positivisme.
2
Les platistes vs les reptiliens 1 N 2
Ils vont encore plus loin que les platistes, c’est
génial! Bush, la reine Elizabeth, les Clinton,
Madonna, Katy Perry et Barack Obama en font
partie en plus!

TIMOTHÉE OSTERMANN LES NOUVEAUX MAILLOTS 1/2

…
Le coin des parieurs

Chauffeur-livreur la semaine, Umut, connu sous le pseudo de Aysel01,

se transforme parfois en voyant arriver le week-end, au moment de placer
ses paris. Ce don lui a permis de remporter pas moins de 4 240 euros
pour une mise de 30 euros. La bonne aventure…

“Je suis contre le VAR,

mais je le remercie
quand même sur ce coup”
Comment prépares-tu tes paris? Tu es du
genre à tout étudier ou à miser au feeling?
Déjà, je regarde les cotes. Et dès que
j’en remarque des intéressantes, je vais
voir la forme du moment, le nombre de
buts marqués à domicile et à l’extérieur,
les confrontations directes entre les
deux équipes. Après, j’aime bien aller
chercher des surprises. Je préfère
miser petit en combinant plusieurs
grosses cotes que de parier gros sur
un seul match.
Pourtant, ce combiné semble être celui de
l’improvisation, avec trois rencontres prises
en live… En fait, ce n’est pas le cas,
car j’avais fait un premier ticket avec
Manchester United, Strasbourg, Malaga
et Montpellier. Sauf que Montpellier
a fait match nul un peu plus tôt. Vu
que les trois autres étaient bien partis,
avec Manchester United qui menait
déjà 1 à 0, eh bien j’ai placé un nouveau
combiné, en ajoutant seulement les
deux autres rencontres à venir que je
sentais bien. C’était un pari en réaction
à de la frustration, en réalité.
Et tu n’as pas trop tremblé devant
Tottenham-Manchester United? Tu vas
t’acheter le maillot de David De Gea? Je voyais
déjà Manchester United gagner avant le but
de Rashford, car ils sont dans une bonne
forme, alors je n’ai pas hésité longtemps avant
de les prendre en live. J’étais devant le match,
j’étais à fond et j’ai prié pour que Tottenham
ne marque pas. Et c’est vrai que De Gea
m’a bien sauvé, il est super impressionnant
quand même.
Tu as suivi le match Marseille-Monaco le dimanche
soir? Non, j’aime bien le football, mais pas à ce
que j’avais totalement oublié mon combiné.
Je n’avais donc pas réalisé tout de suite que
j’avais gagné. J’étais resté sur la frustration
du ticket précédent, que j’ai perdu à cause de
Montpellier. Ce n’est que deux jours plus tard,
une fois que Winamax m’a envoyé un mail,
que j’ai vu que j’avais gagné. J’ai cru à une
blague, et puis je suis allé voir mon compte.
C’était une belle surprise.
Tu as tout de même vu le résumé de la rencontre
et ce but refusé par le VAR à Florian Thauvin?
beaucoup de choses dans le foot, et dans
les paris aussi par la même occasion. Je
suis contre le VAR à la base, car bientôt
il n’y aura même plus d’arbitres et on va
mettre des robots à la place. Mon avis
n’a pas changé après ce combiné, mais
je remercie quand même le VAR sur ce
coup…
“C’est vrai que
De Gea m’a bien
sauvé, il est super
impressionnant
quand même”
Est-ce que tu es du genre à ne pas parier
sur ton club de cœur? Tout à fait. Je suis
supporter de Lyon et je ne mise jamais
sur leurs matchs. Car avec eux, il y a
toujours des surprises. Ils vont aller
gagner face à Manchester City et derrière
perdre contre une petite équipe. Ils sont trop
imprévisibles.
Que vas-tu faire avec ces 4 240 euros? Ça va
être plaisir et loisirs. Je vais aussi m’acheter
des nouveaux crampons. D’autant plus que
c’est une surprise. Après le match nul de
Montpellier, j’étais tellement écœuré que je
m’étais dit que j’allais moins parier sur ce
mois. Bon, bah, j’ai changé mes plans, du coup.
– PROPOS RECUEILLIS PAR STEVEN OLIVEIRA / ILLUSTRATION:

point-là non plus (rires). Et en plus, figure-toi Oui, j’ai vu. C’est vrai que le VAR change WINAMAX
16 SO FOOT _ AVANT-MATCH

L’EFFET PAPILLON

DE L’INVENTION DU BILLARD
À LA MASTER CLASS DE MARCELO BIELSA
Comment l’autre rectangle vert a permis au “Loco” de se faire mousser un peu plus
via des slides sur vidéoprojecteur.

TOURS AFRIQUE NEW YORK ISÈRE DALLAS LEEDS

1469 1800 1863 1917 1994 2019
Ébéniste de renom, Entre six et huit Menacé de Avant de devenir Très populaire dans La vidéoprojection
Henri de Vigne billes sont produites banqueroute, Rhône-Poulenc, la l’enseignement, le reste encore le
se voit confier par sur une défense. le fabricant Société chimique des diascope ou slide meilleur moyen d’en
Louis XI la mission Pour répondre à d’accessoires de usines du Rhône crée projector permet mettre plein la vue
de concevoir le la demande des billard new-yorkais son propre celluloïd de projeter des à un auditoire. La
premier modèle amateurs, on tue Phelan & Collender perfectionné: le documents sur preuve avec Bielsa.
connu de table de donc des éléphants. offre 10 000 dollars Rhodoïd, une supports transparents. Pour se dédouaner
billard. Mais c’est Environ 10 000 par à celui qui réussira à matière plastique Une aubaine pour les d’avoir espionné
au cours du siècle an. Déjà menacée, breveter un matériau transparente et profs et conférenciers Derby County, le
suivant, à partir de l’espèce connaît de substitution. incombustible. La du monde entier, qui coach de Leeds
1550, que le jeu de pourtant un peu de Six ans plus tard, marque passe dans peuvent ainsi projeter dévoile des dizaines
billard se popularise répit grâce à la guerre l’inventeur amateur le langage courant leurs cartes de l’URSS de documents stockés
aussi bien chez les de Sécession, puisque John Wesley Hyatt et désigne alors une et autres schémas sur son PC à la presse
nobles que chez les le blocus imposé aux réussit à recouvrir feuille de plastique de la reproduction locale. Des données
valets. À l’origine, Sudistes empêche une bille de billard transparente et des crevettes à leur sur ses adversaires en
les boules sont l’importation du avec du nitrate de flexible sur laquelle auditoire. Au milieu Championship. “Ce
fabriquées en ivoire. fameux matériau. cellulose. Un produit on peut peindre des années 90, ce que j’ai fait n’est pas
qu’il mélangera en des personnages de modèle laisse peu illégal. On peut en
1870 avec du camphre dessins animés, ou, à peu sa place au discuter, cela n’est pas
pour obtenir le plus simplement, vidéoprojecteur, vu comme quelque
celluloïd. inscrire des développé à grande chose de bien, mais ça
annotations au feutre. échelle par Texas n’est pas une violation
Instruments. de la loi.” Tout comme
chasser l’éléphant au
xixe siècle. x PAR MH /

PHOTOS: DR

… TIMOTHÉE OSTERMANN LES NOUVEAUX MAILLOTS 2/2

 Diffuseur officiel de la Coupe de France

Les meilleurs matches

commentés par Kader Boudaoud, Alou Diarra et Claire Vocquier-Ficot
18 SO FOOT _ AVANT-MATCH

PHOTOBOMB

MASSE
QUE UN CLUB
Réputé pour être un véritable casse-pieds, le milieu de terrain ghanéen
Kevin-Prince Boateng vient de signer au Barça… En tant que doublure de Luis Suarez.
Une idée qui ne casse pas vraiment des briques. Quoique…

Prêt pour les entraînements Ce film vous est présenté

avec Messi. par Marc Dorcel. 

Trait continu,
interdiction de doubler.

La salle des trophées

du Stade Rennais.
De plus en plus discrets
les AirPods.

Prince, toujours en train Certainement les plans

d’imiter Michael. de la maison.

Nouveau maillot third

de l’Olympique de Marcel.

En pleine production
d’huile de coude.

Tenue de soirée pour aller

au Vélodrome.

Aymeric Laporte.

Ah bah voilà, il était là

le Parti Socialiste.

Un petit pas pour l’homme,

un salto arrière pour l’estime de soi.

Par l’Amicale Pharaon d’Hiver, à Padoue / Photo: Imago/Panoramic

TAMPON!
 HIVER 2019
CHRISTOPHE
URIOS
“PLUS JE SUIS GROS,
PLUS JE SUIS HEUREUX”

QUADE

COOPER
TÊTE-À-TÊTE AVEC
UNE ROCK STAR

CHRISTOPHE

DEYLAUD
L’ICÔNE DES NINETIES
SE CONFIE CHAUSSETTES
BAISSÉES

JEAN

GACHASSIN
HUISSIER
UTOPIE, CASTAGNE MAIS MARRANT
ET RUGBY D’AVANT-GARDE

PREMIERS BÉZIERS
SUR LES TRACES DE LA PLUS GRANDE ÉQUIPE DE L’HISTOIRE
12 PAGES DANTESQUES
+ 3 HISTOIRES
FOLLES:
RUPENI
CAUCAUNIBUCA
SUR SON ÎLE

MEURTRE PAR ERREUR

À LIMERICK

COCAÏNE ET
PATATES DOUCES
AUX TONGA

TAMPON !  REVIENT EN FORCE À PARTIR DU 31 JANVIER
CHEZ TOUS LES MARCHANDS DE JOURNAUX
20 SO FOOT _ AVANT-MATCH

CONSPIRACY WATCH

QUI EN VEUT À
THIERRY HENRY?
Le recrutement de Batshuayi Le VAR ne fonctionne pas
qui piétine Ce que l’on sait: Titi vient d’en prendre cinq
Ce que l’on sait: Alors que Henry se réjouit à domicile contre Strasbourg, mais n’en
de l’arrivée d’un joueur “intéressant”, que démord pas: “Il y a dix mille fois penalty
Monaco s’est mis d’accord avec Valence, le sur Rony Lopes à la 61e. J’ai demandé au
joueur lui-même, sa mère, le pape François quatrième arbitre pourquoi on n’est pas
et probablement la moitié de l’univers, revenu sur le VAR, il m’a dit que le VAR ne
Chelsea, club propriétaire du Belge, décide fonctionnait pas. Jusqu’à la fin des temps,
de bloquer l’opération en refusant de prêter j’aimerais bien savoir pourquoi le VAR
le fan de Bob l’éponge au club du Rocher. ne fonctionnait pas pour Monaco. Alors
La théorie fumeuse: Chelsea, rival d’Arsenal,
qu’il s’est remis à fonctionner juste après.
fait son possible pour pousser la légende Bizarre!”
des Gunners vers la sortie en évitant de La théorie fumeuse: Ils étaient des millions
le renforcer. Ça vous étonne, vous? Merci d’Irlandais à se demander pourquoi les
d’aller sur les bons sites si vous avez yeux de l’arbitre n’ont pas fonctionné un
répondu oui. soir de novembre 2009 au Stade de France.
La vérité vraie: Habitué à perdre ses matchs
Le karma, un autre genre de prélèvement à
avec 60 % de possession de balle, Michy n’a la source…
tout simplement aucune envie d’aller dans La vérité vraie: Il dit qu’il y a dix mille fois
un club où il n’aurait aucune excuse après penalty, et il se demande pourquoi ça fait
sa défaite hebdomadaire. planter le logiciel…

Il est remplacé par Jardim

La boulette de Seydou Sy
Ce que l’on sait: Il aura fallu 17 minutes
à Thierry lors de son premier match sur le
banc monégasque pour qu’il comprenne
de quoi il retournait exactement. De la tête, le
Strasbourgeois Thomasson prête son ballon
au troisième gardien monégasque Seydou
Sy, afin qu’il le garde au chaud en attendant
le retour des beaux jours. Mal à l’aise avec
les cadeaux, Sy fait passer la sphère à son
voisin derrière lui. Dans les filets.
La théorie fumeuse: La mère de Thomasson
est croate, comme Danijel Subasic, le gardien
habituellement titulaire de l’AS Monaco,
mystérieusement absent depuis des mois.
Tiens, tiens… Alors bien sûr, on fait jouer
le troisième gardien pour ne pas éveiller les
soupçons. Plus c’est gros, plus ça passe…
La vérité vraie: Les amateurs de football
et de vinaigrette connaissent l’importance
de la Sy-boulette au moment de lancer
une bonne salade.
Il est attaqué par l’immense Duga
Ce que l’on sait: Après la défaite de l’ASM
contre le PSG, Duga se lâche sur Titi, coupable
d’avoir fait des hugs à Tuchel et aux stars de
la capitale. “Je suis désolé, c’est pas le moment
Thierry, je veux que tu sois au milieu de tes
joueurs, avec les jeunes, pour leur donner de
la confiance”, a-t-il lancé, furax, à son ancien
partenaire de sélection au micro de RMC.
La théorie fumeuse: Henry serait en fait un
vrai gentil, un mec trop sympa avec qui tout
le monde est ami, un homme modeste, qui ne
sait pas dire non à un peu d’affection, et dont la
politesse n’a d’égale que son talent de finisseur!
Pas cool de lancer pareille rumeur.
La vérité vraie: Titi essayait tout simplement
de refiler son mauvais œil à tout le monde
depuis quatre mois. Câlins, poignées de mains,
High five, tout y est passé, sans succès. Peut-
être aurait-il fallu passer à la vitesse supérieure
en faisant des bises, des massages, voire en
donnant encore plus de sa personne!
Ce que l’on sait: Déjà trois mois que, l’âme
lourde de huit millions d’euros d’indemnités
touchés à l’occasion de son licenciement,
Jardim taille ses rosiers et rumine les piètres
résultats de son successeur. Car pendant que
Leo jardine, Thierry en chie. À tel point que
l’ASM, décidant de ranger sa dignité au fond
d’un grand sac, renvoie un texto à son ex
pour qu’il revienne. Et puisqu’il reste un peu
de place dans le grand sac pour la dignité
du Portugais…
La théorie fumeuse: Inquiets de l’image
déplorable donnée à leur produit phare
depuis l’arrivée de l’ancien attaquant au poste
d’entraîneur, les dirigeants de la filière de
production de melons auraient fait pression
sur l’ASM en bloquant à l’entrée du stade
les 14 ultras monégasques qui se rendent
régulièrement aux matchs.
La vérité vraie: 104 jours, 20 matchs,
4 victoires, un VAR qui ne marche jamais
quand il faut. PAR MAXIME CHAMOUX ET SYLVAIN
s
GOUVERNEUR / PHOTO: ICONSPORT
22 SO FOOT _ AVANT-MATCH
UN MOIS DE
COUPE EN BOIS,
DE PLUMES DANS
LE CUL ET DE
DESTIN TRAGIQUE
Jeudi 3 janvier. On entre à
peine en 2019, et tout fout déjà
le camp: les stylos Bic quatre
couleurs ne seront plus produits
en Bretagne. La France ne sait
toujours pas retenir ses talents,
au contraire du Brésil puisque
Ronaldinho est interdit de quitter
“Je ne veux pas décrier la coupe de
la ligue, mais c’est vrai que c’est quand
même une coupe en bois!”
Aulas, étrangement lucide après l’élimination de l’OL
JOUR APRÈS JOUR
le territoire. La faute à une amende
de deux millions d’euros impayée
depuis 2015. “Il me semble que le
condamné se moque clairement
de la justice devant la société
brésilienne”, s’agace la procureure.
Possible, mais il ne s’en moque
pas autant que les consignes de
Luis Fernandez, quand même?
Puisqu’on parle de légendes, le
Real Parete, club de neuvième
division italienne, présente son
nouveau coach. Nom: Maradona.
Prénom: Hugo. Palmarès: frère de
Diego. “J’ai beaucoup de contacts
et je voulais une figure importante
sur le banc”, se félicite Francesco
Orabona, le président du club.
À Liverpool aussi, on a pris une
bonne résolution, celle de relancer
l’intérêt de la Premier League. Les
Reds s’inclinent pour la première
fois de la saison, sur la pelouse de
leur poursuivant Manchester City
(2-1). De quoi faire péter les plombs
à LeBron James, actionnaire du
club de la Mersey, qui estime qu’il
est le GOAT, soit le meilleur joueur
de basket de tous les temps. Alors
que tout le monde sait pourtant
que c’est Antoine Rigaudeau.
Vendredi 4 janvier. Tout le
monde est encore repu au sortir
des fêtes, mais ça n’empêche pas
Franck Ribéry de s’offrir un steak
recouvert d’or à 1200 dirhams
chez le boucher-restaurateur-
instagrammeur turc Nusret Gökçe,
surnommé Salt Bae. Comme plus
ou moins toute la planète football
avant lui. Sauf que cette fois,
Audrey Pulvar est au marquage
et tacle à la gorge: “Monsieur
Franck Ribéry, si vous ne savez
pas quoi faire de votre argent, il
reste plein de causes à financer et
soutenir dans le monde.” Le début
d’un feuilleton qui déclenche un
irrépressible chaos dans le pays
tout entier: une dame de 75 ans
roulant sans permis est flashée à
162 km/h au volant de sa Porsche,
dans la Drôme, le “Gang des
panneaux” continue de sévir en
retournant tous les panneaux
routiers d’Indre-et-Loire et Bouna
Sarr reste dubitatif face aux
rumeurs envoyant Balotelli dans la
cité phocéenne: “Je ne sais pas s’il
apportera quelque chose.” Sinon,
il y aurait éventuellement une
autre piste offensive à creuser, un
peu plus au nord, celle de Nicklas
Bendtner, toujours très en forme,
puisqu’il arbore sur son compte
Instagram le bracelet électronique
qu’il doit porter après avoir agressé
un chauffeur de taxi. Espérons que
ça ne le gêne pas dans sa quête de
ballon d’or…
Samedi 5 janvier. Si vous aviez
encore un peu foi en l’humanité,
sachez que ça ne devrait plus
durer très longtemps. Aux
États-Unis, une femme dans
le coma depuis quatorze ans
Quand tu viens de signer à l’AS Monaco.
24 SO FOOT _ AVANT-MATCH
Dans une seconde,
blessure de Neymar.
accouche d’un petit garçon. La
police aimerait interroger tout le
personnel hospitalier, certainement
pour féliciter l’heureux papa. Et
en France, les gens sont plus
sains d’esprit? Que nenni. En
échange de 150 euros par mois,
le site MyBuBelly dispense des
méthodes ultra pointues mises
au point “auprès des plus grands
spécialistes” pour choisir le sexe
de son bébé. Et si on parlait plutôt
des vrais problèmes? Les femmes
françaises seraient les moins
comblées sexuellement d’Europe
(31% se déclarent insatisfaites), loin
derrière les Néerlandaises et les
Allemandes, en tête du peloton.
Pendant ce temps-là, Franck Ribéry
“nique” les arbres généalogiques
des jaloux et reprend de volée les
sarcasmes de Pulvar: “Je m’adresse
à Audrey Pulvar ou Madame ‘Je-
fais-ce-que-je-veux-de-mon-argent’
avec une paire de lunettes à 3000
euros aux écailles de tortue, j’espère
qu’elles vous permettent d’entrevoir
un meilleur avenir professionnel
que celui de la pseudo-journaliste
que vous êtes actuellement.” Le
Bayern siffle la fin de la récré, et
colle une amende à son joueur.
Dimanche 6 janvier. Alors
que tout le monde s’empiffre de
frangipane, un thon rouge se vend
2,7 millions d’euros au Japon.
Madame Pulvar, un commentaire?
Non? Place à Luka Modric alors.
Après une nouvelle défaite des
Madrilènes à domicile contre la
“Je ne peux pas parler anglais, en revanche, je peux vous parler
des 24 équipes qui composent le Championship. Analyser un
seul match demande quatre heures de travail” Bielsa, génie argentin
Real Sociedad, le ballon d’or croate
dégaze contre ses coéquipiers:
“Beaucoup d’entre nous ne sont
pas à leur niveau.” Une phrase qui
aurait également pu être prononcée
du côté de l’OM, éliminé de la
coupe de France par Andrézieux
(pas le violoniste, l’autre) alors
que l’AS Monaco se qualifie
brillamment (1-0) en venant à
bout de l’ogre Canet-Roussillon,
réduit à dix. Pas mal, mais c’est
toujours une qualification de
moins que le double adjoint Jimmy
Modeste, dirigeant à la fois de
l’Entente Sannois Saint-Gratien
(tombeuse de Montpellier) et de
Noisy-le-Grand (venu à bout du
Gazélec Ajaccio). Qui a dit que la
multiplication des temps partiels
était incompatible avec le bonheur?
Lundi 7 janvier. Le réveil est
difficile puisque cette saloperie de
Bohemian Rhapsody rafle le titre de
meilleur film aux Golden Globes.
Allez, on respire un grand coup, on
regarde un épisode de Sunderland
‘til I die sur Netflix et on repart
avec Wayne Rooney, interpellé
à l’aéroport de Washington pour
ivresse sur la voie publique et
insultes à agent. Yann Moix n’est
pas ivre, lui, quand il lâche dans
Marie-Claire: “Je suis incapable
d’aimer une femme de plus de
50 ans.” Pep Guardiola n’est
pas alcoolisé non plus, mais ses
adjoints ont pourtant un doute
lorsqu’il leur demande d’apprendre
à piloter des drones “pour
superviser ses entraînements sous
un autre angle”. Peut-être qu’il veut
juste comprendre les courses de
Benjamin Mendy…
Mardi 8 janvier. Attention,
c’est la journée des règlements
de comptes! Sur Radio Classique,
Luc Ferry tire le premier, au propre
comme au figuré, puisqu’il exhorte
les policiers à ouvrir le feu sur les
manifestants: “Qu’ils se servent
de leurs armes une bonne fois!” La
deuxième salve est signée Mathias
Pogba, frère et sosie officiel de
Paul, sur RMC Sports: “Le problème
de Paul, c’était Mourinho. Basta!
Dans le vestiaire, en dehors du
vestiaire… Tout!” Et le problème
du FC Nantes, vous le connaissez?
C’est pourtant facile, c’est lui qui
s’exprime, là, à propos de ses
rapports avec Coach Vahid: “Y a-t-il
déjà eu des étincelles? Oui, tout à
fait, confesse Waldemar Kita. Nous
nous sommes battus la semaine
dernière. J’ai reçu une claque, il a
reçu une claque. Mais comme il est
beaucoup plus costaud que moi, et
plus âgé, je n’ai pas répondu à la
deuxième claque qu’il a donnée.”
En parlant de soupe de phalanges,
le sélectionneur Didier Deschamps
laisse poindre un peu de nostalgie:
“Kylian assume, comme d’autres,
de vouloir tout et tout de suite. Il y
a vingt ans, un joueur comme lui
aurait sûrement pris des claques.”
Jean-Michel Aulas est lui aussi un
peu tendu en ce début d’année: “Je
ne veux pas décrier la coupe de
la ligue parce qu’on dira que je le
fais parce qu’on s’est fait éliminer
par Strasbourg, mais c’est vrai que
c’est quand même une coupe en
bois!” Au contraire de la ligue des
champions féminine, évidemment.
Mercredi 9 janvier. Plus mérité
qu’un Golden Globe du meilleur anticipée qui a le chic d’irriter le
film, le ballon d’or africain est président du TFC, Olivier Sadran,
attribué pour la deuxième fois très remonté après s’être fait chiper
consécutive à Mohamed Salah. Jean-Clair Todibo par le Barça:
L’Égyptien surfe sur la superbe “C’est quand même extraordinaire:
première partie de saison des Reds, ils annoncent que le joueur sera
pendant que Benjamin Pavard ride chez eux en juillet [...] C’est faire
toujours sur sa frappe de bâtard preuve d’arrogance, c’est insulter la
contre l’Argentine: le voilà qui vie de dire ce qu’on fera. De la part
s’engage au Bayern Munich pour d’un grand club, ce n’est pas très
l’été prochain. Le genre de nouvelle glorieux même si, juridiquement,
ils avaient le droit de le faire.” Un
autre qui n’a pas fini d’insulter la
vie, c’est cet homme interpellé
en Californie après avoir léché la
sonnette d’une maison pendant
trois heures sans interruption.
Une séquence folle plus longue
que les quatre-vingt-dix minutes
de cauchemar vécues par Burton,
battu 9-0 par Manchester City en
coupe de la ligue. En parlant d’or
noir, l’immense Tintin fête ses 90
ans. Le reporter belge est éternel,
contrairement à l’invincibilité du
PSG en coupes nationales, qui
prend fin après 44 matchs à cause
de Guingamp.
Jeudi 10 janvier. Avis à tous
les fans de la Casa de Papel:
le tournage de la saison trois a
commencé, et on constate sur les
réseaux sociaux que le personnage
de Berlin, censé être mort, sera
de la partie. Oui, c’est un spoiler,
“On ne va pas me retrouver, sachez-le.
Papa, qu’est-ce que j’ai peur!”
Dernier message de Sala, avant sa disparition
mais après tout, il s’agit de la série
la plus surcotée de 2018. Autre
réjouissance prévue cette année
pour les gens pas bien finauds, le
combat Booba/Kaaris, qui aura
lieu au mois d’avril, à Bruxelles.
Grande gueule toujours, la grande
nouvelle du jour concerne l’arrivée
de Kombouaré à Dijon. Se faire
virer par le vingtième de ligue 1
pour signer chez le dix-huitième,
c’est la vie qu’Antoine a décidé de
mener. Et depuis qu’il a quitté les
Côtes-d’Armor, c’est la débandade.
La preuve avec le maire de Saint-
Pôtan qui décide de prendre
le taureau par les cornes en
déposant les ordures jetées dans
sa commune devant le domicile de
leur propriétaire: “J’ai sonné, mais
personne n’a répondu. J’ai alors tout
laissé devant le portail… avec un
petit courrier explicatif qui rappelle
les horaires de la déchetterie la plus
proche.” Une bien belle initiative
qui pourrait peut-être pousser
l’AS Monaco à ramener Diego
Benaglio sur le pas de la porte de
Wolfsburg. En attendant, le club de
la Principauté lance l’opération “un
jour/un joueur”. Après la signature
de Naldo, voici Ballo-Touré.
Vendredi 11 janvier. Même les
plus belles choses ont une fin:
après sept ans de gestion pérenne,
le président Jean-Pierre Rivère
annonce son départ de l’OGC
26 SO FOOT _ AVANT-MATCH
Nice ; et après treize ans sur le
circuit ATP, trois victoires en
Grand Chelem et deux médailles
d’or olympiques, Andy Murray
annonce son retrait des courts.
“Trop de douleur…”, explique le Sir,
poursuivi par les blessures depuis
plusieurs années. Sinon, l’opération
monégasque “Un jour/un joueur”,
enregistre l’arrivée de Cesc
Fabregas, venu pour son ancien
mentor à Arsenal, Thierry Henry.
S’il savait...
Samedi 12 janvier. L’attaquant
Kazuyoshi Miura aura bientôt
52 ans, mais ça ne l’empêche pas
de prolonger son contrat d’un
an avec le Yokohama FC, en D2
japonaise. Tout aussi touchant que
la déclaration de Rudi Garcia, qui
pense toujours être “l’homme de
la situation” pour l’OM. Méprise
encore: en Russie, un chasseur tue
son fils après l’avoir confondu avec
un élan. Et puisqu’on parle d’élan,
le PSG retrouve le sien après son
élimination de la coupe en bois, en
s’imposant à Amiens (0-3). Avec ce
succès, Paris devient la première
équipe du championnat de France
à dépasser la barre des 50 points en
seulement 18 journées.
Dimanche 13 janvier. Quelle
journée… Outre l’accident de
voiture d’une adolescente de
17 ans conduisant les yeux bandés
Beaucoup trop d’équipes dans ce match.
“Vinicius a passé plus de temps à terre
que debout. Et quand je lui ai demandé
de ne plus plonger, il m’a traité de fils
de pute” Marc Bartra, joueur du Bétis
en référence au film BirdBox et
l’annulation d’une croisière en
Floride en raison d’une gastro
ayant touché 500 passagers,
de nouveaux incidents racistes
dans les stades sont à déplorer à
Rome (lors de Lazio-Novare) et à
Bologne (qui affronte la Juventus).
Mais attention aux accusations
de racisme injustifiées! Didier
Deschamps aborde le sujet et en
profite pour officialiser la retraite
internationale de Karim Benzema:
“J’ai estimé que la ligne blanche
avait été franchie. Et quand la
ligne blanche est franchie, ensuite
il y a un point de non-retour.”
Antonio Cassano, lui, revient sur
son potentiel gâché: “Si j’avais
fait le nécessaire, je serais devenu
comme Messi.” L’Argentin devient
justement le premier joueur de
l’histoire de la Liga à atteindre la
barre des 400 buts. Rien que ça,
Antonio. Désormais bien loin de
son ancien partenaire au Barça,
Fabregas fait quant à lui ses débuts
en ligue 1 avec un nul à Marseille.
Qui s’incline en revanche contre
son public, Florian Thauvin étant
à deux doigts de se manger une
bouteille de whisky sur la tronche.
Lundi 14 janvier. À Rochester,
des scientifiques démontrent que
coucher dès le premier soir avec
un parfait inconnu a de bonnes
chances de mener à une grande
histoire d’amour. Une chose est
sûre, il n’y aura rien entre Bartra
et Vinicius: “Vinicius a passé
plus de temps à terre que debout.
Et quand je lui ai demandé de ne
plus plonger, il m’a traité de fils de
pute à plusieurs reprises.” Ça y est,
la nouvelle pépite madrilène est
désormais pleinement intégrée au
clan de Sergio Ramos. À New York,
les résidents fêtent le jour “sans
froc dans le métro” et prennent les
transports en sous-vêtements alors
qu’à Washington, Donald Trump
reçoit les champions NCAA en leur
offrant de la “great American food”,
à base de Big Mac et de pizzas.
Pourquoi pas, après tout.
Mardi 15 janvier. Avis aux
67 millions de Français que nous
sommes malgré notre baisse
de natalité: l’amour du maillot
existe encore. La preuve avec
Tony Parker, de retour à San
Antonio dans la peau d’un visiteur
et acclamé durant de longues
minutes par son ancien public.
Mais il y a mieux, puisque Jakub
Blaszczykowski s’engage avec le
Wisla Cracovie, et décide dans la
foulée d’éponger les 300 000 euros
de dettes de son club formateur. De
l’autre coté de l’Atlantique, Jorge
Sampaoli a encore du boulot pour
être digne de Santos, sa nouvelle
équipe. “Nous devons être à la
hauteur de l’histoire des légendes
du club comme Pelé, Neymar et
Ronaldinho.” Problème, Ronnie n’a
jamais joué pour le Peixe. Sinon,
une photo d’œuf pulvérise le record
de likes sur Instagram, et les frères
de Marcus Rashford et de Trent
Alexander-Arnold se font braquer
au restaurant. Les gilets jaunes
avaient pourtant prévenu: le peuple
crève la dalle.
Mercredi 16 janvier. Marcelo
Bielsa donne une conférence pour
se dédouaner d’avoir espionné
Derby County. “Je ne peux pas
parler anglais, en revanche, je
peux vous parler des 24 équipes
qui composent le Championship.
Analyser un seul match demande
quatre heures de travail.” Est-ce
vraiment nécessaire de s’infliger
autant de taf pour diffuser sa
patte et monter une équipe à son
image? Non, répond le Fleetwood
Town coaché par Joey Barton, qui
facture déjà 80 cartons jaunes et
six rouges après 35 matchs. Du
côté de l’OM, ça ne va pas mieux,
avec cette nouvelle défaite contre
Saint-Étienne. Tout le contraire
de la Juventus, qui s’adjuge une
Supercoupe d’Italie, disputée en
Arabie Saoudite. À cette occasion,
le gouvernement saoudien a
d’ailleurs autorisé pour la première
fois des supportrices à assister à
une compétition internationale.
Une première qui enflamme
Gaetano Miccichè, le président
de la ligue transalpine: “J’espère
que c’est le point de départ d’une
révolution sociale dans ce pays.”
Mais oui, à quand des gilets jaunes
dans le golfe?
Jeudi 17 janvier. Non, messieurs-
dames de CNN, Strasbourg ne
se trouve pas en Allemagne! Une
petite erreur, ça arrive. Le Barça
ne dira pas le contraire, lui qui
a aligné Chumi alors qu’il était
suspendu lors du match aller
Francky fait super bien l’autruche
de la double confrontation en ombres chinoises.
remportée contre Levante
en coupe du roi. Un joueur
moins décisif qu’Ousmane
Dembélé, auteur d’un doublé
et seul joueur du Barça à
avoir marqué dans toutes les
compétitions cette saison.
Sinon, Petr Cech annonce
son intention de raccrocher
le casque à la fin de la
saison le jour même où la
police hongroise arrête Rui
Pinto, le hacker portugais
soupçonné d’approvisionner
d’informations croustillantes
les “Football Leaks”.
Vendredi 18 janvier.
7900 euros de salaire
mensuel, ce n’est pas
suffisant pour se payer un
appartement ou une voiture
à Paris. C’est en substance
ce que déclare Benjamin
Griveaux, le porte-parole du
gouvernement. Il exagère? Moins
que cette start-up qui prétend
avoir créé des sous-vêtements
pouvant être portés trois semaines
sans se salir. Pas le cas de la
réputation de ce directeur financier
de la Fédération française de
football, qui se retrouve accusé de
harcèlement sexuel et nie tout en
bloc…
Samedi 19 janvier. Un samedi
qui démarre avec un dromadaire
ralentissant la ligne SNCF Melun-
Montargis, et qui se poursuit par
l’admission de cet Irlandais de 33
ans à l’hôpital de Dublin, en raison
d’un abcès au bras causé par des
injections mensuelles de sperme
dans le sang, afin de soigner ses
douleurs dorsales. Ah, les ravages
de Doctissimo... Tiens, Thierry
Henry ferait peut-être bien d’y aller
afin de trouver un remède miracle
pour son patient monégasque.
L’ASM est battu 1-5 à Louis-II par
Strasbourg dans un match ou Titi,
excédé par les pertes de temps
de Lala sur les remises en jeu, a
rappelé à tout le monde qu’il était
toujours très offensif: “C’est la
43e minute, la putain de ta grand-
mère! Qu’il arrête un peu avec ses
“Si j’avais fait le nécessaire, je serais
devenu comme Messi”
Antonio Cassano, talent gâché, mais conscient
cheveux jaunes là!” Le PSG, de
son coté, ne s’arrête pas et écrase
les Guingampais 9-0. Tristesse
toujours, avec la mort de Boo, “le
chien le plus mignon d’Internet”.
En parlant de meme et de réseaux
sociaux, Nicolas Plestan donne
son avis sur Facebook à propos
du #10yearschallenge: “J’ai hâte
de voir tout (sic) les moutons se
mettre une plume dans le cul le
jour où un trou de balle lance
#laplumedansleculchallenge!! À
tout les moutons de notre société
bonjour…”
Dimanche 20 janvier.
Condoléances à la famille du petit
Diégo, décédé à 14 ans après un
malaise sur un terrain de foot de
Rontignon (Pyrénées-Atlantiques).
Pour penser à autre chose,
Mourinho livre une anecdote
datant d’un match de C1 en 2005
pour lequel il était suspendu: “Je
suis allé dans le vestiaire dès midi
alors que le match avait lieu sept
heures plus tard. Le problème,
c’était pour sortir des vestiaires.
L’intendant m’a alors mis dans le
panier à linge et il l’a entrouvert
pour que je puisse respirer. Mais
quand il l’a sorti du vestiaire, les
officiels de l’UEFA le suivaient et
voulaient me trouver! Il a
donc fermé complètement
le panier et je ne pouvais
plus respirer! Quand il
l’a ouvert à nouveau,
j’étais en train de mourir!”
Krystian Bielik, le buteur
de Charlton, croit lui
aussi sa dernière heure
arrivée lorsqu’il est taclé
au genou après une
glissade d’un supporter
descendu sur la pelouse
pour célébrer son but. Pas
mal, mais toujours moins
sauvage que la banderole
des supporters stéphanois
à destination de Memphis
Depay: “Memphis, 5
millions de followers,
toujours pas de père.” Il y
a pas loin de 5 millions de
Dembélé dans le football
également, et c’est l’un
d’entre eux, Moussa, qui
crucifie les Verts dans le
derby à la 95e. Le karma.
Lundi 21 janvier. Les passagers
irrespectueux dans les transports
en commun, ça suffit. Nick
Naydev, 27 ans, est ainsi banni des
croisières de la Royal Caribbean
pour s’être jeté à l’eau depuis le
onzième étage du bateau. Paul
Pogba et Nemanja Matic, eux,
se font disputer par un voisin de
train australien, qui ne les connaît
absolument pas, parce qu’ils jouent
au Uno trop bruyamment. On les
comprend: poser un +4 entraîne
automatiquement un hurlement
victorieux. Adrien Rabiot aussi
compte faire du bruit. Désormais
cantonné à la réserve, le Duc
saisit la commission juridique
de la LFP. Pendant ce temps-là,
Leonardo Jardim fait frissonner
Bruno Génésio en assurant qu’il va
“bientôt entraîner un club français”.
À propos de tête dans le panier, le
comte de Paris, Henri d’Orléans,
descendant du dernier roi de
France, passe l’arme à gauche,
à 85 ans, le jour de l’anniversaire
de la mort de Louis XVI.
Mardi 22 janvier. Il y a les
nouvelles insolites du matin
entourant le trafic aérien qui font
rire, comme la fausse alerte à la
bombe lancée par un étudiant
rennais de 23 ans pour empêcher
ses parents de le rejoindre, ou
cette bagarre en plein vol qui
oblige un appareil australien à
faire demi-tour. Et puis, il y a les
nouvelles tragiques, qui vous
prennent à la gorge. Ce jour-là,
la France et le reste du monde
apprennent que le petit avion privé
qui emmenait Emiliano Sala de
Nantes à Cardiff est porté disparu.
Vraisemblablement en raison d’un
accident au-dessus de la Manche.
Pendant le vol, l’Argentin avait fait
part de ses craintes à ses proches
via Whatsapp: “Je suis dans
l’avion, on dirait qu’il va tomber
en morceaux (…), on ne va pas me
retrouver, sachez-le. Papa, qu’est-ce
que j’ai peur!” Depuis, aucune trace
de la carlingue, aucune nouvelle
du joueur ou du pilote, aucun signe
de vie. À croire que le temps s’est
arrêté…
Mercredi 23 janvier. La planète
doit continuer de tourner. Alors,
le PSG gagne contre Strasbourg
en coupe de France mais écope
d’une sanction de 100 000 euros
pour l’histoire du fichage ethnique.
Christian Estrosi, lui, met à
l’amende Marlène Schiappa qui
a accepté une invitation de Cyril
Hanouna: “Si le Journal du Hard
existait encore, peut-être que Mme
Schiappa irait.” Halte aux fake
news: évidemment que le JDH
existe encore! Ce qui appartient
au passé, en revanche, c’est la
carrière de footeux d’Usain Bolt.
“C’était une bonne expérience. J’ai
beaucoup aimé faire partie d’une
équipe de foot, c’était très différent
de l’athlétisme, mais ça a assez
duré.” Un mec qui se lasse aussi
vite qu’il court…
Jeudi 24 janvier. Le Real Madrid
redevient le club le plus riche
du monde, Chelsea renverse
Tottenham pour rejoindre
Manchester City en finale de
League Cup, le pied droit de
Neymar inquiète, Mario Balotelli
arrive enfin à l’OM, Frenkie De
Jong choisit le Barça plutôt que le
PSG, Yohann Gourcuff résilie déjà
son contrat avec Dijon et Thierry
Henry est démis de ses fonctions
d’entraîneur à Monaco. Sinon, Sala
et son avion demeurent toujours
introuvables. Force à lui. PAR FLORIAN
q
CADU ET JULIEN MAHIEU / PHOTOS: PANORAMIC,
IMAGO/PANORAMIC, AFP/DPPI ET INSTAGRAM
RIBÉRY
28 SO FOOT _ COUVERTURE

