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B IB LIO T H È Q U E SOCIALISTE 20

ALFRED ROSMER ET LE MOUVEMENT


RÉVOLUTIONNAIRE INTERNATIONAL
Le mouvement révolutionnaire contemporain ne se comprend
réellement que si l’on se place aussi près que possible des centres
de décision et de pensée; Or, Rosmer a été pendant une bonne
part de sa vie tout près de ces centres : à la Vie Ouvrière au
temps du syndicalisme révolutionnaire, à Moscou au temps de
l’Internationale Communiste, dans le groupe fondateur du Secré­
tariat International de l’Opposition de Gauche (trotskyste). Son
expérience fort longue — 55 ans de vie militante entre 1909 et
1964 — s’inscrit tout entière dans les milieux révolutionnaires.
Elle est significative d'une génération qui a passionnément attendu
la révolution, s’ëst prise d’espoir quand est venue l’expérience
russe, n’a cessé d’observer et de commenter cette expérience.
La psychologie individuelle s’enchevêtre ici avec les grands élans
de la sensibilité collective. Significative aussi non d’une classe,
mais d’un type social original. Rosmer n’est pas un bourgeois.
Il a un dédain absolu de l’argent et ne s’entend ni à amasser, ni à
parvenir. Il ne s’intégre jamais ni au groupe des gens-de-lettres,
ni au corps social de l’université. Petit fonctionnaire, journaliste
mal payé, correcteur d’imprimerie, il ne s ’intéresse pas à ces tâches
alimentaires. Il vit pour la révolution. Il n’est ni un homme d’appareil,
ni un révolutionnaire professionnel payé par une organisation.
Son expérience est aussi variée dans ses formes qui nous mènent
de l’anarchisme au syndicalisme révolutionnaire, au communisme,
au trotskysme, à Tantistalinisme. Rosmer est un rare exemple de
fidélité, de continuité révolutionnaires.
Ce livre témoigne qu’il a paru possible d’aborder l'histoire par le.
biais de la biographie malgré les interdits qui semblaient au départ
peser sur une telle entreprise.
La vie de Rosmer s ’ordonne autour de trois constantes. L’une est
d ’ordre caractériel, c'est l’individualisme. Les deux autres sont
des choix politiques : un seul but, la révolution prolétarienne; une
seule méthode, la lutte de classes.

CHEZ LE MÊME ÉDITEUR


Alfred Rosmer, Moscou sous Lénine
Victor Serge, Les années sans pardon
Victor Serge, L’An I de la révolution russe
Jacob Monetta, Le parti communiste français et la question coloniale
R. Luxembourg, Œuvres en quatre volumes
Lénine et Zinoviev, Contre le courant
A. Lounatcharsky, Théâtre et révolution #\

François Maspero, t place Paul Painlevé,


alfred rosmer
et le mouvement
révolutionnaire international

■f ij)V C '

françois maspero
ù
dirigée par georges haupt

19
alfred rosmer (1877-1964)
et le mouvement révolutionnaire international
B IB L IO T H E Q U E S O C IA L IS T E

1. Nicolas Boukharine et Eugène Préobrajensky, A.B.C. du commu­


nisme (préface de Pierre Broué).
(Epuisé. Réédité dans la « petite collection Maspero ».)
2. Rosa Luxemburg, Grève de masses, parti et syndicats.
(Epuisé. Réédité dans une traduction nouvelle, dans la « petite
collection Maspero » in Rosa Luxemburg, Œuvres I.)
3. Rosa Luxemburg, La Révolution russe (préface de Robert Paris).
(Epuisé. Réédité dans une traduction nouvelle, dans la « petite
collection Maspero » in Rosa Luxemburg, Œuvres II.)
4. Les bolcheviks et la Révolution d’Octobre. Procès-verbaux du
Comité Central du parti bolchévique, août 1917 - février 1918
(présentation de Giuseppe Boffaj.
5. Paul Lafargue, L e droit à la paresse (préface de J.-M. Brohm).
(Epuisé. Réédité avec une présentation nouvelle de Maurice
Dommanget, dans la « petite collection Maspero ».)
6. Georges Haupt, L e Congrès manqué : l’Internationale à la veille
de la première guerre mondiale.
7. Staline contre Trotsky, 1924-1926. La révolution permanente et
le socialisme en un seul pays (présentation et choix de textes de
Giuliano Procacci).
8. Paul Frôlich, Rosa Luxemburg, sa vie, son œuvre.
(Epuisé.)
9. Georges Fischer, L e parti travailliste et la décolonisation de
Vlnde.
10. Max Adler, Démocratie et conseils ouvriers (traduction et présen­
tation d 'y von Boudet).
11. Rosa Luxemburg, L ’accumulation du capital (présentation d'Irène
Petit, traduction par Marcel Ollivier et Irène Petit).
(Epuisé. Réédité dans la « petite collection Maspero ».)
12. Archives Monatte, Syndicalisme révolutionnaire et communisme
(présentation de Colette Chambelland et Jean Maitron).
13. Georges Haupt et J.-Jacques Marie, Les bolchéviks par eux-
mêmes.
14. Samuel Bemstein, Auguste Blanqui.
15. Karel Kosik, L a dialectique du concret.
16. Maurice Dommanget, Sur Babeuf et la conspiration des Egaux.
17. Karl Liebknecht, Militarisme, guerre, révolution (choix de textes
et présentation de Claudie W eil, traduction de Marcel Ollivier).
18. Michael Low y, La théorie de la révolution chez le jeune Marx.
alfred rosmer (1877-1964)
et le mouvement
révolutionnaire
in tern ation al

FRANÇOIS MASPERO
1, place pauï-painlevé, V*
PA R IS
1971
i

<§) Librairie François Maspero, 1971

i
AFL. American Fédération of Labor (USA).
AR. Alfred Rosmer.
ARAC. Association Républicaine des Anciens Combattants.
BC. Bulletin Communiste (France).
BIT. Bureau International du Travail.
BS. Bataille Syndicaliste (France).
BSL Bureau Socialiste International (2e Internationale).
BSP. British Sociaïist Party.
CAI. Comité d’Action Internationale (France).
CB. Cahiers du Bolchevisme (France).
CDS. Comité de Défense Syndicaliste (France).
CGT. Confédération Générale du Travail (France).
CGTFO. Confédération Générale du Travail-Force Ouvrière (France).
CGTI. Confédération Générale du Travail Italienne.
CGTR. Confédération Générale du Travail Révolutionnaire (France).
CGTU. Confédération Générale du Travail Unitaire (France).
CIPSR. Conseil International Provisoire des Syndicats Rouges.
CNT. Confédération Nacional del Trabaj'o (Espagne).
CRRI. Comité pour la Reprise des Relations Internationales (France).
CSR. Comités Syndicalistes Révolutionnaires (France).
ESRI. Etudiants Socialistes Révolutionnaires Internationalistes (France).
IC. Internationale Communiste.
ILP. Indépendant Labour Party (G.-B.).
ISR. Internationale Syndicale Rouge.
IW W . Industrial Workers of the World (USA).
KAPD. Parti Communiste Allemand (Gauche).
KPD. Parti Communiste Allemand.
LC. La Lutte de Classes (France).
MO. Alfred Rosmer. Le Mouvement ouvrier pendant la guerre. Suivi de
l’indication du tome et de la page.
8 alfred rosmer

Moscou. Alfred Rosmer. Moscou sons Lénine. Suivi de l’indication de


la page.
NAS. National Arbeiter Sekretariat (Hollande).
PC. Parti Communiste.
PO. Parti ouvrier,
PS. Parti Socialiste, (suivis de l’abréviation du nom du pays). On prendra
garde que le POF est le Parti guesdiste et qu’on emploie soit PS,
soit PSU (Parti Socialiste Unifié) pour désigner le Parti Socialiste
Français adhérent à la 2e Internationale.
POP. Parti Ouvrier Paysan (France).
POUM. Partido Obrero de Unification Marxista (Espagne).
PPF. Parti Populaire Français.
PSOP. Parti Socialiste Ouvrier-Paysan (France).
BP. Révolution Prolétarienne (France).
SDF. Social Démocratie Fédération (G.-B.).
SFIO. Section Française de l’Internationale Ouvrière.
SPD. Parti Socialiste Allemand.
TU. Trade-Union (G.-B.).
TUC. Trade-Unions congress (G.-B.).
UD. Union Départementale (de la CGT).
UL. Union Locale (de la CGT).
UKPD. Parti Communiste Allemand Unifié.
USI. Unione Sindicale Italiana.
USPD. Parti Social-Démocrate Allemand (Indépendants).
VO. Vie Ouvrière (France).
Introduction

En France, le chercheur ne propose pas une biographie sans


une certaine appréhension. En effet, le genre était considéré comme
mineur jusqu’à ces dernières années et rares ceux qui, comme
P. G u i r a l s ’y hasardaient. Les biographies qui nous étaient offertes
en nombre croissant, étaient le fait de journalistes ou d’historiens
à succès qui les bâclaient, d’hommes de lettres qui les ciselaient.
Toutes étaient très largement romancées. Parfois pamphlets ven­
geurs, le plus souvent pieuses vies de saints, elles ne s’attaquaient
qu’aux personnages bien connus du public et le « star system »
présidait au choix des sujets. Quant à la pensée philosophique
qui guidait les auteurs, elle était généralement favorable à l’exal­
tation du rôle des grands hommes dans l’histoire. ^
Puis apparaît un mouvement inverse dont nous sommes très/large­
ment redevables aux écoles historiques étrangères. Elles nous offrent
des exemples tel le Trotsky d’Isaac Deutscher, nous pressent de
ne point abandonner le genre biographique. H. W ohl 2 estime indis­
pensable de renouveler l’étude du communisme français par des
monographies régionales ou professionnelles, par des biographies.
Pire — ou mieux, comme on voudra — les écoles historiques étran­
gères, notamment l’école américaine si riche d’hommes et de moyens,
abordent les monographies d’hommes politiques français et de façon
souvent remarquable : qu’il nous suffise de citer, pour rester dans
le domaine de l’histoire sociale, les travaux de G. Ziebura sur Léon
Blum ou de H. Goldberg sur Jaurès. A partir des années 60, l’école
historique française suit ces exemples. L ’un des premiers, J.-B. Duro-
selle prend vigoureusement la défense du genre biographique — si
certaines conditions sont toutefois respectées3. Puis sortent des

1. Prévost Paradol (1828-1870), Pensée et action d’un libéral sous le


Second-Empire.
2. French communism in the making.
3. L ’Europe de 1815 à nos jours. Vie politique et relations interna­
tionales, 1964, p. 397.
10 alfred rosmer

thèses, signe indéniable du renversement de tendance : celle de


P. Sorlin, en 1967, porte sur Waldeck-Rousseau, celle de J.-M. Mayeur
en 1969 sur l’Abbé Lemire. Dans le domaine de l’histoire sociale,
J. Maitron avait donné un Delesalle dès 1952 \ Sentant la nécessité
d’un instrument de travail, il dirige un Dictionnaire Biographique
du M ouvem ent Ouvrier Français, qui se complétera, nous l’espérons,
sur le plan international. Tout ceci nous a décidé choisir l’étude
biographique d’un militant révolutionnaire contemporain comme
sujet de thèse.
Nous nous sommes heurtés à deux ordres de difficultés : il s’agis­
sait d’un contemporain, mort en 1964 ; il s’agissait d’un militant
ouvrier.
Il s’agissait d’un contemporain. Aussitôt surgit un problème fonda­
mental. Nons-même. nous avons vécu une partie des événements
traversés par notre militant. Placé dans un contexte idéologique,
géographique, intellectuel différent, nous avons porté sur eux des
jugements qui sont parfois diamétralement opposés aux siens. Par­
fois il n’a pas été facile de comprendre ses raisons profondes et
le motif de ses prises de position. D ’autre part, nous nous sommes
heurté, en ce qui concerne la documentation, à ce que nous appel­
lerions, si nous ne craignions que le mot ne paraisse trop fort, à
un triple fétichisme : du manuscrit, de l’inédit, de l’archive publique.
Les deux premières notions tendent à s’obscurcir et s’obscurciront
de plus en plus. L e xx° siècle est en effet l’époque des moyens
mécaniques d’écriture et des moyens modernes de reproduction.
Les textes dactylographiés, ronéotypés, polygraphiés, abondent et
le manuscrit proprement dit devient de plus en plus minoritaire, au
point de disparaître presque complètement. Seul le domaine de la
correspondance privée lui reste réservé et encore.
L ’inédit s’efface aussi. Certes, il y a les correspondances privées.
Mais dans le milieu des militants révolutionnaires, la lettre est le
plus souvent une arme dans la lutte des classes ou dans le combat
des tendances. Les « lettres ouvertes » abondent, les « courriers des
lecteurs » — c’est un dogme de la presse révolutionnaire — occupent
une place de choix dans les journaux. Outre ces lettres publiées
immédiatement, à chaud en quelque sorte, il arrive fréquemment
qu’à l’occasion de la rupture entre deux- hommes ou deux tendances,
l’une des parties exhume des lettres et les publie. Enfin le télé­
phone et le rythme de la vie moderne réduisent la correspondance
à peu de choses.
L e manuscrit et l’inédit ne sont qu’une goutte d’eau tandis que
l’imprimé est océan, avec d’ailleurs des variantes infinies : bulletin
confidentiel ronéotypé, feuille de périodicité plus ou moins régu­
lière, périodique, revue, journal de petite ou de grande diffusion.
L e risque est grand de s'y perdre involontairement ou inconsciem­

4. Le syndicalisme révolutionnaire : Paul Delesalle.


introduction 11

ment. En effet les habitudes mentales ou les préjugés favorisent la


presse de telle ou telle tendance, les victoires et la longévité rejettent
de la conscience historique les défaites et l'éphémère. Il n'empêche :
l’imprimé est irremplaçable. Comment l’historien du mouvement
ouvrier pourrait-il travailler s’il ne disposait des comptes rendus
de congrès, des livres et des brochures, des périodiques divers ?
A notre sens, seul un injuste ostracisme peut interdire de considérer
les imprimés — à condition qu'ils soient les contemporains des
événements considérés — comme des sources, au sens plein que les
historiens donnent à ce mot.
Venons-en aux archives publiques. En ce qui concerne le mou­
vement ouvrier français, il s’agit presque exclusivement des dossiers
des Archives Nationales, série F 7, celle de la police. Or, la consul­
tation de ces dossiers est soumise au régime de 1*autorisation préa­
lable, c’est-à-dire à la bonne ou à la mauvaise volonté des services
du Ministère de l’Intérieur. Cette autorisation est — chose fort
appréciable certes — très libéralement accordée en ce qui concerne
les documents antérieurs à 1920. Un décret récent, intervenu alors
que cet ouvrage était sous presse, vient de libéraliser les conditions
de communication pour la période 1920-1940. Mais l’historien insa­
tiable de curiosité, insensible aux arguments tirés de la raison d’état,
posera sans cesse la question : à quand l’ouverture d’archives encore
plus récentes ?
Qu’il nous soit permis de nous demander si les historiens qui
ont pu abondamment travailler sur des sources de ce genre, soit
parce qu'ils étudiaient les périodes plus reculées, soit parce qu’ils
ont bénéficié des autorisations administratives, n’ont pas eu tendance
à en exagérer la valeur ? Nous ne posons la question qu’en ce qui
concerne l’histoire du mouvement ouvrier, domaine dont nous avons
l’expérience directe. Nous avons pu faire en effet, pour les syndicats
de la métallurgie, la comparaison entre documents fournis par les
archives de police et documents qui appartiennent aux archives
syndicales. Pour connaître en profondeur la vie et l’action syndi­
cales, les seconds sont de cent coudées supérieurs aux premiers.
Les insuffisances criantes des archives de police viennent de leur
finalité. L a police, tout d'abord, s’intéresse aux mouvements et aux
hommes qui menacent l’ordre social bourgeois, au moment même
où ils le menacent le plus sérieusement. Etudier un mouvement
au travers des seules archives de police serait étudier un mou­
vement amputé : les débuts n'y sont point car le mouvement, trop
faible, n'a pas encore éveillé l’attention des services. Les décadences
n'y sont point : elles ne menacent plus l'ordre établi. Or chacun
sait l’importance des origines et des filiations.
Les pièces qui composent les dossiers de police viennent de deux
sources également discutables : agents des Renseignements Géné­
raux, indicateurs infiltrés dans le mouvement ouvrier. On sait bien
comment travaillent les premiers : ils tendent l’oreille dans les lieux
12 alfred rosmer

publics, dans les réunions politiques et syndicales, ils interrogent


les commerçants des quartiers avec, pour les enquêtes personnelles,
une belle prédilection pour les voisins et pour les concierges. Des
réunions publiques, ils tirent... ce qu’on peut lire le lendemain
dans tous les journaux. Les voisins et les concierges leur trans­
mettent, comme des trésors, tous les ragots du quartier : « scan­
dales » des vies privées, querelles des personnes. Rien de bien utile
sur les mouvements de fond dans le milieu des militants 1 Encore
heureux si, victimes d’un procédé maintenant bien connu et baptisé
« intoxication », ils ne rapportent pas des extravagances inventées à
leur intention. D e plus, ces agents sont — on s’en doute — bien
trop intégrés à la société bourgeoise pour comprendre la mentalité
révolutionnaire, ils sont bien trop ignorants de ï’histoire ouvrière et
du marxisme pour saisir nuances et diversités. Informateurs intellec­
tuellement inférieurs à ceux qu’ils surveillent, ils sont convaincus
du contraire, observent avec condescendance les « meneurs » , les
« agitateurs » , ne font pas effort pour les comprendre et ne les
comprennent pas. Au total, nous ne saurions le nier, il y a de bons
rapports de police, il y en a même d’excellents. Mais ils sont rares.
La loi du genre est la suivante : au fur et à mesure que l’on
s’éloigne des habitudes mentales et de l’univers géographique des
agents, les rapports deviennent de plus en plus mauvais. Relativement
bons en ce qui concerne des secteurs du mouvement ouvrier français
connus et surveillés depuis longtemps comme le Parti Socialiste et
la C G T, ils sont franchement mauvais sur les anarchistes, les syndi­
calistes révolutionnaires avancés, l’ultra-gauche ou les premiers
communistes. Qu’on passe au bolchevisme russe ou mondial et l’on
sombre dans les extravagances et les terreurs incontrôlées.
I l faudra accorder plus d’importance aux rapports issus de mili­
tants ouvriers « tenus » par la police ou volontaires du mouchar­
dage. Ils ne sont cependant pas au-dessus de toute critique : ils
ne sont qu’en proportion souvent faible par rapport aux premiers,
ils cèdent trop souvent, pour plaire aux commissaires sans doute,
au double travers du sensationnel ou de l’auto-j'ustification, il leur
arrive de présenter comme renseignements d’extrême importance des
éléments qui sont de notoriété publique.
D e plus, une partie importante des pièces contenues dans les
dossiers de police, souvent la moitié, plus parfois, le tout dans les
cas extrêmes, n’est autre qu’une série de coupures de presse qu’on
pourrait tout aussi bien lire ailleurs. D e plus, comme on n’est j'amais
sûr que la police a fait correctement sa revue de presse, il faut la
refaire soi-même.
On peut se demander enfin si ces dossiers, quand ils arrivent
aux Archives Nationales, sont complets et sincères. Nous savons
bien que non. Chaque changement dans le personnel politique diri­
geant entraîne une sérieuse révision des dossiers de police qui se
soulagent parfois de pièces compromettantes. Les bureaux, avant
tout versement aux archives, procèdent à un écrémage plus ou
introduction 13

moins important. Bien des pièces n’atteignent jamais les bureaux.


Nous croyons pouvoir dire au total que — ■répétons que nous ne
parlons que des dossiers qui concernent le mouvement ouvrier —
les grandes difficultés d’accès ne sont pas compensées par la valeur
de la source. Nous ne préconisons certes pas l'abandon des archives
de police comme source de l’histoire contemporaine. Ce que nous
voulons dire, c’est ceci : les historiens auraient tort d’attendre
indéfiniment l’ouverture de ces dossiers au contenu souvent discu­
table.
D ’ autres types de sources s’offrent à nous, que nous allons exa­
miner tour à tour. Au premier rang sont les archives d'organi­
sations. Leur accès est très aléatoire surtout lorsqu’il s’agit d’orga­
nisations ouvrières. Leur existence et leur survie même font problème.
Dans les pays capitalistes, ces organisations sont continuellement
en butte aux tracasseries policières, sont toujours menacées d’inter­
diction ou de perquisition en période de tension sociale. Elles ne
conservent donc que les archives indispensables, les détruisent ou
les cachent à la moindre alerte et ne parviennent pas toujours
à les reconstituer, l’alerte passée. C’est peut-être le cas des archives
dxi P.C.F. Les guerres aggravent ces difficultés, d’autant qu’elles
atteignent aussi les pays communistes : pendant la deuxième guerre
mondiale, quand les Allemands approchent de Moscou, les Russes
brûlent bon nombre d’archives. Celles de l’Internationale Commu­
niste ont peut-être disparu ainsi.
Quand ces archives existent et sont retrouvées, une autre diffi­
culté surgit : à côté de la lutte de classes, il y a la lutte de ten­
dances, la concurrence entre organisations. Elles craignent tou­
jours de voir leurs archives utilisées par la tendance adverse d’où
des réticences bien compréhensibles. Ces réticences ne visent géné­
ralement pas le chercheur lui-même, au contraire, il bénéficie le
plus souvent d’un préjugé largement favorable et la plus grande
confiance lui est faite. Ajoutons que les organisations ouvrières
n’ont souvent pas du terme archives la même conception que l’his­
torien. Elles ne les traitent pas toujours avec beaucoup de respect :
il nous est arrivé de trouver des archives dans des placards à balais.
Surtout, on tient parfois pour des archives précieuses des journaux
ou des comptes rendus de congrès faciles à trouver dans les biblio­
thèques. Quoi qu’il en soit, ces documents, on y prendra garde, ne
donnent jamais que le point de vue de l’organisation concernée.
Les archives de militants sont de deux types : les uns restent
jusqu’à la fin de leur vie dans les organisations de masse et leurs
archives personnelles se confondent avec les archives d’organisa­
tions dont nous venons de parler ; les autres sont exclus ou se
retirent. Ils emportent alors leurs archives et continuent à les enri­
chir tout au long de leur vie. Il faut d’abord les retrouver puis se
les faire ouvrir, toutes choses qui sont facilitées quand les militants
ont légué leurs papiers à des institutions spécialisées. Ainsi l’Insti­
14 alfred rosmer

tut International d'Histoire Sociale d’Amsterdam possède les papiers


d’Humbert-Droz, l’Institut Français d’Histoire Sociale à Paris les
papiers Monatte. Dans d’autres cas, les militants conservent par
devers eux leurs documents (Charbit), les ont confiés à des amis sûrs
(Mougeot, Rosmer), ou ce sont leurs héritiers qui les conservent
(Romain Rolland, Camus). Parfois, après les avoir déposés, ils se
réservent d’accorder ou de refuser les autorisations nécessaires
(Marcel Martinet). Dans le pire des cas, le déposant fixe à la libre
consultation un délai si éloigné qu’il aurait de quoi décourager le
chercheur (1980 pour les pièces les plus importantes des Archives
Trotsky). En tout cas, c’est toujours la deuxième catégorie de m ili­
tants, celle des non-orthodoxes qui est la plus riche en archives,
la plus bavarde. En effet le rythme de l’action a changé, le travail
de l'organisation np vient pins gêner le travail intellectuel. L a ten­
dance est forte d’accumuler, en attendant un retournement de la
situation, des documents qui permettraient d’agir de nouveau. On
aboutit ainsi à un paradoxe en ce qui concerne les archives pri­
vées : les chefs des grandes organisations de masse sont infiniment
moins bien représentés que les isolés.
Nous avons utilisé abondamment ce genre de source, ce qui
nous invite à en tenter le bilan critique. L e contenu des archives pri­
vées est très variable : coupures de journaux qui sont décidément
partout, bibliothèques qui nous donnent de précieuses indications
sur le champ des préoccupations et des connaissances, brochures par­
ticulièrement précieuses dont nous reparlerons. On y trouve enfin
les lettres reçues et le double des lettres envoyées. En proportion
variable. En effet, certains pensent à se « couvrir » contre d’éven­
tuelles modifications politiques ou à préparer leur gloire future : ils
gardent soigneusement ou envoient en lieu sûr, comme Humbert-
Droz, le double de tous les textes qu’ils rédigent. Les plus nombreux
— Rosmer et Monatte sont de ceux-là — n’ont pas ces préoccupa­
tions. Il faudra donc chercher leurs propres lettres dans les archives
de leurs amis. Ici, nous avons eu la bonne fortune de trouver nom­
bre de ces archives d’amis : F. Charbit, Monatte, Mougeot, S. Jacobs,
J.-D. Martinet. L ’intérêt tout spécial des archives Rosmer et Monatte
vient en outre de ce qu’elles ne sont pas de simples recueils de cor­
respondance. On y trouve aussi une documentation rarissime, des
articles publiés ou inédits, des manuscrits, des carnets, des comptes.
Nous avons assez dit que la valeur des archives privées varie selon
la qualité des militants et leurs méthodes de travail. Leur intérêt
vient de ce qu’ils y expriment leurs hésitations, leurs espoirs, leurs
opinions avec beaucoup de feu et de couleur. Les dessous de bien
des affaires en sont éclairés. Comme les colères et les petits heurts
s’y dévoilent sans retenue, on prendra garde de ne pas surestimer
les brouilles passagères et les querelles de personnes. Celles-ci,
dans le mouvement ouvrier, ne sont d’ailleurs le plus souvent que
le masque extérieur de divergences idéologiques et politiques pro­
fondes. Pour ne prendre qu’un exemple, toute interprétation du débat
introduction 15

Trotsky-Staline comme un simple affrontement personnel serait


une caricature de la réalité. Partialité, censure et interdits pesant
trop souvent sur les journaux, c'est souvent la correspondance pri­
vée — parfois acheminée clandestinement — qui contribue de
façon décisive à la formation des opinions. A cet égard, les
archives Monatte contiennent un dossier < Lettres de Russie.
1925-1928 » tout à fait caractéristique. Nous ne nous cachons
pas les inconvénients de ce type de source. Les premiers appa­
raissent au niveau de la conservation et de l’ouverture au cher­
cheur. Si les possesseurs d’archives n’autorisent pas les consul­
tations, ils peuvent, dans une certaine mesure, bloquer les
recherches. Les autres apparaissent au moment de l’utilisation.
Rien de plus fragmentaire, de plus aigu, de plus allusif qu’une
lettre. Pour en tirer profit, une bonne connaissance préalable des
hommes et des faits est indispensable. Enfin, cette source est lacu­
naire par sa nature même : quand on vit dans la même ville, on ne
s’écrit plus, c’est souvent le cas pour Rosmer et Monatte.
En tout cas, les archives personnelles sont indispensables au
biographe. Comparées aux livres et articles publiés, elles permet­
tent de confronter les déclarations publiques et les déclarations
privées. Notons d'un mot que, chez Rosmer, nous n'avons jamais
décelé de contradiction majeure sur ce point. Seules les archives
personnelles permettent de connaître l’homme de l’intérieur. Sans
doute n’est-il pas possible d'écrire une biographie avec les seules
archives personnelles. Sans elles, la chose nous paraît tout à fait
impossible.
Autre domaine délicat, celui des témoignages. L ’intérêt de la
quête des témoignages est bien connu : ils restituent l’atmosphère,
remettent en place bien des événements artificiellement gonflés,
révèlent des points ignorés et oubliés. Les défauts du système sont
multiples. Les uns tiennent à l’enquêteur : s’il voit les témoins au
début de son travail, il est trop mal informé pour poser les bonnes
questions. S’il les voit en fin de travail, sa connaissance livresque des
faits et des dates glace le pauvre témoin qui, d’interrogé, devient
parfois interrogateur. D ’ailleurs les témoins déforment le passé.
Involontairement par leurs confusions et leurs oublis. Volontaire­
ment par leur partialité, leurs omissions, les règlements de comptes
posthumes d’une netteté parfois aveuglante, mais très souvent
imperceptibles et discrets. L e problème du choix des témoins se
pose. Il est entendu qu’il faut en voir un maximum, mais le choix
s’exerce de façon négative, indépendamment le plus souvent de la
volonté du chercheur : méfiance ou manque d’intérêt, il arrive sou­
vent que les témoins se dérobent. Au total, il y a si peu de bons
témoignages, leur niveau moyen est si décevant, qu’un décourage­
ment saisit parfois : ne faut-il pas renoncer à cette méthode man­
geuse de temps ? Elle ne saurait toutefois être complètement aban­
donnée. Il y a toujours un plaisir personnel à rencontrer les contem­
porains des grands événements, les familiers de tel ou tel. Parfois,
16 alfred rosmer

Annie Kriegel l’a noté, des documents ignorés apparaissent en fin


de conversation. Surtout, si l’objet même de l’enquête est parfois
perdu de vue, les témoins témoignent sur eux-mêmes et par consé­
quent sur tout l’environnement, devenant ainsi une mine d’appré­
ciations et de réflexions. Utilisé dans ces limites et avec ces précau­
tions, le recours aux témoignages s’impose. Une expérience surtout
mériterait d’être tentée. La collaboration d’un chercheur et d’un
militant pour l’établissement critique d’une biographie-autobiogra­
phie. L ’allongement de la vie humaine d’une part, l’intérêt croissant
et légitime des historiens pour la période contemporaine de l’autre,
permettraient sans doute de la tenter. Nous n’avons pu le faire
avec Rosmer. Peut-être d’auti'es seront-ils plus heureux que nous.
Mais sans doute conviendra-t-il dans ce cas d’adopter une métho­
dologie très rigoureuse.
Abordons maintenant les problèmes que pose l’utilisation des
sources imprimées. Précisons dès l’abord que nous n’accordons
cette qualité de sources qu’aux imprimés contemporains de l’événe­
ment : comptes rendus de congrès et de réunions, journaux et pério­
diques, tracts, publications des services officiels. Avant d’entre­
prendre un travail d’histoire contemporaine, iî est indispensable de
bien connaître la documentation imprimée disponible. Toute lacune
en ce domaine entraîne erreurs et pertes de temps. Il faut soigneu­
sement repérer dans les bibliothèques la présence des documents
et des microfilms qui évitent souvent des déplacements longs et
coûteux. C’est dire l’importance des bibliographies et des réper­
toires de sources. Nous avouerons que leur partie critique nous
semble en général discutable, car sur tel ou tel volume, l’avis peut
différer selon le point de vue auquel on se place. Il nous paraît
du plus grand intérêt, par contre, d’indiquer à la fois où le livre
et le document peuvent être consultés et quelle cote ils portent.
Signalons à cet égard l’excellent volume de Robert Brécy sur le
mouvement syndical en France et regrettons qu’il n’existe pas pour
la France d’équivalent à la bibliographie que W . L . Sworakowski
a donné de la Troisième Internationale. Une fois recensées, ces
sources doivent être examinées et utilisées avec beaucoup de pré­
cautions. Ce qu’une organisation publie, c’est l’aspect de sa vie et
de sa pensée qu'elle veut faire connaître. Chacun sait que la presse
ment — mais toujours dans le même sens, comme les statistiques —
ce qui permet les corrections nécessaires. L a lecture des journaux
est longue et lassante, l’attention s’y disperse. L e chercheur se
prend souvent à sauter des passages essentiels ou à refaire ce qu’il
avait déjà fait quelques mois avant. D e plus, les collections sont
souvent lacunaires, parfois introuvables. Heureusement que le
microfilm et des services spécialisés, notamment l’Association pour la
Conservation et la Reproduction de la Presse Périodique, facilitent
les recherches. Surtout, il est impossible d’utiliser un journal sans
connaître sa tendance et les variations de cette tendance, que
d’ailleurs, il annonce généralement lui-même, du moins à mots cou-
introduction 17

verts. Il est impossible d’utiliser un. journal sans le situer dans une
très large revue de presse.
Les comptes rendus de congrès sont soumis aux mêmes aléas et
à d’autres : les congrès s’allongent, l'impression coûte cher. On a
tendance à passer de la publication in-extenso, à un compte rendu
analytique ; pire, à la simple publication des décisions du congrès.
Quand on ne se contente pas de faire un résumé pour le journal de
l’organisation. D e nos jours, bien des réunions sont simplement
enregistrées au magnétophone, ce qui pose de nouveaux problèmes.
Une attention toute spéciale doit être accordée aux brochures.
Elles ne sont pas de maniement aisé : mal datées, d’accès difficile,
fragmentaire. Leur recherche est une source de tracas sans fin. Mais
elles sont le mode d’expression par excellence d’une classe trop
muette. Elles sont faciles à écrire, à faire imprimer, à diffuser (sou­
venons-nous que les brochures des minoritaires de guerre se glis­
saient dans des enveloppes ordinaires). Quelques bonnes volontés
suffisent, alors qu’il faut une organisation pour faire vivre un jour­
nal. La brochure est l’arme de prédilection du mouvement ouvrier,
la seule arme de ses minoritaires et de ses exclus. A ce titre, elle est
irremplaçable quels que soient les défauts que nous aurions garde
d’oublier.
Ces réserves faites, il faut dire avec force que pour l’historien des
époques contemporaines, pour l’historien du mouvement révolution­
naire en particulier, l’utilisation de l’imprimé est primordiale. Il
offre sur tout, ou presque, une masse documentaire considérable,
parfois contradictoire, le plus souvent complémentaire.
Les sources disponibles ont toutes leurs avantages et leurs incon­
vénients. Disons fortement qu’il n’y a pas — en histoire sociale
contemporaine du moins — de source absolue, à la fois nécessaire
et suffisante. Aucune ne doit être privilégiée. C’est du faisceau des
sources que peut seule venir la connaissance et la compréhension
des hommes, des faits et des situations.

Notre recherche se heurtait à une deuxième difficulté globale :


il s’agissait d’un militant ouvrier. Les problèmes politiques appa­
raissent bientôt. L'histoire ouvrière est obscurcie autant qu’éclairée
par la querelle des tendances et des sectes. C ’est une histoire d’au­
tant plus déformée et sollicitée que la plupart de ceux qui s’y inté­
ressent se veulent plus militants qu’historiens. Nous savons bien
qu’elle est une histoire vivante, mais on nous permettra de souli­
gner les dangers d’un engagement trop précis en ce qui concerne
l'objectivité nécessaire et l’honnêteté intellectuelle. L ’auteur de ce
livre, tout en ayant de l’intérêt — un v if intérêt — pour les diverses
manifestations du mouvement révolutionnaire n’a ni sympathie, ni
antipathie particulière pour l’une quelconque de ses tendances. Il
n’a tenté d’en privilégier ou d'en désavantager aucune. L ’aspect
moral est trop souvent ouvert ou sous-jacent en histoire sociale, avec
les inconvénients évidents que cela implique. Nous avons essayé de

2
18 alfred rosmer

nous souvenir que l’historien n’a pas à juger. II n’a qu’à comprendre,
ce qui est déjà bien assez difficile.
Une fois écartées les tentations partisanes et moralisatrices, les
méthodes anecdotiques, littéraires, chronologiques et romancées,
restait à trouver une méthode de travail. Nous avons essayé de nous
en tenir strictement à quelques principes. Datation rigoureuse : nous
nous méfions des citations sorties de leur contexte et des amal­
games. L e rôle de l’historien est d’éviter les confusions de temps et
de lieux qui ne servent qu’aux pires des politiciens. Il doit déli­
miter soigneusement les termes et le champ des controverses. Pen­
sée autonome et libre nous savons bien l’intérêt que présente la
pensée des grands ancêtres. Mais quoi que Lénine, Staline ou Trot-
sky aient pu dire sur telle ou telle question, nous ne croyons pas
possible de nous dispenser de l’étudier par nous-même. Les nains
sont toujours juchés sur les épaules des géants, mais ils n'en voient
que mieux. Etude des contextes : une pensée, une action, une con­
troverse ne prennent leur sens que situées dans leur contexte et ceci
le plus largement possible, sans oeillères, ni exclusives : de la social-
démocratie à l’ultra-gauche en ce qui concerne l’histoire sociale.
N e pas préjuger des progrès futurs de la connaissance historique :
souvenons-nous que les problèmes dont nous traitons ne sont pas
réglés et ne le seront peut-être jamais. Est-on bien sûr de la préé­
minence absolue de la Deuxième Internationale sur le mouvement
ouvrier d’avant 1914 ? Connaît-on bien le rythme de développe­
ment avec accélérations, ralentissements, reculs de la révolution
russe ? A-t-on tranché le problème de la nature de classe de l’état
stalinien ? Dans ces incertitudes qu’il faut bien avouer, la biogra­
phie apparaît comme un instrument de travail irremplaçable. Elle
montre quelles questions les militants se posaient et comment ils se
les posaient. E lle indique dans quel sens ils concluaient, sans pré­
juger hâtivement des conclusions d’ensemble que la recherche his­
torique ne pourra valablement avancer avant des décennies — si
elle est jamais en mesure de les avancer.
Il ne nous appartient pas de dire si nous avons surmonté les dif­
ficultés de la biographie d’un militant révolutionnaire contempo­
rain. Mais qu’il nous soit permis de dire pourquoi nous avons cru
devoir tenter l’expérience. Nous croyons nécessaire de poser des
jalons pour l'histoire du mouvement révolutionnaire au X X e siècle.
Si nous acceptions passivement, comme un tabou, la règle des 50
ans que veut nous imposer le Ministère de l’Intérieur, notre histoire
scientifique s'arrêterait en 1919 — quitte à gagner une année par
an — et nous abandonnerions le reste aux journalistes, aux polé­
mistes et aux écoles historiques étrangères qui n’ont pas nos scru­
pules. Or nous sommes persuadés que toute recherche entraîne
d'autres recherches, que tout travail provoque l’intérêt des déten­
teurs d'archives, peut à tout moment les inciter à ouvrir leurs car­
tons pour confirmer ou infirmer des conclusions dont nous ne nous
dissimulons pas qu’elles sont provisoires. D e toute façon, cette
introduction 19

recherche nous met à pied d’œuvre, elle nous permettra d’utiliser


avec profit, dès leur ouverture, les archives qui nous sont encore
fermées.
D ’autre part, il est nécessaire de dépassionner l’histoire du mou­
vement révolutionnaire. Nous l’avons dit : nous n’approuvions pas
toutes les prises de position de Rosmer et nous n’approuvons tou­
jours pas certaines d’entre elles. Mais ceci relève de notre conscience
politique et n’a pas de place dans le domaine historique. Au reste,
ne serait-il pas présomptueux de distribuer bons points et ana-
thèmes ? Notre position personnelle, si elle apparaît, apparaîtra
contre notre volonté. Elle n’a rien à faire ici. Lucien Febvre nous
a donné dans Contre les juges suppléants de la vallée de Josaphat
un conseil et un avertissement qui ont gardé toute leur valeur :
« Et que je sois trotskyste ou stalinien, ou papiste, ou bouddhiste,
qu'est-ce que cela peut bien vous faire ? Quand je fais de l’histoire,
je suis historien [...] Je ne crois pas aux gestes de manchette des
procureurs de cinéma, aux réquisitoires filmés. Aux mépris de minis­
tère public [...] Bien de la chance à nos successeurs si ce ton-là
doit devenir la règle s. »
Nous ne sommes pas personnellement assez détachés de l ’histoire
du mouvement ouvrier pour dire : « Let bygones be bygones ».
Mais il nous paraît évident que bon nombre des controverses qui
l’ont agité intéressent plus notre passé que notre avenir.

Reste à expliquer pourquoi nous avons choisi Rosmer qui peut


apparaître comme un personnage mineur. Nous n’insisterons pas
sur l’extrême ambiguïté, sur l’extrême relativité de cette expression
même de « personnage mineur » . On est toujours considéré comme
un « personnage mineur » par ses adversaires politiques. Nous
dirons simplement que Rosmer répondait à deux conditions : il a
toujours été proche des centres de décision, il représente une expé­
rience caractéristique pour sa génération de militants. L e mou­
vement révolutionnaire contemporain ne se comprend réellement
— du moins dans une première étape — que si l’on se place aussi
près que possible des centres de décision et de pensée. Or Rosmer
a été pendant une bonne part de sa vie tout près de ces centres :
à la V ie Ouvrière au temps du syndicalisme révolutionnaire, à
Moscou au temps de l’Internationale Communiste, dans le groupe
fondateur du Secrétariat International de l’Opposition de Gauche
(trotskyste). Son expérience fort longue — 55 ans de vie mili­
tante entre 1909 et 1964 — s’inscrit tout entière dans les milieux
révolutionnaires. Elle est significative d’une génération qui a pas­
sionnément attendu la révolution, s’est prise d’espoir quand est
venue l’expérience russe, n’a cessé d’observer et de commenter cette
expérience. L a psychologie individuelle s’enchevêtre ici avec les
grands élans de la sensibilité collective. Significative aussi,

5. Combats pour l’histoire, pp. 112-113.


20 alfred rosmer

non d’une classe, mais d'un type social original. Rosmer n’est pas
un bourgeois. Il a un dédain absolu de l’argent et ne s’entend
ni à amasser, ni à parvenir. L ’expression « refus de parvenir »
est d’ailleurs née dans son milieu. Albert Thierry l’emploie pour
la première fois dans les Réflexions pour l’éducation que publie en
articles la V ie Ouvrière. A.V. Jacquet en fera le titre d’un roman
autobiographique paru en 1955. Prolétaire, il ne l’est pas non
plus et il n’a jamais travaillé en usine. I l reste volontairement en
marge des catégories sociales. l i ne s’intégre jamais ni au groupe
des gens-de-Iettres, ni au corps social de l’université. Elégant,
réservé, racé, il ne donne jamais dans la bohème. Petit fonction­
naire, journaliste mal payé, correcteur d’imprimerie, il ne s’inté­
resse pas à ces tâches alimentaires. Il vit pour la révolution. Il
n’est ni un homme d’appareil, ni un révolutionnaire professionnel
payé par une organisation. Son expérience est aussi variée dans ses
formes qui nous mènent de l’anarchisme au syndicalisme révolu­
tionnaire, au communisme, au trotskysme, à l’antistalinisme. A ces
raisons de notre choix s’ajoute bien sûr l’occasion qui permet au
chercheur de se fixer sur son sujet. Ici, l’ouverture des Archives
Monatte et Rosmer par Colette Chambelland à qui va toute notre
reconnaissance.
Au total, ce livre témoigne qu’il nous a paru possible d’aborder
l’histoire par le biais de la biographie malgré les interdits qui
semblaient au départ peser sur une telle entreprise. Nous ne l’avons
pas fait sans hésitations et cas de conscience dont furent témoins
ceux qui ont été à l’origine de nos travaux et les ont guidés de
bout en bout. Nous avons nommé le professeur Labrousse qui nous
guide depuis les temps lointains des certificats de licence, le pro­
fesseur Droz qui vit immédiatement — et avant nous — l’intérêt
pour l’histoire générale de cette aventure individuelle, le professeur
Vilar qui ne nous a pas marchandé les encouragements attentifs
et les mises en garde vigilantes, les professeurs L ’Huillier et Livet
qui nous ont donné, nous donnent encore, à la Faculté des Lettres
de Strasbourg la possibilité de travailler et d’enseigner dans cette
atmosphère de totale liberté intellectuelle à laquelle nous tenons
tant.

Sans doute n’est-il pas inutile d’indiquer à grands traits les princi­
pales étapes et constantes de la vie de Rosmer.
Elle s’ordonne autour de trois constantes. L ’une est d’ordre carac­
tériel, c’est l’individualisme. Les deux autres sont des choix poli­
tiques : un seul but, la révolution prolétarienne ,• une seule méthode,
la lutte de classes.
Il en découle une contradiction et deux cristallisations.
L a contradiction est celle de l’individualiste engagé dans un
combat collectif : Rosmer qui voit bien la nécessité de Faction
collective, est mal à l’aise dans les disciplines. Passe pour celles
que nécessite Faction révolutionnaire ; mais toute discipline méca­
introduction 21

nique, bureaucratique, lui est intolérable. La bureaucratisation de


la 2e Internationale est déjà trop avancée quand il vient à la vie
militante pour qu’il soit tenté de la rejoindre. I l quitte la I I I 0 Inter­
nationale quand elle se bureaucratise, il quitte l'Opposition de
Gauche quand pointe une menace bureaucratique.
Les deux cristallisations sont Zimmerwald qui représente l'exi-
geance intransigeante de la lutte de classes et la révolution russe
qui est L A révolution prolétarienne.
II faut garder à l'esprit ces lignes directrices pour comprendre
sa vie, mais il faut aussi distinguer les étapes chronologiques qui
correspondent en gros à trois organisations internationales.
Au temps de la I I e Internationale, c’est d’abord une longue
période de formation qui le mène de l’anarchisme individualiste
(son pseudonyme lui vient d’Ibsen) au syndicalisme révolutionnaire
de la Vie Ouvrière. Son hostilité contre la social-démocratie — il
n’adhère jamais à aucun des partis sociaux-démocrates français —
se nourrit de son dégoût pour toute discipline bureaucratique et
pour toute tactique qui perd de vue la lutte de classes. D e même
sa lutte est constante contre les déviations (malthusianisme, anti-
féminisme, antipatriotisme outrancier) qui risquent de faire oublier
le vrai but et les vrais moyens du syndicalisme révolutionnaire. La
grande originalité de la Vie Ouvrière et plus précisément de Rosmer,
c’est de lancer une contre-offensive générale contre la I I 8 Inter­
nationale, c’est d'affirmer que le syndicalisme révolutionnaire fran­
çais n'est pas un provincialisme, un archaïsme de pays économi­
quement attardé, mais l’expression française d’un mouvement inter­
national et dynamique d’opposition à une Internationale essoufflée
et à ses branches syndicales. Dans chaque pays, certes, les circons­
tances historiques, le niveau de développement industriel, le poids
des bureaucraties, imposent des adaptations. Mais l’existence d’une
Confédération Générale du Travail en France, des Industrial Wor-
kers of the W orld aux Etats-Unis, d’un Mann en Angleterre, d’un
D e Ambris en Italie, témoignent clairement. L e syndicalisme révolu­
tionnaire, fait international, est un fait conquérant : qu’il adopte
seulement une tactique juste, qu’il renonce aux scissions et il fera
basculer les organisations syndicales réformistes.
L a guerre met fin à ses espoirs mais l’effondrement des sociaux-
démocrates et des réformistes dans l'Union Sacrée ne fait que
renforcer les convictions de Rosmer. I l anime la lutte minoritaire
et, autour de Zimmerwald, dans la gauche zinimerwaldienne, affirme
que le mouvement ouvrier ne connaît d'autre guerre que la guerre
des classes, d’autre victoire que la révolution.
Quand l'exemple vient de Moscou, il se rallie sans hésitation
à la I I I e Internationale et y reste jusqu’en 1924. A Moscou, il
approuve d’autant plus aisément la tactique internationale de Lénine
que, sur un point essentiel, elle se rapproche de ses positions
d’avant-guerre. Pour Lénine aussi, la scission relève de l’infan­
tilisme gauchiste. Quant à l’infiltration des sociaux-démocrates dans
22 alfred rosmer

l'Internationale Communiste il ne s’y résigne qu'en faisant la gri­


mace. Son problème à lui, c'est le ralliement à l ’IC des anarchistes
et des syndicalistes révolutionnaires. Les quelques phrases de U E tat
et la révolution sur le dépérissement de l’état ne suffisent point.
I l faut que les bolchéviks fassent un pas de plus. Ce pas sera la
création d’une internationale syndicale distincte de l’internationale
politique, l'Internationale Syndicale Rouge. Rentré en France, Ros­
mer agit à la fois dans la C G T et dans le Parti Communiste. Il
ne parvient pas à empêcher la scission syndicale et la création de
la C G T Unitaire mais son groupe des « syndicalistes-communistes »
s'allie avec les syndicalistes révolutionnaires de Monatte. Ils éli­
minent les syndicalistes « p u r s » . Dans le PC F, c’est l'appui de
l’Intemationale qui assure là victoire de sa tendance. C’est alors,
et alors seulement, nue Monatte et ses amis acceptent de devenir
membres du Parti. Bientôt cependant le groupe Rosmer-Monatte,
éliminé par l'offensive des zinovievistes Treint et S. Girault, est
exclu du Parti au moment d’une bolchevisation qu’il interprète
comme une caporalisation.
L a période 1924-1964 se déroule sous le signe du trotskysme.
E lle est pour Rosmer une période d'opposition gauchiste à la
I I I e Internationale et au régime stalinien. Au fur et à mesure
que grandit l'influence de Staline, au fur et à mesure que la réflexion
de Rosmer sur la nature de l’état russe se fait plus pessimiste, son
antistalinisme grandit. Après la période de la 'Révolution Proléta­
rienne, il s'engage aux côtés de Trotsky et contribue à organiser
en France la Ligue Communiste, sur le plan international l'Oppo­
sition de Gauche.
Mais dès que Trotsky s’avise d'employer des méthodes qu'il
considère comme autoritaires, Rosmer parle de « méthodes zino­
vievistes » et s'éloigne. Sa fidélité à la lutte de classés se retrouve
dans une critique du Front Populaire considéré comme un compro­
mis avec une fraction de la bourgeoisie et dans une tentative de
« Nouveau Zimmerwald » quand vient la deuxième guerre mon­
diale.
Après 1946, il analyse la guerre froide comme un nouvel affron­
tement impérialiste auquel il faut opposer un nouveau front zim-
merwaldien. I l préconise une difficile politique « ouvrière », à l'écart
des deux blocs. Favorable à la création d'un tiers parti aux USA,
il suit attentivement tout ce qui, en URSS et dans les démocraties
populaires, affaiblit le stalinisme. Surtout la déstalinisation qui, pour
lui, n'est pas anecdotique : les épigones rejetteront tout ce qui relève
exclusivement de Staline et ce qu'ils conserveront montrera si oui
ou non l’état russe est encore un état prolétarien.
introduction 23

Rosmer n'est qu’un pseudonyme. L e vrai nom est Griot. L e


contrat de mariage de ses parents date d'avril 1871 ®. L e père,
coiffeur, n'a pour tout bien que ses vêtements et les ustensiles
de cuisine venus d’un premier mariage. La mère, moins démunie,
a reçu en héritage un trousseau évalué à 500 F, 1 300 F en espèces,
une petite propriété en Saône-et-Loire composée d’une pièce de
terre, d’un pré, d’une vigne. L e couple s’installe à Saint-Rambert-
les-Barques (Loire). Après quelques mois il décide de partir aux
Etats-Unis. Pourquoi ce départ ? Nous ne pouvons faire que des
suppositions. Goût du Voyage et de l’aventure ? Désir de faire
fortune ? Décadence économique d’une région touchée par la crise
de l’économie nuviale ? L e choix est difficile. Rosinei lui-même
n’était guère plus renseigné que nous. Il pensait que sa famille,
sans avoir directement participé à la Commune, avait durement
ressenti l’atmosphère de réaction politique et sociale des lendemains
de défaite ouvrière, ce qui l’aurait décidée au voyage. Quoi qu’il
en soit, les voilà bientôt à Patterson, près de N ew York. L e père
est toujours coiffeur. En 1874, naît une fille, Lucie. L e 23 août
1877, un garçon, André Alfred. C ’est aux Etats-Unis que l’enfant
apprend à lire, qu’il apprend l’anglais. En 1884, la famille rentre
en France et le père installe un salon de coiffure à Montrouge.
Nous ne savons ni pourquoi la famille est revenue, ni pourquoi
elle s’est fixée dans la banlieue parisienne. Alfred, envoyé à l’école
communale, y reste jusqu'à son brevet, à 16 ans. II gagne ensuite
sa vie : une entreprise de chauffage, un cabinet d’architecte, un
avocat-conseil ; petits métiers de coursier et de commis dont il se
lasse vite. A 18 ans, il est reçu à un concours de la Préfecture
de la Seine. L e voici expéditionnaire à la mairie du X IV e. Pendant
seize longues années, jusqu’à 34 ans, il sera employé aux écritures
dans les mairies parisiennes.
A l’époque de son adolescence ses deux amis sont René Durcan
qui mourra tuberculeux à 20 ans et Rault qui deviendra son beau-
frère. L e trio se réunit pour de longs bavardages, pour réciter
ou écrire des vers. On invite parfois les jeunes femmes de la
maisonnée : après-midi littéraire, promenade au Bois de Boulogne
ou sur les bords de la Marrie. Comme les mairies ne sont pas
généreuses, les fins de mois sont souvent difficiles et Alfred doit
se contenter des restaurants de tempérance ou se passer de repas.
Economisant sur les transports, il traverse tout Paris à pied pour
aller dans ses mairies 7. . Il restera bon marcheur.
Après un premier mariage il s’installe à l’Hay-des-Roses, puis

6. Archives Godeau. Le mariage eut lieu à Saint-Etienne.


7. Lettre de Montava, nièce de Rosmer, à l’auteur, 30-V-1966.
24 alfred rosmer

à Bourg-la-Reine, enfin à Paris. D e cette première femme nous


ne savons rien, sauf qu’elle ne tarda pas à le quitter pour un
émigré russe devenu son am ant8. Il s’installe alors aux Lilas, ses
« lointains Lilas » où il retourne souvent à pied quand il rate le
dernier métro.
A cette époque, il se mêle à la vie littéraire et artistique de
son temps. L a peinture l’attiré. Les « pompiers », Bouguereau et
les peintres académiques lui déplaisent. Il suit de 1893 à 1901
les expositions des « indépendants » , est attiré par les néo-impres­
sionnistes et leurs recherches de lumières et de couleurs. Il côtoie
Maximilien Lu ce, peintre et graveur anarchisant et le « douanier »
Rousseau. Non qu’il ait beaucoup de goût pour sa peinture, mais
il s’intéresse à l’homme, lui rend visite dans son atelier de la rue
Perrel, l’invite à déjeuner. Déjeuner décevant : Rousseau est d’une
grande banalité d’apparence et de conversation, il n’a pas un regard
pour les magnifiques paysages qui entourent la petite maison de
Rosmer. Il ne s’anime qu’au dessert quand on lui demande de
chanter son répertoire de romances populaires et de vieilles chan­
sons, « ce qu’il fit aussitôt, avec un plaisir visible 9 ». Pissaro est
le peintre préféré :
« N ul besoin avec lui de bavardage inepte sur le “ formalisme ”
pour définir ce qu’est un art socialiste, le rôle de l’artiste dans la
société socialiste. Car il est lui-même cet artiste, par son oeuvre
et par sa vie 10. »
Rosmer est aussi un formidable lecteur, habitué des galeries de
l’Odéon où il peut feuilleter à loisir les livres, sans les acheter.
Ses lectures sont d abord anglaises. Dès 1902 il parvient à s’offrir
son premier voyage en Angleterre. D e 1903 à 1905 il résume ses
lectures anglaises pour U Πu m e Nouvelle que dirige D a g a n 11.
Il se met au russe pour lire les classiques mais ne le saura jamais
assez pour pouvoir suivre une conservation rapide ou lire tous les
textes 12.
L e théâtre surtout l’attire et le marque. L e théâtre aura sur lui
une influence décisive, lui donnera son nom, lui permettra de
faire ses premiers articles pour la Bataille Syndicaliste et sera
l'occasion de son entrée à la Vie Ouvrière.
Il signe ses premiers articles de ses deux prénoms : André Alfred,
puis se décide pour Alfred Rosmer. Il a choisi son pseudonyme

8. AN. F7. 13 574, Rapport de Police du 17-XI-1915.


9. AR. Arts Quarterly, 1944.
10. AR, RP, nov. 1950.
11. Amédune (pseudonyme transparent d'Amédée Dunois) : Alfred
R o s m e r , « Souvenirs de jadis et de naguère », BC, 3-II-1921.
12. Témoignage de N. Lazarevitch, XI-1967 et de Rosmer lui-même
{Moscou, 284).
introduction 25

dans le Rosmerholm d’Ibsen ” Ws. Selon certains témoignages 13 il ne


faudrait y voir que le résultat d’une mode ibsénienne qui atteignit
le Paris de l’époque. C ’est en mai 1890 qu’Antoine, le premier,
donne Les Revenants. Tout Paris va bientôt assister aux repré­
sentations d’Ibsen que Lugné Poë donne au Vaudeville ou à l’Œuvre.
Cet engouement atteint les milieux artistiques — Maurice Denis,
les Nabis — les milieux littéraires, parlementaires, journalistiques
— Clemenceau. Dans les milieux anarchisants, on est surtout sen­
sible à la pensée politique d’Ibsen qui souleva, par sa violente
critique sociale, les colères de Christiania (Oslo) et dut s’expatrier.
Chassé de sa patrie, vivant en exil, Ibsen est le symbole vivant
de l’internationalisme. Ibsen, c’est la révolte contre la tyrannie
sociale, les préjugés, le mensonge. Rosmer critique de théâtre dira
l’enthousiasme du public aux soirées de l’Œuvre :
« Comme notre joie était grande d’entendre exprimer nos idées
en ce clair et pur langage que parlent les personnages d’Ibsen 14. »
Lui-même gardera du goût pour le théâtre ibsénien. En décembre
1962, il découpe dans L e Monde un article sur la reprise de Hedda
Gabier où il a entraîné des amis. Ce qui ne l’empêche pas d’admettre
que la pièce a vieilli. Interrogé par ses proches, il dit nettement
que c’est le prestige d’Ibsen qui l’a conduit à lui emprunter un
nom 10. S’il se choisit un pseudonyme c’est par besoin d’affirmer
sa nouvelle personnalité et de rompre avec le passé, un peu à la
façon de Souvarine qui va chercher son pseudonyme dans le G er­
minal de Zola. Mais il y a dans le théâtre d’Ibsen des centaines
de noms et celui de Rosmer ne fut pas choisi au hasard. L ’étude
de la pièce et du personnage nous donnera la clé de l’énigme 16.
Rosmer, ancien pasteur, veuf, membre d’une grande famille, se
voit proposer la direction d’un journal conservateur. Il avoue alors
au bourgeois réactionnaire Kroll qu’il est d’accord avec les idées
nouvelles, qu’il veut lutter pour la démocratie, pousser le peuple
à se libérer et à se purifier. Ses anciens amis le rejettent vio­
lemment, le traitent de renégat et lui révèlent que sa femme s’est
suicidée afin qu’il puisse vivre libre. L e drame social se lie à un
drame personnel qui se termine par un suicide. Rosmer est l’homme

12 bis. Rosmerholm est de 1896. La meilleure traduction française se


trouve dans la monumentale édition d’Ibsen par P. G. La Chesnais, t. XIV,
Paris 1941, pp. 397-720. Une étude critique précède la traduction. La BN
a consacré une exposition à l’accueil fait par la France à Ibsen (catalogue
Paris, 1956, 20 p.).
13. Notamment celui de Colette Chambelland.
14. A n d r é A l f r e d , Temps Nouveaux, 2-VI-1906.
15. Témoignage de Pierre Naville, XI, 1967. Interrogé par Naville,
Rosmer répond : « Ben quoi Ibsen ? Ibsen, c’est important ! j>
16. Il faudra y ajouter l’interprétation qu’André Alfred en donne dans
les Temps Nouveaux, art. cit.
26 alfred rosmer

dont l'idéal est la lutte pour la liberté, et la méthode d’action


l’effort individuel ; il ne faut rien attendre du ciel.
« Il n’y a pas de juge au-dessus de nous. Et c’est pourquoi nous
devons nous faire justice nous-mêmes. »
Il ne faut rien attendre des politiciens qui puisent le secret de
leur réussite dans l’esprit de compromis et l’absence d’idéal. Décri­
vant le politicien Peter Mortensgaard, Rosmer s’écrie :
« Peter Mortensgaard est capable de vivre sans idéal. Et cela [...]
c’est le grand secret de l’action et de la victoire. »
II faut tout attendre de soi-même. Rosmer affirme qu'il ne veut
pas libérer ses compatriotes :
< [...] Je veux seulement tâcher de les y exciter. L e faire |\..l
c’est à eux de s’en charger. »
Volonté d’action mais aussi garde-fous pour l’action : la lucidité
(« J e ne me libérerai jamais du doute »), le scrupule (« [...] Jamais
victoire n’est gagnée pour une cause qui a germé dans le crime »).
A lfred Griot a sans doute senti une analogie profonde — que
nous sentons aussi — entre le personnage d’Ibsen et son propre
caractère. En toute connaissance de cause et de façon délibérée
il a choisi son pseudonyme, renchérissant même de son. côté sur
la nécessité de l’action individuelle, la nécessité pour chacun d’entre­
prendre la tâche pour son propre compte, de se débarrasser des
idées reçues, de se faire une opinion personnelle :
« L ’effort individuel seul importe, parce que seul il est noble
et fécond 1;. »
En attendant d’appliquer ces idées à la politique, Griot-Rosmer
se fait critique de théâtre. C ’est qu’à l’époque le théâtre est fonda­
mental pour l’éducation populaire. Sans doute est-il un critique
simplet dont nous jugerions sévèrement la fâcheuse tendance à
raconter tout au long l’intrigue de la pièce, en terminant sur un
mot aimable pour les acteurs. Pour connaître son. opinion, il faut
se contenter de phrases éparses, il faut examiner la liste des
pièces dont il fait la critique — encore voit-il d’autres pièces et
les comités de rédaction lui imposent-ils sans doute les comptes
rendus à faire. Son goût est fort éloigné du conformisme souvent
étonnant des milieux socialistes et syndicalistes 16, mais il est fran­
chement hostile aux recherches d’avant-garde qui coupent le public
des hommes de théâtre et il approuve Romain Rolland qui dans
son Théâtre du Peuple vient de dénoncer la discordance entre le
théâtre du temps et les aspirations populaires. I l préférera toujours

17. AR, Temps Nouveaux, art. cit.


18. Voir le numéro spécial du Mouvement Social, « Critique littéraire
et socialisme », avril-juin 1967.
introduction 27

les mises en scène d’Antoine à celles de Stanislavski. Ses goûts


vont à un théâtre résolument engagé, à Ibsen et à Shaw, à toutes
les pièces de combat qui donnent au prolétariat des armes dans
sa lutte contre la bourgeoisie.
Ceci l’amène à dénoncer la crise du théâtre de son temps. Il
n’y a plus d’animateurs : Antoine donne encore des pièces de
jeunes auteurs, mais hâtivement montées. Pour vivre, il met en
scène des mélodrames ,5. L ’effort de Gémier est insuffisant. Copeau
qui ouvre son théâtre en novembre 1913 ranime l'espoir. Enfin
des pièces excellentes, une mise en scène simplifiée, une troupe
homogène sans ces vedettes qui déséquilibrent la distribution et
les pièces I Une expérience qu’il faut soutenir20.
L a crise des auteurs est tout aussi évidente, la multiplication
des adaptations théâtrales de romans célèbres — David Copper-
fietd LÏK tem el M ari “ — le prouve.
En fait, la crise est une crise de public. Les auteurs à succès,
Bataille, Bemstein, Guitry, Fiers, Caillavet, Rostand sont des auteurs
à formules, intéressés aux recettes, qui donnent au public les pièces
médiocres et confortables qu'il attend. Les pièces à succès sont des
pièces anti-ouvrières. La Barricade de B ou rget23 met en scène un
patron paternaliste et pétri de qualités, un « jaune » sympathique,
des travailleurs vicieux, campés à l’aide de tous les ragots qui
traînent dans la presse capitaliste, un contremaître qui se révolte
par jalousie masculine plutôt que par idéal, un délégué syndical
fainéant et lâche, agitateur fumant cigare. L e Sans-Patrie d ’A. Séché
campe un antipatriote de caricature. Shaw est devenu un auteur
à la mode au prix d'une incompréhension, d'une déformation du
sens profond de ses pièces. L'Angleterre et les U SA qui ne s'y
trompent pas et sentent la vigueur iconoclaste de sa critique sociale,
l’ont interdit sous prétexte d'immoralité. L a France fait un succès à
Y ou never can tell ou à Mrs W arrens profession parce qu'elle ne
les comprend pas 2<t. Les œuvres fortes ne trouvent pas de public :
Ibsen et Verhaeren ne sont plus joués, Les Sauterelles, pièce anti­
colonialiste de E. Fabre, ne tient que quelques représentations2S.
Pour Rosmer cette crise du théâtre trouve ses causes dans le contexte
politique de l'époque : la poussée réactionnaire, la renaissance
chauvine :
< [...] Tant de jeunes à la recherche de disciplines, nous donnent
de pâles et ennuyeuses imitations de Maurice Barrés 26 ».

19. AR, BS, 24-XÏI-1911.


20. AR, VO, 5-XI-1913.
21. AR, BS, ll-XI-1911.
22. AR, BS, 12-XII-1911.
23. AR, VO, 11-1910.
24. AR, BS, 31-1 et 20-11-1912.
25. AR, BS, 21-XI-1911.
26. AR, BS, 5-VII-1914.
28 alfred rosmer

On peut se demander si Rosmer n’envisage pas de lutter contre


ce « néo-patriotisme théâtral » en se faisant auteur dramatique.
Décrivant en 1912 ~7 révolution de Shaw, il nous le montre passant
de la critique à la pratique par réaction contre la médiocrité du
théâtre anglais de son temps. Peut-être songe-t-il à imiter cet
exemple, mais c’est là simple hypothèse.
La critique théâtrale lui ouvre les portes des Temps Nouveaux
en juin 1906. Dunois lui a demandé une critique de la pièce
d’Edouard Rod, le Réformateur. D e la même façon, il entre à la
Bataille Syndicaliste. Monatte raconte 28 qu’en 1911 Jérôme Tharaud,
ami de Delaisi, propose de tenir la rubrique théâtrale de la BS.
11 tentera de se mettre à la place, dans la peau, d’un spectateur
ouvrier et d’imaginer ses réactions. Mais Tharaud est secrétaire
de Barrés, la rédaction de la BS refuse sa collaboration. L ’idée,
cependant, a paru bonne. On fait appel à Rosmer qui, en novembre
1911, donne à la BS la première de ses chroniques sur L e Théâtre
et la Vie. L e premier article de Rosmer pour la V ie Ouvrière sera
aussi une critique théâtrale : celle de la Barricade de Bourget.
Ces collaborations successives l’éloignent peu à peu de toute
velléité littéraire ou artistique : elles lui ont ouvert le milieu révolu­
tionnaire qui désormais sera le sien.

Comment devint-il syndicaliste-révolutionnaire ? Rosmer, homme


discret, volontiers secret, n’explique nulle part l’évolution de sa
pensée. Notons les indices et les points de repère. Sa première
prise de position connue remonte à l’affaire Dreyfus. Il participe
si activement au combat dreyfusard que sa famille ne le voit plus
qu’en coup de vent. Sa nièce raconte89 :
« Il me semble l’entendre lire devant toute la famille la lettre
de Zola — J’Accuse — et exiger de grand-père qu’il laisse JJAurore
au magasin pour que les clients en prennent connaissance. »
Il court les meetings et y entend Anatole France et Ferdinand
Buisson 30. Mais Dreyfus acceptant la grâce « n’était plus le héros
que les circonstances exigeaient pour que la bataille fût menée
à fond 31 » .
Waldeck-Rousseau essaie bien de détourner le mouvement drey­
fusard contre les congrégations mais les masses mises en mouve­
ment ne s’y laissent pas prendre. Et le grand élan éclate en ten­

27. A R } BS, 15 et 20-11-1912.


28. « Camet du Sauvage », RP, déc. 1952.
29. Lettre à l'auteur, 30-V-1966.
30. Interview de Rosmer par M. Reberioux, Mouvement Social, IV-VI-
1962. Radical, futur député de la Seine, président de la Ligue de l’Ensei-
gnement ensuite, Buisson retrouvera Anatole France en 1920 dans le
Comité de Soutien aux emprisonnés du « complot ».
31. AR, RP, ianv. 1951.
introduction 29

dances diverses : Péguy lance les Cahiers de la Quinzaine et


« empoisonne de bergsonnisme les intellectuels qui subissent son
influence » ; Sorel théorise. Des hommes de bonne volonté, groupés
par Charles Guieysse se rassemblent autour de Pages Libres.
C ’est le courant anarchiste qui attire Rosmer, sans doute influencé
par Rault qui donne de courts articles aux Temps Nouveaux et
signe « L ’homme à la p ip e 32 ». Dès 1896, Rosmer se considère
comme un anarchiste 33 et fréquente les groupes anarchistes, en
particulier vers 1897-1898 celui de la Montagne Sainte-Geneviève
qu’inspire Barrucand34. C'est Dunois qui l’y introduit35. Dunois
encore et Rault l’introduisent dans les réunions des Etudiants Socia­
listes Révolutionnaires Internationalistes 36. Fondés en février 1891
pour lutter contre l’influence, croissante en milieu étudiant, du
Cercle Catholique des Etudiants et de l’Association Générale des
Etudiants, dont les tendances réactionnaires se camouflent sous les
déclarations apolitiques, les E.S.R.I. regroupent d’abord les étudiants
socialistes de toutes tendances. En 1893, les guesdistes les quittent
pour fonder leur propre organisation, les Etudiants Collectivistes,
dépendant du Parti Ouvrier Français. Ils abandonnent ainsi les
E S R l aux anarchistes. En 1893-1894 les 14 adhérents sont dominés
par les personnalités du D r Pierrot, de Marie Goldsmith, de
L. R ém y 3T. Les E SR I publient des brochures consacrées aux grandes
questions de l’époque. Ils sont partisans de l’entrée des anarchistes
dans les syndicats, pour y chercher le contact avec la masse ouvrière
■et l’entraîner à la révolution sociale. Etudiant l’action gréviste, ils
pensent que la grève partielle ne règle pas la question sociale mais
intimide les patrons, qu’elle développe l’esprit de révolte et de
solidarité, qu’elle sert de répétition à la grève générale qui, elle, est

32. Rault collabore aussi à La Revue de VArt pour Tous, revue éphé­
mère de popularisation esthétique et littéraire.
33. Mouvement Social, IV-VI-1962, art. cit.
34. Victor Barrucand collabore depuis 1892 à L ’En Dehors et aux
Temps Nouveaux. En 1895, il a lancé une campagne pour le pain gratuit.
35. Amédée Dunois (Catonné dit-, 1878-1944), licencié en droit, liber­
taire, journaliste aux Temps Nouveaux, sera délégué au congrès anarchiste
international de 1906. En 1912, il est parmi les fondateurs de la BS. Il
passe au Parti Socialiste et entre à L ’Humanité. Mobilisé pendant la
guerre, il se range parmi les minoritaires, fait partie de la Société d’Etudes
Documentaires et Critiques sur la Guerre, est membre du CRRI et du
Comité pour la II I e Internationale. En 1921-22, il est directeur suppléant
du Bulletin Communiste} fait partie du Comité Directeur du PCF de 22 à
24. En 1927, il quitte le Parti, adhère au POP puis à la SFIO. Organisa­
teur du Parti Socialiste clandestin en zone Nord, il est arrêté par les nazis
et meurt en déportation.
36. J. Mattron, « Le groupe des étudiants ESRI et le syndicalisme révo­
lutionnaire », Mouvement Social, I-III-1964, pp. 3-26.
37. Pierrot, militant anarchiste, sera défensiste pendant la guerre. Rémy
traduira Lasalle et Marx.
30 alfred rosmer

la Révolution. Il est difficile de préciser dans quelle mesure Rosmer


adopte ces idées. Dunois l'évoque tel qu’il apparaissait à l’époque :
« Je le revois tel qu’il était alors [...] grand, maigre, le visage
pâle, le front haut, le nez fin, les lèvres minces, les yeux ardents
et noirs. Ses cheveux longs et dru s, lui tombaient, comme on dit,
dans le cou. Il était revêtu d’un macfarlane aux ailes flottantes.
I l y avait dans son regard un peu de timidité et beaucoup de déci­
sion. Il ne parlait que rarement, mais semblait ne rien perdre des
paroles des autres 38. »
Nous connaissons quelques points saillants de sa pensée. Son anti­
parlementarisme s’affirme de façon particulièrement nette. En 1898,
au groupe de la Montagne Sainte-Geneviève, alors qu’on vante la
monarchie belge qui a donné au peuple le suffrage universel, il
coupe d'un tranchant : « Quel cadeau I » qui laisse l’orateur pan­
tois 38. La Police signale que depuis 1908, il n’est plus inscrit sur
les listes électorales de la Seine 39, elle sait qu’il professe des opi­
nions anarchistes et qu’il reçoit des anarchistes dans son bureau
de la mairie du X IV e. Lui-même garderait une certaine réserve
publique tandis que sa femme se montrerait plus exaltée. Ils ont
des anarchistes russes comme pensionnaires. En 1905, la police le
soupçonne d’être en relations avec l’anarchiste Farras et d’avoir
trempé dans l'affaire de la Rue de Rohan 40. Il n’est cependant pas
inquiété.
Sans doute sent-il assez rapidement les limites de l’anarchisme.
Par une évolution qui est celle d’une multitude de militants français
de l’époque, il passe de l'anarchisme au syndicalisme-révolutionnaire.
L e passage est fréquent, mais nullement obligatoire : d’une part
un nombre important de militants restent anarchistes, d’autre part
certains syndicalistes-révolutionnaires — tel Merrheim — ne sont
jamais passés par l'anarchisme. Nous connaissons assez bien certains
itinéraires intellectuels. Parmi ses proches, Dunois va de l’anarchisme
au syndicalisme révolutionnaire sous l’influence du marxisme41 ;
l’évolution de Monatte est différente.
N é en 1881, fils d'un artisan rural de Haute-Loire, Monatte est
répétiteur au Quesnoy en 1905 quand l’arrestation de Rroutchoux
fait de lui le rédacteur de U A ctio n Syndicale, journal anarchiste

38. A m é d u n e , BC, art. cit.


39. AN, F7, 13 574, rapport cité.
40. J. M a i x r o n , Histoire du mouvement anarchiste en France, pp. 383-
384. Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1905, une bombe est jetée Rue de
Rohan sur le cortège du roi d'Espagne Alphonse XIII. Il n’y a pas de
morts, mais de nombreux blessés. Toute la préparation de l’attentat semble
avoir été suivie par la police dans le moindre détail et on ne parvient pas à
s’expliquer pourquoi elle n’intervient pas à temps pour l’empêcher.
41. A m é d u n e , BC, art. cit. Son affirmation mériterait un examen appro­
fondi.
introduction 31

du bassin minier du Pas-de-Calais. Arrêté, condamné à six mois


de prison pour outrage à magistrat à l'audience, il bénéficie du
sursis et gagne Paris. En 1907, il est membre du Comité Confé­
déral de la CGT. Envoyé au congrès anarchiste international
d'Amsterdam par les groupes anarchistes de la région parisienne,
il est le rapporteur de la question Anarchisme et Syndicalisme **.
Au moment, dit-il, où la volonté révolutionnaire des guesdistes
devient électoralisme, celle de Jaurès ministérialisme, celle des anar­
chistes spéculation philosophique, seul le syndicalisme-révolution­
naire semble capable de faire la révolution. Quand le syndicalisme-
révolutionnaire s’affirme, « pour la première fois depuis que la
dynamite anarchiste avait tu sa voix grandiose, la bourgeoisie a
tremblé 43 ».
Il ne s’agirait donc pas d’un saut idéologique, mais d'un enga­
gement raisonné dans la seule voie révolutionnaire encore ouverte.
Rosmer, pour sa part, n'a jamais pratiqué très assidûment Marx.
A cette époque moins encore sans doute que plus tard. Peut-être
a-t-il subi une évolution comparable à celle de Monatte. Il nous
dit lui-même sa déception devant l'évolution de I'anarchisme : l'anar-
chisme communiste de Reclus et Kropotkine, en s'orientant vers
l'individualisme, perd le contact avec la masse ouvrière, I'anarchisme
de Malatesta n'a pas d’équivalent français En fait, nous ne savons
rien de décisif et, ici encore, nous ne pouvons que marquer les
étapes. Il a fait, c'est caractéristique, l’acte-clé de î'adhésion syndi­
cale avant d’être convaincu idéologiquement. Dès 1899 il adhère
au premier syndicat des employés de préfecture fondé par Janvion
et dirigé par Jean Gaumont et par des militants anarchistes. S'il
se laisse convaincre ce n’est que lentement. En 1908, alors que
Dunois lui affirme sa foi syndicaliste révolutionnaire, il réplique :
« Vous savez que je ne vous suis pas dans cette voie *6. »
Quand la Vie Ouvrière est fondée en octobre 1909, il n’en est
pas :
« Je ne fus pas des débuts de la revue. D e I'anarchisme au syndi­
calisme il y avait un pas à faire que certains “ théoriciens ” du
syndicalisme rendaient difficile ; c’étaient ceux qui prétendaient
annexer Bergson au syndicalisme40 [...] Je restais donc plusieurs
mois sur le bord, lisant la Revue mais n'y entrant pas 47. »
Mais comme c'est en février 1910 qu'il donne à la V ie Ouvnère
sa critique de Bourget et en octobre qu'il y publie son premier

42. AN, F7, 13 053.


43. Le discours de Monatte à Amsterdam est reproduit dans J. Maitron,
Ravachol et les Anarchistes, Paris, 1964, 215 p., pp. 141 et suiv.
44. AR, RP, janv. 1951, art. cit.
45. Amédune, BC, art. cit.
46. Allusion à Sorel.
47. AR, RP, janv. 1951, art. cit.
32 alfred rosmer

véritable article, Notes de voyage en Angleterre, nous pouvons placer


en 1910 le tournant de sa pensée. Encore y a-t-il chez lui un fort
attachement à ses origines anarchistes : s'il décide en 1911 de
signer Alfred Rosmer ses articles de la V ie Ouvrière c'est à la fois
par prudence — il est toujours fonctionnaire — et par affirmation
individualiste.
Dans son évolution, il faut faire une large place à l’influence
personnelle de Pierre Monatte qui est sans doute avec Trotsky
l’homme qui l'a le plus marqué. Nous touchons là un des traits
constants du caractère de Rosmer : c'est l’amitié, aventure indi­
viduelle, qui l'entraîne à l’action, aventure collective. L a rencontre
avec Monatte s’est faite chez Dunois. En 1910 le militant américain
Foster est à Paris. L e français de Poster est mauvais. L'anglais
de Monatte piteux. On va chercher Rosmer qui joue les interprètes.
L'amitié persuasive et bourrue de Monatte fut un élément déter­
minant dans son évolution. 1912 est l'année décisive : en février
Dunois lui demande de le remplacer quelque temps à la rédaction
de la Bataille Syndicaliste. Il le fait avec un congé régulier de son
administration. En été, il se fait mettre en congé illimité et devient
rédacteur à la Bataille Syndicaliste 4B.

L'individualiste s’est intégré au grand mouvement collectif du


syndicalisme révolutionnaire. Il a 35 ans.

48. AN, F7, 13 574, rapport cité.


I

Face à la Seconde Internationale


social-démocrate

3
Jusqu’en 1920, c’est aux organismes et aux hommes de la seconde
Internationale que se heurte Rosmer. Syndicaliste-révolutionnaire,
minoritaire de guerre, zimmerwaldien, il s’oppose à eux. Son tempé­
rament de révolutionnaire et d’individualiste ne peut que se heurter
au lourd appareil bureaucratique de la Seconde Internationale,
d’autant que celle-ci tente d’étendre son influence dans le monde
syndical, menaçant ainsi directement les syndicalistes-révolution-
Le syndicaliste révolutionnaire

L ’insertion de Rosmer dans le milieu syndicaliste-révolutionnaire,


le contenu de son adhésion, sa position dans les débats qui agitent
l'internationalisme ouvrier (hostilité résolue au socialisme parle­
mentaire, aux partis sociaux-démocrates de la I I e Internationale, au
syndicalisme réformiste) seront tour à tour examinés ici. L a solution
qu’il défend est celle d’un syndicalisme-révolutionnaire capable de
rénover les vieux organismes syndicaux et de faire la Révolution.

Homme de journal et de revue, il n’a jamais été un militant


syndical actif et s’il cotise, il n’est pas l’homme d’une organisation,
de la lutte pratique et quotidienne. S’il a choisi de faire son entrée
dans le journalisme par le canal de la Bataille Syndicaliste et de la
V ie Ouxn'ière, c’est tout à fait consciemment. I l a été à la tendance
syndicaliste-révolutionnaire qui se trouve être alors majoritaire à
la CGT.
En 1912, quand Dunois, poursuivant son évolution est passé
au Parti Socialiste, Rosmer le remplace à la BS comme rédacteur
appointé. Parallèlement, il donne à la V O une collaboration béné­
vole. L e quotidien le charge naturellement de couvrir des affaires
extrêmement diverses, selon une répartition des tâches qui se fait
au niveau de la rédaction. Sa spécialité est cependant la chronique
parlementaire. A la V O , chacun est beaucoup plus libre de ses
thèmes. L ’actualité quotidienne n’impose pas une répartition auto­
ritaire des tâches et d’ailleurs nul ne l’accepter ait. Comme il parle
et lit très bien l’anglais, Rosmer se charge le plus souvent d©
dépouiller la presse et de suivre le mouvement ouvrier anglo-
saxon. D e proche en proche, son horizon s’élargit au mouvement
36 alfred rosmer

ouvrier international. Il ne dresse d’ailleurs pas, on s’en doute, de


barrière étanche entre BS et V O et il lui arrive souvent d’utiliser
la matière de ses articles du quotidien pour donner au mensuel
un article de fond sur un sujet qui lui tient à cœur. L a grève
générale belge qu’il a suivie en avril-mai pour la BS 1 lui fournit
un thème d'articles pour la V O en mai-juin 2. Il en est de même
pour les guerres balkaniques 3. C’est sa méthode de travail qui
varie. Dans la BS, il expose sèchement les faits comme pouvait
le faire une dépêche d’agence. En fin d’article seulement, un mot,
une phrase, un paragraphe cinglants viennent nous donner son opi­
nion personnelle. Pensant qu’il s’adresse dans la V O à des lecteurs
plus avertis, il y suppose la trame des faits connue et expose ses
conclusions théoriques.
Rosmer. n’est pas de ces journalistes rond-de-cuir qui travaillent
sur dépêches d’agence, bien au contraire il aime le contact direct
avec l’événement, avec les hommes qui le font. I l est toujours prêt
à partir, aussi loin que les finances du journal le lui permettent :
Grande-Bretagne, Suisse, Belgique. Journaliste méticuleux, il est
aussi touriste insatiable. L e moindre répit lui donne l’occasion de
visiter avec ardeur. Un court séjour lui permet de se faire une idée
générale ; s’il reste plus longtemps, il s’intégre profondément à la
vie politique et intellectuelle. Nulle part il ne se sent à l’étranger.
D e pensée nullement figée, il est toujours prêt à revenir sur les
préjugés qu’il pense nuisibles à l’action. L e problème breton nous
en offrira un exemple tout à fait inattendu. Il avoue :
« Sans avoir étudié la question, j’en voulais un peu, moi aussi,
aux Bretons de tenir tant à leur nationalité et à leur langue, de
s'entêter dans leur particularisme, de refuser opiniâtrement de se
mêler à la vie moderne. Je vois maintenant combien j’avais
tort [...] 4. »
Il vient en effet de lire une brochure d’Emile Masson : Antêe,
les Bretons et le socialisme5 et s’est aperçu qu’après tout il n’y
avait pas contradiction entre le syndicalisme-révolutionnaire et le
sentiment régionaliste. Reconnaissant que l’emploi du breton n’est
pas signe de chauvinisme régionaliste mais signe de reconnaissance,
signe d’amitié entre exploités, il admet que la propagande syndi­
caliste puisse se faire en breton, qu’il faut respecter l’individualisme
local et les particularités d’une religion qui doit plus aux druides
qu’aux saints catholiques, il admet qu’on peut utiliser la vieille tra­

1. BS, 14 avril et suivants, 5 mai et suivants, 1913.


2. VO, 20-V et 5-20-VI-1913.
3. BS, à partir d'octobre 1912, VO, 20-XI-1912.
4. BS, 16-1-1913.
5. Professeur à Pontivy, socialiste et libre-penseur, E. Masson publie
en 1912 cette brochure et y préconise l’union de tous les Bretons pour
la défense des intérêts de leur province.
le syndicaliste révolutionnaire 37

dition de « guerre aux châteaux » pour la propagande en milieu


x-ural.
Syndicaliste révolutionnaire, il l’est profondément par sa vision
globale : le capitalisme est un régime fini qu’ébranle chaque jour
un peu plus la poussée prolétarienne. Encore un effort et la Révo­
lution est là.
La bourgeoisie est en pleine décadence. « Déchéance capitaliste »,
tel est le titre de l’un de ses articles \ Déchéance politique car
elle ne peut trouver en elle-même ses propres chefs et doit débau­
cher les plus méprisables des socialistes, un Millerand, un Briand.
Déchéance économique car le capitalisme se révèle incapable d’orga­
niser le monde. Rosmer partage avec nombre d’autres militants
ouvriers français de son temps, avec Merrheim en particulier, la
conviction que le capitalisme français est particulièrement incapable.
Il ne peut résister à la concurrence étrangère tant il s’est laissé
distancer par routine ou incurie. Il ne peut faire l’effort du redres­
sement et ne cesse de s’adresser à l’état, de rendre les ouvriers
responsables de tous ses malheurs. La Compagnie Générale Transa­
tlantique par exemple s’est laissée devancer par ses concurrents sur
tous les plans : vitesse, tonnage, nombre des bateaux. Elle demande
des subventions et accuse les revendications excessives des inscrits
maritimes de l’avoir mise en si piteuse situation 7.
L e nom syndicalisme, suivi ou non de révolutionnaire, l’adjectif
syndicaliste ne sont pas employés à la légère. On les retrouve dans
le nom de la tendance {syndicaliste-révolutionnaire, syndicalisme-
révolutionnaire), dans le titre du quotidien (L a Bataille Syndicaliste),
dans le sous-titre de la revue puisque la V O a pour sous-titre
du numéro 29 au numéro 35 : Tribune syndicaliste révolutionnaire
internationaliste. Se distinguant nettement des termes syndiqué ou
syndical, ils marquent l’appartenance à une tendance, le patriotisme
de tendance. Ce syndicalisme-révolutionnaire qu’il professe, Rosmer
le veut débarrassé des théories adventices qui l'encombrent et le
gênent, des déviations droitières ou gauchistes.
Au nombre des premières sont l’anticléricalisme et le néo-malthu­
sianisme. Sans doute est-il profondément indifférent aux choses de
la religion, au sens du sacré et de la divinité. Il peut même militer
pour la libre-pensée, non sans quelque humour :
« Mercredi soir, écrit-il à Monatte nous étions mobilisés pour
aller entendre S. Faure 0 et le voir déballer sa douzaine de preuves

6. AR, BS, 28-VII-1913.


7. Ibid.
8. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 24-1-1914.
9. Sébastien Faure, né à Saint-Etienne en janvier 1858, d’abord candi­
dat du POF aux élections législatives de Bordeaux en 1885, se tourne
ensuite vers I’anarchisme dont il devient l’un des théoriciens français. Il
fait des tournées de conférences sur des thèmes anarchistes, anticléricaux
et antisyndicalistes. En 1894 il est un des fondateurs du Libertaire.
38 alfred rosmer

de l’inexistence de Dieu. Mais Dieu l'a immobilisé à Montpellier


et les cléricaux de Perpignan sont sauvés. »
Signalant qu’en Angleterre il n’ est pas rare que les congrès
ouvriers commencent par un sermon, il ajoute :
« Pour ma part, cela ne me gêne pas l0. »
I l montre même, dans ses chroniques parlementaires une certaine
estime pour l’abbé Lemire. Député et interventionniste en matière
sociale, Lem ire est l’un des premiers prêtres démocrates 1L. A la
Chambre il est complètement isolé car il ne parvient à trouver
de terrain d’entente ni avec les conservateurs, ni avec les radicaux
obsédés d ’anticléricalisme. En fait la question, telle que se la pose
Rosmer est la suivante : l’anticléricalisme qui se répand chez les
ixiilii.aiiLS de la C G T est-il utile ou nuisible à la cause révolution­
naire ? Sa réponse est négative. L ’anticléricalisme lui paraît détour­
ner des énergies qui trouveraient à s’employer plus utilement dans
la lutte de classe. L ’anticléricalisme est donc un piège, exploité
copieusement par les radicaux. I l convient de ne pas s’y laisser
prendre. Ceci ne l’empêche pas d’être très vigilant face aux cléricaux
et résolument hostile aux premières manifestations françaises ou
belges du syndicalisme chrétien. Il les juge en effet capables de
briser l’indispensable unité de la classe ouvrière.
L e néo-malthusianisme fait lui aussi des progrès en milieu ouvrier
et il tend à s’intégrer à l’arsenal mental des syndicalistes 12. Les
congrès corporatifs votent d’enthousiasme les motions néo-malthu­
siennes, une Fédération des Ouvriers néo-Malthusiens de France
se fonde en 1911. Ernest Verliac, ancien secrétaire de la Fédération
des Métaux qui a abandonné son poste fédéral pour se consacrer
tout entier à la nouvelle propagande anti-nataliste la dirige. Les
néo-malthusiens veulent d’abord répliquer à la propagande nataliste
d’une bourgeoisie qui cherche à se procurer à bon compte « chair
à canon, chair à travail, chair à plaisir ». Ils soulignent que le
« lapinisme » aggrave les conditions de vie de la famille ouvrière,
augmente l’offre globale de travail, pèse sur les salaires. L a lim i­
tation des naissances soulagerait la femme, limiterait l’offre de main-
d’œuvre et permettrait l’augmentation des salaires. L a malédiction
malthusienne de l’augmentation arithmétique des subsistances et

Inquiété en même temps que Grave mais acquitté, il lance en 1899 le


Journal du Peuple de tendance dreyfusarde. En 1904 il achète près de
Rambouillet une propriété (La Ruche) où il mène une expérience pédago­
gique originale. Des Crimes de Dieu à VEncyclopédie anarchiste c’est un
écrivain fécond qui, pendant la guerre de 14, se maintiendra sur des posi­
tions pacifistes.
10. AR, VO, 5-1-1914.
11. Sur Lemire voir l’ouvrage de J.-M. M a y e u r .
12. Voir l'article de A, A r m e n g a u d . « Mouvement ouvrier et néo-mal­
thusianisme au début du xxe siècle, n Annales de démographie historique.
1966, pp. 7-9.
le syndicaliste révolutionnaire 39

géométrique des populations s’en trouverait brisée. Leu r succès est


grand. Rosmer n’hésite pas à se placer à contre-courant. Il prend
position contre le néo-malthusianisme ou plutôt le remet à sa juste
place. Notons qu’il ne parvient pas même à convaincre ses cama­
rades de la V O puisque sa prise de position n'est publiée que dans
le « Parmi nos lettres 13 » , rubrique généralement réservée au simple
abonné et au lecteur occasionnel. Pour lui, le néo-malthusianisme
est un faux remède, extérieur à l'action syndicaliste. Il ne fera
pas augmenter les salaires car les patrons utilisent de plus en plus
les machines et peuvent toujours, pour peser sur les salaires, faire
appel à la main-d'œuvre étrangère. Il est possible que la femme
soit soulagée, mais il faut aussi tenir compte des dangers que com­
portent les moyens anti-conceptionnels de l’époque, dangers signalés
par le docteur Pierrot et par Michel Petit (docteur Duchemin) dans
les Temps Nouveaux, signalés aussi par Madeleine Vem et Tout
un trafic louche se développe autour d’eux. L e néo-malthusianisme
favorise l’égoïsme individuel et se répand avec lui, il renforce le
despotisme masculin. Surtout il peut détourner l’ouvrier de la seule
action qui compte, l’action révolutionnaire. Verliac en est un
exemple. En fait, tout cela est affaire strictement individuelle. Que
chacun soit libre de limiter à sa guise le nombre de ses enfants
mais que nul n'espère faire ainsi reculer le capitalisme et avancer
la révolution sociale.
L e coopératisme aussi se présente comme une sorte de déviation
droitière. Les syndicalistes ont une certaine sympathie pour les
coopérateurs car ils savent bien que ce ne sont ni des politiciens,
ni des parlementaristes 1S. Mais les limites de cette sympathie sont
nettes. Rendant compte du congrès d’unification des coopératives de
France où il a d’ailleurs rencontré Jaurès, délégué de la « Reven­
dicatrice » de Carmaux, Rosmer dit son hostilité aux coopératives de
production l6. Il reconnaît Futilité des coopératives mais en signale
les dangers ; elles vivent de crédit, ce qui leur fait craindre les
bouleversements sociaux et développe le conservatisme ; la logique
même de leur activité essentiellemenit commerciale les rend « mer­
cantiles » et leur fait perdre de vue leur idéal.
Jusqu'à l'antiféminisme qui a trouvé des adeptes dans le monde
syndical. En reléguant la femme au foyer, il prétend diminuer
l’offre globale de travail et faire augmenter les salaires masculins.
L a question est très débattue dans le mouvement syndical français 17.

13. VO, 20-X-1912.


14. Collaboratrice des Temps Nouveaux et du Libertaire, Madeleine
Vernet installe en 1906 une maison d'éducation et d’assistance, L ’avenir
Social.
15. Interview d'A. R. par Madeleine Rébérioux, Mouvement Social,
IV-VI-1962.
16. AR, BS, 31-XII-1912.
17. Voir l’ouvrage de Madeleine G u i l b e r t , Les femmes et l’organisa­
tion syndicale avant 1914, 1967, 510 p., qui est un recueil commode de
faits et de documents.
40 alfred rosmer

Rosmer, quant à lui, défend avec intransigeance le droit de la


femme au travail. En 1914, l'affaire Couriau lui permet de donner
son point de vue. M “ 6 Couriau, épouse d’un typographe lyon­
nais, se fait embaucher comme ouvrière typographe en 1914. L e
syndicat des typographes lyonnais refuse de l'accepter parmi ses
membres et somme son mari de lui interdire de travailler. Comme
il refuse, il est exclu du syndicat. Rosmer consacre toute une série
d'articles à cette question qui soulève les controverses l\
Fidèle à sa méthode d'objectivité, il commence par interroger
les parties. Viennent d’abord les partisans du travail de la femme :
M me Couriau bien sûr, puis Keufer, le secrétaire général de
la Fédération des Travailleurs du L iv r e 13 qui n’ose imposer au
syndicat lyonnais les décisions pro-féministes du congrès du Livre.
D'autres militants du Livre dont Liochon, secrétaire des typographes
lyonnais, exposent le point de vue contraire. Les conclusions de
Rosmer sont nettement favorables au travail de la femme. Toute
tentative pour l'exclure de l’atelier ou pour soumettre son travail à
l'autorisation du mari est nettement réactionnaire : elle tend à
revenir au système de la famille romaine pour la plus grande joie
de Paul Bourget et de l'Académie des Sciences Morales et Poli­
tiques. Réactionnaire et irréalisable car en milieu prolétarien il n’y
a déjà plus de famille au sens ancien du mot. La grande industrie
emploie beaucoup de femmes et en emploiera de plus en plus. Les
arguments des anti-féministes ne sont qu’hypocrisie : ils parlent de
supériorité masculine et de défense de la famille, ils ne songent
qu'à défendre des salaires et des places. Il y a une solution juste,
une solution syndicale au problème : la syndicalisation des ouvrières.
Il faut leur assurer des conditions de travail comparables et des
salaires égaux à ceux des hommes. D'ailleurs la femme est l'égale
de l’homme :
« Est-il si difficile d'admettre que la femme peut agir par elle-
même et qu'elle a voix au chapitre quand il s'agit de régler sa vie
et sa destinée ? 20 »
D e la gauche peuvent venir d’autres menaces. Ce n'est plus tant
l'anarchisme qui est à craindre que la phraséologie hervéiste.
Rosmer ne pense pas, en effet, que l'anarchisme soit une ten­
tation pour le mouvement ouvrier de 1912. Bonndt n'est pas Rava-
chol 21. Ravachol luttait de façon courageuse et désintéressée contre

18. BS, 21-VIII au 28-IX-1913.


19. Auguste Keufer (1851-1924) est l'un des militants les plus en vue
de la tendance réformiste de la CGT. Secrétaire de sa fédération de 1884 à
1920, il a aussi été trésorier de la CGT en 1895-96.
20. AR, BS, 21-VIII au 28-IX-1913.
21. AR, VO, 5-IV-1912, J. M a i t r o n , Histoire du mouvement anarchiste
en France, pp. 406-409, évoque le jugement — en général sévère — que
les anarchistes portent sur Bonnot et ses amis.
le syndicaliste révolutionnaire 41

les bourreaux des compagnons, Bonnot et sa bande qui défraient


la chronique depuis 1911 ne s’intéressent qu’à l’argent. Ils rêvent
de mener une vie oisive, parasitaire, comme les capitalistes et les
bourgeois. Rosmer qui n’a eu aucun contact personnel avec eux
ne peut expliquer comment ils sont passés « de l’individualisme
théorique au cambriolage méthodique », mais il est formel : leurs
actes ne sont pas revendication prolétarienne mais sous-produits de
la mentalité capitaliste, Bonnot emploie les moyens techniques
modernes mis à sa disposition par le progrès industriel. Il est l’élève
direct des professeurs d’énergie : Barrés, L e Temps, L e Matin.
D ’ailleurs on exagère ses crimes. II viole la légalité ? Sans doute,
mais celle-ci en a vu d’autres dans une république fertile en scan­
dales politico-financiers. Il tue ? Sans doute, mais le capitalisme en
fait tout autant : morts violentes des guerres coloniales, des accidents
provoqués par le « sabotage capitaliste », l’affaire du Titanic par
exemple, morts lentes dans les usines et dans les mines. La grande
presse fait une large place aux crimes de toutes sortes, la littérature
policière empoisonne les esprits, un sport nouveau, l’aviation, fait
chaque jour des victimes.
« [...] S’il est bien de tuer pour se faire les muscles et par plaisir,
pourquoi blâmer Bonnot quand il tue pour le profit et par néces­
sité ? »
Certes, Bonnot et sa bande sont des bandits, mais ils s’attaquent
à des capitalistes et n’intéressent pas la classe ouvrière. Ce qui
est grave c’est que la réaction s’empare de leurs exploits et les
utilise. On peut négliger en effet les affirmations de Maurras. Il
accuse la république d’être responsable du banditisme, comme
s’il n’y avait pas de bandits dans les régimes monarchiques 1 Plus
graves sont les réactions du Temps et de la petite bourgeoisie
apeurée. Ils rendent responsables les révolutionnaires qui prêchent
le mépris des lois et de la propriété. Autour des « bandits tra­
giques », une campagne de presse affole les « honnêtes gens »,
excellent prétexte pour renforcer les effectifs d’une police prompte
à la justice sommaire : en 1912 le policier Guichard abat Bonnot
sur place. Prompte aussi à la lutte anti-ouvrière. On parle même
de distribuer aux policiers des boucliers :
« [...] L ’instrument de défense de la société se met ainsi au
niveau de la société elle-même. Si elle était capable de conserver
un peu de sang-froid, elle se rendrait compte que contre le browning
du désespoir, il n’est pas de bouclier protecteur. »
Mais l’immense tapage fait autour de Bonnot ne doit pas faire
illusion : il ne fera plus école dans la classe ouvrière.
L ’hervéisme est bien plus inquiétant 22. Monatte a eu, un temps,

22. Sur les rapports entre hervéisme et syndicalisme-révolutionnaire,


voir M. R é b é r io u x , « Les tendances hostiles à l’Etat dans la SFIO (1905-
42 alfred rosmer

des indulgences pour Hervé. Il le pensait capable de soulever des


passions utiles au mouvement ouvrier. Rosmer, plus réticent, finit
par se laisser convaincre :
« Pour ma part, fa i été long à m’habituer au ton “ gueulard ”
de la Guerre Sociale, et puis ces “ braillards ” étaient si crânes, ils
payaient si chèrement leurs violences de langage que les préven­
tions les plus ancrées contre leurs déplorables pratiques journa­
listiques tombaient 23. »
Ses réticences venaient en partie d’une opposition de tempérament
et il ne les surmonta jamais complètement. Rosmer avait le plus
franc dégoût pour les braillards et débraillés de tout poil et il était
loin d’en être un. Ses photos de l’époque nous le montrent : grand,
la m o u s Lâche soignée, les cheveux séparés par une raie minutieuse,
le visage mince au nez prononcé. Toujours élégamment vêtu et
cravaté, il garde son veston boutonné, sa pèlerine rejetée sur les
épaules. Ses amis le dépeignent comme une sorte de gentleman
syndicaliste, assez secret, un peu froid. Plus indulgent que Monatte
pour les hommes, il s’insurge contre les erreurs de jugement. Son
grand rire est alors un amical reproche. L e contact ne devait pas
être facile avec Hervé. Pour aggraver les choses, le ton de l’her-
véisme lui devient insupportable dès 1912 : mégalomanie, excès
dans l’antipatriotisme, tempérament dictatorial. Hervé s’imagine que
les ouvriers le suivront comme un bétail aveugle. Lui qui a tant
prôné « Mamzelle Cizaille » et « Citoyen Browning » les rejette
maintenant et il voudrait, d’un froncement de sourcils, les faire
disparaître de l’arsenal des luttes ouvrières. Surtout, rhervéisme
fait irruption dans les affaires intérieures de la C G T et sa rhéto­
rique creuse tend à s’y répandre2*. I l est temps d’agir. Rosmer
approuve entièrement la « rectification de tir » de 1913 qui vise
à éliminer le verbiage venu de l’extérieur et à remettre le mou­
vement syndical sur la bonne route 2S.
L e fondement du syndicalisme-révolutionnaire, doctrine volon­
tariste et optimiste, c’est la croyance en l’efficacité, en la nécessité,
en l’exclusivité de l’action directe. L ’antiparlementarisme, la grève
générale en découlent.

1914) », Mouvement Social, X-XII-1968, pp. 28 et suiv. Né à Brest en


janvier 1871, Hervé est professeur à Sens quand ses articles antimilitaristes
du Pioupiou de VYonne lui valent d'être suspendu puis révoqué. Il s’inscrit
au barreau de Paris mais ne tarde pas à en être radié. En 1906, il a fondé
La Guerre Sociale où il mène de violentes campagnes.
23. AR, VO, 5-IX-1912.
24. On sait qu'Hervé devient ultra-patriote en 1914, donne à son journal
un nom nouveau, La Victoire et soutient Clemenceau. En 1927 il fondera
un Parti Socialiste National de tendance pro-nazi, fait campagne en 1934
pour une révision de la constitution et pour l’appel au maréchal Pétain qu’il
approuve au temps de Vichy. Il meurt en 1944.
25. AR, BS, 3-1-1914.
le syndicaliste révolutionnaire 43

Face au jeu électoral, la position de principe de Rosmer est


nette :
« Les révolutionnaires [...] ne peuvent compter que sur leurs
propres forces 28. »

Il peut se laisser prendre au feu d’une campagne électorale et se


déclarer déçu par les résultats d’un premier tour 27. Ce n’est qu’em­
ballement passager.
Chroniqueur parlementaire de la BS, il est admirablement placé
pour avoir des haut-le-cœur. Il dénonce l’exécrable organisation
du travail à la Chambre, ce théâtre de répertoire où le spectacle
change à chaque séance 2S. Les adjectifs lui manquent pour parler
des discussions et de leur niveau. Elles sont grotesques, démago-
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y A '- 'Ü ^ \_V*Jk * OlJ. J. W lJ

chent, les discussions s’accélèrent : nos députés ne sont que de


grands enfants 2S. Il y a parmi eux de mauvais garnements : Poisson,
« patriote à Elbeuf (dont il est député), internationaliste à Paris 30 »,
Georges Berry, « père des flics et des bistrots 11 », Léon Bourgeois,
« le grand homme et l’homme malade du parti radical32 » , Poincaré
enfin. Les transfuges du socialisme sont ceux qu’il déteste le plus :
célèbres comme Briand et Millerand, obscurs comme Coûtant. Ce
Coûtant a été autrefois ouvrier mécanicien et le rappelle à l’occasion
violemment aux députés du centre :
« Ils sont là une bande de fainéants qui n’ont jamais travaillé. »
Mais ces bons moments sont rares, le personnage s’est fait élire
comme socialiste unifié dans la 3® circonscription de Sceaux après
le reflux des boulangistes. D e la même façon, il s’est fait élire
maire d’Ivry. Puis il quitte le Parti, se rapproche des patrons, reçoit
en grande pompe Poincaré dans sa mairie. Il a trahi le peuple,
il le déshonore par son goût immodéré de la boisson qui fait la
joie des caricaturistes. Dans un de ces articles nécrologiques dont
il a le secret et où il ne s’embarrasse pas d’un hypocrite respect
pour la mort ou pour le mort, Rosmer fait le bilan de cette vie :
« Coûtant d’Ivry est mort, c’est une grande perte pour les bis­
trots Son cas montre que l’air qu’on respire au Palais Bourbon

28. AR, VO, 20-1-1912.


27. AR, VO, 5-V-1914.
28. AR, BS, 16-11-1912.
29. AR, BS, 15-111-1912.
30. AR, BS, 28-11-1912.
31. AR, BS, 6-III-'1912. G. Berry, monarchiste, est élu presque sans inter­
ruption député de Paris de 1898 à 1914 sous l'étiquette de « républicain
rallié ».
32. AR, BS, 26-XII-1912. Bourgeois est l’un des dirigeants les plus en
vue du Parti Radical et, avec son solidarisme, l’un de ses théoriciens.
44 alfred rosmer

ne vaut rien pour les ouvriers. C ’est la morale qu’on peut tirer de
sa vie 3S. »
Tous ces pantins ne pensent qu’à leurs sièges et aux places qui
peuvent s’offrir. L a Présidence de îa République est la plus enviée
avec ses 1 200 000 francs par an, le logement et les voyages « à
l’oeil » , les ristournes et avantages divers. En 1912 les concurrents,
Pams, Poincaré, Bourgeois, intriguent et manœuvrent comique­
ment 34.
Les partis ne sont pas plus ménagés que les hommes. Rosmer
a assisté à quelques réunions publiques de l’Action Française 3;\
Il reconnaît l’habileté de Maurras qui sait donner une apparence
logique à ses partis pris les plus extravagants, mais dans l’ensemble
les royalistes lui semblent « des maniaques en proie à une idée
fix e 36». I l n’a que mépris pour la droite classique, ce conglo­
mérat de modérés de toutes nuances, de nationalistes, de conser­
vateurs où s’esquissent des groupements et des regroupements d'inté­
rêts mais où il n’y a pas de partis. C’est le parti radical, « la radi-
caille », le « marais radical » qui lui inspire le plus de dégoût.
Un dégoût qui va jusqu’à la haine. Les radicaux utilisent le peuple
pendant l’affaire Dreyfus puis le trahissent en refusant d’abroger
les lois scélérates. Ils parlent de leur programme mais chacun sait
que :
« [...] L e programme est le moindre souci des gouvernants :'7. »
Leur but essentiel est de détourner l’attention populaire des vrais
problèmes en faisant tapage autour de la représentation propor­
tionnelle, cette « balançoise erpéiste », autour de l’anticléricalisme
et de l’école laïque.
Pour les militants de la CGT, la Grève Générale est la seule
arme efficace 38.
Comment la voient-ils ? Un point reste stable dans leur concep­
tion : la grève générale est le symbole de l’action directe du prolé­
tariat. S’ils insistent tant sur elle jusqu’au moment où l’autonomie
de la C G T est définitivement assurée, vers 1900, c’est parce qu’elle
permet de se démarquer des partis politiques en prônant une forme
d’action directe particulièrement attrayante pour la classe ouvrière.
Sur sa réalisation concrète, leurs vues ne cessent d’évoluer. Dans
l’atmosphère de défaite des décennies qui suivent la Commune, c’est
à une « insurrection des bras croisés » que l’on songe. L e peuple
travailleur cesse de produire et le monde bourgeois s’écroule. Bien­

33. AR, BS, 31-VIII-1912.


34. AR, BS, 26-XII-1912. Pams est député des Pyrénées Orientales
depuis 1893.
35. AR, VO, 5-VII-1914.
36. AR, VO, 5-XI-1912.
37. AR, BS, 13-11-1912.
38. On se reportera au D.E.S. de Colette C h a m b e l l a n d , La grève
générale.
le syndicaliste révolutionnaire 45

tôt, sous l'influence conjuguée des anarchistes et dans une période


de renouveau du mouvement ouvrier, c'est une grève violente que
l’on imagine. Griffueïhes évoque cette étape :
« Barricades, fusils, attaques et assauts sont des termes qui dispa­
raissent de notre langage. On leur substitue : grève générale, bras
croisés, paralysie sociale. Cette substitution n’indique nullement un
changement dans l’idée que l’on a de la réalisation révolution­
naire 39. »
Les mots ont changé, mais on a retrouvé la conception insurrec­
tionnelle.. Cette période de « Romantisme révolutionnaire » — tel est
le titre de l’article de Griffuelhes — voit la création d’un Comité
d’Organisation de la Grève Générale (1893). D e ce Comité d’Orga­
nisation à un Comité de Propagande puis â la Commission de la
Grève Générale, la décadence des appellations révèle l’évolution
des esprits. Dès le Congrès de Paris (1900), la grève générale
n’est plus qu’un moyen, parmi d’autres. La résolution du congrès
indique :
« [...] la grève générale est un des seuls moyens qui [...] assurent
l’émancipation des travailleurs [...] »
Dire «u n des seuls moyens» c’est dire qu’il y en a d’autres. L ’expé­
rience montre d’ailleurs qu’on ne parvient pas à faire la grève géné­
rale tandis que le nombre des grèves partielles ne cesse d’augmen­
ter. Plutôt que d’opposer stérilement les deux formes de lutte, il
faut les lier. La grève générale, « grande idée représentative de
l’action suprême du prolétariat 40 », symbole d’action directe, arme
absolue contre la guerre, est devenue le ciment qui lie entre elles
les luttes quotidiennes, le levain qui élargit leurs perspectives.
Mais sur le déroulement d’une éventuelle grève générale, sur la
phase révolutionnaire elle-même ou sur la phase post-révolution-
naire, une grande imprécision règne. L a brochure de Pataud et Pou-
get, Comment nous ferons La Révolution (1909), n’est guère prise

39. Action Directe, 23-VIII-1908. Victor Griffuelhes (1874-1923) élevé


au petit séminaire, a d’abord été cordonnier à Nérac, près de Bordeaux.
Il part ensuite sur le « trimard » et s’installe à Paris à 19 ans. Influencé par
l’ancien communard Delacour, il est d’abord blanquiste — et candidat mal­
heureux aux élections municipales à Paris en 1900 — avant de passer au
syndicalisme-révolutionnaire. En 1899, il est secrétaire de l’Union des Syn­
dicats de la Seine, en 1900, secrétaire de la Fédération des Cuirs et Peaux,
en 1901, Secrétaire Général de la CGT. Démissionnaire en 1909, il fonde
la BS. puis la quitte (AN. F7. 13 053). Avant 1914, il est le conseiller
occulte de Jouhaux qu’il suit dans l’Union Sacrée. Il abandonne un temps
toute activité militante mais revient au mouvement après la révolution
russe. Il se rend à Moscou en 1921 et y rencontre Lénine et Trotsky.
40. Lagardelle, discours de Toulouse, cité dans Mouvement Socialiste,
15-XII-1908.
46 alfred rosmer

au sérieux*1. La Révolution faite, on envisage quelques mesures :


expropriation, organisation du travail par les syndicats et quelques
objectifs, dépérissement de l’état notamment, mais tout cela reste
dans le vague.
Rosmer est trop peu théoricien pour tenter un examen théorique
approfondi. Plutôt que La Grève Générale, il étudie les grèves gé­
nérales qui se produisent et s’efforce d’analyser les causes des
échecs successifs. Ce qu’il affirme, c’est que ni les partis sociaux-
démocrates, ni les centrales syndicales réformistes ne peuvent
mener à son terme une grève générale. Nielsen a analysé dans la
V O les causes de l’échec suédois de 1909. Il a expliqué longuement
qu’il ne s’agit pas d’une véritable grève générale mais d’une sim­
ple « grève en masse » d’ampleur particulière. L ’attitude hésitante
des employés d’état ceignant pour leurs retraites et des chefs
sociaux-démocrates soucieux de préserver l’ordre établi est à l’ori­
gine d’une défaite qui laisse de l’amertume :
« On commence à dire tout haut que, dès le début, la grève a
été à dessein dirigée par les chefs politiques d’une façon qui devait
amener pour les ouvriers une défaite complète, afin de les dégoûter

41. Pataud, né à Paris en juin 1870 est l’un des militants les plus hauts
en couleur du syndicalisme-révolutionnaire. Mécanicien-électricien, il est
membre du POF, puis allemaniste, puis blanquiste. En 1902, il passe au
syndicalisme-révolutionnaire. Il organise le syndicat des électriciens de
Paris et, en mai 1907, unifie sous sa direction les divers syndicats d'élec­
triciens de la capitale. Membre de la combattive Fédération des Métaux,
Pataud occupe une position stratégique qui va lui permettre des actions
particulièrement spectaculaires : grève générale des électriciens en 1907,
arrêt général de l'électricité à Paris entre 20 et 22 heures après l’affaire de
Villeneuve-Saint-Georges. En 1908, il écrit un Manuel du parfait électricien-
dont la police dit aigrement qu’il devrait plutôt s’appeler Manuel du partait
saboteur électricien (AN. F7. 13 053). En 1909, il fait deux coups d’éclat.
En juillet, lors d’un banquet à l’Hôtel Continental, il coupe la lumière et
force ainsi le directeur à accepter les demandes des ouvriers électriciens
de son établissement. Poursuivi pour extorsion de signatures, il bénéficie
du non-lieu. En décembre, il réédite la manoeuvre lors d’un gala donné à
l'Opéra en l’honneur du roi de Portugal. En 1910, il doit passer en Belgique
et se retire du mouvement.
Pouget, fils d’un notaire de l’Aveyron monté à Paris, se lie avec d’anciens
communards qui en font un révolutionnaire. Employé aux Magasins du
Louvre, il fonde en 1879 un syndicat d’employés, tente une grève en 83
et se retroùve à la porte. La même année, à l’issue d’un meeting de sans-
travail, il se trouve dans une colonne de manifestants qui pillent les bou­
langeries du Boulevard Saint-Germain. Il se voit condamné à 8 ans de prison
(AN. F7. 13 053). En 1889, il fonde Le père Peinard. Les lois scélérates
de 93-94 le contraignent à chercher refuge à Londres. Il préconise l’entrée
des anarchistes dans les syndicats. Amnistié en 1895, ü rentre à Paris,
popularise l’idée de sabotage. Il écrit dans tous les journaux syndicaux et
syndicalistes.
le syndicaliste révolutionnaire 47

de la lutte sur le terrain syndical et d’éveiller leurs sympathies pour


l’action parlementaire 42. »
Même échec, même trahison en Belgique. En avril 1913, Rosmer
s’ y rend comme correspondant spécial de la BS pour assister aux
préparatifs et au déroulement de la grève générale décidée par le
Parti Ouvrier Belge, affilié à la 28 Internationale. Il est tout d’abord
optimiste : on constate dans tout le pays des achats massifs d’ins­
truments de jardinage, pelles et pioches. L e prolétariat n’est-il pas
en train de s'armer 48 ? Son espoir est vite déçu et il passe à la cri­
tique du mouvement. Une double critique de principe, une critique
de la tactique. On n’a pas fait grève pour des revendications écono­
miques mais pour une revendication d’ordr.e strictement politique :
la conquête du suffrage universel. La grève a été menée par le
rn ApT o) u s s e , £,!■»-, _J.HW
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ics masses, T
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Jtrarti
ont gardé le contrôle étroit du mouvement, ils l’ont arrêté sans
avoir atteint leur objectif, sans avoir épuisé leurs ressources finan­
cières. L e groupe parlementaire s’est montré dès le début disposé
à se contenter d’une vague promesse ministérielle44 et il a suffit
que le chef du gouvernement, le Comte de Broqueville, crée une
commission consultative sur le suffrage universel pour que les
députés socialistes sautent sur l'occasion et votent la confiance.
Mis devant le fait accompli, le Comité National, puis le congrès
du POB n’ont plus qu’à décider la reprise du travail. L e POB, une
fois de plus, a trahi les intérêts de la classe ouvrière belge 45. La
tactique n'a pas été plus brillante. Les dirigeants du POB peuvent
se laisser aller à des violences verbales dans les meetings, mais ils
sont très prudents dès qu’il s’agit d’action. Pour ne pas gêner leurs
alliés de la bourgeoisie libérale, la grève qu’ils organisent est si
calme qu’elle en devient invisible. A Bruxelles, aucun service
public n’est touché et la population s’aperçoit à peine qu’il y a une
g rève46. D ’ailleurs, on s’est complètement fourvoyé sur le plan
pratique : cette grève n’atteint guère les milieux catholiques, adver­
saires du suffrage universel. Elle frappe ses partisans, patrons et
ouvriers. Les ouvriers surtout car on l’a annoncée des mois à
l'avance et les patrons ont pu accumuler des stocks qui leur per­
mettent de tenir. Curieuse conception :
« L a grève générale, dit Rosm er47, n’est plus l’arme suprême
des travailleurs pour lutter contre leurs ennemis et les vaincre ; c'est

42. N i e x s e n , VO, 5-XI-1909, « Les causes d’une défaite. La grève géné­


rale de Suède ». Voir aussi F. P a l m e r , Pages Libres. VIÏ-IX-1909-
43. BS, 14-IV-1913 et suiv. Rosmer suit la grève pour la BS tout au
long de son déroulement.
44. BS, 18-IV-1913.
45. Voir l'article de M. L i e b m a n n , Le Mouvement social, I-III-1967.
46. BS, 16-IV-1913.
47. VO, 20-VI-1913.
48 alfred rosmer

une arme avec laquelle ils se frappent eux-mêmes et, se présentant


en suppliants devant leurs maîtres, ils disent :
— Allez-vous rester insensibles devant nos souffrances ? »
Quand ce sont les centrales syndicales à direction réformiste qui
se mêlent de mener des grèves générales, les résultats ne sont pas
meilleurs. En 1914, l’agitation des syndicalistes, anarchistes, répu­
blicains et socialistes italiens contre le capitalisme et le militarisme
bat son plein. A Ancône, la police se heurte aux manifestants. II
y a des morts, la Confédération Générale du Travail Italienne déci­
de une grève générale de protestation 4\ Après deux jours de grève
(9 et 10 juin), Rigola prend peur et donne l’ordre de reprise du
travail *9. L e gouvernement reprend en mains la situation, rétablit
l’ordre en Romagne. A Ancône, les grévistes sont, restés maîtres de
la ville pendant plusieurs jours et ont instauré une éphémère
« République de Romagne ». Grève générale, prise du pouvoir.
L ’expérience passionne les syndicalistes-révolutionnaires français.
Ils se renseignent aux sources quand Malatesta, pourchassé par la
police doit fuir la région d’Ancône et, en route pour Londres, passe
en France. Il vient à la VO et l’on se réunit autour de lui avec fer­
veur. On le presse de questions.
« Ce que nous avons éprouvé alors, dit Malatesta, c’est un sen­
timent d’absolue liberté. L ’impression était très forte. Tous les
anciens rouages sociaux avaient cessé de fonctionner et une vie
toute nouvelle s’y substituait d’elle-même. »
La ferveur n’est pas tout : les questions se font plus précises.
Pour les syndicalistes-révolutionnaires, une grève générale victo­
rieuse doit être expropriatrice. Pourquoi ne pas avoir immédiate­
ment exproprié les riches ? Pourquoi ne pas avoir occupé leurs mai­
sons ? Du point de vue économique, Malatesta ne peut faire état
que d’une action très fragmentaire.
« Un matin que nous étions réunis à la Bourse du Travail, quel­
qu’un vient et nous dit : — Mais nous ne pouvons pas vivre dans
la saleté, il faut nettoyer les rues. Et aussitôt une équipe de ba­
layeurs fut formée » 50.

48. VO, 5-V II-1914.


49. Rigola, d'abord anarchiste, puis militant de la gauche du PSI, dirige
la CGTI.
50. VO, 5-VII-1914. AR. rapporte les paroles de Malatesta. Ce militant
de 61 ans a derrière lui une longue expérience de révolutionnaire anarchiste.
Influencé par Bakounine avec qui il entre en contact en 1872, il est en
1876 délégué au congrès international de Berne. En 1877, un coup de main
malheureux dans la province de Bénévent le force à fuir. Traqué dans les
montagnes par les carabiniers, pris, il fait deux ans de prison puis voyage
au gré des expulsions (expulsion d'Alexandrie en 1879, de Paris en 1880). En
1883, il rentre en Italie et lance un hebdomadaire. Son Dialogue entre
paysans lui vaut une condamnation en correctionnelle. Il passe en Amérique
le syndicaliste révolutionnaire 49

Puis on organise le ravitaillement en lait et en pain, sans grande


difficulté d’ailleurs car les paysans du voisinage préfèrent venir au
marché que voir les citadins battre la campagne pour assurer leur
ravitaillement. Tout cela sans doute est à la fois exaltant — parce
c’est le prolétariat qui a pris le pouvoir à Ancône — et décevant
— balayer les rues, nourrir les habitants, c’est peu de choses.
Malatesta répond alors que les révolutionnaires tenaient sans doute
la rue mais qu’il y avait 10 000 hommes dans les casernes, des
canonnières dans le port. L a victoire d’Ancône ne fut qu’une vic­
toire locale et l’expérience n’a pu s’étendre et se développer parce
que la C G T I a brisé la grève générale.
En 1913, à l’autre bout du monde, à Johannesburg et dans le
Rand, les syndicats réformistes arrêtent des grèves générales pour­
tant bien engagées dès que le gouvernement durcit son attitude 3L.
Ce qui est remis ainsi en cause, ce n’est donc pas le principe de
La Grève Générale qui, pour Rosmer, est indiscutable, c’est la
capacité, pour des partis politiques et pour des centrales syndicales
réformistes de mener des grèves générales. Seule demeure possible
et nécessaire la grève générale à objectifs économiques, menée par
une centrale syndicale de tendance syndicaliste-révolutionnaire.
Rosmer ne distingue pas la « grève de masses » de la « grève géné­
rale » . A cet égard, il est donc tout à fait caractéristique du mouve­
ment syndicaliste-révolutionnaire qui baptise pratiquement « grève
générale » toute grève de quelque extension, se fournissant ainsi à
lui-même ses motifs de découragement. N i Rosmer, ni ses amis
n’ont tiré profit de l’expérience de la révolution russe de 1905. H
n’y a pas, en France, l’équivalent de la réflexion théorique de Rosa
Luxemburg, de son Grève de masses, parti et syndicats paru dès
1906 52. On peut d’ailleurs se demander ce que les militants ouvriers
français ont connu et retenu du 1905 russe.
L ’optique de Rosmer, en tout cas, son optique exclusive, est
celle du syndicalisme-révolutionnaire. Syndicalisme combatif
« L e mouvement ouvrier [...] s’il n’est pas combatif, il est sans
vertu S3 »

du Sud. et y reste jusqu’en 1889. Rentré en Europe, directeur d’un journal


éphémère, Assodazione, il prêche la tolérance et l’unité d’action des diffé­
rents groupes anarchistes. En 1891, il est l’un des fondateurs du Parti Socia­
liste Révolutionnaire. Fixé à Ancône, il publie en 97-98 YAgitazione.
Arrêté, emprisonné, déporté, il fuit à Londres et y reste jusqu’en 1913 avec
l’intermède du congrès anarchiste d’Amsterdam où une controverse célèbre
l’oppose à Monatte. Pendant la guerre, Malatesta restera fidèle à l’idéal
internationaliste et signera le cinglant Anarchistes de Gouvernement en
réponse au Manifeste des 16. En 1919, il fait à Milan un retour triomphal
et publie Umanita Nova pendant les grèves de 1920. Isolé, surveillé étroi­
tement par la police fasciste, il meurt en 1932.
51. AR, VO, 20-VÏI-191S.
52. Réédition récente en 1964.
53. AR, VO, 20-XI-1912.

4
50 alfred rosmer

et efficace
« L e mouvement ouvrier ne se mesure qu’aux fruits qu’il
donne 54 », mais étrangement aveugle à ce qui n’est pas lui-même.

Dans cette optique, il faut situer Rosmer par rapport aux débats
du mouvement ouvrier international.
Lui-même refuse toute relation d’organisation avec une 2e Inter­
nationale sévèrement critiquée et limite son action au mouvement
syndical.
Bien avant 1914 ses amis et lui critiquent la social-démocratie et
les socialistes parlementaires. L e réformisme, disent-ils, prolonge
artificiellement le capitalisme, il entretient des illusions et détourne
la classe ouvrière de la seule voie efficace et radicale, celle des
expropriations. Les partis sociaux-démocrates praüqueui. la. cu'labo-
ration de classe. En leur sein même coexistent ouvriers, intellec­
tuels, membres des professions libérales, au détriment des premiers.
La CGT, elle, ne recrute que des travailleurs, c’est donc la seule
organisation prolétarienne. Sans doute pourrions-nous poser ici le
problème de Thomogénéité de la classe ouvrière, de ses structures
sociales, des rapports existant entre ces structures et les tendances.
Nous serions entraînés trop loin. Il nous suffira de bien marquer
que les syndicalistes-révolutionnaires opposent une C G T sociale­
ment homogène au Parti Socialiste socialement hétéroclite.
L a collaboration de classe est bien plus grave encore sur le plan
tactique : les partis sociaux-démocrates mènent une politique de
cartel avec la bourgeoisie, libéraux ici, radicaux ailleurs. Ceux-ci les
utilisent pour calmer le peuple et ils ne s’en cachent pas. Rosmer
relève deux aveux 85 : G. Ponsot dans la Grande Revue (25-X-1913)
demande aux socialistes de bien vouloir « canaliser le syndica­
lism e51* » ; le député libéral Lloyd George déclare plus cynique-
ment encore que les socialistes sont les policemen du syndicalisme.
La pratique du Cartel met au service d’une fraction de la bour­
geoisie la force ouvrière, alors que c'est la bourgeoisie tout entière
qui doit être combattue S7.
En France, en Angleterre, en Belgique, la politique de Cartel
sévit. Aux élections françaises de 1914, les socialistes et les radi­
caux, unis contre la Fédération des Gauches de Briand et Barthou,
gagnent les élections. Les socialistes gagnent 29 sièges et ont 102
députés. Rosmer qui donne sans grands commentaires les résultats

54. AR, VO, 5-X-1913.


55. VO, 5-XI-1913.
56. « L e Parti Unifié a renoncé à son romantisme d’Outre-Rhin [...] Nos
socialistes [...] sont devenus pratiques Ils n’ont pas tort. La besogne
actuelle [...] est double : canaliser le syndicalisme ou tout au moins détendre
le socialisme contre le syndicalisme [...] ».
57. AR, BS, 6-V-1913.
le syndicaliste révolutionnaire 51

électoraux 5% montre qu’à la Chambre le système du Cartel paralyse


le groupe parlementaire socialiste. Il le met à la remorque des
radicaux pour toute une série de revendications qui n’intéressent
pas le prolétariat : représentation proportionnelle, impôt sur le
revenu, défense laïque. Dans les questions vitales, le PSTJ reste
inactif et trahit ses promesses électorales59. Il avait promis de faire
abroger les lois scélérates votées en 1893 dans l'atmosphère de la
lutte contre les anarchistes et qui menacent tous les vrais révolu­
tionnaires de leurs dispositions plus dures que celles des lois répres­
sives de la Restauration et de l’Empire. Les élections passées, le
ton change. Guesde a bien un projet d’abrogation mais il le défend
en expliquant longuement la différence entre le socialisme et
l’anarchie. Il affirme notamment que
« [. .. ] fit an£trçl"nsT"oe ont toujours été en lutte ouverte
et n écessaire 60 » .

Dans un tel débat, c’ est, pour Rosmer, une lâcheté évidente.


Bien plus récente (juillet 1913) est la loi des trois ans. Consé­
quence de la poussée nationaliste, elle prouve à la fois l’inefficacité
de l’alliance russe et les difficultés marocaines. Elle maintient le
contingent sous les drapeaux pour une durée inadmissible, les sol­
dats protestent et les socialistes ont mené une ardente campagne
pour son abrogation. Sitôt élus, ils oublient leurs promesses et
quand Vaillant dépose un projet de loi d’abrogation, il doit le faire
à titre personnel.
En Angleterre, le Labour quoique théoriquement dégagé des
servitudes électorales « Lib-Lab » , est pratiquement à la disposition
des libéraux. Ses députés, en trop petit nombre, ne veulent pas
définir une ligne de conduite autonome ou ne parviennent pas à
le faire. Ils ont notamment laissé passer une loi sur les Assurances
Sociales qui va paralyser l’action des Trade-Unions cl.
En Belgique, le suffrage universel n’existe pas. Un système de
vote plural avantage les pères de famille et les capacités. L e sys­
tème permet aux catholiques de se maintenir au pouvoir. Les radi­
caux condamnés à l’opposition ne voient d’issue que dans le suf­
frage universel pur et sim p le63. Ils parviennent à persuader les
socialistes de les épauler. Une alliance électorale est conclue. Mais
les listes communes de socialistes et de radicaux donnent de piè ­
tres résultat»;. Rosmer pense que les petits bourgeois ont pris peur
tandis que les ouvriers, hostiles à la collaboration de classe, refu­

58. VO, 5-V-1914.


59. BS, 21-VII-1913 et VO, 20-VI-1914.
60. J. Guesde, Quatre ans de lutte de classe à la Chambre, 1901, 285 p.,
p. 83.
61. BS, 19-VIII-1912.
62. Voir Liebmann, art. cit.
52 alfred rosmer

saient leurs voix B3. L e Parti Ouvrier Belge va alors jusqu’à déclen­
cher sa grève générale pour le suffrage universel. Répétant l'erreur
de 1893 et 1912, il fait en 1913 une tentative dont nous avons
parlé et qui se solde par un échec. On ne peut mettre plus ouver­
tement la classe ouvrière au service de la bourgeoisie.
Il n y a pas de bons socialistes pense Rosmer qui ne croit pas aux
distinctions entre tendances et pense que la structure indirecte de
certains partis favorise encore plus la dégénérescence électoraliste.
En France, son rôle de chroniqueur parlementaire, son assiduité de
reporter aux congrès socialistes lux permettent d’avoir une vue directe
de la situation dans le FSU. Les tendances, il n’y croit plus 64. Les
possibilistes se groupaient autour de Brousse, « pantin ridicule qui
se prend au sérieux as ». Mais à 35 ans, Brousse abandonne son
idéal socialiste et sa tendance n’y survit pas 6<\ Les allemanistes ont
disparu, sauf Groussier. Mais celui-ci a oublié depuis longtemps
son passé d'ingénieur des Arts et Métiers devenu secrétaire de la
première Fédération des Métaux. Député de la Seine depuis 1893,
il est devenu parlementaire retors, défenseur de la représentation
proportionnelle, ami des patrons de sa circonscription67. Il n'y a
plus que le vieux Vaillant0S. Rosmer l’a rencontré en 1913 quand
on traîne devant les tribunaux des soldats qui ont protesté contre les
trois ans. L a BS ouvre une souscription et Vaillant veut être parmi
les premiers souscripteurs. Mais Vaillant est pratiquement un
isolé 69. L a tendance dite « syndicaliste » 70 a toujours eu un effectif
minuscule et elle ne fait plus parler d'elle. Enfin, guesdistes et
jauressistes se sont rapprochés. Au congrès de 1912 (Lyon, 18-21-
II), les guesdistes ont encore beaucoup de cohésion et ils dominent
les débats. Rosmer écrit à Monatte :
« Guesde est le coq du congrès, il est en pleine forme et autour

63. Art. cit., sur la grève générale belge.


64. VO, 5-IV-19IS.
65. BS, 8-XII-1912.
66. BS, 3-IV, 1912.
67. Groussier (1863-1957) est aussi un franc-maçon actif et deviendra
l’un des hauts dignitaires du Grand Orient. Vice-président du comité de
défense du camp retranché de Paris en 1914, il présidera la Chambre des
Députés de 1917 à 1921.
68. Le passé de Vaillant parle pour lui. Né en 1840, médecin, militant
blanquiste, Vaillant est délégué à l'enseignement sous la Commune. Exilé
puis amnistié, il fonde dès son retour le Comité Socialiste Révolutionnaire
de tendance blanquiste. Il combat le ministérialisme. Député de Paris
depuis 1893, il est le leader de la gauche du PSU.
69. Rosmer attend 1956 (RP., X-56) pour rendre cet hommage à
Vaillant : a une honnêteté que même sa longue vie parlementaire n’entama
jamais. »
70. Sur la tendance a syndicaliste » voir M. R é b é r io u x , « Les ten­
dances hostiles à l'état dans la SFIO (1905-1914) », Mouvement Social,
X-XII-1968, p. 26 et suiv.
le syndicaliste révolutionnaire 53

de lui ses fidèles font un succès à toutes ses saillies. II semble qu’il
y a un réveil du guesdisme [...] 71. »
Rosmer d’ailleurs déteste le guesdisme pour ses tares politicien­
nes et parlementaires. I l pense que Guesde est devenu ministéria-
liste dès 1894. Il déteste le guesdisme pour sa pratique du socia­
lisme municipal qui sévit surtout dans le Nord. L a critique du
socialisme municipal est d’ailleurs faite par de nombreux syndica-
listes-révolutionnaires et Pages Libres publie contre son application
roubaisienne de violents articles qui sont peut-être de Merrheim 72.
Il le déteste enfin pour son intolérable théorie de la subordination
du syndicat au parti.
Reste à déterminer la position de Rosmer par rapport aux jau-
ressistes. Nous ne devons pas nous laisser entraîner par la phrase de
Monatte : Rosmer regardait Jaurès « avec des yeux plus sympathi­
ques que nous ». Elle est très postérieure 7S. Les unifiés ne s’y trom­
pent pas. Une anecdote en témoigne : la première fois que Rosmer
va à l’imprimerie de la V O , il se fait prendre à partie par le
gérant :
« C ’était bien facile d’attaquer Jaurès dans le dernier numéro
mais il vaudrait mieux payer ceux à qui on demande d’imprimer
ces attaques 74 ».
Reportons-nous donc aux articles de Rosmer antérieurs à 1914. Ils
montrent bien peu de sympathie pour Jaurès. S’il admet volontiers
que Jaurès n’attaque jamais nettement le syndicalisme-révolution­
naire, il n’y voit qu’une preuve de duplicité :
« Quand il voit le syndicalisme dans une passe difficile, il est fort
capable de lui asséner, de ses lourdes mains, un coup de marteau
pour le remettre. Et il peut aussi écrire trois articles de deux colon­
nes pour dire les vertus, la noblesse, la grandeur du syndicalisme75 ».
C’est d’un ton persifleur que Rosmer commente les élections de
1914 :
« Jaurès est récompensé de son goût pour les questions mili­
taires : il va avoir une véritable armée sous ses ordres 76 ».
Interviewé en 1962, Rosmer, réticent, car c’est pour un numéro
spécialement consacré à Jaurès qu’on l’interroge 77, indique claire­
ment les points de friction. La redondance de Jaurès d’abord :

71. Archives Monatte, 11-1912.


72. 18-111-1905.
73. RP, octobre et nov. 1959, janv. 60, « Il y a 50 ans, la fondation
de la VO ».
74. RP, janv. 1951.
75. VO, 20-11-1913.
76. VO, 5-V-1914.
77. Le Mouvement Social, avril-juin 1962.
54 alfred rosmer

<c II n’avait pas le ton de Ja conversation : on pouvait attendre


de lui beaucoup de choses mais point de parler simplement. »
Les débuts des discours lui semblent théâtraux, très « Comédie
Française ». Sur le plan politique, les deux premiers contacts sont
mauvais. L ’anarchiste Rosmer ne peut oublier la querelle des mandats
qui, au congrès de la 2° internationale à Londres, en 1896 permet
d’éliminer tous ceux qui ne reconnaissent pas la nécessité de l’action
politique. Jaurès a pesé dans le mauvais sens en soutenant les pré­
tentions de Millerand et de Viviani, pourtant non mandatés par une
organisation, à participer aux débats simplement parce qu’ils
étaient députés. L e petit rapprochement du temps de l’affaire D rey­
fus ne dure guère : à l’issue de l’affaire, Jaurès accepte la grâce et
appuie Millerand. Malgré ces réticences, Rosmer affirme que de
tous les leaders sociaux-démocrates, c'est encore avec Jaurès qu’on
parvient le mieux à s’entendre.
Quoi qu’il en soit, la réconciliation des jauressistes et des gues­
distes au congrès de Brest, en 1913, signifie la fin des tendances
dans le PSU 78. Rosmer pense que les tares du parti en seront aggra­
vées. Les chefs dit-il :
« ont conclu la paix sur le dos des masses socialistes ». Ils dis­
cutent maintenant des affaires du Parti en petit comité occulte et
tout-puissant qui s’appuie sur tous ceux qui s’accrochent « à la
gamelle ». Les derniers opposants, guesdistes irréductibles, provin­
ciaux furieux de tant de désinvolture, sont paralysés. Des féodalités
se créent dans le Parti : parlementaires qui refusent de payer leur
ristourne, fédération du Nord qui détient, au congrès de Brest plus
de voix que 48 petites fédérations réunies. Une telle situation ne
peut que choquer le membre d’une C G T où chaque syndicat ne
dispose que d’une voix, quelle que soit sa taille. L ’élimination des
luttes de tendances signifie enfin l’effondrement du niveau des dis­
cussions. Comme on ne se bat plus pour des idées, les congrès ne
sont plus qu’étalage de linge sale, règlements de comptes, manœu­
vres de couloir. On escamote les points délicats comme la question
des rapports parti-syndicat et on orchestre des votes d’unanimité
sur la représentation proportionnelle
En Italie, le Parti Socialiste vient d’exclure son aile droite avec
Bissolati. Celui-ci, éditeur de YAvanti de 1896 à 1903 puis de 1908
à 1910, journaliste à Critica Sociale, a été exclu en 1912 parce qu’il
approuvait la guerre de Tripolitaine80. L e Parti reste divisé en
deux tendances, les réformistes de gauche et les révolutionnaires.
Mais ces tendances sont très théoriques. Même à l’état embryon­

78. VO, 5-ÏV-1913.


79. BS, 23-111-1913.
80. Né en 1857, il dirige pendant la guerre le groupe des socialistes
interventionnistes et sera ministre jusqu’en 1918. Il meurt en 1920.
le syndicaliste révolutionnaire 55

naire, il n’a pas de tendance syndicaliste. Quatre « socialistes-syn-


dicalistes » viennent d’être élus, mais ils ne doivent pas faire illu­
sion. D e syndicalistes, ils n’ont que l’étiquette, jugée électoralement
payante. C’est en dehors du PSI que s’est formé le petit groupe
« syndicaliste-électionniste » que dirige Michel Bianchi, dirigeant
de la Bourse du Travail de Parme et animateur, depuis 1907, de
violentes grèves d'ouvriers agricoles. Bianchi a obtenu 1 000 voix
aux élections à Ferrare et dirige un journal, La Battaglia. Mais
l’importance de son groupe reste infime 8t.
Ailleurs, la structure même des Partis aggrave les réserves de
Rosmer : structure indirecte qui mêle aux adhérents individuels les
adhérents collectifs, syndicats ou coopératives. C ’est la situation du
Labour Party qui domine le socialisme britannique : des adhérents
individuels, des trade-unions adhérentes. Un syndicaliste-révolution-
naire n'a guère à se préoccuper des difficultés internes que peut
soulever ce type de structure, mais on sait que l’un des premiers
efforts des militants de la C G T est de dissuader les syndicats
d’adhérer, en tant que tels, aux partis, socialistes ou autres. A cet
égard, le Labour est bien l’exemple à ne pas suivre et si faire se
peut à détruire. L e Trade-Union Congress a adhéré au Labour et
on voit les dirigeants syndicaux se muer en dirigeants politiques et
en membres du Parlement. Pour Ramsay Mac-Donald qui dirige le
Labour, Rosmer n’a que dédain et mépris : ce parlementaire ne
voit pas au-delà des murs de Westminster ; ce Millerand anglais
deviendra un jour ministre a". Suprême injure !
Il est persuadé que le Labour ne représente ni 3a classe ouvrière,
ni les socialistes, ni les syndicalistes et on pourrait penser qu’il a
plus d’indulgence pour les groupuscules socialistes, les Fabiens ou
le British Socialist Party. Il n’en est rien. L e petit groupe intellec­
tuel des Fabiens fait grand bruit autour de son programme d’action
immédiate mais celui-ci n’est, à tout prendre, que le programme
minimum du Labour a3. Ce sont de pâles réformistes et les W ebb
personnifient bien les défauts du groupe. Sidney W ebb a été fonc­
tionnaire au Ministère des Colonies et en a démissionné en 1891
pour rentrer au conseil municipal de Londres. En 1892, il épouse
la fille d’un riche industriel et se consacre avec elle à la Société
Fabienne et à l’étude des questions sociales. Ils fondent en 1913
le New Stàtesman. Mais
« ils ne se mêlent pas aux mouvements des masses qu’ils n’aiment
guère d’ailleurs. Ils décrivent les mouvements prolétariens du coin
de leur feu. Ils examinent les revendications ouvrières avec la
même curiosité qu’un géologue étudie les couches de terrain, sans
plus de sympathie 84 ».

81. VO, 5-XI-1913.


82. VO, 5-20-XI-1911.
83. VO, 20-X-1911.
84. VO, 20-1-1913.
56 alfred rosmer

Qu’un anticonformiste, un tempérament révolutionnaire comme


Shaw soit Fabien, cela ne prouve pas l’ardeur révolutionnaire du
groupe, cela prouve l’esprit de contradiction de Shaw.
L e British Socialist Party d’Hyndman 85 est le parti de l’électo-
ralisme naïf :
« Après les élections, les candidats malheureux trouvent qu’il y
a dans le Parti une tendance à donner trop d’importance à l’action
parlementaire et à négliger l’action syndicale et révolutionnaire.
Viennent de nouvelles élections, tous sont de nouveau sur les
rangs 36 ».
La division organique qui existe en Angleterre n’est qu’un leurre
de peu d’avantages : tous les partis socialistes anglais se valent.
L e PO Belge est bâti selon le même procédé d’amalgame bizarre
de membres individuels, de coopératives, de syndicats. Ces derniers
n’occupent qu’une place secondaire et les activités politiques les
saignent de leurs meilleurs militants. Les coopératives en font des
administrateurs et le POB en fait des échevins ou des députés S7.
Colosse parlementaire (avec 39 députés, le groupe social-démocrate
des chambres belges est relativement plus nombreux que le groupe
français), le POB est un colosse paralysé et paralysant. Il lutte
contre toute velléité d’action syndicale autonome et les conditions
de vie et de travail de la classe ouvrière belge sont exécrables.
Notons deux silences de Rosmer : pas un mot sur la social-démo-
cratie allemande ou sur le Parti russe. Sur la situation du socia­
lisme allemand, le groupe de la V O a publié un article d’un univer­
sitaire socialiste qui connaît bien les questions allemandes, Andler.
Ce Socialisme impérialiste dans VAllemagne contemporaine a fait
quelque b ru it88. Sur les russes, la V O est pratiquement muette.
On sait que Rosmer ne parle bien ni allemand, ni russe. N ’ayant
pas accès direct aux documents, il se tait sur ce qu’il ignore ou
ne connaît que par ouï-dire. A notre connaissance d’ailleurs, il n’y
a pas de contacts entre le groupe de la V O et l’aile gauche de la
social démocratie internationale, ni avec les bolcheviks, ni avec
Rosa Luxemburg. En partie sans doute parce que le groupe de la
VO ne croit pas à la possibilité d’une gauche authentique dans la
social démocratie.

85. Hyndman (1842-1921) a été journaliste à la Pàll Mail Gazette et


spécialiste des affaires russes et hindoues. En 1880, il rencontre Marx,
fonde en 1881 la Fédération Démocratique de Londres qui devient la
Social-Democratic Fédération. Membre du BSI de 1900 à 1910, il fonde
en 1911 le British Socialist Party. Devenant de plus en plus nettement
anti-allemand, il sera majoritaire de guerre.
86. VO, 5-X-1910.
87. BS, 14-IV-1913.
88. VO, 5 et 20-11, 5-III-1913. L ’article d’Andler est repris de UAction
Nationale des 10-XI et 10-XII-1912.
le syndicalisme révolutionnaire 57

En fait, Rosmer et ses amis se sentent totalement étrangers au


monde de l’Internationale politique. C ’est dans le cadre du mou­
vement syndical qu’ils entendent agir.
Trois modèles y sont en présence et s’y disputent la prééminence.
A droite, le mouvement syndical anglais : des syndicats de métiers
politiquement modérés font partie intégrante du Labour Party. Au
centre les syndicats allemands : des syndicats d’industrie se récla­
ment du socialisme et s’en remettent totalement sur le plan politi­
que au parti social-démocrate. A gauche, le syndicalisme-révolu­
tionnaire français affirme son indépendance par rapport aux partis
socialistes et aux « sectes » anarchistes. Il prône l’action directe et
la grève générale.
C ’est parce qu’il favorise la prolongation du système capitaliste
que le réformisme syndical est dangereux. Il berce le prolétariat
d’illusions, illusion des « paradis ouvriers » , illusion des nationali­
sations notamment. Les « paradis ouvriers » sont naturellement aux
antipodes, dans les dominions britanniques de Nouvelle-Zélande,
d’Australie, d’Afrique du Sud. A beau mentir qui vient de loin. Si
Ton en croit leurs chantres, la législation sociale y améliore radica­
lement les conditions de vie et de travail. Certains s’y laissent
prendre et émigrent, parmi eux Lansbury séduit par le mirage
australien en 1884. Sitôt débarqué il constate que les salaires sont
misérables, les chômeurs nombreux. Rentré à grand-peine en
Europe en 1885, il entreprend une campagne d’explications 89.
Celle-ci ne parvient sans doute pas à dissiper les illusions puisque
Rosmer, plus de 10 ans plus tard, doit s’en prendre à son tour à ces
mensonges90. En fait de réformes, la Nouvelle-Zélande a singé
celles des réformes européennes qui avaient le plus de chances
d’endormir la classe ouvrière. La journée de huit heures reste théo­
rique puisque aucune loi ne la protège. L a retraite n’est assurée qu’à
partir de 66 ans. Les habitations à bon marché construites par le
gouvernement se trouvent s i . loin des usines que les ouvriers ne
peuvent y habiter. Les conflits du travail sont réglés par une com­
mission d’arbitrage mixte : un juge, un patron, un ouvrier que de
fortes indemnités détachent de sa classe. Ce sont les tribunaux qui
fixent le taux des cotisations syndicales, suffisamment bas, on s’en

89. RP, mars 1952. George Lansbuxy (1859-1940), d’abord radical,


puis libéral, évolue à son retour d'Australie et sous l’influence d’Hyndman.
Il rejoint la SDF puis l’ILP. Il se fait une popularité en militant pour l’hu­
manisation des lois d’assistance et pour la réinstallation à la campagne des
chômeurs. En 1910, il est élu député et fait figure de chef de la gauche
travailliste. En 1911, il fonde le Daily Herald. Réservé pendant la guerre,
il se montre opposé en 1919 à toute opération antisoviétique. Son Lans-
bury’s Labour Weekly est l’organe de la gauche du Labour à partir de
1925. En 1920 et en 1926, il fait des voyages en Russie. Membre du
deuxième cabinet Mac-Donald, il reste jusqu’en 1935 l’un des leaders
du Labour.
90. VO, 5-20-XI-1911.
58 alfred rosmer

doute, pour que les syndicats n’aient aucune puissance. L e voyage


enfin est un piège : il n’en coûte que 150 francs pour aller
d’Europe en Australie, mais le retour se paie 375 francs.
L a légende rose qui entoure le réformisme sud-africain n’a pas
plus de réalité ®l . En Afrique du Sud on exploite à fond les notions
de race, de patrie, d’empire pour détourner les ouvriers des reven­
dications économiques. L'exploitation est scandaleuse, le taux de
mortalité dans les mines très élevé. Botha, « fermier biblique »,
héros de la guerre des Boers devenu premier ministre de la colonie,
impose une véritable dictature : il lance ses paysans contre les
ouvriers rebelles et expulse les meneurs vers l’Angleterre.
Les nationalisations ne trouvent pas plus d’indulgence en Ros­
mer :
« L a nationalisation des services publics ne sert en rier les inté­
rêts des travailleurs. Elle ne leur donne aucune garantie et a sou­
vent pour effet de rogner leur liberté 92 ».
L ’organisation internationale qui regroupe les syndicalistes réfor­
mistes est le Secrétariat Syndical International de Berlin, lié à la
II® Internationale. L e groupe de la V O porte sur cet organisme
une appréciation nuancée pour des causes que nous analyserons.
Par contre il mène une lutte ardente contre les expressions natio­
nales du réformisme syndical : en Allemagne, en Angleterre, aux
USA, en France.
Parlant des syndicats allemands, Rosmer s’exclame :
« Ah ! Si le nombre, si l’encaisse étaient tout, on pourrait parler
alors d’hégémonie allemande. Mais le rayonnement, l’influence, ne
dépendent ni de l’encaisse, ni du nombre. Ils n’en dépendent pas
uniquement93. »
Des gros bataillons qui rendent prudents, des responsabilités finan­
cières qui paralysent, Rosmer est beaucoup plus net dans sa con­
damnation qu’un Merrheim qu’on sent secrètement impressionné °'1.
, Les Anglais critiquent ouvertement la « voie française », celle du
syndicalisme-révolutionnaire. Ramsay MacDonald dans la Socia­
list Revietv d’octobre 1911 réfute la grève générale 9S, B. et S.
W ebb publient un Examen de la doctrine syndicaliste fort criti­
que w qui condamne le syndicalisme-révolutionnaire comme une

91. VO, 5-VI-1914.


92. VO, 20-111-1914.
93. VO, 5-X-1913.
94. Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à notre article :
« Métallurgistes français et métallurgistes allemands, leurs rapports dans
le cadre de la Fédération Internationale des Ouvriers sur Métaux de 1890
à 1933 », Bulletin de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de
Strasbourg, mars 1968, pp. 595-612.
95. Cité dans VO, 5-20-XI-1911.
96. Compte rendu du livre par A.R., VO, 20-1-1913.
le syndicaliste révolutionnaire 59

forme néfaste d’action syndicale. Publié par le Parti Socialiste


Unifié, ce livre est par ailleurs un élément dans la controverse per­
manente entre socialistes et syndicalistes révolutionnaires en
France. Rosmer contre-attaque. Les Trade-Unions anglaises prati­
quent l’immobilisme 9T. Gros effectifs, caisses bien garnies, nom­
breux permanents, elles se vantent de leur réussite. Mais les per­
manents s’assoupissent d’autant plus qu’ils ont ou espèrent avoir
un siège aux Communes. Ils se contentent d’administrer sagement
leurs caisses. Les syndicats jouent auprès des ouvriers le rôle de
mutuelles mais sont incapables de combattre. Leurs dirigeants sont
€ [...] des leaders d’une autre génération, bons comptables et
honnêtes trésoriers, mais devenus de prudents fonctionnaires,
étrangers à tout esprit de classe et ennemis des mouvements de
révolte féconds [...] s>.
Pendant les crises, ils ne mènent d’action efficace ni contre le chô­
mage, ni contre les baisses de salaires. A la grève, ils préfèrent la
discussion : on s’assied autour d’une table avec les patrons et on
marchande comme des commerçants. Ils admettent même le contrat
collectif avec arbitrage obligatoire. La nouvelle loi sur les Assu­
rances Sociales va accroître leur paralysie car Lloyd George, avec
la complicité du Labour, confie aux Trade-Unions la charge de per­
cevoir les cotisations et de distribuer les fonds. Enorme tâche
bureaucratique qui absorbera complètement les militants syndicaux
et achèvera de détruire en eux toute velléité révolutionnaire fl8.
Aux Etats-Unis, c’est sur l’American Fédération of Labor, l’orga­
nisme syndical le plus puissant que Rosmer concentre ses critiques.
Depuis 1880, elle est devenue réformiste. A la réflexion, le terme
réformiste lui paraît encore trop flatteur pour caractériser sa tacti­
que d’empirisme au ras du sol, d’action au jour le jour, d’étroite
adaptation aux conditions de temps et de lieu. Les fonctionnaires
syndicaux qui discutent en hommes d’affaires avec les hommes
d’affaires finissent par leur ressembler. Ils en viennent à pactiser
avec les patrons qu’ils devraient combattre. La masse syndiquée
s'habitue peu à peu à ces pratiques. Quand, au banquet de la Natio­
nal Civic Fédération, Gompers, président de Ï’A F L , s’assied sans
sourciller à côté du président de l’Anti-Socialist League, le fait
arrache un cri d'indignation à Rosmer et aux syndiqués A FL... de
timides protestations **. D e la base au sommet, c’est la collaboration
de classes la plus évidente. En politique, elle se traduit par un sor­
dide marchandage avec les deux grands partis, ce que Gompers
appelle :
« Récompenser nos amis et punir nos ennemis. »

97. VO, 20-XI-1910.


98. BS, 19-VIII-1912.
99. VO, 20-IV-1911.
60 alfred rosmer

En France, les réformistes sont minoritaires à la C G T. Mais,


parce qu'ils sont à la C G T, ils représentent un danger mortel et il
faut les combattre sans relâche. Certes, l’extrême-droite ouvrière se
tient à l'écart de la C G T comme le font les plus modérés des mi­
neurs. Certains mécaniciens préféreront se laisser exclure que de
fusionner avec la Fédération des Métaux qu’ils jugent trop révolu­
tionnaire. Mais la droite réformiste de la C G T est solidement im­
plantée dans certaines régions (le Nord) et certaines fédérations (le
Livre). Adossée aux puissants syndicats allemands et aux Trade-
Unions anglais qui sont ses modèles, elle a son journal de tendance,
la Revue Syndicaliste, où écrivent Coupât, secrétaire des Mécani­
ciens et bête noire des militants révolutionnaires des Métaux qui
chahutent ses réunions aux cris de « on va couper Coupât », Keufer,
N iel du Livre. Elle est parvenue à pousser l’un des siens, Niel, au
secrétariat général de la C G T — pour très peu de temps il est vrai.
L a vivacité de la lutte de tendances estompe parfois la réalité
de la lutte de classes. C’est à partir de 1909 que les syndicalistes-
révolutionnaires s’organisent pour la lutte de tendances, sans doute
parce qu’ils se sentent alors menacés. « Curieuse année 1909 » dira
Monatte 10°. Après la Charte d’Amiens, les révolutionnaires s’atten­
daient à un élan vers les syndicats, à la montée en flèche des effec­
tifs. L e contraire se produit : les effectifs stagnent ou reculent,
l’action piétine. Pourtant la combativité ouvrière n’a pas diminué
et, à la C GT, les révolutionnaires progressent. Les Métaux viennent
d’en finir avec l’émiettement des fédérations de métiers en réalisant
leur unité (1909). Raoul Lenoir qui avait été en 1902 le candidat
des réformistes à la direction de la V oix du Peuple contre Pouget,
accepte de siéger aux côtés de Merrheim, de Labe, de Blanchard,
au bureau fédéral des Métaux, ce qui équivaut à un ralliem ent10L.

100. RP, oct. et nov. 1959, janv. 1960, art. cit. On consultera aussi
AR, RP, janv. 1951.
101. Au secrétariat collectif de la Fédération des Métaux, dominé par
Merrheim, Lenoir est le pondéré, Blanchard le turbulent, Labe le falot.
Raoul Lenoir, né dans la Somme en 1872, vient de la Fédération des Fon­
deurs. Minoritaire de guerre, il a, après la guerre, une influence décisive
sur Merrheim car il pèse en faveur du ralliement à Jouhaux. Après la mort
de Merrheim, il sera le grand homme des Métaux. Marius Blanchard
(1879-1931) resté très anarchiste de tempérament et de comportement,
accumule les condamnations (1906, 1907, 1912) que lui valent de fougueux
discours et un goût marqué pour l’action directe. Frossard (De Jaurès à
Léon Blum, p. 76.) le présente ainsi : k [...] De stature herculéenne (il)
clouait sur place les interrupteurs en les menaçant de les prendre par le
col pour les mettre à la porte ». Après guerre, il reste â la Fédération CGT
des Métaux et entre à la SFIO en 1923. Alphonse Merrheim qui est l’une
des figures les plus controversées du mouvement syndical français, vient
de la Fédération du Cuivre et a été ouvrier chaudronnier. Obscur provin­
cial, arrivé de son Nord natal au secrétariat des Métaux où il fallait quel­
qu’un du Cuivre, il s’impose peu à peu. ïl restera secrétaire de la Fédé­
ration de 1909 à sa mort, en 1924.
le syndicaliste révolutionnaire 61

Des chefs réformistes sont battus ou menacés dans leur fédération :


G u é r a r d , le premier secrétaire du Syndicat National des Chemins
de Fer, Coupât, Basly, véritable symbole du réformisme chez les
mineurs, Keufer. Mais au niveau de la direction confédérale il y a un
incontestable malaise. Les manœuvres policières et gouvernemen­
tales ont porté leurs fruits. Latapie, éphémère secrétaire des Métaux,
passe pour être l'homme de Briand. Les bruits de ce genre sont
difficiles à prouver ou à détruire, mais dès qu’ils circulent, ils trou­
vent des oreilles complaisantes et des diffuseurs bénévoles. Latapie
pousse le trésorier de la CGT, Lévy, à un examen soupçonneux des
comptes de Griffu elhes, secrétaire général. Désordonné et coléreux,
celui-ci affirme qu'il a toujours agi au mieux des intérêts de la CGT,
se refuse à toute explication patiente et part en claquant la porte.
N iel mis en place par les réformistes ne peut se maintenir après son
malencontreux discours de Lens (16 juin 1909) 102. Jouhaux, poussé
par les révolutionnaires, le remplace. Trois secrétaires généraux se
sont succédés rapidement. Les militants qui connaissent les dessous
médiocres de ces querelles, les adhérents qui les soupçonnent sont
désorientés et déçus.
Monatte et quelques autres s’interrogent alors sur la conduite à
tenir. Il n'est à aucun moment question d’accepter la confusion idéo­
logique d’une sorte de « Front Révolutionnaire » où se retrouveraient,
comme chez Hervé, les anarchistes, les socialistes, les syndicalistes.
II n’est pas question d’une pause dans la lutte de tendances mais de
la replacer sur son vrai terrain qui n’est pas celui des clans et des
clientèles mais celui des idées. Il faut donc une tribune. L a Voix du
Peuple qui paraît chaque semaine depuis décembre 1900, est le
journal officiel de la C G T. Y ouvrir une Tribune Libre avec discus­
sions théoriques et querelles doctrinales aggraverait le désarroi des
militants. Pages Libres vient d’être absorbé par la Grande Revue, ce
qui l’élimine. L e Mouvement Socialiste que dirige Lagardelle depuis
1899 est trop théorique et d’ailleurs en pleine crise. Il faut un organe
nouveau. En février 1908, les révolutionnaires avaient fait une pre­
mière tentative, un quotidien, La Révolution qui disparaît .lès le
56e numéro (23-111-1909).
Un bi-mensuel, la V ie Ouvrière prend la relève à partir du 5
octobre 1909. Son succès entraîne une nouvelle tentative de quoti­
dien, la Bataille Syndicaliste qui sort à partir du 27 avril 1911. Mais
Griffuelhes n’a pas préparé l’opération avec tout le soin désirable et
la situation financière ne tarde pas à devenir difficile. Vite découragé,
il propose de tout abandonner. L e groupe de la V O . refuse et conti­
nue la BS. Il procède aux épurations nécessaires dans les deux rédac­

102. Les P T T sont en grève et à la CGT on parle de déclencher une


grève générale. Niel dit : « Le prolétariat est-il assez pénétré de ses devoirs
pour engager une action capable aujourd’hui de détruire le patronat par la
grève générale ? Non... » Voir sur ce point B. G e o r g e s et D. T i n t a n t ,
Léon Jouhaux, pp 22 et suiv.
62 alfred rosmer

tions : Lantz d’abord, collaborateur de la VO. et royaliste, Delaisi


ensuite.
L e cas Delaisi est très caractéristique : professeur d’histoire et
journaliste, il collabore aux revues et journaux socialistes et syndi­
calistes. Comme la BS vit de souscriptions, le gouvernement Caillaux
a l’idée d’une manoeuvre. Pour affaiblir L'Humanité qui le gêne,
il imagine d’aider la BS. Des ouvertures sont faites à Delaisi, il
transmet à Merrheim. Celui-ci refuse :
« Je ne saurais dans aucune circonstance et pour aucune raison
participer à une combinaison dans le genre de celle que vous avez
cru devoir me soumettre. J’aimerais mieux voir disparaître la BS
que de savoir que sa vie est assurée par nos ennemis. Et ce serait
le cas. La classe ouvrière et le syndicalisme seraient plus forts
sans organe quotidien qu'avec un quotidien dont les ressources
seraient malpropres. Rien, je vous le répète ne pourra m’en faire
démordre. Notre force réside dans notre loyauté et notre pro­
preté 10î. j>
Mais les versements continuent. Merrheim découpe dans la BS
du 8 mars 1913 la liste des souscripteurs et certains versements
qui lui paraissent louches sont entourés d’un trait de plume : Les
exploités des Halles, 20 francs, un groupe de maraîchers, 10 francs,
un groupe de tondeurs de chiens, 5 francs, 2 gardiens du Luxem ­
bourg, 4 francs, etc... Au total 175 francs en une seule fois 10*.
Monatte alerté questionne Gogumus, le trésorier du journal, qui
confirme : tous les jours arrivent de petites sommes et les mandats
sont d’écriture semblable. Les sommes ainsi versées se montent à
environ 100 francs par jour. L e doute n’est plus possible et Monatte
demande des mesures énergiques : il faut
« [...] mettre en demeure Delaisi, car ce ne peut être que lui,
de cesser ça. L e libellé des souscriptions me donne à penser qu’il
est de lui ; les deux gardiens du Luxembourg et autres inventions
le trahissent. Il n’y a pas à hésiter, il faut le prendre à la gorge ».
Il faut que Merrheim sacrifie son amitié pour Delaisi. D ’ailleurs :
« [...] L ’oiseau qui acceptait de faire auprès de toi la commission
qu’il a faite, l’oiseau qui fait aujourd’hui cette canaillerie de salir
la Bataille Syndicaliste et avec elle le mouvement, est indigne à
tout jamais de notre sympathie 10S. »
Merrheim écrit à Delaisi que nul n’est dupe des souscriptions ano­
nymes et lui demande de faire cesser ces versements 10*. Delaisi

103. Archives Merrheim, Institut du Marxisme-léninisme, Moscou ;


Merrheim à Delaisi, 21-1-1913.
104. Archives Merrheim.
105. î b i d Monatte à Merrheim, 14-111-1913.
106. Ibid., Merrheim à Delaisi, 18-111-1913.
le syndicaliste révolutionnaire 63

fait mine de n’être qu’un intermédiaire désintéressé. I l a vu le


responsable des versements et ils cesseront non parce que c'est
le désir de Merrheim et de Monatte, mais parce que la BS s’étant
rapprochée des socialistes parlementaires, le souscripteur anonyme
ne voit plus d’intérêt à soutenir un journal qui fait une politique
contraire à celle qu’il préconise 107. Bref, satisfaction sur le fond
et impertinences de forme. On a évité de saisir le Conseil d’admi­
nistration de la BS pour ne pas ébruiter l’affaire et tout s’est
déroulé entre Merrheim, Monatte, Rosmer et Delaisi qui s’éloigne.
La BS et la V O continuent donc à diffuser l’idéal syndicaliste-
révolutionnaire mais dans des conditions matérielles très différentes.
Les difficultés du quotidien « peuplent de poils blancs » la mous­
tache de M on atte108. L a vente en province ne rapporte rien à
cause des frais de poste et de manutention. Seules les ventes à
Paris peuvent assurer l’équilibre financier. Or elles ne cessent de
diminuer. Elles passent de 13 000 exemplaires en moyenne en
novembre-décembre 1912 à 8 000 exemplaires en janvier 1914.
Cette désaffection des lecteurs a sans doute des causes extérieures :
en janvier 1913, l’Humanité est passée à six pages et a amélioré
son contenu et sa présentation ; en avril 1913, le gouvernement
interdit l’affichage et la vente de la BS dans l’enceinte du métro ;
les anarchistes boycottent le journal et se répandent en calomnies.
Monatte sait bien tout cela mais ne se contente pas de ces expli­
cations. Pour lui, le journal perd ses lecteurs parce qu’il est mal
fait, parce que le comité de rédaction manque de dynamisme et
de cohésion.
« L e journal n’est pas plus au point qu’au premier jour. J’ai
même l’impression qu’il est de moins en moins intéressant. Ce que
l’on défend en elle (la BS), en ce moment, et jusqu’au sacrifice,
c’est le principe du quotidien révolutionnaire. Mais la réalité du
quotidien révolutionnaire, nous ne l’avons pas eue, nous n’avons
pas su nous la donner loa. »
Par contre, la V O réussit. L e secrétariat de rédaction, baptisé
« cuisine » , est assuré par Monatte que Rosmer seconde de plus
en plus jusqu’à devenir « cuisinier » en titre des deux derniers
numéros (5 et 20 juillet 1914). Monatte a des idées bien arrêtées
sur l’organisation du travail et veut dans chaque livraison un article
sur le fait saillant de la quinzaine. L e plus souvent, c’est lui qui
est le plus qualifié pour l’écrire mais il est débordé de travail et
la revue prend un retard dont se plaignent les abonnés. L ’infor­
mation ne manque pas car le local est installé Quai de Jemmapes
sur le chemin qui mène de la C G T à la Bourse du Travail. On a

107. Ibid., Delaisi à Merrheim, 20-111-1913.


108. P. M o n a t t e , RP, oct. et nov. 59, art. cit.
109. P. M o n a t t e , VO, 20-1-1914, « La crise de la BS ».
64 alfred rosmer

ouvert un petit service de librairie et les militants s’arrêtent pour


quelques instants ou pour quelques heures, causent et renseignent.
La copie abonde, il faut souvent faire patienter les auteurs ou leur
demander de ne pas s'éterniser sur leurs sujets. Ainsi Merrheim a
entrepris, sur le système Taylor, une controverse avec Ravaté et
tous deux s’y enlisent110.
La vente pose d ’autres problèmes. Monatte qui se souvient de
Pages Libres, veut une revue d'abonnés pour avoir une plus grande
stabilité des ventes et une meilleure connaissance des lecteurs.
Chaque abonné donne une liste de « possibles » auxquels quelques
numéros sont envoyés. Ceux qui s'abonnent envoient à leur tour
leur liste de « possibles » et la revue fait ainsi boule de neige.
Les lecteurs fidèles prennent en mains la diffusion. Sauvage
(Ardennes, Métaux) fait abonner 28 syndicats dans son département,
Dumercq (Bordeaux, membre de la Commission Exécutive des
Métaux) parle de la V O au congrès de sa fédération après que
Merrheim lui en ait fait la suggestion11X. Tout ceci donne à la
V O une diffusion relativement importante. L e tirage initial est de
5 000 exemplaires, envoyés à tous les « possibles ». 150 s'abonnent
immédiatement. Un mois après, il y a 300 abonnés, 600 après
six mois, 900 après un an. L e résultat est appréciable car la Revue
Syndicaliste n’a alors que 600 abonnés, le Mouvement Socialiste
700. La progression continue : en janvier 1911, 1850 abonnés,
en mars 1 600, en janvier 1912, 1 750. L e mois de mai est un mois
de crise : 1 290 abonnés. Crise vite surmontée puisqu’en juillet 1914
on atteint les 1 950.
Ces succès ne doivent pas nous dissimuler la persistance des
problèmes financiers. James Guillaume, vétéran de la I re Inter­
nationale et Charles Guieysse ont avancé un peu d'argent, les
auteurs ne sont pas payés et il leur arrive d’aider la trésorerie.
Mais les frais sont lourds et les dettes apparaissent très vite. On
paie avec beaucoup de retard l’imprimerie coopérative de Ville-
neuve-Saint-Georges qui renâcle d'autant plus que
« ces coopérateurs n'étaient pas tous syndicalistes, certains — parmi
eux l’administrateur — étaient socialistes et n’avaient pas assez de
sympathie pour le syndicalisme [...] pour faire crédit longtemps 112 .»
Monatte doit signer des traites et emprunter à ses amis. S’il refuse
longtemps de laisser Rosmer venir à Vüleneuve-Saint-Georges l’aider
à faire la mise en pages, c'est parce qu’il ne veut pas le faire
assister à ses disputes avec l’imprimeur. L a première fois que
Rosmer l'accompagne, une querelle éclate : la coopérative refuse
de continuer le travail si les dettes ne sont pas réglées. Les deux
amis trouvent alors un imprimeur â Auxerre mais s’aperçoivent

110. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 15-XII-1952.


111. Ibid., Merrheim à Dumercq, 3-IX-1913.
112. RP, janv. 1951.
le syndicaliste révolutionnaire 65

vite qu’en tenant compte du prix du voyage et du temps perdu,


la solution n’est guère économique. Il leur faut alors accentuer le
caractère artisanal de leur entreprise ; une association de linotypistes
fait la composition et on va imprimer chez les Russes de la rue
Méchain où l’atmosphère est cordiale. Cependant, les soucis d’argent
persistent, on guette anxieusement les nouveaux abonnements. En
juillet 1914, Rosmer annonce à Monatte 4 nouveaux :
« Ça reprend et il était rudement temps 113. »
En effet il n’a pu payer que la moitié du loyer et la concierge le
regarde d’un œil méfiant 1M.
Sans doute est-il difficile d’évaluer l’influence d’un journal ou
d’une revue. L a V O ne fait pas exception, à cet égard. On sait
qu’elle suscite des dévouements : Dumercq apprenant en septembre
1913 qu’elle est en difficultés, s’écrie : elle ne doit pas disparaître
car elle m’a formé et en formera d’autres. Les lecteurs la consi­
dèrent donc comme un organe de formation, ce qui correspond
aux désirs de la rédaction. La V O a de plus des correspondants
et des lecteurs dans tous les pays. D e Suisse, Zinoviev s’est abonné.
Quand Rosmer se trouve à Moscou en 1920, tous ceux qu’il ren­
contre ont connu la VO, quelques-uns y ont écrit. Andreytchine lui
dit en 1921 :
« Je vous connais depuis longtemps ; quand j’étais encore à Sofia,
je lisais régulièrement la V O 115. »
Celle-ci n’est pas seulement l’organe théorique des syndicalistes-
révolutionnaires français, elle est un lieu de rencontres, un organe
de liaison pour les syndicalistes-révolutionnaires du monde entier.
La lutte d’idées s’accompagne nécessairement d’une lutte quoti­
dienne pour le contrôle de la C G T. Les révolutionnaires tiennent
solidement en mains d’importantes fédérations : les Métaux avec
Merrheim, le Bâtiment avec Picard, les Mineurs avec Dumoulin 1I6.

113. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 28-VII-1914.


114. Ibid., 30-V II-1914.
115. RP, janv. 1951.
116. Georges Dumoulin (1877-1963) est mineur dans le Pas-de-Calais
à 16 ans et mène bientôt une action syndicale très dure qui lui vaudra plu­
sieurs condamnations : 15 jours en 1901 pour entrave à la liberté du tra­
vail, 4 mois en 1906 pour la même raison, assortie de bris de clôture et
de détention d’explosifs, 2 ans par défaut en 1911 pour provocation au
sabotage des voies ferrées (AN. F7. 13 053). Lié aux groupes anarchistes
de la région de Lens, collaborateur aux Temps Nouveaux, il est l’un des
fondateurs du syndicat révolutionnaire des mineurs. En 1909, il monte
à Paris, travaille comme terrassier aux travaux du Métropolitain, rentre
au noyau de la VO. et devient en 1911 trésorier-adjoint de la CGT. Mino­
ritaire de guerre, affecté spécial comme mineur en 1916, il préside en mai
1918 la conférence des minoritaires à Saint-Etienne, publie en juin une
brochure contre la majorité confédérale (Les Syndicalistes français et la

5
66 alfred rosmer

Ils conservent le secrétariat général, îa trésorerie et la direction de


la V oix du Peuple. Mais l'alerte a été chaude du temps de N iel
et il convient de ne pas se laisser endormir. La tendance tient des
réunions dont les archives de Monatte ont conservé des traces mais
dont nous n’avons pas de procès-verbaux. On y prend des décisions
tactiques : par exemple le 27 avril 1912, la décision de lancement
de la BS. On y pèse des candidatures : c’est là que l’on discute
de la succession de Niel. Parmi les révolutionnaires, plusieurs candi­
datures sont possibles, celles de Klein, Nicolet du Bâtiment, Gautier
(Saint-Nazaire, Inscrits Maritimes), Picard. Mais Klein est aux em­
ployés et n’a pas la confiance de sa fédération plutôt réformiste.
Nicolet et Gantier ne sont pas candidats et s'entêtent à ne pas
l’être. Picard est trop jeune et n’a pas l’expérience des organisations
centrales. On le présentera au futur congrès de Toulouse, quitte à
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« [...] en (le) prenant [...] avec nous, en le voyant plus souvent [...] »
En attendant on se met d’accord sur Touau (sic) pour faire la tran­
sition J17.
Les révolutionnaires sont d’ailleurs divisés. Des querelles de
personnes interviennent dans ce milieu fermé, comme replié sur
lui-même. Les discussions autour de la B S n’arrangent pas les choses
et Monatte ainsi que Rosmer finissent d’ailleurs par quitter le
journal car ils sont las des querelles sur le passé et du désordre
envahissant. Il y a aussi des frictions idéologiques et Griffuelhes
critique la V O quand celle-ci publie l’article d’Andler 11S. Des que­
relles de méthode enfin que Griffuelhes rend publiques en 1912
par cette transparente allusion à la V O dans le tome I de YEncy-
clopédie Socialiste :

guerre), prononce au congrès CGT de juillet le grand réquisitoire contre


Jouhaux. A la suite de Merrheim, il rallie la majorité et devient secrétaire
administratif de la CGT. Il sera du Comité des 22. Fonctionnaire du BIT
de 1924 à 1932, il entre à la SFIO et y milite comme journaliste et
comme secrétaire fédéral du Nord. Sa liaison avec Belin et avec
Vichy lui vaut une condamnation à mort par contumace. Une spec­
taculaire conversion au catholicisme domine ses dernières années.
117. Archives Merrheim, lettre de Merrheim, 27-VI-19Û9. Cet incon­
nu dont on orthographie mal le nom, est donc l'élu des révolutionnaires
en attendant de devenir leur bête noire. Jusqu’à sa mort en 1954, il
conservera les premiers rôles dans le mouvement syndical français. De
tendance anarchiste, puis syndicaliste révolutionnaire, il est en 1909
secrétaire d’une fédération dont le poids ne risque pas de faire peur, celle
des Alumettiers. Ce secrétaire général de transition ne quittera plus sa
fonction. Rallié à l’Union Sacrée en 1914, organisateur de la scission
d'après-guerre, signataire des accords Matignon, il reste à la tête de la
CGT jusqu’à ce que Vichy l’arrête puis le déporte en 1943. A partir de
1945, il anime la tendance Force Ouvrière et devient en 1947 Secré­
taire Général de la nouvelle CGT-FO.
118. P. M o n a t t e , RP, oct. et nov. 1959, janv. 1960, art. cit.
le syndicaliste révolutionnaire 67

« L e mouvement ouvrier menace de devenir un simple lieu


d’études, véritable université populaire, au sein de laquelle quel­
ques-uns apportent leurs connaissances en diplomatie et en compi­
lation... le syndicalisme ne saurait se reconnaître dans ces ballades
de la Perse au Maroc, du Maroc en Algérie, de l’Algérie en Nor­
mandie. »
Quant à Jouhaux, outre qu'il s'accroche — avec l’aide de Griffuel-
hes — à son secrétariat, sa personnalité même déplaît. A Zurich,
Rosmer et Dumoulin ne peuvent éviter de déjeuner avec lui. Us en
sortent excédés, ses manières de brute, « sa bêtise encombrante »
leur sont odieuses lia.
Griffuelhes, Jouhaux, Bled des Horticoles d’une part, Monatte,
Rosmer, Merrheim, Dumoulin de l’autre, les groupes qui vont
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renforcer l’importance de l’année 1913 dans l’histoire du syndi­
calisme-révolutionnaire français.
C ’est d’ailleurs en 1913 que la V O publie pour la première fois
la liste des membres du noyau. Au 5 octobre, outre Monatte, Dumou­
lin, James Guillaume, Merrheim et Rosmer, elle s’établit comme
suit : Voirin, secrétaire de rédaction ; André, postiers ; C lém en t130 ;
Delzant, verriers 121 ; Dubois, instituteur qui sera tué au front en
1914 ; Dumas, habillement122 ; Lapierre, métaux ; Picard ; le jour­
naliste Roudine 123.
Ce terme de « noyau » est trop brûlant pour que nous ne nous
interrogions pas sur le fonctionnement de ce groupe. C ’est un cercle
d’amis et de lecteurs de la revue, très hétérogène, recruté par coop­
tation, qui se réunit deux ou trois fois par mois sans ordre-du-jour

119. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 18-IX-1913.


120. Né en 1880, Clément est serrurier-plombier et secrétaire de la
Fédération du Bâtiment. Ce syndicaliste-révolutionnaire a gardé de son
passage par l’anarchie le goût des actions dures : en 1909 la police inter­
cepte un colis qui lui arrive de Bruxelles. Il contient des brochures, Anar­
chie pratique, qui traitent de la fabrication des engins explosifs (AN. F7.
13 053).
121. Né en 1874, il est inscrit au Carnet B.
122. Né en 1875, dans l’Hérault, Dumas (dit, Diogène), boiteux, tail­
leur d’habits, est un orateur violent. Expulsé de Genève en 1902, il est
à Lyon en 1906 et dirige un journal révolutionnaire, L/Emancipation.
Des déclarations incendiaires lui valent en 1907 une arrestation et une
condamnation à 13 mois de prison avec sursis. Rédacteur à La Guerre
Sociale, il est aussi, depuis 1909, secrétaire de la Fédération de l’Habil­
lement dont le siège est à Lyon. En novembre 1910, il monte à Paris
poux suivre la grève des midinettes, est élu en décembre secrétaire-
adjoint de la CGT et rentre à La Voix du Peuple. En août 1911, il est
administrateur délégué de la BS. (AN. F7. 13 053).
123. Max Hoscbiller, dit Roudine, collaborateur du Temps, de la BS.,
de la VO., puis de L Information Ouvrière et Sociale, suivra l'évolution
de Merrheim.
68 alfred rosmer

et sans procès-verbal. On y parle des affaires en cours, tout en


mettant au point les numéros de la revue. L a composition en est
indécise et certains participants ne sont que très épisodiques (Lenoir,
D r e t L e f è v r e , secrétaire de la Fédération de la Bijouterie-
Orfèvrerie, le poète Marcel Martinet). L a cohésion vient de l’appar­
tenance commune à la tendance syndicaliste-révolutionnaire avec
une coloration dure qu’illustrent les démêlés avec la police de la
plupart des membres du noyau. Au total, ce groupe d’amis est aussi
un groupe de pression qui fait du travail fractionnel tout en jouant
le rôle d’un comité de rédaction.
Mais le noyau lui-même se divise en 1913 sur la question de
la « rectification de tir ». Rosmer, Monatte, Dumoulin, approuvent
la ligne nouvelle de la CGT, moins verbale et plus réaliste. Mais
ils ne veulent pas dune évolution vers le réformisme. Bientôt,
des difficultés avec Merrheim s’amorcent — de biais, comme il
arrive souvent. L a Fédération des Métaux a envoyé Blanchard
faire de la propagande en Meurthe-et-Moselle. Blanchard fera
toute sa vie de cette tournée de Meurthe-et-Moselle une sorte
d’épopée, garante de son ardeur militante 1ZS. En attendant, il ne
cesse de se plaindre : les manœuvres patronales le paralysent complè­
tement, il ne trouve pas même de salles pour ses réunions. Dumou­
lin réplique brutalement : ce ne sont pas les salles qui manquent,
mais les auditeurs qui boudent Blanchard. Il s’est rendu impossible
par ses excès de langage dans une région difficile où. on a gardé le
souvenir désastreux de Boudoux l3\ Bref, Blanchard est « brûlé » 121.
Aux lettres personnelles de Dumoulin, Merrheim répond officiel­
lement, au nom de sa Fédération et envenime ainsi les choses.
Il y a plus grave : le cas des mineurs de fer. Chacun des deux
hommes les réclame pour sa Fédération. D e plus, Merrheim a de
gros soucis avec l’extrême-gauche parisienne, de tendances anar-
chisantes, de sa propre Fédération. Au début de 19X4, ces Pari­
siens l’excluent de son syndicat (Paris-Métaux) et font remarquer
qu’exclu par son syndicat, il ne saurait rester à la tête de la
Fédération. L ’affrontement est violent : la Commission Exécutive
des Métaux soutient son secrétaire et exclut le syndicat parisien
des métaux. Pour Merrheim, l’alerte a été chaude et Fa rendu,
plus encore que dans le passé, sensible à toute menace gauchiste,
qu’il assimile à ïa démagogie et à l’immotalité. Il contre-attaque
à fond depuis la conférence des Bourses de 1913. Mais ses amis

124. Né à Périgueux en 1875, il est secrétaire des Cuirs et Peaux,


administrateur de UAction Directe en 1907. En 1908, il a perdu un bras
lors de l’affaire de Villeneuve-Saint-Georges.
125. En 1928 encore I (Archives de la Fédération Internationale des
Ouvriers sur Métaux, Genève. Commission pour la propagande en Lor­
raine, séance du 8-X-1928).
126. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 13-VII-1914.
127. Ibid., 14-VII-1914.
le syndicaliste révolutionnaire 69

du noyau se demandent si sa fureur anti-gauchiste ne va pas le


c o n d u ir e peu à peu dans le camp des réformistes. Rosmer s’in­
quiète :
« L e deuxième article de la V oix du Peuple sur la Coutume
Ouvrière [...] contient des parties vraiment insupportables : toutes
les jérémiades contre les démagogues, la haine, l’immoralité, etc.
Q u e lle étrange idée de se servir de Maxime Leroy pour cette sortie.
U donne l'impression d’être atteint d'une monomanie qui s’exprime
à tout propos et hors de propos avec une abondance et un lar­
moiement excessifs l2S. »
A la veille du congrès de Grenoble, Rosmer se demande ce que
M errh eim va bien pouvoir dire dans son discours. Il ne pense
pas que le noyau puisse arrêter cette évolution et encore moins
la suivre. Une rupture publique menace.
Si des difficultés internes tendent à scinder la tendance syndi­
caliste-révolutionnaire en France et même le « noyau » de la VO,
ces difficultés ne sont que dans une certaine mesure rendues publi­
ques et, face à l’ennemi réformiste, le front des révolutionnaires
s e m b le intact. Ils continuent à lutter dans le cadre français de la
CGT et, en grande partie sous l’influence de Rosmer, ils contre-
attaquent à l’extérieur en s’appuyant sur les camarades de tendance
qu’ils ont su déceler à l’étranger.

128. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, juillet 1914.


Le syndicalisme révolutionnaire,
tendance internationale

L e syndicalisme-révolutionnaire a si longtemps été considéré


comme un phénomène typiquement et exclusivement français qu'il
ne nous a pas paru inutile de nous demander s’il existe réellement
une tendance syndicaliste-révolutionnaire au niveau international.
Rosmer affirme son existence ; nous nous efforcerons de faire le
bilan de sa force et d’examiner comment elle pose et comment
elle résout les problèmes tactiques de la lutte contre le réformisme
syndical.

Tous les réformistes syndicaux nient toute diffusion internationale


du syndicalisme-révolutionnaire d'un même élan. L a thèse du
Secrétariat Syndical International de Berlin qui les regroupe, c’est
que le « syndicalisme français » est un provincialisme. Encore n’a-t-il
pu triompher que; dans un pays économiquement arriéré. Thèse
intéressée, on s’en doute. Elle revient à présenter le modèle alle­
mand, à démarche réaliste, à liaisons étroites avec la social-déino-
cratie, comme la solution des pays économiquement avancés, la
solution de l’avenir 1.
Les syndicalistes-révolutionnaires français de leur côté ont inté­
rêt à répondre par l’affirmative. L ’existence d’un syndicalisme-

1. Thèse reprise — peut-être inconsciemment — dans R. W oh l,


French Communism in the Making, p. 22 : « Le syndicalisme-révolution-
naire était l’expression idéologique d’une classe ouvrière en cours de
transformation en prolétariat, d
le syndicalisme révolutionnaire 71

révolutionnaire international ne peut que les renforcer. Us ne se


contentent pas d'affirmer, ils s’efforcent de prouver et nous pensons
que leurs arguments sont décisifs.
Pour Rosmer, non seulement il existe un syndicalisme-révolu­
tionnaire international, mais encore ce type de syndicalisme se déve­
loppe sans cesse.
Comment reconnaît-il les syndicalistes-révolutionnaires ?
Pour lui, le syndicalisme-révolutionnaire n’est pas une étiquette
que l’on adopte ou que l’on rejette, il est une pratique. Accom­
plissez certains actes et vous serez syndicaliste-révolutionnaire, même
si vous n'avez jamais entendu le mot. Deux critères sont décisifs :
refus de toute subordination du syndicat au parti, action directe
sous ses différentes formes. A ce compte, la pratique syndicaliste-
révolutionnaire est répandue dans le monde entier et fait chaque
jour des progrès. Dumoulin le dit bien :
« Notre C G T ne sera plus longtemps seule. Un jour viendra où
la Russie se libérera de ses contraintes présentes, où un mouvement
puissant surgira de son développement industriel. L ’Italie ne par-
viendra-t-elle pas à concentrer ses forces ouvrières en une seule
C G T ? Et l’Argentine ? Et les pays anglo-saxons ? L ’Angleterre
qui revient à ses premières amours. Les Etats-Unis qui feront peau
neuve grâce aux IW W 3. »
La France est le pays où le syndicalisme-révolutionnaire s’est le
plus développé, mais elle ne prétend nullement donner exemples
ou conseils. Il n'y a pas de modèle français impératif. Ce point
de vue est habile car il flatte le sentiment d’autonomie des divers
mouvements ouvriers nationaux et rejette toute accusation d'ingé­
rence extérieure. I l exprime aussi une conviction profonde. C’est
la vie ouvrière qui engendre la pratique syndicale et, comme l’a
dit Bakounine dans un texte que publie la V O 3 :
« L a pratique syndicale engendre une conception révolution-
naire. »
Rosmer en dit autant : le mode d’action syndicaliste-révolution-
naire le plus achevé, la grève générale,
« surgit spontanément des conditions de vie et de travail que l’orga­
nisation économique moderne impose aux ouvriers 4 » .
D ’autre part, les méthodes d'action directe sont présentes dans
toutes les traditions ouvrières, dans tous les pays. U n moment
obscurcies par la poussée du réformisme, elles réapparaissent, plus
fortes que jamais.

