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Cette étude est rendue possible grâce au support du peuple américain par le biais de l'Agence américaine pour le développement international
(USAID). Le contenu de cette étude relève de la seule responsabilité de « Dr. Bénédique Paul » et ne reflète pas nécessairement les vues de
l'USAID ou du Gouvernement des États-Unis
CONTENTS
USAID.GOV
SITUATION GLOBALE DU SECTEUR FINANCIER AGRICOLE EN HAÏTI
| i
TABLES AND FIGURES
TABLE
Tableau 1. Indice d’emploi par secteur institutionnel (base 100 au premier trimestre
2014). ................................................................................................................................................. 11
tableau 2. Insérer tableau des 25 principales exportations d’haïti ........................................ 13
tableau 3. Microfinancement du secteur agricole en haïti ...................................................... 25
FIGURE
USAID.GOV
SITUATION GLOBALE DU SECTEUR FINANCIER AGRICOLE EN HAÏTI
| iii
ABRÉVIATIONS AND ACRONYMES
ABCP Association de Base de Cotisations et de Prêts
ANACAPH Association Nationale des Caisses Populaires Haïtiennes
ANIMH Association Nationale des Institutions de Microfinance Haïtienne
BID Banque Interaméricaine de Développement
BRH Banque de la République d’Haïti
CEC Coopératives d’épargne et de crédit
CNSA Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire
DAI Development Alternative Inc
HTG Haitian Gourde (Gourde Haïtienne)
ICAE Indicateur conjoncturel d’activité économique
IHSI Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique
KNFP Konsèy Nasyonal Finansman Popilè
MARNDR Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural
MCI Ministère du Commerce et de l’Industrie
OMF Organisations de microfinance
PDV Points de Service
PIB Produit Intérieur Brut
PNIA Plan National d’Investissement Agricole
PSTA Prestataires de services financiers à l’agriculture
RGA Recensement Général Agricole
SFD Société financière de développement
TDR Termes de Références
USAI Unité de Statistique Agricole et d’Informatique
USAID United States Agency for International Development
USD US Dollar (Dollar américain)
USAID.GOV
SITUATION GLOBALE DU SECTEUR FINANCIER AGRICOLE EN HAÏTI
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RÉSUMÉ EXÉCUTIF
L’inclusion financière dans un pays comme Haïti représente un défi aussi bien de réduction de la pauvreté,
de réduction des inégalités de revenus et de croissance économique ; de même que le développement
financier contribue au développement économique. Pourtant, les opérateurs financiers dits formels, à
savoir les banques et les organisations de microfinance, offrent leurs services à des populations situées
plutôt au niveau des villes. Les plus pauvres, vivant généralement des milieux ruraux éloignés et peu
accessibles, ont été très peu desservis, donc exclus de pouvoir participer pleinement dans l’activité
économique nationale.
Le secteur de l’agriculture qui emploie la plus grande part de la population active se retrouve en déclin
continu quoique un peu plus modéré grâce aux financements récents injectés dans le secteur. Cette étude
vise à montrer l’état actuel du financement dans le secteur, afin de faire ressortir les défis et les
perspectives.
L’analyse des données disponibles et les échanges avec les experts du domaine financier agricole montrent
un regain d’intérêt pour le financement de l’agriculture. Mais cette nouvelle tendance est associée avec un
ciblage de bénéficiaires dont l’activité est plus ou moins structurée (approche entrepreneuriale). Dans
cette optique, non seulement les prestataires de services financiers doivent innover mais également les
bénéficiaires sont obligés d’emprunter une approche managériale qui démontre leur capacité à gérer les
risques liés tant à l’agriculture qu’au crédit lui-même. Dans cette mouvance, les innovations et les
technologies auront une place prépondérante, car l’agriculture de demain sera très probablement une
activité connectée, dans laquelle les jeunes auront une place de choix. Elle concernera la production, mais
surtout le conditionnement, la transformation et la distribution.
CONTEXTE DE MISE EN ŒUVRE DE L’ÉTUDE
La présente étude se situe dans le cadre du Projet " USAID/Finance Inclusive", implémenté par la DAI, qui
supporte l’objective d’assistance de la USAID visant à promouvoir une “Haïti économiquement stable et
durable” a pour but de faciliter l’environnement du secteur financier afin d’approfondir l’inclusion financière
pour celles ou ceux qui sont mal desservis ou non desservi et pour les micros, petites et moyennes
entreprises particulièrement dans les zones rurales et agricoles soutenues par le Gouvernement Américain
en Haïti.