Il fut un temps où, pour devenir le paria du football français, il fallait

traiter son sélectionneur de “sac à merde” ou de “fils de pute”, s’offrir
les services d’une prostituée mineure, ou être empêtré dans une
histoire de chantage à la sextape. Mais tout change. Pour avoir refusé
un statut de réserviste en équipe de France lors de la dernière coupe
du monde, puis une prolongation de contrat au PSG, Adrien Rabiot
se retrouve aujourd’hui au frigo et dans la lessiveuse médiatique:
enfant gâté, immature, égoïste, ingrat, mercenaire, ingérable, sous
l’influence d’une mère-agent cupide et néfaste… Rien ne lui est
épargné. Mais il y a fort à parier que de cette mauvaise passe, Adrien
saura sortir, comme souvent, un ballon propre. Par Ronan Boscher
et Vincent Riou / Photos: Zuma/Iconsport, Afp/Dppi, Presse Sports, Picture-Alliance/Dppi, Bildbyrån/Iconsport et Iconsport
30 SO FOOT _ COUVERTURE
Le match entre les U13 de l’US Créteil-Lusitanos et
y
Sarcelles a commencé depuis à peine dix minutes que
déjà, Adrien Rabiot, numéro 10 sur le dos, est prié par
son coach, sur ordre du directeur sportif, de quitter
la pelouse. C’était au printemps 2008, mais Jacky
Locko, pote de quartier et coéquipier cristolien de
l’international français à l’époque, s’en souvient comme Benaniba. “Il était à fond derrière eux”,
si c’était hier. “Adrien, il voulait juste kiffer son dernier match avec
nous, ses potes du foot, explique-t-il, attablé au McCafé du centre
commercial Créteil Soleil. Il a fondu en larmes.” Rabiot n’allait pas
signer de nouvelle licence à Créteil. Alors à quoi bon le faire jouer,
puisqu’il s’agissait de préparer la saison suivante? Peut-être le but
était-il tout simplement de le foutre en l’air, selon Abdelhak Benaniba,
actuel milieu de terrain d’Ivry et ancien comparse d’Adrien à l’USCL.
“Ce genre d’expérience, c’est violent pour un gamin de 13 ans, non?”
En tous cas, c’est pour le moins formateur, puisque Rabiot pourra
toujours dire qu’il a connu d’autres camouflets que celui qu’il vit
actuellement. Le joueur n’en démord pas et semble bien décidé à
rompre le 30 juin prochain sa (longue) relation avec le PSG. Une
volonté de quitter le club en homme libre qui, évidemment, n’est pas
du goût d’Antero Henrique: “Cette situation est irrespectueuse, à la
fois pour le club et pour les fans”, selon le directeur sportif du club
parisien. Du coup, l’administrateur a décidé que ce serait, là encore,
douloureux. Rabiot, désormais considéré comme un manque à gagner
pour les finances du champion de France en titre, a donc rejoint la
clique “d’une quarantaine” de joueurs de ligue 1 et de ligue 2 “mis
à l’écart” par leur club pour avoir refusé de prolonger leur contrat.
Pire, mis au ban par ses dirigeants, le joueur s’est aussi mis à dos les
supporters parisiens. Le 18 décembre dernier, une banderole “Rabiot,
casse-toi, on n’a pas besoin de toi” était ainsi déployée dans le parcage ont même accepté qu’on monte une équipe
visiteurs du stade de la Source, à Orléans, en coupe de la ligue. Trois
jours plus tard, sur une fresque d’un mur de la rue d’Aubervilliers,
dans le XVIIIe arrondissement parisien, un “Ici c’est Paris” avait
remplacé le visage peint de celui qui
compte, à 23 ans, 227 matchs avec le
PSG. Pas si mal, pour un mercenaire. “Quand on le surnomme
Le minot de ‘le Versaillais’, ça me fait
“l’Antirouille” sourire: il vivait au milieu
des communautés
À le voir trimballer la nonchalance
des aristos du beau football, la maliennes et sénégalaises.
discrétion des gens bien élevés et la Même chez les pros,
confiance en soi des ambitieux, les
médias et les réseaux sociaux ont fait il est naturellement proche
d’Adrien Rabiot, le “Duc”. Ou pire,
le “Versaillais”. Presque insultant,
des Blacks”
quand on est né comme lui dans le Jacky Locko, son pote d’enfance
Val-de-Marne, à Saint-Maurice, et
qu’on a grandi à Créteil, au milieu
des barres d’immeubles du quartier
Kennedy. Adrien est le benjamin de la fratrie. Geoffroy, l’aîné, une
petite trentaine d’années aujourd’hui, est un ancien militaire de
carrière. Ceux qui l’ont croisé le décrivent comme une armoire à glace
d’un bon double mètre. Le cadet, Valentin, un an seulement plus
vieux qu’Adrien, mesure, lui, à peine plus de 170 centimètres. Il s’était avait encore un football enfantin, à toujours percuter, mais lui, il savait
inscrit au Cours Florent, mais aux dernières nouvelles, aurait renoncé
à brûler les planches. La maman, Véronique, divorcée de Michel
lorsqu’Adrien était encore très jeune, a élevé seule ses garçons. On lit
qu’elle aurait été médiatrice sociale, d’autres disent qu’elle a exercé le Gaoussou Sackho, ancien attaquant de l’USCL désormais à Épinal,
métier de bibliothécaire. Mais la plupart se souviennent d’elle comme
d’une femme au foyer. Le conditionnel est de rigueur avec le secret
clan Rabiot. Ce qui est sûr, en revanche,
c’est qu’ado, Adrien en pinçait plus pour
l’Olympique de Marseille que pour le
PSG du numéro 9 et capitaine Pedro
Miguel Pauleta. “Lors des clasicos, il était
clairement pour l’OM”, sourit Abdelhak
embraye Locko, qui se souvient aussi que
le balcon de l’appartement cristolien des
Rabiot était facile à escalader. Adrien le
faisait pour aller chercher les clés quand
il n’y avait personne pour lui ouvrir. Un
yamakasi, le minot? Il faut croire. Pour
Locko, en tout cas, l’environnement direct
d’Adrien sentait plus le mafé que la poule
au pot ou le lièvre à la royale. “Quand on
le surnomme ‘le Versaillais’, ça me fait
sourire: il vivait au milieu des communautés
maliennes et sénégalaises. Même chez les
pros, il est naturellement proche des Blacks.
Adrien, c’est un Blanc, mais si on avait dû
aller à la guerre, on l’aurait évidemment
embarqué avec nous.” Toujours flanqué
de Valentin, Adrien est notamment le
ticket d’entrée pour les petits de son âge
à “l’Antirouille”, tournoi de futsal informel
des grands du quartier pendant les
vacances. “Ils ne voulaient pas de nous, sauf
lorsqu’il y avait Adrien, explique Jacky. Ils
de petits pour un tournoi où Aimé Jacquet
était venu dédicacer des tee-shirts. Grâce
à Adrien, les grands nous témoignaient
un peu plus de
considération.”
Somme toute
logique. Car
depuis qu’il traîne
ses crampons
à Créteil –avec
une infidélité
d’une année à
Alfortville pour
une licence signée hors délai en poussins–,
Adrien, déjà longiligne et chevelu, détonne
balle au pied au sein de la génération 95
de l’USCL, qualifiée d’exceptionnelle. En
2007-2008, il fait déjà partie de la seconde
équipe régionale des 13 ans cristoliens, “la
PH”, habituellement réservée aux plus vieux.
“Une première au club”, souligne Benaniba,
alors son acolyte du milieu de terrain.
Aujourd’hui en ligue 2, à l’US Orléans, Thomas Ephestion garde un
souvenir ému de cette époque où il jouait encore avec celui qui l’avait
accompagné faire un essai au RC Lens. “Ce sont tout simplement mes
plus belles années de foot, celles avec Adrien, soupire-t-il. Nous, on
temporiser, marquer, accélérer. Tranquille.” “Les ballons que tu perdais,
lui, il ne les perdait jamais”, résume Abdelhak. “Il savait surtout
voir et être vu sur le terrain, sans qu’on lui ait expliqué”, s’émerveille
en N2. Bref, Adrien sort du lot. “Même les adversaires parlaient de
lui, lâche Locko. Il a toujours entendu d’autres coachs dire: ‘Ouais,
Le Duc de Canterbury.
à Créteil, il n’y a que le numéro 10…’ Ça ne l’a jamais perturbé, ni
atteint. Quand des joueurs adverses lui mettaient des coups ou le
chambraient en lui disant qu’il était le seul Blanc dans une équipe de
Blacks, il ne se déballonnait pas non plus. Sa vie au quartier l’avait
déjà un peu immunisé.” Derrière la rambarde, les recruteurs venus
de toute l’Ile-de-France n’en perdent pas une miette. “Ils ont été là,
dès son plus jeune âge, c’était un truc de ouf”, confirme Ephestion.
Comme bon nombre de ses coéquipiers, ce dernier se voit offrir des
fanions du PSG par Dominique Flament, un recruteur du club. “Bon,
on a su après qu’Adrien, lui, recevait des maillots…”, lâche Locko.
De quoi susciter des jalousies? Un peu, selon Abdelhak: “On le
cherchait parfois, du genre ‘Il est amoureux de toi, le mec du PSG’.”
Un peu trop, selon Gaoussou, qui se souvient que Rabiot avait fini
par câbler au fond d’un car, en route pour un tournoi organisé vers
Cambrai. “On lui avait dit qu’il n’y en avait que pour lui, que c’était
le chouchou des coachs, alors il a pété un plomb. Mais bon, à cet
âge-là, tu t’embrouilles le dimanche, et le lundi tout va mieux.” Enfin,
pas tellement mieux, puisque l’INF Clairefontaine, après cinq tour
de sélection, recale Adrien dans la liste des réservistes. Déjà. “L’INF,
sa maman y tenait absolument. Et nous, ça nous allait, rapporte
le recruteur du PSG qui avait suivi le dossier de près à l’époque.
Tout le monde était sur lui, il avait fait des essais concluants à Lille,
Monaco le voulait, et bien d’autres. On avait signé une convention,
c’était fait à 90 %…” Mais non. Le PSG ne verra pas tout de suite les
bouclettes du garçon. Au plus grand dam de Gaoussou, qui se revoit
avec son père, attendant Adrien et Véronique pour se rendre à un
ultime essai au Camp des Loges. “Là, le téléphone a sonné. C’était
un recruteur du PSG. Il nous a dit: ‘Adrien a signé pour Manchester
City et ne viendra pas. L’essai est annulé. Pour toi aussi.’ Sur le
coup, je suis ultra déçu, parce que Paris voulait tester la doublette
que je formais avec Adrien. Alors sans lui, c’était compliqué…”
Véronique organisera tout de même un petit pot de départ au club
house de l’USCL. Évasive quant à ce déménagement précipité pour
l’Angleterre, la mère laisse le soin aux coéquipiers d’Adrien de
s’occuper du storytelling. Locko est ainsi persuadé que City aurait
supervisé le milieu lors d’un tournoi parisien disputé sur deux jours.
“Avant un match, un type m’avait demandé s’il savait tirer les coups
francs. Gaoussou était notre tireur attitré, mais on a laissé Adrien
s’en charger. Il marque, et le lendemain, il nous dit, normal, que sa
mère a reçu un message de City. On était choqués.” Un peu comme le
32 SO FOOT _ COUVERTURE
recruteur du PSG. “Je ne sais pas ce qu’ils ont proposé à Mme Rabiot,
mais après cet échec à l’INF, elle a très rapidement estimé qu’il fallait
signer là-bas…”
Le City de la peur
Véronique Rabiot a-t-elle fini par prendre peur de ce balcon trop facile
à escalader? A-t-elle voulu prouver aux éducateurs de l’INF qu’ils
s’étaient trompés au sujet de son fils? Personne n’a explication sur
cette soudaine envie d’expatriation sauf peut-être cet ancien dirigeant
de la cellule de recrutement de City. “Notre scout en France a compris
qu’elle voulait désespérément quitter la France et rejoindre l’Angleterre,
pour des raisons personnelles, familiales… disons maritales, accouche-
t-il. Elle disait que Londres était encore trop proche de Paris. Donc
elle s’est finalement reportée sur Manchester.” Une aubaine pour les
Sky Blues, qui acceptent d’emblée les deux requêtes de Véronique
Rabiot. Une aide à l’installation et la scolarisation de ses deux fils,
Valentin et Adrien, dans un bon collège, la St James Catholic High
School, située près de l’aéroport de Manchester, au sud de la ville.
C’est tout? Oui, c’est tout. “Le contrat signé à l’époque ne prévoyait
pas qu’Adrien devienne automatiquement professionnel à 17 ans,
tout simplement parce que c’était illégal”, indique l’ancien employé
Citizen. Une version qui met à mal celle de Véronique, qui en gros,
a toujours soutenu que City n’aurait pas tenu ses promesses, ce qui
aurait précipité le come-back de la
famille dans l’Hexagone, seulement six
mois après son arrivée en Angleterre.
“Contrairement aux garçons, Véronique “Véronique voulait
ne s’est pas très bien acclimatée, révèle-
t-il. C’est une tête dure, Véronique.
désespérément quitter
Elle nécessitait à elle seule de la ‘high la France et rejoindre
maintenance’. Elle avait beaucoup trop de
demandes.” Malgré ce faux départ sportif,
l’Angleterre, pour des
l’échappée anglaise reste pourtant un raisons… disons maritales.
bon souvenir pour Valentin, qui a depuis
gardé le surnom de “James”, mais aussi Au départ, elle avait opté
pour Adrien, devenu bilingue et fan pour Londres, mais elle
du dresscode local: “ Là-bas, on devait
porter l’uniforme à l’école, c’était top, disait que c’était encore
j’adorais ça.” Du coup, Daniel Brunard, trop proche de Paris”
qui l’a côtoyé en équipe de France U16
et U17, n’a pas été vraiment surpris par Un ancien dirigeant de la cellule
sa capacité à s’imposer ensuite dans un de recrutement de Manchester City
vestiaire international: “On le sentait
armé et mature. En déplacement, il
était très à l’aise en anglais et à l’oral.
Même nouveau, il faisait partie de ceux que le coach choisissait pour
répondre aux télés.” En jogging à Créteil Soleil, en costume-cravate
dans les couloirs d’une école britannique, ou casual au collège des
Lavandières de Bizanos, en périphérie de Pau –où il s’installe avec
les siens après le crochet mancunien–, Adrien n’a vraisemblablement
jamais manqué d’assurance. Ceux qui l’ont fréquenté lui reconnaissent
d’ailleurs un certain flegme. C’est le cas de Louis Bury, qui l’a côtoyé
en classe, mais aussi au Pau FC. “C’était un garçon calme et réservé,
qui ne semblait pas très concerné par les études mais qui savait ce
qu’il voulait faire plus tard. Et ce n’était pas des mathématiques. Il
dégageait beaucoup de confiance en lui.” Valérie Genestet, prof de
maths qui l’a eu plus tard au centre de formation du PSG, évoque
elle aussi cette placidité quand il a intégré le groupe pro. “Peut-être
jubilait-il intérieurement, ou considérait-il que c’était son dû. Ou
alors il est zen, tout simplement, s’interroge-t-elle rétrospectivement.
Contrairement à d’autres, c’était en tout cas un élève assez sympa, et
puis il n’était pas mauvais. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a regretté son
prêt à Toulouse, parce qu’il aurait pu avoir son bac.”
“Il me fait chier, Laurent Blanc!”
Difficile de savoir pourquoi la famille Rabiot, sitôt la mystérieuse
aventure anglaise avortée, s’est établie à Pau, à partir de Noël 2008,
alors qu’Adrien avait signé un ANS (accord de non-sollicitation, un
contrat aspirant pour mineurs qui interdit aux autres clubs pros de
draguer le joueur ou sa famille) avec le PSG. La précarité économique
du foyer, la nécessité de trouver un point de chute rapidement, et
la possibilité d’y être hébergé gracieusement par des amis… C’est
la thèse de ceux qui ont aidé les Rabiot à s’intégrer. “Au début, ils
étaient installés chez un couple de Jurançon, des gens plus âgés que
Véronique”, informe Jacky Mariz, alors dirigeant du Pau FC. Après
ne s’être satisfait que d’entraînements pendant un gros trimestre au
sein de la section sportive de son collège à Bizanos, Adrien rejoindra
ce même Mariz, à Pau, considéré alors comme le meilleur club de la
région. Un samedi d’avril 2009, sans aucun entraînement dans les
jambes ni automatisme avec ses coéquipiers, à l’exception de Louis
Bury, le grand ado aux grosses boucles brunes débarque pour une
demi-finale de coupe des Pyrénées, contre l’Aviron Bayonnais, avec
une tenue de Manchester City. “Avec du recul, ça paraît fou de faire
jouer un gamin débarquant de nulle part, qui plus est en coupe, et
pour un derby”, concède Alexandre Mariz, fils de Jacky. Au moment
de se changer, Adrien a des envies de
vomir, et d’ailleurs. Il sera rassuré par le
père Mariz. Son fils Alexandre, quand
un central se pète à l’échauffement, se
sacrifie pour laisser Adrien débuter à son
poste, au milieu. Ce jour-là, les deux ados
marquent chacun un but. L’occasion pour
les deux familles de se rapprocher. “Après
le match, Véronique m’a remercié, et je lui
ai donné mon numéro, en cas de besoin,
explique Jacky, avant de sourire. Il n’a
pas fallu lui dire deux fois. Elle m’appelait
sans arrêt. Heureusement que ma femme
n’est pas jalouse.” Heureusement, oui,
car les Rabiot prolongent d’une année
supplémentaire leur bail dans le Sud-
Ouest. À l’époque, grâce au PSG, Adrien
intègre l’internat du Pôle Espoir de
Castelmaurou. Il y passe ses semaines,
puis défend, les week-ends, les couleurs
des U15 de Pau, sauf quand Paris le
réquisitionne pour des tournois. Avec la
jeune carrière de son fils remise sur les rails, Véronique reprend une
vie à peu près normale à l’été 2009, et peut enfin débarrasser Jacky
Mariz de la cinquantaine de cartons qu’elle avait stockés chez lui. La
mère de famille obtient en effet du conseil général un appartement.
Mauvaise nouvelle pour Jacky: l’entrée du lieu, dépendant d’une
structure associative pour les femmes victimes de violences
conjugales est restreint aux seuls membres de la famille. “Du coup, je
passais chercher ses meubles en kit, et je les lui ramenais une fois que
je les avais montés chez moi”, explique le serviable Jacky Mariz, chez
qui Adrien et Valentin ont parfois dormi, tout comme leur grand-mère,
décédée en début d’année. Bonne pâte, le Tony Micelli du Béarn invite
régulièrement la famille Rabiot à dîner. Y compris pour le nouvel an.
Et quand il ne garde pas le chat des Rabiot, le dirigeant de Pau dépose
aussi Véronique, très croyante, à l’église. Jacky prête même sa Ford
Escort break à la mère de famille, “pour qu’elle puisse emmener les
enfants à la plage”. La voiture sera finalement rachetée par Véronique.
Une transaction débouchera d’ailleurs sur quelques embrouilles.
La famille d’abord.
34 SO FOOT _ COUVERTURE

“Quand la famille a regagné la région parisienne, un garagiste du honnête carrière en Espagne, le pays de ses parents, en D2 et
coin lui a dit que la Ford était une dangereuse épave. Il l’a roulée en D3, a gardé quelques contacts “Son idée, c’était que son fils
en la rachetant pour rien, pour lui en vendre une autre, détaille soit repéré en Espagne. Malgré ce fameux ANS signé avec Paris,
Jacky. Comme elle n’avait pas changé la carte grise, et les nouveaux elle m’avait juré sur la tête de ses trois enfants qu’Adrien n’irait
propriétaires non plus, je recevais toujours les amendes. Les huissiers jamais au PSG.” Promesse non tenue, en partie parce que l’ado
sont même venus de Bayonne pour me saisir” Véronique s’excusera ne convainc pas les recruteurs ibériques. “Ils prétendaient qu’il
finalement pour la gêne occasionnée, raisonnée par l’aîné Geoffroy, ressemblait plus à un basketteur qu’à un footballeur, regrette
avec qui Jacky revendique une relation forte. “Un jour, il nous a Mariz. Je ne peux pas leur en vouloir, parce qu’à part sa grande
demandé, à ma femme et moi, notre avis sur son envie de mariage taille et ses longs cheveux, il ne ressortait pas vraiment du lot.
avec sa petite amie brésilienne.” Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, Mais il avait déjà cette assurance dans sa gestuelle, son regard…
les deux clans ne s’adressent plus la parole. Un grand froid qui C’est un gamin qui ne demande aucun conseil. Il sait. C’est un
remonte au quart de C1 City-PSG d’avril 2016. À l’époque, la femme truc de famille. Et quand on voit sa progression, c’est un truc de
de Mariz, malade, doit décliner au dernier moment l’invitation fou.”
de Véronique pour assister au match retour à Manchester. Jacky
propose alors que son fils de 15 ans la remplace. “Au téléphone, Le “Duc” du Stadium
Véronique m’a dit: ‘J’ai réservé une chambre pour trois adultes, ton
fils a 15 ans, qu’est-ce que tu me baratines?’ Là, j’ai raccroché, c’est Parlons-en, de sa progression. Auréolé en 2010 d’un titre de
inadmissible de mettre la santé de ma femme en doute, et je n’ai plus champion des Pyrénées, le fan de l’OM rejoint enfin le Camp
jamais entendu parler d’elle.” Malgré cette déception, Jacky garde des Loges, où il est très vite surclassé en U17. Jean-Luc Vasseur,
encore du respect pour Véro. “Elle a du caractère, elle n’a peur de son coach, le surnomme alors affectueusement “Poupou”,
personne, c’est une sacrée bonne femme, lâche-t-il, admiratif. Elle est pour sa chevelure qui rappelle celle de Carles Puyol, l’ancien
charismatique, par son regard perçant, ses yeux turquoise… Elle a capitaine du Barça. “Lorsque nous avons été sacrés champions
des couilles.” Peut-être même un peu trop, selon son fils Alexandre. de France en battant l’OM en finale, il avait d’ailleurs rendu
“Ma mère disait qu’elle faisait limite froid dans le dos tellement elle service en défense centrale après une expulsion”, note Vasseur,
dégageait de la force et de la détermination. C’est vrai qu’on se sent fan de la polyvalence du joueur. Il n’est pas le seul, puisqu’en
parfois petit face à elle. Elle se tient avril 2012, Carlo Ancelotti
droite, et cette façon de parler... Elle décide de surclasser le mineur
est impressionnante par moments.” de 17 ans dans le groupe pro, à
Pour les Mariz, la réussite d’Adrien l’occasion d’un déplacement du
relève de quelque chose entre la PSG à Sochaux. Le 2 juillet, il
certitude mystique d’une mère et la signe un contrat pro, pour trois
prophétie autoréalisatrice. Adrien, ans. Le 8 août, pour la première
à l’âge de raison, avait annoncé de Zlatan, il est aligné d’entrée
qu’il deviendrait footballeur au Parc lors d’un match amical
professionnel. Il le sera. “‘Dans contre le Barça. Après quelques
la vie, tout ce qui arrive a une passes mollassonnes, il rentre
explication’, disait-elle souvent. définitivement dans son match
Comme si tous les obstacles qu’ils après une intervention musclée sur
devaient surmonter étaient là dans Messi. Quelques semaines plus tard,
le but de les rendre encore plus contre Zagreb, il efface même Mikel
forts”, décrypte Jacky. Pour illustrer Arteta des tablettes en devenant le
son propos, l’homme évoque le plus jeune joueur du PSG à débuter
3 novembre 2015. En famille au dans un match de C1. Fin décembre,
Bernabeu pour assister au Real il ne monte pas à bord de l’avion
Madrid-PSG, il voit Véronique pour Doha parce que sa mère n’a
appeler Adrien. Au bout du fil, le pas sa carte d’embarquement,
joueur lui annonce qu’il ne fait pas contrairement aux compagnes des
partie du onze de départ du coach joueurs. La France du foot apprend
à la touillette. “Là, elle a hurlé: ‘Il alors l’existence de Véronique, qui
me fait chier, Laurent Blanc!’ En négocie, en janvier, un prêt de six
raccrochant, elle m’a sorti: ‘De toute mois à Toulouse. “J’avais vraiment
façon, Adrien rentrera au bout de besoin de jouer, j’étais trop souvent en
20 minutes.’” Quelques heures plus tribunes au Parc”, justifiera alors celui
tard, Verratti, blessé dans un choc qui a la responsabilité de remplacer
avec CR7, est obligé de quitter ses Moussa Sissoko dans l’entrejeu du
partenaires au quart d’heure de TFC. “Ça n’arrive jamais en ligue 1,
jeu. Rabiot le remplace. Comme de se faire prêter un gars de 17 ans,
prévu. “À ce moment-là, mon cousin réfléchit Adrien Regattin, son ancien
espagnol, présent à côté de moi en tribune, m’a regardé: ‘Véronique coéquipier dans la Ville rose. On avait une curiosité rien que sur
es una bruja.’” Quelques années auparavant, la “sorcière” avait déjà ça, déjà.” Les doutes seront dissipés très vite, puisque lors de sa
tenté d’inverser le sort de son fils en soufflant à Jacky Mariz l’idée première titularisation en ligue 1, le Francilien inscrit son premier
de faire une petite tournée de trois matchs amicaux en Espagne but en pro d’une mine de 25 mètres contre Brest. Plus qu’un coup
avec le Pau FC. C’était au printemps 2009-2010. Jacky, qui a fait une d’éclat, c’est une déclaration d’intention: le joueur veut montrer à
 Un physique de Rabiot.
tout le monde qu’il n’est pas là pour passer le temps. À l’époque,
Jean-Daniel Akpa-Akpro a sympathisé avec celui qui n’a pas encore
le permis. Il le conduit souvent aux entraînements. “C’était sur ma
route.” Mais pas d’Adrien sur le siège passager sur le chemin du
retour. Naïvement, JD pense que Rabiot bûche ses cours. “En fait, il
restait au club pour faire de la muscu ou des
séances supplémentaires sur le terrain. À
partir de là, j’ai suivi son exemple.” Collés à
la roue de leur jeune taulier, Toulouse finit “Véronique, son idée,
10ème, sans trembler. “Personnellement, je c’était que son fils soit
n’avais jamais vu une telle maturité pour
un footeux de son âge, admet Regattin. Il repéré en Espagne.
ne ressentait absolument aucune pression.”
Buste droit et tête levée, celui qui n’affole
Elle m’avait juré sur
pas les tensiomètres a profité de ces six la tête de ses trois
mois passés en Haute-Garonne pour valider
enfants qu’Adrien
son tampon dans la catégorie des joueurs
d’élite. Enfin. Car nombreux sont ceux à n’irait jamais au PSG”
avoir mis du temps à constater le côté hors
norme du Parisien. Tom Viard, aujourd’hui… Bernard Mariz, ami de la famille
vendeur à la boutique du PSG des Champs-
Élysées, a partagé le vestiaire des U18 et
U19 français avec Rabiot. Il était loin de se douter que ce dernier
pourrait un jour se payer le luxe de dire aux dirigeants de Tottenham
que leur club n’est pas assez bien pour lui. “Comme Lenglet, dans
un autre registre, il a progressé à l’œil nu, explique Viard, entre deux
ventes de maillots. Ces deux-là sont arrivés plus haut et plus vite que
ce que l’on pouvait raisonnablement imaginer, c’est phénoménal.”
Voire carrément miraculeux, selon Daniel Brunard, qui l’a côtoyé
avec les Bleus en U16, sans être bouleversé à l’époque par son talent.
“Il était correct mais pas étincelant, quoi, lâche-t-il. Sportivement, sa
progression m’a bluffé. Mais humainement, mentalement, je n’étais
pas surpris qu’il soit si à l’aise au milieu
de grands joueurs au PSG. À mon époque,
il n’avait jamais la mine déconfite quand
il perdait un ballon. Sans être hautain ou
désinvolte, la pression et l’enjeu n’avaient
pas d’impact négatif sur lui. Cette faculté
mentale à relativiser explique pour
beaucoup sa réussite. Il avait déjà la façon
de faire des plus grands, en fait.”
Francis Cabrel,
la remuntada et la théorie
de la relativité
Si Rabiot n’a jamais envisagé une carrière
dans les mathématiques, comme l’affirme
Bury, son ancien camarade de classe à
Pau, le Parisien a très vite dû saisir la théorie de la relativité. Car
si Adrien a l’estomac pour digérer une remuntada ce n’est pas
seulement parce qu’il peut se targuer d’avoir marché sur Lionel
Messi quelques semaines auparavant, en lui infligeant, en prime, un
petit pont que n’aurait pas renié ce bon Javier Pastore. Sa résilience,
36 SO FOOT _ COUVERTURE
il la tient sans aucun doute aussi des accidents de la vie qu’il a dû
surmonter, comme l’accident vasculaire cérébral de son père, Michel,
survenu en 2006, et qui a plongé ce dernier, disparu cette fin janvier,
dans un Locked In Syndrom. Au sein de ses coéquipiers cristoliens,
peu connaissaient la situation. “Adrien m’en avait parlé, sans en
faire des tonnes, avoue Thomas Ephestion. Mon grand-père avait
subi aussi subi un AVC, donc je savais de quoi on parlait.” La plupart
des joueurs du PSG, eux, ne l’apprendront que le 14 décembre 2011,
lors d’une rencontre amicale organisée à l’initiative de Véronique
à Auxerre, où est alors soigné Michel, entre le centre de formation
du PSG et celui de l’AJA. Après avoir mis deux buts en première
mi-temps, Adrien retrouve, pour assister à la seconde période, son
père, immobilisé dans un fauteuil, et qui ne peut s’exprimer qu’avec
les paupières. C’est la première fois qu’il le voit jouer depuis son
accident. C’est la dernière fois que les Rabiot se sont dévoilés de
la sorte en place publique. Il faut dire que la pudeur, pour Adrien,
c’est sacré: “La vie privée, faut pas s’en mêler.” Malgré cette réserve,
il n’hésite pas à sortir du bois quand il l’estime nécessaire. L’homme
n’est pas du genre à hurler avec les loups. Il n’a pas rechigné à
soutenir Serge Aurier lorsque ce dernier s’est retrouvé dans l’œil
du cyclone après le grand déballage sur Periscope: “Du jour au
lendemain, tout le monde lui est tombé dessus (…), reproche Adrien
dans Sport-Étude. Dans ces moments-là, il faut des amis pour vider
ton sac, te remonter le moral, discuter simplement et penser à autre
Ça pèse lourd 180 millions.
chose qu’au football. C’est un type super, mais le problème, c’est
que les gens à l’extérieur se font souvent une image erronée de nous
sur la base de ce qui se raconte, sans chercher à approfondir. C’est
parfois dur.” Ce qui est simple, en revanche, à ses yeux en tout cas,
c’est le football. Quand il le pratique ou en parle, le bonhomme
semble complètement se soustraire aux vicissitudes de ce monde. Le
ballon comme sas de décompression? Il y a de cela. C’est peut-être
d’ailleurs la raison pour laquelle il met toujours l’accent sur la même
chose lors de ses rares sorties médiatiques: jouer. Au début de la
saison 2014-2015, après un transfert avorté à la Roma, il ne réintègre
les rangs professionnels qu’après avoir prolongé fin octobre son
contrat, jusqu’en juin 2019. La saison suivante, abonné au banc
de touche, il profite d’une blessure de Verratti pour enchaîner
six titularisations et, anticipant le retour du “Hibou”, accorde un
entretien délicieux à Téléfoot. “J’avais de l’avance et je ne l’ai pas
gardée. (…) Pas par ma faute…” Sous-entendu: c’est le club qui a
freiné sa progression. “Je serais prêt à faire toute ma carrière au PSG
si j’étais titulaire, explique-t-il alors. J’ai demandé au président à être
prêté si mon temps de jeu venait à baisser d’ici au mois de janvier. Il
ne pourra pas me le refuser, car j’ai répondu présent. Il m’aime bien,
ce sera peut-être mon cadeau de Noël.” Dès lors, Rabiot se taille
progressivement l’image d’un enfant gâté, capricieux et imbu de
lui-même. Une empreinte médiatique qui est tout le contraire de la
personne que décrivent ses anciens partenaires ou coachs. Rabiot