2. D u m o u lin , VO, 5 -X -1 9 1 3 , « La c o n fé r e n c e in te rn a tio n a le de


Z u ric h » .
3* 5 -H -1 9 1 4 .
4. VO, 5 - V III- 1 9 1 3 .
72 alfred rosmer

Aux USA, les Knights o f Labor 5 utilisaient la grève et le boy­


cottage, les M olly Maguires ne reculaient pas devant les moyens
les plus violents 6. C ’est d’ailleurs un trait caractéristique de la
société américaine que le climat de violence dans lequel elle baigne
tout entière 7.
En Angleterre, l’argument de l’ingérence étrangère est large­
ment utilisé contre les syndicalistes-révolutionnaires. UH um anité
du 28-XII-1913 publie complaisamment un texte d’Anderson8. Il
affirme que ce sont deux intellectuels catholiques qui dirigent en
sous-main le mouvement syndicaliste-révolutionnaire anglais : Ches­
terton et Belloc. Us écrivent, l’un régulièrement, l’autre épisodique­
ment, dans le Daily Herald, journal révolutionnaire indépendant.
C’est là, dit plaisamment Rosmer, un « conte d’Anderson 9 ». Certes,
beaucoup de militants anglais sont croyants, mais d’une part aucune
hégémonie catholique romaine n’est à craindre en Angleterre, d’autre
part des intellectuels ne sauraient diriger un mouvement syndi­
caliste. On s’ en prend plus souvent à l’ingérence française. Les
W ebb accusent Pouget et Pataud. L e Daily News écrit :
« Les nouvelles doctrines, importées de France, stimuleront le
mouvement [syndicaliste anglais] 10. »
C ’est oublier qu’il y a en Angleterre toute une tradition oweniste
d’action directe, de grève générale, de renversement violent du
régime capitaliste.
Partout dans le monde, des militants s’affirment syndicalistes-
révolutionnaires, membres d’une tendance qu’ils baptisent plus
souvent syndicalisme (syndicalism en anglais) que syndicalisme-révo­
lutionnaire. Ils affirment en même temps l’originalité nationale de
leur mouvement.
Les I W W admettent l’origine française du terme en quelques
phrases pratiquement intraduisibles sans trahison où les mots Syn-

5. Les Knights of Labor, organisation ouvrière d'abord secrète, née


peu avant 1870, se développe surtout entre 80 et 90 puis, concurrencée
par l'AFL, tombe en décadence.
6. En ce qui concerne les Molly Maguires, le plus récent des histo­
riens du mouvement ouvrier américain, Foner (History of the labor
movement in the US, tome I, p. 460 et suiv.) affirme qu'ils n’ontjamais
existé. Leur nom a été inventé par la grande presse etappliqué à un
groupe ouvrier réellement existant, l'Ordre Ancien des Hibernians. Sous
le nom de Molly Maguires, des ouvriers Hibernians sont tombés dans
une provocation organisée par les détectives Pinkerton et 10 d'entre eux
ont été exécutés.
7. VO, 20-V-1914.
8. a La réponse d’Anderson au camarade Joubaux ». Anderson (1878-
1919) est membre de 1TLP. Il se tiendra pendant la guerre sur des posi­
tions internationalistes, comme son Parti.
9. Titre de son article de la VO, 5-1-1914.
10. 2-IX-1912, cité par AR, VO, 5-IX-1912.
le syndicalisme révolutionnaire 73

cücat et Syndicalisme sont nettement distingués des mots Trade-


Unions et Unionisme 11.
Les historiens américains du syndicalisme reconnaissent faci­
lement les ressemblances entre les deux mouvements : recrutement
exclusif de salariés, rejet de tout contrat collectif, utilisation de la
grève et de la violence, méfiance par rapport aux partis politiques.
Ils accordent une importance plus ou moins grande à l’influence
française (Foner lui fait plus de place que Brissenden) mais ni
les uns ni les autres ne la pensent décisive.
Pour Brissenden, les idées du syndicalisme étaient « dans l'air j>,
pour Foner, ce sont les conditions de la lutte ouvrière aux USA
qui ont engendré les IW W .
Les militants américains de l'époque ont des opinions assez
divergentes sur l’influence française. La brochure de Ford et Foster
cite la Charte d'Amiens, on y trouve « en français dans le texte »
les expressions «chasse aux renards», «b a d ige o n n a g e», «b ou che
ouverte ». Us connaissent le livre de Pouget sur le sabotage que
ÏT W W Giovanitti a traduit pendant l'un de ses séjours en prison.
Us donnent en exemple la grève des chemins de fer de 1910.
Mais outre que Ford et Foster sont particulièrement favorables à
l’influence française, il est certain que le mouvement des IW W
s'est développé sans attendre les conseils de France. Quand
Haywood vient à Paris en 1910 et 1913, il rencontre Guillaume,
Monatte, Rosmer qui le mène au mur des fédérés, mais il ren­
contre aussi Longuet. General Organizer des IW W , ce n'est pas
un jeune militant facile à influencer mais un homme fait qui a
des années de lutte ouvrière et de prison derrière lui. N é en 1860
à Saït Lake City, il est devenu mineur très jeune et a organisé
en 1896 la Western Fédération of Miners, centrée sur les Rocheuses
et il en est secrétaire-trésorier depuis 1900. Membre du Parti
Socialiste Américain, il se tourne vers l’action IW W en 1910. Il
ne s'en laisse pas conter12. Ford et Foster font des excès de
zèle :
« L e syndicalisme [syndicalism] est né en France. D e là, il s’est
répandu dans tout le monde civilisé. Que la France, quoique pays
relativement en retard sur le plan économique 13 ait pu être le

11. E.C. F o r d et W.Z. F o s t e r , Syndicalism : « Syndicalism » is the


french term for labor-unionism. It is derived from the world « syndicat »
or local labor union. To distinguish themselves from conservative unioniste,
french rebel unionists call themselves revolutionnary syndicalists. In
foreign usage, the french meaning of the term syndicalism has been modi-
fied. It is applied solely to the revolutionnary labor union movement ».
12. Pour son opposition à la guerre, Haywood sera condamné en 1918
à 20 ans de prison auxquels il échappe par une fuite en Russie où il
meurt en 1928.
13. Us précisent en note : ° L e retard économique de la France est
souvent employé comme argument contre le syndicalisme ».
74 alfred rosmer

iieu de naissance de ce mouvement ultra-moderne n’est pas sur­


prenant. Pour diverses raisons que le manque de place nous empêche
d’énumérer ici, la France a toujours été à l’avant-garde du progrès
social, les autres nations suivant sa trace, profitant de ses expériences
sociales l4. »
Mais Haywood affirme que les IW W ont eu les premiers l’idée
du syndicat d’industrie, et de la liaison étroite entre syndicats et
organisation centrale 1S. Il n’accepte aucun conseil tactique.
Enfin les différences sont évidentes entre les méthodes de la
C G T et celles des IW W . Ces derniers n’ont aucune organisation
stable, leurs militants (Wobblies) arrivent dans les villes pour lancer
ou soutenir les mouvements de grève et en repartent après la
victoire. Ils ne perçoivent pas de cotisations, n’implantent pas le
« « a *-* » T { «-^14- XI «-* ** a w % ■*—. rtA /s m ■*'’» n r > n <*ili &/Aç ^ tV>
X U V / U V lv illW A A C . J U O U X iS O O U X l J - J J V O l y U M U V l J l W k )

migrants de fraîche date, de célibataires sans attaches, d’agitateurs


professionnels.
Dans les autres pays, il arrive que l’on flatte quelque peu les
camarades français : Walter, de L iège écrit ;
« En France, vous êtes à un stade d’évolution économique et
intellectuelle nullement atteint dans les autres nations ia. »
Mais le plus souvent on se contente d’admettre une évidence :
en France il n’y a qu’une organisation syndicale importante, la
C G T et le syndicalisme-révolutionnaire la domine, il se trouve donc
dans une position particulièrement favorable. Pour le reste, il n’a
ni conseils, ni ordres à donner. D e Ambris reflète bien l’opinion
générale quand il affirme du même élan que tous les groupements
syndicalistes dérivent plus ou moins de la C G T et que le syndi­
calisme est partout un fait local à peine influencé par l’exemple
de la CG T, qu’il ne saurait être question de fixer, de France, une
quelconque orthodoxie syndicaliste 17.

Selon les pays, la situation du syndicalisme-révolutionnaire est


fort variable. Sa faiblesse ou sa force dépendent de divers facteurs.
L e développement industriel crée le prolétariat et offre la possi­
bilité d’un mouvement ouvrier autonome. Il y a donc un seuil
d’industrialisation au-dessous duquel l’existence d'un syndicalisme-
révolutionnaire est impossible. Ailleurs le degré de développement
des bureaucraties réformistes syndicales et social-démocrates le
gêne plus ou moins.
On pourra donc distinguer des zones de faiblesse, un pays dis­
puté, des zones de force. Zones de faiblesse, les pays de faible

14. Op. c#., p. 33.


15. A u b e r y , Les IW W , Revue d’histoire économique et sociale, 1954,
pp. 413-436.
16. VO, 5-V-1913, « Parmi nos lettres ».
17. VO, 5-IX-1913, « Le point de vue des syndicalistes italiens ».
le syndicalisme révolutionnaire 75

développement économique (Europe du Sud, Balkans), les pays de


fort développement bureaucratique (Europe du Nord : Allemagne,
Hollande, Belgique, Scandinavie ; dominions britanniques). Un pays
disputé, l’Angleterre. Zones de force, les pays industriellement avan­
cés mais de faible développement bureaucratique (USA, France).
Un examen détaillé de la situation montre à Rosmer que des
velléités existent même dans les pays du premier groupe. Malgré
sa faible industrialisation, l’Europe du Sud s'éveille au syndica­
lisme. Dans la Roumanie de 1914, les syndicats tiennent pour la
première fois un congrès séparé 1S. Rentrant des Baléares, Rosmer
rencontre à Barcelone N ègre et sa fédération de métallurgistes qui
lui paraissent favorables au syndicalisme En Italie, D e Ambris,
leader des grèves d’ouvriers agricoles de la province de Parme qui,
sïï 1934, nnîtf'ftrp son, secrétariat à l’USX pour fonder l’Union Its
lienne du Travail. Il édite un journal, L ’Internazionale. Il s’est fait
élire à Milan non par électoralisme mais pour pouvoir rentrer de
son exil suisse et mener sur place son action syndicaliste 2a. Bientôt
les Italiens comprendront qu’ils attachent trop d’importance à la
forme monarchique ou républicaine du gouvernement et se consa­
creront tout entiers à la seule lutte qui compte, la lutte écono­
mique 20bls.
Malgré le poids des bureaucraties, des grèves générales éclatent
dans les dominions. Une en Nouvelle-Zélande au début de 1914 21,
plusieurs en Afrique du Sud où les ouvriers, las de compter sur
des lois trompeuses passent à l’action directe 2â. En juin-juillet 1913,
les mineurs du Rand et les ouvriers de Johannesburg décident
la grève générale, les heurts avec la police font des centaines de
morts. En août, les hindous du Natal se soulèvent. En décembre,
ce sont les cheminots qui relancent l’agitation et qui se préparent
pour une nouvelle grève générale.
En Scandinavie, la Suède voit s’organiser en 1913 une Orga­
nisation Centrale des Travailleurs Suédois qui se réclame du syndi­
calisme 23. On sait qu’en Norvège, la centrale syndicale (Lands-
organisationen) qui existe depuis 1897 mène une action réformiste.
Mais Tranmael, influencé par les IW W lors d’un voyage aux USA,
dirige une gauche syndicale, fraction révolutionnaire qui parvient

18. VO, 5-II-1914.


19. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 1914. Nègre, venu de l’anar-
chisme, sera, en 1919, le premier secrétaire de la CNT.
20. Il sera interventionniste et en 1922 ne verra contre la dictature
fasciste d’autre recours que d’Annunzio.
20 bis. VO, 5-XI-1913. Même jugement sur l’élection de De Ambris
dans Temps Nouveaux, 6-X11-1913 par Max Clair.
21. VO, 5-20-IV-1914.
22. VO, 20-VU et 5-VIII-1913.
23. VO, 20-X-1913.
76 alfred rosmer

à influencer la Centrale 2\ Avant les congrès elle organise ses


propres conférences et en 1911 adopte la « Résolution de Trond-
heim » . Les 70 délégués qui représentent 5 000 militants définissent
leur tactique :
« L ’opposition syndicale fera tous ses efforts pour révolutionner
les syndicats existants afin de les rendre à même d’exercer leur
domination dans les usines et les ateliers et finalement de remplacer
les entrepreneurs dans la production et la distribution 25. »
L e gouvernement veut imposer la conciliation et l’arbitrage obli­
gatoire. Si la loi passe, le sabotage transformera l’atelier en champ
de bataille, la grève générale sera proclamée. Les progrès de l’aile
syndicaliste se marquent dans les résolutions que votent les congrès
de la Centrale. En mars 1914, le congrès de la Landsorganisationen
à Christiania (Oslo), vote le principe de la grève générale contre
la guerre (motion Vaillant-Keir Hardie) et contre l’arbitrage obli­
gatoire. Jensen, correspondant de la VO, est optimiste :
« C e sont les éléments révolutionnaires qui ont influencé ces
décisions. Ils étaient en assez grand nombre au congrès et leur
accroissement, comme influence;, est sensible. Dans son dévelop­
pement, le syndicalisme norvégien s’oriente vers le syndicalisme
révolutionnaire et s’y dirige à grands p a sae. »
En Hollande existe un Secrétariat National du Travail, de tendance
syndicaliste, qui publie D ie Arbeid. Les fédérations affiliées (Bâti­
ment, Métallurgie, Textile, Tabacs, Employés Municipaux, Tailleurs,
Marins) groupent 11 500 membres environ.
En Belgique, l’évidente trahison des leaders sociaux-démocrates
pendant la grève générale de 1913 provoque un sursaut. Tandis
que le congrès du POB se félicite d’une victoire pourtant douteuse,
les militants protestent, surtout dans le Borinage. L a masse, com­
prenant que le POB ne tient pas compte des syndicats, se tourne
vers l’action syndicaliste27. En octobre 1913 se crée une Confé­
dération Syndicale Belge. Groupant surtout des syndicats de la
région de Liège, elle adopte des statuts comparables à ceux de
la C G T. Elle veut lutter contre la Commission Syndicale du PO
et des Syndicats Indépendants inféodés au POB. H. Amoré con­
sacre à cette- scission deux articles dans la V O 2S. Jusque-là, dit-il,

24. Né en 1879, Tranmael sera zimmerwaldien et dirigera Ny Tid,


l’organe de la gauche socialiste norvégienne.
25. Cité par A. Je n s e n , VO, 20-1-1914.
26. A. Je n s e n , « La résistance à l'arbitrage obligatoire », VO, 5 à 20-
IV-1914.
27. VO, 5 à 20-VI-1913.
28. 5-XI-1913 et 5-1-1914. Henri Fuss, dit Amoré, s’engagera pendant
la première guerre mondiale, sera directeur au ministère belge du travail
et collaborateur de Thomas au BIT. Pendant la Seconde Guerre mon­
diale, il contribue à la reconstitution d’un mouvement syndical clandes-
le syndicalisme révolutionnaire 77

il fallait adhérer au « credo socialiste » si l'on voulait devenir


membre de la Commission Syndicale. Les anarchistes qui parve­
n a ie n t à s'infiltrer ne tardaient pas à se faire exclure pour délit
d'opinion. Puisque la tactique de lutte dans les vieux syndicats,
qui est la meilleure tactique, est impossible ic i , les camarades
belges n’ont d’autre ressource pour éviter l’isolement et l’impuis­
s a n c e que de se regrouper puis de se fédérer. L a nouvelle confé­
dération peut faire œuvre utile si elle sait travailler en liaison
étroite avec ceux des syndicalistes qui parviennent à se maintenir
dans la Commission Syndicale. Jacquemotte par contre, écrivant
lui aussi dans la V O 2a, juge sévèrement l’initiative : cette scission
déchire le mouvement, elle aggrave les difficultés de ceux qui se
battent pour l’autonomie syndicale. L a nouvelle organisation, dit-il,
est d’ailleurs hétérogène : centralisateurs, décentralisateurs, partisans
et adversaires de l’adhésion à un parti se heurtent et ils seront
incapables d’agir ensemble. II considère que la lutte au sein de la
Commission Syndicale est la seule tactique juste.
I l n’est pas douteux qu’en Allemagne, la social-démocratie domine
les syndicats. Rosmer pense même que la mort de Bebel va aggra­
ver les choses. L e vieux leader (il avait 73 ans), trempé par les
luttes des temps héroïques, avait autrefois combattu le révision­
nisme et le ministérialisme. Devenu plus modéré à la fin de sa
vie, il comprenait cependant les révolutionnaires et leur faisait bon
accueil. Il contenait les modérés qui vont sans doute profiter de
sa mort pour prendre totalement la direction du mouvement ouvrier
allemand. Ce qui, peut-être, clarifiera utilement la situation 30. Et
pourtant, Rosmer, comme Haywood, comme Tom Mann, garde son
optimisme. Pourquoi le syndicalisme allemand ne se réveillerait-il
pas lui aussi31 ? Il n’a guère d’espoir en ce qui concerne les centra­
listes des syndicats nationaux d’industrie, mais il en a en ce qui
concerne les localistes des petits syndicats locaux. Ils se sont fédé­
rés dès 1897 en une Union Libre hostile aux tendances centralistes
et bureaucratiques des grandes centrales. En 1904, elle préconise
la mise en sommeil de l’activité parlementaire au profit de la grève
générale32. En 1906, elle porte Fritz Kater à sa présidence33 et

tin. Secrétaire général du ministère du travail après-guerre, il meurt en


1964.
29. 5-II-1914. Joseph Jacquemotte (1893-1936) est une des grandes
figures du mouvement ouvrier belge. Employé et secrétaire du syndicat
des employés, il est membre du POB et de sa commission syndicale. Il
est exclu du Parti car il est favorable à la 3e Internationale. Il participe
à la création du PC Belge. Inquiété au moment de l’occupation de la
Ruhr, il est élu député en 1925. Délégué à l’Exécutif Elargi de l'IC en
1926, il prend parti contre Trotsky.
30. BS, 14-V III-1913.
31. BS, 6-XI-1913.
32. F. K a t e r , The tendency of the Free Association...
33. Kater (1861-1945), de f amille paysanne, travaille très jeune. Pen­
78 alfred rosiner

revendique un tirage de 16 000 pour son journal, D ie Einigkeit


(l’Union), 2 journaux locaux, l’adhésion de 15 fédérations de métiers
et de 16 organisations locales. Elle demande à ses membres de
faire de la propagande pour la grève générale34. Les syndicalistes
allemands se font représenter au congrès syndicaliste international
de Londres **. L ’idée de grève générale se répand en Allemagne.
L e 14 juin 1914, les associations social-démocrates de Berlin préco­
nisent la grève générale politique contre le système électoral prus­
sien. Mieux, un congrès syndical vote à Munich la grève générale
économique contre toute atteinte au droit de coalitionS6.
Vu l’importance du mouvement ouvrier anglais, l’expérience de
propagande syndicaliste que mène Tom Mann est capitale. Il s’efforce
dans une première étape de rénover de l’intérieur les Trade-Unions
anglais. Peut-être songe-t-il à une deuxième étape où l’action syndi­
caliste conquerrait son autonomie par rapport au Labour. Utopie ?
Peut-être pas si l’on veut bien examiner concrètement comment
on en est arrivé à une voie anglaise que nous n’avons que trop
tendance à imaginer ancrée dans les siècles. En fait le système
du Parti Travailliste avec adhésion des Trade-Unions est tout récent.
II s’est construit très progressivement37. En janvier 1900, le Trade-
Union Congress écossais organise une conférence spéciale des syn­
dicats, des groupes socialistes et des coopératives ; cette conférence
fonde le Comité Electoral Parlementaire des Ouvriers Ecossais.
Pour l’Angleterre, Keir Hardie 33 propose depuis 1896 une confé­

dant un temps, il mène de pair militantisme syndical et politique. A


partir de 1890, ses sympathies dans le Parti vont à la gauche et à
l’extrême-gauche en butte aux manœuvres de la direction. L'influence
de Landauer pèse dans le sens de I'anarchisme. Les questions syndi­
cales amèneront la rupture avec le Parti. En 1897, il est devenu prési­
dent de la nouvelle Union Libre. Quand le Parti, en 1907-1908, ordonne
à cette Union de rejoindre les centrales syndicales nationales, il choisit
la rupture avec le Parti. Minoritaire de guerre, il publie en 1919 Der
Syndicalist et reste sur des positions syndicalistes. Président de la Freie
Arbeiter Union de l’après-guerre, il refuse l’adhésion pure et simple à
1TSR et prend part aux congrès syndicaïistes-révolutionnaires de Berlin
en 1922. En 1930, il abandonne ses postes de responsabilité.
34. Programme de l’Union libre..., 1906.
35. VO, 20-X-1913.
36. M. T o b ler, « Lettre d'Allemagne », VO, 20-VII-1914.
37. On se reportera aux ouvrages de H. Pjeuling et de A. Philip.
38. Keir Hardie (1856-1915) milite chez les mineurs dès 1870 et par­
vient en 1886 à organiser une Fédération Ecossaise des Mineurs. Il était
libéral, mais commence en 1887 à soulever la question d’un parti ouvrier
indépendant. En 1888, à la conférence de fondation du Labour Party
Ecossais, il est élu secrétaire. L ’année suivante, son Miner devient le
Labour Leader. Influencé par la SDF d'Hyndman, il participe à la fon­
dation de l’ILP. En 1906, il devient secrétaire du Labour et conserve, à
la guerre, une attitude internationaliste. Pour Rosmer (Golos, 3-X-1915),
il est le symbole de l’internationaliste qui a su résister à la vague chau­
vine.
le syndicaliswie révolutionnaire 79

rence du même genre. Au congrès des Trade-Unions de 1899, la


m o t io n Holmes qui préconise une conférence avec les socialistes
et les coopérateurs est votée par une majorité de 546 000 mandats
contre 434 000 avec 1/6® d’abstentions. L'exem ple écossais préci­
pite les préparatifs. Un Comité de Représentation du Travail (Labour
Représentation Commitee) se crée ; le secrétaire en est Ramsay
M a c - D o n a l d . Ce qui a été d é c i s i f dans cette évolution, c’ est l’affaire
de la grève de Taff-Vale. En août 1900, des piquets de grève sont
mis en place à l’occasion d’une grève des chemins de fer à Taff-
Vale. L e syndicat est condamné à payer une très importante amende
à la compagnie en réparation des préjudices subis. Si le verdict fait
jurisprudence, il n’y a plus de grèves possibles. Vaincues, elles
démoralisent la classe ouvrière ; victorieuses, elles ruinent les syn­
dicats. Les syndicalistes anglais pensent alors qu’il leur faut impo­
ser par les voies parlementaires une législation sociale qui les
mette à l’abri d’autres mésaventures du même genre et pour cela
iis décident de soutenir plus énergiquement que par le passé le
Comité de Représentation du Travail. Celui-ci n’avait que de faibles
moyens et, aux élections de 1900, il n’a pu faire passer que deux
candidats. Après Taff-Vale, en 1903, la conférence de l’organisation
décide que les campagnes électorales seront financées par les syndi­
cats au moyen d’une cotisation obligatoire. En 1906, le Comité de
Représentation du Travail peut faire élire 29 députés, il a soutenu
25 lib-labs. Il juge le moment venu de se transformer en véritable
parti : il change alors de nom et adopte celui de Labour Party.
Une loi de 1913, légalisant a posteriori toute cette évolution, autorise
l’action politique des Trade-Unions à condition que leur fonds
électoral reste distinct des autres caisses et qu'ii soit alimenté par
une cotisation spéciale.
Nous ne pouvons manquer d’être frappés par le caractère somme
toute conjoncturel de ces diverses mesures. Quand Rosmer se
tourne vers les questions anglaises, quand Tora Mann entreprend
sa campagne, leurs adversaires n’ont triomphé que très récemment.
Les décisions tactiques qu’ils ont prises ne se sont pas encore figées
en principes sacro-saints et il y a encore quelque chance de les
renverser.
Rosmer connaît parfaitement la situation en Angleterre. Il dé­
pouille régulièrement la presse anglaise et fait de fréquents voyages
à Londres (1910, 1911, 1913). C’est d’ailleurs l’un de ces voyages
qui lui a fourni le thème de son premier grand article dans la
VO 39. En 1910, il note une évolution générale des esprits, les pro­
grès de l’anti-militarisme et de l’anti-patriotisme. Jusqu’au mou­
vement des suffragettes qui lui paraît devoir profiter au syndi­
calisme : mobilisées sur un objectif de maigre intérêt (le droit de
vote), elles ne se démobiliseront pas de sitôt et iront jusqu’à l’action
syndicale.

39. VO, 5-X-1910.


80 alfred rosmer

Dans ce contexte agit Tom Mann. Rosmer qui est l’un de ses
grands amis, nous le présente coin me un orateur plein de vie et
de mouvement qui sait convaincre ses auditoires. Son argumen­
tation impeccable, ses phrases rythmées, renforcent l’éloquence des
gestes. Quand ses poings se serrent et frappent la table c’est qu’il
ponctue les passages marquants de ses discours40. Mais Rosmer
n’ignore pas les faiblesses de Mann. Annonçant à Monatte l’arrivée
d’une de ses lettres, il ajoute :
« Un peu vide comme d’habitude 4l. »
Au moment où ils se rencontrent, Mann a déjà une longue carrière
de militant derrière lui. Mineur, puis mécanicien, il a fondé dès
1880 une association tournée vers les problèmes sociaux. En 1898,
il a organisé la grande grève des dockers et devient président de
leur Union. Il a été secrétaire de la SDF puis de 1TLP qu’il quitte
en 1911 pour le British Socialist Party d’Hyndman. Il n’a jamais
voulu se présenter aux élections pour ne pas se compromettre
dans de louches manoeuvres. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est
l’action syndicaliste. Rentrant d’un assez long séjour en Australie,
il retrouve une classe ouvrière en révolte ouverte contre les leaders
modérés, des grèves (North Eastern Railway de juillet 1910 notam­
ment), une vague de violence et de sabotage (Pays de Galles). Une
partie de l’opinion ouvrière penche pour la création d’unions nou­
velles sur le modèle des IW W . Elle a son journal, Ylndustrialist
et un embryon d’organisation, l’Industrialist League. Mann qui entre­
prend alors sa lutte pour la réorganisation du syndicalisme britan­
nique s’oppose à cette tactique :
« Certains disent : il n’y a rien à faire avec les unions existantes.
Jamais un syndicaliste expérimenté n’estimera que c’est là une sage
méthode d’action 42. »
Lui, il ne propose pas de briser les trade-unions, mais de les
conquérir. I l parvient en novembre 1910 à réunir ses partisans et
à fonder une Industrial Syndicalist Education League dont Bowman
est secrétaire général. Elle édite un journal mensuel, The Industrial
Syndicalist. L a Ligue préconise la fusion des quelque 1 100 trade-
unions existantes en grandes trade-unions « amalgamées », sortes
de fédérations d’industrie qui respecteraient scrupuleusement l’auto­
nomie des syndicats de base. Elle obtient des succès rapides chez
les ouvriers des transports et chez les marins et pêcheurs. En
novembre 1911, la ligue demande l'indépendance totale du syndi­
calisme face aux partis politiques, ce qui menace directement le
Labour. Elle vote une motion internationaliste et anti-chauvine
qui réclame la réunion d’un congrès international pour étudier les I

40. BS, 16-XI-1912.


41. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, Juillet 1914.
42. Cité par AR., VO, 5-1-1911.
le syndicalisme révolutionnaire 81

menaces de guerre 43. Sous sa pression, les vieilles trade-unions se


réveillent. Leur congrès à Newcastle (1911) n’a rassemblé qu’une
maigre assistance : les nouveaux députés ne s’occupent que du
parlement et de leurs circonscriptions, les syndicalistes actifs s’abstien­
nent44. Au contraire le congrès de Newport (1912) rassemble un
grand nombre de délégués. La tactique de Mann a porté ses fruits.
La presse est là. Les effectifs ont augmenté. Les syndicalistes, nom­
breux et dynamiques, se comptent en rejetant une motion de subor­
dination du syndicat au parti et de « division du travail ». Ils ne
parviennent pas à faire passer leur propre motion mais rendent
la motion finale sur les rapports parti-syndicat si embrouillée et
si ambiguë qu’on peut la considérer comme une demi-victoire à
leur a c tif4S. L ’action de Tom Mann parvient même, de proche
en proche, à réveiller le socialisme anglais. Dans leurs congrès de
1912, l’iL P et le BSP consacrent au syndicalisme l'essentiel de
leurs débats. Nombre d’orateurs disent leur dégoût du parlemen­
tarisme 46. Chez les Fabiens, W ebb exhume ses vieux thèmes oubliés
d’ « industrial democracy ». L e Labour devient plus prudent dans
sa critique des syndicalistes. Bref, la partie que Tom Mann a engagée
en Angleterre semble fort bien engagée. Il faut s’attendre à des
succès plus grands encore pour le syndicalisme britannique. Rosmer
rêve déjà d’une C G T anglaise où les fédérations « amalgamées »
joueraient le rôle des Fédérations d’industrie et les Trade-Union
Counciîs celui des Unions Départementales 47. Les Anglais viendront
ainsi renforcer les pays où le syndicalisme-révolutionnaire est au
faîte de sa puissance.
Nous ne dirons rien ici de la France.
Mais nous analyserons la situation des USA. Plein d’admiration
pour l’énergie militante et pour le courage des IW W , Rosmer
— comme Mann — émet des doutes sérieux sur leur tactique.
Avec Mann, il expose ses arguments dans la V O 48 tandis que les
IW W répondent dans leur organe Solidarity ou dans les Temps
Nouveaux. Considérant que tout est pourri dans l’A F L , les IW W
pensent qu’il faut lutter hors d’elle et contre elle. Or Mann mène
en Angleterre une action efficace dans un milieu que l’on croyait
irrémédiablement hostile aux idées syndicalistes. Il a été aux USA
et en est revenu persuadé que l’A F L n’est pas entièrement fermée
aux révolutionnaires et qu’elle tend à se dégager un peu du corpo­
ratisme étroit.
« Nous avons, dit Rosmer, la naïveté de le croire. C ’est qu’aussi

43. BS, ll-XI-1911 au 9-XII-1911.


44. BS, ll-IX-1911.
45. VO, 5-X-1912.
46. VO, 5-VIII-1912.
47. BS 13-XI-1912
48. Tom M a n n , VO, 20-XII-1913 et AR., VO, 5-III-1914.

6
82 alfred rosmer

bien cela concorde avec un ensemble de faits qu’il n’est au pouvoir


de personne de nier 4S>. »
N ier les transformations de l’A F L serait s’aveugler volontairement,
pense-t-il. Puisque Gompers vient de déclarer que TA F L ne refuse
pas les non-qualifiés, il faut le prendre au mot et ne pas main­
tenir une simple « A F L à rebours » aux allures de caste et aux
faibles effectifs. Opposer à tout prix qualifiés et non-qualifiés serait
un crime contre l’unité ouvrière. Ces transformations dans l’A F L
ne peuvent-elles remettre en question une tactique scissionniste à
la fois circonstancielle et récente (c’est en juin 1905 que les IW W
se créent à Chicago face à I’A F L ) ? Rosmer demande donc avec
insistance aux IW W d’imiter l’exemple anglais et croit avoir con­
vaincu Haywood lors de son passage à Paris. La violente réaction
ù w I W W le surprend et il les trouve bien agressifs. Solidarity
accuse en effet Mann de se préoccuper avant tout d’arracher l’A F L
des mains des politiciens. I l ne s’intéresse pas à l’effort que font
les IW W pour organiser des millions de salariés. Prêchant la « soli­
darité il prêche en fait
« [...] purement et simplement la solidarité des IW W et des A FL,
des non-qualifiés et des qualifiés, des révolutionnaires et des conser­
vateurs st> ».
Bref, Mann n’est qu’un trade-unioniste qui n’apprécie guère les
formes américaines du syndicalisme-révolutionnaire et veut sim­
plement renflouer l’A F L . Les Temps Nouveaux se font un plaisir
de publier les attaques personnelles d’E tto rSl : Mann, dit-il, ne
connaît rien du mouvement ouvrier américain, son voyage a été
trop rapide et — un comble — il s'est promené en auto avec les
dirigeants de l’A F L au lieu d’assister au congrès des I W W i2.
Rosmer constate avec une pointe d’amertume 53 qu’une polémique
de ce genre n’a pas sa place dans une discussion entre syndicalistes
mais qu’elle est bien caractéristique de l’entêtement IW W . Mann
et lui vont alors s’appuyer sur Foster qu’ils ont vu en France et
en Angleterre en 1910. Rosmer dira bien plus tard :
« C ’est à Paris, au contact des syndicalistes-révolutionnaires, des
dirigeants de la C G T que Foster prit la résolution de porter désor­
mais ses efforts dans les syndicats de l’A F L , la lutte du dedans
devant donner des résultats meilleurs que celle qu’il avait pour­
suivie jusqu'alors du dehors avec les I W W »

49. Ibid.
50. Sl-I-1914.
51. Joseph Ettor est l’un des plus actifs militants IW W et fait partie
de leur exécutif. Il a participé notamment à la grève de l’American Woo-
len Company en 1912.
52. Lettre ouverte à Tom Mann 9, 16, 23, 30-V-1914.
53. 9-V-1914.
54. RP, Avril 1950.
le syndicalisme révolutionnaire 83

Foster en effet mène campagne aux USA. Conducteur de trains,


il est entré aux I W W en 1909. II soutient qu'abandonner les vieux
syndicats, c'est les livrer sans combat aux conservateurs : l’expé­
rience de la Fédération des Mineurs de l'Ouest l'a prouvé. Il pose
comme un principe absolu l’unité syndicale et accepte donc de se
battre pour ses idées dans l’A F L . Mais il faut bien que la minorité
militante qui propage les idées du syndicalisme ait un minimum
de cohésion et Foster fonde en septembre 1912, sur le modèle
anglais, une Syndicalist League of North Am erica55 tout en essayant
en vain de rester rédacteur au journal des I W W 56.
Nous pouvons donc constater, au terme de ce rapide bilan des
forces mondiales du syndicalisme révolutionnaire qu’elles sont plus
importantes qu'on ne le croit généralement. Ce qui fait le lien
entre les syndicalistes, c’est l'hostilité qu’ils professent contre les
réformistes, mais ce qui les divise, c'est le problème tactique :
se battre à l'intérieur des vieilles organisations ou en sortir pour
créer leurs propres organisations ? Cette querelle oppose au moins
autant deux types de tempéraments que deux types de raisonne­
ments. Elle divise les syndicalistes des différents pays et crée dans
certains pays des tensions internes.

De Ambris fait d’ailleurs remarquer la diversité des solutions


tactiques adoptéesS7. Dans certains pays, le syndicalisme-révolu­
tionnaire dirige l’unique organisation syndicale, c'est le cas français.
Le seul problème tactique qui se pose alors est celui de la lutte
interne contre la minorité réformiste. Ailleurs, le syndicalisme exerce
son action au sein d’une organisation syndicale unique et se refuse
à toute scission : Grande-Bretagne, Norvège. Ailleurs, enfin, les
syndicalistes ont franchi le pas et créé leurs propres organisations :
USA, Belgique, Allemagne, Suède, Hollande, Italie.
Les mêmes difficultés surgissent dès qu’il s’agit de tactique
internationale d’autant plus que, s’il peut y avoir des divergences
tactiques de pays à pays, il semble nettement préférable de définir
une ligne internationale commune. Doit-on sauvegarder l’unité syndi­
cale internationale en restant dans le cadre du Secrétariat Syndical
International de Berlin, vieille organisation accusée de collusion
avec l’Internationale politique ? Doit-on accepter la scission inter­
nationale et aller vers une Internationale Syndicaliste ?
Les syndicalistes donnent à ces questions des réponses diver­
gentes selon l’importance qu’ils attribuent à l’unité syndicale. Natu­
rellement, toute aggravation des tensions avec la Deuxième Inter­
nationale et avec le Secrétariat de Berlin renforce le camp des

55. Voir sur cette ligue F o n e r , op. cit., t. IV, pp. 427-430.
56. Foster, rallié au communisme en 1920, continuera à refuser toute
scission syndicale. Sa Trade Union Educational League rejoint le PC US
en 1922 et il devient l’un des dirigeants de ce parti..
57. VO, 5-IX-1913. « Le point de vue des syndicalistes italiens ».
84 alfred rosmer

scissionnistes. Or, le point de rupture semble atteint en 1913 : en


septembre, les syndicalistes tentent de fonder à Londres leur Inter­
nationale, en décembre le bureau de la II® Internationale tient une
réunion où s’expriment violemment les points de vue anti-syndi­
calistes.
L e Bureau de la I I e Internationale discute théoriquement de la
préparation du Congrès de Vienne. En fait, devant Kautsky et
Jaurès muets, les socialistes américains se lancent dans une violente
attaque contre le syndicalisme qu’ils tiennent pour un phénomène
morbide.
Dans un article au sous-titre caractéristique, U A m érique s’en
va-t-en g u e rre as, Rosmer menace les socialistes : s’ils s’attaquent
aux syndicalistes, ils se casseront les dents. Mais, au-delà des péri­
péties, sa position reste inchangée. L a scission, crime contre l’unité
syndicale, est un crime contre la classe ouvrière et contre la perspec­
tive révolutionnaire. Les scissionnistes sont des intransigeants ou
simplement des impatients. Cette opinion prévaut d'ailleurs à la
CGT.
L ’étude des Internationales Syndicales est beaucoup moins avan­
cée que celle des Internationales Politiques et la vie interne du
Secrétariat Syndical International de Berlin est un domaine encore
trop peu exploré. Ses rapports avec la C G T sont mal connus.
Ce que l’on sait, c’est que la C G T n’a jamais envisagé d’adhérer
— même indirectement — à la I Ï G Internationale mais qu’elle a
accepté un temps de participer aux réunions organisées par le
Secrétariat de B erlin 59. En 1903, le trouvant par trop réformiste
et inféodé à la I I 8 Internationale, elle rompt les relations et promet
de les renouer quand le Secrétariat, renonçant aux conférences sans
retentissement, organisera des congrès solennels. Dans son esprit,
ces congrès doivent faire pièce aux congrès politiques. Les réfor­
mistes français qui désapprouvent cette rupture sont minoritaires :
à Marseille (1908), ils ont 240 voix contre 880. L a commission de
politique internationale du congrès ne parvient pas à un accord.
Les réformistes Niel, Coupât, Guérard désirent une reprise des
relations internationales même au niveau le plus bas : conférence
des secrétariats internationaux d’industrie. Merrheim, Latapie et les
autres majoritaires dénoncent les manoeuvres de Legien 60 et l’accu­

58. VO, 20-XII-1913.


59. Voir B. G e o r g e s et D. T i n t a n t , Léon Jouhaux, tome I, chap. IV.
60. Karl Legien (1861-1920) est la bête noire des syndicalistes-révolu-
tionnaires. Typiquement, il mène côte à côte une activité de militant
politique et de militant syndical. En 1885, il entre au PS et, en 86, il
est secrétaire des tourneurs sur métaux de Hambourg. Il crée une Fédé­
ration nationale des Tourneurs et en devient le secrétaire. En 1890, il
préside la commission centrale des syndicats allemands et préconise la
neutralité politique des syndicats et leur regroupement par industries. A •
partir de 1902, il consacre le plus clair de son activité aux relations syn­
dicales internationales. Les hautes fonctions qu’il occupe symbolisent à
le syndicalisme révolutionnaire 85

sen t de vouloir amener progressivement la C G T aux congrès de la


XI” Internationale. L e texte de Merrheim recueille en séance 7 7 2
voix contre 4 4 4 et 2 abstentions. E n fait les réformistes français
p e n s e n t plus ou moins nettement à faire scission et leurs adver­
saires le sentent. Merrheim rendant compte à Monatte des travaux
de la commission de Marseille, écrit :
« [...] M on Niel, poussé à bout, a été amené à déclarer que
si nous ne voulions pas assister aux conférences, avant deux ans,
il y aurait comme [en] Hollande deux confédérations, une adhérente
au Bureau International, l’autre pas. Je lui ai demandé si c’était au
collimateur. Il n’a répondu ni oui, ni non, et Guérard a protesté
en disant qu’il n’irait pas jusque-là. Coupât s’est tu. Serait-ce la
scission qui commencerait ? 61 »
On craint donc un moment dans les milieux syndicalistes-révolu-
tionnaires français que les réformistes ne s’appuient sur leurs cama­
rades de tendance à l’étranger pour fonder leur propre organisation.
Puis l'élection de N iel au secrétariat général de la C G T vient dissi­
per cette inquiétude. Elle est en effet saluée comme une grande
victoire par le réformisme syndical international qui n’a plus besoin
de la scission puisqu’il croit avoir conquis la CGT. Immédiatement,
la CGT accepte de participer à nouveau aux conférences interna­
tionales. D e propos délibéré, pour bien affirmer sa victoire en
France, le bureau de Berlin décide que la prochaine conférence
aura lieu à Paris en 1909. Catastrophe ! N iel est balayé avant que
la conférence ne s’ouvre. L e Bureau de Berlin s’est jeté dans la
gueule du loup, il est trop tard pour faire machine arrière et la
conférence a lieu comme prévu. Mais, des deux côtés, les positions
se sont nuancées : Legien refuse de suivre les manœuvres d’Huys-
mahs qui veut faire enterrer définitivement les congrès02 ; à la
direction de la C G T, on a sans doute réfléchi et compris que la
scission internationale portait en elle la scission nationale. Comme
l’unité syndicale vaut bien une conférence, on va à Budapest (1911),
puis à Zurich (1913).

merveille l’influence décisive de la social-démocratie allemande sur le


mouvement ouvrier international. Il préside le Secrétariat International
de Berlin (qui devient bientôt Fédération Syndicale Internationale.) Il
fait écarter des ordres-du-jour des congrès toute discussion doctrinale. Ce
réformiste syndical classique est un socialiste très modéré. Député de
Kiel depuis 1893, il est majoritaire de guerre. En novembre 1918, en
acceptant de signer avec Stinnes un accord qui donne aux ouvriers
d’importantes satisfactions matérielles, il contribue à sauver la république
bourgeoise allemande. En mars 1920, il déclenchera la riposte ouvrière
au putsch Kapp.
61. Archives Monatte, Merrheim à Monatte, 7-X-1908.
82. P. M o n a t t e , RP, janv. 1950, « Le carnet du Sauvage. Il y a
50 ans ». Le Belge Camille Huysmans, membre du POB, est secrétaire
du BSI de 1905 à 1921.
86 alfred rosmer

D e l’avis des Français, il ne faut donc pas organiser une Inter­


nationale Syndicaliste-révolutionnaire. Or les syndicalistes de H ol­
lande déclarent dès 1909 :
« I l nous semble nécessaire qu’on se pose sérieusement,
dans tous les pays, la question de savoir si l’isolement des orga­
nisations révolutionnaires doit continuer »
Us proposent d'organiser un deuxième secrétariat international qui
regrouperait les seuls syndicalistes révolutionnaires et sont soutenus
par le groupe Solidandad Obrera créé vers 1902 qui représente
en fait l’ensemble du mouvement ouvrier catalan de tendance anar­
chiste et syndicaliste. Leur proposition échoue car Monatte parvient
à persuader ses partenaires que la prochaine entrée de l’A F L au
secrétariat de Berlin va permettre de redresser celui-ci.
Quatre ans de patience et d’impati>r>ce prouvent que l'admission
de i'ÀJtf L n'a apporté aucun changement notable.
En 1913, Rosmer et Monatte se retrouvent devant deux propo­
sitions fermes de congrès syndicaliste international 6\ Les Hollan­
dais récidivent : considérant que Berlin représente les réformistes
et les « tendances soi-disant modernes », qu’il refuse obstinément
de tenir de véritables congrès, qu’il n’y a aucune chance de le faire
changer d’avis dans un délai raisonnable, ils demandent à tous
ceux qui préconisent l’action directe de se réunir à l’automne 1913 6S.
L a Ligue anglaise d’Education Syndicaliste, quant à elle, s’élève
contre l’immixtion du Bureau Socialiste International de Bruxelles,
organe exécutif de la I I e Internationale, dans le mouvement syndical
par l’intermédiaire du bureau de Berlin. Elle propose qu’un congrès
international des syndicalistes se tienne à Londres en mai 1913os.
Cornelissen *T approuve l ’idée d’un congrès qui fera la preuve des
capacités d’organisation des syndicalistes, D e Ambris suit.
L e « noyau » de la V O se réunit au grand complet pour rédiger
sa réponse à D e Ambris. II défend l’unité syndicale internationale,

63. De Arbeid, 27-XI-1909, cité par P. M o n a t t e , VO, 20-XIM909,


a Le Secrétariat International contre l’internationalisme. »
64. M o n a t t e , VO, 20-11-1913, « Notes et documents. Deux congrès
syndicalistes internationaux ».
65. Bulletin International du Mouvement Syndicaliste, 16-11-1913. .
66. Ibid.
67. Christian Cornelissen, né à Bois-Le-Duc en 1864, passe aux assises
à Liège en 1895 pour affiliation à un groupe de malfaiteurs (d’anar­
chistes). En 1898, il vient en France, publie En marche vers la société
future (1900), collabore au Libertaire et aux Temps Nouveaux, puis à
la BS où il signe parfois Ruppert. En 1907, il est au congrès anarchiste
d’Amsterdam. De tendance mi-syndicaliste-révolutionnaire, mi-anarchiste,
il dirige — et pratiquement rédige entièrement — le Bulletin Interna­
tional du Mouvement Syndicaliste. La guerre fait un majoritaire de cet
inscrit au Carnet B et il signe le Manifeste des 16 (AN. F7. 13 053 et
13 061).
le syndicalisme révolutionnaire 87

met en doute l'efficacité du congrès et son opportunité. II ne s’agit


pas de sacrifier la Révolution à l’Unité car on ne peut faire l'une
sans l’autre. Aucun grand mouvement national ou international ne
peut avoir lieu sans unité. L ’exemple de la grève belge en a d’ailleurs
convaincu plus encore Rosmer. Il attribuait en effet les respon­
sabilités de l’échec non seulement à la mauvaise conception, à la
mauvaise tactique et à la mauvaise direction de la grève mais
encore aux divisions de la classe ouvrière belge. Il a vu des syndicats
voter contre la grève, par exemple les typographes de Bruxelles
d’esprit étroitement corporatiste Les cléricaux ont créé des syn­
dicats tout spécialement pour combattre ïe POB, brisant ainsi l’unité
de la classe o u v r i è r e L ' h o s t i l i t é à la conférence de Londres
n’est donc pas pour le « n o y a u » et pour la C G T une reculade70,
mais l'expression d'une conviction profonde : il n'y a ni unité sans
perspectives révolutionnaires, ni perspectives révolutionnaires sans
unité :
«V eut-on dresser dans tous les pays, côte à côte, deux fédérations
de mineurs, deux fédérations du bâtiment, deux fédérations du
textile ? Dans les pays où il existe des syndicats chrétiens, cela
ferait trois organisations par profession. Peut-on raisonnablement
penser que, dans de telles conditions, la lutte ouvrière pourrait
se poursuivre avec des chances de succès, les patrons ne trouvant
devant eux qu'une classe ouvrière divisée en fractions plus ou moins
hostiles, au moment même où les patrons, eux, s’organisent puis­
samment dans des organisations uniques 71. »
Du point de vue de l'efficacité, les congrès permettraient sans
doute de se mieux connaître,
« [...] de fixer la physionomie internationale du syndicalisme révolu­
tionnaire, de tuer la légende de la « mode française », d’affirmer
que la classe ouvrière, dans tous les pays, et non seulement dans
les pays latins, aboutira nécessairement à la conception et aux métho­
des de l’action directe économique 7S. »
Mais ce résultat, pour appréciable qu'il soit est cependant insuf­
fisant. Vaut-il la peine d'entreprendre des voyages coûteux ? L a VO
suit de près le mouvement syndicaliste international, a partout des
correspondants « hérétiques » , elle est déjà un lieu de rencontres' et
de discussions-
Du point de vue de l'opportunité, les conséquences internationales
d'un tel congrès peuvent être très graves. Monatte insiste. Les

68. BS, 14-IV-1913.


69. BS, 13-V-1913.
70. VO, 5-IX-1913. « Le congrès syndicaliste international de Londres.
Le point de vue de la VO ».
71. VO, 5-IV-1913, « Parmi nos lettres ».
72. Ibid.
88 alfred rosmer

scissions qu’on espérait temporaires (Hollande, Italie, Suède) ris­


quent de devenir définitives. Celles qui n’ont pas encore eu lieu
risquent de se produire. Internationalement, c’en serait fini de
l’unité syndicale :
« Pour nous, en France, préoccupés de réaliser l’Internationale
Syndicale, tenant de réels congrès internationaux de syndicats, une
internationale où nous savons fort bien que nous serons minorité,
mais qui sera la véritable internationale ouvrière, ne croyez-vous
pas que nous avons quelque raison de nous demander si notre
participation à un congrès syndicaliste et à un secrétariat syndi­
caliste ne nous fera pas tourner le dos au grand but que nous nous
sommes fixés ? 73 »
Partout où le mouvement syndical est déjà organisé, il n’y a pas
la possibilité de créer des organisations syndicales puissantes et
les nouveaux organismes syndicalistes seront paralysés par la mai­
greur de leur effectifs, une internationale syndicaliste où ne figu­
reraient pas les masses ouvrières de Grande-Bretagne, d’Allemagne,
des U SA ne serait pas une vraie internationale. Pourquoi entre­
prendre une action prématurée au moment où les vieux cadres
cèdent partout sous la pression du syndicalisme révolutionnaire,
au moment où Ton peut espérer le redressement du secrétariat de
Berlin ? L ’exemple anglais prouve qu’il faut lutter à l’intérieur des
vieilles organisations syndicales et que la scission est une solution
de commodité et non d’efficacité.
Il faut, ajoutent les membres du « noyau », conquérir une à une
les 28 Fédérations Internationales de Métier et investir ainsi le
secrétariat de Berlin. C ’est bien sur ce point, d’ailleurs, que les
opinions divergent. L e pessimisme anglo-hollandais ne voit d’autre
issue que la scission. L ’optimisme français demande un peu de
patience. A la conférence de Zurich, Dumoulin était délégué de
la CGT, Rosmer observateur. Ils en sont revenus persuadés que
l’on pouvait lutter dans le cadre du Secrétariat de Berlin, qu’une
victoire était possible. Rosmer 74 admet le faible intérêt de la confé­
rence, les maigres résultats obtenus. Il souligne que la minorité n’a
d’ailleurs eu que de piètres défenseurs. Perkins, délégué de l’A F L ,
stupide, ne parvient pas même à s’expliquer clairement : il réclame
des congrès, Legien ïui demande de préciser comment il envisage
leur organisation. I l ne sait que répondre. Une allusion de Rosmer
à la médiocrité de Jouhaux est transparente :
« Quant à la France, si on ne prend pas ses demandes au sérieux,
ce n’est pas tout à fait la faute des Allemands et de ceux qui les
suivent 79. »

73. Ibid.
74. VO, 5-X-1913.
75. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, Sept. 1913.
le syndicalisme révolutionnaire 89

Cependant, l’atmosphère de Zurich est excellente : une allusion


aux maigres ressources financières de la France provoque un éclat
de rire immense mais cordial ; la camaraderie règne pendant la
soirée de clôture76. Surtout Legien a fait un pas en avant en
c o n v o q u a n t les 2 8 secrétaires des Fédérations Internationales de
Métier. Avantage pour lui : 2 2 d’entre eux sont allemands. Avan­
tage pour la minorité : en augmentant le nombre des délégués, il
donne à la conférence des allures de petit congrès, il semble s’en­
gager pins avant quand il déclare :
« N e cherchons pas â commencer la construction de notre inter­
nationale par le toit. Les murs s'édifient en ce moment, ce sont
les fédérations internationales. L e jour viendra où nous pourrons
poser le toit. »
Il admet donc qu’il existe un embryon d’internationale syndicale
et indique les voies de son développement. Dumoulin ajoute :
« L ’idéal révolutionnaire donnera une âme au grand bloc d’argile
du Secrétariat International77. »
Donc le « noyau » est hostile à la conférence de Londres. Et la
CGT décline l’invitation. Les syndicalistes étrangers, d’abord muets
d’étonnement, ne tardent pas à bombarder de lettres la V O . Ils
commencent habilement par prêcher la réflexion. Walter, de Liège,
dit ses craintes aux « aînés de France » :
« I l arrivera un jour que les forces de réaction, relativement
à vous que sont les syndicats social-démocrates de Belgique, d'Alle­
magne, d’Italie, etc., deviendront un danger permanent pour l’idéal
d’affranchissement social qui préside au mouvement syndical fran­
çais 78. »
Mann écrit :
« Une glorieuse occasion de rendre un éminent service à la cause
du prolétariat universel s’offre maintenant à nos camarades de
France 79. »
D e Ambris souligne que l’abstention française diminuerait la valeur
du congrès80. Comme la présence de la C G T est d’importance,
les syndicalistes étrangers faisant des concessions tactiques, affirment
que le congrès n’aura qu’une portée limitée. L e congrès de Londres
ne sera qu’une simple prise de contact qu’imposent les circonstances
et la nécessité de ne pas continuer à vivre dans l’isolem ent81. La

76. VO, 20-X-1913.


77. VO, 5-X-1913, « La conférence internationale de Zurich ».
78. VO, 5-IV-1913, « Parmi nos lettres ».
79. Ibid., « Les lettres de l'internationale ».
80. VO, 5-IX-1913, art. cit.
81. VO, 5-IV-1913.
90 alfred rosmer

C G T n’aura pas à quitter le Secrétariat de Berlin puisqu’on ne lui


demande pas d’adhérer en bloc ; il suffirait que ceux de ses syndicats
qui sont de tendance syndicaliste-révolutionnaire adhèrent82. Menues
flatteries, concessions, rien n’y fait : les « aînés » de France sont
têtus.
L e ton monte alors. On leur déclare que leur tactique de présence
à Berlin est illusoire car il n’y a à Berlin que les réformistes :
« Les autres y sont tolérés comme des chiens dans une église,
uniquement parce qu’ils n’ont pas la force suffisante pour exercer
une influence sensible sur la direction du Secrétariat 8\ »
Dans la polémiqué ouvrière, il n’y a qu’un pas de l’erreur à la
trahison. Il est vite franchi. Les IW W accusent Jouhaux d’êti-e
à la solde du gouvernement français ®\ Comelissen affirme que
depuis la « rectification de tir », la C G T a renié le syndicalisme-
révolutionnaire, qu’elle recule 85. L a V O répond aimablement : c’est
Comelissen qui ne comprend rien au syndicalisme-révolutionnaire 8®.
Les Français ne voulant décidément rien entendre, force est de
tenir le congrès sans eux. Quand il s’ouvre à Londres (il durera
du 27 septembre au 2 octobre 1913), ni la CGT, ni le groupe de
la V O , ne sont représentés. Mais Rosmer y est, comme journaliste
envoyé spécial de la V O . Il donne un article sur le congrès de
Londres 87 et à la fin de chaque journée, il envoie à Monatte une
lettre qui retrace les diverses péripéties 8S. Les lettres, non destinées
à publication, sont naturellement plus caustiques que l’article, mais
sa description des faits ne diffère pas d’une source à l’autre. Rosmer
est d’ailleurs fort grognon ;
« Tu parles d’une sinistre corvée. »
Une corvée qui l’empêche d’aller voir la dernière pièce de Shaw,
de se promener, de courir les bouquinistes, de rendre visite à ses
amis.
Très en verve, il fait une description saisissante de l’extraordinaire
atmosphère du congrès. Les incidents succèdent aux incidents. L e
premier jour, à quatre heures moins cinq, le tumulte est tel que
D e Ambris se lèvre furieux : si la discussion en cours n’est pas
close à quatre heures, je pars. Après quelques minutes de silence,
le bruit reprend de plus belle :

82. VO, 5-IX-1913, art. cit.


83. Ibid.
84. T r t o o n dans Solidarity, organe des IW W de Cleveland du 16-VIII-
1913. Cité dans VO, 20-IX-191S, « Parmi nos lettres ».
85. VO, Sept 1913, a A travers les organes corporatifs ».
86. Bulletin International..., du 21-IX-1913.
87. VO, 20-X-1913.
88. Archives Monatte, deux lettres, du mercredi soir et du jeudi soir.
le syndicalisme révolutionnaire 91

« Tout y est prétexte et tout le provoque, il y a toujours quel­


q u ’u n qui est prêt à partir et qui parle d’aller boucler sa valise
[...] 89- »
L e lundi, les Hollandais menacent de prendre le premier bateau
pour Rotterdam, le mardi, Gamier et Lemaire font une fausse sortie,
imités par les Espagnols. D ’autres partent pour de bon : Rossoni
s’en va aux USA, D e Ambris fait un nouvel éclat :
« Je ne sais plus comment te raconter les incidents violents qui
se sont déjà produits. Ils éclatent à propos de rien et provoquent
une confusion inouïe. Tout le monde s’agite. Michelet demande
deux mots. Rossoni vocifère. Les Hollandais, placides mais collants,
lë regardent avec stupéfaction. Bowman crie à Cornelissen : — Tu
veux manipuler le congrès. Tu fais des traductions fausses. Corne-
lissen, exténué, répond : — Mais je ne suis ici qu’un traducteur.
Il veut éviter une dispute publique... Kater agite la sonnette tant
qu’il peut. Karl Roche, Allemand typique malgré son nom français
crie : — Schluss. Schluss (clôture). Les journalistes auprès de qui
je suis s’amusent follement. Enfin quelqu’un trouve un moyen
d’apaiser le tumulte et on essaie de se mettre au travail. Les seuls
moments paisibles, c’est lorsqu’on lit les rapports de la situation
dans les divers pays, mais alors personne n’écoute *n. »
L e congrès pourtant n’est pas négligeable : 34 délégués repré­
sentent 11 nations et environ 220 000 membres. Commençons par
les pays latins. L ’Italie groupe à elle seule 110 000 m em bres91.
De Ambris représente l’Union Syndicale italienne. Rossoni, « coquet
comme plusieurs femmes 92 » , que les Allemands et les Hollandais
prennent pour un fou,
« et ils n’ont pas tout à fait to r t93 »,
représente l’Union Syndicale de Milan et la Bourse du Travail
de Bologne. Corio est le délégué de la Bourse de Parme. Les Espa­
gnols sont l’anarchiste Du que (13 syndicats de L a Corogne), le
galicien Romero (Agricoles et Cordonniers), José Nègre (Confé­
dération de Catalogne), Vallina (Athénée Syndicaliste de Barce­
lone) 94 n’est que simple observateur, baptisé « délégué fraternel ».

89. I b i d jeudi soir.


90. Ibid., mercredi.
91. M. T c h e r k e s o f f , « Le congrès syndicaliste international », Temps
Nouveaux, 18-X-1913, avance des chiffres beaucoup plus importants :
IWW, 100 000 membres ; Allemagne, 30 000 ; Italie, 65 000 ; Grande-
Bretagne, 140 000.
92. AR, Op. cit.
93. AR, Op. cit.
94. Le Docteur Vallina, né en 1889, anarchiste d'origine, passera à
la GNT. Il émigre au Mexique après la guerre civile. L ’Athénée Socialiste
de Barcelone qui se double d’Athénées de Quartier se veut un centre de
culture populaire et militante.
92 alfred rosmer

Trois Français sont venus, envoyés par des syndicats et des fédé­
rations : Michelet (Fédération de la Chapellerie), plein de bonne
volonté mais sans grande valeur ; le peintre en bâtiment Couture
(Menuisiers, Bâtiment, Plombiers, Charpentiers en fer, Briqueteurs,
Terrassiers de la Seine) ; Knockaert sur lequel Rosmer est très
évasif : « C ’est un bon type, mais... » . En petit comité il tient de
grands discours de réunions publiques et fait le bonheur des A lle ­
mands en accusant la C G T de ménager les réformistes. Ce sont
les syndicats non-fédérés du textile de Lille, Roubaix, Tourcoing
qui l’ont envoyé.
L ’Europe du Nord a une importante représentation. Demouîin
est mandaté par l’Union des Syndicats de la province de Liège.
Les syndicats libres d’Allemagne ont envoyé leur dirigeant Kater,
W indhoff et Roche. Les deux Lansink (père et fils), Van D er Hagen,
Van Den Berg, Wesselingh, Markmann, Van Erkel, représentent
les organisations hollandaises (Textile, Cigariers, Tabacs, Muni­
cipaux, Marins, Bâtiment). L ’Organisation Centrale des Travailleurs
Suédois a envoyé Jensen, collaborateur de la VO. L ’Angleterre a
9 délégués dont Garnier (Cuisiniers), Lemaire (Typographes), W ills
(Union des Syndicats de Bermondsey), Jack Tanner05 et Crook
(Mécaniciens de Harnmersmith). Evelyn Lilyan et Wilshire sont les
« délégués Fraternels » du groupe syndicaliste de Londres.
L ’Amérique du Sud n’a envoyé personne : éloignement, prix
du voyage, manque de temps. Mais elle a mandaté des militants
européens. D e Àînbris a le mandat de la Confédération Ouvrière
Régionale d’Argentine de tendance syndicaliste et de la Fédération
Ouvrière Locale de tendance anarchiste. Guy Bowman n’a pu se
faire mandater par ses compatriotes mais représente la Confédération
Brésilienne du Travail. Un autre Anglais, Tomlinson, représente
Cuba. L ’absence des I W W est significative. D ’ autant que l’ un
d’entre eux, Swasey, se trouve justement â Londres. Leur congrès
se tenant au même moment aux USA, ils auraient très facilement
pu télégraphier des instructions à Swasey.
Mais tous ces délégués ne se connaissent pas entre eux et ne
connaissent guère les mouvements qu’ils représentent ou sont censés
représenter. L e congrès tourne à la catastrophe car, au heu dé
s’unir, on s’est divisé. Une réunion secrète sur les questions finan­
cières a failli tourner au pugilat. Spectacle « écœurant », c’est le
réformiste Ben T ille t 9E qui préside le meeting de clôture. Rosmer

95. Tanner, des métallurgistes, collabore à la VO. Il sera en 1953 élu


président des Trade-Unions.
96. Benjamin Tillet (1860-1943), porteur du thé aux docks de Londres,
fonde en 1887 un syndicat de métier. En 1889, il dirige la grève des
docks avec l’aide de Tom Mann. Elle lui permet de mettre sur pied sune
Union des Docks avec sections dans tous les ports. Membre du Trade-
Union Council Parb'amentary Commitee, il est de la SDF. Il est l’un des
fondateurs de l’ILP. Ii est député de 1917 à 1924. Réformiste syndical
le syndicalisme révolutionnaire 93

c o n s ta te — sans aucun plaisir — que le groupe de la V O a été


bon prophète. Il tente de dresser le bilan de la mésaventure. Sur
les neuf points de l'ordre du jour, deux seulement ont pu être
discutés : la déclaration de principes et la création d’un secrétariat
international. Tout le reste, antimilitarisme, immigration, briseurs
de grèves, etc., a dû être supprimé par manque de temps.
De la déclaration, Rosmer dit peu de bien :
« Ce texte n'est pas d une clarté ébouissan^. Il est rédigé en un
français de congrès international. »
11 la donne cependant dans son article de la V O :
« L e Congrès, reconnaissant que la classe ouvrière de chaque
pays souffre de l'esclavage du système capitaliste étatiste, se déclare
pour la lutte des classes, pour la solidarité internationale et pour
l’organisation indépendante des classes ouvrières, basée sur l'asso­
ciation libre.
« Cette organisation a pour but le développement matériel et moral
immédiat des classes ouvrières et, dans l'avenir, l'abolition de ce
système. L e Congrès déclare que la lutte des classes est une consé­
quence inévitable de la propriété privée des moyens de production
et de distribution et préconise la socialisation de cette propriété
et le développement des syndicats en organisations productrices,
aptes à se charger de la direction de la production et de la distri­
bution.
« Reconnaissant que les syndicats internationaux n’atteindront ce
but que lorsqu'ils cesseront d'être divisés par des différences poli­
tiques et religieuses, déclare que la lutte est d’un caractère écono­
mique tel qu'elle exclut toute action exercée par des corporations
gouvernantes ou par les membres de ces corporations et dépend
entièrement de l'action directe des travailleurs organisés. En consé­
quence, le Congrès fait appel aux travailleurs de tous les pays afin
de s’organiser en unions industrielles indépendantes et de s’unir sur
la base de la solidarité internationale en vue d’obtenir leur éman­
cipation et de s'affranchir de la domination capitaliste et étatiste. »
Si l’on s’entend relativement vite sur la déclaration de principes,
d'autant qu'elle est assez vague, quand on en vient à l’organisation
du secrétariat, les points de vue différents s’affrontent. Les A lle­
mands veulent un véritable Secrétariat Révolutionnaire Internatio­
nal, à forte cotisation (31,25 francs par mois et par organisation,
non compris l’abonnement au bulletin). D e Ambris fait remarquer
que ni la CGT, ni les I W W ne sont là. Il y a donc trop peu de

combatif des Docks puis des Transports, il est politiquement très modéré.
La guerre le trouve défensiste. En 1922, il est membre du conseil géné­
ral des Trade-Unions et figure en 1924 parmi la délégation des Trade-
Unions en Russie. Il a une attitude très réservée par rapport aux bol­
cheviks.
94 alfred rosmer

présents. Il faut se contenter d’organiser le contact entre ceux des


syndicalistes qui ne veulent ou ne peuvent être admis dans le
secrétariat réformiste de Berlin. Un bureau d’information suffira,
s’il a un organe de presse. Cette formule souple et en quelque sorte
minimum permettra l’adhésion de certains syndicats français, la
C G T continuant, quant à elle, à siéger à Berlin. Les Allemands
ont l’habileté de se rallier à cette proposition. C’est un simple
Comité d’Entente (ou Comité d’information) Syndicaliste Inter­
national qui est organisé. Il mettra en relations les forces syndi­
calistes des différents pays, publiera un Bulletin, organisera la soli­
darité, préparera la tenue de véritables congrès syndicalistes inter­
nationaux. II aura dans chaque pays un correspondant nommé par
la Centrale nationale adhérente. Comme, dans bien des pays, la
Centrale n’est pas syndicaliste et n’adhérera donc pas, ce sera la
plus forte des organisations adhérentes, après consultation des plus
petites, qui désignera le correspondant. L e Comité de 5 membres
qui coiffe le tout établira lui-même son règlement intérieur. Les
frais seront couverts par les abonnements au Bulletin qui ne pour­
ront être inférieurs à 5 francs par 1 000 membres et par l'aide
éventuelle des organisations adhérentes. Quant aux membres du
Comité, ils seront désignés par les syndicats hollandais car le siège
du nouvel organisme est en Hollande.
C’est sur ce point qu’est intervenue la rupture, que D e Ambris
est parti en claquant la porte. L e Comité ne pourra donc grouper
que les 8 000 « localistes » allemands, les 15 000 Hollandais et
les Suédois. Il ne faut plus compter sur les Italiens, les IW W ont
d’autres soucis, les quelques Français et Espagnols seront d’un piètre
secours.
Effectifs squelettiques, organisme inefficace, échec. Rosmer s’inter­
roge sur les causes de cet échec. Il signale les querelles de per­
sonnes. Bowman et Comelissen s’accusent mutuellement de vouloir
manipuler le congrès. D e Ambris déteste Kater et Comelissen :
« Il souhaite leur mort pour la paix du monde et le progrès du
syndicalisme. »
Rosmer ne cesse d’ailleurs de taquiner ce pauvre D e Ambris,
plaisantant « son » congrès, le laissant patauger :
« II a voulu venir ici, qu’il se débrouille. »
Les Germano-Hollandais n’ont pas pris au sérieux l’organisation
qu’il représente, ils l’ont traité en quantité négligeable. L ’exécrable
organisation matérielle du congrès est aussi en cause : l’ordre du
jour est parvenu aux participants une semaine seulement avant
l’ouverture du congrès, les traductions en deux, trois ou quatre
langues alourdissent et allongent les débats. Mais Rosmer se refuse
à tout expliquer ainsi : si les congressistes avaient été d’accord
sur le fond, en militants expérimentés, ils auraient su éliminer
dès le premier jour les questions irritantes et accessoires. Or il
le syndicalisme révolutionnaire 95

n ’ y a pas entre eux de querelle d e tendances puisqu'ils sont tous


s y n d ic a lis te s . Comment se f a i t - i l alors que,
« Dès le premier jour [...] deux groupements se sont formés,
in’éductibles qui devaient faire bloc sur toutes les questions, du
commencement à la fin ? »
Nous pouvons distinguer deux séries de causes à ce phénomène :
rivalités nationales, importance variable accordée au problème de
l’unité syndicale. Rosmer donne tous les éléments pour apprécier
les premières mais n’en souffle mot tandis qu'il insiste sur le second
point. Aveuglement ou propos délibéré ? Il est impossible de le
dire. Quoi qu’il en soit, un bloc nord-européen — Hollandais,
Allem ands, fraction des Anglais menée par Cornelissen — s'oppose
au bloc latin — Français, Italiens avec D e Ambris. Ce sont d’abord
de menues querelles. W indhoff s’écrie :
« Les Français, les Espagnols et les Italiens parlent tout le temps.
Les Allemands et les Hollandais sont les seuls qui discutent conve­
nablement. »
Puis les choses s'aggravent. L'Allemand Roche annonce sérieu­
sement :
« Nous sommes venus ici pour fonder une Internationale. Si les
Français et les Italiens ne veulent pas venir avec nous, eh bien,
nous fonderons une Internationale entre Allemands et Hollandais. »
De Ambris répond par une boutade : lui veut bien fonder une
Internationale, mais sans Allemands ni Hollandais. Tandis que les
Espagnols refusent prudemment de rejoindre l'un ou l'autre des
deux groupes, les blocs se figent et on complote de part et d'autre.
De Ambris réunit son «p e t it com ité». Les Latins trouvent que
la Hollande est un trop petit pays — « un petit pays quasi ignoré »
dira De Ambris 97 — pour que le Comité d'Entente y siège. Pauvre
argument qui masque sans doute leur crainte majeure : les A lle ­
mands proches risquent de prendre trop d'influence. A Londres,
le Comité ne peut siéger car les syndicalistes y sont divisés. Reste
Paris. Bien entendu les Germano-Hollandais ne veulent pas en
entendre parler. D e Ambris craint d'être mis en minorité et demande
que le vote ait lieu non par tête mais' par nation. Etrange propo­
sition pour un internationaliste et qui provoque un beau vacarme.
Kater proteste. Romero déclare au nom des Espagnols qu'il est
impossible d’accepter le vote par nation, contraire aux principes
fédéralistes du syndicalisme. C'est la « grande trahison des Espa­
gnols ». D e Ambris, battu par 16 voix contre 13, s'en va alors,
furieux, et se console de ses malheurs en s'offrant un repas très
largement arrosé.

97. Internazionale, ll-IX-1913, cité par AR., VO, 20-X-1913.


96 alfred rosmer

Pour Rosmer, c’est plutôt la question de l’unité syndicale natio- |;


nale et internationale qui a tout fait échouer : |
« Pour les Allemands et aussi pour les Hollandais, la division |
des forces ouvrières doit devenir la règle. Parce qu’elle existe chez |
eux, ils la veulent partout. » £
II explique ainsi leur désir de fonder à tout prix une Internationale £
syndicaliste et leur volonté d’installer au moins le Comité d’Entente ^
dans un pays où la scission s’est produite. Cette attitude justifie la ç
position de la CGT. Notons que Rosmer approuve entièrement »
l’attitude de cette dernière qui est sans doute décisive dans l’échec £
de Londres. I l n’ignore pas que des scissions sont parfois inévitables, |
que la lutte est particulièrement difficile dans les pays où les sociaux- |
démocrates et les syndicalistes réformistes dominent. Il comprend |
parfaitement que les syndicalistes ont besoin de se concerter par |
des conférences. Mais il refuse d’aller au-delà. |‘
Partout le syndicalisme progresse, il faut lui faire conquérir les |
centrales nationales, les fédérations d’industrie, le Secrétariat de |
Berlin. D e Ambris s’aperçoit — mais un peu tard — que : |
« l’important en cette matière n’est pas tant de faire vite que de |
faire bien 98 ». t.
Rosmer veut enterrer définitivement cet épisode qui n’a pas
grandi le syndicalisme :
« Ouf ! L e premier Congrès Syndicaliste International vient
d’être clos solennellement par Kater. Bon débarras [...]. »
Revenons aux choses sérieuses, la critique vigilante du Secrétariat
de Berlin : dès février 1914, Monatte fait une critique sévère du
dernier numéro du Bulletin de cette organisation fl9. Remarquons
d’ailleurs que si, pour le groupe de la VO., l’affaire paraît définiti­
vement enterrée, tous les participants du congrès de Londres ne
sont pas de cet avis. D e Ambris n’a pas perdu tout espoir et il
tient la réunion de Londres comme une réunion préparatoire : on
y a préparé le futur congrès syndicaliste international 10°. Duque
considère qu’une nouvelle internationale syndicale a effectivement
été créée à Londres :
« Pour nous, Espagnols, en raison de notre conception de l’orga­
nisation et de notre esprit décentralisateur, contraires à tout fonc­
tionnarisme et bureaucratisme professionnels, le fait de nommer
un Comité d’Entente chargé de rédiger un bulletin de statistique
par lequel les syndicats révolutionnaires se compteront, institue un
nouvel organisme en face du Secrétariat de Berlin 101. »

98. Ibid.,
99. VO, 5-II-1914.
100. Cité par AJR, VO, 20-X-1913.
101- Temps nouveaux, 18-X-1913.

r-
le syndicalisme révolutionnaire 97

Quoi qu’il en soit, le Rosmer des années 1913-1914 — et Ton ne


peut détacher de lui Monatte et les autres membres du noyau —
n'est pas, loin de là, un Rosmer pessimiste. La voie qu’il a choisie :
rejet de l'Internationale politique, refus du réformisme syndical, syn­
dicalisme révolutionnaire débarrassé de ses scories et de ses exagé­
rations verbales, lui semble la voie juste. Voie juste parce qu’elle
est la forme la plus dure et la plus radicale de contestation du
régime capitaliste, voie efficace parce qu'elle lui paraît seule capa­
ble de mener à la Révolution expropriatrice. Certes les réformistes
du monde syndical et du monde politique la combattent mais il
y a quelque chance de la voir grouper des masses de plus en plus
larges de travailleurs. Un peu d’énergie, un peu de patience et
d'habileté tactique et la victoire du syndicalisme révolutionnaire
international est assurée. Rosmer a donc la ferme conviction que
ie débat interne du mouvement ouvrier inlemaLioiia.1 couine eu
faveur du syndicalisme-révolutionnaire. Dumoulin aussi, qui dit :
« On sent monter la sève au tronc des peuples 102. »
Mais la révolution syndicaliste-révolutionnaire qu’ils espèrent est
prise de vitesse par la guerre. En effet, dans l'Europe de 1914, le
prolétariat ne dicte pas sa loi. Ce sont les impérialismes et les
nationalismes qui le font. La guerre qui éclate en juillet brise les
espoirs d'une révolution toute proche.
3

Les débuts de la lutte minoritaire

Divisée en deux parties de durées inégales par l’événement capi­


tal de Zimmerwald, la période qui s’étend de l'été 1914 au prin­
temps 1920 s’ouvre par un événement de l’histoire générale, la
déclaration de guerre. Elle se clôt par un événement d'ordre stric­
tement biographique : le départ de Rosmer pour Moscou. La
seconde de ces dates peut être discutée : en réalité, c'est en 1918
que se produit en France le contrecoup de la révolution russe et
le renversement européen de la conjoncture révolutionnaire est
postérieur à 1920. Mais le départ pour Moscou ouvre à Rosmer un
nouveau champ d’action, est l'une des dates décisives de sa vie. Il
ne nous a pas paru possible de négliger ce fait.
Les événements qui font la trame de cette période étant bien
connus l, nous avons voulu examiner un cas : comment Rosmer
a-t-il agi contre la guerre ? Gomment a-t-il pris contact avec le
bolchevisme ? Au moment de son départ à Moscou, où en était sa
lutte pour la 3® Internationale ? Voilà les questions que nous nous
Sommes posées.

En 1914, les progrès du syndicalisme-révolutionnaire lui parais­


saient décisifs. Toutefois ils ne lui cachent pas la montée des
périls. Tout le mouvement ouvrier d’avant-guerre, de Jaurès à
Lénine en passant par Merrheim sait d’ailleurs parfaitement que les
impérialismes préparent la guerre. Mais on reste optimiste, l’idée
qui prévaut, c’est que la révolution prendra la guerre de vitesse.

1. V o ir les ouvrages de A . Khiegel et de R. W ohl,


les débuts de la lutte minoritaire 99

Rosm er connaît surtout d eu x aspects d e cette m ontée d es p érils :


le jingoism e anglais et les gu erres ba lk a n iq u e s.
Dès 1910, il a assisté en Angleterre au développement d’un
nationalisme agressifa. La presse anglaise fait campagne pour la
conscription, les journaux comparent sans cesse les forces navales
anglaises et allemandes, concluent à l’infériorité britannique et
demandent de nouveaux programmes d’armement. L ’Angleterre se
s en t menacée par l’expansion industrielle et commerciale de
l'Allemagne et une bonne partie de l’opinion devient chauvine et
militariste. Déjà, certains sociaux-démocrates se sont rangés dans
le camp des nationalistes. Andler avait parlé de « socialisme impé­
rialiste » dans le cas allemand, Rosmer ne va pas aussi loin, mais
il donne sur la question certains éléments d’appréciation. Robert
Blatchford, « figure assez pénible de révolutionnaire fatigué » a
pris des positions anti-allemandes 3. Hyndman tient d’étranges rai­
sonnements : il soutient que les canons de la flotte britannique sont
indispensables pour protéger les réfugiés politiques qui résident sur
le sol anglais et il approuve donc tous les programmes d’armement
naval.
D ’autre part, Rosmer suit de bout en bout les affaires balkani­
ques pour la BS. ; il acquiert ainsi une bonne connaissance des pro­
blèmes, ce qui lui permet de donner à la V O un article de synthèse
sur la question4. Il renvoie dos-à-dos les nationalités, n’est « ni
turcophile(s), ni turcophobe(s)5 » . Il n’a aucune estime pour la
tradition littéraire du vilain turc et des bons chrétiens des Balkans
et trouve ridicule le philhellénisme naïf de la presse et des huma­
nistes français. II rappelle que Marx a dénoncé les brigandages des
monténégrins et que Victor Bérard a consacré des chapitres aux
bons turcs.
« Comme si la Grèce d’aujourd’hui avait une ressemblance quel­
conque avec la Grèce de Périclès ! ®. »
Les atrocités ne sont le monopole d’aucun des deux camps et à
l'occasion, les chrétiens s’entretuent allègrement. Les puissances
sont mal venues de donner des leçons de morale : quand les mas­
sacres du sultan Abdul-Hamid font des milliers de victimes, il s’en
trouve toujours une pour le défendre en pratique tout en protes­
tant pour la forme. D ’ailleurs tous les gouvernements européens

2. VO, 5-X-1910.
3. Robert B l a t c h f o r d (1851-1943) s’est converti au socialisme vers
1880. Ses articles du Sunday Chronicle l'ont rendu célèbre. Il dirige à
grand renfort de publicité tapageuse le Clarion qui a d’ailleurs perdu
beaucoup de son importance vers 1910. Pendant la guerre des Boërs, il
a déjà pris des positions impérialistes.
4. BS, à partir d’octobre 1912 ; VO, 20-XI-1912.
5- VO, art. cit.
6. Ibid.
100 aîfrecl rosmer

sont dictatoriaux, leur seule supériorité sur le système turc est leur
hypocrisie : ils y mettent plus de formes. Les convoitises des puis­
sances sont directement responsables du raidissement des Jeunes
Turcs. Rosmer pense d’ailleurs impossible d’appliquer le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes dans une région où races et reli­
gions sont étroitement imbriquées, la Macédoine fournissant de
cette imbrication un exemple classique. Chacune des nationalités
ne rêve que d’éliminer les autres par le massacre, les turcs se
maintiennent par la violence : aucun choix moral n’est possible.
Pour lui, ce sont les grandes puissances qui mènent le jeu.
L ’Autriche-Hongrie, la Russie, l’Italie manœuvrent les .chrétiens des
Balkans. Elles les soudent en une Ligue Balkanique puis les divi­
sent pour profiter de leurs querelles. Les Balkans sont leur champ
clos. L e conflit balkanique peut mettre en péril la paix européenne.
TruLsky parlait des Balkans comme d’une « boîte de Pandore » \
Rosmer reste optimiste : le prolétariat européen a signifié claire­
ment qu’il ne voulait pas se laisser entraîner dans une boucherie,
« la peur d’un soulèvement des peuples sera, pour les gouver­
nants de tous les pays, le commencement de la sagesse 1bis ».
Son optimisme est donc raisonné : la Révolution a le temps
d’éclater, parce que les gouvernements reculent devant une guerre
qui précipiterait plus encore la Révolution.
Optimisme démenti par les faits. L a guerre éclate et va lui per­
mettre de donner sa mesure de militant. Jusqu’à Zimmerwald, il
agit dans un cadre strictement français — cadre imposé par la
répression gouvernementale. Après Zimmerwald et surtout après la
révolution russe, la nature des problèmes change avec leur dimen­
sion. Dans une vision élargie, les perspectives révolutionnaires
réapparaissent.
Nous pouvons vivre la semaine qui précède l’entrée en guerre
dans l’intimité même de Rosmer grâce aux lettres qu’il envoie à
Monatte, parti se reposer en Auvergne *. Inquiétudes et espoirs se
côtoient car rien ne paraît joué d’avance. Rosmer ne peut oublier
qu’il y a eu bien des alertes depuis 1870 et que pourtant l’Europe
— du moins dans sa partie occidentale— vit en paix depuis qua­
rante quatre ans. Deux idées, pourtant contradictoires, coexistent
dans son esprit :
— la guerre impérialiste est inévitable,
— la paix doit et peut être sauvegardée.

7. Trotsky était à cette époque envoyé spécial de La Dépèche de Kiew


dans les Balkans. Voix I. D e u t s c h e r , Trotsky, t. I, pp. 273-283.
7 bis. BS, 27-X-1912.
8. Pour la période de guerre, toutes les lettres de Rosmer à Monatte
se trouvent dans les Archives Monatte.
les débuts de la lutte minoritaire 101

Pessimisme et optimisme s’affrontent et se mêlent en un dosage


qui varie selon les jours. L e 27 juillet, la guerre lui semble immi­
nente. Et pourtant il s’étonne que Jouhaux et Dumoulin ne soient
pas rentrés de Bruxelles pour assister à une discussion sur la V er­
rerie Ouvrière qu’il considère comme capitale. L e 28, il est ras­
suré : la grande presse est convenable, même L e Matin. L a mani­
festation de la veille a été bonne : beaucoup de monde, pas de
contre-manifestants. Une foule énorme a déferlé vers les Boule­
vards. La police ayant barré les rues y conduisant, chaque rue a
vu se former une petite manifestation. Les cris de « A bas la
guerre » ont résonné de l’Opéra à la République ®. L a guerre n’aura
pas lieu. L e 30, il pense que le danger de guerre générale est
écarté car la Russie, gênée par les grèves et l’agitation ouvrière en
Pologne, ne peut donc s’engager à fond. Les Puissances, par accord
tacite, laisseront l’Autriche faire une démonstration de prestige en
Serbie. Si l’Autriche n’exagère pas, toute menace est écartée.
On voit que son optimisme se fonde sur l’accord tacite des
Puissances et non sur l’action propre des prolétariats organisés,
comme s’il sentait confusément de quel côté se trouve la possibilité
réelle d’agir sur le cours des événements. Il a vent de l’entrevue
Jouhaux-Legien qu’il présente d’ailleurs comme une entrevue Du-
moulin-Legien dans le récit qu’il nous en donne. Récit qui est la
première version que nous ayons de cet épisode :
« Dumoulin était revenu très pessimiste de Bruxelles. Les A lle­
mands ne bougeraient pas. Legien le lui avait d i t 10. »
Il souligne que les deux prolétariats, le français comme l’alle­
mand, sont également coupables de faiblesse :
« Ils [les Allemands] ont eu de belles réunions et une manifestation
dans la rue. Nous n’avons pas fait davantage 11. »
Mais le désarroi des esprits le frappe. Guillaume est passé à la
Bataille Syndicaliste et y a trouvé tout le monde très agité, décidé
à faire quelque chose mais incapable de savoir que faire. Lui-même
pense qu’à la C G T règne la même bonne volonté, assortie de la
même absence d’idées. L e manifeste du 28 est « passablement
stupide » ia. En effet, l’agression autrichienne contre la petite
Serbie donne déjà le beau rôle à la Russie, et ce n’est pas à la C G T
de dénoncer l’Autriche sans dire un mot des manœuvres russes.
C’est se mettre à la remorque des « pacifistes de gouvernement ».
Au désarroi des organisations répond celui des individus impres-

9. MO., I. 102.
10. AR. à Monatte, 27-V II-1914. Jouhaux attend le 26-IX-1914 pour
publier sa version dans la BS., Dumoulin répliquant par une lettre adres­
sée au Comité Confédéral.
11. AR. à Monatte, 30-VII-1914.
12. Ibid., 29-VII-1914.
102 alfred rosmer

sionnés par l’interdiction des meetings, les violences policières, les f


bruits d'arrestation qui sont une menace pour tous les militants. On |
parle un peu partout du Carnet B où sont inscrits les militants à f
arrêter, des arrestations imminentes, en un savant mélange d’intoxi- \
cation et de chantage. Certains militants ne couchent plus chez f
eux, d'autres préparent leur départ à l'étranger, d’autres basculent. !
L e 27, Rosmer qui se rend à la manifestation, trouve Guillaume f
découragé. La manifestation, dit-il, est inutile, elle ne servira qu’à j
faire « coffrer » desgens. L a conversation tourne court : .j
« Je crois bien que si je l'avais poussé, il m’aurait dit qu’il fallait I
résister à la vague germanique, car pour lui, il n’y a aucun doute, I
que tout le mal vient de l'Allemagne qui pousse et qui excite I
l’A u trich e13. » |
Ainsi s'est fait dans l’esprit de Guillaume un transfert des res- f
ponsabilités de l’Autriche à l’Allemagne. Ce transfert est décisif. f
Mobilisation, assassinat de Jaurès, déclaration de guerre, les f
jours qui suivent ne nous sont pas connus par les précieuses lettres 1
car Monatte a sauté dans un train pour Paris. L a semaine est faite : 1
de déchirements et de querelles. Au Comité Confédéral du diman- ' 1
che 2 août, les mobilisés protestent contre l’évolution de la BS. On I
les interrompt par des sorties patriotiques. g
« Nul n’a le cœur de répondre à ces sottises14. » |
C ’est déjà en groupes hostiles que les syndicalistes assistent aux , |
obsèques de Jaurès le 3. A l’écart de la foule se tiennent Merrheim 1 I
et ses amis des Métaux. Rosmer est dans un autre groupe avec /; I
Monatte, Brisson et Tourette. Il ne nous a pas laissé d’évocation de : |
ses sentiments ce jour-là, mais Monatte bien des années plus tard
a témoigné : ;S
« Réservés, comme en boule, nous avions des raisons de l’être,
Nous n’étions pas encore des pestiférés, mais nous allions le devenir. 1
Nous ne participions pas à l’atmosphère générale. Nous nous éc a r-v j
tions des autres autant que les autres, la grande foule des autres, " g
s'écartaient de nous15. » : I
L e discours de Jouhaux sur la tombe de Jaurès, l’entrée de Jou-
haux au Comité de Secours National vont rendre la coupure défi-
nitive. ' K"
Maintenant que se sont effondrées les consignes de lutte contre
la guerre puis dans la guerre, il va falloir improviser et leshommes,-'-'ih:
.. ••Ü x
-------------- -;■*£
13. Ibid., 28-VII-1914. Dans une lettre à Brupbacher, du même jour
(Archives Brupbacher), Guillaume raconte qu’il est passé à la VO. voir •%:
s’il y avait réunion du noyau. Il a trouvé troispersonnesdont Rosmer;^
et est descendu avec lui vers la manifestation. ^If»
14. MO., I. 170. ig
15. Archives Monattey Texte de 1935. '^11
les débuts de la lutte minoritaire 103

livrés à eux-mêmes, montrent leur vraie valeur. Ceux des anar­


chistes, des socialistes, des syndicalistes qui communient dans la
ferveur patriotique — ils sont l’immense majorité — se regroupent
au mépris des distinctions d’avant-guerre. La C G T et le Parti
Socialiste forment un Comité d’Action permanent. Du côté majori­
taire, les divisions d’avant-guerre sont donc oubliées. Romain
Rolland nous fait un tableau symétrique de la situation dans le
camp minoritaire :
« C'était à l’heure d’exception où les frères ennemis : anarchistes,
socialistes, syndicalistes, révoltés contre la guerre, oubliaient leurs
querelles pour s’unir 16. »
Illusion de littérateur : il nous faut bien avouer que cette heure
ne sonna que bien plus tard et pendant bien peu de temps. Si la
liaison se fait vite entre les syndicalistes de la V O et certains émi­
grés russes, l’hostilité et les préventions continuent longtemps à
présider aux rapports avec les socialistes.
L ’hostilité à la guerre, Monatte et Rosmer la ressentent immé­
diatement, sans avoir besoin de se consulter17. Elle est absolue,
il est tout à fait caractéristique à cet égard que nulle part dans sa
correspondance des années de guerre, Rosmer ne fasse d’allusion
aux péripéties mêmes de la guerre. Il la condamne globalement et
pour lui tout est dit. Pendant des semaines, seuls, ils remâchent leur
désespoir avec le sentiment que tout ce qui faisait leur vie s’est
effondré 18. A Paris, la guerre et la mobilisation ont arrêté toute
v ie ,B. L ’opinion publique tout entière semble avoir accepté la
guerre. Dans une rue proche du Faubourg Saint-Antoine, en quar­
tier ouvrier pourtant, Rosmer entend le 3 août commenter avec
orgueil une imaginaire victoire française en Alsace. Il a l’impression
que le prolétariat français a été emporté par la vague de chauvi­
nisme comme les prolétariats russes, anglais, autrichiens et alle­
mands. Les militants cèdent devant le flot : l’immense foule des
syndicalistes et même Guillaume, un ami de toujours. Ils tiennent
dés propos extravagants pour expliquer leur volte-face : M mo
Compain soutient que le peuple allemand est impérialiste. EUe
n’en veut qu’une preuve : il a un empereur. Rien ne peut la faire
démordre de cette position grotesque. Certains se réfugient dans
le mutisme tel Maurice Bouchor, écrivain et socialiste, ami de la
VO qui ne sait rien et ne veut rien savoir. Les mieux dispoisés sou­
tiennent qu’il n’y a rien à faire. Pierre Martin du Libertaire 20 croit

’ 16, L'âme enchantée, III, Mère et fils, I, pp. 123-125,


• 17. P. M o n a t t e , VO, Oct-Nov. 1959, Janv. 1960. « Il y a 50 ans... ».
18. AR. à Monatte, 19-IX-1914.
•19. MO, I, 209 et suiv.
■ '20; Il est administrateur-comptable du journal. Né en 1856 dans l'Isère,
inscrit au Carnet B depuis 1911, il est bien connu de la police. Sur­
nommé Le Bossu, il passe pour un dangereux anarchiste anti-militariste.
104 alfred rosmer

toute action impossible tant que le peuple des faubourgs ne sera


pas descendu dans la rue. L'isolement est total.
D e plus, les circonstances dispersent le noyau. Monatte et
Rosmer sabordent la V O :
« Continuer la V O en dépit des difficultés de tout genre ? Nous
ne l’avons pas voulu. L e silence s’imposait. Assez d’autres ont
déshonoré le syndicalisme 21. »
Tourette, employé par la revue, se trouve donc sans travail
et quitte Paris. Monatte et Rosmer qui ne veulent pas d’une
place dans les bureaux du Secours National se partagent les
3 ou 400 francs qui restent dans la caisse et s’èn vont dans leur
famille, le premier en Auvergne, le second à Perpignan où il fait
les vendangesZ2. En septembre 1914, Monatte rentre à Paris,
Rosmer suit début novembre quand Martinet lui trouve du travail
à la préfecture de la Seine. II est tout joyeux car il se « rouillait »
à Perpignan 23. Les deux hommes vont alors s’efforcer de regrouper
les quelques opposants à la guerre.
Pour le moment, ces opposants se comptent sur les doigts d’une
main : eux deux, plus Martinet, Dumoulin et Merrheim. Martinet
fut leur premier allié : peu après l’enterrement de Jaurès, il leur
écrit et une visite les convainc qu’ils peuvent compter sur lui 24.
Un groupe si restreint peut aisément être dispersé : il faut poser
le problème des mobilisations. Rosmer et la plupart des minori­
taires sont persuadés que la mobilisation est 1’ « épée de Damo-
clès », qu’elle s’abat au moment où les pacifistes deviennent
gênants. Gênants pour le gouvernement ou gênants pour les majo­
ritaires 2S. Ils accusent donc ces derniers de faire mobiliser leurs
adversaires de tendance. Cette grave accusation ne nous paraît pas

Il a eu de multiples démêlés avec la police : 3 ans en 1890 poux provo­


cation au pillage et à l’incendie, non-lieu en 1910 dans une affaire de
détention d’explosif, poursuites en 1912 pour provocation au meurtre,
au pillage et à la désobéissance (AN, F7. 13 053).
21. Archives Brupbacher, Monatte à Brupbacher, 16-X-1914.
22. Ibid., Y ajouter Guillaume à Brupbacher, 8-VIII-1914 et AR, à
Monatte, 19-IX-1914.
23. AR. à Monatte, 30-X-1914.
24. MO., I, 21 et P. M o n a t t e , Texte de 1935 cité. Marcel Martinet
(1887-1944), ancien de l’Ecole Normale, écrivain, collaborateur des
Temps Nouveaux, se maintiendra sur cette position pacifiste de la pre­
mière heure. En 1917, il fonde La Plèbe avec Després et Jean de Saint-
Prix. En 18-19, il est directeur de la page littéraire de V"Humanité et fait
de nouveau partie de la rédaction quand Rosmer devient rédacteur-en-
chef du journal. Invoquant des raisons de santé, il cesse de militer en
1923 mais reste toujours proche de Rosmer et de Monatte. A partir de
1936, il participe notamment à la campagne de protestation contre les
procès de Moscou.
25. MO., I, 242 et 288.
les débuts de la lutte minoritaire 105

dénuée de tout fondement : certains majoritaires font remarquer


imprudemment avec Renaudel 26, que « la mobilisation n'est pas
finie » et Jouhaux se vante de pouvoir faire revenir du front qui
il veut ; on peut donc le soupçonner de pouvoir faire mobiliser qui
il veut. Mais il faut bien dire que nous n'avons aucune preuve
formelle.
En tout cas le gouvernement ne se gêne pas pour mobiliser les
gêneurs. Monatte et Dumoulin, militants de premier plan, partent
tout de suite. Merrheim, en principe trop vieux, échappe à ïa
mobilisation, malgré la police qui conseille :
« Comme première mesure, ne pourrait-on appeler sous les dra­
peaux, comme auxiliaires à la rigueur, les révolutionnaires impéni­
tents tels que Merrheim (44 ans), etc. 3T. »
Le cas de Rosmer est curieux : ia police ne connaît qu'assez
tard son activité, ce qui lui permet d'échapper longtemps à toute
mobilisation. En juillet 1914, on ne le remarque pas, la police
note :
« L e discours de Jouhaux aux obsèques de Jaurès a été très bien
accueilli. Aucune note discordante 2S. »
Au début des hostilités une enquête a eu lieu sur Rosmer, mais
elle semble avoir en partie été provoquée par les commérages de
ses voisins des Lilas : il ne mène pas une vie régulière, ne se lie
pas aux habitants du quartier, ne reçoit que de rares amis. Il n’en
faut pas plus en cette période de chauvinisme agressif pour qu’on
le soupçonne d’être étranger. La police qui enquête s’aperçoit qu’il
n’en est rien et s'en tient là 28. Ce n’est qu'un an après le début de
la guerre qu'il apparaît nettement dans les rapports. Au cours, du
dernier trimestre de 1915 30, la police sait qu'il publie les Lettres
aux abonnés de la V Ô , qu’on peut se procurer chez lui toutes les
brochures pacifistes, elle le soupçonne d'avoir participé à la bro­
chure de Merrheim sur Zimmerwald. I l est alors considéré comme
dangereux :
« [...] il risque de grouper tous les syndicalistes et socialistes
qui n’approuvent pas les dirigeants actuels du syndicalisme et du
socialisme31. »

26. Pierre Renaudel (1871-1935), rédacteur à L ’Humanité, a succédé


à Jaurès au poste de directeur qu'il occupe jusqu’en octobre 18. L ’ardeur
guerrière de ce social-patriote le fera baptiser n Le 420 « du nom d'une
grosse pièce d’artillerie. Dans la SFIO d’après guerre, il dirigera le cou­
rant Néo et se fait exclure en 1933.
27. AN. F7. 13 574. Notes des 31-V et 3-VII-1915.
28. Ibid., note du 6-VIII-1914.
29. La note du 17-IX-1915, F7. 13 574, rappelle cette première
enquête.
30. F7. 13 574, notes des 17-IX et 22-XI-1915.
SI. Ibid., note du 17-IX-1915.
106 alfred rosmer

Mais comme on pense qu’il vient tout juste de s’engager dans


le mouvement pacifiste et qu'il se contente d’aider Merrheim, on
ne le considère pas comme un pacifiste de tout premier plan. En
décembre 1915, il n’est pas cité dans une note concernant la cam­
pagne pacifiste, il ne figure pas dans la liste des 44 militants paci­
fistes de Paris et de banlieue 3Z. En fin de mois pourtant, on signale
que le Comité d’Action Internationale utilise abondamment ses
Lettres aux abonnés... 33 A quoi attribuer ce mélange déconcertant
de bonne information et de lacunes ? Inégale valeur des informa­
tions ? Rôle moindre que nous ne l’imaginons parfois ? Discrétion
de Rosmer ? Les trois facteurs peuvent jouer. De toute façon, en
décembre 1915-janvier 1916, il est repéré. Son activité est suivie
de près par les agents de la Préfecture de Police. L e 22 janvier
1916, une cinquantaine de personnes se réunissent pour former
un « Comité d’études historiques » sur les origines de la guerre.
Rosmer est signalé 34. En juillet, il assiste à une autre séance du
Comité. Une conversation avec Merrheim en octobre fait l’objet
d’une note S5. Ses mobilisations successives sont sans doute en rap­
port direct avec son activité minoritaire. Au début de la guerre il
a été classé « service auxiliaire » par une commission du début
mars 1915. Dès la fin d’avril, il s’inquiète : Dunois qui est juste
d’une classe avant lui, vient de partir. En juin, il est classé « service
armé » , mobilisé immédiatement et expédié à Perpignan. Il ne doute
pas que sa mésaventure est une manoeuvre pour liquider l’opposi­
tion 3e. A Perpignan :
« [...] C ’est l’ennui pesant, l’abrutissement complet. Quel infect
milieu ! Je ne manque pas de loisirs car on ne sait que faire de
nous et jusqu’à notre départ on nous occupera pour la forme mais
je suis tout à fait incapable de penser tant que je demeure dans la
chambrée aT. »
Il ne parvient pas à écrire de vraies lettres, tout au plus peut-il
griffonner des billets 3S. Il s’échappe autant qu’il le peut du milieu
militaire, va dîner dans sa famille, loue une chambre en ville. En
vain, on s’en doute : l’armée le poursuit partout.39. A ce moment
là, il a peut-être des projets de désertion car Dumoulin sans nou­
velles depuis quelque temps demande à Monatte :
« Alors, les Baléares ? Et si ça a raté ? »

32. Ibid., notes du 11 et 15-XIÏ-1915.


33. Ibid., note du 30-XII-1915.
34. AN. F7. 13 372.
35. APP Ba/1558.
36. Archives Charbit, AR. à Chajrbit, déc. 57.
37. AR. à Monatte, 22-VTI-1915.
38. Ibid., 27-VII-1915.
39. Ibid., 19-V III-1915.
40. Ibid., Dumoulin à Monatte, 2-VTII-1915.
les débuts de la lutte minoritaire 107

En réalité, il est trop avisé pour ne pas épuiser toutes les autres
possibilités. Pendant trois mois on essaie — en vain — de lui
apprendre le métier militaire puis il tombe sur un capitaine et un
major « pas plus guerriers que (lui) 11 ». En août, il rencontre un
a v o u é de Foix dont les conseils sont précieux. Bientôt, il annonce
mystérieusement qu'il y a quelque chose en route. Puis le voilà
r e c la s s é « service auxiliaire » et il rentre à Paris, libéré puisque sa
classe d’auxiliaire n'a pas été mobilisée. Il ne cesse alors de craindre
une nouvelle mobilisation :
« L'interruption serait d'autant plus rageante qu'elle se produi­
r a it juste au moment où nous enregistrons les premier résultats 42. »

L e 12 novembre, il est de nouveau mobilisé. Certains fonction­


naires de police semblent étonnés : il a été, disent-ils, « mobilisé
inopinément » *3. L e cloisonnement des services explique sans aucun
doute leur surprise. A ffecté à la X X e section des secrétaires d’état-
major, il transcrit les actes de décès des militaires tués à l'ennemi.
Ce qui lui laisse assez de loisirs pour une volumineuse correspon­
dance personnelle. Les militaires sortent en groupe du ministère, la
dislocation a lieu place des Invalides, il file à la poste porter son
courrier ou prendre des paquets, fait des visites puis rentre aux
Lilas. Son activité n'échappe pas à la police militaire 44 qui le fait
expédier à Coëtquidan4S. Il y reste plusieurs mois. Sur le moment,
il voit dans cet exil une marque d’indulgence et s'en montre
furieux, mais sans doute considère-t-on en haut lieu que l’éloigne-
ment suffit à le paralyser. Il se rallie par la suite à cette explica­
tion :
« [...] On préférait, en haut lieu, étouffer plutôt que réprimer,
selon la tactique aujourd'hui bien connue »
Employé comme manoeuvre dans un atelier d'habillement, il
coltine les ballots d'étoffe et les place sur les tables 47. Il parvient
à rentrer à Paris, sur une intervention de Caillaux d'après Romain
Rolland4S, sur une intervention de la Ligue des Droits de
l'Homme d’après la police
Malgré ces exils de Perpignan puis de Coëtquidan, c’est lui,
de tous les militants pacifistes de la première heure, qui s’éloigne

41. Archives Charbit. Lettre citée.


42. Ibid., AR. à Monatte, ll-XI-1915.
43. F7, 13 574, note du 17-IX-1915.
44. Rapport du 24-1-1916.
45. AR. à Monatte, 24-II-1916;
46. Archives Charbit, lettre citée.
47. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky, AN. F7. 13 372 :
« Envoyé loin de Paris à cause de ses agissements [...] »
48. Journal des années de guerre p. 780.
49. AN. F7. 13 372 : « Il a obtenu d’être ramené dans la capitale sur
l’intervention de la Ligue des Droits de l’Homme. »
108 alfred rosmer

le moins de Paris. Iï va faire la liaison, et assurer la continuité de


l'action.
Pour lui, la mobilisation de Monatte a été le coup le plus dur :
« J’ai été, écrit-il à Monatte 50, quelque temps après ton départ
avant d’en former [des projets]. Quand on est adossé à quelqu’un
et qu’une opération brutale vous prive tout à coup de votre appui,
il faut du temps et des efforts pour retrouver l’équilibre. »
Il traverse alors de terribles moments de solitude et de découra­
gement, l’angoisse lui vient : ne se trompe-t-il pas ? 51 II tient par
sentiment du devoir, il lutte contre la guerre parce qu’il le faut.
Découragé, écrasé, « pestiféré », il est l’âme de la minorité de
guerre. Il a Merrheim à guider dans les luttes internes de la C G T,
les Russes à épauler, l’opinion publique à alerter. Il a les mobilisés
à soutenir et à renseigner.
Dumoulin, sollicité de divers côtés, se montre ferme. A Boulogne,
au cours d’une permission, Loiseau, l’un des rares majoritaires de
la Commission Exécutive de la Fédération des Métaux, lui trans­
met des propositions de Jouhaux :
« Pourquoi diable restes-tu ici ? [...] Tu n’as qu’un mot à dire et
le Gros [Jouhaux] [...] te fera rentrer à Paris sa. »
L e « mot » n'est pas dit et Dumoulin reste au front, mais il faut
continuellement le secouer, l’empêcher de tomber dans son « sen­
timentalisme à la Paul Faure » 53.
Heureusement Monatte est un roc. Mais c’est aussi un corres­
pondant exigeant, insatiable : les Archives Monatte contiennent
3 lettres de Rosmer pour la fin 1914, 80 pour 1915, 4 pour 1916.
Si l’on songe aux pertes inévitables, à la destruction par un obus
en 1917 de la correspondance de Monatte, à la longueur de cer­
taines lettres, c'est un gros travail que d’écrire à Monatte. Rosmer
doit s’abonner aux journaux français et étrangers, constituer des
dossiers, faire chaque soir un résumé des faits du jour et le lui
envoyer. I l faut protéger Monatte contre les autres et contre lui-
même. Dès qu'il est question de l’envoyer au front, Rosmer se pré­
cipite chez Dunois et lui fait préparer un entrefilet pour ha
Bataille Syndicaliste. I l le presse de gagner du temps entre le dépôt
et le front. Rien n’y fait : Monatte est envoyé en première ligne.
Sans parler du danger, il y a un problème de conscience. Marcel
Martinet l’aborde dans son poème des Temps Maudits :
« Tu vas te battre... »

50. AR. à Monatte, 29-111-1915.


51. MO. I 222.
52. AR. à Monatte, 12-V-1915.
53. Ibid., 9-IX-19I5. Dumoulin, à lui seul, mériterait une longue
étude.
les débuts de la lutte minoritaire 109

Comment un internationaliste peut-il tuer ? Comment un soldat


peut-il ne pas tuer ? Il peut se laisser tuer. Et sans doute Monatte
en p a r l e - t - i l dans ses lettres car Rosmer le supplie d’être raisonna­
ble. II faut revenir,
«pour cracher notre mépris à la face de ces Judas**».
Il faut qu’après-guerre, au moment du règlement des comptes,
quand les timorés proposeront de passer l’éponge et d’oublier, une
voix forte refuse. Seul Monatte peut le faire. D ’ailleurs la minorité
n’existerait pas sans lui :
« [...] Sans toi, la besogne ne se ferait pas. Elle se ferait mal et
peut-être même pas du tout. Tu es le centre solide auquel nous
nous agrippons : sans toi, tout s’effondre ss. »
Bientôt, voüà Monatte qui parle à mots couverts et qui fait des
projets mystérieux. Quand Rosmer comprend ce qu’il médite —
refuser de tirer — ce sont de nouvelles lettres inquiètes :
« Pas de blagues mon vieux car ton sacrifice serait totalement
inutile. C ’est le poteau sans jugement ou presque et L a fo n ts<),
l’avocat, que tu connais, me disait lundi que sur le front ces exécu­
tions sommaires étaient tellement la règle qu’ils allaient faire une
démarche auprès de Poincaré pour protester57. »
Finalement Monatte fera la guerre et s’en explique dans ses car­
nets inédits sa : ni Union Sacrée, ni objection de conscience, il a
choisi une autre voie : « suivre la classe ouvrière dans son épreuve
et son malheur ».
Du côté des syndicalistes, l’immense majorité a flanché. Quel­
ques-uns grognent mais Jouhaux tient tout le monde par les
services rendus. I l est persuadé qu’au congrès d’après-guerre il
pourra écraser l'opposition rien qu'en sortant ses dossiers et en
faisant mine de les ouvrir. L e milieu parisien semble tout à fait
perdu. Mais peut-être la province bougera-t-elle ? En octobre 1914,
Rosmer espère trouver des alliés à Marseille. Faux espoir “9. En
Bretagne, autre espérance, Merrheim y fait une tournée et trouve
des partisans. L e Guera, secrétaire de l’U D des Côtes-du-Nord,
écrit de Saint-Brieuc : les ouvriers sont contre la guerre, et les
conférences belliqueuses de L év y n’ont guère de succès 60. Mais

54. Ibid., 23-XI-1915.


55. Ibid., 5-V-1915.
56. Lafont (1879-1946) majoritaire et député, est au PCF après Tours
puis retourne à la SFIO. Il fera partie des Néos puis du cabinet Laval en
1935
57'. Ibid., 2.-VI-1915.
58. Archives Monatte, janvier 1955.
59. AR. à Monatte, 30-X-1914.
60. Ibid., 10-VI-1915. Lettre publiée dans MO., I 298-299.
110 alfred rosmer

là non plus personne n’ose agir. Fin 1914, Monatte, de passage à


Lyon a trouvé l’Union Départementale dans d’excellentes disposi­
tions, elle parle de lancer un manifeste 6l. Hélas ! L e secrétaire de
l’UD, Million 62 est mobilisé et expédié au Maroc, ce qui calme les
esprits 63.
Rosmer ne sait même pas à qui se fier autour de lui : il y a bien
Péricat (1873-1958). Ex-disciplinaire, ouvrier du bâtiment, respon­
sable de la Fédération du Bâtiment en 1906, il a dû passer en
Belgique après les événements de Villeneuve-Saint-Georges et,
depuis son retour, la police le surveille de près ®'1.Mais quand
Péricat se montre un peu mou pendant quelques jours, il se
demande si Jouhaux ne le « tient » pas lui aussi6S. Heureusement
qu’il y a Merrheim. Il n’est jamais parvenu à i*emplacer Monatte,
bien sûr®8, mais Rosmer et lui se sont adossés l’un à l’autre et se
sont donné mutuellement des forcessr. Au début la position de
Merrheim paraît un peu modérée. Ainsi il se contente de faire des
réserves quand Jouhaux entre au Secours National tandis que
Rosmer et Monatte auraient voulu une protestation ferme. Mais il
accentue peu à peu son opposition 68. Avec son courage tranquille,
son entêtement de fourmi, il ne cesse de s’améliorer. Il tient à
bout de bras sa Commission Exécutive des Métaux : sans lui, elle
se contenterait de grogner, il la fait a g i r 6®. Au secrétariat des.
Métaux, Lenoir l’appuie tandis que Paradis hésite sans fin et que
Labe, d’ailleurs mobilisé, envoie des lettres ambiguës. En province,
le prestige de Merrheim est immense, les camarades s’accrochent
à lui et ne veulent plus le laisser rentrer à Paris Mais sa position
au Comité Confédéral National est très inconfortable, surtout
quand les mobilisations de Rosmer le laissent absolument seul.
Martinet s'en inquiète :
« L e voilà bien seul, Merrheim. Il se trouvera heureusement
poussé par son isolement même à persévérer, à s’affirmer, à s’élever-
Mais continuez bien à lui écrire, Rosmer et t o i 71. »
Rosmer sait d’ailleurs très bien que l’action de Merrheim est
difficile. Lui est en coulisse, mais c’est Merrheim qui discute en

61. MO., I 215.


62. Million, ouvrier typographe, sera secrétaire de la CGT .d’après-
guerre de 23 à 36, plus spécialement chargé du conseil économique et
de l’éducation populaire.
63. AR. à Monatte, ll-IV-1915 et 10-VI-1915.
64. AN. F7. 13 053. On sait que Péricat fondera après-guerre un PC
ultra gauche puis rejoindra le PCF.
65. Ibid., 12-VI-1915.
66. AR. à Monatte, 29-111-1915.
67. Ibid., 29-111-1915 et 24-11-1915.
68. MO., I 214.
69- AR. à Monatte, 29-IV-1915.
70. Ibid., 17-V-1915.
71. Ibid., Martinet à Monatte, 6-VI1-1915.
les débuts de la lutte minoritaire 111

séance avec les majoritaires. Membre du Comité Confédéral, para­


doxalement secrétaire du Comité d’Action PS-CGT, il se fait inju­
rier traîner dans la boue, menacer. Pour éviter un mauvais coup,
au fond de la Rue Grange-aux-Belles, il vient escorté de deux
énormes chiens. Des « amis » préviennent sa femme : la police va
l’arrêter. Paradis lui rapporte que la question a été posée en Conseil
des Ministres et que Guesde l'a sauvé73. Des fonctionnaires de
la censure l’avertissent que son courrier est ouvert et lu. Après les
indiscrétions calculées et l’intimidation, les caresses, Jouhaux
déclare à qui veut l’entendre que l’habileté de Thomas viendra à
bout de Merrheim. Effectivement, Thomas sitôt nommé sous-secré­
taire d’état à l'armement en 1916 le consulte sur les questions rela­
tives à la métallurgie, en profite pour lui glisser qu’il est trop tôt
pour parler de paix, qu’il faut savoir attendre. Par ailleurs, M er­
rheim a été réformé en juin 1915. Rosmer n’y voit rien d’anormal :
« C’était un jour où on réformait. La veille, au contraire, on
prenait tout le monde T3. »
Au même moment une lettre de Martinet nous apprend que l’un
des frères de Merrheim est au front, avec le 217°, dans un coin
« où ça barde » 7*. Enfin, c’est d'août 1915 que datent les premiers
atermoiements de Merrheim. Services rendus par les majoritaires,
puis influence de Thomas ? Nous n'avons pas de preuves formelles
mais nous devons bien avouer que ces coïncidences de date sont
troublantes. Quoi qu’il en soit, pendant toute la première année de
la guerre, c’est Merrheim, parce qu’il est secrétaire de l’importante
Fédération des Métaux, qui a été le pilier de la minorité dans le
monde syndical.
Cependant, le groupe des opposants s’étoffe peu à peu. Tourette
est rentré à Paris comme surveillant de collège. Brisson, secrétaire
par intérim des Cuirs et Peaux est pacifiste. En janvier 1915,
Monatte rencontre Hasfeld devant un kiosque à journaux. Mécon­
tent des Temps Nouveaux, H asfeld75 attend l'arrivée du Journal
de Genève. En décembre 1914, Guilbeaux écrit et demande qu’on
l’invite aux jeudis de la V O 76. Rosmer lui reconnaît un mérite : il
a tenu bon dans un milieu de journalistes où tout le monde flan­
chait. Mais Guilbeaux l'irrite car il a tous les défauts du journa­
liste : superficiel, bavard, il court les salles de rédaction et se répand
en ragots. Piètre recrue 77. Il y a aussi Bourderon du Tonneau. Syn­

72. Ibid., AR. à Monatte, 13-V-1915.


73. Ibid., 9-V I-1915.
74. Ibid., Martinet à Monatte, 24-VI-1915.
75. Alors correcteur d’imprimerie, Hasfeld occupera après-guerre le
poste-clé de directeur de la Ubrairie de la VO. A ce titre, il joue un rôle
très important dans la diffusion des idées zimmerwaldiennes et bolche­
viques.
76. Archives Monatte, Guilbeaux à Monatte, décembre 1914.
77. Ibid., AR. à Monatte, 13-IV-1915.
112 alfred rosmer

dicaliste qui se réclame de Pelloutier, Bourderon a été allema-


niste r®. Providentiellement, il est membre du Parti Socialiste, même
s’il n’y milite pas très activement. Longtemps, il sera le socialiste
de la minorité, ce qui lui vaudra d’être envoyé à Zimmerwald et
d’être souvent mis en avant. Aux cinq du début, cinq autres se sont
joints, il faut maintenant les doigts des deux mains ' pour compter
les pacifistes.
Il y a aussi les Russes, « nos russo-polonais », les « alliés russes »
comme dit Rosmer. On sait que la guerre a divisé les exilés politi­
ques russes. A Paris, certains bolcheviks se sont enrôlé comme vo­
lontaires dans l’armée française, les autres restent.sur les positions
de l’internationalisme d’avant-guerre. Ces derniers se joignent aux
socialistes d’autres tendances, mais également pacifistes, et parvien­
nent à faire vivre un quotidien pourchassé par la police et caviardé
par la censure. Interdit, leur journal change sans cesse de nom.
Mais qu’il s’appelle Golos, Naché Slovo, Natchalo ou Novaïa
Epokhà, sa ligne reste sensiblement la même. Les pacifistes français
considèrent comme un véritable exploit ce tour de force des émi­
grés russes : faire vivre en pleine guerre un quotidien révolution­
naire. L e « cuisinier » en est Antonov-Ouvsenko. L e journal fournit
une information abondante, des textes doctrinaux, des discussions
théoriques. Rosmer lui-même lui donne des articles en 1915 79.
Cette amitié politique entre deux groupes — émigrés socialistes
russes et syndicalistes de la V O — se double d’une amitié person­
nelle entre deux hommes. Entre Rosmer et Trotsky se crée alors
un lien qui traversera guerre et révolution.
Nous avons deux descriptions des premiers contacts. D ’après
Trotsky 80, l’initiative est russe. Trotsky arrive à Paris en septembre
1914, se précipite à la rédaction de Golos, demande qu’on prenne
contact avec les éléments français de l’opposition. Il est désigné
avec M a rto v81 (et le socialiste polonais Lapinski ajoute Rosmer)

78. RP., nov. 1955, <* Compte rendu d’une réunion du Cercle Zimmer-
walcl, le 23-X-I955. » Albert Bourderon (1858-1930) quitte son Gâtinais
natal pour Paris en 1880. Il se fait embaucher comme tonnelier à la
Halle-aux-Vins. Secrétaire de la Fédération du Tonneau, membre du PS,
secrétaire de l’Union des. Coopérateurs, il est présent dans toutes les
familles du mouvement ouvrier organisé. Après son épisode zimmerwal-
dien, il s’oriente, dès 1916, vers la droite ouvrière.
79. MO., I 245. 7 articles en tout, du moins 7 articles signés et non
un par semaine comme il le dit.
80. Ma Vie, p. 255.
81. Martov (1873-1923) a été, à Saînt-Petersbourg, membre de la
Ligue pour ïa Libération de la Classe Ouvrière. Il a contribué à la fon­
dation de VIskra. Menchevik, il est minoritaire de guerre. La révolution
russe de mars le trouvera à la tête du groupe des Mencheviks Interna-:
tionalistes. En 1921, il quitte la Russie et continue à militer dans rémi­
gration menchevik de Paris.
82. Stanislas Lapinski, né en Pologne en 1879 et membre du PS Polo­
les débuts de la lutte minoritaire 113

pour assurer la liaison et le voilà parti à la recherche de Monatte.


La version de Rosmer est légèrement différente : l'initiative revien­
drait à Monatte. ha Guerre Sociale publie le 23 septembre 1914
une lettre extraite du Times. L e journaliste Bourstev 83 y affirme que
tous les socialistes russes sont d’accord avec leur gouvernement. L e
lendemain, Martov, fait insérer un démenti et Monatte apprenant
ainsi qu'il y a une opposition chez les Russes se met à sa recher­
che 84. Les deux versions sont conciliables : on se cherche de part
et d’autre. Quand Rosmer rentre à Paris, le contact est déjà pris
et il rencontre les Russes8S. Il assiste à la première réunion com­
mune qui se fait un jeudi à la VO. Rencontre inoubliable qui
€ revêtait un caractère exceptionnel ; une rencontre amicale entre
socialistes et syndicalistes, les uns et les autres très attachés à leur
doctrine resjneotive. il fallait la guerre pour nn’ime telle chose fût
possible ss. »
Notons qu’il s’agit de socialistes russes, les socialistes français
sont encore à l'écart et pour longtemps. La discussion qui s'engage
est d'abord de caractère général, puis les choses se précisent. A la
VO — même là — , certains sont troublés : c'est tout de même
l'Autriche qui a attaqué la Serbie, c'est tout de même l'Allemagne
qui occupe la Belgique. Ils disent leurs hésitations. Trotsky prend
alors la parole et, d’un ton amical, explique que les peuples bal­
kaniques sont manœuvrés par les grandes puissances, que la Russie
soutient la Serbie,
« [...] N i suffisance, ni pédantisme dans l’expression : un cama­
rade exceptionnellement bien informé traitait le sujet que les cir­
constances lui avaient permis de connaître à fond, dans son ensem­
ble et dans ses caractéristiques régionales ; la conclusion s'imposait
d’elle-même, sans qu’il fût besoin de la formuler, ne laissant nulle
place au doute, encore moins à une contradiction sérieuse. Nous
eûmes tous l’impression que notre groupe venait de faire une
recrue remarquable ; notre horizon s’élargissait ; nos réunions

nais depuis 1906, prendra une part active dans le mouvement zimmer-
waldien. Il sera l’un des dirigeants du PC Polonais. En 1938, il est arrêté
à Moscou, en même temps que les autres dirigeants de ce Parti et dis­
paraît.
83. Bourstev était en exil en Sibérie au début de la guerre. C’est un
personnage discuté. Pro-allié et anti-bolchevik, il rencontre Kerenski à
Londres en 1918, s’installe à Paris et publie un hebdomadaire, La Cause
Commune. L ’agence de presse qu’il organise (Agence Russ Union) se
spécialise dans le renseignement sur l'état économique et financier de
l’URSS et sa brochure Bolcheviks, soyez maudits ! est l’une des bibles
de l'antisoviétisme.
84. IIP, oct. 1950 et MO., I 224.
85. MO., I 215.
86. RP., oct. 1950, art. cit.

8
114 alfred rosmer

allaient prendre une nouvelle vie ; nous en éprouvions un grand


contentement ®7. »
Guilbeaux évoque ailleurs 88 la même scène :
« Un autre soir parurent trois personnages dont je devinais la
nationalité. L e premier était de haute stature quoiqxie légèrement
voûté et donnait l’impression d’une assurance inébranlable. Les che­
veux noirs, épais et hauts, une barbiche virgulant son menton
volontaire, il parlait avec lenteur mais avec une force de démons­
tration et de communication communicative [...] »
On voit qu’il confirme le récit de Rosmer.
Trotsky n’est pas seulement pour le groupe un militant de plus,
il est aussi.d’un grand réconfort moral avec son bel optimisme. Un
jour que Monatte se plaint, il lui réplique :
« Tout est perdu ? Allons donc. La révolution est au bout de
cette guerre 89. »
Entre Trotsky et le timide Martov, les oppositions ne sont pas
seulement de caractère, elles sont aussi politiques. Leurs positions
sont d’ailleurs très différentes. Martov est à la tête des mencheviks.
Mêm e si ses positions personnelles sont plus avancées que celles
de son Parti, ses responsabilités le forcent souvent à défendre des
points de vue qui ne sont pas exactement les siens pour maintenir
î'unité des mencheviks. Il doit demander à son Parti l’autorisation
de continuer à assister aux réunions de la V O , et dans certains cas,
il est gêné. Un jour, Rosmer trouve dans la presse anglo-saxonne
des allusions à la reconstruction de l’Internationale ; il ignore que
c’est un thème de controverses entre bolcheviks et mencheviks et
s’étonne que Martov refuse de discuter la question. Trotsky qui se
trouve alors hors tendance, a les coudées plus franches. Entre les
deux Russes, on parle souvent de rupture et c’est finalement Martov
qui part en Suisse et cesse toute collaboration 90.
Les Russes et le groupe de la V O échangent d’abord des infor­
mations. En avril 1915, les russes ont lu que Jouhaux est prêt à
donner son appui à Liebknecht91, il faut doucher leur joie en leur

87. Ibid.,
88. Du Kremlin au Cherche-Midi, p. 25.
89. BJP., oct. et nov. 1959, janv. I960, art. cit,
90. MO., I 247.
91. Karl Liebknecht (1871-1919) est d’abord avocat, membre du PS
allemand et conseiller municipal de Berlin. Une brochure anti-tsariste
lui vaut la prison et la notoriété : il est élu député en 1912. Membre de
la gauche du PS, il préconise la grève générale pour des objectifs poli­
tiques. Aii début de la guerre, il vote les crédits militaires pour respecter
la discipline du groupe parlementaire, puis s’y refuse. Il est au coeur des
groupes socialistes de résistance à la guerre (Die Internationale puis Spar-
takus). A partir de 1916, les idées minoritaires agitent l’opinion. Le 1er
les débuts de la lutte minoritaire 115

p rou van t qu’il s’agit d’une phrase creuse 92. En août 1915, les
F r a n ç a is se désolent : les journaux présentent les troubles qui
v ie n n e n t d’éclater en Russie comme un soulèvement contre les
entreprises allemandes. C ’est au tour des Russes d’expliquer : la
police tsariste — fidèle à ses vieilles habitudes — a détourné contre
les entreprises allemandes les manifestations populaires provoquées
par la misère et par la faim.
Les hommes se lient. Presque chaque dimanche, Rosmer rend
visite à Trotsky, dans un de ses logements parisiens : pension de
famille près du parc Montsouris, au coin des rues de la Glacière
et de l’Amiral Mouchez, maison du peintre Parèce à Sèvres, immeu­
ble de la Rue Oudry. Ils font ensemble le voyage de Boulogne
pour voir Dumoulin et pour se renseigner sur l’état d’esprit des
soldats du front. Mais les mineurs du bataillon de Dumoulin ne
c a u s e n t guère, les Anglais rencontrés dans les rues ont subi une
savante mise en condition psychologique, un soldat belge rencontré
dans le train attribue les malheurs de son régiment à la trahison.
Dans Calais, ville morte, ils tentent de se faire une idée de la
situation en se rendant aux bureaux du journal local. Ils y trouvent
un « pauvre type » qui ne sait que leur dire. I l ne sait rien de plus,
il en saurait plutôt moins que ce que disent les journaux de Paris.
Il n'a qu’une conviction : si les Allemands approchent, il leur en
cuira. Triste voyage ! Les évolutions psychologiques des militants
leur paraissent si extraordinaires qu’elles leur semblent parfois
dignes d'un intérêt tout scientifique : un jour Rosmer et Lapinsky
sont invités à dîner chez Trotsky. Il leur demande de venir tôt et
leur fait la leçon : il y a un autre invité, un anarchiste belge devenu
défensiste qui a dû s’enfuir après avoir organisé des attentats contre
les Allemands. Cas intéressant de passage de I’anarchisme au
patriotisme, à observer en silence, car il n’est pas question d’enta­
mer une conversation qui tournerait mal. Les deux ont beau pro­
mettre d’éviter les sujets brûlants, ils ont beau tenir leur promesse,
le Belge sent leurs réticences, le ton monte et l’on se sépare, furieux.
Les socialistes russes sont venus d’eux-mêmes, mais il faut aller
chercher les socialistes français. Les faits ont confirmé les préven­
tion anti-socialistes des syndicalistes. Ils ont vu sombrer Guesde le
doctrinaire qui donne au Populaire du Centre (27. IX . 1914) un
article jusqu’au boutiste :
« L e PS ne s’est jamais désintéressé de l’indépendance natio­
nale [...] L ’œuvre de défense nationale nous trouvera tous fidèles
jusqu'à la mort du dernier d’entre nous 93. »

mai, il tente d’organiser une manifestation à Berlin. Arrêté et condamné


à 4 ans de prison, il est libéré en octobre 1918. Il sera assassiné en même
temps que Rosa Luxemburg pendant la révolution allemande.
92. AR. à Monatte, ll-IV-1915.
93. L ’article, cité dans MO., I 220, est signé Un Socialiste, la rédaction
précisant qu’il s’agit de l’une des personnalités de premier plan du PS.
116 alfred rosmer

Guesde qui accorde à D e Ambris une interview particulièrement ^


navrante :
•s Quand ïa maison brûle, peu importe que j’habite une man­
sarde du dernier étage ; je dois, tout comme les locataires du
premier étage, ne songer qu’à éteindre l’incendie 9*. »
C'est nier la lutte des classes. Vaillant lui-même a «p erd u la ^
boule 9S » . Venu du blanquisme, il est retombé, dès la déclaration ;
de guerre, dans le mythe de la Patrie en Danger. Il n’a pas vu
qu’entre 1870 et 1914, les situations ont changé. Avoir eu raison
sur le compte des socialistes est une mince consolation, ce qu’il
faut, c’est agir contre la guerre et, pour cela, Rosmer est persuadé
qu’un point d’appui serait utile chez les socialistesB6. Avec
Monatte, ils savent vaguement dès septembre-octobre 1914 qu’il ■[
y a des résistances dans le P S ÿr. Un article de Vaillant dans k
L ’Humanité du 9 octobre le leur confirme : pourfendant sans les
citer les lettres de Nicod, secrétaire de la Fédération Socialiste de
l’Ain, Vaillant dénonce, sous le titre Formalistes doctrinaires, « la
propagande dissimulée pour l’impérialisme allemand » , les « tar­
tuffes de l'impartialité », le «pédantism e o u tré » 9#. Cette colère ■'
est de bon augure, les socialistes doivent donc avoir leurs paci­
fistes 99. Bientôt circule dans la Seine, anonymement il est vrai, un
projet de résolution modérée : admettant la défense de la patrie,
le projet demande au Parti de lutter sur deux fronts, pour la guerre,
mais aussi pour la paix 10°. On sait que Dunois distingue à l’époque
trois tendances au groupe parlementaire socialiste, ajoutant d’ail­
leurs que la division en tendances y est facilitée par le caractère
strictement privé des discussions : les ultra-chauvins, autour de
Cachin ; au centre, la grande masse, y compris Brizon qui évolue
déjà vers une gauche où l’on distingue avant tout Longuet 101.
Rosmer et Monatte ont d ’ailleurs des amis socialistes, Dunois et
l’inappréciable Bourderon. Dunois est d’accord avec eux dès les
premiers jours d’août 14 10S, il tente de s’appuyer sur H-P Gas-
s ie r 103 qui ne veut plus donner de dessins à UH um anité et sur
Daniel Renoult qui fulmine contre les articles de Renaudel. Bour­
deron, nous l'avons vu, est à cheval entre le PS et la VO. En dehors

94. MO., I 284.


95. AR. à Monatte, 27-ÏX-1914.
96. AR. à Monatte, 1-III-1915.
97. MO., I 216.
98. « J'ai eu, dit Vaillant, l’ennui de lire sous forme de lettre quelques-
unes de leurs élucubrations ».
99. Ibid., 282.
100. Ibid., 223 et 283.
101. D’après des notes citées dans MO., I 285.
102. Amédune, Bulletin Communiste, 3-III-1921 et MO., I 216.
103. Gassier sera membre du PC après Tours. Il quitte le Parti avec
Frossard et rejoindra le PPF.
les débuts de la lutte minoritaire 117

d’eux, trouver des socialistes est un vrai problème. Pour informer et


tenter de persuader quelques-uns d'entre eux, Rosmer multiplie la
correspondance. Une lettre de Legu em d u 14 mai 1915 104 montre
que Rosmer l’a renseigné sur le refus socialiste des propositions
M o rg a n , le sens de la conférence d e Londres, la fraction Lieb-
knecht.
Si entêté que soit cet effort, il se heurte à bien des difficultés :
manœuvres des majoritaires, obsession de l’unité du parti, réticen­
ces des minoritaires socialistes à l'égard de la V O , tout cela vient
com p liqu er la tâche. D e plus, la mobilisation élimine à p o in t les
gêneurs : Nicod, secrétaire fédéral de l'Ain est en contact avec
R osm er et, le 5 février 1915, lors dé la conférence nationale du
parti, il proteste contre la politique des majoritaires. Rentrant à
L ,ron, it y trouve son o rd re m obïlisatfrm 10S. T)es délégués à !a
propagande majoritaire sillonnent le pays avec des fortunes
diverses. Ailleurs des habiletés permettent d'éviter les discussions
gênantes : Merrheim, retour de Londres, est invité par les sections
socialistes des V e et X I I I e arrondissements de Paris. Il a préparé son
dossier avec Rosmer qui l'accompagne, il fait un compte rendu
complet de la conférence, « déballe tout le paquet », prouve les
mensonges de L'Humanité. Malheureusement il n 'y a pas de dis­
cussion car le président de séance a pris soin de déclarer :
« Ce soir, nous écoutons nos invités, plus tard, nous discuterons
entre nous 10B. »
L a question de l'unité du Parti gêne énormément.C'est un des
arguments préférés des majoritaires. Renaudel sait bien que les
opposants sont rongés par la crainte de la scission et ne cesse de
leur demander : que deviendrait le Parti s’il se coupait en deux 107 ?
Cette crainte est d'autant plus vive que l'unité socialiste est somme
toute récente : dix ans en 1915, est évoquée dès janvier 1915 par
Bourderon et Louise Saumoneau. Membre du Parti et fondatrice
de la Femme Socialiste, L . Saumoneau est aussi secrétaire du syn­
dicat des travailleuses de l'aiguille 10\ Les socialistes qui rechignent
devant la politique du Parti, hésitent en général à protester publi­
quement. L e plus souvent, dit Rosm erlû*, ils s'en vont grogner
chez Sembat, leur ministre, qui arrange les choses et rien ne trans­
pire à l'extérieur. Enfin, les socialistes qui se décident à l'action
minoritaire sont tout naturellement attirés par les minorités internes
du Parti et celles-ci ont pour principe intangible que rien ne doit
être fait qui soit de nature à menacer l'unité du Parti.

104. Lettre citée dans MO., I 298-299.


105. Lettre de Nicod cité dans MO., I 288.
106. AR. à Monatte, 26-111-1915.
107. MO., I 304.
108. AR. à Monatte, 16-1-1915. Elle n'adhère pas à la III* Interna­
tionale et sera en 1931 déléguée à la propagande de la SFIO.
109. Ibid., 1-III-1915.
118 alfred rosmer

A vec ces minorités socialistes, les rapports sont difficiles : per­


sonne n’y a l’envergure d’un Liebknecht ou d’un Keir Hardie 110.
L a minorité qui se groupe autour de Longuet ne saurait être consi­
dérée comme une alliée possible. Rosmer a en effet une horreur
quasi physique de Longuet. Ce petit-fils de Marx, né à Londres
en 1878, avocat, puis journaliste, est militant socialiste depuis 1894.
En 1905 il joue un rôle important au congrès d’unification et entre
à L ’Humanité où il s’occupe de la politique étrangère. Elu député
de Sceaux en 1914, il mène la minorité socialiste. Rosmer le consi­
dère comme le complice de Renaudel et de L u q u etX11, le croit
capable des pires « saletés ». Il en donne trois exemples : c’est lui
qui a entraîné la C G T dans le guet-apens du socialisme interallié
à Londres ; parlant de la situation en Angleterre, il ne dit mot du
vote (par 243 voix contre 9) du congrès des Trade-Unions à Nor-
wich, vote qui blâme la direction du Labour pour sa participation
â la campagne de recrutement ; publiant le texte de la minorité
allemande qui mentionne Monatte, il lui substitue Merrheim 11S,
Longuet n’a pas même le courage de ses actes : à Rosmer qui pro­
teste, il répond que c’est l’imprimeur qui a sauté son passage sur
Norwich et qu’il voulait éviter des ennuis à Monatte mobilisé. On
ne peut décidément pas travailler avec lui :
« Longuet trahit tout naturellement et comme il le fera toujours.
Et ceux qui lui font confiance ne sont pas à plaindre 113. »
Certaines fédérations socialistes sont minoritaires. L a fédération
des Côtes-du-Nord, en particulier la section de Saint-Brieuc où
se trouve Louis Guilloux, futur auteur de La Maison du Peuple,
appuie sans réserve le groupe de la V O . Malheureusement c’est
une petite fédération, et sa contribution, précieuse, n’est que
modeste 114.
L a Haute-Vienne est bien plus importante. Mais elle reste tou­
jours « à m i-chem in». Depuis janvier 1915, les minoritaires syn­
dicalistes suivent les articles du Populaire du Centre 11S. L e 9 mai
1915, la fédération de Haute-Vienne établit un rapport et l’envoie
à la direction du Parti, au groupe parlementaire, aux fédérations
provinciales. Rosmer le trouve trop modéré et surtout trop conci­
liant pour la direction- Ces réserves faites, il lui paraît sonner le
réveil du Parti Socialiste et réaffirmer des principes : la nécessité

110. Ibid., 27-111-1915.


111. Des Coiffeurs, de tendance majoritaire.
112. I b i d 9-IV-1915.
113. Ibid., 8-1-1915. On sait que Longuet n’est guère mieux traité par
les bolcheviks qui, eux aussi, ne voient en lui qu’un centriste et un oppor­
tuniste. A Tours il opte pour la « vieille maison », tente d’organiser l'In­
ternationale 2 1/2 et prône la reconstruction avant de revenir à la 24.
114. Archives Camus, AR. à Camus, l-XII-1953.
115. MO., I. 290.
les débuts de la lutte minoritaire 119

de rester socialistes, de ne pas rompre avec l’Internationale, de


réclam er une paix rapide, de lutter contre les outrances chauvines
de la droite du Parti, de dénoncer les rigueurs de la censure 116.
La Haute-Vienne elle-même est divisée, elle a ses tendances. Dans
le Populaire du Centre qu’édite Pressemane, un éditorial signé
Alvarez, dénonce le 21 avril les
« [...] extrémistes sincères qui ne sauraient s’accommoder des len­
teurs du progrès [ . . . ] »
et demande à la minorité de se plier à la discipline des organi­
sations
4 [...] jusqu'à ce que, agissant du dedans par la persuasion, elle
ait obtenu par ses méthodes l’adhésion nécessaire des masses ».
Si on peut donc travailler avec la Haute-Vienne, encore faut-il
établir le contact. V old sk y117 va voir Pressemane député de la
Haute-Vienne et lui demande s’il accepterait de travailler avec
les minoritaires étrangers11S. Mais l’attitude de la Haute-Vienne
est un mélange de décision, de timidité et d’ignorance lls. Après
la visite de Voldsky, Pressemane soupçonneux demande à M err­
heim :
« Connaissez-vous bien ces camarades ? Savez-vous de quoi ils
vivent120. »
De plus, au Conseil National du Parti Socialiste (14 et 15 juillet
1915) que leurs initiatives ont provoqué, leur délégation se laisse
manœuvrer 121. Rosmer est renseigné sur cette réunion à laquelle
il n’a pas accès par Merrheim qui « rôde » autour de la salle et
essaie de faire parler Frossard, par Rappoport qui tente de se fau­
filer mais est mis dehors sans ménagement. Heureusement, à l’issue
de la réunion, les délégués s’en vont dans un café voisin et là,
parlent à la cantonade. Les majoritaires ont bien manœuvré, on
a traîné sur les rapports et Pressemane, F au rem, Mistral ne
peuvent parler que très tard, interrompus furieusement par Vaillant,
Guesde et Vandervelde, toujours de passage à Paris au bon moment.

116. Le texte de ce rapport est donné dans MO., I 292-296, l’appré­


ciation de R. pp. 296-297.
117. Nous ne sommes pas parvenus à identifier ce Voldsky.
118. AR. à Monatte, 10-VI-1915.
119. Ibid., 26-VI-1915.
120. Ibid., 27-VII-1915.
121. MO., I 301 et suiv. et A R . à Monatte, 27 et 30-VII-1915.
122. Paul Faure (1879-1960) vient de la direction du POF. En 1915,
il est rédacteur en chef du Populaire du Centre et appartient à la Fédé­
ration de la Haute-Vienne. Minoritaire, mais non zimmerwaldien, il fait
partie des Reconstructeurs et se prononce contre l’adhésion à l’IC.
Secrétaire-Général de la SFIO, député, il est en 1938 le chef de file des
munichois du Parti. Rallié à Vichy en 1940, il est exclu du Parti en 1944.
120 alfred rosmer

D'après les mouvements de séance, la minorité atteint le tiers des


présents. L e soir, les limousins déclarent qu'ils s'abstiendront. Grave
reculade que Renaudel utilise immédiatement : qu'on charge une
commission d’étudier un texte de résolution et qu'on vote seu­
lement le lendemain. La minorité commet une deuxième faute en
acceptant. Toute la nuit on la travaille et le lendemain elle capitule
en une heure : « timidement, bêtement, honteusement ». Contre
toute attente, c'est donc une motion d'unanimité qui sort de ce
Conseil National. Une déléguée de Bordeaux a voté contre mais
son mandat est immédiatement contesté. Réunion plus catastrophique
encore que celle de Londres : Merrheim parle de coup de poi­
gnard dans le dos de la minorité allemande 1ZS. Rosmer trouve la
motion catastrophique : elle approuve sans réserves la direction
du Parti, utilise des astuces de rédaction pour éluder les difficultés,
comprend un couplet guerrier. En novembre 1915, un bruit court
dans les milieux socialistes : il y avait aussi une motion secrète
sur la reprise des relations internationales et le vote a eu lieu sur
les deux motions jointes. Cette nouvelle ne le fait pas changer
d'avis, elle ne fait que prouver la naïveté des minoritaires. Au
mieux, ils se sont fait rouler : une motion secrète ne peut avoir
aucun retentissement, justement parce qu’elle est secrète 124. Bref,
« c'est une opposition naissante, timide et manœuvrée qui cède 12S ».
Une opposition incapable de résistance et de courage et d’ailleurs
mécontente d’elle-même. A Rappoport qui proteste, Paul Faure
répond : « Je suis moi-même mécontent de moi. » Ainsi les rapports
avec les socialistes ne sont qu’alternance décourageante d'espoirs et
de désillusions. Dans les moments de découragement, Rosmer dé­
clare qu'il n’y a qu'à rompre, que chacun n'a qu'à faire ce qu’il
veut et ce qu'il peut dans son milieu 12°. Bourderon et Louise Sau­
moneau sont venus aux jeudis de la V O mais y ont apporté disputes
et chamailleries 127. Dunois hésite à publier les brochures de Romain
Rolland, on renonce à l'inviter aux jeudis dès février 1915 t2& car
il vit « dans je ne sais quel monde 120 ». En avril, Monatte rompt
avec Desprès, ex-anarchiste qui persiste à rester à la BS 13°.
Pire, la reculade du Conseil National se transforme en débandade
quand on commence à parler de Zimmerwald. Les témoignages

123. Archives Monatte, Merrheim à Monatte, 21-VII-1915.


124. MO.f I 302-303.
125. Ibid., 304.
126. AR. à Monatte, 16-1-1915.
127. Ibid.
128. Ibid., 24-11-1915.
129. Ibid., 8-VUI-1915.
130. Desbois (dit Desprès) est né en 1877. En 1901, il a été inquiété
pour une affaire de fabrication d'explosifs avec Almereyda-Vigo. Il col­
labore aux Temps Nouveaux, à la Guerre Sociale, au Libertaire, puis
entre à la BS. avec son amie Marcelle Capy.
les débuts de la lutte minoritaire 121

de Kosmer et de Trotsky concordent une fois de plus. L e premier


n’est pas parvenu à mettre sur pied des réunions préparatoires
c o m m u n e s de la V O , de la minorité socialiste et de Nachê Sîovo Ia*.
L e second rapporte une entrevue générale dans un café des Bou­
levards. Il y a Morgari 13Z, le groupe de la V O , les Russes et des
députés socialistes qui, « pour des raisons peu claires » , se croyaient
des hommes « de gauche ».
Tant qu’on parle de reprendre les relations internationales, tout
le monde est d’accord. Quand Morgari propose de le faire en allant
en Suisse, « Messieurs les députés » s’empressent de régler les
consommations et s’enfuient133. A la veille de Zimmerwald donc,
les relations sont inexistantes, toutes les tentatives ont échoué, l’action
de la minorité socialiste est très sévèrement jugée.
Les syndicalistes quant à eux, ont une plate-forme qu’ils exposent
dans ïU n io n dvs Métaux, en mai 1915, et que Rosmer rend publique
dans sa première Lettre aux abonnés de la V O , en novembre. Il est
d’ailleurs temps car leurs adversaires affirment depuis quelques
mois déjà que ce sont les inimitiés personnelles qui leur dictent
leur attitude. Guillaume, après deux visites de Monatte écrit à
Brupbacher 134 :
« [...] Je crains que son cas et celui de plusieurs de ses alliés
se complique d’inimitiés personnelles contre d’autres militants. Hélas 1
Que ces hommes-là sont peu altruistes 13S. »
La position du groupe est d’abord un refus de toute falsification
du sens de la guerre. Ils rejettent les pieux mensonges que les
majoritaires répandent dans la classe ouvrière : guerre libératrice,
guerre de la civilisation, contre la barbarie, guerre des races, guerre
du droit, guerre au militarisme prussien, guerre pour tuer la guerre,
pour défendre le principe des nationalités et les petites nations,
dernière guerre ; autant de mensonges. L ’impérialisme français s’est
aligné sur l’impérialisme anglais et le changement d’ennemi héré­

131. RPy oct. 1950.


132. Morgari est député PSI et rédacteur en chef de l’Avanti depuis
1908. -Il lance l'action zimmerwaldienne et s’y situe au centre. Il est
hostile à l’expérience russe de dictature du prolétariat, émigre à Paris à
l'avènement du fascisme et se situe à la droite des socialistes italiens en
exil.
133. Ma Vie, p. 257.
134. Né et mort à Zurich (1874-1945), Fritz Brupbacher est pour Ros­
mer et Monatte un ami de toujours. Médecin dans un quartier ouvrier,
il adhère au PS Suisse en 1894, se lie en 1905 avec Kropotkine et James
Guillaume, en 1908 avec Monatte et avec le groupe de la VO. Ce qui ne
tarde pas à lui causer des ennuis dans son Parti dont il est exclu en 1914.
Minoritaire et zimmerwaldien, il adhère en 1920 au PC Suisse et fait
en 1921-22 le voyage de Russie. Exclu en 1933, il publie en 1935 ses
mémoires sous le titre 60 ans d’hérésie.
135. Archives Brupbacher, 4-1-1915.
122 alfred rosmer

ditaire s’est opéré à vue : de l’anglophobie à la germanophobie.


Cette guerre est la guerre des impérialismes. L e sens ancien du
mot impérialisme est inadapté aux circonstances nouvelles et prête
à confusions. L ’impérialisme :
« [...] C ’est la lutte économique que se livrent les grandes puis­
sances pour la conquête des débouchés, pour acquérir des zones
d’influence dans les pays non-industrialisés où elles peuvent écouler
leurs produits, obtenir des concessions, exercer une sorte de protec­
torat. Il est à la base de toutes les guerres modernes 13B. »
L ’impérialisme entraîne les prolétariats dans une guerre qui ne
les regarde pas. Il faut faire la paix sur la base du statu quo ante,
paix possible puisque la carte de guerre est équilibrée et qu’on
peut saisir au vol les offres de médiation faites par W ilson 137. Les
mouvements ouvriers ont fait faillite, une faillite pire que la guerre
même I38. L e socialisme allemand a sombré dans un « impérialisme
informulé mais dangereux139 » , les socialismes français et anglais
en ont fait autant. L ’effondrement du socialisme français est d’au­
tant plus durement ressenti que nul en France ne sauve l’honneur
alors que les Anglais ont tout de même lTndépendent Labour Party
qui se tient ferme sur ses positions d’avant-guerre, alors que les
Italiens sont fidèles eux aussi à l’internationalisme. L ’Union Sacrée
est une duperie qui paralyse la classe ouvrière, il faut y renoncer.
L ’internationalisme prolétarien doit se ressaisir, les internationalistes
doivent reprendre la lutte. L e socialisme sera profondément marqué
par son attitude de guerre, c’est du « simplisme guesdiste 140 » que
d’imaginer qu’il suffira de mettre la guerre entre parenthèses et tout
recommencer, à la paix, comme si de rien n’était. Les partis socia­
listes d’après-guerre seront en butte à un néo-millerandisme, à la
corruption gouvernementale, ils risquent d’aller vers le « socialisme
national » ou vers le « corporatisme national141 ». Dans l’immédiat,
le mot d’ordre juste, c’est le mot d’ordre de paix. Rosmer le défend
et le défendra t o u j o u r s c a r il vient de la masse elle-même,
des hommes qui se battent et de ceux qui souffrent de la guerre,
c’est le mot d ’ordre de Monatte et de Liebknecht, c’est le mot
d’ordre des peuples.
Les petits groupes qui se réunissent Quai de Jemmapes, dans
le bureau de Merrheim, Rue Grange-aux-Belles, ou dans le cabinet
de la femme de Lozovsky qui est dentiste, se sont d’abord contentés
de conversations à bâtons rompus, de contacts amicaux. Raymond

136. Première Lettre aux abonnés..., p. 9.


137. Première Lettre aux abonnés..., p. 18.
138. MO., I 217.
139. Première Lettre..., p. 14.
140. Ibid., p. 16.
141. Ibid.
142. Notamment MO., I 475.
les débuts de la lutte minoritaire 123

YEponge de Vinaigre :
L e f e b v r e é v o q u e c e s p r e m i è r e s r é u n io n s d a n s
« On se bornait à tisonner tristement les restes refroidis de l'Inter­
nationale ; à dresser, d’une mémoire amère, la liste immense de
ceux q u i avaient failli ; à entrevoir avec une clairvoyance inutile
la longueur d’une lutte d’usure où seule serait vaincue la civili­
sation.
XJn orgueil sombre nous restait [...] 143. »
Guilbeaux144 évoque des réunions qui servent surtout à échanger
des informations. Chacun apporte ses renseignements et Rosmer :
« Très informé des choses d’Angleterre, [...] nous instruisait
d’abondance sur tout le mouvement pacifiste radical et libéral et
complétait ses récits par la traduction au pied levé du Manchester
Guardian et du Daily News. »
Trotsky nous fait une description plus militante. On s’y rencon­
trait :
« [,,.] échangeant entre nous des secrets des coulisses sur la guerre
et les travaux de la diplomatie, critiquant le socialisme officiel,
cherchant à déceler les symptômes d’un réveil socialiste, persuadant
les hésitants, préparant l'avenir 145 ».
Les trois descriptions ne s’excluent d’ailleurs nullement l’une l’autre.
Rosmer pour sa part pense que c’est déjà beaucoup de maintenir
un foyer d’opposition 14e. Ces réunions, dont il est l’organisateur,
lui servent à peser les forces qu’il a pu grouper. II attend anxieu­
sement les premiers arrivés, évalue le nombre des présents, se
félicite des assiduités, s’interroge sur les absences, se réjouit quand
l’assistance est nombreuse,' se désespère quand elle s’amenuise. N i le
concierge, ni le propriétaire du Quai de Jemmapes n’apprécient
ces réunions nocturnes qui valent à leur maison la surveillance de
la police. Certains jeudis sont intimes et « familiaux » , jeudis de
bavardage où « tout le monde est là, fidèle et heureux de trouver
un coin sympathique une fois par semaine 147 ». Mois les Russes
ne manquent jamais quand il y a quelque chose de sérieux au
programme et bientôt les jeudis verront s’organiser l’action pacifiste.
Peu à peu, on est donc sorti de l’isolement total ; en France les
minorités commencent à faire entendre leur voix, de l’étranger les
renseignements filtrent, les lettres passent, surtout Rosmer dépouille
une formidable presse qui lui permet de savoir ce qui se passe
en Allemagne, chez les alliés anglais et russes, chez les neutres :
USA et Italie. L ’International Socialist Review lui est à cet égard

143. P. 5.
144. Du Kremlin..., pp. 26 et suiv,
145. Ma Vie, p. 255.
146. MO., I 219.
147. AR. à Monatte, 13-IV-1915.
124 alfred rosmer

d’un grand secours14S. L'action est donc devenue possible. L e


groupe a tenté d'agir dès les premiers mois, mais d'individuelle
(démission de Monatte, publication des brochures de Rolland), Faction
devient ensuite collective (lutte dans la CGT, préparation de la
conférence de Zimmerwald). Il faut bien voir le caractère dispersé
de cette action qui n’obéit pas à un plan d'ensemble et se contente
le plus souvent de saisir les occasions qui s’o firent. Les majoritaires
gardent longtemps l'initiative, que ce soit pour Londres ou pour
la Conférence des Bourses et Fédérations. Il faudra attendre Zim ­
merwald pour que la minorité, à son tour, prenne l’offensive. A cet
égard aussi, Zimmerwald est un tournant décisif.
En décembre 1914, la minorité syndicaliste accomplit son pre­
mier acte public. L e Comité Confédéral refusant d’envoyer des
délégués à la conférenne des socialistes des pays neutres prévue
à Copenhague début décembre, Lenoir et Merrheim envoient une
lettre de protestation, Monatte décide de démissionner. 11 consi­
dère en effet que la lutte est impossible dans le Comité Confé­
déral où l’atmosphère est devenue intenable, il pense que la longue
lettre d ’explications qu’il va écrire et où il exposera ses raisons,
si elle est largement diffusée, rendra publique l’existence d’une
minorité. Tandis que Rosmer est convaincu, après quelques hési­
tations, Merrheim reste hostile car Monatte parti, il se retrouvera
seul au Comité C onfédéral149. L e retentissement de cette démission
est assez faible au total, quelques « adhésions et semi-adhésions »,
quelques approbations assorties souvent d’une inquiétude : Monatte
ne va-t-il pas trop loin ? C’est par exemple la question que pose
Bourderon.
En 1915, deuxième effort. Rosmer assure la publication des
brochures de Romain Rolland. Quand le Journal de Genève publie
en supplément Au-dessus de la mêlée, les 22-23 septembre 1914,
l’effet moral est immense quoique encore mal mesuré. Les natio­
nalistes entrent en fureur : Romain Rolland est à l’abri à Genève
tandis que d’autres se font tuer au front. Les minoritaires exultent,
on fait la queue devant les kiosques quand arrive le Journal de
Genève. Pour Monatte et Rosmer, c’est un encouragement : Monatte
dira que Romain Rolland et Trotsky l’ont sauvé du désespoir,
Rosmer écrit à Rolland :
« Cher Romain Rolland.
« Je m’adresse à vous sous cette forme familière, quoique je ne
vous connaisse pas personnellement : je suis, pour vous, un de
ces amis inconnus qui suivent, avec la sympathie la plus vive, les
manifestations de votre pensée et vous sont reconnaissants des
belles paroles que vous avez dites lorsque l’affolement général
semblait tout devoir anéantir 1S0. »

148. MO., I 225.


149. MO., I 177 et suiv.
150. Cité par Romain R o l l a n d , Journal des années de guerre, p. 356.
les débuts de la lutte minoritaire 125

Entre les deux hommes s'ouvre alors une période d'effusions.


Rolland recevant la première L ettre aux abonnés de la V O écrit
à Martinet : « Quel beau cerveau lucide et vaillant » et continue
dans son journal :
« Rosmer est avec Merrheim et Monatte une des trois têtes du
syndicalisme français ; mais il me semble le plus intelligent et le
plus instruit des trois. Je ne vois guère d’autre Français qui aurait
pu comprendre et résumer aussi clairement la situation interna­
tionale ISI. »
11 trouve la brochure. « admirable » et ajoute :
« Je brûle du désir de connaître cet homme et de lui dire ma
sympathie [...] Un Rosmer, un Monatte, un Merrheim sont l’honneur
U .C JlO A "

Nous ne savons pas comment évolue l’opinion de Rolland sur


Rosmer, mais celle de Rosmer sur Rolland ne tarde pas à se
modifier défavorablement. Les causes en sont complexes. A une
irritation personnelle devant la façon somme toute cavalière avec
laquelle Rolland traite les messagers venus de France à grand
risque, s’ajoute un mécontentement devant ses airs protecteurs.
N ’écrit-il pas dans son Journal des années de guerre, en parlant
de la minorité française : « Je sens avec émotion combien je suis
aimé par ces braves gens 153 » ? Rolland se prend d’ailleurs pour
le centre du mouvement pacifiste, sinon pour le seul pacifiste et
écrit :
« On a beau vouloir être un levier, il faut une pierre sur quoi
poser ce levier. D e pierre, il n’y en a pas. Il n’y en a nulle p a rt15*. »
Une autre cause de mésentente est sans doute l’extrême différence
des situations qui augmente les malentendus : Monatte est au front,
Merrheim et Rosmer se battent en France contre les majoritaires,
Rolland est en Suisse et s’ en fait gloire :
« Pas un indépendant n’a couru le risque de venir s’établir en
Suisse, pour en faire, comme Herzen, un centre de propagande
[...] >
L e pacifisme facilement sentimental de Rolland enfin, ses épîtres
à Merrheim pour lui conseiller d’oublier la lutte de classes au
profit de rhumanité tout entière, ne pouvaient que choquer des
hommes qui se veulent « lutte de classes » avant tout. Mais les

151. Journal des années de guerre, p. 603 et suiv. La lettre à Martinet


y est citée et date du 12-XII-1915.
152. Archives R. Rolland, R. R. à Emile Masson, 13-XII-1915.
153. Ibid., p. 709.
154. Archives R. Rolland, R. R. à Emile Masson, 10-VIII-1915.
155. Ibid,, p. 761.
126 alfred rosmer

textes de Rolland servent avec talent la cause minoritaire, il faut


les diffuser. On passe des nuits à les recopier à la machine ou à
la main lï®. Il faut vite trouver un moyen plus efficace, les publier
en brochures. Romain Rolland charge Dunois de l’opération, celui-ci
écrit une préface et s’en remet à Rosmer pour l’exécution. Rosmer
parviendra à faire paraître deux brochures de Rolland : la pre­
mière après mai 1915 137, la seconde en novembre ou décembre 158.
Au-dessus de la mêlée imprimé par une imprimerie coopérative,
L ’Emancipatrice, contient deux articles précédemment publiés par
le Journal de Genève : Au-dessus de la mêlée et Inter ai'ma cari-
tas 15<*. Jaurès, imprimé par la Publication Sociale, c’est-à-dire par
Delesalle, reprend le texte d’un autre article du Journal de Genève 160.
Nous avons la preuve que Rosmer s’est occupé des deux brochures :
Romain Rolland affirme qu’il s’occupe d’une brochure contenant
deux de ses articles 1#1, c’est de la première qu’il s’agit et Rosmer
détaille pour Monatte ses démêlés avec Delesalle 162, c’est de la
seconde qu’il est question. L e problème de l’imprimeur n’est pas
facile à résoudre : comme Dunois a écrit la préface, il n’est pas
question d’imprimer la brochure à la V O et c’est pour cela qu’on
va à L ’Emancipatrice. Pour la deuxième, Rosmer ne s’adresse à
Delesalle qu’avec une grande répugnance : il reproche à cet ex-secré­
taire de la Fédération des Bourses et de la C G T devenu imprimeur
et libraire d’avoir publié en brochure le discours de Jouhaux sur la
tombe de Jaurès, et le considère comme « un trafiquant, plus qu’à
demi-guerrier, indigne de l’honneur qu’on va lui faire ». Sa colère
augmente quand Delesalle, flairant une bonne affaire, se réserve
le droit de faire plus tard un tirage sur japon. L a censure de son
côté fait des difficultés : elle a demandé à Dunois d’être raison­
nable et de faire les coupures lui-même. Comme il refuse, elle fait
traîner les choses en longueur. C’est Viviani dit-elle qui n’en finit
pas de lire les épreuves 143. Pour finir, Dunois demande à Luquet
d’intervenir auprès de Viviani et la première brochure sort enfin,
avec de grosses coupures.
Pendant ce temps, Rosmer rassemble des matériaux pour une
brochure dont il a déjà le titre (Les syndicalistes français et la
guerre. D e la déclaration de guerre à la conférence de Londres)
et le plan : un chapitre’ sur la dernière semaine de paix où il
comparera les versions Jouhaux et Dumoulin de l’entrevue Legien,

156. M O , I 215.
157. D'après une note en page 32.
158. La préface est du 2-XI-1915.
159. Journal de Genève, supplément 4, 5 et 6 nov. 1914.
160. I b i d 2-VIII-1915.
161. Journal des années de guerre, p. 356.
162. AR. à Monatte, 21 et 29-HI-1915.
163. AR. à Monatte, 9-IV-1915 et dans le Journal des années de
guerre, p. 317, lettre de Dunois à Rolland, d’avril 1915.
les débuts de la lutte minoritaire 127

un chapitre sur l'activité de la C G T jusqu'à Londres, un examen


critique de la notion de guerre de libération, et sur l'usage qu'en
font les alliés, Russie et Japon compris, une dénonciation du syndi­
calisme d’entente cordiale 16*.
Mais il se décourage parfois par excès de lucidité. Il a réussi
bien peu de repêchages. Autour de ïui, des guerriers, des indécis,
des lâches. On refuse d’agir en l’accusant de nuire au mouvement
déjà affaibli l8S, de risquer une scission qui briserait les organisations.
Lui s’insurge contre ces raisonnements pensant que ce sont les
silences coupables, les inactions complices, les attaches gouverne­
mentales qui tuent les organisations. Il faudrait au contraire parler
ferme et regrouper les pacifistes autour d’un programme précis.
Un manifeste, une déclaration, une nouvelle V O peut-être, rendant
publiques les positions de la minorité attireraient de nouvelles
recrues. En attendant, c'est toujours ïe même cercle vicieux : on
ne peut agir parce qu'on est seul, on est seul parce qu’on ne peut
rien dire 186.
Il s’exagère les difficultés, déjà bien réelles, en ne comptant
que sur les inébranlables, en tenant pour négligeables les demi-
dévouements et les demi-décisions. I l faudrait être un peu plus
indulgent, oublier les erreurs du passé et les défaillances passa­
gères. Iï verrait alors qu'il n’est plus si seul, car la guerre, en durant,
ouvre bien des yeux.
D’ailleurs cette vision désenchantée de la situation ne l’empêche
pas d’agir. Aux jeudis de la V O s’élabore la tactique à suivre dans
la CGT. Merrheim, resté dans la « ménagerie de la Rue Grange-
aux-Belles », est chargé de l'appliquer au Comité Confédéral. Il
s'y heurte à des difficultés sans cesse croissantes. En effet, les
progrès de la minorité exaspèrent la majorité qui devient de plus
en plus agressive et violente. Jouhaux manoeuvre pour ne pas
intervenir directement contre l’opposition mais lance contre elle
ses ultras : Chanvin du Bâtiment, Dumas de l’H abillem entï57. Des
discussions orageuses éclatent en séance et au hasard des rencontres
de couloir.
L’un des premiers thèmes de discussion des jeudis de la V O
est celui de la conférence de Londres entre socialistes des pays
alliés. Les Russes vont à Londres puisqu’ils sont socialistes et ils
y défendront leur point de vue. L ’IL P sera là pour donner le sien.
Le Parti Socialiste Français ira aussi, déléguant 16 membres. Il
persuade la C G T de l’accompagner : Jouhaux viendra avec 4 syndi­
calistes. Que faire ? Merrheim doit-il ou non aller à Londres ?
Merrheim, dès qu’il a entendu parler de cette conférence au Comité
Confédéral, a élevé des objections de principe ; en effet, tenir

164. AR. à Monatte, 29-111-1915.


165. Première Lettre aux abonnés..., p. 18.
166. AR. à Monatte, 29-IV et 26-VIII-1915.
167. MO., I. 181-182.
128 alfred rosmer

une conférence interalliée, c’est accepter la classification gouver­


nementale des pays et nier l'internationalisme15S. Mais puisque
la C G T a décidé de faire le voyage, faut-il suivre ou non ? La
discussion est vive chez les syndicalistes minoritaires. Dumoulin,
tout à fait hostile â ce voyage, déclare tout net à Monatte : « Dis­
lui (à Merrheim) que s’il va à Londres, il perd mon amitié [...] 16\ *
Il pense en effet qu'il est illusoire de vouloir parler de paix dans
des conférences interalliées. Londres, c’est la guerre à outrance.
Si Merrheim y va, il sera amené à voter une déclaration sur les
nationalités et sa présence sera exploitée par les majoritaires. La
Commission Exécutive des Métaux unanime et Rosmer sont d’avis
contraire. D e toute façon, la C G T va à Londres. Si on laisse
les majoritaires entre eux, ils vont instaurer un socialisme de triple-
entente. voter h l’unanimité une motion belliqueuse, un texte sur
les responsabilités allemandes et le militarisme prussien. Il faut
donc aller à Londres pour appuyer les Russes et l’I L P lï0. Aux
jeudis on discute tactique : on décide que Martov et ses amis dépo­
seront, dès l'ouverture des travaux, une motion contre le principe
même de la conférence. Une fois les travaux ouverts, Merrheim
fera entendre la voix de la minorité française. Un point reste impré­
cis car on ne connaît pas les intentions exactes de 1TLP, faute de'
bonnes liaisons. Il faudra donc voir sur place avec eux et Rosmer
prépare à Merrheim tout un dossier sur la situation des partis socia­
listes en Angleterre, il pourra ainsi s’y retrouver 17X. On ne le voit
pas partir sans inquiétudes car il sera « travaillé » pendant le voyage.
Par Luquet surtout qui ne cesse de lui répéter qu’il fait incons­
ciemment le jeu de l’Allemagne. Et le caractère de Merrheim lui
interdit de briser net. Rosmer s’ouvre de ses inquiétudes à Monatte :
« Je sais pour ma part que si quelqu’un me gratifiait d’insinuations
pareilles, je lui témoignerais un si abondant mépris qu’il ne viendrait
pas de sitôt se frotter à moi, mais notre Merrheim craint toujours
de faire de la peine à des gens qu’il croit ses amis et qui le des­
servent tant qu’ils peuvent " 3. »
M algré ces précautions, à Londres tout tourne mal ou du moins
médiocrement. Les socialistes manœuvrent complètement la délé­
gation C G T ,* Merrheim et Bourderon ne parviennent pas même
à faire partie de la commission qui rédige la résolution finale.
Les indépendants anglais acceptent de voter le texte des majo­
ritaires après avoir obtenu la suppression d’une phrase belliqueuse
et les Russes s’abstiennent. Merrheim ne sait que faire : il ne peut
pas voter le texte, dédaigne l’abstention, pense — mais un peu

168. Ibid., 195.


169. Archives Monatte, Dumoulin à Monatte, 24-11-1915.
170. MO., I. 191 .
171. AR. à Monatte, 15-11-1915.
172. AR. à Monatte, 12-11-1915.
les débuts de la lutte minoritaire 129

tard — qu’un vote hostile lui rendrait la vie intenable au Comité


C o n f é d é r a l et qu’il devrait le quitter. Il n’a plus qu'une solution :
il ne prend pas part au vote 173. Comment expliquer que Rosmer
n'ait pas eu un mot de protestation contre Merrheim ? Sans doute
parce que c’est lui, entre autres, qui a poussé Merrheim au voyage.
Le condamner serait avouer sa propre erreur. D ’ailleurs il considère
au lendemain de Londres, et considérera encore vingt ans après 174>
que la conférence a eu des aspects positifs : pour obtenir le vote
de Keir Hardie, Vandervelde 175 a dû faire à son texte des adjonc­
tions qui sont autant de « rappels socialistes » : la cause profonde
de la guerre réside dans le régime capitaliste, tous les gouvernements
ont leur part de responsabilité, la Pologne et l’AIsace-Lorraine ont
le droit de se déterminer elles-mêmes, les mesures tsaristes contre
la Douma, la presse, les Finlandais, les Polonais sont condamnées.
Merrheim de son côté ajoute :
« [...] Si nous nous ralliâmes à la résolution proposée, qui était
un compromis, c’est parce que nous pensions que cette résolution
n’était qu’un premier pas vers une véritable conférence internationale
où toutes les nations seraient invitées et représentées 178. »
La presse bourgeoise rend d’ailleurs compte de la conférence avec
une colère qui les renforce dans leur opinion.
Il n'empêche. Globalement, les socialistes français se sont laissé
manoeuvrer par Vandervelde et la C G T par les socialistes français.
Rosmer et ses amis préparent un volumineux dossier sur la faiblesse
de la C G T face au PS, le recopient en six exemplaires et le distri­
buent aux membres du Comité Confédéral qu’ils peuvent toucher.
Sans doute n’ont-ils pas l’espoir de renverser la majorité : ils par­
viennent maintenant, dans les meilleurs cas, à regrouper huit voix
(Métaux, Chapellerie, Cuirs et Peaux, cinq unions départementales)
et à provoquer sept abstentions 177. Mais ils auront donné leur point
de vue et pris date 17S.
Rosmer continue à expliquer à Merrheim comment il faut manœu­
vrer, lui écrit ses motions, lui indique les propositions à faire.
Il lui suggère d’insister pour que l'on réponde à Liebknecht et lui
rédige un texte de réponse lT9. Mais Merrheim qui siège doit sup­
porter les manœuvres dérisoires et efficaces de la majorité : ques­

173. Ibid., Merrheim à Monatte, 23-11-1915.


174. MO., I. 207-208.
175. Le Belge Emile Vandervelde (1866-1938), membre du POB, a été
député dès 1894. Il est président de la Deuxième Internationale, majo­
ritaire et ministre. Il combat l’IC et sera ministre des Affaires étran­
gères de 1925 à 1927.
176. Pourquoi sommes-nous allés à Zimmerwald, p. 5.
177. MO. I. 262.
178. Archives Monatte, Merrheim à Monatte, mars 1915.
179. Archives Monatte, Merrheim à Monatte, avril 1915.
130 alfred rosmer

tions enterrées, interminables lectures de procès-verbaux ou de


correspondances. L e 19 avril 1915, les majoritaires ont le front
de proposer le renvoi à quinzaine de la préparation du pi'emier
mai. C ’en est trop pour Bourderon et Merrheim. Ils protestent tant
et si bien qu’ils ont gain de cause : La V oix du Peuple sortira
un numéro spécial pour le premier mai. D ’ailleurs les minoritaires
avaient déjà décidé d’agir seiils. L a Commission Exécutive des
Métaux prépare pour le 1OT mai un numéro de L ’Union des Métaux.
Dès le 9 avril, Rosmer et Merrheim travaillent à leur « bombe »
en grand secret pour éviter les indiscrétions et les infiltrations
policières l8°. Dès le 17, la police est pourtant au courant181. Si
les textes essentiels émanent de la fédération elle-même 18z, Rosmer
a écrit un certain nombre d’articles, l’un sur les grèves de la Clyde
« qui permettra de dire beaucoup de choses », une revue des jour­
naux et des périodiques « qui permettra d’en faire dire plus en­
c o r e 183». Ils amènent la copie à Villeneuve-Saint-Georges et font
la mise en page devant les typos « estomaqués » par ces textes
qu’ils approuvent au fond d’eux-mêmes 184. L e texte est si abondant
qu’il faut supprimer de la copie, réduire les caractères pour gagner
de la place. L e journal est prêt le 21 avril. Rosmer annonce la bonne
nouvelle à Monatte :
« [...] J’ai tellement vu le numéro, je l’ai lu, relu, et relu encore
que je ne le vois plus bien. Ce qui est sûr, c’est qu’il va faire un joli
tintamarre ! Du commencement à la fin, c’est un cri nouveau 1IBS »
Les épreuves qui vont alors à la censure comprennent une partie
générale avec la déclaration fédérale sur la guerre — Cette guerre
n’est pas notre guerre — le manifeste des ouvriers allemands, un
compte rendu sévère de la conférence interalliée de Londres, un
article sur le carnet B. La partie corporative passe en revue l’activité
de la fédération, un texte dénonce les abus patronaux sous le titre,
L'action patronale et l’Union sacrée. L a rubrique du Mouvement
international est consacrée aux grèves de la Clyde qui ont secoué
en février le secteur-clé des usines de guerre.
Les exigences de la censure sont tout à fait caractéristiques.
Elle laisse passer l’appel des socialistes allemands : il n’est pas
mauvais de savoir que des Allemands parlent de paix. On pourra
l’interpréter comme un signe de la lassitude allem ande18B. Par
contre elle veut supprimer tout ce qui est la plate-forme dé la
minorité : la paix sans annexions, la responsabilité' de tous les

180. MO. I. 256.


181. F7. 13 574. Rapport de police du 17-IV-1915.
182. MO., I. 255-
183. Rosmer à Monatte, 9-IV-1915.
184. Ibid., 22-IV-1915.
185. Ibid.
les débuts de la lutte minoritaire 131

gouvernements, le désarmement, l’arbitrage obligatoire des conflits


internationaux. Elle butte en particulier sur la déclaration de la
Fédération des Métaux. Elle n'accepte de laisser passer aucune
des accusations contre les chefs syndicalistes, les prenant ainsi sous
sa protection 187. Elle demande par contre des adjonctions ; pour­
quoi ne pas dire que la guerre est, pour la France, une guerre
de libération ? Comme Merrheim reste ferme et se replie derrière
îe vote de sa Commission Exécutive, la censure caviarde 188.
C’est à ce moment-là que Rosmer et Merrheim prennent une
décision qui n'a pas de précédent depuis 1914. Ils font tirer un
certain nombre d'exemplaires avec les blancs exigés par la censure,
les mettent sur le dessus des paquets de journaux, avec, au-dessous,
les numéros non-censurés. Ils font rapidement les expéditions 180 :
« Nous éprouvions d’ailleurs une vraie j’oie à ficeler nos paquets,
une j'oie amère, la seule permise en ces temps-là. C ’était le premier
grand coup qu’allait porter l’opposition syndicaliste à la guerre. »
Le 27 avril, 17 500 numéros ont été expédiés aux syndicats et
syndiqués de la métallurgie et aux abonnés de la V O 190. Il n’y a
plus qu’à attendre les sanctions mais le gouvernement préfère étouffer
l’affaire car un procès public révélerait l’existence de la minorité.
Rosmer pense qu’il a suivi les conseils d’hommes « qui connaissent
le mouvement ouvrier et sa situation véritable101». L ’ Union des
Métaux de mai 1915 provoque une «vérita b le stupeur192». La
presse fait le silence, ni la Bataille Syndicaliste, ni YHumanité ne
sou fflen t mot. M êm e des organes en principe mieux disposés ne
font rien pour aider à la diffusion de ces textes. Silence complet
de VEclaireur de l’Ain. L e Populaire du Centre pille les textes
sans indiquer ses sources. Comment réagissent les individus ? Ce
sont les lettres reçues et les visites qui permettent de s’en faire
une idée. Il y a les amis enthousiastes, Trotsky, Martinet, mais
la masse reste indifférente. Rosmer ne reçoit que quatre lettres,
Merrheim autant. Huit lettres en tout, c’est dérisoire. Et encore
deux d’entre elles sont prudentes et leurs auteurs ne prennent pas
clairement position193. Trois correspondants protestent. Trois seu­
lement approuvent : M ” 9 Dispan, Marie Guillot qui est alors
institutrice en Saône-et-Loire I9\ Romain Rolland qui envoie des

187. MO., I. 239.


188. AR. à Monatte, 8-V-1915.
189. MO., I. 256.
190. AR. à Monatte, 29-IV-1915.
191. MO., I. 239.
192. Ibid., 257.
193. AR. à Monatte, 25-V-1915.
194. Marie Guillot (1883-1934) a créé en 1911 le syndicat des insti­
tuteurs de Saône-et-Loire. Elle s’engage dans l’action minoritaire, col­
labore à YEcole Emancipée, puis milite dans les CSR. Secrétaire de la
132 alfred rosmer

adresses et promet son a id e I95. Rosmer a envoyé un numéro à


Escoffier qu’il considère comme 1’ « abonné moyen » de la V O et
passe le voir pour lui demander son avis. Escoffier admet d’abon­
dance que le numéro est intéressant mais se refuse à dire s’il en
approuve ou en désapprouve le contenu. Les conversations ne sont
guère plus encourageantes : les mobilisés ne veulent rien faire
parce qu'ils sont mobilisés, les civils pensent que rien ne sert
de bouger puisque le gouvernement étouffe toute initiative. Quelques
réunions syndicales se font l’écho lointain du numéro de m a il,\
L e 1er mai au soir, l’Union Départementale de la Seine orga­
nise une réunion et Brisson y défend un texte proche de la décla­
ration des Métaux ; malgré le vacarme déclenché par les majori­
taires, le texte est voté. L ’Union Départementale du Rhône approuve
Merrheim. Du côté de la presse étrangère, YAvanti, organe du
Parti Socialiste Italien, le Labour Leader, organe de l’IL P , le
Herald, hebdomadaire de tendance pacifiste dirigé par G. Lans-
bury, le Berner Tagwacht, organe du Parti Socialiste Suisse publient
des extraits. Résultats assez maigres : c’est au total une déception,
mais, pour la première fois, l’opposition a pris l’offensive et bravé
la censure.
Une initiative de Bourderon offre bientôt une nouvelle possi­
bilité d’action en permettant la réunion d’une Conférence des ;
Unions et Fédérations le 15 août 1915. Pendant une séance du
Comité Confédéral, Bourderon demande une conférence. II déposé;
sa proposition par surprise, juste après l’interminable lecture de
la correspondance. Jouhaux la lit tout haut sans réfléchir et il;
n’a plus le temps de rallier ses troupes pour y faire obstacle. La;'
proposition est adoptée par 19 voix contre 10 et 6 abstentions 108bia. ;
Jouhaux ne peut que restreindre de son mieux la portée de la:
conférence, et fait décider qu’elle durera un seul jour. Rosmer
propose immédiatement que les mobilisés envoient une lettre de;
soutien à la minorité. Monatte et Dumoulin qui, quoique mobilisé^
est toujours secrétaire-adjoint de la C G T sont d’accord. Merrheim ,
y est opposé. Si l’on y tient, qu’on fasse la lettre mais toute prise
de position sur le passé amènerait un vote massif de confiance;
à la direction de la C G T, qu’on ne parle donc que de l’avenir.
Et surtout qu'on les laisse juges, lui et Bourderon, qu’on les laisse
libres d’utiliser ou de ne pas utiliser la lettré selon les circons­

Fédération de l’enseignement en 1921, elle est en 1922 du secrétariat de


la CGTU et maintient ses positions favorables à l’indépendance du syn- ;
dicalisme ce qui l'amènera à militer dans la Ligue Syndicaliste et le.
Comité des 22. Lettre reproduite dans MO., I. 257 et AR. à Monatte
17-V-1915.
195. Ibid., 17-V-1915, lettre reproduite dans MO., loc. cit.
196. MO., I. 260-261.
196 bis. Ibid., 345 et Archives Monatte, Merrheim à Monatte;;
30-V II-1915. v*
les débuts de la lutte minoritaire 133

tances1S7. Notons que Merrheim a toujours été opposé à toute


démarche des mobilisés qui pourrait les compromettre188. Rosmer
trouve cette position incompréhensible : Merrheim a des alliés au
moment des votes mais pas dans la discussion, la lettre des mobi­
lisés lui serait utile. Pourquoi la refuse-t-il ? Il invoque les haines,
les injures qu'une telle lettre ne manquerait pas de déclencher
mais de toute façon il est déjà haï et injurié et l'attitude de la
Fédération des Métaux est violemment critiquée. Au moins, si
Merrheim ne veut pas utiliser le texte des mobilisés, que Monatte
l’envoie à l'Union Départementale du Rhône qui le défendra 190.
Mobilisé lui-même à ce moment-là, Rosmer ne peut faire prévaloir
son point de vue, il ne peut que juger la conférence. II en trouve
le résultat .totalement négatif en ce qui concerne Merrheim. Celui-ci
a voulu se battre seul et loyalement ; il a été manœuvré et écrasé
car la résolution Jouhaux a obtenu 79 voix, la motion Métaux-
Tonneau à laquelle les instituteurs se sont ralliés, n’en a recueilli
que 27 200. Il devient urgent de veiller sur Merrheim et de l’aider 20\
L ’aspect positif de la conférence, c'est qu'une minorité a pu s'affir­
mer et se compter, beau camouflet aux unanimités socialistes 202.
Mais il devient nécessaire d'améliorer sérieusement l’action de la
minorité dans la C G T :
« De notre côté, on a manqué de préparation. Il aurait fallu
se concerter, s’entendre, régler l'action commune de façon à former
un groupe compact et résistant sur lequel les roquets n'auraient pas
pu mordre 203. »
A la fin d'août 1915, la position de la minorité n’est donc pas
très brillante en France : la minorité socialiste s'est fait manœuvrer
à la première escarmouche, la minorité syndicaliste a grand besoin
dé cohésion.
■ Sur le plan international, qu'en est-il ? Depuis quelques mois
s’effritent les derniers espoirs de paix rapide. En avril, Rosmer
espérait encore et basait son espoir sur les bruits de couloirs de la
chambre et des milieux socialistes, mais quand l'Italie s’apprête à
entrer en guerre, il s’aperçoit que ces bruits n’étaient que savante
manœuvre pour la décider204. L a guerre va donc durer, il faut
prévoir une liaison internationale des minoritaires. Rosmer, habitué
à ï’action internationale étouffe d'ailleurs dans les limites nationales
imposées par les circonstances. Dès que l’occasion se présente,

197. Archives Monatte, Merrheim à Monatte, 30-VÏI-1915.


198. MO, I. 243.
199. AR. à Monatte, 5-VIII-1915.
200. MO., I. 343 et suiv.
201. AR. à Monatte, 5-VIII-1915.
202. Ibid., 3 et 23-VIII-1915.
203. AR. à Monatte, 28-VIII-1915.
204. Ibid., 11-IV puis 17-V-1915.
134 alfred, rosmer

il essaie d’élargir son champ d'action. Encore ne s’agit-il pas de


prendre n’importe quels contacts internationaux. Il n’est pas ques­
tion de rééditer l’expérience interalliée de Londres, ni d’admettre
une réunion internationale des majoritaires. Il condamne l’entrevue
de Berne entre Jouhaux, Renaudel, Bernstein, Kautsky : elle ne
saurait être valable puisque Jouhaux n’a vu aucun des représentants
qualifiés de la minorité allemande. D e plus, alors que l’entrevue
a heu début août, il n’en a soufflé mot pendant des mois et ne
s'est décidé à informer le Comité Confédéral qu’un jour où Merrheim
est absent, retenu par une réunion de sa Commission Exécutive 20*.
Sans doute les diverses censures s’efforcent-elles d’étouffer de
leur mieux les manifestations des minorités, mais Rosmer qui dévore
la presse sait qu’il y a des minorités.
Du côté des empires centraux, il suit l’évolution de la minorité
allemande. Grimm qui est membre du PS Suisse et éditeur du
Berner Tagioacht depuis 1909 le renseigne dès janvier 191520*.
Il connaît la position de Liebknecht avant même que celui-ci ne
parle au Reichstag, il suit sa controverse avec le leader des socia­
listes majoritaires, Scheidemann ~07. L e numéro de mai de YUnion
des Métaux est en partie une réponse au manifeste Liebknecht-
Luxemburg-Zetldn auquel la C G T n’a pas voulu répondre 208.
Du côté des alliés, c’est surtout vers l’Angleterre qu’il tourne
les yeux et il confie en mars à Monatte que les événements d’Angle­
terre lui ont donné un coup de fouet 309. L T L P publie des textes
d’une « lecture tonique 210 », sort des livres et des brochures, mène
une active propagande. Les grèves dans la Clyde montrent que
le mécontentement des milieux ouvriers est grand. Pour G olos211,
Rosmer fait le bilan du congrès des Trade-Unions à Bristol. Bilan
positif ; L loyd George a cru bon de se déranger en personne pour
défendre son programme d’armements, Mac-Donald, délégué de
l’IL P , a été écouté attentivement, la minorité pacifiste s’est mani­
festée. L e congrès a certes pu voter une motion d’unanimité, mais
cette unanimité fictive ne saurait se maintenir.

205. Ibid., 14-X-1915.


206. M O I. 369. Grimm qui adopte pendant la guerre une attitude
zimmerwaldienne modérée, sera l’un des organisateurs de l'Internationale
2 1/2 avant de revenir à la I I e.
207. Philippe Scheidemann (1865-1939) député dès 1903, membre
de la direction du PS allemand depuis 1912, se situe depuis longtemps
à la droite du Parti. Il proclamera en 1918 la République Allemande,
faisant ainsi obstacle au processus révolutionnaire que tente d’engager
Liebknecht. Il deviendra premier chancelier de sa république avant de
démissionner plutôt que de signer le Traité de Versailles. A l’avènement
du fascisme, il émigre.
208. MO., I. 226-30.
209. AR. à Monatte, 16-1-1915.
210. Ibid., 27-VII-1915.
211. 16 et 17-IX-1915.
les débuts de la- lutte minoritaire 135

L ’opposition russe existe, elle aussi, toute proche avec Martov


et Trotsky, immédiatement voisine avec Lénine en Suisse.
Les socialistes serbes dénoncent les menées impérialistes de la
Russie. L e socialiste Douchan Popovitch212 l’écrit de Serbie à
Racovsky qui transmet à Dumas, chef de cabinet de Guesde 213.
Les neutres ont aussi leurs pacifistes et leurs guerriers, germa­
nophiles ou partisans des alliés. En Italie, D e Ambris a trahi la
cause pacifiste, mais Malatesta tient b o n aI<L. Surtout, le PS, dans
son ensemble, non seulement reste pacifiste et internationaliste,
mais encore agit concrètement pour la paix. A vec les Suisses ont
lieu à Lugano, le 27 septembre 1914, les premières conversations
pacifistes. Grimm en parle à Rosmer en janvier 1915 318. Les 17 et
18 janvier 1915 a lieu â Copenhague une réunion élargie des neutres
pacifistes. En mars s’ouvre à Berne une Conférence Internationale
des Femmes Socialistes dont L ’Humanité du 6 avril fait un compte
rendu très froid, signé d’Homo 21\ Elle a peu de retentissement217.
Les 4 et 6 avril, toujours à Berne, se réunit une Conférence Inter­
nationale des Jeunesses Socialistes qui a encore moins d’écho ;
il n’y a pas même de délégué français 2X8. Plus important que tout
cela, les Italiens et les Suisses proposent une réunion internationale
des minoritaires qui sera Zimmerwald.

