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D.M.

23 : intégrales à poids (intégrales de Stieltjes)


pour le lundi 18 juin 2018

Introduction, motivation :
En un certain sens, l’intégrale d’une fonction f sur un segment [a, b] est une mesure bien
particulière de f , basée sur les valeurs qu’elle prend (le mot mesure a en maths un sens que nous
préciserons partiellement plus loin, on parle d’ailleurs d’un côté de mesure de sous-ensembles de R
et d’un autre côté de mesure de fonctions comme sous-entendu ici). Précisons un peu :
b n
● si f est une fonction en escalier sur [a, b], son intégrale ∫ f = ∑(ci+1 −ci )`i est la somme des
a i=1
valeurs `i de f prises par la fonction sur les intervalles de longueurs non nulle, où elle est constante,
chacune affectée du poids ci+1 − ci égal à la longueur de l’intervalle associé. Au coefficient (b − a)
près, cette intégrale est la valeur moyenne de f , qui est le barycentre (i.e. la moyenne pondérée)
des `i munis de ces poids (ci+1 − ci )/(b − a).
n
● si f est une fonction continue par morceaux quelconque, une somme de Riemann ∑(ci+1 −
i=1
ci )f (ci ) est aussi une somme de valeurs prises par f , affectées de poids égaux à la longueur d’un
intervalle, où, de manière approchée, f prend cette valeur. L’approximation est d’autant plus précise
que le pas de la subdivision est petit. Le fait que les sommes de Riemann convergent vers ∫ f
I
permet de penser que l’intégrale ∫ f correspond encore, une fois divisée par b − a, à la description
I
d’une valeur moyenne de f
Dans ce mode de calcul d’une ≪ moyenne ≫, tous les points du segment [a, b] sont traités de
manière uniforme. En effet :
— tout point isolé ne fournit qu’un poids nul, puisqu’une fonction nulle partout sauf en ce point
à une intégrale nulle : on dit qu’il est négligeable. Ce n’est donc que regroupés en intervalles
b
que les points participent réellement au calcul de ∫ f .
a
— le poids attribué à un intervalle, égal à sa longueur, est indépendant de sa position dans I.
Cette égalité de traitement est d’ailleurs à la base de l’invariance de l’intégrale par transla-
tion.
Or, cette évaluation équitable d’une moyenne ne répond pas forcément à tous les besoins. On
peut avoir envie d’accorder plus d’importance aux valeurs prises par f sur une certaine partie de
l’intervalle I, ou vouloir tenir compte de la valeur prise par f en certains points isolés (on dit
≪ charger ≫ certains points). Ceci apparaı̂t naturellement par exemple dans le problème de calcul

d’espérance en probabilité, mais pas seulement.


Il est donc naturel de se poser la question d’une définition de l’intégrale qui répondent à ces
besoins.
Le problème qui suit répond à cette exigence au moyen d’une fonction p ∶ I → R qui permet
de contrôler le poids accordé à tout intervalle de I. Pour simplifier, on supposera que toutes les
fonctions à intégrer sont continues.

Définition de l’intégrale de Stieltjes associées à une fonction croissante p


Dans tout le problème I est un segment [a, b] et p est une fonction croissante de I dans R.
Soit f ∈ C([a, b], R).
Pour toute subdivision σ = {c0 = a < c1 < ⋅ ⋅ ⋅ < cn = b} de I, on note pour tout i = 0, . . . , n − 1,

mi = inf f et Mi = sup f,
[ci ,ci+1 ] [ci ,ci+1 ]
n−1 n−1
sσ (f ) = ∑ (p(ci+1 ) − p(ci )).mi et Sσ(f ) = ∑ (p(ci+1 ) − p(ci )).Mi .
i=0 i=0

1
N.B. La différence avec la théorie des intégrales de Riemann du cours est bien sûr le remplacement
de (ci+1 − ci ) par p(ci+1 ) − p(ci ). Enfin, on pose :

E − (f ) = {sσ (f ), où σ est une subdivision qcq. de [a, b]}, E + (f ) = {Sσ (f ), où σ est une subd. qcq. de [a, b]}.