Bigflo et Adri.
s’en fout et continue de brouiller son image
alors que son message est pourtant clair:
il veut jouer. C’est tout. “On entend tous les
jours qu’on gagne beaucoup d’argent dans un
grand club, mais ça ne suffit pas. Quand on a
une passion, comme c’est mon cas, et qu’on a
le potentiel qui va avec, on a envie de la vivre
à fond. Et je ne vois
pas en quoi le fait
d’être jeune change
quelque chose.” Ceux
“Véronique va le
qui l’ont vu débouler défendre comme la louve
dans le vestiaire
parisien confirment
défend son louveteau.
qu’il n’était pas là Elle n’a qu’un seul intérêt:
pour respecter les
hiérarchies établies. celui de son fils. C’est un
Lors d’un match rapport de force inédit
de présaison, il
répond à Zlatan par pour le club”
des noms d’oiseau, Un recruteur proche du clan Rabiot
comme pour lui prouver qu’avoir une
grande gueule est à la portée de tout le
monde. “Je me suis dit: ‘Lui, il a grandi dans
le quartier’”, rigole Jacky Locko. Le vestiaire parisien constate la
singularité du bonhomme le jour de sa première apparition dans
le groupe. Pour le traditionnel bizutage chanté, Rabiot, pourtant
grand amateur de rap US, opte finalement pour Je l’aime à mourir
de Francis Cabrel… “Vous pouvez détruire tout ce qu’il vous plaira,
elle n’a qu’à ouvrir l’espace de ses bras pour tout reconstruire…” Une
dédicace (prémonitoire) à sa mère?
“Adrien ne travaille pas à la préfecture”
Un ancien recruteur qui connaît le clan Rabiot depuis les années
Créteil, et croise toujours Véronique à Saint-Germain-en-Laye autour
d’un café-clope, se montre très clair sur cette relation tant décriée.
“Certains se sont cassé les dents à essayer de les diviser. Eux, ils
n’ont rien compris au film. On ne négocie rien avec lui en écartant
sa mère. C’est comme ça, il est loyal. Pas qu’avec elle, avec tout le
monde. Il a des principes, ses éducateurs de Créteil, il les invite chez
lui, aux matchs, etc. Tout le contraire d’un mec hautain. Il est simple
et fidèle.” Nombreux sont ceux, parmi les anciens partenaires ou
coachs d’Adrien, qui voient dans la caricature que les médias font
de Véronique –une femme ingérable et cupide, la fossoyeuse de
sa carrière– l’œuvre du club et du lobby des
agents. En substance, Véronique serait l’arbre
cachant la forêt de la gestion sportive du
PSG, bien au-delà du cas Rabiot. Quant aux
agents qu’elle a envoyés promener un par
un sans qu’aucun ne puisse leur expliquer
quelle serait la plus-value de travailler avec
eux, si ce n’est de leur verser un pourcentage,
ils feraient jouer leurs relais médiatiques
pour laisser croire qu’il est préjudiciable de
se passer d’eux. “Or, c’est une tendance forte
pour les environnements familiaux, de traiter
directement avec les clubs, avance un coach.
Ça fait tout une part du gâteau dans lequel
les agents ne croquent plus. Si Adrien en
avait un, sa situation serait déjà réglée depuis
longtemps. L’agent travaille pour le joueur,
mais doit trouver une entente avec le club s’il
veut continuer à travailler avec. Là, Véronique va le défendre comme
la louve défend son louveteau. Elle n’a qu’un seul intérêt: celui de
son fils. C’est un rapport de force inédit pour le club, surtout qu’elle
ne cherche pas à rentrer dans le système.” En tout cas, Mme Rabiot
ne manque pas d’humour quand elle déclare, par exemple, en
avril 2015 dans L’Équipe, que rien ne laisse présager qu’Adrien
finira sa carrière à Paris: “Bouger, cela fait partie de la carrière d’un
footballeur. On n’a fait que ça, jusqu’ici.
Il ne travaille pas à la préfecture…” Ou
encore, quelque part entre le lapsus
révélateur et l’autodérision, quand elle
déclare au micro de RTL en décembre
dernier: “Alors on dit ‘Oui, mais il a été
formé ici, il devrait rester dans son club’.
Mais est-ce que les parents, parce qu’ils
éduquent leurs enfants, les gardent toute
la vie avec eux? Non.” Et si la franchise
n’était pas, après tout, le plus grand
péché des Rabiot, dans un univers où
l’avenir appartient souvent à ceux qui
manient la langue de bois? “Quand il dit
qu’il n’était pas chaud et avait peur de
se blesser au terme du match contre la
Bulgarie, c’est une énorme maladresse,
mais peut-être que d’autres joueurs le pensent aussi très fort et ne le
disent pas”, schématise ainsi un ex-coach. Ses anciens compagnons
de pelouse le qualifient également de bien trop intelligent pour ne
pas avoir mesuré les conséquences de son refus d’être réserviste
chez les Bleus en mai dernier. “Aussi maladroite soit la lettre de
refus, en gros, Adrien dit qu’il n’est pas psychologiquement prêt à être
appelé, ce qui est plutôt franc et professionnel, je trouve”, lance l’un
de ses anciens coéquipiers, qui jure qu’à sa place il l’aurait bouclée,
puis serait allé s’empiffrer de Big Mac pour faire passer la déception.
Nettement moins pro, mais tellement plus malin… À croire qu’Adrien
Rabiot aime jouer avec le feu. “Il y a une chose à savoir sur lui,
prévient Pierre Mankowski, son coach en Espoirs. Il arrivait toujours
au dernier moment aux rendez-vous. Il sera là à l’heure pile, pas à
moins cinq, et s’il est en retard, ça sera juste de dix secondes. Il arrive
le dernier, quand tout le monde est déjà là. Je ne sais pas si c’est un
jeu, mais c’est à la limite de la provocation. Quand vous lui faites
la réflexion, il s’excuse poliment, et refait le même coup un peu plus
tard. Je ne sais pas quelle conclusion on pourrait en tirer.” Peut-être
aucune, mais une chose est sûre: Adrien Rabiot a désormais un peu
MENTIONS.
•
de temps libre pour y réfléchir. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR VR ET RB, SAUF
38 SO FOOT _REPORTAGE
Taquiner
le queer
Connu pour ses trafics de drogue, ses
contrefaçons et ses prostituées, le quartier
de Tepito, dans la capitale mexicaine, est surtout fameux
pour son clasico annuel, entre l’Hebraye et les Gardenias,
une équipe amateur formée essentiellement par des
transsexuelles. Immersion dans la seule parenthèse
enchantée d’une cour des miracles où règnent
généralement la violence et une Vierge à la
tête de mort. Par Diego-Tonatiuh Calmart, à Tepito
(Mexique) / Photos: J. Raúl Pérez pour So Foot
40 SO FOOT _REPORTAGE
Une marée de plastique arc-en-ciel, et
U
derrière une énième rangée d’étalages,
sans qu’on s’y attende, le “Maracana”.
Noyée dans le vertige horizontal de
Mexico et coincée entre les stands de
baskets ou de DVD contrefaits, la pelouse
synthétique du stade de Tepito semble sortir
de nulle part. C’est ici, au cœur du marché
du quartier populaire de Barrio Bravo, que
Cuauhtémoc Blanco, l’inventeur du coup du
crapaud lors du mondial 98, a tapé ses premiers
ballons. C’est ici, aussi, que se déroule le clasico
le plus barré de la capitale mexicaine. Voilà
bientôt trente ans que l’Hebraye tente en effet
de l’emporter face aux Gardenias, une équipe
amateur formée exclusivement par des membres
de la communauté LGBT locale. Devenu au
fil des ans l’attraction phare des festivités de
la Saint François d’Assise, le saint patron de
Tepito, ce derby si particulier est surtout un
concentré de toutes les contradictions de la
culture mexicaine. Capables d’attirer les foules
le temps d’une journée pour une sorte de
remake de La Cage aux folles adapté au football,
les membres de la communauté LGBT galèrent
les 364 autres jours de l’année à se faire une
place dans une société où s’entrecroisent la
religion catholique, les croyances aztèques et
la violence machiste qui, selon les statistiques,
tue près de dix femmes par jour dans tout le
pays. Vivre à Tepito est encore plus compliqué,
indépendamment de ses orientations sexuelles…
Et pour cause, les règlements de
comptes et le trafic de drogue
gangrènent au quotidien cette
cour des miracles qu’est le
Barrio Bravo. Trois jours avant le
début des festivités de la Saint
François d’Assise, un homme
s’est d’ailleurs fait dézinguer à Un peu cheap, le Disneyland mexicain.
deux rues du Maracana. Pas de
quoi démoraliser pour autant
la quinzaine de joueuses des Gardenias, qui les années 1960, le club dirigé par Barbara
ressentent toutes une fierté sans égale au avait pourtant réussi à se faire accepter sans
moment d’évoquer leur quartier. “Le Barrio problème des autres équipes. Ça n’a pas
Bravo a mauvaise réputation, avoue Sandy. C’est duré longtemps… “Dix ans après la création
un beau quartier avec de bonnes personnes, du club, on a commencé à leur jeter des
mais oui, ici comme ailleurs, il y a parfois des œufs, retrace Yoana. Les autres footballeurs
loups…”
Du catch, de la tequila et des faux seins
Il y a trois ans, l’un de ces loups a abattu la
fondatrice des Gardenias. Aujourd’hui encore,
personne ne comprend pourquoi Barbara “Dix ans après la création
s’est retrouvée avec trois balles dans le buffet
en sortant du Maracana. “Nous ne savons
du club, on a commencé à
pas qui a fait ça, ni la raison”, soupire Yoana, leur jeter des œufs. Les
l’entraîneuse et coordinatrice actuelle de
l’équipe. En attendant que la lumière soit faite
autres footballeurs ne les
et que la justice soit rendue, il a été décidé de laissaient plus venir au
ne plus disputer le clasico de Tepico en soirée,
mais l’après-midi, pour éviter les agressions
stade”
nocturnes. À la création des Gardenias, dans Yoana, coordinatrice des Gardenias
ne les laissaient plus venir au Maracana.”
Ostracisées et humiliées, les Gardenias font
donc profil bas pendant vingt ans. Elles
ne sortiront finalement de la clandestinité
qu’avec l’aide de José Alberto, le président
de l’Hebraye. “À l’époque, avec des amis, nous
étions inscrits dans une ligue locale, puis
Barbara m’a demandé si on accepterait de
jouer contre ses Gardenias, résume celui qui
correspond au cliché du Mexicain bedonnant
et moustachu. On a dit oui, on a disputé le
match, et à la fin de la rencontre, les deux
formations ont été applaudies. Depuis, on les
affronte chaque année.” Avec le temps, cette
guerre des sexes entre hétéros et membres
de la communauté LGBT a peu à peu laissé
la rivalité sportive de côté pour devenir une
Gay Pride de 90 minutes. “Pour les Gardenias,
c’est l’occasion de se faire respecter en
shootant dans une balle qui symbolise le
machisme”, philosophe Alfonso Hernandez,
un écrivain qui compile depuis des années
42 SO FOOT _REPORTAGE
les anecdotes du Barrio Bravo. “On est là pour
que les filles prennent confiance, et surtout
qu’elles se respectent elles-mêmes, explique
de son côté Yoana. Beaucoup les traitaient
de pédés, mais grâce à ce match, elles sont
reconnues et appréciées.” C’est peu de le dire.
Après avoir baisé la statue de Saint François
d’Assise au son des mariachis massés dans un
coin de l’église, puis gueulé sur les catcheurs
venus faire le show sur un ring de fortune,
les Tepiteños n’attendent plus qu’une seule
chose: le show des Gardenias. Sandy, la Josa,
Naomi, Polet, Angel, la China et les autres
membres de l’équipe LGBT finissent par faire
leur entrée sur le terrain synthétique sur un
air de cumbia. Avec leurs jupettes bleu ciel,
leurs bas résille low cost, leurs débardeurs
moulant leurs faux seins et du maquillage
qui dégouline de partout, les Gardenias ont
davantage l’air de pom-pom girls ayant mal
tourné que de vraies footballeuses. Peu importe,
le public est déjà conquis. Sur la pelouse,
les joueuses s’échauffent en multipliant les
“Pour les Gardenias,
le match contre
l’Hebraye est
l’occasion de se faire
respecter en shootant
dans une balle qui
symbolise celle du
machisme”
Alfonso Hernandez, écrivain local
gorgées de tequila, les selfies, les danses et
les interviews pour les chaînes nationales
venues spécialement couvrir l’événement. De
l’autre côté de la pelouse, les joueurs d’Hebraye
contemplent ce cirque avec le sourire aux
lèvres. Ils sont prêts à en découdre.
Le football pour les nazes
Après avoir salué le kop, les filles, et celles
qui ne le sont pas encore totalement, se ruent
sur les footballeurs de l’Hebraye pour les
déshabiller. L’une de leur victime, un novice à
peine majeur, se retrouve très vite à poil dans le
rond central. Dans la foulée, les transsexuelles
le tripotent, pour le plus grand plaisir des
spectateurs, hilares. Les préliminaires effectués,
chacun prend place dans sa moitié de terrain.
L’occasion de se rendre compte que le schéma
tactique des Gardenias est incompréhensible.
En même temps, celui de l’Hebraye n’est guère
plus académique… Sans surprise, le niveau
technique laisse lui aussi à désirer. Entre
Ah la la, les soldes...
passes approximatives et contrôles foireux,
force est de constater que le niveau affiché est
clairement dégueulasse. Sans compter que les
joueurs de l’Hebraye baissent délibérément
les bras pour que le stade puisse exploser de
joie à chaque but des Gardenias. Malgré tout,
en tribunes, cette parodie de football enchante
un groupe de Tepiteños tatoués des pieds à la
tête. La marijuana qu’ils fument et le fait que
la Josa se cache derrière un joueur pour lui
baisser son froc lors d’un corner finissent par
les plier en deux. Après un dernier pressing
des Gardenias sur un attaquant adverse, qui
là encore finit sans culotte, l’arbitre siffle la fin
de la récré. Victoire des Gardenias, 8-3. Pour
célébrer ce énième succès sur leurs historiques
adversaires, Naomi montre ses seins à la
tribune. Sa camarade, la Josa, ne prend même
pas le temps de se rincer l’œil. Elle préfère
improviser une conférence de presse d’après-
match. “Cette année encore, les Gardenias l’ont
emporté. Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a pu
nous battre. Nous sommes les numéros un, les
meilleures. Et puis, c’est génial de voir chaque
année les gens venir nous supporter. Ça donne
encore plus envie de continuer la lutte.” La
fête est déjà finie, mais la China (la Chinoise,
en VF), appelée ainsi pour ses yeux bridés,
attend déjà le match de l’année prochaine
avec impatience. “Pour le show, le spectacle et
la cuite qu’on se prend!, braille-t-elle, avant de
redescendre. Le plus important, c’est que grâce
à cette rencontre, les gens nous sollicitent et
nous respectent.” D’ici là, celle qui a le crâne
rasé et quelques tresses tombantes espère
d’ailleurs “devenir totalement une femme”.
Le nid de guêpes des Gardenias
Lorsqu’elles ne font pas le spectacle contre
l’Hebraye, les Gardenias s’occupent pour
la plupart en tenant un stand au marché de
Barrio Bravo, considéré comme le paradis de

la contrefaçon de la capitale mexicaine. Ici, il
est possible de trouver tout et n’importe quoi:
des fringues, de la drogue, des bijoux en toc,
des boulards piratés, des maillots du PSG avec
des tours Eiffel disproportionnées, des chiots,
“et même des reins”, selon Fernando, le mari
de Yoana. C’est dans cet immense bordel que
Sandy, l’une des figures des Gardenias, gère
une échoppe dédiée à la vente de produits
dérivés des clubs des Chivas de Guadalajara
ou de l’América. Née homme, cette dernière
a réussi la transformation à laquelle la China
aspire tant. “Ma mère a toujours su que je serais
une fille. Petite, j’enfilais les chaussures de ma
grande sœur, ses robes… Maman me disait: ‘Je
sais quel type de garçon j’ai eu et je l’accepte,
vas-y, fais ce que tu veux, je te soutiendrai.’
J’ai eu énormément de chance.” Car la plupart
des trans de l’équipe ont été chassées de leur
famille. Celles qui ne se droguent pas ou ne se
suicident pas trouvent généralement refuge
chez la Josa, la Gardenia aux dents d’or. À
l’entendre, cette dernière en connaît un rayon
question intolérance. C’est d’ailleurs pourquoi
l’équipe revêt autant d’importance à ses yeux.
“Jouer pour les Gardenias m’a surtout aidée à
m’accepter et à me faire accepter des autres”,
jure-t-elle. Faire partie du clan conférerait-il une
Évidemment qu’on prend un selfie avec Sarkozy.
“Parfois, certains gars du quartier nous traitent de
pédés, mais quand ils sont bourrés, ils nous disent:
‘Allez, on couche ensemble?’ Ce genre de
comportements, c’est chiant, ça ne fait pas avancer
les choses” Sandy, joueuse des Gardenias
immunité à ses membres au sein du quartier?
C’est en tout cas ce que croit l’écrivain Alfonso
Hernandez. “Au Barrio Bravo, il n’y a pas plus
de transsexuelles qu’ailleurs, elles sont juste
plus visibles car ce quartier est le nid que les
Gardenias se sont fait.” Si le fameux nid est
encore loin d’être douillet, sa localisation est
tout sauf un hasard. Au 12, rue de l’Alfareria
se trouve en effet le repaire de la Santa
Muerte (Sainte Mort, en VF), une divinité
païenne vénérée par ceux qui se trouvent
généralement en marge de tout, Vierge des
bandits, des prostituées et de tous ceux qui
craignent pour leur santé ou leur protection.
De fait, l’autel de la sainte à la tête de mort est
évidemment devenu un lieu de pèlerinage pour
la communauté LGBT du coin. Une manière
pour les Gardenias de repousser les nombreux
“loups” qui peuplent encore le quartier, à
en croire Sandy. “Parfois, certains gars du
quartier nous traitent de pédés, mais quand ils
sont bourrés, ils nous disent: ‘Allez, on couche
ensemble?’ Ce genre de comportements, c’est
chiant, ça ne fait pas avancer les choses.” La
jeune femme, énervée, réajuste son chignon
blond et se regarde dans un miroir, pensive.
“Les gens de l’extérieur de Tepito ont parfois
peur de venir jouer avec nous, regrette-elle. Ce
n’est pas facile de se dire que tu vas te maquiller,
mettre une jupe à ras devant des centaines de
personnes bourrées… Franchement, pour entrer
sur le terrain, être Gardenia, il faut vraiment
avoir des couilles… Enfin, je n’en ai plus, mais
•
voilà…” TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR DTC
44 SO FOOT _ À LA CULOTTE

Idole nationale paraguayenne et légende vivante de Vélez

Sarsfield, l’ancien mythique gardien de but José Luis Chilavert
compte bien profiter de son incroyable popularité pour briguer
la présidence de son pays. Problème: pour parvenir à ses fins,
l’ex-Strasbourgeois compte aussi s’inspirer de Donald Trump
et Jair Bolsonaro. Flippant? Un poco, si. Par Pierre Boisson, Cristian Pereira
et Aquiles Furlone à Buenos Aires / Photos: Martin Di Maggio, Iconsport et Bildbyrån/Iconsport
Toujours finir ses phrases par un poing. 
46 SO FOOT _ À LA CULOTTE
Attention, Chilavert arrive! Avec son crâne rasé, son polo noir
H
et ses 120 kilos, José Luis Chilavert ressemble à une boule de
billard que tout le monde regarde rouler jusqu’à la table de ce
bar de quartier de Buenos Aires. Le mâle alpha paraguayen
s’assoit, passe commande, puis annonce son entrée en
politique à sa manière. Avec un brin de grandiloquence.
“Un jour, je serai candidat à la présidence du Paraguay.” Chilavert
n’est pas vraiment le genre à faire dans la demi-mesure. Il a 53 ans
et, depuis la dernière fois qu’on l’a vu, quand il gardait les buts de
Strasbourg en 2002, il a joué encore une vingtaine de matchs avec
Peñarol et le Vélez Sarsfield. Puis il s’est offert un jubilé au cours
duquel il a tenu à tirer tous les coups francs. Désormais, celui qui
vit entre son Paraguay natal, l’Argentine et les États-Unis consacre
sa vie à faire de l’argent. Il est dans l’élevage de bœufs, possède
une entreprise de publicité en réalité virtuelle (“Si on était sur un
plateau télé, là, on ferait sortir une pub de cette bouteille d’eau. On
ne la verrait pas, mais les deux millions de personnes devant leur
télé à la maison, si”), et est à la tête d’une bodega à Mendoza, où il
produit deux vins, qu’il a évidemment nommés en son
honneur: le “Don Chila”, un assemblage de cabernet
sauvignon, malbec, bonarda et merlot, et le “Chilavert”,
“On a demandé à 5000 personnes, en province
un 100 % malbec. “Moi, je bois un peu de tout, dit-il, je suis
un peintre qui aime toutes les couleurs.” En janvier 2017,
il s’est aussi inscrit sur Twitter. Le premier compte qu’il a
suivi était celui du FC Barcelone. Le huitième, celui de la et dans la capitale, s’ils aimeraient avoir
présidence paraguayenne. Le douzième, celui d’Horacio
Cartes, l’ex-président. Depuis, il follow essentiellement Chilavert comme président. J’ai obtenu 85 %
des journalistes influents, stalke des femmes en petites
tenues, et suit évidemment les comptes d’hommes
d’opinions favorables, plus que n’importe quel
politiques. Ces deux dernières années, Chilavert a
posté 32 200 tweets, pour dire plus ou moins la même
autre homme politique paraguayen”
chose. Un, pour rappeler qu’il est l’un des plus grands Chilavert, futur candidat
joueurs de l’histoire. Et deux, pour dire que les dirigeants
de ce monde sont tous corrompus, qu’ils soient de la
Conmebol, de la Fifa ou du Venezuela. Comme tous
les influenceurs qui se respectent, le bonhomme affiche aussi ses
convictions sur les réseaux sociaux. Souvent enrobées de leçons
de vie, de morale, d’ego et d’un zeste d’humour grinçant. Florilège:
“Les médiocres traversent la vie en pensant à ne pas échouer, et ceux
qui ont du succès ne pensent qu’à gagner” ; “La Corrupbol est gérée
par les clowns du cirque et le chef est Infantino” ; “L’humilité ne te
donne pas à manger, c’est bon pour les populistes de bas étage” ;
“Bonne année à tous mes fans. Je suis le seul gardien sud-américain
de l’histoire à avoir été élu trois fois comme le meilleur du monde”. Et
enfin: “Le ministère des Sports est trop petit pour moi, mon défi est
bien plus grand.”
La droite, les sondages et le mollard
José Luis Chilavert n’a jamais vraiment caché ses ambitions
politiques. En 2005, le Premier ministre
espagnol, José Maria Aznar, était “sa référence”,
“une ligne à suivre”. Il a ensuite eu le béguin
pour l’ancien président de Boca Juniors et
actuel président de l’Argentine, Mauricio Macri,
lorsque ce dernier était à la tête de la ville de
Buenos Aires. S’il ne fait pas de doute que son
cœur penche à droite, sa pensée politique se
devinait alors surtout dans ses piques adressées
à ses cibles préférées, Chavez, Lula et Cristina
Kirchner ayant pris la place de ses traditionnels
meilleurs ennemis, Diego Maradona ou Roberto
Carlos, à qui il avait craché au visage lors d’un
match contre le Brésil. Pendant longtemps, on
a rangé ses déclarations avec un sourire pas
loin d’être ironique dans la même case que ses
montées d’ego, de la farine pour faire prendre
la sauce médiatique, du Chilavert tout ce qu’il y a de plus classique.
Mais l’animal a l’air de muer. Il se prépare à l’exercice du pouvoir et
dit y réfléchir “tous les jours”. Il parle sérieusement. “Au Paraguay, il
y a beaucoup de jeunes qui m’ont vu jouer, ils savent ce que je pense
et comment je me comporte, j’ai beaucoup de followers, expose-t-il.
Ça a de l’influence dans une élection.” L’année passée, pour s’en
assurer, Chilavert, qui a peut-être confiance en lui mais n’oublie
pas pour autant d’être un entrepreneur prudent, a décidé de tester
sa popularité juste avant l’élection présidentielle paraguayenne.
Il a ainsi commandé une étude d’opinion à un institut de sondage
américain, et les résultats lui ont fait plaisir. “On a demandé à
5000 personnes, en province et dans la capitale, s’ils aimeraient avoir
Chilavert comme président, confesse-t-il. J’ai obtenu 85 % d’opinions
favorables, autrement dit plus que n’importe quel autre homme
politique paraguayen.” Malgré ce feu vert populaire, l’homme qui
arborait un bouledogue sur son maillot de Vélez Sarsfield s’est
contenté de soutenir Mario Abdo, candidat conservateur et fils du
secrétaire personnel de l’ancien dictateur Alfredo Stroessner. Abdo
a été élu, et Chilavert y voit un bon présage. “Tous les candidats que
j’ai soutenus ont fini présidents du Paraguay. J’étais même derrière
Fernando Lugo (ancien évêque à la tête d’une alliance de gauche,
ndlr) avant qu’il ne trahisse le peuple et ne parte avec Chavez…” De
quoi le conforter dans son idée d’être candidat si jamais un jour le
Paraguay “court le risque d’une arrivée au pouvoir du socialisme”.
En attendant, il s’est engagé dans une association de médecins qui
offrent des consultations gratuites dans les régions les plus pauvres
du pays, celles où 30 % des gens vivent sous le seuil de l’extrême
pauvreté. Il en profite pour “enseigner le leadership” aux jeunes et
pour “découvrir les besoins du pays”. Outre cet audit social, Chilavert
a aussi commencé à consulter des “gens du secteur économique,
et dans les relations internationales”, prêts à le suivre dans une
candidature et qui pourraient, pourquoi pas, former sa future
équipe de campagne. Chilavert prépare le terrain tranquillement.
Il ne veut pas se louper. Ou plutôt, il est
certain de ne pas se louper. Il faut dire qu’il
Combien de kilos a une recette magique: “La politique, c’est
je prends, ce mois-ci? comme une équipe de football, jure-t-il. Pour
gagner, il faut des hommes rassemblés par des
valeurs communes. Et s’ils sont capables et
nationalistes, c’est encore mieux.”
“Je suis fier d’être un chef guarani”
Vous pouvez poser toutes les questions que
vous voulez à José Luis Chilavert, il vous
répondra systématiquement, comme un
perroquet enrayé, “il faut être intelligent” ou
“il faut avoir de la personnalité”. Évidemment,
quand il dit “intelligent” et “personnalité”,
il pense avant tout à lui-même. Chila en
Super, ce concert de Teki Latex.
est convaincu: c’est son charisme qui lui a permis d’empiler des
millions sur son compte en banque, d’avoir un bronze à son effigie
devant le stade de Vélez, de jouir du statut d’icône nationale au
Paraguay ou encore d’avoir été décrété “trois fois meilleur joueur
du monde”, comme il adore le répéter. Le pire, c’est qu’il est difficile
de lui donner totalement tort. Quand il débarque à Strasbourg
en novembre 2000, ses meilleures années sont derrière lui. À
l’époque, il pèse 103 kilos, n’est plus vraiment mobile, et le staff
d’Yvon Pouliquen, alors coach du Racing, remarque même certaines
défaillances techniques dans sa formation. Pourtant, Chila s’en est,
comme toujours, sorti au mental. “Il nous disait qu’il était au niveau
de Buffon et Barthez, se marre encore l’entraîneur. C’était très loin
d’être le cas, mais on savait aussi que son ego et son assurance
terrible allaient masquer ses lacunes.” Les mêmes raisons qui ont
permis à Chilavert de sortir un nombre incomparable de penaltys
au cours de sa carrière, et qui tranquillisèrent Pouliquen au moment
où Strasbourg devait jouer la finale de la coupe de France 2001
contre Amiens aux tirs au but. Il était persuadé que son portier “en
arrêterait un” et claquerait le sien. C’est ce qui s’est évidemment
passé. “J’ai dit à leur tireur qu’il allait frapper à droite, rembobine
le Paraguayen. Je lui ai fait un petit mouvement de cheville vers la
droite, il m’a vu, et finalement je me suis jeté de l’autre côté. Ensuite,
l’arbitre a regardé vers le rond central pour savoir qui allait être le
prochain tireur. Je lui ai tapé dans le dos pour lui dire: ‘C’est moi.’”
Sa carrière regorge d’exemples du même acabit, où ses organes
génitaux (ou son charisme) furent au moins aussi importants que
son pied gauche dément. Il fallait sans doute un peu de tout cela, le
2 octobre 1994, pour traverser le terrain sur l’ordre de Carlos Bianchi,
devant le public abasourdi du stade de Vélez, puis sous les cris des
“Chilavert, Chilavert”, et tirer le premier coup franc de sa carrière
à la place du capitaine Roberto Trotta. Ce jour-là, le ballon finit sa
course dans la lucarne gauche et Chila devient le premier gardien
de l’histoire du football argentin à marquer sur coup de pied arrêté.
Il est aussi très jeune lorsqu’il devient la figure emblématique de
son pays. “Mon premier match en sélection, c’était contre le Brésil,
tremble encore l’ancien défenseur de Boca Juniors Claudio Morel
Rodriguez. Il y avait 50 000 mecs en tribunes. Quand on est entrés
sur le terrain, il leur a fait des gestes, et tout le stade a commencé à
“Il nous disait qu’il était au niveau de Buffon et
Barthez. C’était très loin d’être le cas, mais on
savait aussi que son ego et son assurance
terrible allaient masquer ses lacunes”
Yvon Pouliquen, ancien coach de Strasbourg
l’insulter. C’est ce qu’il voulait, et il nous le disait: ‘Moi, j’absorbe toute
la pression, je vais me friter avec qui je dois me friter, vous serez
tranquilles.’ Je crois qu’il aimait ça, ça le rendait même meilleur.”
Le parcours du Paraguay lors du mondial 98 finit par l’installer
confortablement tout en haut du panthéon du football paraguayen.
Un pays, d’ailleurs, qu’il a “aidé à situer sur une carte”, selon ses
propres dires. En France, il profite même du match de poules
décisif contre l’Espagne pour rappeler à un journaliste qui le tance
sur les chances de son équipe que l’époque des conquistadors et
du colonialisme est révolue. “Je suis fier d’être un chef guarani et
je vous rappelle qu’aujourd’hui, vous ne pouvez plus nous acheter
avec un bout de tissu comme à l’époque.” Le Paraguay est éliminé
en huitièmes de la compétition par un but en or de Laurent Blanc,
48 SO FOOT _ À LA CULOTTE
Encore un politique qui va finir à l’ombre.
“Peu importe ce qu’il dit ou arrête de dire,
la majorité du peuple paraguayen le soutiendra
quoi qu’il arrive” Claudio Morel Rodriguez,
ancien coéquipier et futur électeur de Chilavert
mais José Luis rentre au pays en héros, avec la satisfaction d’avoir
fait stresser toute la France. Quelques années plus tôt, Chila avait
aussi marqué de son empreinte la finale intercontinentale de 1994,
remportée par Vélez contre le Milan AC. Juste avant le match, il
prend soin de foudroyer un coéquipier qui prétend être blessé:
“Lâche! Traître!”, lui dit-il. Il menace aussi à lui seul la défense du
grand Milan (Tassotti, Maldini, Costacurta, Baresi) de son pied
gauche, envoyant à la 50e minute une merveille d’ouverture de
70 mètres dans leur dos, sur le pied gauche de Pepe Basualdo. Avec
Vélez, il marque au passage 48 buts en 346 matchs, des stats à
donner froid dans le dos à quelques numéros 9, et remporte quatre
titres de champion d’Argentine. “Sans lui, je crois que Vélez n’en
aurait pas gagné un seul, affirme Esteban Bekerman, historien du
club. Au-delà des miracles qu’il a accomplis dans ses buts ou avec ses
pieds, il a été un grand leader pour cette équipe, il a enclenché une
dynamique victorieuse.”
José Luis contre les puissants
Sa success story, Chilavert l’a aussi construite grâce à sa grande
gueule. Comme joueur, il adorait s’en prendre à Maradona, coupable
d’une punchline xénophobe terrible à son encontre: “On n’a pas
besoin qu’un planteur de manioc paraguayen vienne
dire aux Argentins ce qu’ils doivent faire…” Signe qu’il
n’a toujours pas digéré cette injure, Chilavert ne se
fait pas prier pour démonter encore aujourd’hui celui
qui “a les neurones cramés par la drogue”. Sans doute
aussi parce qu’en faire son grand rival est la meilleure
manière de s’élever à son niveau. Quand il n’envoie
pas des scuds au Pibe de Oro, José Luis oriente ses
missiles sur la Fifa ou la Conmebol, “l’antre de la
corruption”, selon lui. L’homme est sans filtre et se
comporte toujours comme lorsqu’il affolait les stades.
S’il pouvait tenir tête à lui seul à 50 000 Brésiliens
bavant de haine, pourquoi ne pourrait-il pas en faire
autant face à tous les “puissants”, en tout cas ceux
qui ont été “contaminés par la corruption”? Il assure
n’avoir jamais craint personne et l’a montré très tôt,
dès 1986, quand son pays était encore dirigé par
Alfredo Stroessner, un quasi-monarque à la tête de la
plus longue dictature d’Amérique du Sud. Chilavert,
lui, jouait déjà pour San Lorenzo, son premier club
hors du Paraguay, et devait logiquement s’envoler
pour le mondial mexicain. Deux joueurs de Libertad,
l’équipe soutenue par Stroessner, avaient été sortis
de la sélection pour avoir manqué de respect à
l’entraîneur quand le dictateur intervint pour les
réintégrer. “Des dirigeants, des militaires, sont venus
pour faire pression sur le coach, poursuit Chilavert, je
me suis mis en travers de leur route. Ils m’ont menacé.
Je leur ai dit que je n’avais pas peur. Pour Stroessner,
j’étais pratiquement un guérillero. Résultat: je ne suis
pas allé au mondial.” Plus tard, il fait de même quand
des barras bravas de San Lorenzo débarquent dans le
vestiaire pour réclamer quelques pesos aux joueurs,
avec l’intention d’en frapper un pour l’exemple.
Alfredo Weber, historique préparateur physique des
Cuervos, peut en témoigner: “Chilavert a refusé de
leur donner l’argent. Une discussion a commencé, et ça
s’est terminé en baston.” Victoire aux points pour Chilavert, qui s’en
tire à l’époque avec une cheville fissurée contre deux côtes cassées
pour son adversaire. Aujourd’hui, après avoir fait la nique à D10S,
au dictateur et aux bandits, le Guarani ambitionne naturellement de
se frotter aux hommes politiques, qui “de droite comme de gauche,
sont tous pareils”. Chilavert ne parlera jamais à quelqu’un en se
sentant inférieur, promet-il, et comment ne pas croire qu’il pense
sincèrement être supérieur à tous? “Quand quelque chose ne se fait
pas bien, mon devoir, c’est de le dire, sinon je serais complice. Tout le
monde n’a pas le courage de critiquer un président ou un ministre.
Moi, je continue de le faire car j’ai plus de chances de négocier avec
ceux qui ont le pouvoir que les gens des classes les plus pauvres.”
Les déblatérations de l’ex-gardien ont beau avoir un grand potentiel
comique, elles ne l’empêchent pas de rester immensément populaire,
ce qui oblige quand même à le prendre au sérieux. Il suffit de
constater ce qu’il se passe lorsqu’il est attablé en terrasse. Les clients
le scrutent, les passants le prennent en photo, et lui lève le pouce.
Les automobilistes le klaxonnent en criant “numero uno Chila” ;
et lui lève encore le pouce. Soudain, un fan de Vélez s’approche en
s’excusant à voix basse, pour lui demander d’enregistrer un audio
WhatsApp pour son frère. Chilavert propose de faire mieux, une
vidéo. Le jeune homme, incapable de tenir son téléphone portable
tellement sa main tremble d’émotion, demande que l’on filme à
sa place. “Cher Gaston, entame Chilavert, sérieux comme un coq,
comme s’il s’apprêtait à donner un discours sur la régulation de la
pêche dans le Rio Parana. Je sais que tu es fanatique de Vélez, ça
veut dire que tu as de la tendresse pour moi, et que moi j’en ai pour
toi, comme on en a pour notre cher Vélez. Je t’aime beaucoup, prends
soin de toi, je te souhaite le meilleur, salut à toute ta famille, tu es
un champion.” Nouveau pouce en l’air, sourire travaillé. Chez lui, à