212. D. Popovitch (1884-1919) est l'un des fondateurs de Borba.


213. MO., I. 231.
214. AR. à Monatte, 8-III-1915.
215. MO., I. 369.
216. Salomon Grumbach-Homo a été membre du PS allemand avant
d’adhérer au PS français en 1908. Situé à l'aile droite du Parti, il est, pen­
dant la guerre, le correspondant de L,'Humanité en Suisse. Il est très
antizimmerwaldien. Il deviendra en 1923 député du Haut-Rhin.
217. MO., I. 310.
218. Ibid., 310-311.
4

Zimmerwald et ses conséquences

Fin janvier, début février 1915, Grimm, mandaté à la fois par


le Parti Socialiste Suisse et par le Parti Socialiste Italien, vient à
Paris pour étudier la possibilité de rassembler les socialistes fidèles
à l'Internationale. L'entrevue avec Renaudel tourne court et il se
met à la recherche des opposants. Il voit le groupe de Nachê Slovo
puis tient une réunion Quai de Jemmapes^ avec le plus clair des
opposants parisiens. Dunois, Rosmer, Monatte, Trotsky et les
« Russo-Polonais » écoutent son exposé sur les minorités interna­
tionalistes des différents pays. On décide de régler pratiquement
la question des liaisons clandestines : « C e social-démocrate .était
assez expert dans le travail clandestin [...] \ » Puis c'est Morgari
du PSI qui vient, se querelle avec Vandervelde, ne parvient pas
à s'entendre avec les députés socialistes, voit le groupe de la VO
et de Naché S lo v o 2. Au moment décisif où, les Italiens et les
Suisses ayant convoqué la conférence, il faut désigner les délégués
français, ni Monatte, ni Rosmer, mobilisés, ne participent aux dis­
cussions et ils ne peuvent être délégués. JRosmer arrive tout juste
à rentrer à Paris à temps pour participer aux toutes dernières réu­
nions préparatoires. Il s’est révélé totalement impossible de per­
suader les socialistes, Pressemane est venu une fois mais les éléments
timorés l'ont emporté car il ne revient plus. Pour Naché Slovo,
aucun problème, elle envoie ses délégués. L a V O fera de même 3.
Merrheim est indiscutable. C'est Bourderon qu’on choisit pour

1. MO., I. 368-369, voir aussi Amédune, art. cit.


2. MO., I. 370.
3. Ibid., 370-371.
zimmerwald et ses conséquences 137

l’accompagner. Vieux mais actif, i l n’a pas de fonction dans l e P S ,


mais est socialiste. L e choix soulève cependant quelques inquiétudes
et Martinet s’en ouvre à Monatte : pourvu que Merrheim et Bour­
deron soient à la hauteur et qu’on n’ait pas trop à regretter Ros-
mer 4. La dernière réunion est volontairement peu nombreuse 3 :
M e r r h e im , Bourderon, Trotsky, Lozovsky et Rosmer. I l s’agit de
mandater exactement les délégués français. Merrheim et Bourderon
considèrent comme leur mandat le texte soutenu par la minorité
s y n d ic a lis te à la conférence des Unions et Fédérations du 15 août.
Les Russes leur demandent d’y ajouter un plan d’action précis et
r e m a r q u e n t que dans le texte du 15 août, les passages sûr le désar­
m e m e n t et sur l’arbitrage obligatoire sont trop faibles pour être
s ou ten u s dans une conférence internationale. Rosmer semble se
r a n g e r du côté des Russes et considère que le refus obstiné des
deux délégués a un sens : ils veulent garder les mains libres pour
agir selon les circonstances. L ’accord ne se fait donc pas :
« On se sépara là-dessus, et comme la conférence internationale
re s ta it la chose essentielle, on se sépara gaiem ent6. »

Rosmer a donc participé à la préparation de Zimmerwald sans


pouvoir y assister.
La conférence lui sera racontée par Merrheim puis par Trotsky
qui, lui, a pu parler à tout le monde et lui donne donc des
renseignements bien plus complets. Il s’empresse dlen faire la
relation à Monatte dans une série de lettres qui s’échelonnent
du 12 au 25 septembre 1915 7. C ’est surtout la description faite
d’après Trotsky 8 qui est importante parce ' qu’elle nous permet de
savoir ce que les syndicalistes connaissent immédiatement des idées
de Lénine. A Berne, les samedi soir et dimanche matin, ont lieu
une rencontre préparatoire de la gauche puis une rencontre franco-
allemande. La rencontre de la gauche s’est tenue sur proposition
de Lénine et c’est Trotsky qui a insisté pour qu’on y admette les
Français. Radek expose le point de vue de Lénine •. condamnation
formelle des socialistes-nationalistes et de l’Union Sacrée, appel
au prolétariat pour un retour à la tactique socialiste de lutte des
classes et des actions révolutionnaires, pas un mot sur la paix.
Merrheim, au contraire, réclame une action exclusivement pacifiste,
ce qui jette un froid. Quant à la rencontre franco-allemande, les
débuts en sont difficiles et l’atmosphère ne s’y détend que peu
à peu.
L ’essentiel, c’est la déclaration et le manifeste. Les propositions
de Lénine soulevant des critiques presque unanimes, Trotsky adopte

4. Archives Monatte, Martinet à Monatte, 13-X-1915.


5. BP., oct. 1950.
6. MO., ï. 373.
7. Et qui sont reprises presque mot pour mot dans MO., I. 384 et suiv.
8. AR. à Monatte, 25-IX-1915.
138 alfred. rosmer

une attitude conciliatrice. Il considère que deux groupes sont en


présence dont il schématise ainsi les positions : les partisans de
Lénine ne parlent pas du tout de la paix, un tout petit peu de
la guerre, veulent un programme d’action et ne se soucient pas
de ce qui est immédiatement réalisable 9 ; les Français, les Italiens
et une partie des Allemands parlent de paix et ne parlent pas
de Faction socialiste. Une gauche et une droite sont donc en pré­
sence. L'apport de Trotsky, c’est de rendre les deux conceptions
complémentaires en mettant la paix au centre de la résolution et,
sur les causes de la guerre et sur l’avenir, de parler en socialiste,
non en pacifiste. L ’accord se fait, le vote est unanime.
L ’opinion de Rosmer sur les résultats de Zimmerwald se fait
d’abord d’après le compte rendu de Merrheim. Il se félicite de
l’unanimité :
« Lénine, le farouche Lénine lui-même a voté la résolution qui
a recueilli ainsi l’unanimité, c’est-à-dire plus qu’on n’espérait, une
unanimité saine, véritable, qui doit permettre une action féconde 10. »
L a déclaration franco-allemande est très bien. Quant à la décla­
ration finale,
« Merrheim dit qu’elle est bien quoiqu’un peu trop marxiste. S’il
veut dire qu’elle est substantielle, il n’y aura pas lieu de s’en
plaindre 11 ».
Quand il la voit, il la trouve « admirable ■» : « C’est solide comme
du Trotsky et en même temps, ça fait bien a p p e l1S. » Bref, « tout
s’est très bien passé » . Mais quand Trotsky rentre en France et
lui fait son compte rendu, le ton change. L e 25 septembre, la
déclaration franco-allemande lui paraît un peu p â le 13. Trotsky a
d’ailleurs trouvé assez baroque l’idée d’une déclaration franco-
allemande. Comme si les deux pays étaient seuls en cause ! Le
6 octobre, il rapporte à Monatte ce que Trotsky pense des textes
votés : ils sont bien mais n’expriment pas une réelle volonté
d’action14. L e 17, revenant sur la déclaration franco-allemande
en réponse à une lettre de Monatte — peut-être celui-ci a-t-il émis
des réserves — Rosmer avoue : je me demande comment j’ai pu
la trouver si bien ,s. Nous somraçs loin de la joie sans mélange
des premiers jours. Sous l’influence certaine de Trotsky, possible
de Monatte, Rosmer révise ses premières impressions trop influen-

9. Sur la position exacte de Lénine, on se reportera aux Œuvres


complètes.
10. AR. à Monatte, 15-IX-1915.
11. Ibid.
12. AR. à Monatte, 22-IX-1915.
13. AR. à Monatte, 25-IX-1915.
14. Ibid., 6-X-1915.
15. Ibid., 17-X-1915.
zimmerwald et ses conséquences 139

cêes par Merrheim, et soumet les textes de Zimmerwald à une


critique qui sera celle de la gauche zimmerwaldienne.

Pour Rosmer, la conférence compte mais aussi son retentis­


Par la brochure, par des réunions où Merrheim et Bour­
s e m e n t.
deron font le compte rendu de leur voyage devant des majori­
taires réduits à la défensive, il va essayer de diffuser les résultats
de Zimmerwald. Zimmerwald a changé la nature et la dimension
des problèmes. L ’embryon d'organisation existant en France est
incapable de suffire au développement de l'action, un groupement
nouveau se crée alors, le Comité d'Action Internationale qui devien­
dra le Comité pour la Reprise des Relations Internationales. La
révolution russe et la création de l'Internationale Communiste en
feront le Comité pour la Troisième Internationale.
Pour analyser le retentissement de Zimmerwald, Rosmer fait
selon son habitude une large revue de presse l6. Dans la presse
française, quelques informations sont passées avant îa réunion, sans
doute parce qu'on espérait un échec exploitable. Après la réunion,
la censure et les majoritaires pratiquent ïetouffement. Le 8 sep­
tembre, le Petit Parisien et le Temps accumulent les erreurs. Mais
le 13, le correspondant italien du Temps câble une dépêche dont
il a tiré les éléments dans YAvanti : elle donne des informations
exactes et figure dans les premiers numéros du journal. L a censure,
avertie, la fait supprimer des suivants. Les Débats ont donné le 8
les mêmes éléments que les autres et publient le 16 un article
que reprennent L ’Humanité et La Liberté. Dans Le Journal du 25
passe un article d'ailleurs « stupide » dont l’auteur, cependant, a
lu le Manifeste. En Italie, les articles élogieux de YAvanti ont
quelques démêlés avec la censure. La grande presse anglaise est
muette, mais les hebdomadaires socialistes reproduisent le Mani­
feste, notamment le Labour Leader. Justice, hebdomadaire d'Hynd-
man, le fait aussi, avec des réserves sur la représentativité de la
conférence et sur celle de la délégation française. En Allemagne,
le Vorwaerts ne peut publier le manifeste mais reproduit les articles
élogieux de YAvanti. L e manifeste circule sous forme de tracts et de
brochures tandis que la direction du PS Allemand doit envoyer à ses
fédérations une circulaire anti-zimmerwaldienne.
En France, c'est par la brochure et par les réunions que Rosmer,
Merrheim et Bourderon vont tenter de répandre les idées de
Zimmerwald. I l n’est en effet pas question de faire de la propa­
gande zimmerwaldienne dans les organismes réguliers, surtout les
organismes dirigeants de la CGT. Une information de police note 17
qu’à la réunion du Comité Confédéral du 11 septembre, Merrheim
et Bourderon, retour de Zimmerwald, arrivent au milieu de la

16. Première Lettre aux abonnés..., pp. 21-29.


17. AN. F7. 13 061. Note du 13-IX-1915.
140 alfred rosmer

séance. Ils n’osent dire mot de la conférence à laquelle ils viennent


d’assister. Deux brochures paraissent en octobre. Rosmer écrit sa
Lettre aux abonnés de la VO. 1. La conférence de Zimmerwald,
Merrheim et Bourderon leur Conférence Socialiste Internationale de
Zimmerwald (Suisse) 5-8. IX . 1915. Pourquoi nous sommes allés
à Zimmei'ioald. Rosmer et Tourette 18 ont participé à la confection
et à l’expédition des deux brochures. Il est difficile de dire laquelle
sort la première. D ’ailleurs il y a sans doute seulement 2 ou 3
jours d’intervalle 19. Rosmer choisit le système de la lettre à l’imi­
tation de Clemenceau qui, envoie sous enveloppe aux ministres,
aux journalistes, aux abonnés, aux parlementaires, ceux de ses articles
qui ont été coupés par la censure. L e format adopté est extrê­
mement commode parce qu’il convient exactement à l’expédition
dans des enveloppes ordinaires et ne nécessite aucun pliage fasti­
dieux. Ce sera désormais le format des brochures clandestines. II
a d’ailleurs été adopté par hasard : l’imprimeur avait un stock
de papier de ce format 20. L e premier tirage, de 3 000, est épuisé
dès la fin novem bre21. L a brochure se termine par un appel à
l’aide morale et matérielle. L e tirage de la brochure Merrheim-
Bourderon est de 10 000 22 et cette brochure aussi sera presque
épuisée fin novembre 23. Les auteurs demandent de répandre les
idées de Zimmerwald dans les Bourses du Travail, Unions de syn­
dicats, Fédérations de Métier ou d’industrie, Fédérations Socialistes
Départementales.
Rosmer assiste aux deux comptes rendus oraux faits par Merrheim
et Bourderon, le 7 novembre 1915. L e matin à la Bourse du Travail
pour les membres de la CGT, l’après-midi Rue de Bretagne pour
les socialistes. Rosmer nous fait le compte rendu de la deuxième
réunion24. E lle a été organisée par des socialistes qui ont invité
les sections de la Seine à envoyer des délégués. Les minoritaires
ont préparé la séance aux jeudis de la VO, non sans inquiétude
car ils se demandaient si les socialistes n’allaient pas boycotter
ou saboter la réunion. Ils espèrent faire adopter une motion en
fin de séance, motion qui servira de base à la minorité socialiste
au prochain congrès du Parti. Paradis est taxé d’optimisme quand
il parle de 60 personnes. En fait ce sont 200 personnes qui écoutent
les exposés de Merrheim et Bourderon, Bons exposés, pense Mar­
tinet. La discussion s’engage avec les majoritaires présents : G. Lévy,

18. Guy Tourette, typographe puis postier, a collaboré à la VO.


d’avant-guerre. Il suivra Rosmer à ÙHumanité. Il meurt en 1924.
19. AR. à Monatte, 3 et 6-X-1915.
20. MO-, I. 395.
21. AR. à Monatte, 23-XI-1915.
22. Ibid., 22-X-1915.
23. Ibid., 23-XI-1915.
24. Ibid., 29-X-1915 ainsi que Martinet à Monatte, 8-XI-1915 et MO.,
I. 396 et suiv. '
zimmerwald et se s conséquences 141

Dumas qui interpelle Rosmer, Renaudel insiste comme d'habitude


sur la menace de scission. Longuet essaie de ménager la chèvre
et le chou. Malheureusement, aucune résolution finale n'est votée.
Pour mesurer les résultats de cet effort, Rosmer, comme en
d ’autres circonstances épluche le courrier que lui vaut Zimmer­
w a ld 2S. Les lettres sont géographiquement dispersées et viennent
de tous les pôles du mouvement ouvrier. Beaucoup d’instituteurs
car ceux-ci étaient nombreux parmi les anciens abonnés de la V O .
B eau co up de métallurgistes aussi. Du côté des mécaniciens et des
tourneurs en optique de Paris, de l’Union Départementale de la
Gironde et de l’Union Locale de Valence, on peut avoir des espoirs.
Les lettres qui viennent de milieux nouveaux sont accueillies avec
une joie plus grande encore car elles prouvent l’expansion des idées
minoritaires. L a jeunesse socialiste révolutionnaire de Saône-et-Loire,
la section syndicale de la Sarthe, les cuirs et peaux d'Alger, des
mobilisés enfin écrivent. Chez les anarchistes, M ig n o n 26 envoie
un mot. Des socialistes écrivent aussi : le secrétaire fédéral de
Haute-Marne, le rédacteur du M id i Socialiste, la Fédération de
l'Isère qui compte Raffin-Dugens27 parmi ses membres, la Fédé­
ration des Côtes-du-Nord. Rosmer considère aussi comme une consé­
quence directe de Zimmerwald la création d'un groupe de femmes
pacifistes, et la création par des intellectuels d’une Société d’études
documentaires sur les origines de la guerre à laquelle il appar­
tient 2S.
Ce qui est le plus important, lui semble-t-il, c’est que les majo­
ritaires se trouvent maintenant sur la défensive. Au PS ils ont
empêché tout vote le 7 novembre et, dès le 9, ils publient dans
L'Humanité l’ordre du jour anti-zimmerwaldien voté le 6 par leur
Commission Administrative Permanente 29. A la CGT, ils manœu­
vrent sur deux plans : sabordage de la Bataille Syndicaliste, affir­

25. ÀR. à Monatte, 4e trimestre 1915 et MO., I. 403-411.


26. Alfred Mignon, médecin et collaborateur des Temps Nouveaux et
de la BS., adhérera au PCF en 1921, et en sera exclu en 1923.
27. Raffin-Dugens, membre du PS depuis 1910 et député, est minori­
taire, il écrit dans Le Populaire du Centre, puis dans Le Populaire. Il ira
à Kienthal et ralliera le PCF en 1921.
28. MO., I. 419 et AN. F7. 13 372.
29. MO., II. 23-24 et Humanité, 9-XI-1915 : « En présence des efforts
faits par deux citoyens pour porter dans la Fédération de la Seine une
propagande basée sur les résolutions d’une réunion tenue eu Suisse, à
Zimmerwald, où ils s'étaient rendus sans aucun mandat du Parti, pour y
conférencier sur la question de la paix avec d’autres socialistes de pays
neutres ou belligérants, pour la plupart eux-mêmes sans mandat, la CAP
rappelle qu’elle s’est refusée à participer à cette réunion... La CAP
invite donc toutes les Fédérations et toutes les sections à éviter même
l'apparence d'une participation quelconque à une propagande contraire
aux intérêts de la défense nationale et à l’organisation nationale et inter­
nationale du socialisme qu’on prétend consolider. »
142 alfred rosmer

mation d’une « majorité confédérale ». L ’affaire de la Bataille Syndi­


caliste couve depuis l'affirmation de la minorité à la conférence
d’aoû t30. Les tirages du journal diminuent ce qui paraît prouver
que ses excès patxiotiques lassent les lecteurs. Desprès a un sur­
saut. Quand Monatte a rompu avec lui, Rosmer avait prêché l’indul­
gence :
« En lisant ses lettres, je me le suis imaginé là-haut, dans cette
maison que je connais bien, sans autre compagnie que ces deux
sinistres fantoches, M a rie31 et Grandidier. J’ai pensé aussi aux
attaques qu’il doit subir de la part de son dragon nationaliste tou­
lousain 32 [...] et je l’ai vu très malheureux, très seul ; avec un autre
entourage, il aurait tenu 33. »
Maintenant Desprès se reprend, donnant ainsi raison à Rosmer.
Il démissionne avec Marcelle Capy et diffuse une circulaire prou-
vant qu’il y a une censure à la BS. Les majoritaires l’accusent
alors d’être l’instrument de Rosmer et de Monatte. Une réunion
des actionnaires tourne à leur déconfiture : le Conseil d’adminis­
tration avec Marie, Albert, ex-collaborateur des Temps Nouveaux
et ex-syndicaliste rallié à l’Union Sacrée, Cornelissen, est blâmé
par les 3/4 des actionnaires pour avoir éliminé Desprès et Mar­
celle Capy. Cornelissen déclare qu’il vaut mieux une liquidation
amiable qu’une faillite, avouant ainsi que la situation financière
est catastrophique 31. Rosmer s’imagine donc que la minorité vient
de marquer un point. Mais la BS continue à paraître malgré le vote
des actionnaires et le 3 novembre 1915, elle adopte un nouveau
nom : L a Bataille. En fait les majoritaires ont su retourner à leur
profit une situation délicate : en sabordant la BS ils éliminent le
contrôle des actionnaires et des organisations qui risquait de devenir
gênant35_ Us ont les mains libres à La Bataille. Rosmer conclut :
« Il y a un art de faire faillite ; la majorité confédérale le connais­
sait et elle en fit ici une brillante application. Ceux qu’elle dépouille
ne comprirent que trop tard, sauf de rares exceptions, qu’ils avaient
été joués 3B. »
Jouhaux éprouve par ailleurs le besoin de serrer les rangs. L e
17 décembre, il réunit discrètement ses fidèlesS7. Bled annonce
que des équipes se constituent dans la Seine pour contrôler les

30. MO-, I. 422.


31. Ex-ouvrier typographe, l'un des fondateurs et l’administrateur de la
BS.
32. Marcelle Capy.
33. AR. à Monatte, 17-IV-I915.
34. I b i d 22-IX-1915 et MO., I. 423.
35. Première Lettre aux abonnés...
36. MO., I. 422.
37. Rapport du 18 dans AN. F7. 13 574.
zimmerwald et ses conséquences 143

réunions où se manifestent les pacifistes, Jouhaux fait approuver


l’idée d ’un groupement de « loyalistes » qui se réunira sur convo­
c a tio n s individuelles. Rosmer n'a pas eu vent de cette réunion
privée car il n’en souffle mot, pas plus qu’il ne souffle mot des
diverses séances suivantes qui préparent les réunions du Comité
C o n fé d é ra l et que signalent les indicateurs de p o lic e 3S. Mais la
m a jo r it é se manifeste publiquement dès le début de 1 9 1 6 en publiant
une brochure : La majorité confédérale et la guerre. Joie des mino­
ritaires : s’affirmer « majorité », c’est avouer l'existence d’une forte
minorité.
Au-delà et plus peut-être que ces péripéties, ce que Zimmer­
wald apporte à la minorité, c’est un immense réconfort moral.
Toute l’argumentation de Rosmer dans sa première Lettre... repose
là-dessus : la minorité française est heureuse parce qu’elle a rompu
l’isolement en France, elle est heureuse parce qu’elle a noué des
relations internationales, parce qu’elle sait qu’il y a, au-delà des
frontières, des gens qui pensent comme elle.
Zimmerwald a changé la dimension des problèmes et ainsi leur
nature. L ’action et les projets d’action individuelle gardent toute
leur valeur aux yeux de la minorité. Des tracts paraissent, notamment
le discours pacifiste de Jaurès à Lyon-Vaise (25 juillet 1914) qui
est sans cesse réimprimé tant son succès est grand. Rosmer a
toutes sortes de projets de brochures 39. Une brochure de Racovski
sort sous le titre ; Les socialistes et la guerre (discussion
entre socialistes français et socialistes roumains). C ’est Trotsky qui
lui a fourni les textes et conseillé de les publier 40, ils sont tirés à
2 000 exemplaires 41. Sous le titre 2 ° lettre aux abonnés de la VO,
La Belgique et le chiffon de papier, Rosmer publie le 8 mars 1916
un texte de l’IL P qu’il a traduit. Il le trouve très important car
il combat l’argument souvent employé par les majoritaires de la
violation de la neutralité belge. La police l’accuse d’y expliquer
« A vec bienveillance la nécessité où s’est trouvée l’Allemagne
de violer la neutralité belge 42 ».
Trotsky d’ailleurs rechigne : il aurait préféré une brochure sur
l’action de la minorité française et il obtient que la prochaine
brochure soit consacrée au mouvement international 43. Rosmer vou­
drait aussi publier le compte rendu de la conférence de la C G T
du 15 août, des textes sur l’Angleterre et la guerre, d’autres sur
lltalie que rassemblerait Jacques Mesnil, ancien journaliste aux

38. F7. 13 061, note des 24, 27-VII-1916, etc.


39. AR. à Monatte, 6-X-1915.
40. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
41. AR. à Monatte, 22-X-1915.
42. AN. F7. 13 372.
43. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
144 alfred rosmer

Temps Nouveaux et à L ’Humanité, un recueil d’articles d’anar­


chistes, une lettre de Monatte.
Mais il sent bien — comme Monatte qui insiste pour qu’on
lance un journal — que Zimmerwald ouvre la voie à l’action collec­
tive et le dira fortement :
« L a conférence de Zimmerwald ouvre une nouvelle époque dans
l’histoire du mouvement ouvrier pendant la guerre. Elle est l’acte
attendu qui donne le signal d’un réveil général. Zimmerwald devient
un de ces mots chargés de sens qu’il suffit de prononcer pour pro­
voquer les différenciations fondamentales [...]. L a première étape,
celle du travail ingrat et difficile est achevée 44. »
Il ne nous cache pas les regrets du petit groupe de la V O qui
aurait bien aimé couunuci le travail au moment où il devient
moins ingrat. Mais le mouvement ne dépend plus de quelques
hommes, la preuve en est que le rappel de Rosmer à l’armée
n’a pas de conséquences catastrophiques.
On est bien passé dans une période nouvelle, celle de l’action
collective, dans le cadre d’une organisation. C’est parce que Zimmer­
wald a aussi changé la nature des problèmes que cette organi­
sation sera d’un type nouveau. Il arrive que les minoritaires soient,
comme Bourderon, à la fois socialistes et syndicalistes. D ’ailleurs
la délégation de Zimmerwald n’est-elle pas une délégation mixte ?
L ’inadaptation et l’inefficacité des tactiques employées jusque-là
sont évidentes. A la réunion des syndicalistes du 7 novembre, Rosmer
ne connaît presque personne et Merrheim lui-même ne reconnaît
que 30 ou 40 visages. L ’appel qui aurait permis de savoir exac­
tement quels syndicats étaient là n’a pas été fait. Et Rosmer a
tout juste pu repérer le bâtiment, les terrassiers, la céramique,
les chauffeurs. Certes, c’est un premier pas, et qui compte, puis­
qu’on s’ est retrouvé ; mais rien de précis n’est sorti de la réunion,
on s’est contenté de bavarder et de grogner4S. L e .21 novembre,
nouvelle réunion qui rassemble les participants à la réunion du 7
et quelques sympathisants. Une fois de plus, Merrheim ne propose
rien de précis, Bourderon patauge, les anarchistes sont « insup­
portables » , on piétine 4,6.
En ce qui concerne les socialistes, il hésite à s’occuper d’une
organisation dont il ne fait pas partie *T et que d’ailleurs il connaît
mal : rendant compte de la réunion socialiste du 7 novembre,
il avoue qu’il avait l’impression de se trouver dans un monde
inconnu4\ I l sait fort bien que la grande crainte paralysante des

44. MO., I. 418-419.


45. AR. à Monatte, 19-XI-1915.
46. I b i d 23-XI-1915.
47. MO., I. 461-462.
48. AR. à Monatte, 19-XII-1915.
zimmei'toaïd et ses conséquences 145

c’est la crainte de la scission‘w. Cette crainte à vrai


s o c ia lis te s ,
dire ne saurait le troubler : d’abord parce qu’il n’est pas socialiste,
e n s u ite il pense que pour -un Parti, la scission est une simple ques­
tion d’opportunité tandis que pour la C G T, l’unité est une question
d© principe so, enfin il ne verrait pas d’un mauvais œil un écla­
tement qui débarrasserait le PS de son aile droite S1. II pense utile
d’appuyer l’action des minoritaires socialistes et de les attirer dans
le groupe de la V O . Sa première Lettre... proteste contre l’arres­
tation de Louise Saumoneau qui a lancé un appel des femmes
socialistes pour la paix. Il demande aux socialistes qui le lisent
de faire voter dans leurs sections des motions de protestation et
de les envoyer aux ministres socialistes. Pour Saumoneau, il a
beaucoup d’admiration en ce qui concerne le courage mais il n’appré­
cie guère ses méthodes de travail : au lieu de diffuser ses tracts au
hasard, dans le métro, sous les portes, n'importe où, elie ferait
mieux de commencer par travailler systématiquement les socia­
listes 53. Plus tard, il pousse Delhay, socialiste qui est au CRRI,
à grouper les minoritaires socialistes de la Seine. En v a in 53. Il
veut aider Bourderon à prendre le contrôle de la section du
XII6 contre Dubreuilh ce qui est évidemment un gros morceau
puisque Dubreuilh n’est rien moins que secrétaire du P a rti5<t. En
fait, il ne sait trop qui attirer et surtout qui garder au groupe de
la VO. I l ne faut pas compter sur les parlementaires qui votent
la confiance. D ’ailleurs tant qu’il y a des ministres socialistes, ce
qui serait étonnant, c’est qu’ils ne la votent pas. Il est vrai que
le groupe parle dès octobre de la démission des ministres 5S. Delhay
et Parmentier se sont montrés décevants, Hélène Brion lui inspire
de la m éfiancesa. Secrétaire-adjointe de la Fédération des Insti­
tuteurs, elle a, à la réunion fédérale de Tours en 1915, défendu
des positions majoritaires. C ’est par discipline qu’elle suit d’abord
la majorité pacifiste de sa Fédération. Elle ne tarde pas à se rallier
sincèrement au pacifisme. Elle devient membre du C R R Ï et de
la Société d’Etudes Documentaires et Critiques sur la G u erre67.
Ce sont encore Bourderon avec ses gens du X I I e, L o r io tss qui lui
inspirent le plus de confiance.

49. MO., I. 456.


50. MO., I. 461-462.
51. AR. à Monatte, 8-IV-1916.
52. AR. à Monatte, 23-XI-1915.
53. Ibid., 6-X-1915.
54. Ibid., 22-X-1915.
55. Ibid.
56. Ibid., 29-X-1915.
57. En fin 1917, alors qu’elle est institutrice à Pantin, elle est révoquée.
En mars 1918, un conseil de guerre la condamne à 3 ans de prison avec
sursis.
58. Ibid., Loriot (1870-1933), militant aux instituteurs, socialiste depuis
1894, appartient à la gauche zimmerwaldienne et est secrétaire du CRRI.

10
146 alfrecl rosmer

Bref, du côté des socialistes comme du côté des syndicalistes,


il a l'impression de piétiner. L e cadre de travail est inadapté. Dans
ce contexte de la fin de 1915 naît l’idée du regroupement des
minoritaires. L ’idée est dans l’air. Merrheim qui l’a ramenée de
Zimmerwald dit en septembre qu’il faut constituer, à l’image de
l’étranger un comité où seraient représentées toutes les tendances
de la minorité *®. Mignon a écrit qu’il ne faut pas borner la propa­
gande au milieu syndicaliste B0. Grimm, au nom de la Commission
Socialiste Internationale — l’organisme zimmerwaldien — demande
dans sa première circulaire d'agir avec le maximum d’u nitéC1.
Péricat enfin quand il voit la V O regrouper les socialistes minori­
taires demande pourquoi on n’en fait pas autant avec les syndi­
calistes. Rosmer écrit à Monatte : « Tu penses si j’ai accepté “2. »
En octobre, il est donc converti à l’idée d’organiser des grou­
pements spéciaux tant pour les minoritaires socialistes que pour
les minoritaires syndicalistes. En ce qui concerne les syndicalistes,
il faudrait d’abord que Merrheim quitte le Comité d’Action PS-CGT
et Rosmer le persuade de le faire à la première occasion favo­
rable 53. Cela suppose aussi que cessent les hésitations et les raison­
nements désabusés du type : rien ne sert d’agir, personne ne
suivra. Vers la mi-octobre, la situation lui paraît bonne : « Ça va
m archerB4. » Mais le mûrissement est lent : à la mi-novembie,
on en est encore à se demander chez les minoritaires ce qu’il f.aut
faire tandis que Rosmer a déjà son projet :
« Je crois que ce qu’il faut faire, c’est constituer un groupement,
lui coller un nom, Ligue de Défense Syndicaliste par exemple et
se mettre à l’œuvre sérieusement65. »
Puisque l’assemblée des syndicalistes du 21 a nommé une com­
mission, c'est de là qu’il faut partir. Les premières troupes seront
fournies par des éléments du Livre, par les Métaux, par le Bâti­
ment où des protestations s’élèvent contre la direction fédérale
et où Chanvin perd la majorité dans son propre syndicat. Péricat
est tout désigné pour prendre la tête du nouveau groupement ®a,

En 1919, il est du Comité pour la 3e, en 1920, il est arrêté dans l'affaire
du « complot », Secrétaire du PCF en 1921-22, spécialement chargé des
questions internationales, il est de plus en plus mal à l’aise dans un Parti
en cours de bolchevisation. Accusé d’opposition droitière, fondateur du
groupe Contre le Courant, il quitte le Parti en 1926 et rejoint la Ligue
Syndicaliste.
59. Ibid., 15-IX-1915.
60. MO., I. 407.
61. MO., II. 78.
62. AR. à Monatte, 22-X-1915.
63. Ibid., 6-X-1915.
64. Ibid., 17-X-1915.
65. Ibid., 19-XI-1915.
66. Ibid., 20 et 22-X-1915.
zimmerwald et ses conséquences 147

je Comité d’Action Internationale qui désigne son bureau le 9 décem­


bre : secrétaire, Péricat, trésorier, Hasfeld. Les autres membres
sont des syndicalistes, des anarchistes, des femmes socialistes. Le
syndicalisme a fourni Antourville (Alimentation, Confiseurs) ; Péricat,
L e p e t it et Hubert (Bâtiment) ; des représentants des Brossiers-
tablettiers et de la Céramique ; Brisson des cuirs et peaux ; Hasfeld
des Employés et Commis-voyageurs ; Loriot et H. Brion des Insti­
tuteurs ; Vergeat ®7, Merrheim, Labe, Lenoir, Blanchard des Métaux,
Dumoulin des Mineurs ; Bourderon du Tonneau ; des syndiqués
des Transports, du Papier, des Produits Chimiques, du Spectacle.
L. Saumoneau et M . Capy représentent les Femmes Socialistes n6.
Rosmer, signalé dans les rapports de police com m e l’un des membres
de la Commission du 21 ne signe pas le manifeste du CAI, mais
les rapports de police l'ajoutent à la liste des membres du bureau 7y.
Le C A I troque rapidement son nom pour celui de Comité pour
la Reprise des Relations Internationales et Merrheim en devient
secrétaire. Groupement d'exception ? Oui puisqu’il rassemble syndi­
calistes, socialistes, anarchistes. Non car ce sont les syndicalistes
qui en sont l'ossature, les socialistes et les anarchistes y sont très
minoritaires.
Dès janvier 1916 d’ailleurs, deux sections se créent, séparanV
de nouveau les hommes : les socialistes et les syndicalistes agissent
chacun dans leur milieu et tirent leurs propres tracts. Les syndi­
calistes créent un groupement spécial, le Comité de Défense Syndi­
caliste, L ’ « heure d’exception » de Romain Rolland a été bien
courte. Les habitudes d’avant-guerre sont les plus fortes. Entre les
sociaux-démocrates, même pacifistes, et les syndicalistes, la coexis­
tence est pratiquement impossible.
Il est assez difficile de suivi'e, à partir de cette date l’action
propre de Rosmer. Pour deux raisons : la première — qu’il nous
indique lui-même — est que l’action pacifiste, d’individuelle, est
devenue largement collective. Son rôle y apparaît comme beaucoup
moins central. La seconde tient à la relative rareté des sources
le concernant directement : ses lettres à Monatte ont été détruites
puis la démobilisation ramène Monatte à Paris et il n’y a plus lieu
de s’écrire. L e tome I I du Mouvement ouvrier pendant la première
guerre mondiale s’arrête à la fin de 1916. L e tome I I I qui devait
couvrir les années 17 et 18 n’a jamais vu le jour et nous n’en
avons rien retrouvé, pas même un brouillon. L e tome I I qui plus
est, nous donne encore moins de détails biographiques que le

67. Marcel Vergeat (1891-1920) est tourneur sur cuivre. Anarchiste


puis membre des Jeunesses Syndicalistes, il est minoritaire depuis1915
(AN. F7. 13 053). En 1920, il collabore à la VO. Délégué àMoscou, il
disparaît en Mer Blanche avec Lefebvre et Lepetit.
68. F7. 13 574. Rapport de police du 30-XII-1915.
69. Ibid. Police du 22-XI-1915.
70. AN. F7. 13 372.
148 alfred rosmer

tome I. Ce n'est qu’après 1919 que la reprise de la publication de


la V O , nouvelle série, nous donnera un nouvel afflux documen­
taire.
Nous examinerons cependant rapidement l'action du C RRI en
France dans les différents milieux auxquels il s’adresse (socialistes,
syndicalistes, anarchistes) puis ses liaisons internationales. Le Comité
dispose d’un matériel de propagande assez abondant avec les Lettres
aux abonnés..., ses propres brochures et ses propres tracts qui
reprennent souvent les discours ou les articles censurés de Brizon,
par exemple le tract intitulé L e mauvais président qui critique Poiu-
caré 71. Comité clandestin, le C R R I tente de prendre des précautions
contre, l'infiltration policière. Dans son Lénine et le mouvement
zimmerwaldien enJFrance, Rocher affirme :
« L ’accès assez facile permit à plusieurs mou ch.?',rds de s'intîc
duire dans le Comité de la Reprise pour informer systématiquement
la Sûreté Générale 7Z. »
Rosm er75 rejette cette affirmation ; il admet que l'accès au Comité
était facile, mais il nie la possibilité pour des mouchards d’accéder
à la direction, toujours composée d’éléments sûrs : le travail clan­
destin a toujours été accompli sans encombre et sans nuire à
personne. Rel optimisme sur l'étanchéité anti-policière du CRRI
que viennent démentir les dossiers de la Préfecture de Police,
utilisés par A. K riegel : les séances du C R R I sont suivies par les
informateurs. Les membres du C R R I se trouvent rapidement devant
une difficulté d’un autre ordre, la querelle qui éclate entre Merrheim
et Trotsky. Rosmer l’interprète de la façon suivante : Trotsky
veut réunir toutes les informations qui affluent et lancer un journal,
Merrheim veut garder pour la Fédération des Métaux la direction
de l'action minoritaire 7*. En fait, Trotsky pousse à l’action, Merrheim
la freine. L'expulsion de Trotsky en novembre 1916 met fin à l’affron­
tement et renvoie de plusieurs années la question du journal.
L'action au sein du PS F est commandée par les évolutions qui
s’y sont produites. Les tendances se sont nettement démarquées.
L a droite a maintenant un hebdomadaire, L ’Action Socialiste, où
Cachin écrit beaucoup. Ceux que Rosmer nomme le centre, c'est-
à-dire les longuettistes et la fédération de la Haute-Vienne ont
eux aussi leur hebdomadaire, L e Populaire qui polémique avec la
droite du Parti. Rosmer n’y voit qu’une manoeuvre : ils se démar­
quent de la droite pour ne pas laisser aux zimmerwaldiens le
monopole de l’opposition7S. Il continue à critiquer la minorité
socialiste, mais espère toujours qu'elle parviendra à s’affirmer en

71. MO-, I I 159.


72. P. 45.
73. MO., I 465, note I.
74. MO., I I 82.
75. MO. I 48.
zimmerwald et ses conséquences 149

dehors d u Ionguettisrae. En attendant, e lle continue à voter les


crédits et à maintenir des ministres socialistes. Pressemane en est
le m em b re le plus courageux 76, Longuet n'a pas changé et, tôt
ou tard, il rejoindra Renaudel 77. Reprenant à son compte le mot
de T rotsk y sur 1’ « opposition de famille 18 », Rosmer ne cesse de
dénoncer violemment les hésitations, les reculades, les lâchetés
longuettistes. Elles lui paraissent d'autant plus méprisables qu'il
compare le Parti Socialiste Français et le Parti Socialiste Allemand,
où la minorité zimmerwaldienne s’est nettement désolidarisée du
centre, où la scission parlementaire et le refus de voter les crédits
de guerre sont intervenus plus rapidement. L'inconvénient majeur
du longuettisme, c’est que des minoritaires risquent de s’y rallier
sous prétexte qu'il n'y a pas d’autre voie
Tl faut donc développer l’action minoritaire zimmerwaldienne en
s’appuyant sur Bourderon, se démarquer de Longuet par la bro­
chure et par la lutte interne dans le parti. Effectivement, le C R R Ï
publie une brochure, écrite en commun par Loriot et T rotsk yso,
Les socialistes de Zimmerwald et la guerre tandis qu’on prépare
activement le congrès national des 25-29 décembre 1915. Pendant
que se déroulent les congrès fédéraux préparatoires, Rosmer écrit
un peu partout81 et fournit de Lettres aux abonnés les minori­
taires qui participent au congrès fédéral de la S ein e82. Certains
signes sont encourageants : la section du V e élimine la motion
Longuets3, la Haute-Marne vote un bon texte ®4, Longuet commet
des maladresses 85. Bourderon enfin, que ses adversaires accusent
partout d’être un simple instrument aux mains de Rosmer et Monatte,
manœuvre bien : le 12 décembre, au congrès de la Seine, la
minorité zimmerwaldienne affirme son incompatibilité avec Longuet ;
en commission, les majoritaires ont 10 voix, Longuet 9, Bourderon
vote seu l88 ; au congrès du Parti, les zimmerwaldiens s'affirment
aussi, regroupant 72 voix contre 2 763 87. L ’intransigeance de Ros­
mer à l’égard de la minorité Longuet ne s’atténue pas. Tandis que
Frossard 88 adjure les kienthaliens de ne pas se séparer des autres
minoritaires sous prétexte de clarifier les positions et demande à
la minorité de taire ce qui la divise pour travailler « au coude à

76. Ibid., I I 188.


77. AR. à Monatte, 15-XII-1915.
78. MO., II 145. AR. cite la lettre de Trotsky où se trouve l'expression.
79. Ibid. Voir aussi la lettre du 14.
80. MO., I 464.
81. AR. à Monatte, 19-XII-19I5.
82. Ibid., déc. 1915.
83. Ibid., 19-XII-1915.
84. Ibid., 23-XII-1915.
85. Ibid.
86. Ibid., 15-XII-1915.
87. Ibid., déc. 1915.
88. Le Populaire du Centre, 20-XI-1916, « Pour l'unité de la minorité ».
150 alfred rosmer

coude », Rosmer accuse au contraire les kienthaliens de faire trop


de concessions aux longuettistes pour faire bloc contre les majo­
ritaires.
Et pourtant il commente sévèrement un vote de la fédération
de la Seine, dans sa réunion préparatoire au congrès socialiste
de 1916. L a majorité a eu 5 238 voix, Longuet 4 014, Bourderon
1 333. Rosmer indique :
« La division entre minoritaires et zimmerwaldiens avait permis
aux majoritaires de prendre la première place au scrutin [...] 89. »
Par ailleurs il sait que l’existence d’une minorité, même longueUiste,
attire des adhérents et réduit les majoritaires à la défensive, que
la tension augmente dans le groupe parlementaire. Au moment
des votes, des ruptures se produisent, dès juillet 1916, les trois
kienthaliens votent contre les crédits de guerre et ils agissent
positivement 90. Un nouveau centre se constitue autour de Bedouce
et de Sellier et se détache de la droite, les ministres Sembat et
Guesde doivent se retirer.
On peut se demander ici si Rosmer, retenu par sa mobilisation
à Coëtquidan pendant de longs mois, mal à l’aise pour l’action
dans le PS, a vraiment une influence sur ce que fait la section
socialiste du CRRI. Peu à peu certains zimmerwaldiens ou kien­
thaliens se laissent entraîner à faire bloc avec la minorité longuet-
tiste. Raffin-Dugens est ferme : avant le congrès de 1916, il affirme
que la motion présentée par Bourderon au conseil national sera
reprise, même si la minorité en paraît affaiblie 01. Mais il vote fina­
lement avec les longuettistes. Bourderon, que Loriot accuse de
s’être rapproché des minoritaires longuettistes parce que ceux-ci
lui ont promis un siège à la C AP *2, glisse en plusieurs étapes :
au conseil national du PS du 9 avril 1916, il se rallie avec ses amis
à la motion des minoritaires longuettistes parce qu’elle lui paraît
assez explicite en ce qui concerne les relations internationales83 ;
au conseil national des 6-7 juillet, il ne parvient pas à se démarquer
de Longuet, se laisse prendre aux manœuvres de Renaudel et finit
par se réfugier dans l’abstentionM ; au congrès de décembre enfin,
il vote avec les longuettistes. Ces évolutions, Loriot n’a pu les
empêcher lui non plus. Il n'a pu que les constater amèrement dès
la fin novembre :
« La minorité longuettiste s’enlise de plus en plus dans l'équi­
voque et certains zimmerwaldiens paraissent décidés à commettre
la funeste erreur de faire au prochain congrès bloc avec elle. Je
lutte de toute mon énergie contre cette défaillance [...] 05. »

89. MO., I I 208 et suiv.


90. Ibid., 203 et suiv.
91. Cité dans MO., II 209.
92. Cité dans M O I I 212.
93. Ibid., 189.
94. Ibid., 189.
95. Lettre à Bouët. Cité dans MO., II 210.
zimmerwald et ses conséquences 151

Tandis que l’action dans le PS n’en finit décidément pas d’être


décevante, Rosmer se tourne de plus en plus vers l’action en
milieu syndicaliste. On peut y compter sur deux fédérations :
les métaux qui renouvellent en mai 1916 leur coup d’éclat de
mai 1915 et les instituteurs. Chez les instituteurs, au début, Loriot
et Hélène Brion ont été hésitants tandis que le journal fédéral
a une rédaction nettement minoritaire avec Audoye et Marie Guillot.
Sans cesse interdit, le journal reparaît sans cesse sous un nom à
peine modifié. Rosmer a visité 1’ « antre » où se rédige et se com­
pose cette E cole Emancipée qui deviendra U E co le puis L'E cole
de la Fédération. L a mobilisation d’Audoye n’interrompt pas la
publication, sa femme le remplace. Avant Zimmerwald, les mino­
ritaires parviennent à prendre le contrôle de la fédération et H. Brion
et Loriot se rallient. La fédération est nettement: sur les positions
zimmerwaldiennes 90.
Mais c’est le Comité de Défense Syndicaliste qui est l’orga­
nisme essentiel par lequel la minorité agit en milieu syndical.
Rosmer nous indique les trois raisons principales de sa création57.
La CGT est entièrement soumise à la politique gouvernementale
et présente humblement ses revendications, à la grande irritation
de la minorité qui veut durcir son action. Les syndicalistes ne se
sentent « pas tout à fait à l’aise » au C R R I où ils côtoient les
anarchistes et les socialistes. Non que les rapports soient mauvais
mais les préoccupations sont différentes et les syndicalistes ont
l’habitude de travailler entre eux. L ’inimitié règne entre Merrheim
qui domine le C R R I et Péricat qui sera l’homme du CDS. L e texte
de l’appel du CDS et sa déclaration admettent les affiliations d’orga­
nisations syndicales et de syndiqués isolés, ils rappellent la direc­
tion de la C G T « au respect des principes syndicalistes et des
décisions des congrès confédéraux » , annoncent une action par tracts,
brochures, tournées de conférences, repoussent toute scission à
quelque niveau que ce soit. S’il y a appel public, c’est parce que
les majoritaires de la C G T ont bloqué toute autre voie. Ces textes
sont signés par 10 syndicats et 20 isolés dont Péricat et Sour-
deron. Rosmer ne figure pas parmi les signataires. Mais il approuve
sans nul doute l’initiative qui va dans le sens de toute son action
depuis le début de la guerre. I l ne peut qu’approuver cette défense
des principes syndicalistes-révolutionnaires menacés par la nouvelle
orientation de la CGT. On retrouve là ses préoccupations d’avant-
guerre. Il y revient d’ailleurs par deux fois et citelonguement
une lettre de Loriot à B ou ët9S.Loriot montre bien que la C G T
96. MO., II 174 et suiv.
97. MO., II 195 et suiv.
98. Bouet est l'un des dirigeants de la Fédération des Instituteurs.
Zimmerwaldien de gauche, il sera partisan de raffiliation à l’IC, mais
défendra l’autonomie du syndicalisme. Il est l’un des dirigeants de l’UD
de Maine-et-Loire et écrit notamment un Syndicalisme dans l’enseigne­
ment. Il meurt en juillet 1969,
152 alfred rosmer

M
de 1916 est en train de s’aligner sur le modèle allemand d’avant
1914, modèle que soutenaient les réformistes :
« Il ressort nettement des déclarations faites par Jouhaux atf;
Comité Confédéral que la majorité confédérale s’est mise d’acoord\
avec la majorité socialiste et les représentants des coopératives'^
pour faire l’union de ces trois branches de l’activité ouvrière. Des:§-f-:
organismes directeurs seront créés (la charte constitutive est prête);(f4
C'est tout le syndicalisme engagé dans des voies nouvelles et o n ^
attend de la prochaine conférence [...] l’approbation de cette poU-ï&;
tique. Jouhaux ne met le Comité Confédéral au courant que lorsque:^
le fait est accompli
Dans cette perspective, le CDS est de façon indissoluble et unë ;f|. l
affirmation de la minorité pacifiste et une réaffirmation des ten- I
dances syndicalistes-révolutionnaires d'avant-guerre contre les velléi- î
tés de domestication au réformisme du Parti Socialiste. D ’aiüeurs f
la brochure du CDS, Aux organisations syndicales. A leurs müi- i *
tants qui porte sur la conférence de la C G T en décembre 1916 :: f
n’accuse-t-elle pas la majorité de « déchirer la charte syndicaliste :V> f
votée en 1906 par le congrès d’Amiens » ? : \
Par ailleurs, Rosmer suit toujours d’assez près l’évolution dans ;
les milieux anarchistes100. Les «anarchistes de gouvernement», *
autour de Grave 101 écrivent dans La Bataille. Heureusement, il n’y ■ i
a pas d’organisation anarchiste à défendre, il n'y a pas non plus
de Centre gênant comme au Parti Socialiste. Les journaux, Temps
Nouveaux ou Libertaire, ont été supprimés mais il reste un « Groupe i
des Temps Nouveaux » dont G irard102 et Benoit sont les secré-..vV
taires. Avant 1914, ce Groupe s’efforçait d’aider le journal, ensuite
il s’efforce d’aider les mobilisés et prend bientôt position sur la ;
guerre même. Il adhère au C R R I et agit par des Lettres aux amis
des Temps Nouveaux que signent les membres du Groupe ainsi
que S. Faure, Péricat, Tourette, Signac, etc. Ces anarchistes paci- r
listes entament des discussions avec Rosmer en octobre 1915. On .
parle de fonder un journal. Mais on n’aboutit pas car on se connaît .
peu 103. La réplique de Grave et de ses amis que publie La Bataille
du 14 mars 1916 prouve que ce sont eux maintenant qui se trouvent
sur la défensive : d’une part ils avouent que les événements les ;'
ont obligés à publier rapidement un texte, d ’autre part ils estiment

99. Cité dans MO., I I 197 et 217.


100. MO., I I 109.
101. Jean Grave (1854-1939) a été cordonnier puis typographe. En
1880, il a fait partie du conseil d’administration de L ’Egalité de Guesde
puis passe à l’anarchisme et dirige les Temps Nouveaux. La guerre en fait ; i- |
un défensiste, co-signataire du Manifeste des 16. ; 4
102. Girard a fait partie du syndicat des chauffeurs d’auto ce qui a
attiré sur lui l’attention de la police au temps de Bonnot. V
103. AR. à Monatte, 6-X-1915. . i.
■ r-
zimmerwald et ses conséquences 153

devoir réaffirmer leur internationalisme et disent : « [ . . . ] Malgré la


guerre, malgré les meurtres, nous n’oublions pas que nous sommes
internationalistes. »
On peut dire qu’en France, à partir de Zimmerwald, l ’espoir
a changé de camp. Certes les résultats sont inégaux selon les
milieux, mais partout l’initiative est passée du côté des minoritaires
et des pacifistes. Qu’on ne se fasse cependant pas d'illusions, les
majoritaires savent se défendre. Mais pour des internationalistes,
c’est la situation d’ensemble qui importe. Or celle-ci commence à
leur être moins défavorable.
On sait qu’à Zimmerwald on a créé une Commission Socialiste
In te rn a tio n a le dont le siège est à Berne. Les c o n d it io n s mêmes de
là lutte c la n d e s t in e obligent à u t ilis e r des a g e n t s de liaisons q u i
a c h e m in e n t vers la Suisse ou en ramènent textes et r e n s e ig n e m e n t s
divers.
L ’une d’entre eux, Marguerite Thévenet vivra avec Rosmer 1<"\
Née dans une famille de bourgeoisie aisée (le père est visitem-
bénévole de l'Assistance Publique), elle n’a pas connu sa mère
qui a quitté le domicile conjugal alors qu’elle était très jeune.
Sa tante l’élève dans une atmosphère lourde de faute et de réserve.
Une obésité précoce vient obscurcir plus encore sa jeunesse. Après
de bonnes études au cours complémentaire de la rue de Buffon,
elle entre au chemin de fer d'Orléans. Cette vie relativement active
d’employée de bureau lui permet de libérer son tempérament joyeux
et ses instincts d ’organisatrice infatigable. Elle organise de petits
voyages en Élu de semaine, des après-midi musicaux, bientôt de
menues protestations : la Compagnie la voit partir avec soulage­
ment. Elle trouve du travail dans une oeuvre protestante qui s’occupe
de colonies de vacances et elle est sans doute la première femme
qui ait dirigé une colonie de vacances, à Périgny. La guerre décla­
rée, elle a maille à partir avec ce milieu très patriote et s’oriente
de plus en plus vers l’activité militante. Quand elle rencontre Rosmer,
ils ne se quittent plus et Ton peut dire que leur vie se confond
au point qu’il est difficile de saisir son action personnelle, son rôle
qui a dû être assez important. Leurs amis ne les séparent d’ailleurs
pas et les lettres que contiennent les Archives Rosmer sont indiffé­
remment adressées à l'un ou à l’autre. L a nièce de Rosmer écrit ;
« Je dis bien, les Rosmer car le nom de sa femme Marguerite ne
peut pas être séparé du sien à partir du jour où ils ont vécu ensem­
ble 1ÛS. s>
Elle le décharge au maximum des soucis matériels, fait tous les
métiers, enseigne chez Pigier, donne des leçons particulières, est

104. Renseignements fournis par Mme Martinet et MM. Martinet et


Godeau. Elle l’épousera en 1932.
105. M 1116Montava à l’auteur, 5-V-1906.
154 alfred rosmer

représentante en pharmacie. Sa débrouillardise est proverbiale et


on lui écrit :
« Vous êtes de la race des gens qui trouvent à point nommé un
cachet d’aspirine sur le radeau de la Méduse et l’eau douce néces­
saire à son ingurgitation 106. »
Elle fait partie en 1916 du groupe des femmes de la rue
Fondary, groupe pacifiste où figurent aussi Jeanne Alexandre,
Madeleine Rolland, Madame de Saint-Prix. Marguerite Thévenet
dès décembre 1914 107 approuve chaleureusement la démission de
Monatte. Elle milite activement, jette des tracts dans les salles de
spectacle au risque de se faire prendre. Bientôt elle assure les liai­
sons du C R R I avec la Suisse, se déguisant parfois en paysanne
pour passer la frontière 10S. C ’est elle qui passe le texte d’Au-dessus
de la mêlée en France et son premier contact direct avec Romain
Rolland s’établit le 5 mars 1916. Elle apporte des lettres de
Monatte, des brochures du C R R I ou du CDS. Contact peu chaleu­
reux d’ailleurs car Rolland ne comprend pas grand-chose aux condi­
tions du travail clandestin :
« Je n’aime pas beaucoup les allures carbonaresques qu’elïe donne
à un échange de propos sans grande importance. Elle me sort une
lettre de son chapeau, deux ou trois de son corsage ; je m’attends
à la voir enlever ses bas M lle Thévenet reparaît brusquement
[...] de façon mystérieuse et soudaine lon. s>
D e son côté, elle n’a jamais apprécié l’accueil plus que réservé
de Rolland. Rosmer évoque ces difficultés :
« Elle lui fit peur dès la première rencontre par son esprit de
décision et son audace [...]. Jamais un mot aimable ou de remercie­
ments. La première impression avait du être si vive que, sans doute
à son insu, il se montra par la suite un peu mufle »
Elle rencontre pour la première fois Grimm le 9 mars 1915, lui
confie qu’elle voyage pour l’action minoritaire et qu’elle désire se
rendre à la conférence des femmes socialistes à Berne 111. Nous ne
savons d’ailleurs pas si elle y a été, la seule participante française
dont parle Rosmer est Louise Saumoneau J1V En mai 1916, Grimm
lui demande de battre le rappel des partisans français de Zimmer­
wald 11S. En octobre, il l’invite à passer prendre des paquets de

106. Archives Rosmer, lettre d’Autant, décembre 1939.


107. Archives Monatte, M. Thévenet à Monatte, déc. 1914.
108. D’après P. Godeau.
109. Journal des années de guerre, pp. 685 et 914.
110. AR. à Monatte, 12-11-1953.
111. Archives Grimm., M. Thévenet à Grimm, B. 185.
112. MO., I. 310.
113. Archives Grimm, Grimm à M. Thévenet, A 128 (b).
zimmerwald, et ses conséquences 155

livres à Lausanne 1L\ C ’est en 1916 qu’elle rencontre Rosmer pour


la première fois. Les Archives Monatte nous ont conservé la trace
de cette rencontre :
« Et je connais enfin Marguerite ! Comme la réunion finissait, elle
est venue à moi en disant : « Je me présente moi-même ! ». Nous
avons bavardé, peu, chacun étant tiré de côté et d’autre. Nous
bavarderons davantage une prochaine fois *15. »
Tant par les agents de liaison que par la presse, Rosmer parvient
à connaître, malgré la censure et les difficultés de toutes sortes, le
développement des minorités à l’étranger. Il sait quelles sont les
positions de 1TLP et des IW W , il suit la situation allemande. En
A lle m a g n e , l’agitation gagne la rue. L e mouvement se développe
chez les soldats, Liebknecht et Rosa Luxemburg en sont les figures
marquantes. L ’opposition révèle sa force quand 20 députés refusent
les crédits de guerre, tandis que 22 autres quittent la salle des
séances pour ne pas participer au vote I18. Les tracts et les réunions
se multiplient. L ’opposition a ses quotidiens, le Leipziger Volk-
stimme, le Bremerburger Zeüung, elle lutte pour le contrôle du
Vorwaerts. Dresde, Leipzig, Brème, les centres industriels rhénans
sont dans l’opposition ; à Berlin, elle contrôle 9/10® du Parti ; le
25 mars 1916, les socialistes du Reichstag se scindent. Seuls les
syndicats sont peu atteints llT.
Chez les neutres persiste une situation bizarre : les partis socia­
listes officiels défendent la neutralité de leur pays tout en soutenant
tel ou tel belligérant. En Suède, Branting est pour la neutralité mais
contre Zimmerwald lts. Hôglund dirige une fraction zimmerwal­
dienne avec un journal, le Stormklockan (la Cloche d’Alarme) et
sera emprisonné pour action pacifiste 110. En Espagne, le Parti
Socialiste est aussi pour la neutralité en principe. Mais, comme les
partis réactionnaires sont germanophiles, il est plutôt du côté des
alliés comme l’indiquent les déclarations d’Iglesias qui est l’un de
ses principaux dirigeants et le journal E l Socialista. Les zimmer-
waldiens marquent des points : le rédacteur en chef du journal du
parti démissionne, la minorité groupe 1/3 des voix au congrès, la
section de Reus (petite ville de Catalogne) fait vivre un hebdoma-

114. Ibid., A 128 (a).


115. AR. à Monatte, 1916.
116. MO., II 100.
117. Ibid., 137 et suiv.
118. Branting (1860-1925), éditeur du Social-Demokraten, a pourtant
participé aux diverses conférences pacifistes avant Zimmerwald. En 1919
il opte pour la IIe Internationale et sera plusieurs fois premier ministre de
Suède.
119. A partir de 1918 il s’oriente vers le communisme et publie jusqu'en
1924 le Folkets Dagblad. Après une expérience malheureuse de fondation
d’un PC, il retourne à la IIe Internationale.
156 alfred rosmer
------- '"
daire, Justicia Social. LTtalie est particulièrement importante car ^
elle passe de la neutralité an camp franco-anglais. Si des socia-
listes (Mussolini), des anarchistes, des syndicalistes ont fait défec- !?':■
tion, la masse anarchiste est restée ferme, l’Unione Syndicale Ita- ,'ÿ
liana est restée syndicaliste, le Parti Socialiste que dirige Serrati n’a ::. -
pas basculé. Il publie toujours YAvanti et se souvient qu’il a orga-
nisé Zimmerwald. Tandis que Turati et Trêves persistent à ne pas |£:
voir au-delà des revendications immédiates de Zimmerwald, ud v|;
important courant zimmerwaldien rapproche les militants d’origines ,0 ;
diverses. ',£.1
Qu’ils soient chauvins pour leur propre compte ou pour le
compte des autres, les socialismes officiels se heurtent partout aux
zimmerwaldiens. Ces derniers sentent rapidement la nécessité d’une C
nouvelle réunion qui fera le bilan rlp Var^'or». T.a Commission Socia?
liste Internationale se trouve devant deux hypothèses : si la paix'-M
est proche, il lui faut prendre position sur le programme de cettè- v?
paix et sur les propositions de paix des belligérants ; si la guerre
s’éternise, il lui faut organiser pratiquement l’action pacifistel-ï0.
En février 1916, la Commission reçoit divers projets de déclarations
et de résolutions. Les thèses adoptées en janvier 1916 par le groupé
allemand D ie Internationale insistent sur le caractère impérialiste
de la guerre, ment la possibilité des revendications purement natio-jp-
nales à l’époque de l’impérialisme (allusion à la question polonaise)'
demandent la création d’une nouvelle internationale. L ’appel du
Parti Socialiste et de la Ligue Socialiste Révolutionnaire hollandais;,'^
s’efforce surtout de fixer les modalités de l’action une fois la paix
revenue.
Les groupes de la V O et de Naché Slovo élaborent de leu r,côté
un manifeste car ils n’ont pas l’espoir d’obtenir des passeports pour! f
participer a des reunions a 1étranger. Les russes ont décide que
Trotsky rédigerait un texte. Il propose à la V O de faire une décIa-.,Lÿ '
ration commune. On accepte avec empressement. Trotsky soumet ^
son texte à Merrheim qui ne fait aucune objection puis à Rosmer,
qui discute certains points. L ’accord est complet sur la disparitioni-;#!^
nécessaire de la 2e Internationale. D ’ailleurs les syndicalistes ne s'ÿjîjæï
intéressent pas et n’en font pas partie. L e sacrifice leur est léger^Jlp
Accord aussi pour la disparition de l’Internationale. Syndicale, lesîifp
Français admettant maintenant que la C G T a toujours été isolée
dans cet organisme peu révolutionnaire. On convient qu’il faut V
créer un nouvel organisme « à l’image des regroupements qui s’opé-di­
raient sur la base de Zimmerwald ». On condamne les centristes et Ç
on admet qu’il faut lutter pour la paix, quelle que soit la situation r
militaire, repoussant ainsi les arguments inspirés par la défense*?
nationale. Mais Rosmer demande des modifications. Trotsky grogne
puis cède :
zimmerwald et ses conséquences 157

.«[...] Dans notre travail commun, il se montra toujours très


com préhensif,défendant comme il savait le faire ses idées, mais
prêt néanmoins aux conciliations nécessaires 12V »
Trotsky, sous la pression de Rosmer, supprime un passage qui
d is c u ta it en détail l’attitude des majoritaires et des minoritaires et
ses attaques détaillées contre les centristes. Rosmer a employé un
a r g u m e n t caractéristique : puisque nous leur demandons de ne pas
se mêler des questions syndicales, nous ne devons pas nous mêler
d e leurs affaires 122. L e texte définitif est publié dans le numéro 3
(29 février 1916) du Bulletin de Zimmerwald 123. Très important car
il est l u n des premiers textes élaborés en commun par des Français
et des révolutionnaires russes, il dénonce violemment la guerre et
son extension, la violation par les alliés du territoirè grec qui fait
pendant à l’invasion de la Belgique, les visées amiexioriistes. XI
condamne les responsables de 1’ « abdication socialiste » et les
« partisans d'une armistice socialiste, sans principes et sans clair­
voyance » , l'alignement sur les « social-patriotes » qui suivent
l ’e n n e m i de classe et son Union Sacrée. S'il y a risque de scission,
]a faute en retombe sur les majoritaires. La question de la création
d'une nouvelle Internationale Socialiste est nettement posée. Cette
Internationale aurait pour bases : la lutte sans merci contre le
nationalisme, le refus des crédits militaires quelle que soit la carte
de guerre, le rejet de la défense nationale et de l’Union Sacrée, la
lutte révolutionnaire contre la société bourgeoise. Consciemment,
parce qu'ils l’estiment .nécessaire, Trotsky et Rosmer s’alignent sur
lès positions du Lénine de Zim m erw ald124.
.La Commission Internationale tient du 5 au 8 février 1916 à
Berne, une réunion élargie sans représentants de la France ni de
l’Angleterre. EUe y décide qu’une nouvelle conférence sera organi­
sée à Kienthal du 24 au 30 avril 1916. Aucun syndicaliste ne pourra
y participer, parce qu’ils sont mobilisés ou parce qu’ils n’osent pas­
ser outre au refus des passeports. Rosmer, pour sa part, est alors
à Coëtquidan et ne sait tout d’abord pas grand-chose de précis sur
Kienthal :
« Je n’ai vu encore que ce qu’en donnent les journaux ce qui est
bien peu. D ’après ce que leurs récits permettent d’imaginer, il
semble que cette deuxième conférence n’ait pas abouti à quelque
chose de précis : la présence des 3 députés a dû être bien gênante :
ce sont des hommes de bonne volonté, mais de peu de courage 125. »
Les seuls français présents sont en effet trois députés longue tristes,

121. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.


122. RP., oct. 1950.
123. Et reproduit dans MO., I I 83-86.
124. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
125. APP. Ba/1559. AR. à Trotsky, 12-VI-1916.
158 alfred rosmer

Blanc, Brizon, Raffin-Dugens qui n’ont pas été mandatés 12S. Quoi­
que violemment hostile à leur comportement à Kienthal, Rosmer
leur reconnaît bientôt quelque courage, notamment à Brizon qui,
à partir de cette date, vote bien à la chambre et prononce des
discours courageux. Il cite des journaux étrangers, répond au dis­
cours jusqu’au-boutiste de Poincaré à Nancy 127.
Finalement, Rosmer porte sur Kienthal une appréciation nuan­
cée. Il approuve entièrement son mot d’ordre de paix immédiate
et sans annexion mais apprécie moins les discussions sur la question
de lTntemationale. Huysmans ayant redonné un semblant d’activité
au BSI, certains zimmerwaldiens se persuadent qu’après tout il
serait possible de reconstituer la I I e Internationale en éliminant les
dirigeants trop compromis. Lénine et Trotsky considèrent la II®
comme un cadavre, Kienthal reste sur une position médiane 12e.
Sur le plan de l’Internationale Syndicale aussi, les majoritaires
se livrent à des manœuvres. En juillet 1916, ils réunissent à Leeds
une conférence du « syndicalisme interallié ». Jouhaux en parle
impromptu au Comité Confédéral le 1er mai, trop tard pour que la
minorité puisse se concerter. Bourderon proteste parce que seuls
les majoritaires font le voyage. Merrheim se contenterait d’une abs­
tention, mais la Commission Exécutive des Métaux vote une protes­
tation. Nous ignorons quelle tactique de détail préconise Rosmer,
mais il repousse cette tentative de résurrection de lTntemationale
Syndicale au profit des alliés 129. Il en est venu peu à peu à ne
plus reconnaître d’autre organisation internationale que la Commis­
sion Internationale issue de Zimmerwald.
L ’éclatement de la révolution russe vient changer les situations.
Eclatement largement imprévu, dit Rosm er130 : on savait depuis
1870 que la révolution suit la guerre mais on ne croyait pas la
révolution si proche. L e groupe de Naché Slovo qui s’apprête à
rentrer en Russie convoque la dernière réunion commune au siège
de la Fédération des Métaux et se dit persuadé que les alliés vont
soutenir la contre-révolution : il demande de mobiliser le prolétariat
français pour la défense de la révolution russe 1S1. L e tract du
CRRI, La révolution l'usse et le devoir socialiste que Rolland attri­
bue à L o r io t132 affirme :
« Il est de notre devoir et de notre intérêt de se ranger à côté en

126. Alexandre Blanc (1879-1924) est député du Vaucluse tandis que


Pierre Brizon (1878-1923) est député de l’Ailier. Ce dernier, proche de
Longuet, reste à la droite du mouvement zimmerwaldien. Fondateur et
directeur de La Vague, il va au PCF et en est exclu en 1922.
127. MO., II. 159-160.
128. MO., II. 92-93.
129. Ibid., 148 et suiv.
130. Ibid. 220.
131. MO., I. 244.
132. Journal des années de guerre, mai 1917, p. 1185.
zimmerwald et ses conséquences 159

bataille pour assurer sa victoire [la victoire du prolétariat russe] et


pour transformer la révolution russe en révolution internationale
[...] La révolution russe est le signal de la révolution universelle.
Et la révolution universelle assurera le succès définitif de la révolu­
tion russe ; et à la guerre mondiale doit répondre la révolution
mondiale. »
Quand vient février 17, le C R R I n’imagine pas qu’il faudra aussi
novem bre. Pour lui ce n’est pas une révolution, c’est L a Révolution
qui est là. Il faut transformer partout la guerre impérialiste en
guerre civile. Les positions de principe de la C G T d’avant-guerre
sont de nouveau applicables. Puisque la grève générale préventive
a échoué, c’est la révolution qu’on va faire. L e mot d’ordre de paix
est remplacé par celui de révolution. D ’ailleurs les bolcheviks
quand ils sont victorieux, remplacent le mouvement zimmerwaldien
par l’Internationale Communiste. L e premier congrès de l’IC (mars
1919), sur proposition de Balabanoff 133, secrétaire d e la Commis­
sion de Zimmerwald, et après approbation de Racovski, Platten 134,
Lénine, Zinoviev et Trotsky, dissout la Commission Internationale
de Berne 13S.
On peut se poser, à ce stade, une question d’importance. Qu’est-
ce que les zimmerwaldiens français, Rosmer en particulier connais­
sent des doctrines des bolcheviks ? Dans son article sur Trotsky
à Pans 13B, Rosmer fait le point. Avant la guerre, il a sur les Russes
des renseignements difficiles à peser. A certains égards ils lui sont
inconnus parce qu’ils sont des socialistes de la I I e Internationale.
Comme on les soupçonne d’être plus ou moins guesdistes, les syn-
dicaîistes-révolutionnaires n’ont rien de commun avec eux. D ’ail­
leurs les Russes vivent entre eux, ont leurs journaux, leurs cantines,
leurs « terribles controverses ». Il sait cependant qu’ils sont quelque
peu différents des sociaux-démocrates français : les russes, eux, sont
de vrais révolutionnaires. L ’épreuve de la guerre le rapproche des
Russes, mais pas directement des bolcheviks : Trotsky est hors ten­
dance, Martov, menchevik, est peu apprécié non parce qu’opposé
aux bolcheviks mais parce qu’hésitant dans l’action, Lénine reste
pratiquement inconnu 137. Rosmer s’initie cependant aux discussions

133. Angelica Balabanoff, russe de nationalité, est membre du PSI et a


été co-directrice de YAvanti. Elle a dirigé le Bulletin de la Commission de
Zimmerwald. Elle a été expulsée de Suisse en 1918 et a rejoint la Russie.
Elle rompt rapidement avec les bolcheviks et revient au PSI.
134. Fritz Platten, né en 1883, est membre du PS suisse. Il a pris part à
la révolution russe de 1905 et a été zimmerwaldien de gauche. En 1917,
il aide les révolutionnaires russes résidant en Suisse à regagner leur pays
et les accompagne. A partir de 1923, il réside en Russie et s’y consacre au
mouvement de collectivisation rurale.
135. D’après IC., n° 1, p. 127.
136. R P o c t . 1950.
137. MO., I 61.
160 alfred rosmer

de la social-démocratie russe. Trotsky lui explique la théorie de la


révolution permanente qu’il vient d’élaborer avec Parvus 13B. Mais,
des bolcheviks, il continue à ne rien connaître et leur prête un
aspect terrible : « le farouche L é n in e 139 », la « terrible Angélica
[Balabanoff] qui nous faisait peur » 140. Il ignore, nous l’avons vu,
les querelles entre bolcheviks et mencheviks sur la reconstruction
de l’Internationale. C ’est de Zimmerwald que date le premier con­
tact étroit avec les thèses de Lénine. Ce n’est pas dire qu’il perçoit
avec autant de netteté que les bolcheviks l’existence d’une droite,
d’un centre, d’une gauche zimmerwaldiens. Rompus à la lutte de
tendances, les bolcheviks connaissent ces distinctions avant même
que ne s’ouvre la conférence et Lénine fait une réunion prépara­
toire de la gauche, présente un projet de la gauche. Parlant de la
prcpaTutio n de Kienth?.!, Zmnvïev écrit à Boukharine 141 en 1916 :
« L e centre de Zimmerwald mobilise ses forces ; nous devons
mobiliser les nôtres. La chose importante pour nous, c’est que, en.
tout cas, ce sera notre conférence, une conférence des gauches. »
La distinction est moins claire pour les français. D ’après Rosm er1,2,
Loriot qui travaillait au C R R I en liaison avec Merrheim ne s’y est
jamais présenté comme un « zimmerwaldien de gauche » et le
même Loriot déclare en 1921, au 3e congrès de l’IC :
« En France, nous ne connaissions pas la gauche de Zimmer­
wald. »
Préparant le tome I I de son Mouvem ent ouvrier..., Rosmer écrit à
Monatte en 1955 :
« Ce que je trouve en ce moment montre que les nuances exis­
tant chez les zimmerwaldiens étaient plus accentuées que nous ne
pouvions l’imaginer [...] 14S. »
Charbit témoigne en 1967 : il n’y avait pas de zimmerwaldiens de
gauche, mais on savait qu’il y avait des divergences entre Merrheim
et Lénine x4*.

138. Helphland (dit Parvus, 1867-1924) est l'une des figures les plus
contrastées du mouvement révolutionnaire du début du siècle. Sans cesse
à cheval entre lès partis russe; et allemand, il a participé à la révolution
russe de 1905 et rencontré plusieurs fois Trotsky. A partir de 1900, il se
fixe dans les Balkans puis à Constantinople et, à la faveur des guerres fré­
quentes dans la région, il se bâtit une énorme fortune en vendant des
armes. Cette fortune lui permet après-guerre de jouer un rôle dans l'aile
droite du Parti Socialiste allemand, tout en gardant des contacts avec les
communistes.
139. AR. à Monatte, 15-IX-1915.
140. Ibid., 24-VIII-1955.
141. Lettre citée dans MO., II 79-80.
142. MO., I 464.
143. AR. à Monatte, 1955.
144. Conversation avec l’auteur.
zitrimerwald et ses conséquences 161

Témoignages concordants qu’il faut tenter d'expliquer. D ’abord,


nous dit Rosmer, les divergences n’étaient pas si terribles :
« [...] Au vote, c’était l'accord complet. Malgré les divergences,
on se savait unis par la même conception fondamentale 14s. »
C’est le Merrheim du revirement, celui du congrès de Lyon en
1919 qui est le père dune version « tragique » de Zimmerwald :
les huit heures consécutives de discussion avec Lénine, l’injonction
solennelle de proclamer tout de suite la grève des masses contre
la guerre. Merrheim n en disait pas tant dans sa brochure de 1915,
il n’y a pas cela dans les récits d’époque. En fait;, Merrheim et
Bourderon ont été bien traités par Lénine et avec sympathie. L e
seul que Lénine ait sérieusement secoué, c’est L ed eb ou r14,6 car
Lénine voulait qu’il s’engage à ne plus voter les crédits de
guerre i,1T. Bref, pour Xlosmcr, ce seraient les témoignages posté­
rieurs qui auraient présenté comme hostiles des hommes, séparés
sur bien des points, mais unis par une même volonté. La classifica­
tion entre zimmerwaldiens de droite, du centre et de gauche, peut-
être satisfaisante pour l’esprit, n’aurait pas été ressentie comme
telle par une bonne partie des intéressés.
Pour lui, il approuve à partir de Zimmerwald l’essentiel des posi­
tions de Lénine, mais fait des réserves sur trois points. Tout d’abord,
les thèses de Lénine doivent être adaptées aux conditions de chaque
pays 11S. Ensuite, il critique vivement la formule du « défaitisme
révolutionnaire». Sans doute n’est-il pas pacifiste et il nie que la
CGT d’avant-guerre ait été pacifiste :
« L a C G T n'avait jamais été pacifiste, elle luttait contre la guerre
sur la base du syndicalisme révolutionnaire I49. »
Il est très éloigné du pacifisme rollandiste car il est « lutte de
classes » sans s’occuper de savoir si cette lutte peut paralyser l’effort
de guerre ou amener la défaite. Mais il n'aime pas la formule de
« défaitisme révolutionnaire » , pour les mêmes raisons que les
hommes de Nachê Sîovo : psychologiquement, elle présente très mal
les choses et donne des armes aux adversaires. Enfin, Rosmer
défend à fond le mot d’ordre de paix. Signalant au passage que
Lénine est pour le mot d’ordre de paix puisque son projet de mani­
feste pour Zimmerwald portait :

145. AR. à Monatte, 1955.


146. Georg Ledebour (1850-1947) est député socialiste depuis 1900.
Minoritaire, il perd ses responsabilités à la tête du PS. Il se rangera parmi
les zimmerwaldiens de droite et se tiendra à l’écart et de la 2e et de la 3*
Internationale.
147. RP, février 1952.
148. MO., I 475 et suiv.
149. MO., I 254.

11
162 alfred rosmer

« Vous devez descendre dans la rue et, là, crier à la face des
classes dirigeantes : « Assez de boucherie ! 150 »
Rosmer défend ce mot d’ordre car il est efficace :
« L e mot d’ordre de paix, entouré de développements qui lui
donnent figure de revendication socialiste, permet le rassemblement
autour des premiers opposants, condition indispensable pour rom­
pre l’isolement paralysant181. »
Rosmer n’approuve ni ne désapprouve Lénine dans la question des
crédits et de la participation ministérielle ; ces choses-Ià ne le
regardent pas car il n’est pas socialiste.
Quand la révolution enfin éclate en Russie, il y a de toute évi­
dence dans le mouvement qui le pousse vers elle quelque chose de
purement sentimental. Un acte de foi que connaît aussi Monatte
quand il secoue Brupbacher :
« Vous me semblez un peu pessimiste quant au peuple russe. Je
lui crois plus de maturité. C ’est peut-être davantage une foi qu’une
connaissance exacte. Qu’importe, puisque cela aide à vivre 152. »
Foi mais aussi part de «connaissance exacte». Malgré le blocus, la
censure, les difficultés des communications, les nouvelles de Russie
filtrent jusqu'en France et Rosmer qui a l’habitude de lire entre les
lignes des journaux peut se faire une idée de la situation. Lui-même
nous dit qu’il suit attentivement dans la presse tout ce qui vient de
Russie et cite les articles de John Reed dans Masses d’Eastman ” 3.
En 1919, il étudie L ’Etat et la, révolution de Lénine 1M, C'est, dit-il,
une révélation pour les syndicalistes et les anarchistes : les marxis­
tes qu'ils connaissaient ne leur avaient jamais parlé un tel langage.
Les brochures du C R R I — Pour l’action (trois documents) — le
texte du journaliste Arthur Ransome — Pour la Russie, lettre à
l’Am érique — qu'il traduit106 et publie comme 5° Lettre aux abon­
nés... sont postérieurs à la révolution bolchevique. Ils affirment que
les bolcheviks ont rallié les soldats et les paysans, que les capita­
listes combattront la révolution en fermant les fabriques et que les
ouvriers devront prendre en mains la production, qu’une générali­
sation de la révolution prolétarienne permettra la paix des peuples.
D e plus, les très nombreux révolutionnaires et ressortissants russes
qui sont en France, mènent dès le début de la guerre, et plus
encore après 1917, une intense activité de propagande dont témoi­
gnent les archives de police 156 et ils sont bien renseignés. Outre ces

150. Cité dans MO., I 556.


151. MO., I 475.
152. Archives Brupbacher, Monatte à Brupbacher, 25-IV-1917.
153. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
154. Moscou, 71.
155. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
156. AN. F7. 12 951, 13 090, 13 372.
zimmerwald et ses conséquences 163

intermédiaires russes résidant en France, les nouvelles de Russie


parviennent par d’autres voies que la police recensé. D ’Allemagne
et de Suisse, les soldats rapportent journaux et documents bolche-
vistes. Ainsi, en décembre 1918, passent les journaux des minoritai­
res allemands, des brochures de Lénine et Trotsky, des exemplaires
de D e m a in 15T. Ces documents contiennent une abondante docu­
mentation sur la doctrine et la tactique des bolcheviks, sur le dérou­
lement de la révolution russe. La police saisit aussi des colis de
livres: en octobre 1919 15S, elle met la main sur un paquet de 40
brochures de Boukharine (L e programme des communistes Bolche-
viki). Tout cela, dactylographié ou imprimé, circule sous le man­
teau, est connu des militants et des journalistes qui, à leur tour,
répandent les idées nouvelles par leurs discours et leurs articles 130-
Somme toute, même si Rosmer admet que ses connaissances sont
trop vagues et trop générales, même s’il questionne avidement à
son arrivée à Moscou 10°, son ignorance n’est ni profonde ni totale.
En avril 1919, dans la Circulaire de lancement de la V O , il affirme
que l’expérience de la guerre et de la révolution russe n’a pas
entamé sa foi syndicaliste-révolutionnaire mais qu’elle lui a appris
certaines choses : les syndicalistes avaient tort de lutter à la fois
contre le capitalisme et contre l’état, leur conception d’une révolu­
tion basée sur le syndicat était chimérique. Contradiction ou syn­
thèse, il affirme encore : la révolution russe est une révolution de
« caractère syndicaliste 16\ » D e la révolution russe, il retient non
seulement un espoir et des faits, mais aussi des enseignements pra­
tiques. Ce n’est pas un aveugle qui va à lTntemationale Commu­
niste, mais un homme aussi averti que possible.
En France, les vieilles habitudes de « division du travail » des
minoritaires qui ne se sont jamais totalement effacées, reprennent
de plus belle. L e Comité de la 3e Internationale agit essentiellement
dans le Parti Socialiste. Les Archives Humbert-Droz montrent un
Souvarine exclusivement préoccupé du Parti, impatient des métho­
des de Loriot et Saumoneau :
« Ils ont pris le goût ibsénxen d’être minuscule minorité, ils
semblent avoir peur de faire des adhérents et considèrent les amis
comme des intrus 162. »
Pendant ce temps, Rosmer et Monatte se consacrent au mondé
syndical. Leur plate-forme tient en trois mots : règlement des
comptes, unité, conquête de la C G T par la minorité. Rosmer et
Monatte veulent-ils utiliser la C G T conquise pour tenter le sou­

157. AN. F7. 12 951. Note « Jean » du 28-XII-1915.


158. AN. F7. 13 090. Note du 16-X-1919.
159. AN. F7. 12 951. Note « Jean », citée.
160. Moscou, 65.
161. Circulaire..., p. 37.
162. Souvarine à Humbert-Droz, 2-1-1920.
164 alfred rosmer

lèvement révolutionnaire ? La situation leur paraît-elle propice à


une tentative ? L ’auraient-ils faite ? Autant de questions sans
réponse. Mais il y a dans la France de 1918 une sorte de frémisse­
ment que signale la Police l03. Rentrant d’une tournée dans la Loire,
Dumoulin écrit :
« J’ai pensé, je pense encore que le moment est venu d'être
casse-cou ou rien... J’ai vu et entendu des choses qui m’invitent à
mettre le courant sur la m otrice104. »
Mais la C G T, outil nécessaire à toute tentative de révolution syn­
dicaliste, résiste à l’assaut minoritaire, et, s'ils ont eu des espoirs,
ces espoirs sont réduits à néant. Au congrès de la C G T des 15-18
juillet 1918 16S, la victoire leur a échappé. Les minoritaires sont
divisés : les uns, se voyant déjà maîtres de la CGT, préparent leur
liste de dirigeants où figurent Dumoulin, Bourderon et Merrheim;
Mais les secrétaires des métaux ne veulent plus entendre parler du
CDS et Merrheim s’écrie : « Je n’irai pas chez les fous. » N i Ros­
mer, ni Dumoulin, ni Brisson ne parviennent à le faire changer
d ’avis, malgré des efforts qu’ils n’ont pas ménagés. Dumoulin
raconte à Monatte qu’au premier soir du congrès, il a ramené Mer­
rheim chez lui avec Rosmer et qu’ils l’ont travaillé : « [ . . . ] je lui ai
parlé de choses intimes, de nos amitiés, de toi, mon pauvre Pierre ».
Merrheim ayant choisi Jouhaux, la C G T échappe aux révolution­
naires, l ’outil révolutionnaire fait défaut tandis qu’une vieille amitié
se brise. Commentant un rendez-vous manqué avec Merrheim,
Rosmer écrit à Monatte :
« Je comptais lui dire : « Tu vas si vite et si loin qu'on ne peut
pas te suivre ». Je ne l’ai pas trouvé. Je n’ai pas insisté parce que
j’ai tout à fait désappris maintenant le chemin de son bureau 186. »
Dans les conditions nouvelles créées par la défection de Mer­
rheim, les minoritaires se trouvent devant un problème tactique :
que doit faire Dumoulin ? Pour Monatte, il faut rompre nettement
avec Merrheim et quitter les organismes dirigeants de la CGT.
Dumoulin, au contraire, défend la p ohtique de présence. L a mai­
son, dit-il, est à moi autant qu'à eux, j'en ferai la conquête, et il
affirme que Rosmer l’approuve. L e témoignage de Dumoulin ne
saurait nous suffire. Pour définir sur ce point la position de Rosmer,
nous n’avons aucun texte décisif et nous devons nous contenter
d ’une série de notations fragmentaires difficiles à interpréter. Le
7 décembre 1918, Rosmer signale les excellentes dispositions de
D um oulin16T. L e 17 il se félicite de son élection au secrétariat

163. F7. 12 951. Note «Jean» .


164. Archives Monatte, Dumoulin à Monatte, 28-1-1918.
165. Ibid., 22-VII-1918.
166. AR. à Monatte, 7-XII-1918.
167. Ibid.
zimmerxvald et ses conséquences 165

administratif. Sans juger le principe même de la candidature, puis­


que Dumoulin était candidat, autant qu’il ait été élu. S'il doit s’en
aller, autant qu’il le fasse de lui-même 168. L e 14 février 1920, il
continue à compter sur Dumoulin pour l’hebdomadaire projeté,
mais signale que Dumoulin est revenu assez content de la confé­
rence des reconstructeurs à Berne : il se contente de peu 1**. Peu
à peu les positions s’éloignent et bientôt il en sera de Dumoulin
comme de Merrheim. Rosmer conclut :
« Son apparence était trompeuse ; c’est vrai qu’il était solidement
bâti ; un corps robuste et une tête bien meublée ; mais ce costaud
avait cependant besoin d’un tuteur ; aussi longtemps qu’il sentit
Monatte près de lui, tout allait ; dès qu’il eut rompu, il sombra,
s’enfonçant progressivement de fonctionnaire du B IT en candidat
malchanceux à la Chambre et au Sénat, pour finir dans la troupe
hétéroclite des serviteurs de Pétain ,ï0. »
En décembre 1918, il faut bien se rendre à l’évidence. Rosmer
croyait en 1915 qu’une fois la guerre finie et la liberté de discussion
revenue les majoritaires seraient balayés. Il doit convenir mainte­
nant qu’il faut s’organiser pour une lutte de longue durée l71. L a
masse est égarée par la joie de la victoire et par l’espoir des mil­
liards des réparations ï72. Les vainqueurs dit-il en effet, sont incapa­
bles d’organiser une paix durable, la guerre continue partout, les
impérialismes alliés se disputent maintenant les dépouilles. La
Ligue des Nations ne sera qu’un leurre, un organisme inefficace qui
ne pourra assurer la paix. Les puissances se dressent contre le bol­
chevisme et la France qui vit sous la censure et la réaction inté­
rieure est à la tête de la croisade i73. A la C G T, les majoritaires
prônent la reconstruction. L e verbiage de Jouhaux masque la misère
de sa politique, il se raccroche tantôt à Wilson, tantôt à M alvy et
pratiquement continue l’Union Sacrée, sous une autre forme et dans
un autre contexte : il va à la conférence de la paix. La C G T « enli­
sée dans les sables gouvernementaux » accepte un marché honteux :
une paix fondée sur le droit du plus fort en échange d’une aumône,
les 8 heures. Les hommes qui, il y a 20 ans, combattaient Millerand
et son Conseil Supérieur du Travail, réclament maintenant un
Conseil Economique du Travail. Ils répandent des illusions men­
songères sur une future nuit du .4 août. Comme si la bourgeoisie
était prête à se laisser spolier ! Ils éliminent les révolutionnaires et
installent les fonctionnaires syndicaux aux postes de commande 274.
Mais ces analyses pessimistes trouvent peu d’adeptes.

168. Ibid., 17^X11-1918.


169. Ibid., 14-11-1919.
170. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
171. AR. à Monatte, 17-XII-1918.
172. Ibid., 7-XII-1918.
173. Circulaire de lancement de la VO, p. 29.
174. Ibid., p. 35.
166 alfred rosmer

L a minorité s’est disloquée. L a victoire a découragé certains de


ses militants, tels Dumoulin ou Marie Guillot. L e sentiment de
l’impuissance domine :
« Toutes les impuissances se collent les unes aux autres et s’ima­
ginent qu’ainsi elles sont une force 1TS. »
L ’heure est à la tristesse, non au découragement. La besogne ne
manque pas, mais elle en vaut la peine : affirmer ses idées, trou­
ver des hommes pour les appliquer, voilà la tâche que se fixe
Rosmer ,7e.
En février 1919, il se rend aux arguments de Monatte ; un jour­
nal est devenu nécessaire. Louzon avance quelque argent ce qui
permet d’examiner concrètement le projet. Pour toucher plus faci­
lement le grand public ouvrier, on décide de prendre un risque :
on renonce à la revue et on opte pour un hebdomaire 177. L a Vie
Ouvrière, nouvelle série sort en avril 1919. Ce titre affirme une
continuité : « nous étions syndicaüstes-révolutionnaires avant la
guerre, nous le restons 178 ». Mais il n’exclut pas les modifica­
tions doctrinales et pratiques dues à l’expérience de cinq années.
D ’autant que la révolution russe a bien souvent retrouvé, de son
propre élan, des formes syndicaüstes-révolutionnaires. Rosmer le
dit nettement :
« Mais, objectera-t-on peut-être, il y a eu la guerre et la révolu­
tion russe. Une révision est nécessaire. Alors nous répondrons :
« Justement parce qu’il y a eu la guerre et la révolution, le syndi­
calisme français aurait dû rester fidèle à lui-même. Car ces deux
grands événements ont été sa pleine justification... Et la révolution
russe, par la forme soviétiste qu’elle a revêtue et qui l’apparente si
étroitement à ce qu’il avait conçu lui-même, ne devrait-elle pas lui
être deux fois chère ? L e Soviet local, désigné par tous les travail­
leurs et par eux seuls, qui est le premier organe du nouveau régime,
ne correspond-il pas exactement au conseil d’un comité intersyn­
dical ou d’une bourse, auquel peuvent participer tous les travail­
leurs ? Qu’on lise [...] VHistoire des Bourses du Travail, de Pellou-
tier, [...] et on sera frappé par la ressemblance 179. »
Les collaborateurs de la nouvelle V O seront les minoritaires de la
C G T et des collaborateurs extérieurs qu’à distance, Rosmer jugera
« assez com posite(s)180» : Eastman, John Reed du Liberator,
Romain Rolland, Barbusse.

175. AR. à Monatte, 7-XII-1918.


176. Ibid., 17-XII-1918.
177. VO., 9-VH-1919, « Entre Nous ».
178. Circulaire de lancement de la VO., p. 37.
179. AR, VO., 10-IX-1919.
180. AR. à Monatte, 9-IÏI-1955.
zimmerwald et ses conséquences 167

Sur le plan international, il faut tout d’abord abattre la tentation


v/ilsonienne à laquelle un Merrheim a cédé, montrer que toute la
phraséologie humanitaire de Wilson n’aboutit en fin de compte qu’à
une paix lourde de guerres futures, que
« Tout l'effort de l’idéalisme wilsonien a finalement abouti à mas­
quer simplement les annexions. Pour les territoires européens, on
n’annexe pas tout de suite, l’annexion est à échéance. Pour les
colonies, l’annexion s’appelle mandat. L e fantôme de Société des
Nations couvre tout cela et se résout lui-même en une nouvelle
Triple-Alliance 18\ »
Rosmer appelle sans cesse au soutien de la révolution russe et de
la 3® Internationale. Si le pouvoir bolchevik s’effondrait, ce seraient
des massacres et la terreur blanche 182, il faut donc arrêter l’inter­
vention et démasquer les blancs, même quand ils se couvrent d’un
voile « démocratique ». Dans un article, Koïtchak le démocrate,
Rosmer affirme que face au communisme, la démocratie est une
forme de réaction :
« Actuellement, avec la menace communiste que les révo­
lutions russes et hongroises font peser sur le monde capitaliste, la
démocratie c’est la réaction 183. »
La V O se veut modeste et s’affirme incapable d’agir seule. Elle
s’assigne une simple tâche préparatoire. Elle essaiera de créer une
atmosphère propice à l’action en répandant par des brochures ou
des articles les nouvelles inquiétantes qui viennent de Russie, en
tenant le prolétariat français au courant des menaces qui pèsent
sur ses frères de Russie 18\ En trois semaines à peine, elle se rend
compte qu’elle n’y suffit pas, que cette tâche, si modeste soit-elle,
est encore trop lourde pour ses forces. Rosmer doit lancer un appel
au regroupement. En 1905, les radicaux et les socialistes avaient
fondé une Société des Amis du Peuple Russe. Pourquoi ne pas
imiter cet exemple ? Sans les modérés bien sûr, mais dans un esprit
de large coopération avec les partisans des mencheviks et des
socialistes-révolutionnaires — le groupe de la V O tenant pour les
bolcheviks. Ce regroupement lutterait contre l’intervention et sou­
tiendrait les Russes résidant en France qui sont directement mena­
cés. Les militaires russes en effet risquent l’enrôlement forcé dans
les armées blanches, les civils risquent le camp de concentration.
Rosmer se propose de lancer le mouvement puis de se retirer en
laissant la place à d’autres 1SS. Mais nous n’entendons plus guère
parler du projet.

181. AR, VO., 14-V-1919.


182. AR, VO., 21-V-1919.
183. AR, VO., 4-VI-1919.
184. VO., 28-V-1919, « Entre Nous ».
168 alfred rosmer

Il faut aussi soutenir la 3B Internationale. Rosmer 160 ne consi­


dère d’ailleurs, pas son congrès de création comme une réunion
« platonique » , organisée artificiellement par les bolcheviks pour
faire croire qu’ils ont un appui international. Une véritable Inter­
nationale est née :
« C’est bien une nouvelle Internationale qui vient de naître. Elle
est déjà robuste et l’avenir lui appartient. Elle est la véritable Inter­
nationale car elle répond aux conditions nouvelles et marque un
nouveau progrès dans l’organisation des travailleurs de tous les
pays. Loin d’être une manifestation vaine, elle est la suite logique
et constitue le couronnement d’efforts déjà anciens et persévé­
rants. »
Ces efforts ont été entrepris par Lénine et Trotsky dès 1914, ils
ont été jalonnés par Zimaierwald et Kienthal. Il est logique que la
V O qui a été de Zimmerwald et de Kienthal aille « de grand cœur »
à la 3e Internationale. Elle forme un groupe qui adhère à sa bran­
che française 187. Plus, elle essaie d’obtenir l’adhésion de la CGT.
Rosmer balaye d’un revers de main l’objection probable sur l’impos­
sibilité pour la C G T d’adhérer à une Internationale politique :
l’Internationale social-démocrate n’était exclusivement politique que
parce que les socialistes parlementaires l’avaient confisquée à leur
profit au congrès de Londres en 1896 188. Mais l’objection est de
poids, il doit bien s’en rendre compte. D e plus, les réformistes ont
l’habileté de créer rapidement une Internationale Syndicale à
Amsterdam, à l’issue d’une Conférence Syndicale qui a liquidé
l’Internationale Syndicale d’avant-guerre. Grave danger, d’autant
plus que l’Internationale d’Amsterdam est encore plus mal organi­
sée que le Secrétariat de Berlin d’avant-guerre. Les U SA et la
Grande-Bretagne ont imposé un système de représentation propor­
tionnelle et assurent ainsi la prééminence à leurs gros effectifs.
L ’Angleterre veut décidément l’hégémonie dans tous les domaines,
pousse à la présidence Apple ton qui représente l’extrême droite du
mouvement ouvrier anglais et « [ . . . ] ressemble d’ailleurs à Legien
comme un frère — avec l’ignorance en plus 180. »
Avant-guerre des luttes de tendances opposaient les syndicats
allemand, français et anglais. Ces derniers, représentant l’extrême-
droite du mouvement syndical, n’avaient jamais pu arriver au
contrôle des organisations syndicales internationales. Les Allemands
éliminés par la défaite, les français déchirés, l’occasion paraît bonne
aux Anglais. L ’alliance avec les syndicats américains leur assure la
majorité à Amsterdam. Par rapport à l’avant-guerre où le centre
syndical allemand dominait l’internationalisme syndical, c’est un

186. AR., VO., 30-IV-1919.


187. VO., 14-V-1919, « Entre Nous ».
188. AR., VO., 10-IX-1919.
189. AR., VO., 6-VI1I-1919.

zimmerwald et ses conséquences 169

recul : l’extrême-droite syndicale anglo-saxonne domine mainte­


nant ! C ’est donc avec soulagement que Rosmer annonce la décision
des syndicats pan-russes : ils veulent créer une Internationale Syn­
dicale rivale d’Amsterdam. S’ils y parviennent, l’argument des syn­
dicalistes français — refus d'adhérer à une Internationale politique
__ tombera de lui-même. Ils pourront adhérer à une Internationale
à la fois exclusivement syndicale et vraiment révolutionnaire 190.
Evidemment le domaine international n’est pas la seule préoc­
cupation de Rosmer et de ses amis. Ils ont créé la V O surtout pour
agir sur le mouvement syndical français. Or, le plus grand désordre
règne dans le syndicalisme français. Dans un article au titre carac­
téristique ( Les idées dévastées), Rosmer note :
« L**] Nulle plaine de France, nulle ville, nulle région n’appa­
raît plus dévastée que le syndicalisme 1,1. »
Il faut donc se sortir soi-même puis sortir les autres de la confusion
idéologique, « voir bien clair et... faire voir c la ir1,2 », faire un
journal sérieux, documenté, mais qui reste lisible 183. On ne se con­
tente pas de suivre l’actualité, on publie aussi des textes des anciens
du syndicalisme français, de Pelloutier, Griffuelhes, Pouget, D ele­
salle, des textes d’observateurs extérieurs au mouvement (Challaye).
Ces textes sont évidemment en contradiction totale d’une part avec
le syndicalisme de guerre, d’autre part avec la politique actuelle
de la direction de la CGT. Celle-ci jette par-dessus bord la Charte
d’Amiens, mais hypocritement. Il faut la forcer à avouer son chan­
gement de politique, il faut la battre au prochain congrès à Lyon.
Pour cela, il faut rassembler des militants. Récupérer des majori­
taires ? II n’y faut pas compter, ils ne relèvent plus que du « coup
de balai dans la Maison du Peuple 194». Les vieux minoritaires ont
flanché (Merrheim, Dumoulin) ou ont été insuffisants. Ce sont les
jeunes qu’il faut convaincre. Tâche difficile : ces syndiqués ne sont
pas des syndicalistes. Ils sont venus au syndicat non par idéologie
mais pour se défendre et pour s’abriter quand le syndicat était le
seul abri. Leurs idées sont confuses. Mais ils sont la bonne volonté
et l’avenir et, puisqu’ils sont dans le melting-pot syndical, il appar­
tient aux minoritaires de « faire la coulée 193 », d’en faire des syndi­
calistes 19e. Cette tâche de longue haleine est celle du journal.
A plus court terme, on ne peut abandonner la lutte de tendance
dans la C GT. En mai 1919 se fonde un « Groupe de la V O » qui
tient sa première réunion le 27 197. Il réunit une trentaine de mili­

190. AR., VO-, 12-XII-1919.


191. AR., VO., 10-IX-1919.
192. Circulaire de lancement de la VO., p. 37.
193. VO., 28-V-1919, « Entre Nous ».
194. Circulaire..., Ibid.
195. AR. à Monatte, 17-XII-1918.
196. AR., VO., 24-IX-1919.
197. VO., 28-V-1919, art. cit.
170 alfred rosmer

tants parmi lesquels nombre de femmes, de jeunes et de provin­


ciaux, montés à Paris à l’occasion du Comité Confédéral National et
du Comité National de la Fédération du Textile. L a V O cite Cou­
sin, typographe des Vosges, Roger, métallurgiste de Meurthe-et-
Moselle, Berthelet du Loiret, Jacquernin des métaux, délégué de
la C G T dans l’Est, Richetta, du textile de la Vienne. On décide que
le Groupe se réunira tous les lundis. Les lundis d’après-guerre suc­
cèdent donc aux jeudis d’avant-guerre.
Nous n'avons pas d’autre renseignement en ce qui concerne
l’activité du Groupe. Mais il est certain qu’il prépare activement
le congrès de Lyon. Congrès d’une importance capitale. Rosmer
pense qu’à Lyon, il faudra prendre position pour ou contre une
révision du syndicalisme et de la Charte d’Amiens, il faudra sortir
des équivoques :
« Plus de corporatisme à faux-nez révolutionnaire. Si le reniement
doit durer, qu’il soit proclamé partout, comme il a été dans les
actes depuis 1914. Alors la situation sera claire »
Dans le partage des tâches qui se fait, Rosmer est chargé de sui­
vre l’évolution de la situation anglaise, d’autant qu’elle évolue favo­
rablement et que le congrès des Trade-Unions à Glasgow précédera
de quelques jours le congrès de Lyon. Il est possible que les résul­
tats de Glasgow, s’ils sont connus, aient une influence favorable.
Déjà en juillet, au congrès de Southport, l’aile gauche du Labour
Party a conquis la majorité à l’exécutif. Evolution notable pour un
Labour « [...] Qui semblait voué au modérantisme le plus absolu et
le plus figé i9t> ». Quand s’ouvre, dans la première moitié de sep­
tembre, le congrès de Glasgow, Rosmer insiste sur l’importance de
l’enjeu : les effectifs syndicaux atteignent 5 200 000 et la Triple-
Alliance va poser la question de l’action directe. L a Triple-Alliance,
c’est le bloc formé par les Transports, les Cheminots, les Mineurs
(800 000 membres à eux seuls). Elle avait exigé du gouvernement
la fin de l’intervention en Russie, l'abolition de la conscription, la
libération des réfractaires emprisonnés, l’assurance que les soldats
ne seraient pas employés comme briseurs de grève. L e gouverne­
ment a promis, mais n’a pas tenu ses promesses. L a Triple-Alliance
demande alors au Comité Parlementaire du Trade-Union Congress
de réunir une conférence afin d ’envisager une action. Sa demande
est repoussée par 7 voix contre 5. L a Triple-Alhance prend donc,
à Glasgow, l’offensive contre la direction du TU C . L e président
des mineurs, R. S m ilie200 dépose une motion de défiance (que
Rosmer interprète comme une motion d’action directe). Victoire 1

198. AR., VO., 10-IX-1919.


199. AR., VO.%2-VII-1919.
200. Smilie a été minoritaire et pacifiste pendant toute la guerre. Au
congrès de l’ILP en 1918 notamment, en pleine offensive allemande, il a
défendu la motion pacifiste.
zimmerwald et ses conséquences 171

Elle obtient 2 586 000 voix contre 1876 000. Toutes les séances
du congrès tournent à l’avantage des révolutionnaires : Henderson,
leader du Labour qui n'a qu'antipathie pour la révolution russe et
Thomas ne peuvent parler, les délégués acclament les noms de
Lénine et de Trotsky, chantent le Drapeau Rouge £01,
L ’exemple de Glasgow n’est malheureusement pas suivi à Lyon.
L e congrès s’ouvre le 15 septembre et les comptes rendus de Rosmer
dans la VO privilégient naturellement les interventions des minori­
taires, surtout celles de Momnousseau et de Monatte.
Monatte reprend à l’adresse de la direction confédérale la phrase
de Renan dans La V ie de Jésus, phrase qui concerne Judas :
« Trop souvent l’administrateur tue l’apôtre 202. »
En vain.
Pourquoi cet échec ? Il y a tout d’abord une série de faits qui
concernent la pénétration des idées minoritaires mais que Rosmer
ne mentionne pas. D ’abord la VO n’a que six mois d’existence, ce
qui est peu. Ensuite son démarrage est fort lent. En juillet 203 elle
annonce 1 100 abonnés et avoue sa déception : on pensait attein­
dre rapidement les 5 000. La vente au numéro est faible ; on envi­
sage, si la situation ne s’améliore pas rapidement, d’en revenir à
la formule de la revue. Solution qui tente assez Rosmer et Monatte
qui regrettent la revue. Mais Lemoine (chemins de fer), Vergeat,
Momnousseau font une « vilaine grimace » et Loriot « leva tout à
fait les bras en l’air » . Les chiffres d’abonnés continuent à monter,
mais lentement. Fin décembre 1919, ils sont 1 850 et on doit songer
à imiter L ’Humanité et à soutenir le journal en ouvrant une sous­
cription 204. Fin janvier 1920, 1 960 abonnés ; début février, 2 001 ;
fin février, 2 912 ; le 23 avril, 3 734 ; le 9 mai, 4 004. L a croissance
est indéniable mais plus lente que prévue. La police qui, en juillet,
évalue à 20 000 la diffusion globale de la V O , ne pense pas que le
journal puisse tenir et faire des dépenses (locaux, téléphone, 2 em­
ployés à plein temps) sans un appui financier, au moins modeste de
l'Internationale Communiste 205. Tout ceci ne semble pas renforcer
l’hypothèse d’une pénétration rapide des idées minoritaires dans une
classe ouvrière galvanisée par la révolution russe. Quant à Rosmer,
il ne met en cause que le manque de moyens- Les majoritaires ont
toutes les facilités que procure l’appareil, mais la minorité en est
réduite aux improvisations. Monatte fait une description saisissante
de cette situation :
« Nos moyens étaient réduits. Pour économiser les frais d’hôtel
lors du congrès confédéral de Lyon, [...] avec Rosmer et Martinet,
201. AR., VO., 17-IX-1919.
202. C.-R. du congrès de la CGT... à Lyon, p. 114.
203. VO., 9-VII-1919, « Entre Nous ». Tous les chiffres de tirage sont
régulièrement donnés, dans la rubrique a. Entre Nous ».
204. AR. à Monatte, 14-XII-1919.
205. AN. F7. 13 090. Note du 24-VIII-1920.
172 alfred rosmer

nous avions demandé l’hospitalité à ce brave Lac 20°, un camarade


cordonnier de Montchat qui vivait seul dans son échoppe ; il éten­
dait par terre, pour nous, trois de ses matelas. Il nous arrivait sou­
vent d'arriver au congrès la séance commencée, comme le matin
où l’on me dit à l’entrée : « Dépêche-toi, c’est à ton tour de par­
ler 207. »
D ’autre part, la tactique des majoritaires est habile. Outre le chan­
tage à la scission qui, d’après Rosmer, est sans objet puisque la
C G T d’avant-guerre se portait très bien, malgré l’affrontement des
tendances, mais qui fait toujours son effet, il y a l’habileté de Jou­
haux. L e vote sur le rapport moral lui a été favorable, il a eu
1 393 voix contre 588 et 42 abstentions. Mais il se reiïd bien compte
que la minorité, déjà importante, marque des points au fil des m
séances. Une seule solution : tenir le plus gra.uu compte possible
des critiques et en intégrer une partie à sa résolution. C ’est ce qu’il
fait et, quand il présente sa résolution, Rosmer avoue : « Nous n’en
croyons pas nos oreilles ». L e résultat, c’est que certains minoritaires
votent la résolution Jouhaux qui obtient I 600 voix contre 321 et
43 abstentions 20\ Plus tard, Rosmer mentionnera aussi une erreur
tactique de la minorité : elle n’a pas demandé l’examen détaillé
du rapport financier qui aurait démontré l’échec de la direction 2<>V
Rosmer, sans doute déçu, n’en laisse rien paraître. L e congrès,
dit-il, est meilleur que le précédent. L e suivant sera meilleur encore
si la minorité ne tombe pas dans les pièges de Jouhaux et si lé
« bloc minoritaire » sait rester uni tout au long du congrès 21°. Le
combat continue dans la CG T. t:l

Il continue aussi pour l’adhésion à la 3e Internationale. Depuis


mai 1919, le C R R I s’est profondément modifié. Son groupe de ■
Tours a décidé de devenir « Groupe de Tours pour l’adhésion à la
I I I e Internationale » . L e 2 mai, l’assemblée générale du C R R I décide •
:f •
de changer elle aussi de nom. L e Comité pour la I I I e est né. Bien­ M :
tôt, Saumoneau et Péricat se retirent. La première pour lutter tout,
M' entière dans le PS, le second pour fonder son éphémère PC. "ütM
H I’ Monatte et Vergeat les rem placent211. En fin d’année, on décide' âm-:
d’envoyer un délégué à Moscou. Monatte n’aime guère les voyages^
On imagine aisément que Rosmer est tout prêt à partir. Sa connais^
sance des langues, son amitié pour Trotsky, son habitude des ques­
tions internationales font le reste : c’est lui qui part pour Moscou.
J:
kl’;
206. Ernest Lac, né en 1S83, vient de l’anarchie. D’abord installé
comme cordonnier en Seine-et-Mame, il devient gérant de la Guerre
8 Sociale en 1911 (AN. F7. 13 053). Les hasards de la démobilisation l’ont
fixé à Montchat.
207. Archives Monatte, Martinet et le mouvement révolutionnaire.
208. AR., VO., 24-IX-1919.
209. MO., I 420-421. >■;
210. AR., VO., art. cit.
211. VO., 13-VHI-1919.
Dans la Troisième Internationale
La coupure du début de 1920, valable — et seule possible —
sur le plan biographique, n’a guère de sens, nous l'avons dit, dans
le domaine de l’histoire générale. Isa grande vague révolutionnaire
débute en janvier-février 1917, culmine en novembre 1918, se pour­
suit tout au long de l’année 1919. En 1920-21, la bourgeoisie est
partout passée à la contre-offensive. Contre-offensive qui est dans
l’ensemble victorieuse. Les bolcheviks en tirent les conséquences :
conséquences russes avec l'élimination des « enragés » de Cronstadt
en mars 1921 et avec la N E P ; conséquences internationales avec
le slogan de conquête des masses, mieux adapté à une lutte plus
longue que celui de l’assaut révolutionnaire immédiat.
Mais, de cette évolution, Rosmer n’est pas conscient. Il arrive
à Moscou en début d’année, y vit dans l’atmosphère exaltée des
milieux révolutionnaires internationaux, n’a pas l’expérience directe
du reflux révolutionnaire en Occident et, s'il sent le malaise des
années 1921-22, tout au plus y voit-iï une pause de courte durée.
Les fameux « silences » que lui reprocheront certains de ses amis
n’ont pas d’autre explication. Placé au cœur de la révolution mon­
diale, il voit mal la réalité de la contre-offensive bourgeoise. C ’est
à son arrivée à Paris qu’il se rendra compte immédiatement du
changement d’atmosphère. 11 lui faudra un an de luttes de tendances
très dures pour faire admettre — et imparfaitement — ses vues.
A peine ses amis et lui seront-ils parvenus à des postes qui leur
permettent d’agir efficacement sur le P C F qu’ils seront balayés par
ceux de leurs camarades qui s’appuient sur la troïka de Moscou.
1

Premiers contacts à Moscou

Entre 1920 et 1924, Rosmer se rend très souvent à Moscou.


Il y fait un long séjour de 15 mois entre juin 1920 et octobre
1921, puis y retourne pour les Congrès ou pour les Plénums
(Comités Exécutifs Elargis) de 1TC. Entre 1920 et 1924, il n’y a
pas d'année où il n’ait fait une ou plusieurs fois le voyage de
Moscou. Par exemple en 1922, il s’y trouve en février et revient
en novembre-décembre pour le 4* congrès de TIC.
Il suit les évolutions intérieures du régime bolchevik tout en
jouant un rôle important dans les organismes communistes inter­
nationaux. Il assiste aux congrès de l’IC, se rend à Bakou au
Congrès des Peuples de l’Orient. I l participe aussi aux réunions
de Berlin (avril 1922) et de Hambourg (1923) qui, dans le domaine
des relations internationales, présentent un caractère original : ces
conférences internationales, organisées tout comme des rencontres
diplomatiques entre états, mettent en présence les tendances orga­
nisées du prolétariat international. Rosmer, enfin, est l’un des fon­
dateurs de lTntemationale Syndicale Rouge et participe à ses pre­
miers congrès.
Du point de vue psychologique, les voyages de Moscou ont
sur lui une énorme importance. Dans cette atmosphère volontaire
et optimiste, il prend une assurance qui contraste avec son attitude
antérieure volontiers effacée. Elle frappe tous ceux qu’il rencontre
entre deux voyages. En janvier 1922, il rend visite à Romain Rolland
qui écrit :
« Malgré les fatigues et les maladies endurées (et sa santé débile),
il me paraît plus fort, plus coloré. Il est aussi très maître de lui,
176 alfred rosmer

très calme, et s’exprime avec intelligence, modération, scrupule


d’exactitude, parfaite simplicité. Il donne une impression de grande
sûreté »
En 1920, il fait en clandestin le voyage de Moscou. Il a reçu
le mandat du Comité de la I I P Internationale alors qu’il se repose
à Toulon chez ses amis Martinet. I l est impatient de partir, mais
fait d’abord un saut en Espagne qui vit depuis 1918 son « trienno
bolchevista ». I l va en Catalogne, pour pouvoir prendre une connais­
sance directe de la situation. Rentré à Paris, il repart pour un long
périple qui le mène tout d’abord à Milan puis à Vienne. Là il
apprend que ses camarades restés en France ont été emprisonnés
— c'est l’affaire du « complot » , montée de toutes pièces par là
police pour pouvoir écarter d<= l'action, en Tin moment crucial, les
militants révolutionnaires les plus en vue. Il veut rentrer, mais
ses amis lui demandent de continuer 2. Il passe alors à Prague, à
Berlin où il piétine, à Stettin. I l s’embarque enfin jusqu’à Reval
(Tallinn), arrive à Narva, puis en Russie soviétique. Cet itinéraire
compliqué lui a permis de traverser une Europe en pleine ébullition
el de faire une ample moisson d’informations. I l a vu quantité de
pays, rencontré quantité de militants, dont Eugène Varga 3, Nettlau
à Vienne 4, Malatesta à Milan, Clara Zetkin * et Chliapnikov à Ber­
lin, etc. En chemin, il a appris que 1TC allait tenir son 2° congrès.
Après le congrès de « proclamation » de 1919, elle va tenir, pense-
t-il, son premier véritable congrès, il se félicite de pouvoir y parti­
ciper \

Notre première impression fut que Rosmer, faisant route vers


le pays de la révolution victorieuse, avait le sentiment d’une cou­
pure dans sa vie et, du point de vue doctrinal, d un énorme sacri­
fice, justifié et compensé par les immenses perspectives d'action.
La réflexion nous a persuadé du contraire. Il n’est pas certain que
le bolchevisme de 1920 ait été une doctrine rigide, une organi-

1. Archives Romain Rolland, Cahier 32, p. 73.


2. VO., 28-X-192L Après 15 mois de séjour en Russie, Rosmer rentre
et nous donne ses premières impressions.
3. Eugène Varga (1879-1964) militant hongrois, participe à la révolution
de 1919 et s'exile à la défaite. Il est le spécialiste de 1TC poux les questions
économiques et rapporte notamment sur ces sujets dans les congrès mon­
diaux.
4. Max Nettlau (1865-1944) devient anarchiste vers 1888 sous l’influence
de Kropotîdne. Homme de cabinet, il se consacre à l’histoire du mouve­
ment libertaire, écrivant notamment une biographie de Bakounine.
5. Clara Zetkin (1857-1933) était à l’aile gauche du PS Allemand. Mino­
ritaire de guerre, elle est membre du groupé Die Internationale. Elle est
l'une des dirigeantes du PC Allemand et s'oppose à Ruth Fischer et Mas-
low. Après 1924, elle vit en Russie où elle meurt.
6. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
premiers contacts à moscou 177

sation close, exigeant des nouveaux venus une véritable conversion


et une rupture de continuité mentale. On peut d’ailleurs douter
qu’une pareille rupture soit possible. Surtout, il est tout à fait
hasardeux d’affirmer que les militants étrangers qui allaient au
communisme aient senti la nécessité d’un tel saut doctrinal. Une
foule de militants venus d’horizons divers rallient alors TIC. D e la
social-démocratie viennent Cachin et Serrati, Victor Serge vient de
I’anarchisme, Mann, Rosmer, Monatte du syndicalisme révolution­
naire. Ce n’est pas une conversion qu’ils font mais un effort de syn­
crétisme, imités en cela par ceux des militants russes qui suivent le
même itinéraireT. C'est ainsi qu’il faut interpréter la boutade de
Rappoport8 : << le bolchevisme, c’est le blanquisme à la sauce
tartare » et la réponse de Monatte aux questions du procureur
général, lors de l’instruction de l’affaire du complot : « la pensée
de notre groupement est un alliage de syndicalisme et de bolche­
visme * ». Tom Mann le dit de son côté :
« Mon sentiment, c’est que le bolchevisme est notre mouvement,
le spartakisme est également notre mouvement et le syndicalisme
est aussi notre mouvement. Chacun d’eux étant virtuellement le
même, qui cherche à le détruire est notre ennem il0. »
Rosmer, pas plus que les autres, n’a l’impression d’une coupure.
Son expérience de guerre lui a permis de prendre un premier
contact avec les doctrines bolcheviques et il est assez averti pour
bien voir qu’elles ne sont pas exactement celles des syndicalistes.
Mais ces querelles de doctrine pèsent peu dans la balance : il y a
en Russie une révolution et des révolutionnaires, il faut être près
d’eux ; quitte à défendre, près d’eux, ses propres conceptions.
LTC , d’ailleurs, ne regroupe pas des bolcheviks, elle regroupe
des révolutionnaires. Tout naturellement Rosmer, comme beaucoup
d’autres, s’y rallie parce qu’elle incarne le mouvement et la vic­
toire On ne peut nier la profondeur de l’élan sentimental, mais
on ne peut pas non plus minimiser l’évolution des conceptions
de Rosmer au contact des réalités politiques. D e l’élan sentimental,
il témoigne lui-même par l’impatience dont il fait preuve tout au
long du voyage, par l’exaltation qu’il décrit, par l’oubli des vieilles
querelles :

7. Archives Monatte, Lettres de Russie, 1925-1928.


8. Charles Rappoport (1865-1939), né à Vilna d’une famille israélite
russe, tôt venu au socialisme, doit s’exiler car il est compromis dans une
affaire d’attentat contre le tsar. Installé à Paris, naturalisé français, il
adhère au PS en 1899. Minoritaire de guerre, membre du PC dès 1920,
correspondant à Paris des Izvestia, il quitte le Parti en 1938 après l’exé­
cution de Boukharine.
9. Archives Monatte, Dossier du complot.
10. VO., 30-IV-1919.
11. P. Naville et P. Pascal, témoignages oraux.

12
178 alfred rosmer

« [...] Entre ceux qui répondaient à l’appel de Moscou, une cer­


taine sympathie s'établissait spontanément, les antagonismes anciens
s’atténuaientl2. »
A l'arrivée en URSS,
« Nous sautâmes tous vivement du train et courûmes à travers
les voies vers le bâtiment de la gare. Nous formions maintenant
un petit groupe, car des délégués que nous n’avions pas encore
vus surgirent tout à coup ; la joie que nous éprouvions exaltait les
plus placides ; elle trouva son expression dans une accolade géné­
rale [...] 13. »
A Pétrograd, son premier geste est de faire le pèlerinage des hauts
lieux révolutionnaires 14. Sa vie fut à jamais éblouie par ce contact :
« Pour les révolutionnaires de ma génération qui ont répondu
à l'appel de la révolution d ’octobre, ces années ont laissé en eux
une empreinte profonde. Nous avons touché alors le plus haut de
nos buts ; la foi internationaliste que nous avions gardée intacte
durant l’entre-massacre des prolétaires trouva sa récompense quand
surgit la nouvelle internationale ; les honteuses abdications de 1914
étaient vengées ; la République Soviétique annonçait la société socia­
liste, la libération de l'homme. D e telles époques s’inscrivent dans
la mémoire pour n’en plus sortir 15. »
Parallèlement sa pensée évolue pour tenir compte de l'expé­
rience JB. Cette expérience, c'est l’effondrement du syndicalisme
devant la guerre, la révolution nasse, les actes du gouvernement
soviétique surtout. Car Lénine ne se contente pas de parler, il
agit d'une façon à laquelle « les révolutionnaires situés hors du
marxisme orthodoxe n’étaient pas habitués ». Les Russes ont révisé
leur position par rapport à la I I e Internationale quand celle-ci s'est
effondrée dans l’Union Sacrée, le défensisme et le bellicisme. Pour­
quoi Rosmer ne repenserait-il pas les voies et les moyens de la
révolution ?
Sur nombre de points d’ailleurs, aucune révision n’est à effectuer
car l’accord existe depuis longtemps. Lénine lutte contre l'oppor­
tunisme centriste et le social-chauvinisme, Rosmer ne fait rien
d’autre depuis 1909. Lénine lutte contre le gauchisme. Peu après
l’arrivée de Rosmer à Moscou paraît son livre, L e communisme
de gauche, maladie infantile du communisme qui dénonce comme
des enfantillages — et non comme des étapes historiquement néces­
saires mais dépassées — l'antiparlementarisme, le dédain pour le

12. Moscou, 39.


13. Ibid., 54.
14. Ibid., 58.
15. Ibid., 23.
10. Moscou, 72-74.
premiers contacts à moscou 179

rôle des chefs dans un parti de masses, la volonté de créer partout


des organisations nouvelles et l’abandon des syndicats existants
pour des assemblées ouvrières de masse. Rosmer qui se souvient
des gauchistes du syndicalisme-révolutionnaire d’avant 1914 n’a
aucune peine à approuver17. Sur tout cela il n’a rien à changer
dans son appréciation des hommes et des choses. Parmi les inter­
nationalistes de Moscou, dans les partis européens qu’il a appro­
chés durant son voyage, il a rencontré de vieux adversaires oppor­
tunistes ou réformistes qui se sont infiltrés en suivant le courant,
mais aussi de vieux adversaires gauchistes. A droite, ce sont les
réformistes syndicaux, tel D ’Aragona, député et secrétaire général
de la C G T italienne, mais surtout les politiciens sociaux-démocrates.
En Allemagne, Paul L év i vient d’exclure à Heidelberg ceux des
membres du Parti Socialiste Allemand qui sont contre l’action parle­
mentaire et pour l'abandon des syndicats réformistes. Manoeuvre
de social-démocrate pense Rosmer, Lévi se débarrasse d’une gauche
gênante. Il a rencontré L év i à Berlin et celui-ci lui a fait très
mauvaise impression, il Ta trouvé sombre et geignard et pense
que ses origines et son genre de vie ne lui permettent pas de
diriger un parti révolutionnaire 18. A Moscou, il y a Radek dont
tous les actes montrent qu’il reste imprégné par la social-démocratie
allemande I0. Du côté français il y a Cachin et Frossard. A Berlin
Chliapnikov lui annonce que Cachin et Frossard font route vers
Moscou : « ce n'était pas pour moi une compensation à mon attente
ni un motif de réjouissance 20 ». Ce sont en effet ses deux bêtes noi­
res. Frossard lui paraît être « une médiocre imitation de Briand 21 ».

17. Ibid., 75 et 81.


18. Moscou, 48. Paul Levi (1883-1930), fils de banquier israélite a été
zimmerwaldien puis spartakiste. En 1921 il sera exclu du PC allemand
pour avoir critiqué le putschisme. Il revient alors, par étapes, vers la
gauche de la social-démocratie, publie Der Klassenkampf et sera élu
député en 1924.
19. Karl Sobelsohn (dit Radek, né en 1885) milite alternativement dans
les PS allemand, polonais et russe. Ayant quitté la Russie après l’échec
de la révolution de 1905, il se place à l'extrême-gauche du Parti Alle­
mand. Ses adversaires de tendance profitent d’une affaire financière mal
éclaircie pour l'accuser de vol (d’où son pseudonyme : Le Voleur) et
prennent contre lui des sanctions disciplinaires. Proche des bolcheviks en
Suisse, zimmerwaldien de gauche, Radek rentre en Russie après octobre
et occupe immédiatement des postes dirigeants. En 1918, il est envoyé
en mission en Allemagne. Il y est emprisonné un an, après l’échec des
spartakistes. Membre du Comité Central du PC URSS et du Comité Exé­
cutif du Komintem, il entre dans l’opposition. Exclu en 1927, il est réin­
tégré en 1930. Il disparaît en 1937, après avoir été condamné au procès
de Moscou.
20. Moscou 51.
21. L.-O. Frossard (1889-1946), instituteur et membre de la minorité
longuettiste, est secrétaire-général du PS depuis octobre 1918. Après son
voyage à Moscou, il dirige le centre du Parti, favorable à l’adhésion à
180 alfred rosmer

Cachin incarne tous les défauts de la social-démocratie française :


homme sans caractère, ultra-chauvin de guerre, intermédiaire du
gouvernement français auprès de Mussolini. Il a la larme facile :
à Strasbourg en 1918, il pleure quand Poincaré célèbre le retour
de l’Alsace à la France. II continue à suivre le courant et
« [ . . . ] Se donnait maintenant comme bolchevisant, bien qu’il eût,
dans ses articles, condamné l’insurrection d’octobre et, au fond,
détestât les bolcheviks 32 ».
Bref, il ne croit ni à la sincérité de l’un, ni à celle de l’autre.
A Milan, il a vu Serrati et Bordiga. Serrati (1874r1926) qui
a été un zimmerwaldien de gauche actif est alors directeur de
YA van ti23 ; Amedeo Bordiga dirige dans le PS Italien la fraction
gauchiste abstentionniste et édite un journal II Soviet 2\ Ils doivent
eux aussi partir pour Moscou, mais ils refusent de prendre ce
clandestin qui leur reproche de voyager très officiellement, « comme
des clients de Thos. C o o k 2S ». Ils arrivent d’ailleurs à Moscou
peu après lui avec un équipage qui en dit long sur leur ardeur
révolutionnaire : un train de victuailles contre la disette, des combi­
naisons fermées aux poignets et aux chevilles contre le typhus 26.
L e « vieil opportuniste » Bohumir Sméral dirige le P C tchéco­
slovaque et demande son admission à TIC. Sméral (1870-1941) milite
depuis qu’il a 16 ans dans le PS Tchécoslovaque dont il dirigea
l’organe central (Pràvo Lid u, L e Droit du Peuple). En 1907 il accède
à la direction du Parti et est élu député dès 1911. Pendant la
guerre, il a été majoritaire et ne s’est orienté vers la gauche qu’en
1917. Une fraction du Parti admettait le programme Masaryk d’une
bourgeoisie indépendante, tandis qu’il désire une fédération balka­
nique socialiste. C ’est ce qui lui a fait perdre ses responsabilités
à la direction et ce qui lui permet de faire figure de leader de la
gauche. Mais Rosmer n’a guère confiance en lui 27.

riC . Il est le premier secrétaire général du PCF. Exclu en 1923, il


retourne à la SFÏO après une courte « résistance ». Il s’y classe à droite,
tout près des Néos. En 1935, il quitte la SFIO pour devenir Ministre du
Travail. Il sera ministre du Front Populaire et du premier gouvernement
Pétain.
22. Moscou 61. L e Breton Cachin (1869-1958),. professeur de philo­
sophie, militant guesdiste en 1891, conseiller municipal de Bordeaux
entre 1900 et 1904, délégué à la propagande du PS, est député en 1914.
Majoritaire de guerre, il fait un premier voyage russe en 1917 pour ten­
ter de retenir les Russes dans la coalition antiallemande. De son second
voyage, il rentre persuadé qu’il faut adhérer à l’IC. Il est à droite puis
au centre du PCF et reste jusqu’à sa mort l’un des dirigeants du Parti.
23. Il ne tardera pas à se faire exclure du Komintem.
24. Exclu de I'IC, il fondera un groupe d’opposition de gauche sans
se fondre avec les trotslcystes.
25. Moscou, 40.
26. Moscou, 62.
27. Sméral est à Moscou en 1920. Il adhère à I’IC et devient, au IV e
premiers contacts à moscou 181

Ceux des Bulgares qui se disent bolcheviks sont simplement des


« étroits ». Rosmer les rencontre au passage et note leur aspect
extérieur de notaires ou de commerçants cossus.
Tous ces politiciens sociaux-démocrates ne sont pas, il y insiste,
un danger imaginaire. Radek, Lévi et Serrati manoeuvrent pour
éliminer les petits groupes anarchistes et syndicalistes-révolution-
naires, contestent leurs mandats et soutiennent les sociaux-démocrates.
Guilbeaux nous confirme d’ailleurs le témoignage de Rosmer en
affirmant 26 que Radek fait de la propagande pour le tandem Cachin-
Frossard et pour les indépendants allemands.
A gauche, Rosmer condamne les mêmes hommes que Lénine :
les partisans des partis gauchistes qui ne sont que des sectes, les
partisans des scissions syndicales. Dans le premier groupe il classe
le Parti Communiste des Travailleurs Allemands (K A P D ), le groupe
viennois du Kommunismus, le PC de Péricat, le groupe hollandais
de Gorter. Celui-ci (1864-1927) a milité 12 ans dans le PS Hollan­
dais, a fondé D e Tribune en 1907 et s’est fait exclure avec tous
ses partisans, les tribunistes, en 1910. Il fonde alors un petit groupe
radical et zimmerwaldien qui demande son adhésion à TIC. Avec
Pannekoek, Gorter est l’un des théoriciens du gauchisme en 1920 20.
Dans le second, il place la Fédération des Soviets qui se constitue
en France ; la Confédération Nationale du Travail (C N T ) en Espagne
de tendance anarcho-syndicaliste, qu’il a vue à l’osuvre et sur
laquelle il porte un jugement sévère ; l’Unione Sindicale Italiana,
union syndicaliste-révolutionnaire dirigée par Armando Borghi. Bor-
ghi a d’ailleurs fondé cette USI. Camarade de lutte de Malatesta,
il a défendu à fond la cause de la révolution russe, il s’éloignera
peu à peu des bolcheviks auxquels il reproche leur « antisyndi­
calisme ».
Il y a donc des indésirables dans 1TC, par contre, certains de
ses vieux amis restent en dehors alors qu’il aimerait les voir se
rallier. Il s’agit essentiellement des syndicalistes hostiles à la notion
de parti et des anarchistes. En ce qui concerne les syndicalistes,
il partage l’espoir de Lénine et de Trotsky : ils se décideront.
Parmi les anarchistes, il se préoccupe avant tout de Malatesta.
Il lui a rendu visite en passant en Italie mais l’a trouvé médio­
crement disposé à l’égard de I’IC. Malatesta ne se sent guère
attiré par une organisation où il voit se ruer ses adversaires de
toujours, les gens du PSI et de la C G TI.

congrès mondial, membre de son exécutif. Secrétaire de l’Exécutif en


1928, il vit à Moscou à l’exception de missions extérieures (Mongolie en
28, Amsterdam pour le mouvement Amsterdam-Pleyel en 32) et de
voyages en Tchécoslovaquie. En 1936, le PC Tchécoslovaque est inter­
dit et il s’installe définitivement en URSS.
28. Du Kremlin au Cherche-Midi, p. 241.
29. En 1921, il quitte le PC hollandais poux fonder un Parti Travail­
liste de Hollande.
182 alfred rosmer

En ce qui concerne la composition idéale de TIC, il y a donc


accord à peu près complet entre Rosmer et les bolcheviks. Il n’est
pas nécessaire d’être bolchevik pour en faire partie, la seule condi­
tion impérative d’adhésion, c’est d’être un vrai révolutionnaire. II
y a aussi accord, pense-t-il, en ce qui concerne le dépérissement
inéluctable de l’Etat. Les passages de L ’Etat et la révolution qu’il
a retenus le persuadent que les bolcheviks sont eux aussi partisans
du dépérissement de l’Etat :
« Cet Etat prolétaire commence à dépéi'ir dès le lendemain
de sa victoire, l’Etat étant inutile et impossible dans une société
d’où tous les antagonismes de classe son exclus... L e prolétariat
n’a besoin de l’Etat que pour un temps. Nous ne nous séparons
nullement des anarchistes sur la suppression de l’Etat comme
but [...] 30. »
Sur deux points il révise fondamentalement ses positions pour
s’aligner sur celles des bolcheviks : la dictature du prolétariat et
la nécessité du Parti. Dans L ’Etat et la révolution, Lénine conti­
nuait :
« [...] Nous affirmons que pour atteindre ce but, il est nécessaire
d’utiliser provisoirement les instruments, les moyens et les pro­
cédés du pouvoir de l’Etat contre les exploiteurs, de même que la
dictature provisoire de la classe opprimée est nécessaire pour suppri­
mer les classes 31. »
L e silence de Rosmer sur cette question prouve qu’il accepte
implicitement une dictature du prolétariat limitée dans le temps
et se fixant uniquement des objectifs d’intérêt prolétarien. D ’ailleurs,
il prend bientôt expressément parti pour la dictature du prolé­
tariat : elle est, d it-il32, le seul moyen pour défendre la révolution
politique.
Il l’admet même dans ses développements violents. Notons
d’ailleurs que la guerre civile n’est pas entièrement finie lorsqu’il
arrive à Moscou 33. A l’automne, les hommes de Dénikine, appuyés
par W rangel sont devenus dangereux. Rosmer accompagne Trotsky
dans ce qui sera la dernière campagne du train blindé. Campagne
courte, de quelques jours, autour du 27 octobre 1920 a*. Trotsky
a adapté à son usage les wagons qu’occupait l’ancien ministre
tsariste des chemins de fer. Du salon, il a fait un bureau-biblio­
thèque où Rosmer a la surprise de trouver une traduction des
Etudes Marxistes du théoricien Labriola et le Vers et prose de
Mallarmé. Dans les autres wagons une salle de bains, des divans
où l’on dort, les bureaux des secrétaires, une imprimerie d’où

30. L é n i n e , Œuvres choisies, éd. de Moscou, II, 213 e t 246.


31. Ibid., p. 246.
32. C. R. du C I des SR..., p. 17.
33. Moscou, 157 et suiv.
34. Sur le train, voir Léon T r o t s k y , Ma Vie, pp. 418-429.
premiers contacts à vroscou 183

sort V. Pouti (En Route), quotidien avec un éditorial, des commen­


taires sur les événements, les dernières nouvelles. Il y a aussi une
salle de jeux, un restaurant, des wagons de vivres et de réserves,
une ambulance, deux autos, de puissantes installations radio qui
permettent de garder le contact avec Moscou et de capter les radios
étrangères. Rosmer n'assiste pas à des combats mais fait une
tournée sur l’arrière du front avec Trotsky et peut assister à une
discussion entre un « commandant x-ouge » et son chef d’état-major.
Ayant ainsi une expérience directe de la guerre civile, il approuve
sans réserves la réponse de Trotsky à Kautsky qui paraît à Moscou
au moment où il arrive en Russie : Terrorisme et communisme.
C ’est la résistance de l’ennemi de classe qui oblige les révolu­
tionnaires à employer des moyens de coercition, à aller jusqu'à la
« terreur gouvernementale ». En 1920 comme en 1789, ce sont les
circonstances qui les justifient35.
Rosmer sera plus longtemps réticent devant l’idée de Parti. Le
syndicalisme-révolutionnaire se voulait indépendant des partis et
Rosmer butte devant la conception bolchevique de la nécessité du
Parti. Ce n’est guère qu'au 2e congrès de 1TC, après son arrivée
à Moscou, qu'il se laissera convaincre. Il admet alors qu'il faut
un Parti et même, conséquence logique — mais pénible — un groupe
parlementaire ,
Sur le plan des méthodes de travail, Rosmer préserve son origi­
nalité. Il aime travailler dans une atmosphère de sympathie, qu'il
trouve à Moscou 30. Il n'est point adversaire des discussions appro­
fondies et même ardentes, au contraire, mais il pense nécessaire
de garder quelque mesure dans la polémique. Il rejette toute tenta­
tive pour condamner indistinctement les adversaires par la pratique
de l’amalgame. Dès son arrivée, il se heurte à Radek en demandant
qu’une condamnation globale des chefs syndicalistes ne soit pas
lancée : il fait remarquer que ni la C N T, ni les IW W n'ont eu
de responsabilités dans l'effondrement de 1914-1918 37. Il reproche
à Zinoviev son penchant à remplacer l'argumentation par l’injure 35.
Enfin, il y a des procédés polémiques qui lui répugneront toujours.
Au début de 1924, quand une controverse oppose des communistes
italiens résidant à Paris et des anarchistes, les premiers publient
dans L ’Humanité du 3 janvier une information qu'ils savent fausse
sous prétexte qu'il importe peu qu’une nouvelle soit vraie ou fausse
pourvu qu’elle nuise à l'ennemi. Rosmer proteste en faisant remar­
quer
« [...] Que les discussions déloyales nuisent surtout à ceux qui
emploient ces moyens déloyaux 30. »

35. Moscou, 85-86.


36. Moscou, 68.
37. Ibid., 61.
38. Ibid., 120.
39. Archives Mougeot, Jacques à Mougeot, 6-II-1924.
184 alfred rosmer

En tentant de dresser le bilan de ce qu’il connaît des problèmes


russes, nous ne ferons pas œuvre purement anecdotique, mais nous
apporterons, dans un cas précis, des éléments de réponse aux
questions suivantes qui sont d’intérêt général : dans quelle mesure
un communiste étranger peut-il connaître la réalité russe ? Qu’est-ce
qui lui échappe ? Il va sans dire que nous avons utilisé avec une
grande prudence son livre de souvenirs Moscou sous Lénine, et
que nous lui avons préféré, chaque fois que possible, les articles
de Rosmer contemporains des événements décrits.
Fonctionnaire de l’IC et de l’ISR, Rosmer est évidemment quelque
peu prisonnier de sa fonction même et n’a pas la liberté de mou­
vements de journalistes comme R e e d 40 ou Ransome. Il est aussi
quelque peu isolé : il loge dans les hôtels pour étrangers, le Dieluvoï
Rog ou le médiocre Lux. Son indifférence aux problèmes matériels
est extrême et il laisse ces questions à son entourage. L e milieu
des fonctionnaires internationaux est très différent, très éloigné
des milieux populaires et, quand des rencontres fortuites ont heu,
les langages ne se ressemblent guère. D e plus, les réunions se
succèdent sans arrêt. Ainsi, en mai 1922, pendant la première
journée de son séjour, il a trois réunions : le matin et jusqu’à
17 heures une séance du bureau de l’IC consacrée à la question
française, à 18 heures une séance du Comité Central Exécutif
pan-russe des Soviets où l’on parle de la conférence de Gênes,
le soir une assemblée de la section syndicale du Congrès des
Peuples de l’Extrême-Orient. Journée chargée, dit-il, mais pas
exceptionnelle41. Il a cependant, en ce qui concerne la réalité
russe, ses informateurs. Informateurs français : Guilbeaux42 et
Marguerite, sa femme, qui le rejoint en janvier 1922 avec un
train de vivres du Secours Ouvrier Intematio'nal. Informateurs
locaux aussi : un certain M et sa femme, une « rouspéteuse43 » ;
Lazarevitch44 ; Alexandre Shapiro qui dirige le groupe anarchiste

40. John Reed (1887-1920) a organisé un club socialiste à l’Université


d’Harvard tandis qu’il était étudiant. Journaliste, il se spécialise dans les
reportages sur les problèmes sociaux (grèves, révolution mexicaine) et
dans la correspondance de guerre. Acquis au communisme, il fonde The
Revolutionnary Age et The Communistt publie Dix jours qui ébranlèrent
le monde. En 1919, il est appelé en consultation à Moscou pour les pro­
blèmes du communisme US. Il participe au Congrès des Peuples de
l’Orient à Bakou et meurt du typhus au retour.
41. AR., Lutte de classes, 5-V-1922.
42. Henri Guilbeaux (1885-1938) a émigré en Suisse et y est devenu
zimmerwaldien de gauche. En 1919, il est condamné à mort par contu­
mace par un tribunal militaire français. Il vit à Moscou, puis à Berlin
et est correspondant de l’Humanité. Amnistié en 1924, il rentre en
France.
43. Moscou, 123.
44. Lazarevitch. Témoignage oral. Lazarevitch, anarchiste et inquiété
par les bolcheviks, occupe un petit emploi de traducteur à l’Intematio-
premiers contacts à moscou 185

de Golos Trouda (La Voix du Peuple 4S) ; sa secrétaire à 1TSR enfin,


une menchevique polonaise qui n’est guère favorable aux bolche­
viks : « avec elle, je pouvais être sûr de ne rien ignorer de l’envers
du tableau [...] 46 ». D e plus il voyage : en train avec Trotsky ;
vers Bakou, ce qui lui permet de constater que la situation alimen­
taire s’améliore au fur et à mesure qu’on s’éloigne de Moscou.
Enfin, il a des contacts étroits avec les milieux dirigeants. Au total
il fait le plein des informations possibles.
En ce qui concerne le personnel dirigeant, il place tout au
sommet Lénine et Trotsky et constate qu’ils travaillent en relations
étroites :
« Non seulement il n’y a pas ombre de rivalité ou de mésintel­
ligence entre eux, mais ils se comprennent si bien, ayant eu la
ïïiôïîiC formation îïitsîlsctusîls, ^u*i!s ps'jvcr.t d’un mot, sw télé-
phone, prendre d’un commun accord les plus graves décisions 47. »
Rosmer n’avait jamais rencontré Lénine auparavant. Convoqué par
lui au Kremlin, il se demande en chemin quel type d’homme il
va rencontrer et s’avoue qu’il counaît mal Lénine. Il ne sait pas
grand-chose de ses œuvres prérévolutionnaires, n’en a guère retenu
que l’intransigeance sur les principes et les louvoiements tactiques.
La chaleur de l’accueil le lance dans une conversation amicale et
sans façon. Sur un point, les deux hommes n’ont pas le même point
de vue et Lénine admet : « S’il en est ainsi, j’ai dû écrire une
bêtise [...] 48. » Cette simplicité, cette ouverture d’esprit, font la
conquête de Rosmer. Il ne mettra jamais en discussion la personne
de Lénine.
Trotsky est un vieil ami qui l'accueille d’un :
« Eh bien ! Vous ne vous êtes pas pressé de venir ; des révolu­
tionnaires, des journalistes nous arrivaient de partout sauf de
France 4fl. »
Rosmer pour se faire pardonner est condamné à aller passer
quelques jours en famille, chez les Trotsky. Outre les qualités qu’il
a déjà pu apprécier en France, Rosmer découvre à Moscou un
homme d’une merveilleuse efficacité ; dans le laisser-aller général,
Trotsky est le seul capable d’organiser correctement les choses et,
pour les questions importantes, c’est à lui qu’on s’adresse40.
Quand Romain Rolland lui demande si Lénine et Trotsky ont
songé à préparer leur succession, Rosmer répond sans hésitation

nale paysanne. Arrêté puis relâché, il vient s’installer en France et en


Belgique et y écrit des ouvrages sur son expérience russe.
45. Moscou, 141.
46. Moscou, 185.
47. Archives Romain Rolland, loc. cit.
48. Moscou, 67 et suiv.
49. Moscou, 64.
50. Moscou, 62.
186 alfred rosmer

que l’un et l’autre n’hésitent pas à s’entourer de « supériorités »


mais que le problème s’est posé différemment pour les deux hom­
mes : Lénine, chef de paiti, n'a eu qu’à puiser dans son Comité
Central, Trotsky doit choisir plus personnellement ses collaborateurs
et il s’en est tiré à merveille Sl. Les rapports deRosmer avec Rade
sont plusfroids. Il le connaît bien car ils sont tous deux membres
de la Commission des Mandats puis de la Commission Syndicale
du 11° congrès de l’IC, enfin du « Petit Bureau » et du Comité
Exécutif de l’IC. Rosmer n’a pas d’amitié pour Radek. Dès le
premier contact, il le trouve beaucoup moins bien informé qu’il
ne l’affirme 52 et ce manque d’information l’empêche de comprendre
le sens de nombre d’interventions. D e plus Radek prétend connaître
le français et l’anglais, avoir ainsi un accès direct aux questions.
Mais il se contente d’écorcher les deux langues 5S. Surtout, il a
d’exécrables méthodes de travail. Au « Petit Bureau ■», il est conve­
nable, « [...] comme toujours lorsqu’il se trouvait avec des hommes
qu’il devait considérer comme des égaux54». Ailleurs, il abuse de
son autorité, n’accepte de modifier ses textes que de mauvaise
g râ c e5s, se laisse influencer par des considérations de personnes :
c’est parce qu’il déteste Guilbeaux qu’il manœuvre et, au 2e congrès
de l’IC, le réduit à un mandat consultatifSB. Au total, Rosmer
considère Radek comme un social-démocrate de type autoritaire
infiltré dans l’IC.
Zinoviev a des allures de tribun classique et se livre sur les
délégués à d’innocentes plaisanteries : l’un d’entre eux refuse son
bol de soupe, « faut la manger, dit-il, c’est la discipline 37 ». Il y a
plus grave, Zinoviev s’entoure mal car il craint la concurrence 38 ;
il pousse des comparses et c’est lui qui porte Staline au secrétariat
général du p a rti5Î>.
51. Archives Romain Rolland, loc. cit.
52. Moscou, 61.
53. Moscou, 92.
54. Moscou, 149.
55. Moscou, 61.
56. Moscou, 96. Confirmé par Guilbeaux ; Du Kremlin ait Cherche-
Midi, p. 24.
57. Ibid., 59.
58. Archives Romain Rolland, loc. cit.
59. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky. Grégoire Zinoviev
(1883-1936) socialiste en 1900, émigré en 1902, est bolchevik dès 1903.
Organisateur du Parti dans la région de Saint-Pétersbourg où il gardera
Toujours beaucoup d’influence, il participe à la révolution de 1905.
Ayant dû. quitter la Russie pour Londres, il y est élu, en 1907, membre
du Comité Central. Il passe en Suisse et, pendant la guerre, dirige avec
Lénine la gauche zimmerwaldienne. En 1917, il préférerait la solution
d’un gouvernement de coalition avec les socialistes à l’insurrection.
Outre son poste au Comité Central du PC URSS et la présidence du
Soviet de Pétrograd, il est avant tout président du Comité Exécutif de
l'IC de 1919 à 1926. Après avoir participé à la Troïka antitrotskyste, il
fonde avec Trotsky l'Opposition Unifiée, est exclu avec lui en 1927. Il
sera finalement exécuté après le premier procès de Moscou.
premiers contacts à moscou 187

Les militants de moindre importance sont transfigurés par la


révolution. Lounatcharsky, inférieur à ses responsabilités de com­
missaire, est un modèle de bonne volon téeo. Losovsky, faible et
de piètre envergure quand il était à Paris, a pris de l ’assurance,
de la confiance en soi, des certitudes 01. Tchitcherine est d ’un scru­
pule extrême et veut tout faire par lui-même car il n’a confiance
en personne, même pour porter une lettre C2.
La base du parti est médiocre. A Reval, la secrétaire du consulat
de l'URSS ne s’intéresse pas à l’exposé, par Pestana, des perspectives
révolutionnaires en Espagne. Pendant le voyage, le guide de Rosmer
lui cache la scission du K A P D et la situation alimentaire critique
de l’URSS, ce qui lui laisse une « fâcheuse impression 43 ».
Rosmer connaît la géographie des tendances dans la direction
bolchevique. Non que Trotsky lui ait confié quoi que ce soit. En
effet, Trotsky lui explique longuement les controverses du passé
— telles celles qui ont précédé Brest-Litovsk — mais d’une part,
il n’aborde jamais les questions personnelles, d’autre part, il ne
parle jamais des discussions en cours. Les questions de personnes
semblent lui être totalement étrangères 64 et il ne dit mot de ses
querelles avec Staline du temps de la guerre civile. D e la même
façon, Rosmer ignore tout des discussions qui entourent la marche
de TAim ée Rouge sur Varsovie. Lénine est partisan de l’ofiensive
révolutionnaire, Trotsky y est opposé. Rosmer n’apprendra cette
opposition que beaucoup plus ta rd os. Trotsky accepte cependant
de confirmer les indications données par Guilbeaux : au Bureau
Politique, K am enev80 et Zinoviev sont à droite, Lénine à gauche,
Boukharine à l’extrême-gauche0T. Trotsky ajoute :

60. Ibid. Anatole Lounatcharsky (1873-1933), socialiste à 15 ans, bol­


chevik à 30, émigre en 1906 et passe aux mencheviks. Pendant la guerre,
il collabore à Golos et à Nachê Slovo. En 1917, il se rapproche des bol­
cheviks et participe à la prise du pouvoir. Commissaire à l’éducation, il
commence par protéger les artistes novateurs puis s'adapte aux directives
staliniennes en matière d’art. Relevé de ses fonctions en 1929, il est
nommé ambassadeur en Espagne et meurt en allant rejoindre son poste.
61. Moscou, 88.
62. Archives Romain Rolland, loc. cit. Georges Tchitchérine (1872-
1936) a milité dans les PS allemand, français et anglais, ainsi que chez
les mencheviks. En 1917, il rallie les bolcheviks qui lui confient de
1921 à 1930 le poste de Commissaire aux Affaires Etrangères.
63. Moscou, 42.
64. Moscou, 124.
65. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
66. Kamenev (1883-1936) est beau-frère de Trotsky. En 1917, avec
Zinoviev, il a combattu l'idée d’insurrection et démissionné de ses postes
de direction. Il n’y revient qu’en 1919. Membre de la Troïka, puis de
l’Opposition Unifiée, il est exclu en 1927. Condamné d’abord à 5 puis
10 ans de prison, il est condamné à mort au premier procès de Moscou
et exécuté.
67. Boukharine ( 1888-1938) après une vie errante de bolchevik
188 alfred rosmer

« Boukharine est toujours en avant mais il tourne fréquemment


la tête et regarde derrière lui pour s’assurer que Lénine n’est pas
loin 6S. »
Trotsky confirme qu’il n’appartient à aucune tendance.
Quand on quitte les milieux bolcheviks pour les milieux popu­
laires, c’est la différence de mentalités qui frappe Rosmer. Le
peuple russe reste imprégné par l’héritage de siècles d’obscu­
rantisme tsariste. En quelques mois, son hôtel devient d’une saleté
repoussante, la nonchalance russe provoquant une sorte de retour
à l’O rien t68. Dans une cantine ouvrière des faubourgs, dès qu’on
apprend que ses compagnons et lui sont membres du Comité Exé­
cutif de 1TC, on leur demande s’ils sont juifs. Ce qui prouve l’exis­
tence d’un antisémitisme latent :
« L a révolution avait une rude tâche à accomplir pour libérer
ces frustes cervelles du poison que le tsarisme y avait versé 70. »
En ce qui concerne la politique intérieure de l’état soviétique,
Rosmer assiste tout d’abord aux derniers moments du communisme
de guerre et à ses difficultés. Pour en sortir, Trotsky et l’Opposition
Ouvrière participent à la « discussion syndicale », mais l’affaire de
Cronstadt oblige Lénine à précipiter les choses et à inaugurer la
N EP. En 1922-1923, les incertitudes politiques persistent, la famine
sévit toujours, mais la N E P commence à porter ses fruits.
Dans le train de Trotsky, Rosmer a pu voir le communisme de
guerre à l’œuvre contre les troupes blanches. Il sait qu’il existe
une police politique, la Tchéka. D ’autant que cette Tchéka arrête
sa secrétaire de l’ISR qui a assisté à des réunions clandestines
du Bund, l’association socialiste juive. Elle n’a d’ailleurs subi aucun
mauvais traitement et considère elle-même son arrestation comme
pleinement justifiée7l. Rosmer est absolument muet en ce qui
concerne l’attitude des bolcheviks face aux autres partis politiques,
et nous ignorons donc s’il approuve ou désapprouve l’attitude du
gouvernement à leur égard.
En tous cas, Rosmer ne croit pas, du moins pour 1920, à la
possibilité d’une action autonome de la Tchéka. Pierre Pascal affirme
à cette date que la Tchéka est irréprochable. Il a vu de près le
fonctionnement de ses services à Moscou. L a suppression de la

émigré, est membre du Comité Central depuis 1917 et est l’un des théo­
riciens du Parti. Depuis Brest-Litovsk, il anime son aile gauche. En 1923,
il se fait le défenseur d’une prolongation de la NEP, devenant ainsi le
chef de file de la droite. Il s’allie à Staline contre l’opposition trotskyste
et contre l’Opposition Unifiée. Il est exécuté en 1938, à l’issue du deu­
xième procès de Moscou.
68. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
69. Moscou, 135.
70. Ibid., 137.
71. Moscou, 136 et suiv.
premiers contacts à moscou 189

peine de mort oblige à rassembler les prisonniers dans des camps


de concentration et il a visité le camp installé dans l’ancien monas­
tère Saint-Jean aux environs de Moscou. Ce camp ne lui a paru
ni bien terrible, ni bien sévère : chauffage et nourriture sont corrects,
q u an t au commandant, il est
« [...] A la fois ferme et doux, sévère et bon enfant, avec je ne
sais quoi de souriant et de paternel. Ses pensionnaires le déclarent
eux-mêmes, on dirait qu'il a charge d’âmes T2. »
Sans aller jusqu’à une vision aussi paisible des choses, Rosmer
ne croit pas en' 1920 et il n’a jamais cru que Vergeat, Lepetit
et Lefebvre —- officiellement morts noyés en M er Blanche — aient
été assassinés par elle 73. L a question a été longuement étudiée
dans des ouvrages récents, mais nous en sommes toujours réduits
aux hypothèses 1'“. Nous ne pensons pas qu’il y ait possibilité d’aller
plus loin dans cette voie. En attendant une ouverture — sans doute
lointaine — des archives de la Tchéka — si elles ont été conservées
— le mystère ne peut être percé.
Si Ton peut renouveler cette question, c’est dans une autre direc­
tion : en étudiant comment naît et comment se propage un bruit
antibolchevique. Il semble que le gouvernement français ait saisi
très tôt l’utilisation politique possible de ces trois morts mysté­
rieuses. L e 16 décembre 1920, lors d’une réunion du groupe com­
muniste du 18e arrondissement, l’un des assistants déclare :
€ L a femme de Vergeat a reçu la visite d’un envoyé du Minis­
tère des Affaires Etrangères qui lui a donné à entendre qu’elle
n’avait qu’un mot à dire pour recevoir une pension, elle et ses
enfants. Il ajoute que M 10110 Vergeat a fait cette confidence à son
beau-frère qui s’est demandé quel était le mot à dire. Il suffirait,
suppose-t-il, que Vergeat déclare que son mari a été victime
des bolcheviks 75. »
Tandis que la presse bourgeoise répand la rumeur, la presse commu­
niste s’efforce d’y répondre et c’est dans le cadre de cette polé­
mique de presse que Rosmer est amené à intervenir76. Les trois,
dit-il, étaient venus en URSS pour analyser le fonctionnement des
soviets, étudier le rôle des syndicats dans le système soviétique.
Cette deuxième question était pour eux fondamentale et ils l’étu-
dient à fond en consultant une énorme littérature. Vergeat et Lepetit,
syndicalistes et anarchistes sont l’un entièrement dévoué à la révo­
lution russe, l’autre plus critique mais sympathisant. Lefebvre est

72. En Russie Rouge, p. 30.


73. Archives Rosmer, Monatte à Rosmer, 21-VI-1953.
74. S. Gdîsbubg, Thèse de 3e cycle dactylographiée sur R. Lefebvre
et A. K r i e g e l , A u x origines du communisme français, p. 771 et suiv.
75. APP. Ba/1291. Note du ll-XII-1920.
76. VO., 28-1-1921 et 4-XI-1921.
190 alfred rosmer

tout entier acquis au communisme 17, il est « saisi tout de suite et


emporté par cette grandeur ép iq u e78 » et il suit assidûment les
séances du congrès de l’IC . Lepetit est porté à conclure trop vite,
mais il n’est. pas insensible aux raisonnements :
« Plus d’une fois, au cours de ses lectures, il se cabra devant
un texte, une phrase. II y a entre les communistes russes et les
syndicalistes français de grands points communs ; il y a aussi des
différences qui sont souvent des différences de langage et de voca­
bulaire qui proviennent de formations diverses. Lepetit venait alors
à moi, disant : « Tu as ïu ça ? » Alors une discussion commen­
çait 7S>. »
C’est surtout avec Vergeat que Lepetit discute, toute la nuit par­
fois. C’est donc bien Lepetit qui avait l’attitude la plus réservée
face à la révolution russe. Rosmer s’efforce de faire le point de son
évolution intellectuelle :
« Où en était exactement Lepetit quand il partit d’ici ? Je crois
qu’il aurait eu du mal lui-même à préciser sa position en ce qui
touche les idées et les doctrines, car il est bien sûr qu’il aurait
toujours été avec les travailleurs, jamais du côté de la contre-
révolution. Il avait besoin de réfléchir à tout ce qu’il avait vu et
appris ici 80. »
Finalement, Rosmer conclut :
« [...] Quelque critique qu’ils aient pu faire, je ne crains pas
d’affirmer que jamais ils n’auraient voulu se dégager de la révo­
lution russe et faire figure d’adversaires 81. »
On voit que Rosmer tente de prouver l’innocence de la Tchéka
en affirmant qu’aucun des trois n’était hostile au communisme,
qu’aucun ne pouvait devenir un adversaire du régime des soviets
et qu’il n’y avait donc aucune utilité à les assassiner.
Il y a cependant un groupe politique d’opposition qui intéresse
Rosmer, c’est celui des anarchistes russes ®2. II pense que les anar­
chistes, en Russie comme en France ou en Italie, sont utilisables
par la révolution et qu’il faut éviter de les rejeter dans le camp
des contre-révolutionnaires. Il distingue d’ailleurs entre anarchistes.
S’il n’a aucune sympathie pour les anarchistes-individualistes qui,
derrière Kropotkine, ont été « anarchistes de gouvernement » et

77. Moscou, 132. L'écrivain Raymond Lefebvre (1891-1920) a adhéré


au PS pendant la guerre avec l'intention d’y combattre les majoritaires
d’Union Sacrée. Il a fondé l'ARAC et le mouvement Clarté.
78. VO., 28-1-1921, art. cit.
79. Ibid.
80. VO., 28-1-1921, art. cit.
81. VO., 4-XI-1921, art. cit.
82. Moscou, 140 et suiv.
premiers contacts à moscou 191

ont appuyé Kerenski, il en a pour ceux de Golos Trouda, les anar-


chistes-syndicalistes. Il accepte de demander au Comité Exécutif
de riC la reconnaissance légale du groupe de Golos Trouda. D e­
mande bien accueillie et dont Trotsky se montre satisfait. Mais
les anarchistes eux-mêmes, sous la pression de Kropotkine, rompent
les négociations. Puis, lorsque Kropotkine meurt en février 1921,
c’est Rosmer qui est désigné par 1TC pour parler à son enter­
rement. Il demande un mandat précis, mais on lui laisse carts
blanche : « On vous fait confiance. » Il choisit alors de parler
seulement de la « bonne période » de Kropotkine en un discours
que Victor Serge qualifie de « conciliant » . Il ne semble pas que
TIC ait jamais repris les négociations avec les anarchistes. La Pravda
du 15 février 1921 signale que Rosmer a parlé au nom du Komin-
tem sans donner d’extrait de son discours, la mort de Kropotkine
n’occupe qu’une place secondaire. L ’initiative conciliante de Rosmer
reste une initiative personnelle. Au même moment d’ailleurs, l’anar­
chiste Victor Serge 83 prêche le rapprochement entre anarchistes
et bolcheviks. Pour lui, le bolchevisme est « un mouvement à gauche
du socialisme », comme l’anarchisme et l’accord global est pos­
sible. A condition que les anarchistes admettent en bloc les cinq
points essentiels suivants : nécessité de la dictature du prolétariat,
organisation des soviets et des conseils d’usine, double nécessité
de la terreur et de la guerre révolutionnaires, nécessité d’organi­
sations révolutionnaires puissantes. Serge distingue trois groupes
chez les anarchistes russes : à droite les anarchistes clandestins,
ennemis mortels de la révolution bolchévique qui ont entrepris
contre elle une lutte armée ; un centre qui critique sans proposer
de solutions ; une gauche d’anarchistes-soviétistes qui pense néces­
saire de travailler avec les bolcheviks par souci d'efficacité. Pour
Serge, cette action commune doit durer tant que la révolution est
menacée. Ensuite, avec la stabilisation, reparaîtront les tendances
conservatrices et rétrogrades. C ’est alors que le levain anarchiste
retrouvera son utilité :
« Il faudra [...] des anarchistes pour aller de l’avant, stimuler
la perpétuelle recherche des meilleurs et des plus vaillants, assurer
la défense de l’individu contre certaines collectivités intolérantes ou

83. Victor Kibaltchiche (dit Victor Serge. 1890-1947) est né en Bel­


gique dans une famille d'émigrés russes. Ouvrier imprimeur, il est
condamné à 5 ans de prison pour sa participation à l'affaire Bonnot. Il
passe ensuite en Espagne, milite à la CNT, tente de rejoindre la Russie
en 1917. Détenu en France, il bénéficie en 1919 d’un échange de pri­
sonniers. Il se rallie à l’IC. Il fera partie de l’Opposition Unifiée. Arrêté
d’abord en 1928 puis en 1933, il est libéré en 36 et revient en France. II
reste proche des trotskystes, sans toutefois les rejoindre. Il s’oppose
notamment à Trotsky à propos du POUM et de la proclamation de la
IV e Internationale. Il meurt au Mexique où il s’était réfugié à la déclara­
tion de guerre.
192 alfred rosmer

tyranniques, poursuivre dans les mœurs et dans la pensée l’éternelle


action révolutionnaire génératrice de tout progrès 8*. »
Bientôt, le P C (URSS) sent que la politique du communisme de
guerre ne répond plus à la situation. Il s’agit maintenant de passer
à l’économie de paix. Rosmer est du même avis :
« Il est bien clair que ce communisme de guerre n’était pas le
communisme. L e communisme suppose et exige l’abondance, car
la répartition des produits doit être simple et facile 6S. »
L a « discussion syndicale » s’engage alorsm. Il s’agit de savoir
quelle place doit être faite aux syndicats, quel rôle doit leur être
réservé dans l’effort de réadaptation de l’économie. La droite bolche­
vique, Tomsky (secrétaire de la centrale syndicale87), Kamenev
ri a x 7 C A n f r?-rt c f n •{* t rr*ttr\ T r r v f ’c lr w r lp o T r lp o

contre la centralisation excessive.


« Nous avons, dit-il, planté un immense encrier sur la Place
Rouge, et chacun, pour écrire, doit venir y tremper sa plume. »
Il préconise l’amélioration du travail des syndicats par l’utilisation
systématique des cadres de l’armée que libère la démobilisation.
Il ne s’agit pas de caporaliser les syndicats mais de renforcer leurs
directions. Boukharine, Sapronov 88 se rangent aux côtés de Trotsky.
Ici encore, les silences de Rosmer sont révélateurs : pas un mot
du discours de Trotsky au congrès de septembre, de son projet
d’intégration des syndicats à l’appareil d’Etat en leur confiant, avec
l’organisation de la production, l’amélioration de la productivité,
pas un mot de la défense des intérêts ouvriers. Alors qu’on pouvait
penser que Rosmer se sentirait proche de l’Opposition Ouvrière,
il n’en est rien. Et pourtant les thèmes de TOpposition Ouvrière,
organisée par Kollontaï et Chliapnikov à la fin de 1920 89 ne pou-

84. Les anarchistes et l’expérience russe, p. 46.


85. Humanité, 9-1-23.
86. Moscou, 164 et B r o u é , Le Parti Bolchevique* p. 139 et suiv.
87. Tomsky (1880-1936) est aussi membre du Comité Central (et
du Bureau Politique après 1922) du PC URSS. Depuis 1917, il préside
le conseil panrusse des syndicats, il conservera cette fonction jusqu’en
1923. Il est éliminé comme droitier en même temps que Boukharine et
Rykov. Mis en cause au premier procès de Moscou, il se suicide en août
1936.
88. Sapronov (1887-1941), bolchevik depuis 1912, a d’importantes res­
ponsabilités dans le Parti de la région de Moscou. Membre de l’Opposi­
tion, il est exclu puis déporté en 1928.
89. Chliapnikov, ancien ouvrier métallurgiste tôt rallié aux bolcheviks,
exilé en France en 1908, est rentré en Russie dès 1915 pour organiser le
Parti clandestin. Ses responsabilités de secrétaire du syndicat des métaux
et de Commissaire au Travail l’amènent tout naturellement à animer
l’Opposition Ouvrière qu’il représente au Comité Central de 1922. De
24 à 26, il est à l’ambassade russe à Paris et a des contacts avec les exclus
du PCF. Exclu du PC URSS en 1933, il disparaît en déportation.
premiers contacts à moscou 193

vaieiit lui être indifférents : contrôle de la production, par les


syndicats, égalisation des salaires, distribution gratuite des aliments
et objets de première nécessité aux ouvriers d'usine. Par ailleurs,
s’il y a eu jusque-là une certaine carence des syndicats russes,
Rosmer semble tout disposé à admettre qu’ils n’en sont pas respon­
sables car le Parti, l'armée, les soviets ont pris tous leurs cadres ,0.
pourtant Rosmer mentionne à peine l’Opposition Ouvrière alors
q u ’e l l e est au centre de la « discussion syndicale ». I l note d’un
trait sa « position quasi syndicaliste 91 » et dit de Chliapnikov qu’il
est « quasi syndicaliste quoique membre du Parti et très attaché
au P a rti92 ». En fait, Rosmer connaît mal les militants de l'Oppo­
sition Ouvrière : quand Chliapnikov vient à Paris porteur d’une
lettre de recommandation pour Monatte, la lettre n’est pas de
Rosmer^ elle est d’H erc let33. Ce qui accroît l’embarras de Rosmer,
c'est que cette Opposition Ouvrière qu’il ne connaît pas à fond,
il l’a pourtant condamnée. Au Plénum de février-mars, qui juge
de l’appel de l’Opposition Ouvrière devant l’IC, l’instruction de
l’affaire est confiée à une commission de trois membres : Cachin,
Clara Zetkin, Terracin i94. L a commission unanime propose le rejet
pur et simple de l’appel et Rosmer la suit, ce qui lui vaut une apos­
trophe furieuse de Chliapnikov :
« Vous n’avez pu trouver mieux que cette chiffe [Cachin] pour
nous condamner ? as »
Mais en novembre-décembre de la même année, Rosmer en est
encore à demander à Kollontaï des renseignements sur l’Opposition
Ouvrière. Celle-ci refuse d’ailleurs de lui répoudre : l’Opposition
Ouvrière a été condamnée, l’affaire est classée 96.
Rosmer dit abondamment par contre que la « discussion syndi­
cale » est une discussion sans objet : Lénine a déjà choisi la
N EP 97. Il approuve cette politique ®8. Il était, pense-t-il en effet,
impossible de continuer plus longtemps les réquisitions de grain,
procédé primitif et brutal. I l était grand temps de les remplacer
par l’impôt en nature. Dans le secteur industriel, les soviets avaient
pris directement en charge un secteur immense. L a guerre, le
blocus, l’isolement accumulent les difficultés, d’autant que, depuis

90. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.


91. Moscou, 229.
92. Moscou, 172.
93. Archives Chambeïland, Lettre d’Herclet à Monatte, 10-XI-1924.
94. Militant italien, zimmerwaldien, Terracini, arrêté en pleine - dis­
tribution de tracts a immédiatement été expédié au front. A son retour
en 1919, il participe à la fondation du groupe Ordine Nuovo et rejoint
le PCI dont il est un des dirigeants.
95. Moscou, 208-209.
96. Ibid., 229.
97. Ibid., 172.
98. VO., 28-X-1921, art. cit.

13
194 alfred rosmer

1914, la Russie très largement tributaire de l’Allemagne pour les


machines et les produits manufacturés ne peut plus importer. Le
pouvoir des soviets a donc eu raison de restreindre son domaine
industriel. I l se réserve les usines les mieux outillées, met les
autres à la disposition des entrepreneurs privés et, surtout dans
la région de Moscou, à la disposition de diverses institutions sovié-
tistes. Rosmer montre nettement, mais sans y insister outre mesure,
la liaison entre la N E P et l’affaiblissement de la tension révolu­
tionnaire sur le plan mondial :
« [ . . . ] Il ne s’agit pas de concessions faites au capitalisme, mais
d’adaptation du développement de la révolution russe à l’état du
mouvement ouvrier hors de Russie . s>
Une autre adaptation, violente celle-ci, c’est l’élimination des révol­
tés de Cronstadt. Quand la nouvelle du soulèvement arrive à Moscou,
c’est la consternation 100. Rosmer admet l’explication bolchévique du
soulèvement : la dispersion ou la mort des militants de 1917 a
changé profondément la physionomie de Cronstadt ■.
« L e Cronstadt de 1921 n'était plus le Cronstadt de 1917. »
Il ajoute de son cru que les déficiences d’une administration régio­
nale confiée à Zinoviev n’ont pas arrangé les choses. Quoi qu’il
en soit, les éléments contre-révolutionnaires ont su exploiter la
situation. Leu r mot d’ordre — les soviets sans les bolcheviks —
leur vient des cadets, des sociahstes-révolutionnaires, des mencheviks
et se révèle particulièrement bien adapté. D e plus,
« Mêm e si on admet que le soulèvement fut le fait d’ouvriers
et de marias agissant en pleine indépendance, de leur propre ini­
tiative, sans liaison avec des contre-révolutionnaires, il faut recon­
naître que dès le déclenchement du soulèvement, tous les ennemis
des bolchéviks accoururent... »
Puis les socialistes-révolutionnaires, notamment Tchernov, manœu­
vrent pour empêcher toute solution pacifique. Les révoltés de
Cronstadt prennent des mesures militaires dès le 2 mars. Les bolché­
viks en ordonnant l’attaque le 7 ont fait preuve de patience.
S’il approuve donc la répression par les bolchéviks du soulè­
vement de Cronstadt, Rosmer n’en est pas aveugle pour autant
au mécontentement profond de la classe ouvrière russe.- Il sait101
qu’au début de 1921, l’atmosphère des ateliers est « devenue un
peu sombre » . En tout cas, et contrairement à ce qu’il avait fait
pour la N E P , Rosmer ne lie pas la répression de Cronstadt à
l’évolution défavorable de la conjoncture révolutionnaire sur le plan
mondial.

99. Ibid.
100. Moscou, 167 et suiv. Voir également L. S c h a p i r o , op. cit., p.
246 ainsi que P. Broué, op. cit., p. 149 et suiv.
101. Et dit, mais deux ans plus tard (Humanité, 9-1-1923).
premiers contacts à moscou 195

A l’été, la situation ne s’est guère améliorée :


« [...] La République des soviets, telle qu’elle était au début
de l’été 1921, quand le souvenir de Cronstadt était encore vif,
et à la veille des changements sérieux dans la politique écono­
mique [...] n’offrait certainement pas aux délégués [aux congrès
internationaux de juin 1921] un tableau de nature à dissiper les
doutes et à vaincre les méfiances 10'. »
En octobre, on se demande avec inquiétude si la famine sera
dominée103. La sécheresse avait sérieusement compromis la récolte
de 1920 ; en 1921, à cause de la sécheresse encore, il n’y a pas
eu de récolte du tout ou presque d’autant que, au prix d’un immense
effort, on n’a pu ensemencer que la moitié des surfaces habituelles.
Sauf aide extérieure massive, il faut prévoir des milliers de morts
par famine, scorbut et typhus. I l ne lui semble cependant pas
que les paysans soient plus hostiles qu’auparavant aux soviets car
ils savent bien qu’ils ne sont pas responsables des sécheresses,
car ils les voient qui s’efforcent de leur procurer des semences.
Il n’empêche que 3a situation est critique.
En 1922, les incertitudes politiques persistent, l’atmosphère est
tendue. A vec Trotsky, Rosmer va au Théâtre des Arts de Moscou
et assiste à une représentation de La Fille de Madame Angot.
Quand les artistes chantent :
« Barras est roi et L a Lange est reine,
Ce n’était pas la peine assurément
de changer de gouvernement »,
Trotsky lui souffle :
€ Ce Stanislavski est un malin ; il pense qu’après tout nous
pourrions tom ber et s’assure par avance une justification auprès
des nouveaux maîtres 10*. »
Mais dès février, la N E P commence à porter ses fruits : amélio­
ration de la vie matérielle, passants qui semblent en meilleure
santé, vêtements plus corrects, alimentation meilleure 105. Tout n’est
pas, cependant, pour le mieux dans le meilleur des mondes :
« Ce qu’on voit ne ressemble pas aux descriptions des cités
d5Utopie. C ’est quelque chose de plus âpre et de plus grand ;
c’est l’effort créateur en plein et dur travail. On sent la révolution
in the making, en train de se faire, en mouvement ; à travers
les difficultés multiples et énormes, un monde nouveau se crée ;
il n’a pas surgi et ne surgira pas d’un coup ; il s’édifie par mor­

102. Moscou, 167.


103. VO., 28-X-1921, art cit.
104. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
105. Humanité, 9-1-1923.
196 alfred rosmer

ceaux, au prix des plus hauts sacrifices. Tout cela, chacun le sent
obscurément, même l’ancienne bourgeoisie. Mais on ne le comprend
tout à fait qu’à la condition de se donner, d’abord, pleinement et
sans réserves à la révolution 106. »
Les usines restent handicapées par les destructions de guerre et
le manque de pièces de rechange 107. La famine, accompagnée de
typhus, qui avait repris à l’automne précédent, dure jusqu’à la
soudure. Les articles de Marguerite Rosmer en font de saisissantes
descriptions. Dans la région de la Volga, le tiers des habitants
est mort au 31 décembre 1921, un tiers est en train de mourir.
On abandonne les enfants à la porte des maisons de secours, la
population se déplace à la recherche de vivres et les routes sont
jonchées de morts. On mange les cadavres. En avril 1922, la famine
touche 50 millions d'hommes. En juin,
« [...] C ’est le cauchemar habituel des gares dans les régions
affamées ; le temps est très beau, il fait chaud, mais nous sommes
enfermés dans notre wagon avec les vitres baissées et les portes
bien closes. Malgré cela, nous entendons monter l’étemelle plainte
des petits enfants qui tournent autour du wagon et pleurent leur
faim : « Diadinfca [petit oncle], s’il vous plaît, donnez-nous... »
Certains modulent cela très doucement pendant dix minutes, un
quart d’heure, sans arrêt et se laissent tomber quand ils n’en
peuvent plus ; d’autres concentrent leurs forces et crient très fort
et souvent ; leur petite voix s’exaspère et monte de plus en plus,
vous glaçant jusqu’aux moelles, puis ils s’arrêtent subitement et
partent se coucher n’importe où, quelquefois pour ne plus se rele­
ver Ios... »

Les affamés sont en loques, certaines familles n ont plus rien, ni


récipient, ni timbale. Les petits sucent un morceau de tige de
roseau, suprême ressource. Ils s’arrachent le pain qu’on leur dis­
tribue et s’entretueraient si on ne les séparait. On se nourrit d’un
pain infect, fait d’herbe séchée qui coûte 80 000 roubles la livre.
Tous se précipitent vers les gares dans l’espoir de s’accrocher à
un train et les gares sont encombrées de milliers de ces malheureux
qui meurent en s’endormant. Partout des enfants « [...] accroupis
dans tous les coins comme des singes malades 109 » . Les plus atteints
« [...] Sont impitoyablement sacrifiés, parce qu’avec le peu de
ressources dont on dispose, on doit organiser un secours très métho­
dique et seulement pour ceux qu’on est sûr de sauver. Pour les
autres, on ne peut rien ; il faut fermer ses yeux et boucher ses

106. Lutte de Classes, 5-V-1922.


107. Moscou, 126.
108. Humanité, 11-13-V I-1922.
109. Ibid., 16-VII-1922.
premiers contacts à moscou 197

oreilles pour conserver son équilibre et continuer à travailler de


toutes ses forces 110 ».
L ’aide extérieure est apportée par divers organismes. Marguerite
Rosmer mentionne l’American Relief Administration (en ajoutant
d’ailleurs qu’elle refuse de nourrir les enfants des soldats de l’Armée
Rouge). Elle-même est arrivée avec un train du Secours Ouvrier
International. Les wagons français se sont rassemblés à M etz puis
ont rejoint à Berlin les wagons allemands et anglais. Au total 48
wagons de vivres sont arrivés en deux fois. C’est une équipe inter­
nationale qui les accompagne : deux Françaises, Marguerite Rosmer
et Hélène Brion, une Polonaise, deux Allemandes, deux Hollandaises.
On procède de diverses façons. D ’une part on distribue directement
des repas aux enfants, un repas par jour et par enfant, au total
23 000 puis 35 000 repas par jour. D ’autre part, on donne des
vivres aux syndicats qui se chargent de leur répartition : 14 400
pouds de céréales panifiables à la direction des syndicats des
usines de TcheUabinsk qui s’engage à embaucher 350 ouvriers,
à leur faire construire des maisons pour remplacer les huttes ; 1 000
pouds aux cheminots qui assainissent la gare et réparent les voies ;
2 000 à diverses industries dont les ouvriers n’ont plus même la
force de travailler ; 1 500 aux unions professionnelles de la ville
de Troitsk. Par ailleurs, on aide les hôpitaux, les maisons d’enfants,
on prend en mains la gestion du sovkhov Pinaevo.
Devant une crise de cette ampleur, les inconvénients de la N E P
pèsent de peu de poids, en comparaison des avantages. Certes,
les militants communistes du rang, dès janvier 1922 l i l , sont atteints
par le désarroi et la lassitude. Voyant la Russie s’ouvrir aux capitaux
étrangers, ils font des réflexions désabusées et se demandent à
quoi ont servi tous leurs sacrifices. Rosmer, pour sa part, dit net­
tement :
« La N E P ramène avec elle un peu de la pourriture capitaliste
disparue totalement au temps du communisme de guerre. Mais elle
est une étape nécessaire 112... »
En janvier 1923, il pense que la Russie est sortie de la crise lla.
Du point de vue monétaire, il considère comme; de peu d’impor­
tance les nombres « astronomiques » auxquels atteint le rouble :
en effet, « [...] On peut facilement barrer des zéros ». L e plus
important, c’est la stabilisation progressive du rouble : stable 3 mois
en 1921, il l’est 5 mois en 1922. Les progrès de la petite et moyenne
industrie sont indéniables. Les journées sont de huit heures et cepen­
dant la production d’avant-guerre est à nouveau atteinte, dépassée

110. Humanité, 11-13-VI-1922.


1X1. Archives Romain Rolland, loc. cit.
112. Humanité, 7-XI-1923.
113. Ibid., 9-1-1923.
198 alfred rosmer

dans certains secteurs. L ’atmosphère des ateliers s’est éclaircie, le


moral des travailleurs s’est amélioré. Mais la grande industrie est
plus difficile à remettre en marche. Les Russes, par leur seul effort,
sont arrivés à accumuler un capital de 20 millions de roubles-or.
Les conversations avec les capitalistes étrangers, tel Urquhardtll<,
ne progressent guère car ceux-ci veulent imposer des conditions
draconiennes.
Amélioration des conditions de vie du peuple russe, résistance
aux prétentions des capitalistes étrangers. I l ne fait aucun doute
que Rosmer, au total, approuve la NEP.

Il connaît donc bien les moments de crise que traverse la révo­


lution russe, mais rien de tout cela ne l'ébranle dans ses convic­
tions.
Cette fermeté est à noter, car, autour de lui, tel ou tel évé­
nement ouvre chez certains militants une période d’évolution qui
les éloigne peu à peu du communisme. Nous ne prendrons qu'un
exemple, celui de Pierre Pascal. Pascal, lieutenant de la mission
militaire française en Russie, s’est rallié aux bolcheviks et a publié
toute une série de brochures favorables à l’expérience qu’ils mènent :
en 1920, Les résultats moraux de l’Etat soviétique, en 1921, En
Russie Rouge. Il recommence son évolution quand l’Opposition
Ouvrière est condamnée. Il en approuvait les thèses alors que celles
de Trotsky lui paraissaient relever de la coercition et des méthodes
administratives autoritaires. Puis ses inquiétudes s’aggravent. Cron­
stadt lui paraît exprimer la profondeur du mécontentement popu­
laire. Quand vient la répression de Cronstadt et surtout la NEP,
c’est de retour pur et simple au capitalisme que Pascal se met à
parler. Déçu par l’évolution politique de l’URSS, il se détache peu
à peu de la vie militante et se réfugie dans la recherche historique
tout en conservant jusqu’en 1933 un modeste emploi au Commis­
sariat des affaires étrangères.
En ce qui concerne l’inébranlable Rosmer, nous pouvons affir­
mer, après avoir ainsi fait le bilan de ses connaissances et de ses
prises de position sur la réalité russe que, s’il a la foi, ce n’est
pas celle du charbonnier. II considère que les bolcheviks agissent
au mieux des circonstances.

114- Ancien président de la Russo-Asiatic Co qui avait des intérêts


miniers en Russie d'Europe et en Sibérie, Urquhardt a résidé 25 ans en
Russie. Quand, en 1921, l’URSS cherche à emprunter à l’étranger, il
contacte Krassine qui est chef de la délégation commerciale russe à
Londres. Avec l'appui officieux du gouvernement anglais il se rend à
Moscou pour des conversations préliminaires qui d’ailleurs échouent en
1921 et 1922.
2

Les Internationales rouges

Encore ces problèmes intérieurs ne sont-ils pas l’essentiel pour


lui. Son activité principale s'exerce au sein des Internationales.
Quand il arrive à Moscou pour participer au I I 0 congrès de
l’IC, il trouve d’autres Français. Les uns forment le groupe fran­
çais de Moscou \ On y trouve des Français ayant vécu long­
temps en Russie z ; d’anciens membres de la mission militaire ou
du corps expéditionnaire (le soldat R. Petit, les officiers Pascal
et Sadoul) ; des journalistes (Marchand du Figaro), Guilbeaux.
Inessa Armand (1875-1920) en est aussi. Elle s’intéresse aux ques­
tions françaises depuis que Lénine Ta envoyée en France pendant
la guerre pour soutenir la gauche zimmerwaldienne et qu’elle a
milité au C A I et au C RR I. D e plus, après la révolution russe, elle
a fait partie d'une mission bolchevique venue en France pour
discuter un échange de prisonniers. Elle est, devant le PC URSS,
la responsable politique du groupe français. Quand Rosmer arrive
au printemps 1920, le groupe est déjà passablement décimé et
disloqué. Rencontrant Romain Rolland et interrogé par lui, Rosmer
passe en revue certains de ces Français de Moscou 3. Sur Pascal

1. AN. F7. 13 506 et 507 renferment des rapports très détaillés sur ce
groupe et sur ses réunions. Outre le témoignage de Marcel Body, « Les
groupes communistes français de Russie (1918-1921) », dans Contribu­
tions à Vhistoire du Komintern, pp. 39-66 et les livres de S a d c w l , on
pourra consulter l’article cité d’A. K r i e g e l et G. H a u p t .
2. Jeanne Labourbe, fusillée par les troupes d’intervention françaises
en mars 1919 en a fait partie.
3. Archives Romain Rolland, cahier cité et AR., Moscou, 96 et suiv.
200 alfred rosmer

son jugement est très favorable : gros travailleur qui sait parfai­
tement le russe, il rend d’énormes services, mène une vie modeste,
ne demande jamais de faveurs et, si ses amis n’y veillaient, il
vivrait dans le dénuement. Sur Marchand, l’opinion de Rosmer est
bonne, mais les relations des deux hommes sont plus distantes.
Sadoul et Guilbeaux ont une certaine importance politique puis­
qu'ils siègent au Comité Exécutif de 1TC. L e premier est jugé
vaniteux, ambitieux. C ’est un rallié de circonstance et, à la Com­
mission des Mandats qui précède le congrès, Rosmer insiste pour
qu’il n’ait que voix consultative. Guilbeaux vient du pacifisme roîlan-
diste et ce sont les bolcheviks qui l’ont converti en Suisse. Avant
tout c’est un écrivain et Rolland, en froid avec Guilbeaux, rapporte
complaisamment les paroles de Rosmer :
« [...] Un littérateur qui n’est point fait pour le labeur ingrat
cl nécessaire d’une reconstruction sociale ; il n’est bon que pour
manier la bombe... par écrit. »
Guilbeaux garde quelque intérêt en souvenir des services rendus
en Suisse et parce qu’il est brouillé avec Zinoviev et avec Radek.
Quand il s’agira de lui donner un mandat, Rosmer penche pour
le mandat délibératif. Vainement. Nous avons vu que Radek impose
le mandat consultatif. Les nouveaux venus, Cachin et Frossard,
envoyés en mission d’observation par le Parti Socialiste Français
après son congrès à Strasbourg ont comparu devant le comité
central du PC (URSS) avant l’arrivée de Rosmer. Boukharine leur
a reproché vertement leur attitude du temps de guerre et le Hol­
landais Wijnkoop ne cesse de protester contre leur présence à
Moscou 4. A la Commission des Mandats, Rosmer affirme impossible
de bâtir un véritable parti communiste avec des Cachin et des
Frossard qui ont « ... abandonné le socialisme et trahi les ouvriers
aux heures critiques de la guerre » et ne se sont ressaisis que
pour rester à la tête du Parti Socialiste 5. Au congrès, ils n’auront
que voix consultative.
L e seul des Français qui soit vraiment mandaté par une orga­
nisation adhérente de la I I I e Internationale, le Comité de la I I I e,
est donc Rosmer. Puis arrivent Vergeat, Lepetit et Lefebvre, man­
datés eux aussi par le Comité de la I I P et qui représentent fort
bien les courants d'opinion qui existent dans le mouvement ouvrier'
français 6.
Rosmer, mandaté au même titre que les trois et par le même
organisme qu’eux, joue un rôle infiniment plus important à Moscou,

4. AR. Moscou, 91. David "Wijnkoop a été un des fondateurs du


Parti Socialiste Hollandais où il se classait à gauche. Il a rejoint le Komin-
tera en 1919 puis s'en éloignera. En 1920, il est, à Moscou, le délégué
des Tribunistes hollandais.
5. Ibid., 57.
6. Ibid., 132.
les internationales rouges 201

d’abord parce qu'il est exactement dans la ligne définie par Lénine,
ensuite parce qu’il peut se reposer sur la vieille amitié de Trotsky.
Sadoul en a été frappé et lui dit à son arrivée :
« Comment se fait-il que vous soyez devenu tellement ami avec
Trotsky ? Il parle toujours de vous et de vos camarades syndicalistes
avec chaleur 7... »
Trotsky a initié Rosmer au bolchévisme, Rosmer a expliqué le
syndicalisme révolutionnaire à Trotsky. Dans M a V ie ", Trotsky
affirme que Rosmer était plus proche du marxisme que les gues­
distes. Quant à Rosmer il dit avoir prouvé à Trotsky que le syndi-
calisme-révolutionnaire est différent de la caricature qu’en a fait
Sorel. Trotsky est d’ailleurs facile à convaincre, le syndicalisme-
révolutionnaire lui paraissait dès l’avant-guerre une réaction saine
contre les outrances du parlementarisme et de l'opportunisme \
Pour ce qui est de la grève générale, il en a dirigé une en 1905
et sait de quoi il s’agit. Rosmer est persuadé qu’il a montré à
Trotsky le vrai visage du syndicalisme-révolutionnaire et Ta partiel­
lement convaincu :
« II avait sur nous une notable partie d’idées fausses [...]. Aujour­
d'hui, il nous apprécie et nous connaît mieux. »
Trotsky, de Moscou, continue à suivre les affaires de France et
il lui suffit pour cela de jeter de temps à autre un coup d’œil
sur une liasse de journaux parce qu’il a bien connu les hommes
et peut ainsi ju g e r 10. Sans doute, Rosmer, tout au long de son
séjour, peut compter sur l ’appui de Trotsky. Dès son arrivée, il
est admis au Comité Exécutif de l’IC , il est membre de la Com ­
mission des Mandats du I I e Congrès. II est aussi membre du bureau
du congrès et reste à Moscou comme représentant permanent de
la France auprès de TIC. Il représente aussi la Belgique et la Suisse
qui n’ont pu laisser quelqu’un sur place “ . Il figure au Comité
Exécutif jusqu’en juin 1921. Quand le PSF adhère à 1TC en décem­
bre 1920, il entre au « Petit Bureau » qui prépare les discussions
du Comité Exécutif et qui ne compte que quatre autres membres :
Zinoviev, Radek, Boukharine et Bela Kun 12.

7. Moscou, 60.
8. P. 255.
9. Archives Monatte, AR. à Monatte, 5-VIII-1915.
10. Moscou, 64-65.
11. Moscou, 121.
12. Bela Kun (1886-1939), membre de l’aile gauche du PS Hongrois,
prend contact avec les bolcheviks pendant sa captivité en Russie pendant
la première guerre mondiale. Membre du PC URSS en 1917, il en dirige
le groupe hongrois et préside en 1918 la Fédération Internationale des
prisonniers de guerre. Il mène la révolution hongroise, mais doit fuir la
contre-révolution. Jusqu’en 1936, il reste membre du Comité Exécutif
202 alfred rosmer

L e deuxième congrès de l’IC (19 juillet - 7 août 1920) s’ouvre


dans une atmosphère d’optimisme provoquée par l’offensive victo­
rieuse de l’Armée Rouge vers Varsovie. Nous avons vu que Rosmer
qui n’a jamais mis en doute ni la légitimité, ni l’opportunité du
congrès de 1919, ni la réalité d’une IC dès cette date, n’en consi­
dère pas moins le I I e congrès comme le premier véritablement
important par le nombre des participants et par l’ampleur des
travaux.
Au Présidium, ses collègues sont Lévi, Serrati, Zinoviev, Lénine I3.
A la Commission Syndicale, il trouve Quelch du BSP l’Espa­
gnol Pestana IS, D ’Aragona de la C G T I, le Bulgare Maximov, le
Hollandais van Leven, le Norvégien Martsei, l’Autrichien Tomann u.
Il retrouve Jack Tanner des Shop-Stewards anglais 17 et l’Allemand
W alter 1S.
A la Commission des Problèmes Internationaux, il siège avec
Kabatkchiev (Bulgarie), Bekka (Suisse), van Leven (Hollande), Lévi,
Roudnianski (Hongrie), Tomann, Lénine, Boukharine, Frinc (USA),
Freyns (Norvège), Mac Laine (Angleterre, BSP), Murphy (Angleterre,
Shop-Stewards), Li-Ou-An (Chine), Pak (Corée)
I l préside certaines séances de cette commission 20. En de longues
réunions qui durent parfois six heures sans interruption, elle discute
les thèses de Lénine sur les tâches de 1TC. L ’essentiel des dis­
cussions porte sur trois points : la question du Parti, la ligne, la
question nationale et coloniale.
L ’existence d’un parti est-elle une condition, nécessaire de la
révolution ? Rosmer, Tanner, Pestana, les délégués américains, ne
voient pas la nécessité d’un parti 21. Tanner affirme que la minorité

du Komintem tout en reconstituant le PC Hongrois clandestin. Partisan


d’une ligne dure et offensive, il rejettera la tactique de Front Populaire et
sera exclu. Il est éliminé lors des grandes purges.
13. The Second Congress..., p. 16.
14. Quelch (1858-1923) a été membre de la SDF et a dirigé Justice.
Militant actif des syndicats (typographes, conseil des métiers de Londres),
il a joué un rôle important dans la fondation du BSP et s’est rallié à
llC en 1919.
15. Pestana a fait avec lui une partie du voyage de Moscou. Métal­
lurgiste et membre de la CNT, il lefusera le ralliement à I'ISR et par­
ticipera aux réunions syndicalistes de Berlin en 1922. Il se maintiendra
sur ses positions syndicalistes et en 1937, il dénoncera l'emprise crois­
sante dans le camp républicain duPC espagnol et duKomintem.
16. Tomann qui a été prisonnierdeguerreen Russie et chef d'un
comité révolutionnaire à Moscou est devenu, depuis sa libération, l’un
des dirigeants du PC autrichien (AN. F7. 13 506).
17. Mouvement issu de la base qui s’oppose violemment à la bureau­
cratie des Trade-Unions.
18. Pierre A n d r é , Le Deuxième congrès..., p. 6.
19. Ibid., p. 7.
20. Moscou, 109 et suiv.
21. Moscou, 100 et suiv.
les internationales rouges 203

syndicaliste consciente doit guider la classe ouvrière, Pestana fait


remarquer que la révolution française s’est faite sans qu’il y ait
eu de parti. Les bolcheviks qui tiennent le parti pour indispensable
répondent point par point. A Pestana, Trotsky rétorque : « Et les
Jacobins ? » A Tanner, Lénine réplique : nous parlons de la même
chose, mais avec des mots différents. Ce que vous appelez minorité
consciente, c'est ce que nous appelons parti. Pour Trotsky, quand
les syndicalistes parlent de minorité syndicaliste, ils parlent en fait
d’une minorité consciente et organisée, où les discussions sont menées
démocratiquement et appliquées avec discipline, c’est déjà un Parti.
C’est le syndicalisme français qui créera le P C F 22.
Lés bolcheviks affirment donc qu’on se bat sur des mots (parti
ou minorité consciente) tandis quon est d’accord sur le fond des
choses (la nécessité d’une organisation de combat) et même sur
les détails de la constitution de cette organisation (puisque c’est,
en France, le syndicalisme français qui est appelé à la constituer).
Ils obtiennent ainsi le ralliement de Rosmer et des autres syndi­
calistes. Les thèses sur le rôle des PC sont adoptées à l’unani­
mité 23-

Reste à déterminer la ligne politique de ces partis. L a question


est primordiale. Il nous paraît indispensable de bien saisir ici
quelle est la méthode de travail de 1TC. L e but est la révolution
mondiale. Chacun de ses membres doit la préparer et si possible
la faire. Mais on prendra bien garde que toute tentative préma­
turée et hasardeuse qui mènerait la classe ouvrière à l’échec et
à la répression est un crime, que toute hésitation qui laisserait
passer le moment propice est un autre crime. Il faut donc savoir
attendre le moment, savoir le reconnaître, savoir l’exploiter. Ceci
n'est pas du domaine du flair et de la subjectivité, mais du domaine
de ïa connaissance scientifiquement exacte des forces en présence
dans la lutte des classes. L a révolution russe est l’exemple par­
fait — et en 1920 unique — de cette longue attente, du moment
bien choisi, de la situation exploitée victorieusement. Ce que les
Russes ont fait, tous les révolutionnaires marxistes doivent pouvoir
le faire. L ’IC est là pour étudier les situations et coordonner les
actions. On juge les situations d’après une appréciation scienti­
fique de la force du capitalisme et de celle du prolétariat révolu­
tionnaire. L a force du premier est presque mathématiquement
fonction de la situation économique internationale et nationale2*.

