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Ce soir-là, alors que Trump vantait chaque jour ou


presque les mérites de WikiLeaks, Green avait été
Lâché par Trump, haï par les démocrates:
frappé par un détail. « Difficile de ne pas voir
Julian Assange, l’homme que les Etats- l'enthousiasme de la campagne de Trump pour Julian
Unis détestent Assange, a-t-il commenté sur Twitter, renvoyant
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 16 AVRIL 2019 vers le récit qu'il avait fait de cette soirée. Ils avaient
littéralement sur le mur un poster où l'on voyait
Assange déclarer : “Chère Hillary, la lecture de vos
mails classifiés me manque.” »
Vérification faite, il s'agissait même d'une publicité de
campagne pour la campagne Trump, payée et diffusée
par elle, comme on peut le voir sur cette photo d'un
journaliste de CNN datant de ce même 19 octobre.
En juillet, le candidat républicain avait publiquement
Julian Assange à Londres, le jour de son arrestation. © Reuters
incité WikiLeaks à publier 30 000 courriels
Trump ne se souvient plus de ses déclarations
supplémentaires, pourtant obtenus illégalement via un
d’amour pour WikiLeaks. Les démocrates accusent
piratage massif ayant alors alerté le renseignement
Assange d’avoir fait élire Donald Trump en lien avec
américain.
Moscou. Des médias prennent leurs distances. Sous le
coup d’une demande d’extradition de Washington, le Au cours de son dernier mois de campagne, Trump
fondateur de WikiLeaks bénéficie d’un soutien limité avait cité WikiLeaks au moins 124 fois selon le site
aux États-Unis. Ce qui rajoute aux inquiétudes des Politifact, en des termes élogieux : « I love WikiLeaks
défenseurs américains de la liberté d’informer. » (le 10 de ce mois), « Ces WikiLeaks, c'est incroyable,
vous devez lire ça » (le 12), « C'est formidable » (le
New York (États-Unis) de notre correspondant.–
13), « Un trésor » (le 31), « J'aime lire WikiLeaks »
Lorsque Julian Assange a été arrêté par la police
(le 4 novembre).
britannique, jeudi dernier, à l’ambassade d’Équateur
à Londres où il était réfugié depuis sept ans, Joshua Résumé en vidéo (non exhaustif), par la chaîne CBS :
Green s'est souvenu d'une soirée particulière : le 19 Trump ne ratait alors aucune occasion de crier son
octobre 2016, lors de la dernière campagne, un mois amour et sa reconnaissance envers le site de Julian
pile avant la victoire surprise de Donald J. Trump à Assange. Et si le procureur spécial Robert Mueller,
l'élection présidentielle. pour des raisons encore méconnues, n'a pas été en
Journaliste pour le magazine américain Bloomberg mesure de conclure que la campagne Trump s'était
Business Week, Green était dans les coulisses du retrouvée en situation de « collusion » avec le «
troisième débat présidentiel, entre Donald Trump et gouvernement russe » pour peser sur la présidentielle,
Hillary Clinton. Douze jours avant, WikiLeaks venait il est établi que son fils Don Jr. et son conseiller Roger
de publier une deuxième salve d'échanges piratés par Stone ont eu des contacts fréquents avec WikiLeaks –
des hackers proches de Moscou dans les courriels du ce dernier a même été inculpé pour avoir menti sur ses
parti démocrate. échanges avec la plateforme.
Coïncidence troublante, cette publication était Après tant d'effusions, le contraste est donc
intervenue une heure à peine après la révélation d'une particulièrement saisissant : depuis qu’Assange a été
vidéo datant d'une décennie où Trump se vantait d'« arrêté, Donald Trump fait tout pour prendre ses
attraper les femmes par la chatte ». distances avec le paria.