Asuncion, chacun de ses faits et gestes continue à faire la une des
journaux, car il a marqué les années 90 comme personne. L’époque
était dessinée pour construire des figures tutélaires. C’était la fin de
la dictature (tombée en 1989), et les idoles étaient alors pour la vie:
des générations ont grandi avec le poster de Chilavert au-dessus
de leur lit d’adolescent, et il n’y avait alors aucun réseau social pour
inventer chaque jour une nouvelle star concurrente. Maradona en
Argentine, Chilavert au Paraguay: pas le genre à montrer leurs
abdos à la fin des matchs, des têtes d’affreux plutôt que des têtes de
pub Gillette. Personne ne sait de quoi sera fait l’avenir des idoles
d’aujourd’hui, mais eux, on en est maintenant sûrs, ont continué
à être plus grands que nature. “Peu importe ce qu’il dise, il y a une
bonne partie du peuple paraguayen, une majorité je dirais même,
qui le soutiendra quoi qu’il arrive”, avance son compatriote Claudio
Morel Rodriguez. Claudio, d’ailleurs, voterait pour lui.
Les Cambodgiens, les Honduriens et les Arabes
Reste encore à savoir ce que Chilavert voudrait bien faire de ce
pouvoir si jamais il était élu, et c’est à ce moment précis de la
discussion que les choses se corsent. Son projet politique consiste
d’abord à dresser une liste de problèmes divers. Pêle-mêle: la
corruption, la déforestation du pays, le socialisme qui guette
toujours, les hommes politiques “enkystés au pouvoir”, le Brésil et
l’Argentine qui ne payent pas le juste prix de l’énergie produite par
le gigantesque barrage paraguayen d’Itaipu, ou encore les assistés
de toute sorte. Lesquels? Les indigènes de la rue qui ne veulent
pas travailler, pardi! Et puis “ceux qui préfèrent emmener leurs
enfants aux manifestations plutôt que de les envoyer à l’école”, ou
encore “ces huit millions d’Argentins qui travaillent pour maintenir
les seize autres millions de gens qui ne font rien”. Dans la mire
de Chilavert, il y a aussi la caravane de migrants honduriens et
nicaraguayens qui tentent de rejoindre les États-Unis à pied. À
Strasbourg, tient-il à ajouter, il a vu “des Arabes se réunir à Noël pour
brûler des voitures”, sans qu’on ne comprenne bien quelle leçon
il en a retenue. Peu importe… Ce discours populo de bas étage n’a
rien de très nouveau, on l’entend de Bogota au sud de la Patagonie,
et à quelques variantes près, il consiste à tenir les pauvres pour
responsables de l’insécurité, accuser les opposants de corruption
et promettre de libéraliser l’économie à tout-va. Ce qui est plus
étonnant, c’est de l’entendre dans la bouche de quelqu’un qui a
justement grandi dans les quartiers sinistrés d’Asuncion et qui a
lui-même été victime de discriminations en arrivant en Argentine.
L’équation peut se résoudre, une fois de plus, par deux facteurs: ego
et assurance démesurés. Chilavert réfléchit comme un self-made-
man, quelqu’un qui n’a eu besoin de personne pour s’extirper de
la misère de Luque, en périphérie de la capitale. À l’époque, c’est
d’ailleurs sans agent qu’il négocie son passage à San Lorenzo. “Pas
besoin d’intermédiaires. Il suffit d’avoir de la personnalité: je suis
une star, si les dirigeants me veulent, il faut
payer. Moi, je ne peux pas rentrer dans un
magasin Armani si je n’ai pas d’argent.”
Lorsqu’il débarque à San Lorenzo, il trouve
la même chose qu’à Luque. Une véritable
misère. Et pour cause: le club traverse à
l’époque l’une des pires périodes de son
histoire. Les salaires ne sont pas versés, il
n’y a pas de terrains d’entraînements, pas
de matériel, pas de douches… Et pourtant,
l’équipe de cœur du pape n’en finit plus
de gagner. Un miracle sportif que Luis
Malvarez, le capitaine de l’équipe, définit
alors de la manière suivante: “Tout cela est
incroyable. Nous sommes des Cambodgiens,
on est tout seuls, mais on ne donne rien
pour perdu.” Dans le vestiaire, Chilavert,
18 ans, est assis à côté de Malvarez. Pour ce
“Il faut une mano dura. C’est ce dont on a
besoin en Amérique du Sud. Trump fait du très
bon boulot aux États-Unis, et je suis très
content que Bolsonaro ait gagné, le Brésil a
besoin de ça, de quelqu’un de dur” Chilavert, démocrate
dernier, cette époque de disette a fini de forger le caractère déjà bien
trempé du Paraguayen. “Cette équipe ne sortait pas des vestiaires
mais d’une tranchée. C’est comme ça qu’on le vivait et que Chilavert
le vivait aussi. Ça a été déterminant pour lui, comme joueur, mais
aussi comme personne.” Pour toutes ces raisons, et puisqu’il n’est pas
vraiment le genre de type qui pense à autre chose qu’à lui-même,
il a construit sa vision du monde à partir de sa propre expérience.
Conclusion? Quand quelqu’un veut s’en sortir, il peut s’en sortir tout
seul. Voilà pourquoi, quand un gamin des rues (qui pourrait être lui
il y a 40 ans) dépose un bout de papier pour demander de l’argent
sur sa table, Chilavert le fixe avec un regard terriblement menaçant.
Voilà pourquoi, aussi, ses solutions politiques sont “simples”,
“efficaces”, requérant uniquement –attention, surprise–, de la
“personnalité”, du “bon sens” et “d’être intelligent”. “La priorité, c’est
la santé et l’éducation, ensuite l’insécurité, et enfin l’infrastructure.”
En le schématisant un peu –mais comment faire autrement?–, un
petit manuel du populisme de la droite latino-américaine, qui a le
vent en poupe ces derniers temps et commence à dangereusement
faire flipper. “Il faut une mano dura. C’est ce dont on a besoin en
Amérique du Sud. Trump fait du très bon boulot aux États-Unis, et je
suis très content que Bolsonaro ait gagné, le Brésil a besoin de ça, de
quelqu’un de dur.”
Et à la fin, c’est la raison qui l’emporte
Dix ans plus tôt, il n’y aurait pas eu de quoi s’inquiéter. Chilavert
serait resté ce clown sur Twitter, jamais avare d’une bonne
punchline, qu’on aime entendre ressasser les mêmes anecdotes sur
les mêmes plateaux télé. On l’aurait regardé grossir au fil des ans,
insulter Maradona et répéter “trois fois meilleur joueur du monde”.
Mais aujourd’hui, qui sait? Donald Trump a été élu aux États-Unis
grâce à sa supposée réussite entrepreneuriale et en racontant tout et
son contraire. Jair Bolsonaro est arrivé au pouvoir au Brésil à coups
d’attaques homophobes et copine désormais avec l’Italien Matteo
Salvini, tout fiers de monter une nouvelle grande alliance populiste.
Alors pourquoi ne pas imaginer, un jour prochain, José Luis
Chilavert à la tête du Paraguay? En 2014, il s’était présenté pour la
première fois à des élections: il figurait sur la liste d’Héctor Gaudio
pour la présidence de Vélez. Lors de la campagne, les supporters
de ce club historiquement à gauche et géré exclusivement par ses
propres socios faisaient la queue pour prendre des selfies avec
l’idole. La raison a pourtant pris le pas sur la passion qu’ils vouent
au Paraguayen. Et Chilavert a perdu.
Sans surprise, selon l’historien Esteban
Bekerman. “Il promouvait une gestion
commerciale, il voulait faire du business
avec Vélez, privatiser certains secteurs…”
Raul Gamez, ancien président et figure
des supporters, terminait alors son dernier
mandat et entendait bien prendre sa
retraite. Mais face à la menace Chilavert, il
avait accepté de se représenter pour sauver
le club. Pour le moment, tout va bien, souffle
Bekerman. “Je crois qu’une société, un club
ou un pays ont besoin d’anticorps pour se
protéger d’eux-mêmes. Vélez a réussi à se
protéger de Chilavert. Reste maintenant
à savoir si le Paraguay pourra en faire
•
autant…” TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR PB, CP ET AF
50 SO FOOT _ENTRETIEN

Steven s’régale.
 n m’appelai
“O t
”

Steven Nzonzi a-t-il du flair? En mai dernier, quelques heures avant

que ne soit officialisée la liste des 23 Bleus pour le mondial, l’actuel
joueur de l’AS Roma contacte le photographe Laurent Laporte pour lui acheter
deux photos issues de Space Ipsum, une série consacrée aux étoiles. Sur la première
de ces deux images, en noir et blanc, il y a un seul astre. Sur l’autre, deux. En plus
de ses étoiles accrochées au mur du salon, le milieu de terrain en a désormais
deux brodées sur le maillot. Pas mal pour un type totalement passé sous les radars
du paysage footballistique français jusqu’à ses 28 ans et qui serait bien resté
anonyme toute sa vie. Par Andrea Chazy, à Rome / Photos: Camillo Pasquarelli pour So Foot, PA Images/Iconsport, Afp/Dppi
et collection personnelle Steven Nzonzi

Tu as grandi à Colombes, où tu as de Ronaldinho que tu peux faire. T’as juste à un bon niveau en jeunes. Les infrastructures

T
commencé au Racing à l’âge de six ans.
À quoi ressemblait le quotidien du jeune
Nzonzi? J’étais encore très jeune, le
foot n’avait pas encore pris une part
très importante dans ma vie. J’allais à l’école,
je m’entraînais deux-trois fois par semaine,
je profitais à fond de la vie. J’habitais à cinq
minutes à pied du stade Yves-du-Manoir, en face
du quartier de l’Europe. Avec mes potes, on kiffait
se retrouver et jouer dans la rue. J’habitais dans
une résidence en face d’une cité où il y avait des
terrains. J’aimais bien Okocha, mais Ronaldinho,
c’était le summum de l’admiration. À l’époque,
j’avais les cheveux longs, des tresses, la totale…
À l’entraînement, on faisait même des concours
de passes aveugles avec des coéquipiers. En
même temps, la passe aveugle, c’est le seul geste
bouger la tête au moment où tu touches le ballon.
Tu ne pouvais pas arriver et dire: “Aujourd’hui,
les gars, on ne fait que des virgules!” J’aimais
tout chez Ronaldinho. Pourtant, j’ai un caractère
totalement différent, je ne suis pas très expressif.
Tu ne vas pas me voir sourire à tout bout de
champ. Mais lui, la joie qu’il transmettait, sa
manière de courir, de contrôler le ballon, ses
feintes de corps… Dans ma génération, je pense
qu’il a fait rêver tout le monde. Quand j’étais au
centre de formation du PSG, lui et Okocha, on
les regardait comme des fans. On ne se disait pas
qu’on allait devenir comme eux…
Ce n’était pas parti pour, en tous cas, puisque,
à 14 ans, le PSG décide de ne pas te conserver…
En effet. Je pars donc à Lisieux, qui jouait à
n’étaient pas les mêmes qu’au PSG, mais le club
avait un partenariat avec Le Havre, je crois.
M’éloigner de ma famille à cet âge-là, c’était très
difficile, mais j’ai beaucoup appris. En dehors,
pareil. À l’école, on n’était que deux Noirs, par
exemple. On était en internat avec les autres
étudiants, on n’était peut-être que quatre ou cinq
à faire du foot. Mais ça m’a permis de progresser,
de m’endurcir sur le plan mental. Je suis sorti
de ma zone de confort. Encore aujourd’hui, c’est
quelque chose que j’essaye de m’imposer. C’est
la meilleure chose à faire par rapport à mon
caractère, pour ne pas que je tombe dans la
facilité.
À l’époque, le PSG t’avait recalé parce que tu
mesurais 1,71 m pour moins de 60 kilos. Ton
52 SO FOOT _ENTRETIEN
physique a longtemps été un problème dans ta
carrière, non? Ah, le physique… Même après
Lisieux, lorsque je suis parti à Caen en 2003,
ça m’a poursuivi. C’est vraiment au PSG et au
Stade Malherbe que j’ai ressenti l’importance
de la condition physique. Lorsqu’on faisait des
tests, les gardiens s’arrêtaient toujours de courir
en premier. Et moi, je faisais partie du groupe
de ceux qui s’arrêtaient dans la foulée. Je n’étais
pas du tout au niveau. À Beauvais, pareil. Ça va
mieux aujourd’hui, je ne suis toujours pas très
costaud, mais j’ai beaucoup gagné en force. Si j’ai
un adversaire deux fois plus large qui se dresse
en face de moi, je n’ai pas peur. Mais ça a été dur
pendant un moment. Pendant les matchs, je me
fatiguais vite. Quand tu mesures 1,97 m et que t’es
mince…
… On est clairement exposé aux vannes en tout
genre? Plus jeune, on m’appelait “Snoop Dogg”,
mais c’était surtout mes potes qui me charriaient,
donc je le prenais bien. Je m’en foutais un petit
peu, de l’image que je pouvais renvoyer, même
par rapport aux filles. Quand t’as 14 ans, tu t’en
“À l’entraînement,
fous un peu d’elles, il n’y a que le foot et les on faisait des concours
potes.
de passes aveugles avec
À Séville, Monchi, l’actuel directeur sportif de la les potes. En même
Roma, a dit de toi que tu luttais “en permanence
contre ton apparence”. C’est toujours le cas?
temps, c’est le seul geste
À Séville, il faisait tellement chaud qu’au début, de Ronaldinho que tu
j’ai presque regretté mon transfert… Pour jouer
au foot, je préfère clairement la pluie de Stoke, peux faire. Tu ne pouvais
c’est beaucoup plus facile. Quand il fait chaud, pas arriver et dire:
et ce depuis que je suis tout petit, je me sens
mou, fatigué… Quand t’arrives à Séville et que ‘Aujourd’hui, les gars, on
tu dois jouer des matchs à midi par 42 °C à
l’ombre, les gens ne s’imaginent pas à quel
ne fait que des virgules’”
point c’est dur! Mais bon, j’ai réussi à overcome
this challenge. Je sais que j’ai cette image de
gars tranquille, relax, nonchalant, mais au fond
de moi, je bouillonne. Ça s’améliore avec l’âge, j’évoluais à Stoke City, je faisais partie des trois-
même si j’ai toujours ce côté en moi qui peut quatre joueurs qui avaient parcouru le plus de
parfois ressortir. Je suis un mauvais perdant. Je kilomètres dans la saison de tout le championnat,
n’ai jamais aimé perdre, mais à mais si on interroge les mecs de cette période, ils
cause de mon body language, te diront: “Steven, il aurait pu courir davantage.”
les gens pensent que je m’en Au-delà de ce fameux body language, je suis très
fous. En Angleterre, lorsque exigeant envers moi-même, donc je joue safe.

“À Séville, il faisait tellement chaud
qu’au début, j’ai presque regretté mon transfert.
Pour jouer au foot, je préfère clairement la pluie
de Stoke, c’est plus facile”
Parce que si je perds un ou deux ballons, je vais
m’énerver. Moi, de toute façon, c’est la passe. Mes
potes le savent: quand je joue au foot en salle
et que tout le monde joue en deux touches de
balle, je suis l’homme le plus heureux du monde.
Peut-être parce que je n’ai pas cette capacité à
dribbler, mais la passe… Marquer un but, c’est une
émotion spéciale, mais je prends énormément de
plaisir dans le côté collectif de ce sport. Le Barça
de Xavi, Iniesta, Busquets, ce tiki-taka, c’est le jeu
absolu.
À quel moment t’as eu ce déclic où tu as compris
que tu devais t’améliorer sur le plan physique?
En Angleterre. Sam Allardyce avait appelé mon
père pour que je signe à Blackburn. Une fois
sur place, on m’a prévenu tout de suite qu’il
s’agissait d’un coach avec un très fort caractère,
qu’il pouvait changer d’avis au dernier moment
s’il le voulait. J’ai d’entrée été impressionné par
son charisme, c’est quelqu’un de très imposant,
de sérieux. C’est vrai qu’il ne venait pas tous
les jours de la semaine à l’entraînement. Il se
contentait parfois de te superviser, mais il était
présent lorsqu’il y en avait besoin. En tout cas,
il m’a donné de la confiance en me faisant jouer,
en ne me sortant pas en plein match. Il a été très
important dans ma carrière: dès le premier match
de championnat, il me met titulaire, et ce pour le
reste de la première saison, alors que je n’avais
fait qu’un an de ligue 2. C’était costaud de sa part,
parce qu’en arrivant au club, certains joueurs
se sont dit en me voyant pour la première fois:
“Mais lui, il va jamais jouer.” En présaison, pour
moi qui venais d’Amiens, tout allait beaucoup
plus vite. Là-bas, même les jeunes sont très
physiques et mettent beaucoup d’intensité
dans le jeu, dans les passes. J’étais propre
techniquement, je ne perdais pas beaucoup
de ballons, mais en termes d’intensité, j’avais
Petite mêlée avec les All Blacks.
beaucoup à apprendre. La mentalité anglaise,
de toute façon, c’est à part, hein… Ils peuvent se
battre avec toi un jour et le lendemain matin te
demander naturellement: “How you doin’ mate?
You’re OK? You’re good?”
En 2012, tu rejoins le Stoke de Tony Pulis: une
équipe qui pratique le kick and rush, dans un
stade qui prend le vent… Il y a eu un décalage au
début, je dois dire. D’autant qu’avec Allardyce à
Blackburn, on avait une équipe assez technique.
La première année à Stoke (Mark Hughes a
remplacé Pulis à l’issue de sa première saison
chez les Potters, ndlr), effectivement, c’était
essentiellement du jeu long. Mais je n’oublie
pas que c’est un coach qui m’a accueilli à bras
ouverts, et surtout qui m’a permis de rester en
Premier League alors qu’on venait de descendre
en Championship avec Blackburn. La deuxième
année, d’autres joueurs plus techniques sont
arrivés, comme Bojan ou Arnautovic, et notre jeu
s’est recentré sur la possession.
Au cours d’une carrière, passer de coachs tels que
Pulis ou Allardyce à des théoriciens du jeu comme
Emery ou Sampaoli, ça doit faire un choc, non? Ça
se complète, donc dans l’apprentissage, c’est très
bien. Avec Emery, on faisait pas mal de vidéo,
beaucoup de travail tactique à l’entraînement.
J’ai beaucoup progressé pendant cette première
54 SO FOOT _ENTRETIEN

“Je suis un mauvais Parlons de cette finale à Moscou. Quand tu rentres
à la 55e à la place de N’Golo Kanté, comment tu te
perdant, je n’ai jamais sens? D’ordinaire, j’aime bien regarder les vidéos
aimé perdre, mais que te fournissent les clubs pour corriger ce que
tu ne fais pas bien ou, à l’inverse, te remettre en
à cause de mon body confiance en matant des actions réussies. Mais
language, les gens là, j’ai juste revu quelques extraits à la télé. Sur
le moment en tout cas, quand je rentre, j’oublie
pensent que je m’en fous” tout. Est-ce qu’on ressent l’importance de l’enjeu?
Oui. Surtout au niveau mental. Tu sais que
c’est la finale de la coupe du monde, donc ton
niveau de concentration est multiplié par mille.
Pendant l’échauffement, je suis “focus”. Une fois
qu’on m’appelle, la pression retombe direct, car
la concentration reprend le dessus. On mène
2-1, ce n’est pas le moment de faire n’importe
quoi. Pour un footballeur ou pour n’importe qui
d’autre, le mental est le facteur le plus difficile
à gérer. Si t’arrives à jouer tous les matchs
comme une finale de coupe du monde, t’es le
meilleur joueur qui puisse exister. Mais c’est
impossible, c’est trop difficile. Sur ce match-là,
la motivation et la concentration sont présentes
d’elles-mêmes. À 4-1, inconsciemment… Je suis

année à Séville avec lui. Notamment

dans le fait de continuer mes actions, de
défendre jusqu’à ce que la phase de jeu soit
vraiment terminée, au lieu de m’arrêter Cherchez le caleçon.
et de regarder. Ce fut un “process”
pour lequel il a fallu être patient. Ça a
été un peu difficile jusqu’en décembre,
puis ça s’est enchaîné. Pour ce qui est
de Sampaoli, c’est un coach qui laisse
beaucoup de liberté sur le terrain à ses
joueurs. 2016-2017, c’est peut-être la saison
où j’ai pris le plus de plaisir. Je jouais
devant la défense, j’allais chercher les
ballons, il me laissait faire le jeu comme je
le sentais. On prenait tellement de plaisir
lorsqu’on avait le ballon que le travail
défensif était plus facile à faire. L’homme
est très proche de ses joueurs. C’est
quelqu’un de gentil, posé. Rien à voir avec
l’image qu’il renvoie sur le bord du terrain,
où il est à fond dedans, très expressif.

Vous vous êtes reparlé cet été en marge de

France-Argentine? Non, l’enjeu était trop
gros. Dans ces moments-là, les émotions
t’empêchent de prendre le temps de
discuter. Surtout qu’à la fin de ce match-
là, une équipe a quitté la compétition.
C’est compliqué ensuite d’aller voir l’autre
immédiatement.

Lorsque tu as gagné l’Europa League en

2016 avec Séville, tu es revenu à Colombes,
pendant un entraînement du club, dans
l’anonymat le plus total. En étant désormais
champion du monde, ça va devenir
difficile de passer inaperçu. J’apprécie
l’anonymat. Il y a quelques années, hormis
ceux qui suivaient le foot, personne ne
me reconnaissait, et ça me convenait
parfaitement. Si je pouvais faire en sorte
que personne ne me connaisse, moi, ça
ne me poserait pas de souci. J’aime bien
être tranquille. Quand on me demande
des autographes, ça m’énerve un peu,
parfois. Sauf quand c’est des enfants, mais
quand ce sont des adultes, un peu. Mais
bon, après ce qu’on a vécu l’été dernier, je
ne peux pas trouver anormal que les gens
me reconnaissent, m’abordent… Même si,
au fond, je n’aime pas, je suis comme ça et
ça ne changera pas. Ce n’est pas trop mon
style de me montrer.
Le mec derrière qui tu ne veux pas être assis au cinéma.
“Au foot en salle, quand tout le monde joue en
deux touches de balle, je suis l’homme le plus
heureux du monde. Je prends énormément de plaisir
dans le côté collectif de ce sport. Le Barça de Xavi,
Iniesta, Busquets, ce tiki-taka, c’est le jeu absolu”
toujours concentré, appliqué, mais il y a 4-1. Là,
tu commences à te dire: “Bah je crois qu’on va
être champions du monde, on dirait.” J’ai regardé
un ou deux coéquipiers, en souriant. Mais de
là à réaliser… Je pense que je ne réaliserai pas
vraiment avant la retraite. Là, je prendrai le temps
de me voir en photo avec la coupe du monde.
Parce qu’aujourd’hui, je n’ai pas le temps de le
faire. J’enchaîne. Il faut rester concentré quand
on joue le championnat chaque week-end et la
ligue des champions en semaine.
Il y a une image symbolique qui a fait parler: quand
tu files le trophée à N’Golo Kanté. C’est le grand
timide qui la passe au petit timide. Pourquoi as-tu
ce réflexe-là? Ça s’est fait naturellement. Moi,
sur le coup, j’attends sagement mon tour, je vois
les autres joueurs qui prennent la coupe et qui
profitent. Ils sourient. Bref, ils sont heureux, quoi.
Puis je vois N’Golo à côté de moi, en retrait,
comme d’hab. Je me dis: “Ce n’est pas possible
que je prenne la coupe avant lui avec tout ce
qu’il a fait pour le groupe.” Voilà, sur le moment,
j’ai senti que tout le monde n’avait pas vu qu’il
n’en avait pas encore profité, alors je la lui ai
filée. N’Golo a un niveau impressionnant, et par
rapport à son volume et son tournoi, c’était tout à
fait logique de le mettre en avant.
Tu viens d’avoir 30 ans, tu es champion du monde.
C’est quoi l’objectif maintenant? Mon objectif
premier, c’est d’éviter les grosses blessures et
d’être encore performant jusqu’à 33 ans. Tu
apprends à tout âge. Par exemple, De Rossi,
ici, il joue de manière très intelligente. Tu sens
que le mec a de l’expérience, il a une très bonne
qualité de passe, il m’a aidé en me parlant en
anglais pour m’expliquer des trucs tactiques…
Mais surtout, il est professionnel. Il a passé
toute sa carrière à la Roma. Il y a des milliers
de joueurs qui, dans son cas, avec tout ce qu’il
a accompli pour ce club, s’entraîneraient en
marchant et n’iraient jamais à la salle de gym.
Il est ici chez lui. Eh bien non, De Rossi, il n’est
jamais en retard, il va à la salle, il se donne lors
des séances. Tu ne peux qu’être admiratif face
à de tels joueurs. À sa place, si j’avais passé
autant de temps dans un club, je serais peut-être
le gars qui arrive de temps en temps avec dix
minutes de retard en marchant, en sachant que
le coach ne va rien me dire… Ensuite, j’ai envie de
gagner davantage. Je n’ai pas assez gagné. La C3
remportée avec Séville a complètement changé
ma vision des choses. En Angleterre, je jouais
pour faire un bon match, une bonne prestation
collective, pas pour remporter des titres. Une fois
que tu gagnes, même si c’est l’Europa League –ce
qui est déjà top–, tu prends conscience de tout
ce que ça implique. Toutes les heures de vidéos
qu’Emery a pu faire, où parfois ça commençait
à te fatiguer un peu, t’oublies tout. C’est très
difficile de gagner… Peut-être même que je ne
regagnerai plus jamais rien… Mais si c’était à
refaire, tout ce travail, ces heures de vidéo, je le
referais pour regagner. Parce que ça vaut le coup.
Et sinon, la chanson de Vegedream, elle ne
commence pas à te fatiguer? (Rires) Je la mets pas
tous les jours, mais quand je l’écoute, je ne peux
qu’être heureux. Avec mes potes, ça fait 20 ans
qu’on est ensemble. Quand ils me voient, ils la
remettent, ils kiffent et ça me va, parce qu’à aucun
moment on aurait pu penser que j’allais vivre un
•
truc comme ça. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR AC
 56 SO FOOT _ENQUÊTE

Président de l’association Foot Solidaire, censée lutter

contre les trafics et les arnaques qui touchent les jeunes
footballeurs africains, le Franco-Camerounais Jean- Woods, dont on ne présente plus les frasques,
Claude Mbvoumin a passé les quinze dernières années et même… Bill Cosby, aujourd’hui en prison pour
diverses agressions sexuelles.
de sa vie à organiser des conférences internationales,
recevoir des récompenses humanitaires et serrer la Théories du complot et grosses factures
main de Sepp Blatter. Une belle reconversion pour cet Plus qu’un expert, Mbvoumin estime être un
homme engagé, qui a tout appris sur le tas. “Si
ancien arrière gauche anonyme, qui goûtait enfin aux on avait compté sur les gens du football et leurs
promesses…On a réussi seuls, sans soutien de
honneurs. Et puis le lanceur d’alerte a trahi sa cause la Fifa ou de l’UEFA, quand tout le monde nous
pour devenir à son tour, d’après les accusations, un riait au nez.” À l’ambassade du Cameroun, là
où tout a commencé, c’est son “bon cœur qui a
escroc collectionnant les ardoises. Par Christophe Gleizes / parlé”, quand il était tombé sur quatorze jeunes
qui s’étaient fait voler passeports et économies
Illustrations: Paul Lacolley pour So Foot par un agent véreux. Il les avait ensuite hébergés
chez lui, dans le Val-d’Oise, alors qu’il terminait
à Sannois Saint-Gratien une modeste carrière
de footballeur, auréolée d’une seule sélection
avec les Lions indomptables, mais beaucoup
Blaise Pascal avait prévenu: “L’homme en Europe”, aimait-il répéter. Parti de rien de galères. ”C’était dur, les gamins piquaient

b
n’est ni ange ni bête, et le malheur veut
que qui veut faire l’ange fait la bête”.
Cette dualité, peu l’incarnent mieux que
Jean-Claude Mbvoumin, le saint-patron
des footballeurs africains en galère. “C’est un
loup au visage d’agneau”, ose un de ses anciens
collaborateurs. “Un menteur pathologique,
renchérit un autre. Vous ne pouvez même pas
imaginer à quel point il est malhonnête, c’est
malsain.” Sur le papier, pourtant, le personnage
présente bien. Ses quinze années de militantisme
ont fait de l’éloquent président de l’association
Foot Solidaire un expert mondialement reconnu.
Dans les livres, les conférences internationales
ou les couloirs des institutions, Jean-Claude
dénonçait sans arrêt l’esclavage moderne
des jeunes athlètes du continent noir, parlait
de “traite négrière” et de “crime organisé”,
fustigeait l’avidité des clubs, des agents et des
fédérations. L’existence d’un système mondialisé
d’importation de footballeurs, souvent mineurs,
était une réalité en expansion depuis l’arrêt
Bosman. Sauf que tout le monde n’épouse pas
un destin à la Yaya Touré. “70% des footballeurs
africains connaissent une situation d’échec
avec son association Foot Solidaire, créée en
décembre 2000, Jean-Claude a joué les bons
samaritains avec brio. Son histoire et son
combat ont même suscité, en 2008, l’admiration
du département d’État américain, qui l’a élevé
au rang de “héros de la lutte contre l’esclavage
moderne”. Sa réputation, c’était tout ce qu’il
avait, Jean-Claude. Elle lui avait d’ailleurs permis
d’organiser en 2015 la gigantesque conférence
internationale de Dakar, une franche réussite
où le sort des footballeurs africains avait été
discuté par des centaines de spécialistes venus
du monde entier. “C’était un évènement de
très haut niveau”, se souvient Claude Le Roy,
l’homme aux six sélections africaines dirigées,
grand soutien de l’asso depuis ses débuts. Il
y a trois ans, l’ancien joueur de Dunkerque a
aussi eu droit aux honneurs du Jackie Robinson
Humanitarian Award, décerné aux individus
capables d’exprimer dévotion et sacrifice
personnel dans leur quête de réformes sociales.
Un rapide coup d’œil à ses prédécesseurs aurait
néanmoins pu mettre la puce à l’oreille, puisque
parmi les lauréats, on trouve Cristiano Ronaldo,
récemment condamné pour fraude fiscale, Tiger
de l’argent, des paires de chaussures, des sacs,
avant de disparaître, explique-t-il. Souvent, ils
téléphonaient au pays. J’avais des factures
astronomiques.” Pour ces jeunes, le Camerounais
était petit à petit “devenu comme un papa”. Il
avait bravé les pouvoirs publics, seul contre tous,
pour faire entendre cette réalité du foot-business,
bien qu’à l’époque, personne ne voulait le
recevoir. Alors, quand les rumeurs ont commencé
à circuler sur son compte, beaucoup ont été
surpris. Et pourtant…
En avril 2016, un article paru dans The
Independent l’accuse d’avoir soutiré plus de
3000 euros à un jeune joueur d’origine japonaise
prénommé Shinji. Le quadragénaire lui avait
promis cinq tests dans des clubs en France, mais
un seul d’entre eux avait abouti. “Je lui faisais
confiance, expliquait alors le Nippon dans le
quotidien britannique. Mais c’est en réalité
quelqu’un de rusé et de sournois. Nous sommes
prêts à payer pour que notre rêve se réalise et
ça, Jean-Claude le sait bien.” Un malentendu de
3000 euros, c’est tout de même un peu léger pour
douter de l’intéressé, qui a toujours vertement
réfuté ces allégations. “Dénoncer tout haut les
 “J’ai failli lui mettre mon poing dans la gueule, il m’a rendu fou.
On m’a dit ‘calme toi, il a bon fond.’ Mais j’avais déjà vu clair dans son jeu.
Il nous a tous arnaqués” Ousmane Dabo, ancien parrain de Foot Solidaire
58 SO FOOT _ENQUÊTE
magouilles, cela m’a valu beaucoup d’ennemis,
estime Jean-Claude. Le journaliste a été mandaté
par ICSS (1), une organisation sponsorisée par le
Qatar, qui tente de saboter mon association par
tous les moyens. Récemment, ils ont embauché un
ancien d’Interpol, Fred Lorde, pour m’espionner.
Le mec fait des trucs dignes de James Bond
pour me discréditer.” Alors fantasme ou réalité?
Seule certitude, malgré une paranoïa certaine, le
président de Foot Solidaire a toujours dérangé
pas mal de monde dans le milieu. “Le président
de la division Afrique de la Fifpro (2) est un
ancien rugbyman suisse qui s’appelle Stéphane
Burchkalter. Comment peut-on cautionner ça?”,
se permet même d’ironiser même celui qui est
persuadé d’être devenu une cible à abattre depuis
qu’il a commencé à militer. “Le football est un
monde très politique, où il est aisé d’acheter les
consciences. Pour faire avancer un dossier, il faut
prêter allégeance, accepter de marcher dans les
combines. Ce n’est pas mon truc.”
Jusqu’à récemment, du moins. En décembre
2016, le Camerounais empoche un pactole de
50 000 euros cash, avant de disparaître. L’argent
ne provient pas d’une quelconque officine,
mais des poches de 150 jeunes compatriotes,
venus participer au tournoi de détection qu’il
a organisé à Kribi, sa ville natale. D’après les
témoignages, le prix de l’inscription est alors
un peu fixé à la tête du client mais oscille entre
200 000 et 300 000 francs CFA (entre 300 et
450 euros, ndlr), une fortune en Afrique. En
échange, les participants reçoivent la promesse
d’être détectés par des coachs venus d’Europe.
“Il y avait eu beaucoup de publicité, se souvient
Patrick Boade, qui faisait partie de l’équipe
rapprochée de Mbvoumin à l’époque. Jean-
Claude faisait rêver les parents en évoquant des
stages en France, montrait des photos de lui avec
Samuel Eto’o, ses trophées humanitaires. Il avait
loué des bureaux à Yaoundé, ça faisait sérieux.
Tu ne pouvais pas imaginer l’arnaque.” Pendant
les deux semaines du tournoi, les joueurs sont
logés et nourris à l’hôtel Le Cardinal, une bâtisse
deux étoiles située en bord de mer, et propriété
d’Ernest Edimo. Ce dernier fait un prix à l’homme
de vertu. 12 000 euros. Mbvoumin règle un quart
de la somme en guise d’avance. Mais très vite,
l’hôtelier déchante. “Dès qu’ils sont arrivés, j’ai
fourni le petit-déjeuner et le déjeuner comme
prévu, sauf qu’au lieu d’être 60, ils étaient 100.
Du coup, il n’y avait pas assez de place pour la
nuit, plusieurs enfants ont dû dormir sur le sol du
restaurant ou à la réception. Cela m’a chagriné.”
Malgré les problèmes organisationnels, sur le
plan purement sportif, le stage se déroule sans
accroc. “C’est la seule chose qui ait marché, parce
qu’on est des professionnels, s’excuse Christophe
Coursimault, l’un des six éducateurs européens
ramenés par Jean-Claude. J’ai bien peur de lui
avoir servi d’alibi, je ne savais pas qu’il faisait
payer les familles. Il m’avait dit que c’était pour
détecter des jeunes pour son projet d’académie,
qu’il devait monter dans la foulée. Il n’avait
jamais été question de les envoyer en Europe.”
Coursimault n’est pas le seul à s’être fait berner.
L’académie, baptisée Sporting Club Océan,
en projet à l’époque, n’existe pas aujourd’hui.
“C’est un beau parleur, en l’écoutant tu pourrais
lui donner ta maison, reprend Patrick Boade,
qui n’a pas été payé pour son travail. Parfois, il
me donnait 500 francs pour que j’aille acheter
un beignet à la boulangerie, mais c’était pas
suffisant!” L’hôtelier aussi a attendu longtemps
son second versement. En vain. “J’avais pitié
alors j’ai avancé plusieurs repas des enfants,
mais à un moment je me suis fâché.” À l’époque,
l’homme va jusqu’à séquestrer tout le monde
le jour du départ pour récupérer son dû. Pour
le faire redescendre, Mbvoumin lui donne
rendez-vous deux jours plus tard à Yaoundé.
Mais, là encore, Edimo se fait trimballer. “Je suis
donc allé déposer plainte. Actuellement, j’ai un
mandat d’arrêt signé contre lui, mais il est porté
disparu. Aux dernières nouvelles j’ai appris qu’il
se trouvait à Paris. C’est un bandit de grand
chemin.” Même constat de la part des familles
endettées, venues demander des explications au
président de Foot Solidaire dans ses bureaux de
la capitale camerounaise, et qui n’ont trouvé que
porte close. “Jean-Claude était parti sans payer
le loyer”, avance Patrick Boade. Le site Internet
de l’association étant fermé depuis des années,
la dernière intervention publique de Mbvoumin
date du mois d’août 2017, quand il avait annulé
au dernier moment, via communiqué de presse,
le tournoi international qu’il devait organiser
à Yaoundé. Un projet ambitieux dans lequel le
pauvre Christophe Coursimault était encore
impliqué, puisqu’il avait pour mission de faire
venir des jeunes de Guingamp et de l’OM. “Trois
jours avant le départ, je n’avais pas de nouvelles
de Jean-Claude, donc j’ai dû me rétracter auprès
de mes contacts, regrette-t-il aujourd’hui. Ça m’a
beaucoup coûté en termes de crédibilité.”
“C’était un énorme bordel”
Au milieu de l’incompréhension demeure une
question essentielle. À quel moment JC a t-il
vrillé pour devenir ce qu’il dénonce? À défaut
d’avoir été témoins directs de malversations,
ceux qui ont travaillé pour Foot Solidaire ont
constaté une désorganisation des plus totales.
“C’est une coquille vide qui lui sert de vernis pour
son ambition personnelle. À l’intérieur, il y a lui
et personne d’autre”, charge Gilles Ratiarson, un
ancien associé qui a prêté ses locaux pendant
plus d’un an à l’asso et qui a notamment participé
en 2014 à l’édition d’un guide pédagogique
destiné aux adolescents footballeurs (“Il n’a
jamais payé l’imprimeur, cela m’a coûté plus
de 4000 euros”). À l’époque, Clément Lopez,
fraîchement diplômé de Sciences-Po Grenoble,
arrive en stage pour une durée de quatre mois.
“Au départ, j’étais emballé, on était trois ou
quatre et on aidait Jean-Claude à rédiger des
projets, franchement intéressants. On rencontrait
pas mal de monde car il avait un réseau énorme”,
se remémore-t-il. Très vite, cependant, il déchante
et remarque “le décalage hallucinant entre
notre aura médiatique et l’incapacité criante
d’agir, le manque effarant de structuration en
interne. C’était un énorme bordel.” Exemple? La
“Il n’est même pas capable
d’indemniser ses stagiaires,
alors comment voulez-vous
qu’il sauve des footballeurs?
Il n’a pas de carte bleue, parce
qu’il dit que les banques
peuvent le tracer, il se prend
pour Cantona”
Jérôme Dufourg, qui l’a aidé à organiser
une conférence à Dakar
structure, qui existe depuis quinze ans et pèse à
l’international, ne dispose même pas de compte
bancaire. Inutile de préciser que Clément Lopez
attend toujours les 2000 euros d’indemnités
promis par sa convention de stage. Kadia Sow,
une jeune Sénégalaise qui a travaillé pour
Foot Solidaire de 2013 à 2015, avant de bosser
pour l’Unesco, évoque quant à elle un “piètre
gestionnaire, qui faisait uniquement du one-shot,
sans la moindre continuité dans les projets.” De
quoi démotiver les bonnes âmes séduites par
les enjeux et prêtes à l’aider. “Jean-Claude c’est
un politique, reprend Clément Lopez. Son rôle
aurait dû être d’aller dans les médias porter la
cause, ce qu’il faisait très bien. Mais il a toujours
refusé de déléguer la gestion de l’association,
et surtout d’écouter d’autres avis que le sien
en ce qui concerne la vision stratégique. Du
coup, les projets n’aboutissaient pas.” De fait,
au-delà des récompenses et des chiffres dont
se vante son fondateur, le bilan réel de Foot
Solidaire reste assez contrasté. “Il n’est même
pas capable d’indemniser ses stagiaires, alors
comment voulez-vous qu’il sauve des footballeurs?
Il n’a pas de carte bleue, parce qu’il dit que
les banques peuvent le tracer, il se prend pour
Cantona”, blâme Jérôme Dufourg, qui l’a aidé
à organiser la fameuse conférence de Dakar il
y a quatre ans. D’après ses dires, Mbvoumin
aurait également laissé une ardoise de 17 000
euros à une compagnie aérienne portugaise qui
avait avancé les billets à différents invités de
l’événement. “Je reçois toujours des mails à ce
sujet” peste Dufourg. Ces billets, pourtant, Jean-
Claude a demandé à Ousmane Dabo, parrain
de l’association à l’époque, de les payer. “J’ai
failli lui mettre mon poing dans la gueule, il m’a
rendu fou, expose l’ancien milieu de Rennes, de
l’Inter et de City. On m’a dit ‘calme toi, il a bon
fond.’ Mais moi, j’avais déjà vu clair dans son jeu
à ce moment-là. Il nous a tous arnaqués.” Des
coups, Jean-Claude en a reçu, notamment de
la part de Pierre Henry. Pas le compositeur du
cultissime Psyché Rock, mais son homonyme,
président de l’association France Terre d’Asile,
éphémère partenaire de Foot Solidaire à la fin
des années 2000. “Il m’a mis une droite et je
suis tombé dans les escaliers, explique le Lion
indomptable. Je suis juste allé déposer plainte et
il a dû me verser une compensation financière.”
Président du tournoi de Montaigu, une des
compétitions de jeunes les plus suivies au monde
par les recruteurs, Michel Allemand a quant à
lui accueilli par deux fois, en 2012 et 2013, les