22. The second congress..., p. 127.


23. P. A n d r é , op. cit., p. 15.
24. Très caractéristique à cet égard est l'intervention de Varga au Ve
Congrès de l’IC (Compte rendu analytique..., pp. 56-62). Analysant
longuement la situation de l'économie capitaliste, il conclut sur les pers­
pectives d’action pour 24-25. Crises aux USA avec aggravation consécu­
tive de la situation en Europe Occidentale, il en résulte «[...] la possi­
204 alfred rosmer

L a force du second, plus diffuse car les critères mathématiques


font très largement défaut, peut être évaluée par les militants
expérimentés et renseignés. Ils en jugent d'après la combativité
ouvrière et le degré de maturité des revendications exprimées.
Sur la base de cette appréciation objective de la situation est
déterminée une tactique, une « ligne » : offensive ou défensive,
elle s’adapte au moment et se modifie avec lui. Ceux qui s’en
écartent par excès d’optimisme (à gauche) ou par excès de pessi­
misme (à droite) se trompent et se rendent coupables s’ils per­
sistent. On n’est pas — si l’on peut se permettre cette formule —-
droitier ou gauchiste « à vie ». Un changement radical de la situa­
tion peut modifier radicalement la ligne et tel, droitier d’hier,
peut se retrouver gauchiste pour n’avoir pas senti la dégradation
intervenue dans le rapport des forces ; tel autre, gauchiste hier,
peut se retrouver droitier pour n’avoir pas perçu les nouvelles
perspectives d’action révolutionnaire.
Cette appréciation de la situation et de la ligne qui en découle
est la tâche essentielle des organismes centraux de l’IC. Au congrès
de 1920, deux lignes sont en présence, celle de Lénine et celle
que, pour simplifier, nous nommerons ligne de Gorter. Deux bro­
chures exposent ces lignes et réservent une large place à la critique
de la ligne concurrente. On connaît bien la brochure de' Lénine
(L e gauchisme, maladie infantile du communisme), on connaît moins,
bien celle de Gorter (Réponse à Lénine).
L e texte de Lénine paraît en juin 1920 en Russie. Traduit dans
les principales langues, il est distribué à tous les délégués avant
que ne s’ouvre le congrès de l’Intemationale. L a révolution russe,
dit Lénine, a une « portée internationale » , c’est-à-dire qu’on assis­
tera à
« [...] L a répétition historique inévitable, à l’échelle internationale,
de ce qui s’est passé chez nous ».
Répétition des traits essentiels de la révolution russe, mais aussi
de bien des traits secondaires. « L e modèle russe » se caractérise
par la « discipline de fer » et la « centralisation absolue » sous
la conduite des chefs ainsi que par l’utilisation révolutionnaire de
la tribune parlementaire. A l’échelon international et en 1920, cela
signifie la condamnation de l’opposition gauchiste — et de surcroît
scissionniste — du Parti Communiste allemand et de la gauche
hollandaise qui le soutient. Cela signifie que les petits partis qui,
en Grande-Bretagne, se réclament du communisme doivent rejoindre
le Labour. En Italie, à la condamnation de Turati 25> fera pendant

bilité objective de luttes prolétariennes aboutissant à des succès ». Mais


le prolétariat peut laisser passer ces possibilités, à lui de savoir les exploi­
ter. Voilà posée la base économique d’une ligne offensive.
25. Turati (1857-19.32) s’est opposé, dans le PS italien, à l’interven­
tion dans la guerre. Il s’est situé à la droite du PCI et en est exclu.
les internationales rouges 205

la condamnation du groupe de Bordiga et de sa tactique de boycott


du parlement.
Gorter n’a pu se rendre à Moscou, mais publie son texte en
juillet 1920. Il y résume les thèses de la gauche. L a gauche pour
lui c’est, en Allemagne le K A P D avec, sur le plan syndical, l’Union
Générale Ouvrière (Allgem eine Arbeiter Union), en Hollande son
propre groupe et celui de Pannekoek 2®, le groupe des tribunistes,
en Angleterre le PC anglais avec, sur le plan syndical, tous les
mouvements issus du Labour, le Rank-and-File Movement, les Shop
Commîtes, les Shops Stewards et les Industrial Unions qui luttent
contre le conservatisme des Trade-Unions, en Italie les fractions
antiparlementaires de Bordiga et de l’Ordine Nuovo avec Gram sci27
à Turin. Gorter refuse le « modèle russe » . Globalement d’abord :
< L a tactique ue la j.t;voiLiijioii (juciuéiilâic doit eu e tout autre
chose que la tactique de la révolution russe as. »
En effet, le point de départ du raisonnement de Lénine est faux :
les conditions du combat révolutionnaire en Europe Occidentale
sont différentes de ce qu'elles étaient en Russie20. Avant tout, le
prolétariat occidental ne peut compter que sur lui-même. Les paysans
pauvres ont aidé les révolutionnaires russes, mais en Occident, cette
classe, dans la mesuré où elle a gardé quelque importance numérique,
est propriétaire et contre-révolutionnaire. D ’ailleurs,
« En général, l’importance des paysans pauvres comme facteur révo­
lutionnaire diminue de l’Est à l’Ouest. Dans des parties de l’Asie,
de la Chine et de l’Inde, cette classe serait absolument déterminante
si une révolution y éclatait 30 ».
Les autres classes sociales sont liées au capital et il ne faut en
attendre aucune aide, au contraire. Cette solitude du prolétariat
conditionne la tactique :

26. Anton Pannekoek (1873-1960), professeur d'astronomie, fait partie


depuis 1900 de l’aile gauche du PS hollandais, aux côtés de Gorter. Avec
lui, il contribue à la vie du groupe tribuniste. Membre de la gauche zim-
merwaldienne, il publie Vorbote èt forme dès 1918 le PC hollandais. En
désaccord avec Lénine sur la question des conseils ouvriers, il quitte l’IC
dès 1920.
27. Antonio Gramsci, vient d’une famille paysanne de Sardaigne. Il
est arrivé à Milan en 1911. Il a fait partie de l’aile gauche anti-interven­
tionniste du PS italien. L e groupe d’Ordine Nuovo s’intéresse tout par­
ticulièrement à l’expérience des conseils d’usine. Après un séjour en
Russie en 22-23, Gramsci rentre en Italie et devient l’un des dirigeants
du PC clandestin. Arrêté et emprisonné en 1926, il meurt en 1937, dès
sa libération.
28. Réponse à Lénine, p. 112.
29. Ibid., p. 7.
30. Ibid., p. 12.
206 alfred rosmer

« Toute tactique qui n'est pas basée sur cela est fausse, et mène
le prolétariat à d’immenses défaites 31. »
L e prix que les masses prolétariennes auront à payer pour le u r
révolution est plus élevé encore en Occident qu'en Russie. Pour
vaincre dans cette solitude, il faut être bien armé, avoir les meilleures
armes possibles. C'est à ce point de son raisonnement que Gorter
passe à la réfutation de détail des conseils tactiques de Lénine.
Discipline de fer ? Obéissance absohie aux chefs ? Oui. Mais à
quels chefs ? Certainement pas à ceux qui sont à la tête du mou­
vement ouvrier occidental :
« [...] Nous avons encore en Europe occidentale, dans beaucoup
de pays encore, des chefs comme il y en avait dans la IX0 Inter­
nationale, nous sommes encore à la recherche de chefs véritables
qui ne cherchent pas à dominer les masses et ne les trahissent
pas, et, aussi longtemps que nous ne les aurons pas, nous voulons
que tout se fasse de bas en haut, et par la dictature des masses
elles-mêmes °2. »
Aussi longtemps que ces chefs idéaux n’auront pas été trouvés,
le bavardage de Lénine sur la discipline de fer ne peut que pro­
fiter aux éléments opportunistes infiltrés aux postes de commande
de la I I P Internationale. La discipline de fer leur permet de
conserver leurs postes à la tête des organisations et d’étouffer les
mécontentements de la base.
D e même, puisque le prolétariat occidental devra tout faire
par lui-même, par son action directe, il ne doit pas tomber dans
le piège des élections et du parlementarisme. Lénine croit à la
possibilité d’utiliser révolutionnairement la tribune parlementaire,
de jouer sur les rivalités entre partis bourgeois. Mais l’avantage
est illusoire : les masses ne suivent pas les débats parlementaires
et les divisions entre partis bourgeois sont insignifiantes car ils
sont tous unis contre la révolution. Ces divisions étaient déjà
« de la blague » avant 1917, c’est encore plus vrai après. En échange,
le parlementarisme présente de multiples inconvénients. II met ou
remet en selle quelques beaux parleurs qui se donnent des allures
de chefs, il démobilise une partie des masses en les habituant à
se contenter de discours. Gorter admet que les Russes ont pu,
en leur temps, utiliser le parlement. Mais il rejette toute action
parlementariste dans le cadre occidental. Les masses doivent se
débarrasser de ce mirage d’autant plus radicalement qu’il est plus
enraciné dans la mentalité populaire. A cet égard, il considère
comme particulièrement digne d’exemple la campagne de démys­
tification menée par les communistes anglais dans leur pays, berceau
et symbole du régime parlementaire.

31. Ibid., p. 17.


32. Ibid., p . 8.
les internationales rouges 207

Bref, pour Gorter, Lénine est passé à l'opportunisme 33, il y a


des opportunistes au Comité Exécutif de l'IC ; on cherche des
électeurs, on traite le K A PD en ennemi, on s’apprête à accueillir
une «m asse innombrable d’opportunistes34». L ’IC ne pense qu’à
enrégimenter des masses, sans se préoccuper de savoir si elles sont
communistes ou non. L e résultat probable ?
« Au heu que les partis soient faits pour le communisme, le
communisme sera fait pour les partis. L ’usage s’installera à nouveau
des mauvais compromis parlementaires avec les social-patriotes et
les bourgeois étant donné que la révolution en Europe occidentale
sera une révolution lente. L a liberté de parole sera supprimée et
de bons communistes seront exclus. Bref les pratiques de la I I e Inter­
nationale revivrontS5. »
La gauche de l’IC doit faire contrepoids à cet opportunisme mena­
çant et
« [...] D e même que la lutte entre la social-démocratie et l’anar-
chisme fut la base profonde de la I I e Internationale, la lutte entre
l’opportunisme et le marxisme révolutionnaire sera celle de la 111° 3®. »
Il est difficile de cerner la position exacte de Bosmer. Il serait
sommaire en tout cas de définir sa position comme « centriste ».
Si l’on interroge son passé, on voit bien qu’il n’a de sympathie
particulière ni pour le gauchisme ni pour l’opportunisme. En France,
il s’est tenu à l’écart de la tentative ultra-gauche de Péricat. Mais
il serait tout à fait hasardeux d’affirmer qu’il tient Gorter pour
gauchiste et Lénine pour opportuniste. En 1920, il ne prend publi­
quement parti que sur un point de détail : au congrès il rapporte
dans un sens contraire à celui de Lénine sur un cas particulier.
Il est favorable à l’organisation d’un PC autonome en Grande-
Bretagne, Ce n’est que le 1er juillet 1921 qu’il dit publiquement
dans la V O que l’IC était en 1920 menacée
« [...] Par des éléments indésirables : centristes, réformistes francs
ou cachés, équilibristes, etc. ».
Prise de position nette au sein de l’organisation sur un point
particulier, silence vis-à-vis de l’extérieur, révélation par une inci­
dente, un an après et avec beaucoup de discrétion, de sa crainte
du danger opportuniste, tout ceci est bien dans la méthode de
Rosmer, bien conforme à ce que nous savons de son attachement
à l’IC avec laquelle il peut fort bien avoir des divergences tac:
tiques mais à laquelle il n’est pas question de nuire.

33. Ibid., p. 45.


34. Ibid., 92.
35. Ibid., 90.
36. Ibis.
208 alfred rosmer

Maintenant que nous avons pu, par l'examen des textes contem­
porains de l'événement, nous fixer sur sa position, nous pouvons
utiliser son témoignage de 1953. Ce témoignage concorde en tous
points à 33 ans de distance : quelques mots sur le danger gau­
chiste, un ample développement sur le danger opportuniste. Il se
rappelle avoir relevé la phrase de Lénine sur les manœuvres néces­
saires et la cite ainsi :
« Il faut savoir résister à tout cela, consentir à tous les sacri­
fices, user même — en cas de nécessité — de tous les stratagèmes,
user de ruse, adopter des procédés illégaux, se taire parfois, celer
parfois la vérité 3T... »
L a plupart des délégués au I I e congrès, dit-il, tous pleins des sou­
venirs rie la hitte très dnr^ outils mènent contre des chefs réfor
mistes ne reculant devant aucun procédé, ne font guère attention
à cette phrase. Mais lui et le Belge van Overstraeten33 craignent
que les professionnels de la manœuvre ne l’utilisent. Il ne croit pas
possible d’éliminer les tares de la social-démocratie par la seule
vertu de conditions qu’il y en ait 21 ou plus. A son arrivée, on
lui a fait lire ces conditions et il a pris immédiatement le contre-
pied de l’optimisme général. Rajoutons-en d’autres lui propose-t-on.
Cela ne servirait à rien ! Les vieux routiers, les émules de Briand
ont « [...] plus de tours dans leur sac que les Russes soupçonneux
n’en pouvaient imaginer... ». Quant au parlementarisme, s’il veut
bien admettre que Liebknecht en Allemagne et Hoglund en Suède
ont utilisé la tribune parlementaire à des fins révolutionnaires, il ne
croit pas la chose possible en France, il ne dit mot des résultats
obtenus par la fraction parlementaire bolchevik. Son scepticisme
est net.
L e II® congrès de l’IC frappe l’opportunisme et le gauchisme
mais le second plus que le premier. L a droite du P S I (Turati,
T rê v e s 30) est condamnée au profit du groupe Ordine Nuovo de
Gramsci et Tasca40 qui reçoit l’investiture. Mais les gauchistes

37. Moscou, 78 et suiv. La citation de Lénine se trouve pages 78-79.


La citation est extraite de Le gauchisme} la- maladie infantile du commu­
nisme, Œuvres choisies, éd. de Moscou, t. II, p. 384.
38. Il rompt avec l’IC après le XVe congrès du PC URSS qui exclut
l’opposition (1927).
39. Claudius Trêves (1869-1933), écrivain et membre du PS italien,
est élu député dès 1906. Rédacteur à YAvanti en 1908-1912, il est à la
gauche du Parti. Minoritaire centriste pendant la guerre, il quittera
l'Italie en 1927.
40. Angelo Tasca (1892-1960, dont le pseudonyme est A. Rossi), mili­
tant des jeunesses socialistes en 1908, participe activement aux grèves
de la métallurgie en 1912-1913. Minoritaire de guerre et fondateur
d’Ordine Nuovo, Il garde un penchant marqué pour les affaires syndi­
cales et coopératives. En 1923, il est du Comité Central du PCI et
devient en 1928 secrétaire de l’IC pour les pays latins. Exclu en 1929
les internationales rouges 209

(abstentionnistes de Bordiga, K A P D et son allié Gorter, commu­


nistes anglais qui sont invités à rejoindre le Labour) sont les grands
vaincus du congrès.

L e troisième thème essentiel du congrès est celui des reven­


dications nationales. Rosmer, vieil internationaliste, a gardé l’habi­
tude de se méfier du chauvinisme : « Poux ma part, je n’avais
jamais été attiré par les revendications d'indépendance nationale 41. »
Son périple en Europe l’a mené dans la jeune république tchéco­
slovaque dont le « côté sympathique » est gâché par les prétentions
nationalistes, le. ralliement autour des hommes d’Etat bourgeois. En
Pologne, il est frappé par le petit patriotisme ombrageux et les
visées annexionnistes.
A u congrès. Lénine rapporte sur Ta question co lon iale en co n seil­
lant d’aider les mouvements nationaîistes-révolutionnaires s’ils ne
s’opposent ni au communisme, ni à l'organisation révolutionnaire
des paysans. Il admet la possibilité d’éviter la phase capitaliste
pour déboucher immédiatement sur la phase socialiste. Roy 43 du
PC hindou fait des réserves en indiquant que les PC doivent enca­
drer les masses, sinon les nationalistes bourgeois imposeront une
phase capitaliste. Entre les deux positions il y a plus que des
nuances mais moins qu’un affrontement. S’il y a affrontement, c’ est
entre Roy-Lénine et Serrati qui rejette toute collaboration avec le
nationalisme tenu pour uniformément réactionnaire. Rosmer vote
le texte conjoint Roy-Lénine i3.
L a question de l’offensive anticapitaliste en direction des peuples
colonisés lui paraît cependant suffisamment importante pour qu’il
participe au congrès de Bakou. Peu après le I I 0 congrès, le Comité
Exécutif de ITC décide d’organiser une conférence des peuples
asservis de l’Orient. Zinoviev, Radek et Bela Kun y représentent
TIC. Les révolutionnaires des pays colonisateurs intéressés assistent
au congrès : Tom Quelch, Jansen (Hollande), John Reed (USA).
Rosmer est membre du bureau honoraire de la conférence. Il parle

pour propagande antistalinienne, il se fixe à Paris, collabore au Monde


et au Populaire. Il dirige le PS italien en exil, dénonce l’apparition d’une
nouvelle classe en URSS et repousse toute alliance avec le PCI. Il
laisse un nombre important d’ouvrages sur le communisme.
41. Moscou, 45.
42. M. N. Roy (1891-1954), né dans une riche famille du Bengale,
émigre au Mexique où Borodine le gagne au communisme. De 21 à 28,
il a des responsabilités dans l'appareil de l’IC (et fait notamment un
voyage en Chine en 1927). Il met sur pied le PC hindou. En 1928, il
écrit une brochure antitrotskyste, Les alliés internationaux de VOpposi-
tion, ce qui ne l’empêche pas d’être exclu en 29. Il rejoint l’opposition
de droite puis le Parti du Congrès avant de fonder, en 1940, le Parti
Radical Démocratique.
43. Voté à l’unanimité moins 3 abstentions (dont Serrati). Voir le
compte rendu analytique du congrès.

14
210 alfred rosmer

lors de la séance solennelle d’ouverture '14 et surtout à la quatrième


séance du congrès’ 5. Les alliés, dit-il, ont fait la guerre sous pré­
texte de libérer les peuples du joug de l’Allemagne, mais ils ont
gardé sous leur propre joug les peuples colonisés et ont même
arrondi leur domaine. La France pour sa part conserve l'Algérie,
la Tunisie et le Maroc, lance une expédition en Cilicie et en Syrie
pour conquérir un « lambeau d’Asie ». Elle viole délibérément les
promesses faites au moment des mobilisations, en vertu desquelles
les colonisés, dont 45 000 Tunisiens, sont morts en vain. L a guerre
n’a pas affaibli l’exploitation coloniale. Elle l’a acci'ue au contraire
et c’est logique :
« [...] La productivité du travail diminue sans cesse ; consciem­
ment ou d’instinct, les ouvriers d’Occident refusent de contribuer
aux efforts tentés par la société capitaliste (pour sortir de la crise). »
C ’est donc dans une aggravation de l’exploitation coloniale que
la bourgeoisie va chercher un remède à ses difficultés accrues.
Mais, ce faisant, elle se met en contradiction avec ses propres
proclamations sur la guerre de l’indépendance et du droit, et se
heurtera à une résistance accrue des peuples. L a conclusion est
un appel à l’action directe : les peuples de l’Orient peuvent compter
sur la solidarité de l’URSS et de l’IC,
« [...] Mais c’est à eux-mêmes de puiser dans leur propre union
la force indispensable à leur libération ».
Interrogé directement par Romain Rolland sur les rapports entre
bolchévisme et Asie, Rosmer précise sa pensée. L a voici, telle
du moins que R. Rolland la rapporte46. L ’influence du bolche­
visme est très importante en Asie musulmane, en Perse où les
paysans sont profondément touchés, aux Indes qui, malgré la
répression anglaise, envoient des étudiants à l’Université des Peuples
d’Orient à Moscou. L ’Asie occidentale et centrale a vivement
ressenti l’influence bolchévique parce que la Russie, de puissance
menaçante et oppressive qu’elle était, est devenue un espoir de
libération. Les populations de ces régions sont très favorables
au système bolchévique. En ce qui concerne le Japon, Rosmer
est plus prudent : les Japonais, fort éloignés, n’ont que peu de
possibilités pour étudier le bolchevisme et ils y mêlent sans doute
une forte dose de mystique révolutionnaire ou de nationalisme.
En janvier 1922, Rosmer assiste, à Moscou, à une autre réunion
des peuples de l’Extrême-Orient qui rassemble 150 délégués47.

44. U IC et la libération de VOrient..., p. 19.


45. Ibid., p. 102 et suiv.
46. Archives R. Rolland, Cahier 32, pp. 73-77.
47. Il s'agit du 1er Congrès des organisations communistes et révolu­
tionnaires de l’Extrême-Orient. Moscou, janvier 1922.
les internationales rouges 211

Xl déclare alors 48 que les problèmes des peuples colonisés ne lui


paraissent pas fondamentalement différents de ceux des peuples
industrialisés. L a grande différence, c'est que sur le plan de l’orga­
n is a tio n , ils sont moins avancés. Tout en étant anticolonialiste,
Rosmer ne semble donc pas admettre une spécificité du problème
de la révolution en pays colonial et il garde beaucoup de méfiance
devant le côté xénophobe et chauvin de la revendication natio­
naliste.
Après le 11° congrès, l'élimination des « centristes » s’engage
ou se poursuit dans tous les pays. Ce qui les chasse ou permet
de les chasser, pense-t-il, ce ne sont pas les 21 conditions, mais
l'ensemble des thèses votées par le congrès, thèses qui les engagent
concrètement et dans le détail "1S. En Allemagne, l’opération chirur­
gicale a heu à Halle où les indépendants se divisent en une droite
et une gauche qui va à TIC. En France, elle intervient à la fin
de 1920. L e centrisme se disloque dans tout le mouvement ouvrier
international, sa droite rejoignant la social-démocratie, sa gauche
rejoignant le communisme.
L e I I I e congrès de l’IC (22 juin au 12 juillet 1921) 50 a encore
à régler certaines querelles locales, mais sa grande affaire reste la
détermination de la ligne. Il doit statuer sur les questions allemandes
et italiennes. L e Comité Exécutif de l’IC, unanime, a admis le
KAPD comme parti sympathisant. L e Comité Central du Parti
Communiste Allemand (U K PD ) fait appel devant le congrès. Rosmer
remarque que le Comité Exécutif a agi conformément aux statuts
qui autorisent l’admission de partis
« [...] Composés d’éléments vraiment prolétariens et révolutionnaires
mais qui, cependant, n'admettent pas les thèses de l’IC ».
Pour lui, l’affaire est claire : il faut que les deux partis allemands
apprennent à travailler en bonne intelligence.
L e Comité Exécutif de TIC, une fois encore unanime, a décidé
de n'admettre qu'un seul parti italien, celui qui est sorti de Livour-
n e S1. Les « unitaires », derrière Serrati protestent. Rosmer trouve
leur position scandaleuse : ils veulent bien être séparés des commu­
nistes, mais ne veulent pas quitter les M odigliani52 et Turati. C’est
d'autant plus inconcevable que Turati « qui n’est pas communiste

48. Lutte de classes, 5-V-1922.


49. VO., 1-VU -1921.
50. Ibid.
51. Au congrès de Livoume le centre du Parti, influencé par Serrati,
favorable à l’adhésion à l’IC mais hostile à toute immixtion^ de l'Inter­
nationale dans les problèmes de discipline interne, Ta emporté très large­
ment sur les partisans de l'adhésion et des exclusions. Ceux-ci, menés par
Grarnsci et Togliatti font scission et fondent le PC italien.
52. G. Modigliani, homme de loi et socialiste réformiste est député
depuis 1913, minoritaire centriste pendant la guerre, il est à la droite du
PCI. Exclu, il retourne au Parti Socialiste et sera exilé par Mussolini.
212 alfred rosmer

du tout, qui le dit et qui l’écrit », soutient la brochure des députés


N ofri (pourtant membre de la délégation italienne au I I e congrès
de ITC !) et Pezzoni, Sous le titre L'enfer des Soviets elle aligne
des chapitres aux titres éloquents : Une dictature féroce, Le triom­
phe de la corruption, L ’agonie sociale d’un peuple, etc. L e Comité
Exécutif de TIC a bien fait et doit maintenir sa position.
L ’atmosphère générale du I I I e congrès est médiocre S3. Les délé­
gations comportent bon nombre de journalistes, de professeurs,
d’écrivains non communistes. Il y régné un « aimable scepticisme ».
L a passion révolutionnaire est absente. Rosmer dira plus tard que
le tableau était navrant. A Monatte, il citera un trait caractéristi­
que :
« Quand du menu exceptionnel du congrès on revint à la diète
ordinaire^ il y eut soudain afflïlennp. rm burpan qui organisait les
départs 54. »
La situation économique mondiale n’est pas brillante 55. La crise
économique qui a éclaté quelques mois après la guerre se poursuit.
En Grande-Bretagne, en novembre, il y avait 500 000 chômeurs
complets (un million avec les partiels). L'es prix montent. L a classe
ouvrière est d'autant plus mécontente que cette crise fait contraste
avec le court « âge d’or » de l’immédiat après-guerre. I l s'ensuit
une vague de grèves, surtout chez les cheminots et les mineurs.
En France, la même crise économique se développe, mais plus len­
tement. Il y a des difficultés industrielles, financières et boursières.
L a crise s’étend à tous les pays. Cependant, la bourgeoisie mène
sa contre-offensive : élimination des meneurs ouvriers, hausse des
salaires, augmentation des heures de travail, elle dose sa réponse
selon les circonstances de temps et de heu et parvient à survivre.
Quand le congrès se réunit, l’impression est que le calme est revenu.
Rosmer cite Trotsky :
« L ’histoire a accordé à la bourgeoisie un délai durant lequel
elle pourra souffler [...]. L e triomphe du prolétariat au lendemain
de la guerre avait été une possibilité historique ; elle ne s’est pas
réalisée. L a bourgeoisie a montré qu’elle sait profiter des faiblesses
de la classe ouvrière... » fia
Trotsky ajoute que les perspectives révolutionnaires demeurent et
Rosmer en est bien d’accord.
Mais que faire dans cette conjoncture ? Il faut se méfier de
l’excès gauchiste. L a politique de Bela Kun, celle de l’offensive révo­
lutionnaire à tout prix a conduit en mars les révolutionnaires aile-

53. Moscou, 172 et suiv.


54. AR. à Monatte, 13-1-1949.
55. VO., I-VII-1921.
56. Cité par R o s m e r , Moscou, 183. Voir le rapport de Trotsky, La
crise économique mondiale et les nouvelles tâches de VIC.
les internationales rouges 213

mands à la catastrophe. Au Congrès, Bela Kun regroupe le PC A, les


Polonais, les Autrichiens, les Italiens dont I. Silone, codélégué des
jeunesses ST- Clara Zetkin, Lénine, Trotsky, Rosmer soutiennent par
contre que le P C A a lancé, de son propre chef, une offensive aven­
tureuse dans sa conception, catastrophique dans ses résultats, que
fI C ne doit pas le couvrir. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut tomber
dans l’excès opportuniste ! Ainsi Paul L év i qui a condamné bruyam­
ment l’offensive de mars et a employé à son sujet le mot de
« putsch » a été exclu du PC A. L e Comité Exécutif de Moscou, où
siège Rosmer, approuve cette exclusion le 27 avril :
« Mêm e si Paul L é v i avait presque totalement raison dans son
appréciation de l'action de mars, il devrait être exclu pour avoir
enfreint d’une façon inouïe la discipline im posée. aux membres du
Parti et avoir attaqué le Parti dans le dos (car son attitude dans la
situation actuelle ne peut pas être caractérisée autrement) »
Concrètement, il faut étudier et déterminer posément la tactique
la mieux adaptée à la conjoncture, ne pas négliger les revendica­
tions partielles et locales et préparer l’assaut révolutionnaire déci­
sif S9.
Préparer l’assaut, ce n’est pas mener l’assaut. Il faut s’adapter à
une lutte plus longue que prévu. Du congrès sort le mot d’ordre
d’ « aller aux masses » pour les conquérir aux idéaux de l’IC. Les
sections devront respecter cette ligne car l’IC
« [...] suit activement la vie et l'action des Partis qui la compo­
sent, elle donne son appui et son aide à tous les grands mouvements
qu’ils engagent : elle n’hésite pas à intervenir directement et à
dénoncer brutalement, s'il le faut, les défaillances qui se produi­
sent »
Dans cette perspective, les problèmes de l’organisation interne des
PC acquièrent une grande importance. Mais la question est si neuve
que les esprits ne se sont point habitués à la réflexion sur ce thème.
L ’Allemand Kônen 61 bâcle un rapport sur les structures, les métho­
des et l ’action des P C dont Rosmer ne dit rien à l’époque. En 1953,
il en dira que Kônen ne proposait rien d’autre qu’une copie ser­
vile et mécanique des structures du PC (URSS) 42.

57. AR. à Monatte, 13-1-1949.


58. AR., Humanité, 4-V-1921.
59. AR., VO., l-VI-1921.
60. Ibid-
61. Wilhelm Konen (1896-1963) a adhéré au PS allemand en 1903. En
1918, il participe au mouvement révolutionnaire. Il est dans l’aile gauche
de l’USPD et y défend l’adhésion à 1TC. Au PC allemand, il est au centre.
Il est l’un des porte-parole parlementaires du Parti. Il émigre en 1933 et
revient en Allemagne orientale après-guerre.
62. Moscou, 187.
214 alfred rosmer

Cantonné jusque-là aux débats internes de la tendance avancée du


mouvement ouvrier mondial, Rosmer verra bientôt s'ouvrir un nou­
veau champ d’activité : la négociation avec le réformisme interna­
tional. Cette négociation, par bien des traits, rappelle la diplomatie
traditionnelle. A côté des relations diplomatiques entre les Etats
bourgeois et des relations diplomatiques entre Etats bourgeois et
URSS, se dessine une diplomatie interne de la classe ouvrière. Elle
se nourrit de la confrontation internationale des tendances. Préci­
sons que Rosmer ne sera guère qu’un diplomate ouvrier de second
rang et un diplomate malheureux.
Les gouvernements bourgeois paraissant incapables de s’entendre
pour reconstruire l’économie européenne, l’idée se fait jour que les
Internationales Ouvrières le pourraient mieux qu’eux et que, de
toutes façons, elles ont leur mot à dire. L ’Internationale 2 1/2, ainsi
baptisée parce qu’elle tente de se tenir à mi-chemin de la I I e et de
la I I I e Internationale, lance l’idée : les trois Internationales Ouvrières
se réuniront en même temps que les puissances capitalistes, elles
suivront leurs travaux et élaboreront de leur côté un plan ouvrier de
reconstruction de l’Europe. Entre le plan des capitalistes et celui
des Internationales Ouvrières, le prolétariat européen choisira.
L ’Internationale 2 1/2 obtient, sur ces bases, l’accord de la I I e Inter­
nationale et de l’IC. Les trois Internationales se réunissent à Berlin
du 2 au 5 avril 1922 63. La délégation de l’IC est menée par Radek
et Boukharine, Rosmer y figure avec le mandat de 1TSR. Il accusera
les chefs de la 11° de saboter délibérément la conférence par crainte
du Front Unique. Quoi qu’il en soit, la délégation de 1TC se laisse
détourner de l’ordre du jour initial et engager dans des querelles
sans fin sur les conditions de participation à une discussion. Elle
rejette les demandes de la I I e : que cessent toutes les attaques
contre les chefs de la I I 0, que cesse le noyautage. Elle cède par
contre en admettant l’ingérence des autres internationales dans la
question des sociaux-démocrates russes.
D ’après Rosmer 64, c’est Radek qui a insisté pour que la déléga­
tion de TIC cède sur la question des sociaux-démocrates russes,
malgré ses protestations et celles de Boukharine. Boukharine aurait
confié en 1936 à Nicolaevski65 que les délégués de la 2a et de la
2 1/2 avaient déclaré possible un accord de Front Unique si un
minimum de démocratie était rétabli en Russie, si, en particulier,
les sociaux-révolutionnaires de droite en cours de jugement n’étaient
pas condamnés à mort. Alors, « [...] lui-même et les autres membres
de la délégation [par conséquent Rosmer compris] avaient décidé
de donner leur garantie personnelle qu’il en serait ainsi » . Faute de
textes contemporains de Rosmer, il nous est impossible de trancher

63. BC., 20-IV-1922 et Moscou, 214 et suiv. et surtout Conférence des


Trois Internationales...
64. Moscou, 218.
65. Les dirigeants soviétiques et la lutte pour le pouvoir, pp. 20-21.
les internationales rouges 215

entre ces deux thèses contradictoires. Ce qui paraît cependant ren­


forcer les affirmations de Rosmer, c’est qu’en 1953 encore °6, il con­
tinue à trouver tout à fait légitime la condamnation des sociaux-
révolutionnaires de droite qui d'ailleurs ne furent pas exécutés.
Cette affaire est intéressante sur un autre plan : c’est la première
affaire judiciaire en URSS qui ait soulevé une émotion internatio­
nale. Une lettre de Romain Rolland en témoigne :
« Que les bolcheviks sont donc maladroits ! Ce dernier procès
des socialistes-révolutionnaires à Moscou semble fait pour soulever
contre la dictature moscovite les consciences libérales d’Europe !...
Quels mauvais psychologues, quels piètres « réalistes » sont ces
doctrinaires léninistes ! Ils ne tiennent aucun compte des « forces
impondérables » , comme disait Bismarck, qui mettait un gant de
velours pour les manier 87. »
Et Boukharine aurait dit à Nicolaevski :
« Oui, on doit le reconnaître, vous autres socialistes avez été
capables au début des années 20 de soulever toute l’Europe pour
rendre impossible l’exécution de la sentence contre les socialistes-
révolutionnaires 88. »
L a délégation de l’IC , déçue par les résultats de la réunion de
Berlin, fait d’ailleurs annexer au procès-verbal une déclaration où
elle affirme avoir signé sans illusions, pour ne pas gêner la marche
vers le Front Unique, parce qu'il n’était pas possible de rejeter un
texte qui est malgré tout un petit pas en avant. Pour le moment on
renonce à demander aux sociaux-démocrates des comptes sur les
événements de la révolution allemande, les meurtres de Luxem­
burg et Liebknecht, les persécutions anti-communistes en Letto­
nie, Pologne, Yougoslavie, Hongrie, les prolétaires maintenus en
prison par la social-démocratie allemande, la politique irlandaise
et coloniale du Labour. Autant d’allusions à la tactique du Lénine
de Zimmerwald, autant de menaces altières qui ne parviennent pas
à convaincre le Lénine de 1922. Pour lui l'affaire est claire, Berlin
n’est pas une catastrophe, mais c'est une défaite :
« [...] Les diplomates bourgeois ont été cette fois plus habiles
que les nôtres. »
La délégation de l'IC a outrepassé son mandat en laissant la I I e
Internationale mettre son nez dans le procès des socialistes-révolu-
tionnaires qui ne regarde que le PC URSS, et cela en échange
d’une commission de 9 membres (3 par Internationale) qui suivrait
la conférence de Gênes et convoquerait ensuite un congrès mon­

66. Moscou, 224.


67. Archives Romain Rolland, RR. à Paul Colin, 20-III-I922.
68. Nrcox-AJEVSKI, loc. cit.
216 alfred rosmer

dial. Marché de dupes car la classe ouvrière se désintéresse de


Gênes, car la commission des 9 ne se réunit qu’une fois *9.
Cet essai malheureux sonne le glas des relations diplomatiques
entre les Internationales Ouvrières. L a signature avec VAllemagne
du traité de Rapallo indique que Lénine a renoncé à ses illusions à
cet égard — si toutefois il en a jamais eu.
La participation d’une délégation de 1TC à la conférence de
Hambourg (1923) n’est plus qu’une tentative désespérée. Dans le
contexte de 1923, où la poussée à gauche est retombée, la 2e et la
2 1/2 ont décidé un congrès de fusion à Hambourg. C’est la I I 6 qui
a le vent en poupe et la 2 1/2 qui vient en repentante. L a déléga­
tion de la 3° qui comprend le polonais Waletski (président) 70,
Losovsky (ISR), A. Andreiev (C G T URSS) ” , Heckert (PC A ) 72, Tom
Bell (GB) 7a> Rosmer (P C F ), intervient en vain 74.

Rosmer ne se cantonne pas dans ces problèmes des internatio­


nales politiques, il s’intéresse tout aussi activement aux questions du
syndicalisme international qui sont les siennes depuis toujours. Là
il pense pouvoir faire œuvre véritablement u tile 75. Dans ce do­
maine, deux questions irritantes se posent : l’attitude à adopter face
aux vieilles organisations syndicales dominées par les réformistes,
les rapports à établir entre syndicats et partis. Elles sont très lar­
gement contemporaines. Nous avons cru cependant devoir les sépa­
rer, tant pour la clarté indispensable de l’exposé que pour respecter
une évidente succession chronologique : d’abord la première des
deux questions est brûlante, la seconde n’atteint qu’ensuite sa plus
grande acuité.

69. En mai 22 à Berlin, sans résultats. En juin, Vandervelde et ses


amis quittent avec fracas les audiences du procès des socialistes-révolution-
naires à Moscou et c’en est fini de la commission des 9.
70. Maximilien Waletski entre au PS Polonais en 1895 et fait partie de
sa direction de 1906 à 1918, Réfugié en Suisse pendant la guerre, il par­
ticipe au mouvement zimmerwaldien. II rentre en Pologne en 1918, orga­
nise le PC Polonais qu'il représente dans les organismes de l'IC.
71. André Andreiev, né en 1895, est à la fois dirigeant syndical et mem­
bre du Comité Central du PC URSS. Ancien métallurgiste à Pétrograd, il a
soutenu Trotsky lors de la discussion syndicale. En 1922, il se rapproche
de Staline, se tourne vers les questions agraires et reste dans les organismes
dirigeants du Parti jusqu’à 1956.
72. Fritz Heckert (1884-1936) est à la gauche du PS Allemand depuis
1902. Il a fait de Chemnitz. un bastion spartakiste et a participé activement
à la révolution allemande de 1918. Dirigeant du PC allemand, il évite
de s’engager dans les querelles de tendance. En 1928, il est secrétaire de
r iC à Moscou et conserve jusqu’à sa mort l'appui de Staline.
73. Tom Bell a joué un rôle décisif dans l’unification des petits grou­
pements marxistes anglais qui aboutit en août 1920 à la fondation du PC
Anglais.
74. Moscou, 272-278.
75. Moscou, 109.
les internationales rouges 217

Quelle attitude adopter face aux organisations syndicales exis­


tantes, dominées par les réformistes ? Concrètement, faut-il rester
dans ces organisations ? Faut-il les quitter pour en fonder d'autres ?
Problème tactique qui, bien sûr, est étroitement lié à celui de la
ligne générale, à la question du gauchisme. Lénine pense que la
scission syndicale est une maladie issue de l'infantilisme gauchiste
et qu'abandonner les vieux syndicats revient à les livrer sans combat
aux chefs réformistes, à faire le jeu des Jouhaux, Legien, Hender-
son. Il faut rester dans les syndicats car on peut y être au contact
des masses, surtout si l'on prend soin de réunir le plus souvent pos­
sible des assemblées de non-syndiqués, de sans-parti. Lénine en
tire la condamnation des IW W , scissionnistes dès l'origine, et de
l’Union Générale Ouvrière allemande 76.
Face à Lénine, encore une fois, Gorter et Pannekoek. Pour Pan­
nekoek ia bureaucratie syndicale brise la volonté révolutionnaire
des masses et le syndicalisme dans son ensemble s'est intégré pro­
fondément au régime capitaliste. Un changement dans les équipes
dirigeantes est donc incapable de transformer la politique syndi­
cale : c'est la forme même de l'organisation syndicale qui est per­
nicieuse. Plus de syndicats, des conseils !
Gorter soutient sensiblement les mêmes thèses 77. Les syndicats
sont au nombre de ces armes inutilisables, de ces armes défec­
tueuses dont le prolétariat occidental ne saurait s’embarrasser. Il
faut ou les supprimer, ou les transformer radicalement. Il faut m et­
tre à leur place des « organisations d'entreprise, réunies dans une
organisation générale ». Ces organisations qu'on les appelle « d'en­
treprise », « d'usine » ou « de lieu de travail », sont nécessairement
des organisations issues de scissions. Ces scissions se justifient :
elles sont psychologiquement désirées par les travailleurs révolu­
tionnaires, elles sont concrètement inévitables car les travailleurs
doivent faire vivre financièrement leurs organisations de combat
avant tout et ils n'ont pas les moyens de cotiser partout, elles sont
justes du point de vue révolutionnaire. Et Gorter de conclure :
« Quoique vous et le congrès de l'Internationale puissiez dire, et
avec quelque mécontentement que vous considériez la scission, elle
aura toujours lieu, pour des raisons psychologiques et maté­
rielles 78. »
Il donne en exemple l’Union Générale Ouvrière allemande — à
laquelle il attribue 70 000 membres. Son organisation est la sui­
vante : dans chaque usine sont élus des « hommes de confiance »,
les organisations d'usines sont regroupées en districts économiques

76. Voir Le gauchisme... L e même thème est repris dans un grand


nombre de brochures bolcheviques notamment dans D r i z d o - L o s o v s k y ,
Conquête ou destruction des syndicats ouvriers.
77. G o r t e r , op. cit., pp. 6-7 et 26 et suiv.
78. Ibid., p. 33.
218 alfred rosmer

qui élisent d'autres hommes de confiance. Les districts élisent la


direction générale. Les hommes de confiance sont révocables à tout
moment et toutes les organisations d’usine, sans distinction d’indus­
trie, forment une seule Union Ouvrière. En calquant sur l’usine son
organisation, l'Union Générale Ouvrière maintient le contact avec
les masses là où elles se trouvent : non pas dans les syndicats mais
dans les usines. Enfin puisque TIC admet des organisations scission­
nistes (les IW W , le Rank-and-File Movement), organise une Inter­
nationale Syndicale Rouge, il est illogique de la voir condamner
théoriquement le principe de la scission et l’Union Générale
Ouvrière allemande.
Rosmer, pour sa part, approuve Lénine dans la question syndi­
cale, d'autant que ce que dit le Lénine de 1920, il le disait déjà en
1914, devant la tentative d’internationale Syndicaliste. Radek et
surtout les représentants des Shop-Stewards Committees70 sont
d’accord avec lui. Rosmer trouve cependant que la condamnation
de la tactique scissionniste, telle que la fait le I I 0 congrès de l’IC
est trop sommaire, trop brutale, incapable de convaincre.
Tandis qu’en France la minorité de la C G T approuve et demande
à la Confédération des Travailleurs du Monde de se dissoudre et
à ses membres de rentrer dans la C G T 80, les Américains et les
Allemands se font tirer l’oreille. Reed montre que seuls les IW W
ont de la sympathie pour 1TC et voilà qu'on leur demande de se
dissoudre pour aller dans l’A F L , hostile à TIC 8\ Les Allemands
croient impossible de conquérir la centrale de Legien, forteresse
imprenable 82. Les Shop-Stewards finalement restent sur une posi­
tion médiane en proposant que chacun adopte la tactique de son
choix.
En fait, le problème et les camps en présence ne se présentent
pas avec une netteté schématique. Il y a des flottements chez les
bolcheviks. Dès son arrivée à Moscou en 1920, Rosmer assiste à
une séance du comité exécutif de ITC où Losovsky propose de
regrouper les éléments favorables à ITC ; organisations anarcho-
syndicalistes ayant adhéré en bloc à ITC, minorités révolutionnaires
des syndicats réformistes. Rosmer approuve l’idée s’il y a simple­
ment liaison et coordination 83. D e plus, les partisans de ITC ne
sont pas entièrement maîtres de leurs décisions car les réformistes
procèdent eux-mêmes aux exclusions qui leur paraissent oppor­
tunes. La pratique a été inaugurée par la C G T française. Approu­
vée par lTntemationale Syndicale d’Amsterdam, elle se répand dans

79. Moscou, 91.


80. Sur c e petit groupe voir A. K r i e g j e l , Aux origines du Communisme
français, pp. 747 et suiv.
81. Moscou, 108.
82. Conseil International des Syndicats Rouges. C.R. du C I des S.R.,
pp. 19-20.
83. Moscou, 61.
les internationales rouges 219

les autres pays. Pendant que les révolutionnaires se tâtent sur le


thème « rester ou partir ? » les réformistes décident pour eux en
les excluant.
C’est alors un problème transformé qui se pose : que faire des
exclus ? Un vrai dilemme ! Car les exclus, isolés, sont impuissants
et inactifs dans cette période analysée comme une période d’accen­
tuation de la lutte de classes (grèves françaises, grève des mineurs
anglais, grèves des métallurgistes et des paysans italiens) et de for­
midable développement des effectifs syndicaux, puisqu’à Moscou
on pense que le total mondial des syndiqués est passé de 9 à 40
millions 64. D e plus les structures de la classe ouvrière se transfor­
ment, modifiant radicalement les structures sociales internes des
syndicats, 1TSR ne l’ignore pas, qui écrit :
« Les syndicats ne peuvent déjà se contenter de rassembler les
ouvriers les plus qualifiés et les plus conscients dans la lutte pour
l'amélioration de leur situation. D e jour en jour, ils sont obligés
d'ouvrir plus largement leurs portes devant ce flot d’ouvriers non-
qualifiés, de manœuvres, qui par leur seule apparition brisent les
vieux cadres corporatifs des syndicats, exigent de nouvelles métho­
des d’organisation, et se montrent très peu ou même pas du tout
disposés à prendre en considération les traditions bureaucratiques
des vieux syndicats ®5. »
Cette masse de révolutionnaires en puissance ne peut être aban­
donnée aux réformistes. Mais si on organise les exclus en centrales
nationales — et, pire, en centrale internationale — c’est l’accentua­
tion des risques d’exclusion et cela peut ouvrir la voie au triomphe
d’une tactique que l’on vient justement de condamner. Sans parler
de ceux qui se feront exclure volontairement.
Finalement la cote mal taillée du « groupe d’initiative » prévaut.
De là on passera peu à peu à l’Internationale Syndicale Rouge. Un
« groupe d’initiative » prend donc contact avec les diverses déléga­
tions syndicales présentes à Moscou à l’occasion du I I e congrès de
TIC s\ L e 16 juin 1920, sur convocation du comité exécutif de l’IC,
« pour laquelle le sort futur du mouvement syndical ne peut être
indifférent », a lieu une première réunion. Williams (Transports) et
Purcell (Comité Parlementaire du Trade-Union Congress)87 repré­
sentent les Anglais. Les Italiens sont D ’Aragona (C G T I), Bianchi

84. Conseil International des Syndicats Rouges..., op. cit. Sur la crois­
sance de la CGT française, voir A. K r i e g e l , La croissance de la CGT...
85. CISR., op. cit., pp. 7-8.
86. Ibid. On y trouvera les éléments de l'historique que nous avons ten­
té de dresser.
87. A. A. Purcell est syndiqué depuis 1891, il a organisé des syndicats
dans l’ameublement. En 1919, il a été élu au conseil général des Trade-
Unions. Député en 1923, il préside en 1924 le Trade-Union Congress et la
délégation des syndicats anglais en Russie.
220 alfred rosmer

(Unione Sindicale Italiana) E. Colombini (Métaux), E. Dugoni


(Ouvriers Agricoles) 89. L e comité central pan-russe des syndicats
ouvriers a délégué Losovsky, Tomski, Tziperovitch, Schmidt90, Mel-
nitchanski des syndicats de Moscou. Zinoviev représente TIC. Mal­
gré une opposition anglo-russe sur les rapports des syndicats et de
l i e , sur la dictature du prolétariat, sur l’attitude à adopter face
à Amsterdam, on prend une décision : les syndicats de gauebe se
réuniront en conférence.
En Juillet 1920, un Conseil International Provisoire des Syndicats
Rouges (CIPSR) est donc fondé 91. Quand, dans un pays, des syn­
dicats auront adhéré au CIPSR, ils s’entendront pour envoyer un
délégué au conseil central de l’organisation. Russie, Géorgie, Italie,
Espagne, Yougoslavie, Bulgarie, France fournissent les premiers
délégués. Quand des syndicats de nouveaux pays adhéreront, ils
désigneront à leur tour un délégué. L ’IC envoie un représentant. Le
bureau se compose de trois membres : un secrétaire général élu par
le conseil (Losovski), un membre du conseil, un représentant du
comité exécutif de l’IC . L e travail sera réparti entre cinq sections :
pays germaniques, pays romans, Angleterre, Amérique, Orient. Des
bureaux seront ouverts en Angleterre, aux USA, en Allemagne, dans
la République d’Extrême-Orient. Une section de publication,
d’information et de presse publiera en quatre langues un Bulletin
du Conseil International des Syndicats Ouvriers. Four tenir les syn­
diqués russes au courant, un Messager du Mouvement Interna­
tional paraîtra mensuellement. Un autre périodique informera les
syndiqués étrangers sur la vie syndicale russe. Une section de liai­
son avec l’étranger recueillera les informations venant de l’étranger
et expédiera vers l’extérieur la littérature russe. Des organes techni­
ques complètent l’édifice : administration, chancellerie, sections
financière et économique. L e financement initial est assuré par la
C G T russe, la relève devant se faire aussi vite que possible. De
juillet 1920 à juillet 1921, le conseil et ses sections tiennent 20 réu­
nions qui donnent lieu à minutieuse statistique. Les sujets abordés
sont, dans l’ordre de fréquence décroissante :
— Organisation (20 fois).
— Préparation de la conférence (16 fois).
— Mouvement syndical en Europe (11 fois).

88. Bianchi a animé en 1917 des grèves d'ouvriers agricoles. En 1921,


il se ralliera à Mussolini.
89- Enrico Dugoni a été député socialiste et a participé à la conférence
de Kienthal.
90. Vassili Schmidt (1886-1938), ouvrier métallurgiste, exerce parallè­
lement des fonctions politiques et des fonctions syndicales. En 1918, il
est Commissaire au Travail et secrétaire à la direction des syndicats pan-
russes. Il appartient au Comité Central du PC URSS jusqu’en 1929 où il
est éliminé avec l'opposition de droite.
91. CISR, op. cit.
les internationales rouges 22 L

— Délégations à l’étranger des syndicats ouvriers russes (11 fois).


— ■ A ppel à des ouvriers de divers pays et rapports écrits avec
des syndicats étrangers (10 fois).
— Rapports mutuels avec 1TC (5 fois).
— Liaison des fédérations russes avec l'étranger (4 fois).
— Liaison avec les syndicats russes (3 fois).
— Attitude face aux courants du syndicalisme occidental (3 fois).
La même source fait état de l'adhésion, au 1er juillet 1921 de 11
confédérations nationales et 28 fédérations nationales de métiers ou
d'industries, au total 17 millions de membres dont 6,5 millions de
Russes, 2,3 d*Allemands et 300 000 Français.
En ce qui concerne l'organisation internationale, persiste une
attitude ambiguë que traduisent les textes. En septembre 1920,
Zinoviev et Rosmer signent conjointement une proclamation de
TIC et du Conseil International Provisoire des Syndicats Rouges
aux travailleurs de France. Ils y déclarent que TIC est opposée à
toute scission :
« [...] Elle ne conseille pas la création de syndicats révolution­
naires à côté des syndicats réformistes. Elle a dit aux commnuistes et
elle répète qu’ils doivent rester et lutter à l'intérieur des syndicats
réformistes et elle a condamné les camarades Allemands qui, avec
les meilleures intentions, ont suivi l’autre voie... Mais en même
temps, elle stigmatise l’Internationale d’Amsterdam comme « jaune »
et, comme contrepoids de cette caricature d’internationale, qui
n’est rien d’autre qu’une section de la Ligue des Nations, elle a
créé une véritable Internationale... »
Les appels à l’unité ouvrière et les mises en garde contre la scission
voisinent avec une critique extrêmement dure d’Amsterdam et la
création d'une nouvelle organisation. La proclamation de septembre
indique :
« Nous disons de cette Internationale [d ’Amsterdam] qu'elle est
une Internationale jaune parce que, non par la volonté des masses
ouvrières qui la composent, mais par la volonté des hommes qui la
dirigent, elle est une organisation de contre-révolution. »
En novembre 1920, à la veillé du congrès de l'Internationale d’Ams­
terdam (à Londres) l’IC et le CIPSR lui envoient une lettre
ou verte92. L e congrès ne sera qu'un «congrès de leaders jaunes » ,
qui ne représentent pas plus les syndiqués que les députés ne repré­
sentent les peuples. Les traîtres de la guerre se rassemblent,
« [...] Voilà tous ces Judas qui s'assemblent, se pardonnent mu­
tuellement, s'amnistient réciproquement eux-mêmes. »

92, Ibid. Ce texte est publié au tome I, pp. 204-205 du recueil de J.


Degras, mais attribué, à tort pensons-nous, à 1TC et à l’ISR.
222 alfred rosmer

Les agents, les chiens de garde du capitalisme, « pygmées », « Kou­


laks du syndicalisme, réactionnaires syndicaux » haïs et méprisés
par les travailleurs cherchent sur le terrain syndical une revanche
à la déroute de la IXe Internationale politique. L e CIPSR n’en
condamne pas moins toute tactique d'abandon des syndicats par les
ouvriers d’avant-garde et préconise la lutte contre les éléments
opportunistes au moyen de noyaux révolutionnaires °3. En fait
l’ambiguïté persiste.
Les statuts du C IPSR fixent minutieusement le mode de convo­
cation de la conférence prévue pour le 1er juillet 1921. N e seront
admis que les syndicats ou les minorités syndicales qui pratiquent
la lutte de classes et admettent la dictature du prolétariat. Les
centrales nationales, syndicats isolés et minorités syndicales infé­
rieures à 500 000 membres auront deux délégués. Chaque groupe
de 500 000 membres supplémentaires donnera droit à un nouveau
délégué. Les fédérations internationales d’industrie ont un délégué
à voix consultative. Les fédérations nationales ne peuvent être
représentées séparément si leur centrale nationale Test déjà. Quant
aux organisations qui ne se sont pas prononcées sur la dictature
du prolétariat (IW W ), elles sont invitées à titre consultatif.
Quand cette conférence se réunit finalement en juillet 1921 et
se transforme rapidement en congrès constitutif de l’ISR, ce n’est
pas une modification de la tactique qui impose cette transformation,
c’est l’évolution de la discussion sur les rapports parti-syndicat :
c’ est une question toute différente par conséquent, qui entraîne
cette mutation.

La question des rapports parti-syndicat ne s’est posée que de


façon très diffuse pendant toute une période. L ’essentiel des dis­
cussions dans le mouvement syndical révolutionnaire portait sur la
question de la tactique par rapport aux vieux syndicats, question
qui accaparait l’attention. Les Russes qui négligent leurs propres
syndicats — Rosmer qui va travailler chaque jour dans des locaux
prêtés au C IPSR par la C G T russe et peut constater à quel point
celle-ci est démunie, s’en rend bien compte — ont tendance à
négliger la question syndicale dans son ensemble. L T C se décharge
de la question syndicale sur les PC encore en gestation et bien
incapables d’imposer quoi que ce soit à des syndicalistes qui
d’ailleurs sont souvent l’ossature des partis.
En 1920, l’IC a traité de façon brouillonne la question syndicale,
la commission syndicale est présidée par Radek ®4, elle s’enlise dans
la discussion et ne décide pas clairement. Jack Tanner, Murphy,
Reed, Ramsay, se sont opposés à toute subordination. Les ex-so­

93. Archives Monatte, Déclaration du soviet international des syndicats


ouvriers.
94. Moscou, 120.
les internationales rouges 223

ciaux-démocrates, dit Rosmer, Radek en. tête qui a gardé sa men­


talité de social-démocrate allemand, déféndent la vieille tradition
de subordination syndicale.
L e C IPSR en a discuté près d’un mois pour aboutir en juillet
20 à une motion de compromis signée par ses membres : Losovsld,
D ’A ra g o n a , Pestana, Rosmer, Chabline (Union générale des syndi­
cats ouvriers bulgares) 9S, Milkitsch (C G T yougoslave), Ikadzé (mi­
norité communiste des syndicats ouvriers de Géorgie). Elle affirme
que :
« L e devoir de la classe ouvrière est de réunir toutes les forces
prolétariennes organisées dans une puissante association de classe
révolutionnaire qui, travaillant côte à côte avec l’organisation poli­
tique internationale communiste, et en liaison étroite avec celle-ci,
pourrait développer toutes les forces pour la victoire définitive de
la Révolution Sociale et pour l’établissement de la République mon­
diale des Soviets 9fl. »
Un représentant du CE de 1TC figurera au CIPSR qui fonctionnera
en accord avec le CE de 1TC « dans les conditions fixées par les
congrès »*
En 1921, la question apparaît au contraire en pleine lumière.
La modification de la conjoncture révolutionnaire éloigne les
perspectives d'offensive victorieuse, toutes organisations confon­
dues. Elle met à l'ordre du jour une lutte de longue haleine avec
syndicats et partis distincts. En Russie, les difficultés économiques
ont entraîné une « discussion syndicale » qui prouve aux Russes
l’importance des syndicats et qui révèle aux militants étrangers la
situation subordonnée des syndicats russes. La discussion sur les
rapports parti-syndicat s’avive jusqu’à devenir envahissante. C ’est
Trotsky dans une lettre à Monatte 07 qui résume le mieux la posi­
tion des bolcheviks. La Charte d’Amiens, valable en son temps,
quand elle présidait aux rapports de la C G T avec un parti réfor­
miste, est de valeur « historiquement limitée ». L ’évolution des
contextes avec la guerre, la révolution russe, la vague révolution­
naire en Europe, le développement de la I I P Internationale l’ont
rendue caduque. Elle n’a d’ailleurs plus de sens face à des partis
authentiquement révolutionnaires qui sont l’avant-garde du prolé­
tariat.
« Est-il possible qu’en 1921 nous ayons à retourner aux positions
de 1906 et à «recon stru ire» le syndicalisme d’avant-guerre? [...]

95. Chabline appartient au Comité Exécutif de l’IC et, au IIe Congrès


mondial, a été membre, avec Rosmer, de la Commisison des Mandats.
96. CR. du CI. des SR..., p. 20.
97. Archives Monatte, Trotsky à Monatte, 13-VII-1921. Lettre publiée
par C. C h a m b e l l a n d , « Autour du Ve congrès de l’ISR », Mouvement
social, avril-juin 1964, puis dans L. T r o t s k y , Le mouvement communiste
en France ( 1919-1939), pp. 113-115.
224 alfred rosmer

Cette position est amorphe, elle est conservatrice, elle risque de


devenir réactionnaire L e syndicalisme-révolutionnaire d'avant-
guerre était l’embryon du PC. Retourner à l’embryon serait une
monstrueuse régression. »
« Communistes révolutionnaires » et syndicalistes-révolutionnaires
doivent s’unir en « un seul Parti » , en un « tout cohérent » et agi­
ront « a u sein des syndicats demeurés autonomes». L ’idéal, c’est
donc une organisation unique pour les révolutionnaires.
Les syndicalistes et anarcho-syndicalistes de leur côté, s’ils disent
bien haut leur dégoût d’Amsterdam refusent toute subordination
et invoquent la Charte d’Amiens. Les Français ne sont pas seuls en
cause et tous les pays sont concernés. D e plus, le débat ne reste
pas théorique car il a des répercussions directes sur le plan des
OigànisaLioas. Les uns qui avaient adhéré â 1ÏC, tels Pestana ou
Borghi s’en éloignent, d’autres, dont on espérait l’adhésion, la
remettent. D ’autres enfin tiennent en décembre 1920, à Berlin, une
conférence internationale. Est-ce l’amorce d’une nouvelle interna­
tionale syndicale ?
Rosmer et Earl Browder de la Trade-Union Educational League
des U SA et d’ailleurs membre dirigeant du PC USA, pensent que
la détestable formule de « liaison organique » fausse tout le pro­
blème, car il ne s’agit pas de savoir si c’est le Parti ou le syndicat
qui doit diriger. Une coordination des actions des partis et des
syndicats est nécessaire sous peine d’être vaincus par une bourgeoi­
sie « qui a appris depuis longtemps à combiner et coordonner ses
actions politiques et économiques » aa. Leur raisonnement sur ce
point sera d ’ailleurs repris presque textuellement par Losovski
Ils ne veulent cependant pas condamner les « préjugés syndicalis­
tes » avec trop de force car, après tout, ce sont les syndicalistes qui
ont été au premier plan dans la lutte contre la guerre et contre
l’intervention.
Dans les décisions qui seront prises par les congrès de 1921,
rinfluence de Rosmer est décisive. Il est co-président avec Heckert
de la commission syndicale du congrès de ITC, il est co-rapporteur
avec Mann de la commission du premier congrès de 1TSR. Il n’a
pu s’entendre avec Zinoviev, son premier co-rapporteur qui consi­
dère ITC comme un état-major et 1TSR comme une section 10°. Leur
opposition est très vive en particulier en ce qui concerne l’interpré­
tation de la Charte d'Amiens. L e Bulletin du I I P Congrès de TIC,
rapportant le discours de Rosmer aux Congrès de l’ISR, note :
« [...] Rosmer indique que Zinoviev a montré qu’il n’en a
pas bien saisi l’esprit. D e ce programme, il n’a retenu que le « neu­
tralisme » , sans avoir compris le rôle révolutionnaire de la Charte

98. Compte rendu du CI. des SR..., p. 7.


99. Préface à Résolutions et statuts adoptés par le premier congrès..,
100. Compte rendu du CI. des SR..., p. 18.
les internationales rouges 225

d ’A m ie n s , ni le s c o n jo n c t u r e s h is t o r iq u e s o ù le m o t d ’o r d r e de
« neutralité d e s s y n d ic a t s » à l’ é g a r d d e s p a rt is p o li t iq u e s a été
p r o c la m é . En ré a lité , la n e u t r a lit é n ’a ja m a is e x is té 101. »

A la demande des autres membres de la commission — Losovski,


T ro ts k y , Mann — Zinoviev se r e t ir e et laisse la place à Mann.
L e 12 juillet 1921, le congrès de 1TC, sur présentation de sa
commission syndicale prend les décisions fondamentales en votant
une motion qui tient compte des divers points de vue exprimés en
un dosage caractéristique 103. Les bolcheviks ont toute satisfaction
de principe. L'idée de l'apolitisme syndical est une idée bourgeoise,
une idée qui favorise la bourgeoisie. Des syndicats apolitiques sont
en effet moins dangereux pour elle que des syndicats qui soutien­
nent les partis révolutionnaires :
« Objectivement, le préjugé favorable à la neutralité, à l’indé­
pendance, à l’apolitisme non-partisan qui infecte certains syndica­
listes véritablement révolutionnaires de France, Espagne, Italie et
autres pays, n’est autre qu'un tribut payé aux idées bourgeoises. »
Cette idée nuisible est aussi une idée fausse car les questions poli­
tiques et économiques sont indissolublement liées. Les PC sont
l ’ a v a n t - g a r d e , les syndicats sont les organisations de masse qui,
« dans les rapports avec le Parti [...] jouent en quelque sorte le
rôle de la périphérie par rapport au centre ». Dans le cadre natio­
nal, le Parti ne doit pas agir directement sur le syndicat, mais il
e st légitime qu’il agisse sur sa cellule organisée dans le syndicat. A
la cellule de se montrer persuasive :
« C ’est seulement par un travail patient, dévoué et intelligent des
cellules dans les syndicats que le Parti sera capable de créer une
situation où les syndicats dans leur ensemble suivront volontaire­
ment et joyeusement son avis... »
Au niveau international, l’idéal serait une organisation unique, à la
fois politique et syndicale.
Mais c’est ici que les syndicalistes obtiennent des apaisements
pratiques et une concession décisive. Cet idéal n’est pas abandonné
mais ne sera réalisé que plus tard. Dans la période transitoire une
organisation distincte est créée, l'ISR. Dans cet éclairage, complété
par ce que nous savons de l’hostilité de principe des bolcheviks à
l’égard de toute scission syndicale, la transformation de la confé­
rence du C IPSR en congrès constitutif de l’ISR, n’apparaît donc pas
comme une manœuvre scissionniste internationale. E lle est une
concession des bolcheviks dans le domaine des rapports parti-syn-
dicat à leurs partenaires syndicalistes plus qu'à demi-hostiles à la

101. 12-V II-1921. Au Congrès de VlSR.


102. Thesen und R e s o lu tio n e n .p. 70. Reproduit dans J. D egras,
op. cit., tome I, pp. 274-281.

15
226 alfred rosmer

notion de Parti, tout à fait hostiles à la domination des politiques,


posant des jalons pour une internationale syndicaliste-révolution­
naire. Rentrant de Moscou, Rosmer le dit nettement :
« Nous avons dû, au congrès, faire une conciliation entre les
éléments communistes et les éléments syndicalistes et nous avons
toujours eu la préoccupation de bâtir une maison habitable pour les
uns et pour les autres 103. »
L ’ISR, organisme subi par les bolcheviks, est aussi pour eux un
organisme transitoire.
Ayant ainsi cédé sur un point important, les bolcheviks vont
s’efforcer au congrès de 1TSR d’empêcher tout nouveau glissement
en maintenant une ferme liaison entre les deux internationales par
la présence au Comité Exécutif de l’ISR d’un représentant de l’IC.
Aux protestations des syndicalistes français, ils essaieront de faire
de simples concessions de forme.
Quand le congrès constitutif de l’ISR s’ouvre le 9 juillet 1921,
quelle est l’attitude des délégations face au compromis en cours
d’élaboration ? Les Italiens 104 et les Espagnols 105 l’approuvent. Nin
et Maurin de Catalogne, Jésus Ibanez de Biscaye10s, Arlandis de
Valence 107 sont d’accord. Arlandis déclare :
« Nous sommes des syndicalistes qui ont profité des leçons de la
guerre et de la révolution russe. Nous nous plaçons dans le cadre
des idées générales de 1TC. Nous sommes partisans d’un lien per­
manent entre les deux Internationales par l’échange de membres des
Comités Exécutifs. L e représentant de l’IC venant chez nous avec
voix consultative 108. »
Mais ils parlent en leur nom personnel car la C N T réserve sa déci­
sion pour l’après-congrès.
Au congrès, il y a en effet une opposition syndicaliste-révolution­
naire. Sou vanne a beau la dire « inexistante », elle existe bel et
bien. Elle s’alimente à deux sources, l’hostihté à la tactique de pré­
sence dans les vieux syndicats réformistes, l’hostilité à tout lien
avec TIC, parce qu’elle est une internationale politique. L e délégué
des IW W , Williams 10% est particulièrement agressif. Rosmer met
d’ailleurs en doute sa représentativité :

103. VO., 28-X-1921. Après 15 mois...


104. Archives Monatte, Souvarine à Monatte, 9-V III-1921.
105. Moscouj 192-193.
106. Ibanez est l’un des fondateurs du PC espagnol.
107. Arlandis, anarchiste d'origine, est à la CNT. Il passera au PC espa­
gnol puis à l'Opposition de Gauche.
108. Bulletin du I I I e Congrès de V I C 13-VII-1921. Au congrès de l’ISR.
109. Williams appartient à la fédération de l’aluminium et aux organi­
sations IW W du Michigan.
les internationales rouges 227

« L ’impression générale était qu’il représentait bien mal les IW W .


Nin l’a déclaré publiquement. Haywood et Andreytchine110
les représentaient certainement mieux mais n’étaient pas délégués
officiels »
Quoi qu’il en soit, et plaise ou non à Rosmer, c’est Williams qui a
le mandat des IW W . Les organisations allemandes qui ont quitté
les syndicats réformistes — notamment TAllgemeine Arbeiter
Union — s’opposent aussi au compromis.
Sur l’attitude de la délégation française, nous disposons des
témoignages, tous hostiles, de Rosmer, Souvarine et Godonnèche 112.
Il y a là Gaudeaux des employés, Sirolle des cheminots 113, Labonne,
Michel Kneller 1I% Tom m asiI1S, Claudine et Albert Lemoine,
Gaye 116 et Godonnèche. Monatte n’est pas venu malgré les invi­
tations pressantes. Les délégués français ont été désignés par les
syndicalistes « purs » qui sont à la tête de la minorité syndicaliste

110. Géo Andreytchine a appartenu au PS Bulgare et a eu des sympa­


thies pour le syndicalisme-révolutionnaire. Expatrié aux USA, il milite aux
IW W , a maille à partir avec le KKK, est emprisonné. Venu à Moscou à
titre personnel pour le congres de l’ISR, il reste dans les bureaux de TIC,
fait à Paris un voyage en 1924, appartient â l’Opposition de Gauche et est
arrêté en 28. En 1942, il est libéré et assure à Radio-Moscou les émissions
en langue anglaise. En 1945, il rentre en Bulgarie avec Dimitrov, revient
en mission à Paris, est fusillé en 47 ou 48.
111. AR. à Monatte, 26-VII-1921.
112. AR. à Monatte, lettres de juillet 1921, surtout celle du 14 ; Souva-
rine à Monatte, 9-V III-1921, Godonnèche à Monatte. 28-VII-1921 et à sa
femme, 13-VII-1921. Compléter avec Moscou, 189 et suiv. Godonnèche,
minoritaire de guerre, a été amené à présider en mai 1920 le Comité pour
la IIÏe quand ses dirigeants ont été emprisonnés dans l’affaire du
« complot ».
113. D’abord anarchiste, Sirolïe est membre du bureau de la Fédé­
ration des cheminots et minoritaire pendant la guerre. En 1919, il est
membre du Comité Provisoire des Syndicats Minoritaires de la CGT et
secrétaire de la Fédération des cheminots. Il a été arrêté dans l’affaire du
« complot ».
114. Moïse Kneller (ou Relenque, ou Michel le Terrassier), militant du
Bâtiment vient de I’anarchisme. Réfugié à Londres pendant la guerre, il
s’est tenu sur des positions révolutionnaires, critiquant Grave et Kropotkine,
se refusant à toute guerre, sauf à la guerre sociale, « la seule à laquelle
les anarchistes puissent donner leur vie » (APP. Ba. 1559, lettre de K. du
5-V-1916). Il se retire du mouvement en 1921.
115. Tommasi (1886-1927), ouvrier mécanicien, entre au PS en 1904.
Il est en 1921 secrétaire de l’Union des Syndicats de la Seine. Quand il
rentrera de Moscou, après avoir accepté l’adhésion à 1TSR, il sera contraint
à la démission. Il est à l’aile gauche du PC. Il meurt lors d’un voyage à
Moscou.
116. Georges Gaye (1881-1948) est membre du syndicat des métallur­
gistes de Bordeaux, de la minorité de la CGT et du PCF. En juillet 23,
il sera secrétaire de la fédération CGTU des Métaux. En 1925, il renonce
à son mandat, se prononce pour l’indépendance du syndicalisme et se
rapproche de la Révolution Prolétarienne.
228 alfred rosmer

de France, Ils donnent à l’expression de « liaison organique » le


sens d’une subordination au Parti et ils ont pour mandat de lutter
contre cette liaison. En fait, leur possibilité réelle de manœuvre est
médiocre car le syndicalisme français jouit alors de peu de prestige
à Moscou. Par leur dérobade du 21 juillet 1919, les Français ont
laissé les Italiens faire seuls la démonstration prévue contre l’inter­
vention, les grèves de 1920 ont échoué. L a délégation même est
discutable pense Rosmer : « Vous nous en avez envoyé une
équipe ! », dit-il à Monatte I17. Gaudeaux, Kneller, Sirolle sont de
vrais « pantins » , le dernier aurait dû être éliminé après son attitude
lors des grèves de mai. Godonnèche ajoute pour sa femme qu’ils
se conduisent en touristes, supportent mal les difficultés matérielles
de la vie dans un. pays épuisé :
« Malgré le régime de faveur, en fait de nourriture, c’cst plu toi
maigre. Beaucoup ont déjà maigri de plusieurs livres. Quant à moi,
je n’ai jamais été gros mangeur, tu le sais, et ça me sert. »
Quant à Souvarine, il nous les montre courant au théâtre, au con­
cert, « sur le boulevard pour chercher fortune », peu désireux
d’écrire à leurs mandants et de travailler sérieusement. Leur tacti­
que d’ensemble est- médiocre. Sans doute est-il normal qu’ils défen­
dent leur mandat mais au heu de s’appuyer sur qui que ce soit,
certains Espagnols par exemple, ils s’enferment dans un « splendide
isolement ». Ils ne viennent pas aux réunions de travail du congrès
et n’apparaissent aux séances plénières que lorsqu'ils ont un dis­
cours à faire. Et encore pas toujours : Lemoine propose un texte
mais fait désigner Sirolle pour le défendre à sa place, Sirolle
s’absente et c’est Godonnèche, pourtant hostile au texte, qui doit
finalement le défendre ! Ils se contentent d’affirmer de façon tran­
chante une doctrine fraîchement acquise et prennent comme porte-
parole Kneller que Rosmer juge très sévèrement : un « anarchiste
versatile et fantaisiste », « un homme jusqu’alors inconnu qui se
sacra lui-même théoricien du syndicalisme-révolutionnaire ». Enfin,
la délégation française est divisée car Godonnèche et Tommasi
s’opposent à leurs collègues.
Leur unique proposition concrète, est la motion Lemoine 118 ;
« Les rapports établis entre les deux Internationales sont les
suivants :
Les Comités Exécutifs de chaque Internationale sont numérique­
ment équivalents. Les secrétariats de chaque Comité Exécutif doi­
vent se transmettre mutuellement toute statistique, tout renseigne­
ment qu’ils jugent utiles au développement moral et numérique des
deux Internationales. Pour établir le contact nécessaire en vue du
déclenchement des mouvements révolutionnaires des masses ou­

117. Lettre du 17-VU-192L


118. Dans G o d o n n è c h e , lettre à Monatte citée.
les internationales rouges 229

vrières nationalement et internationalement, il suffira que l’un ou


l’autre des secrétariats internationaux, à l'unanimité de ses mem­
bres, demande une assemblée plénière des deux Comités Exécutifs.
S e ro n t valables et lieront les deux Internationales les décisions prises
à la majorité des 4/5 des voix. »
Isolés dans les votes, les français sont-ils isolés dans les tracta­
tions de couloir ? En d'autres termes, y a-t-il une liaison entre les
différents opposants ? Il est difficile de le dire, Kosmer n’en parle
point mais Godonnèche affirme qu’une partie de la délégation fran­
çaise a pris contact avec les libertaires russes, avec la demi-dou­
zaine d’adhérents du groupe Golos Trouda (La Voix du Travail).
Williams dans sa brochure 119 va plus loin, affirmant que les oppo­
sants tiennent le soir dans leur hôtel des réunions fermées, votent
des textes et continuent à le faire après ta clôtura du congrès. I!
va jusqu’à parler de « conférence de la minorité ». Ce qu’il y a de
certain, car, et Godonnèche 12°, et W illiam slîl l ’affirment, c’est que
deux tactiques sont en présence chez les syndicalistes. Williams
et les anarchistes veulent fonder une Internationale particulière et,
à cette fin, quitter le congrès à grand fracas et en protestant.
Sirolle, soutenu par les Français, les Espagnols, les Italiens, veut
créer une opposition interne dans 1TSR, une minorité syndicaliste
cohérente qui lutterait contre la majorité communiste. L a clôture
du congrès intervient d’ailleurs avant qu’on ait pu se mettre
d’accord sur la tactique et, au congrès, lech ec des syndicalistes a
été total.
Rosmer a tenté de persuader les syndicalistes par un discours
habile. Puisque la majorité des délégués est favorable à la coopéra­
tion des deux Internationales, on doit rechercher et trouver une
forme de coopération acceptable. Les syndicalistes admettent qu'ils
sont en face de partis de type nouveau mais les soupçonnent d’avoir
hérité d’une volonté dominatrice, ils les accusent de se réserver
les formes modernes de la lutte pour ne leur laisser que les « armes
rouillées ». Us invoquent Amiens. Sans doute avait-on raison de
dire en 1906 que les syndicats, groupant les seuls ouvriers, étaient
les seuls organismes de lutte de classes. En 1921, ce n’est plus
vrai car il existe des partis tel le PC URSS qui groupent l’avant-
garde de la classe ouvrière et représentent la classe ouvrière. C ’est
vrai que la C G T d’avant-guerre était un vrai parti révolutionnaire :
« [ . . . ] Il est certain que l’ancienne CGT, dans sa période héroï­
que, était un véritable parti révolutionnaire, qu’elle était un parti
politique, et un parti politique qui par beaucoup de points ressem­
blait au Parti bolcbeviste... »

119. P. 27.
120. Lettre à Monatte citée.
121. The first congress... pp. 28-29.
230 alfred rosmer

Mais il y a eu depuis toute une série de trahisons que les défail­


lances personnelles ne suffisent pas à expliquer. En fait, la poussée
des effectifs n’a pas seulement modifié le poids numérique de la
C GT, elle a modifié ses méthodes de lutte et sa mentalité, la CGT
est devenue aussi réformiste que les syndicats allemands ou les
Trade-Unions anglais. Les politiciens se sont îépandus dans les
syndicats et rien ne fera ressusciter la C G T d’avant-guerre. La mi­
norité syndicaliste-révolutionnaire en France commet des erreurs
de tactique : dupée par deux fois (juillet 1919, mai 1920) par la
majorité, elle ne saisit pas la nécessité d'un regroupement et reste
divisée en tendances, ce qui éloigne d’elle les masses. Sur le plan
international, là tentative de Londres en 1913 s’était soldée par un
échec. Au temps des petits groupes fiers de leur doctrine et de
leurs méthodes, on n’était pas parvenu à s’entendre. Comment
renouveler l’expérience au temps des mouvements de masse sans
aller à un fiasco plus lamentable encore ? Les syndicalistes
s’appuient sur l’expérience russe et sur des citations de Lénine pour
affirmer que les bolcheviks maintiennent les syndicats dans une
position subordonnée, mais ils commettent une erreur en ne voyant
pas que la situation russe n’est plus, comme chez eux pré mais
post-révolutionnaire. D ’ailleurs en URSS, les rapports entre Parti et
syndicat sont normalisés puisque Chliapnikov, le leader de l’Opposi­
tion Ouvrière siège au Comité Central du P C URSS. Bref, les révo­
lutionnaires doivent accepter le compromis proposé et s’unir au sein
de l’XSR 122.
A l’issue des discussions, soit à cause de l’attitude ridicule dés
Français — explication de Rosmer 123 — soit parce que les commu­
nistes refusent toute nouvelle concession, un texte est présenté par
Losovsky à Rosmer. Texte déjà signé par tout le bureau et qu’il
trouve inutilement rigide, véritablement provocant, une aubaine
pour Jouhaux et consorts. Il ne parvient pas à le faire améliorer et
ne peut obtenir qu’une transformation : la liaison organique n’est
pas obligatoire mais « hautement désirable ■». Signée notamment
par Losovsky, Tziperovitch, Rikov (Russie), Rosmer, Tommasi,
Godonnèche (France), Andrès Nin et Maurin (Espagne) 184 Tom
Mann (Angleterre), Heckert (Allemagne), Knight (Canada), la mo­
tion est votée par 282 voix contre 25. Losovsky condamne d’un ton
tranchant les « quelques esprits brouillons qui cherchent des formes
théoriques à leur pessimisme et à leur impuissance » 125. L a motion

122. Le discours de Rosmer au congrès est publié sous forme d'article,


BC„ 15-IX-192L
123. Moscou, 192.
124. Joaquin Maurin, instituteur de Barcelone et Andrès Nin, fils de
cordonnier catalan et instituteur lui aussi, représentent la CNT. Nin
(1892-1937) est entré au PS Espagnol en 1911 et y a défendu l’adhésion
à l’IC.
125. Résolutions et statuts adoptés par le 1er Congrès de VISR, p. 6.
les internationales rouges 231

pffirme la nécessité de la dictature du prolétariat et du régime


communiste, l’imbrication des actions politiques et économiques de
la bourgeoisie. Elle poursuit donc :
« L a logique de la lutte de classes actuelle exige l’unifica­
tion la plus complète des forces du prolétariat et de s a lutte révolu­
tionnaire et détermine ainsi la nécessité d’un contact étroit et d’une
liaison organique entre les diverses formes du mouvement ouvrier
révolutionnaire, avant tout entre l’Internationale Communiste et
l’In t e rn a t io n a le des Syndicats Rouges, il est aussi hautement dési­
ra b le que tous le s efforts soient faits dans le domaine national vers
l’établissement de relations similaires entre les partis communistes
et les syndicats rouges.
C’est dire clairement que faute d’unité organique, la solution passe
par la liaison organique assurée par la représentation réciproque
dans les Comités Exécutifs au niveau international et par des
moyens qui restent à déterminer au niveau national. L ’IC reste
l’avant-garde, l’ISR ayant compétence dans les questions syndicales
et rôle de « Centre dirigeant » pour ces questions 126. On voit que
le texte qui sort du congrès de 1TSR est semblable à des nuances
près au compromis accepté par le CIPSR en juillet 1920 et par TIC
en juillet 1921.
Battus à Moscou, les syndicalistes-révolutionnaires ne tardent pas
à lancer une contre-offensive d’ailleurs dispersée. Chez eux trois
tactiques restent en présence :
— opposition interne à l’ISR,
— politique d’attente,
— départ et création d’une nouvelle Internationale.
L a tendance qui se veut opposition interne parvient après la clô­
ture du congrès à faire voter des textes par l’ensemble des oppo­
sants, notamment un A ppel aux syndicalistes révolutionnaires du
Monde, que Williams attribue à un Français, sans plus de préci­
sions 127. Les syndicalistes ont quitté l'Internationale d’Amsterdam
parce qu’elle pratiquait la coopération des classes et parce qu’elle
était dominée par les partis.
« Mais à Moscou, nous rencontrons de nouveau la tendance des
partis politiques et — quelque nobles et exaltants que soient
leurs buts comparés à ceux de la soial-démocratie d’Amsterdam —
il est mauvais et il ne saurait être permis que des tendances poli­
tiques s’assurent l'hégémonie totale sur les organisations combat­
tantes des travailleurs... »
Sur cette base, la tendance luttera â l’intérieur de l’ISR après s’être
organisée. A cette fin se crée une Association des Travailleurs Syn­

126. Texte dan s C . C h a m b e lla n d ,art. cit.


127. Texte d a n s Williams, op. cit., p p . 3 2 et s u iv .
232 alfred rosmer

dicalistes Révolutionnaires du Monde qui revendique l’adhésion des


organisations suivantes :
Ûnione Sindicale Italiana, 700 000 membres, Duilio Mari.
C N T, 900 000 membres, Maurin.
Confédération Syndicaliste-révolutionnaire de France, 400 000
membres, Kneller.
IW W , 75 000 membres, Williams.
Organisation Centrale des Travailleurs Suédois, 35 000 membres,
Frans Sevérin.
Fédération Syndicaliste de Norvège, 2 000 membres.
Association Fédéraliste de Danemark, 10 000 membres.
Ainsi que de cinq organisations allemandes :
Allgemeine Arbeiter Union, 100 000 membres, Bartells.
Union de Oelsenkirobfir^ J.KQ 000 membres.
Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels, 13 500 membres.
Association Libre des Travailleurs Agricoles, 30 000 membres,
Otto Reiger.
Marins, 6 000 membres.
L'association sera un centre de liaison et de renseignements entre
les militants de la tendance, un bureau s'organisera à Paris, un
secrétaire dirigera l’action, organisera la propagande et des confé­
rences.
Tout ceci : extension géographique, force numérique qui attein­
drait 2 421 500 membres, est fort impressionnant. Evidemment, il
faudrait soumettre ce décompte optimiste à sévère examen critique.
N e prenons qu'un exemple : qui sont donc ces 400 000 militants
que Kneller prétend entraîner derrière lui ?
Puis intervient une phrase nettement inspirée par les scission­
nistes : c’est celle qui confie à l’Unione Sindicale Italiana la tâche
d’assurer les rapports entre les organisations adhérentes et d’orga­
niser les congrès. Phrase scissionniste car dans le vocabulaire tradi­
tionnel du mouvement ouvrier, si les tendances tiennent des confé­
rences, seules les organisations autonomes tiennent des congrès.
La menace de scission est ainsi réintroduite par une incidente et
la nouvelle Association tiendra effectivement à Berlin une confé­
rence en juin puis un congrès en décembre 1922 sans parvenir
à mettre sur pied une organisation solide 12S. II ne serait sans doute
pas de médiocre intérêt de suivre les heurs et malheurs de cette
organisation, mais nous devrons nous contenter ici d'examiner les
réactions aux décisions de Moscou dans les différents pays.
Les réactions des syndicalistes sont très vives. En Espagne, la
C N T, dans sa conférence à Saragosse (avril 1922), désavoue ses
délégués et rompt avec l'ISR. Au Portugal, la C G T adhère à

128. Voir Bulletin International des syndicalistes-révolutionnaires et


industrialistes, 16-VT à V III-1922.
les internationales rouges 233

l’Association des Travailleurs Syndicalistes et se fait représenter à


Berlin.
La réaction des syndicalistes français nous retiendra plus lon­
guement. Dès le 21 juillet 1921, la V O publie le «te x te des 19 ».
19 membres des CSR 129 rejettent le texte de Moscou et désavouent
Tommasi et Godonnèche qui l’ont signé. En même temps, Monatte
publie un article intitulé : A rrêt ? N on ! Simple halte. Nos
délégués à Moscou, dit-il, ont « laissé fléchir » notre point de vue.
Nous réglerons entre nous les questions de personnes, mais la
question politique doit être traitée au grand jour et elle a deux
solutions possibles. L e PC F — « le Parti Communiste d’ici » —
peut proclamer qu’il ne songe pas à une subordination du mou­
vement syndical. Les syndicalistes français, en effet, ne sauraient
admettre une subordination « à une organisation composite que
rien ne désigne au rôle de guide ou d’entraîneur » , et si le PC F
se dressait contre le syndicalisme, aussitôt il se viderait de ses
ouvriers. L a deuxième solution est un fléchissement de l’attitude
de lTntemationale. Monatte termine sur un coup de chapeau à
Moscou, •« foyer de la première révolution sociale qui garde notre
cœur » ; mais il a dit nettement que ceux qui parlent des préjugés
anarchistes ou syndicalistes lui semblent bien contaminés de « pré­
jugés social-démocrates ».
C’est clair, les syndicalistes ne peuvent admettre entre Parti
et syndicat aucune liaison organique, nationale ou internationale.
Ils rendent hommage à la révolution russe mais ils se déclarent
incapables d’aller à l’ISR et d’y entraîner leurs camarades s’il y a
liaison organique. Bref, ils diffèrent leur adhésion à l’ISR jusqu’à ce
que celle-ci modifie sa position.
Leur attitude provoque les protestations des Français présents
à Moscou. Godonnèche fait remarquer que le Comité Central des
CSR est si mal organisé que les Français sont partis avec un

129. Outre Monatte, les 19 comportent notamment Chabert (mécani­


ciens, ancien membre de la Commission Exécutive de la Fédération des
Métaux, démissionnaire en 1920), Jouve (ouvriers carriers), Quinton (anar-
cho-syndicaliste et membre du PCF, il sera l’un des grands partisans de
la scission syndicale et l’un des pères du « Pacte »). Verdier (lui aussi
scissionniste et père du « Pacte »), Gaston Monmousseau (1893-1960,
menuisier anarchiste puis cheminot, il est venu au syndicalisme pendant
la guerre. Il rejoindra le PC et dirigera la CGTU et la CGT réunifiée),
Julien Racamond (1885-1966, du syndicat des boulangers, il entrera au
PC), Antoine Rambaud (qui a été révoqué des chemins de fer après la
grève de mai 1920 et sera, en 1922, membre de la première direction de
la CGTU), Pierre Semard (1887-1942, cheminot qui milite à la CGT et a
adhéré au PS en 1917. Minoritaire de guerre, dirigeant des grèves de
1920, il est au PC depuis Tours. En 1921, il est à la tête de la Fédération
des cheminots. De 1924 à 1929, il sera secrétaire-général du PC. Condamné
à 3 ans de prison en 1939, il est fusillé par les nazis en 1942). Teulade
(des charpentiers en fer, il entrera au PCF en 1923).
234 alfred rosmer

mandat ambigu, voté sans consultation de la base 13°. En chemin,


il est tombé d’accord avec Tommasi pour considérer que leur mandat
sera la résolution minoritaire d’Orléans qui parle de « collaboration
dans le cadre de l’autonomie ». Dans ces conditions, dit-il, le com­
promis de Moscou est parfaitement valable et si l’on n’a pu obtenir
mieux c’est parce que le reste de la délégation française a agi
de façon incohérente. Elle a refusé de travailler avec eux, ce qui
les libérait de tout mandat.
Souvarine fait remarquer : lorsqu’on est dans la même organi­
sation syndicale qu’un Jouhaux, « et l’on a raison d’y rester », on
peut très bien être aussi dans celle de Losovski, Haywood, Andreyt-
chine, Foster et Mann, « quitte à critiquer le point de vue de
ceux-ci131 » . Il conseille donc d’adhérer tout en gardant son droit
de critique.
Ce sont les réactions de Rosmer qui sont les plus vives. Il ne
voit pas ou ne veut pas voir que la position des Français est médiane,
comparée à celle des Portugais ou des Espagnols. Pour lui
les 19 ont mal lu le texte de l’ISR, Font séparé de son contexte
naturel, c’est-à-dire de l’ensemble des décisions prises par le congrès :
« Vous avez pris l’offensive en vitesse. Je crois qu’il eût été
plus sage d ’attendre. Il y avait la proximité du congrès de L ille 133,
mais il y avait aussi la nécessité de connaître exactement les déci­
sions du congrès. »
Il insiste :
« N e vous emballez pas. Examinez froidement chaque texte et
l’ensemble. Cela vous amènera à faire l’examen que vous avez
toujours hésité à entreprendre et vous épargnera les erreurs que
vous avez commises en rédigeant votre déclaration au galop... »
C ’est la première fois que Rosmer et Monatte s’opposent avec
tant de vivacité.
Les arguments de Rosmer répondent point à point aux critiques
des 19. Dans le texte de Moscou, les rapports entre syndicats et
partis ne sont réglés qu’au niveau international. Avec Mann, il a
obtenu que le domaine national soit expressément réservé, et il
pensait en formulant sa demande à la situation en France.
Cette question des rapports partis-syndicats n’a pas l’importance
exclusive que les 19 lui prêtent. D ’autres pays Font tranchée de façon
toute différente puisque l’Angleterre, le Canada, les USA, l’Australie
ont envoyé pratiquement la même délégation au congrès politique
de ITtC et au congrès syndical de I’ISR.

1 30. Archives Monatte, Godonnèche à Monatte, 2 8 - V II- 1 9 2 2 .


131. Ibid., Souvarine à Monatte, 9 -V I I I - 1921.
1 32 . Ibid., A R . à M o n a tte , V I I - 1 9 2 1 e t 2 5 - V II- 1 9 2 1 .
133 . L e congrès de la CGT à Lille a heu du 2 5 au 3 0 juillet 1921.
les internationales rouges 235

D ’excellents syndicalistes se sont ralliés à la motion, au moins


à titre individuel. Parmi eu x on trouve Mann, des Espagnols, des
Italiens, des Hollandais. C ’est donc qu’ils la trouvent acceptable,
au bout du compte.
On se plaint du nombre des délégués russes et on imagine en
France que les Russes ont pesé sur les délibérations. Williams parle
de manipulation de mandats et Lemoxne écrit : « Je crois bien
qu’avec la Russie et les états qui l’entourent, celle-ci a la majorité
au congrès 1S<L. » C’est faux, dit Rosmer, les Russes ont défendu,
on pouvait s’y attendre, un point de vue favorable à une liaison
étroite entre les deux Internationales. Mais s’ils l’ont emporté, ce
n’est pas par des pressions, c’est parce qu’ils ont su convaincre
les délégués.
Enfin, l’ISR n’est absolument pas subordonnée à l’IC. L ’ISR
envoie trois de ses dirigeants au Comité Exécutif de TIC et celle-ci
trois des siens au Comité Central de l’ISR. Peut-on vraiment parler
de subordination quand on sait que le Comité Central de l’ISR a
41 membres et ne se réunit que deux fois par an ? L e seul orga­
nisme vraiment permanent de l’ISR est le Bureau Exécutif de six
membres. Les communistes (Losovsky, Nogen, Andreytchine) et les
syndicalistes (Mann, Anton Meyer, Arlandis) sont en nombre égal.
Bien plus : le Bureau Exécutif de l’ISR devait primitivement com­
prendre 7 membres et il était prévu qu’un Français, évidemment
de tendance syndicaliste affirmée, devait occuper ce septième siège,
ce qui aurait assuré la majorité aux syndicalistes sans attache avec
les Partis. Paradoxalement, c’est donc l’attitude boudeuse des Fran­
çais qui prive les syndicalistes de la majorité dans la direction de
nsR.
Rosmer pourrait très bien ajouter que la présence de Drizdo-
Losovsky qui préside l’ISR est une garantie supplémentaire pour
les syndicalistes. En effet, Losovsky, réfugié à Paris après 1905, a
participé très activement à la vie de la C G T d’avant-guerre, comme
secrétaire du syndicat des chapeliers et il a été, pendant la guerre,
du groupe de Nachê Slovo qui, on s’en souvient, avait des contacts
étroits avec le groupe de la V O . Sans toujours l’approuver, natu­
rellement, il sait bien ce qu’est le syndicalisme-révolutionnaire, il
sait qui sont les syndicalistes-révolutionnaires et il peut les com­
prendre 13S.
Bref, l’attitude des 19 est en opposition flagrante avec la tactique
fondamentale des CSR qui est la lutte dans les vieux syndicats.

134. Archives Monatte, Lemoine à Monatte, 13-VII-1921.


135. Losovsky (1878-1952), est au PS en 1901 et fait partie des bolche­
viks depuis 1903. Rentré en Russie en 1917, il exerce l’essentiel de son
activité dans le monde syndical (présidence du conseil des syndicats pan-
russes et, jusqu'en 1937, présidence de l’ISR). Il occupe ensuite des postes
diplomatiques jusqu’en 1949.
236 alfred rosmer

En donnant des armes aux anarchistes, ils s'affaiblissent dans leur


combat essentiel.
II n’y a pas, face à ITSR, de politique de rechange. Monatte
et ses amis ont dit au congrès de la C G T à Orléans (26 septembre -
2 octobre 1920) qu’il fallait adhérer, que l’adhésion ne violait pas
la Charte d’Amiens. L e CIPSR a publié des textes en juillet et sep­
tembre 1920, le dernier tout spécialement destiné aux travailleurs
français et ces textes parlent nettement de liaison étroite. Les choses
étaient donc claires. Maintenant il n’y a plus qu’à adhérer.
Les 19 demandent la suppression d’une clause parce qu’elle leur
déplaît. Mais cette clause a été adoptée par la majorité d’un congrès
international. Si on obtempérait, on ne parviendrait plus à garder
quelque cohésion à lTntemationale. Les Français devraient bien
le comprendre. Que diraient-ils si les Allemands faisaient de la
scission syndicale un préalable ? Rosmer en vient à une critique
assez dure du syndicalisme français. Il faut bien admettre qu’il n’a
plus son rayonnement, son prestige international d’autrefois car la
bourgeoisie triomphe en France, car la France est devenue le centre
de la réaction mondiale. Les syndicalistes français se font des illu­
sions quand ils se croient indispensables :
« Certes, l’ISR a besoin de la France ouvrière. Mais la France
ouvrière n’a pas moins besoin de l’Internationale. Et la position
que vous avez prise aboutit à vous isoler au milieu du monde
ouvrier. »
Fin 192113B, Rosmer dira plus nettement encore que le syndi­
calisme français est dépassé sur un grand nombre de points et
que son apport théorique est nul sur d’autres : conseils ouvriers,
contrôle ouvrier, lutte contre la crise économique mondiale, défense
contre le chômage. Il vit sur le passé, sur le souvenir de l’avaut-
guerre. Depuis la guerre, l’action, en France, a été très faible.
Et voici qu’on défend maintenant cette idée fausse que le syndi­
calisme est révolutionnaire par nature tandis que le Parti serait
réformiste par nature. Or il faut bien constater qu’à chaque crise
révolutionnaire, « le syndicalisme se prononce pour 1’ “ ordre ”, contre
la turbulence du Parti ». C’est le cas de l’Italie en 1920, des sparta­
kistes, de la Triple Alliance anglaise et en France, Thomas, chassé
du Parti, s’est réfugié dans le syndicalisme.
En juillet, Rosmer se contente de noter qu’aucun des 19 ne peut
renier Zimmerwald qui fut pourtant une brèche dans l’autonomie
absolue des syndicats, un premier contact avec les partis, il se
déclare persuadé que la lecture de toutes les décisions du congrès
persuadera les 19 et que la France viendra à l’ISR.
En attendant, à Moscou même, et avant que les délégations
ne rentrent, une réunion de conciliation a lieu le 13 août. Cette

136. Humanité, 22-XII-1921 et VO., 23-XII-1921.


les internationales rouges 237

réunion privée rassemble le bureau de l’ISR, des représentants de


l’IC (Zinoviev, Radek), Nin, une partie des Français présents à
Moscou, partisans (Rosmer, Souvazïne) ou opposés (Labonne, Gaye,
Sirolle, Kneller, Gaudeaux) au texte voté. Il s’agit d’y voir clair
dans la confusion qui règne dans le mouvement syndical français
et de faire cesser la polémique engagée par les CSR. Kneller est
tout d’abord éliminé. Les quatre autres Français se déclarent, par
la voix de Gaudeaux, prêts à se retirer si Kneller prend part à la
discussion. Outre de multiples petites vilenies, ils ont appris ses
démarches auprès de Trotsky, Losovsky et Zinoviev. Il a dit au
premier que son opposition au congrès était purement tactique,
s’est vanté d’être l'animateur occulte du mouvement syndical fran­
çais et s’est fait fort de l’amener à 1TSR si on lui en donnait le
mandat et les moyens financiers. Labonne accuse Kneller d’être
l’artisan des disputes dans la délégation française. A force d’intrigues
il a été délégué à Moscou, comme interprète, et refuse toute tra­
duction depuis son arrivée. Kneller proteste, sans nier les accu­
sations portées contre lui, et se retire. On peut en venir alors à
la discussion sur le fond. Tous les Français s’affirment partisans
de l’adhésion à l’ISR. Ils prennent position pour l’autonomie syndi­
cale, mais aussi pour des liaisons sans rigueur ni sectarisme, s’en
tenant donc à la tactique de l’opposition interne. Labonne explique
la réaction des 19 par la tradition française de l ’autonomie syndi­
cale. C ’est parce que les CSR l’ont acceptée qu’ils ont remporté
leur succès de Lille. A Moscou, on a fait deux erreurs : croire que
les communistes sont majoritaires dans les CSR, laisser Zinoviev
envoyer des lettres tranchantes qui font le bonheur des majoritaires.
Les Russes ayant des syndicats qu’ils animent par le haut, ne peuvent
exactement se rendre compte de ce qu’est la vie syndicale en
France.
Gaye montre que l’argument de subordination du syndicat au
Parti peut être renversé car dans sa région — le Bordelais — on
a « syndicalisé le Parti ». Il suggère l’envoi d’une mise au point
aux 19.
Sirolle pense que l’organisation de comités d’action nationaux
et internationaux permettrait de régler le problème.
Zinoviev réaffirme pour sa part que la solution idéale était celle
d’une Internationale unique. I l admet s’être « rendu compte qu’ac­
tuellement il fallait deux Internationales » . Mais il juge toujours
indispensable d’établir une liaison sous une forme quelconque. Puis­
que Sirolle parle de Comités d’Action, formons donc un Comité
d’A ction I37.
On aboutit finalement à un texte 138 : il affirme que la décla­

137. Archives Monatte. Le procès-verbal de cette séance est envoyé


par Souvarine à Monatte.
138. Publié d an s 1SR, 1 0 - IX - 1 9 2 1 sous le titre « Pour l’unité du front
prolétarien. » Repris par C . C h a m b e l l a n d , art. cit.
238 alfred rosmer

ration des 19 nuit à l’unité du front révolutionnaire. Toute subor­


dination est nuisible, mais une coordination est indispensable. A
l’échelon international, la meilleure solution reste la représentation
mutuelle dans les organismes dirigeants de l’Internationale sceur.
A l’échelon national, chaque pays reste libre de choisir la forme
de coordination qui lui paraît appropriée et la France, par exemple,
peut très bien expérimenter les Comités d’Aetion. L ’autonomie du
syndicalisme n’est donc nullement remise en cause.
L e dernier congrès de l’ISR a d’ailleurs voté onze autres réso­
lutions, touchant aux problèmes les plus divers et il faut le juger
sur l’ensemble de son travail et non sur un problème isolé.
L e texte se termine par un appel aux CSR : qu’ils désignent
immédiatement deux délégués au Comité Central de ITSR, l'un
d’entre eux siégeant aussi au Bureau. « La lutte fratricide doit
prendre fin. »
Ce texte est l'un des derniers que Rosmer ait signés pendant
son premier séjour en URSS. En effet, les CSR ne désignent per­
sonne pour occuper les sièges qui leur sont offerts. Quelques mois
après le congrès de l’ISR, Rosmer rentre donc en France. Il est
probable que cette question syndicale fut, sinon la seule cause,
du moins l’une des causes importantes de son retour. Trotsky vient
lui en parler jusque sur le quai de la gare 139 et écrit :
« [...] L e retour de Rosmer à Paris a une grande importance
pour le développement ultérieur des idées et des choses dans Je
mouvement ouvrier français... L e retour de Rosmer accélère le
processus de la mise sur pied du syndicalisme-révolutionnaire fran­
çais. Il faudra que ce syndicalisme mette les points sur tous
les « i ». Nous voulons espérer qu’il les mettra là où il faut »

139. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.


140. VO., 9-XII-1921.
3

Luttes de tendances dans la CGT


et dans le PCF

L e Rosmer qui rentre de Russie en octobre 1921 n’a pas changé


physiquement. I l est toujours aussi maigre, mais il donne une
impression de vigueur, il a un air et un ton de décision qui frappent
ceux qui l’accueillent \
Tous ne l’accueillent d’ailleurs pas avec une égale chaleur. D ’abord
il y a une certaine méfiance entre les militants restés en France
et ceux qui sont délégués à Moscou. Une phrase de Souvarine
en témoigne. En septembre il a écrit à Humbert-Droz :
« Vous savez que nous n’avons donné à aucun d’eux [les Français
de Moscou] un mandat les qualifiant pour nous représenter a. »
Or, à ce moment-là, Rosmer est à Moscou et il a bel et bien
été mandaté, sinon par le P C F qui n’existait pas quand il est
parti, du moins par le Comité de la 3e. D ’autre part, Rosmer a
eu des heurts avec les délégués français aux congrès de 1921.
L a délégation au congrès de TIC le soupçonnait de faire écran
entre elle et les « secrets » de lTntemationale. Comme s’il y avait
des secrets remarque-t-il ironiquement3. A vec les délégués au
congrès de ITSR, les heurts ont été plus graves encore. Enfin les
19 et leurs amis se sont nettement opposés à lui et il en reste évi­

1. VO., 28-X-1921.
2. Archives Humbert-Droz, Souvarine à H-D, 25-IX-1920.
3. Moscou, 179.
240 alfred rosmer

demment quelque chose à son arrivée : le rédacteur de la V O


en témoigne : « Bien s û r qu'on se chicanera sur des points de
tactique. Mais d’abord on s’embrasse de tout cœur *. » Interrogé
sur ses projets, Rosmer déclare qu’avant tout il dira ce qu'il a vu
en Russie. Là-bas, il a rencontré beaucoup de visiteurs et les a
vus mener leurs enquêtes. Les uns viennent chercher des justi­
fications à leurs théories, les autres s'étonnent de voir qu'une révo­
lution n’est pas chose simple, les derniers sont déçus de constater
que la réalité ne coïncide pas en tous points avec leur rêve. Il se
contentera de dire la vérité sans fard car la révolution russe n’a
pas besoin d'imagerie d'Epinal. Mais ce n’est pas en chroniqueur
qu'il rentre de Russie, c'est en militant qui va agir. L a révolution
russe ne demande plus seulement « le vague enthousiasme du
début », elle veut « que nous nous incorporions pleinement à elle ;;
pour l'aider et pour en tirer les enseignements. C ’est dire qu'il
désire s'intégrer immédiatement aux débats en cours.
Mais la France, quel spectacle ! En 1921, Rosmer n'en dit mot
en public, mais dans les conversations privées dont nous avons
pu conserver la trace, il parle d’ « effrayante atonie », de « para­
lysie sociale » et regrette l'atmosphère de Moscou où affluaient les
délégations et les « pèlerinages », où viennent tous les « esprits
en éveil », où toute la vie du monde semblait s'être concentrée s.
En 1953, il sera plus net encore : le spectacle qu'offrait la France
à son retour était désolant. Plus d’élan révolutionnaire, plus de révo­
lutionnaires capables, seules les masses restent saines, attachées à
la révolution russe et à TIC 6.

En octobre 1921, l’heure n'est point aux gémissements, elle est


à l'action. La situation n'est pas brillante ? Voilà un motif supplé­
mentaire d’action. Rosmer milite à la fois dans le monde syndical
et dans le monde politique. Du côté du syndicalisme, il faut rapi­
dement redresser la situation dans la minorité, empêcher la scission,
faire la conquête de la CGT. Il n'y parviendra pas, mais au moins
pourra-t-il empêcher que la nouvelle C G TU ne tombe aux mains
des adversaires de l'ISR. Au P C F — s’il y entre — il faudra sortir
de l'ornière centriste et transformer le Parti en vrai parti révolu­
tionnaire.
Il convient maintenant de dresser un tableau — une « géo­
graphie » pour reprendre le vocabulaire de l'époque — des ten­
dances qui divisent la minorité de la CGT. Nous prendrons bien
garde au caractère flottant et éphémère de certains regroupements
et de certains ralliements. Puis nous examinerons successivement
les classifications d'Humbert-Droz et de Losovsky.

4. VO., art. cit.


5. Archives Romain Rolland, Cahier 32, pp. 73-77.
6. Moscou, 197-198.
luttes de tendances 241

Humbert-Droz 7 qui est alors le représentant de TIC en France,


distingue quatre « pôles d’attraction » . Les anarchistes soutenus par
Le Libertaire qu’il tient pour contre-révolutionnaires et qui ont une
influence minime ; leur cheval de bataille préféré est la lutte contre
la subordination des syndicats au parti. Les syndicalistes « purs »
sont les ex-anarcho-syndicalistes de l’avant-guerre. Verdier, Bes-
nard 8, Quinton, inspirés par Griffuelhes, sont moins figés dans des
formules que les anarchistes. D ’abord parce que ce sont des hommes
d’action qui, « entre quatre yeux, [...] affirment volontiers que la
Charte d’Amiens est vieillie » . Ceci ne les empêche pas de répéter
ses formules auxquelles ils ne croient plus guère. Ils le font parce
qu’ils pensent que le rôle du Parti doit rester secondaire. Les syndi-
calistes-communistes, groupés autour de la V O , de Monatte, Mon-
mousseau et Rosmer, prouvent que « le communisme s’est greffé
sur ie vieux tronc scûu ei vivace du syndicalisme révolutionnaire s .
Militant dans les CSR, ils évitent toutefois d’y préciser leur pensée
de peur d’affaiblir la minorité dans des luttes de tendances. Les
communistes enfin sont partisans de la subordination des syndicats ,
Loriot et Tommasi font ainsi une interprétation erronée de la pensée
bolchévique.
Pour Losovsky 9, ce sont trois tendances qui se partagent la
minorité : communistes, anarchistes, syndicalistes révolutionnaires
de la VO.
Il nous semble plus juste de définir les tendances d’après les
deux thèmes de la discussion en cours : scission syndicale, rapports
avec l’Internationale Communiste. Cette méthode nous permet de
distinguer :
— les anareho-syndicalistes qui poussent à la scission et rejettent
les rapports avec TIC,
— les syndicalistes révolutionnaires divisés sur la scission, unis
contre la subordination,

7. J. H u m b e b t - D r o z , « Syndicalistes et communistes en France », JTSR.,


15-XII-1921. Pasteur et membre du PS Suisse, J. Humbert-Droz a été
condamné pour insoumission alors qu’il refusait de faire son service mili­
taire. Zimmerwaldien, condamné pour sa participation à la grève générale
suisse de 1918, et partisan de l’adhésion à l’IC, il a été au I I e Congrès,
est devenu le secrétaire de l’IC pour les a pays latins » (Belgique, France,
Italie, Péninsule ibérique, Amérique Latine). Dans les débats internes de
l’IC, il prend parti contre Trotsky et contre l’Opposition Unifiée mais
pour la droite de Boukharine, ce qui lui vaut d’être écarté de ses respon­
sabilités de 31 à 36. En 36, il retrouve des fonctions dans le PC suisse,
mais est exclu en 1941. Il milite alors dans le PS suisse dont il est
secrétaire générai -de 46 à 59.
8. Pierre Besnard (1886-1947) facteur révoqué pour faits de grève en
1920,membre du Comité Central des CSR, sera l’un des fondateurs de
la CGTR.
9. Archives Monatte, Losovsky à Monatte, 1-1922.

16
242 alfred rosmer

— les syndicalistes-communistes qui refusent la scission mais


acceptent des rapports avec TIC.
Les anarcho-syndicalistes ont leurs ultras d’inspiration nettement
anarchiste, les syndicalistes-communistes ont les leurs, partisans de
la totale subordination syndicale.
C ’est dans le groupe des syndicalistes-communistes que se place
Rosmer. Il les rejoint parce qu’il a toujours été contre la scission
syndicale — dès avant 1 9 1 4 — parce qu’il a accepté en URSS
la notion de Parti, la création de 1TSR et le compromis élaboré
par l’ISR sur les rapports entre Parti et syndicat. Il s’oppose tota­
lement à la maj'orité de la C G T parce qu’elle a organisé la défaite
ouvrière dans les grèves de 1 9 2 1 , parce qu’elle organise une scission
criminelle et il adopte une attitude très critique contre les « misé­
rables politiciens » de la minorité, scissionnistes et autonomistes
car ils palabrent sur la révolution et sur la société communiste
sans agir 10. Notons cependant qu’il traite de façon fort différente
les syndicalistes-réVolutionnaires et les syndicalistes « purs » de
l’anarcho-syndicalisine. Les premiers ont su assimiler les leçons
de la guerre et de la révolution russe 11. Les seconds prétendent
revenir au syndicalisme-révolutionnaire d’avant 1 9 1 4 , mais « c’est
une tâche qui est au-dessus de leur taille. L e syndicalisme d ’avant-
guerre, ils ne l’ont pas vécu 12 ». A son retour de Russie, Rosmer
fait au Comité Exécutif des CSR un rapport sur son activité et
défend le compromis de Moscou. Un des membres du Comité
Exécutif le remercie d'un :
« — C’est bien. On verra maintenant ici !
— Mais oui, répond-il, les syndicats se prononcerontia. »
C ’est une déclaration de guerre entre les tendances. Ses adver­
saires de tendance affirment rapidement qu’il est l’émissaire de
l’ISR. Besnard l’affirme dans le Journal du Peuple 14 et soutient
que Rosmer et son « subordonné » Chambelland ont été mandatés
par Losovsky pour « troubler la conscience syndicale de ce pays ».
Monmousseau annonçant dans la V O la parution de Lutte de Classes
que dirige Rosmer 15 ajoute que le journal — et donc son principal
journaliste —
« [...] A pour mission de créer en France un mouvement d’opinion
favorable à l’adhésion du syndicalisme à Moscou sur la base des
résolutions votées au premier congrès de l’ISR ».

10. Moscou, 197-198.


11. LC., 5-V-1922.
12. LC., 5-V II-1922.
13. LC., 20-VII-1922.
14. 9-V-1922. Maurice Labi a, de son côté, une formule ambiguë dans
La grande division des travailleurs..., p. 221.
15. VO., 12-V-1922.
luttes de tendances 243

Rosmer nie évidemment et immédiatement : ces accusations ne


sont que ragots, il a travaillé dans la minorité bien avant l'appa­
rition de Besnard l0. Mais c’est vrai que ses positions coïncident
avec celles- de l’ISR, logiquement d’ailleurs puisque, à Moscou, il a
grandement contribué à élaborer celïes-ci.

Comme Lénine, comme TIC, comme l’ISR, il est opposé à toute


scission qui ferait le jeu des réformistes. D e Moscou, l’ISR ne
cesse de multiplier les textes et les démarches : le 3 décembre
1921, son Bureau Exécutif envoie un message aux ouvriers français,
les mettant en garde contre la scission ; le 22 il propose à l’Inter­
nationale Syndicale d’Amsterdam d’organiser une conférence entre
m a jo rité et minorité de la CGT, avec représentation de 1TSR et de
l’Internationale d’Amsterdam. Les délégués de l’ISR seraient Rosmer,
Mann et Losovsky. En vain.
De son côté, Rosmer ne cesse de lutter contre la scission. Il a
posé le problème dès janvier 1921 17. Avant-guerre, dit-il, certains
réformistes ont pratiqué la scission ou sont restés délibérément
hors de la C GT. L a scission est donc une vieille pratique réfor­
miste. Mais les révolutionnaires ne se posent la question que depuis
peu de temps. Entre 1914 et 1918, la V O était favorable à la
constitution de « noyaux syndicalistes-révolutionnaires » dans le style
des noyaux que préconise FIC. En fin 1918, l’idée de scission est
née dans la Fédération des Métaux. Les éléments anarchistes des
syndicats métallurgistes de la Seine parlent de boycotter la F édé­
ration. Pourquoi, disent-ils, payer des cotisations qui servent à
combattre les révolutionnaires et à duper la classe ouvrière ?
Gardons-les pour la propagande révolutionnaire. Mais jusqu’à pré­
sent, une autre tactique l’a emporté aux Métaux : présence dans
la Fédération et élimination des dirigeants traîtres à la cause révo­
lutionnaire. Rosmer pense d’ailleurs qu’on ne peut traiter abstrai­
tement du problème de la scission car sa juste solution dépend
des taux de syndicalisation. Aux USA, où les taux de syndicalisation
sont faibles par tactique délibérée de l’A F L , une politique de
scission est concevable à la rigueur. En Europe, les taux de syndi­
calisation sont élevés. Les masses sont dans les vieux syndicats.
C’est donc là qu'il faut se battre. Une scission a l’attrait de la facilité
mais elle n’entraînerait que peu de membres et l’action des syndi­
cats scissionnistes s’en trouverait forcément limitée. Rosmer montre
concrètement comment les communistes doivent se battre contre
les réformistes dans les vieux syndicats en utilisant les grèves pour
montrer I’insufiSsance d’une simple lutte pour les salaires ; en expli­
quant aux ouvriers que toute augmentation de salaires « est aussi­
tôt suivie d’une augmentation correspondante du coût de la vie »

16. LC., 20-V-1922.


17. Mouvement ouvrier international..., I, 1921. Repris dans Le Phare,
VI-VÏÏ, 1921.
244 alfred rosmer

et qu’il est donc nécessaire d’attaquer le régime capitaliste lui-même.


Remarquons au passage que Rosmer retourne dans un sens mobili­
sateur la liaison entre l’augmentation des salaires et l’augmentation
du coût de la vie, généralement utilisée dans un sens démobi­
lisateur par les réformistes. Les grèves et leurs péripéties serviront
en outre à démontrer la duplicité des chefs réformistes qui cherchent
à canaliser les mouvements pour défendre le « vieux monde ».
En septembre 1921, Rosmer analyse pour 'L’Internationale Syndi­
cale Rouge le congrès de la CGT, tenu à L ille du 25 au 30 juillet.
L a majorité et la minorité s’équilibrent. Jouhaux et ses amis sont
restés à la tête de la C G T par deux manœuvres : le congrès a
brutalement été avancé de deux mois pour empêcher la minorité
de s’organiser sérieusement, on a trafiqué les mandats. En effet,
entre Orléans et Lille, les n’ont pas bougé et oourtant
les 2 240 mandats d’Orléans sont devenus 2 950 à Lille. A chaque
syndicat correspond un mandat : les dirigeants de la C G T ont
créé des syndicats et ranimé des syndicats tombés en sommeil.
Mais les maîtres de la C G T sont des maîtres paralysés. Les majo­
ritaires ont perdu des fédérations (Bâtiment, Chemins de Fer, A li­
mentation). Ailleurs la minorité a sensiblement progressé. Elle
regroupe 126 mandats sur 299 aux Métaux et Merrheim, « chiffon­
nier abject, dévida la hotte que lui et ses aides emplissent en
fouillant dans les poubelles de la contre-révolution 18 » , pour se
maintenir à la tête de la fédération. Aux Cuirs et Peaux, les mino­
ritaires sont 50 sur 104, 75 sur 155 au Textile, 30 sur 62 chez
les Verriers, 44 sur 141 dans le Livre. Les majoritaires se voyaient
déjà félicités pour leur politique d’exclusions. C ’est le contraire
qui a eu lieu, les exclusions ont été annulées et les exclus ont
siégé au congrès. Maintenant le seul espoir des majoritaires est
donc la scission. Ils ne veulent pas partir car ils savent ne pouvoir
entraîner grand monde mais ils veulent pousser dehors les minori­
taires. Fimmen a dit : les minoritaires n’ont qu’à partir si la politique
des dirigeants leur déplaît. C’est une provocation révélatriceH.
Il faut, conclut Rosmer, que la minorité s’organise, se discipline,
ne se laisse pas manœuvrer par la majorité, qu’elle se refuse surtout
à toute scission :
« L e congrès de L ille est le dernier où les majoritaires auront
la majorité. Les révolutionnaires sont sûrs de l’emporter sous peu
en nombre. »
Mais sa politique, bien qu’appuyée par Monatte, échoue car
elle se heurte à la double volonté scissionniste de la majorité et
de la minorité. Après Lille, les majoritaires procèdént à des exclu-

18. ISR., 10-IX-1921.


19. Edo Fimmen, militant hollandais, secrétaire de la Fédération des
Syndicats Hollandais, se rendra célèbre par son ralliement au Front Unique
avec sa brochure, Vers le Front Unique International.
luttes de tendances 245

gioûs que ratifie le Comité Confédéral National des 19-21 septembre


1921 et, dans les départements conquis par la minorité, ils regroupent
leurs membres. Les minoritaires de leur côté tiennent congrès à
paris du 22 au 24 décembre 1921. Début décembre, ils ont publié
un texte : « Contre les exclusions, contre la scission, appel aux
syndiqués, aux syndicats, aux U. D. et fédérations constituant la
CGT. Congrès extraordinaire de tous les syndicats confédérés 20. ï>
D én o n çan t les manoeuvres des majoritaires, ils convoquent un congrès
anti-scissionniste. L e Comité Exécutif du Comité Central des CSR,
mené par Besnard et Quinton y présente une résolution21 : les
Comités Syndicalistes Révolutionnaires sont l'organisation de lutte
des minoritaires contre le réformisme majoritaire. Force de contrôle,
issue des seuls producteurs, les CSR se réclament du syndicalisme
révolutionnaire de la Charte d'Amiens et du texte minoritaire de
Lille. Lies majoritaires oui. d t s j u f i u L la scission .
« L e congrès [..J tient à faire constater au prolétariat français
que la scission est dès maintenant un fait accompli contre lequel
la minorité, malgré la rectitude de sa conduite, est impuissante. »
Il faut donc accentuer l’action des CSR, lutter contre la C G T
réformiste, créer une C G T R (Révolutionnaire), ,« née de l'acte
criminel de la majorité réformiste de la C G T ». La C G TR aura
une action immédiate corporative et sociale, une action future
de propagande, de préparation puis d’action proprement dite. Elle
ne se désintéressera pas de l’action immédiate qui prépare les
luttes de demain : maintien et augmentation des salaires jusqu’à
un minimum national calculé en fonction du prix de la vie, huit
heures, réglementation du travail, élimination du chômage, contrôle
de l’embauche et des débauchages, assurances sociales financées
par les patrons, contrôle ouvrier :
« Cette revendication va de l'investigation à la prise des usines,
des chantiers, des bureaux, de tous les instruments de travail et
de production, en passant par l’apprentissage de la gestion et les
créations des cadres de la production et de la gestion futures. On
peut dire sans crainte de se tromper que son succès marquera la
fin du capitalisme et le commencement de la révolution économique,
à laquelle il aura préparé les voies constructives. »
L'arme ouvrière par excellence reste la grève, générale autant que
possible, pour contrebalancer la tactique patronale de lutte régionale
et corporative. Pour préparer l'avenir, on organisera à tous les éche­
lons des organismes d'étude qui se transformeront après la révo­
lution en organismes d'exécution. Ils s’efforceront de prévoir les
cadres généraux puis les détails de la future société syndicaliste

20. Ces textes se trouvent dans les archives Monatte.


21. Idem.
246 alfred rosmer

ainsi que les mesures qui permettront de franchir sans encombre


la longue et dure période de transition. On constituera ainsi une
sorte de Conseil Economique mais « sur des bases nouvelles que
la C G TR indiquera sous peu ». La présence au sein de la CGTR
d’une section des agents de maîtrise et de direction facilitera ces
travaux. Mais cet effort de recherche et d’étude n’empêchera pas
la C G TR de rester antimilitariste et antipatriotique, de préconiser
la grève générale insurrectionnelle.
Rosmer qui est arrivé en octobre, lutte désespérément contre
la scission. Retrouvant sans doute involontairement la phrase trop
fameuse sur la mobilisation qui n’est pas la guerre, il affirme que
le congrès minoritaire de décembre n'est pas la scission 2Z. Il appelle
l’exemple étranger à la rescousse. Aux USA, montre-t-il23, les révo­
lutionnaires ont décidé de lutter dans le cadre des vieilles organi­
sations et ils y mènent la vie dure à Gompers et à ses amis. C’est
la vieille tactique que Foster préconisait déjà avant 1914, mais
qui est maintenant mieux comprise et plus suivie. La crise écono­
mique, la présence de millions de chômeurs ont augmenté la comba­
tivité ouvrière et le nouvel essor des idées de Foster se situe
dans un contexte favorable. Il va lancer un mensuel, le Labor
Herald. Surtout, il s'appuie sur une Ligue d'Education Syndi­
caliste qui lutte pour le regroupement syndical en syndicats d’indus­
tries. Elle préconise les « amalgamations » qui ont déjà progressé
d’ailleurs : sur 1 110 unions industrielles, 100 regroupent 90% des
syndiqués. Surtout la Ligue préconise la lutte interne et non ces
« [...] Systèmes variés pour briser et mettre en pièces les Trade-
Unions et reconstruire le mouvement ouvrier d’après de séduisantes
utopies ».
Dans chaque Union, la Ligue créera des sections, elle créera aussi
des sections locales et elle coordonnera les efforts de ces sections
pour aboutir à l’élimination de Gompers. Voilà une lutte minoritaire
fort bien partie, la minorité française devrait bien imiter l'exemple.
Il intervient dans le même sens au congrès des minoritaires
le 29 décembre 2'\ Il avait été chargé de faire un rapport sur le
congrès de Moscou, mais la question est escamotée. Elle méritait
une journée de discussion, on y passe deux heures. Il doit consacrer
le plus clair de son rapport à l'irritante question des relations
parti-syndicat qui est décidément la seule qui passionne la mino­
rité. H réinsiste sur le fait que la I I I e Internationale n'est pas la
Seconde, qu'elle n'est pas dirigée par des sociaux-démocrates mais
par des gens qui « acceptent les principes d’action essentiels du
syndicalisme [et] les appliquent ». Il ne parvient pas à convaincre.

22. Humanité, 17-XII-1921.


23. VO., 23-XII-1921.
24. VO., 30-XII-1921. Humanité 23, 24 et 25. XII. Libertaire 30-XII.
Le Syndicaliste Révolutionnaire, 5-1-1922.
luttes de tendances 247

Galan l’interpelle en l’accusant d’avoir manœuvré Pestana. « M en­


teur » crie Rosmer ; une bousculade s'ensuit. Veber (intervient
dans un sens plus anarchiste que syndicaliste, lui reproche notam­
ment d’être partisan d'une seule Internationale, à la fois syndicale
et politique. Rosmer n'a plus qu'à répéter ce qu’il a dit cent fois.
Cette conception d'une Internationale unique « n'a rien d'infamant
pour un syndicaliste » , elle est même « parfaitement admissible »,
la I ie Internationale était ainsi conçue avant que les sociaux-démo-
crates n'en chassent les ouvriers. Enfin, quand la C N T et l’Union
Syndicale Italienne ont adhéré à la I I I e, non seulement celle-ci était
unique, mais encore, il n’était même pas question de fo n d e r 1TSR.
Puis les orateurs, « selon l’excellente méthode de discussion dans
nos congrès » se mettent à parler de tout autre chose et la discussion
est close sans qu'on ait adopté une position claire.
Tous ses efforts restent vains. Une nouvelle centrale est en train
de se créer, on est en route vers la CG TU .
Monatte abandonne alors la direction de la V O et s’en explique
ainsi : « La santé et un désaccord avec mes propres amis dans
la question de la scission m’y ont o b lig é 2S. » Chambelland en
arrivant à Paris le 3 janvier 1922 26 retrouve Monatte et ses amis
au Faisan Doré, Boulevard de Ménilmontant. C’est la fin du repas,
autour de Monatte il y a Humbert-Droz, Monmousseau, Rambaud,
Semard. Annonçant qu’il quitte la VO, Monatte invoque une autre
raison que la fatigue. Son syndicat restant à la C G T, il ne peut
diriger l'organe de la CGTU , dont il n’approuve guère la création,
« mais ce fut dit très discrètement ». Surtout, il s’interroge publi­
quement sur le choix de son successeur :
« Pour le successeur, j’ai le choix entre deux amis. Un de vieille
date, Rosmer, mais qui s'est prononcé pour la liaison organique entre
l’ISR et TIC, formule repoussée par la minorité. Un ami plus récent,
Monmousseau, mais qui présente plus de garanties que Rosmer pour
le maintien de l’indépendance syndicale à la VO . Je propose Mon­
mousseau 27... »

25. Archives Brupbacher. Monatte à Brupbacher. 23-1-1922.


26. Maurice Chambelland, RP, I, 1951. Ce reproche vivant... Maurice
Chambelland (1901-1966) avait été employé des contributions directes
et délégué à la propagande de l’UD. des Vôsges. En 1920, après la grève
du textile vosgien, il est révoqué par son administration, devient perma­
nent à l’UD. et milite pour la minorité. Appelé à Paris par Monatte, il
est secrétaire de rédaction de la VO. en janvier 22. Entré au PC avec
le groupe Monatte en 23, il devient secrétaire de rédaction de L ’Humanité.
Avec Monatte, il quitte bientôt le journal et démissionne du PC dès
septembre 24. Membre du noyau de la RP., il parle au nom de la minorité
syndicaliste au Ve congrès de la CGTU. Il anime la Ligue Syndicaliste,
le Comité pour l'Indépendance du Syndicalisme puis le Comité des 22.
Il dirige Le Cri du Peuple. Il est secrétaire du syndicat des correcteurs
d’imprimerie jusqu'en 1939.
27. D'après Monmousseau (VO., 30-1-1925, Monmousseau, Racamond,...
248 alfred rosmer

Et quand Monatte part le 20 janvier,, Monmousseau le remplace.


Ces phrases de Monatte montrent bien que, battu sur la scission,
Rosmer a entamé un autre combat, il s’agit pour lui d'empêcher
la nouvelle C G TU de glisser vers lTntemationale Syndicale dont
rêvent les anarchistes, de la maintenir dans l'orbite de l’ISR.
En 1922, en effet, comme en 1913, il refuse toute espèce d’inter­
nationale Syndicaliste car elle amènerait l’isolement de la classe
ouvrière française au moment où toute question devient immé­
diatement internationale. Il n’a pas changé d’avis. Pour lui, il est
clair que, dans le domaine syndical, il n’y a pas, entre l’Inter­
nationale d ’Amsterdam et l’ISR, de place pour une autre Inter­
nationale. Il critique la position de l’Unione Sindicale Italiana ss.
L e Conseil Général de celle-ci vient en effet de confirmer 29 que
l’U SI s’aligne sur la position de la minorité française, suspend ses
activités dans l'ISR jusqu’à la convocation d’un congrès « hors de
toute influence de partis et d’hommes engagés dans les reponsa-
bilités d’un gouvernement », c’est-à-dire, en clair, ailleurs qu’à
Moscou, et demande la suppression de toute liaison entre ISR et IC.
L ’U SI déclare :
« [...] La force d’attraction qui porta l ’ U S I à adhérer à la I I I e Inter­
nationale, ne fut pas la préférence envers un Parti, mais l’enthou­
siasme pour la glorieuse révolution russe d’octobre 1917, qui fut
l’œuvre de tout le prolétariat extrémiste russe et qui instaura des
formes novatrices de régime social qui réalisaient l’idéal du commu­
nisme férératif anti-étatiste, dont s’inspirent les principes de l’USI. »
Pour Rosmer, cette position est contradictoire et irréaliste. Contra­
dictoire avec l’attitude des délégués de FUSI au congrès de Moscou.
Vecchi et Mari étaient pour l’adhésion immédiate et sans conditions.
La preuve ? Ils ont réclamé hautement pour leur organisation cette
7° place au bureau de l’ISR que l’abstention française laissait libre
et c’est l’ISR qui a décidé de surseoir à toute décision.
Irréaliste aussi. Quand D ’Aragona a, au nom de la C G T Italienne,
demandé au congrès de Moscou que le prochain congrès se tienne
à Reval ou à Stockholm, il a remporté un franc succès d’hilarité.
D ’une part, les gouvernements concernés ne laisseraient certainement
pas faire, d’autre part, il est difficile d’organiser à distance de lourds
congrès internationaux. Une réunion en Europe Occidentale est
impossible : « L ’Europe bourgeoise n’est pas, actuellement, très
accueillante aux révolutionnaires ». L a preuve ? Quand Pestana
est passé par Milan, il a été arrêté par les autorités italiennes et
livré au gouvernement espagnol. Quel magnifique coup de filet

« Réponse à Monatte. Chacun à sa place »), Monatte, en lui remettant la


direction du journal lui aurait aussi recommandé de ne pas « verser dans
l’anarcho-syndicalisme ».
28. VO., ll-XI-1921.
29. Publié dans VO., 4-XI-1921.
luttes de tendances 249

la police ne réussirait-elle pas si les révolutionnaires se réunissaient


en congrès hors de Russie ?
Bref, pour Rosmer, on peut toujours organiser un petit groupe
et le baptiser « Internationale » , comme le projettent certains mino­
ritaires 30, mais on ne parviendra jamais à donner à ce groupe un
poids quelconque entre Moscou et Amsterdam. Il faut se grouper
autour de Moscou contre les jaunes d’Amsterdam.
Mais il se heurte à une grande hostilité sur ce point. L e texte
des CSR voté au congrès minoritaire de décembre 1921 montre
bien son échec. Il affirme l'indépendance du syndicalisme, son
« autonomie complète qui convient à son caractère de véritable force
révolutionnaire». Sans doute d'autres forces agissent-elles pour la
disparition du capitalisme et de l'Etat, mais elles ne sauraient diriger
le prolétariat. Dans la phase prérévolutionnaire, la C G T R refuse
liaison et subordination mais accepte les concours, les
« ententes librement consenties, à durée limitée et variable, [qui]
pourront être conclues entre les différentes forces révolutionnaires
pour atteindre les buts communs fixés, par l’emploi de moyens
nettement déterminés par les forces associées ».
On ne saurait user de plus de précautions.
Dans la phase de l'assaut révolutionnaire, de la destruction
de l'Etat et du capitalisme, l'unité se réalisera d’elle-même.
Dans la période de reconstruction post-révolutionnaire, l'unité
persistera, scellée par l'entrée massive des producteurs dans leur
groupement naturel, le syndicat.
Ces principes posés, le texte règle concrètement la question
des rapports entre la C G TR et l'ISR : s’il est entendu que les
minoritaires répudient toute alliance avec Amsterdam, ils déclarent
que les décisions du congrès de Moscou ne leur permettent pas
d'adhérer à l'ISR. Sans doute affirment-ils :
« L ’axe de l’action révolutionnaire reste à Moscou et (...] la révo­
lution russe demeure la seule force attractive de la révolution
mondiale. »
Mais ils ajoutent qu'ils essaieront d’organiser une conférence de
tous les prolétariats qui partagent le point de vue français : cette
conférence déterminera les positions communes des « syndicalistes
fédéralistes » et cherchera une base d’accord avec l ’ISR. Puis, une
autre conférence, convoquée tout spécialement par l'ISR établira
l'accord définitif. En attendant, la C G T R n'entretiendra aucune
représentation auprès de l'ISR, son bureau se contentant de main­
tenir le contact « nécessaire et indispensable ».
Rosmer ne peut qu’être inquiet. Les « coups de chapeau » à
Moscou risquent d’être purement formels et la tentation du glis-

30. L C 5-V-1922.
250 alfred rosmer

sèment est forte soit vers une Internationale Syndicaliste, soit vers
une Internationale Anarcho-Syndicaliste. Mais il est évident que
les syndicalistes-communistes qui n’ont déjà pu empêcher la scission
avec leurs seules forces ne peuvent empêcher ce glissement. Il
devient urgent de trouver des alliés. Les seuls qui s’offrent, ce
sont les syndicalistes-révolutionnaires anti-scissionnistes du groupe
Monatte. L ’accord se fera au prix d’un nouveau compromis dans
la question des rapports parti-syndicats.
Des premières négociations entre les deux groupes, facilitées
par la vieille amitié de Rosmer et de Monatte, nous n’avons pas
gardé trace. Mais dès janvier 1922, nous avons un texte, une lettre
de Losovsky à Monatte 31. Losovsky explique que les syndicalistes-
révolutionnaires ont fait alliance avec les anarchistes pour le contrôle
de la C G TU , mais qu’ils ont été débordés par le mot d’ordre anar­
chiste ( « N i Amsterdam, ni Moscou »). Or ils savent bien que les
anarchistes sont incapables de faire vivre une organisation de
quelque importance. Pour rendre vivace la nouvelle centrale, il
faut faire bloc avec les syndicalistes-communistes : refaire l’union
dont est née l’ISR.
C’est exactement la politique de Rosmer. Il affirme tout d’abord
que rien ne sert, comme l’y invite Chambelland32, de cacher la
lutte des tendances dans la nouvelle organisation. Au contraire, il
faut crever les abcès pour clarifier une situation française trop
confuse 33. Ensuite, il expose ses idées dans son organe de tendance
tout en se rapprochant du groupe Monatte.
C ’est le 5 mai 1922 que paraît le premier numéro de La Lutte
de Classes qu’il dirige. La Rédaction affirme dès l’abord 34 que le
regroupement s’est, dans l’ensemble, fait de façon favorable à la
C G TU , mais qu’il ne faut pas perdre de vue l’affirmation unitaire.
Sur les rapports parti-syndicat, Rosmer a déjà expliqué sa position
maintes fois et notamment au premier Comité Confédéral des uni­
taires qui a immédiatement suivi le congrès. Faisant de nouveau
le compte rendu du congrès de l’ISR, il a rappelé que l’idéal reste
bien une organisation unique, politique et syndicale, des révolu­
tionnaires, il a défendu la création de l’ISR et le compromis élaboré
par celle-ci, en faisant remarquer que ce compromis, position de
principe, supportait des aménagements nationaux 3S. En mai 1922
il explique comment la France pourrait résoudre concrètement la
question. L e mot de subordination est un mot « absurde » car il
ne s’agit pas de savoir si l’une des deux organisations doit l’emporter

31. Archives Monatte.


32. VO., 16-XII-1921.
33. BC., 22-XII-1922.
34. jLC., 5-V-1922, La rédaction, « Nos Tâches ».
35. JSR., 20-1-1922.
36. L C ., 5. et 20-V-1922. La rédaction, « Nos Tâches ».
luttes de tendances 251

sur l’autre. Et quand il y a des exemples réels de subordination,


c’est celle de partis qui se mettent à la remorque des syndicats
conservateurs : le parti de Serrati à la remorque de la C G T de
D’Aragona, le Labour Party à la remorque des Trade-Unions. A
l’échelon international et en Russie, d'excellents rapports concrets
ont été établis. La chose est possible en France. Avant-guerre, les
syndicaüstes-révolutionnaires s'étaient toujours opposés au rêve gués-
diste d’un partage des responsabilités qui aurait cantonné les syndi­
cats au domaine corporatif. Ce qu’il y avait réellement en France,
c’est la confusion, dans la C G T, du politique et du syndical :
« Avant la guerre, pendant une assez longue période, un ParLi
révolutionnaire a pu exister à l’intérieur même de l’organisation
syndicale et faire corps avec elle. »
Aujourd’hui, existent séparément le syndicat et le Parti. Mais leurs
liaisons ne sont pas satisfaisantes. Tout récemment, pour faire une
affiche, il a fallu discuter une semaine sur des détails : qui « signe­
rait » ? Qui « prêterait son concours » ? La position de Rosmer est
la suivante : le Parti doit donner son avis à ses membres sur les
questions ouvrières ; s’il ne le fait pas, il s’embourbe dans le verba­
lisme révolutionnaire et la cuisine électorale, il dégénère en parti
social-démocrate ; mais il n’a rien à dire aux syndicats eux-mêmes
et n’a surtout pas d’ordres à leur donner. On voit qu’il suit à la
lettre la résolution du Comité Exécutif de l’IC (fin 1921) qui recom­
mandait une polémique « amicale et mesurée » avec les syndicalistes-
révolutionnaires.
La dure polémique que Rosmer mène avec Besnard et les syndi­
calistes « purs », la critique attentive qu’il fait du projet de statuts
que propose la direction provisoire ne peut d’autre part déplaire
au groupe Monatte. Besnard, d it-il37, a fait confectionner son pro­
gramme par l’U S T IC A 3â, piètre façon de prouver que le syndi­
calisme se suffit à lui-même ! Il s’allie aux anarchistes pour lutter
contre Monatte et la V O . I l provoque et entretient dans la C G TU
une lutte de tendances qui ne profite qu’à la C G T et il propage
un ragot en affirmant que c’est Monatte qui a voulu la scission.
Les « purs » 33 viennent de découvrir le syndicalisme révolutionnaire
et le révisent à leur façon. Ils imaginent pouvoir y intégrer les
auteurs dramatiques, — étrange recrutement prolétarien — et les
techniciens — comme si la grande majorité des techniciens ne se
rangeait pas régulièrement du côté de la bourgeoisie. Seule la lutte
contre le P C F les intéresse vraiment.
Quand la direction provisoire de la C G TU présente publiquement
son projet de statuts, les critiques abondent.

37. LC., 20-V-1922.


38. Union Syndicale des Techniciens de l’Industrie, du Commerce et
de l’Artisanat.
39. LC., 5-VII-1922.
252 alfred rosmer

D e Moscou, Losovsky écrit qu’ils portent la marque du Liber­


taire et qu’ils feraient de la C G TU une secte *°.
L ’ISR reprend les mêmes critiques en juin dans un texte que
publie Lutte de Classes 41.
Surtout, la rédaction de L utte de Classes 42 expose ses propres
objections. Les statuts contiennent bien des nouveautés alors qu’il
conviendrait d’être prudent et de tenir compte des faits d’expé­
rience. Pourquoi créer tant d’organismes nouveaux (Unions Régio­
nales, Conseils d’usine, Comités d’atelier) alors qu’on a tant de
peine à faire vivre les organismes qui existent déjà ? Les conseils
d’usine et comités d’atelier, liés au contrôle ouvrier, ne peuvent
se développer qu’en période d’effervescence révolutionnaire et ne
survivent guère une fois le calme revenu, soit qu’ils disparaissent
d’eux-mêmes après une intence ar.Hvifé (Italie), soit que la légali­
sation leur fasse perdre leur caractère primitif (Allemagne, Tchécos­
lovaquie). Les unions régionales sont difficiles à faire vivre et à
substituer aux Unions Départementales. L e préambule des statuts
affirme qu’elles correspondent à la concentration capitaliste, comme
si la concentration capitaliste se faisait dans le cadre régional et
non dans le cadre national et international ! Par volonté fédéraliste,
le projet élimine les Unions Départementales de la Commission
Administrative Confédérale. Il n’aboutit qu’à l’éparpillement. Pellou-
tier disait avant-guerre qu’en Grande-Bretagne, la base syndicale
était vivante, mais non les organismes directeurs, qu’en Allemagne
la concentration de l’activité au sommet tuait la vie à la base,
que seule la France par le système des Bourses du Travail et des
Unions Départementales était parvenue à une certaine harmo­
nisation. L ’équilibre a été détruit par les majoritaires au congrès
de 1918 quand ils ont donné, dans la Commission Administrative,
la prééminence aux secrétaires fédéraux ; épisode de la lutte de
tendances, certes, puisque les secrétaires fédéraux étaient pour la
plupart majoritaires, mais aussi destruction d’un équilibre valable,
ce dont les minoritaires ne se sont pas aperçus tout de suite. Les
unions régionales ne serviront qu’à embrouiller les choses. L e réta­
blissement d’un certain fédéralisme passe par le retour à la situation
d’avant-guerre, par l’influence restaurée des U. D.
L e projet prévoit le remplacement automatique des fonction­
naires syndicaux. L e but est louable puisqu’il s’agit de remplacer
fréquemment les fonctionnaires. Mais les moyens pour l’atteindre
sont mauvais. Ce qu’il faut, c’est former tant de militants valables
que les syndicats ne se trouvent jamais à court de cadres.
Pour le vote, le projet maintient l’ancien système : un syndicat,
une voix. Système utile au temps d’un syndicalisme inégalement
développé selon les branches industrielles car il fallait empêcher

40. Archives Monatte, Losovsky à Monatte, 15-V-1922.


41. L C 5-VI-1922.
42. LC., 20-V-1922.
luttes de tendances 253

telle ou telle corporation d’écraser les autres. Il serait actuellement


nuisible car il met en position d’infériorité les syndicats d’industrie
qui sont l’avenir, il met les syndicats nombreux (qui supportent les
conséquences des actions) à la merci des petits (qui prennent les
décisions), il permet le trafic des mandats avec la création de
syndicats fictifs de quelques membres. La Lutte de Classes ne préco­
nise pas la représentation proportionnelle mais elle demande un
système intermédiaire qui permettrait une représentation équitable,
sans remettre toutes les décisions aux organisations les plus nom­
breuses.
L ’article I du projet parle de « disparition de l’état » . C ’est trop
ou pas assez. L ’U. D . du Nord veut le compléter, mais il faudrait
plutôt le supprimer purement et simplement car les syndicats
doivent être ouverts à tous les ouvriers., qu’ils aient ou non une
conception politique.
Avec les syndicalistes révolutionnaires, les discussions sont bien
plus courtoises. Humbert-Droz s’étonnait déjà en décembre 1921 43 -.
dans les conversations privées avec Monatte, Monmousseau et leurs
amis, aucune divergence n’apparaît sur la dictature du prolétariat,
le centralisme révolutionnaire, l’armée rouge, la police révolution­
naire, la suppression des libertés pour les contre-révolutionnaires.
Puisqu’ils sont d’accord, pourquoi ne le disent-ils pas ? Mais pour
les impératifs tactiques de l’alliance des syndicalistes-révolution-
naires avec les syndicalistes anarchistes ! Or ces impératifs n’existent
plus en mai-juin 1922. Les temps sont donc mûrs pour un regrou­
pement des syndicalistes-révolutionnaires et des syndicalistes commu­
nistes.
Dès l’ouverture du congrès constitutif de la C G TU (Saint-Etienne,
du 25 juin au 1er juillet 1922) '14, un texte est rendu public, celui
du Pacte. « Ridicule, malfaisant et intolérable » , il révèle que les
« purs » pratiquent depuis février 1921 le noyautage qu’ils repro­
chent si fort aux communistes 43.
« En acceptant ce Pacte, les membres du CSR soussignés 4a,
prenons l’engagement d’observer à la lettre l’esprit de ce qui suit »,
c’est-à-dire : garder secrète l’existence du comité, assister aux réu­
nions, pratiquer une solidarité matérielle et morale sans limites, se
discipliner pour coordonner les efforts, n’agir que pour la révo­
lution, défendre le syndicalisme-révolutionnaire en préservant le
fédéralisme et l’autonomie du mouvement syndicaliste, faire élire
aux postes responsables des CSR et de la C G T des camarades
purement syndicalistes-révolutionnaires, autonomistes et fédéralistes,

43. 1SR., 15-XH-1921, art. cit.


44. Sur St-Etienne, on se reportera au Compte rendu sténographique.
45. LC., 5-VTI-1922.
46. Texte dans Archives Monatte. Les signataires sont notamment
Besnard, Gaudeaux, Michel Relenque, Sirolle, Verdier et Totti, cheminot
marseillais qui a fait partie des emprisonnés du a complot ».
254 alfred rosmer

n’accepter aucune influence extérieure, ne pas se faire de critiques


à l’extérieur du comité. Enfin,
« Pour l’admission des nouveaux membres, les candidats doivent
être présentés par l’un de nous, sans qu’il s’en doutent, et, en cas
d’admission, en principe, les candidats doivent être préparés et
travaillés d’avance avant la rentrée, afin d’obtenir leur consentement
pour le Pacte et pour toutes ses conséquences, et ensuite être amenés
au comité ».
On imagine l’effet que put avoir la révélation d’un tel texte et
cela en plein congrès.
Les congrès fédéraux qui venaient de se tenir et avaient préparé
Saint-Etienne avaient souvent — sauf dans les Métaux — donné
l’avantage aux anarchistes et Chambelland se montrait fort inquiet47.
Mais un grand nombre de délégués sont retournés quand ils appren­
nent l’existence du Pacte. Surtout, les tendances hostiles aux anar­
chistes trouvent la force de se compter et de s’unir.
L e 26 juin, Monmousseau préside une réunion des Amis de la VO.
L e 27, alors que les communistes membres de la C G TU n’avaient
jamais été réunis, Frossard, conformément aux engagements qu'il
a pris à Moscou 48, réunit ceux des délégués au congrès qui sont
membres du Parti. Rosmer vient d’arriver et il assiste à la réunion.
Il y a 130 présents 49. Frossard défend d’abord le principe même
de cette réunion :
« Il n’est pas nécessaire de justifier notre droit. Les membres
du Parti n’ont pas à craindre de s’affirmer partout où ils militent
et pour cela il est nécessaire de prendre contact et de se con­
certer. »
En ce qui concerne les statuts, les communistes sont d'accord,
à quelques détails près avec le groupe de la VO. L a grosse affaire,
c’est la motion d’orientation. L a veille, Besnard et Monmousseau
ont présenté chacun la sienne. Pour Frossard, « aucune ne peut
donner satisfaction à des communistes. Mais entre les deux il y a
des différences pour nous ». Celle de Besnard « ne peut être votée
par aucun communiste, parce qu’elle est la négation de la valeur
du P a rti». Celle de Monmousseau préconise l'adhésion à I’ISR sous
conditions alors que les communistes sont pour l’adhésion sans
conditions.
«Cependant nous estimons que dans l'intérêt du mouvement
ouvrier il est nécessaire de demander la modification de certains
articles, nous pourrons au moment du vote rechercher ce qui nous
est le moins défavorable. »

47. Archives Monatte, Chambelland à Monatte, 24-V I-1922.


48. Archives Humbert-Droz, H. D. à TIC, 6-VII-1922.
49. Ibid., 27-VX-1922 et Humanité, 28-VI-1922. Au congrès de la
CGTU. Réunion des délégués membres du parti.
luttes de tendances 255

C’est dire on ne peut plus clairement que les délégués qui sont
communistes, après s’être battus pour l'amélioration du texte de
Monmousseau, devront s'y rallier pour faire échec à Besnard. Puis­
qu’ils disposent de 300 mandats assurés, ils déposeront une motion
d’adhésion sans réserve à l'ISR. C’est Rosmer qui est chargé de
la rédiger. Puis ils se rallieront à la motion Monmousseau. En
fait, Rosmer néglige de rédiger cette motion. « Je ne sais pour
quelle raison », s’étonne Humbert-Drozso. Nous le savons : il ne
veut absolument pas envenimer les rapports avec le groupe Monatte.
Remarquons au passage qu’il en prend à son aise avec la discipline !
Frossard achève par un rappel discret des règles de la discipline :
« la qualité de communiste impose le devoir d'agir partout en
communiste ». Après son discours on organise le travail des délégués
communistes. On nomme aussi une commission qui n'est pas « une
tchéka de congrès », qui n’a pas pour but de surveiller les commu­
nistes, mais qui doit
« [...] Se tenir en liaison avec eux et principalement avec les ora­
teurs pour coordonner le travail et envisager les attitudes à prendre
par la tendance au cours des débats 51 ».

Cette alliance des communistes et des syndicalistes-révolutionnaires


élimine les anarcho-syndicalistes de la direction de la C G TU et
permet à la motion Monmousseau de l'emporter 52.
Mais elle ne les élimine pas en tant que tendance et la nou­
velle majorité sort cimentée par la persistance d'une menace anarcho-
syndicaïiste. Persistance que Chambelland prévoyait très nettement :
« [...] Quoi qu’il sorte de ce congrès, la situation ne changera
pas sensiblement. Si nous sommes vainqueurs, ils nous mèneront
une lutte tellement féroce que le travail ne sera pas possible. Et
tout se recommencera. L e Pacte n’est pas déchiré ; au contraire 33. »

Effectivement, après le congrès, nous assistons à une tentative


de résurrection des CDS. Quand Veber en a parlé, Rosmer a pensé
qu'il plaisantait. Bientôt, il voit entrer dans ce néo-CDS des mili­
tants connus, des secrétaires fédéraux : le CDS devient un dan­
ger 54. En juillet, Losovsky demande qu'on le liquide en distinguant
soigneusement entre les « politiciens » qui l’ont formé et les « syndi­
calistes » qui y adhèrent, nombreux surtout dans le Bâtiment et

50. Archives Humbert-Droz, HD. à l’IC., 6-V II-1922.


51. Humanité, 30-VI-1922, G. T o u r e t t e , « A propos d’une commis­
sion ».
52. Avec 743 voix contre 46 à la motion Besnard. Une motion d’adhé­
sion sans réserves présentée par un isolé, Quemereis (Bâtiment), a obtenu
11 voix.
53. Chambelland à Monatte, 28-VI-1922.
54. LC., 5-V II-1922.
256 alfred rosmer

dans la Métallurgie *5. Mais ce n’est pas si simple et la Lutte de


Classes doit constater en août : « le pseudo-CDS s'organise S6 ».
Pas question, dans cette atmosphère de laisser se relâcher le
bloc des syndicalistes-communistes et des syndicalistes-révolubion-
naires. I l ne saurait être question de négliger la recherche d’une
solution acceptable pour les deux parties dans la question des rap­
ports parti-syndicat, ISR-IC.
D ’ailleurs l'adhésion à l’ISR, si elle a été votée par 743 mandats
contre 406, ne l’a été que conditionnellement. La C G TU adhère si
l’article I I des statuts de l’ISR est supprimé — et avec lui la forme
de liaison qu'il établit — et s’il est remplacé par le texte sui­
vant :
« L ’ISR et T IC doivent, si besoin en est, se réunir en vue d'actions
communes ; dans les divers pays, les syndicats et les partis commu­
nistes doivent procéder de même sans toutefois porter atteinte à
l'indépendance des organisations. »
L T S R élabore sa réponse lors de son Comité Central (du 17 février
au 12 mars 1922) puis lors de son I I e congrès (novembre et décembre
1922) 57. Nin est favorable au maintien de l’article II, Tasca ajoute
que tout ce tapage autour de l’article I I n’ est qu’un prétexte décou­
vert par les anarchistes pour ne pas adhérer à 1TSR. Qu’on sup­
prime l’article et ils trouveront aussitôt un autre prétexte. M on­
mousseau est à la tête d’une délégation française qui comprend aussi
Rosmer. Il souligne que la présence de la délégation française est
déjà un fait positif car elle aurait pu aller à Berlin. L ’anarchisme
est dépassé, un nouveau syndicalisme-révolutionnaire est né, favo­
rable à la révolution russe. La nouvelle C G TU ne demande pas la
suppression de l'article I I pour des raisons idéologiques mais pour
des raisons techniques : s’il était maintenu, il y aurait scission de
riS R et nombre de ses membres rejoindraient les anarchistes. Il
faut remplacer le système de la représentation réciproque dans les
organismes dirigeants par le système des réunions mixtes des deux
organismes centraux et par d’éventuels comités d’action aux objectifs
nettement délimités.
L a résolution qui est finalement votée à l'unanimité admet le
rôle dirigeant des P C mais supprime l'article II.
Une suspension de séance permet aux Français et aux Italiens
de délibérer ; à son issue, les Français adhèrent à l’ISR.
Du côté de 1TSR, il semble bien que l'on se soit résigné à une
nouvelle concession pour trois raisons : ne pas briser la C G TU ,
faire passer plus facilement la nouvelle tactique du Front Unique,
enfin comme à une solution d’attente. Losovsky le dit d'ailleurs :

55. Archives Monatte, Losovsky à Monatte, 27-VII-1922.


56. 5-VIII-1922.
57. LC., 30-XII-1922, article de A. Losovsky et Compte rendu des
débats de l'ISR.
luttes de tendances 257

« P o u r les com m unistes, la q u estio n était claire. Nos c am a rad es


n ’exp rim aien t, p en sio n s-n o us, q u e d e v ie u x p ré ju g é s ;
s y n d ic a lis te s
m ais co m m e c ’étaient ceu x d ’ou vriers révolutionnaires an im és d ’un
réel d ésir d ’action, [. .. ] les com m un istes le u r ont, to u t à fa it co n s­
c ie m m e n t, c é d é [. .. ] d an s l’e sp o ir q u e l’action u lté rie u re d ém o n trera
la justesse d u p oin t d e v u e com m un iste. »

L a mise sur pied des comités d’action IC-ISR est immédiate.


Dès le 3 décembre 1922, un comité est mis en place pour exa­
miner les moyens de la lutte contre l’offensive capitaliste, l’ISR
y délègue E n d erle5S, Losovsky et Tresso s% ce dernier provisoi­
rem ent en attendant que l’adhésion de la C G TU permette de mettre
en place un délégué français. L e 12 janvier 1923 les Exécutifs
de TIC et de l’ISR tiennent séance commune. Ils décident, devant
l’oucnsivc capitaliste, de maintenir le comité d’action de décembre,
d’en créer d’autres pour des campagnes plus limitées et de réunir
en commun les deux Exécutifs pour les cas graves 60.
On voit que Rosmer n’a pas tort de penser que la suppression
de l’article I I et son remplacement ne sont que des concessions
de pure forme qui n’ont rien changé sur le fond. Mais après tout,
est-ce aux syndicalistes-communistes de s’en plaindre quand leurs
partenaires syndicalistes-révolutionnaires s’en contentent ?
Pour lui d’ ailleurs, à ce moment-là, le centre d’intérêt essentiel
s’est déplacé des questions syndicales vers le Parti. Au total, dans
le domaine syndical, il a subi une défaite, la scission, maïs il a
remporté une victoire, l’adhésion de la C G TU à l’ISR.

Dans le PCF, l’ affrontement des tendances se terminera par


la victoire des partisans de la I I P Internationale sur les nostal­
giques de la Seconde. On sait que le I I e congrès de ITC a per­
suadé Rosmer de l’utilité du Parti, de la nécessité de créer en
France un Parti Communiste. Deux tactiques étaient alors conce­
vables, la scission ou la conquête du PSF.
L a scission paraît tout d’abord l’emporter : Péricat crée en 1919
sa propre organisation, Lénine en 1920 pense que la minorité
zimmerwaldienne doit quitter le PSF pour fonder un autre parti *1.
Mais Rosmer ne voit pas pourquoi il serait impossible de transposer

58. Auguste Enderle (1887-1959) vient du syndicat des métallurgistes


et du PS allemand. Minoritaire de guerre, il est en 22-23 fonctionnaire de
l’ISR à Moscou.
59. Pierre Tresso (dit Blasco, 1893-1943) est un militant syndical et
l’un des dirigeants du PC italien jusqu’en 1925. Exclu pour trotskysme en
1930, il participera à tous les grands débats du mouvement trotskyste,
notamment à la conférence de Copenhague en 1932 et à la fondation de
la 4e Internationale en 1938. Emprisonné pendant la deuxième guerre
mondiale par le gouvernement de Vichy, libéré par le maquis, il disparaît.
60. ISR., IV-V, 1923.
61. Moscou, 69-70.

17
258 alfred rosmer

sur le plan politique la tactique syndicale de conquête des organi­


sations existantes. Il fait remarquer à Lénine qu'à Strasbourg, la
minorité a été bien près de conquérir le parti. Il convient donc
d’attendre. L ’IC préconise alors pour la France l'alliance avec le
centre, non par démission idéologique mais par tactique. Si Je
PS F adhère, les masses socialistes viendront à FIC. Pour avoir
un vrai Parti Communiste en France, il n’y aura plus qu’à éli­
miner les 3/4 des parlementaires, surtout les plus compromis dans
la politique d’Union Sacrée, qu’à les remplacer par des hommes
nouveaux62. Si ïe PS n’adhère pas, il sera toujours possible de
recourir à la scission. On sait que Lénine n’a jamais reculé devant
une scission nécessaire, Rosmer a toujours soutenu qu'une
scission, dans ïe domaine politique, était une question de circons­
tance, Losovsky dit crûment que la maladie du PSF, c’est « l’unité
à tout prix 63 » .
En application de cette tactique de conquête par l’intérieur, le
congrès de Moscou laisse donc Cachin et Frossard s’en tirer avec
des promesses d’ailleurs très dignement faites :
« Il ne servirait à rien de vous multiplier les affirmations verbales
et les promesses. Nous allons rompre avec le passé, mener une
action que lTntemationale jugera ensuite B\ »
Les délégués qui ne connaissent pas ou qui n’approuvent pas la
nouvelle tactique protestent avec vigueur, tel R. Lefebvre :
« I l y a de bonnes raisons de croire que, avec leur long passé
opportuniste et leurs vieilles habitudes de pensée (quoiqu’on puisse
être parfaitement sûrs qu’ils sont sincères), on peut cependant
craindre que, laissés à eux-mêmes pour mener leur Parti à la
111° Internationale, ils suggéreront un programme tel qu'il sera décon­
certant pour nous autres Français parce qu'il nous fera adhérer
platoniquement à la I I I e Internationale, mais qu’il sera beaucoup
plus grave pour vous, camarades, en amenant l’esprit de trahison
de la I I e Internationale dans vos rangs BS. »
On sait que Cachin et Frossard tiennent parole et contribuent à
faire adhérer le PSF à ITC.
Prenons d’ailleurs garde de ne pas exagérer l’importance inter­
nationale de cette décision. Rosmer soutient qu’à Moscou, elle fait
beaucoup moins d’effet que l’adhésion des indépendants allemands Sü
qui a eu lieu en octobre 1920.
A son retour en France, Rosmer adhère au PCF.
On peut se demander pourquoi. A-t-il reçu mission de le faire
à son départ de Moscou ? On le murmura à l’époque et bizarrement

62. Ibid., 148-149.


63. The second congress of the C.L.., p. 173.
64. The second congress of the C l..., p. 207.
65. I b i d p. 211.
66. Moscou, 148-149.
luttes de tendances 259

H a g n a u e r reprend l’idée en 1957 ®7. A notre connaissance, Rosmer


n’a jamais démenti publiquement, mais il a démenti en privé.
Il proteste dans une lettre à Charbit :
« [...] N ’y avait-il pas autre chose à dire que me présenter
c o m m e l'homme que Trotsky aurait choisi pour fabriquer un Parti
Français débarrassé des faux communistes qui se cramponnaient à
la direction ? C'est nous rendre ridicules, lui et m o i68. »
Rosm er poursuit : au moment où il quitte Moscou, nul ne sait
ce qu’il va faire. Zinoviev se dit prêt à parier qu'il n'adhérera pas
et Trotsky,
« [...] N e me pressa à aucun moment d’exposer et d'examiner avec
lui ce que je comptais faire ; il me laissa entièrement libre d’agir
comme je jugerais bon de le faire une fois sur place ».
Il affirme enfin que Trotsky n’est jamais intervenu en sa faveur
dans le Parti, donne lui-même les raisons de son adhésion au PC.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il le trouve peu attrayant au
niveau des dirigeants 69. Les anciens députés socialistes continuent
la social-démocratie. Ils sont restés dans le Parti par calcul plus que
par conviction, ne cessent de se plaindre de « Moscou » et de
comploter contre l'IC . Leurs seules vraies préoccupations sont élec­
torales. Les journalistes ne sont que verbalisme révolutionnaire.
Mais la base est saine, mais l’IC accueille tout ce qu’il y a de
bon dans le syndicalisme-révolutionnaire, d'où son raisonnement :
« Nous avons adhéré au PC parce que nous avons retrouvé dans
les idées et l’action de l’IC tout ce qu’il, y avait de vivant, de
durable, de fécond dans le syndicalisme, accru de l'expérience de
la guerre et de la révolution ro. »
C’est donc l’IC qui fait passer le PC. Et l'adhésion de Rosmer
se présente comme un pari optimiste sur les possibilités d’évolution
du Parti. Il croit possible de le faire évoluer avec l'appui de la
base et de l’IC. Il est certain que l’IC y est décidée. Quant à la
base, elle ne pourra pousser dans le bon sens que si le ferment
syndicaliste-révolutionnaire agit. Il est donc important de faire adhé­
rer au Parti le plus grand nombre possible de syndicalistes-révolu­
tionnaires .
Mais les syndicalistes-révolutionnaires sont médiocrement dispo­
sés :
« Je voyais, dit Rosmer 71, les syndicalistes les mieux disposés
à l’ égard du Parti s’en écarter quand ils constataient que trop
souvent il se comportait comme l'ancien Parti Socialiste... »

67. RP., IX-1957. Un révolutionnaire des temps difficiles.


68. Archives Charbit, Rosmer à Charbit, 3-X1-19S7.
69. Moscou, 204, 326 et suiv.
70. LC., 10-X-1922.
71. Moscou, 244.
260 alfred rosmer

Humbert-Droz relève la phrase encourageante de Monatte : « nous


avons... un PC faisant effort pour devenir un Parti révolution­
naire 72 » , mais signale tant chez Monatte que chez Monmousseau
une nostalgie de la prééminence syndicale et une conception erro­
née : dualisme de partis avec émulation révolutionnaire. Un parti
syndical se réserverait pratiquement l’action révolutionnaire, un parti
extra-syndical recruterait dans les milieux fermés au syndicalisme
ouvrier (intellectuels, paysans) et jouerait essentiellement un rôle
de neutralisation de ces classes ! Pourtant, Trotsky par des mes­
sages, Rosmer par des conversations insistent. Trotsky ne cesse de
reconnaître l’importance du syndicalisme révolutionnaire, mais affirme
sans cesse que le communisme est l’aboutissement logique de la
volonté révolutionnaire du syndicalisme. Rosmer montre comment
lui-même a évolué. Peut-être faut-il faire intervenir aussi une sorte
de menace de ITC : si Monatte et ses amis ne se décident pas,
elle a sous la main d’autres syndicalistes. C ’est le sens d’une lettre
de Brupbacher 73 : j’ai rencontré Trotsky. Griffuelhes est à Moscou,
entouré d’attentions. Trotsky pense pouvoir l’utiliser si vous ne
changez pas d’attitude. En novembre, Trotsky a déjà parlé de
Griffuelhes à Rosmer. Il est à Moscou, dit-il, et il cherche « la
voie la plus courte » pour rejoindre les rangs des révolutionnaires,
il estime « à juste titre » avoir droit à une place dirigeante dans
le m ouvem ent7*. D ’autres évoquent plutôt une menace Lagardeïle :
« Je me souviens, écrit N a v ille ys, que L D [Trotsky] m'a dit
un jour que Lagardeïle avait offert ses services vers 1921, mais
qu’après discussion avec Lénine, cette offre avait été repoussée,
vu l’activité affairiste de Lagardeïle pendant la guerre. Cette der­
nière version paraît plus vraisemblable. »
Trotsky, en tout cas, directement ou par l’intermédiaire de Brup­
bacher 70, fait aux syndicalistes-révolutionnaires des propositions
concrètes :
« Trotsky [...] désirerait que vous et vos camarades entriez dans
le P C en posant des conditions. Par exemple que vous demandiez
un certain nombre de sièges dans le Comité Central et l’expulsion
de certaines gens non communistes TT. »

72. VO., 19-V III-1921.


73. Archives Monatte, Brupbacher à Monatte, 2-XII-1921. Cf. la rela­
tion de cette entrevue dans les Mémoires de B r u p b a c h e r , 60 ans d’héré­
sie. (Traduction française dans Socialisme et liberté, p. 276).
74. Trotsky à Rosmer. X. 1921. Lettre publiée dans Trotsky, Le mouve­
ment communiste en France, pp. 131-134.
75. Archives Rosmer, P. Naville à Rosmer, 29-XII-1954.
76. B r u p b a c h e r , Lettre citée.
77. Dans ses mémoires, 60 ans d’hérésie, traduction française dans
Socialisme et liberté, p. 275-276, Brupbacher affirme que Trotsky aurait
parlé d’accorder aux syndicalistes-révolutionnaires la majorité des sièges
au Comité Central du Parti et à la rédaction de L'Humanité.
luttes de tendances 261

Mais les syndicalistes-révolutionnaires, en particulier le plus mar­


quant, le plus connu, Monatte, qui pourrait entraîner ses camarades,
ne se décident toujours pas à entrer dans le PC tel qu’il est, sous
domination centriste.
La « géographie » des tendances au sein du Parti utilise tradi­
tionnellement les termes de Droite, de Centre, de Gauche que
]’on utilisait déjà à l'époque. Ces termes, que nous utiliserons faute
de mieux, nous semblent trop abstraits et trop mécaniques pour
être vraiment explicatifs. Outre qu'un parti n’est pas un parlement,
ils tendent à masquer le clivage fondamental entre les divers groupes.
Ce clivage, c’est l’attitude adoptée pratiquement à l’égard de la
social-démocratie de type I I e Internationale. Tous ceux qui ont
appartenu à la I I e Internationale se regroupent — sous les déno­
minations de Droite et de Centre — autour des thèmes de l’auto­
nomie du syndicalisme face au Parti — avec soutien aux syndi­
calistes « purs » — et de l’autonomie du Parti face à l’IC. A Gauche,
les zimmerwaldiens, les syndicalistes-révolutionnaires entrés au Parti
qui réclament l’élimination des relents de la social-démocratie, la
coopération avec TIC, le travail syndical des communistes.
Rosmer ne s’attarde pas à discuter sur le plan théorique les
idées de la Droite et du Centre. Il dit : Qui sont-ils ? Des ex-réfor­
mistes, des opportunistes que la tactique de l’IC et du PC — qu il
a d’ailleurs approuvée — a eu l’inconvénient de perpétuer aux
postes dirigeants. Ils veulent affaiblir le PC en lui interdisant
d’avoir une politique syndicale cohérente, ce qui le priverait du
même coup de recrutement ouvrier. Leur manoeuvre politicienne
aboutit à dresser les syndicats contre le Parti. Ces « syndicalistes
d’occasion » ont retrouvé la tactique des menchéviks. Battus dans
le Parti, ils cherchent appui dans les syndicats. Or le PC, s’il n’a
pas l’action ouvrière au premier plan de ses préoccupations, s’il
ne s’épure pas, ressemblera trop au vieux PS pour attirer les ouvriers.
Ce Lafont, député communiste qui joue les syndicalistes, faisait
bien partie avant-guerre de la minuscule tendance « syndicaliste »
du PS, mais pendant la guerre, on n’en a plus entendu parler. Or,
« Pour qu’il soit possible de considérer le syndicalisme, de
Lafont comme autre chose qu’une fumisterie, il faudrait d’abord
que ce ne soit pas un syndicalisme à éclipses ™».
Voilà des gens qui ne cessent de prêcher l’autonomie face à
Moscou, évidemment parce que FIC leur impose une démarche
trop révolutionnaire.
L a Gauche est bien décidée à prendre la direction du Parti
entre deux feux : celui de 1TC et celui de la base. On forcera
la direction à appliquer en France ce q u elle a promis à Moscou
et si elle s’oppose à Moscou, on la mettra en accusation devant

78. LC., 5-V II et 10-X-1922.


262 alfred rosmer

les masses. On imposera la présence d’ouvriers dans les organismes


directeurs, ce qui sera une garantie contre les politiciens. Rosmer
affirme que ce sont d’ailleurs les ouvriers membres du P C qui ont
demandé une majorité d'ouvriers au Comité Directeur, avant que
TIC n'y pense ro.
Sur le travail syndical des communistes, Humbert-Droz distingue
en décembre 1921 eo ceux qui privilégient le parti (Rosmer), ceux
qui privilégient les syndicats (Monatte), Monmousseau ayant une
position intermédiaire. Mais c’est le moment où les syndicalistes-
révolutionnaires hésitent encore devant le Parti, le moment où le
Parti n'a pas de politique syndicale, où tout se passe comme s’il
était à la traîne des syndicats. L e Parti se tait, dit Humbert-Droz,
L'Hum anité ouvre ses colonnes à toutes les tendances de la minorité
syndicale, sauf peut-être aux anarchistes. Il y a même des commu­
nistes qui votent pour Jouhaux. Les leaders syndicalistes « purs »
sont au Parti (Verdier, Quinton, Griffuelhes), L e désordre se per­
pétue. Au IV e congrès de TIC, Rosmer affirme que le P C F ne
fait aucun effort pour influencer la CG TU , se contente de la suivre
et de l’appuyer. Au I I e congrès de l'ISR, Zinoviev évoque l'inexis­
tence de la politique syndicale du PCF. Faisant allusion à l'abandon
de l'article I I des statuts de l’ISR et s’adressant aux Français,
il déclare : « cette concession n'en reste pas moins une humiliation
que nous vaut le Parti Français et qu’il aurait dû nous épargner81».
Il faudra attendre la fin 1922 pour que le Parti ait une politique
syndicale cohérente. A ce moment-là, le bloc des syndicalistes-
révolutionnaires et des syndicalistes-communistes s’est mis à la tête
de la C G TU , il s’est rassemblé dans le Parti. Il va pouvoir agir et
Rosmer le dit clairement.
Annonçant que la Lutte de Classes cesse sa parution, avec le
numéro du 30 décembre 1922, il s’en explique en disant que le
rôle du journal de tendance s’ arrête puisque la C G TU a rejoint
l'ISR. Quant à lui, il poursuivra l’action pour amener le P C F à une
juste conception de l’action syndicale.
On réutilise alors une résolution du Comité Exécutif de ITC
qui date de fin 1921 et qui n’avait guère été mise en application.
Elle conseillait de mettre en place dans le Parti toute une série de
commissions à compétence syndicale. L ’une siège auprès du Comité
Directeur, elle est forte d'au moins 5 membres et composée de
membres du Comité Directeur qualifiés et de militants à la fois
influents dans les syndicats et dévoués au Parti. Dans les grands
centres ouvriers de province, des commissions locales d’au moins
3 membres sont organisées. Ailleurs, il y a des « hommes de
confiance ». Publiquement, le Parti fera comprendre aux syndiqués
qu’il est tout à fait normal que les communistes aient une activité

79. LC., 10-X-1922.


80. Art. cit.
81. LC., 30-XII-1922.
luttes de tendances 263

sy n d ic a le , il dénoncera l’apolitisme hypocrite des syndicats de droite,


il introduira dans les syndicats les mots d'ordre et les campagnes
d'agitation d u Parti. Une action occulte sera menée parallèlement :
« L ’action o ccu lte sera exercée en p a rtic u lie r p o u r fa v o ris e r
l'accession des m ilitants com m unistes au x fonctions responsables
des syndicats et en g é n é ra l p o u r toutes o pératio n s q u e les circons­
tances d e te m p s et d e m ilie u co m m an d en t d e n e pas d iv u lg u e r. »

L e P C enfin utilisera tous ses membres disponibles ; il obligera


tous ses membres syndicables à se syndiquer ét à adopter dans les
syndicats l’attitude recommandée par lui. Cette discipline des syn­
diqués communistes « les contraindra à se faire les agents du Parti
ou à sortir du Parti ».
L ’attitude générale des tendances ayant ainsi été esquissée, il
nous reste à examiner les affrontements de l’année 1922.
Ils commencent d’ailleurs dès le mois de décembre 1921 par
l’incident Souvarine 82. Au I er congrès du P C F (Marseille, décembre
1921), Souvarine n’est pas réélu au Comité Directeur. Or, il est
le délégué du Parti auprès de l’IC, il siège au Présidium et au
Secrétariat de l’IC , au Comité de Liaison 1C-ISR. Ce n’est pas
un simple règlement de comptes personnels, facilité par le carac­
tère entier de Souvarine, c’est un règlement de comptes politiques :
la direction centriste se débarrasse d’un adversaire de tendance
qui ne cessait d’envoyer depuis plusieurs mois une aigre corres­
pondance. Souvarine se plaignait notamment d’être laissé sans ins­
tructions, ses dix lettres envoyées au Comité Directeur et au Secré­
tariat n'ayant pas eu de réponses sauf une lettre personnelle de
Loriot qui ne contenait rien de précis. Comment, dans ces condi­
tions, prendre part aux discussions de 1TC qui concernent le PC F 83 ?
Il ajoute :
« Est-ce trop demander au Parti que de lui demander des rensei­
gnements et des explications sur son activité et ses résultats ? Si
oui, vous devez avoir le courage de le dire, car il faut que chacun
prenne ses responsabilités. Pour ma part, je ne considère pas comme
une prétention excessive cette réclamation constante de nouvelles
du Parti français. Et j'aimerais enfin savoir si je suis en désaccord
sur ce point avec le Comité Directeur ou une partie de ses membres
et lesquels ? »
Souvarine incrimine les inimitiés personnelles, celle de Cachin
qui parle de ses « oukases », celle de Rappoport, « jaloux, envieux,

82. Boris Lifchitz, dit Souvarine qui a alors 28 ans est né à Kiev et est
naturalisé français. Membre du PS, mobilisé pendant la guerre, d’abord
minoritaire longuettiste, il va au CRRI et au Comité de la 3e dont il devient
lun des dirigeants. En 1920, il a fait partie des emprisonnés du «com ­
plot D.
83. Archives Rappoport, Souvarine au CD du PCF, Moscou, 28-IX-1921.
264 alfred rosmer

mesquin et surtout lâche et hypocrite » qui ne cesse de le diffa­


mer 84. Mais ce qu’il y a au fond de tout cela, dit-il, c’est l’indif­
férence de la direction du P C F face à l’IC. Elle n’applique pas
la ligne du I I I e congrès mondial, malgré l’extrême modération de
l’IC qui, après plus de trois mois d’attente, n’entame pas de polé­
mique publique. Véritable « traitement de faveur » qui ne saurait
durer. L e Comité Directeur va droit au conflit avec l’IC et sera
désavoué par les masses. L a non-réélection de Souvarine à Marseille
est donc, à l’évidence, une manœuvre de la droite contre la gauche.
Immédiatement, tous ses camarades de tendance démissionnent.
En février 1922, dès son arrivée à Moscou, Rosmer participe
à une séance du Bureau de l’IC sur la crise du PCF. Zinoviev,
Trotsky, tous les membres du Bureau, dénoncent la confusion qui
y règne. TTs comprennent les motifs politiques des démissionnaires,
leur volonté de montrer publiquement le glissement à droite du
Parti, mais il désapprouvent leur acte. L ’arbitrage de l’IC blâme
à la fois les démissionnaires et la direction, elle exige la réinté­
gration des démissionnaires. En fait, l’incident Souvarine, pour vio­
lent qu’il soit, n’est qu’un aspect d’une querelle bien plus grave,
celle qui oppose la direction du P C F et l’IC sur le Front Unique.
A la fin de 1921 et au début de 1922, l’éloignement patent
des perspectives révolutionnaires entraîne une modification de la
ligne politique de l’IC . Son Comité exécutif décide le 4 décembre
1921 de mettre l’accent sur les revendications immédiates pour
lier les PC aux masses en un Front Unique selon la formule de
Lénine. Il ne s’agit pas de dissimuler le moins du monde que la
révolution socialiste reste le but final des communistes, mais cette
tactique nouvelle permettra de ranimer le mouvement ouvrier et,
par là-même, de relancer l’action révolutionnaire. En Allemagne
peu de difficultés surgissent sauf à Berlin, mais en Italie le PC
rechigne devant le Front Unique et Rosmer signale notamment
Togliatti-Ercoli comme l’un des opposants les plus rétifs 85.
En France, la résistance de la direction est telle qu’il faudra
trois mises en demeure de l’IC (mars, juin puis décembre 1922)
et un bouleversement des organismes dirigeants du Parti au profit
de la Gauche pour que le P C F se décide à appliquer le Front
Unique.
Dès janvier 1922, le Comité Directeur puis la Conférence Extra­
ordinaire des secrétaires fédéraux déclarent que le Front Unique
est impossible, inutile et dangereux. Impossible parce que les ponts
sont rompus avec les sociaux-démocrates, inutile parce que toute
la classe ouvrière suit le PC F, dangereux parce que les masses

84. Ibid., Souvarine à Bécot, 13-XII-1921.


85. Moscou, 207. Togliatti (1893-1964) après une courte alerte en 1929,
au moment où Boukharine est exclu du Comité Exécutif de l’IC, deviendra
le principal dirigeant du PC italien.
luttes de tendances 265

désorientées par ce changement de tactique. Ils accusent


s e ra ie n t
VXC de sombrer dans l'opportunisme.
Certains éléments de la Gauche qui approuvent le Front Unique,
en donnent d’ailleurs une interprétation qui ne peut guère séduire
les partenaires éventuels. Treint parle de la « volaille à plumer » et
Rappoport, toujours imagé, s’écrie : « commençons par le Front
Unique des masses, et les chefs, nous les tramerons par les che­
veux 86 ».
Tout l’effort de Rosmer consiste à définir soigneusement cette
nouvelle tactique qu’il approuve.
Soigneusement et sérieusementST, le journaliste communiste V ic ­
tor Méric a fait une boutade : « le Front Unique ? Pourquoi pas
avec Briand ? » et a prétendu que Clara Zetkin était contre le
Front Unique 8S. Or, dans mie lettre à Rosmer. Clara Zetkin s’affirme
favorable au Front Unique et ajoute que Méric est un « humoriste
politique ». Rosmer qui ne veut manifestement pas envenimer les
choses, met hors de cause la bonne foi de Méric, mais ajoute gra­
vement :
« [...] Son erreur comporte selon moi un enseignement : que
c’est une mauvaise méthode d’aborder une question de cette impor­
tance comme il Ta fait, par une plaisanterie, [...] de fabriquer une
caricature de Front Unique et de s’amuser chaque jour à la démolir.
On en arrive fatalement à ne plus prêter grande attention au choix
des arguments. »
Pour lui a% la tactique de Front Unique est parfaitement adaptée
à la conjoncture. La bourgeoisie a repris l’offensive. Les masses
ouvrières doivent reconstituer leurs forces. Le Front Unique répond
à cette nécessité. Ce n’est d’ailleurs pas I’IC qui l’a inventé abstrai­
tement, elle s’est contentée de transformer en tactique générale des
expériences limitées mais concluantes menées en Allemagne, Suisse,
Angleterre, Autriche.
L e Front Unique de Rosmer n’ est pas celui de Treint ou de
Rappoport. Il ne croit pas, comme le prétend Renoult, que le Front
Unique va faire péricliter le Parti, va dissoudre l’IC dans l’Inter­
nationale social-démocrate, que les ouvriers le repoussent110. Pour
lui, c’est une tactique dynamique, « il est divers comme l ’action
puisqu’il est une doctrine d’action 91 ». Mais en France, en Espagne,
en Italie, les réticences et les résistances sont telles que le Comité
Exécutif élargi de TIC (21 février au 4 mars 1922) doit affirmer
solennellement que le Front Unique n’est pas un recul, bien au

86. Ch. R a p p o p o r t , Le PCF au congrès de Moscou...


87. Humanité, 4-V-1922.
88. & Internationale, 20-IV-1922.
89. BC., 20-IV-I922.
90. Humanité, 18-IV-1922. D. R e n o u l t , « La quiétude de Rosmer ».
91. Humanité, 16-IV-1922.
266 alfred rosmer

contraire. Il est la mise en application du mot d’ordre du I I e congrès


de l’IC : « A ller aux masses ».
A ce Plénum, les Français étaient représentés soit par des par­
tisans — Rosmer — , soit par des adversaires du Front Unique.
Les adversaires finissent par se soumettre et signent avec les Espa­
gnols et les Italiens un texte qui affirme leur respect de la disci­
pline :
« Vous pouvez être assurés que, dans cette occasion comme dans
toute autre, nous demeurons disciplinés et fidèles aux résolutions
de la I I I e Internationale. »
Mais en pratique, le P C F reste inactif et la question revient au
Comité Exécutif élargi de l’IC en juin 22. Trotsky dénonce les
carences de la direction française en termes virulents dont Rappoport
donne un écho qui est bien dans son style :
« J’ai senti sous la caresse robuste de mon ami Trotsky, j’ai senti
son amour, et je ne demande qu’une seule chose : qu’il ne m’aime
pas trop fort, afin que je ne sente pas les coups trop fortement,
jusqu’à oublier qu’ils sont donnés par un a m i92. »
Après un coup de patte à Frossard qui minimise la gravité de la
querelle, tout le discours de Rappoport n’est qu’un plaidoyer pour
l’indulgence envers la direction centriste : Souvarine exagère, « ii a
parlé comme une gu illotin e». Ecrire dans le Journal du Peuple?
Mais ce n’est pas si grave car c’est « un champ libre pour tous
les vagabonds de la pensée », ce fut « notre auberge rouge quand
nous n’avions pas d’autre asile ». L e Centre a sans doute des torts,
mais ne vient-il pas des reconstructeurs ralliés ?
« Il y a des hommes que Moscou a pour ainsi dire violés et ils
n’en ont pas éprouvé de plaisir (et quand on n’a pas de plaisir
dans cette affaire-là, on ne pardonne jamais) 63. »
Enfin et surtout, il faut bien voir que la France est au centre de
la contre-révolution mondiale. Au cœur même de la contre-révolu­
tion, il est indispensable d’avoir une organisation révolutionnaire,
le PCF. Du point de vue de la stratégie mondiale de ITC, il serait
donc néfaste d'affaiblir le P C F par des exclusions. L ’IC doit criti­
quer, corriger, discipliner le P C F mais non le briser. Bref, pitié
pour le Centre ! Celui-ci en échange devra admettre que les ten­
dances du Parti deviennent des fractions dont la lutte met le Parti
en danger. Rappoport propose une motion dans ce sens et obtient
l’adhésion de ITC. L e Centre et la Gauche se partageront par moitié
les responsabilités. Les sièges au Comité Directeur seront égale­
ment répartis entre les deux tendances et Manouilsky sera envoyé
en France pour résoudre les difficultés 94.

92. Ch. R a p p o p o r t , op. cit., p. 3-4.


93. Ibid., p. 6-7.
94. Moscou, 278 et suiv.
luttes de tendances 267

Mais en France, les tendances sont intransigeantes. La Gauche


réclame la majorité des sièges au Comité Directeur et — malgré
les conseils de modération d’Humbert-Droz 95 — les deux tiers des
sièges au Comité Fédéral de la Seine. D ’ailleurs les rapports entre
Souvarine et Humbert-Droz sont tendus. Fin juillet, Souvarine
accuse le représentant de TIC de refuser systématiquement le con­
tact avec la gauche. Humbert-Droz doit en appeler au témoignage
de Rosmer et Dunois 9\ Cette attitude de la Gauche l’inquiète
comme elle inquiète Rosmer. Ils voient bien que T re in t97 et Sou­
varine veulent tout le pouvoir pour leur tendance et ils sont persua­
dés qu’ils surestiment leur force. A leur avis, la Gauche est trop
réduite numériquement et trop inexpérimentée politiquement pour
garder le pouvoir. L e Parti la renverserait et le contrecoup inter­
national de cette mésaventure serait très grave. Il serait donc rai­
sonnable qu’elle se contente d’un partage égal des responsabilités 48.
Tandis que Rosmer garde une certaine réserve envers ceux qui sont,
malgré les divergences, ses camarades de tendance, Humbert-Droz
est beaucoup plus net. La Gauche n’a, dit-il, que peu de contacts
avec le monde ouvrier dont elle ne connaît pas ïa vie. Il reparle
des syndicalistes, espoir touj'ours fuyant du futur PC F :
« Je cherche ceux qui pourraient former un vrai Parti Commu­
niste ici, et ceux-là sont hors du Parti, dans le mouvement syndical.
Tant que cette dualité demeurera, la crise ne sera pas complète­
ment vaincue et le Parti n’aura pas le caractère vraiment proléta­
rien. Or, Monatte, Monmousseau ont encore plus de prévention
contre Souvarine et Treint que contre Frossard qui connaît beau­
coup mieux les milieux ouvriers " . »
Le Centre de son côté n’est guère plus favorable au partage des
responsabilités et fait valoir que si c’est Manouilsky qui tranche, le
PCF ne sera plus indépendant. Traduisons : il craint que Manouil­
sky ne tranche régulièrement en faveur de la Gauche. Il faut dire
qu’il a quelques raisons de s’inquiéter : Manouilsky a passé une
partie de la guerre mondiale à Paris et faisait alors partie, avec
Trotsky, du groupe de Naché Slovo où il a bien connu Rosmer et
Monatte l0u.