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Le lendemain de l’arrestation du fondateur de Aux termes de son acte d'inculpation aux États-Unis,
WikiLeaks, Trump a assuré dans le Bureau ovale qu'il révélé dans la foulée de son arrestation, Assange est
« ne savait rien sur WikiLeaks ». « Ce n'est pas mon poursuivi pour avoir encouragé l'ancienne militaire
affaire, il y a quelque chose avec Julian Assange, cela Chelsea Manning, alors en poste en Irak, à « craquer
sera déterminé en grande partie par l'attorney general le mot de passe d'un ordinateur du gouvernement
[le ministre de la justice – ndlr] qui fait un excellent américain classé secret défense », une peine qui peut
travail, je ne sais rien, ce n'est pas mon sujet. » lui valoir cinq ans de prison.
Depuis, la Maison Blanche a estimé que ces Si Assange était extradé dans les mois ou années à
déclarations d'amour passées étaient « des blagues venir, la justice américaine pourrait tout à fait rajouter
». Homme des vérités successives, Sean Hannity, le d'autres charges et, par exemple, lier son cas à une
confident et propagandiste en chef de Trump, qui tentative d'espionnage.
officie sur la chaîne Fox News, a même effacé de Un sénateur démocrate : « Il est à nous »
nombreux tweets vantant Assange et WikiLeaks.
La nouvelle ligne présidentielle est claire : il s'agit
d'ignorer, voire d'enfoncer WikiLeaks. Une façon pour
Trump de se remettre en phase avec l'administration
américaine, qui considère Assange non pas comme un
lanceur d'alerte, mais comme un agent étranger ayant
trahi des secrets d’État.
« WikiLeaks fonctionne comme un service
Julian Assange à Londres, le jour de son arrestation. © Reuters
d'espionnage hostile », avait dit dès avril 2017 Mike
Pompeo, dans son tout premier discours de directeur Condamnée en 2013 à trente-cinq ans de prison par un
de la CIA. « Assange et les gens de son acabit tribunal militaire, Manning avait vu sa peine commuée
recherchent les honneurs personnels à travers la par Barack Obama en janvier 2017. Elle a été renvoyée
destruction des valeurs occidentales. » Le même en prison le mois dernier, précisément pour avoir
Pompeo est aujourd'hui, à la tête du département refusé de témoigner de ses liens avec Assange devant
d’État, un des personnages les plus influents de un grand jury, dénonçant une action judiciaire destinée
l'administration Trump. à « persécuter les activistes » et intimider les lanceurs
d'alerte.
La diffusion en 2010 par WikiLeaks de documents
et de vidéos accablants, prouvant les exactions Lorsque Barack Obama était à la Maison Blanche, le
américaines en Irak et en Afghanistan, et de millions vice-président Joe Biden, possible candidat à l'élection
de câbles diplomatiques provenant du département présidentielle de l'an prochain, avait qualifié Assange
d’État, mais aussi, il y a deux ans, de révélations sur de « terroriste high-tech ». Mais l'administration avait
l'espionnage massif des smartphones, des télévisions suspendu les poursuites contre Assange, inquiète de
connectées et des navigateurs par la CIA, reste un contrevenir au premier amendement de la Constitution
traumatisme pour les autorités américaines. américaine (la liberté d'expression) et d'entraver la
liberté de la presse.
« Dans la communauté du renseignement, la rage
est vivace », rappelle l'agence Associated Press, L'administration Trump n'a pas les mêmes pudeurs.
citant la rancœur d'un ancien chef espion à la NSA, Plus inquiétant pour Assange, de nombreux
l'agence américaine chargée de la surveillance et des démocrates et une partie de la presse ont fini par
interceptions. l'accabler, notamment à cause de son rôle sulfureux