équipes de Jean-Claude. Lors de son second
voyage, ce dernier lui emprunte la somme de
5000 euros. ”Je trouvais la cause noble, alors
j’ai voulu lui donner un coup de main, mais plus
je réclamais le remboursement, plus je sentais
qu’il s’enterrait”, note l’organisateur, qui signale
un autre chrome de 7000 euros laissé par
Foot Solidaire au centre technique de la ligue
Atlantique de football. Bref, Jean-Claude croule
sous les dettes. Le pire, c’est qu’il ne s’en est
jamais caché. “En 2009, j’ai dû mettre la clef sous
la porte, momentanément, parce que je n’avais
plus un rond, explique-t-il. J’ai dû payer tout un
tas de trucs de ma poche, 200 euros par-ci ou par-
là pour des gamins qui criaient famine. Il faut dire
aussi que les voyages à Zurich, ça coûte cher.”
Stade 2, Sepp Blatter et le RSA
Paradoxalement, malgré toutes les critiques
et les inimitiés, ceux qui l’ont connu n’ont
jamais douté de la sincère bienveillance qu’il
portait aux enfants à la base. Aussi ont-ils eu
les jambes sciées en apprenant son virage
en mode Breaking Bad. “Il a fait tellement de
bêtises, je pense qu’à un certain moment il s’est
retrouvé étranglé, contraint de voler, pose Jérôme
Dufourg. Mais qu’il ait arnaqué des joueurs par
incompétence ou malhonnêteté, de toute façon,
cela reste une faute grave.” Pour beaucoup, la
célébrité, notamment, lui serait montée à la tête.
Il faut dire qu’il existe chez l’ancien international
camerounais quelque chose qui relève de la faille
narcissique. “Je pense que Jean-Claude était
bourré d’ambitions et qu’il a, malgré la volonté
de lutter contre l’exploitation des footballeurs,
rapidement vu dans Foot Solidaire un moyen
d’accéder à la notoriété qu’il n’a jamais eue en
tant que joueur”, suggère l’ex-stagios Clément
“J’aurais pu prendre de
l’argent et pantoufler à la
Fifa, mais je rêvais d’autres
choses. Alors, ceux qui se
plaignent d’avoir perdu un
peu à cause de moi, ils me
font rire. Ils vivent bien. Pour
venir aux conférences, ils
insistent tous pour voyager
en première”
Jean-Claude Mbvoumin
Lopez. Claude Le Roy, sélectionneur du
Cameroun lors du mondial 98, se souvient de la
déception de l’ancien footballeur de ne pas faire
partie du voyage dans l’Hexagone: “C’était un
bon joueur mais pas un grand joueur. Je pense
qu’il a toujours ressenti une frustration par
rapport à ça et qu’il a eu le sentiment de prendre
une revanche avec son projet. Il faut croire que je
reste un grand naïf, mais quand même, il m’avait
toujours semblé être un honnête homme.” Pendant
longtemps, Jean-Claude Mbvoumin a surtout été
un homme pressé, idéaliste et rêveur, toujours
prêt à sauter les étapes pour “changer le monde”.
Il y sera presque parvenu, avant que tout ne
s’écroule. Du débat sur le plateau de Stade 2 avec
Thierry Braillard (secrétaire d’État aux Sports
entre 2014 et 2017) aux poignées de mains avec
Sepp Blatter et Michel Platini, il sera monté
haut dans les sphères des instances, malgré le
tabou qui entourait son
combat à l’origine. Bref,
un formidable lanceur
d’alerte, à défaut d’être
un bon gestionnaire. “À
l’ONU, c’est bien simple, il
connaissait tout le monde
dans les couloirs, c’était
impressionnant. Pour ces
gens-là, c’était un héros”,
se souvient son ancien
associé Gilles Ratiarson.
Lorsqu’il est mis devant
le fait accompli au sujet
de la cagnotte disparue
du tournoi de Kribi,
Jean-Claude se contente
d’affirmer qu’il a failli
“y laisser des plumes”,
que les choses ont mal
tourné là-bas suite à la
mort de son père, et que
les accusations contre lui
sont “un procès monté
de toutes pièces” par ses
ennemis de toujours.
Selon lui, l’hôtelier Ernest
Edimo serait ainsi un
menteur qui voudrait la lui faire à l’envers. Le
Camerounais a le chic pour paraître sincère, on
ne peut pas lui enlever ça. “Je n’ai jamais dit
que les enfants partiraient en Europe! C’est un
mensonge. Ce sont eux qui sont prêts à tout pour
partir, il y a une pression migratoire telle que
tu ne peux rien faire.” Ok, mais où est l’argent?
Pas chez lui, jure-t-il. “J’ai honte de le dire, mais
je suis actuellement au RSA, je survis grâce à
ma fille. Seigneur, si tu savais ma vie, par quoi
je suis passé… Le travail de terrain en Afrique
est suicidaire, tu te retrouves mouillé dans des
histoires… Les autorités ont bloqué les billets
pour le tournoi de Yaoundé, ils ont tout fait pour
me nuire, car ils pensaient que j’ambitionnais
de les remplacer.” Pendant plus de trois heures
au téléphone, JC a plaidé sa cause, reconnu
son manque d’organisation, dénigré ceux qui
disaient du mal de lui. Il a même parlé des Gilets
jaunes. “Je suis fier de voir le peuple français qui
refuse de se soumettre, je l’admire, je l’adore.”
C’est en suivant le même idéal qu’il s’est lancé
dans l’aventure Foot Solidaire, assure-t-il. Il a
tout sacrifié pour son projet d’intérêt général.
“J’aurais pu prendre de l’argent et pantoufler à
la Fifa, mais je rêvais d’autres choses. Alors, tous
ces gens qui se plaignent d’avoir perdu un peu
à cause de moi, ils me font rire. Ils vivent bien.
Pour venir aux conférences, ils insistent tous pour
voyager en première classe et avoir un chauffeur
privé. Donc qu’ils arrêtent de chipoter.” Il n’y a pas
à dire, l’homme fait preuve d’un vrai talent pour
se voir accorder le bénéfice du doute. Et puis
Kadia Sow a rappelé. “C’est triste à dire, mais
avec le recul, je me demande si ce n’est pas le plus
grand menteur que j’aie jamais rencontré.” TOUS
PROPOS RECUEILLIS PAR CG SAUF MENTION.
•
(1) L’International Centre for Sport Security (ICSS).
(2) Fédération internationale des associations de footballeur.
60 SO FOOT _ENTRETIEN

À 23 ans, elle a déjà tout gagné. Y compris le premier Ballon d’or

de l’histoire décerné à une femme. Fâchée avec la fédé norvégienne,
trop amateur à son goût, Ada Hegerberg ne disputera pas la coupe
du monde cet été. Ce qui n’empêche pas la buteuse de l’OL de rêver
plus grand. Pour elle, mais aussi et
surtout pour le football féminin, dont
elle est aujourd’hui la représentante
assumée. Par Inès Roy-Lewanowicz
et Léo Ruiz, à Lyon / Photos: Afp/Dppi, Imago/Panoramic
et Hugo Ribes pour So Foot
Et un nouveau Grammy Award pour ABBA.
62 SO FOOT _ ENTRETIEN

“Joue-la comme Beckham, c’est un film iconique. Ça a fait

bouger les choses chez les petites filles que nous étions.
On a dû le voir cent fois, on se disait que c’était stylé”

Ça va nous faire un bronzage sympa.

 Tes parents étaient footballeurs

M
professionnels et tu es née trois semaines
après le titre de championne du monde
de la Norvège en 1995. Pourtant, Andrine,
ta grande sœur qui joue au PSG, dit que
le football n’était pas ta priorité à la base.
C’est vrai qu’au début, j’étais sans doute celle qui
était la moins intéressée par le football, mais dans
la famille, même si on faisait aussi de l’athlétisme
et du ski, c’était le sport. À l’époque, je pratiquais
le handball. Un jour, je suis rentrée à la maison
après un entraînement et j’ai commencé à en
parler, mais ça n’intéressait personne. Donc bon…
Petit à petit, j’ai pourtant senti que le football,
c’était aussi mon truc. Ma sœur était capitaine
depuis toute petite de son équipe de garçons, et
ma mère était coach. Andrine, c’était un peu la
star du coin. C’était aussi mon idole. Elle était
toujours active, alors que moi, j’étais plutôt du
genre à rester tranquillement posée avec mon
chocolat chaud. Elle me disait: “Allez, allez, on va
jouer!” Donc on jouait. Avec les garçons. Là, j’ai “Hé Martin, est-ce que tu sais mixer?”
constaté que j’aimais marquer des buts, puis à
10 ou 11 ans, j’ai vraiment compris que c’était ce
que je voulais faire. Le football était très ancré,
très présent à Sunndal, tout le monde voulait
y jouer. C’est une toute petite ville entourée de
bien de la coupe du monde 2011 en Allemagne.
Il y avait de très beaux matchs, les équipes “Le Ballon d’or, ce n’était
nature, du coup on était dehors toute la journée. proposaient du beau jeu. Ça m’avait vraiment pas juste un titre pour
Les parents avaient 100 % confiance en nous. On motivée à voir plus grand. De toute façon, j’ai
devait juste rentrer le soir pour le dîner, c’était toujours consommé beaucoup de football. Selon moi, c’était un titre pour
beau. On savait cependant que pour viser plus
haut, il fallait bouger, quitter cet endroit.
moi, il y a deux façons de voir un match. Tu
peux simplement le regarder, ou alors vraiment
nous toutes. C’est un
te pencher dessus. Moi, je préfère la deuxième symbole”
Tu étais bonne au handball? En fait, je préférais option. C’est comme ça que tu comprends le jeu
le ski. On allait en faire tous les week-ends. des attaquants, le mouvement des défenseurs,
C’était vraiment une passion. J’aimerais bien le placement d’un gardien… Il y a plein de détails
pouvoir en refaire après ma carrière. Là, mon à observer pour pouvoir bien lire l’ensemble.
copain (Thomas Rogne, joueur de Lech Poznan,
ndlr) est venu quelques jours à Lyon et on s’est Désormais, tu évolues à l’OL, triple vainqueur à Lyon, c’est la classe mondiale. Les conditions
rendus à la montagne, ça me démangeait un peu. en titre de la C1. Ça va être compliqué de viser plus sont parfaites. On veut gagner, mais aussi et
haut, en Europe en tout cas. C’est le maximum surtout proposer du beau jeu. Je crois que c’est
C’était facile d’être les deux seules filles dans à l’heure actuelle. Mais il y a des étapes. Tu ne notre grande responsabilité pour développer le
une équipe de garçons? Pour ma sœur et moi, passes pas de la Norvège à Lyon comme ça. foot chez les femmes, pour attirer les jeunes filles.
c’était quelque chose de naturel. Déjà parce que L’Allemagne (elle a passé deux saisons à Simplement gagner, ça ne suffit pas.
c’étaient nos copains, et aussi parce que le niveau Potsdam), c’était déjà énorme. J’ai appris plein
et le rythme étaient plus élevés. C’était un bon de choses là-bas, en tant que femme mais aussi Donc il faut faire quoi, mettre un maximum de
challenge. On a ensuite été obligées de trouver en tant que footballeuse. Les gens pensent buts? Attaquer et posséder le ballon. Je crois que
une équipe avec des filles. On a déménagé juste que tout arrive d’un coup, en une nuit. Mais c’est ça qui intéresse les gens. On veut montrer
à côté d’Oslo et Andrine est entrée à Kolbotn, ce n’est pas aussi simple. Oh là là, il y a eu à celles et ceux qui viennent nous voir qu’on
un club professionnel plusieurs fois champion plein de mauvaises journées… Ça fait partie du est là pour offrir un spectacle. Pour revenir sur
de Norvège. Moi, j’ai suivi. travail. J’aime bien rêver, mais il faut bosser les différences culturelles, en Norvège, l’égalité
pour se donner les moyens d’arriver là où je et la démocratie sont des sujets sociétaux très
Beaucoup dans ta génération ont voulu devenir suis aujourd’hui. C’est toujours ce que je dis aux importants, mais paradoxalement, ce sont des
footballeuses en regardant Joue-la comme jeunes filles: “Travaillez, et croyez en vous!” choses que l’on ne retrouve pas vraiment dans
Beckham. C’est aussi ton cas? Ouais, c’est un notre football. Ici, à l’OL, c’est plus égalitaire.
film iconique. Ça a fait bouger les choses chez La Norvège et l’Allemagne ont une vraie culture Je me sens très respectée depuis que je suis au
les petites filles que nous étions. On a dû le voir du foot féminin. C’est moins le cas en France, non? club. En Norvège, on ne donne pas les mêmes
cent fois, on se disait que c’était stylé. À l’époque, Ce sont trois pays complètement différents à opportunités aux jeunes filles de devenir pros.
le foot féminin n’existait quasiment pas à la télé. ce niveau-là. Moi, je savais que je ne pouvais
C’était dur de trouver des idoles chez les femmes. pas rester en Norvège pour devenir la meilleure Pourquoi? C’est la question que je me pose tous
En voyant ce film, on s’est dit qu’on pourrait du monde. L’Allemagne, c’était déjà un gros les jours.
le faire nous aussi. changement. C’était plus dur, plus discipliné, on
s’entraînait trois fois par jour. C’était la quantité Alors, comment changer cela? Déjà, en ayant
Du coup, vous vous contentiez de regarder avant la qualité. J’en ai bavé, mais ça m’a des joueuses qui réussissent à l’étranger.
le foot masculin? Oui, la ligue des champions beaucoup servi. Après ça, je voulais découvrir un J’ai senti que mes titres individuels ou avec l’OL
principalement. Chez les filles, on suivait juste niveau et un environnement différents. En gros, ont fait bouger les choses. Les gens en parlent.
les gros tournois. Je me souviens d’ailleurs très je voulais plus de qualité et moins de quantité. Ici, Ça avance… Doucement…
64 SO FOOT _ ENTRETIEN

“Avec l’OL, on veut gagner

en proposant du beau jeu.
C’est notre grande
responsabilité pour
développer le foot chez les
femmes, pour attirer les
jeunes filles. Simplement
gagner, ça ne suffit pas”

Vu de France, on a quand même l’impression

que les pays scandinaves sont plutôt en avance.
Dans les compétitions internationales, leurs équipes
féminines ont souvent des meilleurs résultats
que les masculines. Récemment, la fédération
norvégienne a d’ailleurs décidé de rémunérer ses
internationales au même niveau que les garçons.
Disons qu’en France, il y a deux clubs phares,
l’OL et le PSG. Derrière, il y a Montpellier.
Et après, il y a un gros écart. J’espère que ceux
qui dirigent les clubs vont comprendre l’intérêt
d’investir dans une équipe féminine, ce que Jean-
Michel Aulas a très bien compris depuis dix ans.
Ça prend du temps, mais le résultat est là. Voyez
l’image positive aujourd’hui pour le club, la ville,
le pays! Il a réussi à avoir la meilleure équipe
du monde, tout simplement. C’est dur pour nous
de voir tout cet argent dépensé par les clubs
pour leurs équipes masculines, alors que les filles
n’arrivent pas toujours à vivre du football.

Depuis quand tu en vis, toi? Depuis mon premier

contrat pro en Allemagne. Ce n’était pas
beaucoup, mais ça suffisait. Moi, je n’ai jamais fait
ça pour l’argent de toute façon, je voulais juste
pouvoir jouer au foot tous les jours. Depuis que
Womanspreading.
je suis à l’OL, je suis assez privilégiée.

L’OL a marqué 84 buts en championnat et en

ligue des champions, et n’en a encaissé que trois.
Ce n’est pas lassant, ce déséquilibre? On en a un
peu marre de cette question. Il faut se rendre
compte qu’on a écrit l’histoire, et qu’on a envie
de continuer à l’écrire, parce qu’on est dans la
position idéale pour le faire. C’est ça qui nous
motive, rester en haut. Franchement, on n’a
pas envie de laisser notre place aux autres. Les
gens ne voient pas la difficulté de gagner tous
les ans, alors qu’il faut avoir une exigence folle,
se remettre en question tout le temps. On est
la seule équipe qui réussit à gagner avec une
telle différence de buts. Pourquoi? Parce qu’on
est concentrées de la première à la dernière
minute. Ça a toujours été notre qualité, et il faut
absolument la conserver. On a besoin de ça pour
aborder les gros matchs de ligue des champions.
Mais dans l’objectif de développer l’intérêt du foot
chez les jeunes filles, ce gouffre entre vous et les
autres n’est-il pas contre-productif? J’espère que
de plus en plus de clubs vont se rapprocher de
nous, se construire d’année en année pour un
jour nous concurrencer. On doit toutes et tous
viser plus haut. Ce qui est très positif, c’est de
voir des équipes comme Bordeaux, Lille, Dijon
ou le Paris FC être intégrées dans le club avec
les garçons. On a besoin d’avoir quelqu’un
derrière nous pour investir et professionnaliser
notre quotidien. Concernant le niveau, ça prend
du temps. Plusieurs clubs du championnat n’ont
pas encore acquis la stabilité requise, c’est un fait.
Ça passe par plus d’investissement, il n’y a pas
de secret.
Comment convaincrais-tu le président d’un club
d’investir dans le football féminin, comme l’a
fait Aulas à l’OL? Je n’aurais pas besoin de le
convaincre s’il venait voir l’un de nos matchs.
Qu’ils viennent assister aux entraînements, on
travaille beaucoup sur les détails, c’est quelque
chose de spectaculaire. Ça devrait leur donner
envie d’investir. C’est notre responsabilité de
proposer un jeu attractif, de sortir de notre zone
de confort, pour qu’ils ne puissent pas nous
louper. À l’avenir, il faut qu’ils se disent: “Mais
pourquoi on n’investit pas plus dans les femmes
qui jouent au foot?”
Est-ce qu’on compare trop le foot féminin avec
le foot masculin? Bonne question. Déjà, ce terme
de foot féminin, il me pose un problème… On ne
parle jamais de foot masculin, si? Moi, je parle
juste de foot. C’est complètement naturel pour
moi, même si je suis une femme. Changer les
mentalités, c’est quelque chose qui doit motiver
chaque joueuse, chaque sportive. L’autre jour, on
m’a demandé si j’étais quelqu’un qui se battait
pour plus d’égalité ou juste une fille qui jouait au
foot… Mais c’est impossible pour une footballeuse
de jouer sans se battre pour la parité!
On parle souvent de l’idée de changer les règles
dans le football, pour le rendre plus séduisant,
plus offensif, moins fermé. Est-ce que ça te plairait
de voir ça dans le foot féminin? Non! Il ne faut
jamais changer les règles, et surtout pas parce
qu’on est des femmes. Ce serait catastrophique.
On est construites différemment physiquement,
mais on évolue dans le même cadre, la technique
et la tactique sont les mêmes. Je pense que les
femmes doivent garder cette façon “propre” de
jouer: ne pas rester au sol, jouer de façon positive,
sans perdre du temps à refuser le jeu. Les gens
qui nous suivent apprécient ce côté-là. Après,
il faut qu’on parvienne à hisser le niveau général,
à avoir plus de filles régulièrement au top.
Quels sont vos rapports avec les joueurs de l’OL?
On ne s’est jamais entraînés ensemble, mais on
se voit tous les jours. Il y a un respect mutuel
que j’apprécie beaucoup. Tout le monde y gagne.
Ils viennent nous voir de temps en temps au
Groupama Stadium, surtout dans les grands
matchs. Et nous, on va voir tous leurs matchs
à domicile.
Est-ce que ta vie a changé avec ce Ballon d’or?
Au-delà de l’intérêt médiatique, non, pas
forcément. Ça me pousse juste à continuer à
être performante. Je l’ai toujours dit, la soirée de
remise du Ballon d’or était plus grande que moi,
parce que ça concernait beaucoup de monde,
beaucoup de filles et beaucoup de femmes.
Justement, ce soir-là, le DJ Martin Solveig t’a
demandé si tu savais twerker, et Antoine Griezmann,
sur le tapis rouge, t’as mentionnée comme “la
joueuse de l’OL” parce qu’il ne connaissait pas ton
nom… Toi qui luttes pour la parité, tu as senti lors
de cette soirée-là qu’il y avait encore beaucoup de
travail? Il y avait beaucoup de travail à faire avant
cette soirée et il y en a beaucoup à faire après.
Le chemin est long. C’est un combat de toute
une vie, c’est aussi celui de toute ma carrière, je
pense. Ce n’est peut-être pas mon cas, mais je
connais beaucoup de filles dans le monde qui ont
besoin de quelqu’un qui puisse faire la différence
pour elles. Nous avons tous, filles et garçons, une
responsabilité. Pour revenir à la soirée, je l’ai très
bien vécue, j’ai rencontré plein de joueurs, des
stars, des idoles, et j’ai vu dans leurs yeux qu’ils
avaient vraiment du respect pour nous. Qu’on
était là pour une raison. J’ai senti qu’ils avaient
conscience du travail effectué derrière nos
résultats. Être là avec mes collègues, masculins
et féminins, a été la plus grande expérience de
ma carrière. Après, il y a des petits détails qui ne
m’intéressent pas. J’essaie de ne garder que les
meilleurs moments.
Ce premier Ballon d’or féminin peut-il aider à
populariser le football féminin? Même si c’est un
titre individuel, je crois que ça a touché tout le
monde du football. C’est ça que j’ai ressenti sur
le moment et dans les semaines qui ont suivi.
Ce n’était pas juste un titre pour moi, c’était un
titre pour nous toutes. C’est un symbole. Le fait
que France Football ait décidé de décerner ce
prix a fait bouger les choses. Il y a beaucoup
d’autres organisations qui ont aussi ce pouvoir,
mais qui ne le font pas. Donc j’apprécie. On a
besoin de gens et d’événements comme ça pour
donner l’exemple.
Quand Ronaldinho a remporté son Ballon d’or, il a
eu du mal à retrouver la motivation nécessaire pour
rester au top. Tu n’as pas peur que ça t’arrive, même
inconsciemment? Non. Je le vois à la fois comme
une récompense et une responsabilité à assumer.
Ça peut mettre la pression, mais moi, j’avais
vraiment besoin de ce Ballon d’or! Je voulais
franchir une nouvelle étape dans ma carrière. On
a des ambitions claires dans le club: tout gagner,
et c’est déjà un gros challenge. Ça me va très
bien, parce que mes ambitions sont aussi très
élevées. Mais petit à petit, j’ai commencé à rêver
de ce Ballon d’or. “Est-ce que c’est possible?”,
“N’est-ce pas un rêve hors de portée?” Ça m’est
venu comme ça, et j’ai fini par me dire: “OK,
un jour, je vais le prendre, ce Ballon d’or.” Mais
en même temps, je me calmais: “Ada, reste
concentrée sur les petits objectifs du quotidien
aussi.” Il faut garder un équilibre, être réaliste,
mais aussi avoir des rêves fous, avoir un peu faim.
Désormais, tu penses pouvoir devenir une star
du football européen, comme peuvent l’être Marta
au Brésil ou Alex Morgan aux États-Unis? Je ne
sais pas ce que vous voulez dire par “star”, mais
moi, je veux continuer à être performante sur
le terrain. Les plus grands dans le foot, ce sont
celles et ceux qui réussissent à performer année
après année. Et là, je n’ai qu’une envie, c’est de
continuer au plus haut niveau possible. Une
carrière, c’est court, on a peu de temps pour
marquer l’histoire de notre sport.
Une star, ça pourrait être une joueuse qui fait
exister la discipline aux yeux du public et qui
pousse les jeunes filles à vouloir l’imiter. Ça, ça me
motive beaucoup. Je connais l’importance d’avoir
des femmes comme idoles, pour les garçons
comme pour les filles. Mais je pense aussi que
c’est important de ne pas se perdre en chemin.
Dans la vie et dans le foot, c’est facile de perdre
ses valeurs. Parfois, il faut prendre des décisions
difficiles. Moi, j’en ai pris…
Tu parles de ton refus de jouer pour la sélection
norvégienne? Pendant toutes mes années en
sélection, j’ai senti un poids sur mes épaules.
Ça m’a fait changer, j’ai commencé à ne plus me
reconnaître. En la quittant, je me suis délestée
de ce poids et j’ai pu continuer à évoluer à mon
meilleur niveau en club. Tu ne peux pas toujours
te forcer à rester dans un système et te persuader
que c’est OK. Pour moi, ce n’était pas bon, il m’a
fallu du temps pour le comprendre. Mais à un
moment, j’ai dû dire stop. Ce n’était pas normal
que je me sente comme ça.
C’était quoi, ce poids? Principalement le
fonctionnement de la fédération. Depuis le début,
j’ai été très claire avec eux, je leur ai toujours
dit très clairement les problèmes que je voyais.
Je les ai vus plusieurs fois, je voulais faire ça
proprement, pour ne pas que de mauvaises
choses sortent dans la presse, parce que c’est
un sujet qui devait rester entre la fédération
et moi. Après, les médias ont très mal traité la
situation, tant pis pour eux. Et tant pis pour
moi aussi, même si je n’ai jamais regretté cette
décision. Ce n’est pas parce que je n’ai pas envie
de jouer pour mon pays, hein. Au contraire!
J’ai envie, ça me manque et je suis fière d’être
norvégienne. C’est d’ailleurs ironique que ce
soit justement une Norvégienne qui gagne le
premier Ballon d’or de l’histoire. On a une très
belle histoire. Mais l’essentiel, c’est de continuer
à se développer, et c’est là qu’on a un peu perdu
la bataille. Il y a des pays qui ont réussi à avancer,
à franchir des étapes, et de notre côté, on s’est
un peu endormis au fond de la classe. C’est
dommage parce que le football se développe,
le jeu se développe, c’est devenu autre chose
qu’en 1995, mais nous sommes restés à quai et
les résultats sont moins bons aujourd’hui.
La France, elle, semble être entrée dans la cour des
grands. Pourtant, on a l’impression qu’il reste encore
un palier à franchir pour passer dans une nouvelle
dimension. Le mondial va changer beaucoup de
choses. C’est ce qu’il s’est passé avec les Pays-Bas
lors du dernier Euro. C’est le bon timing pour la
France. L’Allemagne et les États-Unis ont dominé
assez nettement la dernière décennie, mais cette
fois la compétition est plus ouverte que jamais.
Là, tout de suite, il est impossible de dire qui va
remporter le titre. Est-ce que ça veut dire que tout
le monde s’est amélioré? Est-ce que l’écart entre
les plus grandes équipes et les autres s’est réduit?
Je ne sais pas, c’est un débat qu’il faudrait avoir.
“Ce terme de foot
féminin, il me pose
un problème… On ne
parle jamais de foot
masculin, si?”
Est-ce que le problème des Françaises, ce n’est
pas l’absence de star? De ne pas avoir sa Ada
Hegerberg? Non! Elles ont plusieurs stars! Si elles
arrivent à travailler en équipe comme on le fait
à Lyon… Je connais très bien les Lyonnaises, il
y en aura beaucoup dans le onze de départ et je
sais qu’elles sont capables de gagner. Après, en
sélection, c’est différent. Ici, on s’entraîne tous les
jours ensemble. Beaucoup de choses se jouent
mentalement aussi dans un tournoi. Tu dois bien
débuter, avoir un peu de chance et du talent bien
sûr, mais ça se joue au mental, je crois.
Tu attends quoi, toi, de ce mondial? Du jeu! C’est ça
qui m’intéresse. Je le regarderai avec attention,
tout en bossant à côté pour prendre de l’avance
sur les autres. J’espère que les nations seront là
pour montrer au public un jeu propre et offensif
avec de la possession de balle. C’est ce que je
me rappelle avoir vu en 2011, et c’est ce que
j’aimerais revoir cet été. S’il y a un jeu attractif, je
suis sûre qu’il y aura du monde dans les tribunes.
Après, attention, la coupe du monde, ce n’est que
tous les quatre ans, donc c’est important aussi
de maintenir cette visibilité, pour faire venir des
gens au stade le week-end. On a plein de bonnes
choses à montrer toute l’année. Donc venez!
• PROPOS RECUEILLIS PAR IRL ET LR
66 SO FOOT _ À LA CULOTTE

TRAIT
POR

Docteur Dayot &

Mister Upamecano
En dehors du terrain, Dayot Upamecano est du genre à économiser ses mots
pour que personne ne tique sur sa dyslexie. Sur le pré, en revanche, le jeune
défenseur central du RB Leipzig ne bégaye jamais son football. Tranchant, puissant,
précoce et avec un potentiel monstrueux, le Français cultive une double personnalité
qui pourrait prochainement lui ouvrir les portes des Bleus. Rencontre avec
la combinaison prénom/nom la plus folle du moment.
Par Nicolas Jucha, à Leipzig / Photos: Gepa/Iconsport et Picture-Alliance/Dppi

“Lorsque je joue, Sa première vraie interview s’est tenue alors en revanche, il parle peu, pour ne pas dire jamais. “Il

D
qu’il venait de percer à Salzbourg. Et c’est peu
je ressens un dire qu’il a subi une montée de stress, d’après
changement Ghislaine, sa mère. “Il a appelé sa sœur aînée:
‘Ils vont me poser des questions, qu’est-ce
en moi. Je me sens que je vais dire? Donne-moi des idées par
SMS…’ Après coup, il nous a avoué, ‘j’ai eu peur pour
tout simplement pas grand-chose’. Ça va mieux aujourd’hui, mais à
une autre l’époque, c’était une vraie angoisse. Il appréhendait
plus une interview qu’un match important.” Pour
personne…” comprendre l’anxiété d’Upamecano, il faut s’intéresser
à l’enfant qu’il a été. Donc forcément à cet incroyable
Dayot
blase, capable à lui seul de faire bégayer n’importe qui:
Dayotchanculle. Un hommage à son arrière-grand-
père paternel, chef du village de Jeta Caoi, située sur
l’île de Jeta, en Guinée Bissau. “Ça peut se traduire
par ‘grand homme, bienveillant et digne’” précise
Ghislaine. Si son fils a déjà emprunté à plusieurs
reprises la pirogue le conduisant sur la terre de ses
ancêtres, c’est bien à la Madeleine, un quartier populaire
d’Évreux, que l’actuel défenseur central du RB Leipzig
a grandi. “Avec beaucoup d’Africains, et beaucoup de
footballeurs”, note-t-il. À l’époque, le fan de Sergio
Ramos ne vit que pour le football. Il se souvient
notamment “des tournois de deux ou trois heures dans le
city stade de la Madeleine. On se donnait à fond comme
si c’était la ligue des champions”. En dehors du terrain,
était timide, voire introverti, beaucoup trop, souligne
sa mère. Il nous disait: ‘Je veux devenir footballeur
professionnel, mais pas une star, parce que les stars
doivent savoir bien s’exprimer, je ne me vois pas devant
une caméra, je n’y arriverai jamais.’ Avec le recul, ça a
contribué à le rendre plus fort. Qu’il devienne footballeur
pro avec ce problème-là prouve qu’il est costaud.”
Sélectionneur des Espoirs, Sylvain Ripoll a lui aussi été
décontenancé par le mutisme du joueur: “Je croyais
que cela n’allait pas, qu’il y avait un malaise, donc j’ai
essayé de lui parler, jusqu’à comprendre qu’il est comme
ça, à rester tranquille dans son coin. C’est d’autant
plus curieux que sur le gazon, il devient un prédateur,
il déborde d’orgueil positif.” Cette phobie des micros
et des discours provient de soucis d’élocution qui l’ont
accompagné toute sa jeunesse: Dayot Upamecano
est victime de dyslexie. Dans la salle d’interview
improvisée de l’Academy du RB Leipzig, il bute sur
une phrase, se prend la tête à deux mains, gêné, avant
de demander de l’eau en allemand à l’un des salariés
du club. “À l’école primaire, il a pu subir des moqueries
à cause de cela, mais il a rapidement su s’en protéger,
car il savait se faire respecter. C’était un élève sage,
mais ses difficultés le pénalisaient. Il ne s’exprimait
pas beaucoup. Aujourd’hui, c’est la peur de bégayer qui
fait qu’il bute encore parfois sur des mots. Ou lorsqu’il
L’été à Leipzig.
68 SO FOOT _ À LA CULOTTE

Quand tu t’emmerdes vraiment au CDI.