95. Archives Humbert-Droz, HD à Zinoviev, 10-1X-1922.


96. Sur cette question, on consultera les textes publiés par Humbert-
Droz dans Uœ il de Moscou, p. 105-119.
97. Albert Treint, né en 1889 vient du PS. Mobilisé pendant la guerre,
il rejoint le Comité pour la 3e. A Tours, il a été élu au Comité Directeur
du Parti.
98. Archives Humbert-Droz, HD à Zinoviev, 5-X-1922.
99. Ibid., HD à Rakosi, 2-IX-1922.
100. Dimitri Manouilski (1883-1952) d’abord hésitant dans les luttes de
tendance de la social-démocratie russe, rejoint les bolcheviks en 1917. En
1922, il est membre du Comité Central du PC (URSS). Son activité essen­
tielle s’exerce dans l’IC où il sera secrétaire à l’Exécutif de 29 à 34.
268 alfred rosmer

L e 24 septembre, une déclaration du Centre repousse les « clas­


sifications arbitraires » en tendances et le compromis proposé par
1TC 10J. L e 5 octobre, la Gauche réplique par un texte collectif que
signe Rosmer 102. Elle y accuse le Centre de violer l’accord, de met­
tre ainsi le « Parti en danger », L a classification en tendances n’est
pas arbitraire, elle se double même d’une rivalité de personnes que
le Centre n’ose avouer.
L e 15 octobre, le I I e congrès du Parti s’ouvre à Paris. Cachin
déclare immédiatement : au nom du Centre, je déclare que nous
prendrons seuls la direction du Parti. L é 16 103 le Centre affirme par
avance aux représentants de l’IC sa loyauté envers les « intérêts
supérieurs » de l'Internationale mais refuse leur arbitrage car c’est
au congrès de choisir entre les tendances.
L e congrès se prononce pour le Centre, d'ailleurs à une faible
majorité : 1 698 voix contre 1 516 à la Gauche et 814 abstentions.
Les réactions ne se font pas attendre. L e 29 octobre intervient
la décision de Monatte : il quitte L ’Humanité et le journal présente
ainsi son départ :
« Au lendemain d’un congrès qui prépare la rupture du PCF
avec la Révolution Russe, Monatte déclare ne pouvoir non plus
continuer sa collaboration à L ’Humanité 104 ».
L e 30, les syndicalistes-révolutionnaires publient une lettre collec­
tive lt>5. Les communistes, disent-ils, « qu’ils soient ou non mem­
bres du Parti » , sont en plein désarroi car le Parti se décompose, se
désagrège « en ce brouillard d’octobre 1922 ». Sans doute, eu sya-
dicalistes, ils continuent à penser que le Parti n’a qu’un rôle secon­
daire à jouer, mais ils craignent que la décomposition du Parti
n’atteigne les syndicats, qu’une tendance (le Centre) qui tourne le
dos à la révolution n’exploite le syndicalisme révolutionnaire. La
rupture entre le Centre et la Gauche est guérissable si elle cache
une querelle de personnes, mais elle annonce une scission si elle a
des causes plus profondes. L e Centre n’a fait semblant de conclure
une alliance que pour mieux la déchirer, en une véritable trahison.’
L e congrès de Paris a montré l’absence d’internationalisme, l'exis­
tence d’une sourde hostilité contre TIC ; les adversaires de la révo­
lution ont triomphé. Les syndicaüstes-révolutionnaires, sans cacher
leurs divergences avec la Gauche, optent pour elle car :
« [...] En la personne du Centre, qui n'est pour une large part,
qu’une fraction masquée et fardée de la Droite, c’est le vieux Parti
qui renaît, qui continue, le Parti de l’impuissance parlementaire ejt
de la faillite démocratique. »

101. Publiée dans L ’Humanité.


102. Publié dans le BC,
103. Archives Humbert-Droz. . ,<
104. Humanité, 29-X-1922. 'Jf
105. Bulletin communiste, 9-XI-1922.
luttes de tendances 269

La Gauche, fidèle à sa tactique, en appelle à la base et à l'IC.


La fondation d’un journal de tendance est l’élément essentiel de
son action vers la base. La direction centriste reprend en mains
le Bulletin Communiste que dirige Souvarine et en publie un
numéro 43 le 26 octobre. Souvarine, dans un premier temps, sort
un autre numéro 43 du Bulletin Communiste (en ajoutant interna­
tionaliste) puis il lance, avec les autres membres de sa tendance,
les Cahiers Communistes le 9 novembre. Ils s’ouvrent par deux
textes collectifs : A u Travail et Pour Vunité communiste nationale et
internationale. Dunois, Suzanne Girault, Rosmer, Souvarine, Tom ­
masi, Treint, Vaillant-CouturierI08, ont signé le second texte. L a
Gauche affinne qu’élle acceptait pleinement le compromis élaboré
par l'IC mais que le Centre y a brutalement mis fin par son intran­
sigeance sur des questions de places qui sont secondaires, par son
retus de tout autre compromis. L e Centre n'a pas accepté le projet
établi par certains de ses propres membres (Bestel, Paquereaux,
K e r)I0r, projet accepté par la Gauche et qui prévoyait la parité au
Comité Directeur, une majorité centriste au Bureau Politique, le
contrôle par le Centre du Secrétariat et de UHumanité, il n’a pas
accepté l’arbitrage des délégués de Ï’IC (Humbert-Droz et Manouil-
sky) et leur proposition d’extrême conciliation invitant la Gauche
à s’incliner devant le Centre. L e Centre veut diriger le Parti tout
seul, au risque d’une rupture avec la Gauche et avec l’IC. Et ce
Centre qui ne dispose que d’une majorité incertaine de 180 man­
dats, qui élimine la Gauche de la direction, adopte au même mo­
ment sa politique par le vote de la motion Frossard-Souvarine. Il
dénature la pensée de la Gauche d’autant plus facilement que celle-
0 n’a pas d’organe pour lui répondre. Il essaie de dresser la C G T U
contre elle, il retourne pratiquement à la I I e internationale. Affir­
mant l’autonomie de la section française de l’IC, il l ’isole du mouve­
ment ouvrier international. Veut-il une rupture avec l’IC ? L a base
vdu Parti doit trancher, sections et fédérations doivent faire entendre
vleur voix, l’union du Centre et de la Gauche doit se faire à la base.
« Le congrès de Paris a voté des résolutions de Gauche approu-
vvées par lTntemationale.
La Gauche doit se donner pour tâche d’unir à la base toutes les
^bonnes volontés communistes pour les faire appliquer...
>xT.:Que la Gauche, avec l’appui des masses communistes du Parti,
Joplige le Comité Directeur du Centre à appliquer sans tarder les
•motions de Gauche votées au congrès de Paris. »

106. Paul Vaillant-Couturier (1892-1937) a adhéré au PS en 1912, Sans


,>"c{per de très près aux péripéties de la lutte de tendances du PC, il
jçjent la Gauche de son prestige de fondateur de l’ARAC et de Clarté.
Ker (1886-1923) a adhéré au PS en 1919 après avoir été mobilisé
M it la guerre. Il a milité en faveur de l’adhésion à l’IC. Franc-maçon,
, écarté de la direction en 23.
270 alfred rosmer

Pour cela, il faut organiser des commissions syndicales locales et


fédérales, les lier avec une commission syndicale centrale, entamer
une campagne pour le Front Unique que U Humanité combat et
déforme, exiger une campagne décidée contre le traité de Ver­
sailles, contre l’occupation de la Rhénanie, contre les accords secrets,
pour une action unifiée des prolétariats français et allemands, pour
1’élimination des fascismes et des fascistes qui pullulent à Marseille
et en Meurthe-et-Moselle.
Deuxième volet de son action, la Gauche en appelle à TIC :
« La Gauche, en accord avec toutes les sections du grand Parti
Communiste international, attend avec confiance et discipline les
décisions du IV e Congrès. »
Ce congrès s’ est ouvert à Moscou le 4 novembre et dure jusqu’au
5 décembre. La question française y est examinée par une commis­
sion où siègent Lénine, Trotsky, Zinoviev, Boükharine.
Rosmer rapporte au nom de la Gauche 10®. Son premier mot est
pour critiquer l’esprit étroitement nationaliste qui règne au PCF.
On n’y supporte aucune critique, aucune appréciation venue de
l’étranger. Or, dans ce Parti fait de morceaux mal soudés, il faut
absolument un lien : l’IC est toute désignée pour être ce lien. Non
seulement elle peut jouer ce rôle, mais encore elle doit le jouer
pleinement. En outre, les dirigeants du Centre font au Front Uni­
que des critiques inadmissibles. D ’abord ils le caricaturent :
« On l’a présenté comme une tactique de reniement du commu­
nisme, un retour au réformisme, l’abdication des principes qui
avaient été jusque là à la base de l’IC ; on a parlé de désarmement
révolutionnaire et d’autres choses de même importance. »
Rien d’étonnant après cela si la base ouvrière a eu des inquiétudes
devant la tactique de Front Unique, a craint qu’elle ne ramène aux
« combinaisons électorales » et au rapprochement avec les dissi­
dents 109. Il est d’ailleurs tout à fait paradoxal de trouver ces argu­
ments d’allure gauchiste dans la bouche des centristes puisqu’à
Moscou et dans toute 1TC, chacun sait bien que le PCF, « non
seulement n’est pas trop à gauche, mais est beaucoup trop à droite
pour être un véritable Parti. Communiste » . Quant au deuxième
argument du Centre, il est franchement risible. I l prétend qu’il n’y
a plus personne avec qui faire le Front Unique car les masses sont
toutes derrière le PC F, que la CGT, les dissidents ne sont qu’une
infime minorité disloquée, divisée, décomposée. Or chacun voit
bien que les masses ne sont pas toutes derrière le PCF, que la
C G T et les dissidents représentent une force réelle avec laquelle il
faut compter. Ce n’est qu’au Comité Exécutif de mars que Frossard

108- Cahiers Communistes, 7-XII-I922.


109. Humanité, 7-1-1923.
luttes de tendances 271

a fait remarquer l'isolement du Parti dans l’Internationale en ce qui


c o n c e r n e le Front Unique : on se décide alors à s’y engager, mais...
m o lle m e n t . Bref, un PC F gouverné par l e Centre, c’est un P C F qui
n’applique pas les directives de l’IC et ne les appliquera pas. L ’IC,
si elle veut voir appliquer sa ligne, doit arbitrer en faveur de la
Gauche. D e plus, on doit procéder aux épurations nécessaires car un
parti qui applique le Front Unique doit être absolument sûr de son
homogénéité et de sa cohésion ll°.
L ’IC arbitre effectivement en faveur de la Gauche 511. Sa réso­
lution générale condamne formellement le Centre qui dirige prati­
q u e m e n t le Parti depuis Tours. Dans le Parti, notamment au Centre,
il subsiste des éléments non-communistes. Il faut éliminer les atten-
tistes, nommer des commissions ouvrières qui épureront le Parti
des intellectuels, des amateurs, des carriéristes. Les candidats du
Parti aux élections seront ouvriers à 90 %. La tendance Lafont,
d’abstention syndicale, et la tendance d’extrême-gauche sont con­
damnées. Les communistes mèneront une action anti-colonialiste.
L'appartenance à la franc-maçonnerie et à la Ligue des Droits de
l’Homme est déclarée incompatible avec l’appartenance au Parti car
ces deux organisations sont des « machines de la bourgeoisie créées
pour endormir la conscience de classe du prolétariat » . Pour résou­
dre la crise de direction du PC F, le Comité Directeur sera constitué
à la proportionnelle sur la base des votes au congrès de Paris.
Les tendances font alors des déclarations 112 qui affirment leur
respect des décisions du congrès mais montrent bien les divergences
qui subsistent.
La tendance Renaud Jean 113 est la plus maussade. Les décisions
prises ont un caractère brusqué, elles risquent de provoquer un flé­
chissement des effectifs et « d’apparaître comme une violation du
contrat qui lie le PC à l’Internationale. » En particulier la désigna­
tion des membres du Comité Directeur par le congrès mondial est
un précédent grave. Trotsky rétorque ’ 14 que ce n’est pas le congrès
mondial qui a désigné les membres du Comité Directeur, qu’il s’est
contenté de faire des propositions au Comité National du PC F. A
Moscou, les fractions se, sont mises d’accord sur une liste et se sont
engagées à obtenir l’accord de leurs délégués au Comité National.
De toutes les façons, il fallait bien sortir le Parti français de l’im­
passe.
L e Centre se plaint des critiques excessives qui lui ont été faites

110. Cahiers Communistes, 7-XII-1922.


111. La résolution est publiée dans Cahiers Communistes, 21-XII-1922.
112. Humanité, 31-XII-1922.
113. Renaud Jean (1887-1961) a adhéré au PS en 1907, il est secrétaire
de la Fédération du Lot-et-Garonne en 1918, député en 20, membre du
Comité Directeur en 21. Il est le grand spécialiste du PCF pour les ques­
tions paysannes.
114. Cahiers Communistes, 21-XII-1922.
272 alfred rosmer

alors qu’il appliquait effectivement les décisions de l’IC sur la direc­


tion centralisée, la politique syndicale, la franc-maçonnerie, le Front
Unique. Ce qui a fait le plus grand mal au Parti, dit-il, ce sont les
fractions : il faut les supprimer. Trotsky admet que les fractions
sont un danger incontestable, et espère qu’elles disparaîtront pour
toujours. Cependant, il ne les condamne pas rétrospectivement. Ce
qu’il faut, dit-il, c’est que la situation dans le Parti évolue, « de
sorte que la ligne des fractions disparaîtra même aux yeux des frac­
tions elles-mêmes ».
La tendance Renoult adopte une attitude contrite : ses critiques
contre le Front Unique « s’inspiraient d’un sincère désir d’éviter
tout danger de fausses interprétations confusionnistes et opportu­
nistes » . Elle s’en remet à la bonne volonté générale.
L a Gauche triomphe. Elle tirera profit des « critiques amicales »
que 1TC lui a faites sur « certains aspects secondaires de son acti­
vité ». Il s’agit des critiques très vives qui lui ont été faites parce
que ses membres ont démissionné de leurs responsabilités, attitude,
dit Trotsky, qui ne peut être considérée comme révolutionnaire et
qui ne doit plus se reproduire. La Gauche déclare surtout que dans
les décisions du congrès mondial, elle
« [...] Trouve la justification de son attitude et de son travail pas­
sés. »
Au Comité Exécutif de 1TC du 21 décembre, sur rapport de
Trotsky, les détails sont réglés.
L e Comité Directeur en place administrera le Parti jusqu’à ce
qu’un Comité National à pouvoirs extraordinaires se réunisse en
janvier et nomme un nouveau Comité Directeur. On s’est entendu
sur la répartition des sièges — 10 pour le Centre, 9 pour la Gauche,
4 à la tendance Renoult, 1 à la tendance Renaud Jean, 2 délibératifs
pour les jeunesses — et aussi sur les noms.
Au Bureau Politique, 3 sièges pour le Centre, 3 pour la Gauche,
1 pour Renoult.
Comme délégués à l’exécutif de VIC les chefs de file les plus
agressifs des deux tendances : Frossard et Souvarine.
En ce qui concerne la presse, la Gauche se voit réattribuer la
rédaction du Bulletin Communiste. Moyennant quoi elle renonce
aux Cahiei'S Communistes dont le dernier numéro paraît le 21 dé­
cembre 1922. Cachin conserve la direction de U Humanité, mais
se voit adjoindre Dunois, comme secrétaire général de rang égal
ainsi que deux secrétaires de rédaction (un pour la Gauche, un pour
le Centre). Les démissionnaires de & Humanité seront réintégrés.
L a presse du Parti sera étroitement contrôlée par le Comité Direc­
teur, les journalistes membres du Parti ne collaboreront plus à la
presse bourgeoise et UHum anité publiera chaque jour un éditorial
anonyme exprimant le point de vue du Parti.
C ’est le programme d’action de la Gauche qui est approuvé :
résistance contre l’offensive capitaliste avec conseils d’usine, Front
luttes de tendances 273

Unique, commissions syndicales, unité syndicale, -utilisation des


■m o u v e m en ts de masse ; action contre le Traité de Versailles, antimi-
lita r is m e , anticolonialisme ; action dans la paysannerie, dans les
m ilie u x de la coopération, chez les jeunes ; action parlementaire ;
éducation marxiste des militants.
Encore quelques petits accrocs (la Gauche accuse Frossard de
reléguer ses textes en 5* page de L ’Humanité) puis les esprits
s’apaisent. Au Centre, d’après Dunois ll5, c’est l’insistance de Fros­
sard, Cachin, Ker, Sellier et Paquereaux qui emporte la décision du
Comité Directeur. Celui-ci approuve les décisions du IV e congrès
et vote un texte de fidélité à l'IC . La Gauche publie un texte de
ton mesuré signé par Rosmer, Souvarine, Vaillant-Couturier, Dunois,
Treint, Tommasi, Girault.
a
5?»
r >rr..... J ~
i— i U C i
, t.
UCQâJ.Uli5 U C

l’Internationale relatives à la solution de la crise du Parti français :


Fidèle à sa politique de toujours ;
Considérant que l’Internationale ne peut se prononcer que dans
l’intérêt du communisme et du prolétariat ;
La Gauche,
déclare accepter inconditionnellement les décisions du congrès
mondial,
et fait appel à tous les membres du Parti, sans distinction de
nuances, pour que, par une attitude identique, tous travaillent à la
formation d’un Parti Communiste capable de rem plir ses devoirs
envers la classe ouvrière du monde entier 116. »
Rosmer est enchanté. D ’une part parce que le Centre est vaincu,
d’autre part parce que la Gauche n’a pas imprudemment pris le
pouvoir pour elle seule, enfin parce que le compromis de Moscou
obligera la Gauche à renoncer à son attitude de critique systémati­
que et à s’engager concrètement dans la lutte 117.

Fin décembre 1922, tout risque de scission semble donc écarté.


Les tendances réconciliées autour du compromis de Moscou vont
pouvoir travailler ensemble et bâtir un véritable Parti Communiste
en France. L'année se termine sur cette impression d’optimisme et
Dunois peut intituler un article « A petits pas vers le matin » lia.

115. Cahiers Communistes, 21-XII-1922.


116. Humanité, 9-XII et Cahiers Communistes, 14-XII-1922.
117. Archives Humbert-Droz, HD à Zinoviev et Trotsky, 30-XII-1922.
118. Humanité, 31-XII-1922.

18
4

Défaite devant les zinoviévistes

Donc, quand s’ouvre l’année 1924, Rosmer a conquis, avec sa


tendance, une place importante dans le PC F. A partir de cette date
et jusque vers la fin de 1924, il prend une part directe et parfois
décisive à l'élaboration de sa politique et à la rédaction de ses
textes.
Alors que Souvarine s’en tient à une attitude violente envers le
Centre, il se montre beaucoup moins revanchard. Interviewé par
UHumanitê à son retour de Moscou, Souvarine déclare : « comme
l’a dit Trotsky à Moscou, la grande amitié après la grande sélec­
tion. La sélection par-dessus tout » \ Rosmer s’abstient de ces
déclarations fracassantes. Avec l’appui d’Humbert-Droz, il règle dis­
crètement les problèmes.
Tous les deux vont trancher avec Cachin la question de L ’Huma­
nité. Ils dressent ensemble la liste des nouveaux rédacteurs et
Cachin sacrifie les amis de Frossard. On fait rentrer au journal non
seulement des membres de la Gauche, mais aussi des syndicalistes.
Monatte se voit confier la page sociale, Martinet la page littéraire.
Rosmer, quant à lui, se charge de la page internationale en atten­
dant de devenir le secrétaire général du journal en septembre. Sa
façon de rendre compte des questions internationales soulèvera
d'ailleurs des critiques. En avril 1923, Humbert-Droz écrit à Zino-
viev :
« Depuis qu’il dirige la page internationale, il n’a pas apporté les
réformes qu’on attendait. Il sacrifie l’information au commentaire,

1. Humanité, 18-1-1923.
276 alfred rosmer

ce qui est fort bien dans une revue, mais mortel dans un grand quo­
tidien de Paris 2. »
L e partage des sièges dans les organismes dirigeants du Parti
se fait selon les lignes acceptées à Moscou. Au Comité Directeur
entrent 10 membres du Centre avec 2 suppléants, 9 de la Gauche
avec 2 suppléants, 4 de la tendance Renoult avec 2 suppléants, et
Renaud Jean. Au Bureau Politique, siègent Sellier3, Cachin,
Marrane * pour le Centre, Rosmer, Treint, Souvarine pour la Gau­
che, W erth pour la tendance Renoult.
En fait cette répartition quasi égale des places avec arbitrage
possible par les petites tendances Renoult et Renaud Jean ne donne
pas une image réelle du rapport des forces. D ’une part le véritable
arbitrage est rendu par les représentants de l’IC qui séjournent en
France, Humbert-Droz notamment. D ’autre part le Centre s'euiiLe.
Les échecs successifs, les éliminations, les départs l'affaiblissent sans
cesse. Les « lâchages » créent des querelles personnelles : Cachin
a « lâché » les amis de Frossard et Frossard semble bien près de s’y
résigner. Mais son entourage fait pression sur lui et il démissionne
en janvier. Rosmer, on s’en doute, ne le regrette pas. Frossard,
T « équilibriste qui vient de rater sa pirouette » , était pour lui le
type même du politicien, flairant le vent, dressant les groupes les
uns contre les autres, manœuvrant les militants3. Son départ en
entraîne toute une série d’autres ; il a, selon l ’expression imagée
de Zinoviev,
« [...] Produit l’effet d’un emplâtre qui a résorbé tout ce qu’il y
avait de mauvais et de malade dans le Parti 6. »
Bref, très rapidement, le Centre, affaibli numériquement et psycho­
logiquement, n’existe plus guère en tant que tendance. Treint le
dira en avril 1924 : « Les camarades de l’ancien Centre se sont
assimilés » 7.
Comme ce ne sont pas les petites tendances qui peuvent gouver­
ner le Parti, la Gauche, renforcée par l’effacement de ses adver­
saires, est donc vraiment au pouvoir.
Elle se renforce numériquement quand, en avril-mai, les élé­
ments syndicalistes se décident à adhérer au Parti qui leur semble
maintenant purifié. Ils ne se décident pas sans mal. Humbert-Droz

2. Archives Humbert-Droz, Humbert-Droz à Zinoviev.


3. Louis Sellier, ancien postier, vient du centre du PS. II succédera
comme secrétaire général du PC à Frossard démissionnaire. Hostile à la
tactique électorale « classe contre classe », il quitte le Parti en 1929. Il
sera député de Front Populaire.
4. Georges Maranae, blessé de guerre, s’inscrit au PS, s’y range parmi
les minoritaires et a milité pour l’adhésion à ITC.
5. Lutte de Classe, 30-1-1923.
6. Compte rendu analytique du V e Congrès de l ’IC., p. 22.
7. BC., 18-IV-1924, «t Contre la Droite Internationale ».
défaite devant les zinoviévistes 277

évoque par le menu les hésitations de Monatte 8. En février il allait


faire le pas mais il assiste à une réunion de la Gauche qui le
« dégoûte » . On y discute le cas d’Ilbert, accusé de vol. Rosmer
et Souvarine proposent l’exclusion, Treint et Suzanne Girault pré­
conisent l’indulgence en déclarant qu’il ne faut pas sacrifier à la
morale bourgeoise. Ils l'emportent et Monatte est révolté. Humbert-
Droz le raisonne, lui fait remarquer que l'incident est mineur et
le persuade à nouveau. Mais ce n'est pas tout : Monatte déclare :
« Je ne voudrais pas [...] que l'on me mette à la porte du Parti dans
trois mois pour hérésie syndicaliste ». Ce serait à désespérer ! Mais
Monatte a du prestige dans les milieux ouvriers et, s'il rentrait au
Parti, son exemple serait suivi. Humbert-Droz n’a plus qu'à s’armer
de patience. Il explique que les syndicalistes et les prolétaires ne
peuvent laisser le Parti tomber aux mains des intellectuels et des
arrivistes. En mai, Monatte se décide enfin. Stagiaire de mai à octo­
bre, il est membre du Parti en novembre et prend alors son premier
timbre 9. Notons que dans ce contexte transformé par l’arbitrage de
TIC et l'effacement du Centre, les syndicalistes entrent au Parti,
non, comme le leur avait suggéré Trotsky quelques mois aupara­
vant, en groupe constitué et exigeant, mais individuellement. Ils
viennent renforcer numériquement la Gauche, mais à aucun mo­
ment ils ne dirigent le Parti, à aucun moment d'ailleurs ils n’ont
l’impression de le diriger 10. Ils ne s’assimileront que très imparfai­
tement : Monatte, élu au Comité Directeur par le congrès de Lyon
en janvier 1924, prendra son dernier timbre en novembre.

Pendant un temps, l’impression dominante est que le travail du


Parti s’ améliore nettement. La presse augmente son tirage. U H u m a­
nité qui tirait à 5,1 millions en décembre 22, atteint 5,8 en janvier
23 n. Humbert-Droz est plus confiant.
11 est plus délicat de juger de l’effet produit par le changement
de direction sur les effectifs du Parti. D'ailleurs le mouvement des
effectifs est plus lent que le mouvement des lecteurs. C’est bien
compréhensible. Il est plus facile d’acheter un journal que d’adhérer
à un Parti. D e plus, la progression ou le recul des effectifs n’est pas
un critère absolu pour juger de la vitalité d’un parti révolutionnaire.
Il est certain toutefois que le mouvement d'effectifs permet de juger
de l’attrait du Parti sur les masses. Par ailleurs, toute évaluation
numérique du P C F se heurte à de grosses difficultés. Cependant,
on a donné récemment toute une série de chiffres et même un gra­
phique 1S. Dans l’effondrement général des effectifs de 1920 à 1924
(178 372 à l’ouverture du congrès de Tours, 103 391 au 1er octobre

8. Archives Humbert-Droz, Humbert-Droz à Zinoviev, 12-11-1923.


9. Voir sa carte de membre du Parti dans Archives Monatte.
10. Archives Rosmer, Monatte à Rosmer. 1950.
11. Humanité, 19-1-1924.
12. A. Kriegejl, a Les effectifs du PCF », art. cit.
278 alfred rosmer

1921, 78 828 au 31 juillet 1922, 76 076 en janvier 1925) la période


du gouvernement du Parti par la Gauche est une période de redres­
sement relatif. D e janvier 1923 à la fin de l’année, les départs con­
tinuent d'autant que les « résistants » font campagne contre le
P a rti33. En fin d’année, les effectifs sont au plus bas (45 000). Puis
le gouvernement du Parti par la Gauche entraîne un renversement
de tendance ; les effectifs remontent, nous l'avons dit jusqu'à
76 000.
Humbert-Droz, on le sait, informe régulièrement l’IC de révolu­
tion de la situation dans le Parti. En mars 1923, le gros de la crise
est passé pense-t-il, sans qu'on puisse encore paxler d'amélioration
définitive. La direction est homogène, les tendances anciennes sont
liquidées, quelques coteries subsistent mais elles vont s’affaiblis­
sant ld. Il note en avril : « La vie du Parti continue cahin-caha, sans
grandes perspectives politiques au jour le jour » 1S. En juin, il parle
de retombée dans les derniers mois, le Parti reste un « convales­
cent » ie. D ’ailleurs les tirages de L ’Humanité sont en dents de scie.
Notre impression d'ensemble sera donc nuancée. Certes les mili­
tants ont raison de noter l’amélioration mais ce serait tomber dans
une étrange erreur que d’imaginer un développement impétueux et
linéaire du Parti sous la direction de la Gauche.
La politique du Parti s’ordonne autour de trois grands thèmes :
la politique syndicale que marque tout particulièrement la présence
de Rosmer, la tactique de Front Unique qu'il s’agit maintenant
d'appliquer à la veille des élections législatives de 1924, l’interna­
tionalisme.
Dès le Comité National du 21 janvier 1923, Rosmer rapporte
sur la question syndicale 17. L'ancien Comité Directeur avait décidé,
sauf cas d'espèce, l’adhésion des communistes à la CGTU. Il parle
maintenant de créer aussi des noyaux communistes dans la CGT.
Certes on versera ainsi des cotisations à une confédération réfor­
miste, mais l’inconvénient est mineur comparé aux avantages : on
ne pourra plus accuser les communistes d’être des diviseurs. On
voit que Rosmer n'a pas oublié sa vieille hostilité à la scission
syndicale. Il s’appuie dans sa proposition sur l’exemple du PC
italien qui a demandé à ses membres de rester dans les syndicats
fascistes pour lutter contre l’état d’esprit qui y règne. L e Comité

13. Archives Humbert-Droz, HD à Zinoviev, 13-111-1923. Le terme


« résistants » désigne les exclus du PCF ou les démissionnaires qui se
regroupent en organisations plus ou moins éphémères autour du thème de
la résistance aux décisions de Moscou. Frossard, Pioch, Méric, Lafont
notamment organisent d’abord un Comité de Résistance puis des organi­
sations (PUC, USC).
14. Ibid.
15. Ibid., 21-1V-1923.
16. Ibid., 14-VI-1923.
17. Humanité, 22-1-1923.
défaite devant les zinoviévistes 279

National l’approuve mais la situation syndicale ne s’améliore pas


d’un coup : en avril, Humbert-Droz la juge médiocre 18, essen­
tiellement parce que les « résistants » risquent d’influencer la CG TU .
Le Parti, pense-t-il, a eu raison d’organiser, sur proposition de
Rosmer, un Comité d’Action avec la C G TU contre l'impérialisme
et contre la guerre et il serait bon d’y admettre d’autres organi­
sations prolétariennes (Association Républicaine des Anciens Com­
battants, Union Anarchiste, Fédération Ouvrière et Paysanne des
Mutilés et Anciens Combattants, Locataires). Mais il ne faut à aucun
prix y admettre aucune des organisations « résistantes » car elles
ne regroupent pas les masses ouvrières. Si elles entrent au Comité
d’Action, il faudra le quitter -.
« La C G TU choisira entre le PU C et le Parti. Son choix est libre,
il n’y a là aucune subordination, mais il faut qu’elle sache que si
elle admet Je PÜ C, nous nous retirons 19... »
En juin, la Commission Syndicale Centrale du Parti rapporte devant
le Comité Directeur. Elle affirme le droit pour les communistes à
s'organiser en tendances dans les syndicats, leur devoir de suivre
les directives du Parti :
« La Commission Syndicale estime qu’il ne faut pas confondre
l’autonomie organique des syndicats par rapport au Parti avec l’auto­
nomie des syndiqués communistes vis-à-vis du Parti qu’ils ont libre­
ment choisi » 20.
Le Parti veillera à ce que les directives des diverses commissions
syndicales soient en accord avec les directives du Parti et les prin­
cipes généraux du communisme, qu’elles ne soient pas en contra­
diction avec la plate-forme de la majorité à Saint-Etienne, qu’elles
visent à étendre l’influence de l’ISR, de ses méthodes d’organisation
et d’action. En octobre, le Comité National vote à l’unanimité
la motion Rosmer 31 qui insiste sur l’importance de l’action syndicale,
rejette toute tentation guesdiste, dénonce la faible activité des
Commissions syndicales centrales et fédérales, demande aux commu­
nistes membres de la C G TU d’éviter une nouvelle scission, à ceux
de la C G T de faire preuve de plus d’activité et souhaite que la
tactique de Front Unique permette de revenir sur les scissions syndi­
cales.
L e Front Unique pose surtout des problèmes sur le plan politique.
L ’attitude du PC F est très différente selon qu’il s’agit des rapports
avec la SFIO ou avec les « résistants ». A vec eux la raideur domine.
Ils proposent début mai des contacts en vue de rétablir l'unité
politique du prolétariat. L e Comité Directeur élude toute dis­

18. Archives Humbert-Droz, Humbert-Droz à Zinoviev, 13-111-1923.


19. Ibid., 2-IV-1923, Humbert-Droz à Cachin.
20. Humanité, 30-VI-1923.
21. Ibid., 16-X-1923.
280 alfred rosmer

cussion22 : leur groupement hétérogène regroupe les exclus du


congrès de Paris, ceux qui les ont exclus, les politiciens démission­
naires.
« [...] Vos propositions sont si étranges que nous ne pouvons
y voir derrière le nuage inconsistant de belles paroles, que le souci
de manœuvrer en vue de reconquérir à rapproche de la période
électorale, par une exploitation du sentiment unitaire des masses
ouvrières, une influence prolétarienne que votre confusionnisme vous
a fait perdre.
Vous ne vous étonnerez donc pas que nous ne donnions à vos
propositions aucune autre suite que la présente réponse. »
Au mieux, en novem bre2S, le Comité Directeur autorisera les féd é­
rations à réintégrer individuellement ceux des « résistants » qui
ïeconnaîlïGiûl puuliqueineuL s’êU'e Uuuupés et qui déclareront que
toute action politique est impossible hors de l’IC . L e Comité Direc­
teur du Parti semble unanime sur ce point. Et s’il y eut des réticen­
ces, ce n’est sans doute pas du côté de Rosmer qu’il faut les cher­
cher. La logique de son action depuis 1920 est l’élimination des élé­
ments centristes et droitiers, on ne voit pas pourquoi il aurait chan­
gé d’avis après avoir atteint son but.
Par contre le P C F multiplie ses appels à la SFIO. Dans son
congrès de Lille, celle-ci a fait une réponse négative. L e Bureau
Politique en février renouvelle ses offres en un texte d’une grande
souplesse verbale, non sans avoir exposé tout du long et critiqué
courtoisement les arguments des socialistes24. A la m i-avril2S, on
propose de faire du 1er mai un P r mai de Front Unique. L e tout
sur un ton qu’Humbert-Droz finit pas trouver trop conciliant
En fait le problème du Front Unique avec la SFIO est lié étroi­
tement au problème de la préparation des élections de 1924.
Tandis que la SFIO. et l’Union Socialiste Communiste esquissent
sous le nom de Cartel des Gauches un rapprochement électoral
avec les radicaux, le P C F préconise une tout autre tactique. Elle
a été définie dans les réunions de Î’IC dès 1922. On a parlé alors
de « bloc ouvrier » , Trotsky a employé l’expression « gouvernement
ouvrier » 27 et ces formules ont été discutées dans TIC en 1923.
Maintenant que l’échéance électorale approche pour le P C F — et
d’autant plus dangereusement que les élections de 1924 sont les
premières élections générales qu’il affronte — il s’agit pour lui
d’appliquer localement les décisions prises en commun à Moscou.

22. Humanité:, 15-V-1923.


23. Ibid., 25-XI-1923.
24. Ibid., 18-11-1923.
25. Ibid., 18-IV-1923.
26. Archives Humbert-Droz, HD. à Zinoviev, 21-IV-1923.
27. BC-, 15-11-1923, cité dans T r o t s k y , Le mouvement communiste en
France, p. 214-217.
défaite devant les zinoviévistes 281

En mai, Treint parle de Front Unique des prolétaires contre la


bourgeoisie Z8. En juin, Renaud Jean parle du Bloc Ouvrier et Pay~
san .
Au Bureau Politique on est d'accord sur la formule, mais il y a
bien des divergences sur le fond. Humbert-Droz les expose à Zino­
viev ; le Bureau Politique, dit-il,
« [...] A opposé le mot d’ordre de Bloc Ouvrier à celui du Bloc
des Gauches, mais il l'a fait sans savoir îui-même clairement ce qu’il
entendait par Bloc Ouvrier 30 ».
Et les divergences se sont révélées quand Humbert-Droz demande
une discussion approfondie de la tactique électorale. Pour Sellier
et Cachin, faire le Bloc Ouvrier et Paysan, c'est rassembler sur
des listes communes communistes, syndicalistes et socialistes <•!<*
gauche qui ont condamné publiquement la tactique du Bloc des
Gauches. Treint emploie l’une de ces formules dont il a le secret :
le Bloc Ouvrier, c’est la forme électorale du Front Unique avec
listes communes. Tout le reste du Bureau Politique, y compris
Rosmer, déclare impossible de faire liste commune avec des socia­
listes car,
« Un grand nombre de syndicalistes révolutionnaires dans le Parti
et hors du Parti ne verraient là que combinaisons électorales et
perdraient confiance dans le Parti Communiste qu'ils attendent au
tournant des élections ; au lieu de réaliser le Front Unique de la
classe ouvrière, cette tactique amènerait la rupture avec les éléments
révolutionnaires du mouvement syndical français 31 ».
Fin 1923, début 1924, les choses se sont précisées dans l’esprit
des communistes français. Une hypothèque a été levée, celle de
l'abstentionnisme. D'une part, la majorité des membres du Parti
a l'habitude — parfois le goût — des joutes électorales, d’autre
part, l'IC a toujours insisté sur l’importance de la tribune parle­
mentaire. Enfin, peut-être pour convaincre les irréductibles, le
message de l'IC lu par Zinoviev au congrès du P C F à Lyon 32 revient
longuement sur la question :
« Pour les communistes, le Parlement est une expression des
antagonismes de classe. Il ne fait qu’enregistrer ce qui se passe
ailleurs et déguiser l’exploitation des masses sous la phraséologie
démocratique. L e Parlement est l’outil d’oppression d'une classe
par l’autre. L e communiste n’y entre que pour aider de là la lutte
extra-parlementaire. L e centre d’activité de l’action communiste est
hors du Parlement et hors des élections. »

28. Humanité, 24-V-1923.


29. Ibid., 18-VI-1923-
30. Archives Humbert-Droz, Humbert-Droz à Zinoviev, 14-VI-1923.
31. Ibid.
32. Publié dans L ’Humanité, 23-1-1924.
282 alfred rosmer

Mais la campagne électorale est une magnifique occasion pour faire


pénétrer les idées communistes et pour conquérir les masses. Les
communistes doivent donc y participer. Au total, parmi les délégués
au congrès, il ne s’en trouve que deux pour défendre l’abstention­
nisme 33.
L e Parti participera donc aux élections, la cause est entendue.
Les difficultés restent entières et tous les partis d’ambition révolu­
tionnaire agissant en régime de démocratie parlementaire les con­
naissent bien. Ce n’est pas sans ambiguïtés et obscurités qu’ils par­
viennent à concilier le messianisme révolutionnaire et l’électoralisme.
L e PC F va s’efforcer, en approches successives, de définir le Bloc
Ouvrier et Paysan, d’indiquer quelles seront ses méthodes s’il prend
le pouvoir, d’offrir aux électeurs une plate-forme électorale, de
préciser enfin les détails de tactique.
L e Bloc Ouvrier et Paysan, c’est :
« [...] L ’union des travailleurs des villes et des campagnes, des
ouvriers, paysans, employés, fonctionnaires, de tous ceux qui aspirent
à un ordre social meilleur, de tous ceux qui souffrent de la dictature
insolente des rois de l’argent34 ».
L e gouvernement Ouvrier et Paysan ne s’appuiera pas seulement
sur le Parlement, il s’appuiera aussi sur les organes de classe du
prolétariat (syndicats, conseils d’usine, Sans doute verra-t-il
la bourgeoisie se dresser violemment contre lui. Alors, il
« [...] Mobilisera toutes les forces ouvrières pour se défendre par
tous les moyens et pour instaurer la dictature du prolétariat des
villes et des campagnes, seule capable de vaincre définitivement
la bourgeoisie 35 ».
Ainsi s’esquisse la théorie d’une prise du pouvoir par le prolétariat
qui peut s’effectuer dans une première étape par la voie parle­
mentaire mais n’exclut pas, dans une deuxième étape, en réponse
aux inévitables réactions violentes de la bourgeoisie, le recours à
la dictature prolétarienne et aux moyens de coercition. Cette théorie
ménage à la fois le respect de la légalité républicaine et la référence
à la nécessaire violence révolutionnaire.
En attendant, il faut proposer à l’électeur un programme. Le
Comité Directeur du PC F admet 36 qu’entre lui et les autres partis
avec lesquels il veut passer alliance, les divergences profondes
sur la défense nationale, sur la dictature du prolétariat, sur les
méthodes révolutionnaires interdisent toute perspective d’unité orga­
nique. D ’ailleurs après une pénible scission et de difficiles épura­
tions, il n’a guère le désir d’aboutir à cette unité organique. Mais,

33. Humanité, 21-1-1924.


34. I b i d 3-1-1924.
35. Ibid.
30. Ibid., 17-XII-1923. Appel du Comité Directeur à la SFÏO et à l’USC.
défaite devant les zinoviévistes 283

dit-il, l’unité d’action est possible sur un programme discuté en


commun. Certains membres du Comité Directeur font des projets
de programme, les confrontent, en font une synthèse qui est envoyée
aux Fédérations. Puis la direction du Parti élabore un projet officiel
de programme et le publie 3T. Ce projet est amendé au congrès
de Lyon 36. Dans le détail, le Parti préconise 39 un accord tactique
national avec ceux qui auront répudié nettement la tentation du
Bloc des Gauches. Faute d'accord dans la constitution des listes,
le Parti présentera ses propres listes où figurent 9/10 d'ouvriers,
aucun fonctionnaire du Parti, aucun rédacteur de L ’Humanité.
Le résultat de cet effort est bien médiocre. La SFIO fait la
sourde oreille, d’autant que Cachin lui présente les propositions du
PC F comme un tout, « à prendre ou à laisser 40 ». Elle « laisse »
avec empressement. En février 1924, le Comité Directeur en appelle
aux travailleurs socialistes « par-dessus la tête des chefs 41 » :
« L e Parti Communiste s’adresse maintenant non plus au Parti
Socialiste et à ses organes dirigeants... mais aux travailleurs socia­
listes eux-mêmes... »
Sans plus de succès. L e P C F devra aller aux élections de 1924
avec ses seules forces, l’électorat ne le suit que peu puisque sur
582 députés il n’obtient que 28 sièges tandis que le Cartel des
Gauches en enlève 328.
Les questions de la révolution internationale attirent plus l’atten­
tion de Rosmer : révolution allemande, défense de la révolution
russe.
On sait qu’en 1923, l’imminence de la révolution allemande
n’est guère discutée. Rosmer signale en septem bre42 le dévelop­
pement inquiétant du fascisme allemand. Armé, il règne en maître
sur des parties importantes du pays, tente d’encercler les bastions
rouges.
« La caractéristique du fascisme, écrit-il, c’est qu’il utilise pour
la défense des privilèges capitalistes, le mécontentement, le désarroi,
la misère de la petite bourgeoisie, des petits paysans et même d’une
fraction de la classe ouvrière. »
Il fait miroiter son plan de régénération nationale et trouve en
Allemagne un terrain propice : écrasement économique des classes
moyennes et misère ouvrière. L e PC allemand se développe et
songe de nouveau à la prise du pouvoir. Nous sentons sur ce point
chez Rosmer une réticence qui contraste avec l’optimisme un peu
excessif qui règne autour de lui :

37. Humanité, 3-1-1924.


38. Ibid., à partir du 21-1-1924.
39. I b i d 17-XII-1923 et 21-1-1924.
40. Ibid., 21-1-1924.
41. Ibid., 15-11-1924.
42. Ibid., 18-IX-1923.
284 alfred rosmer

« Il ne suffit pas de se battre, il faut vaincre. Une lutte mal


engagée, mal préparée, aboutissant à la défaite de la classe ouvrière
organisée serait suivie d’une répression farouche, d’une terreur
blanche [...]. Les communistes allemands ne veulent pas être les
fossoyeurs de la classe ouvrière, ils veulent être ses libérateurs 't't. »
Un peu de cette inquiétude reparaît quinze jours plus tard dans
la déclaration du Comité Directeur sur la question a l l e m a n d e ;
la victoire du PC allemand relancerait la révolution mondiale, mais
sa défaite serait catastrophique. Quoi qu’il en soit des inquiétudes
intimes de ses membres ou de l’un de ses membres, : le Comité
Directeur du P C F fait son devoir. Il mobilise les membres du
Parti :
« [...J Dès aujourd’hui, chaque membre du Parti Communiste
doit se considérer comme mobilisé au service de la révolution alle­
mande. »
En novembre, le Parti lance un journal du soir, JJInternationale
pour galvaniser le prolétariat parisien en faveur de la révolution
allemande. La vente atteint, d’après L ’Humanité 10 à 12 000 exem­
plaires par jour. Mais en janvier 1924, il faut bien se rendre à
l'évidence : la révolution allemande ne vient pas. L e Comité Direc­
teur du 8 décide, non de supprimer, mais de suspendre la parution
de L ’Internationale. Ses explications sont quelque peu embarrassées
et sceptiques *5 :
« Notre Parti frère allemand croyait à la Révolution et se prépa­
rait à faire tout son devoir. Nous n'avions qu’à le soutenir sans
réserve, et c’est ce que nous avons fait. »
Mais le PC allemand avait sous-estimé « la capacité de trahison
de la social-démocratie » et il lui faut maintenant attendre la nou­
velle poussée révolutionnaire.
Par ailleurs, en septembre 1923, la presse bourgeoise fait grand
tapage autour d'un texte de Boukharine qui fait aux révolution­
naires de tous les pays un devoir de défendre l’URSS, Etat prolé­
tarien qui est leur vraie patrie. Rosm er46 commence par mettre
les choses au point : le texte de Boukharine est un texte personnel
et TIC ne l’a pas approuvé. Mais en ce qui concerne la question
de la patrie, c’est vrai que l'URSS est la vraie patrie des prolé­
taires :

43. Ibid. On sait que les communistes allemands tentent une série de
mouvements à partir de septembre 1923 et qu’en octobre des g o u v e r n e ­
ments ouvriers se forment en Saxe et en Thuringe tandis que l'agitation
gagne. L ’armée dépose les gouvernements de Saxe et de Thuringe et
réprime la grève insurrectionnelle d’Hambourg.
44. Humanité, 28-ÏX-1923.
45. Ibid., 10-1-1924.
46. Humanité, ll-IX-1923.
défaite devant les zinoviévistes 285

« [...] La France de Poincaré, la France impérialiste des grands


exploiteurs, la France des hideux profiteurs de guerre, la France
qui affame les ouvriers allemands, la France agent de la contre-
révolution, qu’elle n’attende rien de nous. Elle peut nous prendre
beaucoup, elle nous a tenus mobilisés pendant de longs mois. Mais
tout ce qu’elle nous prend, elle l’arrache par la force. Elle ne reçoit
de nous aucun don volontaire.
L ’Etat prolétarien, la république des ouvriers et des paysans
est notre patrie L a première république ouvrière et paysanne
s’étend sur un territoire immense. Mais son territoire réel est plus
immense encore que son territoire géographique. Partout, sur tous
les points du globe, elle a des îlots qui n’ont qu’un désir, qu’une
volonté : se joindre entre eux et se joindre à elle pour libérer le
monde. »

Mais pour le mouvement communiste international, l’année 1924


est l’année de la grande crise. Par un enchaînement tout à fait
remarquable qui se reproduira souvent, la crise qui secoue le PC
URSS ne tarde pas à déborder sur FIC et de là sur les différentes
sections nationales, la section française comprise.
On sait que dès 1923, les querelles sont le lot du PC URSS,
si bien que le Testament de Lénine est dominé par la crainte
d’une scission possible. A la mort de Lénine, le conflit éclate entre
le groupe Zinoviev-Kamenev-Staïine d’une part et Trotsky d’autre
part.
Rosmer ne prend conscience de ces tensions que mal et tard.
En mai 1923, séjournant à Moscou, il est tombé par hasard dans
une réunion où se trouvent Zinoviev et Boukharine. Peu à peu
arrivent Kamenev, Rikov et Tomski et il entrevoit même la « figure
chafouine » de Staline. Quand tout le monde est là, Olga Ravitch 17
le met « gentiment » à la porte sur ces mots : « ça ne va pas être
amusant pour vous à présent ; ils vont tous se mettre à parler
russe 48 » . Sur le moment cette importante réunion, sans Trotsky,
n’éveille pourtant pas ses soupçons. Peu à peu cependant, les
nouveEes filtrent : des communistes rentrant de Moscou viennent
l'avertir qu’une campagne est engagée contre Trotsky49. Surtout,
FIC donne d’inquiétants signes de flottement. En Bulgarie, le mou­
vement paysan, tente un coup de force, l’inertie du Parti entraîne
l’écrasement des paysans. En Allemagne, la crise s’est généralisée.
L TC réunit une conférence secrète — où Rosmer, trop pris par
l’Humanité ne peut se rendre — pour demander aux P C voisins
de l’Allemagne quel appui ils pourraient éventuellement accorder
au gouvernement de Saxe qui regroupe communistes et socialistes

47. Bolchevique, elle est rentrée de Suisse en Russie en 1917. Elle


rejoindra l’Opposition et sera déportée en 1938.
48. Moscou, 283-284,
49. Ibid.
286 alfred rosmer

de gauche. Mais les délibérations de cette conférence sont si


confuses, ses décisions si incohérentes, qu’à l'Humanité on ne com­
prend guère ce que veut au juste ITC 60. Enfin la crise éclate au
grand jour. Rosmer comprend rétrospectivement bien des choses :
« Toutes ces protestations, résolutions, manœuvres, rivalités, étaient
complètement ignorées dans lTntemationale j on ne les apprit, assez
tard, que par bribes. Certains faits revenaient alors à la mémoire,
et prenaient une signification qu’on n’avait pas pleinement comprise
sur l’heure51. »
I l voit alors la crise russe sous deux aspects : développement et
aggravation des déformations bureaucratiques, opposition d’un trium­
virat à Trotsky 52. Apparues rapidement, les déformations bureau­
cratiques avaient été dénoncées par Lénine, puis par les 46 signa­
taires de la lettre d’octobre 23 au Comité Central du PC URSS
et par Trotsky. L e triumvirat est dominé par Zinoviev. Et Staline
n’est que « le plus obscur des triumvirs ». Un zinoviévisme se déve­
loppe dans le Parti russe et, de là, dans l’IC. Zinoviev introduit
le culte de Lénine : en avril 1924, il adresse une lettre aux diffé­
rentes sections de ITC. Il y écrit :
« Sans Lénine, mais dans l’esprit du Léninisme ! Telle sera 3a
devise du V° congrès. L e grand guide de TIC est mort, mais
son oeuvre est vivante, surtout vivante dans ITC. L e V e congrès
traitera toutes les questions qui se posent à lui dans le plus pur
esprit léniniste. L a pensée de Lénine reste l’étoile directrice de
toutes les questions de ITC S3. »
Staline emboîte le pas, plus discrètement : en janvier 1924, il fait
au Kremlin une conférence : « W . I. Lénine, souvenirs person­
nels 54 », en attendant son Léninisme, théorique et pratique (1924).
Zinoviev introduit aussi le totalitarisme dans TIC : il envoie dans
les sections des émissaires qui étoufFent les résistances avant que ne
s'ouvrent les congrès, il réduit les oppositions par tous les moyens,
ses partisans imposent d’interminables débats où les ouvriers sont
régulièrement battus à l’usure par des permanents qui ont tout leur
temps. Partout les opposants doivent céder ou partir. Rosmer en
est d’autant plus scandalisé que le 1917 de Trotsky vient de révéler
l’attitude de Zinoviev et de Kamenev dans les moments cruciaux.
Et voilà maintenant que Zinoviev, « droitier type » , et Kamenev,
« démagogue par excellence » , se mêlent de bolcheviser “ ! Tout
ce que nous pouvons saisir de la pensée et des méthodes de

50. Moscou, 276 et suiv,


51. Ibid., 282. .
52. Ibid., 278-288.
53. Humanité, 22-IV-1924.
54. Ibid., 7-II-1924.
55. RP., II, 1926.
défaite devant les zinoviévistes 287

Zinoviev au travers de ses brochures et de ses interventions de


congrès nous semble confirmer ce que Rosmer pense de l’existence
autonome d'un zinoviévisme. Il est cependant évident que la rapide
élimination de Zinoviev par Staline a tué ce zinoviévisme dans
l’œuf — tout en conservant et en accentuant ses méthodes. Mais
pour Rosmer, Staline est toujours resté un disciple de Zinoviev.
Il le réaffirme encore en 1953 :
« Zinoviev, avec son entreprise de « bolchevisation » des partis
et les congrès d’unanimité lui enseigna [à Staline] l'art de manipuler
les sections de 1TC iS. »
Dans l'Internationale, les « pratiques zinoviévistes » ont des consé­
quences graves car il n’y a plus, comme c’était la règle autrefois,
de ligne collectivement déterminée. Parlant du V e congrès, Rosmer
s’écrie : « L e congrès a tout fait avant d’avoir commencé S7. »
Pour Rosmer, il est très grave que Zinoviev impose, à lui tout
seul, une ligne. Il y a plus grave encore, il impose une ligne inco­
hérente, affirme l’existence d’une Droite internationale qui s’oppo­
serait à une Gauche, seule détentrice de la vérité communiste.
Non content d’inventer une Droite et une Gauche dans l’Inter­
nationale, voilà que Zinoviev les invente aussi en France.
Rosmer est discret, mais il y a une crise de direction au PCF.
Dès juin 1923, Humbert-Droz signale les difficultés : Treint, Secré­
taire Général, est un danger pour le Parti car il se mêle de tout
régler à sa façon, élabore des Thèses sans consulter personne, a
« une conception tout à fait mécanique de la discipline, manie
la trique 58 ». Treint mène le Parti comme un régiment. Il exerce
une sorte de chantage, menace de démissionner ou de mobiliser
ses hommes dans le Parti. A la moindre objection, il expédie effec­
tivement des dizaines de lettres dans toutes les directions. Avec
la direction de UHum anité les rapports s’aggravent progressivement
et la rupture totale menace, Humbert-Droz n’a plus qu’un espoir
pour contenir Treint : Rosmer, « car c’est le seul avec Souvarine
qui ose, dans le Bureau Politique, tenir tête à Treint*8» . Bien qu’il
soit indispensable à L ’H um anitéw, Rosmer est aussi le seul Secré­
taire Général de rechange disponible :
« Rosmer me paraît le seul qui ait l’autorité nécessaire et en
même temps le doigté indispensable pour être le Secrétaire Général
du Parti 61, »
Treint est donc directement menacé par la présence de Rosmer.

56. RP-, 1953.


57. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 18-VII-1924.
58. Archives Humbert-Droz, HD à Zinoviev, 14 et 23-VI-1923.
59. Ibid.
60. Ibid., HD à Zinoviev, 23-XI-1923. Lettre publiée dans H u m b e r t -
D r o z , L ’œil de Moscou, p. 212-215.
61. Ibid., HD. à Zinoviev, 10-IX-1923 et p. 204-209.
288 alfred rosmer

D e plus, couve entre les deux hommes une querelle qui date de
la discussion sur le Front Unique et Treint s'en souvient encore 62.
Il avait parlé de « volaille à plumer » et Rosmer le lui avait reproché
jusque devant TIC. Sur ce point Treint réaffirme d’ailleurs la jus­
tesse de sa position. Son expression était d’usage interne, elle per­
mettait de prouver aux membres du Parti que le Front Unique
n’était pas un opportunisme. Il ajoute qu’à l’usage externe elle
n'était pas si mauvaise :
« Il est facile d’expliquer aux ouvriers, même devant les chefs
réformistes que les chefs qui ne serviront pas jusqu’au bout le
prolétariat perdront des plumes dans l’action ouvrière commune 63. »
En 1924, voilà Treint contesté sur le plan des méthodes de
travail et en passe, s’il perd I’»ppnî de VïÔ. de perdre du même
coup la direction du PCF. Pour se maintenir, il ne dispose que
d’une solution : politiser le problème. Il choisit de soutenir à fond
le clan au pouvoir à Moscou et d’affirmer que ses adversaires
ont partie liée avec Trotsky, qu’ils préconisent les mêmes solutions
que lu i64. Après avoir affirmé qu’il est à l’origine de la ligne suivie
par ITC, que son groupe « affirma dès l’abord la ligne politique
qui fut ensuite proclamée comme juste par lTntem ationale05 »,
Treint soutient que ses amis et lui représentent la fraction française
de la Gauche Internationale et dénonce Rosmer, Monatte et Souva­
rine comme les représentants français de la Droite internationale.
Il va de soi que ces derniers n’admettent pas cette classification.
S’il y a une Gauche quelque part, dit Rosmer, c’est celle qu’il
forme avec Monatte et Souvarine. Les zinoviévistes sont des droi­
tiers qui s’appuient sur les débris du Centre. Monatte approuve :
« Treint a dû prendre sa Gauche pour sa Droite 66. » Ils rejettent
la « géographie des tendances » qu’a inventée Treint, se proclament
« Gauche ouvrière » et qualifient Treint et Suzanne Girault de
« néophytes du prétendu bolchevisme français 67», de « soi-disant
gauche léniniste 08 ».
Entre les deux groupes, la bataille politique fait bientôt rage.
En mars 24 6% Treint affirme que les désaccords existaient dans
la direction du Parti depuis 1923 et qu’ils portaient sur neuf points :
la Ruhr, la rivalité impérialiste anglo-française, la situation en A lle­
magne, la victoire électorale du Labour, le bloc oppositionnel russe,
le Front Unique, le développement du Parti et les rapports avec

62. BC., 14-111-1924.


63. Ibid.
64. Ibid., 18-IV-1924.
65. Ibid., 28-111-1924.
66. Humanité, 15-IV-1924.
67. Rosmer, Monatte, Delagarde, Lettre aux membres du PC.
68. Archives Monatte, AR. à Monatte, 26-VIII-1924.
69. BC., 28-111-1924.
défaite devant les zinoviévistes 289

les syndicats, les rapports du Parti et de UHumanité, la politique


du centralisme dans le Parti. Si ces neuf points existaient bien
depuis 23, nous n’en avons pas trouvé trace. Par contre, en 24,
la querelle est publique et porte sur quatre points : la « vieille
garde bolchévique », la bolchevisation, la Droite allemande et inter­
nationale, l'affaire anglaise. Sur tous ces points, les positions de
Treint — telles qu’il les expose dans les Thèses qu’il fera voter
par le Comité Directeur du 18 mars 70 — coïncident toujours très
exactement avec celles de l’IC et de Zinoviev.
On sait que l’expression « vieille garde bolchevique » qui surprit
beaucoup à l'époque est une expression de contenu politique très
c la ir . L e long passé indépendant de Trotsky, son ralliement relati­
vement tardif à Lénine, l’excluent du groupe. Parler de la « vieille
garde », dans ce contexte, c’est déjà choisir son camp. Les thèses
Je Treint s alignent cxpïicîteixieiïii sui là. ^ viciuc partie » : eues
approuvent les conclusions de la X II6 conférence du PC (URSS) 71,
affirment qu’il n’y a pas d’affrontements personnels en URSS. Sur
le plan économique, elles admettent qu’il est dangereux de laisser
pénétrer en URSS le capital international. Par conséquent, s’il est
bon de diminuer les prix des produits industriels, on ne saurait
le faire en important des produits étrangers qui tueraient les indus­
tries russes. L e plan doit être subordonné à la nécessaire alliance
politique ouvriers-paysans, être contrôlé par le Parti. Les techniciens
influencés par l’esprit petit-bourgeois doivent être surveillés. Sur­
tout, une démocratie totale est impossible dans un Parti Commu­
niste. La majorité de ses membres étant en contact constant avec
des paysans ou des petits-bourgeois, ils peuvent se contaminer.
L ’appareil du Parti d’une part, la « vieille garde bolchévique » de
l’autre doivent lutter continuellement contre toute déviation. Les
tendances sont vigoureusement condamnées :
« L a constitution de fractions à l’intérieur d’un Parti véritablement
communiste est absolument inadmissible et serait particulièrement
dangereuse pour le Parti russe, en raison de l’exercice par lui du
pouvoir et de son rôle révolutionnaire mondial. »
Sur la bolchevisation, les formules de Treint : « contre la débol-
chevisation du Parti russe, pour la bolchevisation des partis frères »
et son appel à
« [...] Continuer la lutte vigoureuse contre l’affaiblissement des prin­
cipes et de la direction bolchevistes au sein du Parti russe, et pour
le renforcement des méthodes et de la discipline de tous les partis
frères sur la base rigide du bolchevisme »
invitent à s’interroger sur ie double sens du mot bolchevisation :

70. Publiées dans BC., 24-111-1924.


71. Sur cette conférence, qui a condamné comme fractionnelle l'activité
trotskyste, on consultera P. BHOtré, Le parti bolchévique, p. 195 et suiv.
290 alfred rosmer

sens technique (discipline de fer, cellules d’entreprise, etc.), sens


politique aussi et peut-être surtout. L e débolchevisateur étant Trotsky,
les bolchevisateurs sont les hommes de la « vieille garde ».
Treint admet l'existence d’une Droite internationale et fustige
tout particulièrement la Droite allemande. Elle n’a pas su appliquer
le Front Unique, a mis tous ses espoirs dans l’alliance avec l’aile
gauche de la social-démocratie, s’est trompée sur le rôle néfaste
de la social-démocratie qui dans son ensemble « a joué le rôle d’une
aile du fascisme bourgeois ». La Droite allemande est restée passive
devant les tentations du réformisme, pire elle a lutté contre la Gauche
et sous-estimé le rôle propre du PC.
Losovsky a pris très rapidement position sur la victoire électorale
du travaillisme anglais 72. Il s’agit pour lui d’une victoire de la
bourgeoisie. Treint nuance cette affirmation sans la contredire 73.
L ’arrivée des travaillistes au pouvoir prouve que la bourgeoisie
anglaise ne peut plus régler les problèmes, mais c’est pour elle une
victoire car elle se sert du Labour pour mater la classe ouvrière,
l’Irlande, les Dominions et les colonies, pour conclure le compromis
sur la Ruhr. Les communistes anglais, par la pratique vigilante
du Front Unique (critique impitoyable des travaillistes et propo­
sitions sans cesse renouvelées d’action commune), débarrasseront
la classe ouvrière anglaise de 1’ « illusion travailliste » et transfor­
meront cette victoire de la bourgeoisie en victoire du prolétariat.
L a position de Rosmer et de son groupe est point par point à
l’opposé de celle de Treint et se trouve par là-même contraire
à la ligne de l’IC . Rien d’étonnant à cela : ce groupe n’admet
pas la division du groupe dirigeant du PC (URSS) et ne veut pas
entendre parler de « vieille garde bolchevique ». En avril 1924
face à Treint et à Suzanne Girault qui affirment la nécessité de se
prononcer rapidement sur les questions internationales car on est
bien assez documenté — Suzanne Girault ajoutant même :
« I l [le P C F ] peut et doit se prononcer. Ses jugements ne sont
pas infaillibles, mais il doit en avoir le courage. C’est en se trompant
qu’il se perfectionnera » — ,
le groupe Rosmer affirme que le P C F est très insuffisamment
informé de la querelle russe, que Treint n’en a qu’une connais­
sance superficielle, au travers de quelques articles de la Correspon­
dance Internationale, qu’il convient donc d’étudier les questions
sérieusement et de ne pas trancher à la légère. Monatte remarque
qu’il est impossible de choisir selon ses amitiés personnelles puisque
lui et Rosmer en ont dans les deux camps, il insiste pour qu’on
fasse confiance aux Russes : ils ont prouvé qu’ils n’étaient pas des

72. Humanité, 2-XI-1923.


73. BC., 14-111-1924.
74. Archives Rappoport, Compte rendu anonyme d’une réunion d'avril
1924.
défaite devant les zinoviévistes 291

réformistes. En novembre 75„ ils n’ont pas changé d’avis. Ils rejettent
alors toute accusation de « trotskysme ». Ils ne peuvent juger les
textes récents de Trotsky (Discours aux vétérinaires, nouvelle pré­
face à son 1917) car ces textes n’ont pas été publiés. Qu’on publie
et qu’on étudie les textes avant d’en discuter ! Ce dont ils sont
certains — jusqu'à preuve du contraire — , c’est que Trotsky a
toujours été léniniste, ils se refusent donc à le condamner sur
des bruits. Tout au long de l’année, ils ne cessent de prêcher
l'unité dans le PC URSS et dans 1TC. Dans un des derniers textes
qu’ils ont pu faire voter par le Comité D irecteurTs, la motion
Souvarine (votée le 19 février à l’unanimité moins 3), Rosmer et
ses amis soutiennent :
« [...] Après l’expulsion des groupes « Vérité Ouvrière » et
< Groupe Ouvrier » 7\ le Parti russe est épuré de toute fraction
inassimilable et [...] les tendances variées qui se sont exprimées
au cours de novembre-décembre-janvier sont toutes inspirées du
souci de faciliter la réalisation de la tâche historique du Parti du
prolétariat et animées d’un égal désir de travailler à la grandeur
du Parti et au triomphe de la révolution russe et mondiale. »
Tous les camarades russes qui actuellement s'opposent ont été des
« artisans valeureux » de la révolution et de l’Internationale, leurs
luttes de fractions doivent cesser, ils doivent s’unir à nouveau.
Si le conflit du Parti russe persiste, 1TC aura à en débattre,
1TC rendant, ainsi â sa section russe le service qu’elle a déjà
rendu à d’autres sections en difficulté 7\ Notons qu’une telle procé­
dure avait un précédent : l’Opposition Ouvrière avait fait appel
devant FIC. Dès janvier 1924, d’ailleurs, dans une interview publiée
par U H u m a n ité 79, Staline coupe court aux spéculations sur cet
éventuel arbitrage de l’IC :
« L e correspondant de R osta80 ayant demandé s’il est possible
que les questions internes du Parti soient examinées par l’IC, le
Secrétaire Général du Parti répondit que c'était possible mais pas

| 75. R o sm er..., Lettre aux membres du PC.


[ 76. BC., 4-IV-1924.
t 77. Ces deux groupes sont de tendance gauchiste affirmée et s’en
j prennent notamment à la NEP. L e Groupe Ouvrier qui est le plus impor-
! tant déclare que le sigle NEP signifie « Nouvelle Exploitation du Proléta-
I liât » et le groupe Vérité Ouvrière la tient pour un retour pur et simple
[ au capitalisme. Des exclusions du Parti, des arrestations les affaiblissent
puis ils sont condamnés successivement par le Politburo, par le Présidium
du Comité Central (dont fait partie Trotsky) le 5-XII-1923 et par la X IIIe
conférence du Parti en Janvier 1924. Voir sur ce point, C a jrjr, The inter-
regnum, p. 80 et suiv.
78. Humanité, 27-XII-1923. B. S o u v a r i n e , Les discussions entre bol­
cheviks.
79. 11. I. 1924.
80. Agence de presse soviétique.

L
292 alfred rosmer

probable, car tout laisse supposer que l’IC, si elle intervient, £exa
sienne l’attitude du Comité Central et de l’immense majorité du
Parti. »
Logiquement, le groupe Rosmer refuse bien des aspects de la
bolchevisation : les règlements de comptes et la rigidité zinovieviste.
Rosmer souligne que Lénine au IV e congrès de l’IC, avait condamné
la résolution sur l’organisation des P C qui avait été adoptée par
le I I I e congrès Il la trouvait trop exclusivement russe, incapable
de convenir aux classes ouvrières des autres pays. L a forme que
Treint et S. Girault donnent à la bolchevisation en France lui
semble plus insupportable encore. Comme dit Monatte, ils pra­
tiquent le « centralisme mécanique 82 », l’étouffement autocratique
puisque la tête veut interdire aux membres toute pensée autonome.
Les membres du Comité Directeur eux-mêmes apprennent en lisant
L.’Humanité qu’un congrès est prévu pour janvier 1925 83. Rosmer
et ses amis ne font plus allusion à Treint qu’en parlant du « capo­
ral » ou du « capitaine », allusion à ses aventures de guerre et
d’après-guerre, et affirment : « une mentalité de chambrée se crée
et des mœurs de sous-off s’installent». Ils dénoncent le dévelop­
pement d’une bureaucratie du Parti qui « bientôt [...] fera la pige
à celle de l’état français ». En avril, Marguerite Rosmer écrit à
Humbert-Droz :
« [...] Nous sommes mal engagés et dévorés par les fonctionnaires
qui sortent de tous les côtés, qui sont pour la grande majorité
incapables, dépourvus de sens politique et qui se rangent toujours
du côté du plus fort pour ne pas lâcher le fromage es. »
Les mœurs bureaucratiques et les manœuvres se répandent. Comme,
au V 6 congrès de l’IC , Jerram a pris des positions qui ont déplu
à Treint, on envoie quelqu’un dans le Nord où il est secrétaire
fédéral pour lutter contre son influence s\ Delagarde, membre du
secrétariat du PC, est d’accord avec Rosmer. Quand il est candidat
au secrétariat du syndicat C G T U des métallurgistes de la région
parisienne, des membres du Parti font campagne contre l u i87. Mai-
rane lui affirme la nécessité de combattre les opposants car il
vaut mieux avoir un sans-parti à la tête d’un syndicat qu’un commu­
niste d’opposition, il ajoute de la « pommade » et Delagarde con­
clut :

81. Moscou, 278-288.


82. BC. 4-IV-1924, déclarations de Monatte après le CD du 18-111.
83. Rosmer..., Lettre aux membres du PC.
85. Archives Humbert-Droz, MR. à HD., ll-IV-1924.
86. Guy Jerram, correcteur et militant du Livre a joué, en 1919-1920,
lin rôle important dans la fondation de 1’ARA.C dont il est devenu secré­
taire.
87. Archives Monatte, Delagarde à Monatte, 5-VIII-1924.
défaite devant les zinoviévistes 293

« J'ai senti que je n’avais qu’à renier ce que je croyais être juste
et immédiatement je rentrais en. grâce et l’on m'offrait les postes
que j’aurais désiré. »
Puis Poussel, secrétaire de la Fédération C G T U des Métaux, lui
téléphone à son tour pour essayer d’arranger les choses. A vec des
méthodes pareilles, pensent Rosmer et ses amis « ce n’est pas une
c o h o r t e de fer que l’on forme, mais un régiment de limaces ».
Alors que l’hétérogénéité du Parti rendait difficile la fusion et l’unifi­
cation de ses membres, surtout dans une période non-révolution­
naire, comme l'année 1924, une infinie patience aurait été néces­
saire pour faire la fusion. Treint gâche tout en voulant tout brus­
quer.
Les considérations de Treint sur les Droites internationales alle-
iiiüiiûc ce ixânçcuSc ne sont que divagations.
Mêmes oppositions sur la question anglaise. Rosmer a toujours
suivi de près les problèmes anglais, il a écrit de nombreux articles
sur l’Angleterre 8S, il est, sur cette question, le porte-parole de son
groupe. Dès mars 1923, il a prévu une victoire électorale du Labour.
Avec Losovsky et les zinovievistes, il est pleinement d’accord sur
trois points : la victoire du Labour donne un sursis à la bourgeoisie
anglaise, les chefs travaillistes ne méritent pas qu’on leur fasse
confiance, le Labour ne doit pas être ménagé. Il est persuadé qu’un
intermède travailliste épargne à la bourgeoisie anglaise une révo­
lution prolétarienne immédiate, lui permet de souffler et de réparer
ses forces. Les chefs travaillistes sont de vrais traîtres ou d’hon­
nêtes incapables qui ne connaissent que la manœuvre parlementaire
et craignent la violence révolutionnaire. Il faut parler franc au
Labour et la Lettre Ouverte de Rosmer ne s’en prive pas :
« N ’oubliez pas, écrit-il [...], que c’est en partie de la désillusion
provoquée dans la classe ouvrière italienne par l ’impuissance et la
faillite des partis socialistes réformistes, qu’ est né le fascisme san­
glant. ■»
En aucune façon, on ne pratiquera une quelconque « manière
douce » avec les travaillistes, on exigera clairement d’eux l’appli­
cation de leur propre programme, surtout en matière coloniale et
sociale. Mais Rosmer pense que Losovsky et ceux qui le suivent
dans le P C F pèchent par simplisme excessif. Il ne peut apprécier
cette série de caricatures que publie U H um anité du 15 mars 1924.
Un ouvrier français s’y fait interpeller : « Ça y est, nos amis tra­
vaillistes prennent le pouvoir en Angleterre. Vous allez voir ce que

88. Humanité, 16-111-1923 ; 9-XI-1923 (Lettre Ouverte au Labour


adoptée par le Comité Directeur du PC dans sa séance du 5-II-1924, publiée
dans B C 4-IV-1924) ; 9-XII-1923 ; 9-II-1924 ; BC., 15-11-1924 ; Huma­
nité, 23-11-1924. Lors d’une réunion, en avril 1924, Rosmer intervient
vivement sur la question anglaise (Archives Rappoport, lettre citée).
294 alfred. rosmer

vous allez voir ». Puis viennent les trois actes de la pièce : au


premier, les ministres travaillistes déclarent que les Indes sont et
resteront anglaises ; au second, ils réclament toujours plus de cui­
rassés ; la reine les décore au troisième. Epilogue : l’ouvrier français
s’exclame : « Merci... J’ai vu. » Pour Rosmer, c’est là une vision
par trop caricaturale des choses. Il demande un peu de nuances.
Tout d’abord, le travaillisme britannique est une forme originale
de la social-démocratie, très différente des autres ; l’opposition
travailliste de gauche qui a ses assises dans la région de la Clyde
n’a rien à voir avec les gauches social-démocrates classiques. Ensuite,
il faut agir de « manière intelligente, compréhensive, fructueuse »,
éviter les « déclarations sonores » et les violences verbales inu­
tiles :
« [...] L ’IC en a fait l’expérience ; les violences verbales n’ont,
en Angleterre, aucun succès et, si elles ont un résultat, il est
exactement opposé à celui qu’on se propose 89. »
Inutile de brandir les expériences passées de la révolution russe,
de l’échec révolutionnaire allemand, de la victoire fasciste italienne,
toutes ces expériences ne sont pas parvenues à dégoûter la classe
ouvrière des réformistes. C ’en est à se demander si les expériences
historiques servent à quelque chose :
« [...] Il est attristant de constater combien peu la classe ouvrière
profite de ses propres expériences [...]• U semble que chaque peuple
ait besoin de refaire pour son propre compte l’expérience entière
et se montre incapable de profiter de l’expérience qui s’est déroulée
à côté de l u i 00. »
L ’IC a beau avoir mille fois raison, c’est inutile si les ouvriers
anglais pensent le contraire, et ils sont des millions à penser le
contraire. Que faire ? La situation dans laquelle se trouvent les
communistes anglais a une portée internationale puisqu’il s’agit
pratiquement d’une situation de Front Unique réalisé et de Front
Unique qui a pris le pouvoir. Leur objectif
« [...] D oit être de harceler le gouvernement travailliste, de pro­
voquer des démonstrations basées sur ses promesses et les reven­
dications des travailleurs, de susciter l’envoi de délégations auprès
de lui, de concerter son action avec celle des éléments de gauche
du Labour Party qui paraissent résolus à ne pas permettre aux
chefs de trahir [...] 91. »
Les communistes anglais mettront ainsi les travaillistes devant
leurs engagements électoraux. Si le Labour ne tient pas ses pro­
messes, ils montreront concrètement à ses électeurs qu’ils ont été

89. Humanité, 9-II-1924, art. cit.


90. Ibid.
91. Ibtd.r 23-11-1924, art. cité.
défaite devant les zinoviévistes 295

t r o m p é s et leur ôteront leurs illusions. Ils parviendront ainsi à


dépasser l’étape travailliste qui aura été une étape nécessaire. Entre
les mises en demeure que Zinoviev adresse aux masses anglaises
et les méthodes que préconise Rosmer, il y a un monde.
Treint, en deux textes décisifs 92, use de beaucoup de vigueur
verbale à l’égard du groupe Rosmer, Souvarine, Monatte. Ce sont,
dit-il, des « droitiers » , des « trotskystes », ils font du < néogau­
chisme ouvriériste teinté de syndicalisme pur ». Il prend cependant
quelques précautions : en mars, il affirme que c'est avec une véri­
table douleur qu'il a vu Monatte se joindre au groupe Souvarine-
Rosmer ; en avril il met hors de cause l'honnêteté personnelle de
ses adversaires et ajoute :
« Au nom de leur passé, nous supplions les camarades Rosmer,
Monatte et Souvarine, de demeurer tels que nous les avons connus :
internationalistes et révolutionnaires et de s’arrêter dans la voie
dangereuse où ils se sont engagés. »
Cependant les services passés ne peuvent tout excuser,
« le fait d’avoir eu dans le passé une ligne politique juste ne
démontre nullement que l’on est aujourd’hui dans le bon chemin ».
Et, allusion directe aux très fréquentes évocations par Rosmer et
ses amis de leur passé de militants, il affirme que les nouvelles
générations ne comprennent pas les cours d’histoire. Leurs positions
tant sur les questions internationales que sur les questions nationales
sont des positions droitières. Leur neutralité apparente favorise
l’opposition russe et, sous un air d’impartialité, la motion Souvarine
n'est autre qu’une déclaration de guerre au Comité Central du PC
URSS. En niant l'affrontement international des tendances, en prê­
chant pour le PC URSS une unité qui ne pourrait être que formelle,
en affirmant que chaque section de l’IC doit s’occuper de ses
propres affaires, ils retrouvent le langage des « résistants » droitiers
du congrès de Paris. En droitiers, ils atténuent la critique néces­
saire du travaillisme, en droitiers, ils désapprouvent la nouvelle
direction du P C allemand. Ils sont partie intégrante de cette Droite
internationale, représentée en Grande-Bretagne, Allemagne, Pologne,
URSS qui constitue une menace dans TIC :
« C’est clair, les droites des divers Partis se ménagent et se
favorisent les unes les autres, il est vraisemblable qu'elles bloqueront
au V® congrès contre le Comité Central russe. »
Leur pessimisme, attitude droitière, est le reflet du reflux révolu­
tionnaire européen après l'échec allemand et aussi le reflet de la
conjoncture française. L e Bloc des Gauches qui associe les forces
réformistes et une fraction du grand capital, vient en effet de

92. BC., 28-111 et 18-IV-1924.


296 alfred rosmer

remporter des succès électoraux. Par sa puissance d'attraction, il


présente pour le PC des dangers de déviations réformistes ou droi-
tières « possibles dans un Parti qui se meut au sein de la corruption
matérielle et idéologique du capitalisme ». Treint, bientôt suivi par
Zinoviev au V° congrès, suggère sans le dire que le groupe Rosmer
subit l’attirance du Bloc des Gauches. I l l’accuse de plus de décou­
rager le Parti en y répandant « le doute démoralisant qui est en
eux ».
Leur attitude sur les questions syndicales, pour diverse qu’elle
soit, est droitière. Droitier, Monatte veut un réseau de commissions
syndicales indépendantes du Parti et prolonge ainsi le dualisme
P C F - syndicalisme-révolutionnaire. Droitier, Rosmer : il a affirmé
qu’on aurait pu abandonner les commissions syndicales. Cet aban­
don, du travail syndical rejetterait le Parti dans l’électoralisme.
La contre-attaque ne va pas sans certaines divergences tactiques
entre Rosmer et Monatte : Monatte étant partisan de l’offensive
immédiate, Rosmer conseillant d’attendre. En effet le 20 août, Marzet,
journaliste à L'Hum anité, rend compte à Monatte des progrès enre­
gistrés par leur tendance dans certaines cellules d ’entreprise et
ajoute : Rosmer a raison, chaque attaque prématurée fait le bloc
contre nous 93. L e 26, Rosmer conseille de ne pas abdiquer, mais
d’attendre que ceux qui grognent se décident à parler. En attendant
cet inéluctable réveil, il faut collectionner toutes les stupidités de
la direction : leur seule énumération, quand on la fera, sera un
formidable réquisitoire84. Sa tactique l’emporte car son groupe
ne se décide qu’en novembre à réunir et à exposer dans sa « Lettre... »
l’ensemble de ses arguments. Ils s’efforcent alors de ramener la
querelle à ses origines : l’incapacité de la direction Treint, ses
exécrables méthodes de travail qui ont fini par contaminer tout
le Parti. L a nullité de Treint est proverbiale. Quant à S. Girault,
qui est son alter ego, c’est une simple arriviste ! Guilbeaux est
d’ailleurs de leur avis et fait dans ses mémoires 9S un portrait sai­
sissant de S. Girault : institutrice en Ukraine au moment de la
révolution russe, elle vient à Moscou et s’y accroche aux Rosmer.
<c [...] D ’une manière très habile, [elle] s’imposa à Rosmer et à
Marguerite Rosmer, qu’elle accompagnait partout comme interprète
et comme guide, à telle enseigne qu’on la prenait pour la femme
de chambre de Madame. Elle suggéra à Rosmer de la faire rentrer
en France. E lle s’occuperait, disait-elle, de la propagande parmi les
femmes. Rosmer en parla à Trotsky. Celui-ci fit le nécessaire. Un
beau jour, Suzanne Girault débarqua à Paris. Quelques mois après,
elle devenait membre du Comité Central du parti, puis siégeait
au Bureau Politique. Bientôt après, elle faisait exclure Rosmer 96. »

93. Archives Monatte, Marzet à Monatte, 20-VIII-1924.


94. I b i d Rosmer à Monatte, 26-VIII-1924.
95. Du Kremlin au Cherche-Midi, p. 227.
96. Elle sera exclue du Parti pour zinoviévisme puis réintégrée.
défaite devant les zinoviévistes 297

En dix mois de direction, Treint et ses amis ont accumulé les


échecs : ils n'ont su donner aux cellules d’entreprise ni travail
pratique, ni droit de désigner librement leur secrétaire ou leur
délégué au rayon, ils les ont privés ainsi de toute vie. Ils ont repris
en mains L'Hum anité en proclamant qu’ils allaient en faire un véri­
table journal ouvrier, mais n’ont abouti qu’à une caricature, à « un
mauvais Bulletin Communiste quotidien », à « une bouillie intel­
lectuelle pour enfants 97 ». L e résultat ne s’est pas fait attendre :
les ventes se sont effondrées, ce qui pose d’inextricables problèmes
financiers, d’autant qu’il y a des gaspillages — notamment le main­
tien d’une Humanité du M idi — et qu’on embauche force perma­
nents. L e système des souscriptions devient l’expédient habituel pour
boucler le budget.
Mais le groupe Rosmer est battu dans cet affrontement. Les
forces sont inégales.
Treint s’appuie sur la fédération de la Seine, sait utiliser les
ressources de l’appareil que lui offre son Secrétariat Général. Il a
l’appui de l’IC.
En face, Rosmer et ses amis ont perdu l’appui de l’IC. Ils n’ont
aucune Fédération importante avec eux. Rosmer lui-même n’est pas
l’homme d’une lutte dans un parti, mais un homme de plume, à
l’aise dans de petits cercles d ’amis ; il est d’ailleurs plus connu à
Moscou que dans le Paris d ’après-guerre comme le remarque Du-
noisas. Les militants d’avant 1914 l’estiment mais une nouvelle
génération est en place qui ne juge pas d’après les états de service
passés.
Il faut connaître les étapes de cette défaite : défaite dans le
PC F qui culmine au Comité Directeur du 18 mars 1924, défaite
devant 1TC au V e congrès (juin-juillet 1924), marche vers l’exclu­
sion.
L e III® congrès du P C F à Lyon en janvier 1924 est encore
parvenu à un texte d’unanimité. Treint 89 explique que les militants
sont encore mal informés, que les tendances sont mal définies :
on a donc mis dans un texte tout ce qui ne soulevait aucune dis­
cussion et on l’a voté. Nous ajouterons que le choc psychologique
dû à la mort de Lénine soude les militants et que la querelle russe
n’a pas encore atteint son plein développement. Treint attribue
la différenciation progressive des tendances au recul allemand, à
l’expérience anglaise qui « démasque » le Labour, à l’agitation en
France, à la meilleure connaissance de la discussion russe. En
février, le Comité Directeur suit encore Rosmer : le 15 il adopte
sa Lettre ouverte au Labour, Treint et S. Girault sont les seuls
à voter contre. L e 19 il adopte, nous l’avons vu, le texte de Souva­
rine sur le P C URSS, seuls Treint, S. Girault et Semard ont voté

97. Lettre..., op. cit.


98. BC., 3-0-1921, art. cit.
99. BC., 28-111-1924.
298 alfred rosmer

contre. L e même jour, il refuse de prendre parti sur les tendances


du PC allemand.
L e renversement de majorité au Comité Directeur intervient
en mars : la défaite de Trotsky est maintenant avérée, les hési­
tants se rallient à Treint, Celui-ci tente alors d’isoler et de disso­
cier les opposants, puis de les pousser à des actes d’indiscipline
qui permettront de prendre des sanctions. Contre Souvarine, il
remporte sa première victoire le 6 m ars100. L e Bureau Politique
demande à Souvarine de cesser ses attaques contre Treint. Refus.
L e Bureau Politique somme alors Souvarine d’aller rejoindre son
poste à Moscou. Nouveau refus. Souvarine diffuse une Lettre aux
abonnés du Bulletin Communiste et lance une souscription afin de
fonder une nouvelle revue marxiste. L e Bureau Politique et le
Comité Directeur répliquent en lui ôtant la direction du Bulletin
Communiste. A mots couverts, la déclaration du Bureau Politique
parle d’exclusion :
« Les ouvriers membres de notre organisation qui respectent scru­
puleusement pour leur compte la discipline du Parti ne compren­
draient pas que les militants les plus responsables bénéficient d'un
régime de faveur. »
Au Comité Directeur du 18 mars, Treint remporte sa victoire
définitive en faisant passer ses thèses et c’est au tour du groupe
Rosmer de se trouver isolé. La situation est d’autant plus grave
que tous ses membres n’adoptent pas la même attitude : Monatte
vote contre les thèses de Treint et assortit , son vote d’une décla­
ration énergique, Souvarine vote contre, Dunois vote contre 101 puis
se laisse influencer et déclare approuver, puis affirme à Rosmer
qu’il est opposé au texte l02. Rosmer s’abstient.
En avril, Treint développe son offensive. C’est naturellement
dans la Fédération de la Seine qu’il est le plus actif. Dès le congrès
fédéral du 17 février, Souvarine s’était plaint : « les camarades de
la Seine mènent une campagne acharnée contre les militants qui
ont la charge du parti 103 », Ensuite les réunions se succèdent dans
la Seine à cadence rapide : le 28 février une assemblée fédérale
discute de la question anglaise, les 7, 13 et 15 mars ont lieu des
assemblées de secteurs, le 16 nouvelle assemblée fédérale. Les
assemblées fédérales de début a v r il104 permettent à Treint d’écraser
ses adversaires. Il y prend l’offensive : le texte Souvarine voté
par le Comité Directeur le 19 mars est une énormité car il parle
de rechercher une base d’accord entre les deux groupes du PC

100. BC., 4-IV-1924.


101. Archives Monatte, Souvarine à Sellier, 8-IV-1924.
102. Ibid., Rosmer à Monatte (de Moscou), 6-VI-1924.
103. Humanité, 18-11-1924. Compte rendu du congrès fédéral de la
Seine.
104. Comptes rendus dans L ’Humanité, 6 et 13 avril 1924.
défaite devant les zinoviévistes 299

URSS. Mais, dit Treint : « rechercher une base, c'est réviser la


base ancienne du bolchevisme. La résolution constitue une tentative
révisionniste. » D'autres indices de déviation droitière sont là : on
a c c e n t u e l'aspect électoraliste du Bloc Ouvrier e t Paysan, on limite
l'horizon politique aux luttes revendicatives immédiates. Et nul n’a
le monopole de l'ancienneté dans le P C F :
« [...] En France, il n’y a pas de vieille garde. L a vieille garde
se formera dans des luttes bien autrement sévères que celles que
nous avons vécues. Celle-ci ne saurait se former dans la lutte contre
la vieille garde bolchevique, âme du mouvement communiste mon­
dial. »
Souvarine répond en rejetant de nouveau l’accusation de dévia­
tion droitière. Rosmer explique son abstention du 18 mars : d’une
part il n’était pas d'accord avec le texte proposé, d’autre part la
procédure était inadmissible car c'est une fraction de 14 membres
du Comité Directeur qui a apporté à la séance un texte tout pré­
paré et a forcé le Comité Directeur à le prendre en considération.
Puis il reprend point à point les critiques qui lui sont faites : le
Labour n'est pas un parti social-démocrate comme les autres. La
preuve ? L ’IC demande de travailler avec la gauche travailliste.
Il n'y a pas de Droite allemande, il y a un groupe abusivement
baptisé ainsi, dont il n’est pas solidaire. Il n'était pas pessimiste
en ce qui concerne la révolution allemande, mais ce qu’il a critiqué
c’est le « mauvais blanquisme » qui a inspiré certaines des mesures
prises par la Fédération de la Seine. En Russie, après la dispa­
rition de Lénine, le Parti n’a pas besoin de querelles, mais d’unité.
Ni Souvarine, ni Rosmer ne parviennent à convaincre les militants
de la Seine. Après avoir été battus devant les instances dirigeantes
du PC F à la mi-mars, ils le sont donc devant la base parisienne
au début d’avril.
Il leur reste un atout : L'Humanité. Mais Treint ne tarde pas
à s’y attaquer. L ’Humanité, d it-il105, a perdu sa « claire figure com­
muniste». Il obtient une victoire facile : le 22 Monatte démissionne.
Le 23, Rosmer, Charbit I0S, Antoninilor, Godonnèche, Chambelland
en font autant. Ils écrivent :
« A l'heure où la campagne électorale bat son plein, et où le
Parti donne l'impression qu’il y participe surtout dans l’intention
de conquérir des sièges, il est normal que les membres du Parti
issus du syndicalisme-révolutionnaire soient traités en pestiférés et
menacés d'exclusion 10®. »

105. BC., 18-IV-1924.


106. Ferdinand Charbit, né à Oran, militant du Livre, suit l’évolution
politique du groupe Monatte-Rosmer. Il vit à Toulouse depuis 1942 et est
l’un des principaux rédacteurs de l’actuelle RP.
107. Ancien postier, Antonini est, en 1924, rédacteur à la page sociale
de L ’Humanité.
108. Leur lettre de démission est publiée dans BC., 23-V-1924.
300 alfred rosmer

Leur départ perturbe la rédaction de LHum anité. Berlioz qui


remplace Rosmer, pense que les bouleversements ne sont pas ter­
minés et remarque que les discordes qui régnent dans la rédaction
rendent le travail difficile 109. Ces démissions de L'Humanité ne
sont pas des démissions du Parti. Tous affirment qu’ils défendront
leurs idées à l’intérieur du Parti. Ils refusent de se désolidariser
de Souvarine qui vient de publier la traduction française de Cours
Nouveau : « I l y a bien des manières d'imiter Ponce-Pilâte [...].
Nous n’en connaissons ni n’en pratiquons aucune. »
Ils affirment d’ailleurs que cette publication est utile puisque
les adversaires de Trotsky donnent une représentation caricaturale
de la discussion russe. Si les militants français veulént juger en
toute connaissance de cause, il faut bien qu’ils connaissent toutes
les pièces du dossier.
Après Téchec devant le P C F vient l’échec devant l’Interna­
tionale. C ’est le V e congrès. Rosmer est allé à Moscou, Monatte,
malgré les invitations pressantes, a refusé de faire le vo y a g eI10.
Zinoviev qui s’est chargé du compte rendu d’activité de l’IC déclare
que, depuis un an, l’IC lutte à juste titre contre la Droite et a
porté contre elle 90 % de ses coups 111. Treint ajoute :
« L a lutte contre la bourgeoisie comporte, plus que jamais, la
lutte contre la social-démocratie à l’extérieur et la lutte contre )a
Droite à l'intérieur de FInternational e 112. »
La droite internationale est liquidée après s’être « démasquée » sur
la question allemande et sur la question anglaise. L ’IC règle la
question allemande en mettant rapidement en place une nouvelle
direction. D ’après Rosmer les opposants allemands étaient effec­
tivement en désaccord total avec l’IC , voulaient même quitter les
syndicats réformistes. A Moscou, un compromis s’élabore ; Bran­
di er 114 et Radek font des textes opportunistes, les Allemands s’ali­
gnent complètement sur la ligne de l’IC (Front Unique, attitude à

109. Archives Rappoport, Berlioz à Rappoport, 10-V-1924.


110. Archives Monatte, AR. à Monatte, 6-VI-1924 et Monatte à Zino­
viev, 16-VI-1924.
111. Compte rendu analytique du V e congrès, p. 25.
112. Ibid., p. 65-66.
113. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 6-VI-1924.
114. Heinrich Brandler (1881-1949) a derrière lui une longue carrière
de militant syndical combatif (Bâtiment) et de social-démocrate de gauche.
Il a été membre au groupe spartakiste de Chemnitz et a collaboré au gou­
vernement Eisner. Il a eu un rôle actif dans la lutte contre le putsch de
Kapp. En 1921, il est élu président du PC allemand unifié et le dirige pen­
dant l’action de mars. En 1924, il est attaqué par le groupe bolchevîsateur
de Ruth Fischer et Maslow. Il perd à leur profit la direction du Parti,
séjourne à Moscou jusqu’à son exclusion de l’IC. Il fonde alors une Oppo­
sition du Parti Communiste, considérée par Trotsky comme une opposition
droitière.
défaite devant les zinoviévistes 301

l'égard des syndicats réformistes). On s’entend pour isoler une


e x t e r n e - gauche sur laquelle convergent les coups. L ’IC condamne
l'expérience travailliste en une résolution sans nuances :
« L e gouvernement travailliste de Grande-Bretagne est un gouver­
nement capitaliste bourgeois et non un gouvernement de la classe
ouvrière. C’est un instrument dévoué de Sa Majesté le roi, de
l’Empire et des capitalistes. »
L e groupe Rosmer, qualifié de Droite française est condamné à
son tour :
« L ’Exécutif fera son possible pour ne pas laisser se développer
non plus la droite représentée par Souvarine qui se réfute lui-même
à mesure qu’il parle davantage et qui, en général, n’a pas de pire
ennemi que lui-mëme, et par Rosmer et Monatte dont nous atten­
dions mieux. L e Parti français a combattu justement et résolument
cette tendance. »
Quand on en vient aux mesures disciplinaires à prendre contre
Souvarine, Treint réclame l’exclusion pure et simple 11S. Jerram fait
remarquer que le Parti n’a pas été consulté, que les protestations
prévisibles des amis de Souvarine accentueront encore le malaise
et propose que Souvarine soit privé pendant un an de toute respon­
sabilité. Tandis que Rosmer se rallie à la proposition Jerram, c’est
l’exclusion temporaire, proposée par les Russes, qui finit par l’em­
porter. L e groupe Treint entre en force à l’exécutif de l’IC dont
Semard sera vice-président, Treint et Sellier délégués titulaires,
Jerram, S. Girault, D o r io t110 délégués suppléants. Il s’attribue le
secrétariat du Parti (Semard) et le Bureau Politique (Semard, Cré-
m e t117, Treint, S. Girault, Marrane, Sellier, Cachin).
Ces décisions qui concernent la section française de l’IC font
partie d’un ensemble plus vaste : l’œuvre de bolchevisation qui
est l’essentiel pour le V* Congrès. « On a bolchevisé, dit Rosmer 11S,
à tour de bras et dans toutes les langues. » Cette bolchevisation
laissera chez lui des rancunes tenaces. 25 ans après, en 1949, il
dira à propos de Ruth Fischer :
« Il ne faudrait pas s’emballer avec la Ruth Fischer ; elle a été

115. Rosmer à Monatte, 18-VII-1924.


116. Jacques Doriot (1898-1944), métallurgiste à Saint-Dénis, combat­
tant de la première guerre, entre à TIC par les Jeunesses dont il est secré­
taire général pour la France en 1923. A partir de janvier 34, il est dans
l'opposition, fonde le PPF en 36, devient pendant la guerre un collabo­
rateur actif.
117. Crémet, ancien métallurgiste à Saint-Nazaire, semble être un per­
sonnage assez trouble, lié à des services de renseignements. Il vient lui
aussi des Jeunesses.
118. Rosmer à Monatte, 18-VTI-1924.
302 alfred tourner

la grande « bolchevisatrice » du V r-' congrès, doiic responsable de la


liquidation de TIC 11!\ »
Cette bolchevisation après avoir porté sur les questions de disci­
pline, entraîne aussi des modifications politiques : raidissement
dans la pratique du Front Unique, hésitations sur l’ISR.
L e Front Unique sera un Front Unique à la base car dans le
système du Bloc des Gauches, la social-démocratie, si elle n'est pas
dans le gouvernement, vote pour lui, devenant « une partie cachée
du gouvernement », « le tiers parti de la bourgeoisie ». Pendant que
les chefs sociaux-démocrates s'engluent dans les combinaisons parle­
mentaires, le Front Unique à la base est le seul convenable et le
seul efficace :
« Si cela nous réussit, nous aurons une position très favorable.
Cependant que les sommités de la social-démocratie seront engagées
dans des combinaisons avec la bourgeoisie, nous nouerons au moyen
de la lutte économique des rapports étroits avec la masse des
ouvriers socialistes et sans-parti. L e socialisme sera ainsi divisé entre
deux alliances. Le mécontentement des masses ira croissant, le chô­
mage s'aggravera, la situation économique empirera, le mémorandum
des experts ne sera d'aucune utilité. Situation idéale pour la conquête
des meilleurs éléments de la classe ouvrière 120. »
L a bolchevisation a un deuxième volet, généralement peu mis
en valeur, le volet syndical. Au V e congrès, Zinoviev maintient la
tactique de présence dans les vieux syndicats et condamne formel­
lement le « schumacherisme » 121 dont il présente ainsi l'argumen­
tation :
« Quittons le mouvement ouvrier contemporain tel qu’il est,
avec ses faiblesses, et par conséquent, quittons la classe ouvrière
telle qu'elle e s t122. »

119. Ruth Fischer (1895-1961), socialiste de gauche en 1914, milite


dans le PC Autrichien puis passe en Allemagne en 1919. Avec Maslow, elle
est l’une des zinoviévistes les plus actives du Parti. Elle parvient en 1924
à l'emporter sur ses adversaires de tendance. Elle entre alors au Présidium
de l’IC. En 1926, à la défaite de Zinoviev, elle perd ses postes de respon­
sabilité au profit de Thaelman. Elle rejoint l'Opposition Unifiée. Elle émigre
en 1933. Rosmer porte ce jugement sur elle dans une lettre à Monatte du
4-III-1949. Affirmation justifiée, on se reportera à ses discours du V*
Congrès (Compte rendu analytique..., p. 79-83, entre autres).
120. Compte rendu analytique du Ve Congrès..., discours de Zinoviev, p.
47.
121. Schumacher, qui dirige l’opposition communiste dans les syndicats,
défend au congrès ISR de 1924 la tactique scissionniste qui a été appliquée
à Berlin et en demande l'extension (voir C a r r , Socialism. in one country,
t. II, p. 556-557).
122. Ibid., p. 295.
défaite devant les zinoviévistes 303

Zinoviev défend la politique de présence dans les vieux syndicats


comme « la véritable orientation révolutionnaire léniniste ». Sur
ce point, il n’y a donc rien de changé. Ce qui est nouveau, c’est
qu’on pose le problème de la liquidation de 1TSR. Rosmer trouve
assez somnolent le congrès de 1TSR 123 : la question de la liqui­
dation le domine sans qu'on en parle publiquement. Ce point de
vue a toujours eu des partisans, mais il en a encore plus et les
dirigeants des syndicats russes s’y sont ralliés. Ils ne s’intéressent
qu'à l’admission des syndicats russes dans les fédérations inter­
nationales d’industrie. Comme un courant favorable à leurs demandes
se développe depuis quelque temps dans l’Internationale d’Amster­
dam, ils seraient prêts à liquider l’ISR pour aller renforcer la gauche
d’Amsterdam. Rosmer, pour sa part est tout disposé à admettre
les critiques contre l’ISR : elle n’est pas une véritable Internationale
Syndicale car « on ne fait pas une internationale avec des mino­
rités», mais avec des organisations ; l’existence de l’ISR est un encou­
ragement aux scissions et 1TSR pousse aux scissions car elle veut
l’adhésion d’organisations ; elle a fait le plein des effectifs possibles
et ne progressera plus, elle a même perdu des centrales qui ont
rejoint le camp des syndicalistes. On voit que Rosmer retrouve là
ses habituels arguments contre toute scission syndicale. Mais dit-il,
on surestime la gauche d’Amsterdam. C’est l’attitude des Anglais
au congrès de la Centrale d’Amsterdam à Vienne qui a fait re­
surgir la question. N ’est-il pas piquant de voir qu’ « on est en train
ici de découvrir l’Angleterre » ? Sans prendre position sur le fond
du problème, Rosmer indique que Losovsky est contre toute liqui­
dation mais qu’interviendra sans doute un compromis entre lui et
les liquidateurs : on proposera un congrès commun en y mettant
des conditions inacceptables, ce qui permettra de mener une cam­
pagne d'agitation en faveur de l’unité syndicale internationale et
cela auprès des masses, à la base. Il pense que la question re­
surgira car les Russes veulent à tout prix rentrer dans les fédé­
rations internationales d’industrie ,24. A l’évidence, et plus peut-être
que Rosmer ne s’en rend compte, le problème n’est pas seulement
technique, il est aussi politique : à l’optimisme léniniste qui affirmait
que les révolutionnaires étaient assez forts pour conquérir les vieux
syndicats, s’ajoute l’optimisme zinoviéviste : ne cessant de répéter
qu’il ne s’agit en aucune façon d’un mariage avec Amsterdam,
il songe à la conquête d’Amsterdam. Sans doute s’y ajoute-t-il une
bonne part de rigidité bolchevisatrice : la fondation de l’ISR n'était
après tout qu’un compromis avec les « préjugés syndicalistes », com­
promis qui n’a plus sa raison d’être.
Victoire du groupe Treint, menaces sur 1TSR, les congrès de
Moscou sont catastrophiques pour le groupe Rosmer. Battu, il

123. Ibid., 18-V II-1924.


124. On se reportera sur ce point aux archives de la FIOM.
304 alfred rosmer

continue à être gênant, il faudra donc le pousser hors du Parti.


Dès son retour de Moscou, Rosmer parle du Testament de Lénine.
En Russie des camarades lui ont parlé de notes laissées par Lénine
et communiquées au Comité Central du PC URSS avant le X I I I e
congrès. Il en dit un mot à ses amis personnels parce qu’ils sont
des militants à toute ép reu ve125. Mais le bruit se répand dans îe
Parti : à l’assemblée fédérale de la Seine en août, la direction élude
toute question 126 ; à la 7e section, elle parle de cancans et de ragots.
Rosmer, sommé de s’expliquer devant le Bureau Politique, main­
tiendra le 5 novembre qu’il y a bien des notes de Lénine.
Au Comité Directeur du début août, il a aussi lancé une dange­
reuse offensive sur les questions financières 127. L ’assistance y était
peu nombreuse et les grands personnages du Parti s’étaient abstenus.
Marrane dévoile tout à coup que le déficit est passé de 700 000 francs
à 2 millions et expose ie plan du bureau Politique : suppression des
Humanité de Nîmes et de Strasbourg, de La Voix Paysanne, de
UAvant-Garde, de L*Ouvrière, de presque tous les hebdomadaires
de province, compression de personnel qui éliminerait une douzaine
de rédacteurs de U Humanité. Véritable liquidation après faillite,
pense Rosmer, qui s’assortit d’une opération visant à éliminer des
indésirables. Les « rouspéteurs » du Comité Directeur, M ahouylïa,
C ord ier129, Lucie C ollia rd 130, posent des questions indiscrètes.
Rosmer s’étonne qu’on mette à 11 heures du soir un Comité D irec­
teur clairsemé devant un projet extrêmement grave, qu'on lui
demande une simple approbation de forme puisqu’on a déjà com­
mencé à appliquer les mesures prévues. Les mesures de panique
proposées mêlent l’utile et l’inutile et démoraliseront les militants.
Alors que le Comité Directeur n’a aucune responsabilité dans la
situation, on demande à ses membres de supporter le poids des
erreurs d’autrui. Rosmer, pour sa part s’y refuse.
Sur deux points la direction se trouve donc sur la défensive et
en est réduite à réunir en août dans la Seine une assemblée
d’information où seules les questions écrites sont autorisées, ce qui
lui permet d’enterrer tout ce qui touche au Testament de Lénine
et à la liquidation de l’ISR, de faire voter un manifeste sur la
discipline 131. Rosmer d’ailleurs a dénoncé le piège et il aurait été
d’avis de refuser cette manoeuvre car ces assemblées dites « d’infor-

125. CB., 20-XII-1924. Rapport moral du secrétaire général du PCF en


vue du congrès de Paris.
126. Archives Monatte, Marzet à Monatte, 20-VIII-1924.
127. Ibid., Rosmer à Monatte, ll-VIII-1924.
128. Mahouy passera à l'opposition dans le groupe Souvarine.
129. Cordier vient de l'anarchie et a appartenu, en 1901, au groupe
des Temps Nouveaux.
130. Membre de la fédération du Calvados, elle a été inculpée en 1917
pour son action minoritaire au sein du syndicat des instituteurs.
131. Marzet à Monatte, lettre citée.
défaite devant les zinoviévistes 305

rnation » sont des réunions où seuls les dirigeants ont le droit de


parler, les autres « n ’ont pas le droit de l’ou vrir132».
Ce qui est .gênant pour la direction, c’est que le groupe Rosmer
n’offre pourtant aucune possibilité d’exclusion puisqu’il s'affirme
discipliné et d’accord avec les décisions du V® Congrès. Dans îa
lettre qu’il adresse le S octobre 1924 au Comité Directeur, le
groupe soutient n’avoir jamais rouvert la discussion sur la crise
allemande ou russe, sur la question anglaise, ne s’être jamais opposé
au V e congrès, ne pas vouloir nuire au P C F en le désagrégeant,
en ïe décomposant, en entravant l’organisation des cellules d’entre­
prise. Il proteste contre l’accusation d’anticommunisme, les termes
d’agents du Bloc des Gauches, de nouveaux Frossard. Il proteste
contre C adeau133 qui l’accuse de s’être mis « presque en dehors
i ss .. ____ _ i „
UU i û iu //, w n u v 4 UA i u a v v u v au c ss C A ^ i O * '
sion de trotskysme ». En fait dit-il, c’ est L ’Humanité qui a faussé
ou étouffé nos interventions. Nous sommes tout à fait d’accord
avec les décisions du V e congrès sur la réorganisation et la prolé­
tarisation des partis. Nous n’avons pas d’illusions démocratiques.
Ce que nous disions, c’est que la gauche trade-unioniste anglaise
ne peut se confondre avec l’aile gauche de la social-démocratie
allemande. Sur ce point, l’IC a été plus loin encore que nous et
nous la suivons tout naturellement. Nous approuvons les sanctions
contre Hoglund et son groupe opportuniste. Nous n’avons pas pro­
testé contre l’exclusion temporaire de Souvarine mais nous avons
fait simplement remarquer que la délégation française n’était pas
mandatée pour cela. Sur le Front Unique, Monatte s’est contenté
de demander à Semard si les déclarations que lui prêtait L'Hum anité
du 29 juillet sur le Front Unique par en haut étaient vraies 1M.
La direction se trouve désarmée devant une telle attitude. Pour
procéder à l’épuration qu’elle juge nécessaire, elle va devoir agir
dans deux directions. Elle demande aux amis de Rosmer d’agir
vraiment contre la « Droite ». Comme ces actes leur répugnent,
elle les somme de plier ou de démissionner. En même temps, elle
étouffe celles de leurs protestations qui se font dans le cadre du
Parti, lance des bruits d’exclusion provoquant ainsi une lettre de
démission qui est un acte d’indiscipline, donc un prétexte à exclusion.
En effet, Rosmer et ses amis refusent tout net d’écrire un article
contre le Suédois Hoglund, exclu du P C et de l’IC. Brandler et
Thalheimer135 l’ont fait mais eux ne s’y résignent pas, tout en

132. Rosmer à Monatte, ll-VIII-24.


133. Paul Cadeau, né à Angers en 1890, milite comme anarcho-syndica-
liste (en 1921, il est secrétaire du bureau provisoire de la CGTU) avant
de rentrer au Parti.
134. Publiée flans R o s m e r ..., Lettre aux membres du PC..., op. cit. et
dans CB., 5-XII-1924.
135. Auguste Thalheimer (1884-1948) vient de la gauche du PS alle­
mand. Minoritaire de guerre, il mène à Stuttgart la révolution en 1918 et

20
306 alfred rosmer

affirmant qu’ils n’approuvent pas Hoglund. Ils refusent de se déso­


lidariser des « Droites » allemande et tchécoslovaque, de reconnaître
leurs erreurs concernant le Labour et le PC URSS. Treint n’a
donc aucune peine à persuader la conférence des secrétaires fédé­
raux des 21 et 22 septembre qu’ils approuvent la Droite. Les secré­
taires fédéraux somment les éléments anticommunistes de plier ou
de démissionner lsa. En même temps circulent des bruits d’exclu­
sion. Rosmer et ses amis réagissent très vivement. L e 5 octobre,
dans leur lettre au Comité Directeur, ils montrent que si Frossard
et consorts sont retournés à la social-démocratie, c’est parce qu'ils
en venaient.
« Mais nous savons bien [...] que nous ne pourrions retourner
que d’qù nous venons, c’est-à-dire là où nous n’étions qu’une
poignée en 1914 pour sauvegarder l’internationalisme, en 1915 pour
répandre les mots d’ordre de Zimmerwald, en 1917 pour défendre
la révolution russe naissante, en 1919 pour adhérer, dès sa fonda­
tion, à la III® Internationale, en 1922, pour défendre la tactique
du Front Unique. »
Après les attaques de Semard dans L ’Humanité du 13 novembre,
après l'exclusion de Guilloud ils ont le sentiment que « la charrette
est prête 137 ».
Justement, parce qu’ils ont l’impression qu’on prépare leur exclu­
sion, ils vont commettre l’acte d’indiscipline qui va la permettre.
Ils craignent que le congrès du Parti prévu à Paris en janvier ne
se trouve mis brutalement devant une demande d’exclusion de
leur groupe : les délégués, non mandatés, prenant alors une décision
sans connaître le dossier. Ils veulent se faire entendre, mais leurs
tentatives pour s’exprimer dans le cadre du Parti ont échoué. La
lettre qu’ils ont envoyée au Comité Directeur du 5 octobre n’a
pas été lue en séance et elle n’a pas été publiée. La presse du
Parti leur est fermée. Il ne leur reste d'autre recours que la lettre
ouverte. Comme ils ne peuvent plus s'exprimer dans le Parti, ils
considèrent qu'ils ont le droit moral d'écrire une telle lettre. Ils la
publient donc le 22 novembre. Mais ils savent fort bien qu’une telle
démarche les place hors de la légalité du Parti. Leur Lettre aux
membres du PC. I. Avant le congrès de janvier, quelques docu­
ments 138 est un acte d’indiscipline dont ils mesurent les consé­
quences. Ils savent qu’elle leur vaudra sans doute l’exclusion.

publie Die Rote Fahne. Après l’exclusion de Lévi, il dirige avec Brandler
le PC allemand. Victime de la bolchevisation, il rejoindra l’Opposition
Unifiée. Exclu en 1929, il est, avec Brandler toujours, l’un des dirigeants
de l’Opposition du Parti Communiste.
136. CB., 20-XII-1924. Bapport moral..., cit.
137. R o s m e r ..., Lettre..., op. cit.
138. Rosmer, Monatte, Delagarde, 29 p.
III

Autour de la I V ime Internationale


Pendant les quarante années qui séparent sa rupture avec l ’IC
de sa mort, Rosmer ne cesse de se considérer comme un révolu-
tionnaîre, un communiste sans carte, un opposant antistalinien
acharné, mais un opposant de gauche. Mais dans cette période,
l’année 1940 est celle de la guerre et de l’assassinat de Trotsky,
elle marque une coupure. Du vivant de Trotsky, la pensée et l'action
de Rosmer subissent son influence dominante. C’est en fonction des
positions de Trotsky que Rosmer se détermine. D e la Révolution
Prolétarienne à l'Opposition de Gauche, puis à la rupture sur le
plan de l'organisation, mais pas sur le plan personnel, il est toujours
proche de Trotsky. Après 1940 et surtout après 1945, dans un
monde dominé par l’affrontement de l’URSS et des USA, il suit
un chemin difficile, s’efforce de ne rien céder de son antistaïinisme
sans toutefois tomber dans un anticommunisme qui ferait le jeu
de la réaction, essaie de trouver une voie ouvrière.
1

19 25-19 2 6 . La Révolution Prolétarienne

La réponse du Parti aux trois (Rosmer, Monatte, Delagarde) ne


se fait pas attendre.
L e 30 novembre \ le 1er Rayon auquel ils appartenaient, se réu­
nit. L e délégué du Bureau Fédéral de la Seine demandé leur exclu­
sion pour indiscipline. Seul Antonini, ex-rédacteur de U H um anité,
les défend et affirme
« [- .] Q u il y avait des cas d’indiscipline nécessaire, par exemple
[...] l'indiscipline du Colonel Picard pendant l ’affaire Dreyfus. »
La motion d’exclusion, votée à l’unanimité des 130 présents moins
une abstention (Antonini), cloue au pilori leurs arguments puisés
dans l’arsenal des P io ch z, Verfeuil, Frossard et Souvarine. Leur
hostilité aux épurations montre
« [...] Une conception erronée sur la fondation d’un Parti bolche-
visé et viserait à condamner les luttes soutenues par Lénine dans le
Parti russe contre les mencheviks et les néo-mencheviks ».
Ils ont commis un acte d’indiscipline, n’ont cessé de lancer des
attaques personnelles contre la direction, ont mis en doute la capa­
cité de jugement des futurs délégués au congrès de Paris. Sous leur

1. Humanité, l-XII-1924. La vie du Parti. Contre les déviations de


droite et pour la vie du Parti. 7-XII-1924. Conférence Nationale extraor­
dinaire du Parti.
2. Georges Pioch et Raoul Verfeuil, venus de la gauche du PS, n'ont pu
se maintenir au PC et en ont été éliminés en 1922 avec la tendance de
droite.
310 alfred rosmer

direction, le Parti a frôlé la faillite par ses querelles avec la C G TU


et la Fédération de la Seine. Au moment où le fascisme menace,
où la grande presse mène une violente campagne anti-communiste,
ils
« [...] Se sont joints de l’intérieur à l'ennemi commun de la classe
ouvrière et de la paysannerie pour porter en pleine bataille un
coup de plus au Parti ».
D ’autres rayons et cellules emboîtent le pas. Charbit tente vaine­
ment de les défendre devant le 2e Rayon qui les condamne à l’una­
nimité moins trois voijc et une abstention a. Les jours suivants, les
textes affluent. L e 2, les 3°, 7e, XIe, 13% 17% 37e, 129° rayons,
l’Ecole Léniniste Centrale, les Fédérations d’Avignon, de Haute-
Garonne, du Tarn, du Tam-et-Garonne, le 3, l’Ecole de la 4e En­
tente des Jeunesses Communistes se prononcent dans le même sens.
D ’autres les imitent pendant les semaines qui suivent. L e 5 décem­
bre, une Conférence Nationale Extraordinaire regroupe les mem­
bres du Comité Directeur — y compris Monatte et Rosmer, venus
se défendre — , 43 délégués de province (un de chaque Fédération),
34 représentants de la région parisienne. L e compte rendu qu’en
donne I f Humanité 4 insiste surtout sur les arguments de la direction
qui portent sur trois points : le moment choisi, la liaison idéologique
avec Trotsky, l’isolement politique du groupe Rosmer.
« Choisir, dit Doriot, le moment où le fascisme s’organise puis­
samment en France pour lancer un libelle tendant à dénigrer la
direction du Parti, c’est trahir la classe ouvrière. »
Pour Treint, à la conception léniniste de l'unité fondée sur un
accord doctrinal intangible, ils préfèrent la conception trotskyste
de Taccord chancelant entre groupes et individus. Il affirme leur
isolement politique :
« Ceux qui n’ont rien retenu des leçons du V e congrès n’avaient
d’ailleurs jamais compris les grands problèmes du Parti et se traî­
naient péniblement à la remorque des masses. »
Monatte répond durement qu’en quittant le Parti, il s’en va
retrouver les « meilleurs communistes ». Rosmer lit au nom de ses
amis une longue déclaration que I f Humanité résume ainsi :
« Cette déclaration reprend les arguties contenues dans le pam­
phlet qui a tant réjoui la presse bourgeoise. »
A ce résumé un peu rapide, nous préférerons la version plus détail­
lée que nous donnent Rosmer et Monatte eux-mêmes ®.

3. Humanité, l-XII-1924.
4. Le 7-XII-1924.
5. RP., 1-1925, 2* Lettre aux membres du PC.
la révolution prolétarienne 311

La Lettre aux membres du PC , disent-ils, n'est pas un acte d'in­


discipliné- Elle est un document préparatoire, destiné aux futurs
congressistes du congrès de janvier. L e Parti se trouve sans direc­
tion- L e Comité Directeur n’existe que sur le papier et n’a pas de
vie. Ses réunions sont très espacées. L ’absentéisme est si important
qu’il ne travaille pas vraiment. On s’y contente de discuter, de
converser. Parfois, l’ordre du jour n’est pas même abordé. Le
B u re a u Politique accuse le Comité Directeur d’être droitier et
sabote délibérément son travail. Cette accusation ne tient pas : en
effet, le Comité Directeur en votant à l’unanimité moins 3 les thè­
ses de la « Gauche » est passé du côté de Treint. D ’ailleurs s’il est
accusé d’être droitier, c’est au Parti d’en juger. O r nul n’a soumis
cette accusation au Parti. Bel acte d'indiscipline !
Quant au Bureau Politique, il est passé sous la coupe d’un clan
incontrôlé qui, pour toute activité, calomnie les « droitiers » sans
répondre à leurs arguments et à leurs lettres. Cette « clique » vou­
lait nous exclure le plus vite possible, avant que nous ayons pu
parler et elle voulait faire croire que cette exclusion venait de la
base. La Lettre... déjoue la manœuvre, les membres du Parti ne se
laisseront pas manoeuvrer comme des pions, ils jugeront par eux-
mêmes, en hommes, quoique
« la direction présente du Parti n’aime guère cet effort personnel.
Elle décourage absolument la critique. Sa seule préoccupation est
de fournir des arguments tout préparés. »
Les 3 affirment pour finir que leur but n’est pas de provoquer des
démissions car ils pensent que c’est à l’intérieur du Parti qu’il faut
se battre pour redresser sa politique, pour faire vivre les cellules
d’entreprise, leur éviter la faillite qu’ont connue les commissions
syndicales. Les exclus ne fonderont pas un nouveau Parti, ils reste­
ront dans la grande masse des communistes qui sont hors du Parti,
qui attendent pour y rentrer qu’il soit véritablement communiste.
Ils travailleront à hâter cette transformation.
La Conférence Nationale Extraordinaire vote contre eux à l’una­
nimité moins trois abstentions (Fédération des Vosges, Drôme,
51e Rayon de la région parisienne). Voici le texte de ce qu’ils appel­
leront le « verdict » :
« Depuis le V° congrès mondial, le Bureau Politique, jouissant de
la confiance du Parti et de l’Internationale, a mené à bien une tâche
formidable : campagne politique contre le Plan Dawes ; pour les
8 heures, pour les salaires, pour l’indépendance des colonies et pour
l’amnistie ; réorganisation du Parti sur la base des cellules ; bol­
chevisation et création de cadres, en particulier par l ’ouverture de
l’Ecole Léniniste.
Si notre Droite n’avait fait qu’exprimer le point de vue arriéré
de certains éléments du mouvement ouvrier, si elle s’était bornée à
lutter pour le point de vue de la Droite Internationale et à défendre
312 alfred rosmer

les erreurs du trotskysme contre le léninisme, le Parti aurait accepté


cette large bataille politique et l’aurait menée jusqu’au triomphe
complet du léninisme.
Mais la Droite qui, il y a un an, dirigeait en fait le Parti et qui,
en luttant contre la Fédération de la Seine et contre la CG TU , dis­
persait les forces révolutionnaires, la Droite qui fut une véritable
direction de faillite, se conduit aujourd'hui en ennemie du Parti
et de l’Internationale.
Au moment où le fascisme agresseur, avec la complicité du Bloc
des Gauches, cherche par sa démagogie sociale d’aujourd’hui à pré­
parer les violences antiprolétariennes de demain, au moment où
toute la bourgeoisie, sous l’impulsion de Daudet et de Millerand,
fait front, de L ’A ction Française au Peuple, en passant par Le
Libertaire et L e Quotidien, contre le communisme, défenseur véri­
table du prolétariat menacé, la Droite, infime fraction du Parti, à
peine une poignée d’hommes, se joint de l’intérieur à l’ennemi
commun de la classe ouvrière et de la paysannerie pour porter en
pleine bataille un coup de plus au Parti. Les armes ramassées par
Monatte, Rosmer et Delagarde dans l’arsenal de Pioch et de Fros­
sard sont à l’heure actuelle reprises par toute la bourgeoisie et diri­
gées contre le Parti et contre l’Internationale. Ainsi, Monatte, Ros­
mer et Delagarde participent à l’ofîensive antiprolétarienne et anti­
communiste menée par les forces combinées du fascisme démagogi­
que et du Bloc des Gauches fascisé.
La Conférence Extraordinaire décide d’exclure Monatte, Rosmer
et Delagarde comme ennemis du prolétariat, du Parti et de l'Inter­
nationale et de mener dans le sein du Parti aussi bien que parmi les
masses travailleuses une lutte acharnée pour amener chaque
ouvrier, chaque paysan, chaque travailleur à se grouper autour de
son Parti Communiste toujours plus fortement uni sous le drapeau
du léninisme *. »
L e 12 7, le Bureau Politique accuse les trois d’avoir trahi le Parti
et la classe ouvrière par leur brochure, véritable « attentat poli­
tiq u e ». Leur position n’est que « frossardisme [...] grossier, indi­
vidualisme anarchisant, trotskysme mal affiné » . Les travailleurs
sincères qui ont été trompés ne doivent plus suivre cette
« [...] poignée de malheureux déchus qui, égarés par la haine
fractionnelle, cherchent à poignarder le Parti en plein travail de
préparation révolutionnaire. »
Pour prévenir les remous toujours possibles, la direction avait sou­
tenu qu’une opposition n était pas nécessaire dans un Parti Commu­
niste et que, pour le rendre léniniste à 100 %, il fallait au contraire
lui assurer non seulement l’unité idéologique, mais encore une

6. CB., 12-XII-1924.
7. Ibid.
la révolution prolétarienne 313

direction hom ogène8. Les exclusions faites, elle les explique. Dès
le 19 décembre, Borel écrit que Monatte est resté un « syndicaliste
pur » , qui n'a jamais adhéré au Parti que de façon formelle, disant,
à peine entré, qu’il en avait «m a r r e ». II a adhéré par élan senti­
mental en faveur de la révolution russe. Il ne s’est jamais débarrassé
de ses illusions syndicalistes et des influences petites-bourgeoises. Il
e s t r e s t é membre de la C G T réformiste :

« [.„] Est-ce que Monatte voudrait nous faire croire que


l ’o u v r ie r , avant de passer la porte du syndicat, se débarrasse de sa
m e n ta lit é petite-bourgeoise comme on ôte une chemise sale ? »

L ’horreur de Monatte pour la politique est à la fois maladive et


petite-bourgeoise. Lu i et Rosmer sont morts pour le mouvement
ouvrier 9. Une explication à chaud du départ d<=> Monatte nous est
donnée ici, nulle tentative n’est faite pour expliquer le départ de
Rosmer. En 1927 seulement, M. N. Roy 10 dira qu’il a suivi Monatte
et que tous deux sont retournés à l’anarcho-syndicalisme d’où ils
venaient. Faute de documents probants, nous ne pouvons expliquer
cette réserve relative à l’égard de Rosmer que de la façon suivante :
l’Internationale sait qu’à la différence de Monatte, il est acquis à
l’idée de Parti et elle peut espérer une modification de ses posi­
tions.
Une partie de la presse bourgeoise est persuadée que les 3 vont
être réintégrés sous la pression de l’IC. Paris Soir titre par exem­
ple 11 : « Les Moscoutaires vont se bolcheviser. En attendant ils doi­
vent réintégrer après avoir exclu. » Mais le congrès du P C à Clichy,
en janvier 1925, malgré les protestations de Dunois, Rappoport,
Loriot et Mahouy, approuve les exclusions.
Dans leur 2e L ettre ... 12, les 3 insistent : on a mis, en les excluant,
le congrès devant le fait accompli. L ’unanimité réalisée contre eux
n’est qu’une unanimité de façade car cette exclusion n’a pas été
comprise par la masse du Parti qui la désapprouve. Ils en appellent
à cette masse :
< Quelqu’un a dit autrefois que l’Autriche se composait de deux
grands partis, les intimidés et les complices. On peut en dire autant
du PCF. Les intimidés subiront-ils longtemps tout ce que les com­
plices, tout ce que les détenteurs de l’appareil du Parti entendent
leur faire subir ? »

8. CB.y 28-XI-1924. AL., « Idéologie, direction et organisation homo­


gènes ».
9. CB., 19-XII-I924. Même argument dans VO., 30-I-I925. Monmous-
seau, Racamond..., Réponse à Monatte. Chacun à sa place.
10. Les alliés internationaux de YOpposition..., p. 26.
U . Le 17-1-1925.
12. Loc. cit.
314 alfred rosmer

Ils s’efforcent de rendre argument pour argument. On prépare, on


« trame » leur exclusion depuis de longs mois, très exactement
depuis le V e congrès de l’IC. L e 5 octobre, ils ont envoyé au Comité
Directeur une lettre qu'il a gardée dans ses tiroirs. Et c'est à ce
même Comité Directeur qu'il aurait fallu demander l’autorisation
de publier la suivante ? Allons donc ! Sans doute les ennemis du
Parti peuvent utiliser nos arguments, mais ne peuvent-ils pas utili­
ser aussi les attaques contre nous ? Sans doute il a fallu demander
de.l'argent aux camarades pour les frais d'impression de la Lettre...,
mais il n'y a pas eu tentative d'organisation d'une fraction « Gauche
Ouvrière ». Puisque l'IC a condamné les fractions, ses directives ont
été respectées. Pourtant, organiser une fraction aurait été rendre
service au Parti, car partout l’esprit ouvrier y est brimé par l'esprit
politicien camouflé sous une croûte plus ou moins épaisse de blan­
quisme. La pseudo « Gauche » elle-même n’est qu’une fraction qui
s'est emparée de l’appareil du Parti et l’utilise dans la lutte des
tendances. Treint et S. Girault agissent dans le Parti comme Bes­
nard et Verdier agissaient il y a quelques années dans les CSR.
Mesurer l’influence du départ des S est un projet tentant, mais
bien ardu. Notons simplement que, d’après la courbe des effectifs
que nous avons déjà mentionnée l3, la chute reprend après leur
exclusion. Mais il ne nous est pas possible de dire exactement ce
qui, dans un reflux qui durera jusqu’au temps du Front Populaire,
vient de leur influence propre et ce qui vient du faible attrait d’un
Parti soumis aux directives tracassières de Treint.
Certains de leurs amis, tel Maurice Chambelland, les ont précédés
hors du Parti. D'autres les suivent, démissionnaires ou exclus. Sans
doute ne faut-il pas exagérer leur désarroi devant cette rupture.
D ’après F. Charbit 1'*, les attitudes auraient été fort variables, les
uns attachant beaucoup d'importance à leur appartenance au Parti,
les autres ne s’en souciant que modérément. F. Charbit a été exclu
après la parution du premier numéro de la RP. Il pense qu'un an
avant une telle mésaventure l’aurait désespéré. Rien de tel au début
de 1925. Après la campagne antitrotskyste, l'IC avait perdu pour
lui beaucoup de son attrait : « Nous ne voulions plus être membres
de cette IC ». Et il pense qu’il en a été de même pour Rosmer.
Comme on peut contester la fidélité du souvenir, un texte d’époque
est utile. C'est la lettre de démission de Maurice Chambelland, du
24 septembre 1924 15 :
« Citoyen secrétaire,
H faut plier ou partir dit l’extraordinaire résolution des secrétaires
fédéraux parue dans YHumanitê de ce matin.
Comme je n’ai pas l’intention de plier, je pars.

13. A. K r i e g e l , art. cit.


14. Conversation avec l’auteur, novembre 1967.
15. Reproduite dans RP, juin 1966.
la révolution prolétarienne 315

Recevez, en conséquence, ma démission de membre de votre pré­


tendu Parti Communiste.
Salut communiste. »
«Prétendu Parti Communiste », « cette IC » , la clé est là. Faute
de témoignage direct de Rosmer} ces deux témoignages de proches
p e r m e t t e n t de nous faire une idée de ce qu’il a ressenti. L e PC F et
l i e n’étant pas, ou n’étant plus, ce qu'ils étaient ou auraient dû
être, on peut rester communiste en dehors d’eux et il n’est pas
grave d’en être exclu. Avant d’adhérer il était déjà communiste,
exclu il le sera encore. Il est en rupture avec l’Internationale ? Mais,
en 1914, n’a-t-il pas connu semblable situation ? N ’avait-il pas raison
alors ? Au total, il nous semble improbable que Rosmer ait ressenti,
lors de son exclusion, une impression d’effondrement. Il ne nous
paraît pas trop risqué de dire qu’il n’y a vu qu’un simple épisode,
désagréable certes, de sa vie de communiste.
Comme il n’a pas l’intention d’abandonner la vie militante, le
problème de l’attitude à adopter, de l’action à mener, se pose immé­
diatement. Malgré les invites pressantes, ses amis et lui refusent de
faire appel, auprès de l ’XC, de la décision du PC F. L a procédure
aurait pourtant été normale, l’appel à l’échelon supérieur étant de
droit. H e rc le t18 leur conseille vivement de faire les démarches
nécessaires :
« Une démarche semblable de votre part sera très bien accueillie
et on est étonné ici qu’elle ne se soit pas encore produite 17. ■»
En octobre 1925 encore, plus de dix mois après leur exclusion, et
après le lancement de la RP, Trotsky leur donne le même avis.
Pendant l’hiver 1923-1924, il a cessé de suivre les affaires du PCF.
S’il ne l’avait fait, il aurait déconseillé leur exclusion. Mais enfin
c’est une chose faite. L e fait accompli n’est pas un fait irréversible
et il leur indique quelle attitude leur permettrait de réintégrer le
Parti et l’Internationale :
« [...] Restant en dehors du Parti, agir comme des soldats du
Parti [...] et, par cela, tôt ou tard, retrouver leur place au Parti [...]
S’adresser à l’Exécutif du Comintem avec la demande de révision
de l’affaire. I l n’y a pas d’autre voie »
Guillaume blâme leur attitude d’ensemble mais écrit à Brupbacher
qu’on devrait au moins tenter de retenir Monatte par le biais de
l’appel1B.

16. Auguste Herclet, militant du textile de la Drôme est délégué de la


CGTU auprès de l’ISR.
^17. Lettre du 12-1-1925 à Monatte. La BP d’octobre 1925 publie une
série de lettres d’Herclet à Monatte, Rosmer et Tommasi, écrites du 9-1V-
24 au 12-1-25.
18. Humanité, l-X-25, sous le titre : « La RP condamnée par Trotsky ».
Republiée dans CB., 15-X-25 et RP., X-25.
19. Archives Brupbacher, Guillaume à Brupbacher, sd, de Moscou.
316 alfred rosmer

Ils ne veulent pas en entendre parler parce qu’ils refusent de


croire les thèses lénifiantes de l’irresponsabilité de l'Internationale et
du nécessaire respect des formes. Leurs correspondants essaient en
vain de les persuader de l’une et de l'autre. Souvarine lui-même leur
écrit de Moscou que l'exclusion a « surpris » le Présidium, que
Boukharine a immédiatement demandé à Maranne des précisions
que celui-ci n’a pu donner, que tout le monde à Moscou voit bien
la manoeuvre de Treint : mettre lTntemationale devant le fait
accom pli2#. Herclet en dit tout autant : l’IC n’ est pas responsable
des exclusions. L e responsable, c'est Treint. Il s’est d’ailleurs fait
critiquer vertement. L ’Exécutif pense qu’il n'y avait aucune raison
pour cacher la lettre du 5 octobre puisqu’elle contenait une déclara­
tion de fidélité à l'IC et aux décisions du V 6 congrès. L a commission
nommée pour examiner la question française a adressé un blâme
au Bureau Politique. Quant aux formes, il faut se inoniiei raison­
nable : si l’Exécutif de l’IC réintégrait de sa propre autorité les
exclus, il balayerait complètement la direction actuellement en
place. I l faut donc en passer par les procédures de l’a p p e l31.
Rosmer veut bien croire que Treint a été violemment critiqué
par Zinoviev, qu'on lui a dit que ses thèses étaient bonnes à mettre
au panier, que la résolution de l'Exécutif était si dure pour Treint
que le Parti Français hésite à la publier dans sa presse 22. Mais,
si l’Exécutif a recommandé de ne plus exclure personne, il ne réin­
tègre pas les exclus. Rosmer n’en démord plus. Son exclusion et
celle de ses amis n’est qu'un épisode de la lutte que l’Internationale
mène un peu partout contre ceux qu’elle baptise abusivement « Les
Droites ». En Russie, en Tchécoslovaquie, en Italie, le combat est
engagé. Dans ce dernier pays, ne va-t-on pas jusqu’à accuser Bordi­
ga d'être un droitier et un trotskyste alors qu’il représente la vraie
gauche italienne et internationale ? L a direction « servile » du PC
italien, soutenue par l'IC , exclut les opposants et la tentative de
Comité d’Entente, menée par Bordiga, est vouée à l'échec. Par
conséquent c’est une plaisanterie de charger le seul Treint. En fait,
c’ est l’Internationale qui pourchasse les « droitiers » et met en place
des dirigeants à sa dévotion.
L ’exclusion est donc ressentie comme définitive. L e problème des
3 est d’ailleurs bien plus qu’un problème individuel. Nombre de
militants se séparent du Parti po\n telle ou telle raison, ce qui
donne au problème de l'ex-communiste une dimension sociologique.
Il n’est pas possible de donner à cet égard de chiffres certains, du
moins pouvons-nous indiquer des ordres de grandeur. En 1927 la
lettre de démission de Madeleine Ker évalue les départs à
100 000 22 et cela depuis 1920. Les courbes tracées par A. Kriegel

20. Archives Monatte, Souvarine à AR, 8-XII-24, avec un PS du 15.


21. Lettre citée, du 12-1-25.
22. AR, RP, 111-25.
22bl3. Publiée dans RP., l-VIII-27.
la révolution prolétarienne 317

la is s e n t apparaître par rapport à 1921 des pertes d'effectifs q u i


s’ é lè v e n t à 120 000 en 1924, à 155 000 en 1933 23. Ces chiffres
n ’ in d iq u e n t que le bilan net des mouvements d’adhérents. Pour
tenir compte des va-et-vient continuels q u i, au dire de tous les
o b s e r v a te u r s , affectent l e P C F , il faudrait réviser ces chiffres et les
a u g m e n t e r de manière sans doute importante. Même s i Ton s’en
tient au plus petit des chiffres avancés, celui de 100 000, on voit
que Monatte, Rosmer et Delagarde sont loin d’être des cas isolés.
Dans l'impossibilité — peut-être provisoire — où nous sommes
d’analyser globalement les réactions de cette masse importante de
militants, nous ferons l’étude des réactions individuelles que nous
pouvons saisir.
Avant toute chose, ils refusent l’engrenage de l’exclusion, Rosmer
sera toujours un juge sévère pour les communistes nui s’éloignent
peu à peu vers une droite qui, pour lui, commence à la SFIO. A
Frossard et à ses amis, il reproche 24 d’avoir tenté de créer un Parti,
d'avoir réclamé à L ’Humanité des indemnités de licenciement
comme s’ils avaient été chassés d’un journal bourgeois, d’avoir
publié un hebdomadaire « dont toutes les attaques étaient dirigées
contre l’Internationale Communiste et le communisme ». S’il recon­
naît que Doriot — qu’il a aperçu au 2e congrès de l’ÏC — était
dans le « bon droit communiste » au moment de la rupture et s’il
l’approuve d’avoir refusé le tournant gauchiste de Staline, il lui
reproche de n'avoir point su former une opposition sérieuse, d’avoir
mal tourné2S. Commentant une réflexion d’Hasfeld, rencontré en
1929, il confie à Mougeot :
« Les camarades qui quittent le Parti et l’Internationale Commu­
niste vont souvent fort loin et très vite, il y en a qui passent direc­
tement chez les socialistes ~6. »
De toute évidence, Rosmer, en 1925, ne veut pas de ces évolutions.
Il sait, et ses amis savent comme lui, qu’il y a dans le Parti un
mécontentement certain. Mêm e des hommes qui les désapprouvent,
comme Guilbeaux, le disent :
« L e Bureau Politique est composé d’hommes bien intentionnés,
mais bornés et suivant scrupuleusement la lettre et l’esprit de l'IC.
Ajoutez qu’ils sont tous persuadés d’être d’authentiques bolcheviks,
vous envoient des « salutations léninistes » et n’admettent aucune
remarque, aucune critique 27. »
Mais ils ne veulent pas exploiter ce mécontentement pour affaiblir
le Parti. Ils ne fonderont donc ni un Parti, ni un groupement qui

23. Art. cit.


24. Moscou, 246.
25. Moscou, 113.
26. Archives Mougeot, AR à Mougeot, 24-X-29.
27. Archives Brupbacher, Guilbeaux à Brupbacher, sd (1925).
318 alfred rosmer

pourrait draîner les mécontents, provoquer des départs ou des


exclusions.
Cela ne signifie pas abandon de l'action. Ils reviennent à ce qu'ils
connaissent bien, la revue. En janvier 1925, ils sortent le premier
numéro de L a Révolution Prolétarienne.
Quelles que soient leurs intentions, il y aura un certain regrou­
pement autour de la revue, ce qui ne fera qu’accentuer leurs diffi­
cultés avec le Parti. Entre membres du futur comité de rédaction,
les divergences de départ se révélent quand il s’agit de baptiser le
nouvel organe* L a majorité tient pour « Octobre », mais Monatte
menace de se retirer. « Octobre » mettrait l ’accent sur la perspective
politique de la révolution alors que c’est la perspective économique
qu’il faut mettre en valeur. Comme Monatte devait être le « cuisi­
nier » de la nouvelle revue, son départ serait grave. Une deuxième
séance de discussion ne permet pas d’en sortir. Finalement Godon­
nèche sauve la situation :
« Vous nous emmerdez. Prenons notre titre chez Lénine ; La
Révolution Prolétarienne et n'en parlons plus 2S. »
Il y a là plus qu’une discussion sur des mots, c’est une discussion
sur les buts. Monatte veut-il jouer, face à la 3e Internationale, le
rôle d’opposition syndicaliste externe qu’il a joué face à la Seconde ?
Rosmer, plus attaché à la notion de Parti, veut-il plutôt redresser
Tlntemationale de l’extérieur afin de pouvoir y revenir un jour ? Si
le contour exact de la divergence entre les deux hommes ne nous
est que difficilement compréhensible, l’existence d’une divergence ne
semble pas faire de doute et d’ailleurs une réflexion de Rosmer en
témoigne, que rapporte Hagnauer :
« Evidemment, nous ne sommes pas d’accord. Mais Monatte a
raison avec son empirisme. Faisons d’abord vivre la revue. [...] On
verra bien après 29. »
Mais ils se refusent à faire un pas de plus, à organiser un groupe­
ment, même une Ligue Syndicaliste. Dès mai 1925, un ou des cor­
respondants anonymes de la R P soulèvent le problème. Cette ligue
ne serait ni un Parti, ni une fraction. Elle serait un organisme de
contact entre syndicalistes et pourrait essaimer en province. En
juillet, nouvelle lettre pressante : la Ligue organiserait dans les
deux C G T les militants qui ne veulent se laisser mener ni par un
gouvernement, ni par un Parti, les militants restés ou redevenus
syndicalistes. En octobre, Maurice Chambelland — peut-être était'
il l’anonyme des mois précédents — fait passer un article dans la
RP : Pour une Ligue Syndicaliste. Elle s’impose, dit-il, ne serait-ce
que pour empêcher bon nombre de camarades d’abandonner toute

28. M. C h a m b e l l a n d , RP., janvier 1950, Notre vieille RP., P. Mo-


natte, RP., mai 1947, Carnets du Sauvage.
29. RP-, Janvier 1951.
la révolution prolétarienne 319

activité militante. Monatte qui n7a pas changé d’avis, répond : Une
Ligue Syndicaliste ?
« Pourquoi faire, grands dieux ? Notre seule ambition c’est
d’essayer de voir clair dans la confusion, dans le brouillard actuel.
[...] Quel besoin y a-t-il d’une Ligue Syndicaliste pour cela ? »
Rosm er n’intervient pas dans la discussion, ce q u i est approuver
im plicitem ent Monatte.
Leur action, c’est donc la RP. Elle donne dans son premier
n u m érola liste des membres du nouveau noyau : les 3 plus Maurice
Chambelland, R. L o u zo n 30, V. Gamery (Bijou), V. Godonnèche,
Albin V iïle v a l3l, D. Antonini, G. Lacoste (Postiers), F. Charbit,
Georges Airelle 32, J. Aufrére 33, L. Marzet. On démarre avec 1 200
francs, c'est ce qui reste de la souscription ouverte pour publier la
Lettre aux membres du P C F . On recueille 23 abonnements de sou-
tin à 100 francs, 7 à 1 000. En janvier 1926, le déficit est comblé,
la situation financière est au n e t #*. Pour évaluer la diffusion, nous
ne disposons que des chiffres avancés par la rédaction. Elle
annonce successivement 500 abonnés (avril 1925), puis 510 (mai),
635 (janvier 1926), 824 (novembre), 900 (avril 1927). L a répartition
géographique des abonnés se répartit comme suit :

Paris, Seine, Seine et Oise Province Etranger


Mai 1925 285 195 31
Novembre 1926 424 335 61

Pour mai 1925, noxis avons de plus amples détails. Les départe­
ments qui comptent le plus d’abonnés sont les Alpes-Maritimes (15),

30. Robert Louzon, né en 1882, ingénieur au gaz, adhère au Parti alle-


maniste en début de siècle. Il est révoqué de son emploi pour avoir prété
de l’argent aux syndicalistes. Il collabore au Mouvement Social, à La
Guerre Sociale, à la V O . En 1913, il est en Tunisie et y devient secrétaire
général du PS puis du PC. Expulsé, il rentre à L'Humanité comme rédac­
teur. II a quitté le Parti en même temps que le groupe Rosmer-Monatte.
En 1936-37, il participe comme volontaire à la guerre d’Espagne. En
1939, il signe le texte Paix Immédiate, est interné de 40 à 41. Il sera du
noyau de la deuxième RP.
31. A. Villeval (1870-1933) mène d’abord une vie errante de militant
anarchiste. Son père a pris part à la Commune. Lui-même entre très jeune
dans un groupe révolutionnaire. Insoumis, il passe en Belgique et en
Espagne avant de devenir correcteur d’imprimerie à Paris. En 1925, il
vient de quitter le PC.
32. Paul George, dit George Airelle, militant du syndicat des insti­
tuteurs des Vosges, avait collaboré à la VO d’avant-guerre pour les
questions pédagogiques.
33. Aufrére (1890-1952) milite à la Fédération CGTU du Livre.
34. RP., 1-1926. Entre nous.
320 alfred rosmer

le Finistère (16), le Rhône (13), le Nord (11), la Vendée (10). Les


31 abonnés étrangers se répartissent ainsi : Belgique 12, Suisse 4,
Hollande 3, N orvège 2, Angleterre 1, Espagne 1, Russie 8. Il y
aura en novembre 1926 22 abonnés en Russie, parmi eux ne figure
pas Trotsky. Nous avons quelque idée des conditions de la diffusion
en Russie d’après les lettres que Monatte et Rosmer reçoivent de
ce pays. Pierre Pascal en 25, puis en 27, signale que la poste rafle
une partie des numéros et qu’on se dispute ceux qui arrivent38.
Bientôt, la censure les interdit35.
Comment le noyau définit-il lui-même son action ? Négativement
d’abord; il ne se veut ni trotskyste, ni anticommuniste. Positive­
ment ensuite : il se dit « syndicaliste-communiste » .
Pas trotskyste ? En effet. Pour lui le trotskysme n’existe pas. Cette
affirmation abïuplc peut nous surprendre mais Rosmer ia justiüe
de la façon suivante 37. Il y a eu et il y a en URSS des discussions
et des solutions proposées par Trotsky. Mais celui-ci qui n’a pas
forcément été toujours du même avis que Lénine, n'a jamais séparé
sa pensée globale de celle de Lénine. Ce sont ses ennemis de la
bureaucratie qui ont inventé l’expression « trotskysme » pour lui
nuire. En 1923, en effet, la crise économique sévit en URSS. Les
ouvriers sont payés avec des semaines, ou des mois de retard dans
une monnaie qui ne cesse de se déprécier. Des grèves éclatent,
dirigées par des membres du PC. Les paysans ne peuvent rien
acheter, vu l’écart énorme entre les prix agricoles (essentiellement
le blé) et les produits manufacturés. Pour rapprocher les deux bran­
ches des « ciseaux », Trotsky propose de peser sur le prix des pro­
duits manufacturés en concentrant l’industrie, en améliorant l’outil­
lage, par conséquent en faisant progresser le rendement, en mettant
sur pieds un plan d’Etat pour liquider le chaos. L a discussion n’a
pas été très violente : on a admis les solutions de Trotsky tout en
laissant la démagogie locale, la paresse, la routine, l’inertie entraver
leur application. D ’autre part, en 1923, la bureaucratie et les mé­
thodes bureaucratiques se sont développées. Boukharine lui-même
s’en plaint devant une assemblée de section à Moscou. Il dît que
le Parti est en état de demi-crise, aggravée par les difficultés éco­
nomiques. La passivité extrême de ses membres est à la fois la cause
et la conséquence de cette crise. Quand il s’agit d’élire les membres
de l’administration du Parti, les dirigeants proposent un nom et
demandent : « Qui est contre ? » Comme on craint d’être mal vu en
intervenant, ces élections sont factices. Même chose pour les réu­
nions. Qu’il s’agisse d’élire le bureau, de choisir l’ordre du jour, de
voter la résolution finale préparée d’avance, la même formule
revient : « Qui est contre ? ». L e résultat ? Il n’y a plus de vie

35. Pascal à Rosmer. 24-XI-25 ; à Monatte, 27-1-27.


36. Moscovite à Monatte, 5-XI-25.
37. RP., février 1925, « La légende du trotskysme ».
la révolution prolétarienne 321

• térieure dans le Parti. Boukharine ayant dénoncé le mal, Trotsky


111 ose le remède : la démocratie dans le Parti, le Cours nouveau.
L e C om ité Central du P C URSS du 5 décembre 1923 vote sans
Grande discussion pour cette solution, Rosmer constate donc que
Trotsky ayant été suivi sur tous les points, la discussion aurait dû
en rester là. Or, elle reprend et m ê m e rebondit en une violente
«o lé m iq u e . Que s'est-il passé ? L e 8 décembre 23, Trotsky envoie
à la Pravda une lettre publiée le 1 1 38. D e France, Rosmer et ses
amis n’en ont pas vu l’utilité. C’est un camarade ayant vécu à
M oscou les luttes de l’Opposition qui explique : l’appareil du Parti
commentait de façon plus que fantaisiste la résolution du Comité
C entral sur le Cours Nouveau. Trotsky, malade, ne peut aller con-
tre-attaquer dans les sections, c’est pourquoi il écrit à la Pravàa. Sa
lettre explique notamment comment une « vieille garde » peut
dégénérer. L a Troïka, se sentant visée, entame une violente c a m p a ­
gne qui enterre le Cours Nouveau et sauve les bureaucrates.
Pour Rosmer, les hommes de l’appareil l’ont emporté. Il affirme
que sous Lénine, il y avait équilibre entre les hommes du Parti et
ceux des syndicats, qu’on imaginait que peu à peu le Parti laisserait
la place aux syndicats et aux soviets. C’est au contraire à un ren­
fo r c e m e n t du Parti et — ce qui est plus grave — de sa bureaucratie
que l’on assiste. I l s éliminent l’Opposition, même à Moscou où elle
était très forte. Zinoviev envoie des émissaires dans les sections
r é c a lc it r a n t e s . L e X IIIe congrès du PC URSS (23-31 mai 1924), le
Ve de TIC marquent le triomphe des hommes de l’appareil. Il y a
plus grave encore. Alors que Trotsky considère la campagne comme
close, la campagne se poursuit contre lui. On publie des brochures
contre sa politique. Quand on s’en étonne auprès des Riisses, ils
répondent, gênés, qu’on va cesser et... font de nouvelles éditions.
On relève tous les menus désaccords entre Trotsky et Lénine depuis
1903. 11 s’agit de prouver que Trotsky n’a jamais été vraiment un
bolchevik. L a contre-attaque de Trotsky ne se fait pas attendre,
c’est son 1917. L a rage des triumvirs augmente. Ils trouvent un
nouveau thème à leur campagne : les victoires de l’armée rouge
n’ont pas été remportées grâce à Trotsky, elles ont été remportées
malgré lui ou sans sa participation. Boukharine soutient par ailleurs
que les désaccords entre Lénine et Zinoviev-Kamenev en octobre
étaient des désaccords provisoires, alors que Lénine disait le
contraire. Tout ceci, tel que Rosmer le voit, n’est qu’une querelle
de personnes. L a bureaucratie, à la recherche d'un plaquage idéo­
logique, invente le « trotskysme » pour avoir une doctrine à pour­
fendre, faute d’oser avouer qu’elle pourchasse un homme. Ce
« trotskysme », elle lui accole, pour faire bonne mesure, l’épithète
de « droitier ». Comme les journaux réactionnaires se félicitent des
défaites de Trotsky et des triomphes de la Troïka, on voit où sont

38. On trouvera la première traduction française de cette lettre dans


BC., 27-XII-23.

21
322 alfred rosmer

les authentiques droitiers. Victorieuse, la bureaucratie écrase son


adversaire et Rosmer juge comme « monstrueuse, quoique bâtarde,
mesquine, contradictoire, incohérente, un modèle de basse polémi­
que » la résolution antitrotskyste de la conférence du 17 janvier
1925. On se souvient du contenu de cette résolution. Un « avertis­
sement catégorique » y est adressé à Trotsky. On lui rappelle que
l'appartenance au Parti bolchevique suppose une soumission effec­
tive à la discipline du Parti, une soumission verbale ne suffisant pas.
Toute lutte contre le léninisme doit être abandonnée. Trotsky est
écarté des affaires militaires et le prochain congrès du Parti exa­
minera s’il convient ou non de le maintenir au Comité Central. En
attendant, toute nouvelle infraction à la discipline entraînerait son
exclusion immédiate du Comité Central. L a discussion est close,
déclare la résolution, mais la nature antibolchevique et petite-
bourgeoise du trotskysme sera expliquée au Parti tout entier, des
exposés auront lieu devant les masses et dans les écoles. L a bureau­
cratie, dit Rosmer, a vaincu le «trotskysme » inventé par elle-même
pour les besoins de la cause. Mais nous qui savons qu’il n’y a pas
vraiment de « trotskysme », nous ne pouvons pas être trotskystes. Et
il résume sa pensée en une formule lapidaire : •« N i trotskysme, ni
trotskystes ».
D ’ailleurs la rupture qui intervient avec Trotsky va renforcer
dans cette position la rédaction de la RP. Dès février 1925, Rosmer
pensait qu’il fallait s’attendre à ce que Trotsky les critique 39. En
avril, Pascal leur écrit de Moscou : « Je suis persuadé que tôt ou
tard, sous telle ou telle forme, il vous laissera joliment tomber »
En mai cependant, Rosmer a encore quelque espoir : apprenant que
la délégation française au Comité Exécutif de l’IC a demandé à
Trotsky de se prononcer de façon claire sur leur cas, il note : « En
fait de réponse claire, le mot de Cambronne me paraît tout indi­
qué » 41. En août cependant, Trotsky désavoue Eastman. L ’Huma­
nité qui publie ce texte le 13 août 1925, ajoute que le PC F attend
de Trotsky un désaveu tout aussi net de la revue de Rosmer et
Monatte. On sait qu’Eastman vient de publier Since Lenin dieà 42
et Rosmer s’étonne que Trotsky contribue ainsi lui-même à Fétouffe­
ment de ses idées 43. Il doit bien sentir que quelque chose se pré-

39. RP., 11-25.


40. Lettre à Monatte, 12-IV-25.
41. RP., mai 25,
42. Max Eastman (1883-1969) devient en 1913 rédacteur en chef de
la revue de gauche The Masses. Il y mène campagne contre l’entrée en
guerre et la revue doit se suspendre, reparaître sous le titre The Libéra-
tor. Il a visité l’URSS en 1922. Il a une position ambiguë par rapport au
trotskysme. Il est bien évident que son rôle dans l’expansion du trots­
kysme US est fondamental, mais on ne peut en faire un vrai trotskyste.
Lui-même se veut d’ailleurs plus antistalinien que trotskyste.
43. RP., août 25.
la révolution prolétarienne 323

are à leur sujet. En octobre paraît l’article de Trotsky les concer­


nant 4d. Rentrant du Caucase, dit-il, j’ai trouvé tout un paquet de
2?jp « Cette revue, par son caractère et par son ton justifie l’exclu­
sion » , chaque numéro va plus loin, elle est une arme dirigée contre
la véritable révolution prolétarienne qu’incarnent l’URSS, le PC
URSS, le PCF. Une place importante y est consacrée à ma défense,
« j e réfute fermement cette d éfen se». La logique de l’attitude de
la BP, c’est d’aller vers la réaction et de passer finalement de l’autre
côté de la barricade. Mais cette évolution n’est pas fatale, car
Rosmer et Monatte, « vieux révolutionnaire trempés », sauront sans
doute s’arrêter à temps.
Le désaveu est net et le P C F exploite contre la R P la lettre de
Trotsky. On peut se demander ce que Rosmer et Monatte pensè­
rent. F. Charbit, interrogé, a tendance à minimiser l’effet produit
sur les deux hommes *5. Ils n’auraient pas vu là une forme de
«lâ ch a g e», mais une habileté tactique de Trotsky, décidé, quoi
qu’il arrive, à se maintenir dans 1TC pour la redresser de l’intérieur.
En tout cas, le noyau trouve l’affaire assez importante pour
répondre sur-le-champ, dans la R P d’octobre 25. L a réponse est
rédigée par Rosmer, amendée par Monatte. L ’alternative mani­
chéenne, dans le Parti ou contre le Parti, est sommaire et l’affirma­
tion reste à prouver. Il y a possibilité d’être un vrai révolutionnaire
tout en étant hors du Parti et de l’IC car le faisceau des forces
groupées par Lénine en 1919-1920 se dissout. Les syndicalistes
révolutionnaires vont s’éloigner de nouveau du Parti et l’on va, en
France, se retrouver dans la situation de 1906. Dans la réponse du
noyau on trouve, à demi exprimée, mais sous-jacente, l’idée que ce
ne sont pas les syndicalistes qui régressent en retournant à 1906,
mais que c’est l’IC qui régresse en retournant à la social-démo-
cratie. L e noyau défend la R P : elle est du bon côté de la barri­
cade, elle est nécessaire. Puisqu’on ne peut parler ni dans le Parti,
ni dans 1TC et que certaines vérités doivent pourtant être dites, il
faut bien parler au-dehors. La R P est donc le refuge de tous les
révolutionnaires authentiques qui ne peuvent supporter l'atmos­
phère étouffante du Parti et qui veulent lutter contre les saboteurs
du mouvement ouvrier. L e noyau, tout en évitant de polémiquer
avec Trotsky, a donc rejeté point à point ses arguments, il n’écoûte
point ses conseils. Les liens en sont rompus pour plusieurs années.
La RP qui n’est donc point trotskyste puisqu’il n’y a pas de
trotskysme et puisque Trotsky la réfute, ne se veut pas non plus
anticommuniste. Monatte redit, dès le premier numéro qu’il s’agit
de continuer, exclus du Parti, à faire ce qu’on faisait comme mem­
bres du Parti 46. Il ne faut pas se laisser couper du mouvement

44. Publié dans RP., octobre 25.


45. Conversation avec l'auteur, novembre 1967.
46. RP., janvier 25.
324 alfred rosmer

ouvrier, obnubiler par le cas négligeable de Treint. Il faut parler


aux ouvriers, membres ou non du Parti. Rosmer retrouve l’étiquette
oubliée depuis quelques années : ils seront des syndicalistes-com-
munistes 4r. Monatte renchérit48 et remercie malicieusement le
Zinoviev du IV e congrès de ITC pour leur avoir fourni leur éti­
quette. Longtemps ils avaient trainé dans leur portefeuille une cou­
pure de la Correspondance Internationale qu'ils voulaient coller sur
leur carte de membres du Parti. C ’était d5un extrait de discours où
Zinoviev déclarait nécessaire de chercher pour le Parti de bons
éléments chez les syndicalistes, dans le groupe des syndicalistes-
communistes. L a RP, d’ailleurs, prend pour sous-titre « revue syn­
dicaliste-communiste ».
Nous n’ignorons pas que des différences assez sensibles séparent
Rosmer ut= certains autres rédacteurs. Avec Souvarine, avec Louzon;
beaucoup plus critiques que lui à l’égard de l’IC, les frictions seront
nombreuses. A vec Monatte, c’est sur l’importance respective du
syndicalisme et du communisme dans leur syndicalisme-commu­
nisme que portent les divergences. Dès août 1925i9, Monatte
réaffirme l’actualité du syndicalisme, ajoutant que ceux qui l'estiment
complètement dépassé sont ceux qui, comme Monmousseau, ont
sauté à pieds joints de I’anarchisme au communisme. Rosmer,
quant à lui, s'abstient de déclarations sur l’actualité du syndicalisme,
il semble bien pencher dans l’autre sens : pour lui, c’est définitive­
ment le communisme qui l’emporte. Mais ses idées sur l’IC évo­
luent, il durcit sa critique au fur et à mesure que le temps passe.
Nous tenterons d’analyser successivement ses prises de position
sur la discussion russe, sur la politique générale de ITC, sur l’action
des sections nationales, sur l'évolution de la situation en URSS
enfin.
On a vu qu'il considère la querelle russe comme une quereEe de
personnes maquillée en querelle idéologique. Il insiste donc sur
l’inutilité et sur le danger d ’une discussion qui n’en finit pas et
qui s’aggrave sans cesse :
« [...] Quand nos camarades russes ne nous offrent plus — à nous
à qui ils ont tant donné et appris — que le rappel de leurs vieilles
polémiques périmées, plus le monopole de la vodka ; qu’au mo­
ment où une nouvelle offensive, dirigée par l'impérialisme britan­
nique est déclenchée contre la Russie des soviets, ils ne trouvent
rien de plus urgent que de diviser leurs forces et de s’entre-déchi­
rer ; quand, dans l'Internationale, ils ne veulent plus que des ins­
truments, alors nous sommes alarmés et il n’est pas besoin d’être
trotskyste pour penser qu'une telle politique est un crime contre
la révolution B0. »

47. RP-, février 25.


48. RP., août 25.
49. Art. cit.
50. RP., février 25.

!; i •
:: r
la révolution prolétarienne 325

j] revient sans cesse sur la grande responsabilité du PC URSS.


Etant le Parti le plus important du mouvement ouvrier internatio­
nal, ayant lancé des mots d’ordre justes — maintien de l’unité
syndicale, Front Unique, lutte contre le putschisme — sa place est
devenue prépondérante et ce n’est pas sans hésitations qu’on se
met à le critiquer. Mais, depuis la mort de Lénine, il ne cesse de
commettre des erreurs. Il demande aux sections de TIC d’intervenir
dans ses querelles intérieures dont elles ignorent tout et, de plus,
leur impose leurs réponses. Il ne sait exploiter aucune des possibi­
lités qu'offre l’existence d’une gauche d’Amsterdam et d’un Comité
anglo-russe. KuusinenS1, secrétaire de l’IC, finlandais prudent et
timoré qui reflète fidèlement la pensée de la direction, ne trouve
rien à dire devant la défaite des mineurs anglais, sinon que le
PC Anglais a remporté une grande victoire parce qu’il a gagné
5 000 membres. Etrange aveuglement. Il prouve que l’IC ne
s’intéresse plus qu'aux partis et se désintéresse tragiquement dès-
phases de la lutte syndicale. Quant au Front Unique, on répète
mécaniquement le mot tout en sabotant pratiquement la chose.
Ceux qu’on charge de l’appliquer viennent de le combattre — Ruth
Fischer et Maslow ** — ou Font compromis par leurs déclarations
intempestives — Treint. Enfin, on ressuscite le putschisme a*.
L e P C URSS ne parvenant plus à lui donner une direction cohé­
rente, TIC n’a plus qu’une ligne internationale erronée. Aux IP ,
I IIe et IV e congrès, l'alliance Lénine-Trotsky a eu raison des gau­
chistes, mais depuis ils l’emportent au point que TIC est parfois
débordée par les directions gauchistes qu’elle a pourtant mis en
place elle-même. Leur tactique ne tient aucun compte des faits.
L ’échec allemand de 23 ? L a poussée de l’impérialisme américain ?
«P o u r les gauchistes, ces faits sont sans importance. Si on les
note, c’est qu’on ne croit plus à la révolution. Il suffit de les ignorer
et de procéder par affirmations sommaires. Une vague révolution­
naire s’est brisée en Allemagne : il faut dire qu’on est plus près que
jamais de la révolution. L ’impérialisme américain ? Un fantôme
inoffensif qui s’évanouira bientôt de lui-même. Tout ce qui n’est
pas communiste est fasciste. La conclusion pratique de ces divaga­
tions, c’est qu’il n’y a pas d’autre tactique que le putsch **. »

51. Né en 1881, professeur, il a participé à la révolution russe de


1905, a été membre du PS finlandais (au centre). Rallié au communisme,
il fonde le PC finlandais. Il est secrétaire de l’IC depuis 1921 et le restera
jusqu’en 1939.
52. Arcadi Maslow (1867-1941) suit à peu de choses près la ligne
politique de Ruth Fischer.
53. RP., octobre 25 ; Réponse du noyau à Trotsky et AR, RP,
décembre 26.
54. RP.. février 25.
326 alfred rosmer

A ce compte, Trotsky est dénoncé comme droitier par Bela Kun


et toute ITntemationale s’enfonce dans le verbiage révolutionnaire :
« Si une révolution se faisait avec des mots, on en aurait certaine­
ment vu plusieurs au cours de cette dernière année 5\ »
On fait des déclarations fracassantes dans les parlements, on sabote
le travail syndical, on va jusqu’à accuser Foster de vouloir syndi-
caliser le P C US. Il ne suffit plus d’être communiste, il faut être
« vieux bolchevik » et on continue à bolcheviser aux dépens d’une
Droite inventée de toutes pièces. C ’est 1’ « état de siège dans l’IC j>.
Copie servile de tout ce qui est russe, élimination des communistes
de la première heure remplacés par des éléments dociles, bureau­
cratie envahissante, c’est le retour à la social-démocratie. On croi­
rait que c’est un péché originel d’avoir été syndicaliste-révolution­
naire, un bon point d’avoir été social-démocrate. Zinoviev profite
même de la conjoncture pour revenir sur le compromis imposé par
les syndicalistes-révolutionnaires en 1920-1921. En février 2 6 sa,
Rosmer accueille avec soulagement la condamnation du putschis­
me qui peut annoncer un rétablissement de Ï’IC. Mais le thème
du socialisme dans un seul pays est la chute dans l’excès inverse
car le thème est, pour lui, profondément défaitiste à l’heure où le
capitalisme européen reste très ébranlé, où des forces révolution­
naires considérables peuvent encore être utilisées. En janvier 1927 5T
à l’issue du V II* plénum de l’IC, il dénonce une autre erreur : on
ne prend pas au sérieux les efforts de stabilisation capitaliste et les
résultats réels du plan Dawes et de la rationalisation. On affirme
que dans le contexte d’une crise de sous-consommation, la rationa­
lisation, avec sa production massive, les cartels, avec leur politique
de prix élevés, aggravent d’autant plus les choses qu’ils se battent
autour d’un gâteau trop petit. Rosmer estime simpliste ce raisonne­
ment. I l considère au contraire qu’il ne faut pas sous-estimer la
réorganisation de l’économie capitaliste. I l y a des difficultés entre
les cartels, mais ils finissent toujours par se mettre d’accord ; les
hommes qui avaient morcelé l’Europe s’efforcent maintenant de
la démorceler et l’on voit Poincaré, l’homme de la Ruhr, faire
Locam o et des rapports économiques franco-allemands se renouent.
Loin de s'aggraver, les antagonismes entre capitalismes sont en train
de s’atténuer et la lutte ouvrière en est rendue plus difficile. Pour
résumer d’un mot l’attitude de Rosmer à l’égard de TIC, on peut
dire qu’il ne cesse de lui reprocher ses sautillements tactiques, son
extrémisme tour à tour droitier et gauchiste. Dans une situation qui
comporte des ombres et des lumières, il reproche à l’IC d’êtie alter­
nativement aveugle et éblouie, toujours incapable d’analyse globale.
On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, de le voir critiquer

55. RP., octobre 25, Réponse du noyau..., art. cit.


56. RP., février 26.
57. HP., 15-1-1927.
la révolution prolétarienne 327

s é v è r e m e n t les politiques des sections nationales de l’IC. L e PC F,


il fallait s’y attendre, est au premier rang de ses préoccupations,
jl dénonce essentiellement deux aspects de sa politique : le gau­
chisme et l’exagération de la menace fasciste. Ses attaques contre
la bolchevisation e t ses adeptes sont d’autant plus virulentes qu’il
ne résiste pas au plaisir du trait qui blesse. Sa cible préférée est
Treint, « ce grotesque qui paraît prendre un plaisir particulier à
collectionner les formules absurdes et les images risibles » , et dont
il résume d’un mot la politique : « De la « volaille à plumer » au
«bonapartisme in tern ation al»58. Au-delà de Treint, le groupe des
bolchevisateurs tout entier est malmené. Quelle aubaine lorsque
l’un d’ eux, Werth, est exclu comme noceur et voleur I N ’était-ce
pas en l’attaquant que Chambelland s’était fait exclure ? Werth
s’était réfugié dans la bolchevisation, dans l’anathème antimenche-
viste, dans la guerre à la Droite internationale et se croyait devenu
intouchable. Son cas est clair, trop clair :
« [...] L a «b olch evisation » qui consistait à traiter de bons com­
munistes de mencheviks, petits bourgeois, contre-révolutionnaires,
etc., a été un excellent abri pour pas mal d’individus tarés et mépri­
sables S9. »
Les excès de la direction, loin de renforcer le Parti, renforcent les
syndicalistes réformistes et les sociaux-démocrates de la SFIO ®°.
La R P ne cesse de soutenir l’action de ceux des membres du Parti
qui grognent et protestent. En février 1926, elle publie la lettre des
250 61 avec pour commentaire :
« S’il y avait encore l’IC, si ce qu’il en reste n’était pas directe­
ment responsable des actes des dirigeants du Parti français, l’appel
des 250 ne serait pas resté sans écho. Mais il aurait fallu qu’en
réponse, l’Internationale prononçât sa propre condamnation. »
Cette lettre permettra à Zinoviev, au plénum, de dénoncer l’exis­
tence du bloc droitier français et international02. L e plénum, d’ail­
leurs, s’efforcera de rectifier le tir. C’est du moins ainsi que les
rédacteurs de la RP interprètent ses résolutions 83. Ils y retrouvent
les thèses pour lesquelles ils avaient été exclus : fraternisation
comme condition du Front Unique, réévaluation plus modeste de
la manifestation des obsèques de Jaurès, aveu de la stagnation et

58. RP-, février 1925.


59. RP., mars 1925.
60. RP., octobre 1925, « Réponse du noyau... ».
61. En décembre 1925, 250 militants autour de Loriot, Paz, Dunois,
envoient au Comité Central du PCF une lettre où ils font part de leurs
inquiétudes.
62. Correspondance Internationale, 9-III-1926, Discours de Zinoviev
au V Ie Plénum.
63. RP., mai 1926, M. Chambellan®, « L ’Exécutif Elargi et le PCF ».
328 alfred rosmer

du recul des effectifs du PC F, aveu qu’une fraction dirige le Parti,


que la situation de janvier 1925 n’était pas immédiatement révolu­
tionnaire. Ils y trouvent enfin la condamnation de tout excès dans
l’appréciation du danger fasciste. Sur ce point, Rosmer fait porter
son effort critique. A son avis, les dirigeants du Parti, en criant à
tort et à travers au danger fasciste, galvaudent le m o t04. En Italie,
le fascisme est né d’une désillusion de la classe ouvrière et d'une
reprise de confiance de la bourgeoisie. Il est né lentement car la
puissance ouvrière ne s’est pas effondrée d’un coup. L a bourgeoisie
italienne s’ est d’abord contentée, pour se maintenir au pouvoir,
des formes capitalistes et monarchistes normales. Puis elle a vu
dans le fascisme la possibilité d’une revanche sur la classe ouvrière :
le fascisme lui fournissant une gendarmerie supplémentaire. En­
suite mais ensuite seulement, le fascisme a pris directement le
pouvoir- M êm e processus en Espagne avec Primo de Rivera, en
Hongrie avec Horthy. L e fascisme ne se développe donc que dans
des conditions bien précises : un cadre social ébranlé, un régime
démocratique peu enraciné, une bourgeoisie qui a subi concrète­
ment la poussée révolutionnaire. L a dernière condition faisant
défaut dans la France de 1925, Rosmer n’admet pas l’existence
d’une menace fasciste. Il reconnaît l’évidence ; il y a des fascistes,
des Unions Civiques capables de briser les grèves. Mais la bour­
geoisie française préfère au fascisme les moyens « démocratiques »
bourgeois qui lui paraissent suffisants pour assurer sa domination.
Pour lui, ce qui menace vraiment les ouvriers français, ce n’est pas
une menace fasciste, mais bel et bien une offensive patronale. La
direction du PC F, en criant au fascisme à tout bout de champ,
mobilise contre les moulins à vent et détourne des vrais dangers.
La situation du PC allemand n’ est guère meilleure. Les élections
de décembre 1924 ont révélé le recul de l’influence communiste 6\
Sans doute faut-il incriminer les mesures de répression, mais c’est
au niveau de la direction du Parti qu’il faut chercher les raisons
profondes de ce reflux BS. Sa médiocre direction n’a pas vu qu’après
la retraite sans combat d’octobre 1923, il ne fallait pas s’attendre à
un sursaut révolutionnaire rapproché. Elle néglige des signes qui
ne trompent pas comme le recul des effectifs et ne se préoccupe
pas d’étendre l’influence du Parti dans les syndicats et les conseils
d’usine. Au V e congrès de l’IC, on a appris que dans l’organisation
berlinoise du PC, 15 à 20 % des militants seulement étaient syndi­
qués. Incroyable carence du travail syndical ! Quand on sait que
les dirigeants de cette organisation berlinoise sont devenus les diri­
geants du Parti, on imagine le niveau du travail syndical dans le
PC allemand :

jRjP 1925
65. 2 700 000 voix, représentant 9 % des suffrages contre 3 900 000
voix et 12,6 % des suffrages en mai 1924.
66. RP-, janvier 1925.
la révolution prolétarienne 329

« Sur ce point comme sur quelques autres, ces « léninistes »


méconnaissent ce qu'il y a de plus clair et de plus certain dans
renseignement de Lénine. Il est vrai qu’ils pulvérisent chaque jour
la « Droite ». C ’est plus facile. »
Aux élections de mars 1925, les communistes ont encore reculé 67.
On a parlé un peu vite de la décomposition de la social-démocratie
allemande qui a gardé une bonne partie de son influence sur les
masses. L e verbiage révolutionnaire est incapable d’éliminer l’illu­
sion réformiste, iï y faut une action « compréhensive, méthodique,
intelligente » dont la direction du PC allemand semble bien inca­
pable. En fait 88 les dirigeants allemands ne s’occupent que de que­
relles de personnes. Les « néo-léninistes » , Ruth Fischer et Maslow
ne pensent qu’à éliminer Brandler et Radek. Tout à leur querelle,
ils oublient que rinfiuence communiste recule dans les masses.
Ce qui est caractéristique de la démarche d’esprit de Rosmer,
c'est qu’après avoir été des responsabilités du Parti Russe aux
erreurs de la ligne de l’Internationale, des sections nationales, il
retourne à la réalité russe pour déceler dans l’évolution de l’URSS
ja cause profonde des difficultés présentes du mouvement commu­
niste mondial. Connaître la vie russe est d’autant plus nécessaire
pour juger l’évolution du communisme qu’avec la théorie stali­
nienne du socialisme dans un seul pays, la Russie devient, plus en­
core qu’avant, l’exemple d’après lequel on se détermine. D ’une vision
O p tim is te ou pessimiste de la réalité soviétique dépend l'action poli­
tique à entreprendre. Pour une étude biographique comme celle
qpe nous avons entreprise, nous pourrions dire qu’à la limite, peu
importe ce qui se passe réellement en Russie. Une seule chose
compte : comment Rosmer imagine-t-il que les choses se passent ?
Nous examinerons successivement quelles sont ses sources de ren­
seignements, comment ses correspondants les plus écoutés lui pré­
sentent la réalité russe, quelles idées enfin il se forge.
En ces années, les livres sur l’URSS affluent déjà. Partisans et
adversaires du régime soviétique s’affrontent en joutes imprimées
sans fin. Rosmer et Monatte sont de gros lecteurs. On peut en juger
par la richesse de leurs bibliothèques. Si un classement de cette
abondante littérature devait être esquissé, il nous semblerait néces­
saire de distinguer, à côté des ouvrages des sédentaires qui jugent
la vie russe de leur bureau — favorablement en général quand ils
appartiennent à l’IC ou aux PC, défavorablement dans la majorité
des autres cas — les ouvrages des voyageurs qui ont été se rendre
compte sur place. L e « voyage d’URSS » est devenu un véritable
genre littéraire et bon nombre des grands noms de la littérature et

r 67. RP., avril 1925. Il s'agit des élections présidentielles. Le candidat


■du PC, Thaeknann, a 1 800 000 voix représentant 6,9 %. Æu deuxième
.tour, Hindenburg est élu.
68. RP., octobre 1925, « Réponse du noyau... ».
330 alfred rosmer

du journalisme sacrifient à la mode. Citons W e lls 69, Viollis 70,


Duhamel, Gide... Nous savons bien que les voyages sont des auber­
ges espagnoles où l’on trouve essentiellement ce qu’on apporte.
Mais si, pour le lecteur averti, les conclusions de l’auteur importent
peu, les détails quotidiens, les faits et les statistiques fournis per­
mettent de « mettre en place » ses idées, de contrôler les sources,
de les confronter les unes aux autres.
Les militants ouvriers ont d’autres sources de renseignements
auxquelles ils attachent beaucoup plus de valeur : les témoignages
de leurs camarades de combat. Témoignages oraux dont il ne nous
reste pas grand-chose, témoignages écrits que nous avons conservés.
Il y a des rencontres avec des militants russes. Ce que nous en
savons porte sur l’organisation internationale de l’Opposition. En
1926, Piatakov qui a été nommé dans le personnel de l’ambassade
d’URSS à Paris, tente d’unifier les anti-staliniens expulsés du PCF,
à l’image de l’Opposition Unifiée de M oscou71. Il voit Dunois,
Souvarine et Paz 72, contribue au lancement de Contre le Courant,
En vain, car Rosmer et Monatte ne veulent pas d’un bloc avec les
zinovievistes et continuent à agir seuls 7\ En 27-28, Piatakov et
Chliapnikov réunissent une dizaine de camarades — des exclus en
majorité — chez Dunois 74 sans grand succès immédiat. Ces con­
tacts avec les russes, sans aucun doute, fournissent des renseigne­
ments précieux sur la situation en URSS. Nicolaevski n’a-t-il pas
tiré de ses conversations avec Boukharine les éléments de sa Lettre
d'un vieux bolchevik 75 ? Monatte est formel : à ces exclus qu’ils
savent bien être de meilleurs révolutionnaires que leurs « domes­
tiques », Piatakov et Chliapnikov expliquent que la révolution est

69. H.G. Wells, célèbre écrivain anglais, militant de la Société


Fabienne et du Labour, a ramené d’URSS un livre soigneusement
balancé, sans sympathie excessive.
70. Andrée Viollis (1879-1950), journaliste, ramène ses impressions de
voyage sous un titre raccrocheur (Seule en URSS...).
71. Iouri Piatakov (1890-1937), né dans une famille aisée d’Ukraine, est
anarchiste à 17 ans, bolchevik à 20. En 1917 il dirige le Parti clandestin
en Ukraine. Membre du Comité Central du PC URSS en 1923, il signe
la lettre des 46, prend parti pour l’Opposition Unifiée. Envoyé en mis­
sion diplomatique à l’étranger — comme il arrive souvent aux oppo­
sants — , il est exclu en 1927. Un retour en grâce ne l’empêche pas
d’être exécuté en 1937 à l’issue du 2e Procès de Moscou.
72. Maurice Paz (né en 1896) est un avocat, de famille aisée ; socia­
liste minoritaire, il est au PC en 1920. En 1925, il anime l’opposition des
250 avec Loriot. Après un épisode trotskyste, il milite à la gauche de la
SFIO en 1934, puis se rallie à Paul Faure.
73. Archives Rosmer. I. Deutscher à Rosmer, 19-VI-1954. Les rensei­
gnements donnés par Rosmer sont repris par I. Deutscher. Trotsky. T. 3,
p. 56-57.
74. Monatte. Deuxième lettre d’un ancien. RP. IV. 1947.
75. Republiée récemment dans N i c o l a e v s k i , Les dirigeants sovié­
tiques et la lutte pour le pouvoir.
la révolution prolétarienne 331

•morte en Rassie, que c’est â la classe ouvrière de l'Ouest européen


de reprendre le flambeau. On leur répond que c’est impossible,
q u ’eux seuls peuvent sauver ce qui reste du socialisme.
Plus importants et surtout plus suivis que ces contacts épisodi-
ques et clandestins avec des opposants russes, sont les contacts
quasi quotidiens avec les militants qui, après un long séjour en
URSS, ont quitté le pays dans des circonstances plus ou moins
difficiles : Guiheneuf-Yvon, Lazare vit ch, Serge.
Lazarevitch 7% expulsé d'URSS, voit dès son arrivée en France
les camarades de la R P qui facilitent sa réadaptation matérielle.
II leur parle longuement de la situation en URSS et continuera
longtemps à leur traduire la presse soviétique.
Yvon-Guiheneuf a fait une expérience originale sur laquelle nous
nous étendrons plus longuement : né en 1899, placé à l’assistance
publique à 7 ans, il fait de 16 à 19 ans son tour de France
de compagnon menuisier. Mobilisé à Bordeaux en 1918, il est
affecté à l'aviation comme ouvrier qualifié (à l’époque les avions
sont en bois). Démobilisé, il entre au PC et devient dessinateur
industriel. I l fait en Exirope Centrale des missions que lui confie
le Parti. En 1922, il se met à l’étude du russe et, en 1923, part
en Russie mettre ses capacités professionnelles au service du pays
de la révolution. Il a l’intention de revenir par la Chine, le Japon,
le Canada, les USA, un tour du monde en som m e77. Spécialiste
des bois d'aviation, membre du PC URSS, il circule dans tout le
pays pour sélectionner des espèces et pour surveiller des exploi­
tations. Il connaît ainsi non seulement les grands centres (Moscou,
Pétrograd), mais aussi le Caucase., la région de la M er Noire, la
Sibérie du Baïkal à Vladivostok. En 1923-25, les hasards d’un
séjour à Moscou le mettent en contact avec Dzerjinski, Kamenev,
un milieu nouveau qui lui déplaît. II s’oriente alors vers l'oppo­
sition. Il a épousé une Russe, mais refuse en 1928 d'opter pour la
nationalité soviétique et de s'engager dans l’armée rouge. A partir
de 1931, il fait démarches sur démarches pour quitter le pays dont
il est finalement expulsé en 1933. I l revient avec un livre particu­
lièrement documenté, & U R S S, telle qu elle est où il conclut :
« L e tragique n’est pas que la révolution russe n’ait rien donné
à ceux d’en bas, qui en attendaient tout ; c'est que, ne leur ayant
rien donné, elle ait pu construire un monde nouveau et viable 7S. »
Serge, libéré au terme d'une campagne internationale, leur déclare
au cours du banquet offert par la R P pour fêter son retour :
« Sur tout le territoire de l'URSS, il n’est pas un socialiste, pas

76. Témoignage oral.


77. 3-III-1936, Archives Monatte, Lettre à Lanty.
78. P. 287.
332 alfred rosmer

un libertaire, pas un syndicaliste, connu comme tel, qui soit en


liberté 73. »
Surtout, Monatte a rassemblé en dossier les lettres de ses corres­
pondants de Russie dans les années 25 à 28 : Pierre Pascal, Victor
Serge, Guiheneuf-Yvon, un anonyme qui signe « Moscovite ».
Toutes ne sont pas adressées à Monatte, Rosmer et Lanty sont les
autres destinataires. Certaines de ces lettres ont été publiées par
la HP — parfois avec des coupures imposées par la sécurité — ,
toutes ont concouru de façon décisive à former l’opinion de Rosmer
et de ses amis.
Les correspondants reconnaissent les progrès économiques réalisés
en URSS 80 mais se font de l’évolution globale du régime sovié­
tique une idée en général peu favorable. Guiheneuf écrit dès février
25 : c Ici, nous allons à 500 à ï heure vers la république bour­
geoise. » C ’est surtout Pascal qui insiste sur la régression social-
démocrate du Parti russe :
« [...] L a social-démocratie modèle bolcheviste est devenue en
Russie un parti conservateur s’opposant par tous les moyens aux
progrès de la révolution et dans les autres pays tend à jouer l’ancien
rôle de la social-démocratie ancien modèle 8Ï. »
Il dénonce la « restauration accélérée du capitalisme » , la « des­
cente à fond de train vers le marais petit-bourgeois ». Quelques
mois plus ta rd 82, il parle de «despotism e é c la iré ». L a révolution
d’octobre n’est-elle donc, se demande-t-il, qu’une libération écono­
mique nationale ? Oui dans une certaine mesure. Et encore I L ’accé­
lération des pourparlers sur les concessions avec les capitalistes
étrangers permet d’en douter. Fin 25, le « Moscovite » considère
qu’Octobre est déjà bien loin :
« [ . . . ] Il est temps qu’en Occident, les camarades cessent d’être
des aveugles enthousiastes, sans quoi la désillusion sera terrible »
En janvier 1927, la situation leur paraît dangereusement aggravée.
Ce n’est plus de despotisme éclairé que parle Pascal, mais d’une
dictature de l’Etat, du Parti dans l’Etat, d’une « clique » dans le
Parti, d’une « formidable exploitation de la classe ouvrière » . Désen­
chanté, il poursuit :
« Nous sommes dans la période où, parmi les gens actifs, les
uns festoient, les autres intriguent pour le pouvoir ou la fortune,
les derniers occupent leur ardeur et leurs loisirs aux dépens des

79. Cité par R. H agn atjer, « 30 ans d’opposition à Staline », RP.,


avril 1956.
80. Pascal à Rosmer, 24-IX-1925, à Monatte, 27-1-27.
81. Pascal à Monatte, 12-IV-25.
82. Pascal à Rosmer, 24-IX-25.
83. Moscovite, 5-XI-25.
la révolution prolétarienne 333

petites filles. On peut appeler cela le Directoire, ou non, peu importe,


les faits sont les mêmes. Et la masse docile est retombée dans son
esclavage, dans son labeur, dans son exploitation. Elle produit,
j{ y a relèvement économique, mais la révolution est bien enter­
rée [•• ]• Prévisions : matériellement nous marchons vers l’améri­
canisation, vers un grand développement de la richesse nationale ;
socialement vers un Etat appuyé sur trois aristocraties : intellectuels,
paysans riches, ouvriers très qualifiés, faisant travailler la masse
(laquelle profitera naturellement du progrès général, mais dans de
moindres proportions). C'est sans doute là le socialisme social-
démocrate s*. »
Concrètement, les conditions de la vie ouvrière sont difficiles. L e
travail aux pièces est généralisé 85 ainsi que le minutage et les
T -----; 86 ______ * . --- ---- ------- 1 ^ ___________ _____ ____ ______
. v ü A ü iijio t. xsi*. C a u ^ c jioù u u v u ç ic i c l
la diminution des loyers pour ceux des ouvriers qui ont les plus
faibles salaires87. Les salaires n'augmentent que faiblement. Pour
détourner l'esprit de ces difficultés, on favorise des frivolités ; anti­
cléricalisme, TS F d'amateurs, discussions sans fin dans les journaux
ouvriers pour savoir s'il faut ou non que les gens ayant des noms
d’allure religieuse en changent. L ’extrême passivité de la jeunesse
effraie surtout Pascal :
« [...] La jeunesse se laisse merveilleusement prendre à tout cela
et aux paroles, aux beaux raisonnements dont cette politique est
assaisonnée. Elle n’a jamais eu à être révolutionnaire ; elle est
contente de ce qu’on lui offre, de ce qu’on lui promet et considère
comme un crime toute critique 88. »
L ’alcoolisme se développe 80. Alors que le tsar vendait de la vodka
à 38 degrés, on la vend maintenant à 40 et les mauvais plaisants
vont répétant : le peuple a fait la révolution pour 2 degrés de
vodka. Les ivrognes traînent dans les rues, en si grand nombre
qu’il a fallu ouvrir des postes de secours et que quelques-uns sont
morts dans la rue. Et pourtant le gouvernement qui a établi le
monopole de la vodka à des fins fiscales, continue à soutenir qu’il
voulait seulement éliminer l’alcool frelaté. Dans le domaine de la
vie de travail, Pascal é c r it90 qu’on ne paye plus les suspensions
de travail imputables à l'usine si elles n’ont pas dépassé 30 minutes
sur les 8 heures, qu’on ne paie plus les jours de maladie attribués
à l’ivresse s’ils ne dépassent pas trois jours, qu’on a relevé les loyers,

84. Pascal à Monatte, 27-1-27.


~85. Guiheneuf à Lanty, 6-II-25.
86. Pascal à Monatte, 12-IV-25.
87. Guiheneuf à Lanty, 6-II-25.
88. Pascal à Monatte, 12-IV-25.
89. Ibid. et Moscovite, 5-XI-25.
90. Pascal à Monatte, 27-1-27.
334 alfred rosmer

supprimé ou presque supprimé les billets de tramway gratuits, que


les accidents du travail se multiplient de façon inquiétante.
Tous les correspondants affirment très vite que des classes sociales
privilégiées se sont constituées, Pascal ajoutant qu’elles oppriment
les militants ouvriers 91. Ils en distinguent cinq. Une petite bour­
geoisie rurale de koulaks et de paysans aisés qui a le droit de louer
ses terres 12 ans et plus selon le type de culture, elle peut embau­
cher des ouvriers agricoles et les faire travailler plus de 8 heures
par jo u r -2. L ’éventail très ouvert des salaires permet la création
d’une autre couche. « Aristocratie ouvrière naissante » pour les
uns 9S, il s’agit pour les autres des « ouvriers hautement qualifiés
ou débrouillards » 94, des « spécialistes » de tout acabit. Salaires
élevés, autonomie accrue, loyers diminués, facilités de logement
en pleine crise du logement, allègement de l’impôt sur le revenu :
leurs privilèges sont appréciables °5. L'appareil du Parti, de son
côté, « forme une nouvelle bourgeoisie 311 ». Les commerçants ins­
tallés à leur compte, les fonctionnaires moyens et supérieurs, les
employés des organes économiques, du Parti, de l’état, des syn­
dicats pullulent ®T. Moscovite les dénonce comme les Nepmen les
plus dangereux car ils se cachent sous le nom de communistes.
En 1927, Pascal pense que le mal bureaucratique est devenu incu­
rable G8. Pour évaluer exactement la ponction de ces diverses classes
sur le revenu national global, il s’efforce, depuis février 26, de
rassembler des matériaux sur la répartition du revenu national en
URSS. Mais il doit y renoncer car les statistiques qu*il peut recueillir
sont faussées et ne répondent pas aux questions intéressantes. Il a
vaguement entrevu un écart grandissant entre les koulaks et les:
paysans pauvres, mais ne peut rien prouver. Mieux vaut ne rien
dire que d’avancer sans preuves Moscovite, de son côté, pense
dès 1925 que l’ancienne bourgeoisie se remet en seïle 100 : on
projette de supprimer dans le code de justice les paragraphes qui
aggravent les peines pour les coupables bourgeois et d’origine bour­
geoise, on va autoriser leurs représentants à siéger dans les tri­
bunaux, leur accorder en matière d’enseignement les mêmes droits
qu’aux fils d’ouvriers,
« [...] Ce qui signifie en fait qu’ils en auront plus puisqu’ils seront
mieux préparés aux examens d’entrée pour l’enseignement supérieur
et point gênés financièrement pour étudier jusqu’à 20 ou 25 ans » .
91. Pascal à Rosmer, 24-IX-25.
92. Ibid. et Guiheneuf à Lanty, 6-II-25 ; Moscovite, 5-XI-25.
93. Guiheneuf à Lanty, 6-II-25.
94. Pascal à Rosmer, 24-IX-25.
95. Moscovite, 5-XI-25.
96. Guiheneuf à Lanty, 6-II-25.
97. Pascal à Rosmer, 24-IX-25, et Moscovite, 5-XÏ-25.
98. Pascal à Monatte, 27-1-27.
99. Ibid., 17-11-26.
100. 5-XI-25.
la révolution prolétarienne 335

On assiste partout à l’étouffement de la vie des soviets et du


Parti. Les soviets se transforment en conseils municipaux et la
publication des procès-verbaux des séances du soviet de Moscou
le montre bien dit Pascal10l. Les « correspondants ouvriers » de
la presse sont payés à la ligne et embrigadés, les comités d’usine
et les conférences de production n’ont plus aucun rôle. Les ouvriers
n'y viennent qu’en petit nombre parce que les directeurs expliquent
leur gestion en termes incompréhensibles. Les suggestions ouvrières
sont tournées en ridicule ou ignorées. Les syndicats jouent le rôle
de l’ancien patron. A cette différence près qu’ils discutent le contrat
collectif avec le trust. Mais c’est une discussion de pure forme.
Elle aboutit toujours à un compromis, rogné de mois en mois 102.
Les cellules du Parti sont manipulées par la direction, les membres
du Comité Central viennent y remporter des victoires faciles contre
l'opposition. Sous prétexte de « mobilisation à la campagne » , les
oppositionnels sont expédiés en province. Les secrétaires sont impo­
sés par en haut ou « importés ». Les cellules n’ont plus de vie
propre et les vrais révolutionnaires s’insurgent contre les « organes
oppresseurs du Parti » l03.
Ce qu’il y a de très caractéristique, c’est que les correspondants
de Russie renvoient dos à dos tous les dirigeants du Parti. Mosco­
vite affirme que c’est « par besoin d’espoir » qu’on suit les querelles
de Trotsky, Staline, Zinoviev et Kamenev, en pensant que tel ou
tel sera plus démocrate, mais il est persuadé que Trotsky victorieux
mettrait ses hommes en place et imposerait son orthodoxie ' 01.
Pascal est encore plus net. Pour lui, la même atmosphère a régné
dans le Parti dès le début. Au tout début, déjà, Martov, Plekhanov,
Lénine se valent, mais Lénine voit plus loin, a plus de sang-froid,
de logique, de volonté. D ’ailleurs il est impossible d’imaginer un
Parti sans « politicaillerie ■», mensonges, ambitions, tyrannies. II
pense que le Parti a accaparé la révolution, que les chefs se servent
du Parti, méprisent et tyrannisent le peuple 105.
« [...] Je pense que tous se valent, Trotsky, Zinoviev et les autres
au point de vue du mépris du peuple, soif de commander, moyens
démagogiques pour parvenir, vie personnelle étrangère à toute aspi­
ration vers le communisme, etc. Trotsky est évidemment supérieur,
mais dans la même catégorie. S’il avait le pouvoir, il serait plus
tyran encore que les autres. Ses idées économiques sont encore
plus réactionnaires, plus grands capitalistes. [...] Quel besoin avez-
vous de présenter Trotsky comme un petit saint, de tout justifier
de sa part, de lui attribuer la pureté d’intention d’un nouveau-né ?

