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Publié le 30 septembre 2012 dans Politique

S’il peine à développer une ligne politique claire, le président François Hollande fait au
moins montre de prouesses rhétoriques.
Par Claude Robert.

François Hollande, dont on dit qu’il est le champion des « petites phrases », mérite
parfaitement ce qualificatif car il a une façon très typique et presque systématique de
communiquer sur deux plans à la fois :

 le premier plan est le discours explicite, celui qui concerne le sujet dont on parle, celui
sur lequel un journaliste a posé une question par exemple. C’est le plan manifeste, pour
reprendre une formulation freudienne ;
 le second plan est le discours symbolique, le message implicite, parfois assez proche de
ce que Freud nommait le contenu latent, que l’on peut appeler « l’arrière-pensée », sorte
de second message, plus officieux que le premier, mais pas moins important pour autant.
Début septembre, alors que les sondages le somment à agir et à trouver des solutions face à
la crise française, F. Hollande déclare : « Je ne reviendrai pas sur les responsabilités d’hier.
Il ne s’agit plus de juger le passé mais d’agir dès aujourd’hui pour préparer l’avenir ». Bien
qu’il indique, au niveau explicite, ne plus vouloir critiquer son prédécesseur, il le fait
superbement, au niveau implicite. Cette critique du précédent gouvernement utilise 15 mots
sur un total de 23 mots, ce qui est donc l’exact contraire de ce qu’il déclare vouloir faire dans
cette même citation. C’est astucieux.
Ainsi, derrière un discours manifeste se cache souvent un message latent très différent, et
c’est dans ce dernier que réside bien évidemment le véritable enjeu. Cette technique est très
adroite par ailleurs, qui exige une attention et une adresse de tous les instants, et on peut
légitimement imaginer qu’à ne pas se méfier de ces chausse-trappes linguistiques, bon
nombre d’électeurs ne sont conscients ni du procédé, ni du message latent. Mais l’intention
de F. Hollande n’est-elle pas de s’adresser à l’inconscient ? Dans ce cas, le contenu latent
agit exactement comme un message subliminal : en toute impunité, il shunte plus ou moins
l’esprit critique et va droit au but…

À ce procédé de double langage, F. Hollande combine une autre astuce rhétorique qui en
décuple l’efficacité. Ainsi, le contenu latent est-il choisi comme généralement admis, pré-
absorbé en quelque sorte, dans le sens où F. Hollande formule toujours ce contenu-là d’une
façon généralement consensuelle, quand bien même à tort. Ainsi optimise-t-il la probabilité
que le contenu latent n’offusque pas l’esprit critique, au cas où ce dernier aurait été ne serait-
ce que partiellement alerté, et qu’il soit totalement accepté dans les couches inconscientes du
cerveau.

Rappelons-nous lors du débat du second tour de la présidentielle. Il y a eu un moment où N.