1) Montrer que si σ ′ est une subdivision plus fine que σ alors :

sσ (f ) ≤ sσ′ (f ) ≤ Sσ′ (f ) ≤ Sσ (f ).

2) Montrer que tout élément de E − (f ) est plus petit que tout élément de E + (f ).
3) Montrer que sup E − (f ) = inf E + (f ). Par déf. cette valeur commune de sup E − (f ) = inf E + (f )
sera appelée intégrale de Stieltjes de f sur [a, b] pour le poids p et notée :
b b
∫ f dp = ∫ f (t)dp(t).
a a

4) Déduire de la définition précédente que si on considère les sommes de Riemann-Stieltjes :


n−1
Rn (f ) = ∑ f (ci )(p(ci+1 ) − p(ci )),
i=0

b
où ci = a + i(b − a)/n, alors la suite Rn (f ) converge vers ∫ f dp.
a
5) Exemples simples :
b
a) Pour toute fonction poids p, calculer ∫ dp.
a
1
b) Pour p(x) = ex , calculer ∫ xdp(x).
0
c) Généraliser l’exemple précédent pour montrer que si p est de classe C 1 sur [a, b] alors
b b
l’intégrale de Stieltjes ∫ f (t)dp(t) coı̈ncide avec l’intégrale de Riemann usuelle ∫ f (t)p′ (t)dt.
a a

Dans l’exemple précédent avec p de classe C 1 l’intégrale de Stieltjes ne semble pas inventer grand
chose par rapport à l’intégrale de Riemann puisqu’on peut remplacer le dp(t) par p′ (t)dt. Mais
nous allons voir que la théorie qu’on vient de mettre en place unifie des situations très différentes.

Cas de masses ponctuelles créées par les sauts de p




⎪0 si 0 ≤ x ≤ 1/2,
7) On prend I = [0, 1] et la fonction p définie par p(x) = ⎨ Calculer

⎪1 si 1/2 < x ≤ 1.

1
∫ f dp pour tout f ∈ C([0, 1], R).
0
8) On suppose que p est une fonction en escalier (croissante toujours). On note {d0 = a < d1 <
⋅ ⋅ ⋅ < dq = b} une subdivision de [a, b] adaptée à p.
Pour tout k ∈ ⟦1, q−1⟧, on note δk = limd+k p−limd−k p le saut de p au point dk et δ0 = p(a+ )−p(a)
et δq = p(b) − p(b− ).
Montrer que :
b n
∀ f ∈ C([a, b], R), ∫ f dp = ∑ δk f (dk ).
a k=0

Ainsi pour une fonction poids en escalier, l’intégrale de Stieltjes ne charge que les points
correspondant aux discontinuités de p.
n
9) Exemple : soit f ∈ C(R+ , R). Interpréter Sn = ∑ f (k) (somme partielle de série) comme une
k=0
n
intégrale ∫ f dp pour une fonction p en escalier à préciser.
0

2
10) Comment choisir p pour que pour tout f ∈ C([a, b], R) on ait :
b f (a) + f (b) b
∫ f (t)dp(t) = + ∫ f (t)dt,
a 2 a

où la dernière intégrale est l’intégrale usuelle.


11) Démontrer l’inégalité triangulaire pour les intégrales de Stieltjes : pour tout p croissante, et
b b
tout f ∈ C([a, b], R), on a : ∣ ∫ f dp∣ ≤ ∫ ∣f ∣.dp.
a a
12) Continuité de l’intégrale en fonction de la borne : Soit p une fonction croissante sur [a, b].
Montrer l’équivalence entre les deux propriétés suivantes :
x
(P1) pour toute fonction f ∈ C([a, b], R) la fonction x ↦ ∫ f (t)dp(t) est continue
a
(P2) p est une fonction continue sur [a, b].