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dans la campagne de 2016. Pour beaucoup, Assange Ces divergences de vue traversent aussi la presse,
est un traître et/ou un agent russe, certainement pas un première concernée par les suites judiciaires de
lanceur d'alerte et encore moins un journaliste. l'affaire Assange. Certains commentaires, comme ce
Concernée au premier chef par les révélations « Il l'a bien cherché » du journaliste Michael Weiss
d’Assange, Hillary Clinton n'a pas caché sa dans The Atlantic, étonnent lorsqu'ils semblent finir
satisfaction. « Assange doit répondre de ses actes », par condamner toute sa carrière de lanceur d'alerte.
a réagi l'ancienne secrétaire d’État. « C'est un peu Dans un éditorial sévère, le Washington Post, qui a
ironique : Assange sera peut-être le seul étranger que comme de multiples médias utilisé les informations
cette administration voudra bien accueillir aux États- publiées par WikiLeaks, a tenu à se démarquer
Unis », a-t-elle ajouté. d'Assange, qui a « obtenu des documents de façon
« J'espère qu'il s'expliquera bientôt sur son ingérence non éthique », « publié des informations dans le
dans nos élections pour le compte du gouvernement domaine public sans vérifier leur caractère factuel ou
russe de Poutine », a lancé sur Twitter Chuck donné aux individus une opportunité de commenter
Schumer, le chef des démocrates au Sénat. « Quelles », mais aussi « coopéré dans un complot d'un régime
qu'aient été les intentions d'Assange pour WikiLeaks, autoritaire étranger visant à nuire à un candidat à la
il est devenu un participant direct des efforts russes présidence américaine, et à bénéficier à l'autre ».
pour affaiblir l'Ouest et miner la sécurité américaine, « Monsieur Assange n'est pas un héros de la liberté de
a jugé Mark Warner, chef de file des démocrates à la la presse », estime le comité éditorial du journal, qui
commission du renseignement du Sénat. J'espère que s'emploie à démontrer qu'Assange n'a pas respecté les
la justice britannique va le transférer rapidement aux « normes du journalisme ».
États-Unis pour qu'il puisse recevoir le jugement qu'il Assange est-il un journaliste ou non ? Dans les
mérite. » À quelques nuances près, le discours n'est pas colonnes du même journal, la chroniqueuse Margaret
très éloigné de la prose de Pompeo. Sullivan, ancienne médiatrice du New York Times,
Autre démocrate, mais souvent aligné sur les positions regrette le retour de ce « débat sans fin ». « C'est
de Trump, le sénateur de Virginie-Occidentale Joe la nature des poursuites du gouvernement américain
Manchin s'est illustré par un commentaire martial. qui fera la différence », explique-t-elle. En réalité, dit-
« Ce sera vraiment bien de le voir revenir sur le sol elle, la vraie question est de savoir si ces poursuites
américain. Il est à nous (sic) et nous pourrons avoir menées contre Assange peuvent d'une façon ou d'une
les faits et la vérité. » autre remettre en cause la liberté d'informer aux États-
Fait notable, seule une candidate à l'investiture Unis. Et en l'occurrence, écrit-elle, l'acte d'inculpation
démocrate, la représentante de Hawaii Tulsi Gabbard, contre Assange est « troublant ».
s'est exprimée sur l'arrestation d'Assange, dénonçant« Il évoque ainsi comme éléments à charge le fait
une menace pour les journalistes et tous les qu'Assange ait discuté avec Manning par messagerie
Américains ». Le silence de Bernie Sanders a été sécurisée, le fait qu'il ait tenté de dissimuler son
remarqué. Alexandria Ocasio-Cortez, représentante de identité, ou encore celui qu'il l'ait encouragée à
New York et nouveau porte-drapeau de la gauche lui transmettre des informations. Des activités qui
américaine, a évoqué son « inquiétude » quant aux constituent en réalité le cœur même du métier de
répercussions pour le droit d'informer. « Il y a journaliste.
beaucoup d'inquiétude, même chez les gens qui ne sont « Quoi que l'on pense d'Assange, que l'on veuille
pas d'accord avec Assange, ou ont été troublés par son l'appeler journaliste ou pas, l'acte d'inculpation
passé. » soulève des inquiétudes plus larges pour la presse en
général car la rédaction est très générale et inclut

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des pratiques journalistiques quotidiennes », nous dit Papers, Daniel Ellsberg embraie. À l'entendre,
Caroline DeCell, juriste au Knight First Amendment Assange, s'il est extradé, se verra ajouter « une longue
Center de l'université new-yorkaise Columbia. série » de charges et « restera à vie en prison ». « C'est
Fondateur de The Intercept, Glenn Greenwald la liberté de la presse qui est en jeu, prévient-il. Je
s'inquiète de la « criminalisation du journalisme ». pense que tout le monde devrait se rallier autour de
Source du Washington Post dans l'affaire des Pentagon son cas. Quoi qu'on pense de sa personne. »

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