“Je veux devenir est en situation de stress, d’énervement, ou de grosse

fatigue”, tient à rassurer Ghislaine. Dans le monde cruel
footballeur pro, et ingrat des enfants, heureusement, être le meilleur sur
mais pas une star, le rectangle vert est un passeport pour la tranquillité.
Romaric Bultel, mentor du joueur en U13 et U15 sous
parce qu’elles les couleurs du FC Évreux, confirme: “En cas d’excès
d’excitation ou dès qu’il voulait parler vite, cela bloquait.
doivent bien savoir Ça le pénalisait parfois. Mais vu qu’au bout d’un
s’exprimer. Je ne moment il était en totale confiance et que le club était
devenu son domaine, tout est rentré dans l’ordre. Les
me vois pas devant gamins de la Madeleine qui avaient grandi avec lui ne
une caméra, je n’y se moquaient pas, ils ne remarquaient même plus son
problème.” Il faut dire que sur le pré, les complexes
arriverai jamais” tombent et Dayot devient très vite ce grand leader
qu’il n’est pas en dehors. “Hors du terrain il ne parlait
Dayot à sa famille quasiment jamais, mais quand il jouait, je l’entendais
souvent réprimander ses partenaires, ce n’était plus
le même enfant, confirme Ghislaine un trémolo dans
la voix. Aujourd’hui encore, ça me procure beaucoup
d’émotions, en tant que mère, de le voir s’exprimer
autant sur un terrain. Le football lui a très tôt fait sortir inaperçu. Alors directeur du centre de formation
le meilleur de lui-même.” Question: Dayot serait-il du VAFC, Frédéric Zago tombe directement sous le
bipolaire? L’intéressé jure que non, même s’il a bien charme. “Je me suis vraiment demandé ce qu’il foutait
conscience d’avoir une double personnalité… “Lorsque là. Dans le sens de, ‘comment est-ce possible qu’aucun
je joue, je ressens un changement en moi. Je me sens tout autre club ne l’ait remarqué avant nous?’” Une question
simplement une autre personne…” à un milliard de dollars d’autant que le Normand gagne
tous ses duels. Facile: à 15 ans à peine, il a déjà un
“C’est une bête, il a tous les muscles” corps d’adulte. “Lors de la visite médicale, Dayot devait
pousser sa jambe vers le haut pendant que le docteur
De là à dire que l’assurance précoce que le colosse appuyait dessus pour faire résistance, se souvient Bultel.
dégage sur la pelouse lui a permis de devenir un maître C’est le doc qui transpirait le plus, le gosse était pas loin
de la dialectique plein de “self-confidence” et capable de le soulever. J’exagère à peine. À la fin, le médecin se
de se faire mousser, il y a un gouffre. Au cours de sa tourne vers moi et me dit: ‘C’est une bête, il a tous les
jeunesse, il voit régulièrement d’autres congénères muscles, là où il faut.’” Dans la foulée et pour faciliter
partir en détection, pendant que lui reste à quai. “Il n’a l’intégration de leur nouvelle pépite, les dirigeants
jamais su militer pour sa cause, reprend le formateur nordistes le mettent entre les mains d’un orthophoniste.
Bultel. Sa dernière année chez nous, on est champion Ce dernier est chargé d’améliorer l’élocution de celui
de Normandie, mais il n’a pas été retenu en sélection qui n’en finit plus de fermer des bouches sur le terrain.
régionale. C’est un autre central du club, pourtant moins “Dès qu’ils ont vu son niveau, ses camarades ont
fort, qui a été pris à l’époque.” Et puis, au printemps cessé toutes formes de railleries”, rappelle Zago. Hors
2013, la roue tourne enfin. En fin de saison, Romaric terrain, entre deux rendez-vous chez le praticien, le
Bultel affrète sa Ford C-Max pour emmener Dayot et joueur passe ses journées devant Tiji, une chaîne de
un autre gamin d’Évreux faire un essai à Valenciennes. télévision spécialisée dans les dessins animés pour
Le défenseur met très vite tout le monde d’accord. jeunes enfants. “ça contrastait bien avec son physique
Autant dire que son profil athlétique ne passe pas d’armoire à glace”, sourit Franck Triqueneaux, autre
 Encore un et on a une équipe.

éducateur nordiste. Dayot, pourtant, n’est pas venu dans

le Nord pour avoir un suivi médical ou pour s’enquiller
des cartoons. Très vite, ses performances débouchent
sur un contrat aspirant, un surclassement et même un
brassard de capitaine. Des attentions qui, pourtant,
ne permettront pas aux deux parties de totalement
s’entendre. Du côté de Valenciennes, on prétend “n’avoir
eu que trop peu de contacts avec la famille”. De son coté,
Ghislaine estime que le club nordiste “n’a pas fourni ce
qui avait été promis sur le plan scolaire” et revendique le
financement des pleins d’essence pour que les membres
de la famille puissent venir visiter le futur pro. “Je
n’avais pas peur pour son avenir, car il était déterminé.
Mais il y avait un manque.” Un vide qui s’explique par
le rôle habituellement occupé par l’ado dans la cellule
familiale monoparentale, père et mère étant séparés.
Pour subvenir seule aux besoins de la famille, Ghislaine
cumule les boulots: en plus de vendre des produits afro
sur le marché du coin, elle fait des ménages et coiffe des
gens à domicile. “Alors il se levait plus tôt pour m’aider
dans les tâches quotidiennes, par exemple préparer
le petit-déjeuner de ses frères et sœurs, rappelle-t-elle. Red Bull donne des bras.
Les jours de marchés, le vendredi, il venait toujours
après l’école pour m’aider à remballer les marchandises.
Le dimanche, pareil, il se levait tôt pour m’aider à
70 SO FOOT _ À LA CULOTTE
Pas mal, cette statue de Matuidi.
“Il a un profil à la
Marcel Desailly,
dur dans les duels,
intelligent dans
le placement”
Gérard Houllier, directeur de
la branche football pour Red Bull
installer l’étal.” Si elle apprécie les coups de mains
de Dayot, Ghislaine, comme toutes les mamans poules
qui se respectent, aspire évidemment à mieux pour son
fils. “Je ne sais pas pourquoi, une intuition de mère sans
doute, mais quand il était petit j’étais persuadé qu’il
deviendrait quelqu’un, souffle Ghislaine. Un jour je lui
ai dit, ‘Dayot, je sais qu’un jour tu triompheras dans le
monde du football. Continue sur cette voie.’ Je lui ai
reparlé de ça il y a deux ans… Il en a pleuré.”
Le Loco sonne toujours trois fois
Si l’essentiel des clubs de l’élite française n’ont pas
détecté Dayot Upamecano dans le monde amateur,
deux ans après son arrivée à Valenciennes, sa
réputation avait largement dépassé les frontières
du département du Nord. Lors de l’Euro U17 2015 en
Bulgarie, remporté par la France, il tape dans l’œil de
Gérard Houllier, directeur de la branche football pour
Red Bull, qui voit en lui “un profil à la Marcel Desailly,
dur dans les duels, intelligent dans le placement”. Le
premier cador européen à dégainer est néanmoins
Manchester United, le club dont Dayot Upamecano
rêve depuis l’enfance. Ce dernier, les yeux qui brillent,
est prêt à y signer sous n’importe quelle condition
après la visite des installations. Seulement, il dispose
de tuteurs qui entendent les choses différemment.
“Une intermédiaire nous avait rencontrés, témoigne
Me Thierry Martinez, son représentant. Mais entre le
projet qu’elle nous avait présenté et la réalité sur place…
On lui avait promis un appartement, finalement il était
question de famille d’accueil, avec six allers-retours par
an seulement pour les parents. Quand vous déracinez
un gamin aussi jeune, c’est insuffisant. J’étais soucieux
que Dayot ait un équilibre affectif hors terrain.” Puis,
c’est au tour de Rennes, de l’OL, d’Arsenal, du Bayern
ou de l’OM de frapper à la porte. “Bielsa a appelé trois
fois pour le faire venir à Marseille. Il s’est pris la tête
avec Vincent Labrune qui ne comprenait pas pourquoi
un joueur aussi jeune pouvait coûter autant”, précise
Pierre Wantiez, ancien directeur général du VAFC.
Pendant que l’OM compte ses sous, la branche football
de la marque de boisson qui donne des ailes prend
de l’avance dans les négociations. Et chose rare dans
le foot, ce n’est pas avec les dollars que l’opération
séduction s’est finalement concrétisée. “À Valenciennes,
Pierre Wantiez m’avait appelée pour me proposer de
l’argent si on acceptait l’offre de certains clubs, rappelle
Ghislaine Upamecano. Il voulait choisir à ma place.
‘Si Dayot signe dans ce club, vous pouvez toucher
150 000 euros.’ Il savait qu’il y avait conflit entre moi et
le père de Dayot (Verissimo insistait à l’époque pour que
son fils rejoigne le Bayern), il en jouait. Mais pour moi,
l’argent était secondaire, je voulais choisir le meilleur
endroit pour mon fils.” Alors plutôt que de brandir la
planche à billets, les dirigeants de Red Bull, en bons
planneurs stratégiques, ont la bonne idée de se pointer
avec un scénario de carrière concret. Sur le Powerpoint
qu’ils présentent à la famille, tout est déjà étudié, tracé,
planifié. Logement, études, et progression linéaire au
sein des différentes filières du groupe. De quoi rassurer
Ghislaine. “Dès le départ, ils nous ont dit très clairement
qu’ils allaient le préparer à Salzbourg, et qu’ensuite, il
irait à Leipzig, et qu’il jouerait la ligue des champions.
Ils ont tout respecté à la lettre”, se félicite-t-elle
aujourd’hui. À l’époque, Dayot à pourtant une crainte,
une seule: devoir dialoguer et s’exprimer dans la langue
de Goethe, lui qui a déjà du mal à le faire en français.
“Avant d’aller en Autriche, il m’a dit ‘maman, c’est
quoi cette langue-là? Je ne vais jamais pouvoir parler
allemand, j’aurais dû aller en Angleterre!’ Au début,
quand il ne comprenait pas en cours, il faisait semblant
d’avoir mal à la tête pour écourter.” Le jeune homme
n’est de toute façon pas venu pour briller en classe ou
décrocher un diplôme au cas où. Six mois à Liefering,
sorte d’antichambre du Red Bull Salzbourg en D2 locale,
suffisent à le voir intégrer l’équipe première de la ville
de Mozart. À peine une vingtaine de matchs sous le
maillot rouge et blanc plus tard, les dirigeants réalisent
qu’il n’est pas fait pour la Bundesliga autrichienne, mais
pour la vraie. “Il n’était pas très chaud pour changer de
club aussi vite, en hiver, se souvient Houllier. Il serait
bien resté six mois de plus à Salzbourg avant de rallier
Leipzig. Mais au final, il a tout de suite joué et on voit
où il en est aujourd’hui.” Dayot Upamecano a désormais
20 ans et un potentiel qui séduit toujours les plus
grands clubs européens. Alors même si sa carrière a
été couchée sur papier par ses dirigeants actuels, il se
verrait bien griller quelques étapes. “En ce moment
il y a des tractations avec Leipzig, mais il se demande
si c’est le club idéal pour arriver en équipe de France.
Il se sent bien, il n’a pas envie de partir, mais si à un
moment il sent qu’il doit le faire pour intégrer les Bleus,
il y réfléchira sérieusement, révèle Ghislaine. L’équipe de
France, il n’attend que ça. Il s’imagine pouvoir y arriver
très bientôt. Pendant la coupe du monde, il se disait qu’il
aurait pu être du voyage. Pour lui, ce n’est jamais l’année
prochaine, c’est tout de suite.” Pourquoi pas, mais il ne
faudra pas bafouiller lorsque ses nouveaux coéquipiers
demanderont au bizuth de pousser la chansonnette à la
•
cantine. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR NJ
 Cahier International
BRÉSIL

FILIPE
LUIS
ATLÉTICO
INTELLO
ARGENTINE

ERIK
LAMELA
SES HANCHES
NE MENTENT PAS

ESPAGNE

SERGIO
BUSQUETS
LEÇON DE
IMAGO/PANORAMIC

PRESSING
72 _ CAHIER INTERNATIONAL

Par Jordi Quixano

Pour El Pais – Espagne

“Il y a zéro égoïsme dans

le joueur que je suis”
Thierry Henry, Messi, Pep, Xavi, Iniesta, Nzonzi et la quasi-intégralité des
entraîneurs du monde l’adorent. Pourtant, aucun môme sur cette planète
n’a le poster de Sergio Busquets dans sa chambre. C’est compréhensible
mais dommage, car le milieu de terrain du Barça est peut-être l’un des joueurs
les plus intelligents du monde. La preuve.

Avant que Guardiola n’apparaisse responsabilité que ça implique parce que c’est ce peu, mais dans le 4-3-3 que nous pratiquions

(
dans votre vie, vous étiez plutôt un que m’ont transmis Pep et tous mes autres entraî- avec Pep, c’était impossible. Quoi qu’il en soit,
faux numéro 9. Comment vous a-t-il neurs. Je ne sais pas si le rôle de milieu de terrain il ne faut pas penser qu’à soi lorsqu’on joue à ce
convaincu de devenir milieu défensif? est le plus important pour le bon fonctionnement poste. C’est la base.
En réalité, on n’a jamais parlé longue- du jeu du Barça, mais si ça ne l’est pas, ça s’en
ment de ce repositionnement. ça s’est fait de approche… En tout cas, ça l’est jusqu’à ce que Qu’est-ce qui fait que vous êtes satisfait en
manière naturelle. Il a commencé à me placer Léo touche le ballon. sortant d’un match? Quand je n’ai pas perdu
au milieu du terrain parce qu’il considérait sans de ballons. On peut en perdre quelques-uns,
doute que mes qualités allaient mieux se révéler Un milieu de terrain égoïste ne peut pas être ça arrive, mais la chose primordiale, c’est que
sur cette partie du terrain. C’est une fois que je un bon milieu, selon vous? Dans un système à ça ne mette pas en péril l’équipe. Il faut éviter
me suis adapté à ce nouveau rôle qu’il m’a vrai- double pivot, on peut surement l’être un petit au maximum que l’adversaire se retrouve en
ment expliqué ce qu’il attendait de moi en tant
que pivot. S’il y a bien un poste qu’il a étudié tout
au long de sa trajectoire sportive, c’est celui-là. Sergio et un fan de Jul.
Le fait de l’avoir eu comme coach en équipe B,
puis lors de mes débuts en équipe première,
a été super important. Il m’a vraiment aidé à
comprendre le jeu. Aucun autre entraîneur n’au-
rait pu me dispenser un meilleur apprentissage,
parce que c’est le meilleur.

Vous n’avez pas eu peur que ce changement de

position tardif vous ferme les portes de l’équipe
première? J’ai tout de suite adoré mon nouveau
rôle. À l’époque, on jouait en quatrième division,
c’était un football différent. Pas forcément très
compliqué, mais il nous arrivait parfois de souf-
frir à cause de la dimension des terrains adverses.
Malgré tout, on a toujours essayé de bien jouer,
de créer du jeu. Je touchais énormément de
ballons. J’adorais ça.

Vous prenez plus de plaisir lorsque vous avez

des responsabilités? Toucher le ballon, et le
faire de la manière la plus correcte possible, c’est
une responsabilité. J’aime ça. Je préfère d’ail-
leurs fabriquer du football qu’être à la finition.
Il y a zéro égoïsme dans le joueur que je suis,
c’est pourquoi je marque si peu. Mon jeu, c’est
d’être solidaire de mes coéquipiers, et je sais la

situation de contre. Je suis très exigeant, je garde
toutes mes actions en mémoire, et je les ressasse
dans ma tête constamment pour m’améliorer.
Quand le match est terminé, je sais ce que j’au-
rais pu faire de mieux, je sais lorsque j’aurais pu
être mieux placé, je sais aussi lorsque j’ai eu des
intentions trop présomptueuses. Je sais tout ça,
mais j’examine quand même mes actions. Je les
revois sous un autre angle pour les confronter
à mes premières impressions. Certaines fois, je
me rends compte que je cherche une solution
de passe que je ne trouve pas. Il y a aussi des
séquences pendant lesquelles j’essaie de me
libérer de la pression de l’adversaire en dribblant.
Sur ces phases-là, je suis peut-être un peu trop
confiant, mais bon, j’aime dribbler. Et dribbler,
c’est risqué… Quand ça finit mal, je m’en veux
vraiment. Je me dis que je n’aurais pas dû, puis
mon cerveau m’ordonne de me faire pardonner
en courant. En revanche, lorsque je réussis un
Sergio taquine.
dribble, j’ai l’adrénaline qui monte. C’est le plaisir
d’avoir réussi à faire ce que je voulais.
Piqué dit que vous avez la meilleure première
touche de balle du monde. Qu’est-ce que vous
en dites? C’est un beau compliment, non? C’est
très difficile de jouer à une touche de balle, hein.
L’important, ce n’est pas tant la passe, mais la
manière dont mon coéquipier est positionné
pour recevoir le ballon. Encore plus aujourd’hui.
Quand j’ai commencé à jouer, c’était plus simple
parce que les équipes n’étaient pas aussi bien
préparées physiquement et tactiquement. Il y
avait plus d’espaces.
Vous réfléchissez beaucoup en jouant? Trop, mon
cerveau tourne à plein régime. Mais bon, je suis
aussi comme ça dans la vie de tous les jours. Je
suis très maniaque. J’aime bien que tout soit sous
contrôle, en ordre. C’est pareil sur le terrain. Pour
Cahier International
moi, il est aussi important de créer du jeu que
de savoir ou sont placés les attaquants adverses.
Je n’ai pas envie que mes défenseurs soient en
égalité numérique avec des avants-centres, donc
je réfléchis constamment à la manière dont je
vais basculer pour boucher des trous. Quand
on est en phase offensive, c’est la même chose.
Je regarde les positions des joueurs adverses, les
appels de mes coéquipiers, j’essaie d’anticiper les
mouvements de tout le monde. C’est très compli-
qué, mais j’aime bien.
“Notre jeu doit passer par Messi,
c’est logique. Certains diront que
c’est de la Messi-dépendance,
mais pour moi, c’est surtout une
preuve d’intelligence”
Dans les phases défensives, c’est vous qui enclen-
chez le pressing. Dans ces cas-là, vous vous subs-
tituez même à vos attaquants. Ce n’est pas un
peu bizarre que des joueurs à vocation offensive
se retrouvent à couvrir leur milieu défensif? J’ai
tellement été biberonné au concept de pressing à
la perte de balle que je le fais automatiquement,
quasiment sans le vouloir. C’est tellement impor-
tant. Il y a deux phases dans le pressing. Si je vois
que je peux déranger ou couper une transmission
dans les trois secondes qui suivent la perte de
balle, j’y vais. Au-delà de ces trois secondes, ça
ne sert plus à rien de le faire, car je risque de me
faire prendre dans le dos. Et là…
Il y a une autre constante dans votre jeu: celle de
toujours regarder Messi en premier lorsque vous
avez le ballon dans les pieds. Je lève la tête et je le
cherche, oui. Là encore, je le fais quasiment sans
m’en rendre compte. Messi, c’est une solution à
tout: il déséquilibre, il donne des balles de but,
il en met… Plus il a le ballon dans les pieds et
mieux c’est pour nous. Notre jeu doit passer par
lui, c’est logique. Certains diront que c’est de la
Messi-dépendance, mais pour moi, c’est surtout
une preuve d’intelligence. Il faut qu’on profite
du fait d’avoir le meilleur joueur du monde
avec nous. En tout cas, je le vois comme ça, et
c’est pourquoi je le cherche autant. Parfois trop.
Mais je préfère courir ce risque-là qu’un autre.
– Traduction: JPS / Photos: Afp/Dppi et UE Syndication/
Iconsport
74 _ CAHIER INTERNATIONAL

Par Juan Irigoyen

pour La Nacion – Argentine

“J’en ai bavé”
Il a signé son premier contrat à River Plate à l’âge de 7 ans, puis a refusé de suivre
les pas de Messi à Barcelone à l’âge de 12 ans. Après ça, Erik Lamela a connu
une descente en deuxième division avec River, et le banc de touche de la Roma et
de Tottenham. Interview d’un type qui commence à comprendre la signification
d’“éternel espoir”.

Erik jubile.

è
Ça a été dur pour toi d’être connu
dès l’âge de 12 ans? En fait, je m’en
foutais un peu. J’étais encore petit,
je ne faisais pas attention à ce qu’il
se passait autour de moi. Mon rêve, c’était de
jouer en équipe première de River Plate, pas
d’être connu. Pour y parvenir, j’ai dû dire non
au Barça. J’avais exactement 12 ans lorsque j’ai
reçu une proposition de leur part. J’aurais pu y
aller, mais à l’époque, River m’a offert un projet
de carrière intéressant et ça a été très bien. Je n’ai
pas de regrets par rapport à ça.

Le Barça t’avait raconté l’histoire de Messi pour

te séduire? Oui, mais il n’avait pas encore percé.
Je crois qu’il venait juste de commencer à jouer
avec l’équipe A. Aujourd’hui, tout le monde
connaît son histoire, mais à ce moment-là, ce
n’était pas le cas. Les dirigeants de Barcelone
disaient juste qu’il avait un talent sensationnel.
Ils avaient vu juste. J’ai eu la chance de jouer
avec lui en sélection, et ce qu’il fait sur le terrain
est tout simplement impressionnant. Le football “Quand River est descendu organisé, l’opération avec un chirurgien des États-
d’aujourd’hui est très difficile, tes adversaires se Unis et la rééducation à Barcelone. Tu stresses
préparent de mieux en mieux, ils étudient tes en deuxième division, les un peu quand on te donne une estimation de
déplacements. Tout est devenu plus tactique, plus dirigeants ne m’ont proposé ton temps de récupération. Moi, je voyais la date
physique, et c’est de plus en plus compliqué de qu’une seule solution: me vendre. estimée qui arrivait et je ne me sentais toujours
faire la différence. Mais Léo est incroyable dans Alors, je suis parti” pas bien. Je commençais à perdre patience. C’est
le sens où il arrive à faire constamment basculer du passé… L’important aujourd’hui, c’est de
un match. C’est le meilleur du monde, on le sait reprendre du plaisir en jouant au football, parce
tous. que c’est juste la plus belle chose du monde.

Et Totti et Harry Kane, ils sont comment? Avec
Harry, c’est un peu pareil qu’avec Totti. C’est le
leader de l’équipe, un joueur fantastique. Dans le
travail défensif, il est très bon, et dans la surface
de réparation, c’est une vraie bête. Il arrive à
marquer avec un rien, c’est assez surprenant.
Tu as eu pas mal de pépins physiques derniè-
rement… (Il coupe) J’en ai bavé. Au début, je
pensais que ça allait durer un mois, puis le temps
passait et je ne pouvais toujours pas rejouer. Après
quatre ou cinq mois, on est arrivés à la conclusion
que je devais me faire opérer. Je savais que j’allais
être éloigné des terrains un certain temps et que
la rééducation allait être longue. Mais après avoir
subi une première opération à la hanche, on m’a
dit que j’avais sûrement le même problème sur
l’autre. Comme j’étais déjà arrêté, j’en ai profité
pour me refaire opérer. Je n’ai pas hésité, parce
que je ne voulais pas revivre la même chose. Je
suis un joueur de football, je veux toucher la balle
le plus possible. Encore plus quand tu sors de
blessure. Une fois que tu es rétabli tu ne veux
plus jamais t’arrêter.
Dans le football, ce type de blessures n’est pas
très normal, non? Généralement, ce sont les
joueurs de tennis qui ont des problèmes de
hanches. Je suis d’ailleurs allé consulter Angel
Ruiz-Cotorro, le médecin de Rafa Nadal. Il a tout
Et River, tu continues à les suivre? Je regarde leurs
matchs oui, la Libertadores notamment…
Justement, ça te fait quoi de les voir gagner alors
que tu as quitté le club lorsqu’il s’apprêtait à
descendre en deuxième division? J’aurais adoré
quitter River en d’autres circonstances, mais je
n’avais pas beaucoup le choix… Le club devait
vendre, il avait besoin de reconstituer une
nouvelle équipe. Donc les dirigeants ne m’ont
proposé qu’une seule solution: un transfert.
Alors, je suis parti. Mais je ne désespère pas d’y
revenir un jour. River compte encore énormé-
ment pour moi. – Traduction: Marco Prieto Santos /
Photo: Panoramic
 Cahier International
Par Alexandre Lozetti
pour O Globo – Brésil

“Je me suis promis de ne

plus chialer pour du football”
Il aurait voulu être médecin, mais finalement, Filipe Luis a choisi d’être
footballeur. Et bientôt entraîneur. En attendant, il prend le temps de
diagnostiquer le Brésil et cette société qui fout le camp.

Vous avez 33 ans. Comment voyez-vous

E
El condor passa la balle.
votre avenir en sélection brésilienne?
Quand j’étais jeune, la Seleçao était une
source de pression. J’avais l’impression
qu’il fallait que je tue des lions à l’entraî-
nement chaque jour pour plaire au sélectionneur.
C’est la pire des choses à faire parce que tu finis
par déjouer. J’ai compris trop tard que ce sont
les performances en club, qui font que tu reviens
ou pas. Depuis que je l’ai assimilé, je vois chaque
sélection comme un cadeau.

Vous êtes très proche de Neymar, alors que vous

avez des personnalités diamétralement oppo-
sées. Comment expliquez-vous cette amitié?
On a un point commun: on est très compéti-
tifs. Il n’aime pas perdre et moi non plus. Aux
entraînements, certains ont peur de le blesser et
ne mettent pas le pied. Moi si. Ça le fait marrer.

Beaucoup disent que la Belgique n’aurait jamais

éliminé le Brésil si vous aviez joué à la place de
Marcelo. Vous avez compris la décision de Tite
ce jour-là? C’est le coach, et en tant que tel, il
voit tout d’un point de vue différent. Il pense
au groupe. Les joueurs aussi, mais ils sont plus
égoïstes. J’aurais adoré jouer, évidemment. Mais
je respecte ses choix. L’élimination a été dure,
elle est toujours difficile à digérer, d’ailleurs. Mais
lorsque j’ai perdu la Champion’s avec l’Atlético,
je m’étais promis de ne plus jamais pleurer pour
du football. Donc, je n’ai pas chialé. Récemment,
mon fils a éclaté en sanglots après notre élimina-
tion en coupe du roi contre Gérone. Il faut que
je lui apprenne que tout le monde ne peut pas
toujours gagner: la défaite fait aussi partie du jeu.
Vous voulez raccrocher les crampons à l’Atlético
et continuer à bosser dans le club. Dans quel
rôle? Le jour où je ne pourrai plus courir, ce sera
compliqué… Ça m’angoisse rien que d’y penser.
Certains ont le vice de l’alcool, moi j’ai le vice du
sport. C’est pourquoi je veux continuer à être un
homme de terrain. Je serai peut-être un coach
horrible, mais c’est ce que je veux faire.
Quel est votre objectif pour cette année 2019?
Faire une détox de portable. Avant, quand on
devait patienter, on trouvait ça nul, non? Bah
aujourd’hui, on n’attend que ça: attendre nous
permet de passer plus de temps sur le téléphone.
C’est n’importe quoi. J’ai envie de le laisser sur
la table et de voir la vie avec mes yeux, pas à
travers un écran. Quand je me mettais une série
ou que je lisais un livre, je n’arrivais pas à rester
concentré, je finissais toujours par mettre la main
dessus. Le lendemain, j’avais même l’impression
d’avoir du mal à rester focus pendant les entrai-
nements. Donc j’ai dit stop. Et pour l’instant, je
ne le regrette pas, parce que passer des heures
sur les réseaux sociaux, c’est vraiment du temps
de perdu.
Que pensez-vous de l’élection de Jair Bolsonaro?
Je n’aime pas les extrêmes, je suis quelqu’un de
modéré, qui aime le dialogue. Mais si la popu-
lation a voté pour l’extrême droite, c’est parce
qu’elle était fatiguée de ce qu’elle avait connu
jusqu’à présent. Tout ce que j’espère, c’est que
le Brésil retrouve un peu de stabilité. Il ne peut
“J’ai dit stop au téléphone et je ne
le regrette pas. Passer des heures
sur les réseaux sociaux, c’est
vraiment du temps de perdu”
pas y avoir autant de misère et de discrimination.
Les Brésiliens ont besoin de voir que leurs impôts
servent à quelque chose. Je vis en Espagne, mes
enfants vont à l’école publique sans problème.
Ici, les hôpitaux sont fabuleux, les routes sont
parfaites. Je veux dire par là que les gens ont
besoin de savoir où va l’argent. Pour que le Brésil
redevienne grand, il va falloir que beaucoup de
choses changent. Il y a du pain sur la planche. –
Traduction: JPS / Photo: Panoramic
76 SO FOOT _ENTRETIEN