Gaps
13) Soit [u, v] un segment inclus dans [a, b]. Montrer que si p est constante sur [u, v] et si f est
b
nulle en dehors de [u, v] alors ∫ f dp = 0.
a
14) En déduire une CNS sur p pour que l’on ait :

∀ f ∈ C([a, b], R), ∫ ∣f ∣dp = 0 ⇒ f = 0.


I

Généralisation (culturelle) : intégrales de Stieltjes avec un poids à variation bornée


Dans tout le problème, on a supposé que p est croissante. Cela signifie que les poids des in-
tervalles (éventuellement réduits à un point) sont positifs. La construction que l’on a faite, basée
sur des encadrement des sommes ∑ λi (p(ci+1 ) − p(ci )) à partir d’encadrement sur les λi utilise de
manière fondamentale la positivité des p(ci+1 ) − p(ci ). Mais quitte à renverser toutes ces inégalités,
ces poids pourraient tous être négatifs, donc on peut développer une théorie analogue avec p
décroissante.
Pour aller plus loin et vraiment enrichir la théorie on peut considérer toutes les fonctions p qui
s’écrivent p = p1 − p2 avec p1 et p2 croissantes sur [a, b] et définir pour tout f ∈ C([a, b], R) :
b b b
∫ f dp = ∫ f dp1 − ∫ f dp2 (†).
a a a

Il se trouve que la famille (en fait l’espace vectoriel) de toutes les fonctions qui s’écrivent sous
cette forme p1 − p2 avec p1 et p2 croissantes est très vaste. Ce sont exactement les fonctions à
variations bornées que nous allons définir ici.
Définition – Soit g ∶ [a, b] → R et σ = {c0 = a < . . . cn = b} une subdivision de [a, b]. Par déf. la
variation de g sur la subdivision σ est :
n−1
V (σ, g) = ∑ ∣g(ci+1 ) − g(ci )∣.
i=0

On dit alors que g est à variation bornée sur [a, b], si l’ensemble de toutes les V (σ, g) pour
toutes les subdivisons σ est borné.
15) Montrer qu’une fonction lipschitzienne sur [a, b] est à variation bornée sur [a, b].
16) Montrer qu’une fonction monotone sur [a, b] est à variation bornée sur [a, b].
17) Donner une exemple de fonction continue sur [a, b] qui n’est pas à variation bornée sur
[a, b].
18) Pour relier la notion de fonctions à variation bornée à l’intégration : montrer si g est de
b
classe C 1 sur [a, b] alors le sup. des V (σ, g) est exactement ∫ ∣g ′ ∣.
a

3
Bien sûr pour notre définition ci-dessus cf (†) de l’intégrale de Stieltjes, crucial est le théorème
suivant que nous admettrons ici pour ne pas rallonger ce DM déjà long :
Théorème Une fonction g est à variation bornée sur [a, b] si, et seulement, si il existe deux
fonctions croissantes g1 et g2 sur [a, b] telles que g = g1 − g2 .
b
Ainsi, on a défini le symbole ∫ f dp pour toute fonction p à variation bornée.
a

Bouquet final : c’est quoi une intégrale ?


On a dit en cours que l’essentiel des propriétés de l’intégrale reposait sur le fait que c’était
une forme linéaire positive, et continue de C([a, b], R) muni de la norme infinie dans. R. Ici avec
l’intégrale de Stieltjes avec p = p1 − p2 comme au paragraphe précédent, on s’est affranchi de la
positivité, et on a une réciproque tout à fait remarquable qui dit que toutes les formes linéaires
continues sont des intégrales !
Théorème de représentation de Riesz : Toute forme linéaire continue de (C([a, b], R), ∣∣ ∣∣∞ )
b
dans R (on parle aussi de mesure sur C([a, b], R) ) s’écrit f ↦ ∫ f dp pour une certaine fonction
a
à variation bornée p.
Where next ? Comme on l’a esquissé en cours avec l’intégrale des fonctions continues par mor-
ceaux, la théorie de l’intégration ne s’arrête heureusement pas aux fonctions continues.

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