101. Pascal à Rosmer, 24-IX-25 ; à Monatte, 21-1-27.


102. Moscovite, 5-XI-25 ; Pascal, 27-1-27.
103. Moscovite, 5-XI-25.
104. Ibid.
105. Pascal, 24-IX-25-
336 alfred rosmer

Tous les chefs ne font qu’exploiter le peuple et [...] il faut non


pas les suivre, mais les mépriser 106. »
Donc entre l’opposition et la majorité, il n’y a que des nuances,
Staline apparaissant comme l’homme des compromis et de la conci­
liation 10T. En 1927, après la défaite de l’Opposition, Pascal fait
le point :
« Pour se faire une popularité, elle [l’Opposition] a parlé de
« démocratie dans le Parti », mais personne ne veut y croire dans
la bouche de tyrans éprouvés comme Trotsky, Zinoviev et leur
bande. Personne n’y a cru et c’est pourquoi ils ont été battus. »
Si les membres du Parti avaient vraiment cru aux bonnes intentions
de l’Opposition, ni les menaces, ni les violences n’auraient pu les
fsn’r*» ohancr^r
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ders en dispute » n’ont devant eux que 1’ « indifférence méprisante
du gros du Parti 108 ».
L ’opposition trotskyste ou unifiée est donc considérée comme
une fausse opposition, mais les correspondants signalent l’apparition
en URSS d’une opposition véritable, d’ « un mouvement prolétarien
d’opposition à tendance syndicaliste 109 ■». Moscovite fréquente un
groupe d’ouvriers tôt dispersés par la bureaucratie dans différentes
usines. Leur base idéologique lui paraît valable car ils sont
« [...] plus guidés par un simple bon sens de classe que par le
marxisme, le syndicalisme ou tout autre théorie ; leur communisme
est très clair, c’est la disparition de l’exploitation de l’homme par
l’homme 1,0 ».
Un autre groupe est signalé, autour de Lazarevitch. En fait nous
sommes bien incapables de jauger et de juger ces mouvements de
taille sans doute infime et dont nous ne savons pratiquement rien.
Nous voyons bien cependant que par leur aspect purement ouvrier
et leur coloration syndicaliste, ils ne peuvent qu’intéresser un groupe
de la R P en coquetterie avec le trotskysme et franchement hostile
à la tactique d’opposition unifiée.
D ’ailleurs, la police veille. Guiheneuf-Yvon signale que les ouvriers
de son usine craignent d’être débarqués ou envoyés en Sibérie
car ils n’ont pas approuvé le Comité Central lors des dernières
discussions 1A1. Pascal note que les révolutionnaires entêtés sont en
prison, en camp de concentration, pourchassés, exterminés l12. Gui-
heneuf-Yvon revient sur les dangers de toute opposition. On hésite

106. Pascal, 12-IV-25.


107. Pascal, 24-IX-25.
108. Pascal, 27-1-27.
109. Moscovite, 5-XI-25.
110. Ibid.
111. Guiheneuf, 6-II-25.
112. Pascal, 12-IV-25.
la révolution prolétarienne 337

à exprimer son mécontentement, même en privé, et c’est un acte


de courage que de s’occuper d’espéranto !
« Evidemment, vous ne pouvez pas vous imaginer cela. Il me
faut bien reconnaître qu’il est plus facile et moins dangereux à
un anarchiste de faire de ïa propagande en France qu’à un ouvrier
communiste non orthodoxe d’en faire ici. Comprenez-vous, main­
tenant, où nous en sommes 113 ? »
Un anonyme enfin signale l’arrestation de Lazarevitch et de ses
proches. Ils sont relâchés peu après et racontent leur aventure
qui illustre les méthodes en vigueur : arrestation d’une trentaine de
personnes dont certaines ne connaissent même pas Lazarevitch,
« procédés d’intimidation, voire de terrorisation » pour obtenir des
renseignements, mise au secret sans avocat, sans lettres, sans jour-
«nnv s?.n.s livres, procès ssins téïïîoinSj nvsc dss chsfc d*£Lcctisn.tïcri
fantaisistes, possibilité de déportation administrative. L e tout est
assorti d’un scénario policier :
« Les juges d’instruction opèrent la nuit ; on réveille les détenus
à une ou deux heures du matin pour les démoraliser, on emploie
menaces et promesses, faux documents et mises en scène. Après
un ou plusieurs mois de ce cauchemar, l’innocent est mis à la porte
presque avec un coup de pied quelque part ; à une heure du matin,
on le réveille et on lui dit : « Suivez-nous » ; le malheureux peut
s’attendre à tout, à la « Commandantour », on lui apprend enfin
qu’il est libre 114. »
Ce tableau de la réalité russe est peu agréable, les amis de Monatte
et de Rosmer le voient bien. Pascal passe de l’accablement à la
colère : « L e tableau me désole, je le repousse chaque jour loin
de moi, mais l’évidence s’impose de nouveau. » Il refuse de fermer
les yeux comme certains, et de se dire cyniquement que la révo­
lution russe n’est qu’une révolution bourgeoise comme les autres,
juste un peu spéciale. Parce que, si elle n’est que cela, « pourquoi
tout ce mensonge, toute cette phraséologie ? » Recherchant la
cause du mal, il entame une évolution qui n’est pas sans intérêt
pour l’historien des idées. Il en vient à considérer le bolchevisme
comme une simple variante de la social-démocratie : Kamenev et
Zinoviev sont deux sociaux-démocrates classiques, Lénine a sans
doute fait un accroc à la doctrine mais est revenu très vite à
l’ornière social-démocrate :
« Tout le mal est venu de ce que la voie choisie dès le début,
la voie social-démocrate, la vieille ornière bourgeoise avec l’Etat
et ses attributs, était mauvaise pour créer du nouveau. C’était celle
qui présentait le moins d’inconnu, le moins de risque, mais qui
aussi ne devait mener à rien. La chose apparaît malheureusement

113. Guiheneuf, 6-X-25.


114. Lettre anonyme à Monatte, 22-X-26, avec un post-scriptum du
5-XI.

22
338 alfred rosmer

trop lard. I l y avait une autre voie, celle du véritable régime


des soviets tel que Lénine l’a conçu un instant (non sans influence
de Bakounine et de Kropotkine) et qu’il aurait fallu continuer avec
un grand rôle des syndicats, voie complètement inconnue, effrayante
peut-être ( « inexpérience des masses », état retardataire... et autres
rengaines), mais qui aurait peut-être donné quelque chose. Il est
permis de le croire aujourd’hui puisque l’autre a été essayée et a
fait faillite et que celle-ci n’a jamais été expérimentée. »
L e bolchevisme s’appuie sur l’aristocratie paysanne, sur l'aristo­
cratie ouvrière, sur les fonctionnaires. Ces couches exploitant le
peuple, le bolchevisme exploite le peuple, il est devenu contre-
révolutionnaire dit Pascal.
« Il faut, semble-t-il, l’attaquer par tous les moyens. Mais ce
n’est pas si simple parce qu’il tient de si près à la révolution elle-
même, il se mélange si bien à la révolution qu’il empoisonne et
qu’il tue que chaque coup porté contre lui frappe aussi la révo­
lution. »
Situation « tragique » : Pascal se réfugie de plus en plus dans ses
travaux historiques et ne veut plus entendre parler du bolchevisme.
L e syndicalisme ne le satisfait pas, l’anarchisme indique les buts
et non les moyens, il est à la recherche d’une nouvelle doctrine n\
Peut-être Rosmer et Monatte attribuent-ils simplement cette évo­
lution au caractère de Pascal. Mais cette correspondance leur apporte
des renseignements précis sur la situation en URSS.
Au total, se considèrent-ils comme bien renseignés ? L ’un des
arguments les plus forts qui peuvent leur être opposés est celui-ci.
Coupés de l’ URSS où ils ne vont plus, ils finissent par ne plus
connaître la situation intérieure du pays que par des on-dit, c’est-
à-dire très imparfaitement. Ce serait un thème d’étude fort inté­
ressant que de comparer pied à pied, année par année, la réalité
russe et l’image qu’en donnent les diverses sources de renseigne­
ments parvenant en Europe. En ce qui concerne directement Rosmer,
un « professeur rouge » dont nous ne connaissons pas l’identité,
lui dit un jour : Vous ne connaissez plus l’URSS. Il réplique :
« Mais je suis tout prêt à faire le voyage. Ne me reprochez
pas de ne pas étudier sur place quand c’est vous qui fermez les
portes devant moi. J’enrage assez quand je vois tant de bourgeois
aller maintenant se promener dans l’Union Soviétique, fêtés et choyés
par vous, tandis qu’elle est territoire interdit désormais à des commu­
nistes authentiques ll®. »
Il admet donc qu’il faudrait aller voir sur place comment les choses
se passent. Mais il ajoute qu’il a déjà visité le pays, longuement
et à des postes de responsabilité, qu’il a vu et connu les dirigeants,

115. Pascal, 12-IV et 24-IX-1925.


116. Le Communiste, l-IX-1932.
la révolution prolétarienne 339

’il r e ç o i t sans cesse îa visite de Russes qui le renseignent. Pour


C o n clu re, i l a c e mot très caractéristique de sa démarche intel­
le c t u e lle à la fois prudente e t résolue : «J e peux m’orienter».
Comment s’oriente-t-il ? Que pense-t-il de la situation en URSS ?
XI suit très attentivement les péripéties de la lutte pour le pouvoir.
On sait que la RP publie, en novembre 1926, des extraits du
T e s t a m e n t de Lénine dont Rosmer a été l'un des introducteurs en
France. Il suit l'offensive de la troïka contre Trotsky avec l’attention
que l’on sait. Il a bien senti que la résolution du Comité Central
du 17 janvier 1925 éliminant Trotsky des postes dirigeants était
à la fois le triomphe de la troïka et sa fin : n’ayant plus de raison
d’être, elle allait éclater- C’est frappant, il considère encore en
décembre 1926 rélimination de Zinoviev par le XIV ° congrès comme
une « éclaircie » 117. Eclaircie, il l’admet, de courte durée. Après
la XV® conférence (26 novembre au 3 décembre 1926), le rôle de
Staline lui semble grandir, sans qu’il décèle encore son ascension
décisive. Il voit la main de Staline dans la savante préparation
de la conférence, mais, dans la lutte confuse qui se déroule, il n’aper­
çoit pas le futur vainqueur. On est en décembre 1926, force nous
est donc de constater que, même pour un observateur aussi averti
que lui, l’ascension de Staline n’est pas un fait aussi aveuglant que
nous aurions tendance à le croire. Comme nous connaissons l’issue
du combat, nous l’imaginons d’une clarté totale, mais les contem­
porains n’y voyaient que querelles embrouillées et Rosmer tout
comme les autres. Il ne fait de Staline qu’un élève doué de Zino­
viev :
« L e compte rendu de ces assemblées pourrait être écrit d’avance.
On connaît tous les trucs de Staline — qui furent aussi ceux de
Zinoviev avant la rupture. L a préparation est la partie la plus
importante ; elle est mécanisée comme le reste. Une sorte de dragon
Fafner 118 vomit des gaz asphyxiants, d’épaisses nuées, de la lave
empoisonnée. Quand les adversaires sont hors de combat, il réunit
le congrès ; iî y a des simulacres de débats, avec des simulacres
de critiques faites par des compères. Après quoi on approuve à
l’unanimité une résolution passe-partout où i î suffit de changer
quelques mots pour qu'elle s’applique à tous les cas 119. »
Mais pour ce qui est des tactiques en présence, c’est la confusion.
L ’Opposition Unifiée attaque d’abord à fond puis cesse brusquement
toute critique et reconnaît ses « erreurs ». Rosmer pense que cette
tactique chaotique a une triple origine : l’amalgame avec Zinoviev-
Kamenev fait perdre à Trotsky son mordant et la clarté de ses
positions ; l’Opposition ne veut pas affaiblir le Parti, mais le ren­

117. RP, décembre 26.


118. Dragon que tue Sigurd,'le héros des Nibelungen.
119. RP, décembre 26, art. cit.
340 alfred rosmer

forcer. Elle s’arrête donc dès qu’elle sent que ses critiques dressent
la masse du Parti contre la direction. Enfin, elle craint surtout l’exclu­
sion qui serait la mort politique, il lui faut donc rester dans le Parti
à tout prix et, pour cela, reculer à l’occasion. Du côté de la direction,
les choses ne lui paraissent pas plus claires. Elle accumule les fautes
qui la coupent de la masse du Parti, elle élimine les opposants
au jour le jour. Pour Rosmer, ces convulsions difficiles à suivre
viennent de ce que la direction ne parvient pas à mettre sur pied
une véritable direction collective.
Il s’interroge aussi sur le problème de la stratification sociale
en URSS 12°. La NEP, pense-t-il, était un recul justifié, mais un
recul qu’il faut maintenir dans certaines limites, sans revenir sur
les conquêtes révolutionnaires. C’est pourquoi, 1’ « Enrichissez-vous »
de Boukharine 121 qu’il interprète comme une capitulation devant le
koulak, le choque profondément. Ses correspondants en URSS ont
attiré son attention sur la formation de couches sociales privi­
légiées. Plutôt que d’utiliser directement leurs témoignages, il se
base sur le discours de Zinoviev au X IV e congrès du PC URSS.
Zinoviev y avoue en effet l’existence de couches sociales urbaines
alliées du koulak : Nepman, nouvelle bourgeoisie, couche supérieure
des spécialistes qui deviennent un élément important dans l’éco­
nomie, couche supérieure des 2 millions et demi d’employés, portion
des intellectuels bourgeois. Qu’il y ajoute pour faire bonne mesure
l’entourage capitaliste international ne change rien à l’affaire :
Rosmer considère que Zinoviev avoue lui-même la persistance ou
la naissance de classes privilégiées en URSS. Il relève en outre
qu’il n’a pas voulu de la formule : l’industrie d’Etat, c’est du socia­
lisme. Pourquoi donc ?
« A quelle condition, en effet, n’en serait-elle pas ? Sinon à une
seule ; que le pouvoir ne fût plus aux mains des ouvriers, mais
qu’il eût déjà passé à une nouvelle catégorie de privilégiés dont
on ne nous a, jusqu’à présent, rien dit. S’il y a un PC fort de
l’initiative de tous ses membres, des syndicats vivants et agissants,
des soviets conscients de leur rôle d’organes du pouvoir, il est sûr
que l’industrie d’état, c’est du socialisme. »
Si Rosmer poussait sa pensée dans ce sens, il en viendrait donc
à nier toute vie au PC URSS, aux syndicats, aux soviets, à affirmer
que le pouvoir est aux mains d’une nouvelle classe. Il ne le fait
pas mais incrimine le manque d’initiative ouvrière, l’exécution pas­
sive des ordres. En fait, dit-il, le PC a trop longtemps négligé les
syndicats. Mais il commence à comprendre son erreur et va y
remédier. Cette cassure dans le développement de sa pensée est
caractéristique. En ce début de 1926, tant de choses le rattachent

120. RP, février-26.


121. Boukharine emploie l'expression le 17 avril 1925 dans un discours
à Moscou. Voir sur ce point P. B r o u é , Le parti bolchevique, p. 214-216.
la révolution prolétarienne 341

encore à la révolution russe que, tout en allant déjà très loin dans
sa critique, il est, sur le fond, beaucoup moins radical que certains
de ses amis. Boris Souvarine, par exemple, ouvre sa série d'articles,
Où va la révolution russe122 ? en affirmant l’hostilité irréductible
e n t r e le prolétariat et la bureaucratie :
« Où va la révolution russe ? Elle peut encore se sauver ou se
perdre, selon que le prolétariat réalise la volonté d’une bureaucratie
stérile ou qu'il veuille la briser pour imposer la sienne 123. »
D'ailleurs les articles de Souvarine s’échelonnent d’août à novembre
et pour Rosmer aussi, la fin de 1926 est le temps des grandes
interrogations sur l’URSS. Après ta X V 0 conférence des dputes
sérieux commencent à l’assaillir I2\ Dans son article de décembre
on retrouve très nettement la trace de la correspondance reçue
d’URSS. Après plusieurs mois d:hésitation, il commence à admettre
la véracité de ce que ses correspondants lui ont affirmé. Il énumère
les « vraies questions » : la N E P mène-t-elle la Russie au néo­
capitalisme ou au socialisme ? L a résurrection du koulak est-elle
un mythe ou une réalité ? Où en est l'industrie d'état par rapport
à l’industrie privée ? L a nouvelle bourgeoisie, issue de la N EP,
est-elle contrôlée par le Parti ou, au contraire fait-elle pression
sur le Parti ? Pour y répondre, il se dit mal renseigné : les polé­
miques entre dirigeants ne sont guère éclairantes et les informations
que donne R ik o v 121 sont tout juste bonnes pour des pionniers
naïfs. Il n’a plus confiance dans les informations que diffuse la
direction du Parti car elle ne représente plus l'ensemble du Parti.
A cela s’ajoute l’attachement sentimental persistant pour la révo­
lution russe :
« On craint toujours de se laisser emporter trop loin par la
critique. Dès qu'une lueur paraît, on la salue [...]• Mais on est tôt
ramené dans la nuit toujours plus sombre. »
Jusqu’à Boukharine, l’homme qui n’avait pourtant pas cessé de
discuter Lénine (en 1918, à propos de Brest-Litovsk ; en 1920,
pendant la discussion syndicale) qui prêche le silence dans les
rangs ! Tant et si bien qu’en décembre 1926, Rosmer écrit pour
la RP les phrases décisives sur
« [...] Une direction qui, sur la question fondamentale, ne s’est pas
seulement trompée, mais a nettement aiguillé la révolution russe sur
la voie qui tourne le dos au communisme ».

122. RP, V III et X-XI-1926.


123. Article d’août.
124. RP., décembre 1926.
125. Alexis Rikov (1881-1938), bolchevik dès 1903, est membre du
Bureau Politique depuis 1923. Il fait partie de la Droite et sera éliminé
avec elle en 1929. Une autocritique ne l’empêche pas d’être exécuté à
l’issue du 2e procès de Moscou.
342 alfred rosmer

L a poursuite d’une politique de N E P mal contrôlée, le slogan du


socialisme dans un seul pays, sont adaptés à l'existence et à la
pression d’une nouvelle bourgeoisie dont l'existence ne fait plus
pour lui aucun doute (il concède toutefois qu’on peut en discuter
l'importance). La nouvelle orientation de la politique étrangère de
l'URSS en est l’expression éclatante : concessions au capital étranger
à l’intérieur de l’URSS, missions commerciales dans nombre de pays,
négociations avec Hindenburg, bonnes relations avec Kemal qui
a pourtant mis le communisme hors la loi. Avec une telle poli­
tique extérieure, Rosmer se refuse à croire que l’URSS ait entrepris
la construction du socialisme, encore moins du communisme à
l'intérieur. Que se passe-t-il donc ? Dès que Lénine s’est aperçu
que les prolétariats occidentaux ne suivaient pas l’exemple russe,
il a lancé la N E P et une politique de concessions. Dans ce cadre,
il n’y avait déjà place que pour des « réalisations socialistes » de
portée limitée. Mais en 1926, il n’y a plus de « réalisations socia­
listes » du tout. Il y aurait plutôt renaissance de l’esprit capitaliste.
Bien des faits en témoignent : assoupissement ouvrier qui suit
l’amélioration des conditions de vie, rétablissement du monopole de
l’alcool, regain du banditisme, poussée d’antisémitisme enfin que
dénonce d'ailleurs la direction du Parti. La bourgeoisie internationale
ne s’y trompe pas et elle change d’avis par rapport aux bolcheviks.
Rosmer relève dans la presse toute une série de prises de position
caractéristiques à cet égard, notamment celle du Temps qui, expo­
sant la discussion russe, soutient Stalinelï0. Louzon de son côté
cite Ulnfcn-motion du 4 novembre 1926m. L a Bourse accueille
favorablement la victoire de Staline :
« L ’ambiance qui entoure le groupe russe paraît décidément modi­
fiée. C ’est que les nouvelles reçues chaque jour du pays des Soviets
viennent renforcer l’impression d’une évolution sensible dans les
méthodes de gouvernement. Les fonds traités à terme sont en gain
de 0,40 à 2 francs ; ceux qui ne se traitent qu’au comptant com­
mencent aussi à attirer l’attention. »

126. Effectivement, l’éditorial du 21-X-1926, commentant la victoire


de la « politique réformiste de M. Staline » sur l'« opposition révolution­
naire « des exclus Trotsky, Kamenev, Zinoviev, ajoute que c’est une vic­
toire des réalistes sur les idéalistes. Sans doute les « opportunistes » vain­
queurs resteront-ils foncièrement révolutionnaires, mais leur victoire
« crée des possibilités d’évolution pour l’avenir », favorisera une évolu­
tion « dans le sens de la conciliation ». L ’éditorialiste prévoit un règle­
ment du problème des dettes russes et, si les dirigeants russes parviennent
à se dégager de la tutelle du Comité Exécutif de 1TC, l’abandon de la
propagande révolutionnaire à l'extérieur.
127. RP, décembre 1926, Il s’agit de L ?Information, édition écono­
mique et financière. Ce journal essentiellement boursier suit de très près
l’évolution des valeurs russes, donnant ainsi une idée de l’opinion bour­
sière face aux péripéties en URSS.
la révolution prolétarienne 343

Arrêt ou recul de la révolution en Russie sous la pression d'une


nouvelle bourgeoisie, changement d’attitude de la bourgeoisie inter­
nationale, Rosmer qui ne veut pas rompre encore avec la révolution
russe se montre extrêmement inquiet en décembre 1926 :
« La direction de Staline et de ses amis nous inquiète parce
qu’elle disperse au lieu de rassembler, parce qu’elle supprime la
discussion, éloigne les congrès, bâillonne les ouvriers russes. Elle
au ra toujours des thuriféraires qui ne manqueront jamais de l’aider
à se tromper. Nous croyons nos critiques plus utiles ; ce sont des
critiques d’amis fidèles de la révolution russe IZ8. »
Les critiques de Rosmer sont-elles amicales ou inamicales ? En
attendant que la réalité russe en ces années soit mieux connue
__et même après sans doute — chacun en jugera selon ses propres
options qui ne sont pas forcément historiques. Ce sont les réactions
des contemporains de Rosmer qui nous importent ici. Notons qu’en
général ils jugent globalement la RP plutôt qu’ils ne distinguent
l’apport de tel ou tel de ses collaborateurs.
Du côté des amis, ce sont des approbations mitigées qui viennent
de Russie. Victor Serge reste vague, il approuve, mais pas to u t129.
Pascal demande une critique plus radicale 13<1. Il a de la sympathie
po,ur les rédacteurs et pour la revue parce qu’elle est la seule à
exprimer une pensée indépendante avec les revues anarchistes, mais
il regrette sa coloration trotskyste. Il lui reproche surtout de ne
pas exposer clairement ses positions : il faut les deviner au détour
des phrases. Son attitude exclusivement négative, les coups de
griffes personnels qu'on y trouve ne sont pas compensés par des
propositions concrètes et nul ne peut se sentir attiré. La revue
commet donc les mêmes erreurs que l’opposition russe. Il faudrait
aller plus loin, remettre en cause le bolchevisme lui-même. L ’ano­
nyme de Moscou leur reproche au contraire d’aller trop loin 131 :
ils ne comprennent pas le rôle du Parti, le contenu de la revue
fournit a posteriori une justification idéologique à leur exclusion :
« Pour le communiste, la R P cesse d’être défendable. » Leur erreur
est de ne pas comprendre que l’IC ne peut être redressée que de
l'intérieur.
De son côté, le P C F ne ménage pas les condamnations. Treint
se charge d’étoufîer dans l’œuf toute spéculation sur leur éventuel
retour au PC. Humbert-Droz, pourtant secrétaire de l’IC, publie-t-il
dans les Cahiers du Bolchevisme 132 un article sur les trois qui fait
une allusion discrète à Serrati ? Il s’attire une réplique cinglante
de Treint :

128. RP, décembre 1926, art. cit.


129. Lettre du 8-V-1925.
130. Lettre du 12-IV-1925.
131. Lettre du 28-VIII-1925.
132. 23-1-25.

rM TTiiw ni—
344 alfred rosmer

« [...] Cela donne l’impression que l’Internationale veut travailler '


à les regagner. C ’est également l’impression que veut donner notre
Droite. Or cette impression ne repose sur rien. »
D ’autant que Serrati avait un Parti derrière lui tandis que les
trois sont isolés13S. L ’essentiel des attaques contre eux se trouve
dans les Cahiers du Bolchevisme. Signalons un article de Loriot
et une série de remarques de Ferrât, Pickel et Treint : « La contre-
révolution au travail dans le n° 7 de la R P 1SS. » Les Cahiers du
Bolchevisme font maintenant allusion aux origines personnelles de
la querelle, mais en les inversant. C’est parce qu'ils en voulaient
personnellement à Treint que les 3 se sont rapprochés de l’oppo­
sition russe, ils sont ainsi devenus une variante du trotskysme,
variante qui nie pourtant l’importance politique de la discussion
russe et ne voit pas l'utilité d’en débattre au PC F. Ktaclec ajoute
plus durement138 : ce sont des chefs qui n'ont pas su redevenir
des soldats du rang. En ce qui concerne leur position par rapport
au mouvement communiste international, Humbert-Droz se montre
hésitant. Pas Treint qui les accuse d’être un élément du bloc inter­
national des Droites qui caricature la bolchevisation. A vec « le soit-
disant communiste Souvarine », Louzon et Dunois, les trois forment
la Droite française. L e Comité Central du Parti leur adjoint bientôt
Loriot, accusé de mener dans le Parti une action semblable à celle
que les trois mènent au-dehors X37. Us sont « passés à l’ennem i».
Humbert-Droz le dit d’un ton quelque peu désabusé : « Sont-ils
à Droite ou à Gauche du Parti ?... Sûrement dans le large front
uni de la contre-révolution. » L e contenu de leur revue les range
auprès des réformistes du Quotidien ou du Peuple, des anarchistes
du Libertaire. Pour Pikel, « l e Rubicon est franchi Toute la
canaille mencheviste internationale recevra triomphalement ses fils
prodigues » . Herclet se montre plus prudent dans son analyse de
leur position subjective et objective138 : ils sont sur la pente savonnée.
Comme on ne peut combattre le peuple sans servir la bourgeoisie,
ils vont vers la contre-révolution, ils font de l'action contre-révolu-
tionnaire. Qu'ils la fassent « honnêtement » ou non n’est d’aucun
intérêt. Leur revue enfin est considérée comme nettement anti­
communiste. L ’analyse du contenu de la R P est menée dans les
articles déjà cités auxquels il faut ajouter une contribution de
F errâ t1SB. Contre le PC F, la R P accumule les « petites cochon­

133. CB, 6-II-25.


134. A la veille du congrès de Paris. Les questions de la vie du Parti,
CB, 16-1-25.
135. CB, 15-VIII-25.
136. VO, ll-IX-25.
137. CB, l-VUI-25. La lutte.contre la Droite.
138. Art. cit.
139. CB, 15-V-25. « La base politique de la Droite dans le Parti fran­
çais. » André Morel, dit Ferrât, né en 1901, est fils d’ingénieur. Il entre
la révolution prolétarienne 345

neries » (Ferrât). E lle insère toutes les lettres qui peuvent nuire au
parti et en invente au besoin (Treint). Au-delà du PCF, c'est l’idée
même du Parti qui est remise en cause dans la RP. L a preuve,
(jit Ferrât, c’est qu’on y porte au pinacle un drame d’Eric Musham,
Judas, qui ne dit mot du P a rti140. Pour Pickel, les rédacteurs de
la BP
< [...] Ont la nostalgie de la discordance idéologique, de la dualité
clans le Parti, de la transformation de ce dernier en une par­
lote
Gètte attitude négative à l’égard du Parti est l’expression d’une
régression théorique et pratique, d’un recul vers le syndicalisme
révolutionnaire, formule pourtant dépassée. Cette régression est
d ’a u ta n t plus dangereuse qu’elle peut s’étendre dans le mouvement
s y n d ic a l français et international. C ’est bien pour cela qu’Herclet
insiste dans l a VO . Si la R P est finalement plus dangereuse que le
Peuple, c’est parce qu’elle «je tt e le doute et le scepticisme dans
nos organisations » syndicales.
La contre-offensive anti-syndicaliste révolutionnaire sur le plan
français est doublée par une contre-offensive théorique à l’usage
international. Préobrajenski consacre en 1925142 un important article
critique au syndicalisme révolutionnaire. N é de la réaction contre
les systèmes politiques — notamment le blanquisme — qui sem­
blaient avoir échoué avec la Commune et contre le réformisme
social-démocrate, le syndicalisme révolutionnaire, d’après Préobra-
jenski, peut se résumer en huit points :

au PCF en 1922. En 1929, il est membre du Bureau Politique. Délégué à


Moscou en 1931-32, responsable politique de UHumanité de 32 à 34,
chargé des questions coloniales de 34 à 36, il est, dès 33, en désaccord
avec l’IC et regroupe des amis, notamment Kagan et Lenoir, dans les
groupes et autour de la revue Que Paire ? En 1936, ses désaccords
deviennent de plus en plus nets, notamment sur la politique de Front
Populaire. Il est déchargé de ses responsabilités puis exclu. En 1938, il
est à la gauche de la SFIO et participe à la résistance dans le groupe
Franc-Tireur.
140. Eric Musham, né en 1878 à Berlin, mort dans un camp de
concentration en 1934, avait été condamné à 15 ans de forteresse pour
sa participation à la révolution de Bavière. Il est amnistié en 1925. C’est
en 1920, en prison, qu’il écrit son Judas, un drame de la révolution alle­
mande,.
141. Art cit.
142. Vestnik Kommunisticeskoï Akademii (Messager de l’Académie
Communiste), N° 13, 1925, p. 3-33. Traduction envoyée par Pascal à
Monatte. Eugène Préobrajenski (1886-1938), théoricien économiste,
membre du Comité Central du PC URSS de 17 à 20, avait pris parti
pour Trotsky dans la discussion syndicale. Après 1926, il est l’un des
dirigeants de l'Opposition Unifiée. Exclu du Parti en 1929, réintégré, il
disparaît finalement après avoir été mis en cause au 2e procès de Moscou.
346 alfred rosmer

1. Anéantissement du capitalisme qui laissera la place à une


société reposant sur l’initiative de syndicats autonomes, sur le très
large développement des forces productives.
2. Seule une lutte de classes acharnée en finira avec le capi­
talisme. Il est inutile de tenter d’utiliser les rouages d’un état bour­
geois qui doit être brisé et non réformé,
S. Les combats de barricade étant voués à l’échec, le moyen de
la révolution est la Grève Générale qui permet à la classe ouvrière
de réaliser toute sa puissance en tant que classe productrice.
4. La classe ouvrière ne doit pas participer aux luttes du socialisme
parlementaire qui ne sont en fait que des querelles de famille à
l’intérieur de la bourgeoisie.
5. L ’antimilitarisme et l’antipatriotisme font partie de la lutte
ouvrière.
6. Qu’il se déclare néo-marxiste avec Sorel ou syndicaliste-marxiste
avec Olivetti, le syndicalisme révolutionnaire veut conserver tout
ce qu’il y a de révolutionnaire dans Marx, rejeter les déformations
opportunistes du socialisme parlementaire, compléter Marx et le
corriger en l’alliant à Proudhon d’une part, aux enseignements tirés
de la lutte ouvrière concrète de l’autre.
7. La société future sera régie par la libre coopération des
syndicats.
8. Presque tous les syndicalistes révolutionnaires, sauf le théo­
ricien italien Leone, ne voient pas l’utilité d’une période de tran­
sition du capitalisme au socialisme et d’un gouvernement transi­
toire.
Il ne s’agit pas ici d’examiner si ce résumé en huit points exprime
l’essence du syndicalisme révolutionnaire. Ce qui nous intéresse, c’est
la partie critique de l’exposé de Préobrajenski. Certes, admet-il, les
syndicalistes révolutionnaires reconnaissent comme juste la théorie
marxiste de la destruction de l’état bourgeois, mais ils se trompent
en ce qui concerne la lutte politique et parlementaire :
« La fausseté des positions syndicalistes dans la question de la
lutte politique en général et de la dictature du prolétariat en
• particulier est prouvée par l’expérience de la révolution russe. »
S’il est évident que la grève a un rôle organisateur, que l’idée
de Grève Générale lancée par l’intellectuel Pelloutier est un moyen
plus facile que l’insurrection blanquiste ou communaliste, cette
idée est un recul par rapport à Marx. L a Grève Générale est un
mythe. Tout en admettant l'existence d’une élite ouvrière, les syndi­
calistes nient l’utilité du Parti. Leur position critique sur la dicta­
ture du prolétariat a été réfutée par l’histoire. Abordant enfin le
problème de la « création d’une nouvelle aristocratie sous la dicta­
ture du prolétariat » dont parlent les syndicalistes, Préobrajenski
ne nie pas la possibilité théorique de cette évolution, mais il en
la révolution prolétarienne 347

nie la réalité en URSS, Cette nouvelle aristocratie ne pourrait 5e


développer que si le socialisme s’étendait sur un rythme lent. Or
ce n'est pas le cas. Sans doute, il y a dans le prolétariat russe
des éléments plus conscients qui sont aux postes de direction. Mais
si les syndicalistes les prennent pour une nouvelle aristocratie, c'est
parce qu’ils n’ont pas entamé la réflexion sur les problèmes de la
période de transition. Comme ils imaginent une mutation subite
du capitalisme au socialisme, il leur faut soit attendre la matu­
ration du prolétariat au sein du capitalisme, donc deux siècles de
réformisme, soit surestimer le prolétariat existant. Ils tombent alter­
nativement dans l'une et dans l’autre erreur. Par ailleurs, si leur
ligne était juste en ce qui concerne I’antimilitarisme, la critique de
la IP Internationale, l’accueil fait â la révolution russe, ils se trompent
actuellement. Préobrajenski termine sur une allusion directe aux
événements concrets, à l’affaire de la RP :
« Au lieu d’attaquer le réformisme des intellectuels, ils ont attaqué
les intellectuels comme tels et leur rôle dirigeant dans le mouvement
ouvrier, masquant seulement par là leur propre candidature à ce
poste. »
Par ailleurs, dans le PCF, le mouvement de condamnation de
la RP continue à s’étendre de proche en proche. L a RP ayant
fait état de difficultés dans le Parti à Lyon, le rayon de Lyon,
après avoir affirmé que personne n’est menacé d’exclusion dans
son ressort, condamne la RP comme contre-révolutionnaire. La
condamnation a été obtenue à l’unanimité moins une abstention.
L’abstention n’a pas été provoquée par la condamnation elle-même,
mais par les détails de la motion M3. Toutes les droites sont visées :
!a cellule 362 demande des sanctions contre Loriot et ses amis,
Lepape, de la région du Nord, condamne les thèses de la Droite,
de Paz et de ses partisans 141. Comme, selon certains bruits, le PC
belge désapprouverait l'attitude du PC F, le Comité Central belge
vote (14 voix contre 1 et 3 abstentions) une motion que cite
Trein t1,5 :
« L e Comité Central du PC belge condamne, d’une façon nette
et catégorique, la R P comme organe anticommuniste dans la ligne
politique et contre-révolutionnaire dans son action et sa campagne
contre ITC et la révolution russe.
Déclare n’entretenir aucun rapport avec le groupe de la RP,
formé après l’exclusion de Rosmer, Monatte et consorts du PCF. »
Enfin, lTntemationale Communiste prononce sa condamnation,
ses condamnations plutôt, ce qui montre bien l’importance persis-
f. tante qu’elle attache à la question. Au V I19 Plénum (17 février au

i
348 alfred rosmer

15 mars 1926) Thorez complète le rapport introductif de Zino­


viev. Deux exemples illustrent le danger que représente l’activité
fractionnelle de la Droite au sein du PCF. L e député communiste
de Seine-Inférieure, Gauthier, ne fait pas le travail du Parti, mais
diffuse en province le Bulletin Communiste de Souvarine et la RP.
Il récolte des signatures pour les lettres de la Droite. Engler, inter­
rogé dans une cellule ou un rayon, refuse de prendre position et
renvoie les camarades à la lecture de... la RP et du Bulletin Commu­
niste. Il faut donc agir énergiquement contre la Droite, tout en
faisant les distinctions nécessaires :
« Nous ferons la distinction entre ceux qui dirigent l'activité
de la fraction de Droite et les ouvriers mécontents qu’elle a pu
conquérir momentanément. »
Dans son discours de clôture, Zinoviev craint qu’un nouveau Parti
ne se forme autour de Souvarine et accuse Rosmer et Monatte
d’être plus dangereux encore car ils risquent de faire rétrograder
le mouvement sur des positions syndicalistes révolutionnaires. Les
décisions finales du Plénum sont soigneusement balancées pour
répondre aux distinctions demandées par Thorez : condamnation des
Droites, améliorations concrètes dans la vie du Parti. Au premier volet
correspondent le rappel à la discipline et le refus de réintégrer le
« liquidateur » Souvarine et le groupe de la RP. Outre les théories
économiques erronées de Louzon que ce groupe répand, il sabote
l’action du Parti dans un secteur-clé, le secteur prolétarien des
cadres syndicaux et des militants syndicalistes. Ses membres « s’ effor­
cent de diminuer ou de nier le rôle du Parti pour faire revivre
le vieux syndicalisme de la Charte d’Amiens ». Ces syndicalistes-
communistes, utiles en 1922 quand ils allaient du syndicalisme
au communisme, deviennent inutiles et dangereux quand ils font
le chemin inverse. I l y a encore des voix dans l'Internationale,
celle de Bordiga en particulier, pour affirmer que les fractions
ne sont pas un mal en soi, du moins celles qui ne sont pas susci­
tées par la bourgeoisie ou issues de rivalités personnelles, qu’elles
sont le signe d’un malaise et de la nécessité de remédier à ce
malaise. Bordiga en vient à dire que Rosmer et Monatte se trompent,
mais que 1TC est responsable de leur erreur. En fait ïa question
est dépassée sous cette forme parce que Rosmer, Monatte, Souva­
rine agissent concrètement contre le Parti tant par leurs revues
que par leurs liaisons avec l'opposition de Droite interne (les 250).
Les exclus resteront exclus, la Droite qui appartient encore au Parti
est invitée à se désolidariser d’eux. Concrètement, on s’efforce
d’améliorer le travail du Parti. I l devra à l’avenir pratiquer une
politique juste et éviter

146. Correspondance Internationale, 19-111 au 25-V-26. On trouvera


aussi les résultats et les résolutions du Plénum dans J. Degras, Op. cit.,
t. I, p. 246 et 280-81.
la révolution prolétarienne 349

« Les erreurs tactiques gauchistes qui ont permis à la fausse idéologie


<3e la Droite de se développer parmi les mécontents au sein du
Parti ».
On établira dans le Parti « un régime de démocratie interne qui
fasse disparaître jusqu’à la base les méthodes de direction autori­
taires et mécaniques ». On s’efforcera enfin d’établir une ligne syndi­
cale active et cohérente.
Au Plénum suivant (21 novembre - 16 décembre 1926), le pro­
blème n'a guère évo lu é1” . Semard déclare que le Bulletin Commu­
niste n’est guère lu par les syndicalistes qui s’intéressent plus faci­
lement à la RP. C ’est donc elle qui représente le plus gros danger.
L e danger serait accru s’il y avait conjonction des deux tendances :
« [...] Si chaque semaine paraît [dans la R P ] un article de Souva­
rine du genre de celui paru dans le dernier numéro, il est évident
que cette besogne est beaucoup plus dangereuse que celle faite par
Souvarine précédem m ent14S. »
L a résolution finale du Plénum condamne la RP, « organe dirigé
par ïe groupe Monatte-Rosmer [...] auquel collabore Souvarine »
et interdit aux communistes toute collaboration à cette revue ainsi
qu’à celle de Souvarine.

L a fin de 1926 et le début de 1927 sont donc des dates char­


nières dans les évolutions respectives des exclus et de l'organi­
sation communiste internationale. Les uns ne sentent pas encore
l’ascension de Staline mais commencent, avec des nuances, à
se poser les questions décisives. Pascal en est à la dégénérescence
social-démocrate du Parti bolchevik, Souvarine à la lutte nécessaire
du prolétariat russe contre la bureaucratie, Rosmer admet l’existence
de nouvelles couches privilégiées, affirme que la direction du PC
URSS et de l’IC tourne le dos au communisme, mais conserve encore
de l’espoir. Il s’est déclaré, avec Monatte, syndicaliste-communiste,
c’en est assez pour l’IC qui condamne sa régression syndicaliste-
révolutionnaire et le classe dans les rangs de la contre-révolution,
de l’anticommunisme.
Anticommuniste ou communiste critique ? L a question est mal
posée. Il est évident que ses amis et lui rejettent dans leurs aspects
russes et internationaux le système zinovieviste et la bolchevisation
telle qu’elle est pratiquée de 24 à 26. Ceux qui considèrent que
ce zinovievisme et cette bolchevisation sont partie intégrante du
communisme, les taxeront sans hésiter d’anticommunisme. Pour ceux
qui n’y voient que des accidents de parcours regrettables et néfastes,
ils seront plutôt des communistes critiques.

147. Correspondance Internationale, 4-1 au 20-11-27. Le discours de


Semard dans le N ° du 15-11.
148. Art. cit., « Où va la révolution russe ? ».
2

19 28 -1933. L ’Opposition de gauche

Vers 1927-1928, la collaboration de Rosmer à la Révolution Prolé­


tarienne s’espace puis s’arrête complètement. Les rapports entre
Monatte et lui se distendent. Il n’y a pas de querelle personnelle
mais une divergence d’ordre politique. Les deux hommes ne militent
plus dans les mêmes milieux parce que leurs analyses politiques
sont différentes. En fait, tandis que Monatte retourne à l’action syndi­
caliste, Rosmer qui a, malgré ses déboires, gardé son attachement
à l’idée de Parti, retourne à l’action proprement politique dès que
l’exil de Trotsky lui en fournit l’occasion.
En octobre 1925, nous l’avons dit, Monatte n’avait pas accepté
la fondation d’une Ligue Syndicaliste dont il ne voyait pas l’utilité.
En mars 1926, ses positions se sont modifiées. L a R P publie le
manifeste Pourquoi ce malaise ? signé par des militants de la CGT
et de la C G TU , notamment par Chambelland. En mai, les signa­
taires du manifeste de mars fondent une Ligue Syndicaliste et
Monatte se joint immédiatement à çux. En juillet, la RP publie
un document théorique, Ce qu’est, ce que veut la Ligue Syndicaliste.
D e numéro en numéro, le texte s’étoffe et se modifie. En juillet
1927, il trouve sa forme définitive :
« La L igu e Syndicaliste se propose :
1) D e travailler à la réalisation de l’unité syndicale, à la recons­
titution d’une seule C G T et d’une seule Internationale Syndicale.
2) D e sortir les deux CGT, l’une de l’ornière de la collaboration
gouvernementale, l’autre de l’ornière de la collaboration politique,
pour les ramener dans la voie de l’indépendance syndicale hors de
laquelle l’unité est impossible.
ropposition de gauche 351

S) De faire prédominer dans les syndicats l’esprit de classe sur


l’ e s p r itde tendance, de secte ou de Parti, afin de réaliser dès main­
tenant le maximum d’action commune contre le patronat et contre
l’Etat.
4) D e participer à l’œuvre d’éducation syndicale en procédant à
l’ e x a m e n des problèmes pratiques et théoriques posés devant le
m 0 u v e m e n t ouvrier, et en préconisant la formation de Cercles
d’Etudes Syndicalistes.
5) De maintenir vivant le précepte de la I 1C Internationale d’après
lequel l’émancipation des travailleurs ne sera l’œuvre que des tra­
vailleurs eux-mêmes. »
Jl est inutile d’insister sur la tonalité syndicaliste-révolutionnaire
de ce texte. Incontestablement Monatte, déçu par son expérience
du Parti, retourne au syndicalisme.
Rosmer ne rompt par les ponts : il fait des causeries dans les
premiers Groupes d’Etudes que la Ligue Syndicaliste a mis en place.
En juillet 1926, il parle du mouvement ouvrier anglais devant le
Groupe d’Etudes et d’Action Syndicale des Métallurgistes de la
Région Parisienne \ En décembre 1926, il fait une conférence sur
la grève générale anglaise lors d’une réunion de la Ligue Syndi­
caliste s. Mais, en fait, ce milieu de l’action syndicaliste n’est plus
pour lui essentiel depuis 1920. Il ne le redevient pas. C’est vers
Trotsky qu’il penche.
Il nous semble important d’insister sur certaines données chrono­
logiques. En effet, c’est par paliers, par étapes que Trotsky recule
dans la hiérarchie du PC URSS et de l’IC. En janvier 1925, il
démissionne du commissariat à la guerre. En octobre 26, il est
exclu du Bureau Politique du Parti. En octobre 27, il est exclu
du Comité Central du Parti et du Comité Exécutif de l’IC. En
novembre 27, il est exclu du Parti. En janvier 28, il est exilé à
Alma-Ata. En février 29, il est expulsé d’URSS. En même temps
se renforce le pouvoir de Staline. Il faut noter le rythme somme
toute assez lent de cette double évolution qui se déroule sur quatre
ans. Ce rythme lent commande la lenteur du développement de
l’antistalinisme chez les militants français, notamment chez Rosmer
et Monatte. Monatte en témoigne d’ailleurs :
« Notre antistalinisme s’est formé peu à peu avec le déroulement
des faits. I l est aussi ferme et solide parce qu’il a mis beaucoup
de temps à se former et à se renforcer 3. »
L ’antistalinisme de Rosmer se forge, lui aussi, par étapes. Lon g­
temps, Staline ne lui a pas paru digne de beaucoup d’attention.
S’il ne le cite pratiquement pas dans M oscou sous Lénine, c’est,

1. RP, juin 26.


2. RP, décembre 26.
3. RP, avril 53, « Carnets du Sauvage j>.
352 alfred rosmer

dit-il, qu’il n’a guère pris part aux débats lors de son séjour à$s«
Moscou 4. On ne lui en a dit qu'un mot : « Staline ? Une poigne 5 ^
un ignorant mais une poigne 5. » En 1924, on l'a vu, c est Z in o v ie v ^
et non Staline qu’il rend responsable de la bolchevisation et dé
son exclusion. En 1926 encore, il porte sur Staline un jugement -
balancé : 1
« Staline est un homme d'une autre trempe [que Zinoviev et f :--
Kamenev]. C ’est un révolutionnaire de tempérament et de volonté.
Peu connu hors de Russie, il connaît mal lui-même ce qui se passe *
hors de Russie. 11 est un des rares militants russes qui ne parlent t.
aucune langue étrangère. Cela trace des limites à son activité qui :
s’exerce surtout au sein du Parti russe. Il est trop manœuvrier ■ \
et trop homme de l ’appareil pour que sa politique soit de nature \
à nous rassurer, maie cela ne doit pac nous empêche* de îecon- g.
naître qu’il a parlé [...] le langage d’un homme conscient des néces- |
sites de l’heure présente et soucieux de créer une direction collective I
groupant toutes les forces du Parti 6. » |

Les exclusions qui frappent Trotsky en octobre 1927 ont un grand f.


retentissement international, surtout celle qui le prive de sa respon- f
sabilité à l’IC . L e 15 octobre, dans la R P, Monatte affirme que |
la révolution se mutile en frappant ses propres auteurs. L e 15 |
novembre, Louzon titre : Staline I er Consul et affirme que l'exclu- f
sion de Trotsky clôt une phase de la révolution russe. Une autre f
commence. Pour Henriette Roland-Holst7, la « révolution russe est }:
en danger » , les révolutionnaires d'Europe doivent demander la
liberté d’expression pour l’Opposition, l’amnistie pour les révolu­
tionnaires emprisonnés, la suppression de la peine de mort. Elle
démissionnera bientôt du P C hollandais. Monatte s’écrie :
« Les partis communistes, et particulièrement le Parti français,
ne vont-ils pas se jeter entre les fractions russes adverses, et leur i
demander de penser au sort de la Révolution, la défendre contre
elle-même ? »

L a grande fermentation des esprits dans le mouvement révolution­


naire provoque l’apparition de feuilles volantes et de petits jour-

4. Moscou, 298. Dans- « 60 ans d'hérésie », Socialisme et liberté, p.


278, Brupbacher qui a séjourné à Moscou à peu près au moment dit :
« Ce Staline dont, à l’époque de mon séjour à Moscou, on n’entendait
même pas prononcer le nom ».
5. RP, juin 48.
6. RP, février 26.
7. Poète et écrivain, d'abord membre de l’aide gauche du PS hollan­
dais elle a fondé la Ligue Socialiste Révolutionnaire de Hollande. Zimmer-
waldienne de gauche, elle aide Pannekoek à publier Vorbote, elle est
entrée au PC hollandais.
l’opposition de gauche 353

_ aUX Maria Cotton, Delfosse B, D els o l9, Magdeleine M a rx 10 signent


un Appel aux communistes. L ’Opposition de Gauche publie la D écla­
ration des 83 11, les discours de Zinoviev et de Trotsky sur la
r é v o l u t i o n chinoise, annonce la parution prochaine de sa plate­
fo r m e politique. L e Bulletin Communiste publie un numéro double.
Les groupes d’avant-garde communiste du Rhône se donnent un
o r g a n e , le Réveil Communiste. L e P C F réagit : Treint, resté zino-
vieviste, est exclu du Comité Central ; ceux qui soutiennent l'oppo­
sition russe sont menacés de sanctions.
En décembre 1927, Rosmer titre : La révolution russe en danger.
t,a dictature stalinienne et la liquidation du communisme 12. L e
rôle de Staline lui apparaît maintenant en pleine lumière :
« Les ouvriers français laisseront-ils Staline manier tout à son
ïp IrriGlît- rOTnrr.fî Tildes 1g ^ Çfolmû r\\ fnnl* rlîi

sang des ouvriers et paysans chinois, livrés par sottise aux généraux
de la bourgeoisie, pourra-t-il demain faire fusiller les meilleurs
ouvriers de la révolution russe pendant que Boukharine-Guizot lan­
cera de nouveau son *' Enrichissez-vous ! ” ? »
Il ne croît pas aux accusations lancées contre l’Opposition (impri­
merie clandestine, liaison avec Wrangel). Il refuse tout argument
d’autorité, tout rappel aux règles de la discipline du Parti. Il y a
des cas où il ne faut pas se taire :
« [...] Un communiste qui pense que la direction de son Parti se
trompe sur les questions fondamentales, qu’elle met la Révolution
en danger, peut-il accepter d’être bâillonné ? »
On s’en prend aux fractions. Mais les minoritaires de guerre étaient
une fraction dont Lénine faisait partie. Du vivant de Lénine, il y
avait des fractions dans le Parti et nombre de ceux qui les con­
damnent en 27 en ont fait partie. Boukharine était de la fraction
« Guerre Révolutionnaire » à l’époque de Brest-Lxtovsk, Kollontaï
de l’Opposition Ouvrière. I l existe même au Comité Central du
PC URSS une fraction de Droite, le groupe Rikov. Elle soutient
que la révolution est achevée, qu’il faut la remplacer par une démo­
cratie où les paysans dociles contiendront la turbulence ouvrière.
Puisqu’il y a toujours eu et qu’il y a toujours des fractions, Rosmer
ne voit pas pourquoi l’Opposition Unifiée serait pourchassée. Pour
lui, constituer une fraction fait partie de la « légalité communiste ».
En 1928 cependant, Rosmer n’est pas considéré comme trotskyste

8. Des mineurs.
9. Du Gaz.
10. Elle a signé la lettre des 250. Exclue du PCF, elle rejoint le
groupe Contre le Courant. Elle épousera Paz.
11. 83 bolcheviks chevronnés signent en mai 1927 une déclaration
favorable à Trotsky et à Zinoviev.
12. RP, I-XII-27.
354 alfred, rosmer

et ne se considère pas comme tel. En février, le IX e Plénum de


l’IC dénonce l'opposition trotskyste française, les Souvarine et Paz
qui tentent de faire la conquête des renégats Rosmer et Monatte 13.
C’est dire que cette conquête n’est pas encore faite. Rosmer lui-
même affirme : « Je me trouvais [en 1928] en marge de l’Oppo­
sition communiste et ne participais en aucune façon à son acti­
vité 14. » Mais son antistalinisme est en place quand se produit en
février 1929 l’événement décisif, l’expulsion de T rotsk y18. Il est
persuadé que Trotsky risque l’assassinat immédiat par les Russes
blancs et que Staline l’envoie sciemment à la mort. C ’est le sens
d’une lettre collective dont il est un des signataires, lettre qui somme
Barbusse de prendre la défense de Trotsky :
« Quoi que vous choisissiez, l’intervention de la conscience ou
les profits d’une carrière, l’histoire poursuivra son chemin [...].
Demain, après-demain, ce sera tout le prolétariat du monde qui,
d’une voix vengeresse, demandera des comptes à ceux qui auront
fait verser le sang du meilleur chef de la révolution. A ceux aussi
qui, s’étant tus, l’auront laissé mourir le. »
Marguerite, sa femme, se préoccupe immédiatement d’organiser
une garde autour de Trotsky et de lui obtenir un visa pour les USA
ou pour la Grande-Bretagne car Constantinople est peu sûr. Trotsky
y risque soit l’assassinat par les blancs, soit le refoulement vers
l’URSS, prélude à de nouvelles persécutions lT. On voit donc que
pour Rosmer, l’antistalinisme et la défense de Trotsky vont de pair.
C ’est à partir de cette époque qu’il se met à utiliser-le mot « stali­
nien » dans un sens toujours péjoratif.
Trotsky expulsé, Rosmer s’entremet pour placer ses articles dans
la grande presse européenne 18. Il considère cette collaboration à
la presse bourgeoise comme parfaitement légitime puisque Trotsky
emploie l’argent recueilli à l’édition de textes communistes, « à
l’édition russe des écrits de Lénine dont Staline interdit la publi­
cation » , puisqu’il a demandé et obtenu de s’exprimer en toute
liberté 19. Dès que Trotsky a recueilli quelque argent, il offre de
payer un voyage à Prinkipo. Marguerite part et bientôt Rosmer fera
lui aussi le voyage. Le contact est réa b li20.
Trotsky désire regrouper l’opposition selon la tactique de l’Oppo­
sition Unifiée qui date de 1926. La France est pour lui particu-

13. Voir le texte de la résolution du Plénum dans J. D e g r a s , op. cit.,


t. I, pp. 424-427,
14. Lutte Ouvrière, 17-111-1938.
15. Moscou, 298.
16. Contre le Courant, 25-11-1929, « Lettre ouverte à Barbusse ».
17. Archives Mougeot, Marguerite Rosmer à Mougeot, début 1929.
18. I. Deutschjer, op. cit., t. 3, p. 25.
19. AR, Contre le Courant, 22-111-1929.
20. Archives Mougeot, Marguerite Rosmer à Mougeot, 28-IV-31.
l’opposition de gauche 355

Iiè r e m e n t importante car c'est l à qu’il compte l e plus de partisans.


I l e n v i s a g e de rassembler les trotskystes déclarés, leszinovievistes,
le groupe de la R P et de mener des actions d'envergure 2\ Rosmer
est plus qu7à demi sceptique. Une tentative semblable de Piatakov
a v a i t donné peu de résultats quelques années avant. Il n'a aucune

sympathie pour les zinovievistes qui l'ont exclu du Parti et en parti'


culier i l n’a pas pardonné — et ne pardonnera jamais — à Treint.
I ] c o n n a ît les positions syndicalistes de la RP. Quant aux trotskystes,
ils s o n t très peu nombreux ; la flambée trotskyste de 1924 est
éteinte, le P C F a rétabli l'ordre dans ses rangs par des expulsions
ou des isolements. Les grands projets de Trotsky lui paraissent déme­
surés. Vu l'état des forces, des objectifs plus modestes seraient plus
réalistes. Cette réserve irrite d'ailleurs Trotsky. Naville, dans Trotsky
vivant, en témoigne 22. Et Rosmer lui-même le dit plus discrètement
dans son appendice à M a V ie :
« Il [Trotsky] lui arrivait de s’impatienter devant des hésitations,
des prudences aussi étrangères à ses idées qu’à son tempérament23. »
Ces réserves faites, Rosmer s'engage cependant dans l’action trot­
avant tout, semble-t-il, par exigence morale. Sa femme le
s k y s te ,
dit on ne peut plus nettement à Mougeot :
« On va donc essayer de recommencer. Proprement, sans hypo­
crisie, sans mensonge et il faut bien que les honnêtes gens nous
aident, mon cher a m i2<L. »
On va «cristalliser toutes les petites oppositions», lancer un hebdo­
madaire dont Rosmer sera le directeur, le doubler d'un supplément
international, l’ouvrir à tous les oppositionnels, surtout à ceux qui
refusent la bolchevisation. Partout où ce sera possible, on créera
des « groupes d'amis de l’Opposition ». Les signataires de la plate­
forme politique de l'Opposition formeront les premiers noyaux. On
voit donc que Rosmer s'engage. Mais à sa façon.
Pendant ce temps, Trotsky accumule les échecs avec les militants
français. D e ses contacts avec Souravine, il gardera le plus mauvais
souvenir. Les tentatives de rapprochement se terminent par un
échange de lettres plus aigres que douces Zî. La rancune de Trotsky
sera tenace. Plusieurs années après, dans sa correspondance avec
Serge 20, il mettra en cause les difficultés de caractère de Souvarine
qui lui interdisent d’appartenir à aucun groupe et il niera ses

21. I. D e u t s c h e r , ibid., pp. 75 et suiv.


22. Naville donne une initiale transparente : R, II nous a confirmé lors
d’une conversation qu’il s’agissait bien de Rosmer.
23. P. 601.
24. Archives Mougeot, Marguerite Rosmer à Mougeot, début 1929.
25. On trouvera cette correspondance dans J. F r e y m o n d , Contributions
à l’étude du Komintern, pp. 141-212.
26. Archives Serge, Trotsky à Serge, 29-IV-1936.
356 alfred rosmer

capacités politiques : l'esprit de Souvarine, dit-il, est « analytique


et négatif » . Son livre sur Staline n’est qu’une compilation, stérile
sur les plans politiques et théoriques. Du côté de la RP, les avances
de Trotsky ne rencontrent aucun écho : on semble y être défini­
tivement dégoûté des partis. Mêmes difficultés avec les Paz. Ils
publient Contre le Courant et sont considérés comme des sympa­
thisants trotskystes. Dès que Trotsky arrive à Prinkipo, ils font le
voyage. Mais les choses se gâtent. Faute d’avoir pu consulter les
archives personnelLes de Paz, nous devons nous contenter des expli­
cations de la rupture qu’avance Marguerite Rosmer 2r. Tout d’abord,
les prétentions des Paz ont irrité Trotsky r
« [...] II a trop voulu avoir l’air d’être le représentant légal et
unique de l’Opposition, ce qui a déchaîné pas mal de camarades. »
Ensuite, Paz a commis des maladresses tactiques. En avril 1929,
au moment où il aurait fallu être souple pour permettre la jonction
des différents groupes, la rédaction de Contre le Courant publie
un article, « Feu à Gauche », qui envenime les querelles. Enfin,
Paz refuse de transformer sa revue en un hebdomadaire de grande
diffusion. En novembre 1929, les ponts sont définitivement rompus
entre Trotsky et les Paz 28. Trotsky ne décolère plus contre eux.
En 31, il affirme qu’ils voulaient bien qu’on les prenne pour des
révolutionnaires à condition de ne rien faire qui puisse « troubler
leur digestion 24 ». En 36, il dénonce Paz comme
« [.•*] Un bourgeois conservateur, insensible, borné et profondément
repoussant. Si, à un moment donné, il a adhéré à l’Opposition de
Gauche, c'est uniquement parce que cela lui donnait gratuitement
(question pour lui décisive) une certaine auréole et en même temps
ne l’engageait absolument à rien 30 ».

On sait que Trotsky a la dent dure et qu’il est terrible dans la


polémique. Mais tout de même ! Cette colère persistante nous invite
à écouter de plus près les voix des intéressés et à nous reporter
à leurs textes de l’époque 31. Ils affirment être favorables à un regrou­
pement de l’opposition, mais sur une base claire et sur une ligne
politique collectivement établie. Aucune des deux conditions ne
leur paraissent remplies. Ils s’interrogent sur La Vérité. Qui l’a
fondée ? Qui la dirige ? Quel est le comité de rédaction ? L a décla­
ration liminaire était très vague : Quelle est la base politique du
journal ?

27. Archives Mougeot, Lettre à Mougeot citée.


28. Ibid., Paz à Mougeot, 29^X1-1928.
29. Ibid., Trotsky à la Fédération de Charleroi, 28-VL31.
30. Archives Serge, Trotsky à Serge, 29-IV-36.
31. Archives Mougeot, Paz à Mougeot, 29-XI-29 et Contre le Courant,
IX-29. « Lettre ouverte à La Vérité. »
l'opposition de gauche 357

« La Vérité sera-t-elle le journal de l’orthodoxie trotskyste ou


dans l’avenir, être le point de ralliement de l’Opposition
entend-elle,
tout entière 32 ? »
Quant à la discussion sur la ligne politique, ni Rosmer, ni Naville
n’ont voulu l’entamer avec eux. Les Paz refusent donc de recon­
naître La Vérité comme le journal de l’Opposition et poursuivent
leur action autonome.
Si bien qu’en France, Trotsky ne peut s’appuyer que sur Rosmer
__ avec les réserves que nous avons dites — et sur des jeunes
gens d ’un e v in g ta in e d ’ann ées : Pierre et Claude Naville, les frères
M olinier.
Pierre Naville qui est né en 1904, a milité aux Jeunesses et aux
Etudiants communistes. I l est entré au P C F en 1926, est devenu
cû-directeur de Clarté. Membre de l'Opposition de Onnohe. il a
rencontré Trotsky à Moscou en 1927 et s’est fait exclure en 28 ~6.
Claude Naville, né en 1908, est passé, comme son frère, des
Jeunesses au Parti puis à l’Opposition de Gauche 3\
L e plus haut en couleurs des frères Molinier est Raymond. Sorte
d’émule -français' de Parvus, il tente de concilier affairisme et poli­
tique révolutionnaire. N é en 1904, il a hérité d’un cabinet d’affaires
dans le quartier de la République, le dirige avec son frère Henri
et fait des opérations, sinon franchement malhonnêtes, du moins
en bordure de la légalité. En septembre 1924, il a été exclu du
PCF pour trois ans. En 27, il a été condamné pour banqueroute
frauduleuse. En avril 28, il demande et obtient sa réintégration au
PC. Il refuse de faire son service militaire et déserte, ce qui est
contradiction avec les consignes formelles du Parti. Il se présente
de nouveau à la caserne, mais avec un certificat médical le décla­
rant fou et irresponsable, inapte au service. Cette attitude est très
discutée dans le milieu révolutionnaire : d’une part il a utilisé un
moyen « bourgeois » pour se tirer individuellement d’affaire, d’autre
part son certificat de folie lui assure l’impunité devant les tribunaux
et il pourra faire de la démagogie et de la provocation. Enfin,
comme dira Trotsky quelques années plus tard, s’il a les nerfs trop
délicats pour supporter la caserne, il les aura trop délicats pour
supporter la prison et qui ne supporte pas la prison n’est pas un
révolutionnaire. L e 30 novembre 1929, il est de nouveau exclu du
PC et rejoint l’Opposition de Gauche 3S.

32. Contre le courant, art. cit.


33. Il sera l’un des dirigeants du trotskysme français. Il se résigne
très tard à l’entrisme dans la SFIO dont il se fait exclure en 35. Après-
guerre, il milite dans la gauche antistalinienne.
34. Il rompra avec la Ligue Communiste pour former le groupe de la
Gauche Communiste. Il passe ensuite à l’Union Communiste de Marceau
Pivert et meurt en 1935, à 27 ans, dans un sanatorium de Haute-Savoie.
35. Immédiatement ses affaires louches lui sont reprochées. Il se
défend de faire des opérations malhonnêtes et fait remarquer que l’orga-
358 alfred rosmer

L e trotskysme n’est pas réduit à ces seules forces, des groupes


se créent en piovince (Rouen, Marseille, Limoges, le Nord) 3fi.
On décide la création d’un journal plus adapté à l’action politique
quotidienne que La Lutte de Classes qui restera la revue d’édu­
cation et de discussion théorique de l’Opposition. L e premier numéro
de L a Vérité sort le 15 août 1929 et s'ouvre sur un Appel aux
ouvriers révolutionnaires prêt depuis un mois 37. L ’appel est signé
par des militants déjà chevronnés (Rosmer qui fera figure de rédac­
teur en chef, Marthe B ig o t38, Marzet, G ou rget39, Mougeot 40, Char-
bit) et par des jeunes (Jeanne des Pallières 4I, Pierre Frank 42, gérant

nisation profite largement de ses subsides. On parle d’une commission


d’enquête Trotsky-Rosmer-Monatte qui ne se réunit pas. Nous verrons
plus loin quel rôle joue le cas Molinier dans la rupture Rosmer-Trotsky.
Quand Trotsky vient en France en 1933, il s’aperçoit que ces opérations
financières sont suspectes. Il demande à Molinier de laisser les affaires à
son frère Henri pour se consacrer tout entier à la politique. Molinier pro­
met et... continue ses opérations soit directement, soit sous des prête-
noms. Le 6 décembre 1935, il lance à grands frais un journal, La Com­
mune, ce qui lui vaut d’être exclu de l’organisation trotskyste le 29 pour
indiscipline. On lui reprochait en outre d’exercer une pression financière
constante sur l’organisation (corruption des militants, menace de couper
les fonds quand la ligne politique lui déplaît). Quand le groupe de La
Commune se réunifie avec l’organisation trotskyste, son cas est expres­
sément réservé. En juillet 36, le Parti Ouvrier Internationaliste exclut
Molinier pour chantage financier, indiscipline, corruption. En décembre
38, Molinier fait une demande d’adhésion au Parti Socialiste Ouvrier et
Paysan. Une commission d’enquête rejette sa demande et interdit aux
militants tout contact avec lui. Molinier qui a été exclu ou mis à l’écart
par tous les partis révolutionnaires disparaît alors (Archives Marceau
Pivert, 22 AS/2, Rapport de la commission d'enquête du PSOP sur le
cas Molinier).
36. Archives Mougeot, Lettre citée de Marguerite Rosmer à Mougeot.
37. Ibid., 17-VII-29.
38. Marthe Bigot, militante zimmerwaldienne des Instituteurs et du
PS est passée par le PC. Un temps à l'Opposition trotskyste, elle rejoint
ensuite la Ligue Syndicaliste.
39. Pierre Barozine, dit Gourget, membre du PC et de la Fédération
CGTU du Bois a été exclu. Il se séparera de la Ligue Communiste sur la
question de l'Opposition Unitaire et reviendra au PC en 32.
40. Auguste Mougeot (mort en 1961) plâtrier, puis peintre en bâti­
ment, a d'abord été anarchiste. Habitant Longwy, il a facilité en 1920 le
voyage de Clara Zetkin vers Tours. Il adhère au PC puis à la Ligue
Communiste.
41. Jeanne Martin des Pallières, morte en 1961, est d’origine bour­
geoise. Elle a quitté le PCF pour l’Opposition de Gauche. Femme de
Molinier, elle devient l’amie de Léon Sedov, tout en soutenant politique­
ment le groupe Molinier.
42. Pierre Frank, né en 1905, ingénieur, milite dans le syndicat des
produits chimiques. En 1925, il entre au PC, en est exclu en 1929 pour
trotskysme. Il devient — et reste — l’un des dirigeants les plus en vue
l ’opposition de gauche 359

j journal, Sarah M enant43). Ils affirment que la classe ouvrière


f n'a pas besoin des simplifications et des grossissements
a n c a is e
u'on lui propose et qui ne sont que des déformations. Elle n’est
pas mineure, mais majeure. Elle a droit à la vérité :
« Le mouvement ouvrier français a besoin d’une cure de vérité. »

Le nom du journal est ainsi trouvé. En ce qui concerne les fonds,


0n compte sur le dévouement des rédacteurs bénévoles, sur les
« samedis communistes » des administrateurs, sur les souscriptions,
les abonnements, l'effort des « groupes d’amis de l’Opposition ».
On est certain de réussir :
« Un journal qui ne peut recueillir les ressources dont il a besoin
pour vivre, c'est : ou qu'il ne représente pas un mouvement viable,
ou que ceux qui le font ne savent pas exprimer ce mouvement. »

Il nous est difficile d’évaluer le succès du journal. En septembre,


La Vérité affirme qu’un regroupement partiel de l’opposition se
fait autour d’elle, que les militants de province écrivent pour fé li­
citer les Parisiens d'avoir surmonté leurs querelles44. L e 20 sep­
tembre, la rédaction annonce que 4 000 numéros ont été distri­
bués 'J5. En octobre 1929, Rosmer fait état dans une lettre à Mou­
geot *B de progrès réguliers mais lents. Les chiffres qu’il cite sont
bien plus modestes. On vend chaque semaine 10 numéros à Lille,
32 à Rouen, 30 à Limoges, quelques-uns à Lyon et à Saint-Etienne.
C’est un fait que La Vérité ne cesse ses appels angoissés aux
diffuseurs et aux souscripteurs. En novembre 1930, un effort est
instamment demandé, « pour que La Vérité paraisse la semaine
prochaine ».
Comme c’est souvent le cas, la création d’un journal n’est que
le prélude à la création d’une organisation. La Vérité du 22 novembre
1929 donne les premières indications. L ’organisation trotskyste en
France s’appellera Opposition Communiste. L a base a insisté pour
que se fonde un Groupe de la Région Parisienne, la province suivra.
En avril 1930, une nouvelle étape est franchie *7. On fonde la
Ligue Communiste dont le nom est repris de l’organisation trotskyste
US. Elle est dirigée par un Comité Exécutif de 7 membres : Frank,

du trotskysme français et international. Il a été secrétaire de Trotsky en


32-33.
43. Sarah Menant est la femme de Gourget et une amie personnelle
des Rosmer.
44. La Vérité, 13-IX-1929, « La vie du journal ».
45. I b i d 20-IX-1929.
46. Archives Mougeot, Rosmer à Mougeot, 24-X-1929.
47. AR, La Vérité, ll-IV-1930 et La Vérité, 18-IV-1930, « La vie de
l’Opposition ».
360 alfred rosmer

Gourget, Naville, Rosmer, Gérard Rosenthal46, Lévine Obin


Les cotisations sont fixées à 4 francs par mois, 2 francs pour les
membres des Jeunesses et du PC.
Cette dernière disposition peut surprendre. L a tactique préco­
nisée par la Ligue Communiste l’impose. Certains oppositionnels
parviennent à se maintenir dans le Parti, les autres se disent « com­
munistes hors du Parti ». Situation difficile, note Rosmer :
« La tâche d’une opposition qui entend rester communiste est
rude. Elle se trouve prise entre ceux qui, en quittant le Parti,
abandonnent du même coup le communisme et la petite armée des
fonctionnaires aguerris dans la bataille contre ceux qui se refusent
à appliquer servilement les mots d’ordre de la direction. Les coups
pleuvent des deux côtés 91. »
u ÜLUCîàt.J.UlJ pO U i 1 V / p jJ O M U O U CI ctJJctJ.iU.OHUt?! au
P C F le terrain de la lutte communiste et la classe ouvrière :
« C’est pourquoi, partout où les ouvriers vont vers le Parti Com­
muniste, partout où le Parti Communiste entretient des organisations,
nous y sommes aussi. Nous sommes dans le Parti si nous pouvons
y être, nous sommes hors du Parti si on nous exclut, mais de
toutes façons, nous restons là où sont les ouvriers révolutionnaires.
Cela veut dire aussi que là où le Parti n’est pas, là où le Parti a
disparu sous le discrédit, nous devons aussi exister. Nous ne vivons
pas en appendice du Parti mais avec la classe ouvrière, qu’elle soit
organisée dans le Parti ou non 52. »
Les trotskystes lutteront au coude à coude avec les ouvriers en
leur montrant au fur et à mesure qu’elles se commettent les erreurs
de la direction du Parti. Ceux d’entre eux: qui sont inscrits au Parti
doivent y rester et former des fractions. D ’autres n’y sont pas :
ils ont été exclus pour leur action révolutionnaire car le P C F est

48. Gérard Rosenthal, avocat, a rejoint le trotskysme avec l’équipe de


La Lutte de Classes, il y milite sous le pseudonyme de Francis Gérard.
En 1927, il se rend à Moscou avec Naville, en 1930, il va à Prinkipo. Il
est, notamment lors des contre-procès de Moscou, l’avocat de Trotsky et
de Léon Sedov. U plaidera dans le procès David Rousset — Les Lettres
Françaises en 1951. Il est l’auteur d’un Mémoire pour la réhabilitation
de Zinoviev.
49. Lévine serait — d’après Pierre Frank — le pseudonyme du trots­
kyste belge Lepâpe.
50. Obin (ou Okum, ou Mill), d’origine polonaise ou ukrainienne, a
émigré en Palestine puis vient en France en 1920. Secrétaire du groupe
de langue Juif de la Ligue Communiste, il est affecté au secrétariat inter­
national de l’Opposition de Gauche. En 1931, il retourne au PC et dis­
paraît en URSS où il s’est rendu (Renseignements communiqués par P.
Frank).
51. La Vérité, 18-IV-30, « La Vie de l’Opposition ».
52. AR. La Vérité, ll-IV-1930, art. cit.
Vopposition de gauche 361

une « passoire qui retient de moins en moins de substance solide â" »


ou ils ne veulent pas s’y inscrire. Ils formeront des noyaux, surtout
dans les zones comme le Nord, l’Est, le Centre où le Parti est
faible. Ces noyaux mèneront la lutte que devrait mener le Parti.
Sans devenir un second parti, il leur faudra « jeter les bases d’une
saine organisation communiste en F ran ce5* » . L e groupe fondateur
est d’ailleurs prudent en ce qui concerne les perspectives immé­
diates. Il est en effet difficile d’évaluer l’ampleur de la crise du
PCF, or cette crise est un facteur décisif du succès de l’Oppo­
sition. Elle ne peut manquer d’avoir lieu, mais on ne sait ni quand,
ni comment. Quelle influence l’Opposition aura-t-elle ?
« Sur ce point, iî ne faut pas se faire d’illusion, ni dans un sens,
ni dans l’autre. Il ne faut ni jeter le Parti aux orties, ni croire à
à un « redressement ^ magique et im m édiat35. »
Avec des adaptations dues à la conjoncture locale, les trotskystes
des différents pays suivent la même tactique. Sur le plan inter­
national, Trotsky dénonce énergiquement la politique de l’IC et
affirme la nécessité de développer la véritable ligne léniniste de
lTntemationale. Rosmer approuve ses analyses. L ’appel du 15 août
proclame que la persécution des révolutionnaires d’octobre est symp­
tomatique du recul de la révolution en Russie, que les déclarations
fracassantes sur la 3e période de la crise générale du capitalisme
ne parviennent pas à camoufler ce recul. La tactique de ITC est une
« tactique zigzagante, oscillant entre le putsch et l’opportunisme
borné, menant même parfois les deux en même temps ». On a
supprimé les discussions, on a remplacé le droit de critique par
une caricature : l’autocritique. Les opposants sont partout exclus
ou courbent la tête tandis que passe l’orage. En. 32, Rosmer ajoute
que TIC et les P C ne font aucun travail sérieux, qu’ils se bornent
à une agitation superficielle 3ft. L ’Opposition internationale base son
action sur les travaux des quatre premiers congrès de l’IC et de
l’Opposition russe, sur la théorie trotskyste de la révolution perma­
nente. Dans ses fragments inédits sur Trotsky Rosmer nous expose
comment il a connu cette théorie et comment il la comprend.
Trotsky lui en a parlé à Paris, dès la première guerre, et la théorie
du socialisme dans un seul pays relance la question. Rosmer voit
deux aspects à la révolution permanente. Dans les pays à dévelop­
pement bourgeois retardataire (pays coloniaux et semi-coloniaux
comme la Russie en 1917), la révolution ne peut se faire sans
l’alliance du prolétariat et de la paysannerie contre la bourgeoisie
libérale nationale, sans que l’avant-garde du prolétariat, organisée

53. La Vérité, 15-V III-1929, « Aux ouvriers révolutionnaires ».


54. La Vérité, 18-IV-1930, « La Vie de l’Opposition ».
55. La Vérité, 18-IV-1930, « La vie de l’Opposition ».
56. AR, Le Communiste, l-IX-1932.
57. Archives Rosmer.
362 alfred rosmer

en Parti Communiste, ne dirige politiquement la révolution. Ainsi


la révolution démocratique met en cause la propriété bourgeoise
et se transforme en révolution socialiste. L a révolution devient per­
manente. D ’autre part, comme le système capitaliste unifie écono­
miquement la planète et crée un marché économique mondial où
tout est interdépendant, la révolution dépasse les limites nationales
pour déborder sur la scène internationale. Rosmer approuve ces idées,
mais n’aime guère l’expression même de « révolution permanente »
car ces mots « font considérer Trotsky comme un énergumène, alors
qu’il était hostile à l’activism e». Dans tous les pays, les trotskystes
esquissent des rapprochements. Rosmer échange des lettres avec
les groupes hollandais, italiens, nord-américains. Dans l’été de 1929,
il se rend en Belgique et en Allemagne, mais se trouve partout
devant un morcellement sectaire et des querelles de personnes.
Rien qu’en Allemagne, quatre groupes coexistent à grand peine :
les trotskystes proprement dits, le Leninbund d’Urbahns 58 avec un
journal, Fahne des Kommunismus, la secte minuscule et ultra-gauche
de K. Korsch53, les zinovievistes de Maslow et Ruth Fischer qui
sont les plus nombreux et soutiennent que l’URSS est entrée dans
une phase contre-révolutionnaire et impérialiste. Comment unifier
cette mosaïque B0 ?
Les efforts d’unification se développent parallèlement sur le plan
international, vivement encouragés et appuyés par Trotsky. Il ne
cesse de souligner qu’une Opposition de Gauche repliée dans les
cadres nationaux deviendrait sectaire. Il demande qu’on s’engage
« dans la voie d’une unification internationale de l’Opposition de
Gauche sur la base de l’unité dans les principes61». On pense
tout d’abord à un simple secrétariat international. Puis, les circons­
tances paraissant propices, La Vérité propose en février 1930 la
réunion d’une conférence à Paris. L e 6 avril, des trotskystes alle­
mands, US, belges, espagnols, français, hongrois, italiens, tchécos­
lovaques et juifs se rencontrent. Les groupes autrichiens et russes
ont envoyé un accord écrit. Les groupes mexicains, sud-américains
et chinois n’ont pu être touchés. On peut organiser un vrai Bureau
International autour de Rosmer avec Schachtman (USA) °2, Kurt

58. Urbahns (1890-1947), militant du PC allemand, fonde en 1926,


avec Ruth Fischer et Maslow, l'Opposition allemande. Exclus, ils créent
le Leninbund dont il reste seul dirigeant. Il défend la théorie de l’URSS
capitalisme d’état et est hostile à la défense de l’URSS. Cela lui vaut une
rude controverse avec Trotsky qui le dénonce comme un opposant de
droite.
59. Korsch (1886-1961), exclu du PC allemand en 1926, est à la tête
d’un très petit groupe.
60. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky.
61. Défense de Z’t/RSS et Opposition, p. 58-61.
62. Max Schachtman est, dès le début, membre de l’organisation trots­
kyste US, le Socialist Workers Party et accepte l’entrisme. Opposé à la
l’opposition de gauche 363

Landau (Allemagne), Andrés Nin (Espagne), Markin (pseudonyme


de Léon Sedov, fils de Trotsky). A vrai dire, ce bureau ne fonc­
tio n n e guère car Schachtman rentre aux USA, Nin est arrêté, Léon
Sedov se rend à Prinkipo. On en revient au secrétariat international
avec Pierre Naville, Fuzo (Italie), Mill-Obin. Bientôt, M ill est démas­
q u é comme agent stalinien. En décembre 1 9 3 2 , Trotsky doit com­
pléter le secrétariat en y faisant entrer W e l et Senin Sobolevicius 83.
Mais rien de tout ceci ne fonctionne vraiment car le véritable centre
international du mouvement, c’est Trotsky lui-même.
Les groupes trotskystes connaissent d'ailleurs difficultés sur diffi­
c u lté s et Rosmer les ressent douloureusement. Leur caractère sec­
taire indispose. Les militants de province protestent sans cesse contre
les querelles qui agitent les Parisiens. Mougeot, par exemple, ne
cesse de prêcher l'unité d’action. Mais, même sur une question
très largement humanitaire comme celle des déportations d’oppo­
sants politiques en URSS, il se heurte à des refus. Naville subor­
donne la lutte commune contre les déportations à un accord poli­
tique général entre les groupes 6<L. Mougeot fait en vain le voyage
de Paris et rentre à Longwy ayant perdu toute confiance dans
l’avenir de l’Opposition BS. Trotsky lui-même, pourtant rompu aux
luttes de fractions, s’étonne de la dureté des querelles françaises.
« Vous savez, dit-il à Naville à Prinkipo, jamais je n’ai vu de
luttes fractionnelles comme chez vous. Chez nous il y en a eu
beaucoup. Ce n’était pas toujours doux, non. Mais des querelles
comme chez vous, non, je n’ai jamais vu cela [...]. Ça, c’est extra­
ordinaire. Comment est-ce possible ? Il faut redresser cela [...].
Vous perdez des forces 66. »
Sans doute, le recrutement à la fois trop parisien et trop peu prolé­
tarien des groupes trotskystes explique-t-il en partie cette situation.
Mais si l'on recrute dans ces milieux, c’est d’une part parce que
les rapports sont difficiles avec les militants communistes, d’autre
part parce que le P C F s’efforce d’empêcher les trotskystes de
mordre sur la classe ouvrière. La rupture avec les militants commu­
nistes de la base est en contradiction formelle avec la tactique

défense de l’URSS, il rompt avec Trotsky après le pacte Hitler-Staline et


s'éloigne.
63. Les deux frères ont rejoint l’Opposition de Gauche dès l’exil de
Trotsky à Prinkipo. Us rompent en 33 et, peu avant la prise du pouvoir
par Hitler, ils rejoignent le PC allemand. Les trotskystes les soupçonnent
d’avoir été directement liés au Guépéou. Us reparaissent aux USA après-
guerre et défraient la chronique sous le nom de Sobell dans une affaire
d’espionnage au profit de l’URSS (renseignements communiqués par P.
Frank).
64. Archives Mougeot, Naville à Mougeot, 23-1-1929.
65. Ibid., Mougeot à X, 26-1-1930.
6 6 . Cité par N a v i l l e , Trotsky vivant, pp. 136-137.
364 alfred, rosmer

d'ensemble préconisée par l’Opposition. L e moyen de convaincre


des gens qu’on boude ? Mais en fait, à l'attitude hostile des commu­
nistes à l’égard des trotskystes fait pendant l’attitude hostile des
trotskystes à l’égard des communistes. Dès avril 1929, Madeleine
Paz demande à Mougeot de rompre toutes relations avec les commu­
nistes. Mougeot proteste : à Longwy, les seuls vrais révolutionnaires
sont les militants ou les sympathisants du PC ; si je romps mes
relations avec eux, avec qui ferais-je la révolution 07 ? A son tour,
Marguerite Rosmer lui conseille de mettre dehors les communistes
qui viendraient le voir :
« L a gangrène est trop avancée pour éviter l’ablation Non,
mon cher Mougeot, on ne fera plus rien de sain et de propre
avec les membres responsables du Parti actuel : il est fatalement
appelé à se décomposer chaque jour \in peu plus et à disparaître
Malheureusement ce sera long et le problème, pour nous qui ne
renonçons à rien, est angoissant car nous ne sommes plus jeunes
et chaque année pèse terriblement [...]. A l’heure actuelle, tout
membre du Parti qui a une situation de fonctionnaire, l’a toujours
obtenue ou la garde au prix de compromis, de lâchetés, de mal­
honnêtetés qui ont forcément entamé ou même détruit le plus sou­
vent activité et foi révolutionnaires 6S. »
On ne peut plus travailler avec les communistes parce qu'iis sont
corrompus et les Russes en sont responsables. Marguerite Rosmer
admet qu’il peut y avoir à Longw y des communistes honnêtes,
mais ce n’est pas le cas général. Les éléments vraiment révolu­
tionnaires viendront au nouveau parti quand il aura été fondé. En
attendant, il faut choisir : « C’est nous chasser que d’ouvrir votre
porte aux autres » . Dans ces conditions, Mougeot ne tarde pas à se
sentir isolé. Rosmer consulté, sans prendre nettement parti sur cette
politique de rupture avec les communistes, préconise une ouverture
aussi large que possible. Mougeot parle-t-il d’aller chez les libres-
penseurs ? Pourquoi pas ? I l peut y avoir une bonne influence sur
certains éléments. Il dit aussi nécessaire de soutenir L ’Humanité
qui se trouve en difficultés financières : « Je crois comme toi qu’il
ne faut pas laisser tomber L ’Huma., même faite comme elle est.
C ’est la. même chose avec le P a rti69. » Il semble bien que les
Rosmer, tout en sachant, intellectuellement, qu’il faiit travailler au
redressement du Parti, refusent, pratiquement, le contact direct
avec ses membres. Bientôt d’ailleurs, Rosmer affirme qu’il est impos­
sible de travailler dans le Parti, même après réintégration. En fait
iî a perdu tout espoir de voir le PC se redresser :
« Si le Parti réussit vraiment à se dégager de son gauchisme

67. Archives Mougeot, Mougeot à Rosmer, 7-IV-1929.


6 8 . Ibid., Marguerite Rosmer à Mougeot, 9-IV-1929.
69. Ibid., Rosmer à Mougeot, l-XII-1929.
l’opposition de gauche 365

tupide, ce ne sera que pour verser dans l'opportunisme électo­


r a l e 7’°- »
L e PC, de son côté, ne reste pas inactif devant la menace trot­
skyste. D ’au tan t que celle-ci est réelle : en janvier 1930, l’Oppo­
sition C om m u n iste du X V e rayon du P C dans la région parisienne
organise une conférence commune avec les groupes de Contre le
Courant et de L a Vérité 7l. L e P C ne désire pas laisser les trot­
skystes s’implanter dans la classe ouvrière. Il sait d’autre part que
leur interdire le recrutement ouvrier revient à les priver d’air frais,
à les rejeter vers les milieux intellectuels où ils s’épuiseront en que­
relles de chapelles et deviendront de plus en plus incapables de
recruter en milieu ouvrier. Outre la conspiration du silence dont se
plaignent N aville et Rosmer72, le P C emploie la manière forte.
Dès janvier 1929, Naville signale des heurts violents entre marchands
de journaux. L e PC parvient en grande partie à ses fins. En avril
1929, Rosmer le déplore dans une lettre à Trotsky : les groupes
trotskystes sont rejetés de toute action, ce qui accentue leur secta­
risme et leur sectarisme à son tour leur interdit l’action 73.
Au total, le bilan que Rosmer peut faire de l’action trotskyste
est médiocre : des querelles, peu d’actes. D e plus, il ne tarde guère
à avoir des difficultés avec Trotsky lui-même autour de deux ques­
tions : le problème syndical et le cas Raymond Molinier.
Rosmer qui ne s’occupe pas exclusivement de questions syndi­
cales, leur accorde toujours beaucoup d’attention. Or la division
syndicale entre C G T et C G TU persiste. Si l’on refuse cet état de
fait, diverses attitudes sont possibles.
Un courant favorable à l’indépendance du syndicalisme se mani­
feste 7*. La Ligue Syndicaliste reproche à la C G T ses liaisons avec
le gouvernement et à la C G TU ses liaisons avec le PCF. L e 1er
janvier 1930, la R P troque son sous-titre de Revue Syndicaliste
Communiste pour celui de Revue Bi-mensuelle Syndicaliste-Révolu­
tionnaire. Dans la C G TU , sous l’impulsion de Chambelland, se
forme un Comité pour l’Indépendance du Syndicalisme qui re­
groupe les minoritaires et ceux des membres de la Ligue Syndica­
liste qui sont favorables à l’unité. Il se rapproche de la Fédération
Autonome des Fonctionnaires et ainsi se crée en novembre 1930
le Comité des 22 — appellation impropre puisqu’il s’agit en prin­
cipe d’un comité de 2 1 (7 CGT, 7 C G TU , 7 Autonomes) — qui

70. Ibid.. 2-X-1931.


71. La Vérité, 31-1-1930.
72. Archives Mougeot, Naville à Mougeot, 23-1-29 et AR à Mougeot,
24-X-29.
73. Lettre du 16-IV-1919. Citée par I. D e u t s c h e r , Trotsky, t. 3, p.
75-76.
74. P. Monatte, RP, déc. 1931, « Vie et mort du Comité des 22 », et
D. Guérin, « Le Comité des 22 », Revue d’Histoire Economique et
Sociale, 1966, p. 107-121.
366 alfred rosmer

prône l’unité organique sur la base des principes d'Amiens, notam­


ment l’indépendance du syndicalisme. Dans un contexte national et
international qui montre l’urgence d’un rassemblement des forces
ouvrières contre la crise économique et contre la montée du fas­
cisme, le but est de mener dans les deux grandes centrales des cam­
pagnes parallèles aboutissant à la présentation et au vote par ies
congrès des deux organisations de la même motion unitaire. Des
centaines de militants se regroupent autour des 22. Leur journal,
L e Cri du Peuple, dirigé par Chambelland atteint les 5 000 exem­
plaires. Mais, en butte à l’hostilité des deux appareils confédéraux,
les 2 2 sont battus dans les congrès de 1931, tant à la C G T qu’à la
CG TU .
Rosmer n’a pas été spécialement affecté par cet éch ec75. En
effet, le Comité des 22 se développant en même temps que l'opposi­
tion trotskyste, gênait celle-ci 7<\ Pour sa part et en ce qui concerne
l’unité, il se contente de vœux platoniques et craint d'ailleurs que
la revendication unitaire n’aboutisse à l’immobilisme : on ne bou­
gera pas tant que l’unité n’aura pas été réalisée rT. Il attaque à fond
les défenseurs de l'autonomie du syndicalisme tout comme Trotsky
d’ailleurs 7S. En octobre 1929, il titre : Une formule usée, l’autono­
mie du syndicalisme 79 et il affirme qu’un retour à la Charte
d'Amiens serait un recul de 20 ans pour le mouvement ouvrier
D ’ailleurs les « syndicalistes » le sentent bien eux-mêmes : en bapti­
sant leur organisation Ligue Syndicaliste, ils avouent que le syndi­
cat ne sert pas à tout. D e plus, la formule est dangereuse. Elle
minimise le rôle du Parti et en revient à la révolution ancien style :
« Seulement il faut voir la suite et comment finissent ces insur­
rections qui ne sont pas guidées par un Parti fort, cohérent, capable
d’unir et de coordonner toutes les forces. Elles finissent par la
défaite, par l'écrasement des ouvriers, les fusillades sans nombre.
C'est l'histoire de la Commune qui n'est pas si loin de nous, et
qu’on est impardonnable d'oublier. Les ouvriers parisiens se bat­
taient courageusement, mais les chefs palabraient, indécis, incer­
tains, quand il fallait agir, et les meilleurs d'entre eux ne surent
que bien mourir 81. »
En 1929, le syndicat et le parti ne peuvent prétendre s’ignorer, ils
ne peuvent que s’aider ou se combattre. Dire qu'ils ne doivent pas

75. AR, Le Communiste, février 1932.


76. Ibid., l-IX-1932.
77. Ibid., 11-1932.
78. La Vérité, 19-XII-1930, « Monatte a franchi le Rubicon », Texte
publié dans T r o t s k y , Le mouvement communiste en France, p. 368 et
suiv.
79. La Vérité, ll-X-1929.
80. Ibid., 18-X-1929.
81. Ibid., 22-XI-1929.
l’opposition de gauche 367

s’aider, c’est dire qu’ils doivent se combattre. Finalement, le thème


de l’autonomie est un thème anticommuniste. La Ligue Syndicaliste
n’était « pas seulement dirigée contre le PC, mais contre le com­
m u n is m e lui-même ». C’est pire encore avec le Comité des 2 2 . L e
seul dénominateur commun des 2 2 étant l’anticommunisme, leur
s e u le action possible est l’action anticommuniste 82. L e thème de
l’ a u t o n o m ie risque aussi de provoquer une scission dans la CG TU .
La direction, de tendance stalinienne, se sent menacée par la pous­
sée de l’opposition et, comme Jouhaux après-guerre, elle ne serait
pas mécontente d’une scission qui la débarrasserait de ses adversai­
res. Quand, à Tourcoing, les syndicats du textile et du bâtiment
r o m p e n t avec leurs fédérations et que celles-ci dressent en face
d’eux de nouvelles organisations, Rosmer est persuadé que c’est la
scis sio n de la C G TU qui commence 83.
La tactique que Rosmer préconise n’attend rien d’une réunifica­
tion lointaine ni de l’action d’une minorité dans la C G T qui est
une « minorité de tout repos » 8<t. Il veut renforcer la C G TU en
redressant son action 85 et, pour cela, créer dans ses rangs une
minorité nettement révolutionnaire qui ne tombera pas dans l’anti­
communisme et qui refusera de s’allier aux anarchistes et à ce qui
reste des « purs » so. Cette minorité usera de son droit de critique,
en finira avec le « silence dans les rangs » , éliminera les chefs inca­
pables :
« Un capitaine incapable peut se faire tuer à la tête de sa com­
pagnie. Il n’en reste pas moins que sa sottise a entraîné la mort de
ses soldats. Et la conclusion c’est, non qu’il faut faire le silence et
couvrir d’avance les chefs incapables, mais les chasser 87. »
Au même moment, Dommanget, l’un des dirigeants de la Fédéra­
tion de l’Enseignement, prépare à Morvillers où il enseigne, un
manifeste pour le redressement de la C G TU et contre la tendance
Indépendance du Syndicalisme. Les deux hommes veulent donc
agir dans le même sens. En mars 1930, Rosmer approuve vivement
Dommanget et le rencontre le 9. Quand le manifeste L ’Opposition
Unitaire sort en avril, Rosmer lui fait donner une large place dans
les colonnes de La Vérité. Outre un moyen de redresser la C G TU ,
peut-être y voit-il la possibilité d’élargir l’audience syndicale de la
Ligue Communiste 8S.
Mais une partie des membres de la Ligue Communiste trouvent

82. Le Communiste, 11-1932.


83. La Vérité, 18-X et 13-XI1-1929.
84. Ibid., 18-X-1929.
85. Ibid., 25-IV-30.
8 6 . Ibid., 25-X-1929.
87. Ibid., 20-IX-1929.
8 8 . Sur cette question, voir la contribution de Dommanget au Syndi­
calisme dans renseignement..., p. 106 et suiv.
368 alfred rosmer

Rosmer trop engagé aux côtés de l’Opposition Unitaire. Ils crai­


gnent qu’il ne tire la Ligue dans un sens trop syndicaliste. Début
31, Trotsky doit faire une mise au point dans La Vérité : « Les
erreurs des éléments droitiers de la Ligu e dans la question syndi­
cale aB. » L a Ligue, dit-il, a renoncé à tout travail syndical autonome
à partir d’avril 1930. Cela au profit de l’Opposition Unitaire qui est
dominée par une fédération qui n’est pas vraiment prolétarienne,
celle de l’enseignement :
« [...] Les membres de l’enseignement oscillent dans un triangle
entre le cours officiel, l’Opposition de Gauche et l’Opposition de
Droite. »
L a Ligue n’a pas à se subordonner l’Opposition Unitaire, mais elle
doit avoir sa propre politique syndicale, nette et autonome.
« En vérité, les ennemis de la soit-disant subordination de
l'Opposition Unitaire à la Ligue exigent la subordination effective
de la Ligue à l’Opposition Unitaire. Telle était précisément la situa­
tion à ce jour [...]. Les marxistes ne peuvent et ne doivent pas tolé­
rer une telle politique un jour de plus. »
La Ligue va donc développer dans le domaine syndical sa propre
politique, ce qui mécontente Rosmer. En novembre 1931, il se
plaint à Mougeot : la Ligue démolit le travail de l’Opposition Uni­
taire 90. L e groupe du Communiste dira plus fortement encore que
la Ligue ne parvient pas à concilier son « sectarisme sur-stalinien »
en ce qui concerne les rapports parti-syndicat et sa politique « droi-
tière-syndicaliste » sur l’unité syndicale 91.
L a tension entre Rosmer et Trotsky ne se cantonne pas au
domaine syndical, et, pour bien des contemporains, la querelle syn­
dicale est complètement masquée par le cas Molinier. Ainsi Mou­
geot et Reiland (secrétaire du P C Luxembourgeois, puis militant
trotskyste de Fechs-sur-Alzette), après lecture de La Vérité du
14 avril 33 qui mentionne la querelle syndicale avec Rosmer,
envoient une lettre de protestation à la Ligue Communiste : « II
s’agit [...] dans votre attaque récente contre Rosmer, de reproches
fabriqués après coup, n’ayant pour un homme sérieux aucune
valeur » 92.
Cette affaire Molinier qui monopolise l’attention, commence
comme une banale opposition de personnes puis déborde sur le plan
des méthodes d’organisation, de direction. Elle provoque finalement
la rupture de Rosmer avec l’organisation trotskyste après une con­
troverse très vive. A Raymond Molinier, devenu un des dirigeants
de la Ligue, Rosmer et Naville font de nombreux reproches tacti-

89. La Vérité, 16-1-1931.


90. Archives Mougeot, Rosmer à Mougeot, 27-XI-1931.
91. Le Communiste, octobre 1932.
92. Archives Mougeot, 24-IV-lâS3.
l’opposition de gauche 369

ques et personnels. Sur le plan tactique, Molinier soutient à fond


Trotsky et demande, comme lui, de grandes actions de masse.
Rosmer et Naville veulent agir plus modestement sur les éléments
poEtiquement mûrs, diffuser lentement des idées dans des cercles
d'éducation marxiste. En ce qui concerne la personne même de
Molinier, les choses se gâtent. C'est au moment de l’exil de Trotsky
à Prinkipo que Rosmer a fait la connaissance de Molinier. Celui-ci
propose immédiatement de faire le long et coûteux voyage 93. Mar­
guerite Rosmer reste méfiante ; le cabinet d’affaires, la banque des
frères Molinier ne lui disent rien qui vaille. On lui a dit de Ray­
mond que c’était un « type suspect ». Rosmer, plus confiant, intro­
duit Molinier dans les groupes trotskystes Arrivé à Prinkipo,
Molinier rend de menus services, monte la garde, se rend indispen­
sable, fait ainsi la conquête de Trotsky. Les Rosmer oublient leurs
réticences et décident de lutter contre tous ceux qui répandent des
ragots sur Molinier 98. L ’inconvénient, c’ est que les Molinier conti­
nuent à faire des « affaires ». A son retour de Turquie, Marguerite
Rosmer en parle aux deux frères : elle ne croit ni qu’ils sont de la
police, ni qu’ils puisent dans la caisse du groupe, mais elle craint
qu’ils ne se laissent entraîner dans une affaire véreuse et ne com­
promettent ainsi l’Opposition. Ils y ont beaucoup pensé, répondent-
ils ; effectivement certaines de leurs affaires peuvent les entraîner
trop loin. Ils liquideront donc tout, changeront de quartier, ne
feront plus que des affaires « que tout le monde pourra connaître ».
Ils tiennent parole en ce qui concerne le déménagement et trans­
portent leurs bureaux de la République vers le centre de Paris,
mais ils continuent à traiter les mêmes opérations que par le passé.
Finalement, après un an de contacts avec Molinier, Marguerite
Rosmer le tient pour un aventurier, dans l’Opposition de Gauche
aujourd’hui, chez Daudet demain, dans la police après-demain. D e
plus il n’a aucun sens politique et il a tenté de se faire une virginité
à l’ombre de Rosmer. Rosmer, de son côté, dit à Trotsky : « Ce
n’est pas un militant communiste, c’est un homme d’affaires et un
illéttré » 9®. Molinier n’est ni un ouvrier, ni un intellectuel, n’appar­
tient donc à aucune des classes ou catégories sociales où recrutent
habituellement les partis révolutionnaires. I l réussit en affaires,
mais ce n’est pas du domaine du communisme. Ce sont là, certes,
des « caractéristiques personnelles » , mais il faut bien tenir compte
des questions de personnes quand l’intérêt de l’organisation est
en jeu. Des « caractéristiques personnelles » ? Mais, après tout,
Trotsky n’en fait-il pas quand il invoque, contre Staline, le Testa­
ment de Lénine ? Et quand Trotsky se met à comparer Molinier à

93. Archives Mougeot, Marguerite Rosmer à Mougeot, 28-IV-1931.


94. Ibid., Rosmer à Mougeot, 9-VI-1933.
95. Ibid., Trotsky à la Fédération de Charleroi, 28-VI-1931.
96. Cité par I. D e u t s c h e r , Trotsky, t. 3, p. 83.

24
Engels, il s’égare. Engels n’était ni un illettré, ni un Robert
Macaire ®7, comme l’est ce Molinier qui
« [...] Sabote le travail dans tous les domaines, à tel point qu’on
peut dire qu’un agent stalinien dans nos rangs n’aurait pu réussir
à nous faire plus de m a l08. »
La querelle s’étend progressivement. Rosmer a d ’abord signalé à
Trotsky une querelle Molinier-Naville sans prendre pa rtiw. Puis,
en juin 1930, Naville, Rosmer et l’Exécutif National de la Ligue
Communiste demandent que Molinier soit privé de son poste de
direction, prélude à une exclusion de la Ligue. Molinier qui s’appuie
sur le comité parisien de la Ligue, proteste auprès de Trotsky. Les
remous atteignent l’organisation txotskyste internationale. Le Bu­
reau International avec N aville et Rosmer s’oppose au Secrétariat
International qui soutient Molinier. Les militants de base sont trou­
blés : Mougeot, Reiland, la fédération de Charleroi s’inquiètent. A
tel point que Trotsky doit prendre parti. Pour lui 10°, c’est d’abord
une querelle de personnes, mais elle recouvre une querelle de
principes. Tous ceux qui lui demandent d’agir contre Molinier —
Rosmer, Naville, Gérard Rosenthal, Gourget —- se plaignent surtout
des interventions incohérentes de Molinier dans des domaines qui
ne sont pas de sa compétence. L e principe qu’ils remettent ainsi
implicitement en cause, est celui de l’égalité entre les membres de
l’Opposition. Il ne saurait y avoir deux catégories de camarades, les
uns se chargeant des questions politiques, les autres des questions
matérielles. Dans une organisation prolétarienne,
« [...] Tous les membres ont non seulement le droit, mais l'obligation
de se mêler activement à toutes les questions, à partir des plus
petites et celles d’ordre technique, jusqu’aux questions les plus
complexes de la politique révolutionnaire. »
Dans l’été de 1930, Naville et Molinier se rendent à Prinkipo. Deux
jours de discussions avec Trotsky, Mill-Obin, FrankelI01, Markin
(Léon Sedov), permettent d’aboutir à un accord. L ’atmosphère est
détendue, c’est la « Paix de Prinkipo ». Mais en octobre-novembre,
la trêve vole en éclats car Molinier continue à faire des affaires et
des interventions politiques peu appréciées. Pour Rosmer, la cause

97. Archives Mougeot, Rosmer à la fédération de Charleroi, 22-VII-


1931 ; à Mougeot, 9-VI-1933.
98. Ibid,., Rosmer au groupe de Verviers, V-VI-1931.
99. Ibid., Trotsky à la fédération de Charleroi, 28-VI-1931,
100. Ibid., on pourra y ajouter la lettre de Trotsky à Mougeot et
Reiland, l-V-1931.
101. Tchèque arrivé en France en 1929, il est alors secrétaire de
Trotsky et le reste plusieurs années. Au début de la Seconde Guerre mon­
diale, il prend parti pour le groupe Schachtman puis quitte le mouve­
ment (renseignements communiqués par P. Frank).
l’opposition de gauche 371

st e n t e n d u e : Molinier ne peut continuer à faire partie du Comité


E x é c u tif de la Ligue Communiste :
« A -t-o n jamais vu une organisation révolutionnaire dirigée par
un homme qu’il faudrait constamment couvrir d u manteau de N oë ?
f .] Il peut être utilisé et il peut rendre des services [...]. Mais à
condition absolue qu’il ne prétende pas à une action personnelle,
encore moins à un rôle de direction pour lequel il est complètement
d is q u a lifié par son ignorance et par sa déformation professionnelle
qui l'amène à se comporter dans la Ligue comme il le fait en
affaires 102- »
Or Trotsky prend le parti de Molinier et condamne Rosmer et
Naville. L e premier continue à faire des « caractéristiques person­
nelles » , le second « fait montre ici d’une incompréhension totale
d e l’esprit d’une organisation révolutionnaire prolétarienne ». Les
ragots qu’on colporte contre Molinier n’ont pas de fondement sinon
le « caractère turbulent » de Molinier et « sa capacité à manquer
à toutes les règles et superstitions des philistins 103. »
Rosmer, désavoué, lance alors l'expression de « méthodes zino-
vievistes » pour caractériser les méthodes de direction de Trotsky.
C’est dire qu’il retrouve en Trotsky les abus bureaucratiques et
autoritaires qui l’ont poussé hors de l’IC et Trotsky après lui.
A trop vouloir faire de Staline un bourreau et de Trotsky une
victime, sans doute noircirions-nous Fun à l’excès en blanchissant
Fautre plus que de raison. C ’est un fait que, chez les antistaliniens,
chez les trotskystes, des voix s’élèvent pour protester contre les
méthodes de direction de Trotsky. On se souvient que Pierre Pascal
renvoyait dos-à-dos les groupes qui s’opposaient dans le PC URSS.
Paz, de son côté, avait parlé de 1' « orthodoxie trotskyste » , avait
demandé si oui ou non Trotsky était disposé à appliquer la démo­
cratie ouvrière :
« [...] Il va sans dire que toute tentative pour implanter dans
l’Opposition les méthodes bureaucratiques du Parti officiel sera
impitoyablement combattue par nous et, avec nous, par toute
l’Opposition 10'\ »
I l s’était plaint en privé des « méthodes bureaucratiques » de la
direction qui considérait les militants « comme un troupeau » l0S.
Des militants de province comme Mougeot et Reiland trouvent que
l’Opposition retombe dans les mauvaises habitudes du PC et le
disent à T rotsk yI06. C ’est sans doute, pense Marguerite Rosmer,

102. Archives Mougeot, Rosmer à la fédération de Charleroi, 22-VII-


1931.
103. Ibid., Trotsky à la fédération de Charleroi, 28-VI-193I.
104. Contre le Courant, sept. 1929, «Lettre ouverte à La Vérité ».
105. Archives Mougeot, Paz à Mougeot, 29-IX-1929.
106. Ibid., Lettre à Trotsky, 20-IV-1931.
372 alfred rosmer

que Trotslcy, comme tous les révolutionnaires russes, n’attache que


peu d’importance au phénomène moral, « à l’opposé de nous et sur­
tout de moi qui pense que la faillite actuelle de la Russie provient
en partie de cela 107 ■».
La critique de Rosmer, si elle fait une large place à la question
morale, est beaucoup plus complète. Le zinovievisme, dit-il, s’est
manifesté dans TIC quand Zinoviev a exigé des sections qu’elles
condamnent brutalement l’opposition russe. En France, Treint et
Suzanne Girault furent ses agents. Leurs méthodes d’action ? Intri­
gues, manoeuvres, fractions, organisme occulte remplaçant le Comité
Central régulièrement élu par le congrès. Molinier imite Treint.
D ’ailleurs Treint est rentré dans la Ligue Communiste lors de la
conférence d’octobre 1931 après avoir dispersé son groupe du
Redressement Communisteïoa. A vec l’appui de Treint, Molinier
prend le pouvoir dans la Ligue et s;y maintient malgré la majorité.
Cette réapparition de Treint, transformé en opposant de gauche,
n’est pas un hasard. II
« [...] N e s’est découvert des sympathies pour l’Opposition que du
jour où le clan zinovieviste a été supplanté à la direction [du PCF]
par le clan stalinien l09. »
L ’alliance Treint-Molinier ressuscite le zinovievisme à l’intérieur
de la Ligue. Pour tuer ce danger dans l’œuf, il aurait suffi d’écarter
Molinier de son poste de secrétaire de la région parisienne. Mais
il a « préparé » la réunion qui devaittrancher le problème et il
en est sorti vainqueur. Il prend alors l’offensive contre la direction
de la Ligue. Il a l’appui de Trotsky qui soutient les zinovievistes,
les pousse à la direction, approuve donc leurs méthodes :
« L a vérité, que le camarade Trotsky s’obstine à ne pas vouloir
voir, c’est qu’on ne peut pas imposer une direction Molinier sans en
subir les conséquences, que la Ligue Communiste française est deve­
nue une minuscule caricature stalinienne avec toutes les tares du
stalinisme qui, elles, ne sont pas minuscules ; que la vie intérieure
de la Ligue est, sous la direction de Molinier, une bouffonerie sans
exemple dont nous sommes les seuls à ne pouvoir rire parce que
c’est nous qui en faisons les frais 110. »
Dans la Ligue se retrouvent les mêmes travers que dans le PC :
bluff, mensonges, agitation superficielle. Le régime intérieur est le
même que dans le P C ou l’IC en 1924 in .
Après deux ans de rupture, quand les positions ont eu le temps

107. Ibid., Lettre à Mougeot, 28-IV-1931.


108. La Vérité, 17-X-31 et Le Communisme, oct. 32.
109. Archives Mougeot, Rosmer à la Fédération de Charleroi, 22-VII-
31.
110. Ibid., Rosmer à Mougeot, 27-XI-31.
111. Ibid., Rosmer au groupe de Verviers, V-VT-31.
l’opposition de gauche 373

de se durcir plus encore et les polémiques de s’envenimer, Rosmer


accentue sa critique : Trotsky ne se contente pas d’approuver les
« méthodes zinovievistes », il les pratique lui-même : « Il nous traite
exactement comme les staliniens le traitent... ». C ’est donc lui,
Trotsky, qui est responsable de l'impuissance de la Ligue :
« L ’Opposition est réduite à cette impuissance parce que Trotsky
a imposé un régime intérieur qui a brisé net son développement et
éloigné d’elle les éléments sérieux. Je répète toujours la même
chose... comme Trotsky répète sans cesse et avec raison, que c’est
le régime intérieur imposé par Staline dans 1TC qui est la cause
des faillites répétées de 1TC. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut
rien faire, mais simplement qu’il est plus difficile de marcher quand
on vous a coupé les jambes l12. »

Pour Rosmer, un tel régime est néfaste pour le moral des militants
(découragement, inactivité). Il présente aussi un danger moral et
politique : comment reprocher aux staliniens leurs méthodes
d’étouffement bureaucratique quand on les pratique soi-même ? S’il
y a une organisation qui devrait avoir une vie intérieure démocrati­
que, c’ est bien l’Opposition de Gauche :
« [ . . . ] Si l’Opposition de Gauche ne demeure pas inflexible sur
la question du régime intérieur, elle perd du coup toute raison
d’être et c’est en vain dès lors qu’elle dénonce les ravages du sta­
linisme 11S. »

En novembre 1930, quand arrivent les lettres de Trotsky favora­


bles à Molinier, Rosmer démissionne de la Ligue 11 \ Il cesse sa colla­
boration à La Vérité. Rupture discrète car Mougeot, en avril 1931,
vient tout juste d’apprendre que Rosmer a quitté La Vérité. Tout
ce qu’il avait remarqué jusque là, c’est qu’il n’écrivait plus dans le
journal depuis déjà plusieurs mois 11S.
L ’attitude de Trotsky ne facilite pas les choses. Sans doute ne
s’en prend-il pas à Rosmer sur le plan personnel. Si on en croit
Marguerite Rosmer, il aurait écrit en suggérant qu’au moins les
relations personnelles soient sauvegardées 118. Et il distingue nette­
ment la personne de Rosmer des querelles d’ordre politique qui les
séparent. Une lettre à Mougeot en témoigne :
« Vous comprendrez bien que je ne puis pas orienter ma poli­
tique selon les qualités personnelles d’un tel ou tel camarade. Je
ne puis pas soutenir les camarades même les plus dignes de la

112. Archives Mougeot, Rosmer à Mougeot, 9-VI-33.


113. Le Communiste, l-IX-32.
114. Témoignage de P. Naville, 6-XI-67.
115. Archives Mougeot, Mougeot à Rosmer, 20-IV-31.
116. Ibid., Marguerite Rosmer à Mougeot, 28-IV-31.
374 alfred rosmer

confiance personnelle s’ils font fausse route, et c’est le cas du carnâ?


rade Rosmer I1T. »
Mais Trotsky a aussi des mots très durs contre Rosmer. Sur plu
sieurs points : ses silences, ses méthodes de travail, son allusion au
zinovievisme, son inadmissible départ enfinus. Rosmer a long­
temps soutenu Naville en silence sans se prononcer sur le fond, il
n’est pas venu s’expliquer devant la Commission de Contrôle de la
Ligue, ne le fait avec personne, n’accepte pas même de le faire
en privé avec lui, Trotsky. Rosmer n’a pas une position claire sur
les questions françaises où il faudrait une attitude combative. Sa
méthode de travail repose sur les cercles d’amis. On a le cerclé
Souvarine, le cercle N aville ; avant-guerre, on avait le cercle
Monatte. Quelques amis discutent les problèmes révolutionnaires,
écrivent des articles et les publient.
« En France est très répandu cette sorte de cercle où on se réunit
une fois par semaine, on s’entretient de toutes choses, on se sépare
sans rien décider, on fait paraître une fois par mois une petite revue
dans laquelle chacun écrit ce qui lui vient par la tête. »
Tout cela est très estimable, mais, ni dans l’esprit, ni dans les habi­
tudes, ni dans les moyens d’action, ni dans les méthodes de pensée,
n’a rien à voir avec une organisation prolétarienne décidée à guider
les masses. Rosmer a importé dans la Ligue ses habitudes,
« Et quand les éléments plus actifs, plus révolutionnaires, com­
mencèrent à poser les questions d'une autre manière, alors on com­
mença de les traiter de trublions, d’ennemis de la paix, de désorga-
nisateurs, etc. »
L ’allusion aux « méthodes zinovievistes » surtout a piqué Trotsky
au vif. Il réplique :
« Que veut-il dire par cela ? Il faut cesser de jouer sur les mots
et de semer la confusion. D ’où sont-elles venues, les « méthodes
zinovievistes » ? Elles sont venues du changement brusque dans la
politique. Quand les épigones ont commencé, sous la pression des
éléments nouveaux et des circonstances nouvelles à briser la tradi­
tion du Parti, ils ne pouvaient pas s’appuyer sur l’opinion commune
de l’avant-garde prolétarienne, au contraire, ils agissaient contre
cette avant-garde. L ’essence des « méthodes zinovievistes » consis­
tait dans le fait que l’appareil bureaucratique imposait aux larges
masses ouvrières une politique contraire aux traditions du Parti et
aux intérêts du prolétariat par la violence contre l’avant-garde pro­
létarienne et par le mensonge. Les méthodes découlaient donc
entièrement de la politique. Que signifiaient les « méthodes zino-

117. Ibid., 5-VII-31.


118. Ibid., Trotsky à la fédération de Charleroi, 28-VI-31.
l’opposition de gauche 375

’ ^ dans le cas présent ? Contre quelle avant-garde proléta­


is te s

rienne menons-nous la bataille ? Quelle aile révolutionnaire écra-


ons-nous ou évinçons-nous, au nom de quelle politique opportu­
niste ? Il faut bien peser ses mots. Sous les « méthodes zinovie­
vistes » , on comprend souvent aujourd’hui tout ce qui cause des
ennuis personnels ou ce qui ne donne pas satisfaction aux goûts
de chacun. »
D an s des conversations privées 110 ou dans des brochures 1' 0, Trot­
sky explique que les « méthodes zinovievistes » étaient la manipu­
lation par l’argent, par le carriérisme, par le chantage à l’exclusion,
tout un arsenal dont il ne peut disposer. Cette accusation ne tient
donc pas. Il n’essaie pas d’imposer à la Ligue un tournant politi­
que, il n’a pas à sa disposition de bureaucratie agressive. Si Ros­
mer parle de zinovievisme, c’est pour excuser, pour justifier théori­
q u e m e n t ses sautes d’humeur. Son départ est inadmissible parce
qu’on ne doit pas quitter le camp révolutionnaire sur une question
aussi largement personnelle. Où. irait-on si les divergences d’appré­
ciation de tel ou tel permettaient de quitter les organisations ?
On ne saurait se mettre ainsi « en congé de révolution m. »
« Si le camarade Rosmer nie les divergences de principe et même
s’il soutient qu’elles sont inventées après coup (par qui ?), cela ne
peut que démontrer avec combien peu d’attention le camarade Ros­
mer aborde les problèmes fondamentaux de la Révolution Proléta­
rienne. On ne peut garder une sensibilité indispensable aux ques­
tions révolutionnaires qu’en assurant une liaison ininterrompue avec
le mouvement révolutionnaire. L e camarade Rosmer croit possible
de s’éloigner du mouvement à cause des conflits même d’ordre per­
sonnel pour des mois et des années. Quoi d’étonnant qu’avec une
telle attitude envers le mouvement tout entier, nos divergences
principielles lui paraissent secondaires ou même inexistantes l22. »
En fait, l’inquiétude de Trotsky est une inquiétude politique. Il
craint la constitution, avec Rosmer comme porte-drapeau, d’un bloc
international qui regrouperait les bordighistes, Landau, Claude
Naville, Sneevliet123, Van OverstraetenIM, Urbahns. Il s’élève
d’avance contre un tel regroupement :

119. Témoignage de P- Naville.


120. La défense de l’URSS et l’Opposition, pp. 58-59.
121. Archives Mougeot, Trotsky à Mougeot et Reiland, l-V-31.
122. Archives Mougeot, Trotsky à la fédération de Charleroi, 28-VI-
1931.
123. L e Hollandais Sneevliet (1883-1942), ouvrier des transports, est
entré au PS en 1900. En 1909, il est président du Syndicat des Cheminots
et Traminots. De 1912 à 1917, il est en Indonésie et y fait de la propa­
gande socialiste. La mutinerie du navire de guerre Seven Provincien
attire l’attention sur lui. Il est expulsé d’Indonésie, se rallie à l’IC et
fonde les PC hollandais et indonésien. Il représente TIC au 1er congrès du
376 alfred rosmer

« On ne peut imaginer quelque chose de plus ridicule, de plus |


caricatural et de plus indigne que ce bloc. Donner son nom à ce
bloc, c’est se discréditer à jamais 125. »
Effectivement, le mouvement trotskyste international traverse en
1931-1932 une crise grave* En avril 31 12\ le groupe de la Gauche
Communiste affirme que l'Opposition de Gauche risque de devenir
« une caricature microscopique de l'Internationale dégénérée » si
elle ne parvient pas à établir en son sein un « régime démocratique
véritable ». En juin 12T, il expose ]es symptômes de la crise inter­
nationale : attaques de Trotsky contre Landau dont on ne voit pas
la raison, utilisation abusive du terme d’ « austro-opportunisme »
contre les camarades autrichiens, bordighistes accusés de nationa­
lisme, attaques injustes contre l'un des groupes grecs, rejet des ten­
tatives de rapprochement de S n e e v l i e t P n - m - la Gauche Commu­
niste, tous ces aspects de la politique de Trotsky sont erronés et
créent dans l’Opposition une
« [...] Crise malsaine dont les bases politiques de principe n’appa­
raissent pas clairement, qui ne se déroule pas dans la clarté de la
discussion mais dans le silence des mesures administratives et dans
l’obscurité des tractations diplomatiques ».
Pour elle, il y a
« [...] Déviation bureaucratique caractérisée par la croyance à la
toute puissance des solutions administratives et à leur supériorité
sur la discussion de principe. »
Cette dévation bureaucratique fait le lit d’une déviation politique
vers le centrisme. La Gauche Communiste n’hésite pas à mettre
nommément Trotsky en cause :
« Il serait vain et puéril de cacher que cette politique bureaucra­
tique à l’appui du camarade Trotsky. L e prestige du camarade
Trotsky est la couverture des agissements bureaucratiques du Secré­
tariat International. »

PC chinois et reste deux ans en Chine sous le pseudonyme de C. Maring.


En Hollande, il fonde une organisation syndicale rouge, la National
Arbeid Sekretariat. En 1927, il passe à l'Opposition de Gauche et fonde
le Parti Socialiste Révolutionnaire des Travailleurs. Pendant la guerre
d’Espagne, comme il soutient le POUM, il rompt définitivement avec
Trotsky. Il est fusillé par les nazis en 1942.
124. Le Belge Van Overstraeten, né en 1891, peintre, a milité comme
minoritaire dans les Jeunesses Socialistes pendant la l re guerre m o n d ia le.
Il est parmi les fondateurs du PC Belge et a appartenu à l'Exécutif de
riC. Il rejoint l'Opposition de Gauche et se fait exclure en 28. En 1931,
il est dans tua petit groupe d’opposition.
125. Archives Mougeot, Trotsky à la fédération de Charleroi, 28-VI-
1931-
126. Bulletin de la Gauche Communiste, N° I.
127. I b i d N ° de Juin.
l’opposition de gauche 377

II nous semble que la Gauche Communiste accorde une impor­


tance trop exclusive au rôle des tendances bureaucratiques dans le
développement de la crise du trotskysme international. Pour notre
part, nous serions tentés de chercher d’autres causes, de mentionner,
sur le plan international comme sur le plan français, le faible recru­
tement du trotskysme et la composition sociale peu prolétarienne
des groupes trotskystes. Quoiqu’il en soit, l’existence d’une crise du
trotskysme international en 1931-32 ne fait aucun doute pour Ros-
mer. Comme Molinier a fait des tournées en Europe, il l’accuse
d'avoir répandu le malaise. A Barcelone, toujours plein de projets
grandioses, Molinier, sitôt débarqué, fonde un journal, loue un
local, embauche un permanent, promet de l'argent. Rentré à Paris,
il oublie ses belles promesses à la grande fureur des camarades
espagnols 12S. En Belgique la fédération de Charleroi et son secré­
taire L e s o il 122 ne se contentent pas des renseignements sur ie con­
flit Rosmer-Trotsky que diffuse le Secrétariat International. Ils
demandent des explications aux deux parties en présence l3°. Du
L u x e m b o u rg , Reiland reproche à Rosmer sa mollesse : au lieu de
porter l'affaire devant la Ligue Communiste dès l’apparition des
désaccords, il s’est tu. En partant, il a tout abandonné à Molinier.
Il aurait fallu lutter contre Molinier en s’appuyant sur les éléments
sains de la Ligue et ne pas hésiter à mettre directement Trotsky en
cause :
« Je n'y aurais vu aucun inconvénient. Je considère Trotsky
comme le chef de la révolution sociale internationale, sans oublier
qu’il a commis des fautes lourdes et des gaffes formidables, en pro­
portion de sa situation et de sa personnalité (sans ces gaffes, il ne
serait pas à Constantinople) 13L. »
Et Reiland de conclure : Eliminons la clique Molinier-Treint !
Fin 1932, le groupe de la Gauche Communiste, devenu groupe
du Communiste qui est proche de Rosmer, publie une série d’arti­
cles sur la situation du mouvement trotskyste international132.
D’après lui, il est divisé en trois : d’abord une série de groupuscules
droitiers (par exemple en Allemagne le PCA-Opposition de Brand-
ler et Thalheimer) ou ultra-gauchistes ; ensuite un bloc autour du
Secrétariat International composé des groupes que soutient Trot-

128. Archives Mougeot, Rosmer à la Fédération de Charleroi, 22-VII-


1931 et au groupe de Verviers, V-VI-1931.
129. Léon Lesoil (1892-1942) a été surpris en Russie par la révolution
d’octobre alors qu’il était soldat dans la mission militaire belge. Il adhère
à l’IC et est l’un des dirigeants du PC belge. En 1927, il passe à l’Oppo­
sition de Gauche. En 1938, il est délégué au congrès de fondation de la
IVe Internationale. Il meurt en déportation.
130. Archives Mougeot.
131. Ibid., Reiland à Rosmer, 30-XII-193L
132. Octobre à décembre 1932.
378 alfred rosmer

sky ; enfin un certain nombre de groupes autour d’un Bureau de


Travail International qui nous est fort mal connu mais qui regroupe
les trotskystes non-orthodoxes.
Les orthodoxes, réunis autour du Secrétariat International sont ;
en France la Ligue Communiste, en Grèce les Archives du Marxis­
me (Organisation Communiste des Bolcheviks-Léninistes) qui ont été
exclus de l’IC dès 1922, en Allemagne la Révolution Permanente,
en Autriche la fraction viennoise de la Gauche Oppositionnelle, en
Tchécoslovaquie le groupe dirigé par Jean Frankel. Or, d’après
Le Communiste, la Ligue Communiste se sclérose, les Archives du
Marxisme vivent complètement en marge du mouvement ouvrier,
la Révolution Permanente se décompose et glisse vers le centrisme
et l’opportunisme, le groupe viennois est isolé, celui de Jean Fran­
kel s’affaiblit.
Autour du Bureau de Travail International, les non-orthodoxes
sont : en France le Communiste (ou Gauche Communiste), en Grèce
TOpposition du P C grec ou Groupe Spartakos qui s’est solidarisé avec
l’Opposition russe dès 1926, en Belgique la Ligue des Communistes
Internationalistes, en Autriche, la Gauche Oppositionnelle qui a ïe
gros de ses forces en Styrie industrielle.
Les trotskystes espagnols ont su préserver leur unité dans la
Gauche Communiste Espagnole où est entré Nin. Depuis mai 1931,
elle publie un journal, Communismo. Elle compte en mars 1932 un
millier de membres. En Hongrie, le Groupe Oppositionnel reste en
liaison avec les deux centres internationaux du trotskysme. Issu des
Jeunesses Communistes, il compte de 50 à 60 membres et aurait de
100 à 150 sympathisants.
Ces déchirements internationaux du trotskysme ne sont certes pas
inconnus de Rosmer. Mais, contrairement aux craintes de Trotsky
et aux espoirs de certains de ses amis, il n’agit pas sur le plan inter­
national et agit peu sur le plan français. Sans doute explique-t-il
sa position à tous ceux qui le lui demandent : L e s o il133, Landau 1S1,
Fédération de Charleroi 135. Mais il déconseille tout départ, toute
rupture avec Trotsky.
En France, la crise de la Ligue Communiste est évidente. Rosmer
signale des départs 136 : Touraud, secrétaire du groupe de Moulins
et du Syndicat des Fondeurs de l’Ailier, ex-secrétaire de l'Union
Locale C G TU ; D om e qui, dans une lettre-circulaire du 26 octo­
bre 1931, accuse la Ligue d’être une «organisation dégénérée».
L e groupe de Tours dénonce les bévues politiques de la Ligue, ses
méthodes de travail copiées sur celles des staliniens, l’ascension

133. Archives Mougeot, Rosmer au groupe de Verviers, V-VI-1931,


copie à Lesoil ; Lettre à Lesoil, 7-VI-1931.
134. Ibid., Rosmer à Landau, juillet 1931.
135. Ibid., Lettre à Charleroi, 22-VII-1931.
136. Lettres citées à la Fédération de Charleroi et au groupe de
Verviers.
Vopposition de gauche 379

. -ustij(îée de Molinier. Pour lui, une seule solution : qu'une nou­


velle équipe dirigeante engage des pourparlers avec le groupe
R o sm er. Mougeot et Reiland écrivent la même chose à Trot-
sky : les tracts leur parviennent massivement, mais ils sont conçus
sans intelligence ni méthode. L'Opposition retombe dans les mau­
vaises habitudes du Parti. Seul Rosmer peut diriger l’Opposition en
France car il est seul à avoir l’intelligence et l’expérience néces­
saires. De plus, sa vie de militant est entièrement connue tandis
que les affaires louches et les activités douteuses de Molinier lui
interdisent normalement tout poste de direction 137. On voit que
pour les trotskystes mécontents de la Ligue, Rosmer fait figure de
dirigeant de rechange, de chef d’un groupe, celui de la Gauche
Com m uniste.
Les choses ne sont pas si simples. En mars 1931, soit quelques
mois après que Rosmer ait démissionné de la Ligue Communiste,
une scission est intervenue dans le groupe parisien de la Ligue.
Claude Naville et ses amis se retirent :
« Nous avons quitté volontairement la Ligue Communiste devant
l’attitude anticommuniste, mais surtout imbécile, de sa direction [...]
et parce que nous avons reconnu, après de nombreuses tentatives,
qu’il était impossible de corriger ses erreurs dans son sein 138. »
Dès avril, ils voient Rosmer et, retrouvant consciemment ou in­
consciemment les phrases de Lénine sur la 2e Internationale, ils lui
disent qu’ils considèrent la Ligue Communiste comme un cadavre
et lui demandent de se joindre â eux pour reconstruire une nouvelle
organisation 13\ Rosmer répond qu’il les comprend, mais il ne
prend pas position sur le fond. Il refuse tout engagement formel :
qu’ils fassent leur expérience et, si ce qu’ils font lui plaît, il les
rejoindra ensuite. Par contre, il est prodigue de conseils. Ils veulent
avoir un journal? Qu’ils y donnent sur chaque événement à la fois
leur point de vue et les arguments des parties adverses, cela chan­
gera des « perroquets ». Qu’ils pensent par eux-mêmes et appren­
nent à défendre leurs idées. Son attitude, précise-t-il, n’est pas une
attitude de méfiance car il les sait sérieux et dévoués, mais
« Après l’expérience désastreuse que je viens de faire, je tiens à
garder mes coudées franches et à conserver ma pleine liberté l<t°. »
Le groupe Claude Naville sort le premier numéro de son Bulletin
de la Gauche Communiste en avril 1931. L a situation est ambiguë :
Rosmer ne fait pas partie du groupe, mais bon nombre de militants
pensent qu’il en est le chef. Il ne dément pas publiquement pour

137. Ibid., Mougeot et Reiland à Trotsky, 20-IV-1931.


138. Le Communiste, novembre 1931.
139. Archives Mougeot, Marguerite Rosmer à Mougeot, 28-IV-31 et
17-XII-31 ; Rosmer à Mougeot, 2-X-31.
140. Ibid., lettre citée de Rosmer à Mougeot.
380 alfred rosmer

ne pas affaiblir ses amis. Ceux-ci ne démentent pas non plus car le
prestige de Rosmer les sert.
L e groupe Claude Naville décide d’ailleurs, à l’été 31, de modi­
fier son attitude. On lui fait reproche de sa démission et nombre de
camarades lui affirment qu’il est encore possible de se battre à l’in­
térieur de la Ligue et de chasser la « clique Molinier ». Coi-nette,
d’Halluin, en particulier, propose de suspendre la parution du Bul­
letin jusqu’à la conférence nationale de la Ligue. Sans illusions,
mais pour faire preuve de bonne volonté, on suspend la parution.
Mais Claude Naville n’apprécie ni la préparation de la conférence
(par un « nauséabond Bulletin intérieur »), ni ses résultats. Molinier
reste à la tête de la Ligue et s’adjoint Treint avec l’appui de Trot-
skÿ. On aura donc les « incohérences de Molinier accommodées des
extravagances du camarade T re in t». U décide de reprendre son
action
L e bulletin reparaît, mais sous une forme plus modeste, plus
adaptée aux forces dont on dispose. L e Communiste sort en novem­
bre 1931. L e comité de rédaction comprend C ollin et143, l'écrivain
et critique littéraire Patri, Vacher, Claude Naville, N. Lévine. Mar­
guerite Rosmer affirme que le groupe n’a pas plus de 4 ou 5 mem­
bres 143 : il y aurait donc coïncidence absolue entre le groupe et le
comité de rédaction du journal. D e nouveau Rosmer refuse toute
intégration, « parce que, du dehors, il me sera plus facile de tra­
vailler au regroupement qui doit finalement s’op érer141». Mais la
situation ambiguë déjà signalée au temps du Bulletin de la Gauche
Communiste persiste : on le croit membre du groupe. D ’ailleurs il
s’engage un peu plus, donne des articles, fait des conférences sur
Zimmerwald et KienthalI45, sur l’ effondrement de la 11° Interna­
tionale et les débuts de l’IC 1<l8, sur les premiers congrès de TIC >'17.
Il aide financièrement le journal : les quatre premières listes de
souscription publiées atteignent 1 638 francs, il a fourni 175 francs,
plus de 1 0 % de la somme.
Mais il ne s’engage toujours pas à fond. Il a perdu tout espoir de
voir Trotsky revenir de son engouement pour Molinier 14 8. Il a per­
du toute confiance dans la Ligue Communiste dont il dénonce en
privé la « triste cuisine » , l’incohérence, la faiblesse. Son impres­

141. Le Communiste, nov. 1931.


142. Michel Collinet (Paul Sizoff), né en 1904, adhère aux Jeunesses
Communistes en 1925, à la Ligue Communiste en 1929. Membre actif
de l'Opposition Unitaire, il collabore en 1934 à L ’Emancipateur de Saint-
Denis. En 35, il est au PS puis compte parmi les fondateurs du Parti
Socialiste Ouvrier Paysan de Marceau Pivert en 38.
143. Archives Mougeot, Marguerite à Mougeot, 17-XII-1931.
144. Ibid., Rosmer à Mougeot, 27-XI-1931.
145. Ibid., lettre citée de Marguerite Rosmer à Mougeot.
146. Le Communiste, déc. 1931.
147. Ibid., 20-XI-1931.
148. Archives Mougeot, Rosmer à Mougeot, 2-X-1931.
Vopposition de gauche 381

sion est une impression, d ’ « écœurement » 149. Et ses amis de la


Gauche Communiste dénoncent ouvertement la ligne de la Ligue
qui
C o m m u n is te

« [.••] Réside dans une oscillation entre le suivisme aveugle et


imbécile à l'égard du Parti [...] et une démarcation caricaturale des
faits et gestes du Parti dans sa première période qui revient objecti­
vement à une politique de second parti. La « Ligue » oscille ainsi
entre le suivisme à l’égard du centrisme et la caricature de la poli­
tique centriste 150. »
Cela vient de la dispersion des forces, de l’hétérogénéité des
membres, du manque d’information, surtout d’une transposition
caricaturale des mauvais procédés de l'IC qui, dans un groupe
numériquement restreint, aboutissent à des résultats pires encore
que dans les partis relativement nombreux. En oclubie 32 1-11, la
Gauche Communiste dénonce la direction Molinier-Pierre N aville
qui « gère la Ligue comme une « entreprise » et remplace le tra­
vail politique par la publicité », qui donne à La Vérité un ton
4. gueulard » , se perd dans la lutte des clans, déroute les mili­
tants : les effectifs de la Ligue ne dépasseraient pas la cinquan­
taine. Un sombre tableau qu’il faudrait sans aucun doute nuancer.
En ce qui concerne Rosmer, sa marge d’action est très étroite
car, d’une part il ne veut pas entamer la lutte contre Trotsky,
d'autre part Trotsky mène contre ses amis et lui une lutte très
vive et fait le vide autour d'eux. Rosmer constate non sans amer­
tume ;
« L e camarade Trotsky a ses côtés forts et ses côtés faibles [...].
S’il savait travailler aussi bien avec les hommes qu’avec les idées,
il n'aurait pas été possible de l'éliminer de la direction du Parti
et de l’IC 1S2. »
Mais la Ligue n’existe que par Trotsky. Toute lutte ouverte contre
elle serait une lutte ouverte contre lui. Elle l’affaiblirait person­
nellement et l’Opposition à travers lui. Rosmer ne veut pas en
entendre parler en ce qui le concerne“ 3. Et pourtant, Trotsky
retrouve contre ses propres opposants la tactique que les staliniens
appliquent contre lui. En 1932, des communistes du 15® Rayon,
ia Gauche Communiste, des trotskystes n'appartenant pas à la Ligue,
des membres mandatés de la Ligue se rencontrent et préparent
une déclaration commune. Rosmer la trouve tardive et tatillonne,
mais elle serait un premier pas vers l'unification et préluderait

149. Ibid., Rosmer à Mougeot, 27-XL-31 et 6-VII-32.


150. Bulletin de la Gauche Communiste, l-VI-1931.
151. L,e Communiste, octobre 1932.
152. Ibid., l-IX-32.
153. Archives Mougeot, Rosmer à la Fédération de Charleroi, 22-VII-
1931 ; au groupe de Verviers, V-VI-1931.
382 alfred rosmer

à une conférence internationale d’unification. La Gauche Commiif


niste demande que ce soit une conférence nationale qui procède-,
à l’unification des groupes trotskystes français. Les membres de lÿ^ÉIft
Ligue Communiste se retirent alors. La Gauche Communiste inter-ïll»
prête leur attitude de la façon suivante : ils n’admettraient qu’u ^ p P
retour individuel dans la Ligue. Mais la Gauche Communiste refuseillt'
de «rep lâtrer ce château branlant ». Rosmer juge de même ;
Ligue a la même attitude que les staliniens ou que Jouhaux. O ai!l|
parle d’unification ? Elle traduit retour au bercail. Finalement,
« c’est Trotsky qui, à aucun prix, ne veut collaborer avec nous.v.^-
Il est prêt à s’allier à toutes sortes d’oppositionnels — sauf avec :-M>'
nous1*4 ».
■v«
A ces difficultés de la situation, il faut ajouter, pour expliquerais
l’inactivité relative de Rosmer, des raisons personnelles. Rosm er.^
qui a 54 ans, est las. Dès avril 1931, sa femme écrit qu’il « e n .a ^ -
plus qu’assez» 15S. L ’atmosphère des milieux trotskystes, leurs quei
relies sectaires 15B, leurs « petites querelles » 1SÏ, lui sont devenues ■
insupportables.
Au total, la Ligue est parvenue à l’isoler et, fin 34, Frank peut
dire de Rosmer que c’est « un très brave homme (qui) ne repré­
sente actuellement aucune tendance politique » 15s.

154. I b i d Rosmer à Mougeot, 9-VI-33 et Le Communiste, janv. 33.


155. Archives Mougeot, Marguerite Rosmer à Mougeot, 28-IV-31.
156. RP, mai 64, Témoignages de R. Hagnauer et M. Chambelland.
157. I . D e u t s c h e r , Trotsky, t. 3, p . 92.
158. Archives Mougeot, P. Frank à Mougeot, XII-34.
3

La nature de classe de l’état stalinien

Rosmer était-il anticommuniste ? Dès le début, le PC F l’affirme


et sa réponse n’a pas varié. Puisqu’il y a, dans la période qui va
de 1924 à 1956, identification du stalinisme au communisme, être
antistalinien c'est être anticommuniste. En 1964 encore, l'Histoire
du PCF, Manuel, dans la courte notice biographique qu’elle donne
de Rosmer porte : « Il devint un ennemi déclaré du Parti, du
mouvement ouvrier révolutionnaire et de l’Union Soviétique \ »
Il en est de même pour Monatte : « Jusqu’à la fin de sa vie [il]
fut un anticommuniste et un antisoviétique acharné 2. »
Rosmer pour sa part a toujours refusé catégoriquement cette
étiquette d’anticommuniste. Affirmant que le stalinisme n’est pas
le communisme, il affirme du même coup qu’on peut être, qu’il
est un communiste antistalinien.
Cette controverse n’intéresse pas le seul Rosmer. Elle concerne
un grand nombre de militants. La réponse est délicate à faire et
quelques remarques s’imposent. Tout d’abord, notons que l’anti­
communisme et l’antistalinisme sont fort mal connus et peu étudiés
scientifiquement. Si l’on connaissait mieux leurs arguments et leurs
théoriciens (passé et activité politique, évolution de leur pensée,
réseau de relations...), on pourrait éclaircir bien des problèmes.
D’autre part les arguments anticommunistes sont repris d’un auteur
à l’autre. D ’autant qu’un argument, une fois employé, échappe à
son auteur et tombe dans le domaine commun. II serait intéressant
de pouvoir suivre un thème de son apparition à sa disparition.

1. P. 757.
2. P. 753.
384 alfred rosmer

Il est au total extrêmement difficile de faire la distinction entre J


l’antistalinisme subjectif et l’anticommunisme objectif, si toutefois
cette distinction; d’utilisation courante dans la controverse politique,
a une quelconque signification historique.
L e meilleur critère de classement est finalement fourni par les
auteurs eux-mêmes de façon tout à fait explicite. Sur ces questions,
il y a trois positions possibles :
Les anticommunistes déclarés affirment dès le départ que le :
stalinisme est le communisme ou une forme de communisme. Para­
doxalement, ils se retrouvent ainsi d’accord avec les staliniens. Ils
s’en séparent sur un point capital : le stalinisme leur paraît into­
lérable. Quand ils l’attaquent, ils attaquent aussi le communisme.
Les communistes antistaliniens restent attachés au communisme
et affirment que Staline l’a trahi. Pour eux on peut donc attaquer
lu n sans attaquer l’autre. Ils suivent Trotsky qui, se demandant
si le bolchevisme est responsable du stalinisme, répond :
« [...] Evidemment le stalinisme est sorti du bolchevisme ; mais
il en est sorti d’une façon non pas logique, mais dialectique ; non
pas comme son affirmation révolutionnaire, mais comme sa négation
thermidorienne 3. »
Les antistaliniens qui deviennent des anti-communistes se per­
suadent peu à peu que le stalinisme qu’ils condamnent est assi­
milable au communisme et ils en viennent à rejeter les deux phéno­
mènes. Certains en viennent à poser que le stalinisme est assi­
milable au léninisme ou au marxisme et deviennent antiléninistes
ou antimarxistes.
Cette classification a l’avantage de nous être fournie par les
intéressés. Kosmer qui n’a jamais fait l’assimilation stalinisme-
communisme se classerait donc dans la catégorie des communistes
antistaliniens.
D ’ailleurs, au tournant des années 30, il ne se soucie guère
de savoir dans quelle catégorie on peut le ranger. L e vrai pro­
blème pour les oppositionnels est autre. Staline a affermi son pou­
voir en URSS. L a tension internationale augmente. Dans ce double
contexte, il s’agit de savoir si l’état stalinien est encore un état
ouvrier. S’il l’est encore, il faut le défendre contre ses adversaires.
S’il ne Test plus, son sort devient indifférent. On connaît la position
de l’IC . E lle affirme depuis le congrès de 1928 que l’URSS est
la patrie des prolétaires.' Toute guerre contre l’URSS est une guerre
de classes. L e devoir des prolétaires est de défendre l’ URSS.
Nous examinerons successivement comment Trotsky puis Rosmer
envisagent la question et y répondent. Leurs réponses sont diffé­
rentes, comme sont différentes leurs approches du problème ; plus
théorique chez Trotsky, plus concrète chez Rosmer.

3. Bolchevisme ou stalinisme, p. 3.
la nature de classe de l’état stalinien 385

Trotsky n’a pas varié sensiblement : pour lui, l’URSS reste un


état ouvrier. En juillet 27, il déclarait nécessaire de défendre la
natrie socialiste, mais non le cours stalinien. La question se pose
à nouveau en 1929 quand éclatent des difficultés sino-soviétiques
et quand apparaissent les premiers théoriciens de l'impérialisme
soviétique. Dès septembre 1929, La Vérité doit organiser dans la
région parisienne des réunions pour éclairer les militants qui ont
des doutes sur le sens du conflit entre l’URSS et la Chine 4. Trotsky
défend le traité russo-chinois de 1924 qui a laissé à l’URSS le
contrôle sur le chemin de fer traversant le territoire chinois. En
effet, dit-il, c’est un seigneur de la guerre qui a la réalité du
pouvoir dans la zone traversée. Remettre le chemin de fer au gouver­
nement de Pékin c’était le remettre à ce dictateur contre-révolu­
tionnaire, trahir la révolution chinoise 5. La question de l’impérialis­
me soviétique ne cessera plus d'être à l'ordre du jour. Trotsky qui a
écrit dès 1929 La défense de VXJRSS et l’Opposition, revient sur
la question en 1933 dans La IV e Internationale et l’URSS, la nature
de classe de l’état soviétique. Par une polémique serrée, dirigée
notamment contre Urbahns et Laurat % il rejette successivement les
différentes théories en présence sur la nature de l’état stalinien :
bonapartisme, capitalisme d’état, Thermidor, dictature de la bureau­
cratie sur le prolétariat.
L e bonapartisme est une forme de domination de la bourgeoisie,
il suppose donc pour apparaître une bourgeoisie qui n’existe pas
en URSS. Il s’ensuit que l’URSS n’est pas un état bonapartiste 7.
Il n’y a pas plus de capitalisme d’état. On peut définir celui-ci
de deux façons ; intervention de l’état bourgeois dans la marche
des entreprises ou dans la direction de certaines entreprises et, selon
la définition de Lénine, contrôle par l’état prolétarien des entreprises
et des rapports capitalistes privés. Or, « pas une seule de ces défi­
nitions ne peut s’appliquer à l’état soviétique actuel 8 ».
Pas de Thermidor russe non plus. Trotsky reconnaît la paternité
de cette formule qu’il a employée contre la Troïka. Mais, dit-il,
c’est une « formule conventionnelle ». Thermidor, c’est une contre-
révolution sociale avec remplacement d’une classe dirigeante par
une autre. Il reste une menace pour l’URSS :
« Si la révolution ne s’élargit pas sur l’arène internationale suivant
le système d’une spirale prolétarienne, elle commencera inévita­
blement à se rétrécir dans les cadres nationaux suivant le système
dune spirale bureaucratique \ »

4. La Vérité, 13-IX-1929, « La vie du journal ».


5. La défense de l’URSS et l’Opposition, p. 11.
6 . Economiste et observateur des problèmes russes, Laurat défend lui
aussi la théorie de l’URSS puissance impérialiste et capitalisme d’état.
7. La IV* Internationale et l’URSS, p. 12.
8 . Ibid., p. 13.
386 alfred rosmer

Le Thermidor, menace réelle, n’est pas une réalité.


Pas de dictature sur le prolétariat d'une bureaucratie qui |e
dominerait politiquement et l’exploiterait économiquement en absor­
bant la plus-value qui revenait autrefois à la bourgeoisie. Pour
Trotsky, il y a des classes (noblesse, bourgeoisie, prolétariat) et
à l’intérieur de la bourgeoisie, des couches (bourgeoisie commer­
çante, industrielle, financière). Il y a des révolutions sociales qui
opposent les classes entre elles (1789, 1917) et des révolutions
politiques qui opposent entre elles les différentes couches d’une
même classe (1830, 1848). Mais la bureaucratie qui peut exister sous
tous les régimes de classe, n'est pas une classe :
« Sa force est un reflet. La bureaucratie, indissolublement liée
à la classe économiquement dominante, est nourrie par les racines
sociales de celle-ci, se maintient et tombe avec elle. »
Certes, la bureaucratie vole le peuple, mais par « parasitisme so­
cial » et non par un mécanisme d’exploitation 10.
Au total, pour Trotsky en 1933, l’URSS stalinienne reste un état
prolétarien. En e ffe t 1 1 7 les moyens de production qui ont appartenu
aux capitalistes restent dans les mains de l’état soviétique, la terre
reste nationalisée, les éléments sociaux qui se livrent à l’exploitation
restent exclus des soviets et de l’armée, le monopole du commerce
extérieur qui protège l’URSS de l’intervention économique du capi­
talisme subsiste.
En raison de la thèse marxiste de l’inconciliabilité des contra­
dictions de classe, il n’y a pas plus de contre-révolution pacifique
que de révolution pacifique. Or il n’y a pas eu trace de contre-
révolution violente en URSS 12.
Bref, l’appareil stalinien qui a perdu toute importance comme
facteur révolutionnaire garde son importance comme gardien des
conquêtes sociales en URSS 13. Il y a toujours en URSS une dicta­
ture du prolétariat quoiqu’une dictature malade, exercée par la
bureaucratie 14. Il n’y a pas lieu à révolution sociale, mais à révo­
lution politique, antibureaucratique, violente, dirigée contre la
bureaucratie, opérant 1 ’ « ablation de l’excroissance pernicieuse 15 ».
Il s’ensuit que l’URSS doit être défendue, que cette défense
doit être « résolue et sans restriction 18 ». Sur ce point, toute baisse
de vigilance serait mortelle : se désintéresser de l’URSS sous pré­
texte qu’elle n’est pas un état prolétarien, c’est devenir un instrument
de l’impérialisme 17.

10. I b i d p. 18 et suiv.
11. La défense de l'URSS, p. 35.
12. La ZV* Internationale et l’URSS..., p. 7.
13. Ibid., p. 5-
14. Ibid., p. 8 .
15. Ibid., p. 18 et suiv.
16. Défense de l’URSS et Opposition..., p. 60.
17. La IV e Internationale et VURSS, p. 29.
la nature de classe de l’état stalinien 387

g n 1 9 3 5 , dans L ’Etat ouvrier, Thermidor et bonapartisme, Trotsky,


aorès avoir reconnu ce qu'il y avait d’erroné dans ses appréciations
antérieu res de Thermidor, conclut que le Thermidor russe est chose
a c c o m p lie , qu’il est « loin derrière », que le régime de l’URSS est
un bonapartisme. Mais il maintient que « par ses bases sociales
et ses tendances économiques, l’URSS continue à rester un état
o uvrier 1R » qu’il faut défendre. En 1936, dans La Révolution trahie,
sa position n’a pas évolué lB.
Si nous en venons maintenant à l’analyse de la pensée de Rosmer,
nous constatons que son rythme d’évolution tient le milieu entre
l’immobilisme de Trotsky et l’évolution rapide des théoriciens du
Thermidor ou du bonapartisme.
Il appuie sa réflexion sur l’examen de la politique concrète tant
intérieure qu’extérieure de l'URSS.
A l’intérieur, pense-t-il, le plan quinquennal aggrave la situa­
tion. Il n’est pas systématiquement hostile à l’idée de plan qui vient
d’ailleurs de Trotsky. Mais l’application du plan aurait dû être
contrôlée minutieusement par le Parti, les syndicats, les soviets,
tandis qu’on a fait tout le contraire, « pour réaliser le plan, on a
mis le communisme, le Parti, les soviets en sommeil » et on en est
arrivé à un « petit américanisme 20 ». L e plan est élaboré et contrôlé
par des bureaucrates et des techniciens. Souvent, ils ne sont pas
communistes. Toujours, ils appartiennent à cette « nouvelle bour­
geoisie en voie de formation 31 » qui étale déjà ses tares au grand
jour :
« Ces scandales qui sont maintenant trop fréquents, ces directeurs
qui volent, ces diplomates qui trahissent, ces hauts fonctionnaires
qui refusent de rentrer en URSS, tout cela a même origine : il ne
s’agit pas d’événements fortuits, sans lien entre eux. »
Pour réaliser le plan, le gouvernement exerce des pressions sur
la classe ouvrière : espoir mystique du paradis après cinq ans
d’efforts, contrainte brutale, stakhanovisme qui n’est autre qu’un
système Taylor aggravé. Rosmer pense qu’aucune amélioration sen­
sible n’est intervenue dans le sort de la population. Il écrit en
1932 :
« [...] Ce 15° anniversaire est avant tout, pour Staline, une
échéance, une redoutable échéance, car elle le trouve insolvable et
même banqueroutier 22. »
Comme Staline ne peut avouer son échec, comme il ne peut
revenir au communisme, il devra aggraver sa dictature. C ’est effec­
tivement ce qui se produit et les procès de Moscou marquent,

18. L ’Etat ouvrier, p. 25.


19. De la Révolution, pp. 602-604.
20. AR. Le Communiste, l-IX-1932.
21. AR, La Vérité, 3-X-1930.
22. AR, Le Communiste, l-XI-1932.
388 alfred rosmer

pour Rosmer, le point culminant. Il les considère comme de n


velles affaires Dreyfus, comme des crimes de ia raison d’Etat
D ’autant plus que Trotsky, quoique absent, est au centre des procès^Sfe
est en fait le principal accusé. vsîfe’
Nous ne ferons qu’évoquer ici l'importance des procès de M oscou ^
et leur impact psychologique et politique sur les militants ouvriers^ * - - 1
Les trois procès se succèdent en moins de deux ans. Celui diïlflîv
« Centre Terroriste Trotskyste-Zxnovieviste » en août 1936 a poui
principaux accusés Zinoviev et Kamenev. Celui du « Centre Anti-'r''
soviétique Trotskyste » en janvier 1937 est le procès de Radek'-V
et Piatakov. L e dernier, en mars 1938, avec Boukharine et Kikoy '
est celui du «B lo c des Droitiers et des Trotskystes Antisoviéi
tiques ».
I l y a eu d’autres procès importants pour la pensée ouvrière
entre les deux guerres, tels ceux de Sacco et V anzetti 24 ou celui
de D im itrov 26 et la protestation a pris différentes formes qui vont *
du comité de défense aux manifestations de rue ou à l’organisation1
d’un contre-procès. C ’est cette dernière solution qui prévaut pour .
les procès de Moscou.
Ici, les principaux accusés changent mais Trotsky est toujours
le principal accusé. Comment va-t-il réagir ? Dès 1936, une propo­
sition lui arrive de Prague : organiser un procès parallèle 26. Après
le procès Radek-Piatakov, un contre-procès s’organise. Trotsky ne
peut, bien sûr, aller protester sur place de son innocence. Mais
toutes les accusations qui sont portées contre lui seront examinées
par une sorte de jury d’honneur. L ’acte d’accusation ayant été
amplement dressé à Moscou, Trotsky présentera sa défense et ses
témoins. Différents comités se créent pour l’étude des procès de
Moscou : en Grande-Bretagne, aux USA, en Tchécoslovaquie. En
France, le Comité pour l’Enquête sur les Procès de Moscou com­
prend, autour de Rosmer, l’écrivain André Breton et F. Charbit.
En mars 1937, les différents comités nationaux donnent mandat
au comité US d’organiser une commission mixte d’enquête et Rosmer
part à N ew York pour participer aux travaux de cette commis­
sion 27. J.T. Farell, l’écrivain américain de tendance progressiste et
antistalinienne, dira de ses travaux qu’ils sont « un modèle pour
toute future entreprise de ce genre 28 ».

23. Appendice à Léon T r o t s k y , Ma Vie, p. 623.


24. Sacco, ouvrier cordonnier, et Vanzetti, poissonnier, émigrés aux
USA et militants révolutionnaires, sont impliqués dans une affaire de
meurtre et exécutés en 1927.
25. ^Georges Dimitrov (1882-1949), fondateur du PC bulgare, fut
accusé par Hitler d’avoir organisé l’incendie du Reichstag et jugé. Le
gouvernement de l'URSS lui ayant accordé la nationalité soviétique, il
est libéré en 1935 et occupe, jusqu’en 1943, le poste de secrétaire de I’IC.
26. APP, Ba 1626, Trotsky à Léon Sedov, 3-X-36.
27. Sur toute cette question, voir Not Gtiilty.
28. Archives Rosmer, Farell à Rosmer, VI-38.
la nature de classe de l’état stalinien 389

>iH'-
^ C e t t e commission mixte d’enquête comprend dix membres.
' John Dewey, professeur de philosophie à l’Université de Colum-
■ïs l théoricien des méthodes nouvelles en matière pédagogique,
t un des tenants du pragmatisme US. Il a déjà été membre des
66rnités d e Défense de Sacco-Vanzetti et de Torn Mooney 20. Ce
'est certes pas un révolutionnaire, mais un démocrate, ennemi du
totalitarism e sous toutes ses formes. Il est une garantie pour l'impar­
tialité des débats et préside la Commission. Rosmer dira :
« Pour sa philosophie, le pragmatisme, j’en suis aussi éloigné
aue l .D. [Trotsky] l’était, mais son attitude n’en eut que plus de
mérite'30- »
S u z a n n e La Folette s’occupe du secrétariat. Auteur et journa­
liste. elle a dirigé des journaux avancés, The Freeman e t The New
Freeman.
John Chamberlain, journaliste antistalinien a été critique litté­
raire au New York Times et professeur de journalisme à l’Université
de Columbia. Il a dirigé la Saturday Review of Literature.
E-A. Ross, professeur de sociologie à l’Université de Wisconsin
est l’auteur d’ouvrages sur l’URSS et la révolution russe.
Ben Stolberg, auteur et journaliste, collabore à des journaux Htté-
taires et ouvriers, il a écrit des études sur le mouvement ouvrier
américain.
Otto Ruelhe, ancien membre du PS allemand, minoritaire de
guerre qui a voté après mars 1915 contre les crédits militaires,
fut, en novembre 1918, l’un des leaders de la révolution en Saxe.
Entré au PC allemand, il en est éliminé par Paul Lévi, il parti­
cipe à la fondation du K A PD , prend position contre l’adhésion
à l’IC, ce qui le fait exclure. Il émigre en 1933 aux USA puis
au Mexique et s'y consacre à des travaux scientifiques.
Wendelin Thomas, leader de la révolte de Wilhelmshaven en
novembre 1918, a été de 1920 à 1924 député socialiste indépendant
puis député communiste au Reichstag.
Carlo Tresca, militant anarcho-syndicaliste, dirige 11 Martello,
journal antifasciste et antistalinien. Il a mené des grèves à Mesaba
Range, Lawrence et Paterson.

29. En juillet 1916, à San Francisco, un attentat à la bombe fait 10


morts et 40 blessés. 5 militants révolutionnaires sont arrêtés dont Tom
Mooney qui est condamné à mort. Le procès a lieu dans une atmosphère
d’hystérie collective entretenue par les campagnes de la presse Hearst.
Les témoins gênants pour l’accusation sont éliminés ou menacés. En
1918, en partie sur intervention du président Wilson, la sentence de mort
est commuée en une peine de prison à vie. L ’affaire Mooney devient alors
le thème d’une lutte que mènent les partis de gauche, les militants
ouvriers, les partisans des droits civils. La bataille de procédure dure
vingt ans et Mooney est gracié en 1938.
30. Archives Rosmer, Rosmer à Natalia Trotsky, 2-IX-1952. Voir aussi
AR, Preuves, juillet-août et sept, et IX-1952.
390 alfred rosmer

Francisco Zamora, journaliste, est l’éditorialiste de E l Universal


(Mexico). II a siégé au Comité National de la Confédération des
Travailleurs Mexicains.
Rosmer, enfin, a été désigné par le Comité de Défense français.
Un conseiller juridique s’y adjoint : J.F. Finerty qui a déjà été
conseiller juridique des comités Sacco-Vanzetti et Tom Mooney.
Une commission mixte largement internationale donc, dont la
pondération géographique traduit l’importance du trotskysme US
et qui, politiquement, est de tendance révolutionnaire — au sens
large du mot et staliniens exclus. Il est bien évident que la com­
mission est loin d’être hostile à Trotsky.
Quoi qu’il en soit, elle passe à l’audition des témoins de la
défense. Du 1 0 au 17 avril 1937, une Commission Préliminaire
d’enquête entend Trotsky et son secrétaire Frankel à Coyoacan.
Son président John D ew ey en expose les travaux dans un meeting
à N ew York : Truth is on the march, report and remarks on the
Trotsky heanngs in M exico 31. Du 12 mai au 22 juin, une Com­
mission Rogatoire entend des témoins à Paris. Les 26 et 27 juin,
la sous-commission new-yorkaise dont fait partie Rosmer, entend
des témoins à N e w York. L e 21 novembre, la commission d’enquête
confronte l’ensemble de ces témoignages de la défense avec les
témoignages accusateurs des procès de Moscou. Elle met au point
ses conclusions et charge un Comité de Rédaction (Dewey, La
Folette, Stolberg) d’élaborer le rapport final. Rédigé par L a Folette,
il est approuvé par tous les membres de la Commission. Exposé
dans un meeting à N ew York le 12 décembre, le rapport conclut
à l’innocence de Trotsky et de son fils Léon Sedov. Les procès
de Moscou, dit-il, ont été menés sans le moindre désir de décou­
vrir la vérité. Les aveux sont chose importante, mais les aveux de
Moscou sont si invraisemblables qu’ils ne peuvent être tenus pour
véridiques. Aucune des accusations ne tient. Les procès de Moscou
sont une comédie. Trotsky et Léon Sedov 32 ne sont pas coupables :
N o t Guiîty, c’est le titre du livre qui rassemble les travaux et les
conclusions de la Commission.
Notons que celle-ci se refuse explicitement à examiner comment
les aveux ont été obtenus. La Commission française, faisant remar­
quer que les accusés avaient depuis longtemps rompu tous liens
avec l’Opposition et avaient « capitulé », affirme que leurs aveux
sont ceux de communistes « en service commandé », obéissant au
Parti, sans compter la menace de mort pour eux et pour leurs

31. New York, 1937, 16 p.


32. Léon Sedov (1906-1938) s’est entièrement consacré aux luttes
de l’Opposition de Gauche dans l’ombre de son père. Fixé à Paris ou à
Berlin, il assure la publication du Bulletin de l’Opposition et les contacts
avec les trotskystes des différents pays. Il meurt en 1938 dans une cli­
nique parisienne, des suites d’une opération. Les trotskystes y voient la
main des agents staliniens.
la nature de classe de l’état stalinien 391

proches 33. Trotsky, pour sa part, les attribue immédiatement à la


pression, sans se poser, du moins explicitement, la question de la
nature des pressions :
« Beaucoup se demandent : comment Zinoviev et les autres ont-ils
pu si misérablement capituler ? On ne met pas en considération
la force et la continuité de la pression [...]. Malgré tout, la force
de résistance morale de Zinoviev, Kamenev, etc., était beaucoup
au-dessus de la moyenne, mais elle s’est avérée insuffisante pour
les circonstances tout à fait exceptionnelles, c’est to u t34. »
La volonté de justification juridique de Trotsky, de révision des
procès de Moscou, sera partagée par Natalia Trotsky. En 1946,
au moment des procès de Nuremberg, d’accord avec Rosmer et
Zamora, elle suggère que la commission d’enquête sur les procès
s’adresse à la cour de Nuremberg. Elle voudrait que le dirigeant
nazi Rudolf Hess soit interrogé sur les relations qu’on lui a prêtées,
à Moscou, avec Trotsky35. Rosmer essaie d’obtenir l’accord de
Dewey et de Suzanne La Folette pour une démarche 36. Leur propo­
sition n’a d’ailleurs pas été suivie d’effet.
Rosmer pour sa part a directement été mis en cause par Kres-
tinsky au 3e procès. On sait que Krestinsky fut le seul accusé
des procès de Moscou à nier à l’audience les aveux faits au cours
de l’enquête. On sait aussi que le lendemain, il avoua de nouveau.
Il affirme avoir servi d’intermédiaire entre le général allemand von
Seeckt et Rosmer en 1928. A l’hôtel Excelsior à Berlin, von Seeckt
aurait remis à Rosmer et à Madeleine Paz des sommes importantes.
Rosmer réplique qu’il n’a pas été à Berlin en 1928, qu’il n’a jamais
rencontré à Berlin ni Madeleine Paz, ni Krestinsky, ni von Seeckt,
que sa seule rencontre avec Krestinsky remonte à 1924 et n’a
d’ailleurs duré que quelques minutes 37.
Au total, les procès de Moscou lui sont une preuve supplémen­
taire. Ce n’est pas une société socialiste qui se bâtit en URSS
car « une société nouvelle, une société socialiste, ne peut être bâtie
sur le mensonge, avec le sang de ses pionniers 38 ».
L e cours stalinien tournant le dos au communisme en URSS,
il ne faut pas espérer une attitude meilleure de l’IC. A vec une
planification qui s’éloigne du socialisme, avec le slogan du socia­
lisme dans un seul pays, l’IC ne peut être que débile 39. Sa ligne

33. Commission d’Enguête, Pour la vérité sur les procès de Moscou,


18 questions, 18 réponses, p. 1 1 .
34. APP, Ba 1626, Trotsky à Léon Sedov, 3-X-1936.
35. Archives Rosmer, Lettres de Natalia Trotsky à S. La Folette et J.
Dewey, 1946.
36. Archives S. Jacohs, Rosmer à S. Jacobs, 26-11-1946.
37. AR, Lutte Ouvrière, 17-111-1938.
38. Ibid.
39. AR, Le Communiste, I-IX-1932.
392 alfred rosmer

g é n é ra le to m b e d ’u n e x tr ê m e d a n s l ’ a u tr e : e x tré m is m e g a u c h is te
e n A lle m a g n e , e x tré m is m e d r o it ie r a v e c le s fr o n ts p o p u la ire s .
Nous n’évoquerons que pour mémoire la critique radicale que
Trotsky fait de l’attitude de ITC dans la question allemande. Rosmer
approuve sans réserves la position trotskyste. Mais ce qui est frap­
pant, c’est de voir avec quelle lenteur relative il prend conscience
du danger nazi. Il a été en Allemagne en 1929 mais ne nous a pas
laissé d’impressions de voyage. Mais en juillet 1932 encore, il tient
pour vraies les observations suivantes qu’un de ses amis lui rapporte
d’A llem agn e 40 : le nazisme est une mascarade, « les nazis ordi­
naires [...] font plutôt rire » . Ce sont les réactionnaires qui utilisent
les nazis contre les organisations ouvrières et qui renforcent la
répression administrative : « Ce qui, par contre, est tout à fait
sérieux, c’est le présent gouvernement de hobereaux et de barons
Quant aux chômeurs, ils
« [...] Se tirent d’affaire avec les secours qu’ils reçoivent (au mini­
mum 450 francs par mois avec des avantages divers et la possibilité
de se nourrir à bon compte), les grosses dépenses (achat de vête­
ments, chaussures, etc.) restant un problème difficile ».

Les sociaux-démocrates, par leur inaction, rejettent bon nombre de


leurs partisans vers les communistes. Ceux-ci, tout surpris par
l’ampleur de leur victoire électorale41, n’ont plus de ligne cohé­
rente : ils ont saboté le Front Unique, n’appliquent pas la « poli­
tique imbécile » de la 3e période, font du nationalisme à outrance
pour raccoler les électeurs petits bourgeois mais écartent ainsi les
prolétaires. Rosmer rapporte une anecdote : les derniers discours
de Thaelman sont si nationalistes que les salles se vident de leurs
éléments ouvriers au fur et à mesure qu’il p a rle 42. Les brochures
de Trotsky sont très lues et sont discutées dans la presse. Les
journaux de l’Opposition ont une importante diffusion. L ’avenir ?
C’est la guerre civile. Nous n’avons aucun document qui nous
permette de dire quelle issue de la guerre civile envisage Rosmer.
Prolétariat ou réaction — dont il ne distingue guère les fascistes — ,
quel vainqueur voit-il ? Nous l’ignorons. Signalons seulement que
le groupe de la R P , en 1932, est optimiste sur l’issue d’une éven­
tuelle guerre civile allemande et qu’on s’y étonne du pessimisme

40. Archives Mougeot, Rosmer à Mougeot, 6-VII-1932.


41. Ils atteindront aux élections de juillet 32 5200 000 voix et 89 sièges,
aux élections de novembre 32 5 900 000 voix et 100 sièges.
42. Thaelman (1886-1944) vient du PS. Mobilisé pendant la guerre,
la combativité dont il a fait preuve à Hambourg lui vaut une popularité
énorme. 11 fait partie du groupe Ruth Fischer-Maslow qui bolchevise le
PC allemand. Quand les chefs du groupe sont écartés pour zinovievisme,
il leur succède à la tête du Parti. A partir de 1929, il est le dirigeant
incontesté du Parti et il applique exactement la ligne allemande de l’IC.
la nature de classe de l’état stalinien 393

de Simone W e il43. Nous sommes dans la même ignorance en ce


nui concerne l’attitude de Rosmer devant l’évolution de la situation
allemande. Entre juillet 32 et juin 33, nous n'avons aucun texte de lui
qui traite de la question.
Nous le retrouvons donc à un moment où les nazis ont pris
le pouvoir. L e temps travaille maintenant contre les révolution­
n a ire s et pour H i t l e r R o s m e r se r e n d à Bruxelles p u is à Gand
pour organiser une conférence internationale de lutte contre le
fa s c is m e . C ’est la NAS, centrale syndicaliste-révolutionnaire de H ol­
la n d e qui a proposé la réunion. Cette centrale n’a aucun rapport
.avec les staliniens puisqu’elle a quitté l’ISR pour protester contre
la politique de Losovsky. Cela la rend acceptable aux yeux de
R o s m e r. Elle est authentiquement révolutionnaire et son président,
S n e e v lie t, est en prison. Il n ’e s t pas question de boycotter les
marchandises allemandes ce qui pourrait apparaître comme une
manœuvre des impérialismes rivaux et renforcer encore le natio­
nalisme allemand. On veut organiser u n e manifestation internationale
de solidarité en faveur des ouvriers allemands écrasés par Hitler
et cela au moment même où s’ouvrira le procès des pseudo-incen­
diaires du Reichstag. Mais ici encore, faute de documents, nous
perdons le fil et nous ne savons plus comment évoluent la pensée
et l’action de Rosmer.
En ce qui concerne le front populaire, il faut le replacer dans
la discussion internationale qui secoue à ce sujet le mouvement
ouvrier. L a droite du mouvement craint que le front populaire
n’accentue les terreurs de la bourgeoisie et ne la pousse vers le
fascisme45. A gauche, on considère la tactique de front populaire
non comme une tactique offensive, mais comme une tactique défen­
sive 4e. Rosmer en particulier affirme dès 1932 47 que l’IC ne sait
plus que répéter : la guerre impérialiste est proche, il faut défendre
l’URSS. Dans cette perspective défensiste, il interprète les fronts
populaires comme des alliances sans principes avec les partis bour­
geois : on modère, on brise l’ardeur révolutionnaire des prolétariats
pour ne pas rejeter les bourgeoisies effarouchées dans les bras des
fascismes.
Parallèlement, Trotsky écrit dans le Journal d’exil *R :
« Ce qu’on appelle le « Front Populaire » , c’est-à-dire le bloc
avec les radicaux pour la lutte parlementaire, c’est la plus criminelle

43. Emission télévisée d’avril 1968 sur Simone Weil ; interview de


F. Charbit.
44. Archives Rosmer, Rosmer à Mougeot, 9-VI-33.
45. Voir les discussions du Comité Central de la FIOM. Genève.
46. Voir P. B r o x j é et N. D o r e y , Critiques de gauche et opposition
révolutionnaire au Front Populaire (1936-1938) ; Le Mouvement Social,
Janv.-mais 1966, pp. 91-134.
47. Le Communiste, l-IX-32.
48. P. 49, 14-11-35.
394 alfred rosmer

trahison contre le peuple que se soient permise les partis ouvriers


depuis la guerre. »
Opposé à bien des aspects de la politique trotskyste -— en parti­
culier à l’entrisme 49 — Rosmer est d’accord avec sa critique fonda­
mentale du front populaire. Comment en vient-il là ? Tout sim­
plement en appréciant comme lui et à l’opposé des communistes,
l’importance du danger fasciste en Fiance. C ’est logique : si on
s'exagère le danger fasciste, tout sera bon pour l'arrêter ; si on
le minimise, il n’y aura pas lieu, pour le combattre, de sacrifier
l’espérance révolutionnaire à seule fin de complaire aux alliés
bourgeois. Les conditions nécessaires pour l’implantation du fascisme
ne lui paraissent pas être en place en F rance50. Il y a eu un
réveil ouvrier en 1934. En 1932, les élections avaient porté Dala-
dier au pouvoir 51, un Daladier vainqueur des conservateurs et des
communistes qui avaient adopté une tactique électorale sectaire
relevant de 1’ « infantilisme gauchiste ». L a bourgeoisie française
est persuadée que les radicaux vont lui amener le bolchevisme.
E lle lutte contre eux par tous les moyens : contre Herriot, le mur
d’argent, contre Daladier, l’émeute. Sans doute y a-t-il là des motifs
de pessimisme et Trotsky se demande dans Où va ïa 'France ? si la
bourgeoisie française, par peur du bolchevisme, ne choisira pas
le fascisme. Rosmer de son côté ne pense pas qu’il soit suffisant
de crier « L e fascisme ne passera pas » ou « L a France n’est pas
l’A llem agn e» pour conjurer les périls. Mais il considère que les
conditions pour un fascisme français ne sont pas rassemblées. Les
fascistes français ont eux-mêmes été étonnés de leur succès du
2 février. Ils ne retrouveront pas de sitôt des circonstances aussi
favorables : incapacité ministérielle, série de scandales tels qu’ils
ont pu marcher sur la Chambre au cri d’ « A bas les voleurs ! »
qui a toujours un « effet magique sur les badauds parisiens ». Sur­
tout, la classe ouvrière française s'est réveillée devant le danger.
L e jour de la grève générale, communistes et socialistes se rejoi­
gnent, on crie « Unité d'action I », les mains se tendent et se serrent.
Au PC, il n'y a pas d’amélioration au niveau de la direction, mais
la base veut agir. A la SFIO, même spectacle : on peine à sortir
du bourbier parlementaire mais la base, surtout en province, voit
clair et veut une politique nouvelle sz. Rosmer pense que l’occasion
est unique : il faut se regrouper, créer partout des groupes de
défense, mais des groupes nouveaux, refuser par conséquent d’aller
renforcer le mouvement d’Amsterdam-Pleyel comme le demandent

49. Archives Mougeot, Rosmer à Mougeot, 1934.


50. Ibid-, Rosmer à Mougeot, 28-111-34.
51. AR, Préface au Journal d’exil de Trotsky, pp. 7 et suiv.
52. Archives Mougeot, Marguerite Rosmer à Mougeot, 1-III-32 ; Ros­
mer à Mougeot, 28-111-34.
la nature de classe de l’état stalinien 395

les militants communistes. Notons que c’est le moment où Trotsky


préconise la formation de « Comités d’action ss ».
H parle donc de l’unité à la base. Or l’alliance se fait au som­
met. Cette tactique de front populaire n’est finalement qu’une
n o u v elle manoeuvre de Staline, lancée après les conversations de
mai 35 avec Laval. Staline, sous couvert d’antifascisme, tente d ’en­
cercler l’Allemagne hitlérienne et d’engager les nations démocra­
tiques dans la voie de la guerre à l’Allemagne. Aux avantages
qu’il on espère sur le plan de la politique extérieure s’ajoutent
les bénéfices immédiats : il tire ses partisans de leur isolement et
leur permet de s’infiltrer partout54.
A l’optimisme de 34 succède donc l'attitude morose de 36. Notons
que, pour d’autres raisons, le groupe de la RP est lui aussi morose :
il n’admet pas que les syndicats désarment devant ce cartel de
partis qu’est le front populaire. Un des rédacteurs de la RP com­
mente d'ailleurs :
« [...] En 1935, ceux qui venaient au mouvement ne nous ren­
contraient guère dans leurs démarches. Non seulement nous ne
partagions pas la plupart de leurs espoirs, mais encore devions nous
souffler sur la plupart de leurs illusions s5. »
Rôle ingrat en temps d’ « illusion lyrique » ! Les positions de
Rosmer et de la R P , dans la mesure où elles ont été connues,
n'avaient guère de chances de se répandre.
Très critique donc sur la tactique du front populaire telle qu’elle
se pratique en France, Rosmer l'est plus encore sur sa version
espagnole. Depuis fort longtemps, il suit attentivement la situation
en Espagne. Voyageant à Barcelone en mai 1931, il signale le grand
enthousiasme pour la victoire électorale républicaine qui se double
d'une victoire régionaliste SB. Les masses ouvrières et paysannes sont
soulevées, les chefs staliniens sont discrédités : circonstances favo­
rables pour l'Opposition. D ’autant plus favorable que la popularité
universelle de Macià sr — homme de bonne volonté — ne va pas
résister à l'épreuve du pouvoir. Dès qu’il s’attaquera aux problèmes
concrets, ses partisans fondront comme neige au soleil. Mais il
faut tout créer en Espagne. Les résistances ne viendront pas des
communistes car l’IC n'a pas compris les possibilités offertes par

53. N. D o r e y et P. B r o u é , art. cité.


54. AR, Appendice à T r o t s k y , Ma Vie, p. 602.
55. R. H a g n a u e r , RP, janv. 1950, « Les noces d’argent de la RP. 25
ans contre le courant ».
56. Archives Mougeot, Rosmer à Mougeot, mai 1931 ; Rosmer au
groupe de Verviers, V-VI-31. Les élections municipales d’avril ont vu le
triomphe du bloc des républicains et des socialistes dans toutes les
grandes villes, Barcelone comprise bien entendu. C’est la fin de la monar­
chie espagnole.
57. Macia, leader nationaliste catalan, obtient en août un statut de
large autonomie pour la Catalogne.
396 alfred rosmer

la chute de Primo de Rivera en janvier 1930 et le PC espagnol


est minusculess. Elles viendront, et c'est grave, de la C N T qui’
a pris la tête du mouvement. Ces anarcho-syndicalistes qui ont
des dizaines de milliers d'ouvriers avec eux sont la grande force
mais, si on les laissait faire, ils mèneraient de nouveau la classe
ouvrière à la défaite.
Comment leur arracher leur influence ? Pour Rosmer et pour
Serge, aucun doute. Seul le PO U M en est capable. Les trotskystes
sont sceptiques. Trotsky lui-même accuse Nin de s'être toujours
borné dans ses relations avec lui au domaine théorique et de
n’avoir jamais voulu discuter des questions concrètes, notamment
des grèves générales en Catalogne S9. Il pense que Nin s'est allié
avec Maurin 80 parce que cette, alliance « lui permettait de mener
une existence tranquille». Pour Rosm er81, c'est exactement le
contraire. Les ouvriers du PO U M sont l'espoir de la révolution.
Quand éclate la guerre civile, il ne voit pas d'intérêt dans
l’affrontement des républicains et des franquistes. Il n'a d’yeux
que pour la lutte de classe du prolétariat espagnol. Les ouvriers
— anarchistes, socialistes, P O U M — seuls, presque sans armes, ont
sauvé Madrid et Barcelone. Ils
« [...] N e se sont pas jetés sur les mitrailleuses par amour des chefs
républicains — ■ qu'ils ont déjà vu à l’œuvre de 1931 à 1933 —
mais parce que la foi révolutionnaire les anime ».
Bien plus que la lutte antifasciste, c'est la lutte pour le socialisme
qui compte. A cet égard, la politique de Staline est inadmissible :
il ne fait rien jusqu’en août 1936, puis il consent à vendre fort
cher des armes à condition d’imposer sa politique. Et quelle poli­
tique ! Etouffement de l’aspect socialiste de la révolution, exaltation
de son aspect front populaire. La guerre devient une lutte des
démocrates contre les généraux rebelles. Azana, premier ministre,
puis président de la république espagnole 63 peut se féliciter : Staline
le sauve. L a politique de Staline rejoint aussi sa grande manoeuvre
diplomatique internationale : en ne parlant que de démocratie et
d’antifascisme, il pousse la France et la Grande-Bretagne vers l’inter­
vention, il espère « transformer la grande bataille ouvrière en bagarre
entre impérialismes rivaux ».
Pour Rosmer, l’intervention de l'Allemagne et de l’Italie étant
chose faite, toute intervention de la France et de la Grande-Bretagne

58. Le Communiste, l-IX-32.


59. Archives Serge, Trotsky à Victor Serge, 3-VI-36.
60. Joaquin Maurin, instituteur à Barcelone, membre de la CNT, puis
du PC espagnol, est passé à l’Opposition pais a fondé le Bloc Ouvrier
Paysan.
61. Préface au Stalinisme en Espagne.
62. Chef de la Gauche Républicaine, il a été responsable de la dure
répression du soulèvement agraire de Casas Viejas en 1933.
la nature de classe de Vétat stalinien 397

ferait le jeu de Staline. Ceci jette une lueur inhabituelle sur la


discussion internationale intervention ou non-intervention qui secoue
le mouvement ouvrier et qu’on envisage d’habitude comme un pro­
blème d’opportunité diplomatique ou de dilemme entre pacifisme et
guerre révolutionnaire 63.
Puisque Staline et Azana s’entendent pour éliminer les révolu­
tionnaires considérés comme des gêneurs, Rosmer affirme sans se
lasser qu’il est nécessaire, pour un révolutionnaire, de dénoncer la
terreur stalinienne en Espagne. Il refuse de se laisser prendre au
piège d’un manichéisme facile : tout ce qui nuit au stalinisme fait
le jeu du fascisme. Refusant de se laisser ainsi paralyser, il affirme
que, dans le camp républicain, ïa répression, la torture!, les assassinats
par tueurs professionnels sont le fait des staliniens. On lui dit
1 i o î v o i ^ -n o t> Oo -foi lû -Cû i i l ô lâ ft-
(J.C '-*"*■ j''* -* ^ -v.--
demain de la victoire pour ces règlements de comptes. Il s’y refuse
car ce serait s’aveugler volontairement et trahir l’idéal révolution­
naire 04. Entre les totalitarismes, il refuse de choisir :
« Un certain antifascisme justifierait tout, même les crimes. Tout
se passe comme si nous n’avions désormais plus le choix qu’entre
des variétés de régime totalitaire : la mussolinienne, l’hitlérienne,
la stalinienne 6S. 2>

Plus. La terreur règne dans toute l’IC et, autour de la guerre


d’Espagne, se produisent des crimes politiques qui l’amènent à
penser et à dire que le tueur politique est l’un des éléments de
base du régime stalinien 6S. Il admet comme prouvé qu’Antonov-
Ouvsenko 67, consul général de l’URSS à Barcelone, a créé dans
toute l’Espagne républicaine une sorte d’état dans l’état avec police,
prisons, bourreaux, surtout en Catalogne et à Barcelone. L e gouver­
nement Azana laisse faire car il y va de son intérêt : la politique
de Staline lui permet de se maintenir. D ’où les enlèvements et
disparitions de Bemeri et B arbieri08, de Freund (M ou lin )69, de

63. R. H a g n a u e k , RP, janv. 1950.


64. AR, Préface au Stalinisme en Espagne.
65. AR, Préface à L ’URSS et le crime politique.
6 6 . AR, Préface au Stalinisme en Espagne.
67. V. Antonov-Ouvsenko (1884-1938) a participé à la révolution de
1905, a fait partie pendant la guerre du groupe parisien de Naché Slovo.
Responsable politique de l’armée rouge puis opposïtionnel, il « capitule »
en 1928. En 1936, il est envoyé en poste à Barcelone, Rappelé en URSS,
il y est fusillé.
6 8 . Bemeri, militant anarchiste italien et commissaire politique de la
brigade italienne sur le front d’Aragon, dirige le journal Guerra di Classe
et y dénonce publiquement les méthodes d’Antonov-Ouvsenko. Son
cadavre, ainsi que celui de son ami Barbieri, sera retrouvé à Barce­
lone au lendemain des journées de mai 1937 au cours desquelles le
POUM a été éliminé.
69. Trotskyste polonais.
398 alfred rosmer

Marc Rhein (Abramovitch) 70, d’Erwin W olff (N . Braun) 7’, de Kart


Landau, d ’Andrès Nin, d’Ignace Reiss.
Rosmer s’occupe tout particulièrement des trois affaires Nin
Landau et Reiss.
Nin, né en 1891, instituteur en 1919, membre du PS espagnol,
passe au syndicalisme-révolutionnaire. Il rallie ensuite 1TC. Il est
à Moscou, au I I I e congrès mondial, quand le président du conseil
espagnol, Eduardo Dato, est abattu à Madrid. L e gouvernement
espagnol lui attribue l’organisation de l ’attentat et il est arrêté
à Berlin alors qu’il rentre en Espagne. On parvient à grand-peine
à lui faire regagner l’URSS où il devient 2P secrétaire de l’ISR
sous la direction de Losovsky. Très rapidement, il se plaint de
la bureaucratisation progressive et des méthodes de Losovsky. En
1923, il rejoint ïa première opposition. Mal à l’aise dans les luttes
de tendances, il prend cependant nettement parti lorsque le Comité
Central du PC URSS et l’Opposition s’affrontent à découvert. Victor
Serge lui attribue une lettre courte mais claire : « L ’Opposition
a raison, je suis sans réserve avec elle 72. » L e Comité Central,
quand il la reçoit, prend naturellement des sanctions : Nin perd
son emploi à l’ISR, s’attend à une arrestation. II met à profit
ses loisirs en traduisant Dostoïevski et Boris Pilniak 73 en catalan,
en préparant un ouvrage sur la dictature du prolétariat, en accu­
mulant textes et fiches. Quand la révolution éclate en Espagne,
il demande à y retourner. L e gouvernement russe l’expulse ainsi
que sa femme (Olga Kareva) et ses filles. De Riga, il parvient à
gagner l’Espagne. Plusieurs fois arrêté, il dirige la presse de l’oppo­
sition trotskyste et participe à l’organisation internationale de l'Oppo­
sition de Gauche. Il rompt avec Trotsky sur la question de l’entrisme.
En 1935, son groupe fusionne avec celui de Maurin : le POUM
(Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) est né. En septembre 36,
il devient conseiller à la justice dans le gouvernement de la Géné­
ralité de Catalogne que préside le républicain Taradellas. ïl est
arrêté le 16 juin 1937, deux jours avant le congrès du POUM.
Sa femme lui rend visite à la préfecture de police de Barcelone.
Quand elle revient avec des vivres et des couvertures, on îui affirme

70. Fils du menchevik Raphaël Abramovitch, il était l'envoyé spécial


d’un journal suédois à Barcelone.
71. Trotskyste tchécoslovaque, il a été, en Norvège, secrétaire de
Trotsky. Correspondant de journaux anglais en Espagne, il est arrêté en
août 1937 et enlevé à sa sortie de prison.
72. Dans Le stalinisme en Espagne.
73. Le choix de l’écrivain anticonformiste Boris Pilniak est tout à fait
caractéristique : de Bois des îles où il pourfendait un peu trop le confor­
misme soviétique à des articles de 28-29 où il présente des trotskystes
sous un jour par trop favorable, Pilniak ne cesse d’attirer sur lui l’atten­
tion du pouvoir stalinien. En 1937, il est exclu de l’Union des Ecrivains
et arrêté.
la nature de classe de l’état stalinien 399

ou’il a disparu puis qu'il s'est évadé. L'affaire Andrès Nin a com-
ineïicé. On ne sait rien d’autre de certain sur lui. Les hypothèses
dé Victor Serge sont les suivantes : les communistes espagnols
l’a c c u s a ie n t depuis des mois de trahir les révolutionnaires au profit
de Franco. Mensonge pense Serge ; la vérité c’est que le dynamisme
révolutionnaire du P O U M gêne la ligne stalinienne d’unité anti­
fa s c is te . Les agents staliniens l'ont donc enlevé puis déplacé de
prison clandestine en prison clandestine. Serge croit pouvoir affir­
mer que, de Barcelone, N i n aurait été transporté dans la prison
du Paseo de la Castellana à Valence, puis dans les prisons d’Atocha
et du Prado à Madrid, dans celle d’Alcala de Henares enfin. Alcala
est proche d’un aérodrome, Serge en déduit que Nin a été trans­
porté de là en URSS, s’il n'a pas été abattu sur place. Tout ceci
naturellement est un ensemble d’hypothèses que démentent les
communistes mais que Rosmer accepte. Il préface la brochure de
Serge, prête son appartement des Lilas puis sa maison de Perigny
à Olga Nin et à ses enfants qui échangent avec lui une abondante
correspondance 7\
Il adopte la même attitude dans le cas de Kurt Landau. Landau,
entré au PC autrichien en 1921, a été rédacteur au Rote Fahne
de Vienne. Membre de la section de propagande et d’agitation
du Comité Central du PC allemand, il se solidarise avec Trotsky
en 1923. En 1930, avec Rosmer et Trotsky, il a formé le Bureau
de l'Opposition de Gauche. A peu près au même moment que
Rosmer, il rompt avec le trotskysme sur les questions d’organisation.
En 1933, il se dresse nettement contre Trotsky car il juge inop­
portun de créer une IV® Internationale. En mars 33, pendant que
presque tous les membres de son groupe sont arrêtés, il parvient
à quitter l’Allemagne. En novembre 36, il part pour l’Espagne
et milite dans le PO U M . En décembre, il publie une brochure :
Espagne 1936, Allemagne 1938 qui critique la politique des com­
munistes espagnols. Ceux-ci, de leur côté, l’accusent d’être l’agent
de liaison entre le P O U M et la Gestapo, le théoricien du PO UM ,
le chef de ses « groupes spéciaux » et un des membres de son
Comité Exécutif. L e 23 novembre 1937, Landau est arrêté et dispa­
raît. Rosmer ne doute pas de la responsabilité d'Antonov-Ouvsenko
dans cette affaire 7S.
Il en est de même pour l’affaire Ignace Reiss qui était à la
fois membre du PC URSS et du N K V D . L e 27 juin 1937, Reiss
rompt avec le Parti et démissionne le 17 juillet. Sa lettre de
démission critique d’une part la théorie du socialisme dans un
seul pays, d'autre part la politique suivie par l’IC en Espagne.
Il préconise le retour à la lutte de classe et à l’action ouvrière
et se rallie à la IV e Internationale. L e 4 septembre, son cadavre

74. Archives Rosmer.


75. AR, Préface au Stalinisme en Espagne.
400 alfred rosmer

est découvert à Lausanne. Crime stalinien pense Rosmer qui, là’i


encore, aide de son mieux la veuve de Reiss v8.
Finalement, pour Rosmer, l’URSS ne mène une politique prolé­
tarienne ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. Trotsky, après avoir affirmé
que l’URSS restait un état prolétarien, concluait à la nécessité
d’une politique défensiste. Rosmer commence par constater que
l’URSS ne mène pas une politique socialiste puis examine le pro­
blème de sa défense. Notons que c’est le moment où L ’Interna­
tionale, organe de l’Union Communiste, conclut nettement au refus
de toute défense de l’URSS. Rosmer, lui, examine la question en
1936 dans le Tome I de son Mouvement ouvrier pendant la
guerre 7\ Il distingue trois types de guerre. Une guerre juste,
la guerre coloniale où l’agresseur est toujours la puissance coloni­
satrice. Une guerre injuste, la guerre impérialiste, menée par
exemple pour défendre le statu quo imposé par le Traité de Ver­
sailles. Une guerre antifasciste enfin. L ’expression, dit-il, est ambi­
guë. On peut baptiser « antifasciste » une guerre impérialiste et
tenter ainsi de replonger le mouvement ouvrier dans les erreurs
de 1914. On peut aussi se laisser prendre aux manœuvres stali­
niennes et laisser s'engager, sous prétexte d’antifascisme, une guerre
des démocraties occidentales contre Hitler qui servirait les desseins
de Staline. Pour lui,
« Toute guerre qualifiée antifasciste, toute guerre soi-disant pour
abattre le fascisme répéterait l’illusion de 1914, l’illusion de ceux
qui croyaient sincèrement que la victoire de la Triple-Entente signi­
fierait la destruction du militarisme 78. »
I l n’y a pas d’impérialismes pacifiques et d’impérialismes guerriers,
les impérialismes peuvent être tour à tour l'un et l’autre selon
les besoins du moment. On ne peut purifier une guerre en y
entrant pour des motifs démocratiques comme avaient cru pouvoir
le faire les révolutionnaires russes en 1914. Il convient donc de
ne se laisser prendre ni aux manœuvres, ni aux subtilités, aux
distinctions guerre offensive - guerre défensive, agresseur-agressé,
respect-viol des traités. Si la guerre éclate, il faut un « nouveau

76. Sur Reiss, consulter le livre desa veuve, E.K. P o r e t s k y , Les nôtres,
1969, 302 p, où l’on trouvera sa lettre de démission. Ignace Poretsky, dit
Ignace Reiss ou Ludwig, est né en Galicie au tournant du siècle d’un père
galicien et d’une mère russe. Membre du PC polonais, il entre dans les
services de renseignements soviétiques et y travaille notamment à la
préparation du soulèvement de 1923 en Allemagne. En 1927, il est
décoré de l’ordre du Drapeau Rouge. En 1928, il réside en Hollande d’où
il dirige les services de renseignements russes en Grande-Bretagne. Il se
lie avec Sneevliet. Il est ensuite affecté à Paris. Au printemps 37, crai­
gnant pour sa vie, il refuse de rentrer en URSS comme l’ordre lui en
avait été donné et il expédie sa lettre au Comité Central.
77. Pp. 8 et 480, ainsi qu’appendice à T r o t s k y , Ma Vie, p. 602.
78. MO, I 480.
la nature de classe de l’état stalinien 401

v gjrnmerwald » car le mouvement ouvrier ne connaît et ne doit


r c o n n a îtr e que l a guerre des classes. D'ailleurs, en avril 35, a u
moment du. pacte Laval-Staline, U E co le Emancipée a fait allusion
à la nouvelle Union Sacrée. En mai, dans un numéro spécial, elle
p r o p o s e l e rassemblement de tous ceux qui ne veulent ni de la
g u e rr e , n i de l’Union Sacrée. Rosmer est l 'u n des premiers à
e n v o y e r son accord A la même date, Monatte, Louzon, Cham-
b e lla n d , Jacques Doriot et d’autres militants signent un tract intitulé
Cont r e la. gueire qui ment où. ils affirment notamment : « Ce n’est
pas d’une guerre impérialiste mais de la lutte sociale que nous
a tte n d o n s la chute du régime hitlérien. » Rosmer n’a d’ailleurs pas
signé cet appel-Ià.
S o n attitude à Mexico, au moment où éclate la seconde guerre
m o n d ia le nous éclairera définitivement sur sa position.
1 1 est ici nécessaire d’efreciuer un reLour en «uxièie. Depuis la
rupture avec la Ligue Communiste, les relations politiques et per­
sonnelles sont rompues entre Rosmer et Trotsky. Quand Trotsky
séjourne en France en 33-34, les deux hommes ne se rencontrent
pas :
« Durant les deux années [...] nous ne nous rencontrâmes jamais.
II est probable qu'il attendait que je fisse le premier pas et moi
j’attendais qu’il fît le premier pas 80. »
On sait que Trotsky a été plus que fraîchement accueilli par cer­
tains secteurs de l’opinion publique française81. A droite, U A m i
du Peuple de Coty titre : « Un outrage à nos morts. L e traître
Trotsky est autorisé à faire un séjour en F ran ce82. » A gauche,
L'Humanité n’est pas moins hostile 83. Or Rosmer ne signe pas le
manifeste Planète sans visa des intellectuels favorables au séjour de
Trotsky, il ne fréquente pas l’Institut International d’Histoire Sociale
de la Rue Michelet où sont déposés des documents appartenant à
Trotsky.84.
C’est Mougeot qui maintient entre les deux hommes un contact
indirect. Ici, Trotsky prend connaissance des lettres de Rosmer à
Mougeot et les lui renvoie : « Je te réexpédie les lettres de Rosmer.
Il va de soi que je n'en fais aucun emploi et ne les montre à
personne 8S. » Là, il demande : « Comment va notre ami Rosmer ?
Quel est son état d’ esprit ? 86 » En 1936; Trotsky a gardé estime et

79. D o m m a n g e t , Le Syndicalisme dans l’enseignement, pp. 281 et suiv.


80. Archives I. Deutscher, Rosmer à I.D., 19-VI-54.
81. APP, Ba 1626, Dossier Bronsterâ-Trotsky.
82. 23-V II-33.
83. 2-VIII-33, « La venue de Trotsky en France », et l-IX-33, « L ’état-
major de la contre-révolution ».
84. APP, dossier cité.
85. Archives Mougeot, Trotsky à Mougeot, 21-VI-33.
8 6 . I b i d 15-1-34.