En Haïti, depuis les années 2000, l’agriculture a commencé à bénéficier d’une meilleure considération
étatique. Le ministère de l’agriculture, des ressources naturelles et du développement rural (MARNDR)
a repris ses activités de vulgarisation agricole et a créé expressément une Direction d’Innovation pour
coordonner les activités de recherche et de vulgarisation, mais aussi un certain nombre de projets
financés par des bailleurs internationaux (Banque Mondiale, BID, etc.). À la suite du 12 janvier 2010, le
MARNDR s’est doté d’une politique sectorielle (la politique de développement agricole, déclinée en plan
national d’investissement agricole, PNIA1et2) qui sert de cadre pour la coopération et la canalisation des
ressources de l’Etat et des bailleurs vers le secteur de l’agriculture.
Finance Inclusive organisera en août 2019 une activité de Co-création (Hackaton) afin d'inciter le secteur
financier et les jeunes de la Fin Tech à utiliser les données générées à partir des études conduites par le
projet USAID / Finance Inclusive pour le développement de nouveaux produits, services ou points de
service (PDV) et de nouvelles solutions qui approfondiront l’inclusion financière en desservant d’autres
clients et des praticiens des prêts destinés au secteur agricole. Ce rapport a pour but de dresser le
panorama du secteur financier agricole haïtien afin d’inciter à trouver les pistes qui permettront de
développer des nouveaux produits et services financiers.
7
RAPPEL DES OBJECTIFS ET DES RÉSULTATS ATTENDUS DE
L’ÉTUDE
L’étude est réalisée dans le cadre d’un mandat à nous confié par la DAI qui implémente le projet
"USAID/Finance Inclusive" avec l’assistance de l’USAID. L’objectif du projet consiste à promouvoir une
“Haïti économiquement stable et durable”. Il a pour but de faciliter l’environnement du secteur financier
afin d’approfondir l’inclusion financière pour celles ou ceux qui sont mal desservis ou non desservi et
pour les micros, petites et moyennes entreprises particulièrement dans les zones rurales et agricoles
soutenues par le Gouvernement Américain en Haïti. Le mandat consistait à faire le panorama du secteur
financier agricole haïtien afin de trouver les pistes qui permettront de développer des nouveaux produits
et services financiers.
1e) Consulter toutes les données produites par les récentes études commanditées par le projet de la
USAID susmentionnés.
2e) Consulter la présentation faite par les différentes Associations d’institution de microfinance d’Haïti
sur le secteur agricole lors du sommet de la Finance et technologie lors de l’édition 2019
Livrable 2 : Une présentation en atelier, avec en support un Powerpoint présentant les principaux
résultats de l’étude.
Le présent document fait office du livrable 1 attendu (le second étant une présentation
powerpoint issu du présent document). Les deux livrables seront utilisés comme éléments servant
au but d’alimenter les discussions et de susciter le débat au sein des différents ateliers qui se
tiendront dans l’activité de co-création (hackaton) envisagé par le projet.
6
5.5
Taux de croissance du PIB en %
4 4.2
2.9 2.8
2 1.2 1.5 1.2
1.5 1.6
0 0.4
2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019f 2020f
-2
-4
-5.5
-6
-8
Avec la vaporisation des ressources du Fonds Petro Caribe (plus de 4 milliards de dollars américains
depuis l’année 2008) et l’évanouissement des promesses de relèvement économique post-séisme
(estimations à près de 10 milliards de dollars américains), en termes global, on peut dire qu’Haïti aura
connu une décennie perdue dont s’en est sortie endettée sans possibilité réelle de rembourser.
1
Riphard Serent : 0,4% de croissance prévue pour Haïti pour 2019 : la pire année économique depuis 10 ans, article
publié dans le journal Le Nouvelliste le 6 juin 2019, voir https://lenouvelliste.com/article/202796/04-de-croissance-
prevue-pour-haiti-pour-2019-la-pire-annee-economique-depuis-10-ans
9
3.1. ETAT DU SYSTÈME PRODUCTIF
Le système productif de l’économie haïtienne repose grandement sur l’agriculture qui occupe d’ailleurs la
plus grande part de la main-d’œuvre active (38,1% en 2010). Pourtant sa contribution à la richesse nationale
(mesurée très imparfaitement par le PIB) n’a cessé de décliner, pour se situer à 20% en 2018 (selon l’IHSI)
et 17,6% en 2019, selon Banque Mondiale. Dans un contexte de tensions sociopolitiques persistantes
(depuis les élections de 2015 à aujourd’hui), les investissements dans l’économie en générale et dans la
production en particulier sont modérés.