Sarkozy démontrait preuves à l’appui qu’il avait été l’objet de critiques systématiques et
insultantes de la part notamment du camp socialiste et il reprochait à son rival d’avoir, par
son silence, cautionné de tels débordements. À ce moment-là, F. Hollande avait répondu très
adroitement : « vous aurez de la peine à passer pour une victime ». D’un côté, la victime
démontrait par des exemples réels la mauvaise foi des attaques, de l’autre, le chef du camp
d’où provenaient ces attaques répondait par une analyse tout à fait vraie qui, compte tenu de
l’image du Président sortant, allait être interprétée à l’envers, et donc à ses dépens. Car
N.Sarkozy avait une image tellement éloignée de celle d’une victime (alors qu’il était
pourtant massacré par une large majorité des médias, depuis son élection, ne l’oublions pas)
que F. Hollande n’avait même pas besoin de répondre sur le fond. Cela revient à utiliser
le mouvement général, comme en judo, où il s’agit non plus de lutter contre mais d’exploiter
à son profit le mouvement développé par son adversaire, pour peu qu’il puisse devenir
défavorable à celui-ci. Finalement, F. Hollande a presque suggéré, entre les lignes : « c’est
vrai, on vous a massacré, mais personne ne vous croira, laissez tomber »…
Courant septembre, le Président déclare : « Le changement, ce n’est pas une somme
d’annonces sans lien les unes avec les autres, c’est une force qui sait où elle va, qui donne
une direction susceptible de rassembler le pays ». 13 à 21 des 32 mots qui constituent cette
phrase sont autant de fléchettes empoisonnées à l’adresse du précédent gouvernement, alors
que F. Hollande est censé parler de la façon dont il prévoit le changement pour la France.
Bien plus récemment, pour indiquer qu’il ne comptait pas conserver un premier ministre sur
la totalité de son mandat, F.Hollande a déclaré que le « prédécesseur (de Jean-Marc
Ayrault) est resté cinq ans. Est-ce que ça s’est bien terminé ? », ce qui est un autre exemple
de cette méthode consistant à toujours aller chercher un message contre l’adversaire quel que
soit le sujet en cours, tout en surfant sur ce qui est généralement admis disons par la masse
des électeurs. Dans ce cas précis, F. Hollande va chercher leur acquiescement en posant une
question qui ne laisse supposer qu’un seul type de réponse possible. S’il pose cette question,
au lieu de donner son avis, c’est bien sûr parce que la réponse ne fait aucun doute. Cette
question est donc un autre exemple d’affirmation latente qui ne dit pas son nom : on ne sait
toujours pas quelle est la stratégie de F. Hollande au sujet de la pérennité d’un premier
ministre, ni les raisons objectives de cette stratégie, alors qu’il s’agissait pourtant du sujet
explicite, mais il a encore une fois égratigné le gouvernement précédent, et il l’a fait en
surfant sur les opinions du moment.
Avouons-le, ce procédé n’est pas particulièrement fairplay puisqu’il n’affiche jamais carte
sur table. Il consiste bien au contraire à avancer masqué, à ne jamais s’engager à découvert,
tout en déballant de façon indirecte et implicite des signifiés invérifiables car non explicités.
Ce procédé se trouve bien évidemment aux antipodes du débat démocratique. Il est même
dangereux car :

 il vise à manipuler, c’est-à-dire à convaincre aux dépens d’autrui ;


 il ne cherche pas à expliquer, c’est-à-dire à informer voire à éduquer ;
 il évite toujours le risque de la contradiction, c’est-à-dire le débat.

«François Hollande a trouvé


sa propre musique»
JONATHAN BOUCHET-PETERSEN 3 MAI 2012 À 17:54 (MIS À JOUR : 3 MAI 2012 À 19:05)

INTERVIEW
Denis Bertrand, professeur de théorie littéraire
et de sémiotique générale, analyse la prestation
des deux candidats.
Professeur de littérature française à l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-
Denis, Denis Bertrand (photo DR) estime que le comportement inattendu du
candidat socialiste a déstabilisé Nicolas Sarkozy.

La forme du débat d'entre-deux tours entre Nicolas Sarkozy


et François Hollande vous a-t-elle surpris ?
En terme de discours, cela a été un événement assez fort. Compte tenu de la
situation électorale, je m'étais dit, après le premier, que ça allait être la quinzaine
de la rhétorique au sens noble du terme. Il n'est en effet pas simple de choisir le
chemin de crête des mots, des paroles et des arguments pour attraper par le
discours des électeurs des deux extrêmes en même temps, ainsi que les
abstentionnistes du premier tour. Il y avait un enjeu de créativité dans le
discours, et il y a eu un petit événement rhétorique qui est presque diffusé
partout dans le grand public, c'est l'anaphore.

La déjà fameuse série des «Moi, président de la République,


je...»...

Moi qui fais beaucoup d'analyse des discours d'un point de vue sémiotique, en
m'interdisant l'utilisation de tout jargon, quand j'ai entendu ce matin à la radio la
définition de l'anaphore et de l'épiphore, je me suis dit que Hollande avait fait
très fort. Cette série de 15 anaphores d'affilée, dans une forme de déclinaison un
peu shakespearienne, c'était une audace extraordinaire dans le discours. D'autant
qu'il n'a pas loupé sa chute alors qu'il est très dur de sortir de ce genre de figure.
Ce morceau a été particulièrement réussi et a résonné comme un événement dans
le débat.

