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Du prototypage rapide

à la fabrication additive
SÉVERINE FONTAINE [1]

Hier cantonnée aux bureaux d’études, pour obtenir des Mathilde Berchon, spécialiste de l’impression 3D et
prototypes en plastique, l’impression 3D a progressé au point fondatrice de MakingSociety. La réduction du coût
de fabrication est également un avantage, permis
de pouvoir être utilisée pour passer rapidement à la production
par la suppression des étapes d’assemblage (for-
en petite série. Intérêt : supprimer les étapes d’assemblage, créer geage, conception de moule, soudage, collage, etc.)
des formes jusqu’alors impossibles et personnaliser les pièces. ainsi que la réduction du gâchis de matériau. Cela
concerne particulièrement la production à base de
métal, où la perte de matière représente 80 à 90 %.
tilisée depuis plus de vingt ans pour le prototy- mots-clés   Autre bénéfice : il n’est pas nécessaire de posséder
page rapide dans les bureaux d’études, l’impres- prototypage, l’outillage, coûteux et susceptible d’allonger le temps
sion 3D s’est installée plus récemment sur les industrialisation, de fabrication.
chaînes de production. Quelques industries, dans le matière et structure
secteur de l’aéronautique, du médical et de l’électro- Deux défis à relever :
nique notamment, ont franchi le pas. les matériaux et la cadence
Dans son rapport annuel sur le sujet, l’expert Terry Bien que son utilisation commence à se répandre au
Wohlers a estimé que le marché de cette technolo- sein des entreprises, quelques freins subsistent à l’adop-
gie atteindrait 3,7 milliards en 2015 et 6 milliards tion de l’impression 3D. Notamment, la cadence. La
en 2019. De plus en plus d’entreprises misent sur vitesse d’impression reste en effet encore trop lente.
cette technologie, qui ne cesse de progresser. C’est « Une imprimante 3D fabrique 200 pièces dans l’heure
notamment le cas de General Electric, qui a investi alors qu’en moule on peut en fabriquer 50 toutes les
50 millions de dollars l’année dernière dans un centre dix secondes », reconnaît Clément Moreau, directeur
d’impression 3D. Celui-ci est dédié à la fabrication général de Sculpteo. Autre verrou : les matériaux sont
d’injecteurs de carburant pour les moteurs Leap assez limités, même si les progrès sont constants sur ce
développés par CFM International, sa joint-venture front. Le fabricant français Prodways tente notamment
avec Snecma (groupe Safran). Une pièce trop com-
plexe et coûteuse pour être réalisé par les tech-
niques de fabrication traditionnelle. Une autre filière
du groupe Safran, Turbomeca, a également annoncé
Des applications tous azimuts
en janvier avoir équipé son usine située à Bordes La fabrication additive fait de plus en plus d’adeptes dans les entreprises,
(Pyrénées-Atlantiques) d’une imprimante 3D. Pour toutes industries confondues. Trois secteurs se montrent particulièrement
le moment, les pièces fabriquées ne sont pas les plus en pointe sur le sujet.
Dans l’aéronautique, l’impression 3D
critiques du moteur. Elles font partie des éléments
permet de fabriquer des pièces
fixes de celui-ci. sur mesure, plus performantes,
L’avantage de miser sur les machines d’impression dans une optique persistante
3D pour réaliser des pièces en petite série ? Accélé- d’allégement des appareils.
rer le passage du prototypage rapide à l’industriali- Dans le secteur biomédical,
elle offre la possibilité de réaliser
sation du produit. Et ce, en repensant complètement
des dispositifs médicaux,
des pièces, pour optimiser leur forme et leur intégra- notamment des prothèses,
tion, afin d’améliorer les performances ou encore de personnalisés et sur mesure.
gagner en légèreté. « Les deux avantages majeurs de Dans l’électronique, enfin, elle
l’impression 3D sont la personnalisation au micron offre plus de liberté dans la forme
des composants plastiques de
près – possible en fabrication traditionnelle, mais
dispositifs électroniques, comme
trop chère – et la réalisation de formes complexes, des protections personnalisées de
comme certains angles ou les corps creux », explique smartphones ou les grilles
des écouteurs, entre autres.

[1] Article extrait de la revue Industrie & technologies no 974,   Cette prothèse de la hanche réalisée par impression 3D comprend plusieurs
mars 2015. matériaux (chrome-cobalt, polyéthylène…).

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Une imprimante 3D pour des pièces de moteur d’hélicoptères
La société L’outil
Turbomeca, filiale du groupe Safran, est spécialisée EOSINR M 280, du fabricant EOS, est
dans la conception de moteurs d’hélicoptères. Elle fabrique l’imprimante 3D sélectionnée par Turbomeca
un nouveau moteur, l’Arrano, sélectionné pour motoriser le nouveau X4 pour produire ses composants aéronautiques destinés à la fabrication
d’Airbus Helicopters. Le moteur de 1100 à 1300 shp de moteurs d’hélicoptères. Cette machine utilise la fabrication par frittage
de puissance est destiné aux hélicoptères de 4 à 6 tonnes. laser direct de métal. Elle est équipée d’un laser à fibre de 200 à 400 W,
qui fait fondre la poudre métallique couche par couche.

Injecteur
de la chambre
de combustion
Avant Après de l’Arrano.