Quelque part, Andreï Chevtchenko

est le vestige d’un monde disparu.
Né en URSS et pur produit d’un Dynamo Kiev qui
n’en finit plus d’être à l’ombre des clubs de l’Ouest,
l’actuel sélectionneur de l’Ukraine est aussi
le dernier attaquant de métier à avoir soulevé
le Ballon d’or. C’était en 2004, avec l’AC Milan.
Avant l’avènement des joueurs cyborgs.
Interview avec une légende. Une vraie.
Propos recueillis par Ronan Boscher et Vikash Dhorasoo, à Liège
(Belgique) / Photos: Panoramic, Afp/Dppi, Imago/Panoramic et PA Images/Iconsport
Andreï prépare une ouverture
dont il a le secret.
78 SO FOOT _ ENTRETIEN
“Quand j’étais Individuellement et collectivement, tu as
I
joueur, toutes les tout gagné avec l’AC Milan. Quels souvenirs
gardes-tu de ton passage dans ce club?
situations d’un Dans ma carrière, j’ai joué pour trois clubs
différents en plus de ma sélection: le
match étaient Dynamo Kiev, le Milan et Chelsea. Et le Milan est
programmées dans l’équipe qui m’a le plus permis d’assouvir mon envie
de gagner. Avant de me signer, ils m’ont suivi pendant
ma tête. Le ballon deux ans. Ariedo Braida (ancien DG du club, ndlr) est
arrive ici? OK, moi venu me voir en Ukraine. Ensuite, Adriano Galliani
(bras droit de Berlusconi et ancien dirigeant des
je m’arrête là, Rossoneri) a fait pareil… Ils ne me lâchaient pas, et tant
je fais deux pas, mieux, parce que lorsque j’étais plus jeune, l’équipe la
plus forte était l’AC Milan. Van Basten y jouait, Gullit
et je tire là” y jouait, Maldini aussi… C’étaient tous des joueurs très
suivis en Ukraine.
Sheva, le robot-buteur
Dans le vestiaire du Milan, tu n’étais pas forcément
au cœur de l’équipe. Seedorf parlait tout le temps,
lui… (Il coupe) Non mais ça, c’est parce que je suis
comme ça, en permanence concentré sur le travail.
Être focus sur ce que je dois faire, c’est l’un de mes
gros traits de caractère. C’est dur à croire, mais par
exemple, lorsque j’étais jeune, je n’ai quasiment
jamais manqué un entraînement du Dynamo. Le
foot, c’était ma vie. Quand mon père m’a offert des
crampons pour mon anniversaire, je n’ai pas dormi
normalement pendant plusieurs jours. À l’époque,
étudier ne m’intéressait pas plus que ça. Je préférais
me concentrer sur comment je jouerais le prochain
match, avec qui, contre qui, où… Du coup, lorsque je
n’ai pas été conservé par le Dynamo après le centre de
formation, ce fut une période compliquée. J’ai arrêté
d’aller au lycée, j’ai même arrêté le football pendant
six mois… J’ai fait un break de tout. J’étais à un pas
de l’âge adulte et je me souviens très bien de mes
pensées de l’époque. Je devais prendre une décision
et je n’arrivais pas à la voir, à trancher. Finalement, j’ai
décidé de ne plus reculer, c’était le football ou rien.
À partir de là, je ne me suis plus jamais caché.
En 1986, tu vivais à quelques dizaines
Pas d’âge pour porter le blouson
de kilomètres de la centrale nucléaire
de Michael Jackson.
de Tchernobyl. Comment vit-on une telle
catastrophe lorsqu’on a 10 ans? Tout
était passé sous silence en URSS, donc
personne ne nous a donné la moindre
information sur cette tragédie. Comme
tous les enfants de mon âge, je ne
connaissais que très peu de choses sur
ce sujet. D’ailleurs, quelques jours après
l’explosion de la centrale (le 26 avril 1986),
on nous avait tous emmenés pendant
les vacances à la parade du 1er mai sur
Khreshchatyk (avenue de Kiev qu’on
pourrait comparer aux Champs-Élysées,
où se tenait traditionnellement le défilé
du 1er mai). J’ai su bien plus tard que
c’était l’endroit où il y avait eu les plus
fortes radiations dans l’atmosphère…
C’était dangereux pour notre santé, mais
évidemment, rares étaient les personnes
qui savaient, ou s’en rendaient compte,
à ce moment-là. Malgré tout, et je le dis
honnêtement, Tchernobyl a peu changé
ma vie. C’était surtout un sujet de
discussions d’adultes. Il a fallu que je le
devienne à mon tour pour lire tout ce qui concernait
la catastrophe.
Au départ, même si tu connaissais l’AC Milan, atterrir en
Lombardie a dû complètement chambouler changer ta
vie… (Il coupe) Ça a été un énorme changement. Je ne
parlais pas un mot d’italien, mais des joueurs comme
Billy Costacurta, Albertini, Maldini et d’autres m’ont
pris sous leurs ailes. Ils m’ont directement accueilli
comme l’un des leurs. Ce club ne m’a pas attendu pour
construire son histoire ou gagner des trophées. Des
étrangers, il y en avait eu d’autres avant moi, donc ils
savaient comment s’y prendre pour que je m’intègre
rapidement. Ils savaient qu’avant de gagner, la chose
essentielle était de construire un groupe. Après, la
mentalité italienne, latine, n’est pas si éloignée que
ça de la nôtre. Mon pays a mis du temps avant de
s’émanciper, car pendant longtemps, nous n’étions
juste qu’une partie de l’URSS. Mais moi, de mon côté,
j’avais déjà voyagé avant d’être transféré à Milan.
J’avais notamment fait des tournois de jeunes en
France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie. Lors
de ces séjours, nous étions à chaque fois logés chez
l’habitant, ce qui m’a permis d’apprendre plein de
choses sur la culture de ces pays. Du coup, quand
je suis arrivé dans le calcio, je n’ai pas eu peur, je ne
pensais qu’à jouer.
Quels souvenirs gardes-tu de tes premiers pas à
l’Ouest? Le contraste entre la vie à l’Est et à l’Ouest
était énorme, mais quand tu es enfant, tu n’en as pas
vraiment conscience. J’ai vraiment réalisé que ma vie
n’était pas la même que celle des autres jeunes de mon
âge lorsque j’ai franchi la frontière ukrainienne pour
la première fois. À l’époque, la ville de Milan m’avait
vraiment marqué, et je me souviens même avoir lancé
une pièce sur la pelouse de San Siro en me faisant la
promesse que j’y reviendrais un jour. J’ai dû patienter
pour que mon vœu soit exaucé, mais à la base, je
rêvais plus de devenir footballeur que de rejoindre
l’Ouest. Une fois devenu pro, j’ai commencé à rêver
de tout casser en Champions League. Puis, quand
s’est présentée la possibilité de jouer dans une équipe
comme le Milan, c’est devenu un objectif prioritaire.
Jusque-là, j’avais déjà joué des demies et des quarts
de finale de Champions League (en 1997-1998 et 1998-
1999) avec le Dynamo, une équipe forte qui m’a permis
d’emmagasiner l’expérience des matchs à enjeu.
Justement, au Dynamo, tu étais entraîné par Valeri
Lobanovski, considéré comme le grand architecte
du football soviétique. Qu’est-ce qu’il t’a enseigné?
Lobanovski vivait football et n’était presque jamais
distrait par le reste. Il a eu besoin d’une vie entière
pour changer le football. Et ces changements étaient
tous basés sur le travail et les études. C’est sur ces
deux composantes que s’articulait sa manière de
voir le football. Il a étudié, et ça a changé toute sa
vie. Lobanovski a montré à tout le monde comment,
systématiquement, traiter les choses avec attention.
Il nous a appris que, dans le foot comme dans la vie,
il ne fallait rien prendre à la légère, que chaque détail
était important et pouvait affecter le résultat final.
Lorsqu’il a commencé à entraîner, le football total était
en pleine émergence et il s’en est inspiré. Il était en
avance sur son temps, et c’est pourquoi ses méthodes
sont toujours d’actualité aujourd’hui.
Mais concrètement, tu as appris quoi avec lui? C’est
lorsque tu joues des matchs de haut niveau que
tu apprends à jouer au “football vrai”. Et lui m’a
appris l’exigence, la culture de l’effort. Ces années
de travail, notamment tactique, ont fait de moi un
véritable joueur de football. Grâce à Lobanovski, ma
compréhension et mon attitude envers le football ont
changé. Ça s’est fait étape par étape. Il a commencé
par nous expliquer des choses classiques, comme
l’importance du mental ou la manière d’aborder
psychologiquement les matchs et notre métier. Une
fois qu’il nous a fait intégrer ça, on est passés à des
choses plus spécifiques. Pour qu’on progresse, il
utilisait toujours un tas d’indicateurs. C’était tellement
pointu que ça doit probablement être étudié dans
les labos d’aujourd’hui… Pour résumer, Lobanovski
m’a rendu plus mature. Au début, il me disait:
“Je te laisserai partir à l’étranger quand tu seras
prêt.” Je suis passé par une phase de deux-trois ans
d’adaptation, puis j’ai enchaîné deux bonnes saisons.
Ce n’est qu’après notre défaite en demi-finale contre
le Bayern en 99 qu’il m’a donné son feu vert: “Vas-y,
tu es prêt. Je te laisse entre de bonnes mains.”
C’est quoi “le football vrai” pour toi? Aujourd’hui, je suis
sélectionneur de l’Ukraine. Et, en tant qu’entraîneur,
“Quand un joueur
je dois comprendre avec qui et comment travailler. entre, que tu vois
Notamment avec les jeunes. Certains d’entre eux
vont avoir besoin d’un fouet, d’autres de confiance.
qu’il est bon
Pour moi, un entraîneur doit savoir et pouvoir physiquement et
utiliser ces deux biais-là. Quand je travaille avec des
jeunes, je dois trouver un moyen d’entrer en contact techniquement
avec eux, pour les aider à grandir, pour leur faire mais qu’il fait tout
comprendre le jeu, le football, en particulier celui
qu’ils ont en eux. Il faut que je leur fasse passer un avec un ou deux
cap, que je les fasse passer d’un football d’enfants
à un football véritable. Un football qui demande
temps de
d’être rapide, prêt physiquement et techniquement, décalage… Eh bien
mais aussi mentalement. Il y a tellement de joueurs
qui sont physiquement et techniquement au point
dis-toi que ça
mais qui n’arrivent jamais au plus haut niveau… Tout n’arrive pas au très
simplement parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’est
le “vrai jeu”.
haut niveau”
Sheva, sur les joueurs nazes
Du coup, pour toi qui avais déjà les fondamentaux du
“vrai jeu”, quel a été le plus grand changement à Milan?
La mentalité. En Ukraine, je jouais un peu pour tout le
80 SO FOOT _ ENTRETIEN
“Les bons joueurs
sont comme des
machines: s’il
manque la moindre
petite chose, ils ne
peuvent pas
fonctionner
correctement”
La fiche
ANDREÏ
CHEVTCHENKO
Né le 29 septembre 1976
à Dvirkivchtchyna (Ukraine)
1,83 m, 73 kg
Ancien attaquant devenu coach
Clubs (joueur): Dynamo Kiev
(1994-1999), Milan AC (1999-
2006), Chelsea (2006-2008),
Milan AC (2008-2009), Dynamo
Kiev (2009-2012)  décalage… Eh bien dis-toi que ça n’arrive pas au très
Clubs (entraîneur): Ukraine
(depuis 2016)
Palmarès (joueur): Ballon d’or
(2004), ligue des champions
(2003), supercoupe de l’UEFA
(2003), championnat d’Italie
(2004), coupe d’Italie (2003),
supercoupe d’Italie (2004), League
Cup (2007), coupe d’Angleterre
(2007), championnat d’Ukraine
(1995, 1996, 1997, 1998 et
1999), coupe d’Ukraine (1996,
1998 et 1999), supercoupe
d’Ukraine (2011), coupe de la CEI
(1996, 1997 et 1998)
International ukrainien
111 matchs, 48 buts
monde. En Italie, c’était différent, j’étais uniquement
concentré sur le fait de marquer. Après, avec l’âge,
j’ai aussi un peu changé mon jeu. Mais pendant mes
premières années milanaises, j’ai dû améliorer ma
finition, terminer les actions.
Pourtant, lorsque tu es arrivé, tu as marqué tout de
suite. Oui, mais à la base, ce n’était pas quelque chose
que je bossais particulièrement. C’est avec Mauro
Tassotti (ancien joueur du Milan AC, puis adjoint de
Carlo Ancelotti, devenu aujourd’hui celui de Sheva
en sélection ukrainienne) que j’ai beaucoup travaillé
la finition. Après chaque entraînement, je restais
avec lui pour m’exercer à marquer, marquer et encore
marquer. À force, conclure est devenu quelque chose
d’automatique. Quand tu atteins ce stade-là, tu sens
mieux les coups, les angles de tir te viennent plus
vite. Tu es avantagé, car un attaquant ne doit pas
seulement finir, il doit aussi savoir lire les actions.
Comme ça, dès que le ballon arrive sur toi, tu sais déjà
quoi faire. Quand j’étais joueur, toutes les situations
d’un match étaient programmées dans ma tête. Le
ballon arrive ici? OK, moi je m’arrête là, je fais deux
pas, et je tire là. Tout ça était travaillé à l’entraînement
pour pouvoir être reproduit en match.
Marquer, c’était peut-être plus facile aussi à Milan, avec
Pirlo, Kaka, Seedorf et compagnie… Non, ce n’est pas
comme ça. Avec des joueurs forts comme ceux qui
étaient autour de moi, je pouvais me concentrer sur
les détails. Je savais que si l’un de mes coéquipiers
s’arrêtait là, il allait se retourner. S’il tournait ici, je
savais où il allait regarder. Je le savais. J’étais fou.
Interpréter les mouvements des autres m’aidait
pour les miens. Si Seedorf avait le ballon, je savais
qu’il fallait que je fasse un ou deux pas de plus pour
recevoir une passe. Si Pirlo s’arrêtait pour pivoter, je
savais déjà qu’il fallait que je parte en profondeur. Si
c’était Kaka, je savais qu’il allait faire la différence, et
que s’il avait déjà marqué, il me passerait le ballon la
fois d’après. Même toi, Vikash, quand tu entrais sur
le terrain, je savais comment tu allais jouer. Tout était
dans ma tête.
Étais-tu frustré lorsque tu jouais avec des types qui ne
comprenaient pas ton jeu? Quand un joueur entre, que
tu vois qu’il est bon physiquement et techniquement
mais qu’il fait tout avec un ou deux temps de
haut niveau. Cet exemple te fait comprendre que son
cerveau ne lit pas le jeu. Celui qui ne prend pas les
bonnes décisions au bon moment ne peut pas aspirer
au très haut niveau, c’est impossible.
Berlusconi et Galliani ne sont plus au club. Quel est ton
rapport avec le Milan et l’Italie aujourd’hui? Fantastique.
Je vis à Londres, mais quand je retourne là-bas, j’ai des
super rapports avec les supporters et les gens du club.
Même si je ne connais pas le propriétaire actuel, c’est
une deuxième maison pour moi. En Italie, les gens
respectent les joueurs qui ont fait l’histoire du calcio.
Kakha Kaladze s’est lancé en politique en Géorgie. Tu
en as fait de même en Ukraine. Est-ce que tes bonnes
relations avec Berlusconi t’ont aidé à franchir ce pas?
Non, pas du tout. Berlusconi a beaucoup fait pour
ma famille, notamment pour mon père, lors de son
opération. Il était là, a tout mis en place pour les
transports, les docteurs… Pour moi, ses 25 ans à la tête
de l’AC Milan ont été un franc succès, car il a tout
gagné. Même lorsqu’il était en politique, il a toujours
gardé du temps pour son club. Le reste, je n’en parle
pas. En tout cas, je n’ai jamais parlé de mon projet
politique avec lui. C’était ma décision, j’ai essayé
pendant cinq mois, mais j’ai rapidement dit basta, car
ce n’était pas pour moi. Cet univers-là va à l’encontre
de mes principes. Je trouve sain de penser que si tu
as envie de faire bouger les choses, tu essayes, mais
lorsque je me suis confronté à la réalité, je me suis
rendu compte que je n’étais pas à l’aise. Si on me dit
d’être blanc alors que mes valeurs me disent d’être
noir, moi, je ne peux pas… Je devais trop me changer.
Il n’est pas question ici de politique ukrainienne. Ça a
juste à voir avec moi. Au travers du football, au moins,
je peux aider des jeunes compatriotes à atteindre
un bon niveau. C’est comme ça que je peux aider
l’Ukraine.
Du coup, tu as suivi une formation pour entraîner? J’ai
passé mes diplômes, oui, puis j’ai enchaîné avec mon
premier job en tant qu’entraîneur adjoint en sélection
d’Ukraine. J’avais fait mes stages à Chelsea, au Milan,
et même à la Juventus. Puis j’ai passé mon dernier
stage à Nyon, au siège de l’UEFA, c’était comme une
sorte d’examen. On était par groupes de sept ou huit,
on a rencontré des managers, qui sont venus nous
parler du métier. Il y avait David Moyes par exemple.
Il venait tout juste de quitter Manchester United. Ce
jour-là, il nous a expliqué les différences qu’il y avait
entre un club comme Everton et un autre comme
Manchester United, les différences de niveau entre
les joueurs, les séances d’entraînement qu’il préparait,
comment il a dû adapter son mode opératoire pour
gérer les deux groupes.
Tu te vois dans ce rôle de sélectionneur toute ta vie?
Non, quand j’aurai fini mon travail avec l’Ukraine, j’irai
entraîner un club. En sélection, on n’a pas le temps de
bosser avec les joueurs, et j’aimerais le faire davantage.
En club, c’est plus facile d’expliquer et de transmettre
ses idées et sa connaissance à un groupe.
De quels coachs as-tu le plus appris? De tous. Je les
aime tous: Lobanovski, Ancelotti, Mourinho… Ils ont
tous quelque chose de spécial. Ils sont tous importants
dans cette culture de la gagne. Dans le football, tu
peux être un bon manager, mais il faut avant tout
gagner.
Tu avais de bons rapports avec Ancelotti au Milan. Tu
parlais déjà de tactique avec lui quand tu étais joueur?
Oui, bien sûr. Moi, quand je ferme les yeux, j’imagine
tout de suite la balle près du but adverse et quatre
ou cinq façons de marquer. À l’époque, on savait à
l’avance tout ce que nous devions faire sur le terrain, il
n’y avait pas de place pour l’improvisation.
Du coup, tu devais bien aimer le côté scientifique du
Milan Lab, non? Les tests qui étaient faits là-bas
te donnaient une photographie parfaite de l’état
physique d’un joueur. J’aime ce genre de données:
plus j’en sais, mieux c’est.
Après Milan, tu signes à Chelsea. Le plus gros transfert
 “Quand j’aurai fini
mon travail avec
l’Ukraine, j’irai
entraîner un club.
En sélection, on n’a
pas le temps de
bosser avec les
joueurs et
j’aimerais le faire
plus”

Pirlo, inspecteur des travaux finis.

82 SO FOOT _ENTRETIEN
Ukrainian Cancan.
“Je n’ai jamais de l’histoire de la Premier League à l’époque… (Il coupe)
Ce n’était pas le plus grand mais c’était spécial, car
parlé de mon ça s’est fait pendant le mondial 2006, le seul que j’ai
projet politique disputé. Je m’étais fait mal au genou, j’ai donc joué
cette coupe du monde sans préparation. À la fin de la
avec Berlusconi. compétition, je me suis à nouveau blessé. J’ai passé
De toute façon, j’ai deux mois à me soigner, et quand je suis revenu sur
les terrains, mentalement, j’étais usé. Derrière, j’ai
rapidement dit eu trois nouvelles blessures, dont deux opérations,
en deux ans. Celle au dos a été particulièrement
basta, ce n’était pas douloureuse, mais j’ai encore en tête l’hernie discale
pour moi. Si on me qui m’a empêché de marcher pendant trois mois car
mon mollet ne réagissait pas.
dit d’être blanc
alors que mes Au-delà des blessures, tu n’as pas été le seul à ne
pas réussir chez les Blues, puisque des attaquants de
valeurs me disent la trempe de Crespo, Falcao ou Fernando Torres ont
d’être noir, moi, je également connu d’énormes difficultés là-bas. Comment
l’expliques-tu? C’est très simple. J’ai vu Falcao là-bas,
ne peux pas…” et en Angleterre, si tu veux réussir, il faut que tu sois
à 100 % physiquement. Moi, à Londres, j’étais tout
le temps blessé. Les bons joueurs sont comme des
machines: s’il manque la moindre petite chose, ils ne
peuvent pas fonctionner correctement. C’est encore
plus vrai en Premier League, car il y a beaucoup de
contacts.
C’était plus dur que le football italien? Ce n’est pas
plus dur, c’est plus physique. Le football italien est
physique, mais aussi tactique. Les joueurs bougent
bien, si tu as une bonne équipe autour de toi, tu
pourras toujours t’en sortir. En Angleterre, tu as
d’abord besoin d’être au top physiquement, car il y
a beaucoup de joueurs très costauds. Là-bas, j’aurais
pu faire mieux, c’est dommage, mais bon… Quand
je regarde en arrière, je me dis que j’ai eu la chance
d’être footballeur, c’était mon rêve. J’ai fait une très
belle carrière, j’ai beaucoup gagné, j’ai joué avec de
grands joueurs et j’ai pu finir en 2012 sur un Euro
avec l’Ukraine. En 2003, j’ai même réalisé mon rêve
de gosse en remportant la finale de Champions
League contre la Juve. J’ai tiré le dernier tir au but de
cette séance. J’ai aussi loupé celui de la finale contre
Liverpool, en 2005… Ça n’a pas été un traumatisme. Ça
fait partie du jeu… (Il marque une pause) Ça fait partie
du football. Tu as besoin de prendre le football comme
il vient. L’important, quand le match se termine, c’est
d’avoir tout donné, tout tenté.
Tu as été le dernier véritable avant-centre à avoir soulevé
un Ballon d’or. Est-ce qu’aujourd’hui, dans un football
où il faut savoir tout faire, tu penses que tu pourrais y
arriver? En football, seul le jeu en lui-même peut te
montrer qui est le plus fort ou le plus faible, donc ça
n’a aucun sens de comparer les époques. Quand je
jouais, la plupart des équipes avaient quelques très
bons footballeurs, peut-être même des stars, mais il
n’y avait pas autant de joueurs de très haut niveau par
équipe qu’aujourd’hui. Selon moi, le niveau technique
individuel a énormément progressé.
Cet été, la coupe du monde s’est jouée en Russie, un
pays en conflit avec l’Ukraine… Je ne veux pas en
parler… Si on s’était qualifiés, je l’aurais fait, mais
là, ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas en parler…
Bon, évidemment, j’ai jeté un coup d’œil pour glaner
quelques informations… Mais bon, n’en parlons pas…
Par quoi on substitue l’adrénaline du but quand on en a
mis autant que toi? Par rien. Rien ne peut remplacer
la sensation de marquer un but décisif. Comme on ne
peut pas comparer les émotions d’un joueur et d’un
coach. Le joueur est responsable de lui-même, il peut
capituler complètement, émotionnellement, tandis
que le coach a une responsabilité collective énorme.
Sa joie est intérieure, plus profonde, et non explosive.
L’important, c’est de se faire à l’idée que rien ne dure
éternellement. Pour moi, ça n’a pas été difficile de
raccrocher les crampons. J’ai arrêté à 36 ans, après
que mon corps a subi beaucoup de blessures et
d’opérations. J’aurais pu continuer ma carrière aux
États-Unis ou en Chine, mais mon genou me faisait
mal, ça m’inquiétait. J’ai donc préféré penser à ma
famille et à ma santé. C’est important: j’ai toujours eu
une hygiène de vie parfaite. Toujours. Bien manger,
bien dormir. Bien boire… Bon, à la fin de ma carrière,
je m’accordais quand même un tout petit peu de vin.
• PAR RB ET VD
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À découper ou à photocopier, et à renvoyer avec votre réglement à l’ordre de SOPRESS à: SO FOOT, service abonnement, 9 rue de la Croix-Faubin 75011 Paris
84 _ LÉGENDE

Tous le
s
grands
co
sont un miques
pe
sur les b u schizophrèn
o es
évidem rds et Bruce G

Bruce
ment, n
’échapp robbelaar,
e pas à
cette rè
gle.

LÉGENDE

de la jungle
Avant d’être le grand
guignol du Liverpool
des eighties, le Zimba
bwéen a surtout
connu la jungle, la gu
erre, la mort,
l’apartheid et les mut
ilations.
Retour sur une histoi
re
infernale. Par Rico
Rizzitelli à Twickenham
(Angleterre) / Photos:
PA Images/Iconsport,

Imago/Panoramic,

et Iconsport
Le coup du chapeau.
86 SO FOOT _ LÉGENDE
Quand viendra l’heure de solder
o
les comptes, il y a fort à parier
que les nécrologies consacrées
à Bruce Grobbelaar se fixeront
pour l’essentiel sur la séance de
tirs au but de la finale de coupe
d’Europe des clubs champions du 30 mai 1984.
Ce soir-là, dans la fournaise de l’Olimpico, le
gardien des Reds fait le show, tire la langue,
fait mine d’avoir les jambes flageolantes qui
se dérobent, au point que Bruno Conti, puis
Francesco Graziani, les deux champions du
monde de la Roma, décontenancés, tirent en
force... au-dessus. La quatrième victoire du club
de la Mersey en C1 se trouve à jamais associée
à cet épisode, dit des spaghetti legs. Résumer
l’existence tempétueuse de Grobbelaar à
cette finale romaine, fût-elle glorieuse, serait
foutrement impropre. Un peu comme limiter
The La’s, le groupe liverpuldien, à There
She Goes, son seul hit d’envergure. Pendant
vingt ans, le portier le plus titré de l’histoire
du Liverpool FC a traversé la Rhodésie de
son enfance, survécu à la guerre, et connu
tour à tour l’Afrique du Sud de
l’apartheid, les arrière-boutiques
du foot anglais et la NASL au
Canada. Il a également goûté à
la gloire et la déchéance sur les
bords de la Mersey: les titres
bien sûr, mais aussi le Heysel,
le bannissement européen,
Hillsborough et des allégations
de matchs arrangés avec les
triades hongkongaises, qui
lui coûteront sa place chez les
Scousers. Tout le contraire
en somme d’un quart d’heure
warholien, y compris dans la
Cité éternelle...
Le chien de chasse
et les crocodiles
Quand il débarque chez les
Reds au printemps 1981,
personne ne sait rien de lui, ou
presque, à part qu’il a grandi
en Rhodésie, devenu entre-
temps le Zimbabwe, et qu’il a
évolué en Afrique du Sud et
à Vancouver, avant d’échouer
en prêt à Crewe Alexandra, en
quatrième division anglaise.
“On jouait la relégation dans le
fin fond de la basse-cour. C’était
âpre, rapide, du kick & rush
des familles, anti-glamour au
possible”, se rappelle l’intéressé.
À son arrivée à Liverpool, la
légende d’Anfield Ray Clemence
a promis de rester encore deux
ans, “histoire d’enseigner à
Bruce comment atteindre le haut
niveau.” Un coup de main qui “Quelqu’un a vu mon pull Desigual?”
est loin d’enchanter l’Africain.
“Il peut encore rester deux ans s’il veut mais
je suis là pour prendre sa place, dès la saison
prochaine”, balance-t-il alors aux tabloïds.
L’international anglais finit par prendre
la direction de Tottenham à l’intersaison
suivante. “J’ai été stupide et arrogant, s’excuse
aujourd’hui Grobbelaar. Pendant les quelques
mois passés ensemble, Ray m’a appris plein
de ficelles, sur le placement, sur comment
coulisser derrière le back-four, etc.” Devenu
titulaire, le natif de Durban ne ressemble
pourtant que de loin à un gardien d’élite: large
front, cheveux en bataille, jambes arquées et
moustache flamboyante à la Magnum. Pire, il
multiplie bouffonneries et excentricités, à tel
point que les fans d’Everton le surnomment “le
clown”. Distancé en championnat, lourdement
défait par le Flamengo de Zico et Mozer en
finale de l’Intercontinentale (0-3), Liverpool
ne va pas fort en cette fin d’année 1981. Au
bout de quelques mois, et pour sa première
saison, Grobbelaar est convoqué dans le
bureau du manager Bob Paisley, ulcéré par
son comportement et ses prestations. “‘En
“À Liverpool il y avait
plein de crocodiles au sein
d’un même marigot.
C’était impitoyable,
animal, hors limite…
Avoir fait la guerre m’a
permis de m’adapter”
Grobbelaar, en mode Tarzan
Amérique, ils sont là pour distraire. Nous,
ici, on est là pour gagner. Si tu ne joues pas
mieux, tu vas repartir pour Crewe’, m’a-t-il dit.
Puis, il a ajouté: ‘Bon, dégage et réfléchis-y.’”
Le Zimbabwéen ne s’en laisse pas compter.
La pression glisse sur lui. Il n’a pas traversé
l’enfer jusqu’alors pour renoncer si près de son
but, jouer dans l’élite anglaise.
Si les Scousers perdent leur
titre continental, sortis de la C1
par le CSKA Sofia en quarts de
finale, ils terminent la saison en
boulet de canon: coupe de la ligue
et championnat d’Angleterre.
À la fin de l’exercice, Bruce
attend en vain sa médaille. Il
doit patienter jusqu’à la reprise
en juillet, où Ronnie Moran
laisse négligemment traîner
les breloques dans une boîte
en carton au milieu de la salle
de massage. “‘Si vous pensez la
méritez, venez la prendre’, a-t-il
lancé, presque dédaigneux. Pas
de cérémonie, pas de discours,
on nous ramenait sur terre”, se
souvient Grobbelaar. Le gardien
doit aussi apprendre à composer
dans le panier de crabes que
constitue le vestiaire des Reds.
“Il y avait d’un côté la ‘mafia
écossaise’ (Souness, Dalglish,
Hansen), les Anglais de l’autre
et les étrangers au milieu. Plein
de crocodiles au sein d’un même
marigot. C’était impitoyable,
animal, hors limite... Si tu ne leur
tiens pas tête, tu finis par t’en
aller. Avoir fait la guerre m’a
permis de m’adapter”, souffle-
t-il. “L’esprit d’équipe en dehors
du terrain a joué un grand rôle
dans nos succès, en particulier
les bières qu’on enquillait lors
des déplacements, explique
néanmoins Daniel Johnson,
pensionnaire du FC Liverpool
entre 1976 et 1982. Bruce était
totalement lunatique mais c’était
un plaisir de partager sa chambre,
Le coup du sombrero.
ce n’était jamais terne. Il était un petit peu
dérangé. Quand il nous a dit avoir été pisteur
dans l’armée, on l’a surnommé ‘Hound Dog’, le
chien de chasse.”
“Les joueurs n’étaient que de la viande”
Pour promouvoir son livre, Life in a Jungle,
Bruce Grobbelaar a donné rendez-vous dans
un resto italien à Twickenham, dans la banlieue
sud-ouest de Londres, tout près de l’arène du
XV de la Rose. Cheveux ras et rares, chemise
blanche et moustache en berne, il promène
des cernes qui ne s’enlèvent plus au lavage.
Plus de trente ans plus tôt, il avait déjà pondu
une première autobiographie, More Than
Somewhat. Alors pourquoi une deuxième?
“J’étais jeune, il y avait d’autres choses à
raconter et d’autres où je manquais encore de
recul”, lâche-t-il, elliptique. Pour comprendre,
il faut donc tout rembobiner jusqu’à l’année
1957, date à laquelle sa famille quitte Durban
pour rejoindre Salisbury (Harare aujourd’hui),
en Rhodésie, alors qu’il n’a que deux mois. La
ségrégation raciale sud-africaine laisse alors
la place aux tensions larvées entre Noirs et
Blancs, façon sud des États-Unis. “On nous
bourrait le crâne dès l’école sur nos différences
supposées…” explique celui qui parle à l’époque
l’afrikaan, la langue de son père, jusqu’à ses
sept ans, puis l’anglais, celle de sa mère à la
généalogie galloise, dès qu’il va à l’école. Le
sport occupe tout son temps quand il ne va
pas en cours. Son paternel est gardien de but à
côté de son travail aux chemins de fer. “C’était
mon héros jusqu’à ce qu’il me montre un film
sur Lev Yachine. J’ai alors réalisé qu’il n’était
pas le meilleur gardien du monde”, sourit-t-
il. Il a 10 ans lorsque ses parents divorcent.
Débute alors une vie de nomade qui va
façonner toute son existence. Vers ses 14 ans,
il délaisse définitivement le rugby et le cricket
pour se consacrer à temps plein au football. Le
gardien de la sélection de jeunes rhodésienne
refuse même une bourse pour jouer au base-
ball dans un lycée près de Boston, préférant
signer avec les Salisbury Callies, où il débute
en équipe première, juste avant ses 15 ans.
“Évoluer dans une équipe de Blancs qui joue
dans une ligue noire m’a sorti de ma zone
de confort. On allait dans des townships où
il y avait parfois 30 000 personnes. On était
confrontés aux tensions interraciales. Je suis
né en Afrique, le sang qui coule dans mes
veines est africain. C’est en allant souvent dans
ces townships que j’ai compris les différences
tribales, les dialectes et la spiritualité. En
revanche, j’ai dû attendre 15 ans pour intégrer
le club de golf de Harare, tout ça parce que
je jouais au football, un sport pratiqué par
les Noirs”, s’insurge-t-il. L’année suivante, sa
mère et son beau-père déménagent à Bulawayo
(Makokoba, désormais) et Salisbury est obligé
de le prêter aux Matabeleland Highlanders,
une autre équipe de l’élite rhodésienne, qui
joue et s’entraîne dans un township. Sur place,
Grobbelaar y fait une rencontre mystique: un
sorcier “avec des plumes dans les cheveux
“Le sang qui coule dans
mes veines est africain
mais j’ai dû attendre
quinze ans pour intégrer
le club de golf de Harare,
tout ça parce que je jouais
au football, un sport
pratiqué par les Noirs”
Grobbelaar, golfeur africain
et une peau de léopard sur les épaules” qui
impose un étrange rituel aux joueurs du club.
Bruce et ses coéquipiers n’ont d’autres choix
que de s’y plier, aspergés par un cocktail à base
d’eau, de bouse de vache et d’herbe coupée,
le tout touillé dans un seau avec une queue
de chèvre, avant les matchs… Des images sur
cette période, Grobbelaar en a plein la tête.
Les déplacements en bus, au cours desquels
presque tous les joueurs fument de l’herbe,
sont ainsi rangés précieusement dans sa boîte
à souvenirs personnels. “Ils disaient ne pas
pouvoir jouer sans, sourit-il, avant d’évoquer
les caillassages dont l’équipe était victime loin
de ses bases. Il y avait tellement de violence et
de corruption que j’ai commencé à envisager
d’aller jouer sur un autre continent.” En fin de
88 SO FOOT _ LÉGENDE

Le coup du parapluie.

saison, Matabeleland n’a plus d’argent pour

prolonger le prêt et Salisbury le vend sans son
accord à Chibuku, un autre club rhodésien.
“En ce temps-là, les joueurs n’étaient que de la
viande.” Mal à l’aise, il n’y dispute qu’un match
avant de s’en aller. Problème, il a un contrat qui
court sur deux ans et le manager de Chibuku
le menace de ne plus jamais le faire jouer. Il
envisage alors d’aller en Afrique du Sud, qui ne
dépend plus de la Fifa à cause de l’apartheid,
mais sa mère l’en dissuade et l’enjoint de faire
son service militaire obligatoire. Le 7 juillet
1975, à 17 ans et demi, Bruce Grobbelaar
devient ainsi un soldat de l’armée rhodésienne.
L’enfer peut commencer...

La gloire, les controverses et les démons

Entre 1972 et 1979, la guerre du Bush fera
entre 12 000 et 15 000 victimes. La guérilla
sporadique des années 60 débouche au
début de la décennie suivante sur un conflit
d’indépendance, où les Freedom Fighters se
battent pour leurs droits et pour l’émergence
d’un nouveau pays. Le pouvoir blanc de Ian
Smith laisse bientôt la place au Zimbabwe de
Robert Mugabe. “Au début, j’avais l’impression
de bien faire pour mon pays. Ils ont ensuite
rajouté six mois de mobilisation et on s’est
posés toutes sortes de questions. La guerre a
ceci de particulier que tu t’habitues à l’horreur.
La barbarie gagne chaque jour du terrain.
Deux de nos gars se sont tués l’un l’autre
pour échapper à ces six mois de conscription
supplémentaires. Moi, je me battais en
uniforme dans la jungle contre des gars avec
qui je jouais dans les townships... Au fur et
à mesure, tu finis par comprendre pourquoi
les rebelles se battent et c’est de plus en plus
absurde”, raconte d’une voix lasse celui qui
apprend à l’époque à composer avec les
serpents, les tarentules et les scorpions dans
“À la fin de l’assaut, tu finis
par distinguer le blanc des
yeux des gars que tu as
tués dans la pénombre et
tu comprends. Tu vomis
toutes tes tripes, tes
viscères. On ne s’y habitue
jamais”
Grobbelaar, le militaire
la jungle. Le danger rode partout et Bruce
a alors deux options: Tuer ou être tué. “La
première fois où on te tire dessus, tu répliques.
À la fin de l’assaut, tu finis par distinguer le
blanc des yeux des gars que tu as tués dans la
pénombre et tu comprends. Tu vomis toutes tes
tripes, tes viscères. On ne s’y habitue jamais ;
on ne compte pas les morts, ce serait sordide...
Après, tu dois apprendre à vivre avec puisque
tu ne peux rien y changer”, confesse-t-il avant
de se souvenir d’un type dont la famille avait
été massacrée et qui mutilait des Freedom
Fighters dont il prenait la vie. “Il leur coupait
une oreille à chacun et les mettait dans un
bocal. Il avait pas mal de bocaux...” En enfer,
Grobbelaar le pisteur prend pourtant du galon
et finit même par diriger un commando de
mecs bien plus âgés que lui. Comme ce gars
qu’il a sorti des fourneaux pour en faire un
mitrailleur et qui finira par mourir au front
quinze jours plus tard. “Ça a été dur. Beaucoup
ne se sont jamais remis de la guerre. Beaucoup
se sont mis à boire, à se droguer, quelques
autres ont mis fin à leur vie... Moi, le football
m’a tenu éloigné de mes démons. Sans lui,
j’aurais sombré.”
Le football, il le retrouve à Durban, dans le
club de sa ville natale. C’est sa première vraie
introduction dans le monde professionnel. Des
stades pleins, des supporters dans des tribunes
séparés: les Blancs en latérales, les Noirs dans
les virages et les Indiens derrière les buts. “Un
peu de gloire et un brin de controverse, un bon
résumé de ma carrière”, résume-t-il. Bien vite,
comme il est né en Afrique du Sud et fort de
ses qualités de traceur, il est mobilisé pour
aller faire la guerre aux frontières (Angola,
Namibie) avec l’armée locale. “Je ne voulais
pas d’un autre conflit, tempête-t-il. Le coach
m’a vite trouvé un essai à West Bromwich
Albion et je me suis enfui.” S’il a bien un visa, il
n’a pas de permis de travail. WBA le veut mais
ne peut l’embaucher. Sans argent, le déserteur
s’apprête donc à retourner en Rhodésie où sa
mère le presse de trouver un “vrai” travail,
quand Ron Atkinson, le coach des Baggies,
lui parle d’un test de gardiens organisé par
les Vancouver Whitecaps à Derby County.
“Quémande, emprunte ou vole une voiture,
mais vas-y”, ajoute-t-il. “J’ai pris les clés de la
voiture de la réceptionniste de l’hôtel sans lui
demander et je l’ai ramenée”, promet Bruce.
Essai concluant. Grobbelaar débarque dans
le championnat nord-américain (NASL) où
il affronte les Los Angeles Aztecs de Johan
Cruyff lors de son premier match (0-2, dont
un but de Sa Majesté). Pour sa première année
au Canada, il n’en jouera que trois autres,
car relégué sur le banc. “Malgré tout, il s’est
adapté hyper vite, son côté clown plaisait
aux Américains, rapporte Rudi Krol, l’ancien
central mythique de l’Ajax, son coéquipier à
l’époque. Il marchait sur les mains, plaisantait
avec la mascotte, se servait de la transversale
comme d’une barre fixe, façon gymnaste,
façon barre fixe. Un vrai showman. En dehors
du terrain, il était ailleurs… Accessible, mais
dans son monde.” Malgré un titre national à la
fin de cette année-là, les Whitecaps envoient
l’entertainer en prêt, “pour progresser” à
Crewe... En quatrième division anglaise.
“Jungleman” (son surnom du championnat
rhodésien) accepte principalement parce
que Tony Waddington, le coach, a eu sous
ses ordres des références à son poste comme
Gordon Banks, puis Peter Shilton à Leicester
City. Du reste, il l’envoie s’entraîner plusieurs
fois par semaine à Nottingham, un club qui
domine alors l’Europe. Ce détour par Forest
“J’ai vu les corps tomber,
entendu le souffle des
supporters. Un bruit que
je n’oublierai jamais…
J’y repense souvent…”
Bruce et les démons d’Hillsborough
est surtout l’occasion pour lui de découvrir
la verve de ce salopard de Brian Clough. Un
coach qui au final va lui ouvrir les yeux sur sa
situation. “Un jour, il m’a demandé: ‘T’es en prêt l’absurde. On avait un goût de cendres dans la
à Crewe mais t’appartiens à qui?’ J’ai répondu
‘à Vancouver’ et il m’a dit: ‘Oh putain, la ligue que le Heysel et ses 39 morts, Grobbelaar a été
de Mickey Mouse derrière l’étang (l’Atlantique,
ndlr). Si tu veux un conseil, fils, oublie le
championnat de Mickey et ramène ton cul par
ici. C’est là que ça se passe, gamin.’” En mai
1980, Grobbelaar retourne faire une dernière
pige au Canada, cette fois-ci comme titulaire,
puis obtient, au printemps de l’année suivante,
un permis de travail anglais. Un sésame qui
lui ouvre enfin les portes de Liverpool, là où
l’attendent beaucoup de “gloire” et pas mal de
“controverses”, pour reprendre sa formule.
“Le Heysel, c’était pire que la guerre”
Pendant treize ans, Jungleman participe à
toutes les campagnes glorieuses des Reds
et cumule treize trophées, dont six titres de
champion. Il sera également de toutes les
tragédies qui accompagnent le club scouser
tout au long de la décennie. D’autres plaies
qui ne cicatriseront jamais. “Le Heysel, c’était
pire que la guerre. Dans le bush, tu savais à
Jean-Claude Van Damme likes it.
quoi t’attendre. Entendre les murs s’écrouler
et tous ces corps étendus sur la piste était
insupportable. Jouer ce match relevait de
bouche”, s’insurge-t-il aujourd’hui. Plus encore
marqué par la tragédie de Hillsborough, en
avril 1989, où 96 fans des Reds périrent écrasés
lors d’une demi-finale de FA Cup à Sheffield.
“À Bruxelles, nous étions dans le vestiaire
quand c’est arrivé. Là, les fans étaient derrière
le but. Je voyais leurs visages écrasés contre le
grillage. J’ai demandé à une policière d’ouvrir
la porte 13, elle n’avait pas la clé. Puis, tout
s’est effondré. J’ai vu les corps tomber, entendu
le souffle des supporters. Un bruit que je
n’oublierai jamais… J’y repense souvent… ” Il n’y
a pas que cette tragédie qui hante Grobbelaar.
Il y a aussi cette fin de carrière complètement
foirée et qui a eu des répercussions sur la
suite de son existence. Le premier jour du
reste de sa vie commence lorsqu’il refuse une
prolongation de contrat d’un an des Reds
pour se perdre dans une succession de prêts
à Stoke, Southampton, Oxford ou Sheffield
Wednesday. Pire, à l’époque, le Sun l’accuse,
enregistrements à l’appui, d’avoir arrangé
quelques matchs au profit d’un syndicat de
paris asiatique, par l’entremise
de Chris Vincent, un ancien
camarade de l’armée rhodésienne,
condamné auparavant pour paris
illégaux. “Chris m’a proposé de me
rembourser l’argent qu’il me devait
en ‘arrangeant’ un match. J’ai voulu
voir où ça nous menait. Je voulais
connaître le nom des deux gars de
Hong Kong, regrette Bruce. Une
fois que je les ai eus, je suis allé voir
la police mais Vincent y était déjà
allé.” Si ses justifications sont loin
d’être convaincantes, Grobbelaar
bénéficie pourtant d’un non-lieu à
la suite de ses deux procès. Dans la
foulée, il décide d’attaquer le tabloïd
responsable de sa déchéance, pour
diffamation. Mauvaise pioche: il
touche une livre symbolique, mais
surtout, il doit rembourser les frais
de justice du canard, et la facture
s’élève à 500 000 livres. Bruce
est officiellement fauché. Une
banqueroute qui fait définitivement
tomber le masque du clown selon
David Fairclough, son ancien team-
mate chez les Scousers. “Il jouait
ce rôle, mais ce personnage n’était
pas lui en réalité… Bruce a toujours
été un gars compliqué à lire…”
Visiblement, Fairclough n’a jamais
été dans la jungle. Si tel était le cas,
il saurait que le meilleur moyen d’y
survivre, c’est encore de bien se
•
camoufler. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR RR
À lire: Life in a Jungle, par Bruce
Grobbelaar. Ed. Decoubertin Books.
90 SO FOOT _ CULTURE FOOT