Avez-vous noté l'usage d'une autre figure rhétorique


significative ?
François Hollande est apparu beaucoup plus offensif qu'on l'attendait. J'ai trouvé
très intéressant son recours à la technique du tacle : chaque fois que Nicolas
Sarkozy a fait une fausse note, a avancé une inexactitude ou tenté un coup de
bluff, Hollande n'a rien laissé passer. On a rarement vu un usage aussi
systématique du tacle. Cela a donné un tempo original à son discours, qui a peu à
peu poussé Nicolas Sarkozy dans le coin du ring. On a assisté à un nouvel usage
du mot d'esprit. Comme si François Hollande, s'interdisant de tomber dans le
rôle, pourtant dénoncé par Nicolas Sarkozy, de Monsieur petites blagues, avait
converti cette facilité dans une rapidité à exécuter ces tacles. Entre son grand
discours du Bourget et le débat d'hier soir, il a trouvé sa propre musique.

Quelle est cette musique hollandaise ?


Elle est faite d’effets de ralentissement, où il soupèse le mot qu'il va utiliser dans
une forme de suspense, puis d’accélérations fulgurantes qui mettent la pression
sur son adversaire. En cela, il se différencie beaucoup de son imitation de
François Mitterrand, qui a beaucoup été décrite. Je le répète, il a inventé sa
musique propre, comme Nicolas Sarkozy avait inventé la sienne.

Vous décrivez un comportement offensif de François Hollande


qui a entraîné une posture défensive de Nicolas Sarkozy.
Distinguez-vous l'offensive de l'agressivité pointée par le camp
sarkozyste ?
Je l'ai trouvé offensif et pas agressif, mais je comprends assez bien pourquoi on
peut considérer qu'il l'a été. Chez Nicolas Sarkozy, le discours est dans le registre
du monologue sur un seul ton, sur un seul mode, avec des techniques très fortes
de catégorisation. L'usage de la division par deux est en ce sens très frappant.
Qu'il s'agisse de la règle du un sur deux pour le remplacement des fonctionnaires
partant à la retraite ou de l'objectif d'une division de moitié des entrées régulières
sur le territoire français, le registre est le même. Cela donne l'impression qu'il est
tout le temps dans le même régime d'argumentation. En face, le discours
François Hollande ne prend pas seulement en considération les propositions de
son adversaire, mais aussi sa manière même de parler. Hier, il a fait, comme
disent les linguistes, du métadiscours, en questionnant par exemple l'usage
récurrent de Nicolas Sarkozy du mot mensonge. Hollande a prouvé une vraie
souplesse et un réel talent pour placer le curseur de son propos ; en attaquant
tantôt sur le fond, tantôt sur la forme. Au final, cela a donné une impression de
brio et, pour les partisans de Nicolas Sarkozy, d'agressivité.

On a eu le sentiment que François Hollande avait préparé ce


débat en profondeur, tandis que Nicolas Sarkozy avait un peu
sous-estimé un contradicteur qu'il était censé «exploser»...
Nicolas Sarkozy a clairement fait une erreur d'évaluation. La personnalité de
François Hollande est sortie du bois dans une proportion inattendue et tout ce
qui avait été préparé ou prévu dans le camp sarkozyste a volé en éclats. La
combativité de Hollande a certainement surpris jusque dans son propre camp.
Au final, ce débat sort-il du lot par rapport aux pécédents ?
Ce fut un grand moment et un débat de haut niveau entre deux candidats très
techniques, très compétents et très politiques. Il y a eu une vraie interlocution
conflictuelle, qui a donné lieu à des échanges très intelligents. Il y a eu, par
ailleurs, une multitude de petits éclats, de petits événements qui ont construit
une dramaturgie dont Hollande est sorti vainqueur. Tout cela a donné de la vie et
du rythme à un débat haut de gamme.

Et qu'avez-vous pensé du comportement physique des deux


débatteurs ?
François Hollande n'a pas souri une seule fois et n'a pas quitté son adversaire des
yeux, les sourcils hauts perchés sur le front, alors que Sarkozy a souvent détourné
le regard vers les journalistes ou baissé la tête dans ses notes. La pose droite du
haut du corps de François Hollande, assez présidentielle, était également très
significative, tout comme les tics de Nicolas Sarkozy, qui l'ont repris quand il était
en difficulté, sous la forme de très légers spasmes et de soubresauts des épaules.

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