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S’il peine à développer une ligne politique claire, le président François Hollande fait au
moins montre de prouesses rhétoriques.
Par Claude Robert.
François Hollande, dont on dit qu’il est le champion des « petites phrases », mérite
parfaitement ce qualificatif car il a une façon très typique et presque systématique de
communiquer sur deux plans à la fois :
le premier plan est le discours explicite, celui qui concerne le sujet dont on parle, celui
sur lequel un journaliste a posé une question par exemple. C’est le plan manifeste, pour
reprendre une formulation freudienne ;
le second plan est le discours symbolique, le message implicite, parfois assez proche de
ce que Freud nommait le contenu latent, que l’on peut appeler « l’arrière-pensée », sorte
de second message, plus officieux que le premier, mais pas moins important pour autant.
Début septembre, alors que les sondages le somment à agir et à trouver des solutions face à
la crise française, F. Hollande déclare : « Je ne reviendrai pas sur les responsabilités d’hier.
Il ne s’agit plus de juger le passé mais d’agir dès aujourd’hui pour préparer l’avenir ». Bien
qu’il indique, au niveau explicite, ne plus vouloir critiquer son prédécesseur, il le fait
superbement, au niveau implicite. Cette critique du précédent gouvernement utilise 15 mots
sur un total de 23 mots, ce qui est donc l’exact contraire de ce qu’il déclare vouloir faire dans
cette même citation. C’est astucieux.
Ainsi, derrière un discours manifeste se cache souvent un message latent très différent, et
c’est dans ce dernier que réside bien évidemment le véritable enjeu. Cette technique est très
adroite par ailleurs, qui exige une attention et une adresse de tous les instants, et on peut
légitimement imaginer qu’à ne pas se méfier de ces chausse-trappes linguistiques, bon
nombre d’électeurs ne sont conscients ni du procédé, ni du message latent. Mais l’intention
de F. Hollande n’est-elle pas de s’adresser à l’inconscient ? Dans ce cas, le contenu latent
agit exactement comme un message subliminal : en toute impunité, il shunte plus ou moins
l’esprit critique et va droit au but…
À ce procédé de double langage, F. Hollande combine une autre astuce rhétorique qui en
décuple l’efficacité. Ainsi, le contenu latent est-il choisi comme généralement admis, pré-
absorbé en quelque sorte, dans le sens où F. Hollande formule toujours ce contenu-là d’une
façon généralement consensuelle, quand bien même à tort. Ainsi optimise-t-il la probabilité
que le contenu latent n’offusque pas l’esprit critique, au cas où ce dernier aurait été ne serait-
ce que partiellement alerté, et qu’il soit totalement accepté dans les couches inconscientes du
cerveau.
INTERVIEW
Denis Bertrand, professeur de théorie littéraire
et de sémiotique générale, analyse la prestation
des deux candidats.
Professeur de littérature française à l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-
Denis, Denis Bertrand (photo DR) estime que le comportement inattendu du
candidat socialiste a déstabilisé Nicolas Sarkozy.
Moi qui fais beaucoup d'analyse des discours d'un point de vue sémiotique, en
m'interdisant l'utilisation de tout jargon, quand j'ai entendu ce matin à la radio la
définition de l'anaphore et de l'épiphore, je me suis dit que Hollande avait fait
très fort. Cette série de 15 anaphores d'affilée, dans une forme de déclinaison un
peu shakespearienne, c'était une audace extraordinaire dans le discours. D'autant
qu'il n'a pas loupé sa chute alors qu'il est très dur de sortir de ce genre de figure.
Ce morceau a été particulièrement réussi et a résonné comme un événement dans
le débat.