CULTURE

Marrchester
City
Il n’y a pas que les rappeurs qui ont dû choisir entre le ballon
et la musique. Johnny Marr, guitariste mythique des Smiths et fan invétéré
de Manchester City, est lui aussi passé à côté d’une carrière de footeux.
Et tout ça pour l’amour du riff.
Par Rico Rizzitelli, à Feyzin (Rhône) / Photos: Picture-Alliance/Dppi, DR,
PA Images/Iconsport et Empics/Iconsport

“Dans les années 70, le foot et la musique internationaux anglais eux aussi, électrisent Maine

D
étaient très différents et, en même temps,
bizarrement proches. Pour un fils de prolos,
l’un et l’autre promettaient du rêve.” Pour le
Johnny Marr enfant, devenir fan de football
signifiait être confronté à une culture de rue faite de
testostérone et de domination mâle. “C’était agressif,
très violent pour un gamin de dix ans, poursuit
l’ancien guitariste des Smiths. Excitant, aussi. J’étais
trop jeune pour être impliqué, mais cette menace,
l’atmosphère des batailles rangées, me fascinaient.” En
janvier 73, un de ses oncles l’emmène à Old Trafford
puisque toute la famille, d’origine irlandaise, soutient
Manchester United. Les Red Devils ne sont plus que
l’ombre de l’équipe ayant remporté la coupe d’Europe
des clubs champions quatre ans et demi plus tôt à
Wembley, et Marr, âgé d’une dizaine d’années, n’a
pas aimé l’expérience. Une semaine plus tard, son
meilleur pote, Chris Milne, lui propose de se rendre
à Maine Road, l’antre de Manchester City, rien que
tous les deux. À l’époque, les Citizens traversent
la meilleure période de
leur histoire. Après deux
ans en seconde division
(1963-1965), “l’autre club”
de Manchester se met à
tout gagner ou presque:
le championnat (1968),
la FA Cup la saison
suivante, la coupe de
la ligue (1970, 1976)
et la coupe d’Europe
des vainqueurs de
coupe (1970). Pendant
cet âge d’or, Mike
Summerbee –le grand
pote de déglingue de
George Best–, Francis
Lee et Colin Bell,
Road. “Gamin, tu t’attaches à des détails: la taille et
la coupe des maillots, la vitesse des joueurs, les vibes
de la foule dans les tribunes, se rappelle Johnny
Marr. L’expérience du stade était unique, fiévreuse,
effrayante parfois. Mes amis étaient fans de City, ma
famille supportait United… Et j’ai choisi mes potes.
À partir de là, j’ai compris que mon monde serait à tout
jamais bleu ciel.” Tant pis si c’est en face qu’évolue la
rock star ultime. “George Best? Il était le héros de tout
Manchester, quel que soit ton côté. Le King, comme
Elvis. A totally cool dude.”
“Pour les formateurs de City,
j’étais un ovni”
Durant sa prime enfance, il n’y a pas que le ballon
qui hante Johnny. Dès l’âge de cinq ans, comme il le
raconte dans son autobiographie, Set the Boy Free,
il se passionne pour la guitare. Chaque fois qu’il
accompagne sa mère faire les courses, il observe
depuis le trottoir une six cordes en bois qui trône
dans la vitrine d’un drugstore. De guerre lasse, sa
mère finit par la lui offrir. “Je la gardais sur moi où
que j’aille. J’avais besoin de l’avoir en ma possession,
j’en étais fou”, affirme-t-il. À neuf ans, il s’exerce
quotidiennement avec la nouvelle guitare acoustique
que son père lui a offerte l’année précédente. L’époque
est au glam rock, où Slade, Sweet et David Bowie,
période Ziggy Stardust, reconfigurent la pop à
coups de guitares crasseuses, de rythmes tribaux et
de looks outrageux, à base de platform boots et de
maquillage criard. Lui s’entiche de Marc Bolan, le
leader de T. Rex. “Comme George Best et Bruce Lee, il
était petit, audacieux et séduisant”, jure-t-il. La vie du
Mancunien se divise alors en trois: l’école, le foot et la
pratique quasi quotidienne de la six cordes. À 12 ans,
il traîne un de ses potes à un concert de Slaughter and
the Dogs, un groupe early punk de Wythenshawe, le
“Dans les 60’s, à Manchester,
tu grandissais avec des photos
de Charlton sur son lit
d’hôpital ou d’ados morts
comme Duncan Edwards… Il y
avait un mélange détonnant de
tragédie et de glamour autour
de Manchester United. City,
c’était le club d’à côté, on
existait à peine” Johnny Marr

Avec tout ça, on oublierait presque

la boucle de ceinture-guitare…
92 SO FOOT _ CULTURE FOOT

Beaucoup de soucis
pour s’asseoir chez Johnny.

“À l’école, j’ai intégré l’équipe de foot comme ailier.

J’aimais filer comme l’éclair et servir l’avant-centre.
Si ce dernier voulait ensuite s’attribuer toute la gloire,
ça m’allait très bien” Johnny Marr

Morrissey, le haut-parleur des Smiths. Le monde va en prendre pour vingt ans, et

quartier où il habite, dans
le sud de la ville. Bientôt, Johnny va
former son premier groupe, Paris Valentino,
avec Andy Rourke à la basse –qui sera
également de l’aventure des Smiths dans
les années 80. Marr va sur ses 14 ans, et il va
devoir choisir. “À l’école, j’ai intégré l’équipe de
foot comme ailier, en raison de ma taille et de
ma rapidité. Ça correspondait à ma mentalité:
courir, dribbler, feinter, être poursuivi et
poursuivre quelque chose. J’aimais filer comme
l’éclair et servir l’avant-centre. Si ce dernier
voulait ensuite s’attribuer toute la gloire, ça
m’allait très bien”, livre-t-il, comme un mode
d’emploi de sa future relation avec Steven
De fil en aiguille, un responsable de son
école l’inscrit pour des essais avec les
Manchester Boys, sorte de succursale
des Sky Blues. Johnny Marr est doué, il
est donc retenu pour postuler avec les
juniors de City. Entre-temps, l’adolescent
a découvert le Velvet Underground, les
Stooges et les New York Dolls. Il joue
leurs riffs et emprunte le look de ces derniers:
feather cut, futal coloré, bagues, maquillage
éclatant… “Un jour, je suis arrivé à Maine Road
pour une journée de détection, sourit-il. Je m’y
suis rendu avec de l’eye-liner, et je crois que
c’est ça qu’ils n’ont pas aimé. Je n’ai pas vu
la balle du match. Pour eux, j’étais un ovni.”
Un an plus tard, en 1978, ce sont les scouts de
Nottingham Forest qui frappent à sa porte.
Le club s’apprête à dominer l’Angleterre et
l’Europe. Côté musique, la déflagration punk
rock vit ses derniers feux, mais Manchester
constitue un creuset qui peut faire le match
avec Londres. Les Buzzcocks, Joy Division
(puis New Order), A Certain Ratio, les Stone
Roses et d’autres vont déferler tour à tour.
Marr ne veut pas rater le train. Il joue dans un
groupe, et se sait à un tournant de sa vie. Il dit
alors non aux recruteurs de Forest. “Mon père
voulait me tuer. Je savais déjà que je voulais
être musicien, je l’ai toujours su, se justifie-
t-il aujourd’hui. Quand j’ai vu la discipline
super intense que s’imposaient les gars avec
qui je jouais, je me suis dit qu’en pro, ce serait
injouable. Ne pas fumer, avoir des repas à
heures fixes… J’étais comme Johnny Thunders
(guitariste mythique des New York Dolls,
connu pour sa vie erratique, ndlr). J’aimais le
foot, mais je voulais être proche de ma copine…”
Les chômeurs et Madchester
Le foot anglais vient donc de perdre un
ailier droit hirsute et prometteur, mais la pop
anglaise vient d’enrôler un guitariste habité
depuis la prime enfance. La légende racontera
comment, en 1982, il s’en ira cogner à la porte
de Steven Morrissey pour trouver le chanteur
de son futur groupe. Les deux jaugent leurs
looks respectifs, et “Moz” demande à Marr
“S’il y a des gens qui
méritent que les choses
tournent, ce sont bien les
fans de City. On n’a rien
à se faire pardonner”
Marr, à propos des millions de son club
de choisir un disque. Il opte pour
une face B des Marvelettes. Les
Smiths sont nés. Suivront cinq ans
de fureur, quatre albums et une
palanquée de concerts. Comme
les Kinks et les Jam, les Smiths
connaissent un succès colossal en
Angleterre. “Ils jouaient de la pop,
tout en maîtrise, qui se contient. Les chansons
te mangeaient le cerveau et possédaient un
parfum d’éternité, comme pour les Beatles, ose
Jocelyn Gourvennec, entraîneur de Guingamp
et fan invétéré du groupe. Ils représentaient la
classe ouvrière de toujours: l’entraide, le goût
pour les fringues, la culture populaire. Morrissey
et Marr, c’était comme Neymar et Mbappé,
Giresse et Platini, N’Doram et Ouédec.” En
1987, Johnny Marr quitte les Smiths quelques
mois avant que ceux-ci ne se séparent pour de
bon. Il devient alors un pigiste de luxe pour
les Talking Heads, les Pretenders ou Paul
McCartney, avant d’intégrer des projets plus
cruciaux: The The, Electronic avec Bernard
Sumner de New Order, ou Modest Mouse, pour
lesquels il emménagera à Portland en 2006.
Après son départ, il cesse alors de vivre entre
Londres et Manchester et rentre dans sa ville
natale. “J’étais trop occupé par mon groupe,
mais je n’aimais pas le pli qu’avait pris le foot
dans les années 80, fait-il remarquer. Macho,
homophobe, raciste. C’est une longue histoire:
ma génération a été la première à connaître
l’Angleterre avec un million de chômeurs. Les
gars de mon âge avaient une autre idée de la
masculinité. Le punk rock avait amené un truc
plus féminin, différent, indépendant, très do it
yourself.” Selon Dave Haslam, ancien DJ de
l’Haçienda, le club mythique ouvert par Factory
Records (le label de Joy Division et des Happy
Mondays), la connexion entre foot et musique a
recommencé au début de la décennie 90. “Cette
relation s’est renforcée quand Manchester
United et Oasis ont émergé conjointement,
précise-t-il. Les Smiths n’affichaient pas leur
fierté mancunienne, au contraire d’Oasis. C’était
plus un truc de footballeurs, un ingrédient des
équipes de la ville.” L’Haçienda, longtemps
déserte dans la première partie des 80’s, se
remplit grâce aux musiques électroniques
venues d’outre-Atlantique et à la culture
des clubs qui supplantent le rock à guitares.
Manchester devient Madchester. “Grandir dans
cette ville dans les années 90 était incroyable,
témoigne Nicky Butt dans le film The Class of
92. On allait à des concerts, au Boardwalk, à
l’Haçienda, où toute l’équipe s’est même pointée
une fois. Un truc inenvisageable aujourd’hui.”
Dans le même temps, les gangs des quartiers
sud de la ville s’entretuent pour le contrôle
du trafic de drogue, notamment dans le Moss
Side, tout près de Maine Road. Madchester
mute en Gunchester. Cela n’empêche pas les
musiciens de se montrer au stade. Pendant
que United gagne la Champions en 1999, les
artistes locaux, fans des Sky Blues en majorité,
constituent une confrérie solidaire, malgré
l’absence de titres pendant trente-cinq ans.
Oasis, Kompany et les Beatles
Tout au long de ces années de disette (“Un
cauchemar, un cauchemar”), Johnny Marr se
rattache au dernier titre en date des Citizens,
avant le rachat par le fonds émirati en 2008: une
victoire en coupe de la ligue en 1976, grâce à un
retourné de Dennis Tueart, son héros sur le pré.
“Rusé, tenace, avec la dose suffisante de brio
et de morgue. La seule chose qui aurait pu le
rendre plus cool, ça aurait été de le voir jouer sur
une Gibson Les Paul en même temps.” Le pire,
pour lui et les supporters, ne fut pas d’endurer
toutes ces années à attendre un trophée. Ce
fut de voir le rival honni, à quelques miles de
là, rafler tant de médailles. “Vingt titres, c’est
fabuleux, embarrassant même, c’était comme
un test à notre engouement”, reconnaît-il.
Même pendant sa première période dorée
(1968-1976), Man City a toujours été considéré
à “Cottonopolis” comme un outsider. Personne
au pays, à part peut-être Liverpool, ne pouvait
lutter contre la
mystique qui entoure United. “Il
fut le premier club anglais à gagner
la C1 en 1968, mais le crash de
Munich l’avait déjà rendu iconique,
détaille le guitariste. Dans les 60’s,
à Manchester, tu grandissais avec
des photos d’hôpital en tête. Bobby Charlton sur
son lit, des images d’ados morts comme Duncan
Edwards. Ils étaient morts… C’était gothique,
et Old Trafford était comme leur cathédrale.
Il y avait une atmosphère autour du club, un
mélange détonnant de tragédie et de glamour.
City, c’était le club d’à côté, on existait à peine.”
Johnny Marr vient de fêter ses 55 ans et il
a conservé une silhouette d’adolescent (“Je
fais de longs footings, jusqu’à 25 kilomètres”).
Il est devenu végétarien en 85, a cessé de
consommer toutes sortes d’expédients il y
a vingt ans, et a la même femme depuis le
lycée. Étrangement, la plupart de ses héros ont
souvent mal fini (Best, Bruce Lee, Marc Bolan,
Johnny Thunders…). Il se rend régulièrement à
l’Etihad avec Noel Gallagher pour voir son pote
et voisin Vincent Kompany, et il y emmène
son fils, “un militant de la cause citizen depuis
ses cinq ans”. Lui, l’homme de gauche engagé,
ne voit aucun mal à être passé sous pavillon
émirati et à dépenser autant de millions pour
se construire une équipe. “On n’a rien à se faire
pardonner. S’il y a des gens qui méritent que les
choses tournent, ce sont bien les fans de City.
Le club est un des meilleurs d’Europe, il joue
un jeu excitant et suscite bien des jalousies.”
Seul regret, que le Hey Jude des Beatles soit
toujours le morceau qui accompagne l’entrée
des joueurs à domicile. Que verrait-il à la place?
“There Is a Light That Never Goes Out (des
RECUEILLIS PAR RR
•
Smiths).” Un morceau de circonstance. PROPOS
À lire: Set the Boy Free, de Johnny Marr,
Ed. Le Serpent à plumes.
À écouter: Call the Comet, de Johnny Marr
(Warner Music).
94 _ DÉCRASSAGE

HISTOIRE VRAIE

Les Mouettes
et les
Piranhas
Au cœur des années 2000, des supporters de Brighton se mettent
à raconter leur combat pour l’obtention d’un nouveau stade,
en reprenant un hymne ska iconique. Appuyé par quelques pontes
de l’industrie musicale locale, le morceau ringardisera même
Christina Aguilera, Snoop Dogg, Pharrell Williams et les Girls Aloud
dans les charts britanniques.

Avant l’arrivée de son club de football 450 kilomètres de là. “Pour ajouter l’insulte à

A
en Premier League à l’été 2017,
Brighton devait, à peu de chose près, sa
notoriété hexagonale au mouvement
mod, dont la ville fut l’un des bastions
dans les 60’s, et aux séjours linguistiques
estivaux qu’affectionnent les jeunes filles au
pair. Longtemps, l’équipe de la cité balnéaire
a traîné dans les bas-fonds du foot anglais.
“C’était l’archétype du petit club de province
qui, en dehors de quelques saisons dans l’élite,
enchaînait les hauts et les bas dans les divisions
inférieures, et dont la plus grande performance se
résumait à la finale de la Cup en 1983”, explique
l’une des principales célébrités du coin, le DJ
Fatboy Slim, londonien de naissance mais grand
supporter de Brighton, où il réside.
Bill le Bricolo contre
les Seagulls
Entre son passage à Wembley et son arrivée dans
l’élite, le club a surtout connu des problèmes
financiers et des résultats en dents de scie. En
1993, un certain Bill Archer rachète le club pour
un peu plus de… 50 livres sterling. L’opportuniste
businessman jure d’en finir avec l’instabilité
chronique du club mais, très vite, les fans flairent
le piège. Il faut dire que le bonhomme, PDG de
la chaîne de magasins de bricolage Focus, ne
montre pas un énorme intérêt pour sa nouvelle
acquisition. On ne le voit en effet jamais au
Goldstone Ground, le stade des Seagulls de
l’époque, où officie à sa place son bras droit, un
ancien député nommé David Bellotti. Archer n’a
en réalité pas daigné déménager de son domicile
situé dans les environs de Wigan, à environ
l’injure, il se disait que comme nous étions de la
côte sud, nous n’étions pas autant intéressés par
le football que les vrais fans, sous-entendu ceux
du Nord, et que si notre club venait à disparaître,
nous n’aurions qu’à aller jouer au croquet ou
un truc du genre”, se rappelle, rancunier, John
Braine. Supporter notoire de Brighton depuis
1964, ce poète et musicien, figure locale plus
connue sous l’alias d’Attila the Stockbroker, a été
l’un des leaders de la fronde anti-Archer, laquelle
a explosé après que le proprio eut annoncé
son intention de détruire le Goldstone Ground
et d’en vendre le terrain à des promoteurs
immobiliers, pour environ huit millions d’euros…
Le tout sans prévoir aucune solution de repli.
À l’époque, cette jolie perspective de plus- du club”, sourit Harris. Deux mois après la
value financière personnelle déclenche une marche, le 26 avril 1997, un but salvateur de
multitude d’actions loufoques de la part des Stuart Storer permet au club de conserver
locaux. “Les fans de Brighton allaient dans tous sa place en quatrième division –le dernier
les magasins Focus d’Angleterre, remplissaient échelon professionnel du football anglais–
des Caddies avec les plus petits produits lors de la dernière journée de championnat
disponibles. Puis ils synchronisaient leur arrivée face à Doncaster. Au coup de sifflet final, le
à la caisse, attendaient patiemment, et quand soulagement se mêle à la tristesse: Brighton
une file se formait derrière eux, distribuaient est sauvé, mais son stade n’existe plus. “10 000
des tracts expliquant leur geste, avant de tout d’entre nous se sont rués sur le terrain, raconte
simplement quitter le magasin”, explique “Attila”. Attila. Nous avons littéralement ramené le
Bonne nouvelle, ce sentiment d’injustice est Goldstone à la maison: tourniquets, horloges,
compris et partagé par des supporters de tout sièges, portes, sans oublier la pelouse,
le pays. “Lors d’une marche de protestation évidemment. J’ai encore un morceau du rond
en février 1997, des fans d’équipes rivales sont central chez moi.” Les deux saisons qui suivent
même venus pour nous montrer leur soutien”, sont un calvaire: faute de terrain disponible, le
témoigne ainsi Damian Harris, fondateur de club est contraint de s’exiler à Gillingham, une
Skint Records, le label historique de Fatboy petite ville située à 120 kilomètres de Brighton.
Slim, mais aussi sponsor maillot des Seagulls Évidemment, les affluences se réduisent
à l’époque. “Skint signifie ‘fauché’ en argot, ce comme peau de chagrin. “Je ne pouvais pas y
qui correspondait parfaitement à la situation aller car cela impliquait cinq heures de trajet.

Et puis, on venait de lancer le studio, Big Beat
Boutique, alors, je passais plutôt mes samedis
après-midi à enregistrer des albums”, grince
Fatboy Slim. En 1999, les Mouettes rentrent
au bercail et squattent une petite enceinte
municipale de 7000 places ceinturée par
une piste d’athlétisme. Une saloperie dont
le père du tube Right Here, Right Now garde
néanmoins un bon souvenir. “Withdean, c’était
marrant. C’était un drôle de petit stade, mais
c’était notre petit stade. On pouvait traîner
dans les tribunes VIP, qui étaient en réalité
des préfabriqués.” Problème: les caisses du
club restent désespérément vides. Construire
un nouvel antre devient donc indispensable.
Avec ses compagnons d’armes, Attila joue les
chasseurs immobiliers, et finit par trouver une
parcelle de terrain coincée entre la gare de
Falmer, la route A27 et les deux universités du
Sussex. “Les opposants au projet ont affirmé qu’il
s’agissait d’un ‘espace de remarquable beauté
“Me produire lors de
l’inauguration du
nouveau stade fut le plus
grand honneur de toute
ma vie”
Fatboy Slim, DJ,
fan et sauveur de Brighton
novembre 2004. “On
a ensuite apporté
notre pierre à l’édifice
en donnant un coup
de main logistique
pour la sortie du CD”,
précise Fatboy Slim.
Le 3 janvier 2005,
six semaines après
le début du projet,
5000 copies de
We Want Falmer
sont pressées, et le
single est également
disponible en ligne. Le
succès est immédiat.
À tel point qu’il faut
éditer 1500 galettes
supplémentaires, pour
cause de rupture de
stock. Le tube ska
atteint même la dix-
septième place du
Top 40, bien calé entre
Jay-Z et Christina
Aguilera. Le projet
rapporte 6000 livres
à ses auteurs, ravis
naturelle’.” Grâce au soutien du vice-Premier de constater que l’opération commando a
ministre John Prescott, le dossier, que l’on permis au club d’engranger un énorme capital
croyait mort et enterré, est finalement rouvert sympathie dans tout le Royaume-Uni. Malgré
en 2005. Pour le remercier, les supporters feront tout, les fans des Seagulls devront attendre
livrer chez lui 100 bouquets de fleurs le jour de jusqu’en 2011 pour, enfin, voir leur actuel stade
la Saint-Valentin. sortir de terre sur le site de Falmer. “Pouvoir
m’y produire lors de l’inauguration fut le plus
Une reprise au Top of the Pops grand honneur de toute ma vie”, admet même
Fatboy Slim aujourd’hui. Dans la tribune nord
Entre-temps, Attila et ses potes ont une idée de l’American Express Community Stadium,
lumineuse: narrer leur bataille en musique, en on trouve encore ces quelques vers écrits par
réécrivant les paroles de la chanson Tom Hark, Attila, en référence au combat des supporters
œuvre du groupe punk The Piranhas, originaire pour leur club. “Et un jour, quand notre nouvelle
lui aussi de Brighton. Si l’air du morceau maison sera construite et que nous reviendrons
compte parmi les plus repris dans les tribunes à l’assaut/ Une bande de fans heureux et sans
anglaises, il s’agit cette fois de faire de la reprise soucis/ Nous regarderons en arrière nos heures
un single, un vrai. Le but? Profiter des talents les plus sombres et lèverons nos verres en l’air/
musicaux locaux pour percer dans les charts,
et ainsi offrir un vrai coup de projecteur au JULIEN DUEZ / ILLUSTRATION: PEP BOATELLA
•
En disant avec satisfaction: nous étions là.” PAR
club. Entassés entre lads dans un petit studio,
Attila et compagnie se mettent au travail en Lire: Arguments Yard de John Braine
96 _ DÉCRASSAGE
728 JOURS
PLUS TARD
Après deux années stériles passées à subir les railleries de ses potes, Gustin Godet
a enfin retrouvé le chemin des filets avec son club du FC3M. Le dénouement inespéré
d’une blague qui avait pris une certaine ampleur en Vendée.
Le rendez-vous était pris, le parcours tracé,
L et tout le monde était partant. “On avait
prévu de partir de chez lui le vendredi
soir pour aller à Cheffois, là où il avait
marqué son dernier but, narre Charly Merlet.
On aurait dormi dans les bois, fait un petit feu,
puis on se serait rendus au stade le lendemain
matin. Il aurait fait froid, mais beaucoup
étaient motivés pour nous suivre.” Charly ne
décrit pas un projet d’enterrement de vie de
garçon, mais un pèlerinage, littéralement. Et
puis, le 18 novembre 2018, est arrivé ce que plus
personne n’osait imaginer. “On jouait quasiment
la première minute de jeu. Sur un coup franc, le
ballon atterrit sur mon pied, et je le vois aller au
fond. Je me suis dit: ‘Putain, c’est réel!’” Celui
qui s’émeut à la première personne n’est autre
que Gustin Godet, l’attaquant du FC3M, un club
né d’une fusion en 2016 de trois patelins “en
M” au cœur du bocage vendéen (La Meilleraie-
Tillay, Montournais et Menomblet). Grâce à ce
“but moche” inscrit en Challenge de Vendée
face à Saint-André-Goule-d’Oie, Godet met
fin à 728 jours de disette. “Un défenseur allait
la dévier, j’ai pensé: ‘N’y touche pas!’ Si on
me l’avait compté comme csc, je n’aurais pas
été bien”, admet aujourd’hui le jeune homme.
Il serait surtout passé à côté d’une belle
effervescence. Car ce but est devenu le point
de départ d’une nouvelle notoriété, grâce à
un communiqué du compte Twitter du club
célébrant l’événement. “Je ne m’attendais à rien
de plus que d’habitude, sourit le community
manager du club, qui avait pris l’habitude de
taquiner Gustin dans ses résumés du week-
end. Puis le compte des Pays de la Loire a aimé,
un ou deux journalistes locaux l’ont relayé, et
c’était parti pour deux semaines.” En quelques
heures, ce qui n’était à la base qu’une private
joke locale se transforme en véritable en raz-
de-marée médiatique, faisant du joueur de
deuxième division départementale une nouvelle
coqueluche régionale.
Suarez, Solskjær, Henry
et l’exorciste
Gustin, électricien de 22 ans, n’a pourtant jamais
quitté sa petite bourgade de La Meilleraie-
Tillay. C’est un gars “du cru”. Costaud et
#AMATEUR
trapu, combatif “à la Suarez, même s’il n’a pas
forcément son adresse”, selon son entraîneur,
Patrice Gandrillon. Alors oui, Gustin a connu
une longue traversée du désert, mais ça n’a
pas toujours été le cas. À l’instar d’Ole Gunnar
Solskjær sur le terrain de Nottingham Forest
en 1999, il a un jour inscrit un quadruplé en
sortie de banc. C’était face à Saint-Laurent-
sur-Sèvre. Mais la grande œuvre de sa carrière
reste son pion contre La Châtaigneraie, en
U19: “C’était en huitièmes de finale de coupe
de Vendée, à l’époque avec l’UJHB (Union des
jeunes du Haut-Bocage, ndlr). Alors qu’il restait
deux minutes à jouer, sur un centre venu de la
gauche, Gustin reprend le ballon de volée et le
loge en pleine lucarne, détaille le coach. De 25 ou
30 mètres, comme Pavard! Toutes les personnes
qui étaient là s’en souviennent.” Le coach dit
vrai: à la buvette du stade Roger-Callaud, tout
le monde associe le
concept de “frappe
de bâtard” au nom de
Godet. Seulement voilà, “Un jour, on s’est
une fois arrivé chez
les seniors, “Gus” se
interrogés: ‘Mais en fait,
fait plus discret dans depuis combien de temps
les surfaces adverses.
“En fin de saison, le
t’as pas marqué?’”
club a fait le point Charly Merlet, coéquipier
sur le classement des de l’attaquant muet Gustin Godet
buteurs du club. Et
moi, l’année dernière,
je n’étais pas sur la liste”, rigole celui qui oscille sympa.” Toutefois, chaque dimanche, c’est bien
aujourd’hui entre l’équipe fanion et la réserve.
Trouvant le temps long, ses coéquipiers se
mettent alors à jouer aux archivistes. “Un jour,
on s’est interrogés: ‘Mais en fait, depuis combien
de temps t’as pas marqué?’, relate Charly. On a
fouillé, on a trouvé la date, et on a tenu à jour un
historique, jusqu’à ces –presque– deux ans.” Pour
conjurer le mauvais sort, Gustin a tout tenté.
Comme placer une vignette Panini de Thierry
Henry entre son protège-tibia et sa chaussette.
À l’occasion du premier anniversaire sans but,
ses coéquipiers se sont aussi rendus à l’église de
La Meilleraie-Tillay, afin d’y brûler des cierges.
“Moi, je faisais le prêtre, poursuit Charly, l’arrière jamais. Il ne voulait pas le faire, ce pèlerinage!
gauche de l’équipe reconverti pour l’occasion en
exorciste. C’était la première fois que je rentrais
dedans! Comme ça avait fait son petit bruit, un
jour, l’équipe qu’on affrontait nous avait envoyé
un message pour savoir s’ils devaient laisser
marquer Gustin.”
La gloire et le rituel
Tout cela n’est rien en comparaison du shot de
fame que s’est inoculé l’attaquant malheureux
suite au but de la délivrance. “Lors d’une soirée,
peu de temps après, on ne connaissait personne,
mais tout le monde disait bonjour à Gustin, se
souvient Alexis Callaud, un autre fidèle compère
du FC3M. Il était presque devenu connu.” La
preuve? Quelques semaines plus tard, ses
adversaires lui demandent de poser pour une
petite photo souvenir. “Au boulot, on m’a même
demandé des autographes, sourit Gustin. Mais
ma signature, ils l’ont déjà!” Par la force des
choses, c’est tout ce club champêtre qui s’est
retrouvé sous le feu
des projecteurs. “On
s’appelle FC3M, à la
base, les gens ne savent
pas forcément à quoi ça
correspond, explique
Thomas Barreau, le
défenseur central.
Depuis cette histoire,
ils arrivent pourtant à
mettre quelque chose
derrière ce nom. On
renvoie une image assez
évidemment Godet qui gagne à l’applaudimètre.
Mieux encore, son nouveau statut sponsorise ses
samedis soir. Explication de Charly: “Il a reçu un
message du nouveau patron du Cristal, la boîte
de Montournais, qui vient de rouvrir. Il est invité,
gratuitement, avec tous ceux qui étaient prêts à
faire le pèlerinage.” Voilà qui tombe bien: réputé
bon fêtard, Gustin n’est “jamais le premier à aller
se coucher”, selon le coprésident du FC3M, Willy
Prézeau. Non sans s’adonner à un petit rituel.
“Souvent, en fin de soirée, vers 2 h ou 3 h, il disait:
‘Bon, les gars, demain, je marque’, se marre
son partner in crime, Alexis. Mais ça n’arrivait
Il serait venu avec nous, mais ça le faisait
•
vraiment chier.” PAR JÉRÉMIE BARON / PHOTO: THÉOPHILE
TROSSAT POUR SO FOOT
Satanée grève des bus.
98 SO FOOT _ DÉCRASSAGE
DREAM TEAM
Le onze type pour une manif’
Petr Cech. Pour enfin justifier le port de cet
horrible bonnet de bain rembourré. Accessoire
qui lui permet de se déguiser, au choix, en
Alexandre Benalla ou en journaliste de BFM.
Benoît Assou-Ekotto. Parce que le CBD,
ça va deux minutes, mais dans ce genre
d’événements, on a besoin de personnes avec
des vraies convictions. Eh ouais, man.
Pepe. Au cas où on voudrait que ça parte en
vrille… Au cas où ça finirait par partir en vrille…
Au cas où on voudrait remettre ça.
Virgil van Dijk. Toujours bon d’avoir un
grand qui fait peur derrière soi quand on
balance quelques vérités aux puissants via le
mégaphone. Vigile van Dijk.
Benjamin Mendy. Permet la visibilité de la
cause défendue sur les réseaux sociaux. Peut
aussi assurer les rondes nocturnes pour les
événements type Nuit Debout.
PIERRE LA POLICE
Sergio Ramos. Que serait une manifestation André-Pierre Gignac. Ce n’est pas lui qui ira
sans casseur, hein? Pas grand-chose. caillasser un McDo, mais faut bien quelqu’un
pour gérer les petits braseros sur les ronds-
points. Et finir les restes.
Laurent Paganelli. Un journaliste de terrain,
proche des copains de lutte, ça peut toujours
servir. Alors ok, il n’est peut-être pas bilingue,
mais contrairement aux journalopes, il parle
le peuple. “Plus de service public? En tout cas
on te le souhaite!”
Christophe Dugarry. Jamais content,
globalement contre tout et adepte du clash…
Elle est là, la pasionaria.
Toifilou Maoulida. Parce que qui dit manif
dit message, qui dit message dit slogan,
qui dit slogan dit banderole, et qui dit
banderole dit Maoulida. Point barre.
Entraîneur / José Mourinho. Parce qu’on aura
Patrick Blondeau. Il a déjà mis un coup de tête forcément besoin d’un peu de mauvaise foi.
à un CRS. Et à l’époque, les cagnottes Leetchi Et puis un chômeur, ça a toujours plus d’effet.
n’existaient pas. g PAR NICOLAS FRESCO / PHOTO: IMAGO/PANORAMIC
 "FAISONS
LA GUERRE
AU CANCER"

Chaque année 500 enfants meurent du cancer en France

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