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Cette distinction est fondamentale car elle conditionne nombre de solutions procédurales. Par
exemple le recours pour excès de pouvoir est en principe dispensé du ministère d’avocat tandis
que le recours de plein contentieux ne l’est pas. Pour prendre un autre exemple, un recours pour
excès de pouvoir dirigé contre un décret relève en premier et dernier ressort de la compétence
du Conseil d’État alors qu’un recours du plein contentieux relève en premier ressort de la
compétence du tribunal administratif. Les conséquences procédurales sont donc importantes.
C’est pourquoi il faut s’intéresser à la structure actuelle du contentieux administratif.
Cette distinction classique, cloisonnée, est aujourd’hui révolue. Des mouvements ont parcouru
les deux grandes catégories de recours contentieux au point qu’on peut réellement se demander
si on peut encore les distinguer et si la structure classique du contentieux administratif a encore
un sens aujourd’hui. Car elle est dans un premier temps remise en question par la coexistence
des deux recours et l’évolution récente du recours pour excès de pouvoir et dans un second
temps bouleversée par la montée en puissance du plein contentieux objectif.
Ainsi les actes qu’on peut attaquer par un recours pour excès de pouvoir sont plus nombreux :
clauses réglementaires d’un contrat (CE Ass. 10 juillet 1996 Cayzeele), contrat lui-même dans
le cadre du déféré préfectoral (CE Sect. 26 juillet 1991 Commune de Sainte-Marie) ou des
contrats de recrutement d’agents publics (CE Sect. 30 octobre 1998 Ville de Lisieux). En outre
le caractère objectif est remis en question par la tierce opposition de l’arrêt Boussuge du 29
novembre 1912 qui permet d’invoquer les violations de droits subjectifs.
En parallèle, les pouvoirs du juge se sont largement développés : il peut substituer la bonne
base légale à la mauvaise (CE 3 décembre 2003 El Bahi), il peut également opérer une
substitution de motifs (CE 6 février 2004 Mme Hallal) et dans certains cas exceptionnels le juge
s’est même octroyé un pouvoir de réformation de fait : l’exemple a été donné par l’arrêt du
Conseil d’Etat du 16 décembre 2005 Groupement de Vente Forestier de Nonant. En effet, le
principe de l’« annulation en tant que » équivaut alors à une véritable réformation du contenu.
Enfin le juge s’est également octroyé des pouvoirs considérables relatifs à la portée de
l’annulation : il peut moduler dans le temps l’effet de ses décisions, notamment reporter
l’annulation d’un acte administratif (CE Ass. 11 mai 2004 Assocation AC !), il peut aussi dire
quelles sont les conséquences qu’il faut tirer de sa décision et les appliquer dans le dispositif
(CE 29 juin 2001 Vassilikiotis et CE 28 janvier 2002 Villemain) et il dispose d’un pouvoir
d’injonction existe depuis la loi du 8 février 1995.
Toutes ces modifications ont donc entrainé un rapprochement avec le régime du recours de
plein contentieux, qui lui-même a subi quelques changements, comme celui de l’arrêt Commune
de Béziers du 29 décembre 2009 : une illégalité dans la formation du contrat n’entraîne pas
forcément la nullité du contrat.
II. La distinction classique se trouve bouleversée par la part
croissante attribuée au plein contentieux objectif
En plus de ces rapprochements entre les recours, il y a une voie intermédiaire qui s’est
développée. Ce sont les recours objectifs de plein contentieux. Qu’est-ce que c’est ? Dans sa
thèse (Recherches sur le plein contentieux objectif, 2011, LGDJ) Hélène Lepetit-Collin définit
ce plein contentieux objectif comme un « contentieux de la légalité appliqué à une situation
juridique ». Le juge effectue un contrôle de légalité mais l’applique à une situation juridique
particulière. Pour cela il dispose de tous les pouvoirs du juge du plein contentieux : réformation,
etc.
A. Les domaines dans lesquels un recours objectif de plein contentieux est
ouvert sont aujourd’hui très divers
Ce recours concerne aujourd’hui des pans entiers du contentieux administratif : contentieux
fiscal, contentieux électoral, contentieux des installations classées, contentieux des immeubles
insalubres, contentieux des pensions civiles et militaires de retraite, contentieux de l’aide
sociale, contentieux des comptes de campagne, contentieux des autorisations de plaider pour le
compte des collectivités locale. Tous ces contentieux sont en réalité des plein contentieux
objectif en raison des pouvoirs du juge qui excèdent les pouvoirs de l’excès de pouvoir. Il y a
eu également eu création jurisprudentielle de recours objectif de plein contentieux : c’est ainsi
le recours ouvert aux concurrents évincés par l’arrêt CE Ass. 16 juillet 2007 Sté Tropic Travaux
Signalisation.
Enfin, le contentieux des sanctions a le plus souvent basculé dans le plein contentieux objectif :
le contentieux des sanctions prononcés par les AAI tels que le CSA, l’AMF, la CRE, l’ARCEP,
l’AFLD ou la CNIL relèvent d’un régime de plein contentieux objectif. Il en va de même pour
les sanctions infligées par l’administration aux administrés depuis l’arrêt du 16 février 2009 Sté
Atom.
B. Le plein contentieux objectif fait l’objet d’un engouement certain des
autorités nationales sous l’influence de la CEDH
On le voit, le législateur mais aussi le juge opèrent des transferts voire des créations de recours
et ce sont presque toujours des recours objectifs de plein contentieux qui apparaissent alors. Le
plein contentieux objectif fait l’objet d’un vrai engouement. Tout cela est en fait en grande
partie due à la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Elle impose sa notion de « pleine
juridiction » dans certains cas. Mais il y a là un quiproquo : quand la CEDH parle de pleine
juridiction, elle ne parle pas de plein contentieux, mais juste de la nécessité d’avoir un contrôle
complet, maximal du juge. Or ce contrôle est atteint avec le degré maximum de contrôle du
recours pour excès de pouvoir. Certains auteurs avancent même que le contrôle est plus fort en
recours pour excès de pouvoir qu’en recours de plein contentieux. On a donc là une confusion
qui favorise le plein contentieux objectif.
Mais au fond, tant le plein contentieux objectif que les évolutions du recours pour excès de
pouvoir et du plein contentieux subjectif ont un seul but : le principe de bonne administration
de la justice. Il faut disposer d’un recours effectif qui puisse déboucher sur une solution
intéressante pour le demandeur, c’est la partie qualitative du droit à un recours effectif.
En pratique on pourrait donc espérer une évolution des recours pour plus de lisibilité : Chapus
parle d’un « nouveau recours pour excès de pouvoir (qui) naîtra un jour de la fusion entre le
recours pour excès de pouvoir actuel et les recours objectifs de plein contentieux », tandis que
Jean-Marie Woerhling, ancien président du tribunal administratif de Strasbourg, réclame lui un
recours contentieux administratif unique englobant tous les types de recours. Les étudiants en
droit public ne seraient pas les premiers à se plaindre d’une telle simplification !