26
402 alfred rosmer

sympathie pour Alfred et Marguerite Rosmer, il sait qu'il peut


compter sur eux en cas de besoin 87. Quand il envisage de recenser
tous ceux qui ont une « veine révolutionnaire », c’est Rosmer qu’il
cite en premier Heu. Serge doit le sonder et, si ce contact est
favorable, Trotsky lui écriraS8. Nous ne savons pas si l’affaire a
eu une suite, mais peut-être est-elle à l’origine d’une reprise des
contacts personnels. Viennent ensuite l’appui personnel donné par
les Rosmer aux trotskystes et oppositionnels divers, la participation
de Rosmer à la lutte antistalinienne et au contre-procès de la Com­
mission Dewey. D ’après le témoignage oral de P. Frank, Léon
Sedov, quand il s’agit d’organiser le contre-procès, vient trouver
Rosmer qui accepte immédiatement. Rosmer participe aussi à la
Commission d’enquête sur le vol des archives Trotsky à l’Institut
de la Rue Michelet B\ Isaac Deutscher, rentrant d’Harvard où il
a vu les Archives Fermées, juge que ïe meilleur ami de Trotsky
pendant les douze dernièi'es années de sa vie fut Rosmer. Il a pu
comparer ses lettres à celles des autres correspondants français
et il met « hors pair » son « tact » et sa « délicatesse » 5,0.
En novembre 1938 les trotskystes cherchent un local à la fois
vaste, proche de Paris et inconnu des staliniens pour y tenir la
conférence qui sera la conférence de fondation de la IV 0 Inter­
nationale. Rosmer prête sa maison de Périgny. On sait que la
défaite allemande, attribuée à 1’ « infantilisme gauchiste » de l’IC
puis le tournant droitier symbolisé par le pacte Laval-Staline, viennent
à deux ans d’intervalle convaincre définitivement Trotsky que la
I I P Internationale est bien morte et qu’il faut avancer vers une
IV e Internationale 91. En 1933, Léon Sedov affirme : « Nous sommes
en pleine orientation vers des nouveaux partis et une nouvelle
Internationale ’ 2. » Trotsky dit en 1935 :
« Munir d’une méthode révolutionnaire la nouvelle génération [...]
c’est une tâche qui n’a pas, hormis moi, d’homme capable de la
remplir 93. »
Soit conviction, soit tactique, Trotsky n’a jamais accepté qu’on
présente la IV e Internationale comme une création volontariste,
il a toujours soutenu la thèse d’une organisation plus qu’à demi
spontanée, répondant progressivement aux nécessités du moment :
« [ —] J’avoue ne pas savoir ce que signifie « fonder » la IV® Inter­

87- Lettre de Trotsky à Serge, 29-IV-36. I. Deutscher la cite (t. 3,


p. 367), d'après les Archives fermées de Trotsky. L'original se trouve
dans les Archives Serge.
8 8 - Archives Serge, Trotsky à Serge, 8-VII-36.
89. APP, Ba 1626, et E.K. P o r e t s k y , Les nôtres, p. 289.
90. Archives RosmerP X. Deutscher à Rosmer, 27-XI-59.
91. AR, Préface à T r o t s k y , Journal d’exil.
92. Archives Mougeot, Léon Sedov à Mougeot, 2-IX-33.
93. T r o t s k y , Journal d’exil, p. 75 (25-111-35).
la nature de classe de l’état stalinien 403

nationale. Dans différents pays, il y a des organisations, des groupes


aui sont sous ce drapeau. Ils s’efforcent de définir en commun
leur position devant les événements mondiaux. Ils se préparent à
élaborer un programme commun dont les bases théoriques et poli­
tiques ont été déjà posées par tout le passé. L e futur Riazanov 84
pourra à loisir réfléchir sur la question : Quand exactement la
Internationale a-t-elle été fondée ? Mais pour nous, il nous faut
simplement continuer notre œuvre 93. »
La conférence de Périgny rassemble 21 délégués venus de 11 pays.
Elle dure toute une journée et une seule journée, de crainte d’un
coup de main du Guépéou. Elle vote des résolutions qui sont pour
la plupart l’oeuvre de Trotsky9S. Certains participants pensent
d'ailleurs que le moment n’est pas bien choisi car la période est
une période de reflux révolutionnaire, peu propice au lancement
d’une Internationale, qu’aucune grande organisation ouvrière ne
répondra à l’appel. On passe outre à leurs objections.
Dans toute cette affaire, Rosmer s’est contenté de prêter sa
maison en ami. Il ne participe pas aux travaux de la conférence
et nous ne savons pas s’il approuve ou désapprouve ces travaux
qui créent la nouvelle Internationale.
En février 39, quand Trotsky discute avec le Parti Socialiste
Ouvrier Paysan de Marceau Pivert, Rosmer le renseigne sur ce
groupement et sert d’intermédiaire 87.
En mars 1939 enfin, nouvel acte d’amitié. Les Rosmer escortent
jusqu’à Mexico Seva, le petit-fils de Trotsky 9tt. Jeanne Martin des
Palhères a vécu avec Léon Sedov qui avait avec lui son neveu
Seva, fils de Zina. Léon Sedov mort, Trotsky demande que l’enfant
le rejoigne au Mexique. Mais l’enfant est devenu un enjeu dans
la lutte des groupes trotskystes car Léon Sedov tenait pour les
orthodoxes, tandis que Jeanne Martin était du clan Molinier. Elle
refuse de rendre l’enfànt et le confie à l’œuvre L e rayon de soleil
de Guebwiller, sous le nom de Steve Martin. Ce sont Marguerite

94. David Riazanov (1870-1938) milite dès 1889. Il n’a pas pris position
entre mencheviks et bolcheviks. Internationaliste de guerre, il collabore
à Naché Slovo. En été 17, il réjoint les bolcheviks. Il a fondé l’Institut
Marx-Engels (d’où l’allusion de Trotsky). Arrêté en 31, il disparaît.
95. Archives Serge, Trotsky à Serge, 3-VI-36.
96. Voir I. D e u t s c h e h , Trotsky, t. 3, p. 559.
97. Archives Marceau Pivert, 22 AS/2, Trotsky à Rosmer, 14-11-39.
Marceau Pivert (1895-1958), membre de l’enseignement, adhère à la
SFIO en 24 et devient l’un des dirigeants de^ la Fédération de la Seine.
En 1935, il anime la tendance Gauche Révolutionnaire. Membre du
cabinet Blum en 36, il accepte en 37 la dissolution de sa tendance puis
quitte le parti en 38 avec une importante partie des militants de la Seine.
Il fonde alors le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan. Rentré du Mexique,
il retourne à la SFIO en 1946.
98. I. D e u t s c h e r , Trotsky, t. 3, p. 540 et APP, Ba 1626.
404 alfred rosmer

et Alfred Rosmer qui doivent aller le chercher en mars 39. Une.,


décision du tribunal civil avait, en janvier, confié l’enfant à Rosmer^
Ils se présentent donc à Guebwiller escortés du commissaire de
police local qui leur fait remettre l'enfant. En juillet 39 ils arrivent
à Coyoacan et rendent Seva à Trotsky. '
D e ce séjour à Mexico, Rosmer donne deux descriptions qui
sont presque identiques 9fl. La vie est calme et familiale. L e matin;
Rosmer fait un grand tour dans les environs et prend les journaux
en ville. Après déjeuner, on va chercher un peu d'ombre sous la
tonnelle. Trotsky joue aux dames avec Seva ou dévore les livres
français apportés par Rosmer. Détente. Repos. On ne jette qu’un
regard distrait sur les journaux. La France et les soucis européens
sont bien loin.
En arrière-plan, on sait bien cependant que la guerre menace
et quand Rosmer ramène les journaux qui annoncent le départ de
Ribbentrop pour Moscou puis le pacte germano-soviétique, Trotsky
s'écrie : « C'est la guerre ! » Quand la guerre éclate effectivement,
Rosmer, Trotsky et Otto Ruehle qui séjourne lui aussi à Mexico,
envisagent d'élaborer un nouveau manifeste de Zimmerwald. Ils y
renoncent, dit Deutscher 10°, d'une part parce que Ruehle ne veut
plus se mêler de politique, d’autre part parce qu’ils ne peuvent
tomber d'accoi’d. L e premier fragment d'explication nous paraît
très insuffisant car ni Rosmer, ni Trotsky ne sont hommes à se
laisser arrêter par la défection de Ruehle. II faut chercher les
vraies raisons du côté des désaccords politiques et plus profon­
dément que ne l'a fait Deutscher. Il n'y aurait eu aucune difficulté
s'il s'était agi d'une guerre impérialiste classique que Trotsky et
ses partisans analysent comme Rosmer : dès 34 ils rappellent les
contradictions permanentes des capitalismes et soulignent que la
crise économique mondiale les aggrave :
« Fascisme et guerre se développent comme les ressources suprê­
mes de l'impérialisme saisi à la gorge par la crise mondiale. Le
danger est partout *°\ »
Mais la guerre, en 39, n’est pas une guerre simple puisque
l’URSS y est mêlée. Dans la discussion, Rosmer expose sans doute
sa théorie de la duperie de l'antifascisme et Trotsky s’en tient
sans doute à son défensisme. Un désaccord politique sur la nature
de classe de Fétat stalinien et donc sur le sens profond de la guerre
empêche donc toute entente.
L e défensisme de Trotsky est d'une force telle que, même après
son assassinat, sa femme Natalia reste sur cette position. Elle écrit
en novembre 1941 :

99. Crapouiüot, 1950 et appendice à T rotsky, Ma Vie, p. 629.


100. Trotsky, t. 3, p. 599.
101. La VérHé, 23-VI-39.
la nature de classe de l'état stalinien 405

«Vous ne pouvez vous imaginer quelle inquiétude j’ai à propos


de la Russie. L ’armée rouge héroïque, pleine d’enthousiasme, elle
Be r é u s s it pas avec de terribles sacrifices 102. »
Cette question a d’ailleurs provoqué une crise dans la plus impor­
ta n te des sections de la I V e Internationale, la section U S . Au
m o m e n t du pacte germano-soviétique, Schachtman et Burnham 103
r e je t t e n t le défensisme, forment une organisation indépendante et
ce n’est qu’en mai 1940 que Trotsky parvient à les faire condamner
par une conférence internationale 104. Rosmer n’est pas intervenu
dans cette querelle : d’une part il n’appartient pas aux organisations
trotskystes, d’autre part il pose différemment la question 105. Mais
sa répugnance pour le défensisme, de plus en plus nette, est devenue
totale après le début des opérations militaires russes en Finlande.
A écrit alors à Charbit :
« Après la dernière canaillerie de Staline, je pense que tous nos
efforts doivent se concentrer d’abord sur la destruction du stali­
nisme. Ce n’est pas tout ce qu’il y a à faire, mais c’est par là
qu’il faut commencer [...]. L ’occasion est au moins favorable pour
casser les reins au stalinisme ou, en tout cas, l’endommager de
telle sorte que sa malfaisance ne soit plus à redouter 106. »
En 1942, à N ew York, il réexaminera avec des Russes, des Am é­
ricains, des Allemands, la possibilité dun nouveau Zimmerwald.
Sans plus de succès 107.
La controverse théorique entre Trotsky et Rosmer est d’ailleurs
interrompue par le départ des Rosmer pour N ew York. Ce départ
précède de peu l’assassinat de Trotsky.
Dès Prinkipo, on vivait dans la crainte perpétuelle d’un attentat
organisé par Staline. Mêmes inquiétudes quand Trotsky est en
France. Des articles de U H um anité sont interprétés comme des
provocations à l’assassinat et ha V érité parle de représailles. Exé­
crable réponse pense Rosmer : il vaudrait mieux reproduire les
provocations de UH um anité et mettre Trotsky sous la protection
des ouvriers français 108. Trotsky sait bien quelle menace pèse sur
lui. Ouvrant son Journal d'exil, il prévoit qu’il le fermera un jour,
soit volontairement, soit involontairement, <c par le coup de feu tiré

102. Archives Rosmer, Natalia Trotsky à Marguerite Rosmer, 28-IX-41.


103. James Burnham a été gagné aux idées trotskystes pendant la
période entriste des trotskystes US. Il deviendra après sa rupture le théo­
ricien du néo-capitalisme avec L ’Ere des organisateurs.
104 . P. F r a n k , La Quatrième Internationale, p . 4 6 e t J.-P. C a n n o n ,
The struggle for a proletarian party.
105. AR, Appendice à T r o t s k y , Ma Vie, pp. 634-635 et Archives
Rosmer, I. Deutscher à Rosmer, 22-XI-63.
106. Archives Charbit, Rosmer (de Mexico) à Charbit, 12-1-40.
107. AR, RP, janv. 52.
108. Archives Mougeot, Rosmer à Mougeot, 24-VII-31.
406 alfred rosmer

de quelque coin par un agent... de Staline, de Hitler ou de leurs?


amis-ennemis français 109 ».
A Mexico le problème reste entier. La tactique du front popü2.
îaire a permis aux staliniens mexicains d’occuper des postes i m p o r - :
tants. On les soupçonne même d’avoir des hommes à eux dans là;
police llQ. Ils mènent une campagne de presse, tiennent des meetings
contre la présence de Trotsky ll1. Quand il sort, ils organisent dés*
incidents puis l’accusent de les provoquer. Bientôt les sorties devieri-'
nent de véritables expéditions. On profite de la présence d’ouvriers
US venus en voiture passer quelques jours car il faut maintenant
trois voitures pour la sécurité. Une fois par mois environ, on part
tôt le matin pour pique-niquer dans les environs. :
II est certain que le défensisme de Trotsky a des aspects très
inquiétants pour Staline. Il a certes dit qu'à l’heure du danger
les révolutionnaires internationalistes doivent rester sur la dernièi^
barricade, mais il assortit cette déclaration de considérations qui 1
n’ont rien de rassurant. LTntemationale trotskyste
« [...] proposera à la bureaucratie staliniste le Front Unique contre
les ennemis communs. Et, si notre Internationale représente en soi
une force, la bureaucratie ne pourra pas à la minute du danger
se refuser au Front Unique. Que restera-t-il alors des mensonges et
des calomnies accumulés pendant de nombreuses années ? »
Ce Front Unique ne sera d’ailleurs pas une Union Sacrée car les
trotskystes garderont leur
« [...] intransigeance critique à l’égard du centrisme bureaucratique
qui ne pourra pas d’ailleurs ne pas dévoiler son incapacité de mener
une véritable guerre révolutionnaire 112 ».
Finalement, la défense de l’ URSS telle que la conçoit Trotsky
« [...] n’exclut pas, mais au contraire suppose une lutte inéluctable
contre le stalinisme en temps de guerre encore plus qu’en temps
de paix 11S ».
D e plus, Trotsky peut réviser sa position à tout moment, par
exemple sous la pression de ses partisans US. Qu’adviendrait-il s’il
jetait son nom dans la balance, renonçait à la défense de l’URSS pour
dénoncer la politique extérieure stalinienne ? Plus la politique mili­
taire de Staline se précise, plus le risque est grand. L e 22 août 39,
c’est le pacte germano-soviétique. L e 3 septembre, les Allemands
entrent en Pologne ; le 17 septembre les Russes les imitent. Le
pays est partagé le 28. L e 30 novembre, l’armée russe pénètre en

109. 7-II-35.
110. Archives I. Deutscher, Rosmer à I.D., 1954.
111. AR, RP., nov. 48.
112. La IV e Internationale et l'URSS, p. 30 et suiv.
113. La défense de l’URSS et VOpposition, p. 60.
la nature de classe de Vétut stalinien 407

■Finlande. L e 25 mai, c’est l’attentat organisé par le peintre et


militant communiste mexicain Siquieros. L e 2 juillet, l’armée russe
n é n è tre en Bessarabie et en Bukovine. A partir du 3 août, l’Estonie,
Lituanie, la Lettonie deviennent des républiques soviétiques.
Le 20 août, c’est l’attentat Jackson.
Après l’échec de l’attentat Siquieros qui a fait vivre « des minutes
Ci-incomparable angoisse l l '1 », alors que tout son entourage est
-e r s u a d é que Staline va renoncer à ses projets, Trotsky affirme
]e contraire. On sait que Jackson est l’ami de Sylvia A geloff 11S,
l’une des secrétaires de Trotsky. On a dit que Rosmer a rencontré
Jackson en France peu après la réunion de Périgny et qu’il l ’a
cautionné auprès de Trotsky iL6. Il dément :
« Je le rencontrai pour la première fois à Mexico ; il n’est pas
dans mes habitudes de m’engager à la légère ; et si, par exception,
j'avais été tenté de donner ma caution à celui-là, l’impression qu’il
me fit m’en eût aussitôt détourné “ 7. »
Jackson confirme d’ailleurs qu’il n’a rencontré Rosmer qu’à M exico 118
Jackson s’infiltre progressivement dans l’entourage de Trotsky llfl.
Tous les jours, il vient attendre Sylvia. Un jour, il rencontre les
Rosmer sur le seuil et fait la conquête de Marguerite qui parle
de « ce jeune homme plein de prévenances », du « mari de Sylvia ».
Les relations prennent un tour familier : Jackson invite les Rosmer
à dîner à Mexico, les amène visiter le pays en voiture. Un jour
que Rosmer est malade, il le conduit à l’hôpital français de Mexico,
le ramène, achète les médicaments. Sa voiture joue un grand rôle
dans Faffaire :
« C’est, dit Rosmer, le premier attentat qui lui permit de s’intro­
duire dans la maison. Les agresseurs avaient pris une des deux
autos du garage et ils avaient endommagé l’autre. Jackson offrit
la sienne et se montra empressé à se charger de toutes les courses
qu’on pouvait lui confier 12°. »
Au moment du départ des Rosmer, les fils se nouent. L e 28 mai
1940, ils quittent Coyoacan pour Vera-Cruz où ils doivent prendre
le bateau de N ew York. Jackson doit les conduire en voiture.
Arrivé trop tôt, il les attend dans la cour de la maison, tombe
sur Trotsky et parle avec lui pour la première fois.

114. Archives I. Deutscher, Rosmer à I.D., 1954.


115. S. Ageloff, trotskyste new-yorkaise, avait connu Jackson à Paris.
Quand il s’installe à Mexico, elle le suit sans — semble-t-il — avoir été
au courant de ses projets.
116. Archives Rosmer, Correspondance avec I. Deutscher.
117. AR, RP, nov. 48.
118. Témoignage dans A. Gouomann, The assassination of Léon Trot­
sky, pp. 11-15 et 25.
119. I. D e u t s c h e r , Trotsky, t. 3, pp. 600 et suiv.
120. Appendice à Léon T r o t s k y , Ma Vie, p. 642.
408 alfred rosmer

Hormis la réticence initiale de Rosmer, nul ne se méfie de Jackl'


son, ni Natalia, ni Sylvia. Après l’attentat, Natalia avoue : «
moment de votre départ d’ici, nous n’avions rien soupçonné I21. j
Quant à Sylvia, elle écrit le 16 août à Marguerite Rosmer qui est ^
arrivée à N ew York :
« [...] J’ai trouvé Joe [Jackson] un peu mieux, mais cette semaine
il est encore malade. J’espère que ses affaires seront finies dans
quelques jours et que nous pourrons partir cette semaine [...] >-
« Ses affaires » ? Quatre jours après, le 20, Jackson tue Trotsky
dans les circonstances que l’on s a it123.

Pendant la seconde guerre mondiale que Rosmer passe aux USA,


son isolement intellectuel est vite quasi-total : pour l’immense
majorité, ectto guerre est celle des démocraties contre le fascisme
et l’URSS s’est rangée du bon côté. Les restrictions de Rosmer né
peuvent être comprises.
Venus du Mexique, les Rosmer sont arrivés à N ew York en juin 40,
au moment où on annonce l’entrée des Allemands à Paris lM. Leurs
amis américains parviennent à les persuader de ne pas rentrer
en France 12S. Aux USA, l’opulence générale contraste péniblement
avec ce qu’ils savent de la disette en France 128. On est insouciant
en ce qui concerne la guerre et peu désireux d’y participer. Une
fois suffît : c’est le sentiment le plus répandu. L'isolationnisme est
très fort, Lindbergh et son groupe America First, Lewis 12\ les
staliniens, sont contre l’entrée en guerre. Les Américains se détour-
nent de la France vaincue 12S. Quand on leur parle des Français,
ils disent « Ah oui ! Les hommes qui ont gagné la guerre et perdu
la paix ». On se souvient que les dettes de guerre n’ont pas été
payées et la France n’a pas bonne presse. On discute pour savoir
si les enfants doivent continuer à apprendre le français et cette
discussion concerne directement les Rosmer qui vivent essentiel­
lement des leçons de français que donne Marguerite. Par contre,

121. Archives Rosmer, Natalia Trotsky à Marguerite Rosmer, 31-XII-


41.
122. Ibid., Sylvia Ageloff à Marguerite Rosmer, 16-VIII-40.
123. Jackson-Mercader n’a jamais avoué sa véritable identité. Libéré
en 195!S, il prit immédiatement l’avion pour Prague.
124. Le Crapouiïlot, art. cit.
125. Archives Rosmer, Farell à AR. depuis le 10-X-39.
126. Ibid., AR à Mika Etehebehere, 18-XI-4L
127. John Lewis (mort en juillet 69) a organisé puis mené tambour
battant les mineurs US. Dès le début des années 30, il se heurte à l’im­
mobilisme de l’AFL, ce qui le conduit à fonder la CIO (Committee for
Industrial Organisation) en 35. ïl ne cesse de mener des grèves comba­
tives. En 47, dans l’atmosphère d’anticommunisme qui règne aux USA,
il perd ses responsabilités dans son organisation et se met à militer pour
la réunification AFL-CIO. Il se retire du mouvement en 65.
128. Brouillon d’article envoyé par Rosmer à Mika Etchebehere.
la nature de classe de l’état stalinien 409

il n’y a aucune germanophobie; ni germanophilie d'ailleurs. L e


yevirement de l’opinion publique américaine lui paraît avoir deux
causes : d’une part l’agression japonaise de Pearl-Harbor, d’autre
■oart l’attaque allemande contre rÜRSS. Il accuse les staliniens de
^j.er brutalement de bord. Puis le sentiment belliqueux grandit
très vite 12S. On garde cependant aux U SA une impression d’éloi-
gnement. Même en un moment grave, quand Rommel se trouve
aux portes de l’Egypte, l’Amérique est très paisible :
« La nouvelle arrive un dimanche. Nous vivons alors à Lawrence,
dans le Long Island, à quelque distance des plages. C ’est un beau
soir d’été ; nous sommes assis sous le porche. Devant nous, sur la
large avenue, les autos roulent sans arrêt, vers N ew York. On est
allé se baigner ; maintenant on rentre : un dimanche comme les
, ... 1 30•«"
auu«5
Rosmer pense que les Américains comprennent mal la situation
en France. Pendant l’été 44, il est en vacances dans le Vermont
quand la radio annonce la libération de Paris. Pour les Américains
de gauche, c’est un enthousiasme « naïf », ils sont tout à la joie
de voir le Paris ouvrier se réveiller, de retrouver une France terre
de liberté. Lui reste plus réservé : 1’ « enthousiasme d’un jour tom­
bera [- .] dès que la réalité s’im posera131».
Et la réalité, pour lui, c’est toujours, et exclusivement, l’anti-
stalinisme et la lutte des classes. Il enrage de voir Roosevelt s’effor­
cer de blanchir son allié Staline, se laisser manœuvrer à Téhéran
et complètement rouler à Yalta :
« Asiate, Staline a de l’asiate la ruse et la cruauté. Roosevelt ne
c o n n a ît que la ruse politicienne, inoffensive à l’égard de la ruse
démoniaque [...] 132. »
D’autre part, Rosmer est toujours obstinément fermé aux unani­
mités nationales, qu’elles se nomment Union Sacrée, Front Populaire,
Résistance ou Libération. I l ne s’occupe que de la lutte sociale.
Pour suivre les événements de France, il se trouve bien mal
renseigné. Les journaux sont insuffisants. I l a peu de contacts avec
la colonie française de N ew York, avec le « tandem » Kirilis-Tabouis
qui publie un hebdomadaire, avec le groupe France for Ever de
Buré (l’ancien directeur de YOrdre) et de l’avocat Torrès, avec André
Maurois, Jules Romains ou Pierre Cot. II les trouve d’ailleurs tout
aussi mal renseignés que lui. A Philadelphie, en 44, il rencontre
Guigui mais le trouve médiocre informateur : il n’en sait pas plus
que les journaux. Guigui, ancien militant de la minorité à la Fédé­
ration C G T U des Métaux, a rejoint D e Gaulle à Londres. Il n’est
pas optimiste : il dénonce la passivité générale en France, la men-

129. Marguerite Rosmer à Mika Etchebehere, 16-XII-41.


130. Le Crapcruillot, art. cit.
131. Ibid.
132. Ibid.
410 alfred rosmer

talité inquiétante des maquis. Il prévoit un rassemblement autoiîp


de D e Gaulle et les reprises des querelles dans le mouvement-
ouvrier.
Les Rosmer n’ont pas approuvé la collaboration. Parlant des par­
tisans de Doriot et de Déat, Marguerite écrit : « C’est triste mais
c’est ainsi et nous en apprendrons d’autres 13S. » Rosmer renchént
en parlant d’un collaborateur :
«11 semble être prohitlérien à 100%. I l appartient à cette caté­
gorie de vieux réactionnaires cléricaux qui se réjouissent et qui se
hâtent de profiter de la débâcle. Oui il est même plus bas que
Vichy ; il écrit dans les journaux de Paris. Un jour [...] il a affirmé
que la conduite des hitlériens dans les pays occupés était abso­
lument correcte et conforme à toutes les règles du droit. Et depuis
qu’Hitler s’est retourné contre son ancien allié Staline, il est non
seulement pleinement satisfait, mais il écrit que le mondé civilisé
ne saurait lui être trop reconnaissant de sacrifier sans hésiter des
milliers et des milliers d’Allemands pour défendre la Civilisation
contre la Barbarie 13\ »
Sur ïa résistance, nous n’avons qu’une connaissance indirecte de
sa position. Hagnauer lui écrit :
« d’accord avec vous tous, sur l’essentiel : la résistance n’était pas
notre lutte, je continue à penser qu’il fallait y participer, sans s’y
perdre [...] l3S. »
Nous pouvons comparer avec les positions de ses proches. En 1947,
le noyau de la R P déclare :
« L a Résistance, si on la considère comme la révolte spontanée
d’un peuple conquis, n’avait pas de caractère de classe [...] 136. »
En 1950, Maurice Chambelland rappelle que ses amis et lui
n’étaient ni « collabos », ni gaullistes, ni dupes de la fausse unifi­
cation du Perreux qu’ils tiennent pour une manoeuvre des stali­
niens ,37. Charbit dit : 39, c’était une revanche de l’impérialisme
allemand dont le fascisme était une simple superstructure. Nous
étions lutte de classes 138.
Tout cela concorde avec les témoignages que nous avons pu
recueillir 139 : Rosmer et ses amis ne sont pas hostiles à la Résis­
tance, mais cette résistance, mouvement nationaliste, n’est pas leur
affaire. Leur seule affaire reste la lutte des classes et la révolution
prolétarienne.

133. Lettre à Mika Etchebehere, 17-II-4 (?).


134. Rosmer à Mika Etchebehere, 18-XI-41.
135. Archives Rosmer, Hagnauer à Rosmer, 29-V-47.
136. RP, avril 47, « Le noyau. Après 91 mois de silence ».
137. RP. Janv. 50.
138. Témoignage oral.
139. En particulier celui de Colette Chambelland.

«ma
Pour une voie ouvrière

Sur ce qui s’est passé en France pendant la guerre, Rosmer


gardera toujours une certaine réserve. Interrogé sur un cas précis,
il répond : « La-dessus, je ne peux rien dire ; je n’étais pas là 1. »
La France qu’il retrouve à son retour, dans l’été 46 lui donne
l’impression d’une décadence irrémédiable. Partout l’apathie, la
passivité, l’absence de conscience professionnelle 2. A côté du dyna­
misme américain, le contraste est brutal et il a du mal à se réha­
bituer. D ’autant que la situation politique générale lui cause de
vives inquiétudes. Ses ennemis, les staliniens, ont consolidé leurs
positions pendant la résistance et la libération. Il les accuse d’avoir
profité de la libération pour occuper des immeubles, des impri­
meries, des journaux appartenant à des collaborateurs s et de dénon­
cer comme collaborateurs tous les militants dont l’influence leur
porte ombrage. Ainsi, ils accusent R. Hagnauer de l’enseignement
d’avoir été pétainiste. Rosmer signe une lettre collective en sa
faveur et un jury d’honneur de la Fédération de l’Education Natio­
nale lave Hagnauer de cette accusation 4'. Dans la tactique du PC,
cé qui choque le plus les Rosmer, c’est ce qu’ils y décèlent de
nationaliste et de cocardier. Marguerite note que les journaux du
Parti ne se disent pas « communistes », mais « d’information », que
les jeunesses communistes se disent « républicaines » et qu’on abuse
des mots patriote, français, française 5. L e poids nouveau du PC F

1. Archives S. Jacobs, AR. à SJ, 12-X-60.


2. Archives Sarah Jacobs.
3. Ibid., Rosmer à Sarah Jacobs, ll-IV-1947.
4. Lettre dans RP, févr. 1950.
5. Archives Sarah Jacobs, Marguerite Rosmer à Sarah Jacobs, 1947.
412 alfred rosmer

dans la vie du pays les inquiète et les scandalise. Peu à peu cepen­
dant, la situation se modifie au détriment des communistes, au fur
et à mesure que les américains se montrent plus décidés à contenir
ou même à refouler la menace qu’ils représentent. Dès juillet 1947
Rosmer note que les communistes ne font plus peur Puis ils sont
éliminés du gouvernement. Il les accuse alors de se laisser aller
à la colère et de saboter l’effort économique. Quand ils étaient
ministres, dit-il,
« [...] Ils étaient des messieurs qui s’essayaient au beau langage,
participaient aux réceptions officielles en habits de soirée. Main­
tenant ils injurient comme le faisaient autrefois les cochers de
fiacre r. »
D e plus, ils lancent des grèves, comme celle des mineurs, nui
n’ont d’autre but que de perpétuer la crise économique et d’abattre
le gouvernement avant que l’aide économique US lui ait permis
de redresser la situation 8. On voit qu’il a conservé, face au PC,
toute son ardeur critique. Il est d’ailleurs persuadé qu’en cas de
victoire du PC ou d’invasion soviétique de l’Europe Occidentale,
sa vie même serait menacée et ses amis américains, notamment
Farell insistent auprès de lui pour que, au moindre signe de
guerre, il repasse aux USA. En 1948 cependant, la situation lui
paraît en voie de retournement décisif. Il en juge d’après un critère
bien caractéristique : on revoit aux vitrines des librairies les oeuvres
de Trotsky 10. Dans le combat de librairie que se livrent staliniens
et antistaliniens, l’avantage tourne d’ailleurs au profit de ces derniers.
Les staliniens n’ont, pour répondre au flot des publications qui les
attaquent, que La Grande Conspiration de Sayers et Kahn autour
duquel ils font, dit-il, grand ta p a g e11. Il pense d’autre part que
de très vives luttes de clans déchirent les milieux dirigeants du PC
et annonce dès juillet 48 la chute de Thorez comme imminente l2.
En 1949, le rapport des forces se stabilise : il déplore que les commu­
nistes soient parvenus à éviter le désastre grâce à la mésentente
des petites formations de gauche 13. Mais il se console à l’idée qu'ils
n’ont plus aucune chance de prendre le pouvoir à eux seuls. Il
faudrait une offensive des blindés russes pour que le parti puisse
imposer ses vues x*.
L ’Europe Occidentale s’installe dans la Guerre Froide. Elle s’ins­
talle aussi dans un antistalinisme qxii le ravirait s'il n’y voyait deux

6. I b i d Rosmer à Sarah Ja c o b s , 15-VII-1947.


7. Ibid., AR. à S. Jacobs, 29-XI-1948.
8 . Ibid., 26-11-1949.
9. Archives Rosmer, Correspondance avec Farell.
10. Archives S. Jacobs, AR. à SJ, 18-V II-1948.
11. Ibid., 21-111 et 27-VI-1948.
1 2 . Ibid., 18-VII-1948.
13. Ibid., 9-VIII-49.
14. Ibid., 21-111-49.
pour une voie ouvrière 413

in c o n v é n ie n t s : d’une part cet antistalinisme est aussi un anticommu­


n is m e qui favorise les capitalistes, d’autre part i l rejette la classe
ouvrière vers les PC.
En fait c’est la théorie des « deux-camps-il-faut-choisir ». Les
sociaux-démocrates retrouvent leur voie d’avant-guerre : antistali­
nisme plus anticommunisme. Les compagnons de route font taire
leurs scrupules et suivent le parti. Les intellectuels de gauche
luttent à court terme contre celui des deux camps qui leur paraît
îe plus dangereux, d’où une ligne brisée en apparence, mais en
fait plus cohérente qu’il n’y paraît. D e temps à autre, un choc
psychologique ou politique trop violent rejette tel Ou tel d’entre
eux vers l’un ou l’autre camp. Ces situations ne sont pas propres
à ïa France et pourraient se retrouver aisément dans n’importe
quel pays d’Europe Occidentale. La coloration française du phéno­
mène est fournie par le poids des questions coloniales dans la
conscience collective.
Kosmer constate l’existence des deux blocs, mais rejette tout
choix. Que faire ? Pour lui, ce sont les lourdes bureaucraties qui
ont brisé l’espoir révolutionnaire :
« Je suis de plus en plus convaincu que nous n’avons pas trouvé
ou employé le bon moyen pour lutter contre ces funestes ma­
chines 18 • »
Et pourtant, les oppositionnels avaient et ont raison. Que s’est-il
passé ? Tout simplement, ils n’ont pas su agir ensemble. Les uns
quittent les PC ou en sont exclus, les autres y restent en rêvant
d’un impossible retour à l’âge d’or des quatre premiers congrès.
Les bureaucrates utilisent les néophytes contre les vétérans et
battent leurs adversaires d’aujourd’hui avec l’appui de ceux qui
seront leurs adversaires de demain. Bref, toutes les tentatives anti-
bureaucratiques ont échoué : il faut trouver autre chose. On ne
peut supprimer tout appareil, rejeter toute organisation. Quel remède
employer ? L a non-rééligibilité des fonctionnaires ? Elle présente
plus d’inconvénients que d’avantages parce qu’elle risque d’écarter
des militants vraiment utiles. L e problème est délicat et « le chemin
pour arriver à sa solution n’est pas court16» . Rosmer n’a pas de
solution toute prête.
Il lui faüt donc interroger le passé. Il ne cesse de dire que,
pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient, que, pour
avancer, il faut retrouver la route d’hier. Ses amis d’ailleurs le
harcèlent de questions qui l’invitent à cette réflexion régressive.
Ils lui demandent si les tares de lTnternationale Communiste étaient
1e fait du seul Staline, s’il ne faut pas en chercher les origines
du temps de Lénine.

15. Ibid., 29-XII-46, lettre à Louis Jacobs.


16. AR, Tempo Présente, août 57.
414 alfred rosmer

C’est Nicolas Chiaromonte, l’écrivain italien de tendance anti­


stalinienne, un ami personnel :
« [...] L a question que je voudrais vous poser est : « Comment
est-il possible que l’adhésion à l’IC, raisonnable en 23, devienne
une erreur en 24 ? Il n’y avait donc pas d’autre recours (ou espoir)
que les personnalités de Lénine et de Trotsky ? » Si c’était vrai, ce
serait mauvais de toute façon, il me semble 17. »
C’est Farell :
« Il me semble qu’il est nécessaire de répondre à la question :
Est-ce que Lénine est responsable de Staline ? Il est nécessaire
d’y répondre parce que c’est une question qui s’est posée dans'
plus d’un pays. Quoique je n’aie jamais pensé que c’était une bonne
question 18. »
C ’est Chambelland :
« [...] Dans quelle mesure, au cours de ces mêmes années, pou­
vait-on discerner les symptômes plus ou moins visibles du commen­
cement de la ruine de ces mêmes espoirs nourris par la révolution
dans tous les pays du inonde 10 ? »
Et Monatte enfin :
« Alors quoi, tu ne te demandes pas depuis quand avait com­
mencé à pousser ce qui nous a suffoqués en 24, après la mort de
Lénine 20. »
Ainsi poussé par ses amis, persuadé que le passé conditionne
l’avenir, Rosmer se met à rédiger son Moscou sous Lénine. Il y
pose nettement la question :
« Staline continue-t-il Lénine ? L e régime totalitaire est-il une
autre forme de ce qu’on avait appelé dictature du prolétariat ?
L e ver était-il dans le fruit 21 ? »
L a question a changé depuis Tavant-guerre. Il ne s’interroge plus
sur la nature de classe du seul Etat stalinien, il se demande si,
dès le temps de Lénine, la nature de classe de l’Etat soviétique
n’a pas commencé à changer. Les possibilités de réponse sont restées
les. mêmes. Dire que le stalinisme est le bolchevisme, qu’entre la
dictature de Staline et celle de Lénine il n’y a pas de différence de
nature mais une différence de degré, c’est laisser ouverte la voie
qui va de l’antistahnisme à l’anticommunisme. L e nier, c’est rester
obstinément communiste et c’est ce que fait Rosmer. Mais il a
nuancé sa position :

17. Archives Rosmer, Chiaromonte à R, 12-V-49.


18. Ibid., Farell à Rosmer, 7-X-1949.
19. RP, juin 1953, Compte rendu de Moscou sous Lénine.
20. Archives Rosmer, Monatte à Rosmer, 21-VI-1953.
21. Moscou, 287.
pour une voie ouvrière 415

.« La décomposition du communisme était déjà apparente quand


mourut [...]. Après sa mort, elle se développa à une allure
L é n in e
acceleree .»
Mais Lénine luttait contre tout ce qui lui paraissait être déforma­
tion du communisme 23 et rien de grave ne peut lui être reproché.
En mai 1953, Rosmer parle de son livre lors d’une conférence au
Cercle Zimmerwald. Une discussion très vive s’engage sur deux
points : Cronstadt et l'affaire Vergeat-Lepetit-Lefebvre. Walusinski,
professeur de mathématiques et militant de l’enseignement, de­
mande si la répression de Cronstadt était nécessaire à la fois dans
son fond et dans ses formes. Rosmer répond très vivement :
« Croyez-vous qu’on peut faire une révolution dans la liberté ? » 21.
Et Monatte, réfléchissant à l’incident, le taxe de timidité intellec­
tuelle : « Tu n’oses pas penser que Lénine et Trotsky pouvaient se
tromper, se tromper de bonne foi, mais se tromper tout de m ê­
me » 25. Sur Vergeat et ses compagnons de route, Monatte ques­
tionne. Tout le monde, à l’époque, avait accepté la version de l’acci­
dent! En y repensant, on se prend à douter, à penser que la Tchéka
a éliminé les trois. Déjà, du temps de Lénine et Trotsky, elle com­
mençait donc à en faire à sa tête. Négations acharnées de Rosmer :
en 1920, ïa Tchéka ne liquidait pas les gens de cette façon 30. Sur­
pris par le tour que prend la discussion, il a de la peine à maîtriser
son émotion et son irritation 27. Il est ulcéré et toute l’amitié bourrue
de Monatte n’est pas de trop pour panser la blessure :
« Eh bien ! II t’en faut du temps pour digérer quelque chose. Tu
en es encore à ruminer la réunion du Cercle de mai. Et tu ne m’as
pas l’air d’avoir encore compris [...]. Sans quoi tu n’écrirais pas :
si mes amis me traitent ainsi, qu’ est-ce que feront mes ennemis [...].
Tu te replies dans ta coquille, tu te montes le bobichon pour des
remarques naïves [...] ou absolument sans acrimonie [...]. On ne
dirait pas que tu as vécu d’autres périodes un peu plus difficiles 2S. »
En fait, Rosmer pense que la vraie question n’est pas celle du
ver et du fruit. Ce qu’il faut tenter d’expliquer, c’est l’échec de la
révolution russe, échec qui, pour lui, ne fait pas de doute :
« Partie d’une révolution socialiste, ïa transformation sociale qui
devait conduire à la libération de l’homme, à une société sans clas­
ses, a sombré progressivement, en Russie, dans un régime totali­
taire... Comment cela fut-il possible 23 ? »

22. Moscou, 287.


23. Ibid.
24. Archives Rosmer, Walusinski à Rosmer, 18-V-53. Walusinski cite
la réponse de Rosmer.
25. Ibid., Monatte à Rosmer, 21-VI-1953.
26. Ibid., Lettre de Walusinski, citée.
27. Archives Martinet, AR. à Martinet, sd.
28. Archives Rosmer, Monatte à Rosmer, 21-VI-53.
29. Moscou, 299.
416 alfred rosmer

Il faut chercher la réponse dans l’histoire des quatre années déci­


sives qui vont de 1917 à 1921. Les travailleurs d’Occident et les
travailleurs russes partagent la responsabilité de l’échec. Lénine et
Trotsky ont surestimé la volonté révolutionnaire des ouvriers euro­
péens so. Bien sûr, il y a la part de responsabilité des chefs réfor­
mistes, mais, si les classes ouvrières les avaient poussés impétueuse­
ment à l’action, ils auraient été forcés de suivre ou de s’effacer. Eu
réalité, les sociaux-démocrates, englués de la base au sommet dans
les pratiques parlementaires, emploient rituellement le mot révolu­
tion, mais après l’avoir vidé de son sens. Ils sont persuadés qu’on
peut faire l’économie de la révolution. Quant aux Russes, ils sont
passés de la dictature du prolétariat à la dictature du parti unique
puis à un régime policier et répressif. Ils ont imposé aux commu­
nistes étrangers l’imitation servile de leur exem ple31. Eux qui
prétendaient suivre la voie de Lénine et l'offraient à l'adulation des
foules l’ont trahi.
Lénine trahi, le mot est lâché. Pour Rosmer, le stalinisme n’est
donc toujours pas le communisme. Tandis que Monatte esquisse
une distinction entre anticommunisme prolétarien et anticommu­
nisme bourgeois :
« N ’ayons pas peur de tomber dans l ’anticommunisme en regar­
dant le stalinisme comme l’ennemi numéro 1. Notre soi-disant anti­
communisme n’a rien à voir avec celui des bourgeois. Eux ont peur
du communisme. Nous, nous l’appelons 32. »
Rosmer refuse tout anticommunisme. Il reproche à Rossi-Tasca
d’avoir assimilé stalinisme et communisme3S, il félicite Deutscher
de ne pas se confondre avec ces « antistaliniens qui sont simplement
des réactionnaires » M.
I l y a donc sur ce point permanence dans la pensée de Rosmer,
mais il faut bien qu’il tienne compte des modifications de la con­
joncture, de l’existence de deux blocs qui s’affrontent. Aucun des
deux n’a sa sympathie car il les considère tous deux comme des
blocs impérialistes35. L ’impérialisme américain est en plein essor
et il s’estime frustré par l’installation des Russes en Europe Occiden­
tale et par leur influence en Chine. Au temps de Roosevelt, de
l’excès de confiance, a succédé le temps de la méfiance et même

30. Moscou, 300 et suiv.


31. Ibid,., 304 et suiv.
32. RP., avril 47, « 2e lettre d’un ancien ».
33. RP., mai 51.
34. Archives Rosmer, AR à ID, sd, mais postérieur à la parution du
tome 3 de Trotsky. Isaac Deutscher, né en 1907 en Pologne autrichienne,
journaliste et membre du PC polonais, en est exclu en 1932 et rejoint
l’Opposition de Gauche. Réfugié en Angleterre en 1939, il mène une
carrière de journaliste, d’écrivain politique, de biographe de Staline et
Trotsky. Membre du tribunal Russel sur le Vietnam, il meurt en 1967.
35. Archives Martinet, AR., brouillon d’article non daté (1947).
pour une voie ouvrière 417

d’une certaine habileté dans l’exercice des responsabilités mon­


diales : le plan Marshall donne aux Russes bien du souci**. En face,
il y a l'URSS, « qu'on dise expansionniste ou impérialiste, peu
impose » 37■ L ’impérialisme russe est un impérialisme clandestin
parce que les colonies sont géographiquement rattachées à la métro­
pole, parce qu’il utilise une phraséologie révolutionnaire et l’atta­
chement sentimental des prolétariats au souvenir de 191 Y. En fait,
l’URSS est passée du communisme au chauvinisme et au pansla­
visme 3S-
Cette division du monde, cet affrontement des impérialismes,
Rosm er n e peut pas n e pas les constater, mais il refuse aussitôt toute
solution inspirée par un manichéisme facile. C ’est une « voie ou­
vrière » qu’il faut suivre. Pas de manichéisme car la guerre froide
n’est pas une guerre de classe, elle est la guerre de deux impérialis­
mes comme Font été les d e u x premières guerres mondiales :c. La
situation étant la même qu’en 1914 et qu’en 1939, le devoir reste
le même, facilité par l’expérience, compliqué par la complexité ac­
crue des problèmes. C ’est de refaire à nouveau Zimmerwald :
« L a grande signification de Zimmerwald, c’est ce rassemble­
ment des forces ouvrières internationales, quelles que soient leurs
tendances. Si nous nous montrons un jour capables de refaire cela,
de le refaire en mieux, alors Zimmerwald n’est pas mort 40. »
Le 16 décembre 1951, le Cercle Zimmerwald est créé, son mani­
feste et ses statuts sont adoptés 41. Rosmer qui le préside est entouré
de Monatte, J.-D. Martinet 42, le métallurgiste Ruffin, Chambelland,
l’étudiant Delaunay, Lapeyre ” , Th éven on 44, Walusinski. L e mani­
feste souligne que les signataires, comme les pèlerins de Zimmer­
wald, refusent la solidarité nationale et se placent sur le terrain de
la solidarité internationale du prolétariat et de la lute de classe.
C’est à la classe ouvrière de reprendre conscience d’elle-même et de
lutter pour la paix. Sont rejetés toutes violations des droits et des
Jibertés des peuples, toute annexion avouée ou masquée, tout
assujettissement économique, prélude à la servitude politique : le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit être à la base des

36. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 15-VII-47.


37. Archives Martinet, brouillon cité.
38. Moscou, 308.
39. Archives Martinet, brouillon cité.
40. RP, nov. 55. Compte rendu de la réunion du Cercle Zimmerwald
du 23-X-55.
41. Publiés dans la RP, janv. 52.
42. Médecin, fils de Marcel Martinet.
43. Secrétaire de la fédération des travaux publics et des transports
de la CGT-FO, auteur d’une brochure, Pour un mouvement syndical uni
et démocratique, qui préconise l’unité syndicale.
44. Urbain Thévenon, instituteur dans la Loire, milite dans les syn­
dicats de l’enseignement.

27
418 alfred rosmer

rapports entre les nations. La guerre qui vient, guerre atomique


sera une guerre de partage du monde. Mais déjà les prolétariats
se voient bercés d’une nouvelle théorie. On leur raconte que la
guerre, après avoir tué le militarisme prussien, l’hitlérisme et le
fascisme, tuera le stalinisme. Sans doute, pour Rosmer et ses amis
la responsabilité de la tension internationale pèse-t-elle en premier
lieu sur le stalinisme qui, en annexant à son empire les pays limi­
trophes, en glissant partout ses cinquièmes colonnes, a dressé con­
tre lui ses anciens alliés, a créé l’espionnite, la chasse aux rouges, a
« mis en péril les libertés démocratiques, ranimé les forces de réac­
tion ». Il n'empêche. L e prolétariat ne doit pas tomber dans le pan­
neau de la guerre au stalinisme. L e nouveau Zimmerwald permet­
tra aux hommes de se reconnaître, ils ne resteront pas neutres entre
les blocs, ils affirmeront que la guerre ne résout rien, que seule
l’organisation internationale des travailleurs peut régler les pro­
blèmes. Dans les deux blocs, il y a des opposants et des résistants.
Qu’ils se rassemblent autour du drapeau de Zimmerwald et qu’ils
fassent entendre leur voix !
Comme il est logique, Rosmer refuse obstinément de se laisser
attirer dans l’un des deux camps. Rien à craindre du côté des stali­
niens : son antistalinisme est assez affirmé et assez vigilant pour
qu’il en soit détourné à jamais. Pour lui, aucune unité d’action n'est
possible avec eux :
« Comment finissent les « unités d’action », sinon par les hon­
neurs ministériels pour les pleutres et par le gibet pour les bra­
ves 45 ? »
Il est partisan de lutter à fond contre eux. Par tous les moyens ? Il
le dit parfois en privé : « contre les staliniens, il faudrait employer
tous les moyens, même les leurs » 46. L e maccarthysme même ne
lui paraît pas si terrible : ce n’est rien comparé aux purges de Sta­
line. L ’élimination des staliniens qui s’étaient infiltrés dans tous les
services publics du temps de Roosevelt lui paraît être une simple
mesure de salubrité publique M. Il a cependant des hésitations :
« Il faut, d it-il48, savoir résister à la tentation, parfois grande,
de combattre les staliniens en employant leurs moyens ; leur faire
avaler un peu de leur propre médecine [...] est séduisant, mais c’est
alors s’abaisser à leur niveau ».
Mais, à trop clamer son antistalinisme, on risque de passer pour
pro-américain. Ses correspondants le lui rappellent :
« [ . . . ] I l est difficile d’être révolutionnaire et antistalinien sans
passer aux yeux des masses pour pro-américain [...] Une position

45. RP., janv. 52.


46. Archives Rosmer, Rosmer à Monatte, 4-III-49.
47. RP., oct. 47, sept. 48 ; nov. 48.
48. RP., avril 50.
pour une voie ouvrière 419

négative face à l'URSS risque de nous entraîner dans le camp des


capitalistes 49. »
Or, de ce camp américain, Rosmer ne veut pas. Certes, il a des
amis aux U SA et il accepte de bonne grâce leurs petits mandats ou
leurs colis quand il est en difficultés. Certes, certains d’entre eux
te n te n t- ils d’exercer sur lui des pressions d’ordre politique : ainsi
Farell lui demande en 1949 de recevoir Irwing Brown, « mais pas
pour des raisons personnelles » 50. Mais, à notre connaissance,
l’entrevue n’a pas eu lieu. Rosmer est intransigeant. Quand Frank
lui propose, e n 1949 toujours, de participer à un meeting contre le
p r o c è s Rajk, il lui demande l’assurance que ni les pro-américains,
ni les pro-atlantiques n’y participeront aussi51. E t quand, en 1951,
Louzon déclare qu’il faut prendre parti et rejoindre le camp améri­
cain, les réactions de Rosmer sont très vives. Il parle de provoca­
tion, de « divagations » 5a. C’est, dit-il,
« [.,.] Une sorte de défi : « La maison est à moi, vous ne vouliez
pas du «P a r ti A m éricain», je vous y ram ène». Et de quelle
façon ! 53. »
Peut-être se serait-il cependant contenté d’espacer sa collaboration
ou aurait-il accepté la médiation' de Charbit ** s’il avait été seul de
son avis. Mais ses amis sont aussi furieux que lui. A vec Monatte,
Charbit, Martinet et Walusinski, ils adressent aux membres du
« noyau » une lettre de protestation. Rosmer et Martinet quittent
la revue. Tous cherchent un refuge au Cercle Zimmerwald. En
1953 d’ailleurs, Louzon récidive. En France, dit-il, il n’y a que deux
partis, le russe et raméricain s5. Lui est du parti américain, ce qui

49. Archives Rosmer, Maurin à Rosmer, 24-X-49.


50. Ibid., Farell à Rosmer, 24-V I et 29-VII-49. On sait que I. Brown,
secrétaire de l’AFL, est venu dans l’Europe d’après-guerre organiser des
contacts entre les syndicats anti-communistes.
51. Ibid., Frank à Rosmer, 5-X-49. Le Hongrois Laszlo Rajk, membre
du PG depuis 1930 et militant du bâtiment, a été commissaire politique
du bataillon hongrois des Brigades Internationales en 1937. Il est empri­
sonné dans les camps de concentration en France de 39 à 40. Empri­
sonné de nouveau en Hongrie, il est libéré en 44. Il devient secrétaire du
Comité Central et milite dans la résistance. Arrêté, il est déporté et
rentre d’Allemagne en mai 45. Il entre au Bureau Politique, devient
secrétaire-général-adjoint du parti puis ministre de l'intérieur. Une demi-
disgrâce et le voilà ministre des affaires étrangères. En 1949, il est arrêté
pour « activité fractionniste », avoue lors de son procès en septembre, est
condamné à mort et exécuté. Il sera réhabilité en 1956. Un de ses co-
inculpés, Arthur London, vient de donner ( I f Aveu) une saisissante des­
cription de l’instruction et du procès.
52. Archives Charbit, Rosmer à Charbit, sd.
53. Archives Martinet, Rosmer à Martinet, 1951.
54. Ibid., et Archives Charbit, Rosmer à Charbit, 23-11-51.
55. RP., oct. 53. « A propos de l’indépendance française ».
420 alfred rosmer

ne veut pas dire qu’il est « au service » de ce parti, ce qui veut %b:
dire que c’est dans ce parti là qu’il a choisi de s’exprimer et d’agir :
en toute indépendance. Il s’attire une réponse furieuse de Monatte?
Parti A m éricain? N o n ! Parti Internationaliste*®.
« On imagine mal la Révolution Prolétarienne devenant un organe
du parti américain. La contradiction entre les termes jure un jeu
trop fort [...]. Entre l’empire russe et l’empire américain, plUs
exactement enchevêtrée entre eux, en eux, et autour d’eux, il y a
la classe ouvrière. »
Cette voie ouvrière que préconisent Monatte et Rosmer doit peser
dans le sens ouvrier au sein des deux blocs pour les faire évoluer.
Elle doit être purement ouvrière. Tout le reste est balayé d’une
phrase sans appel, « Rien pour un mouvement ouvrier autonome
dans tout ça ». I l s’agit de redonner au mouvement ouvrier cons­
cience de lui-même et confiance en lui-même, d’insister sur les mani­
festations purement ouvrières, sur l'internationalisme prolétarien
qui pourront seuls ouvrir la voie de la révolution ST.
Cela dit, dans quel milieu agir ?
Il y a d’abord le milieu syndical et Rosmer sait bien que l’appui
d’un syndicat, mieux, d’une fédération, à l'exemple de la fédération
des métaux pendant la première guerre serait inappréciable. Mais,
« jusqu’à présent cet oiseau rare ne s’est pas montré... » ss. D ’ail­
leurs Rosmer est assez coupé des réalités syndicales. Il a été favo­
rable à la création de la C G T-FO car elle contestait et brisait le
monopole des staliniens sur la classe ouvrière, mais il a des impa­
tiences qui étonnent et irritent Monatte. En 1950, il demande pour­
quoi diable la C G T-FO ne se débarrasse pas de ïa tutelle de Jou-
haux. Comme tu y vas, répond Monatte, la situation est loin d’être
m û re5t>. En fait le travail syndical est l’afiFaire de Monatte plus
que celle de Rosmer.
Celui-ci n’a guère d’espoir du côté des trotskystes. La IV 6 Inter­
nationale est dominée par sa section US, le Socialist Workers’ Party,
elle-même dominée par Cannon 60 qui, d’après Rosmer, « compro­
met le trotskysme plutôt qu’il ne le sert » B1 et par ses partisans, les
« cannonites » . A leur égard, Rosmer a deux séries de réserves.
D ’une part, ils imposent une discipline rigide et elle lui paraît du
même style que celle qui règne dans le mouvement stalinien :

56. RP., nov. 53.


57. Archives Martinet, brouillon cité.
58. Archives Rosmer, Rosmer à Monatte, 25-1-55.
59. Ibid., Monatte à Rosmer, 21-VII-50.
60. J.-P- Cannon ex-IWW, devenu l’un des dirigeants du PC amé­
ricain, se sépare de TIC après le V Ie congrès et se range dans l’Opposi­
tion de Gauche. Dans la controverse de 39-40 sur la défense de l’URSS,
il prend parti pour le défensisme trotskyste.
61. Archives S. Jacobs, AR à SJ 17-111^7.
pour une voie ouvrière 421

« [-••] Cela montre à quel point le mouvement communiste,


actuellement, est pourri ; même ce qu'il y a de meilleur en lui a
été intoxiqué par le poison stalinien et se trouve maintenant inca­
pable, peut-être même non désireux, de s'en débarrasser. Les chefs
ont appris comment gouverner — avec de très faciles méthodes et
de misérables manœuvres — et les disciplines se complaisent dans
l’obéissance pure et simple ; il semble qu’ils préfèrent n'avoir qu’à
suivre le chef plutôt qxie d'étudier et de discuter eux-mêmes les
grands et nombreux problèmes du moment : ils aiment le tout
préparé 62. »
Il ne supporte pas le ton d’autosatisfaction de la « clique » Can-
non et désapprouve entièrement leur attitude politique globale qu'il
qualifie de « stupide » . Ils tuent eux-mêmes leur propre organisa­
tion 63. II les tient pour incapables d’une pensée cohérente et, quand
ils rééditent des oeuvres de Trotsky et les préfacent, il n'apprécie
guère cette tentative pour se présenter comme les héritiers politi­
ques du Vieux. I l faudrait, dit-il, leur interdire toute introduction **.
D'autre part, ils aident parcimonieusement Natalia Trotsky dont la
situation matérielle est difficile et il ne leur pardonne pas cette atti­
tude dictée par la rancune : Natalia leur a fait des critiques politi­
ques ss.
De la section française, il pense qu'elle est à la traîne de l'amé­
ricaine 6Ü, qu’elle apprécie de façon « ridicule et grotesque » la
situation67. Elle a, en particulier, une exécrable attitude vis-à-vis
des staliniens. Elle les accuse de trahir le communisme, la seule
attitude logique serait donc une critique vigoureuse et sans com­
promis. O r elle leur demande humblement de bien vouloir admet­
tre qu'elle n’est pas composée d’hitléro-fascistes, de bien vouloir
travailler avec eux 4S. Les trotskystes français font du suivisme par
rapport au P C F qu’ils considèrent comme le vrai parti de la classe
ouvrière 6#. Ils sont finalement plus staliniens que les staliniens 7Ü.
Ils sont défensistes à l’égard de l’URSS et tiennent l’occupation des
pays est-européens pour des conquêtes révolutionnaires. Au cours
d’une conversation, Rosmer affirme à un militant trotskyste que
l’armée rouge est l'instrument d'une politique impérialiste. Oui,
répond l’autre, mais il faut tenir compte d'un autre aspect : elle
amène l’esprit révolutionnaire là où elle passe 71. Cette réflexion le

62. Ibid., 5-XII-45.


63. Ib id 17-IX-48.
64. Ibid.
65. Ib id 5-XII-45.
66. Ibid., 17-111-47.
67. Ibid., 5-XII-45.
68. Ibid., 17-IX-48.
69. Ibid., 17-IX-46.
70. Ibid., 26-11-49.
71. Ibid., 5-XII-45.
422 alfred rosmer

scandalise. Pour lui, en fait d’esprit révolutionnaire, l’armée rouge


n’aboutit qu’à un résultat : détruire en Europe de l’Est toute sym­
pathie pour l’URSS.
Ce défensisme calqué sur celui de la section US ne lui paraît
pas plus approuvé par la base que ne l’était l’attitude néo-stali­
nienne 72. Ceci lui permet, tout en gardant ses distances et ses
réserves face aux dirigeants (en particulier Craipeau et D. Guérin),
de conserver de bons rapports avec les militants. Ses archives con­
tiennent de nombreuses lettres de trotskystes lui demandant cau­
series, revues, livres, lui exposant leurs problèmes et leurs difficultés.
Au total, il n’apprécie guère les contacts avec les trotskystes et sa
femme le dit nettement :
« Alfred voit quelquefois la famille [les trotskystes] parce qu’il
est obligé de garder le contact pour les éditions. Ce n’est ni un ré­
confort, ni un plaisir ; toujours les mêmes lourdes bêtises et métho­
des que nous ne pouvons que déplorer 73. »
En 1954, les Rosmer font un voyage aux USA puis à Mexico et en
ramènent Natalia Trotsky 7\ Ils espèrent qu’elle se contentera de
rapports exclusivement personnels avec les trotskystes français. Ce
qu’elle fait tant qu’elle est avec eux dans le Midi. Mais elle ne
persiste pas durant son séjour à Paris et ils le déplorent :
« [...] Comme c’ était inévitable, elle s’est finalement intéressée à
la vie des groupes. Il y en a au moins quatre et qui n’ont guère
de sympathie l’un pour l’autre. Peut-être espère-t-elle pouvoir les
rapprocher et les amener à une sorte d’entente qui les aiderait à sor­
tir de leur isolem ent75. »
Entre les milieux intellectuels et Rosmer, l’antistalinisme sert de
passerelle. Et aussi une question de caractère et de mode de vie.
Alors que Monatte reste à Vanves et y reçoit des visiteurs, mais ne
sort pas le soir, alors qu’il se sent emprunté hors du milieu des
militants ouvriers et le reconnaît non sans une certaine coquetterie ;
« C ’est une histoire d’intellectuels de gauche. Nous serons un peu
perdus et godiches » 7% Rosmer est à l’aise partout, sort volontiers,
a les contacts faciles. Dans les milieux intellectuels, il est chez lui.
Monatte le plaisante d’ailleurs. En 1950, Rosmer se voit offrir de

72. Ibid., 17-IX-46.


73. Ibid., Marguerite Rosmer à SJ, 6-V-47,
74. Natalia Trotsky (1882-1962), de petite noblesse russe, étudie à
Moscou et adhère à un groupe d’étudiants socialistes. Elle est dans le
groupe Plékhanov à Genève. A Paris, elle rencontre Trotsky dont elle
suit de bout en bout la destinée politique et personnelle. Restée d’abord
à Coyoacan après l’assassinat, elle meurt dans la région parisienne lors de
son séjour en France.
75. Archives Sarah Jacobs, Marguerite Rosmer à SJ, mai 55.
76. Archives Monatte, Monatte à Rosmer, 1948. A projpos des Europ-
America Groups.
pour une voie ouvrière 423

faire partie du Comité de Rédaction d’une revue antistalinienne


que dirigeraient André Breton et la journaliste anticommuniste
Suzanne Labin. I l hésite et en parle à Monatte. Voici la réponse
dont on appréciera l’humour :
«D on n e ton adhésion, tu en meurs d’envie Tu t’en fais du
tintouin avec cette histoire de « patronage »... Ça n'a pas la moin­
dre importance ces trucs-là. Ce qui a de l’importance — et encore
._ c’est ce qui s’écrira dans cette revue ; ce que tu écriras toi et
]es autres TT. »

En dehors des relations privées, les contacts se prennent dans toute


une série de comités, de groupes, de commissions qui foisonnent :
les Europ-America Gxoups qui, au lendemain de la guerre, jouent
un rôle d'entraide entre intellectuels américains et européens ; les
mardis de Preuves ; les Groupes de Liaison Internationale avec
Martinet et Walusinski. L a rencontre la plus importante se fait
avec Camus. Celui-ci trouve un éditeur au Moscou sous Lénine et
préface le livre. Les rapports humains entre les deux hommes ne
paraissent pas avoir été excessivement chaleureux et iis se rencon­
trent à un moment où leurs univers mentaux sont déjà bien trop
achevés pour qu’on puisse parler d’influence de l’un sur l’autre.
Mais entre les deux pensées les concordances sont nombreuses :
refus de l'anticommunisme78, refus de l’Etat totalitaire sous sa
forme policière ou bureaucratique 70, refus du manichéisme et de
l'univers concentrationnaire 80. Mais, face aux intellectuels, Rosmer
n'est pas sans éprouver une irritation sourde. D ’abord, il a horreur
du style gens-de-lettres. Puis il ne croit guère à l’efficacité politique
des intellectuels. I l plaisante assez durement le Rassemblement
Démocratique Révolutionnaire qu’ils ont créé mais qui est « mort
et enterré comme Marlbrough » :
« [...] En fait ce groupement hétéroclite où il y avait une grande
masse de bonnes volontés a toujours manqué d'un solide point
d’appui et on peut dire qu’il n'a jamais vécu »

77. Ibid., Monatte à Rosmer, 1950.


78. Actuelles 1. Combat. Editorial du 7-X-44. Camus rappelle pour
l’approuver une formule du congrès de Combat à Alger en mars :
« L'anticommunisme est le commencement de la dictature ».
79. Ibid., Combat, déc. 58. L'état de siège dénonce le totalitarisme,
« qu’il soit russe ou espagnol ».
80. Ibid., La Gauche, oct. 48 ; « Les camps faisaient partie de l'appa­
reil d’Etat en Allemagne. Ils font partie de l’appareil d’Etat en Union
Soviétique. Dans ce dernier cas, ils sont justifiés, paraît-il, par la nécessité
historique [...]. Il n’y a pas de raison au monde, historique ou non, pro­
gressive ou réactionnaire qui puisse me faire accepter l'univers concen­
trationnaire. »
81. Archives Sarah Jacobs, AR à SJ, 28-XII-49.
424 alfred rosmer

Surtout, il ne peut supporter que les intellectuels se mêlent de •


donner à la ronde des leçons de pureté révolutionnaire et d’intran­
sigeance :
« Sartre et Merleau-Ponty sont des agrégés de philosophie qui;
au fond, n’ont pas la moindre idée de ce que sont le socialisme et
les socialistes. C’est pourquoi ils ne se rendent pas compte que
leur attitude d’intransigeance révolutionnaire est simplement comi­
que 82. »
Peu de contacts avec les syndicalistes, médiocres relations avec
les trotskystes, difficultés avec les intellectuels de gauche, Rosmer
ne se sent pourtant ni attiré par les partis de masse, ni isolé. Il ne
croit pas au rôle bénéfique des grands partis et persiste à penser
que les petits groupements sont porteurs d’ espoir :
« [...] Les grands partis écrasent les groupements plus modestes
et ils habituent les hommes à se contenter, sinon à désirer des
réponses toutes faites aux graves questions que posent les événe­
ments. Mais rien n’est perdu de ce qu’on tente en dehors d’eux,
même quand les résultats ne sont pas très apparents Ba. »
Monatte est de son avis, affirme que les minorités sont la «crèm e»
de tout mouvement, que, si leur politique est juste, les masses les
rejoindront tôt ou tard 84T II faut donc que des équipes se forment
et se tiennent prêtes à saisir les occasions qui ne peuvent manquer
de se présenter 85.
D ’autre part les liens entre les anciens de la HP n’ont jamais été
rompus. L a revue s’était sabordée en novembre 1939 pour n’avoir
pas à se soumettre à la censure imposée par Daladier 8<\ Mais ses
rédacteurs ont continué à se voir régulièrement et à se réunir une
fois par mois pendant toute la durée de la guerre. Tous étant
d’accord sur la nécessité d’une action de petit groupe dans le sens
ouvrier, ils décident de sortir à nouveau La Révolution Prolétarienne.
En 1947, quand le régime de l’autorisation préalable est suppri­
mé, donc la nécessité de demander une faveur au gouvernement,
Monatte décide de ressortir la revue. Rosmer assurera la rubrique
« Dans l’Internationale » , Chambelland promet sa collaboration,
Hagnauer sera « cuisinier » ST. Autour d’eux se regroupent les
membres survivants de l’ancien Comité de Rédaction plus quelques
nouveaux :
« L e miracle, dit Marguerite Rosmer, c’est que la vieille équipe

82. Ibid., 12-VI-50 et Archives Martinet, AR à Martinet, 19-V-50.


83. Archives Rosmer, AR à Codignola (écrivain antistalinien italien,
collaborateur de Tempo Présente), 17-1-58.
84. RP, mars 53.
85. RP, avril 47.
86. Maurice C h a m b e l l a n d , RP, janv. 50, « Notre vieille RP ».
87. Archives Rosmer, Monatte à Rosmer, 1947.
pour une voie ouvrière 425

de 1908 est encore là, solide, fidèle et probe. Monatte. Alfred. L ou ­


zon et quelques plus jeunes qui n’ont rien renié et se sont seule­
ment tus pendant ces années maudites 8S. »
On recueille des fonds par souscription, Rosmer avance 1 000
fra n c s ** et le premier numéro sort e n avril 1947. E n même temps
est fondée une Ligue Syndicaliste dont le m anifeste90 — aux
variantes dues aux énormes bouleversements politiques intervenus
après — ressemble comme un frère à celui de la Ligue Syndicaliste
d’avant-guerre : esprit de classe, action directe, indépendance du
s y n d ic a lis m e garantie par ïe respect de la Charte d’Amiens, unité
syndicale dans une C G T démocratique et non bureaucratisée, effort
éducation syndicale au moyen de Cercles d'Etudes Syndicales,
hostilité à l’égard des impérialismes US et russe. La Ligue a d’ail-
ieurs peu d’a^LiviLé.
Par ailleurs, à la RP, les choses ne sont pas toujours faciles.
Rosm er fait des réserves quant au fond. Elle n’est « certainement
pas telle » qu’il la voudrait. Il la trouve trop éclectique et cela par la
volonté même de Monatte. Il en dit les inconvénients, mais s’y rési­
gne :
« [...] En ces temps d’épidémie totalitaire, une libre tribune de
discussion n’est pas à dédaigner, et le caractère sérieux, solide et
honnête de celle-ci lui assure une autorité et une influence dans les
milieux ouvriers que personne ne peut contester 91. »
D ’autre part il y a les frictions avec Louzon. Tout d’abord, Rosmer
prend sa défense, non sans une amicale ironie :
« L e malheur avec lui est qu’il veut toujours trouver une solution
originale à quelque problème important qui se pose ; il est ainsi
amené à les expliquer dé manière complètement arbitraire de sorte
qu’il donne l’impression de se complaire dans les paradoxes. Mais
c’est la dernière chose qu’il faut lui dire car il se fâche terrible­
ment ®2. »
Bientôt cependant, les choses s’enveniment. L a cohabitation
devient « insupportable » , d’autant que Louzon s’ingénie à la rendre
« impossible » I l multiplie les tracasseries contre Walusinski, secré­
taire de rédaction, lui interdisant notamment de prendre connais­
sance du courrier. En 1951, une importante divergence politique
entraîne, nous l’avons vu, la formation du Cercle Zimmerwald et
en avril 1952, rien ne s’ améliorant, on fonde un Cercle d’Etudes

88. Archives S. Jacobs, Marguerite Rosmer à SJ, 6-V-47.


89. RP, mai 47.
90. Publié dans RP, avril, mai, juin 47.
91. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 17-IX-48.
92. Ibid.
93. Archives Rosmer, AR à Martinet, sd.
426 alfred rosmer

Syndicales, le Cercle Pelloutier : on a ainsi la possibilité de se réu­


nir, quand besoin est, en dehors de Louzon sans avoir eu à rompre
les ponts et en conservant la revue qui reste l’indispensable instru­
ment d’action.
Voyons maintenant dans quel sens Rosmer mène son action. H
se refuse évidemment à tout replâtrage du capitalisme. Il ne croit
pas à la possibilité d’un règlement des difficultés internationales
par l’O N U car il a assisté à l’échec de la SD N où l’on parlait beau­
coup de désarmement général et contrôlé sans jamais parvenir à
l’imposer aux vainqueurs ni même aux vaincus. En Europe, il nè
croit pas que les « nains » pourront maintenir longtemps désarmé
le « géant » allemand. L a C E D n’est, pour lui, qu'un élément du
système impérialiste américain. L ’idée européenne court à l’échec
comme le projet Briand de Fédération Européenne. En effet, si
c’étaient le bon sens et la raison qui présidaient aux relations inter­
nationales, l’Europe serait faite depuis le XIX® ou au moins depuis
1919 9\
Il écarte aussi toute tentative de replâtrage des capitalismes dans
leur cadre national. L e bevanisme lui apparaît comme un faux mou­
vement de gauche dangereux par les illusions qu’il entretient8S.
L e mendessisme surtout lui répugne. A tel point que son ardeur
antimendessiste amuse ses amis, notamment Monatte qui lui
demande : « Alors, toujours monté contre Mendès-France ? » 98 et
s’étonne de son « jugement tranchant ■» 07. Pour Rosmer, Mendès-
France, c’est une fraction du centre, tout comme Edgar Faure
et il enrage qu’à gauche on puisse s’y laisser prendre.
Les élections du 2 janvier 1956 le persuadent de la situation
extrêmement délicate de la IV Ô République. L a première expérience
de dissolution a été un échec. L a profondeur du mécontentement
populaire entraîne les électeurs vers des extrémismes qui n’ont pas
sa sympathie. L e poujadisme, « quelle dégringolade » 1)3 peut évo­
luer en fascisme car les fascistes authentiques s’y précipitent pour
y rencontrer les masses. Les communistes se sont maintenus en
voix avec 25 %, mais ont gagné des sièges, ce qui leur ouvre des
perspectives de manœuvre parlementaire. Perspectives dérisoires,
pense-t-il, pour un parti qui se dit ouvrier et ne devrait s’occuper
que de l’action directe des masses. Ils perdent d’ailleurs des adhé­
rents^ et leur direction est ravagée par des querelles que mettent en
lumière les successives affaires M a rty 10<), L ec œ u ri01, H e r v é loa.
94. Archives Martinet, brouillon cité.
95. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 26-XI-52.
96. Archives Rosmer, Monatte à Rosmer, 19-XII-54.
97. Ibid., 7-1-55-
98. AR, Tempo Présenté, juillet 56.
99. Archives Charbit, AR à Charbit, sd.
100. En novembre 1952, Marty est exclu du PC pour travail fraction­
nel, il sera accusé d’avoir été un policier infiltré.
101. Lecœur était en 1950 secrétaire du Parti à l’organisation et fîgu-
pour une voie ouvrière 427

L ’in s t a b ilit é persiste en France. La IV e République est dans


l'impasse et ne parvient plus à sortir des difficultés 103. L e Front
Républicain est fragile d’autant qu’il revient à une politique de
force en Algérie. L a situation semble sans issue et dix ans après la
fondation de cette république, on parle ouvertement de sa succes­
sion et diverses solutions de rechange sont envisagées : régime pré­
sidentiel, monarchie, Poujade, D e Gaulle.
Rosmer n’a aucune sympathie pour le gaullisme. Il admet un
temps que D e Gaulle a été le plus grand de tous les résistants 10<t.
Mais l’épisode du Rassemblement du Peuple Français ne lui inspire
que sarcasmes : « Comme intelligence politique, le général n’était
Pas trop brillant » 10S. L e 31 janvier 1948, le journal du RPF,
Le Rassemblement, publie une lettre que Victor Serge, quelques
jours avant sa mort, a adressée à Malraux :
« Je veux vous dire que je trouve vaillante et probablement rai­
sonnable la position politique que vous avez adoptée ; si j’étais
moi-même en France, je serais du nombre des socialistes partisans
de la collaboration avec le mouvement auquel vous participez. J’ai
considéré comme un grand pas vers le salut immédiat de la France
la victoire électorale de votre mouvement [...]. »
Rosmer s’étonne car rien, ni dans les écrits récents de Serge, ni
dans sa correspondance avec ses amis de France ne faisait apparaî­
tre de sympathie pour le gaullisme. Serge, dit-il, a toujours insisté
sur la liberté, ce qui n’a rien à voir avec le gaullisme 10°. N e met­
tant pas un moment en doute l’authenticité de la lettre, il finit par
trouver une explication mi-acerbe, mi-ironique :
« Il y avait chez lui un côté faible qui le portait à chercher un
accord avec des hommes qu’il aurait du fuir, et aussi une vanité
de « gendettres » : il aimait être en contact avec des écrivains célè­
bres comme Malraux et, pour cela, plus ou moins consciemment, il
écrivait des choses qui prenaient une signification politique sensi­
blement éloignée de sa position essentielle 107. »
Il ajoute pour Monatte que Serge a déjà joué « des tours de ce
genre » en Russie, car il y avait en lui le « gendelettre... heureux de

rait parmi les dirigeants les plus en vue. Son travail est critiqué par Thorez
et il est exclu en 54. Il se retire dans le Doubs, publieL'autocritique
attendue, fonde le groupe et le journal La nationsocialiste qui en 1958
rejoignent la SFIO.
102. Pierre Hervé publie en 1956 La révolution et les fétiches où il
s’oppose à la ligne du parti dont il dénonce la « scholastique fétichiste ».
Il est exclu peu après.
103. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 29-XI-56.
104. Ibid., 21-111-49.
105. Archives Charbit, Lettre sd., citée.
106. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 8-I I -48.
107. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 26-11-49.
428 alfred rosmer

se frotter à un confrère éminent, et le curé prêcheur d’accord aveo


tout le monde » 108. Sa femme est plus sévère. Lettre désolante
un révolutionnaire doit garder une unité à sa vie, il a le droit d£:
réviser le marxisme ou de s’en détacher, mais en aucun cas de finir;-
gaulliste rm. En tout cas, ni l’un, ni l’autre n’approuvent Serge, ru-
ne sont tentés de l’imiter. Marguerite ajoute :
« [ . . . ] Si je vous ai écrit que je considérais l’expérience De
Gaulle comme devant se faire, ce n’est pas que je pense qu’elle est
un mal nécessaire, mais un mal inévitable [...] 110. »
Aucun texte de Rosmer lui-même ne nous permet de dire s’il a la:
même conception d’un gaullisme inévitable. Ce qui ne fait pas de
doute, c’est son hostilité persistante. Quand la menace d’une solution'
de rechange gaulliste se profile en 1956, il s’élève contre l’homme'
politique qu'il juge incapable, mû par des rancunes personnelles,
complaisant envers le stalinisme comme en témoigne l’accord franco-
soviétique de 1944, imbu de fausses idées de grandeur qui trou-’
vent dans le chauvinisme du peuple français un terrain d’élec­
tion Quand le gaullisme est en place en 1958, il dit à Sarah
Jacobs son dégoût pour
« [...] la France du général et de sa clique dégoûtante. Ce grand
homme dissimule sa démagogie derrière un langage sonore mais,
creux à dessein, tandis que ses flics cognent dur et que sa propâ-’
gande imite adroitement celle de Gôbbels [...] n3. »
Bref, l’impasse française persiste. Rien n’indique qu’il ait changé
d’avis.
En fait, ce n’est pas vers la vieille Europe qu’il a les yeux fixés.
C’est aux U SA et du côté de l’URSS que se joue, à son avis, le sort
du monde.
Il connaît bien les USA, y a de nombreux amis et considère cej
pays comme la clé de l’évolution dans le monde capitaliste. Un
capitalisme puissant y fournit et le beurre et les canons, mais toutè
évolution dans le sens ouvrier ne lui paraît pas y être bloquée. La
gauche américaine reste vigilante, l’opposition s’exprime libre­
ment 113. Il est persuadé que c’est une grave erreur de présenter
sous un jour trop sombre la situation du mouvement ouvrier et les.
perspectives révolutionnaires aux USA. Sur ce thème s’engage une
controverse avec Daniel Guérin 114 auquel il reproche d’avoir noirci

108. Archives Monatte, AR à Monatte, fév. 48.


109. Archives S. Jacobs, M a r g u e r ite R à SJ, 1948.
110. Ibid.
111. AR, Tempo Présente, art. cit.
112. Archives S. Jacobs, 13-IX-58.
113. Archives Charbit, AR à Charbit, sd.
114. AR. RP., avril et sept. 50 ; Archives D. Guérin, lettre d’AR à DG
(automne 50) ; Lettre de DG à l’auteur, juillet 69.
pour une voie ouvrière 429

je tableau, d’avoir exagéré l'affaiblissement des syndicats, surestimé


]a p u is s a n c e des trusts, de n’avoir pas été sensible à ce qu’il y a
^de r é e l l e m e n t démocratique dans la vie publique U S , bref d’avoir
p o r té des «jugements au vitriol». Lui pense que, s’il y avait redres­
se m e n t du syndicalisme, constitution d’un parti ouvrier autonome,
]es U S A pourraient -reprendre leur marche en avant. L e syndica­
lisme américain, puissant, est exclusivement préoccupé de reven­
dications immédiates. S a tactique, formulée au début du siècle
(« Punir les ennemis, aider les amis », on s’en souvient) est une tac­
tique « misérable ». D ’aspect extérieur combatif, elle autorise en
fait toutes les compromissions et prive le mouvement ouvrier amé­
ric a in dé toute possibilité d’intervention autonome dans la vie
p o lit iq u e . Elle le met à la remorque des deux grands partis. Il
faudrait donc d’une part coordonner l’action des deux centrales
s y n d ic a le s ou — mieux encore — les fusionner, d’autre part créer
un Labour américain11S. L e pseudo-parti progressiste de W allace
n e saurait en tenir Heu car iî n’est qu’une manœuvre des staliniens.

L 'é le c tio n de Truman est un tournant. Farell la décrit de façon


sa is iss a n te : la joie populaire en fait une deuxième élection Jack­
son ï16. Pour Rosmer, cette élection qui ne change rien est la der­
nière illusion117. L a désillusion sera telle que l’idée du tiers parti
en sera renforcée 118 et ce tiers parti ouvrier est l a clé de l’évolu­
tion ultérieure des USA.
Par ailleui’s la domination mondiale du capitalisme est ébranlée
par le mouvement anti-impérialiste dans les pays colonisés
qu’appuie en Europe et aux U SA le secteur anticolonialiste d e l’opi­
nion. L e choc des idées et des hommes est tout particulièrement
net en France qui décolonise dans la violence. L ’anticolonialisme
de Rosmer ne saurait faire de doute. Il a été à Bakou, il signe en
1960 le manifeste des 121 119. Sa vie militante est en quelque sorte
encadrée par ces deux actes d’anticolonialisme actif. Mais son anti­
colonialisme a une tonalité propre. Avant et après la première
guerre mondiale, dans les Balkans, il a vu les méfaits des nationa­
lismes. Au temps où il était membre de l’IC, il ne traite guère les
questions coloniales et notamment, ne dit pas ce qu’il pense des
divergences Roy-Lénine. Dans M oscou sous Lénine l2°, il expose la
discussion sans qu’on soit capable de discerner vers laquelle des
deux thèses il penche. Demi-silence qui — comme tous les demi-
silences de Rosmer — est révélateur d’un embarras. Par ailleurs,
en 1927, M. N. Roy dans son pamphlet antitrotskyste 121 affirme

115. AR, RP, oct. 47, sept, et nov. 48.


116. Archives Rosmer, Farell à Rosmer, 26-X-48.
117. Ibid., 9-XII-48.
118. RP, VIII-49.
119. Le Monde, 6 et 7-IX-60.
120. Pp. 105-106.
121. Les alliés internationaux de VOpposition du PC de l’URSS, pp.
29-30.
430 alfred rosmer

qu’en 1924 le groupe Rosmer-Monatte-Souvarine avait une position


social-démocrate sur la guerre du Rif. Us ne voulaient pas, dit Roy,
soutenir les insurgés rifains sous prétexte que l’IC ne doit appuyer
que des révolutionnaires authentiques. Ainsi ils ne tiennent pas
compte du « caractère objectivement révolutionnaire d’un mouve­
ment anti-impérialiste ». En 1930, Rosmer signe avec Landau et
Léon Sedov un appel du secrétariat international de l’Opposition
communiste 122 favorable à l’action autonome du PC dans la révo­
lution chinoise et défavorable à l’alliance sans principes avec le
Kuo-Min-Tang préconisée et pratiquée par l’IC.
Il semble au total qu’il y a chez Rosmer deux sentiments : il
sent bien que la lutte anti-impérialiste affaiblit le capitalisme et il
s’en félicite. Mais cette lutte prend souvent un caractère xénophobe,
nationaliste, Union Sacrée qui lui déplaît. Bref, il préfère les anti­
impérialistes communistes aux anti-impérialistes nationalistes, mais ne
peut le dire sous peine de renforcer les colonialistes. Il tient les
indépendances comme des étapes nécessaires mais non suffisantes.
La lutte pour l’indépendance lui rappelle à bien des égards le mou­
vement des nationalités du X IX e siècle et son arrière-goût de natio­
nalisme ne peut que l’inquiéter. D ’après lui, les 121 se font des
illusions. Il a signé le texte de confiance puisque Sartre et d’autres
l’ont rédigé, mais au fond de lui-même, il sait bien que le mouve­
ment pour l’indépendance est une sorte d’Union Sacrée 123. Or il
ne connaît que la lutte de classes. Nous avons retrouvé dans ses
dossiers une coupure du Monde (21 juin 1955). Sous le titre
« L ’ombre de Mao sur l’empire des Incas » Marcel Niedergang mon­
tre l’affrontement, en Amérique du Sud, d’un mouvement nationaliste
qui représente la classe moyenne et d’un mouvement marxiste visant
à l’émancipation totale des Indiens et brandissant le fanion de la
Révolution Permanente. Voilà bien ce qui intéresse Rosmer, ce qui
l’intéresse exclusivement : l’affrontement des classes. Il n’est en
aucune façon du côté des impérialistes, mais, dans la mesure où le
mouvement d’indépendance n’est pas exclusivement prolétarien, il
ne saurait y adhérer sans réserves.
L e bloc socialiste, de son côté, ne cesse de solliciter son atten­
tion, de nourrir sa réflexion sur le thème central de la nature de
l’Etat russe.
Il est intéressant d’analyser à cet égard l’évolution des idées de
Natalia Trotsky avec laquelle il est en relations suivies. En 1951,
Natalia Trotsky rompt avec la IV e Internationale. Comme les trot­
skystes US pèsent d’un poids très lourd dans cette Internationale,
cette rupture se présente essentiellement comme une rupture avec
eux. Dès 1942, elle avait commencé à se trouver en désaccord :
elle ne comprenait ni leurs scissions, ni leurs réunifications, d’autant

122. « Aux communistes chinois et du monde entier », La Vérité, 12-


IX-SO.
123. Témoignage oral de Daniel Martinet.
pour une voie ouvrière 431

plus qu’ils ne se donnaient pas la peine de les expliquer au parti


0u à l'Internationale l24. L a rupture de 1951 intervient sur un pro­
blème de fond, celui de la nature de classe de l’Etat russe et de sa
défense. Natalia prépare un texte pendant six mois, se demandant
continuellement ce que Trotsky aurait fait à sa place, s’il ne vau­
drait pas mieux attendre dans l’espoir que les trotskystes US modi­
fieront leurs positions. Sarah Jacobs lui conseille de ne rien brus­
quer car cette rupture la laissera isolée, sans perspective d’action
ultérieure. L ’effet produit est l’inverse de l’effet attendu. Natalia
publie immédiatement son texte 125. Les trotskystes se sont mis à
se féliciter de l’offensive nord-coréenne, à la considérer comme une
offensive anti-impérialiste. Pour Natalia, plus de doute, ces « néo­
staliniens » utilisent politiquement son nom. C’est la rupture publi­
que 126. L e texte, daté de Mexico (9 mai 1951) révèle que les
désaccords datent de la fin de la guerre. Comme ils s’aggravent, il
faut quitter la IV e Internationale et s’en expliquer publiquement.
Dès le début, Trotsky avait dit que le régime stalinien glissait à
droite et que si rien ne venait arrêter ce mouvement, le capitalisme
serait restauré en URSS. Natalia pense que l’irrémédiable s’est pro­
duit :
« C ’est malheureusement ce qui est arrivé [...]. L e stalinisme et
l’Etat stalinien n’ont absolument rien de commun avec le socia­
lisme ; ils sont les pires ennemis, et les plus dangereux du socia­
lisme et de la classe ouvrière. »
Les pays de l’Europe de l’Est ne sont pas plus révolutionnaires
que l’URSS et on ne saurait mettre leur passage dans le camp sovié­
tique au bénéfice d’une quelconque politique d’expansion révolu­
tionnaire. Comment le stalinisme pourrait-il jouer en politique
internationale un rôle révolutionnaire alors qu’il a en URSS un
rôle conservateur et contre-révolutionnaire ? Les hommes de la IV 0
Internationale ne le comprennent pas : « Obsédés par de vieilles
formules périmées, vous continuez à considérer l’Etat stalinien comme
un Etat ouvrier » . La IV e Internationale se prive donc de « toute
raison essentielle d’exister en tant que Parti mondial de la révo­
lution socialiste ». L e plus grave, l’intolérable, est qu’elle préconise
la défense de l’Etat stalinien dans la 3e guerre mondiale. Or Trotsky
disait nécessaire de défendre la patrie socialiste, mais refusait de
défendre le cours stalinien. En 1950, il n’y a plus de patrie socialiste,
il n’y a plus qu’un Etat stalinien. Il est illogique de condamner cet
Etat tout en préconisant sa défense inconditionnelle :
« Qui défend ce régime d’oppression barbare abandonne, quels

124. Archives Rosmer, Natalia Trotsky à Marguerite Rosmer, 12-III-


42.
125. Le voir dans RP, sept. 51.
126. Archives Rosmer, S. Jacobs à Rosmer, 29-VI-1951.
432 alfred rosmer

que soient ses motifs, les principes du socialisme et de l’intema-r


tionalisme. »
Natalia Trotsky conclut que les idées de Trotslcy n’inspirent plub
la IV B Internationale et démissionne. '
Rosmer, commentant ce texte pour la B.P x~r affirme qu’il fait date
dans l’histoire de l’Opposition de Gauche :
« Une voix autorisée déclare que les hommes qui se considèrent
comme les disciples fidèles de Trotsky et sont actuellement à la
direction de ïa IV e Internationale, ont perdu tout droit de parler
en son nom. »
La position de Natalia Trotsky lui rappelle celle de Marx devant
Hyndman : si c’est cela le marxisme, je ne suis plus marxiste 1
T,a fidélité et le dévouement des trotskystes US ne sont pas en cause,
mais ils en sont restés aux positions théoriques du Trotsky de 1940
dans un monde qui a évolué. Il disait que l’URSS était un Etat
prolétarien et qu’il fallait le défendre, dix ans après ils le répètent
et soutiennent que les armées de Staline apportent avec elles la
révolution.
« D ’être restés figés sur les thèses de 1940 les empêche de com­
prendre que la Russie n’est plus qu’une grande puissance, militaire
et militariste, qui ne fait rien d’autre que la politique traditionnelle
des grandes puissances, n’y mettant sa marque que par la bestialité
d’un régime totalitaire et avec la bénédiction des métropolites. »
Rosmer approuve d’autant plus nettement Natalia Trotsky quelle
rejoint en 1951 les positions que lui-même a commencé à défendre
devant Trotsky en 1940. Pour lui, l’URSS issue d’une vraie révo­
lution socialiste — ce qui ne l’a pas empêchée d’utiliser, si néces­
saire, les mesures d’autorité — devient peu à peu, est en tout cas
devenue en 1950 un régime autoritaire qui s’appuie sur des castes
et des privilèges héréditaires128. L a pensée y est uniformisée,
l’opposition impossible 129. Quand ce passage s’est-il fait ? « Il n’est
pas toujours aisé de discerner le moment où une révolution devient
une contre-révolution 130. » D ’autant que Staline continue à utiliser
pour leur force émotionnelle, pour leur force de propagande, des
mots qu’il a vidés de tout contenu. Alors que Napoléon s’était débar­
rassé du mot République dès 1808, Staline continue à employer
frauduleusement la phraséologie révolutionnaire. L e stalinisme doit
être démasqué car
« [...] pour se maintenir, pour garder son influence sur la classe
ouvrière [il] a besoin d’apparaître comme le continuateur, le main-

127. RP, sept. 51.


128. RP. mai 1951.
129. Archives Martinet, brouillon d’art, cité.
130. Moscou, 309.
pour une voie ouvrière 433

teneur de la révolution socialiste, comme l'incarnation de la révo­


lution russe. C ’est un mensonge, il n’est ni l’un, ni l’autre. Pour-
auoi lui permettre de se réclamer d’une révolution qu’il a trahie ?
Id e n tifie r son Etat totalitaire à la révolution d’octobre, c’est le
s e rv ir, c’est apporter de l’eau au moulin de sa propagande ; car
son empire n’éclatera que lorsque le masque socialiste dont il s’affu­
ble lui aura été arraché et que les ouvriers, le voyant tel qu’il est,
dans sa nudité, cesseront de lui donner leur appui 151 ».
Le point de vue de Rosmer sur les événements du monde commu­
niste c’est que tout ce qui affaiblit le stalinisme est bon.
Au départ, il n’a que méfiance pour Tito car il a été formé aux
méthodes staliniennes et les emploie : manoeuvres, purges brutales
oui éliminent les opposants. Une seule différence : Tito prend Staline
J »* 1R2 T)
de vitesse . x eu a' . y ) ^ A1 ’
üiuCtUie suu ch-liliau-c. ud vujmue f î . 1T " . i.*

de Tito est tout de même un coup porté au prestige et à la force


de Staline. D e plus, elle prouve qu’on peut lui résister victorieu­
sement et « le titisme pourrait se généraliser et ébranler l’empire
russe133». D ’autre part, il est possible après tout que Tito élimine
le « poison stalinien » 13*. Des voyages en Yougoslavie lui per­
mettent alors de mieux comprendre la situation intérieure du pays.
A un voyage d’étude de trois semaines succède un passage de
quelques jours en 1951 lors du congrès pour la paix à Zagreb
qui, dit-il, rassemble les pacifistes de tous les pays inspirés par
l’idéal de l’internationalisme prolétarien et non les faux pacifistes
d’obédience stalinienne. Il fait alors le p o in tl3S. Les témoignages
recueillis au départ étaient favorables. Sur place, il s’aperçoit que
le gouvernement essaie réellement d’éliminer le stalinisme. Tout
à fait exceptionnellement, il admet que les origines staliniennes
de Tito lui donnent plus de mérite encore : il a su s’en dégager,
iî a su mettre son pays dans la bonne direction 13a. Bien sûr ses
voyages sont brefs, mais sa longue expérience de voyageur et de
militant, du moins il le pense, lui permet d’acquérir un « jugement
assez vite et pas toujours erroné » . I l est persuadé que Tito saura
s’éloigner du stalinisme tout en restant assez socialiste pour ne pas
verser dans le camp américain. Il ne s’agit pas de lui « faire con­
fiance » aveuglément, mais on peut lui « faire crédit » , l’aider à
résister aux attaques de Staline et à l’attraction de l’impérialisme
anglo-saxon en lui apportant tout l’appui ouvrier, tout l’appui socia­
liste possibles.
On imagine qu’il accueille avec joie tous les remous qui se
produisent dans les démocraties populaires et qui, on le sait, pro-

131. Moscou, 309.


132. RP, juillet 48 et juin 49.
133. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 26-XI-52.
134. Ibid., 20-X-51.
135. Archives Rosmer, AR à Natalia Trotsky, 2-IX-51 et RP. déc. 51.
136. AR, RP., déc. 1951.

28
434 alfred rosmer :àV.‘$
t -4

voquent tous de longues discussions dans le mouvement ouvrier^*1


international. D e l’affaire de Berlin-Est, il fait un exemple sur i
lequel il convient de revenir sans cesse pour provoquer des imii | •
tâtions et aider les imitateurs. Il est de même très attentif aux 'i
événements de Hongrie. Isolés, les insurgés hongrois ne pouvaient’ •
pas ne pas être écrasés, mais leur exemple prouve à quel point
la domination stalinienne est fragile :
« Tout le monde sait maintenant que l’immense empire est vulné­
rable et que, si ses dirigeants étaient assez fous pour se lancer
dans une aventure, leurs satellites sauteraient aussitôt. S’ils avaient
encore des illusions, le soulèvement hongrois, plus encore que le
polonais, a fourni la preuve éclatante de leur échec à gagner même
seulement une partie des populations qu’ils ne dominent que pai;
leur régime policier. Quelle faillite ! Après 10 ans de leur « marxisme-
léninisme » , ils n’ont pu gagner même une partie de la jeu­
nesse 137. »
D e la même façon, l’expérience chinoise lui apparaît comme un
nouvel affaiblissement du stalinisme. Pouvons-nous affirmer qu’il va
plus loin, qu’il reporte sur la Chine son espoir révolutionnaire ?
C ’est la thèse de Louzon, énoncée aux obsèques mêmes de Rosmer :
« Et c’est parce qu’il était révolutionnaire enfin, que quelques
semaines avant sa mort, comme nous parlions du conflit entre Pékin
et Moscou, il me disait : “ La vraie chose qui les sépare, c’est que
les Chinois sont restés révolutionnaires tandis que les Russes ne
le sont plus” ,3S. »
Charbit confirme le témoignage de Louzon. Dans une conversation
avec lui, Rosmer aurait « admis » que les Chinois sont plus fidèles
à l’esprit du communisme que ne le sont les Russes 139. Ces témoi­
gnages sont cependant formellement contredits par d’autres proches
de Rosmer 1/10 et Pierre Naville, interrogé, avoue ne point connaître
la pensée de Rosmer sur ce point. Nous devons donc examiner
avec prudence le témoignage de Louzon qui peut très bien s’être
laissé emporter par la solennité du moment et par le rythme même
de son discours. Ce témoignage se décompose en deux affirmations
attribuées toutes deux à Rosmer : les Russes ne sont plus révolu­
tionnaires, les Chinois 1le sont encore. Les Russes ne sont plus
révolutionnaires ? C’est bien ce que pense Rosmer, à une nuance
près ; il dit « l’Etat russe » ou « les staliniens ». Les Chinois le
sont encore ? I l y a dans les prises de position des Chinois un
aspect prostalinien qui ne peut que l'irriter. Il n’assimile abso­
lument pas le stalinisme à la révolution, au contraire. Alors que

137. Archives S. Jacobs, AR à S}, 29-XI-56.


138. RP, mai 64.
139. Témoignage oral.
140. En particulier D. Martinet et C. Chambelland.
pour une voie ouvrière 435

'Tito e s s a y a it de se dégager du stalinisme, les dirigeants chinois


V r é f è r e n t sans cesse et d’ailleurs ils o n t un passé de staliniens.
R o s m e r souligne que Mao a connu et rejeté les thèses de l’Oppo­
sition de Gauche 141 et affirme que le régime chinois n’est pas un
c o m m u n is m e , mais une dictature militaire appuyée s u r la paysan­
n e rie 14,2- II y a sur ce point concordance entre sa pensée et celle
de Natalia Trotsky qui précise dans une lettre à la R P :
« i. Un grand révolutionnaire comme Léon Trotsky ne peut en
au cun e manière être le père de Mao-Tsé-Toung qui a conquis sa
position en Chine en lutte directe avec l'Opposition de Gauche (ou
trotskyste) et l’a consolidée par l'assassinat et la persécution des
révolutionnaires tout comme l’a fait Tchang-Kaï-Chek. Les pères
spirituels de Mao et de son Parti sont évidemment Staline (qu’il
revendique d'ailleurs comme tel) e t ses collaborateurs (M r Kroutch-
chev inclus).
2. Je considère l’actuel régime chinois, de même que le régime
russe ou tout autre bâti sur le modèle de celui-ci, aussi éloigné du
marxisme et de la révolution prolétarienne que celui de Franco
en Espagne 143. »
Finalement, le seul intérêt que Rosmer reconnaisse au régime de
Mao, c'est de constituer une menace pour 1’ « expansionnisme tota­
litaire stalinien » car la Chine ne pourra jamais être un simple
satellite. L a seule question qui se pose, c’est de savoir si elle
restera longtemps une alliée de l'URSS En 1963, dans son
introduction à ces oeuvres de Trotsky qu'il a rassemblé sous le
titre De la Révolution, il écrit à propos de la révolution perma­
nente : « Si en Chine on parle plutôt de révolution ininterrompue,
il est clair qu'il ne s’agit que d’une différence de vocabulaire,
peut-être seulement d'une question de traduction. » Mais en jan­
vier 1964 encore, dans le Bulletin de la Commission pour la vérité
sur les crimes de Staline dont il fait partie, paraît un article très
critique sur la Chine : « Quelques problèmes que Pékin n’aborde
pas ; Pékin prend la défense de Staline. » Nous ne pouvons pas ne
pas déceler ici les signes d'une hésitation intellectuelle. Il semble
que la pensée de Rosmer soit en train d’évoluer dans les derniers
mois. Nous ne dirons pas, comme Louzon, que son évolution est

141. Archives Rosmer, Fragments sur Trotsky. Rosmer relate la visite


que Chen Du Xiu fait à Trotsky. Ni lui, ni Naville ne se souviennent
avec précision de Chen Du Xiu (ibid., lettre de Naville à Rosmer). Chen
Du Xiu (1879-1942), militant révolutionnaire nationaliste dès 1904 a
fondé le PC chinois dont il est secrétaire général de 21 à 27. II applique
les directives de l’IC qui le rend responsable des échecs et l’exclut. Il se
rallie alors à l’Opposition de Gauche.
142. AR, RP., mars 51.
143. RP, déc. 61.
144. AR, RP, mars 51.
436 alfred rosmer

achevée, ce qui est aller un peu vite en besogne. Mais il semble


évident qu’à côté de l’aspect stalinien du régime chinois qui lui fait
horreur, il y a un aspect de révolution ininterrompue qui n’est pas
sans le séduire.
Pour Staline lui-même, il a une véritable haine. En 1953, sa
mort est à la fois une satisfaction personnelle et une épreuve poli­
tique. Staline, dit-il, a eu plus de chance qu’Hitler ou Mussolini
car ces derniers ont payé pour leurs crimes 148. Sa phrase prend
tout son sens quand on la rapproche d’une réflexion que Monatte
vient de lui faire :
« Je suis volé. Avant de mourir, j’aurais voulu voir Staline accro­
ché par les pieds à un étal de boucher comme Mussolini 146. »
Surtout, la disparition de Staline va poser deux séries de ques­
tions. Un problème de succession : les héritiers seront-ils aussi
habiles ? Les Etats de l’Europe de l’Est aussi dociles147 ? Un pro­
blème sociologique aussi et surtout : on va savoir quelle est la vraie
nature de l’Etat russe, Etat prolétarien ou Etat bureaucratique. Les
successeurs, en effet, abandonneront de grand cœur tout ce qui est
propre à Staline, mais ils conserveront ce qui est essentiel à la
survie de l’Etat tel qu’ils le conçoivent. C ’est là le principal intérêt
politique de l’événement. Cette question qu’il se pose, on la pose
un peu partout autour de lui et Pierre Naville plus clairement
sans doute que d’autres :
« Nous allons voir dans quelle mesure il [Staline] dépendait des
cadres et inversement. C’est maintenant que les théories fausses sur
l ’Etat soviétique vont subir l’épreuve 148. »
En 1953, Rosmer en est aux interrogations. Ce qui se passe en
Russie est extraordinaire, les héritiers enterrent bien vite leur
« demi-dieu » et donnent l’impression d’être soulagés. Toute leur
action, leurs rivalités, font apparaître au grand jour des difficultés
dont on ne faisait que soupçonner l’existence. Il est encore trop
tôt pour deviner l’avenir. On était habitué à Staline et l’on pouvait
prévoir ses actes, mais
« [ . . . ] la clique d’aujourd’hui, de ces hommes nés après la révo­
lution, est plus difficile à pénétrer : on peut seulement chercher
à imaginer ce qu’ils sont car, au fond, on ne les connaît pas. On
ignore leurs caractéristiques particulières bien qu’on sache quelle
catégorie sociale ils représentent549».
Cette catégorie étant la bureaucratie soviétique.

145. AR, RP, avril 53.


146. Archives Rosmer, Monatte à Rosmer, 9-III-53.
147. AR, RP, avril 53.
148. Archives Rosmer, P. Naville à Rosmer, 5-III-53.
149. Archives S. Jacobs, AR, à SJ, 19-1V-53.
pour uns voie ouvrière 437

En 1956, le rapport Khrouchtchev est un premier élément de


réponse. Rosmer éprouve tout d'abord devant ce document une
très vive répugnance : voilà des personnages qui se sont « hissés
au pouvoir en rampant aux pieds du maître et aujourd’hui ils s'y
installent en dénonçant ses crimes — dont ils ont été les com­
plices ». Mais il ne s’y arrête pas. Pourquoi, se demande-t-il, ne
se sont-ils pas contentés d’un simple désaveu ? Pourquoi évoquer
tous les crimes ? Sans doute parce que la population éprouvait,
dans ses profondeurs, le désir d’en finir avec un régime détesté 13
Notons qu’il ne pense pas que le rapport Khrouchtchev annonce
la fin du régime bureaucratique, il le considère comme une conces­
sion à l’opinion publique, non comme l’annonce d’un changement
dans la nature de classe de l'URSS. D ’ailleurs la liste des crimes
staliniens ne s’est pas close en 53. II rappelle qu'il y a eu ensuite
l’élimination de Beria, les fusillades u’ouvrieis à Herlm-IIsl:, de
concentrationnaires à Vorkouta et Karaganda 1S1.
Rosmer ne se contente évidemment pas d’assister passivement
à la remise en question de la toute-puissance, puis du souvenir
de Staline. L e rythme de cette remise en question lui paraissant
trop lent, il agit pour l’accélérer. Immédiatement, le Cercle Zim-
merwald qu’il préside toujours, décide de s’adresser aux membres
du P C F par une lettre ouverte 152.Avant le X V e congrès du PC F ,
il invite les communistes français à réfléchir aux révélations du
XXe congrès du PC URSS, à dépasser les discours sur le culte de
la personnalité pour en venir aux questions essentielles : Comment
le pouvoir conquis par les ouvriers et les paysans russes leur a-t-il
été extorqué ? Comment la dictature du prolétariat est-elle devenue
celle d’un homme ? L e culte de la personnalité a bon dos mais
il n’explique pas tout. Les militants doivent demander que l’on
dresse clairement le bilan du stalinisme. Bilan très lourd. En URSS
ce sont des succès industriels payés d’un prix énorme par la classe
ouvrière, des échecs agricoles, un développement de l’instruction
contrebalancé par la mise en servage de la pensée. L e niveau
de vie, parti certes de très bas, reste bas ; surtout l’éventail des
salaires est très ouvert, entre les groupes sociaux existe une « iné­
galité criante » . Les travailleurs ne contrôlent pas leur travail, un
système de livret de travail leur est imposé. L ’oppression poli­
cière s’exerce par le mouchardage, les arrestations arbitraires, les
tortures, les exécutions massives, la déportation, le travail forcé.
Une tyrannie s’est installée en URSS sur les ruines du capitalisme.
Dans le monde, la stalinisation de l’IC est responsable de la catas­
trophe allemande de 33 car elle a dressé les uns contre les autres
socialistes et communistes allemands. Après-guerre, c'est la poli­

150. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 21-VII-56.


151. Bulletin du Cercle Zimmerwald, VII-VIII-IX-56, « Lettre ouverte
aux membres du PCF ».
152. Ibid.
438 alfred rosmer

tique agressive de Staline qui a rendu les prolétariats anglais et


américains solidaires de leur gouvernement. L e stalinisme n’est pas
même parvenu à maintenir l’unité du camp socialiste. II a dénaturé
le 'socialisme. Seule, disent Rosmer et le Cercle Zimmerwald
l’unité ouvrière peut rétablir la situation. Mais la démocratie est
la condition de l’unité : libre détermination de la ligne par la
discussion, discipline au stade de l’exécution sont les conditions
sine qua non. Certes, on discute dans les cellules du PC F, mais
pas de la ligne. On discute des modalités d’application d ’une ligne
venue d ’en haut et la direction emploie l’intimidation. Il faut
changer les mœurs du parti, imposer la discussion libre à la base.
Les militants du PC ne doivent, pas se contenter de promesses
et de regrets. Ils doivent exiger de leurs dirigeants des explications
et une véritable autocritique :
« C’est à vos dirigeants, aux Maurice Thorez, aux Jacques Duclos,
aux Marcel Servin, de s’expliquer devant vous... Vous avez à leur
réclamer des comptes. »

Ils ne peuvent invoquer la terreur puisqu’ils vivaient hors d’atteinte.


Ils essaieront d ’invoquer la nécessaire confiance absolue dans le
parti. On peut admettre, à la rigueur, que des chefs révolution­
naires diffèrent, pour les besoins de l’action, la diffusion de telle
ou telle nouvelle. On ne saurait admettre qu’ils diffusent de fausses
nouvelles : « L a sincérité est la condition de la confiance. L ’erreur,
soit. L e mensonge, non. » On ne doit pas les laisser s’abriter der­
rière l’urgence des problèmes coloniaux. Il faut les forcer à répondre
sur le fond car ils ont été les complices du stalinisme par leurs
silences ou leurs approbations. Si les travailleurs veulent contrôler
un jour leur Etat, qu’ils commencent par contrôler leur parti ! Et,
quand ils auront pris le pouvoir, ils devront se rappeler que la
propriété sociale des moyens de production et d’échange ne suffît
pas à définir le socialisme. Seul le contrôle effectif de la production
et de la répartition assure le socialisme. L e Cercle Zimmerwald
ne conseille pas, au terme de ce réquisitoire, de quitter le parti
car il n’y a pas en France d’autre parti révolutionnaire où aller.
Il faut redresser le parti afin que les vrais révolutionnaires puissent
le rejoindre. L a condition de ce redressement étant la reprise en
mains du parti par les travailleurs eux-mêmes.
I l serait, certes, intéressant de déterminer de quel poids fut cette
lettre dans la grande crise morale que traversa le PC F en 1956 ;
malheureusement, nous n’avons aucun élément pour en juger.
Après s’être adressé aux membres du parti, Rosmer s’adresse à
un public beaucoup plus vaste. Il s’engage à fond dans les comités,
les commissions, les cercles qui s’occupent de déstalinisation. Il
promet des conseils et en donne, accepte qu’on mentionne son nom,
qu’on rappelle son appartenance â la Commission d’enquête sur
les procès de Moscou, sa participation au contre-procès de 1937.
pour une voie ouvrière 439

Il écrit des articles de revue, notamment dans Tem po Présente


que dirige Ignazio Silone 153.
Mais il y a des limites à sa bonne volonté : il ne veut pas pré­
sider de comités, il ne veut pas déstaliniser aux côtés de staliniens
repen tis. Car
« Ils se croient tout permis ; s’il y a des gens qui ont besoin
d’être réhabilités, ce sont eux. Trop facile de dire aujourd’hui : le
c o u p a b le , c’est Staline qui nous obligeait à mentir. Et puis ils
gagneraient à tous les coups, hier en mentant, aujourd’hui en dénon­
çant le mensonge 1S*. »
Pour lui, les « intellectuels stalinisants » 133 sentent le fagot. Sa
rancune peut être posthume. Elle s’exerce en particulier contre
Romain Rolland. En 1933 il avait trouvé « scandaleuses » les décla­
rations de Rolland sur les prisonniers politiques russes lse. En 1947
vient la grande réévaluation de Rolland comme homme politique
et une réévaluation qui remonte fort loin 1S7 : à l’affaire Dreyfus
pendant laquelle Rolland n’avait dit mot : « Il n’était pas brave...
U s’était tenu tranquille, peu soucieux de s’exposer aux coups : il
encaissait mal » ; à son attitude pendant la première guerre :
« [■••] C’est le hasard du séjour en Suisse au début de l’autre
guerre qui a fait de lui le héros d’Au-dessus de la mêlée. S’il s’était
trouvé alors à Paris, pris dans l’atmosphère guerrière des premiers
jours d’août, il n’aurait pas écrit son article ou, s’il l’eût écrit, aucun
journal n’aurait voulu le publier et il n’aurait pas insisté » ;
à ses rapports avec Guilbeaux qui édite Demain : « I l vécut cons­
tamment dans la peur d’être entraîné trop loin ou d’être compro­
mis par son apologétiste » ; à son silence enfin lors des procès
de Moscou. La parution du Journal des années de guerre où Rolland
égratigne Marguerite Rosmer et montre une sympathie condes­
cendante pour les pacifistes de France ne fut pas pour arranger
les choses.
Rolland n’est qu’un cas. Dans l’ensemble, ceux qui ont rejeté
le stalinisme se contentent d’une aspiration trop vague à la démo­

153. Silone, écrivain antistalinien italien, est né en 1900 dans une


famille de très petits propriétaires des Abruzzes. Pendant la l re guerre
mondiale, il participe aux mouvements revendicatifs des ouvriers agri­
coles. En 1921, il est l’un des fondateurs du PC italien et publie Avan-
guardia (Rome) et Lavoratore (Trieste). Il milite au PC clandestin puis
le quitte en 1930. Il se fixe alors en Suisse jusqu’en 1944, rejoint l’aile
gauche du PS italien. Il a raconté son expérience communiste dans sa
contribution au Dieu des Ténèbres et récemment dans un recueil, Sortie
de Secours.
154. Archives Martinet, AR à Martinet, sd.
155. AR, RP, oct. 49.
156. Archives Mougeot, AR à Mougeot, 9-VI-33.
157. Archives Monatte, AR à Monatte, 10-11-47.
440 alfred rosmer

cratie 1S\ Comme le parti est stalinien et non communiste, ils n'y
apprennent pas le communisme et, quand ils le quittent, « ils n’em­
portent rien avec eux, n’ayant jamais su ce qu’est le communisme ls» *
et ils sont tentés de rejeter tout en bloc.
C ’est surtout à l’activité de la Commission pour la vérité sur
les crimes de Staline que participe Rosmer. Issue d’un appel de
novembre 1961, elle tient sa réunion constitutive le 21 décembre
et groupe un nombre appréciable d’intellectuels et de militants,
avec, dans son comité de direction, Théo Bernard, Michel
Coîlinet, Julian G orkin1CÛ, Gérard Jacquet, Maurice Nadeau
Pierre Naville, Gérard Rosenthal, David Roussetl6S, Manès Sper-
b e r 163 et Rosmer 18\ Les lenteurs d e . la déstalinisation officielle
sont telles déclare la commission qu’on né peut plus attendre le
bon vouloir des dirigeants russes. II faut ouvrir une discussion inter­
nationale sur le stalinisme car •«. îa uuuuanmaiion de Staline ne
doit pas permettre la survie du stalinisme ». L e huis clos que les
communistes pratiquent peut permettre de cacher une partie des
crimes, de régler des comptes personnels, de préserver des répu­
tations indûment acquises. Seule une discussion publique extirpera
le mal jusqu’à ses racines. La commission demande que soient
publiées les archives des organismes policiers chargés de la répres­
sion stalinienne, que soient organisées des commissions d’enquête

158. AR, Tempo Présente, août 57.


159. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 19-XI-58.
160. Julian Gomez (dit Gorkin), ancien membre du PC espagnol et
fonctionnaire de l’IC à Moscou, est passé au POUM pendant la guerre
civile en Espagne. Dans son journal, La Batalla il se heurte violemment
aux communistes espagnols. Il est arrêté après les journées de Barcelone
en mai 37, est condamné à 15 ans de prison en octobre 38. Il réside à
Mexico.
161. Nadeau a été membre de la Ligue Communiste. En 1961, il
milite dans les milieux antistaliniens et s’occupe avant tout de littérature.
Il est actuellement directeur de la Quinzaine Littéraire et anime les
Lettres Nouvelles.
162. David Rousset, né en 1902, d’abord membre des étudiants socia­
listes, adhère en 1934 à la Ligue Communiste et se fait exclure des jeu­
nesses socialistes en 35. En 1946, il rompt avec le mouvement trotskyste,
fait partie du groupe de 1a Revue Internationale avec Daniel Martinet
et Pierre Naville. En 1948, il fonde avec Sartre et Altmann le Rassem­
blement Démocratique Révolutionnaire. Il milite activement dans les
milieux antistaliniens et fait porter le gros de son effort sur la dénoncia­
tion du système concentrationnaire en URSS. Il est actuellement député
UDR.
183. Manès Sperber, romancier et essayiste d’origine autrichienne est
notamment l'auteur de La conception policière de l'histoire (publié dans
Le Talon d’Achille, 1957) qui analyse le rôle des procès politiques dans
les systèmes totalitaires.
164. Voir Bulletin d’information de la Commission pour la Vérité
sur les Crimes de Staline, N° I, mai 1962.
pour une voie ouvrière 441

pour recueillir les témoignages. Elle se concertera avec les autres


commissions nationales et avec la commission internationale qui
doivent se former. Pour des raisons évidentes de regroupement,
elle écarte tout d'abord du champ de son étude la question de la
nature de classe de l’Etat stalinien :
« Il ne s’agit pas [...] d’élaborer une critique du régime stalinien
dans son fondement économique et social, étude certainement indis­
pensable, mais qui doit être le fait de chacun et qui, pour chacun,
aboutira suivant ses conceptions à des résultats qui ne seront pas
forcément identiques 16s. »
La commission, pour sa part, s’occupera de faire la lumière sur
les crimes de l’ère stalinienne et d’établir les responsabilités des
hommes et des institutions, de dénoncer les séquelles du stalinisme
postérieures à 1953. Sur le premier point, elle porte son action
sur les procès en URSS et dans les démocraties populaires. C’est
un thème extrêmement sensible pour l’opinion publique occiden­
tale. Dès 1949, Rosmer demandait à Sarah Jacobs, militante trot­
skyste américaine et amie personnelle avec laquelle il est en corres­
pondance suivie, de le renseigner sur ce qu’on disait à N ew York
du procès Rajk. Ici, ajoute-t-il, pour beaucoup de compagnons de
route, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ce serait
le moment de reparler des travaux de la commission D ew ey l88.
Il est certain que la mort de Staline et le rapport Khrouchtchev
ont facilité l’action. En 1956, Natalia Trotsky reparle d’une réhabi­
litation juridique de son mari 167. L e 12 avril 1962, la commission
adresse une lettre au Président du Conseil de l’URSS poux lui
demander la réouverture du dossier Racovski I68. L e 10 une lettre
aux ministres des affaires étrangères et de l’intérieur de l’URSS
pour leur demander la publication des archives du N K V D l6°. L e
deuxième numéro de son Bulletin... contient des articles sur le
complot des blouses blanches, l’affaire Slansky lT0, les réhabilitations
de Boukharine et de R a d ek 111. Sur les divers crimes de Staline,
la commission envoie le 12 avril 1962 une lettre au Procureur de

165. Ibid.
166. Archives S. Jacobs, AR. à S}, 4 nov. 49.
167. Archives Rosmer, Natalia Trotsky à AR, 1956.
168. Christian Racovski (1873-1942) a été condamné lors du 3e procès
de Moscou.
169. Bulletin..., mai 62.
170. Rudolf Slansky (1901-1952) adhère au PC Tchécoslovaque en
1921, est rédacteur au Rudé Vravo. Depuis 1929, il est membre du
Comité Central et du Bureau Politique du Parti. Réfugié à Moscou pen­
dant la guerre, il devient secrétaire général du parti. Il a participé acti­
vement à l’élimination des « titistes ». En 1952, après un procès pour
conspiration contre l’Etat, il est condamné à mort et exécuté. 11 a été
réhabilité en 1963.
171. Bulletin..., mai 63.
442 alfred rosmer

la République près du Tribunal de la Seine pour lui demander


la réouverture de l’affaire Sedov l7% publie des articles sur la liqujr
dation de populations minoritaires en URSS 173 et sur le massacre
de Katyn qu’elle attribue aux Russes I7'1. L e système concentra­
tionnaire russe a attiré très largement l’attention, notamment depuis :
l’affaire Kravchenlco — Les Lettres Françaises 175. L a commission
signale le livre de Soljenytsine, Une journée d'Ivan Denissovitch
et publie des documents nouveaux 177. En ce qui concerne les événe­
ments postérieurs à 1953, elle ne cesse de demander l’établissement
des responsabilités 178 et stigmatise les « obscurités » , la « prudence»,
la « couardise » de la déstalinisation officielle 179. Une fois de plus,
nous nous trouvons fort en peine pour évaluer l'influence de cette
commission. Deux indices nous permettent de l’imaginer assez
faible : peu de bulletins parurent et fort espacés.
L e faible succès immédiatement apparent de tous ces efforts
a-t-il découragé un Rosmer qui a maintenant 87 ans et pour qui .
la fatigue peut se faire durement sentir? Autour de lui, des fois
révolutionnaires ont vacillé. L ’ex-secrétaire de Trotsky, Van Heije
noort 180 en est venu à penser que les prédictions de Marx qui
avaient semblé raisonnées et scientifiques en 1848 se sont révélées
fausses et met en cause l’incapacité politique de la classe ouvrière 1#l.
Walusinski se prend d’angoisse : le climat exceptionnel qui a permis
ïa révolution russe était miraculeux. On peut tenter de recréer ce
climat, mais avec quel espoir de succès ? Même si la révolution
éclatait,
« Il y a encore fort à parier pour qu’elle échoue et dégénère.
Voilà ce que j'appelle mon désespoir. Mais ce n'est pas un pessi­
misme stérilisant... J’imagine assez bien tous les inconvénients moraux
du succès. Je crois que le succès tue, en celui qui réussit, le meilleur.
Il faut pourtant vouloir réussir, il faut préparer la révolution, il
faudra la faire du mieux que nous pourrons. Mais, j’en ai l'intimé
conviction, nous échouerons 182. »

172. Ibid., mai 62.


173. Ibid., mai 63.
174. Ibid., janv. 64.
175. On sait que Kravchenko, membre du PC URSS, ingénieur et
haut fonctionnaire, a demandé l’asile politique aux USA et a publié une
série de livres (notamment J’ai choisi la liberté) qui lui valent en 1949
un procès retentissant.
176. Bulletin... V. 63.
177. Ibid., 1-64.
178. Ibid., V. 62.
179. Ibid., 1-64.
180. Très longtemps secrétaire de Trotsky, il est actuellement pro­
fesseur de logique mathématique dans une université américaine.
181. Archives Rosmer. Meyer Schapiro (militant trotskyste US) à Ros­
mer, l-XII-47.
182. Ibid., Walusinski à AR. 18-V-53.
pour une voie ouvrière 443

flosmer n’a pas ces angoisses. L e nombre des révolutionnaires


eSt faible ? Leurs manifestations sont rares ? Ils étaient moins
nombreux et moins actifs encore en 1914-1915. Zimmerwald n’a
eu sur le moment qu’une audience assez faible, mais finalement
la révolution russe en est issue. Il n’empêche. Son activité est
moins grande. On doit insister dès 1947 pour que sa collaboration
à la RP soit plus régulière l83. Il ne prend pas réellement en mains
je Cercle Zimmerwald. Monatte s’en plaint : il n’a pas écrit la
brochure promise, « Zimmerwald 1915 et 1953 », les commissions
prévues sur les dangers de guerre et sur les problèmes coloniaux ne
se réunissent pas, le Cercle devient un « petit club du faubourg »
Rosmer avoue d’ailleurs qu’il se sent « en marge » , « spectateur »,
d’autant plus qu’il ne passe plus à Paris que 8 à 9 mois par an l83.
En fait, il ne croit plus que ses amis et lui puissent entraîner
l’opinion, il leur faut donc se contenter d’entretenir l’espoir révo­
lutionnaire, d’être des « grains sous la neige ». Au tour de J.-D. Mar­
tinet de le secouer amicalement ;
« Grains sous la neige ? Vrai hier, pendant la guerre. Faux aujour­
d’hui. On peut faire quelque chose. Pour la liberté de l’individu,
pour recréer une opinion publique ; pour montrer que l’esprit cri­
tique n’est pas mort. Contre la guerre, pour la fraternité des îlotes,
multiples, épars dans le monde et la préparation d’un nouveau
Zimmerwald iao. »
Les effets de l’âge s’ ajoutent à la réserve naturelle de Rosmer pour
diminuer son activité militante.
Son activité a changé de forme. Il s’occupe essentiellement de
diffuser les idées de Trotsky et de faire l’historique des mouvements
qu’il a vécus.
Il eut un moment l’intention d’écrire une biographie de Trotsky
et Natalia Trotsky l’y encourageait187 :
« J’avais l’envie passionnée de supplier [Rosmer] d’écrire ses
souvenirs de £la] personne qu’il connaissait et dont il était proche.
Il faut... qu’il laisse des notes sur celui qu’il a connu. Je suis tout
à fait obsédée par ce désir [...]. I l y a des choses que lui seul au
monde peut écrire à ce sujet. Les autres ne savent pas. Lui seul
est bien indiqué pour cela 188. »
Il commence effectivement un livre et veut l'intituler « L. Davido-
vitch, souvenirs d’un ami » . Mais Victor Serge sortant un ouvrage
sur Trotsky qui a pour base ses conversations avec N atalia18U,

183. Ibid., Hagnauer à Rosmer, 29-V-47.


184. Ibid., Monatte à Rosmer, 21-VI-53.
185. Archives Martinet, Rosmer à Martinet, 1947.
186. Archives Rosmer, Martinet à Rosmer, 24-XII-48.
187. Ibid., S. Jacobs à AR, 28-X-40.
188. Ibid., Natalia Trotsky à Marguerite Rosmer, 5-X-42.
189. Vie et mort de Trotsky.
444 alfred rosmer

Rosmer renonce au sien 189bls. Du grand projet, nous n’avons conserv ‘


que quelques chapitres et fragments en préface, en annexe ou
appendice aux diverses éditions qu’il fit de Trotsky. Ses archives'.':’,
conservent en outre un manuscrit de souvenirs d’ailleurs extrê^l
mement fragmentaires. Quand vient Isaac Deutscher, il est d’aborcjV
très réticent car il avait trouvé son Staline un peu trop « balancé».* -
Deutscher n’a d’ailleurs pas excellente presse auprès des trotskystes'
et certains, dont Sarah. Jacobs 1TO, le soupçonnent d’avoir des sym­
pathies pour les staliniens. Finalement Rosmer s’explique ainsi la
position de Deutscher sur Staline : il vit en Grande-Bretagne ou
la pression soviétique est moins forte que sur le continent. La,
lecture des deux premiers tomes du Trotsky le persuade de l’honnê­
teté intellectuelle, de Deutscher et il se met à sa disposition pour
la préparation du livre I I I 11}1. L ’homme fait sa conquête :
« L ’homme m’a fait bonne impression, intelligent, informé et,
je crois, très honnête. Sur divers points, importants, nous étions en
désaccord et la discussion n’y a rien changé mais il est soucieux
de recueillir et de vérifier le maximum d’informations ia2. »
Au total, il considère le travail de Deutscher comme « un monu­
ment, ce qu’on pouvait faire de mieux du dehors 193 ».
Biographe manqué, il se contentera donc d’éditer les oeuvres de
Trotsky, avant tout pour leur intérêt politique :
« Il faut prévoir que l'empire russe subira d’autres secousses
entraînant de violents conflits entre « staliniens » endurcis et « révi­
sionnistes » impatients ; les nouvelles générations voudront se repor­
ter aux sources et l’ouvrage de Trotsky sera de nouveau recher­
ché »
Ses archives conservent une abondante correspondance à ce sujet
avec Natalia Trotsky. Dès 1946, elle lui a donné pleins pouvoirs
en ce qui concerne les éditions de Trotsky en Russie et en Europe.
Naturellement, il s’occupe surtout des éditions françaises. Natalia
espère pouvoir réunir, sous la présidence de Rosmer, une commission
internationale pour la publication des œuvres complètes de son
mari. Mais il lui faut abandonner cet espoir. Pour la France, Rosmer
qui a beaucoup de peine à trouver des éditeurs en un moment
où Trotsky est une sorte d’auteur maudit, envisage tout d’abord
de tout publier au Seuil, ce qui rapprocherait des œuvres com­
plètes ias, puis il se résigne à îa dispersion entre plusieurs éditeurs

189 bis. Archives Rosmer, AR à Natalia Trotsky, 4-VIII-50.


190. Ibid., S. Jacobs à AR, sd.
191. Voir l'ensemble de sa correspondance avec Deutscher dans les
archives Rosmer et Deutscher.
192. Archives Monatte, Rosmer à Monatte, 19-XII-51.
193. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 29-XII-59.
194. Archives Rosmer, AR à Grasset, 29-1-58.
195. Ibid., AR à Natalia Trotsky, 4-VIII-50.
pour une voie ouvrière 445

(Seuil, Minuit, U G E). Son travail est très attentif et il revoit de


près les traductions d’autant qu'il est mécontent de celles, trop
rapides de Parijanine et de Victor Serge
D’autre part, il se fait mémorialiste. L ’après-guerre voit sortir
le Tome XI de son Mouvement ouvrier pendant la guerre et Moscou
sous Lénine. La liaison est évidente entre ses trois ouvrages qui
sont à mi-chemin entre l’histoire et l’autobiographie : ils couvrent
la vaste période allant de 1914 à 1924. Il se proposait de combler
]a lacune (1917-1920), prenait des notes, rassemblait des documents.
L ’âge ou la maladie lui interdirent d’achever un travail dont nous
n’avons retrouvé que d ’infimes fragments. Pour le biographe, ces
ouvrages sont irremplaçables. Trop secret pour écrire une véritable
autobiographie, il y donne tout de même des renseignements directs
sur son activité, nous explique — avec le recul du temps — com­
ment il a réagi aux hommes et aux événements, comment il juge
son passé. Il déverse dans ses livres le vaste contenu de ses archives
personnelles et les historiens n'ont pas fini d’aller y puiser des
textes. Sans doute devons-nous le lire avec esprit critique car il n’est
pas question pour lui d’écrire une histoire neutre mais une histoire
militante. D ’autre part Téloignement dans le temps qui le sépare
de ses sujets est toujours important. L e Tome I, écrit vers 1936,
traite d’événements de 1914-1915 : 20 ans de distance. L e tome II,
écrit en 1957-1959, traite des années 1915 à 1917 : 40 ans. L e
Moscou est de 1953 et couvre la période 1920-1924 : 30 ans.
Reconnaître la valeur globale de ses ouvrages ne dispensera donc
pas des confrontations et des vérifications classiques en pareil cas.
Une histoire militante. C’est-à-dire ? Une histoire honnête, utile
à la classe ouvrière, conçue sans schématisme. La publication du
tome I par la Librairie du Travail est un signe : la Librairie du
Travail édite les livres d’une des tendances du mouvement révolu­
tionnaire. Mais immédiatement Rosmer fait le point sur sa méthode
historique :
« [...] L ’historien qui supprime des faits, biffe des noms, tronque
des textes, en falsifie d’autres, se condamne à une œuvre vaine et
éphémère ; les procédés auxquels il a recours ne font que dénoncer
d’avance la fragilité de la thèse qu’il veut imposer... Est-ce à dire
qu’il faille s’abstenir de juger ? Certes non. Et, pour ma part, je
n’ai pas manqué de le faire. Mais il faut d’abord donner les faits,
les textes, ne rien cacher systématiquement197. »
Il ouvre son Moscou en affirmant : « Je dirais simplement ; j’étais
là, c’était ainsi 198. » Pour lui ce livre est une sorte de long rapport
qu’il aurait pu faire tel quel en 1924. H ne comporte aucune allusion
aux années 50. L e système des allusions anachroniques lui paraît

196. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 2-IV-58.


197. MO., I. 11-
198. Moscou, 24-25.
446 alfred rosmer

déplorable par les déformations qu’elles entraînent, en particulier


en ce qui concerne le rôle de tel ou tel individu :
« L a manière dont, trop souvent, on écrit aujourd’hui l'histoire
de ces temps est telle qu’on en viendra peut-être à penser, en
constatant dans mon ouvrage l’absence de certains noms et la
place prise par d'autres, que j’ai moi aussi, pour les besoins de
ma thèse, supprimé, falsifié, déformé. Je puis dire qu’il n’en est
rien ; je n'avais pas de « thèse » à défendre, seulement des faits
et des textes à rapporter, à mettre en lumière lfl9. »
Et pourtant Rosmer a bel et bien des thèses et il les défend.
On les sent moins nettement dans le tome I I de son Mouvement
Ouvrier..., mais elles sont évidentes dans les deux autres ouvrages.
L e tome I dénonce la trahison des majoritaires et exalte la résis­
tance minoritaire et zimmerwaldienne. Face à la nouvelle guerre
qui vient, à la nouvelle trahison des dirigeants ouvriers, il prône
l’esprit de Zimmerwald, il insiste sur le rôle de Trotsky et de
Naché Slovo■ D ’ailleurs le Russian Opposition Bidletin de mai 36
le présente à ses lecteurs comme un livre honnête, intègre, scienti­
fique et en même temps comme un pamphlet politique contre les
« falsificateurs » de la I I e et de la I I P Internationale. Dans le Mos­
cou, il est hors de doute que les préoccupations de 1953 affleurent
continuellement. Rosmer espère que son livre renforcera l’antistali-
nisme, mais empêchera les antistaliniens de glisser vers l'anticommu­
nisme 200. Il le considère comme « une critique communiste du
stalinisme 2(U ». Il affirme sa volonté de lutter contre les mensonges,
de quelque bord qu’ils viennent : contre ceux d'Ypsilon 202 et contre
ceux des staliniens. Ils se prétendent les dépositaires de 1917, dit-il,
et pourtant ils se sont acharnés à détruire son histoire, à la défi­
gurer. Dans le manuel Histoire du PC (b ) de FURSS se « trouve
rassemblé le maximum de falsifications, de suppressions, de lacunes,
d’ajoutés... L e trait distinctif est qu’il contredit tous ceux écrits
antérieurement par les historiens officiels du régime ». « Ce catalogue
annule les précédents », disent les marchands 203. Rosmer pourfend,
non sans humour, le schématisme et intitule l’un des chapitres du
Mouvement ouvrier... Tome I : « Comi’nent il ne faut pas éciire
l’histoire. Lénine et le mouvement zimmerwaldien en France par
J. R o ch er». I l reproche notamment à Rocher son idée directrice :
« Sa thèse centrale à laquelle tout se rattache est simple ; c’est :
Enfin Lénine vint [...). Il y eut, en haut, Lénine ; en bas, les masses,
et entre les deux, du côté français, rien que des balbutiements,

199. Ibid., 298.


200. Archives S. Jacobs, AR à SJ, 28-XII-49.
201. Ibid., 23-VI-53.
202. Moscou, 22. Ypsilon vient de publier aux USA son Stalintern-
203. Moscou, 21.
pour une voie ouvrière 447

du pacifisme, de la confusion, des aspirations vagues, même des


manœuvres pour freiner la volonté impétueuse des masses 20*. »
Ces mauvais travaux « n’apportent rien à la classe ouvrière, ni
enseignement, ni aide pour son action ; ils la désarment et la
desservent 205 ^
Que dire sur le témoignage de Rosmer ? Ses thèses relèvent
des prises de position militante et nous n’avons pas à les juger.
Mais il est précieux par les documents qu’il cite et ne fait que
rarement des erreurs de fait. La confrontation de ses livres avec
sa correspondance privée et avec ses articles et lettres d’époque
nous montre qu’il ne déforme jamais sa pensée. Quand il est embar­
rassé, nous l’avons vu, il se tait et ce silence même nous est un
signe. D e combien de mémorialistes peut-on en dire autant ?
Au soir de sa vie, Rosmer garde un intérêt toujours en éveil,
lit énormément, soutient le fardeau d’une abondante correspondance,
r e ç o it les historiens qui l'interrogent. I l emploie son temps au mieux,
craignant toujours de le perdre. Son activité physique étonne. A
80 ans encore, il fait de longues promenades à pied, et même des
voyages aux U SA et en Italie entrepris sans souci du confort. Il a
gardé son extraordinaire faculté d’adaptation. Il séjourne surtout
dans le Midi, à Menton en particulier. Il n'a guère de difficultés
de santé mais dit plaisamment qu’il est « faible du haut ». Son
écriture, en effet, déjà difficile, empire avec l’âge jusqu’à devenir
franchement illisible. Il commence cependant à devenir trop vieux
pour vivre sans surveillance médicale et on l’installe avec sa femme
dans une pension de la rue Chardon-Lagache. En 1962, Marguerite
Rosmer meurt. En mars 1964, il tombe et se brise le col du fémur.
Il ne reviendra pas de l’hôpital Boucicaut : le 5 mai se déclenche
une hémorragie cérébrale. Il meurt le 6.

204. MO, I. 455.


205. Ibid., Avant-propos.
Rosmer n’a jamais cessé de se retourner vers son passé pour
y rechercher un enseignement historique, un exemple moral, un
guide pour Faction. Enseignement historique ? Il a été mêlé à
de grands événements, il a vu bien des hommes et bien des régimes,
il doit faire profiter de son expérience. Exemple moral ? L e passé
des hommes répond pour eux, leur passé contient les promesses
de leur avenir. Guide d’action ? L e présent est issu du passé,
« I l faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on v a 1». Il n’a
jamais admis qu’on puisse agir sans référence au passé et, pour
lui, ignorer le passé, c’est toujours vouloir cacher une rupture
gênante, une trahison. C ’est le cas de la Russie. On ne s’y pré­
occupe plus du passé, « pourquoi d’ailleurs vouloir étudier, apprendre
la leçon d’hier quand le présent isolé du passé, en rupture avec
le passé, seul compte ? 2 »
Puisqu’il nous y invite lui-même, retournons-nous sur son passé.
L a réussite matérielle et sociale ne comptait guère pour lui. II a
toujours refusé de s’intégrer à la société de son temps. Ses amis
nous disent qu’il ne connaissait ni ambition, ni goût du pouvoir 3,
c’est sans doute vrai : il ne veut pas gravir les échelons de la
société bourgeoise. Il règle tant bien que mal les problèmes maté­
riels, d’autant qu’il n’a que de petits besoins. Avec sa femme, et
jusqu’à la fin de sa vie, il vivra de travaux discontinus quand le
besoin s’en fait sentir : il corrige des épreuves pour les maisons
d’édition, il fait des remplacements de correcteurs de presse. I l a
d’ailleurs une pension vieillesse versée par la caisse Gutenberg des
correcteurs d’imprimerie. Ses amis l’aident et il trouve cela bien
naturel. Lui-même, dès qu’il le peut, expédie de petits mandats.
Seule compte à ses yeux sa vie de militant, cette révolution

1. RP., janv. 51.


2. Le Communiste, l-XI-32.
3. Témoignage de J.-D. Martinet.
alfred rosmer 449

pour laquelle il a vécu. Il n’a jamais accédé à la direction d'une


o r g a n i s a t i o n ce qui s’explique sans doute par son caractère secret,
son attitude réservée qui en font un homme de groupe d’amis,
de commissions, de conversations privées plus que de séances publi­
ques. Sa voix est d’ailleurs faible et il se croit mauvais orateur.
Tous soulignent sa modestie, sa réserve. Amédée Dunois disait :
« Aux postes d’honneur, il préférera toujours les postes de dévoue­
m e n t et de travail 4. » Lui-même, très vite, dès 1915, est parfai­
tement conscient de tout cela :
« Je n’ai décidément pas de go lit pour les rôles de premier plan.
Il me faut une lumière plus discrète et un petit cercle d’amis. Je
ne sais pas parler à des gens que je n’ai pas vus 20 fois. Mais il
fallait le faire et je l’ai fait, du mieux que j’ai pu *. »
D e plus, sa forte individualité s'adapte mal aux organisations de
masse. Ex-anarchiste, il prise l'indiscipline courageuse plus que la
discipline pseudo-efficace, il est mal à l’aise à l’âge du collectif.
Syndicaliste-révolutionnaire, il refuse la bureaucratisation de l'inter­
nationalisme. Inadaptation au monde des révolutionnaires tel qu’il
évolue, mais aussi inadaptation du milieu révolutionnaire à une
Europe Occidentale qui vit depuis 1914 et surtout depuis 1945
dans un âge de réaction. Tout ceci a fait de Rosmer un révolu­
tionnaire sans révolution.
Ce n’est pas dire qu’il ait eu une vision pessimiste de sa vie.
Isolé, il ne se considère pas comme un vaincu. Certes, comme dit
Chambelland, « la vie en hérésie n'est pas spécialement amusante 0 ».
Mais après tout, ce n'est pas de sa faute s’il est un perpétuel héré­
tique. Il a voulu agir selon ce qu’il croyait être juste. Monatte
qui en a fait autant, dit :
« L a meilleure boussole, c'est de n’avoir pas d’autre intérêt que
celui de ses idées, pas d’autre désir que d'être utile à sa classe,
pas d’autre ambition que d’avancer avec ses idées, de reculer avec
elles, de tomber même, s’il faut tomber [...]. On dirait que nous
aimons nous singulariser. L ’esprit de contradiction ? Fichtre non.
L e plaisir d'aller contre le courant ? Ce n’est pas si folâtre. Alors
quoi ? L e goût du malheur ? Non, le besoin de ne pas se duper
soi-même et de ne pas duper les autres 7. »
Entêtement optimiste, optimisme impénitent, voilà tout Rosmer,
voilà le vrai révolutionnaire. Il s’étonne du pessimisme de la jeune
génération. Lisant La. Chute, il s’en ouvre à Camus. Les jeunes
de la fin des années 50, secoués par l'histoire, ont un sentiment de
culpabilité. Les anciens ne l’ont pas. Tout n’est pas perdu.

4. BC., 3-III-1921.
5. Archives Monatte, AR à Monatte, I-XI-1915.
6. RP., janv. 1950.
7. Archives Monatte, Fragments sur Marcel Martinet.

29
450 alfred rosmer

« Nous voudrions [...] aider à retrouver quelque chose de notre


« optimisme » qui paraît aujourd’hui désuet, naïf, même assez sot
mais qui signifiait la confiance en l’homme, en sa libération s. »
Rosmer a la satisfaction d’une vie bien remplie, d’une fidélité
totale à ses idéaux de jeunesse : « Nous pouvons [...] nous voulons,
fièrement et honnêtement, donner noti-e passé comme garantie de
l’avenir *. »
Il a la satisfaction de penser qu’il a toujours eu raison : en
1909 contre la bureaucratie de la seconde Internationale, en 1915
contre la guerre impérialiste, en 1924 contre la caporalisation de
l’IC, contre les aspects dictatoriaux du stalinisme ou les méthodes
autoritaires de Trotsky, contre les facilités de l’anticommunisme et
du proaméricanisme.
Il est fier d’une vie qui ne l’a pas déçu.

Cette étude de cas nous a permis de suivre l’attitude d’un mili­


tant face aux problèmes de l'espérance révolutionnaire puis de
l’expérience révolutionnaire qui s’est faite en Russie a u X X e siècle.
L e cas Rosmer est intéressant en lui-même, mais il prend toute
sa signification si on l’insère dans un contexte plus large. Un double
contexte, celui d’une génération de militants ouvriers, celui de toute
une génération pour qui l’expérience russe eut une énorme impor­
tance. Et nous pensons à des intellectuels comme Koestler, Silone,
Gide, Barbusse, pour ne citer que ceux-là.
La génération de Rosmer est celle des militants qui ont eu
20 ans aux alentours de 1900. Repoussant les mythes d’une pseudo-
« Belle Epoque », cherchant à employer de façon efficace leur
ardeur révolutionnaire, ils ne savent où aller. L'immense majorité
se tourne vers la social-démocratie, mais en France la social-démo­
cratie n’a pas d’aile gauche et I’anarchisme est sur son déclin.
Reste le syndicalisme-révolutionnaire qui est la seule force de
révolution, le seul espoir d’efficacité. On ira donc au syndicalisme
révolutionnaire comme on aurait été à I’anarchisme avant 1890,
comme on ira au communisme après 1920.
Ainsi s'ouvrent les itinéraires intellectuels et militants de ces
révolutionnaires de gauche. Avant 1917, le syndicalisme révolu­
tionnaire représente l’espoir. D e 1917 à 1922-24, c’est l’élan vers
le communisme. Après 24 intervient la stabilisation du front révo­
lutionnaire.

Dans la première période c'est par l’adhésion aux partis socia­


listes et à la I I e Internationale que, même en France, on entre

8. Archives Rosmer, Rosmer à Camus, 2-IV-56.


9. RP., janv. 1951.
alfred rosmer 4SI

le plus souvent dans le mouvement. Mêm e après ce que nous appe­


lons I’ « effondrement », la « faillite » de la seconde Internationale,
un Semard, un Raymond Lefebvre rejoignent le PS Français en
1917. Qu’est-ce à dire ? Mais que nous enterrons trop vite la social-
démocratie, avant que les contemporains ne l’aient fait ! Avant 1914
elle apparaît encore comme la seule grande force d’opposition glo­
bale à la société capitaliste. Pendant la guerre restent des espoirs
de redressement interne que partageront en partie les « recons­
tructeurs ». Extravagance ? Illusions ? Tragique optimisme ? Peut-
être, mais, jusqu’en 1939 et au-delà, il se trouvera des révolution­
naires (Marceau Pivert, le Trotsky de l’entrisme) pour soutenir que
tout espoir de radicaliser la social-démocratie n’est pas perdu.
Nous nous représentons trop cette Seconde Internationale comme
un gros corps amorphe, repu, peu secoué par les débats d’idées et
les conflits de tendances, comme une bureaucratie sans âme. En
effet, nous avons tendance à sous-évaluer les luttes de tendances
dans les sections étrangères, dans la section allemande en parti­
culier. Cela parce que nous n’avons d’yeux que pour la section
française où règne la paix des tendances car il n’y a plus dans
le PS Français que la droite et le centre du mouvement ouvrier.
Les gauches sont à la CGT, deuxième parti révolutionnaire pure­
ment ouvrier. Dans le PS, comme dans les autres sections de la
Seconde Internationale, droite et centre font bon ménage. Mais la
réalité de la Seconde Internationale, ce n’est pas cette paix des
tendances, phénomène français, c’est au contraire la lutte des direc­
tions centristes et droitières contre les gauches qui sont un peu
partout éliminées. En Hollande, Gôrter et Pannekoek, en Suisse,
Brupbacher, sont exclus. En Allemagne, Kater s’éloigne et la direc­
tion manoeuvre contre Radek. En Italie la fraction syndicaliste est
exclue en 1908. A côté de cette lutte contre les gauches, l’élimi­
nation des droites, plus exactement des extiêmes-droites de ten­
dance ouvertement impérialiste, Bissolati en Italie, le « socialiste
impérialiste allemand » G. Hildebrand, est très mollement menée.
Si bien que le centre de gravité de la Seconde Internationale ne
cesse de se déplacer vers ïa droite.
L e mouvement est devenu suffisamment clair à partir de 1910
pour que le syndicalisme révolutionnaire qui n’a cessé de dénoncer
la mollesse social-démocrate puisse proposer internationalement ses
propres solutions : rupture des gauches avec l’internationale poli­
tique, constitution de partis purement prolétariens sur le modèle
de la C G T française, révolution par la grève générale et par l’action
directe du prolétariat, gestion de la société post-révolutionnaire
par les producteurs syndiqués. L ’enjeu de la lutte qu’il engage
contre les partis socialistes, c’est le contrôle de la classe ouvrière.
La majorité des prolétaires organisés se trouve dans les syndicats.
L e front syndical est donc d’une importance décisive. Tandis que
le syndicalisme révolutionnaire se lance à l’assaut de l’organisation
syndicale internationale, la social-démocratie, s’appuyant sur la droite
452 alfred rosmer

syndicale allemande et sur l'extrême-droite syndicale anglaise tenté ^


la conquête de la C G T française — ou sa scission. :

L a guerre et la révolution russe redistribuent beaucoup moins


les cartes qu’on ne pourrait l’imaginer. L ’ « heure d’exception»
de réconciliation entre syndicalistes et politiques, est une illusion ^
littéraire. La révolution bolchevique elle-même vient renforcer les
syndicalistes dans leurs convictions. Les Russes n’ont-ils pas utilisé
l’arme des grèves ? N ’ont-ils pas rompu avec la Seconde Inter­
nationale ? Leurs soviets ne regroupent-ils pas les seuls prolétaires
comme les syndicats? Certes, un parti dirige, mais quel parti!
Les syndicalistes fidèles à. leurs idéaux d’avant-guerre ont la convic­
tion non que le syndicalisme révolutionnaire a fait faillite, mais que
des syndicalistes révolutionnaires ont trahi. L e mouvement révolu­
tionnaire européen a connu l'échec non par entêtement mais par
infidélité. Rien ne lui interdit de progresser à nouveau, sur les
mêmes bases, en utilisant, en une synthèse féconde, le système
du parti.
On peut se demander en outre si l’élan du prolétariat euro­
péen vers le communisme et vers la révolution russe est aussi impé­
tueux que nous aurions tendance à le croire. Monatte fait remar­
quer : avant Zimmerwald les révolutionnaires sont une poignée,
après Zimmerwald, ils sont quelques poignées, les gros bataillons
s’ébranlent après l’octobre russe l0. Il ne parle jamais ni de la tota­
lité, ni même de la majorité de la classe ouvrière.
L a classe ouvrière occidentale serait-elle moins attirée par l'exem­
ple russe qu’on aurait pu le croire ou l’attendre ?
II faudrait pouvoir mesurer l’impact sur l’opinion ouvrière de la
propagande antibolchevique. Propagande gouvernementale et bour­
geoise (l’homme au couteau entre les dents), mais aussi propagande
des groupes révolutionnaires non bolcheviks (les mencheviks par
exemple ou la tournée européenne de l’anarchiste Schapiro en 1922).
Incontestablement, cette propagande porte, ce qui pose une
autre question. A tort ou à raison, une partie des militants ne
reconnaissent pas en Russie la révolution qu’ils appelaient de leurs
vœux. Mais la classe ouvrière dans son ensemble ? En d’autres
termes, y a-t-il vraiment une grande aspiration révolutionnaire ?
L a théorie commode des chefs-traîtres-à-leur-classe a-t-elle quelque
consistance ? On peut se le demander. D ’autant que certains d’entre
eux, un Jouhaux par exemple, sont des équilibristes experts, parfai­
tement capables de s'adapter à une poussée irrésistible. Clara Ketkin
dit au V e congrès de l’IC :
« [...] L a volonté révolutionnaire, sans avoir besoin de mots
d'ordre de la majorité du Parti alors au pouvoir, s'élance en avant
même contre la volonté du Parti l l . »

10. KP., avril 47.


11. Compte rendu analytique..., p. 102.
alfred rosmer 453

C’est assez dire, à l’inverse, que, si les chefs ne sont pas balayés
ou poussés en avant, c’est qu’il n’y a pas poussée impétueuse des
m asses. C e n’est évidemment pas absoudre les chefs qui freinent
jes mouvements, mais dire que les masses sont responsables de
leurs chefs, qu’elles ont les chefs qu’elles méritent.
D’autres causes sont extérieures à la classe ouvrière et il ne
fa u t pas les négliger, oubliant que la lutte de classes est — si
]ron peut dire — un jeu qui se joue à deux. La bourgeoisie existe,
se défend et contre-attaque. A partir de 1917, elle répond au défi
des révolutionnaires de façon dosée, habile, parfaitement adaptée
aux circonstances de temps et de lieux, à l’importance des enjeux.
Elle favorise et encourage, surtout en Europe centrale et orien­
tale, tout ce qui relève d’une révolution bourgeoise qui ne saurait
la gêner. L e droit des peuples à disposer d’eux-mêmes P Partout
se créent de nouveaux Etats. Les réformes politiques ? Un grand
nombre de monarchies sont élim inées12, les nouveaux Etats sont
tous des républiques. L e suffrage universel se répand. Les nouvelles
constitutions sont calquées sur le modèle du parlementarisme occi­
dental avec parfois des dispositions réputées plus libérales (initiative
populaire, référendum, législatif plus puissant que l’exécutif). Jus­
qu’aux réformes agraires qui sont faites d’autant plus allègrement
qu’elles lèsent surtout la classe détestée des aristocrates fonciers,
l’Eglise, les propriétaires étrangers. En satisfaisant les aspirations
nationales et libérales, la bourgeoisie parvient à éviter des révo­
lutions sociales.
Ailleurs elle lâche du lest devant les revendications sociales de
prolétariats combatifs. Elle consent à des réformes qui répondent
enfin à de vieilles revendications syndicales. En France, en A lle­
magne, en Angleterre, ce sont les 8 heures. En France et en A ngle­
terre, les conventions collectives. En Belgique une importante
réforme fiscale. Carottes qui n’excluent pas le bâton. Dans l’A lle­
magne de fin 1918 - début 1919, la révolution est écrasée. Dans
l’Angleterre de 1919, l’armée est requise contre les cheminots en
grève. Dans la France de 1920, la chambre bleu horizon, les unions
civiques, les manoeuvres policières (le « complot » ) viennent à bout
de la vague de grèves.
Ailleurs, c’est la lutte armée, la répression en pays coloniaux
ou semi-coloniaux. Aux Indes et au Moyen-Orient, les troupes euro­
péennes interviennent. En Chine ou en Iran, ce sont des « sei­
gneurs de la guerre » qui font la besogne. Au Mexique, l’inter­
vention US sur la frontière nord et dans la région de Vera-Cruz
se combine avec l’action des généraux du cru.

12. Fait étrange, i] se trouve des révolutionnaires pour considérer


comme des victoires appréciables ces changements constitutionnels qui
pourtant n’annoncent pas forcément la révolution prolétarienne. Zinoviev
dira (C-R analytique du Ve congrès..., p. 26) : « Une demi-douzaine de
monarchies ont été renversées, ce qui n’est pas rien ».
454 alfred rosmer

Lutte armée aussi contre les révolutions sociales menaçantes (pré-'


fascisme espagnol, fascisme italien, nazisme), ou contre les révo­
lutions sociales accomplies. Une reconquête de type versaillais pré­
vaut alors. Elle réussit contre la Hongrie de Bela Kun, elle échoue
en Russie. Sans doute parce que le régime a donné la terre aux
paysans car la révolution russe est aussi une grande révolution
agraire redistributrice du sol qui a su ainsi s’attacher les masses
paysanne?. D e plus, la bourgeoisie a perdu au moins une année
(octobre 17 - novembre 18) dans ses luttes intestines et le régime
soviétique a pu se consolider.
Dans une certaine mesure, les révolutionnaires sont aveugles à
ces développements de la situation. Nous les imaginions tout d'abord
connaissant très mal la révolution russe. Nous ne pensons plus ainsi
car ils sont à l’affût de tout ce qui vient de Russie, intellectuellement
parfaitement préparés à comprendre les moindres bribes d’infor­
mation. Les sources de renseignements ne leur manquent pas (Russes
résidant en Occident, diffusion des idées et des documents par
l’intermédiaire de la Suisse, contact direct dans les camps de pri­
sonniers puis à Moscou). S’ils sont aveugles à quelque chose, ces
révolutionnaires, c’est à la résistance bourgeoise. Sans doute ne
l’ignorent-ils pas et pour cause : assassinats, tortures, exécutions
sont le lot de leurs camarades arrêtés. Mais ils croient déjà la bour­
geoisie enterrée par l’histoire.

En fait, la bourgeoisie trouve un second souffle. En 1921-22


commence la stabilisation du front révolutionnaire mondial et russe
(Cronstadt, la N E P). Un problème qui sera sans doute longtemps
débattu se pose ici. Est-ce la stabilisation générale qui entraîne
la stabilisation russe ou le contraire ? On voit bien les résonances
politiques des deux réponses possibles. A notre sens, plutôt que
de tenter de choisir abruptement, il faudrait tenter d’étudier l’inter­
action des deux phénomènes.
D e nouveau les révolutionnaires vont chercher à l’intérieur de
leur propre camp la source exclusive de leurs difficultés et vont
mettre en cause les fluctuations de 1TC. Personne ne nie qu’il y ait
des fluctuations. En bonne doctrine marxiste, elles sont parfaitement
fondées : il s’agit d’adapter la Ligne aux circonstances. Zinoviev
le dit de façon imagée ;
« Figurez-vous que nous avons à diriger un bateau de guerre
au milieu des mines. Nous n’avons pas de plan, les mines se
trouvent tantôt à droite, tantôt à gauche. Appellerez-vous « sans
principe » le capitaine qui louvoiera 13 ? »
Adaptations tactiques? Tournants? Zigzags? D e proche en proche,
on parvient à une théorisation des tournants qui trouve son expres-

13. C-R analytique du Ve congrès..., p. 21.


cilfred rosmer 455

sion extrême chez Max Eastman. Dans Staliris Russia and the crisis
in socialism il va jusqu'à dresser un très ingénieux diagramme
des sept tournants de l’IC , alternativement gauchistes et droitiers
et d'amplitude de plus en plus forte. Trois tournants à droite :
ie Front Unique (1922-1923), la politique chinoise et le comité
anglo-russe (1925-1927), le Front Populaire (1934-1939). Quatre
tournants à gauche : les 21 conditions (1919), la bolchevisation
(1924-1925), le social-fascisme (1929-1934), les déclarations sur le
passage rapide au socialisme (1939). L'agilité d’Eastman laisse admi-
ratif..- et rêveur, d'autant qu’il inclut le Pacte germano-soviétique
dans le quatrième tournant gauchiste l
Sans doute faudrait-il soumettre toute sa construction à sévère
critique. Mais, ce qui nous intéresse ici, elle prouve que l’idée d'une
évolution zigzaguante de l'IC est très répandue. L e vrai problème
n'est pas de discuter du nombre, de l’amplitude et de la signi­
fication des modifications de la Ligne. Il est de savoir si ces modifi­
cations sont faites pour tenir compte des circonstances, si elles se
justifient. Les camps en présence répondent avec une égale énergie,
mais en sens contraire. Les uns, affirmant l’incohérence des tour­
nants, invoquent le rôle des hommes et parlent du temps de Lénine
qui contrasterait avec le temps de Staline. Cette explication nous
laisse insatisfaits. D'une part elle omet le zinoviévisme et pour­
tant, au V° congrès, c'est, de toute évidence, Zinoviev qui a les
premiers rôles. C'est lui qui disserte sur le «léninism e intégral».
Clara Zetkin remarque qu’il « a commenté les décisions du IV* con­
grès à la façon d'un exégète de la Bible ou des Evangiles 15 ». Cette
explication, de plus, est en contradiction avec tout ce que l’on sait
de la lente ascension de Staline. Celui-ci n’apparaît pas brus­
quement, en pleine lumière, en 1924, il joue un rôle bien avant
et n'élimine toute opposition qu’après 1930. Enfin, cette explication
nous paraît accorder une trop large place au rôle des individus.
En URSS, seraient-ce les hommes qui commanderaient aux forces
sociales et non — comme partout ailleurs — les forces sociales
aux hommes ?
L'événement qui commande, c'est la stabilisation générale des
années 21 à 23. L ’IC doit bien en tenir compte. Un schéma est
ici traditionnel. Lénine et Trotsky s’adapteraient en rechignant à
la « guerre de tranchées » , Staline s'y adapterait joyeusement et la
fonderait en théorie avec son « socialisme dans un seul pays »
quitte à soutenir le moral des révolutionnaires étrangers à coups
de slogans (quinquennat, collectivisation agraire, social-fascisme, etc.).
Schéma par trop manichéen qui fait de nouveau appel à la
subjectivité des individus ! En fait, qu'ils le veuillent ou non,
l'influence concrète des bolcheviks se borne bientôt à la Russie
et cela ne va pas sans conséquences. Les uns se persuadent vite

14. Pp. 114 et suiv.


15. C-R analytique..., p. 103.
456 alfred rosmer

que la Russie est bien assez grande : Zinoviev, au V e congrès agii,


cesse de dire qu’il s’agit du sixième du globe. Surtout, les échecs-'
des révolutionnaires étrangers amènent les Russes à perdre toute
confiance dans les solutions qu’ils préconisent. Tant qu’ils avaient:
quelque confiance, ils faisaient les adaptations nécessaires — la fon­
dation de l’iSR en est un exemple. Maintenant qu’ils n’en ont plus
ils font remarquer que leurs solutions à eux ont réussi et leur ont
permis de prendre le pouvoir. Ils l’emportent d’autant plus aisé­
ment que — le fait est nouveau dans la longue histoire de la lutte
des tendances dans le mouvement ouvrier — l’une des tendances,
la leur, dispose du poids et des ressources d’un appareil d ’Etat.
Des ruptures, des départs (volontaires ou par exclusion, peu
importe à 40 ou 50 ans de distance) s’ensuivent.
L Silone dans sa contribution à The God that failed 10 distingue
di±Téieni.s Lypes de départs.
Les uns s’éloignent vers la droite : Frossard qui tient au respect
des traditions parlementaires, L é v i qui respecte la légalité et s’oppose
au putschisme, Brandler et Tasca qui ne veulent pas rompre avec
les masses social-démocrates.
Les autres s’éloignent vers la gauche : libertaires qui s’étaient
fait des illusions sur la démocratie soviétique (Henriette Roland-
Holst), syndicalistes hostiles à toute subordination du syndicat au
parti (Monatte, Nin), extrême-gauche opposée aux courants oppor­
tunistes (Bordiga, Souvarine, Ruth Fischer).
Ces classifications renferment sans doute une part appréciable
de vérité. Mais le cas de Rosmer nous montre que la réalité est
sensiblement plus complexe. Elle ne connaît guère ces conversions
et ces apostasies brusques, répondant à une cause unique.
Il y a des moments de crise, des événements qui provoquent
ou précipitent des interrogations, des reprises d’évolution intellec­
tuelle, entraînant ainsi des ruptures, ce que Louis Fischer appelle
des « Cronstadt » 17.
C ’est surtout autour de trois thèmes et pendant trois périodes
que se produisent ces mouvements : entre 1921 et 1924, la stabi­
lisation, de la N E P à la bolchevisation ; entre 1927 et 1930, le
socialisme dans un seul pays, de l’exil de Trotsky à la collecti­
visation et à l’intensification du travail par le stakhanovisme ; entre
1935 et 1940, une politique extérieure plus préoccupée des intérêts
de l’Etat russe que des perspectives révolutionnaires mondiales, du
Pacte Staline-Laval au Pacte Staline-Hitler, en passant par le Front
Populaire et l'attitude de l’IC pendant la guerre d’Espagne.
Certes, rien ne se passe brusquement. Les prises de conscience
se font lentement, rattachement sentimental aux partis retarde les
décisions de rupture. D ’autre part les communistes de chaque pays

16. Titre médiocrement traduit : Le Dieu des ténèbres, p. 106 et suiv.


17. Ibid., p. 226.
alfred rosmer 457

interprètent l’évolution de l’Internationale en fonction des circons­


tances locales et, là où la lutte est engagée contre le fascisme
(Espagne, Italie, Allemagne), cette lutte apparaît comme bien plus
importante que les querelles internes de ITC.
Ceux qui partent sur la gaucbe — Rosmer par exemple — invo­
qu en t très souvent le poids insupportable des survivances social-
démocrates dans ITC. Nombre de communistes, en effet, viennent
de la social-démocratie. De sa gaucbe, mais aussi de son centre
ou même de sa droite (Cachin). Les bolcheviks eux-mêmes appar­
tenaient à la Seconde Internationale et professaient une vive admi­
ration pour sa section allemande Ift. Sans doute le feu de la révo­
lution à changé le parti russe, mais peut-on en dire autant des
autres partis ? Zinoviev reconnaît lui-même le poids de l’héritage
social-démocrate :
« Les survivances social-démocrates sont plus grandes que nous
n’aurions jamais pu l’imaginer... L ’instant approche où nous serons
au ssi forts que le fut la I I e Internationale à l’apogée de sa puis­
sance. Aussi nous sommes exposés aux mêmes dangers **. »
Les gauches se plaignent sans cesse de l’importance prise par les
préoccupations parlementaires et électorales, de l’influence de la
bureaucratie (plus encore dans le P C F qui a conquis la vieille
maison et son appareil que dans le P C Italien qui a fait ou subi
Livoume) ; les extrêmes-gauches vont jusqu’à se plaindre de ces
masses que l’Internationale a attirées par sa politique, qui font
nombre mais qui sont peu révolutionnaires.
Si Ton ajoute à la tonalité souvent gauchiste des causes de
conflit et par conséquent de départs l’élimination des gauches par
le PC Russe (Opposition Ouvrière, Opposition de Gauche), il ne
devient peut-être pas tout à fait hasardeux de dire qu’avant 1939,
le centre de gravité de la I I I e Internationale se déplace vers la
droite comme le faisait celui de la Seconde Internationale avant
1914.

La rupture accomplie, il reste aux anciens communistes le choix


entre deux attitudes. Les uns procèdent à une critique régressive
de l’IC. Ils en viennent à remettre en cause non seulement le
stalinisme, mais aussi le léninisme et le marxisme ce qui les amène
à l’anticommunisme pur et simple, assorti de vagues aspirations
libérales. Les autres, et c’est plus fréquent, ne critiquent l’IC que
dans sa politique immédiatement antérieure et postérieure à leur
rupture. C e qui permet à Pascal d’ironiser :
« Pensez-vous que tout ce qui a été fait en Russie et dans

18. P. Broué, Le Parti bolchevique, p. 44 et suiv. a bien souligné ces


points.
19. C-R analytique du Ve congrès, p. 25-33.
458 alfred rosmer

l'Internationale jusqu'au V e congrès soit bien et doive demeurer


sacré, comme, pour les orthodoxes, tous les conciles qui se sont
tenus jusqu’à l'excommunication de Photius 20 ? »
Tous deviennent progressivement antistaliniens et se posent le
problème de la nature de classe de l’Etat russe et du contenu
de classe du stalinisme qui eut tant d'importance pour Rosmer.
Evidemment parce que la pensée marxiste ne saurait se suffire
d’une explication du stalinisme fondée sur le culte de la person­
nalité. L e culte de la personnalité ne saurait être une cause, il est
un effet. Il faut donc chercher ailleurs les racines du stalinisme.
Les uns s'en tiennent au rôle de la bureaucratie (Trotsky), les autres
admettent la naissance de nouvelles classes sociales (Yvon, Pascal,
Rosmer), d'autres enfin parlent de nouvelle classe exploiteuse, de
dictature de la bureaucratie sur le prolétariat (Urbahns). Tout ceci
n’est pas simple controverse d’école. En cette période de tension
internationale et de guerre menaçante, il s’ensuit une attitude
concrète à adopter si la Russie est engagée dans la guerre.
Du point de vue de l’action, pour ceux qui restent dans le
mouvement révolutionnaire, diverses possibilités s'ouvrent selon qu’ils
ont ou non admis la nécessité du parti. Hostile au parti, on revient
à l’anarchisme (Victor Serge) ou au syndicalisme (Monatte) anté­
rieurs, à peine modifiés. Convaincu que la révolution ne peut se
faire si un parti ne la dirige, on décide soit de redresser le parti
(Opposition de Gauche ou Opposition Unifiée avec Tresso, Treint
ou Rosmer), soit de radicaliser un paiti déjà existant et c’est le
retour aux PS (Humbert-Droz, Tasca), soit de fonder une nouvelle
organisation. Trotsky essaiera les trois solutions puisqu’il préconise
tour à tour la lutte interne, l’entrisme et la IV e Internationale.
Chez Rosmer, l’expérience communiste a laissé des blessures trop
vives. Il ne tardera pas à s’éloigner des expériences trotskystes pour
suivre avec Monatte une route sinon solitaire, du moins relativement
peu fréquentée.

La I I I e Internationale en laquelle on avait mis tant d'espoirs


se saborde finalement en 1943 dans une atmosphère d'Union Sacrée
qui n'est pas sans rappeler par bien des points celle de 1914 qui
avait été fatale à la Seconde.
Sans doute les erreurs de la direction sont-elles responsables
pour une bonne part de ce qu’il faut bien appeler un échec.
Nous ne saurions cependant nous contenter de cette explication,
pas plus que nous ne nous en étions contenté en ce qui concerne
la Seconde. Pour porter un jugement équitable sur l’Internationale
Communiste, il faudrait aussi tenir compte du degré réel de comba­
tivité des masses entre 1923 et 1939 et de la force de la contre-
attaque bourgeoise.

20. Archives Monatte, P. Pascal à Monatte, 12-IV-1925.


alfred rosmer 459

Depuis 1943, il ne s’est pas reconstitué autour du PC URSS


d’internationale durable et universellement reconnue. Sans doute
parce que les partis communistes, d’une part, ne représentent pas
à eux seuls la totalité du mouvement ouvrier occidental : la vieille
social-démocratie subsiste à droite, les gauches viennent de donner
la preuve de leur vitalité. L e mouvement ouvrier occidental d’autre
part, trop ouvrier, trop occidental, ne parvient pas à exprimer les
aspirations révolutionnaires des classes paysannes et des pays sous-
développés.
Tout se passe comme si le mouvement révolutionnaire interna­
tional se trouvait, en cette seconde moitié du xx* siècle, trop diver­
sifié idéologiquement, sociologiquement et géographiquement pour
en revenir à un monocentrisme qui n’a pas fait ses preuves.

«■M M B B E SS g
Sources et bibliographie

L'ambiguïté déjà signalée de la notion de sources en ce qui concerne


l’histoire très contemporaine nous a conduit à renoncer au classement
traditionnel des documents utilisés. Ce classement énumérait — comme
en ordre de majesté décroissante — les documents d’archives, les écrits
du temps, les travaux postérieurs. Il ne correspondait ni à nos problèmes
spécifiques, ni aux nécessités pratiques de l’utilisation. Nous avons opté
pour un autre classement qui, comme tous les autres, a sa part d'arbi­
traire mais que nous croyons commode.
Après une présentation rapide des travaux d'intérêt général, nous avons
rassemblé tout ce qui avait été écrit ou amassé par Rosmer lui-même.
Nous avons indiqué quelles archives publiques et privées nous avons pu
consulter. Enfin, nous avons réparti chronologiquement le reste de notre
documentation. On prendra garde que la périodisation adoptée ici ne
correspond pas à celle du corps de l'ouvrage mais s’établit comme suit :
Jusqu’en 1914 : Le syndicalisme-révolutionnaire face à la seconde
Internationale.
1914-1924 : Origines et débuts de la I IIe Internationale.
1924-1964 : Opposition Communiste et IV e Internationale.
C’est que 1920, date charnière du point de vue de la biographie de
Rosmer, est sans valeur en ce qui concerne la bibliographie générale de
la période.

Travaux d’intérêt général

Revues

Nous n’avons pas jugé utile de citer les multiples revues, périodiques,
journaux historiques et politiques dont la lecture régulière est indispen­
sable à qui veut entreprendre une étude sur le mouvement ouvrier inter­
national. Bien souvent un article, une réflexion, apparemment étrangère
à notre propos sert de stimulant à la réflexion, ouvre une perspective,
remet en cause une idée reçue. Les événements que nous ne cessons de
vivre, si nous y participons, ne peuvent manquer de nous éclairer le
sources et bibliographie 461

passé. La vie quotidienne crée ainsi un océan de références qu'il est


impossible de donner ici. Disons simplement qu'il ne nous semble pas pos­
sible de comprendre et d'étudier le mouvement ouvrier international au
XXe siècle sans s’intéresser aux débats du mouvement ouvrier contem­
porain et qu’un large dépouillement de la presse vivante est le substrat
indispensable — mais implicite — de notre travail.
Nous resterons donc dans le domaine plus limité des revues historiques.
Les grandes revues françaises, Revue d'Histoire Moderne et Contempo­
r a i n e , Revue d’Histoire Economique et Sociale, Annales (Economies,
S o c i é t é s , Civilisations), Revue Historique enfin, accordent une place
v a ria b le à l’histoire du mouvement ouvrier1. La Revue Française de
Science Politique est, à bien des égards, une revue d’histoire contempo­
raine. L ’histoire sociale est riche d e. revues spécialisées publiées le plus
sou ven t par les instituts d’histoire sociale, nombreux en Europe :
Mouvement Social (Paris, Institut Français d’Histoire Sociale et Centre
d’Histoire du Syuuicitlisiue).
International Review of Social History (Amsterdam, International Ins-
titute of Social History).
Bulletin of the Society for the Study of Labour History (Londres).
Annali (Milan, Institut Feltrinelli, parution suspendue).
Rivista Storica del Socialismo.
Archi-o fur Social Geschichte.
Et surtout l’irremplaçable Internationale Wissenschaftliche Korrespon-
denz (Berlin).
On ne manquera pas de suivre l’abondante production anglo-saxonne
dans l’American Historical Review.

Biographies

Citons tout d’abord trois thèses récentes :


P. Guiral,, Prévost-Paradol (1828-1870), pensée et action d'un libéral
sous le Second Empire, 1955, 843 p.
P. Soruot, Waldeck-Rousseau, 1967, 592 p.
J.-M. Mayeur, L ’abbé Lemire, 1969, 698 p.

On peut citer dans le domaine de l'histoire sociale, outre le Dictionnaire


biographique du mouvement ouvrier français, ouvrage collectif dont
J. Maitron est le maître d’œuvre 2 et les courtes préfaces de la col­
lection Classiques du Peuple (Editions Sociales), trois biographies
de militants :
M. D ommanget, Edouard Vaillant, un grand socialiste (1840-1915), 1965,
531 p .3

1. Citons notamment A. Kbiegel (RH, IV-VI-19S6, pp. 455-490). Bul­


letin historique : Histoire ouvrière aux XIXe et XXe siècles.
2. Un Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international
est en préparation. Nous savons gré à J. Maitron de nous avoir facilité
la consultation des notices en cours de rédaction.
3. On sait que M. Dommanget a publié sur Blanqui plusieurs
ouvrages.
462 alfred rosmer

7. M a itro n , Le syndicalisme révolutionnaire : "Paul Delesalle, 1950


178 p.
E. T hom as, Rossel, 1967, 504 p .

Les historiens étrangers nous ont donné notamment :


Isaac D eutscher, ' Trotsky, Paris, 3 vol., 1 9 6 2 -1 9 6 4 -1 9 6 5 ; 693 , 639
703 p.
H. Goldberg, Jean Jaurès, University of Wisconsin Press, 1962, 500 p.
G. Z iebura, Léon Blum et le parti socialiste (1872-1934), 1967, 405 p>
Cahiers de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.
S. Colton, Léon Blum, 1969.

Mouvement ouvrier international

B. A ndréas et G. H a u p t , « Bibliographie der Arbeiter Bewegung n;


International Review of Social History, 1967, pp. 1-30, ont recensé
les bibliographies existant dans ce domaine.
L e w i s L . L o r w i n , L'internationalisme et la classe ouvrière, 1933, 455 p.,
est un livre trop oublié qui donne des aperçus extrêmement sugges­
tifs.

Nous disposons de diverses histoires des internationales, de poids et d'in­


térêt très inégaux :
J. B r a u n t h a l , Geschichte der Internationale, Hannover, 2 vol, 1961-
1963, 404 et 617 p. Traduction anglaise History of the International,
Londres, 1967, 393 et 596 p.
M.M. D b a k h o v ï t c h , Marxism in the modem toorld, Stanford University
Press, 1965, 256 p. Il s’agit des travaux du colloque de la Hoover
Institution : One hundred years of revolutionnay internationals
(1864-1964). L ’ouvrage a été publié en français sous le titre, De
Marx à Mao-Tsé-Toung, un siècle d'internationale marxiste, 1967,
384 p.
W. Z. F o r s t e r , History of the three internationals. The world socialist
and internationalist movement from 1848 to the present, New York,
International Publications, 1955, 328 p.
A. K r i e g e l , Les Internationales ouvrières, 1964, 124 p., Coll. Que Sais-je ?
Sur l’histoire internationale du mouvement ouvrier, on consultera :
Le socialisme démocratique (1864-1960), 1967, 360 p , Coll. U.
J. D r o z ,
G.D.H. C o l e , A history of socialist thought, t. 3, The Second Interna­
tional (1889-1914), 2 vol., 1960, 1043 p, t. 4 ; Communism and
social aemocracy (1914-1931), 2 vol., 1958, 940 p., t. 5 ; Socialism
and fascism (1931-1939), 1960, 351 p. Cole traite en fait l’histoire
du socialisme international, embrassant un champ beaucoup plus
vaste que le titre de son ouvrage ne le laisse supposer. Sur Cole
historien, on possède l'article de G.H. Owjen, « G.D.H. Cole’s his-
torical writings », International Review of Social History, 1966, pp.
169-196.
sources et bibliographie 463

A. a réuni quelques-uns de ses articles ou interventions de col­


K rie g e l
loque sous le titre, Le pain et les roses. Jalons pour une histoire des
socialismes, 1968, 255 p.

Mouvement ouvrier par pays

Comme il ne saurait être question de donner une bibliographie complète


qui serait démesurée, nous nous contenterons d ’indiquer ici, pour
les pays qui ont le plus sollicité la réflexion de Rosmer, les livres
essentiels.