La société utilisait jusque-là des procédés


 

de fabrication traditionnels (forgeage,
usinage, fraiseuse 5 axes
à commande numérique) basés sur l’enlèvement
de matière pour la plupart
de ses moteurs, tel que l’Arriel 2N,
dernière variante du moteur Arriel.
L’injecteur de l’Arriel 2N est composé
 
 La société a adopté un procédé de fabrication, par fusion
 

d’une douzaine de pièces différentes, sélective par laser (SLM), pour réaliser les injecteurs de
nécessitant d’être assemblées. carburant de ses nouveaux moteurs Arrano. Elle consiste
à fabriquer par couches successives de 20 à 100 micromètres
des pièces métalliques de forme complexe.
Le laser commandé par ordinateur est orienté vers un lit
 

de poudre de superalliage à base de nickel, faisant fondre le
métal dans les zones souhaitées. Le matériau reste le même,
seule la technique change.
La fabrication ne nécessite pas d’assemblage, l’impression
 

3D permettant de réaliser la pièce en une seule fois.
Elle permet ainsi de gagner en temps et en coût.
Les pièces fixes réalisées par impression 3D sont introduites
 

dans des endroits sensibles du moteur.

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d’y remédier, via un partenariat avec le CEA-Liten
visant à améliorer les propriétés des matériaux uti- Portrait
Gilles Allory,
lisés en impression 3D et à optimiser les procédés en tant qu’expert
de conception des pièces en polymère, céramique en procédés
et métal. de production
Autre défi : adapter la fabrication additive à la pro- performants et
innovants au Centre
duction en masse, et non plus seulement aux petites
technique des
séries. C’est ce sur quoi planche 3D Systems, avec son industries mécaniques
imprimante « High Speed Fab Grade ». Ce prototype (Cetim), accompagne
de production à haute cadence est capable d’imprimer notamment les
des pièces polymères 50 fois plus rapidement que les industriels dans leur
démarche d’intégration
technologies actuelles. Il permettrait ainsi de fabri-
de la fabrication
quer des produits personnalisés en grande quantité. additive au sein
Une capacité qui intéresse Google, notamment pour de leur production.
réaliser les modules de son Smartphone modulaire
ARA, et qui pourrait retenir l’attention de beaucoup
d’autres industriels.
« La fabrication additive
Recourir à la sous-traitance ou au coworking
Pour accélérer le passage à la phase de production, il
complétera les technologies
n’est toutefois pas toujours nécessaire d’acquérir une traditionnelles »
imprimante 3D. Les sociétés qui proposent de sous-
traiter la fabrication additive sont en effet nombreuses. La fabrication additive de l’unité à quelques
peut-elle encore milliers d’unités dans
La société Sculpteo propose ainsi d’allier impression progresser ?
3D et numérique pour fournir « une usine au bout de des tailles relativement
Gilles Allory : modestes (du 8e au 1/4
la souris », note Clément Moreau. Pour lui, « l’impres- Les technologies de m3). La fabrication
sion 3D permet de se libérer des contraintes de fabri- de fabrication additive additive ne supplantera
cation ». Et d’accélérer l’étape de prototypage. sont très loin de leurs pas les technologies
Au CES 2015, Sculpteo a présenté sa nouvelle tech- limites, et peuvent traditionnelles de
nologie de prototypage en ligne baptisée FinalProof. encore beaucoup fabrication, mais
Mais pas question de remplacer le prototype phy- évoluer. Leur champ elle apportera un
sique pour Clément Moreau. Cette solution consiste d’application est multiple. supplément.
avant tout « à gagner encore plus de temps en permet- Mais les machines
tant aux professionnels d’avoir un aperçu précis – au et les technologies
micron près – de la pièce qu’ils souhaitent produire. » ne sont pas encore Les industriels
Un avant-goût réaliste de ce que ses clients recevront optimales. On rencontre sont-ils préparés
à cette évolution ?
en réel, laissant apparaître les défauts d’une technolo- par exemple un problème
G. A. : Au sein du Cetim,
gie encore imparfaite – comme l’effet de superposition de guidage du faisceau
nous avons remarqué
des couches de matériau. d’énergie sur les grandes
un basculement
Autre possibilité : recourir non pas à un prestataire, distances.
courant 2014. Avant,
mais à un espace de coworking. Fin 2014, un nouveau les industriels nous
concept de Fab Lab est né : l’Usine IO. Avec ses 1 500 m2 Gagnera-t-elle du contactaient pour une
de surface, cet espace de prototypage, fabrication et terrain sur les lignes phase d’information
coworking permet de mettre en relation des profes- de production ? dans le cadre d’un projet.
sionnels dans le but de développer plus rapidement un G. A. : Au niveau À présent, ils connaissent
produit et d’accélérer son passage à l’industrialisation. industriel, aujourd’hui, l’intérêt et les limites
Et cette structure n’accueille pas uniquement artisans, la technologie n’est de la technologie,
start-up ou PME. « Dans leur dynamique d’innovation, pas compétitive pour la faisabilité, le coût,
certains industriels préfèrent envoyer leurs équipes une production en voire les moyens de mise
innover à l’extérieur, chez nous par exemple, explique grande série, ce qui en œuvre. Ils sont déjà
représente un frein pour bien informés !
Benjamin Carlu, fondateur de l’Usine IO, plutôt que
son adoption massive
dans des laboratoires internes nécessitant un budget
dans certains secteurs,
d’entretien. L’état d’esprit est différent. » Ainsi, ils ont
comme l’automobile.
accès à des ressources techniques, dont une machine
Pour l’instant, on peut
de prototypage rapide, et à des experts pour dévelop- fabriquer des pièces
per leur produit. Pas de doute, l’impression 3D fait
bouger les lignes. n
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