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Séance 2 : Le dilemne cornélien (Pierre Corneille, Le Cid, Acte I, scènes 5 et 6)

1. a) Don Diègue demande à son fils d’aller le « venger » (v. 272). Or l’affront est tellement grave qu’il ne
peut être lavé que par le sang : don Diègue demande à Rodrigue de provoquer l’offenseur en duel et de
le tuer (« ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage ; /Meurs, ou tue. » (v. 274-275)

b) Don Diègue demande à son fils de le venger parce qu’il n’a pas pu le faire lui-même. Rodrigue
faillirait à son devoir et ne serait pas un homme d’honneur s’il ne lavait pas l’affront subi par son père.
Mais ce qu’il est important (et difficile) de comprendre, c’est qu’en recevant un soufflet, ce n’est pas
seulement son propre honneur qui a été bafoué, mais l’honneur de toute la famille, de toute la lignée. La
honte du père sera aussi la honte du fils si Rodrigue décide de ne rien faire. Dans la société féodale, les
nobles existent moins comme individus que comme membres d’une famille. « montre-toi digne fils d’un
père tel que moi », demande don Diègue à Rodrigue (v. 288). Cette logique de « clan » est un peu
compliquée à appréhender car elle n’existe plus vraiment dans les sociétés occidentales actuelles, sauf
dans certains milieux très précis, comme celui de la mafia. Ainsi, pour Rodrigue, il ne s’agit pas
seulement de venger son père, mais avant tout de venger sa famille, son nom, et donc aussi de se venger
lui-même (« venge-moi, venge-toi », v. 287). Don Diègue fait appel à l’honneur, au devoir, et au « cœur »
(c’est-à-dire au courage), trois valeurs essentielles dans l’aristocratie féodale.

2. a) Don Diègue donne son épée à Rodrigue pour qu’il aille le venger. b) Trop vieux, trop faible, il se
retire donc du devant de la scène et laisse sa place à son fils (ou plutôt il le pousse sur le devant de la
scène et l’incite à prendre sa place). L’épée de don Diègue symbolise pour Rodrigue le prestige du passé
familial, mais cet héritage lui impose aussi des devoirs, notamment celui de se montrer à la hauteur de
son nom. On pourrait presque voir ici une scène d’adoubement : Rodrigue reçoit son épée de chevalier et
doit affronter un adversaire redoutable pour prouver sa valeur et devenir un homme.

3. a) Don Diègue commence par tester le courage de Rodrigue et réveiller son ardeur : « Rodrigue, as-tu
du cœur ? » (v. 261) On peut considérer cette question comme une sorte de « pièges », puisqu’une fois
que Rodrigue aura affirmé que son courage est sans limites, il lui sera beaucoup plus difficile de refuser
ce que va lui demander son père. b) Oui, sa stratégie fonctionne parfaitement, puisque Rodrigue
répond : « tout autre que mon père / L’éprouverait sur l’heure », v. 261 - 262), ce qu’il faut comprendre
comme « celui qui oserait prétendre que je n’ai pas de courage, je lui prouverais immédiatement le
contraire en me mesurant à lui (mon père mis à part, puisque je ne vais pas me battre contre mon propre
père) ». Rodrigue, qui ne sait pas encore pourquoi son père lui pose cette question, répond avec fougue,
sans réfléchir : or en affirmant qu’il est prêt à prouver son courage en se mesurant à qui que ce soit (son
père mis à part), il inclut sans s’en rendre compte le père de Chimène. S’il n’y pense pas, c’est qu’à ce
moment-là il n’a absolument aucune raison de se battre contre son futur beau-père. Rodrigue est donc
pris au piège, puisque s’il refuse de se battre contre le père de Chimène le moment venu, il n’aura pas
tenu sa parole.

4. Don Diègue retarde le moment de révéler à Rodrigue l’identité de la personne dont il devra se venger
car le Comte est le futur beau-père de Rodrigue et par conséquent l’une des personnes au monde contre
lesquelles Rodrigue a le moins envie de se battre. En effet, s’il remporte le duel et tue le Comte, son
mariage avec Chimène sera fortement compromis. Comment Chimène pourrait-elle se marier avec
l’assassin de son père ?

5. a) Quand don Diègue révèle enfin l’identité de la personne que Rodrigue devra combattre, il ne
l’appelle pas « le Comte », mais le « père de Chimène ».

b) En le nommant ainsi, il devance ce que son fils aurait pu lui répondre. Il lui enlève son argument et lui
montre qu’il est parfaitement conscient des implications de sa demande : renoncer à son amour pour
défendre son honneur.

6. a) Les pronoms complétant le verbe « venger » sont : › vers 267 : « viens me venger » ; › vers 287 : « Je
ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi » ; › vers 290 : « va, cours, vole et nous venge »

b) Entre le début et la fin de la scène, on est passé d’un « me », « moi » à un « toi » pour finalement
aboutir à un « nous ». Ce changement résume le discours que don Diègue a tenu à son fils : l’affront subi
par le père rejaillit sur le fils. Il ne s’agit plus d’une histoire de vengeance personnelle, mais d’une
vengeance familiale dont dépendra l’honneur de tout un clan.

7. › Don Diègue fait avant tout appel au courage de Rodrigue. En effet la célèbre question : « Rodrigue,
as-tu du cœur ? » (v. 261) inaugure cette scène, il utilise le mot même de courage au v. 273. › Il sollicite
également « l’honneur de tous deux » (v. 268) que Rodrigue doit laver. L’honneur dont il est question est
celui de la famille, de la lignée. Enfin cet honneur va de pair avec la justice du sang qui nécessite de
« venger et punir » (v. 272).

8. Soit Rodrigue vit son histoire d’amour avec Chimène mais refuse de laver l’honneur bafoué de son
père, et voue ainsi sa famille au déshonneur ; soit Rodrigue venge son père, en tuant celui de Chimène,
et il sait qu’il devra renoncer à l’amour de celle qui ne pourra aimer l’assassin de son père : « Je dois à ma
maîtresse aussi bien qu’à mon père » (v. 322).

9. « Allons mon âme ; et puisqu’il faut mourir, /Mourons au moins sans offenser Chimène » (v. 329-330),
la troisième voie qu’envisage ici Rodrigue semble être le suicide, il disparaitrait avant d’avoir à affronter
le Comte. Cette dernière hypothèse permet de laisser le spectateur dans l’expectative jusqu’au deuxième
acte, néanmoins il est bien évident que cette fuite ultime sied mal au héros cornélien.

IMAGE 2 : Le Cid, mise en scène de William Arbache, 2007.

1. Cette image correspond au moment où don Diègue transmet à son fils son épée : « et ce fer que mon
bras ne peut plus soutenir, / Je le remets au tien pour venger et punir »(v. 271-272). On peut tout à fait
imaginer que les personnages restent dans cette position jusqu’à la fin de la tirade de don Diègue.

2. a) On ne peut distinguer quel personnage tient l’épée.

b) Ce choix de mise en scène est intéressant, car il montre bien la transmission qui s’opère entre le père et
le fils. Le jeune bras de Rodrigue aide le bras fatigué de son père à tenir l’épée, symbole de vengeance.
Les comédiens vus de profil se font face, l’épée apparait comme un double symbole étant à la fois ce qui
les sépare et ce qui les réunit.

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