Grande-Bretagne :
L’historiographie française n’a guère produit sur la question et nous ne
pouvons citer que
A- Ph ilip , Trade-Unionisme et syndicalisme, 1936, 348 p.
Les ouvrages traduits de l’anglais ne sont que médiocrement satisfai­
sants :
A.-L. M o r t o n et G. T a t e , Histoire du mouvement ouvrier anglais, 1963,
407 p. ne dépasse pas 1920 et les préoccupations de politique quo­
tidienne des auteurs en font un ouvrage déformé.
H. P e ix ïn g , Histoire du syndicalisme britannique, 1967, 316 p. est par
trop rapide quoiqu’utile. C e ne sont pas les 135 p. d'un autre
ouvrage de P e ix in g , A short history of the Labour party, 1962, qui
peuvent suffire.
Le meilleur ouvrage est en italien :
E. G rendt, L ’awento del laburismo. Il movimiento operaio inglese dal
1830 al 1920, Milan, 1964, 302 p.
Fran ce :
D ’une bibliographie beaucoup plus abondante, nous extrairons d'abord
l’ouvrage classique d ’E . D o l lé a n s , Histoire du mouvement ouvrier,
dont les deux derniers tomes (1939, 1953, 402 et 424 p.) traitent de
la période qui va de 1 8 7 1 à nos jours.
Sur le mouvement socialiste :
D. L igou , Histoire du socialisme en France (1871-1961), 1962, 672 p.
C. W il l a r d , Socialisme et communisme français, 1967, 160 p.
G. L efranc, Le mouvement socialiste sous la I I I e République, 1963,
445 p.
Pour les périodes ou des groupes plus limités :
C. W e l l a r d , Les guesdistes, 196 5, 7 7 1 p .
J.-J. F ie c h t e r , Le socialisme français, de l’affaire Dreyfus à la grande
guerre, 1965, 290 p.
Sur le mouvement syndical :
G. L e f r a n c , Le mouvement syndical sous la I I I * République, 1967,
455 p.
et )a bibliographie de R. B r é c y , Le mouvement syndical en France
(1871-1921). Essai bibliographique, 1963, 3 5 -2 19 p.
464 alfred rosmer

URSS :
Les ouvrages fondamentaux restent ceux de E.H. C arr, A history 0f
soviet Russia, Penguin Books, t. I et II The bolshevik révolution
448 et 407 p.
et surtout A history of soviet Russia, Londres, Macmillan :
I-II-III, The bolshevik révolution (1917-1923), 1950-1953, 430, 400 et
614 p.
IV, The interregnum (1923-1924), 1954, 392 p.
V-VI-VII ( i et 2), Socialism in one country (1924-1926), 1958-1959-1964
557, 493, 1050 p.
dont une tradution française est en cours de parution.
On utilisera avec le plus grand profit P. B r o u é , Le Parti bolchevique,
1963, 628 p. et M. Ferro, La révolution de 1917. La chute du tsa-
rjvrrie} çt ÏÇ'? Ori^ÎT}€? d'oCtobr€ 1967, 607 p.
USA :
Une première approche est donnée par H. P elling , American Labor,
University of Chicago Press, 1960, 247 p., Coll. The Chicago his~
tory of American civilization. Traduit en français sous le titre Le
mouvement ouvrier aux USA, 1965, 272 p.
Plus complets, les ouvrages de Philip. S. F o n e r , History of the labor
movement in the United States, vol. IV ; The IW W (1905-1917),
1965, 608 p. vol. V en préparation.
En langue française et de date récente, D. Guérin, Le mouvement ouvrier
aux Etats-Unis (1867-1967), 1968, 174 p. est malheureusement trop
bref.
Allem agne :
G. B a d i a , dans une série d’ouvrages et d'articles étudie le mouvement
ouvrier allemand, l'expérience spartakiste en particulier. Dans son
Histoire de VAllemagne contemporaine, 1962, 2 volumes, 342 et
399 p., il fait la plus large place aux phénomènes sociaux.
On verra aussi P. W axjcne, Cinquante ans de rapports entre patrons et
ouvriers en Allemagne, t. I, 1918-1945, 1968, 279 p.
Et surtout C.E. S c h o r s k e , German social democracy, 1905-1917. The
development of the great schism, Harvard Univ. Press, 1955, 858 p.

Documents et archives Rosmer

Nous avons regroupé sous cette rubrique tout ce qui émanait de Ros­
mer, tant les archives que les publications, ainsi que les témoignages de
ses amis.

Archives Rosmer

En partant pour Mexico en 1939, Rosmer a trié les plus importants de


ses papiers et en a fait trois dépôts. Le premier, confié à son b e a u -frè r e
Rault, a été perdu pendant la guerre. Le second, laissé à Périgny, a été
sources et bibliographie 465

bruié par les nazis. Le troisième, confié à divers amis, s’est enrichi des
papiers d'après-guerre et se répartit actuellement comme suit : chez
pierre Godeau, les documents et papiers familiaux, chez Colette Cham­
belland, les autres documents que nous avons classés en dossiers.
Correspondance diverse .-
Généralement postérieure à 1939, elle comprend des lettres de Natalia
Trotsky, Louise Aubrun, Aucouturier, Axelos, Luas, S. Ageloff, Alfonso
Rodriguez, Monatte, Lola Dalîin, Max Schachtmann, Boris Souvarine,
Pierre Naville, Joël Carmichael, Meyer Schapiro, Pierre Frank, Gilbert
Sigaux, Livio Maitan, Nicola Chiaromonte, Albert Camus, Maximilien
Rubel et d’autres, d’identification difficile. On y trouve aussi des cor­
respondances entre tiers, par exemple Victor Serge à Angelica Balaba-
nofl:, Max Schachtmann à Natalia Trotsky.
Dossier Isaac Deutscher :
Correspondance Rosmer-Deutscher au sujet des cornes l ï c i I I I du
Trotsky. Deutscher demande à Rosmer nombre de renseignements.
Recueil des compte rendus critiques sur les livres de Deutscher.
Dossier Sarah et Louis Jacobs :
S. Jacobs qui a été la secrétaire de Trotsky, est restée en contact étroit
avec Natalia Trotsky. Elle échange une abondante correspondance avec
les Rosmer.
Documents divers émanant de Natalia Trotsky : Ensemble assez compo­
site, comprenant notamment les pièces suivantes : « Ce fut ainsi »
(XI-1940), description par Natalia Trotsky des dernières heures de son
mari. Lettres de Natalia Trotsky à Suzanne La Folette et à J. Dewey
(14-11-1946). Pouvoir spécial donné par Natalia Trotsky à Rosmer (10-
XII-1946). Documents sur les rapports, parfois difficiles, de Natalia avec
la bibliothèque d’Harvard (l-IX-1958, Mémorandum Bryant, Projet
Bryant). Documents concernant la rupture de Natalia T. avec la IV* In­
ternationale (lettre de rupture du 9-V-1951 et la réponse des dirigeants
de la IV e Internationale). Testament de Natalia T. (12-XII-Z960). Lettre
non datée et non signée, adressée à Natalia et concernant la mort de son
plus jeune fils.
Correspondance de Natalia Trotsky avec les Rosmer (1940-1958).
Correspondance des Rosmer avec Olga Nin et ses -filles (à partir de 1939).
Correspondance de Rosmer avec James T. Farell. Les lettres de Farell
sont très révélatrices sur les réactions des intellectuels de gauche
dans les Etats-Unis de l’après-guerre.
Documents sur la mort de Trotsky. Dossier de coupures de presse concer-.
nant l’assassinat et l’assassin.
Manuscrits des préfaces aux ouvrages de Trotsky publiés par Rosmer.
Editeurs. Rapports avec les éditeurs.
Papiers personnels divers. Contient notamment des fragments de souve­
nirs sur Trotsky qui datent de 1953 environ.
Photos.

30
466 alfred rosmer

Ouvrages, articles et brochures de Rosmer

Nous avons cru devoir faire précéder leur énumération dans un ordre
strictement chronologique d’un tableau des collaborations de Rosmer aux
journaux et revues.
Œuvre Nouvelle. VI. 1904.
Temps Nouveaux. VI. 1906.
Vie Ouvrière. II. 1910 à VII. 1914.
Bataille Syndicaliste. IX. 1911 à VII. 1914.
Golos (etc...). IX. 1915 à XI. 1915.
Vie Ouvrière (nouvelle série). IV. 1919 à XII. 1921.
Mouvement ouvrier international. I. 1921.
Internationale Communiste. VI. 1921.
Le Phare. VI-VII-1921.
Humanité. V III. 1921 à III. 1924.
Bulletin Communiste. IX. 1921 à IV. 1924.
Internationale Syndicale Rouge. IX. 1921 à XV-V, 1922.
Lutte de Classes. V. 1922 à IV. 1923.
Cahiers Communistes. XI. 1922 à XII. 1922.
Révolution Prolétarienne. I. 1925 à III. 1937.
Contre le Courant. III. 1929.
La Vérité. V III. 1929 à 31. X. 1930.
La Lutte de Classes. I. 1930.
Le Communiste. II. 1932 à IX. 1932.
Lutte Ouvrière. III. 1938.
Arts Quarterly. 1944.
Révolution Prolétarienne (Nouvelle série). IV. 1947 à IX. 1963.
Crapouillot. 1950.
Preuves. V II-V III et IX 1952.
Tempo Présenté. VII. 1956 à VI. 1964.
Les Lettres Nouvelles. XII. 1958.
Voie Communiste. II. 1961.
Mouvement Social. IV-VI. 1962.
1904
15. VI. L ’Œuvre Nouvelle. Compte rendu du Journal d'un écrivain de
Dostoïevski. Signé A. Griot.
1906
2. VI. Les Temps Nouveaux. H. Ibsen. Théâtre. Signé André Alfred.
1910
II. Vie Ouvrière. Paul Bourget. La Barricade. Signé A. G.
5. X. Vie Ouvrière. Notes de voyage en Angleterre. I. Impérialisme et
militarisme. 2. Les suffragettes. Signé A. G.
20. XI. Vie Ouvrière. Le réveil du trade-unionisme. Signé A. G.
1911
5- I. Vie Ouvrière. La conférence de Manchester.
20. IV, Vie Ouvrière. Gompers et la Civic Fédération.
20. V. Vie Ouvrière. Salaires et journées de travail aux USA.
sources et bibliographie 467

11. IX. Bataille Syndicaliste. Le théâtre et la vie


Les trade-unions anglaises. Le congrès de Newcastle. Signés A. G.
20. X. VO. A travers les livres.
5-20. XI. VO. Mr Ramsay Mac Donald et le syndicalisme.
Le paradis de la Nouvelle-Zélande.
12. XII. BS. L e théâtre et la vie.
24. XII. BS. Le théâtre et la vie.
1912
20. I. VO. Les lois scélérates.
De Ambris quitte Pagine Libre.
Des lettres à Kotoku.
SI. I. BS. L e théâtre et la vie.
ïl. BS. Chronique parlementaire (les articles, presque quotidiens, ne sont
pas énumérés).
S. II. BS. Au Sénat, l'accord franco-allemand et suivants.
15. II. BS. G-B. Shaw.
20. II. BS. G-B. Shaw. La profession de Mme Warren.
21, II. BS. Le théâtre et la vie.
III. BS. Chronique parlementaire (même remarque que plus haut).
5-20. III. VO. La journée de dix heures devant la chambre.
3. IV. BS. Article nécrologique : Paul Brousse.
4. IV. BS. Jules Vallès.
13. IV. BS. La genèse de Jacques Vingtras.
14. IV, BS. L e Home rule pour l’Irlande.
25. IV. BS. Le théâtre et la vie.
5. VI. VO. A propos des bandits : le cas Bonnot.
5. VII. VO. Les retraites ouvrières.
13. VII. BS. Un député dégoûté du parlementarisme.
19 et 21. VII. BS. Les assurances sociales de Mr Lloyd George.
20. VII. VO. La journée de dix heures. La discussion à la chambre.
24. VII. BS. Le caoutchouc rouge.
25. VII. BS. Lloyd George.
31. VII. BS- La mort du mikado.
5, VIII. VO. Socialisme et syndicalisme en Angleterre.
5. VIII. BS. Une convention navale franco-russe.
25. VIII. BS. Deux sultans pour un Maroc.
28 et 30. V III. BS. Maroc.
I. IX. BS. Ettor et Giovannitti seront sauvés.
5. IX. VO. L e congrès de Newport.
Hervé et l’hervéisme après le congrès de Wagram.
1. X. BS. Effervescence dans les Balkans.
5. X. BS. A propos des retraites ouvrières (c’est le premier éditorial de
Rosmer dans la BS).
7. X. BS. Paroles sans importance.
20. X. VO. Parmi nos lettres : note de Rosmer sur le néo-malthusianisme.
XI. BS. Chronique des guerres balkaniques (même remarque que plus
haut).
2. XI. BS. L ’unité coopérative.
5. XI. VO. Sur Bruchard, 1896-1901. Petits mémoires du temps de la
Ligue.
11. 13. 15. 22. XI. BS. Lettre d’Angleterre. Ce qu’a fait la Ligue d’Action
Syndicaliste.
20. XI. VO. Le conflit des races en Orient.
468 alfred rosmer

XII. BS. Chronique parlementaire (même remarque que plus haut).


9. XII. BS. Les deux congrès de Manchester.
21. X II. BS. Les enfants dans les verreries.
26. XII. BS. Brigandage colonial à la Grande-Comore.
28. XII. BS. Grève générale en Belgique et suffrage universel.
29. 30. 31. XII. BS. L ’unité coopérative.
1913
I. BS. Chronique de la crise orientale (même remarque que plus haut).
16. I. BS. Les Bretons et le socialisme.
19. I. BS. Après l’élection présidentielle.
20. I. VO. A travers les livres.
31. I. BS. G-B. Shaw. On ne peut jamais dire.
II. BS. Chronique de la guerre d’Orient (même remarque que plus haut).
5. II. BS. A propos de l’affaire des bandits. Un académicien insulte les
jurés (il s’agit de l’affaire Bonnot).
20. J.L VO. A travers les livres.
III. BS. Chronique de la guerre d’Orient (même remarque).
4. III. BS. Choses d'Amérique.
14. III. BS. Chronique parlementaire (même remarque).
20. III. BS. L ’assassinat de Guillaume I er. Le roi des Hellènes est-il tombé
sous !a balle d'un fou ou d’un socialiste révolté par les atroces bou­
cheries de la guerre P
21. III. BS. Faites ou ne faites pas laRF, çanous est égal...
23. IIL BS. avant le congrès du PSU.
IV. BS. Chronique de la guerre d’Orient (même remarque).
5. IV. VO. La fin des tendances, le congrès socialiste de Brest.
14. IV et suiv. BS. En Belgique (Rosmersuit la grèvegénérale).
20. IV. VO. A travers les livres.
5. 6. 12. 13. 14. V. BS. Les enseignements d'une grève générale (la
grève belge).
12. V. BS. Le patriotisme... budgétaire.
20. V. VO. La grève générale belge.
24. V. BS. Contre la loi de trois ans. Les casernes, foyers de typhoïde et
de tuberculose.
5-20. VI. VO. La grève générale belge.
25. VI. BS. Les 3 ans à la chambre.
V II. BS. Chronique parlementaire (même remarque).
20. V II. VO. La grève des mineurs du Rand.
21. V II. BS. Les 3 ans et la renaissance patriotique.
28. VII. BS. Déchéance capitaliste.
V III. BS. Chronique parlementaire (même remarque).
5. V III. VO. La grève des mineurs du Rand,
14. V III. BS. A. Bebel, le leader socialiste allemand vient de mourir.
21 au 31. V III. BS. Le travail industriel des femmes.
30. V III. BS. Vers la semaine anglaise, une leçon aux patrons français.
31. VIH. BS. Mort de Jules Coûtant.
1 et 5 IX. BS. Pour la Chine. Un appel et un avertissement.
2. 5. 7. 9. 28. IX. BS. Le cas Couriau.
5. X. VO. La conférence internationale de Zurich. Trois journées de
débats.
20. X. VO. L e congrès de Londres.
XI. BS. Chronique parlementaire.
5. XI. VO. Les élections italiennes.
sources et bibliographie 469

Un essai de rénovation dramatique.


Le socialisme jugé par un radical.
6. XI. BS. Un militant américain. W . D. Haywood.
XII. BS. Chronique parlementaire (même remarque).
20. XII. VO. L ’agitation hindoue en Afrique du Sud.
Les socialistes parlementaires contre le syndicalisme.
1914
3. I. BS. Ayons confiance.
5. I. VO. Les contes d’Anderson.
5. III- VO. Solidarity répond à Tom Mann.
20. III. VO. Le coup de force de Botha.
5-20. IV. VO. La grève générale en Nouvelle-Zélande.
5. V. VO. Les élections.
13- V. VO. Un homme dangereux (Le poèteBesson).
20. V. VO. Le règne de Kockcfcllwj. et les uurieuis uu Cuioiado.
La nouvelle chambre et les 3 ans.
5. VI. VO. La protestation internationale contre le coup de force de Botha.
20. VI. VO. Soulèvement général en Italie.
De Viviani à Ribot et retour.
5. VII. VO. La semaine rouge en Italie. Conversation avec Malatesta.
Roger Martin du Gard. Jean Barois.
Une réunion des ligueurs d’Action Française.
5. VII. BS. Le théâtre et la vie.

1915
1. V. Union des Métaux. Numéro établi avec Merrheim.
16 et 17. IX. Golos. Le congrès de Bristol (Signés AR., rédacteur de la
VO.).
26. IX. Golos. Crise anglaise.
3. X. Golos. Keir Hardie.
10. X. Golos. Un budget important.
20. X. Golos. L Angleterre et le Proche-Orient.
I. XI. Lettre aux abonnés de la V O .-l. La conférence de Zimmerwald.
32 p.
10. XI. Golos. Les zones de crises.
1916
29. II. Bulletin de la Commission Socialiste Internationale à Berne. Pro­
jet de manifeste (pour Kienthal, texte de AR et Trotsky).
8. III. Lettre aux abonnés de la VO. 2. La Belgique et le chiffon de
papier. 32 p.
XII. Lettre aux abonnés de la VO. 3. L ’expulsion de Trotsky. 36 p.
1917
V. Lettre aux abonnés de la VO. 4. Trois discours à la chambre des
Communes. 55 p.
VII. Lettre aux abonnés de la VO. 5. Arthur Ransome. Pour la Russie,
lettre à l’Amérique. 32 p.
1919
Préface à 20 lettres de Trotsky. Paris. La Vie Ouvrière- 34 p.
470 alfred rosmer

30. IV. VO. Le départ d’Orlando.


Sadoul et Albert Thomas.
Pour la I IIe Internationale.
7. V. VO. De victoire en victoire.
14. V. VO. La dernière guerre.
L e front bolchevik.
21. V. VO. Et Prinkipo ?
4. VI. VO. Koltchak le démocrate.
18. VI. VO. Un défi, la reconnaissance de Koltchak.
25. VI. VO. Pour la révolution et les révolutionnaires russes.
2. V II. VO. Pour la révolution russe.
Au congrès de Southport.
16. V II. VO. Solidarité ouvrière.
30. VII. VO. Les mineurs anglais et leur action.
6. V III. VO. Dictature démocratique.
A Amsterdam. Une Internationale nationaliste.
13. V III VO. La première restauration. Un archiduc à Budapest.
En Angleterre, Grand complot révolutionnaire.
20. V III. VO. En Angleterre. Gouvernants et gouvernés aux prises.
2. IX. VO. Pourquoi l’Angleterre est à Archangelsk.
10. IX. VO. Les idées dévastées.
La CGT et l’Internationale.
17. IX. VO. Glasgow et Lyon.
L e congrès de Glasgow.
24. IX. VO. Bloc minoritaire.
Les débats (du congrès de Lyon).
1. X. VO. Deux grandes grèves. Notre ami Foster et le Trust de l'Acier.
3. X. VO. Neuf jours de grève générale. Les cheminots anglais.
15. X. VO. En Angleterre. Après la grève.
29. X. VO. Tom Mann élu secrétaire du syndicat des mécaniciens.
5. XI. VO. Un livre de Trotsky : L'avènement du bolchevisme.
26. XII. VO. Les travailleurs anglais devant l'action.
1920
9. I. VO. Les difficultés de la politique du fil de fer barbelé.
Contre le bolchevisme, vers une entente franco-allemande.
30. I. VO. La guerre continue.
6. II. VO. Gouvernants embarrassés.
Bolcheviks et coopérateurs.
13. II. VO. La politique millerandesque.
20. II. VO. Du barbelé à l’abondance.
Lloyd George et les mineurs.
27. U. VO. A Londres.
19. III. VO. Chez les travailleurs britanniques. Action parlementaire
contre action directe.
26. III. VO. L'histoire se répète.
6. IV. VO. Aux USA. Le crime d’être communiste. 10 ans de « Hard
Labour » pour Ben Gitlow.
9. IV. VO. L'indépendance de l'Irlande. Perfidie anglaise.
2. V. VO. Tous du complot (texte collectif de solidarité à Monatte et
aux autres militants arrêtés).
sources et bibliographie 471

1921
A la mémoire de Raymond Lefebure, Lepetit et Vergeat (Collaboration
d’AR à un ouvrage collectif).
X. I. Mouvement Ouvrier International. Pour l’unité syndicale.
28. I. VO. Les trois (lettre de Moscou, datée du 13. XII. 1920, concer­
nant Lefebvre et ses compagnons).
13. III. P. Monatte et AR. Un coup d’œil en arrière. Les Cahiers du
Travail. 37 p. Cette brochure contient : P. Monatte. Lettre de
démission du Comité Confédéral (XII. 1914). AR. I re lettre aux
abonnés de la VO (XI. 1915). Circulaire de lancement de la VO.
nouvelle série (IV. 1919).
. 4. V. Humanité. Le Comité Exécutif de Moscou et le cas Paul Lévi
(texte collectif).
VI. Internationale Communiste. L ’importance et l'utilité du II I e congrès.
VI-VII. Le Phare. Pour l’unité syndicale (Le Phare republie l’article déjà
paru dans le Mouvement Ouvrier International).
AR et Tom Mann. Rede der Genossen Rosmer, Frankreich und Tom
Mann, England mit der auf der ersten Kongress der RG1 angenom-
menen Resolution. Verlag der Roten Gewerkschafts Internationale.
36 p.
I et 8. VII. VO. L ’importance et l'utilité du3° congrès de Moscou.
15. VII. Humanité. Discours au congrès de l’ISR (le 8. VII).
10. IX. ISR. Le congrès de Lille.
15. IX. Bulletin Communiste. Le mouvement syndical français, discours
au congrès de l'ISR.
6. X. Bulletin Communiste. Après le congrès de Lille.
28. X. VO. Après 15 mois de séjour en Russie, Rosmer rentre et nous
donne ses premières impressions.
4. XI, VO. L ’anniversaire des trois.
11. XI. VO. L ’USI et l’ISR.
1. XII. ISR. Italie.
17. XII. Humanité.Une manoeuvre des dirigeants de la CGT.
22. XII. Humanité. L ’ISR, ce qu’elle est, ce qu’elle a fait.
22. XII. Bulletin Communiste. Syndicats et Parti : discussion prématurée.
23. XII. VO. Dans les syndicats de Gompers, les révolutionnaires s’orga­
nisent.
II faut lire les résolutions de l’ISR.
30. XII. VO. L ’ISR au congrès des CSR.

1922
IV-V. /SR. L ’offensive budgétaire contre l’hygiène, l'instruction publique
et les salaires.
16. IV. Humanité. Autour du Front Unique. Les appréhensions de Daniel
Renoult.
20. IV. Bulletin Communiste. La conférence de Berlin : signification et
résultats.
4. V. Humanité. A propos du Front Unique. Une lettre de Clara Zet­
kin.
5. V. Lutte de classes. Moscou, février 1922, première journée.
7. V. Humanité. Réponse « privilégiée ».
9. V. Humanité. Contre le verbalisme révolutionnaire.
20. V. Lutte de classes. Notes.
5. VII. Lutte de classes. Le congrès de Saint-Etienne.
20. VII. Lutte de classes. Notes.
472 alfred rosmer

5. V III. Lutte de classes. Les victoires d’Amsterdam.


Notes.
25. V III. Lutte de classes. Une phase active de la lutte.
5. IX. Lutte de classes. Grève corporative.
Notes.
25. IX. Lutte de classes. La liquidation du réformisme.
5. X. Bulletin Communiste. Réponse à une déclaration (texte collectif).
10, X. Lutte de classes. Syndicalistes et communistes.
Notes.
9. XI. Cahiers Communistes. Au travail (texte collectif).
Pour l’unité communiste Nationale et Internationale (Texte collectif).
7. XII. Cahiers Communistes. Echos du 4e congrès mondial. Discours
d’AR.
14. XII. Cahiers Communistes. Déclaration de la Gauche (Texte collectif).
30. XII. Lutte de classes, Les congrès de Moscou. Notes.

1923
6. I. Humanité. Vers Moscou.
7. I. Humanité. Pour l’unité du Parti dans l’Internationale (Texte collec­
tif).
Le 4e congrès de l'IC.
9. I. Humanité. Du communisme de guerre à la NEP.
22. I. Humanité. Rapport au CN du 21. I. sur la question syndicale.
30. I. Humanité. L ’affaire de Memel.
La Lutte de classes. Un conflit qui ressemble à la guerre.
4. II. Humanité. Dans ïa Ruhr.
5. II. Humanité. Les méfaits de l’occupation.
7. II. Humanité. Pour l'unité du prolétariat (Appel du Comité Directeur).
8. II. Humanité. M. Hoschiller « travaille » dans la Ruhr pour le compte
du Comité des Forges avec la recommandation de Merrheim.
14. II. Humanité. La politique anglaise devant l'occupation de la Ruhr,
15. II. Humanité. L'occupation, c’est la ruine aujourd'hui, c’est la guerre
demain.
A la chambre des Communes.
16. II. Humanité. Sous le règne de Poincaré.
17. II. Humanité. A la chambre des Communes.
18. II. Humanité. Pourquoi les socialistes refusent le Front Unique. La
réponse du Bureau Politique du Parti. Que les ouvriers jugent (Texte
collectif).
21. II. Humanité. Une autre entente cordiale. Mussolini-Poincaré-Stin-
nés.
1. III. Humanité. Dans la Ruhr.
2. III. Humanité. En Belgique comme en France, les mineurs luttent
contre les compagnies et contre les réformistes.
4. III. Humanité. Des défenseurs du Traité de Versailles.
Au service des Soviets.
5. III. Humanité. La guerre de la Ruhr.
6. III. Humanité. Une occasion de réveil.
7. III. Humanité. Poincaré défend.
8. III. Humanité. C'est la faute à Moscou.
La guerre de la Ruhr.
10. III. Humanité. La guerre de ïa Ruhr.
12. III. Humanité. A Bruxelles et dans la Ruhr.
sources et bibliographie 473

14. III. Humanité. Les deux capitalismes s'apprêtent à négocier.


J.6. III- Humanité. Dans la Ruhr.
Les travaillistes dinent chez le roi.
18. 19. 23. III. Humanité. Dans la Ruhr.
26. ïïï. Humanité. Le bilan.
29. 30. 31. III. Humanité. La guerre de la Ruhr.
5. IV. Humanité. Deux congrès, ILP et POB.
7. IV. Humanité. Le voyage de Loucheur.
8. IV. Humanité. Loucheur l’usurpateur.
9 . IV. Humanité. Vers un rapprochement franco-anglais.
13. IV. Humanité. Difficultés.
1 4 . IV. Humanité. Conversations franco-belges.
15. IV. Humanité. Les perspectives s'assombrissent.
1 6 . IV. Humanité. A propos du congrès des usines.
18. IV. Humanité. A la veille du 1er Mai. Front Unique contre la bour­
geoisie. TTrte proposition du PC (Texte collectif).
Dialogue de ministres.
20. IV. La Lutte de classes. Un nouveau sauveur du capitalisme.
26. IV. Humanité. Poincaré-la-Guerre.
27. IV. Humanité. Marchandages. A Berlin et à Lausanne.
28. IV. Humanité. Palais et taudis. A propos d’un mariage royal.
3. V. Humanité. La guerre de la Ruhr.
6. V. Humanité. La réponse à la note allemande.
17. V. Humanité. L e PC à l’Union Socialiste-Communiste (Texte du
Comité Directeur).
19. V. Humanité. Serrons les rangs autour de la révolution russe (texte
du Bureau Politique).
29. V. Humanité. Poincaré osera-t-il sauver le capitalisme allemand ?
(Texte du Bureau Politique).
I. VI. Humanité. Aux soldats de la Ruhr. A la classe ouvrière française
(Texte du Comité Directeur).
6. IX. Bulletin Communiste. L'Internationale d’Amsterdam devant l’occu­
pation de Corfou.
8. IX. Humanité. Homo-Grumbach.
I I . IX. Humanité. Offensive concertée.
13. IX. Humanité. Schlageter.
28. IX. Humanité. Au prolétariat allemand (Texte du Comité Directeur).
25. X. Humanité. Défendons le prolétariat allemand. Lettre ouverte aux
ouvriers socialistes (Texte du Comité Directeur).
7. XI. Humanité. La Russie des Soviets devant le monde.
12. XI. Humanité. La guerre civile en Allemagne (Texte du Comité
Directeur).
8. XII. Humanité. Les élections anglaises. Ecrasante défaite des conser­
vateurs.
9. XII. Humanité. Après la défaite des conservateurs.
12. XII. Humanité. La bataille après le scrutin.
14. XII. Humanité. Le Parti solidaire des Jeunesses (Texte du Comité
Directeur).
17. XII. Humanité. Contre les blocs bourgeois, pour le Bloc Ouvrier et
Paysan. Au PS (SFIO) et à l’Union Socialiste-Communiste (Texte
du Comité Directeur).
474 alfred rosmer

1924
3. I. Humanité. Projet de programme du Bloc Ouvrier et Paysan (Texte
du Comité Directeur).
16. I. Humanité. Aux ouvriers (Texte du Comité Directeur).
2. II. Humanité. Un candidat au prix Nobel.
5. II. Humanité. Politesses.
6. II. Humanité. Les auxiliaires des diplomates.
9. II. Humanité. Illusions réformistes.
11. II. Humanité. Ramsay Mac Donald devant l’impérialisme français.
12. II. Humanité. La question du Rhin.
14. II. Humanité. Le retour à Gênes. Ce que propose Mac Donald.
15. II. Humanité. Pour le Bloc Ouvrier et Paysan. Aux travailleurs socia­
listes (Texte du Comité Directeur).
Le débat des Communes. L ’avertissement de M. Asquith.
15. II. Bulletin Communiste. Réponse à Borel.
17. II. Humanité. L'agitation ouvrière et le gouvernement travailliste.
19. II. Humanité. La grève des dockers immobilise l’industrie et emha­
rasse les travaillistes.
23. II. Humanité. Les communistes et le gouvernement travailliste.
13. III. Humanité. Réponse à Losovsky.
4. IV. Bulletin Communiste. Lettre ouverte du PCF au Labour (Texte
du Comité Directeur, entièrement rédigé par AR.).
22. XI. AR. Monatte, Delagarde. Lettre aux membres du PC. ï. Avant le
congrès de janvier. Quelques documents. 20 p.
1925
I RP (Il s'agit du I er numéro de la RP).
L ’anniversaire de la mort de Lénine.
AR. Monatte et Delagarde. 2e lettre aux membres du PC.
Faits et documents.
II. RP. La légende du trotskysme.
De la « volaille à plumer » au « bonapartisme international ».
Faits et documents.
III. RP. Deux complices : Poincaré-Isvolsky.
Exclusion tardive et discrète.
Faits et documents.
IV. RP. La révolution chinoise et Sun-Yat-Sen.
VI, RP. Eastman. Depuis que Lénine est mort.
V III. RP. Un geste ridicule. Le Comité Central du PCF adresse une
sommation à Trotsky.
Dans TIC. La « bolchevisation » du PC Italien.
X. RP. Réponse à Trotsky (Article d'AR et Monatte, signé par !e Noyau).
La grève générale et les trade-unions.
XI. RP. Faits et documents.
XII. RP. Le fascisme est-il là ?
1926
I. RP. A travers les livres.
II. RP. Le congrès du PC Russe.
La liquidation du « putchisme ».
IV, RP. A propos des souvenirs de Poincaré, plaidoyer d’un criminel.
V. RP. A travers les livres.
Faits et documents.
sources et bibliographie 475

VIIÏ- RP- A travers les livres.


XII- RP- Les problèmes de la révolution russe.
A travers les livres.

1927
1 5 . I. RP. De Ruth Fischer à Sméral.
1 . II. RP. L ’art et Mammon.
A travers les livres.
17. II- RP- La Nuit de Marcel Martinet. Le drame du prolétariat fran­
çais.
1 et 15. III. RP. A travers les livres.
1. V. RP- A travers les livres.
1. A travers les livres.
1. XII. RP. La dictature stalinienne et la liquidation du communisme.
15. XII. RP. A travers les livres.

1928
15. I. RP. René Marchand et le «L iv re noir ».
I. II. RP. Ludlow 1914. Columbine 1927.
15. IV. RP. Sur Upton Sinclair, Le chant de la prison.

1929
25. II. Contre le Courant. Lettre ouverte à H. Barbusse (Texte collectif).
22. III. Contre le Courant. Ordures staliniennes.
16- V. La Vérité. Derrière l’indépendance.
15. V III. La Vérité. Aux ouvriers révolutionnaires.
13. IX. LaVérité. 61e congrès des trade-unions.
20. IX. La Vérité. Ni contre la CGTU, ni contre le PC. Mais contre
une mauvaise direction de la CGTU et du Parti.
La Haye et Genève.
27. IX. La Vérité. La République en danger.
I I . X. La Vérité. Une formule usée : l’autonomie du syndicalisme.
18- X. La Vérité. Vers un nouveau congrès dAmiens ou vers une 3'
CGT ?
25. X. La Vérité. Comment abattre la direction confédérale ?
22. XI. La Vérité. Autonomie syndicale ou bloc anticommuniste ?
13. XII.La Vérité. Devant la menace de scission dans la CGTU.
La Vérité dans le Nord. La scission syndicale est amorcée à Tour­
coing.

1930
17. L La Lutte de classes. Sept mois de gouvernement travailliste.
I. II. RP. A travers les livres.
14. II. La Vérité. La comédie des assurances sociales.
4. IV. La Vérité. Quand les socialistes sont partisans de la violence.
I I . IV. La Vérité. Une nouvelle étape.
18. IV. La Vérité. La préparation du 1er mai-
25. IV. La Vérité. Le 1er mai et les réformistes.
1. V. La Vérité. La grande revendication du 1er mai.
9. V. La Vérité. Pour l’Opposition Unitaire (Texte collectif).
16. V. La Vérité. Derrière l’indépendance.
6. VI. La Vérité. Pour Ercoli et Cie.
476 alfred rosmer

12. IX. La Vérité. Aux communistes chinois et du monde entier (Tejci&=


du Secrétariat International Provisoire de l’Opposition de GaucKir
AR, Landau, Naville).
3. X. La Vérité. Staline et les spécialistes.
10. X. La Vérité. 10 années d’ISR. Les ouvriers devant la crise.
31. X. La Vérité. Devant la crise. Agitation vaine ou travail fécond.

1932
3. II. Le Communiste. La dislocation du Comité des 22.
1. IX. Le Communiste. Conversation avec un professeur rouge.
I. XI. Le Communiste. XVe anniversaire d’octobre ; échéance du plan
quinquennal.

1936
Le mouvement ouvrier pendant ïa. guerre. De l’Union Sacrée à Zimmer-
toald. Librairie du Travail, 588 p.
10. II. RP. Le mouvement ouvrier pendant la guerre, un ilôt, la VO.
XI. AR et H. Modiano. Union Sacrée. 1914-193-. (Cahiers Spartacus) 64 p.
La contribution de AR (36 p.) est un montage de textes tirés de
MO. T. I.

1937
25. III. RP. M. Sadoul et les bandits.

1938
AR. (En collaboration). Not guilty, report of the commission of inquinj
into the charges against Léon Trotsky. New York. 422 p. Il s’agit
de la Commission Dewey.
Préface du recueil de documents de K. Landau : Le stalinisme en Espa­
gne.
AR., Victor Serge, Maurice Wullens. L ’URSS et le crime politique.
L ’assassinat dlgnace Reiss. Tisné. 94 p.
17. III. Lutte Ouvrière. Assez de boue, assez de sang i
III-IV . Quatrième Internationale. Cachin et Mussolini.

1944
Arts Quarterly. Le centenaire du « douanier « Rousseau. Détroit.

1947
IV. RP. La classe ouvrière américaine et le problème de la reconversion.
X. RP. Après le vote de la loi Taft-Hartley.
1948
II. RP. Même Varga.
VI. RP. Une explication de Staline et du stalinisme.
VII. RP. Déchirure dans le rideau de fer.
V III. RP. W . Reuther et le syndicat de l’auto.
IX. RP. La FSM et les américains.
Grande conspiration et grand mensonge.
X. RP. Le 80e congrès des trade-unions.
sources et bibliographie 477

^ XI< BP- Une mise au point sur l’assassinat de Léon Trotsky.


Les ouvriers américains et les élections.
XII- BP. Deux congrès syndicaux américains. Une résolution commune.
Défense contre le stalinisme.

1949
VI- RP- Une année de titisme.
VII. BP- L ’Inde indépendante devant de graves problèmes.
Les annexions de Fadeev.
VIII et IX. RP. Dans l'Internationale.
X. RP. L'Affaire Rajk et après.
A propos du pacte Staline-Hitler.

1950
T,p, CrapouiUot. N° II. La guerre vue de Mexico... et de New York.
IV. RP- Daniel Guérin et l’Amérique.
Notes d’un passant (Italie).
IX. RP. D. Guérin. Où va le peuple américain ?
X. RP. Trotsky à Paris pendant la première guerre.
XI. HP- C. Pissaro. Lettres à son fils Lucien.
1951
I. RP. Pour les 70 ans de Pierre Monatte. II y a 40 ans.
III. V. V II. RP. Livres et revues.
VI. RP. La cogestion en Allemagne.
IX. RP. Natalia Trotsky rompt avec la IV e Internationale.
XII. RP. La paix à Zagreb.

1952
I. RP. Parti, syndicats et Bevan.
Après Zagreb.
II. RP. Naissance et mort de la 3e Internationale. Sur Lazitch et Oura-
lov. Staline au pouvoir.
Elections aux Indes.
Litvinov.
III. RP. Sur Postgate. George Lansbury (1859-1940) ; l’homme et le
socialiste.
A travers le monde.
IV. RP. L ’Amérique devant le stalinisme.
Grande-Bretagne. 5 mois de gouvernement conservateur.
V. RP. Italie.
VI. RP. A travers le monde.
VII. RP. Bevanisme.
Sur l’Allemagne (conférence au Cercle Zimmerwald).
V II-V III et IX. Preuves. John Dewey.

2953
Le mouvement ouvrier français pendant la guerre. T. 2. De Zimmerwald
à la révolution russe. 246 p.
Moscou sous Lénine, les origines du communisme. Préface d’Albert
Camus. 316 p.
Introduction et appendices pour Trotsky. Ma Vie. 650 p.
478 alfred rosmer

I. RP. Un élément du « marxisme-léninisme » stalinien : le tueur.


II. RP. A travers le inonde.
III. RP. La guerre civile d’Espagne vue de la Wilhlemstrasse.
IV. RP. Czar Staline est mort, l’ère des dictateurs.
A Moscou sous Lénine, bonnes feuilles.
V. RP. Livres et revues.
2956
VII. Tempo Présente. Fallimento di una republica. La Francia dopo deci
anni. pp. 297-300.
X. RP. A propos d’Edouard Vaillant, sur le livre de Maurice Domman-
get.
VII-VIII-IX. Bulletin trimestriel du Cercle Tiimmerwald. Lettre aux
membres du PCF (Texte collectif).
1957
VIII. Tempo Présenté. Appareil du Parti et démocratie, lettre à la rédac­
tion. pp. 594-597.
1958
XII. Lettres Nouvelles. Lénine, les bolcheviks et Zimmerwald.
1959
VII. Tempo Présente. Trotsky en Francia, pp. 535-541 (Il s'agit de la
version italienne de la préface d'AR à Trotsky. Journal d'exil).
IX-X. Quatrième Internationale. Trotsky militant parisien.
1960
Introduction à Trotsky. Terrorisme et communisme. 315 p.
Préface et notes à Trotsky. Journal d'exil. 228 p.
1961
II. La Voie Communiste. 40 ans après Tours, note sur la naissance et les
premières années du PCF vues de Moscou et de Paris (extraits de
Moscou sous Lénine).
1962
Durant la guerre impérialiste (Contribution au livre collectif sur Natalia
Trotsky).
IV-VI. Le Mouvement Social. Jaurès (Interview recueilli par M. Rebe-
rioux).

1963
Introduction et notes pour Trotsky. De la Révolution. 654 p.
IX. RP. La révolution permanente (extrait de la préface à Trotsky.
De la Révolution).
1964
VI. Tempo Présente. Il socialismo italiano ai tempi di Zimmerwald (mon­
tage de documents qui figuraient déjà dans MO. Tome II) pp. 1-8.
sources et bibliographie 479

1967
Avant-propos pour Léon Trotsky. Histoire de la révolution russe. Coll.
Politique. 2 vo). 512-768 p.

Marguerite Rosmer, de son côté, a donné quelques articles qu’il convient


de citer ici :
1920
5. XI. VO- Les héros anonymes de la révolution russe.
3 et 17. XII. VO. La mère et l'enfant.

1921
29- X. Humanité. Une tâche urgente pour les femmes.
4. XII. Humanité, Notre train de secours.
1922
8. III. Humanité. Lettre de Russie : sur la famine de la Volga.
15. V. Humanité. Lettre de Tcheliabinsk.
11 et 13. VI. Humanité. A travers la Russie affamée.
16. VII. Humanité. Interview de Marguerite Rosmer à son retour de
Russie.

Témoignages sur Rosmer

Témoignages écrits.
Les uns ont été composés du vivant de Rosmer :
Amédune (Amédée Dunois). Bulletin Communiste. 3. III. 1921. Alfred
Rosmer, souvenirs de jadis et de naguère.
R. Hagnauer. RP. IX. 1957. Alfred Rosmer, un révolutionnaire des
temps difficiles.
Les autres sont nécrologiques :
Voie Communiste. V. 1964. AR. un militant communiste.
M. Bonnet et C. Chambelland. France-Observateur. 14. V. 1964. AR.
P. Frank. U Internationale. V. 1964. AR.
RP. V-VI. 1964. Numéro spécial consacré à AR.
Pierre et Paule Godeau. RP. V. 1965. AR. Intime et exemplaire.
A. Stern. Preuves. V IL 1964. AR., pp. 66-68.

Témoignages oraux.
Nous avons pu rencontrer un certain nombre de proches et de contem­
porains de Rosmer qui ont évoqué pour nous leurs souvenirs et nous ont
souvent communiqué documents inédits, brochures et lettres personnelles.
Avec Mme et Mlle Chambelland, les contacts ont été très fréquents. Nous
avons aussi rencontré Marguerite Bonnet, Mme Camus, Ferdinand Char­
bit, Pierre Frank, Pierre et Paule Godeau, Mika Etchebehere, le Profes­
seur Labrousse, Nicolas Lazarevitch, E. Louzon, Mme Martinet, J.-D.
Martinet, Maurice Nadeau, Pierre Naville, Pierre Pascal.
D’autres ont éludé tout contact.
480 alfred, rosmer

Archives

On ne s’étonnera pas si la trop stricte application de la règle des cin­


quante ans réduit à peu de choses l’utilisation des archives publiques
par rapport à celle des archives d’autre provenance.

Archives privées.

En ce qui concerne notre sujet, c’est à Paris, à l’Institut Français


d’Histoire Sociale et à Amsterdam, à l’Institut International d’Histoire
Sociale que sont rassemblées les richesses essentielles. Nous avons obtenu
de l’Institut du Marxisme-Léninisme à Moscou l’envoi de certains docu­
ments microfilmés. Les fonds que nous avons consultés sont classés ici
par ordre alphabétique.

Brupbacher.
Elles se trouvent à l’Institut d’Amsterdam qui n’en possède d’ailleurs
pas d’inventaire raisonné. Elles sont particulièrement intéressantes pour
la période de guerre et celle où Brupbacher est à Moscou (1922-1924).
Camus.
Quelques lettres de Rosmer.
I. Deutscher.
Madame Tamara Deutscher, nous l’en remercions ici, a bien voulu
nous autoriser à consulter, dans les archives de son mari, ce qui concer­
nait A. Rosmer.
Grimm.
Décisives sur le mouvement zimmerwaldien, elles contiennent notam­
ment les procès-verbaux de Zimmerwald et de Kienthal. L ’Institut
d’Amsterdam qui les détient, en prépare une édition critique confiée au
Professeur Lademacher. On a surtout utilisé la correspondance Grimm-
Merrheim-Grospierre, Grimm-Marguerite Thévenet.

Humbert-Droz.
Le Professeur S. Bahne en dirige la publication exhaustive pour le
compte de l’Institut d’Amsterdam qui en est le détenteur et qui nous a
autorisé à consulter toutes les pièces essentielles. On sait que H.-D. lui-
même en a publié une partie sous le titre Uœ il de Moscou. Paris. 1964.
265 p. (avec la collaboration d’A. Kriegel). Elles renferment une abon­
dante correspondance qui concerne le vaste domaine géographique qui
était du ressort d’H-D. Celui-ci a d’autre part écrit ses mémoires sous le
titre Mon évolution, du tolstoïsme au communisme. 1970. 444 p.
Sarah Jacobs.
Abondante correspondance avec les Rosmer, surtout dans les années
1949 à 1959. On trouve ici les lettres de Rosmer qui complètent les
lettres de S. J. que Ton trouvera dans les Archives de Rosmer.
sources et bibliographie 481

J.-D. Martinet.
Outre une importante série de photos et un portrait de Rosmer sur
son lit de mort par Vladi Serge, elles contiennent un important dossier
sur l’activité du Cercle Zimmerwald (J.-D. Martinet se réservant la pos­
sibilité d’écrire un article sur le Cercle), des coupures de presse, des
lettres reçues à l’occasion de la mort de Rosmer qui permettent souvent
de préciser tel ou tel point de la biographie, plusieurs dizaines de lettres
de Rosmer, de datation et de déchiffrement souvent difficiles.
Merrheim.
Acquises à la mort de Merrheim par l’Institut du Marxisme-léninisme
à Moscou, elles nous ont été communiquées par cet Institut sous forme
de microfilm.
Monatte.
Ces très importantes art'Hiv^s comprennent nne bibliothèque, des dos­
siers de coupures de presse (qui ne sont pas négligeables car on y trouve
des journaux d’accès difficile ou impossible), des lettres enfin. C’est par
centaines que l’on y compte les lettres de Rosmer. Dans nombre de cas,
les réponses de Monatte se trouvent dans les Archives Rosmer et le recou­
pement est possible. L ’échange de correspondance a commencé dès
avant 1913 et s’est poursuivi jusqu’à la mort de Monatte à quelques
interruptions près. Colette Chambelland et Jean Maitron ont publié un
choix significatif de la correspondance Monatte pendant les années de
guerre et de l’immédiat après-guerre sous le titre : Syndicalisme révolu­
tionnaire et communisme. Les Archives de Pierre Monatte. Maspero.
1968. 462 p. Ayant consulté l'intégralité de cette correspondance sous
sa forme manuscrite avant la parution de ce livre, nous donnons nos
références d’après les manuscrits.
Nous avons consulté d’autres dossiers :
— Dossier Merrheim.
— Lettres de Russie (1925-1928) : reçues par Monatte, Rosmer ou leurs
amis les plus proches, ces lettres sont d’une importance capitale pour qui
veut suivre l’évolution de leurs idées sur la réalité russe. Le plus intéres­
sant des correspondants est Pierre Pascal qui joint à l'une de ses lettres
la traduction d’un important texte de Préobrajenski sur le syndicalisme
révolutionnaire français. Guiheneuf-Yvon, Victor Serge et ses amis figu­
rent au nombre des correspondants.
Mougeot.
Ces archives sont déposées chez Colette Chambelland. On y trouve la
correspondance de Mougeot avec Trotsky, Rosmer, Naville et Frank.
Elles sont tout particulièrement intéressantes pour éclairer les causes et
le mécanisme de la rupture entre Rosmer et Trotsky.
Marceau Pivert.
Elles sont déposées aux Archives Nationales sous la côte 22 AS (1 à 3).
L ’autorisation de consulter les quelques pièces concernant Rosmer nous a
été accordée par Daniel Guérin que nous remercions ici.
Rappoport.
Dans la partie des Archives Rappoport qui est déposée à l’Institut
d’Amsterdam, nous avons glané quelques éléments.

31
482 alfred rosmer

Romain Rolland. *4
Les Archives RR. sont conservées par MmeRolland. Les fichie ^
n’étant pas achevés, nous n’avons pu consulter les lettres adressées
Rolland, mais nous avons vu les lettres de Rolland où il est fait allusiô
à Rosmer et l'important passage des Cahiers qui relate 3a visite que
mer, retour d’URSS, fit à Rolland. ,î
Victor Serge,
Plusieurs dizaines de lettres échangées entre Serge, Trotsky, Léon
Sedov, Sneevliet, Nin, Collinet dans les années 36 à 39. Elles sont
actuellement conservées par Colette Chambelland.

Archives d’organisation.

Nous avons pensé tout naturellement à consulter les archives des orga­
nisations auxquelles Rosmer avait appartenu, en particulier, le PCF, l’IC
et l’ISR. A cette fin, nous nous sommes adressé au PCF et à l’Institut du
Marxisme-Léninisme à Moscou. Aucune réponse ne nous ayant été faite,
force nous est d’avouer que nous continuons à ignorer si ces archives
ont été conservées et si elles présentent le moindre intérêt en ce qui
concerne. Rosmer.
Nous avons pu nous appuyer dans certains cas, nous orienter souvent
grâce aux très riches archives de la Fédération CGT des Métaux et de
la Fédération Internationale des Ouvriers sur Métaux (Genève) que nous
nous promettons d’utiliser complètement ailleurs.

Archives publiques.

Archives historiques de l’armée, Vincennes.


Nous y avons effectué un sondage peu fructueux. Si ces archives se
prêtent à merveille aux études d’opinion, elles sont peu utilisables en
ce qui concerne les cas individuels.
Préfecture de Police, Paris.
L ’absence de catalogue n’est qu’en partie compensée par l’extrême
obligeance du personnel des archives. Nous avons consulté, avec des for­
tunes diverses :
Ba/748. Réunions publiques pendant la guerre de 1914.
Ba/896, Commission des étrangers (1916-1917),
Ba/960. Dossier Bertho-Lepetit.
Ba/1 291. Dossier Vergeat.
Ba/1559 à 1 562. Correspondance surveillée des militants pacifistes du
1er semestre 1916 à janvier 1918.
Ba/1558. Comité d'action internationale pour la paix. Comité pour la
Reprise des Relations Internationales, compte rendu des réunions,
en 1916-1917.
Ba/1 626. Dossier Bronstein-Trotsky. Les pièces les plus importantes de
ce dossier ont été publiées par A. Kriegel. Le dossier de Trotsky à
la Préfecture de Police de Paris. Cahiers du monde russe et soviéti­
que. VII-IX. 1963. pp. 264-300.
sources et bibliographie 483

Archives nationales.
La consultation des dossiers dans la série qui nous intéressait (F7) est
umise à autorisation préalable des Renseignements Généraux. Cette
a u t o r i s a t i o n est libéralement accordée en ce qui concerne les documents
intérieurs au 31. XIÏ. 1919. Elle nous a été refusée pour tout ce qui est
postérieur à cette date. Nous avons pu consulter :
f f 12.951. Notes « Jean » (1918-1920).
ff 13.053. Documents généraux sur les anarchistes (1897-1921). Liste
des anarchistes de Paris et de province.
F7 13.058. Groupes anarchistes individualistes (1911-1915).
F7.13.061. Activité des anarchistes, des anarchistes communistes et des
syndicalistes révolutionnaires (1907-1932). .
F7.13.090. Doctrine et propagande communistes (1918-1921)*
F7.13.372. Rapport d'ensemble (559 pages dactylographiées) sur la pro­
pagande pacifiste en France.
F7.13.375. Manifestes et tracts pacifistes (1915-1918).
F7.13.487 et 13.488. URSS, situation intérieure, propagande bolcheviste,
relations avec le PCF (1914-1920).
F7.13.506 et 13.507. L e bolchevisme dans le monde.
F7.13.569. CGT. Procès-verbaux du Comité Confédéral (1916) et du
CDS (1916-1919).
F7.13.572. La CGT et le syndicalisme international (1908-1918).
F7.13.574. Divers sur l'activité de la CGT (1914-1915).
484 alfred rosmer

Jusqu’en 1914, le syndicalisme révolutionnaire


face à la seconde Internationale

On situera Rosmer par rapport an mnnvw.ent anarchiste grâce à J,


MAXTjttUN, Histoire du mouvement anarchiste en France (1880-1914)
Sudel, 1951, 744 p.
On devra recourir aussi à J. Maitron sur les étudiants ESRI : Le
groupe des étudiants ESRI et le syndicalisme révolutionnaire. Mouve­
ment Social, 1964, pp. 3-26.
Cet article ne dispense pas de recourir aux brochures publiées par les
ESRI :
Le socialisme et les étudiants, Paris, Allemane, 1894, 16 p.
Pourquoi nous sommes internationalistes, Allemane, 1895, 36 p.
L. Remy et P. Deuesaixk, Les révolutionnaires au congrès de Londres
23 p. 1896.
Réformes ou révolution, Temps Nouveaux, 35 p. 1896.
L'individu et le communisme, Temps Nouveaux, 1897. 46 p.
Misère et mortalité, Temps Nouveaux, 1897. 38 p.
Comment l'état enseigne la morale, Temps Nouveaux, 1897, 174 p.
Les anarchistes et les syndicats, Temps Nouveaux, 1898, 31 p.
P. L a v r o ff, La propagande socialiste, son rôle, ses formes, Temps Nou­
veaux, 1898, 23 p.
N. Bakounine, La Commune de Paris et la notion de l'état, Temps Nou­
veaux, 1899, 23 p.
La scission socialiste, Humanité nouvelle, 1899. 14 p.
Carlo Cafeebo, Anarchie et communisme, Temps Nouveaux, 1899, 16 p.
N. Bakounine, Les endormeurs, Allemane, 1900, 24 p.
Pierre L a v r o ff, Humanité nouvelle, 1900, 15 p.
et à la série des rapports présentés au congrès ouvrier révolutionnaire
international de 1900 et publiés par les ESRI :
Le tolstoïsme et r anarchisme,. Humanité Nouvelle, 1900, 12 p.
Le communisme et Vanarchisme, Imprimerie Rapide, 1900, 12 p.
La grève générale, Temps Nouveaux, 1901, 32 p.
Antisémitisme et sionisme, Humanité Nouvelle, 1900, 8 p.
Le coopératisme et le néo-coopératisme, Education Libertaire, 1900,
16 p.
Les communistes anarchistes et la femme, Imprimerie Rapide, 1900,
14 p.
Rapport sur la nécessité d’établir une entente durable entre les groupes
anarchistes et communistes révolutionnaires, Libertaire, 1900, 8 p.
sources et bibliographie 485

Sur îa période syndicaliste-révolutionnaire proprement dite, on consul­


tera :
P resse
L'Action Ouvrière. Mensuel, syndicaliste fédéraliste, Union des syndicats
de la province de Liège, 1913-1914.
pe Arbeid, Hollande, syndicaliste révolutionnaire, organe du Secrétariat
National du Travail, Amsterdam, Depuis 1905.
La Battaglia, Italie, Directeur Bianchi, Syndicaliste-électionniste, Salerno,
1912, 3 numéros.
La Bataille Syndicaliste, l w numéro, 27.IV.1911, dernier, 23.X.I915.
La ligne du journal subit le contre-coup des dissensions internes des
syndicalistes révolutionnaires. A l’entrée en guerre, la BS est majo-
pt deviendra Le IScitaille.
Bulletin International du Mouvement Syndical, Publié à Berlin par. le
Secrétariat International des centres nationaux des syndicats ouvriers
(1913-1916), avec éditions française, allemande, anglaise.
Bulletin International du Mouvement Syndicaliste. De juin 1907 au
19.VII. 1914, Syndicaliste révolutionnaire, Directeur C. Cornelissen,
Curieux journal multi graphie, très précieux pour juger de l’extension
internationale que les syndicalistes révolutionnaires entendent don­
ner à leur mouvement.
Cahiers de la Quinzaine, 1900-1936.
Grande Revue, Depuis 1897.
Humanité, Organe du PS Français depuis 1905.
The Industrial Syndicalist, Organe de la Ligue d'Action Syndicaliste de
Mann et Browman, Hostile à la scission des syndicalistes, 1910-1911.
The Industrialisé, Organe de lTndustrialist League, Favorable à la scis­
sion des syndicalistes, 1908 à 1912.
L ’Internazionale, Italie, Syndicaliste révolutionnaire, Directeur De Am­
bris, 1911-1921.
Industrial Worker, IW W de Seattle, Washington, Chicago, Avril 1916-
mai 1918.
Pages Libres, l or numéro, 5.1.1901, dernier 2.X.1909. Fusionne alors
avec la Grande Revue.
La Révolte, Organe communiste-anarchiste, Du 17.X.1887 au 18.111.
1894, Fait place aux Temps Nouveaux.
La Révolution, Syndicaliste révolutionnaire, Quotidien, 1OT numéro, l.II-
1909, dernier, 28JII.1909.
Revue Syndicaliste, Tendance réformiste, Directeur A. Thomas, l 81- numé­
ro, 15.V.1905, fusionne en 1.1910 avec la Revue Socialiste et devient
La Revue Socialiste, Syndicaliste et Coopérative qui dure jusqu’au
15.VI.1914.
Solidarity, IW W , 1912-1914.
Temps Nouveaux, 1er numéro 4.V.1895, dernier 8.VIII.1914. Edition
spéciale 9.X.1910, numéro spécial 8.11.1912, paraît avec un supplé­
ment littéraire. Fait suite à La Révolte.
La Vie Ouvrière, Directeur P. Monatte, 1er numéro 5.X.1909, dernier
2 0 .V II.1 9 1 4 , B i-m e n s u e l.
Les DES de Ph. Bossis, L'influence de la BS et de la V O sur le syndi­
calisme révolutionnaire (Paris 1961) et de J.-A. Toumerie, Monatte
et la VO (1909-1914) (Paris, Droit, 1963), sont loin d'avoir épuisé
486 alfred rosmer

l’étude de cet organe essentiel à la compréhension du syndicalisme'


révolutionnaire.
La Voix du Peuple, Journal oflBciel de la CGT, Organe syndicaliste parais-?
sant le dimanche, 1 er numéro 1.XII.1900, dernier 3.VIII.1914.

C onférences syndicales internationales

Tendance syndicale réformiste.


En 1936 a été publiée une Liste complète des publications de la Fédé­
ration Syndicale Internationale, 20 p.
Les congrès de Copenhague (1901) et Stuttgart (1902) font l'objet dune
brochure de 1 1 p. slnd.
Pas de publication des réunions de Dublin (1903) et Amsterdam (1905),
Puis, de nouvelles brochures sur Christiania, 1907 ( 1 2 p. slnd) ;
sur Paris, 1909 (14 p. slnd, en allemand).; sur Budapest, 1911 (30 p”
1911, si, en allemand) ; sur Zurich, 1913 (1913, si. 67 p.).
Le secrétariat de Berlin (Secrétariat International des Centres Nationaux
Syndicaux) publie annuellement de 1903 à 1912 un Rapport Inter­
national sur le Mouvement Syndical.
Tendance syndicaliste internationale.
La Conférence de Londres (1913) n'a pas encore donné lieu à recherches
approfondies et nous n'avons pu en trouver de compte rendu.
C'est par la lecture des archives d'une importante fédération interna­
tionale d’industrie, celle des métallurgistes (FIOM, Genève) que l’on peut
le mieux se faire une idée de l'opposition internationale des tendances.
Nous nous permettons de renvoyer à notre article : Métallurgistes fran­
çais et métallurgistes allemands. Leurs rapports dans le cadre de la Fédé­
ration Internationale des Ouvriers sur Métaux (FIOM) de 1890 à 1939.
Bulletin de la Faculté des Lettres de Strasbourg. III.1968, pp. 595-612.
F rance
Nous n'avons pas tenté de dresser une bibliographie du syndicalisme
révolutionnaire, mais nous avons mentionné les ouvrages essentiels à sa
compréhension ainsi qu’à la compréhension des luttes de tendances qui
séparent socialistes, syndicalistes réformistes, Jsyndicalistes révolution­
naires et anarchistes.
Une première approche sera donnée par le DES de C. Chambelland,
La Grève Générale, Paris, 1952, 194 p. ainsi que par H. D u b î e f , Le
syndicalisme révolutionnaire, 1969, 320 p. qui regroupe commodément
des textes. •
Une vue d’ensemble de l’affrontement des tendances syndicales est
donnée par Les tendances syndicales. Conférences, Bruxelles, lmp. Urdal,
sd (1911). 46 p. Jouhaux traite du syndicalisme français (pp. 1-27), J.
Sassenbach du syndicalisme allemand (pp. 29-46).
On consultera également :
A. B o u r c h e t , A u lendemain de la grève générale, lmp. de la Presse,
sd, 16 p.
F. C h a l l a y e , Syndicalisme révolutionnaire et syndicalisme réformiste,
Alcan, 1909, 156 p.
C o m p é b e - M o r k l et G h e s q u i è r e , L ’action syndicale. Discours à la Cham­
bre 2.XII.1911, Lille, 1911, 32 p.
sources et bibliographie 487

^ G ir a r d et M. P ierrot, Le parlementarisme et l’action ouvrière, Temps


Nouveaux, 1912, 15 p.
G r iffu e lh e s , ,
Le syndicalisme révolutionnaire 1909, La Publication
sociale, 28 p.
G r i f f u e l h e s , L'action syndicaliste, Rivière, 1908, 68 p.
G r if f u e l h e s , Voyages d'un révolutionnaire, impressions d'un propa­
gandiste, 1911, 60 p.
G r i f f u e l h e s et N i e l , Les objectifs de nos luttes de classes. (Préface de
G. Sorel), sd, La Publication Sociale, 64 p.
J a u r è s, L ’action syndicale et le Parti Socialiste. Discours. 1912. L ’Huma-

nité, sd, 16 p.
H. L agardelle, Syndicalisme et socialisme, 1908, 64 p. (ouvrage collec­
tif, avant-propos de HL.).
H. L agardelle, Le socialisme ouvrier, Girard et Brière, 1911, 424 p.
P. L e r o y -Be a u l ï e u , L ’éventualité d'une révolution syndicaliste. Revue
des Deux Mondes, 1.XII. 1910, pp. 573-605.
P. Louis, Le syndicalisme européenT Alcan, 1914, 311 p.
M£®meix, Le syndicalisme contre le socialisme, Ollendorf, 1907, 322 p.
E. P a t a u d et E, P o u g e t , Comment nous ferons la révolution, Taillan­
dier, 1909, 298 p.
E. P o u g e t , L'action directe, sd, La Guerre Sociale, 28 p .
E. P ouget, Les bases du syndicalisme, sd, Bourse du Travail, 24 p.
E. P o u g e t , Le parti du travail, Nancy, Le RéveilOuvrier, sd, 28 p.
E. P o u g e t , Le syndicat, Nancy, Le RéveilOuvrier,sd,24 p.
E. Pouget, La CGT, 1908, 64 p.
E. P o u g e t , Le sabotage, 1912, 68 p.
E. P ouget, L'organisation du surmenage, 1914, 71 p.
L. T o r t o n , Syndicalisme et révolution sociale, Londres, 1913, 24 p.
A. Z e v a e s , Le syndicalisme contemporain, Lib. scientifique et philosophi­
que, sd, 358 p.

G r a n d e -Br e t a g n e
Clegg, F o x , T h o m p so n , A history of British Trade-Unionism since 1889,
t. I, 1889-1910, Oxford Univ. Press, 597 p.
Hostiles au syndicalisme révolutionnaire.
Trades Union Congress Reports :
42e, Ipswich, septembre 1909. London, Coopérative printing society,
1909, 206 p.
43®, Sheffield, septembre 1910. London, Coopérative printing society,
1910, 220 p.
44e, Newcastle, septembre 1911. London, Coopérative printing society,
1911, 280 p.
45*, Newport, septembre 1912. London, Coopérative printing society,
1912, 312 p.
46e, Manchester, septembre 1913. London, Coopérative printing society,
1913, 368 p.
B. et S. W e b b , Examen de la doctrine syndicaliste, Librairie du Parti
Socialiste, 1912, 63 p.
Sur les fabiens, voir un témoignage français d’époque : E. P feiffer , La
société fabienne et le mouvement socialiste anglais contemporain,
1911, 172 p.
488 alfred rosmer

Tendance syndicaliste révolutionnaire.


Hostiles à la scission syndicale :
G . B o w m a n , Syndicalis-m ; its basis, method-S and ultimate aims, London
1913, 16 p.
Tom M a n n , Memoirs, London, 1923, 334 p.
Sur T. M a n n , consulter Torr Don a, TomMann, London, 1938, 48 p. et
Tom Mann and his times, t. I, (jusqu’en 1890), London, 1956, 356 p.
L'ouvrage est inachevé.
Sur le « nouveau syndicalisme », voir E. J. Hobsbawn, Considérations
sur le « nouveau syndicalisme » (1889-1926), Mouvement Social,
X-XIM968, pp. 71-80.
Sur la constitution progressive du Labour Party, voir : F . B e a l e y et H .
Pellin g, Labor and politics (1900-1906). A history of the Labour
Représentation Committee, 1958, 314 p,
Belgique
Sur là grève générale de 1913 ; La grève générale en Belgique (avril
1913), Alcan, 1914, 302 p. Ouvrage collectif.
et u n e étu d e réc en te ; M. L e e b m a n , « L a p ra tiq u e d e la grè v e gé n é ra le
dans le m o u v e m en t o u v rier b e lg e ju sq u ’en 1914 », Mouvement
Social, 1967, p p . 41-62.
Sur Jacquemotte, voir le recueil d’articles publiés par la Fondation
Jacquemotte, Une grande figure du mouvement ouvrier belge, J.
Jacquemotte, Articles et interpellations parlementaires (1912-1936),
1961, 239 p.
U.S.A.
Sur les IW W :
P. F. Brissenden, The IW W , a study of american syndicalism, 1920,
438 p.
P. A ubeky, « Les IW W , rebelles du syndicalisme américain », Revue
d’histoire économique et sociale, 1954, pp. 413-436.
et « les IW W dans l'œuvre d’Upton Sinclair », Revue Socialiste,
1956, pp. 1-20,
Le texte de base est ; IW W , Preamble and constitution. Amended 1906,
1907 and 1908. Ratified by referendum vote, sd, 31 p.
Sur Haywod, Bill Haywood’s book : an autobiography, New York, 1929,
368 p.
Sur la question tactique.
Hostiles à la scission syndicale : E. C, F ord et W. Z. F oster, Syndica­
lism, sd (postérieur à 1912), 47 p.
Favorable à la scission : Erre®, « Lettre ouverte à Tom Mann », Temps
Nouveaux„ 9, VI, 23.VI.1914.
A llemagne
F. Kater, The tendency of the Free Association of German Trade-
Unions, 1904, 8 p.
Programme de VU mon libre des syndicats allemands, décidé au V2/e
congrès (avril 1906), Maison des Fédérations, 8 p.
sources et bibliographie 489

1914-1924. Origines et débuts de la IIP Internationale

En dehors de la presse dont l’apport ne se dément pas tout au long


de la période et qui concerne toutes les questions, trois ordres de pro­
blèmes doivent retenir notre attention : l’affrontement des tendances
pendant la guerre, la réalité russe et les organisations internationales
issues de la révolution de 1917 (Internationale Communiste et Interna­
tionale Syndicale Rouge).

Pr e sse

Action Socialiste, Organe de la droite du PS, Directeur Cachin/ 1916-


1917.
Avanti, organe du PS Italien, 1897-1918.
La Bataille Syndicaliste qui devient le 5.X.1915 La Bataille, organe des
majoritaires de la CGT.
Bulletin du Bureau d’information de la 3e Internationale Communiste,
Bi-mensuel. Petrograd, 1er numéro 20.11.1920-
Bulletin de la Commission Socialiste Internationale à Berne, 6 numéros
de 1915 à 1917.
Bulletin Communiste, organe du Comité de la 3e Internationale puis du
PC (SFIC), 1er numéro 111,1920, devient hebdomadaire après le
8.V.1920. Le 26.X.1922 paraissent deux numéros 43, celui du Centre
avec un éditorial de Frossard, celui de la Gauche avec un éditorial
de Souvarine et le titre : Bulletin Communiste International, fondé
par le Comité de la 3* Internationale. Souvarine renonce à ce titre
pour fonder les Cahiers Communistes. Le 28.XII.1922, la Gauche
reprend le contrôle du Bulletin Communiste. Fin 24, il se transforme
en Cahiers du Bolchevisme.
Bulletin International des Syndicalistes Révolutionnaires et Industria­
listes, publié par le Bureau d’organisation de la Conférence Syndi­
caliste Internationale de Berlin, 3 numéros (16.VI à V III.1922).
Cahiers du Bolchevisme, succèdent, fin 1924 au Bulletin Communiste.
Cahiers Communistes, commencent à paraître ïe 9.XI.1922 quand la Gau­
che est évincée des postes au Bulletin Communiste. Direction Sou­
varine. Fin de parution le 21.XII.1922 quand l’arbitrage du IVe
congrès de l’IC en faveur de la Gauche rend à celle-ci le contrôle
du Bulletin Communiste.
490 alfred rosmer

Le Communiste, Organe du PC de Péricat. 5 numéros, du I.X I.I 9 1 9


au 14.XII.1919, devient Le Soviet.
La Correspondance Internationale, revue de ITC, paraît environ trois
fois par mois de septembre 1921 à 1939.
Daily Citizen, son intérêt pour nous est qu’il passe des textes de l’ILP
1912-1919.
Demain. Mensuel. Genève. Janvier 1916 à octobre 1918. Directeur H.
Guilbeaux.
Ecole Emancipée, paraît depuis 1910, mais nous intéresse surtout pour
la période de guerre. Après le 31.X.1914, devient L'Ecole. A partir
du 25.IX.1915, devient L'Ecole de la Fédération, redevient L ’Ecole
Emancipée le 25.X.1919.
Golos (La Voix). 1er numéro 1.IX. 1914, jusqu’au 16.1.1915. Devient Na~
ché Slovo (Notre Parole). 1er numéro 29.1.1915, jusqu’au 15.IX.
1916. Devient Natchalo (Le Début). 1er numéro 30.IX. 1916 jusqu’au
24.111.1917. Devient Novaïa Epokha (Ere Nouvelle). 1er numéro
5.IV.1917 jusqu'au 3.V.1917. C’est l’organe des émigrés russes de
Paris, avec comme principaux collaborateurs Trotsky et Martov.
La Guerre Sociale, Directeur Hervé. Quotidien pendant la guerre. Devient
le 1.1.1916 La Victoire.
L'Humanité, organe du PS puis du PC.
Information Ouvrière et Sociale. Défend le point de vue des majoritaires
de la CGT, 1er numéro 7.III.1918. Changement de titre le 6.1.
1921, devient L ’Information Sociale, Action syndicale, organisation
du travail, évolution économique, dure jusqu’en 1935.
International Socialist Review. USA, Chicago, 1900-1918.
L'Internationale. Tendance Péricat. De 11.1919 à IX. 1919. Remplacé
par Le Communiste.
L ’Internationale Communiste, journal mensuel de l’IC, paraît à Moscou
en quatre langues de IV.1919 à 1939.
L'Internationale Syndicale Rouge, organe de l’ISR. Pas de numéro I,
Numéro 2.10.IX.1921 jusqu’en 1934. Absorbé par Correspondance
Syndicale Internationale.
I.S.R. Bulletin bi-mensuel. Edité par le Bureau de l’ISR pour les pays
latins en supplément au journal La Vie Ouvrière de III.1923 à V.
1927. Devient le 15.X.1926 : I.S.R. Bulletin bi-mensuel publié par
le secrétariat international de la C G TU .
Journal de Genève, quotidien. Des suppléments particulièrement impor­
tants.
Justice. Directeur Hyndman. 1884-1925.
Labour Leader, organe de 1TLP. X.1891 à 28.IX.1922.
The Liberator. USA. III. 1918 à X-1924. Succède à Masses.
Le Libertaire. Anarchiste. Supprimé en VI.1914, reparaît le 26.1.1919.
Un numéro clandestin de VI.1917 dans Archives de la Préfecture de
Police. Ba 1494.
La Lutte de Classes (puis/ou de Classe). Bulletin bi-mensuel de l’ISR.
96. Quai de Jemmapes. Rédaction Godonnèche, Rosmer, Tommasi,
Tourette. Annoncé par L ’Internationale Syndicale Rouge de II-III.
1922 : Le Bureau Exécutif de l'ISR décide « de faire paraître pro­
chainement en France un Bulletin qui ne sera pas un organe politi­
que, mais qui développera cependant une campagne énergique
contre l’idéologie anarchiste et contre tous les mensonges débités
contre l’ISR par les anarcho-syndicalistes français ». 1er numéro
5.V.1922 à 11.1933.
sources et bibliographie 491

Masses. USA. Dir. Max Eastman. 1911-1917. Devient The Liberator.


Le Matin, quotidien, depuis 1884.
M ou v em en t Ouvrier International. Bulletin du Conseil International
Provisoire des Syndicats Ouvriers, 1er numéro, Moscou, 1.1921. De­
vient immédiatement UInternationale Syndicale Rouge.
New Review, USA, 1913-1916, fusionne avec Masses.
La Nouvelle Internationale, journal des ouvriers socialistes et interna­
tionalistes, Genève, 1917 à 1921.
Le Petit Parisien, quotidien depuis 1876.
Le Peuple, organe des majoritaires de la CGT, 1er numéro 4.1.1921
jusqu'en 1939.
Le Phare, éducation et documentation socialistes. Directeur J. Humbert-
Droz, 1er numéro 1.IX.1919. Au N° 13, le sous-titre devient :
éducation et documentation communistes.
Le Populaire, Directeur Longuet. Revue jusqu'en avril 1918, puis quo­
tidien.
Le Populaire du Centre, organe de la fédération de Haute-Vienne du
PS. Devient en 1916, Le Populaire.
Ver Revoluzzer, Suisse, 1915, Directeur Brupbacher.
Eï Socialista. PS Espagnol. Majoritaires. Depuis 1887.
Le Socialiste. PS. Majoritaires. Depuis 1885.
Le Soviet.IÏI.1920 à V.1921, remplace Le Communiste quand le PC
fondé par Péricat devient une fédération de soviets.
Le Syndicaliste Révolutionnaire, 1992, journal de la tendance syndica­
liste « pure » de la CGTU. Publié « sous le contrôle du Comité
Central des CSR » du 22.XII.1921 à 6-12.IV.1922, hebdomadaire.
Administrateur-gérant Vallet.
Le Temps, quotidien. Source indispensable, mais que sa masse même
rend difficilement utilisable. Les tables analytiques du T emps ne
sont pas encore disponibles pour cette période.
Les Temps Nouveaux. Anarchiste. Arrêt le 1.VTIL1914. Reprend (nou­
velle série) du 15.VII.1919 à VII.1921.
Union des Métaux, organe de la Fédération CGT des Métaux de 1909
à 1939.
Voix du Peuple, bulletin intérieur de la CGT. Majoritaire.
La Vie Ouvrière, nouvelle série, 1919-1939. Directeur Monatte, puis
Monmousseau à partir de 1.1922.

L ’affrontement des tendances pendant la guerre

Parmi lés premiers textes dénonçant la guerre, il y a ceux de Romain


Rolland. Parus dans Le Journal de Genève, ils sont publiés en brochure
en France — par Rosmer d’ailleurs.
Au-dessus de la mêlée, Paris, L ’émancipatrice, 1915, 32 p.
Jaurès, Paris, 1915. La Publication Sociale, 16 p.
L e Journal des années de guerre de Rolland (1952, 1912 p.) permet de
suivre ses relations avec les pacifistes. Un index facilite la consultation,
mais on prendra garde à l’emphase littéraire de Rolland et à sa ten­
dance à s’imaginer le centre du mouvement contre la guerre.
Le Courant minoritaire international.
L ’ouvrage fondamental est la publication de textes que l’Institut
d’Amsterdam a confiés à H. L ademacher, Die Zimmerwalder Bewegung,
492 alfred rosmer

2 tomes, Mouton, 1967 ; t. I : Protokolle, 644 p. ; t. 2, Korro^i


pondenz, 757 p.
Sur Zimmerwald :
CRRI. Conférence socialiste internationale. Zimmerwald (Suisse. 5_g.
IX .1915). Pourquoi nous sommes allés à Zimmerwald, sd, Impri­
merie spéciale des Métaux, 32 p. ’
Sur Kienthal : '
CRRI, La deuxième conférence socialiste internationale de Kienthal, 64 p
1916. Imprimerie du CRRI, Préface de R. Grimm.
Sur Stockholm :
Comité Organisateur de la conférence socialiste internationale de Stock­
holm, Stockholm, 1918, 542 p.
CRRI, Pour l’action (3 documents). 1er Manifeste de la 3E conférence de
Zimmerwald, sd, (1918).
Une des premières vues d’ensemble sur le mouvement zimmervvaldipn
pratiquement ccntcmpovaiiie de l’événement est celle de Jean
M a x e , De Zimmerwald au bolchevisme ou le triomphe du mai'xisme
pangermanisme. Essai sur les menées internationalistes pendant la
guerre (1914-1920), Paris, Bossard, 1920, 237 p. Son titre donne
une idée suffisante de sa tendance.
La plus récente est celle de J. Humbebt-Dboz, Der Krieg und die
Internationale. Die Konferenzen von Zimmerwald und Kienthal
Vienne, 1964, 262 p.
Sur l’attitude des Russes, il faudra analyser la position de Trotsky et
aussi celle de Lénine et Zinoviev : Contre le Courant, t. I, 1914-1915,
287 p. ; t. II, 1915-1917, 286 p., Paris, Bureau d’Editions, 1927
(on prendra garde à la date de parution).
La France
L ’ensemble du mouvement ouvrier français pendant la période fait
l’objet de la thèse d’A. K r i e c e l , A u x origines du communisme fran­
çais (1914-1920), Mouton, 2 vol., 1964, 995 p. qui donne une abon­
dante bibliographie de la question. Nous ne retiendrons ici que les
articles postérieurs et les titres essentiels.
JEtudes.
A. K b e e g e l , « Août 1914, Nationalisme et internationalisme ouvrier »,
Preuves, mars 1967.
« Sur les rapports de Lénine avec le mouvement zimmerwaldien français. »
Cahiers du monde russe et soviétique, 1962, pp. 299 à 306.
Y. Delaunay, La CG T durant la l re guerre mondiale, DES Paris,
1950, 201 p. . ■
Christiane M o rel, Recherches sur le mouvement syndicaliste français à
Paris et dans la Région Parisienne en 1917-1918, DES, Paris, 1958,
198 p.
Max Gallo , « Quelques aspects de la mentalité et du comportement
ouvrier dans les usines de guerre (1914-1918) », Mouvement Social,
juillet-septembre 1966, pp. 8-34.
G. P e d b o n c i n i , Les mutineries de 1917, 1968, 328 p.
Réunions de la CGT :
1915
Conférence nationale des fédérations, des unions, des bourses du travail.
Paris 15.VIIL1915 (Voir L ’Union des Métaux. V-XII.1915).
sources et bibliographie 493

)1916
Conférence nationale... Paris 24-25.XII.1916 (voir La Bataille. 24, 25,
26.XII.1916).
1917
Conférence nationale... Clermont-Ferrand 28-2S.XII.1917. Compte rendu.
Maison des Syndicats, 1919, 357 p.
1918
Congrès des minoritaires à Saint-Etienne (19-20.V.1918), voir Le Popu­
laire, 21.V.1918.
XIXe Congrès national corporatif (XII* de la CGT)... Paris. 15-18.V IL
1918, 308 p.
Compte rendu... du CCN... Paris. 15-16.XII.1918, 133 p. 1919.
1919
XXe Congrès national corporatif (X IV e de la CGT)... Lyon. 15-21.IX.
1919, 1920, 166-422 p.
1920
XXIe Congrès national corporatif (XVe de la CGT)... Orléans. 27.1X au
2.X.1920, 1920.67-15-486 p.
1921
XXIIe Congrès national corporatif (XVIe de la CGT)... Lille. 25-30. VII.
1921, 1921, 45-18-406 p.
Congrès minoritaire (dit Congrès Unitaire Extraordinaire) 22-24. XII.
1921. Voir VO 30.XII.1921.
Position des majoritaires.
Léon Jotjhaux, A. h Jaurès, Discours prononcé aux obsèques de J.
Jaurès, Paris, La Publication Sociale, 1914, 16 p.
La majorité confédérale et la guerre, Paris, Imprimerie Nouvelle, 1916,
45 p.
Tendance minoritaire.
Le CRBL
Il a publié un certain nombre cle tracts, par exemple :
Après 18 mois dinertie...
La guerre atroce, en se prolongeant indéfiniment...
Et aussi des brochures :
La révolution russe et le devoir socialiste, 1917, 2 p.
Qui a entraîné la France dans la guerre ? Fédération des Métaux, sd,
19 p.
Les socialistes de Zimmerwald et la guerre, 32 p.
Le socialisme et la guerre, 32 p. févr. 1917.
Pour ïaction (3 documents). 1° Manifeste de la 3e conférence de Zim­
merwald. 2° Les événements de Russie. 3° La réponse de Trotsky
au groupe socialiste parlementaire, sd, 23 p.
L ’action de la majorité confédérale et la conférence de Leeds, 1917,
40 p.
La section syndicale du CRRI a publié : Aux organisations syndicales, à
leurs militants, 1916, 16 p. et sa section socialiste Organisation et
action de la section, mars 1917, 8 p.
Les militants minoritaires.
H . B r io n , Déclaration lue au premier conseil de guerre, le 29 mars
1918, La Cootypo, 1918, 19 p.
494 alfred rosmer

M. C a p y , Une voix de femme dans-la mêlée, Ollendorff, 1916, 155 p.


G. D u m o u l in ,Les syndicalistes français et la guerre, Avenir International
1918, 26 p. V
G. D u m o u l i n , Carnets de route,Lille, L ’Avenu-, 1938, 320 p.
H. G uelbjeaux , Le mouvementsocialiste etsyndicaliste français pendant
la guerre, Préface de Lénine, Pétrograd, Editions de TIC, 19iç>
68 p. ’
R. L e k e b v b e , L ’éponge de vinaigre, Clarté, 1921, 80 p.
Marcel M a r t i n e t , Les Temps maudits, Genève, Demain, 1917, 120 p. çj.
Paris, Olendorff, sd (1919), 138 p.
M. et F. M a y o u x , Les instituteurs syndicalistes et la guerre, Dignac 25
V-1917, 16 p. ’
M . et F. M a y o u x , Notre affaire, L ’Avenir Social, 1918, 24 p.
P. M o n a t t e , Pourquoi je démissionne du Comité Confédéral, déc. 1914
2 p.

Connaissance de la réalité soviétique

Ce qui nous importe ici, ce n’est pas tant la situation réelle en URSS
que Tidée que peuvent s’en faire les militants français par les publica­
tions diverses. Ouvrages et brochures des membres les plus influents de
TIC, Lénine et Trotsky, d’observateurs favorables ou hostiles, contribuent
pour une part décisive à former et à faire évoluer l’opinion ouvrière
française par rapport à l’URSS. Nous les avons classés par ordre chrono­
logique de parution.
On ne s’étonnera pas de retrouver chaque année le nom de Lénine.
Si nous avons ainsi dispersé ses ouvrages, c'est sciemment. Us n’ont
d’influence qu’à partir du moment où ils sont diffusés. Nous n'ignorons
pas cependant que la lecture de Lénine se fait plus commodément dans
ses Œuvres Complètes. La meilleure édition est celle de Paris, 1928.
Editions Internationales. Mais elle est relativement rare. La plus facile
d’accès est celle des Editions en Langues Etrangères de Moscou-Editions
Sociales (Paris, 1960, 38 volumes prévus, inachevée). Les éditions alle­
mandes et anglaises en 39 volumes sont complètes. Malheureusement, les
passages délicats subissent des variantes de traduction. Dans ces cas, il
faudra se reporter aux premières éditions en langue française que nous
donnons justement ici.
1918
Hermann G ô r t e r , La révolution mondiale, Ed. Socialistes, 76 p.
L é n i n e , Les problèmes du pouvoir des soviets, Paris, 44 p.
L é n i n e , La tâche des représentants de la gauche de Zimmerwald dans
le Parti Socialiste Suisse, Genève, Ed. Nouvelle Internationale, 16 p.
T r o t s k y , De la Révolution d’Octobre à la paix de Brest-Litovsk, Demain,
Genève, 160 p.
1919
C. A n e t , La révolution russe, Payot, 4 vol., 332-281-245-280 p.
M. B o k a n o w s k j , Bolchevisme et misère, ïmp. Centrale de la Bourse,
24 p.
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ou destruction des syndicats ouvriers. Pierre P a s c a l , Les résultats
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G. L a n s b u r y , Ce que fai vu en Russie, Ed. d e l’Humanité, 163 p.
V. I. L énine, Une grande initiative. L'héroïsme des ouvriers qui ne sont
pas au front. Les samedis communistes, Ed. du CE de ITC, 24 p.
V. 1. L é n in e , La situation internationale et la tâche de la 3 e Internatio­
nale, Ed. du CE de l’IC, 19 p.
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L. N a d e a u , En prison sous la terreur russe, Hachette, 248 p .
Baron B. N o l d e , Le règne de Lénine, Bossard, 191 p.
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496 alfred rosmer

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avec préface de Rosmer, Paris, 1963, 316 p.
Léon T r o t s k y , Pétrograd 1917-1919, Pétrograd, Ed. de TIC, 16p . Deux
articles de Zinoviev et de Trotsky publiés à l'occasion du 2e anni­
versaire de ïa révolution d’octobre.
Léon T r o t s k y , Les soviets et l’impérialisme mondial, Lib- d e L ’Huma­
nité, 32 p.
Léon T r o t s k y , Le terrorisme, Lib. d e L ’Humanité, 24 p.
Léon T r o t s k y , L'avènement du bolchevisme, Paris, Chiron, 144 p.
G. Z i n o v i e v , La Commune de Paris, Pétrograd, IC, 121 p.
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Max H o s c h h x e r , Le mirage du soviétisme; Pnynt, 9.63 p. Préface Je
Merrheim.
R. Labry, Autour du bolchevisme, La Roche-sur-Yon, 271 p.
L é n i n e , La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, Bib. Commu­
niste, 123 p.
Mauricius, A u pays des soviets. 9 mois daventure, Figuières, 343 p.
O sshp- L o u r i e , La révolution russe, Rieder, 125 p.
P. P a s c a l , En Russie rouge, Ed. de l’IC, 74 p.
B. R u s s e l , La pratique et la théorie du bolchevisme, La Sirène, 207 p.
Victor S e r g e , Les anarchistes et Texpérience de la révolution russe,
Lib. du Travail, 46 p.
T r o t s k y , La Commune de Paris et la Russie des soviets, Lib. d e l’Huma­
nité, 36 p.
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Civique, 171 p.
1922
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Dunois, Lib de l’Humanité, 110 p.
A. L o s o v s k y , Les syndicats et la révolution, Lib. du Travail, 61 p.
A. L o s o v s k y , Les syndicats russes et la nouvelle politique, L i b . d u Tra­
vail, 63 p.
R . M a r c h a n d , La condamnation d’un régime, Lib. d e l’Humanité, 153 p.
G. M onmousseau, La dictature du prolétariat, Ed. de la VO, 32 p .
A. M o r i z e t , Chez. Lénine et Trotsky. Moscou 1921, Renaissance du
Livre, 300 p., Préface de Trotsky.
P e l l e t i e r (doctoresse P .), Mon voyage aventureux enRussie- commu­
niste, Giard, 218 p.
J. Sadoul, 40 Lettres, Lib. de l’Humanité, 126 p.
J. S a d o u l , Les SR et Vandervelde, Lib. d e l'Humanité, 61 p.
T r o t s k y , Nouvelle étape, Lib. d e l’Humanité, 144 p .
T r o t s k y , Entre l’impérialisme et la révolution. Les questions fondamen­
tales de la révolution à la lumière de l’expérience géorgienne, Lib.
de l’Humanité, 180 p.
E. V a r g a , La dictature du prolétariat, Lib. d e l’Humanité, 201 p.
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Russe), Moscou, Ed. du CE de l'IC, 7 p.
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face de Voline, Librairie Internationale, 421 p.
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l’Humanité, 375 p.
A. Colom er, Préface à Répression de I’anarchisme en Russie soviétique ,
Librairie Sociale, 128 p.
F. Paris, Bolchevisme et christianisme, Versailles, imp. Cloteaux, 35 p.
T rotsky, Déclaration pour le congrès antifasciste européen de Paris,
24 p.
Trotsky, 1905, Lib. de l’Humanité, 384 p.
Trotsky, La nouvelle politique économique des soviets et la révolution
mondiale. Lib. de l'Humanité, 80 p.
Trotsky, Littérature et révolution, Réédition récente, 1964, 388 p.
G. Zinoviev, L ’I C au travail, Lib. de l'Humanité, 189 p.

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J. Gaudeaux, 6 mois en Russie bolcheviste, Ed. du Roman Nouveau,
194 pi
H- Guilbeaux, L e portrait authentique de V . L Lénine , Lib. de l’Huma­
nité.
L é n ïn e , Sur la route de l’insurrection, Lib. de l’Humanité, 193 p.
A. L osovsky, L e grand stratège de la lutte des classes, Lib. du Travail,
51 p.
Victor Serge, L a ville en danger. Petrograd, l’an I I de la révolution, Lib.
du Travail, 63 p .
T botsky, Cours Nouveau, Lib. du Travail, 128 p.
T rotsky, L es problèmes de la guerre civile , Lib. du Travail, 38 p.
L e contrecoup de la révolution russe en occident n’a pas encore été
analysé dans toute son ampleur. L e cinquantenaire de la révolution
d’octobre a été le prétexte d’unie production surabondante mais inégale,
généralement préoccupée du seul contre-coup immédiat d’octobre. Trois
titres seulement retiendront l’attention :
V . F a y (sous la direction de), L a révolution d’octobre et le mouvement
ouvrier européen, 1967, 248 p. L e livre ne dépasse finalement pas
1920, Grande-Bretagne et Scandinavie sont curieusement absents.
La révolution d’octobre et la France. Cahiers de l’Institut Maurice
Thorez, XI-XII.67. Publication des travaux du colloque d’octobre 1967.
L a littérature d’ anniversaire y voisine avec les travaux originaux.
F. L ’H u u xïer (sous la direction de), L ’opinion publique européenne
devant la révolution russe de 1917, Sirey, 1968, 211 p.
On utilisera également de A.J. T oynbeb (et collaborateurs), The impact
o f the Russian Révolution (1917-1967). The influence of bolchevism
on the toorld outside Russia, 1967, 357 p.

32
498 alfred rosmer

L ’In tern ation ale communiste et ses sections nationales

Bibliographie générale

Celle de W. L. Swora.kowski, The Communiât International and it$


front organizations. A research guide and checklist of holdings in
american and european libraries, Stanford, Calif, The Hoover Insti­
tution..., 1965, 493 p., borne malheureusement son enquête euro­
péenne à peu de choses et son enquête française à la Bibliothèque
de Documentation Internationale Contemporaine. Le même typé
d’ouvrage, recensant plus complètement les ressources des bibliothè­
ques françaises et européennes serait le bienvenu.
La bibliographie de G. H erting, Bibliographie %ur Geschichte der
Kommunistischen Internationale (1919-1934), 200 p., publiée en 1960
par l’Institut du Marxisme-Léninisme près du PC de la République
Démocratique Allemande souffre dans sa diffusion de n’être que
ronéotypée et dans sa conception de ne recenser que la littérature
officielle en langues russes et allemandes. Dans ces limites, elle est
utile.

Recueil de textes

Le plus récent est :


Documents on the third International, selected by Jane Degras, 3 vol.
(1919-1923, 1923-1928, 1929-1943), Oxford Univ. Press, 1956-1965,
464-584-494 p.
L ’IC a publié :
10 années de lutte pour la révolution mondiale, Paris, Bureau d’Editions,
1929 324 p
1919-1929, Les étapes de VIC, Paris, Bureau d'Editions, 1929, 39 p.
Dans une autre optique, la librairie du Travail a publié.
Manifestes, thèses et résolutions des 4 premiers congrès mondiaux de
VIC (1919-1923), 1934, 216 p., Reproduction en fac-similé, Maspero,
1969.
Réunions de VIC
Comme il n’était pas question de refaire ici la bibliographie de Swo-
rakowski, nous n’avons indiqué que les documents essentiels. On n’omet­
tra pas d’utiliser les Bulletins des congrès.
I er Congrès (Moscou, 2-19.III.l9l9)
Der 1 Kongress der Kommunistichen Internationale, Pétrograd, IC, 1920,
311 p.
La I I I e Internationale Communiste. Thèses adoptées par le I er congrès.
Documents officiels pour Vannée 1919-1920, Pétrograd, IC, 1920,
280 p.
Les sections ont publié les textes essentiels :
En France : Manifeste et résolutions de VIC, Clarté, 1919, 35 p. Préface
de Boris Souvarine.
sources et bibliographie 499

En Suisse : La 212e Internationale, ses principes, ses congrès, Ed. des


Jeunesses Socialistes Romandes, slnd, 47 p.
Ces textes, considérés comme fondamentaux, ont souvent été repris,
notamment dans Manifestes, thèses, résolutions du 1er congrès de
VIC (Mars 1919), Publications de la XVe Internationale, déc. 1943,
51 p-
2- Congrès (Moscou, 17.V11-7.V III.1920)
Internationale Communiste. 2e Congrès 17.VIL1920. Petrograd 23.V IL
1920. Moscou. Compte rendu sténographique, Petrograd, lmp.
d’Etat, 1921, 628 p., Ed. Françaises de l'IC.
The second congress of the Communist International. Proceedings of
Petrograd session of july 17 th and of Moscow sessions of july 19 th-
1920, Moscou, IC, 1920, 594 p.
En France paraissent immédiatement des brochures sur ce congrès :
Celle du PS : Pierre A ndré , Le 2* congrès de VIC, Compte rendu des
débats d'après les journaux de Moscoti, Paris, Lib, du PS et de
l’Humanité, 1920, 69 p.
Celles des partisans français de l’IC :
IC. Statuts et résolutions adoptés par le 2e Congrès de VIC, Paris, Bib.
Communiste, X920, 123 p.
Le monde capitaliste et VIC. Manifeste du 2e- congrès de VIC, Paris,
Bib. Communiste, X920, 48 p.
On trouvera aussi les thèses dans :
Le rôle du PC dans la révolution prolétarienne. Le PC et le parlemen­
tarisme. Thèses présentées au 2° Congrès de l’IC (Moscou, 15.VII.
1920), slnd, 22 p.
et dans : Thèses présentées au 2e congrès de VIC (Petrograd-Moscou.
18.VI1.1920), Petrograd, Ed. de l’IC, sd, 88 p.
Congrès de Bakou.
L ’IC et la libération de VOrient. Le I er Congrès des peuples de l'Orient.
Bakou 1920, 1-8 Sept. IC, Petrograd, 1921, 228 p. (Compte rendu
sténographique).
IIP Congrès (22.VI-12.V11.1921. Moscou).
Protokoll des 111 Kongressen der Kommunistichen Internationale... Ham­
bourg, 192X, X068 p.
Thèses et résolutions adoptées au 3" congrès de VIC. Moscou. Section de
la presse de l'IC, X36 p.
Bulletin du 3* Congrès mondial, Du 25.V. 1921 au 17.V II.1921.
JL.es souvenirs de Ch.-A. Julien, délégué au congrès, sont publiés dans
Politique Aujourd'hui, 1969, pp. 49-56 et dans Mouvement Social,
janvier-mars, 1970, pp. 1-24 et avril-juin, 1970, pp. 65-72.
Comité Exécutif (Moscou, 21.11-4.III.1922).
Compte Rendu de la conférence de l’Exécutif élargi de VIC... Paris. Lib.
de l’Humanité, 1922, 260 p.
Conférence des 3 Internationales (Berlin. 2, 4 et 5.IV .1922).
Conférence des trois Internationales, tenue à Berlin, les... Compte rendu
sténographique. Bruxelles, Lib. du Peuple, 1922, X64 p,
A ce sujet, consulter dans B. I. Nicolaevski, Les dirigeants soviétiques
500 alfred rosmer
------------ — ■ --- - - - . ■-, ■ ------- i - , . - i— ^ — ------- - — ..j'Î.V ik y -

et la lutte pour le pouvoir (Paris, 1969, 311 p.) la partie intitulée


Une interview de B. Nicolaevski.
Comité Exécutif. Moscou, 9.V I.1922. ■> ■ ’
Ch. Rappoport, Le PCF au CE de Moscou, discours du 9.VI.1922, suivi
d’une motion pour le congrès de Paris, Paris, Revue Communiste
1922, 32 p. ’
4e Congrès (Petrograd-Moscou, 5.XI-5.XII.1922).
Protokoll des Vierten Kongresses der Kommunistichen Internationale
Hamburg. 1923.VXII-108S p.
Bulletin du 4e Congrès de VIC, I er numéro 11.XI.1922 à 15.XII.1922,
Moscou, très complet, ;
Thèses et résolutions du 4e Congrès de VIC, P aris, Bureau d ’ E dition s
231 p.
Comité Exécutif. Moscou. 19.-9.3V1.1923.
Protokoll der Konferenz der erweiterten Executive der Kommunistischen
Internationale... Hamburg. 1923. VIII-336 p.
5e Congrès (Moscou. 17.V1-8.V IL 1924).
Compte rendu analytique du 5e Congrès de VIC... 1924. Lib. de l’Huma­
nité. 479 p.
Protokoll (des) fiinften Kongress(es) der Kommunistisch&n Internationale...
Hamburg, sd, 11-1083 p.
Bulletin du Ve Congrès mondial. I er numéro 14.VI.1924, à 11.V II.1924.
On y joindra le Bulletin de l’Exécutif Elargi de VIC. Un seul numéro
le 12-VII-1924.
On trouvera les résolutions dans :
V e Congrès communiste mondial. Résolutions, Lib. de l'Humanité, 1924,
108 p.
Les principales questions débattues ont fait l'objet de brochures sépa­
rées.
Question du programme.
V e Congrès de l’IC. Rapports sur la question du programme de VIC par
Boukharine et Thalheimer (27 et 28.VI.1924), Moscou, 1924, Ed. du
Bureau de Presse de Î'IC, 39 p.
Le programme de VIC. Projets présentés à la discussion au Ve Congrès
mondial, Lib. de l’Humanité, 1924, 238 p.
Question syndicale.
Z inoviev, La question syndicale, discours au Ve Congrès de VIC. Lib. de
l’Humanité, 1924, V-29 p.
Question d’organisation.
Les questions d'organisation au V e Congrès de VIC, cellules d'entreprise,
statuts de VIC, directives pour l’organisation, etc. 1925, Lib. de
l'Humanité, 101 p.
Et enfin, Le sens du Ve Congrès mondial, Lib. de l’Humanité, 1924, 34 p.
Comité Exécutif (Moscou 21.111. au 6.IV .1925).
Protokoll (der) enveiter (en) Executive der Kommunistischen Interna­
tionale... (Hamburg). (1925). XXIV. 375 p.
Exécutif Elargi de VIC. Compte rendu analytique de la session du 21.
I I I au 6.IV .1925, Lib. de l’Humanité, 1925, 324 p.
Cahiers du Bolchevisme, Numéro spécial sur ce Plénum, 22.V.1925.
sources et bibliographie 501

thèses et résolutions adoptées par le CE élargi de l’IC ... Paris, 1925,


64 p-, Lib. de l’Humanité.
Le discours de Zinoviev, Les perspectives internationales et la bolchevi­
sation. La stabilisation du capitalisme et la révolution mondiale,
Paris, 1925, Lib. de l’Humanité, 80 p.
C o mi t é Exécutif (17J1-15.III.1926).
protokoll (des) Erweitert(en) Executive der Konimunistischen Internatio­
nale. Moskau... Hamburg, 1926, 692 p.
Travaux.
1 L ’historiographie de l'Internationale Communiste est défigurée par
l'affrontement des passions et des tendances. Si bien qu’on hésite à clas­
ser sous la rubrique « travaux » . bien des ouvrages qui ne sont que des
pamphlets plus ou moins déguisés ou de complaisantes imageries. Le
nom de l’auteur, le lieu, la date, la maison d’édition rendent généralement
compte de la tendance de l’ouvrage. Une lecture extrêmement crîHqne
s'impose toujours.
F. Borkenau, World communism, a history of the Communist Internatio­
nal„ I ra éd. 1939, 2e inchangée, 1962, 444 p.
M. M. Drachkovttch et B. Lazttch, Highlights of the Comintern.
Essays, recollections, documents, The Hoover Institute, 1966, New
York, 430 p.
J. Freymond (Sous la direction de), Contributions à l’histoire du Comin­
tern, Genève, 1965, 265 p. Publication de l’Institut Universitaire des
Hautes Etudes Internationales.
T. H ammond, Soviet foreign relations and toorld communism, Princeton
U.P., 1965, XXIV-124 p.
S. Hoojc, World communism, 1962, 257 p.
J. W . Hulse, The forming of the Communist International, Stanford U.
P. 1964, 275 p.
J. H umbert-Droz, L ’origine de l'Internationale Communiste. De Zim­
merwald à Moscou, 1968, 256 p.
K.E. Mac Kenzie, Comintern and world révolution. 1928-1943. The sha-
ping of doctrine, 1964, 368 p.
B. Lazttch, Lénine et la 3e Internationale, Neuchâtel, Ed. de la Bacon-
nière, 1951, 286 p.
G. N ollau , International communism and world révolution. History and
meihods, London, 1961, 357 p.
B. N. Ponomarev, L ’Internationale Communiste (1919-1943), article de
la Grande Encyclopédie Soviétique, vol. XXII, 2e Ed. sept. 1953,
publié en volume Editions Sociales, Paris, 1955, 94 p.
On trouvera une excellente présentation critique d’un certain nombre
d’ouvrages récents dans S. R. Schramm. « D ’une doctrine unitaire à une
réalité différenciée. A propos de l’évolution du communisme mondial. »
Revue Française de Science Politique. 1965, pp. 114-136.
Le cinquantenaire de l’IC a provoqué l’impression d’ouvrages militants :
Cahiers de l’Institut Maurice-Thorez, 1er trim. 1969.
G. Cognot, L ’Internationale Communiste, Ed. Sociales, 1969, 160 p.
L'ouvrage de Dominique Desati, L'Internationale Communiste, 1970,
395 p. peut difficilement être considéré comme une synthèse défi­
nitive.
502 alfred rosmer

Les sections nationales.


E urope
Vues d’ensemble dans :
F. Borkenau, European communism, London, 1953, 564. p.
B. Lazitch, Les PC d’Europe (1919-1955), Les îles d’or, 1956, 255 p.
U rss
La plus grande prudence s’impose dans l’utilisation des ouvrages sur
le PC URSS. Outre les ouvrages déjà cités parmi les travaux d’intérêt
général, il existe une histoire officielle aux mutiples éditions qui est de
faible intérêt sauf pour des militants. On verra aussi :
Léonard Schapiro, De Lénine à Staline, histoire du PC de l’URSS, Gal­
limard, 1967, 693 p.
Alexander E r l ic h , The soviet industrialisation debate (1924-1928), Har­
vard U.P., 1950, 479 p.
Sur les derniers moments de Lénine :
Moshe Lewin, Le dernier combat de Lénine, Ed. de Minuit, 1967, 169 p.
Le testament de Lénine est un texte fondamental. Sur la querelle autour
du testament, voir Le Testament de Lénine, supplément à Masses
1947, 17 p. \
Sur l’Opposition : — ' _
L. Schapiro, Les bolcheviks et Vopposition. Origines de l'absolutisme
communiste. Premier stade (1917-1922), Les Iles d'or, 1957, 396 p,
R. V. D aniels, The conscience of the révolution : Communist Opposition
in soviet Russia, Harvard U.P., I960, 526 p.
R. G a u c h e r , L'opposition en URSS (1917-1967), 1967, 430 p.
L ’un des textes les plus importants de l’Opposition est :
L ’Opposition de Gauche de l’IC. Déclaration des 83 (Documents inédits),
Paris, 1927, 69 p.
Pour le reste, nous nous permettons de renvoyer à la section Trotsky
et le trotskysme.
Sur les bolcheviks pris individuellement, voir G. Haupt et J.-J. Marie,
Les bolcheviks par eux-mêmes, 1969, 398 p.
F rance
Sur les groupes français en Russie en 1917, on verra la mise au point de
A. Kriegel et G. Haupt. « Les groupes communistes étrangers en
Russie et la révolution mondiale (1917-1919). » Revue d'Histoire
Moderne et Contemporaine, 1963, pp. 289-300.
Y ajouter les souvenirs de Marcel Body. Les groupes communistes fran­
çais en Russie, 1918-1921, pp. 39-66 dans Contributions à l’histoire
du Comintern cité plus haut.
Réunions de PCF.
Tours 1920
l8 f Congrès du PS. Tours. 25-30.XII.1920. Compte rendu stênographi-
que, Paris, PS, 1921, 604 p.
Les textes essentiels ont été publiés par A. K r ie g e l , Le congrès de
Tours, Julliard, Coll. Archives, 1964, 258 p.
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Comité national 1921


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présenté au 19e congrès national (I er congrès du PC)... Courbevoie,
Cootypo, 1921, 16 p.
Le compte rendu du congrès se trouve dans Humanité 26 au 31.XII.
1921'
Voir aussi F. L oriot, Un an après Tours (discours prononcé au congrès
de Marseille), Lib. de l’Humanité, 1922, 16 p.
Paris 1922
Congrès national de Paris. L ’action communiste et la crise du PC. Rap­
port du secrétariat général..., 103 p.
Louise Bodin, Le drame politique du congrès de Paris, Ed. des Cahiers
Communistes, 1922, 60 p.
Ltjon (20-23.1.1924).
PC (SFIC), 3e Congrès national tenu à Lyon, les ... Adresses et résolu­
tions, Lib. de l’Humanité, 1924, 83 p.
Le PCF a publié :
PC (SFIC), Rapport des délégués du parti <m conseil d'administration et
de direction de l'Humanité, sd, 14 p.
PC (SFIC), Recueil de documents, sd, (15 pièces portant sur la période
1920-1922).
L 'IC et sa section française.
On étudiera ce problème délicat surtout dans les Compte rendus des
congrès et des plénums de l'IC. Y ajouter :
L ’IC et sa section française, Lib. de l’Humanité, 1922, 104 p.
On sait que c'est Trotsky qui, à la direction de l’IC, suit les questions
françaises. Il existe un recueil de ses textes sur le sujet :
Léon T rotsky, Le mouvement communiste en France (1919-1939).
Textes choisis et présentés par P. Broué, Ed. de Minuit, 1967, 723 p.
Y ajouter les brochures de Trotsky :
La crise du PCF, Lib. de l’Humanité, 32 p., 1922.
Le communisme en France et l’Internationale, Lib. de l’Humanité, 1922,
76 p.
Le salut du PCF, Lib. de l’Humanité, 1923, 48 p.
Jean Jaurès, Lib. de l’Humanité, 1924, 16 p.
L'alignement de 1924 se marque par des brochures publiées par le PC.
Le parti bolchevik restera bolchevik, Lib. de l’Humanité, 1924, 244 p.
Le programme de VIC, Lib. de l'Humanité, 1924, 240 p.
Le sens du Ve congrès mondial, Lib. de l’Humanité, 1924, 35 p.
Travaux.
Orientation d’ensemble :
P. Gordina, Le PCF. 1920-1939. Essai bibliographique, Milan, 1967,
324 p.
Dans Le communisme en France et en Italie, 1969, 336 p. Cahiers de
504 alfred rosmer

la Fondation Nationale des Sciences Politiques, voir N. Racoo? ^


« Etat des travaux sur le communisme en France », pp. 305-336 '
A. K riegel, « L ’historiographie du communisme français, Ier bilan et--
orientation de recherches », Mouvement Social, X-XII.1965, pp. X30
Les communistes français, Seuil, Coll. Politique, 1969, 320 p.
Histoires d’ensemble : <
Editées par le PCF :
A . F e r r â t , Histoire du PCF, 1931, 260 p. S u r ce liv re , o n consultera
J. Rocher, Cahiers du Bolchevisme. V IL 1932. « A propos du livre de
F errât, Histoire du PCF.-n
PCF. Histoire du PCF (Manuel), Ed. Sociales, 1964, 774 p.
Editées par une tendance :
UNIR, Histoire du PCF. T.I. Des origines à 1940. Paris, 1961, 290 n
T. 2 De 1940 à la libération, sd. 312 p... T. 3. D p. la libération Ï
nos jours, sd, 313 p.
Dues à des observateurs étrangers au PCF :
G. W alteb , Histoire du PCF, Somogy, 1948, 390 p., ne dépasse pas
1939.
J. F auvet, Histoire du PCF, Fayard, t. I, 1917-1939, 1964, 287 p. ; t, 2
1939-1965, 1965, 407 p.
Dans « Contribution à l’histoire du PCF », Preuves, N °3 166, 168, 170.
A. Ferrât discute l’ouvrage de Fauvet et les travaux d’A. Kriegel.
Par périodes :
Jusqu’aux abords immédiats de 1920, on se reportera à la thèse d’A.
Kriegel.
Pour la période 1920-1924, voir :
R. W o h i , French communism in the making (1914-1924), Stanford U.P.,
530 p., qui prend le relais.
Les élections de 1924 :
Georges L achapelle , Elections législatives de 1924, 1924, 253 p.
S. N. G o ur v t tc h , « Le Bloc des Gauches et le PCF dans les années 1924-
1925 », Annuaire des Etudes Françaises, Moscou, 1963, pp. 259-288.
On verra aussi : A . K r ie g e l , « Structures d'organisation et mouvement
des effectifs du PCF entre les deux guerres », International Review
of Social History, 1966, pp. 335-361.
Par secteurs et problèmes :
Intellectuels.
David C aute , Le communisme et les intellectuels français (1914-1966),
Gallimard, 1967, 474 p.
Jean T ouchard, Nicole Racine et Jean-Pierre Bernard, « Le PCF et les
intellectuels dans l’entre-deux guerres », Revue Française de Science
Politique, juillet 1967, pp, 468-544.
Nicole Racine, Les écrivains communistes en France (1920-1935), Thèse
dactylographiée.
S. G xnsbuhg , Raymond Lefebvre et le mouvement Clarté, thèse dacty­
lographiée dont les éléments essentiels ont été présentés par l'auteur
dans Mouvement Social. VTI-IX.1967, pp. 45-76.
sources et bibliographie 505

Le pouvoir.
a Krœgel, Le PCF et la question du pouvoir (1920-1939), A (ESC),
1967, pp. 1245-1258.
jyf Pehrot et A. K riegel, Le socialisme français et le pouvoir, Paris,
EDI, 1966, 223 p.
La paix*
A. L uxembourg, « Le PCF et le mouvement pour la paix », Annuaire
des études françaises (Moscou), 1961, pp. 456-488.
Effectifs.
A. Kriegel, « Les effectifs du PCF sous la 3e République », Revue
Française de Science Politique, fév. 1966, pp. 5-35.
Grande-Bretagne
y , Pellungj « Tlïô carly history cf the comn?.unist party of Great-Rri-
tam », Transactions of the royal historical society, 1958, pp. 41-58.
H. Pjelling, The british communist party. An historical profile, 1958,
204 p.
Italie .
G. Ga l l i , Storia del partito communista italiano, 1958, 374 p.
et, plus récent, J.-M. G amjstt, Antonio Gramsci and the origins of ita-
lian communism, Stanford, U.P., 1967, 306 p.
Ainsi que P. Sfriano, Storia del Partito Communiste Italiano. I. Da
Bordiga a Gramsci, 1967, 525 p.

L'Internationale syndicale rouge et sa section française

Les livres de A. L osovsky :


Le mouvement syndical international avant, pendant et après la guerre,
Paris, 1926, 301 p., Petite Bibliothèque de l’ISR.
L ‘Internationale Syndicale Rouge au travail (1924-1928), Paris, 1928,
439 p., Petite Bibliothèque de l’ISR.
peuvent servir à récapituler les phases principales de l’histoire de l'ISR.
Ier Congrès (Moscou, 3-19.V II. 1921).
Conseil International des Syndicats Rouges. Compte rendu du CI des
SR pour la période du 1S.VI1.1920 au I er.V III. 1921, Moscou, 1921,
160 p.
ISR. Résolutions et statuts adoptés par le 1er congrès international des
syndicats révolutionnaires... 88 p., Paris, Librairie du Travail, 1921,
Petite bibliothèque de l’ISR.
Bericht des Internationale Rates roten Fach und Industrie Verbande...
Pressbureau des Intemationaler Kongresses der Roten Gewerks-
chafts-Intemationale, 1921, 180 p.
Points de vue et discours des délégués :
Tom Mann, Russia in 1921, report of Tom Mann as delegate to the
506 alfred rosmer

Red Trade-Union International at Moscou)..., London, sd, 11-56


Et la brochure déjà citée de Tom Mann et Rosmer. :.[V-
G. W illiams » The first congress of the Red Trade-Union International
at Moscow 1921. A report of proceedings, 2 éd. revue, Chicago-
IW W , sd, 60 p.
Michel Relenk, Travaux du camarade Michel Relenk au congrès de
VISR de Moscou, seul resté fidèle à la conception du syndicalisme
révolutionnaire français et à son mandat, Paris, lmp. de Costes, sdJ-
23 p., Préface de Quinton.
Travaux ;
C. Chambelland, « Autour du I er congrès de 1TSR », Mouvement Social
IV-VI. 1964, pp. 31-44. •'
2t Congrès (Moscou. X I.1922)
Thèses et résolutions adoptées au 2e Congrès de VISR..., Paris, Lib. du
Travail, 72 p,, Petite bibliothèque de l’ISR.
Sur des points particuliers ;
A. L osovsky, Programme d’action de VISR, Lib. du Travail, 1922, 139 p.
Rapports entre VISR et VIC. Discours au 2e Congrès et statuts de VISR,
Préface de Dudilieux, Lib. du Travail, 1923, 188 p., Petite biblio­
thèque de ÎISR (Contient le discours de Monmousseau au 2e congrès
ISR et de Losovsky au congrès IC).
Sur le rôle de Monmousseau, voir Lénine tel quil fût> souvenirs de
contemporains. T. 2, pp. 864-869 (Monmousseau).
A. H ebclet, L ’ISR et Vunité syndicale, Lib. du Travail, 1922, 32 p.

3e Congrès (Moscou. VII.1924).


ISR. Rapports pour le 3e congrès, Paris, 1924, 413 p., Petite bibliothèque
de l’ISR.
ISR. Résolutions adoptées au 3e congrès de VISR... Préface de Racamond,
Lib. du Travail, sd, 144 p., Petite bibliothèque de l’ISR,
Sur une question particulièrement débattue :
P. Bbaun, Les problèmes du mouvement travailliste, Préface de A. }.
Cook, Petite bibliothèque de l'ISR, Paris, 1925, 29 p.
4e Congrès (Moscou III.-IV .1928).
ISR. Thèses et résolutions du 4e congrès de VISR, Paris, 1928, 202 p.,
Petite bibliothèque de l’ISR.
Report of the IV th congress of the R IL U , 1928, 200 p., London.
5e Congrès (Moscou IX. 1930).
Méthodes et tactiques révolutionnaires. Thèses et résolutions du 5e con­
grès de VISR... Paris, Petite bibliothèque de l'ISR, 1930, 240 p.
Resolutions of the 5 th congress of the R IL U held in Moscow..., London,
RILU, 1930, 174 p.
Le travail des cellules d'usine, Paris, sd, 23 p., Les Publications Révolu­
tionnaires.
sources et bibliographie 507

ha CGTU.
Sur la scission :
p. Monatte, Trois scissions syndicales, Ed. Ouvrières, 1958, 256 p.
G. D umoulin, « A propos de la scission syndicale de 1921 », Etudes
sociales et syndicales, IV. 1955.
« En lisant Pierre Monatte. La scission de 1921 et l'avenir du
syndicalisme. » Itinéraires, nov. 1958, pp. 84-111.
Ainsi que M. L abi, La grande division des travailleurs, Ed. Ouvrières,
1964, 332 p.
Les congrès de la CGTU :
Saint-Etienne (26.VI-2.VII.1922).
Compte rendu sténographique... 84-516 p.
ISR. Les syndicats et la révolution. Discours prononcé par A. Losovsky
au congrès de la CG TU à St-Etienne. Juin 1922. Suivi du message
de VISR, Paris, Lib. du Travail, sd, 61 p.
Bourges (12-17.XI.1923).
Congrès national extraordinaire tenu à Bourges du 12 au 17 novembre
1923 ; Rapport et compte rendu sténographique, Paris, Maison des
Syndicats, 48-654 p., 1924.
L'histoire de la CGTU reste à faire. Ses premières années, du point de
vue des tendances, sont marquées par l’affrontement sur le problème de
l’indépendance du syndicalisme. On consultera :
L artigue, Pour l’indépendance du syndicalisme ( Discours 1924), Paris,
lmp. La Fraternelle, sd, 30 p. Préface de Marie Guillot.
M. Chambellan», Vers un nouveau congrès d’Amiens. Discoursprononcé
au 5e congrès CGTU, Lib. du Travail, sd, 32 p.
508 alfred rosmer

1924-1964. Opposition Communiste et IV e Internationale

Outre la presse. la dornmentnti.orï sur cette période s'ordonne autour


de deux grands thèmes : Trotsky et le trotskysme, le stalinisme..
Presse
II est nécessaire de pouvoir se reporter constamment aux grands jour­
naux d’information que sont, pour la période d’avant-guerre, Le Temps
et, pour la période d’après-guerre, Le Monde.
L ’écheveau de la presse d’opposition est particulièrement embrouillé.
Un guide est fourni par le catalogue ronéotypé des journaux socialistes,
communistes et trotskystes établi par l’Institut Français d’Histoire Sociale!
Nous avons consulté :
Bulletin Communiste International, organe du communisme internatio­
nal. Directeur B. Souvarine, I er numéro 23.X.1925, 35 numéros
jusqu’en 1933.
Bulletin de la Gauche Communiste, Edité par un groupe dissident de la
Ligue Communiste, dit groupe Gourget-Claude Naville, puis avec
importante participation d’A. Rosmer. Numéro I, IV.1931 à N03 4-5,
VI. 1931. Devient en X. 1931 Le Communiste.
Bulletin de l'Opposition (Bolcheviks-Léninistes). VII. 1929 à X. 1939.
Bulletin d'information des Groupes de Liaison Internationale. I er N° III.
1949 à N° 4 de IV. 1950.
Bulletin d’information. Commission pour la vérité sur les crimes de Sta­
line. Trimestriel, V. 1962 à I. 1964.
Cahiers du Bolchevisme, Revue théorique du PCF depuis 1924. Devien­
nent en 1951 Cahiers du Communisme.
Cercle Zimmerwald. Bulletin Trimestriel, 1er cahier. VII-VIII-IX. 1956.
Clarté, Bulletin français de VInternationale de la pensée. Dir. H. Bar­
busse. X. 1919 à I. 1928 devient alors La Lutte de classes.
Le Combat Marxiste, Mensuel, X. 1933 à IV. 1936. Tendance rénovation
de la SFIO.
Le Communiste, bulletin mensuel de la Gauche Communiste. Issu du
Bulletin de la Gauche Communiste. Ronéotypé à ses débuts en X.
1931, il est imprimé à partir de XI. 1932. 11 numéros jusqu'à IV.
1933.
Contre le Courant, organe de Yopposition communiste. Directeur Paz.
Lancé en XI. 1927 par Paz avec l’appui de Piatakov. Ils veulent en
faire le journal de l'Opposition Unifiée. Rosmer et Monatte refu­
sent leur participation. Après le banissement de Trotsky, la rupture
entre Paz et les trotskystes» le journal disparaît en 1929.
sources et bibliographie 509

Cri du Peuple, organe de la Ligue Syndicaliste. Gérant M. Chambelland.


- 1929-1931.
Le Drapeau Rouge. Bi-mensuel de XII. 1936 à XII. 1937. Fusionne alors
avec Que Faire ?
Est'Ouest, depuis 1956.
pourth International, revue trotskyste publiée à New York depuis 1940.
Directeur Cannon. En 1956, devient International Socialist Review.
U H u m a n i t é , organe du PCF.
International Socialist Review, succède en 1956 à Fourth International.
L ’Internationale, organe de l’Union Communiste, Directeur Marceau Pi­
vert. XI. 1933 à 1939.
Le Libérateur, journal communiste de l’Opposition, publié par Paz. XI.
1929 à III. 1930.
La Lutte de classes, revue théorique mensuelle dé l’Opposition, puis de
la Ligue Communiste, succède à Clarté en II. 1928. Dure jusqu’en
1935 (Numéro des IV-V-VI).
La Lutte Ouvrière, organe du Parti Ouvrier Internationaliste (Bolchevik-
léniniste), section française de la IV e Internationale. 12.IX.1936 à
1939.
Masses, revue socialiste, directeur R. Lefeuvre, 1933 à 1939 puis 1946
à 1948.
Nouvelles d’URSS, bulletin russe de la revue communiste Que Faire ?,
Ronéographié I. 1936 à I. 1937.
Quatrième Internationale, revue théorique mensuelle du PaHi Ouvrier
Internationaliste (Bolchevik-Léniniste), section française de la IV e
Internationale, X.1936 à 1939.
Que Faire ?, revue communiste. Organe des groupes Que Faire ? (oppo­
sition interne du PCF). A. Ferrât est membre de la rédaction.
XI.1934 à V II.1939.
La Révolution Prolétarienne, 1er numéro, 1.1925, Directeur Monatte.
Mensuel puis bi-mensuel, disparaît en 1939. Nouvelle série, même
directeur et même périodicité à partir de IV. 1947. La Révolution
Prolétarienne, revue syndicaliste révolutionnaire.
Saturne, Directeur David Rousset, XII. 1954 à 1958.
La Vérité, organe de l’Opposition Communiste, Ier numéro 15.VIII.1929.
Le 17.IV.1930 devient Organe de la Ligue Communiste (Opposi­
tion). La direction passe de Pierre Naville au groupe Molinier-
Frank. En août 1934, après l’entrisme dans la SFIO, devient Organe
du Groupe Bolchevik-Léniniste.
Sur La Vérité, on peut consulter le diplôme de M. Espasa : Etude de
La Véiité de 1934 à 1936. Paris, 1967, 102 p.
La Vérité des Travailleurs, publié par le Parti Communiste Internatio­
naliste, section française de la IV e Internationale. Directeur P.
Frank. A partir de IX.1952.
La Voie Communiste, journal mensuel de l’opposition communiste. Direc­
teurs G. Spitzer et S. Blumenthal, 1960 à 1965.

Trotsky et le trotskysme

Ces dernières années ont vu grandir l’intérêt suscité par Trotsky et le


trotskysme. Malheureusement, cet intérêt des milieux politiques n’a pas
encore suscité d’ouvrages historiques décisifs.
510 alfred rosmer

Il serait sans doute de la plus haute utilité de pouvoir partir des


documents connus sous le nom d'Archives Trotsky que Trotsky et sa
femme Natalia ont confié à la Houghton Library, Harvard University
On y distingue :
Une partie « ouverte » qui va jusqu’en 1929 et dont le classement est
chronologique. Un index en deux volumes a été établi. Le microfilm de
cet index se trouve à la BDIC à Paris. On y trouve :
Trotsky Papers.
T. 1 à T. 2 950. Soviet Correspondance.
T. 2 951 à T. 4 928. Travaux.
T. 4 929 à T. 5 328. Divers.
Van Heijenoort Papers.
Van Heijenoort a été secrétaire de Trotsky de 1929 à 1939. II a rassemblé
un certain nombre de documents portant sur la période d’exil sur­
tout. Ils sont classés de V. 1 à V. 201.
Harper Manuscripts.
H. 1 à H. 28, il s’agit surtout du livre sur Staline, de sa traduction, de
sa publication.
Dewey Commission Exhibits.
D. 1 à D. 438. Ce sont les papiers inédits de la Commission Dewey.
Une partie « fermée » (en accord avec les volontés de Trotsky lui-
même), renferme les documents de la période 1929-1940. 45 caisses
de Trotsky Papers et 2 caisses de Van Heijenoort Papers sont dans
cette section qui ne sera ouverte aux chercheurs qu'en 1980. Notons
que certains auteurs, essentiellement Isaac Deutscher, du vivant de
Natalia Trotsky et avec son autorisation, ont eu accès aux documents
de la partie « fermée ».
La biographie monumentale par I. D eutscher, Trotsky, t. I, Le Prophète
armé, Paris, 1962, 693 p ; t. 2, Le Prophète désarmé, Paris, 1964,
639 p ; t. 3, Le Prophète en exil, Paris, 1965, 701 p., semble avoir
momentanément épuisé le sujet. On ne peut lui faire qu'un reproche.
Elle écrase de sa masse imposante.
L a synthèse la plus récente et la plus utile malgré son petit volume est
celle de J.-J. M a r ie , Le Trotskysme, 1970, 143 p.
Le livre de P. N aville , Trotsky vivant, 1962, 198 p. est un recueil alerte
de souvenirs familiers.
Sur Natalia Trotsky, un recueil de souvenirs et de témoignages, Natalia
Sedova Trotsky, Paris, 1962, 123 p.
C’est l’affrontement avec Staline qui a le plus retenu l’attention. On
pourra consulter :
G. P rocacci, Staline contre Trotsky 1924-1926, Paris, 1965, 302 p.
P, et I. SoRUoa, Lénine, Trotsky, Staline, 1921-1927, Paris, 1961, 272 p.
est un habile montage de textes.
Du côté de Trotsky, il faudra se reporter aux œuvres pour connaître
les arguments avancés. L ’Internationale Communiste répond par une
abondante littérature dont on peut détacher :
M. N . R o y , Les alliés internationaux de Vopposition du PC de l'URSS,
Paris, Bureau d’Editions, 1927, 40 p.
P. L a n g , L ’alliance du trotskysme et du fascisme contre le socialisme
et la paix, Bureau d’Editions, sd (1937), 80 p.
sources et bibliographie 511

La réponse culmine lors des Procès de Moscou sur lesquels on consul­


tera :
P. Broué (Présentés par), Les Procès de Moscou, Juîliard, Coll. Archives,
1964, 301 p. qui est extrêmement commode et possède une biblio­
graphie à jour.
Le point de vue de l'accusation :
A. Vychinsky, Acte daccusation contre les trotskystes anti-soviétiques,
traîtres à leur patrie et à la paix du monde, Bureau d’Editions, 16 p.
Le point de vue du PCF :
M. Cachin et P. Vailxant-Couturier, Guerre, sabotage, assassinats, tra­
hison. Le procès dit centre de réserve trotskyste, Paris, Bureau d’Edi­
tions, 1937, 16 p.
Sur la contre-offensive de Trotsky :
Comité pour l’enquête sur les procès de Moscou. Pour la vérité sur les
procès de Moscou ! 18 questions, 18 réponses, sd, 14 p.
The case of Léon Trotsky. Report of hearings on the charges made
against him in the Moscou) trials by the preliminary commission of
inquiry, New York, 1937, 80 p.
et Not Guilty, déjà cité.
Oeuvres de Léon Trotsky.
Il manque une publication scientifique des Œuvres Complètes. Une
bibliographie générale en est donnée par :
L. S in c l a ir , Records of Léon Trotsky, 1965. Enorme bibliographie dacty­
lographiée de 562 et 359 p., complète jusqu’en 1964.
Nous avons signalé ici les ouvrages les plus importantspour notre
propos en adoptant le parti suivant : classement des œuvres suivant la
datte de parution de 1925 à la mort, les ré-éditions récentes étant signa­
lées ; œuvres posthumes ; regroupements de textes classés selon la date
de parution.
De 1925 à la mort.
1925
Lénine, Lib. du Travail, 232 p.
Le drame du prolétariat français, Lib. du travail, 16 p. (Préface à La
Nuit de Marcel Martinet).
1926
Où va l'Angleterre ?, 248 p., Lib. de l’Humanité.
Les problèmes de la guerre civile, Lib. du Travail, 40 p.
Europe et Amérique, Lib. de l’Humanité, 144 p.
1927
Projet de plate-forme des bolcheviks-léninistes (Opposition) pour le XVe
congrès du PC de l’URSS, Paris, 48 p.
Déclaration des 83, suivie des discours, thèses, articles, résolutions, amen­
dements de Zinoviev et Trotsky aux différentes instances de la 3‘
Internationale, Paris, lmp. Centrale de la Bourse, 71 p.
1928
Vers le capitalisme ou vers le socialisme P, La Lutte de Classes, 76 p.
1929
La révolution défigurée, Rieder, 216 p. Réédité dans De la Révolution,
1963.
512 alfred rosmer

Mon exil, Groupe Communiste d’Opposition Belge.


1930
La défense de l'URSS et l’Opposition, Lib. du Travail, 61 p.
L ’Internationale Communiste après Lénine, Rieder, 439 p. Réédition
1969, 2 vol., 344 et 320 p.
La « Troisième Période » d’erreurs de l’IC. Lib. du Travail, 64 p.
Histoire de la révolution russe, Rieder, 2 vol. 432, 574 p. Nouvelle éd.
revue et corrigée, Seuil, 1950.
Ma Vie, Rieder, 3 vol., 273-221-345 p., Rééd. Gallimard, 1953, 658 p.
1931
Les problèmes de la révolution allemande, Ligue Communiste, 64 p.
1932
La révolution permanente, Rieder, 356 p. Rééd. dans De la révolution
1963.
La seule voie, Ligue Communiste, 32 p.
La ré^nb.iiiov. aller,tuuue et ta bureaucratie stalinienne. Et maintenant ?
Rieder, sd (Jan. 1932), 67 p.
1933
La lutte contre le fascisme en Allemagne, Paris, 14 p.
La IV e Internationale et l’URSS. La nature de classe de l’Etat soviétique,
Ligue Communiste, 32 p.
Entretien avec un ouvrier social-démocrate, La Vérité, 16 p.
Signal d’alarme, Ligue Communiste, 32 p.
1934
Qu’est-ce que le national-socialisme ?, NRF, 14 p.
1935
Du plan de la CGT à la conquête du pouvoir, Paris, 16 p.
La bureaucratie stalinienne et l’assassinat de Kirov, Lib, du Travail, 2
éditions, Tune de 32, l’autre de 48 p.
L ’Etat ouvrier, Thermidor et bonapartisme, Lib. du Travail, 32 p.
1936
La nouvelle constitution de l’URSS, Secrétariat International de la Ligue
des Communistes Internationalistes, 18 p.
Où va la France P, Lib- du Travail, 194 p., recueil d’articles publiés ano­
nymement par T. dans La Vérité de 1935, Nouvelle éd. en 1958.
La révolution trahie7 Grasset, 352 p., Rééd. dans De la révolution, 1963.
Vie de Lénine, jeunesse, Rieder, 304 p.
Défense du terrorisme, Nouvelle Revue Critique, 192 p. Il s’agit d’une
réédition de Terrorisme et communisme en traduction nouvelle et
surtout une nouvelle préface et la traduction de la préface à la
2* édition anglaise.
1937
Bolchevisme ou stalinisme, 17 p., Rééd. polycopiée, 1969.
Four combattre le fascisme, il faut une puissante milice ouvrière, Charle­
roi, 24 p.
Les crimes de Staline, Grasset, 380 p.
The Stalin school of falsification, New York, 312 p., Nouvelle éd. avec
introduction et notes de Max Shachtman, New York, 1962, 326 p.
1938
Après Munich : une leçon toute fraîche, Publications Populaires, 24 p.
sources et bibliographie 513

1939
Leur morale et la nôtre, Sagittaire, 89 p.
Œuvres posthumes.
The first five years of the Comrnunist International, New York, 1945,
326 p.
L e ç o n d'Espagne, dernier avertissement, Ed. Pionniers, 1946, 76 p.
Le marxisme et notre époque, Ed. Pionniers, 1946, 38 p.
Staline, Grasset, 1948, 624 p.
Journal d ’exil, Gallimard, I960, 223 p.

R e g r o u p e m e n t s d e textes.

Ils sont de valeur très inégale car ils vont de l’ouvrage militant à la
simple opération de librairie.
Ecrit'; (1928 19*0) Recueillis t>ar P. t i 1355 37=; n T. 9.
" ' (1958), 165*'p. ; t. 3, 195%, 581 p.
De la révolution, Notes et appendice de Rosmer. On y trouve : Cours
Nouveau, La Révolution défigurée, La Révolution permanente, la
Révolution trahie, Ed. de Minuit, 1963, 654 p.
The essentiel Trotsky, London, Unwin Books, 251 p., 1963.
The Trotsky Paners, 1917-1922, Edited and annotated by J. N. Meijer,
T. 1, 1917-1919, The Kague, 1964, 858 p.
The âge of permanent révolution. A Trotsky anthology, Edited and intro-
duced by I. Deutscher, New York, 1964, 384 p.
Le mouvement communiste en France (1919-1939), Textes choisis et pré­
sentés par B. Broué, Ed. de Minuit, 1967, 723 p.
Ecrits militaires. I. Comment la révolution s’est armée, 1968, 1 000 p.
Politique de Trotsky, Textes choisis par J. Baehler qui se place d’un
point de vue tout à fait opposé à celui de l'historien.
1905 suivi de Bilan et perspectives, Ed. de Minuit, 1969, 476 p.
4K Internationale.
U n'existe actuellement aucun ouvrage historique sur la 4e Internationale
en dehors de l'article de S. Bahne, « Der Trotskysmus, in Geschi-
chte und Gegenwart », Vieteljahrshefte fur Zeitgeschichte, 1967,
jjp. 56-86.
On pourra consulter utilement le témoignage de P. F rank, La Qua­
trième Internationale, contribution à l’histoire du mouvement trot­
skyste, Maspero, 1969, 153 p.
On possède une brochure sur la séance de fondation de la IV* Interna­
tionale :
Socialist Workers Party o£ the US (Section o£ the IV th International).
The founding conférence of the fourth International (World Party
of socialist révolution). Programm and resolutions. New York, sd
(1939), 127 p.
Sur la section US :
M. S. V enkataramani, « Léon Trotsky’s adventure in american radical
policies, 1935-37 », International Review of Social History, 1964,
pp. 1-63.
On utilisera avec précautions J.-P. Cannon, The history of American
trotskysm et, sur la controverse avec Burnham et Schachtman, The
struggle for a proletarian party, New York, 1943, 302 p.

33
514 alfred rosmer

Sur la section française :


Le livre cité de P. Broué met bien en valeur le rôle de Trotsky dan
la vie de la section française. On consultera aussi P. Broué et N
Doïïey, « Critiques de gauche et opposition révolutionnaire au Fronf
Populaire (1936-1938) », Mouvement Social, I-IIÏ, 1966, pp. gj
133.
En 1927 ont paru :
La plate-forme de Vopposition trotskyste, 93 p. et l’additif à cette plate-
forme ainsi que la réponse du PCF sous le titre : Le? documents de
l’opposition française et la réponse du parti, 163 p.
On trouvera une évocation dans Jean Rous, Itinéraire d’un militant 196Q
361 p. ’ ’
On étudiera le problème syndical (vu du point de vue de l’Opposition
Unitaire) dans F. Bernard, L. Bouet, M. Dommanget, G. Sebhet
Le syndicalisme dans l’enseignement. Histoire de la Fédération de
l’Enseignement des origines à l’unification de 1935, 3 vol., 264-302
352 pp., 1969, IEP, Grenoble.
Sur le trotskysme en Allemagne :
S. B a h n e , Der Trotzldsmus in Deutschland 1931-1933, Ein Beitrag zur
Geschichte der KPD und der Komintem, Diss. Heidelberg, 1958.
Sur le trotskysme en Belgique :
Que veut l’opposition du Parti Bolchevik russe ? Que veut le Groupe
d’Opposition du PC Belge ?, Bruxelles, Van Overstvaeten, 32 p.
Sur la question chinoise :
Le point de vue de l’IC dans L. H eixer, Le mouvement national et la
classe ouvrière en Chine, ISR, 1925, 29 p.
O n verra surtout P. B r o u é , La question chinoise dans VIC (1926-1927).
Textes présentés par-, EDI, Paris, 1965, 380 p.
Pour la période postérieure, voir Ch. B. M ac L aine, Soviet policy and
the chinese communists (1931-1946), 1958, 310 p.
Sur la question espagnole :
Voir P. Broué et E. T emimje, La révolution et la guerre d’Espagne, 1961,
544 p., Ed. de Minuit,
et les témoignages d’A. K oestler :
L ’Espagne ensanglantée;, un livre noir sur l’Espagne, Ed. du Carrefour,
1937, 167 p.
Un testament espagnol, Albin-Micbel, 316 p., 1939.
et de Kurt L andau, Espagne 1936, Allemagne 1918, 1936, déjà cité.
La réaction des groupes trotskystes internationaux au rapport Khroucht­
chev est analysée dans l’ouvrage paru à Londres en 1957, The
20 th Congress (CPSU) and world trotskysm, a documented analys-is.

Le stalinisme

Sur cette question que l’on peut considérer avec quelque raison
comme fondamentale, nous n’avons pas rencontré d’ouvrage d’ensemble,
ni même d’ouvrage traitant du stalinisme vu par l’opinion ouvrière en
Europe Occidentale.
Le problème se décompose comme suit : Y a-t-il un système stalinien
sources et bibliographie 515

au ton om e et différent du système léniniste ? Le^ plus clair des commen­


tateurs l'affirme. C e système prolonge-t-il ou défigure-t-il le léninisme ?
Ici les réponses divergent. Mais peu d’ouvrages abordent la question dans
sa totalité.
n V. Daniels, The Staïin révolution. Fulftüment or betrayal of commu-
nism ?, Boston, 1966, 106 p. ne répond qu'imparfaitement par une
série de morceaux choisis, aux promesses de son titre,
j.-p. N ettl , Bilan de l’URSS, 1917-1967, 1967, 324 p., ouvre des aper­
çus suggestifs.
Mais dans l’ensemble, l'abondance des biographies de Staline masque
plutôt qu’elle ne comble les lacunes de notre information. Ce que nous
voudrions connaître, c’est le soubassement sociologique du stalinisme,
ses pulsations chronologiques, la variation de son poids selon les domai­
nes où il s’exerce (politique, économique, idéologique, intellectuel, artis­
tique scientifique...) et selon les secteurs géographiques touchés. Force
nous "est de dire que nous sommes presqu’entièrement démunis.
A la base sont les œuvres de Staline et la critique trotskyste du stali­
nisme. Sur le second point, nous nous contenterons de renvoyer au para­
graphe précédent de notre bibliographie. Sur le premier, R. H. Mac
Ne a l a donné une bibliographie sur la base du fonds de la Hoover Insti­
tution : Stalin’s worhs. An annotated hibliography, 1967, 197 p. Nous
aurions aimé pouvoir renvoyer à une édition des Œuvres Complètes.
Mais les 5 volumes parus aux Editions Sociales (1953 a 1955, 337-343-
■359-394-347 pp.) ne contiennent pas d'œuvres postérieures à 1923. Pour
la suite, on verra notamment, dans leurs premières éditions :
Le léninisme théorique et pratique, Lib. de 1Humanité, 1924, 101 p.
Questions et réponses, Lib. de 1Humanité, 1925, 61 p.
Les questions du léninisme, 1926, 392 p., Bureau d Editions. Nombreu­
ses rééditions remaniées et augmentées.
L ’essor croissant de l’URSS et la crise du capitalisme, Bureau d’Editions,
1930, 16 p.
Le bilan du I er plan quinquennal, Bureau d Editions, 1933, 40 p.
Du I er au 2e plan quinquennal. Résultats et perspectives, Bureau d'Edi-
tions, 1933. Les interventions de Staline, pp. 5-44 et 199-228.
URSS. Bilan 1934, Denoël, 1934. Intervention de Staline pp. 3-113.
V. I. Lénine, Bureau d’Editions, 1934, 32 p.
,
La révolution d’octobre Ed. Sociales Internationales, 173 p., 1934.
L ’homme, le capital le plus précieux, Bureau d Editions, 1935, 24 p.
Deux mondes. Bilan capitaliste. Bilan socialiste, 1935, Bureau d’Editions,
88 p.
Le marxisme et la question nationale, Ed. Sociales Internationales, 1937,
343 p.
L’Armée Rouge est prête !, Bureau d’Editions, 1938, 136 p.
Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique, Ed. Sociales,
32 p., 1944.
Pour une formation bolchevique (suit une réédition de YHomme7 le capi­
tal le plus précieux), Ed. Sociales, 1945, 48 p.
Avec l’URSS, pour gagner la paix, Ed. France-URSS, 23 p., 1949.
Anarchisme ou socialisme, Ed. Sociales, 1949, 64 p.
A pTopos du marxisme bti litigtiistiQU€P 1951, Ed. Sociales, 71 p.
Les problèmes économiques du socialisme en URSS. Suivi de Discours
au X IX e congrès du PC de l’URSS, Ed. Sociales, 1952, 112 p.
Derniers écrits (1950-1953), Ed. Sociales, 1953, 200 p.
516 alfred rosmer

Ma Vie, Caractères, 1956, 201 p.


Sous le titre Staline, le communisme et la Russie, J.-F. K ahn a rassemblé
quelques textes courts (1968, 222 p.).
Viennent ensuite les œuvres des staliniens et des antistaliniens. Il nous
a paru inutile de refaire la bibliographie de W. Kûlabz, Books on com-
munism, a bibliography, London, 1963, 570 p. Inadapté aussi, car ce qui
nous intéressait avant tout, était de voir à partir de quel matériel docu­
mentaire s’est faite la conviction de Rosmev. Nous avons donc classé, par
ordre chronologique, les livres dont nous pouvons être quasi certains qu’il
a pris connaissance parce qu’il en a fait des compte rendus ou parce
qu’ils figurent dans sa bibliothèque ou dans celle de Monatte, On ne
s’étonnera pas de voir prédominer les ouvrages hostiles au stalinisme : il
est humain — trop humain — de s’intéresser surtout à ce qui renforce
ses propres tendances. On ne s'étonnera pas non plus de voir figurer ici
nombre d’ouvrages littéraires. En effet les milieux ouvriers ne sont pas
les seuls à s’interroger sur le stalinisme. L'interrogation des intellectuels
est au moins aussi angoissée. La rencontre de Rosmer et de Camus n’est
nac due au hasard. À cet égard, on verra : P. Aubery, « A. Camus et la
classe ouvrière », French Review, 1958, pp. 14-21.
et Essai de bibliographie des études en langue française consacrée à
Camus, 1965, non paginé.
Sur l’évolution de Camus, voir : Carnets, l.V . 1935-17.1942, 1962, 255 p.
et 2.1.1942-111.1951, 1964, 348 p.
Une autre évolution importante est celle de Gide. On pourra la suivre
par- ses ouvrages cités plus bas et par son Journal. 1889-1939, 1951,
1 379 p. avec index et 1939-1949,. 1954, 1 280 p.
Par ailleurs, on ne s’étonnera pas si nous nous arrêtons en 1964 :
c'est l’année de la mort de Rosmer.
1925
F. A dleb , L'enquête des Trade-Unions en Russie, Lib. Populaire, 40 p.
C. Aymard, Bolchevisme ou fascisme ? Français, il faut choisir, Flamma­
rion, 296 p.
H . Ayme, Contribution à Vétude des rapports entre les bolcheviks et les
paysans, Cavaillon, lmp. Mistral, 26 p.
H. Beraud, Ce que j'ai vu à Moscou, Ed. de France, 250 p.
N. Boukharine, La bourgeoisie internationale et son apôtre Karl Kaut-
sky, Lib. de l’Humanité, 125 p.
N. Boukharine, Lénine marxiste, Lib. de l’Humanité, 51 p.
J.-B. Cornet et F. L iebaers, Quinze fours en Russie soviétique, Bruxelles,
lmp. Populaire, 64 p.
Max E astman, Depuis la mort de Lénine, Gallimard, 221 p.
Huit ans de pouvoir soviétiste en Russie, Lib. de l’Humanité, 87 p.
R. R e c o u ly , Le printemps rouge, E d . de France, 262 p.
La Russie. Rapport officiel de la délégation britannique des Trade-
Unions au Caucase et en Russie (1924), Lib. de l’Humanité, 235 p.
Ch. Sarolea , Ce que fai vu en Russie soviétique, Préface du Cardinal
Mercier, Hachette, 255 p.
Victor Serge, Les coidisses d'une sûreté générale, ce que tout révolu­
tionnaire devrait savoir sur la répression, Lib. du Travail, 125 p.
G. Z in o v ie v , Les traits essentiels de la période actuelle, Lib. d e l’Huma­
nité, 56 p.
G. Z in o v ie v , Lénine, notre maître, Ed. de l’Humanité, 71 p.
sources et bibliographie 517

1926
P. Daye, M o s c o u dans le souffle de l’Asie, Perrin, 185 p.
L es faussaires contre les soviets, Lib. du Travail, 137 p.
A. Rezanov, L e travail secret des agents bolchevistes, Bossard, 199 p.
G. Z inoviev, Histoire du P C Russe, Lib. de l’Humanité, 192 p.
G. Z inoviev, L e Léninisme, Bureau d’Editions, 333 p.
1927
Avant Thermidor. Révolution et contre-révolution dans la Russie des
soviets, Ed. du Réveil Communiste, 83 p.
P. Beaulieu, Assassins, traîtres et faussaires ou la contre-révolution russe
à l’œuvre, Lib. du Travail, 67 p.
G. Duhamel, L e voyage de M oscou , Mercure de France, 258 p.
Max E astm a n , La science de la révolution, Gallimard, 2 96 p.
Grandjouan, La Russie vivante - Images de la oie soviétique, Amitiés
OV V
11) J'J.
J.
--

N. L a z a r e v i t c h , C e que fa i vu en Russie, Seraing-sur-Meuse, 28 p.


F. L x e b a e r s , Lettre ouverte aux ouvriers de la Russie soviétique, Bruxel­
les, L ’Unité, 15 p.
G. M i g l i o l i , L e village soviétique, Lib. du Travail, 100 p.
Andrée V i o l l i s , Seule en Russie, de la Baltique à la Caspienne, Galli­
mard, 330 p.
1928
N. Boukharine, « Lettre (sur le bolchevisme) ». R evue Universelle. 1,
III. 1928, pp. 513-539.
L. Durtain, Ù autre Europe. M oscou et sa foi, Gallimard, 351 p.
P. F e r v a c q u e , L e chef de l’année rouge. Mikaïl Toukatchevski, F a s-
quelle, 198 p.
P. G uiboud-Ribaud, O ù va la Russie P Ed. Sociales Internationales, Pré­
face de Barbusse, 169 p.
J.F. H ecker, L a religion au pays des soviets, Ed. Sociales Internationales,
245 p.
A. L osovsky, Réponses aux questions posées par les délégués français en
Russie à l’occasion du X e anniversaire de la révolution d ’octobre,
Maison des syndicats, 63 p.
Projet de programme de V IC , Bureau d’Editions, 39 p.
A. Ohanian, Dans la sixième partie du monde. Voyage en Russie, Gras­
set, 245 p.
E. V a r g a , L ’économie de la période de déclin du capitalisme après la
. stabilisation, Bureau d’Editions, 175 p.
1929
E. A ntonjelli, L a Russie bolcheviste , Grasset, 278 p.
Max E astm a n , La jeunesse de Trotsky , Gallimard, 215 p.
Victor Serge, V ie des révolutionnaires, Lib- du Travail, 30 p.
1930
N. Kroupskaia, Souvenirs sur Lénin e , Bureau d’Editions, 207 p.
L ’ouvrier dans VUnion Soviétique , Bureau d’Editions, 26 p.
P. Marion, D eux Russies, Nouvelle Société d’Editions, 285 p.
Victor Serge, L ’an I de la révolution russe, Lib- du Travail, 471 p.
A u secours de Francesco Ghezzi, un prisonnier du Guépéou, Bruxelles,
Les Arts Graphiques, 48 p.
518 alfred rosmer

1931
E ssa.d-Be y , Staline, Gallimard, 283 p.
M. F arbman, Piatiletka (Le plan russe), Rieder, 226 p.
N. Krylenko, Acte d’accusation relatif au procès de Vorganisation men-
cheviste contre-révolutionnaire de Gromann, Cher, Soukhanov, et
autres, Préface de Florimond Bonté, Bureau d'Editions, 98 p.
C. M ax,a pa r té , Technique du coup d’Etat, Grasset, 295 p.
E. Yaroslavsli, Histoire du PC de l’URSS, Bureau d’Editions, 539 p.
1932
L. K rassine, Krassine, Gallimard, 257 p.
1933
M. M a r tin et , Où va la révolution russe p L ’affaire Victor Serge, Lib.
du Travail, 27 p.
La révolution russe, Paris, CCEO, 47 p.
1935
Le communisme libertaire, Paris, Ed. du Travailleur Libertaire, 39 p.
Le complot communiste-socialiste, Grasset, 64 p.
B. S o u v a r in e , Staline. Aperçu historique du bolchevisme, Pion et Nou-
ritt, 574 p.
1936
A. G id e , Retour de l'URSS, Gallimard, 127 p.
F. G r e n i e r , Réponse à André Gide, Ed. des Amis de l'URSS, 47 p.
F, G r e n i e r , Le mouvement stakhanoviste, Bureau d’Editions, 35 p.
Claude N a v i l l e , A. Gide et le communisme, Paris, SMIE, 147 p.
Arthur R o s e n b e r g , Histoire du bolchevisme, Grasset, 315 p. On pourra
trouver plus commode de consulter la réédition récente avec préface
de G. Haupt.
V . S e r g e , 16 fusillés. Où va la révolution russe?, Cahiers Spartacus, 76 p.
M. Y v o n , Ce qu’est devenue la révolution russe, Préface de P. Pascal, Lib.
du Travail, 87 p.
1937
W . C i t r l n e , A la recherche de la vérité en Russie, Berger-Levrault,
391 p.
De la révolution de Lénine à la contre-révolution de Staline, Ed. Inter­
nationales, 93 p.
A. G id e , Retouches à mon retour d’URSS, Gallimard, 127 p.
Ch. Plisnier , Faux-passeports ou les mémoires d’un agitateur, slnd,
(1 9 3 7 ), 366 p.
Ch. P l i s n i e r , Mesure de notre temps, Ed. Labor, 185 p .
Victor S e r g e , De Lénine à Staline, Cxapouillot, 68 p.
Victor S e r g e , Destin d’une révolution. URSS. 1917-1937, Grasset, 326 p.
B. S o u v a r in e , Cauchemar en URSS, Revue de Paris (extrait de), 48 p.
1938
A. C jüuga, Au pays du grand mensonge, Gallimard, 252 p.
B. S o u v a r in e , Aveux à Moscou, 15 p.
Yvon, L ’ URSS telle quelle est, Préface d’A. Gide, Gallimard, 287 p.
1939
L . L a u r a t , Le marxisme en faillite ?, Tisné, 268 p.
Victor Serge, S’il est minuit dans le siècle, 343 p.
sources et bibliographie 519

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W. G. Krivitsky, Agent de Staline, Coopération, 320 p.
Victor Serge, Portrait de Staline, Grasset, 188 p.
1941
P. D aye , Guerre et révolution, Grasset. 79 p.
1945
A. Koestler, Le zéro et l’infini, Calmann-Lévy, 295 p.
194.6
A. Camus, L'homme révolté, 383 p.
A. Koestler, Le yogi et le commissaire, Chariot, 383 p.
G. M unis, Les révolutionnaires devant la Russie et le stalinisme mondial,
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D. R ousset, L’univers concentrationnaire, Ed. du Pavois, 191 p.
B. V oyenne, Mais où sont les révolutionnaires?, Le Portulan, 127 p.
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1947, p p . 227-253.
A. K oestler, La lie de la terre, Chariot, 436 p.
V. A. K ravchenko, J’ai choisi la liberté, Self, 638 p.
Michel Sayers et A. E. K ahn, La grande conspiration, la guerre secrète
contre la Russie soviétique, Ed. Hier et Aujourd’hui, 543 p.
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V oline, La révolution inconnue (1917-1921 669 p. Rééd. 1969, 704 p.
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R. Aron, Le grand schisme, Gallimard, 346 p.
J. Bernard-Derosne, L ’affaire Petkov, Self.
A. Camus, L'état de siège, 239 p.
L. L aurat, Le manifeste communiste de 1848 et le monde d'aujourd’hui
Self, 191 p.
Victor Serge, Uaffaire Toulaev, 436 p.
Les socialistes des pays opprimés réclament la liberté, la démocratie et
l'indépendance. Compte rendu de la conférence internationale des
partis socialistes des pays du Centre et de l'Est européen (13-15. III.
1948), Ed. du Burau International Socialiste, 16 p.
1949
Du point de vue qui nous intéresse ici, 1949 est l’année du procès
Kravchenko qui a pour origine le livre de 1947. En 1949, Kravchenko
publie :
L ’épée et le serpent, j’ai choisi la liberté, Self, 472 p.
Le procès a donné lieu à diverses publications, de sens variable :
Le procès Kravchenko, Ed. Intermonde, 96 p.
Le procès Kravchenko. Compte rendu sténographique intégral, Albin-
Michel, 2 Vol., 680 et 648 pp.
Le procès Kravchenko, La Jeune Parque, 760 p.
520 alfred rosmer

Lié intimement au procès, la brochure de Pierre Daix, Pourquoi M.


David Rousset a-t-il inventé les camps soviétiques ?. Lettres Fran­
çaises, 16 p.
En 1949 toujours, paraissent :
I. Deutscher, Stalin : a political biography, Oxford U.P., 600 p.
D. R o u s s e t , J.-P. S a r t r e et G. R o s e n t h a l ., Entretiens sur la politique
Gallimard, 215 p.
V ictor S e r g e , L ’affaire Toulaev, 382 p.

1950
A. K o e s t l e r , I. S i l o n e , R. W r i g h t , A. G i d e , L. F is c h e r , S. S p e n d b r ,
Le ■Dieu des ténèbres ( The God that failed), Introduction de R.
Crossman, Postface de R. Aron, Calmann-Lévy, 311 p.
L. Bennier, L ’URSS, paradis ou enfer des travailleurs p, Presse Libre,
15 p.
A. C a m u s , Actuelles. L Chronique. 1344-1948, £70 p .
A. Camus, Les Justes, 189 p.
1951
L. L a u r a t , Staline, la linguistique et V'impérialisme russe, Les îles d'or,
94 p.
C. M ï l o s z , La grande tentation. Le drame des intellectuels dam les
démocraties populaires, Essais et témoignages, 24 p.
Le procès des camps de concentration soviétiques. Ed. D. Wapler, 128 p.
D. R o u s s e t , T. B e r n a r d , G . R o s e n t h a l , Le procès concentrationnaire
pour la vérité sur les camps, 254 p.
Victor S e r g e , Mémoires d’un révolutionnaire (1901-1941), Seuil, 424 p.
Victor S e r g e , Vie et mort de Trotsky, Amiot-Dumont, 344 p.
Victor S e r g e , Le tournant obscur, Les Iles d'or, 172 p.
1952
Les communistes contre les institutions parlementaires, BEIPI, 1(3 p.
Contre le communisme, par la loi. Quand les démocrates se défendent,
BEIPI, 31 p.
E. K o l a r z , Russia and her colonies, London, XIV-335 p.
S. N. Prokcpoviek, Histoire de VURSS, 614 p.
V ic to r S e r g e , Carnets, 2 24 p.
Victor S e k g e , Derniers temps, Grasset, 448 p.
Z. Stypulkowski, Invitation à Moscou, Les Iles d'or, 318 p.
1953
A. C a m u s , Actuelles. 2. Chronique. 1948-1953, 186 p.
La sécurité sociale derrière le rideau de fer. Prétentions communistes et
réalités soviétiques, Bruxelles, Conférence Internationale des syndi­
cats libres, 14 p.
Staline contre Israël, BEIPI, 39 p.
Staline trahi par les siens, BEIPI, 31 p.
1954
P. B a b t o n , La communauté européenne de détente. Le drame de Vémi­
gration dans la guerre froide, Supplément à Preuves, 69 p.
F. Brupbacher, Socialisme et liberté, Préface de Monatte, La Bacon-
nière, 374 p.
sources et bibliographie 521

1955
R. Aron, & opium des intellectuels, 339 p.
t>'espionnage soviétique en France de 1945 à 1955, BEIPI, 31 p.
L. L auhat, Bilan de 25 ans de plans quinquennaux, 1929-1955, Les Iles
d’or, 264 p.
L. L aurat , Problèmes actuels du socialisme, Les Iles d'or, 201 p.
A. L ecœuk, L ’autocritique attendue, Ed. Girault, 78 p.

1956
Le texte essentiel, cette année-là, est le rapport Khrouchtchev. On en
trouvera le texte intégral dans Le Monde du 6 au 8.V I et, plus commo­
dément sans doute dans :
N. S. K hrouchtchev, Texte intégral du rapport secret, Corréa, 94 p.
Le rapport Khrouchtchev sur Staline commenté par la IV e Internationale,
■j r7rT tï ^ ï s t J r> M o

On verra aussi :
J, H umbert-Droz, Le tournant de la politique russe après la mort de
Staline, La Chaux-de-Fonds, lmp. des Coopératives Réunies, 36 p.J
A. K oestler, L'ombre du dinosaure, Calmann-Lévy, 271 p.
Pour quoi et comment se bat la Hongrie ouvrière, Ed. de la RP, 32 p.
Ch. Salencon, Le procès du communisme est ouvert, Préface Paul Faure,
La République Libre, 63 p.
1957
R. Aron, Une r évolution antitotalitaire. La révolution hongroise, Pion,
329 p.
Comment lutter ?, Socialisme ou Barbarie, 20 p.
Le communisme européen depuis la mort de Staline, Est-Ouest, N° spé­
cial, 16 p.
M. D jxlas, La nouvelle classe dirigeante, 272 p.
M. F ainsold, Comment l ’URSS est gouvernée, 502 p.
A. K oestler et A. Camus, Réflexions sur la peine capitale, Calmann-Lévy,
245 p.
F. Manuel, La révolution hongroise et les conseils ouvriers, La Vérité,
68 p.
A. Rossï, Autopsie du stalinisme, Horay, 288 p.
L. ScHAjprao, Les bolcheviks et l’opposition. Origines de Vabsolutisme
communiste. Premier stade (1917-1922), Iles d’or, 396 p.
1958
. Y psilon, Stalintern, La Table Ronde, 446 p.
1959
P. Barton, L ’institution concentrationnaire en Russie (1930-1957), suivi
de D. Rousset, Le sens de notre combat, Pion, 520 p.
Les syndicalistes face à Khrouchtchev, Supplément des Etudes Sociales
et syndicales, 47 p.
1964
I. Silone , L ӎcole des dictateurs, NRF, 277 p.
On trouvera un bilan des conflits dans l’Europe de l’Est dans Hélène
522 alfred rosmer

Carrère d’Encausse. La fin du mythe unitaire. Vingt ans de conflits


dans l'Europe socialiste. Remte Française de Science Politique, 1968
pp. 1155-1190.
et dans :
F. F eijto, Histoire des démocraties populaires ; t. I, Uère de Staline.
Réédition 1969 du volume paru en 1952, 389 p. ; t. 2, Après Staiine
1969, 534 p.
Index

Monatte et Marguerite Thevenet-Rosmer étant présents a chaque page


de ce livre, ou presque, ne figurent pas à l’index.

Abd-ul-Hamid, 99. Bakounine, 48, 71, 176, 338.


Abramovitch (Rafaël), 398, Balabanoff (Angelica), 159, 160.
Ageloff (Sylvia), 407, 408. Barbieri, 397.
Airelle (G.), 319. Barbusse, 166, 354, 450.
Albert, 142. Barozine. Voir Gourget.
Alexandre (Jeanne), 154. Barrés, 27, 28, 41.
Aîmereyda, 120. Barrucand, 29.
Altmann, 440. Bartells, 232.
Alvarez, 110. Barthou, 50.
Ambris (de), 21, 74, 75, 83, 86, Basîy, 61.
89, 96, 116, 135. Bataille, 27.
Amédune. Voir A. Dunois. Bebel, 77.
Amoré (H.), 76. Bedouce, 150-
Anderson, 72. Bekka, 202.
And 1er, 56, 66, 99. Beîin, 66.
André, 67. Bell (Tom), 216.
Andreiev, 216. Beîloc, 72.
Andreytchine, 65, 227, 234, 235. Benoit, 152.
Annunzio (d’), 75. Berard (V.), 99.
Antoine, 25, 27. Bergson, 31.
Antonini, 299, 309, 319. Beria, 437.
Antonov-Ouvsenko, 112, 397, 399. Berlioz, 300.
Antourville, 147. Bernard (Théo), 440.
Appleton, 168. Berneri, 397.
Aragona (d’), 179, 202, 219, 223, Bernstein, 134.
Berry, 43.
Arlandis, 226, 235. Berthelet, 170.
Armand (Inessa), 199. Besnard, 241-243, 245, 251, 253,
Audoye, 151. 254, 314-
Aufrére (J.), 319. Bestel, 269.
Azafia, 396, 397. Bianchi (G.), 219.
524 alfred rosmer

Bianchi (M.), 55. Cachin, 116, 148, 177, 179-181


Bigot (Marthe), 358. 193, 200, 258, 263, 268, 272
Bismarck, 215. 273, 275, 276, 281, 283, 301
Bissolati, 54, 451. 457.
Blanc, 158. Cadeau, 305.
Blanchard, 60, 68, 147. Caillaux, 62, 107.
Blasco. Voir Tresso. Caillavet, 27.
Blatchford, 99. Camus, 14, 423, 449.
Bled, 67, 142. Cannon, 420, 421.
Bonnot, 40, 41, 152, 191. Capy (Marcelle), 120, 142, 147.
Bordiga, 180, 205, 209, 316, 348, Chabert, 233.
456. Chabline, 223.
Borel, 313. Challaye, 169.
Borghi (Armando), 181, 224. Chambelland (Maurice), 242, 247,
Borodine, 209. 249, 250, 254, 255, 299, 314,
Boi.ha, 58. 318, 319, 327, 350, 365, 366,
Bouchor (Maurice), 103. 401, 410, 414, 417, 424, 449.
Boudoux, 68. Chamberlain (John), 389.
Bouët, 151. Chanvin, 127, 146.
Bouguereau, 24. Charbit, 14, 160, 259, 299, 314,
Boukharine, 160, 163, 177, 187, 319, 323, 358, 388, 405, 410,
188, 192, 200-202, 214, 215, 241, 419, 434.
264, 270, 284, 285, 316, 320, Chen Du Xiu, 435.
321, 330, 340, 341, 353, 441. Chesterton, 72.
Bourderon, 111, 112, 116, 117, Chiaromonte (N.), 414.
120, 124, 128, 130, 132, 136, Chliapnikov, 176, 179, 192, 193,
137, 139, 140, 144, 145, 147, 230, 330-
149-151, 158, 161, 164, 388. Clemenceau, 25, 42, 140.
Bourgeois, 43, 44. Clement, 67.
Bourget, 27, 28, 31, 40. Colliard (Lucie), 304.
Bourstev, 113. Collinet, 380, 440.
Bowman, 80, 91, 92, 94. Colombini (E.), 220,
Brandler, 300, 305, 306, 329, 377, Compain, 103.
456. Copeau, 27.
Brantmg, 155. Cordier, 304.
Braun (NT.). Voir W olf (Erwia). Corio, 91.
Breton (André), 388, 423. Cornelissen, 86, 90, 91, 94, 95, 142.
Briand, 37, 43, 50, 179, 208, 265, Cornette, 380.
426. Cot (Pierre), 409-
Brion (Hélène), 145, 147, 151, 197. Cotton (Maria), 353.
Brisson, 102, 111, 132, 147, 164. Coty, 401.
Brizon, 116, 148, 158. Coupât, 60, 61, 84, 85.
Broqueville, 47. Couriau, 40.
Brousse, 52. Cousin, 170.
Broutchoux, 30. Coûtant, 43.
Browder (Earl), 224. Couture, 92.
Brown (Irwing), 419. Craipeau, 422.
Brupbacher, 102, 121, 162, 260, Cremet, 301-
314, 352, 451.
Buisson, 28. Crook, 92.
Buré, 409. Daean, 24.
Burnham, 405. Daladier, 394, 424.
Dato (Eduardo), 398.
index 525

Daudet, 312, 369. Escoffier, 132.


Dawes, 311, 326. Ettor, 82.
Déat, 410.
Delà cour, 45. Fabre, 27.
Delagarde, 292, 309, 312, 317. Farell (J.T.), 388, 414, 429.
Delaisi, 28, 62, 63. Farras, 30.
Delaunay, 417. Faure (Edgar), 426.
Delesalle, 126, 169. Faure (Paul), 108, 119, 120, 330.
Delfosse, 353. Faure (Sébastien), 37, 152.
Delhay, 145. Ferrât, 344, 345.
Delsol, 353. Fimmen, 244.
Delzant, 67. Finerty, 390.
Demoulin,. 92. Fischer (Louis), 456.
Denikine, 182. Fischer (Ruth), 176, 300, 301, 325,
Denis (Maurice), 25. 329, 362, 392, 456.
Desbois. Voir Després. Fiers, 27.
Després, 104, 120, 142. Ford (K.C.), 73.
Deutscher, 402, 404, 416, 444. Foster, 32, 73, 82, 83, 234, 246,
Dewey, 389-391, 402, 441. 326.
Dimitrov, 227, 388. France (Anatole), 28.
Dispan, 131. Franco, 397, 399, 435.
Dommanget, 367. Frank (Pierre), 358, 359, 382, 402,
Doriot, 301, 310, 317, 401, 410. 419.
Dome, 378. Frankel, 370, 378, 390.
Dret, 68. Freund, 397.
Dreyfus, 28, 44, 54, 309, 388, 439. Freyns, 202.
Dubois, 67. Frinc, 202.
Dubreuilh, 145. Frossard, 60, 116, 119, 149, 179,
Duchemin, 39. 181, 200, 254, 255, 258, 266,
Duclos (J.), 438. 267, 269, 270, 272, 273, 275,
Dugoni (H.), 220. 276, 278, 305, 306, 309, 312,
Duhamel (G.), 330. 317, 456.
Dumas (chef de cabinet de Gues­ Fuzo, 363.
de), 135, 141.
Dumas (habillement), 67, 127. Galan, 247.
Dumercq, 64, 65. Gaxnery, 319.
Dumoulin, 65, 67, 68, 71, 88, 89, Gamïer, 91, 92.
97, 101, 104-106, 108, 115, 126, Gassier (H.P.), 116.
128, 132, 147, 164-166, 169. Gaudeaux, 227, 228, 237, 253.
Dunois, 28-32, 35, 106, 108, 116, Gaulle (de), 409, 410, 427.
120, 126, 136, 267, 269, 272, Gaumont (Jean), 31.
273, 297» 298, 313, 327, 330, Gauthier, 348.
344, 449. Gautier, 66.
Duque, 91, 96. Gaye, 227, 237.
Durcan, 23. Gémier, 27.
Dzerjinski, 331. George (Lloyd), 50, 59, 134.
George (P.). Voir Airelle (G.).
Eastman, 162, 166, 322, 455. Gérard (Francis). Voir Rosenthal
Eisner, 300. (G.).
Enderlé, 257. Gide, 330, 450.
Engels, 370. Giovanitti, 73.
EngJer, 348. Girard, 152.
Ercoli. Voir Togliatti. Girault (S.), 22, 269, 273, 277, 288,
526 alfred rosmer

290, 292, 296, 297, 301, 314, Hoglund, 155, 208, 305, 306.
372. Holmes, 79.
Godonnèche, 227-230, 233, 299, Homo. Voir Grumbach.
318, 319. Horthy, 328.
Gogumus, 62. Hoschiller, 67.
Goldsmith (Marie), 29. Hubert, 147.
Gomez. Voir Gorkin. Humbert-Droz, 14, 163, 239-241
Gompers, 59, 82, 246. 247, 253, 255, 260, 262, 267’
Gorkin (J.), 440. 269, 275-281» 287, 292, 343
Gôrter, 181, 204-207, 217, 451. 344, 458.
Gourget, 358-360, 370. Huysmans, 85, 158.
Gramsci, 205, 208, 211. Hyndman, 56, 57, 78, 80, 99, 139
Grandidier, 142. 432.
Grave (Jean), 38, 152, 227.
Griffuelhes, 45, 61, 66, 67, 169, Ibanez, 226.
241, 260, 262. Ibsen, 21, 25, 27.
Grimm, 134-136, 146, 154. Iglesias, 155.
Groussier, 52. Ikadzé, 223.
Grumbach (Salomon), 135. Ilbert, 277.
Guérard, 61, 84, 85.
Guérin (Daniel), 422, 428. Jackson, 407, 408.
Guesde, 51-53, 111, 115, 116, 119, Jacobs (Sarah), 14, 428, 431, 441,
135, 150, 152. 444.
Guichard, 41. Jacquemin, 170.
Guieysse, 29, 64. Jacquemotte, 77.
Guigui, 409. Jacquet (A.), 20.
Guiheneuf, 331, 332, 336, 458. Jacquet (Gérard), 440,
Guilbeaux, 111, 114, 123, 181, 184, Jansen, 209,
186, 187, 199, 200, 296, 317, Janvion, 31.
439. Jaurès, 31, 39, 53, 54, 84, 98, 102,
Guillaume (James), 64, 67, 73, 104, 105, 126, 143, 327.
101-103, 121, 315. Jean (Renaud). Voir Renaud (Jean).
Guillot (Marie), 131, 151, 166. Jensen, 76, 92.
Guilloud, 306. Jerram, 292, 301.
Guilloux (Louis), 118. Jouhaux, 45, 60, 61, 66, 67, 72,
Guitry, 27. 88, 90, 101, 102, 105, 108-111,
114, 126, 127, 132-134, 142,
Hagnauer, 259, 318, 410, 411, 424. 143, 152, 158, 164, 165, 172,
Hardie (Keir), 76, 78, 118, 129. 217, 244, 262, 367, 382, 452.
Hasfeld, 111, 147, 317. Jouve, 233.
Haywood, 73, 74, 77, 82, 227, 234.
Heckert, 216, 224, 230. Kabatkchiev, 202.
Helphland. Voir Parvus. Kagan, 345.
Henderson, 171, 217. Kahn, 412.
Herclet, 193, 315, 316, 344, 345. Kamenev, 187, 192, 285, 286, 321,
Hervé (Gustave), 42, 61, 331, 335, 337, 339, 342, 352,
Hervé (Pierre), 426. 388, 391.
Herzen, 125. Kapp, 85, 300,
Hess (Rudolf), 391. Kareva (Olga), 398, 399.
Hildebrand (G.), 451. Kater, 77, 91, 92, 94-96, 451.
Hindenburg, 329, 342. Kautsky, 84, 134, 183.
Hitler, 363, 388, 393, 400, 406, Kemal, 342.
410, 436, 456. Ker, 269, 273.
index 527

Ker (Madeleine), 316. Legien, 84, 85, 88, 89, 101, 126,
Kerenski, 113, 191. 168, 217, 218.
Keufer, 40, 60, 61. Leguem, 109, 117.
Kibaltchiche. Voir Serge. Lemaire, 91, 92.
Klein, 66. Lemire (Abbé), 38.
Kneller (Michel ou Moïse), 227, Lemoine, 171, 227, 228, 235.
228, 232, 237, 253. Lénine, 18, 21, 45, 98, 134, 137,
Knight, 230. 138, 157-163, 168, 171, 178,
Knokaert, 92. 181, 182, 185-188, 193, 199,
Koestler, 450. 201-209, 213, 215-218, 243, 257,
Kollontaï, 192, 193, 353. 258, 260, 270, 286, 289, 292,
Koltchak, 167. 297, 299, 304, 318, 320, 321,
Konen, 213. 323, 325, 329, 335, 337-339,
Korsch, 362. 341, 342, 353, 354, 369, 379,
Krassine, 198. 385, 413-416, 429, 446, 455.
Kravchenko, 442. Lenoir, 60, 68, 110, 124, 147, 345.
Krestinsky, 391. Lepape, 347, 360.
Kropotkine, 31, 121, 176, 190, 191, Lepetit, 147, 189, 190, 200, 415.
227, 338. Leroy (Maxime), 69.
Khrouchtchev, 435, 437, 441. Lesoil, 377, 378.
Kun (Bela), "201, 209, 212, 213, Levi (Paul), 179, 181, 202, 213,
326, 454. 306, 389, 456.
Kuusinen, 325. Lévine, 360, 380.
Levy, 61, 109, 140.
Lewis, 408.
Labe, 60, 110, 147. Liebknecht (K.), 114, 117, 118,
Labin (Suzanne), 423. 122, 129, 134, 155, 208, 215.
Labonne, 227, 237. Lifchitz. Voir Souvarine.
Labourbe (Jeanne), 199. Lilyan, 92.
Labriola, 182. Lindbergh, 408.
Lac, 172. Liochon, 40.
Lacoste (G.), 319. Li-Ou-An, 202.
La Folette (Suzanne), 389-391. Loiseau, 108.
Lafont, 109, 261, 271, 278. London (Arthur), 419.
Lagardelle, 45, 61, 260. Longuet, 73, 116, 118, 141, 149,
Landau (Kurt), 363, 375, 376, 378, 150, 158.
398, 399, 430. Loriot, 145, 147,149-151, 158,
Lansbury, 57, 132. 160, 163, 171, 241, 313, 327,
Lansink, 92. 330, 344, 347.
Lanty, 332. Lounatcharsky, 187.
Lantz, 62. Louzon, 166, 319, 324, 342, 344,
Lapeyre, 417. 348, 352, 401, 419, 425, 426,
Lapiene, 67. 434, 435.
Lapinsky, 112, 115. Lozovsky, 122, 137, 187, 216, 218,
Lasalle, 29. 220, 223, 224, 230, 234, 235,
Latapie, 61, 84. 237, 240-243, 249, 250, 252,
Laurat, 385. 255-258, 290, 293, 303, 393,
Laval, 109, 395, 401, 402, 456. 398.
Lazarevitch, 184, 331, 336, 337.
Lecœur, 426. Luce (Maximilien), 24.
Ledebour, 161. Ludwig. Voir Reiss.
Lefebvre (Raymond), 123, 147, Luquet, 118, 126, 128.
189, 200, 258, 415, 451. Luxemburg, 49, 56, I l 5, 134,
Lefevre, 68. 155, 215.
528 alfred. rosm er

Mac Donald (Ramsay), 55, 57, 58, 108-111, 117-120, 124, 125, 127-
79, 134. 134, 136-140, 144, 146-148 151
Macia, 395. 156, 158, 160, 161, 164, 165’
Mac Laine, 202. 167, 169, 244.
Mahouy, 304, 313. Mesnil (Jacques), 143.
Malatesta, 31, 48, 135, 176, 181. Meyer (Anton), 235.
Mallarmé, 182. Michelet, 91, 92.
Malraux, 427. Mignon, 141, 146.
Malvy, 165. Milkitsch, 223.
Mann (Tom), 21, 77-82, 89, 92, Mill. Voir Obin.
177, 224, 225, 230, 235, 243. Millerand, 37, 43, 54, 55, 165, 312.
Manouilsky, 266, 267, 269. Million, 110.
Mao-Tsé-Toung, 430, 435. Mistral, 119.
Marchand (René), 199, 200. Modigliani;, 211.
Mari (Duïlio), 232, 248. Molinier (Henri), 357.
Marie, 142. M o lin ier /R avm nnflV 357 358
Maring. Voir Sneevliet. 365, 368-373, 377-381, 403. ’
Marlan. Voir Léon Sedov. Monmousseau, 171, 233, 241,
Markmann, 92. 242, 247, 248, 253-256, 260,
Marrane, 276, 301, 316. 262, 267, 324.
Marshall, 417. Mooney (Tom), 389, 390.
Martin (Pierre), 103. Morel. Voir Ferrât.
Martin des Palliéres (Jeanne), 358, Morgari, 117, 121, 136.
403. Mougeot, 14, 317, 355, 358, 359,
Martinet (J.-D.), 14, 275, 417, 419, 363, 364, 368, 370, 371, 373,
423, 440, 443. 379, 401.
Martinet (Marcel), 14, 68, 104, Moulin. Voir Freund.
108, 110, 111, 125, 131, 137, Murphy, 202, 222.
140, 171, 176. Musham (Eric), 345.
Martov, 112-114, 128, 134, 159, Mussolini, 156, 180, 211, 220, 436.
335.
Martsei, 202. Nadeau, 440.
Marty, 426. N avilie (Claude), 357, 375, 379,
Marx (Karl), 29, 31, 56, 99, 118, 380.
346, 432, 442. Naville (Pierre), 260, 355, 357,
Marx (Madeleine). Voir Paz (M.). 360, 363, 365,368-371, 374,
Marzet, 296, 319, 358. 379, 381, 434, 436, 440.
Masarik, 180. Nègre, 75, 91.
Maslow, 176, 300, 302, 325, 329, Nettlau, 176.
362, 392. Nicod, 116, 117.
Masson (E.), 36. Nicolaevski, 214, 215, 330.
Maurin, 226, 230, 232, 396, 398. Nicolet, 66.
Maurois (A.), 409. Niel, 60, 61, 66, 84, 85.
Maurras, 41, 44. Nielsen, 46.
Maximov, 202. Nin, 226, 230, 237, 256, 363, 378,
Melnitchanski, 220. 396, 398, 399, 456.
Menant (Sarah), 359. Nofri, 212.
Mendès-France, 426. Nogen, 235.
Mercader. Voir Jackson.
Méric (Victor), 265, 278. Obin, 360, 363, 370.
Merleau-Ponty, 424. Okum. Voir Obin.
Merrheim, 30, 37, 53, 58, 60, 62-
69, 84, 85, 86, 98, 102, 104-106, Pak, 202.
index 529

Pams, 44. Purcell, 219.


Pannekoek, 181, 205, 217, 352,
451. Quelch, 202, 209.
Paquereaux, 269, 273. Quemereis, 255.
Paradis, 110, 111, 140. Quinton, 233, 241, 245, 262.
Paréce, 115.
Parijanme, 445. Racamoncl, 233.
Parmentier, 145. Kacovsky, 135, 159, 441.
Parvus, 160, 357. Radek, 137, 179, 181, 183, 186,
Pascal (Pierre), 188, 198, 199, 320, 200, 201, 209, 214, 218, 222,
322, 332-338, 343, 349, 371, 223, 237, 300, 329, 388, 441,
457, 458. 451.
Pataud, 45, 46, 72. Raffin-Dugens, 141, 150, 158.
Patri, 380. Rajk, 419, 441.
Paz (M.), 353, 364, 391. Rambaud, 233, 247.
Paz (Maurice), 327, 330, 317, 354, Rarosay, 222.
356, 357, 371. Ransome, 162, 184.
Péguy, 29. Rappoport, 119, 120, 177, 263,
Peïloutier, 112, 166, 169, 346, 426. 265, 266, 313.
Péricat, 110, 146, 147, 151, 152, Rault, 23, 29.
172, 181, 207, 257. Ravachol, 40.
Perkins, 88. Ravaté, 64.
Pestana, 187, 202, 203, 223, 224, Ravitch, 285.
247, 248. Reclus, 31.
Pétain, 42, 165, 180. Reed (John), 162, 166, 184, 209,
Petit (Michel), 39. 218, 222.
Petit (R.), 199. Reiger, 232.
Pezzoni, 212, Reiland, 368, 370, 371, 377, 379.
Piatakov, 330, 355, 388. Reiss (Ignace), 398-400.
Picard, 65-67. Relenque. Voir Kneller.
Pickel, 344, 345. Rémy, 29.
Pierrot (Dr), 29, 39. Renan, 171.
Pilniak (Boris), 398. Renaud (Jean), 271, 272, 276, 281.
Pioch, 278, 309, 312. Renaudel, 105, 116-118, 120, 134,
Pissaro, 24. 136, 141, 149, 150.
Pivert (Marceau), 357, 380, 403, Renoult (Daniel), 116, 265, 272,
451. 276.
Platten, 159. Rhein (Marc), 398.
Plekhanov, 335, 422. Riazanov, 403.
Poë (Lugné), 25. Richetta, 170.
Poincaré, 43, 44, 109, 148, 158, Rigola, 48.
180, 285, 326. Rikov, 192, 230, 285, 341, 353,
Poisson, 43. 388.
Ponsot (G.), 50. Roche (Karl), 91, 92, 95.
Popovith (Douchan), 135. Rocher, 148, 446.
Poretsld. Voir Reiss. Rod (E.), 28.
Pouget, 45, 46, 60, 72, 73, 169. Roger, 170.
Poujade, 427. Roland-Holst (Henriette), 352, 456.
Poussel, 293. Rolland (Madeleine), 154.
Préobrajenski, 345-347. Rolland (Romain), 14, 26, 103,
Pressemane, 119, 136, 149. 107, 120, 124-126, 131, 154,
Primo de Rivera, 328, 396. 158, 166, 175, 185, 199, 200,
Proudhon, 346. 210, 215, 439.
530 alfred rosmer

Romains (Jules), 409. SizofF. Voir Collinet.


Romero, 91, 95. Slansky, 441.
Rommel, 409. Sméral (Bohumir), 180,
Roosevelt, 409. Smilie (R.), 170,
Rosenthal (Gérard), 360, 370, 440. Sneevliet, 375, 376, 393, 400.
Ross (E.A.), 389. Sobell. Voir Sobolevicius.
Rossi. Voir Tasca. Sobelsohn, Voir Radek.
Rossoni, 91. Sobolevicius (Senin et Wel), 363.
Rostand, 27. Soljénitsyne, 442.
Roudine. Voir Hoschiîler. Soreî, 29, 201, 346.
Roudnianski, 202. Souvarine, 25, 163, 226-228, 237
Rousseau, 24. 239, 263, 264, 266, 267, 269’
Rousset (David), 360, 440. 272, 273, 275-277, 287, 288’
Roy (M.N.), 209, 313, 429, 430. 291, 295, 297-301, 304, 305,
Ruelhe (O.), 389, 404. 309, 316, 324, 330, 341, 344,
Ruffin, 417. 348, 349, 354-356, 374, 430,
Ruppert. Voir Cornelissen. 456.
Sperber (Manés), 440.
Staline, 15, 18, 22, 186-188, 216,
Sacco, 388-390. 285-287, 291, 317, 335, 336,
Sadoui (Georges), 199-201. 339, 342, 343, 349, 351-354,
Saint-Prix (Madame de), 154. 356, 363, 369, 371, 373, 384,
Saint-Prix (Jean de), 104. 387, 395-397, 400-402, 405-407,
Sapronov, 192.
Sartre, 424, 430, 440. 409, 410, 413, 414, 416, 418,
432, 433, 435-441, 444, 455,
Saumoneau (L.), 117, 120, 145, 456.
147, 154, 163, 172. Stanislavski, 27, 195.
Sauvage, 64.
Sayers, 412. Stinnes, 85.
Stolberg, 389, 390.
Schachtman, 362, 363, 370, 405. Swasey, 92.
Schapiro (Alexandre), 184, 452.
Scheidemann, 134.
Schmidt, 220. Tanner (Jack), 92, 202, 203, 222.
Schumacher, 302. Taradellas, 398.
Séché (A.), 27. Tasca, 208, 256, 416, 456, 458.
Sédov (Léon), 358, 360, 363, 370, Taylor, 64, 387.
390, 402, 403, 430, 442. Tchang-Kaï-Chek, 435.
Seeckt (Von), 391. Tchernov, 194.
Sellier, 150, 273, 276, 281, 301. T chitcherine, 187.
Semard, 233, 247, 297, 301, 305, Terracini, 193.
306, 349, 451. Thaelman, 302, 329, 392.
Sembat, 117, 150. Thalheimer, 305, 377.
Serge (Victor), 177, 191, 331, 332, Tharaud (J.), 28.
343, 355, 398, 399, 402, 427, Thévenon, 417.
428, 443, 445, 458. Thierry (Albert), 20.
Serrati, 156, 177, 180, 181, 202, Thomas, 76, 111, 171, 236, 389.
209, 211, 251, 343, 344. Thorez, 348, 412, 427, 438.
Servin (M.), 438. Tillet, 92.
Severin (F.), 232. Tito, 433, 435.
Shaw (G.B.), 27, 28, 56, 90. Togliatti, 211, 264,
Signac, 152. Tomann, 202.
Silone (I.), 213, 439, 450. Tomlinson, 92.
Siquieros, 407. Tommasi, 227, 228, 230, 233, 234,
Sirolle, 228, 229, 237, 253. 241, 269, 273.
index

Tomsky, 192, 220, 285. Veber, 247, 255.


Torrés, 409. V p pp Iii
Totti, 253. Verdier, 233, 241, 253, 262, 314.
Touraud, 378. Verfeuil, 309.
Tourette, 102, 104, 111, 140, 152. Vergeat, 147, 171, 172, 189, 190,
Tranmael, 75, 76. 200, 415.
Treint, 22, 265, 267, 269, 273, Verhaeren, 27,
276, 277, 281, 287-290, 292, Verliac, 38, 39.
293, 296-301, 303, 310, 311, Vernet (M.), 39.
314, 316, 324, 325, 327, 343- Villeval (A.), 319.
345, 347, 353, 355, 372, 377, Viollis, 330.
380, 458. Viviani, 54, 126.
Tresca, 389. Voirin, 67.
Tresso, 257, 458. Voldsky, 119.
Trêves, 156, 208.
Trotsky, 14, 15, 18, 22, 32, 45, Waldeck-Rousseau, 28.
77, 100, 112-115, 121, 123, 124, Waîetski, 216.
131, 134, 136-138, 143, 148, Wallace, 429.
149, 156-160, 163, 168, 171, Walter (Allemagne), 202.
172, 181-183, 185-188, 191, 192, Walter (Liège), 74, 89.
195, 198, 201, 203, 212, 213, Walusinski, 415, 417, 419, 423,
216, 223, 225, 237, 238, 241, 425 442.
259, 260, 264, 266, 267, 270-272, Webb (B. et S.), 55, 58, 72, 81.
275, 277, 280, 285, 286, 288-291, Weil (Simone), 393.
296, 298, 300, 308, 310, 315, Wells (H.G.), 330.
320-323, 325, 326, 335, 336, Wendelin (Thomas), 389.
339, 342, 345. 350, 351, 353- Werth, 276, 327.
358, 360-363, 365, 366, 368-382, Wesselingh, 92.
384-396, 398-402, 404-408, 412, Wijnkoop, 200.
414-416, 421, 422, 431, 432, Williams, 219, 226, 227, 229, 231,
435, 442-446, 450, 451, 455, 232, 235.
456, 458. Wills, 92.
Trotsky (Natalia), 391, 404, 408, Wilshire, 92.
421, 422, 430-432, 441, 443, Wilson, 122, 165, 167, 389.
444. Windhoff, 92, 95.
Truman, 429. Wolff (Erwin), 398.
Tziperovitch, 220, 230. Wrangel, 182, 353.
Turati, 156, 204, 208, 211.
Urbahns, 362, 375, 385, 458. Ypsilon, 446.
Urquhardt, 198. Yvon. Voir Guiheneuf.

Vacher, 380. Zamora, 390, 391.


Vaillant, 51, 52, 76, 116, 119. Zetkin, 134, 176, 193, 213, 265,
Vaillant-Couturier, 269, 273. 359, 452, 455.
Vallina, 91. Zinoviev, 65, 159, 160, 183, 186,
Van den Berg, 92. 187, 192, 194, 200-202, 209, 220,
Van der Hagen, 92. 221, 224, 225, 237, 259, 262,
Vandervelde, 119, 129, 136, 216. 264, 270, 275, 276, 281, 285-
Van Erkel, 92. 287, 289, 295, 296, 300, 302,
Van Heijenoort, 442. 303, 316, 321, 324, 326, 327,
Van Leven, 202. 335-337, 339, 340, 342, 348,
V^n Overstraeten, 208, 375, 376. 352, 353, 372, 388, 391, 453-
Vanzetti, 388-390, 457.
Varga (E.), 176, 203. Zola, 25, 28.
Table
Abréviations................................................................................... 7
Introduction................................................................................... 9

I. F ace a la Seconde I nternationale social-démocrate .... 33


1. Le syndicaliste révolutionnaire ...................................... 35
2. Le syndicalisme révolutionnaire, tendance internationale 70
3. Les débuts de la lutte minoritaire ............................... 98
4. Zimmerwald et ses conséquences .................................. 136

II, D ans la T roisième I nternationale ...................................... 173


1. Premiers contacts à Moscou ......................................... 175
2. Les Internationales Rouges .. . ...................................... 199
3. Luttes de tendances dans la CGT et dans le P C F ....... 239
4. Défaite devant les zinoviévistes .................................. 275

lïl. A utour de la Quatrième I nternationale ......................... 307


1. 1925-1926. La Révolution Prolétarienne ....................... 309
2. 1928-1933. L ’Opposition de Gauche ............................. 350
3. La nature de classe de l’Etat stalinien ....................... 383
4. Pour une voie ouvrière ................................................ 411

Sources et bibliographie .............................................................. 460


Index............................................................................................. 523
Achevé d'imprimer
le 10 juillet 1971
sur les presses de l’Imprimerie
Laballery et Cie, 58 - Clamecy
N ° d'Editeur ; 467
tirage : 2 200
Dépôt légal : 8e trimestre 1971
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