Ainsi, les dernières données disponibles montrent que l’économie haïtienne connue pour sa dominance en
informalité a un secteur productif qui ne progresse que de façon très timide. Selon les comptes
économiques établies par l’IHSI (2018), les trois principales branches d’activités productives2 que sont
respectivement : 1) l’agriculture, sylviculture, l’élevage et la pêche ; 2) les industries manufacturières et 3)
les batiments et travaux publics ont connu des taux de croissance faible de l’ordre de 1,0%, 1,1% et 2,1%
respectivement. Aussi, le secteur de la construction a été le plus dynamique de l’économie haïtienne durant
l’exercice fiscal considéré, même plus que le secteur commercial qui n’a pas crû plus que 1,1%.
Conséquence parallèle des perturbations de l’économie, la monnaie nationale a connu une décôte
incontrolable par les autorités de stabilisation monétaire. La décennie qui est en train de se terminer aura
donc connu perte moyenne des plus élevées dans l’histoire récente de la gourde. Le taux de change de la
gourde haïtienne par rapport au dollar américain a plus que doublé entre 2010 (environ 40 HTG pour
1USD) et 2019 (94 HTG pour 1 USD).
Graphique 2. Perte de valeur de la gourde haïtienne par rapport au dollar américain depuis 2010
2
Les industries extractives ne représentent qu’une contribution peu signifiante dans la richesse nationale (0.13% en
2018).
Dans le même temps, les principaux employeurs non agricoles du pays ont détruits une part considérable
des emplois. Seules les entreprises publiques ont sensiblement recruté entre 2017 et 2018, et les
organisations non gouvernementales ou internationales sont les principales sources de licenciements
durant la même période.
Tableau 1. Indice d’emploi par secteur institutionnel (base 100 au premier trimestre 2014).
Comme on le verra plus loin, si les emplois se réduisent, les salaires rongés par l’inflation (18,6% en
glissement annuel au mois de juin 2019) et le taux de change galopant, les revenus per capita à la baisse vu
le nombre croissant de personnes à partager un gâteau national qui n’en est plus un, les possibilités de
financement endogène de l’agriculture sont naturellement moins importantes.
11
3.2. QUELQUES CHIFFRES DU SECTEUR AGRICOLE
Dans son document de programme d’incitations à des secteurs-clés dont l’agriculture, la banque
centrale d’Haïti (la BRH) reconnait la tendance baissière du secteur agricole. Du taux de décroissance
de 0,1 % en 2010, le secteur agricole a poursuivi sa tendance avec un taux de -5,4 % en 2015. La part
de la branche d’activité « agriculture, sylviculture, élevage et pêche » représentait 24,8% du PIB d’Haïti
en 2009/2010, avec une contribution de 3,29 milliards de gourdes. En 2017/2018, elle n’a représenté
que 20.2% du PIB (soit 3,28 milliards de gourdes) d’après les estimations de l’IHSI. Durant toute la
décennie finissante, la meilleure performance de cette branche d’activités a été observée en 2012/2013
où elle a apporté 3,36 milliards de gourdes à l’économie, même si sa contribution relative n’était déjà
qu’à 22,4% du PIB.
Avec la persistance du déficit d’investissement dans ce secteur, les problèmes d’accès au financement
n’ont pas permis d’inverser cette tendance. Le programme d’incitations lui-même n’a pas abouti aux
effets escomptés. Au contraire, non seulement la production agricole nationale n’a pas sensiblement
augmenté, mais l’insécurité alimentaire s’est installée dans le pays, au point qu’en avril 2019, 2,6
millions d’Haïtiens vivant en milieu rural étaient en insécurité alimentaire aigue et près de la moitié de
la population, au niveau national, était menacée par la prévalence de l'insécurité alimentaire (modérée
et élevée). A la fin de l’exercice fiscal 2018/2019, le peu d’investissements dans le secteur de
l’agriculture est contrebalancé par les épisodes de sécheresse à répétition depuis plusieurs mois. Il en
résulte une contribution en cône du secteur primaire et de l’agriculture plus précisément, selon les
dernières statistiques rendues disponibles par la BRH (2019). Pourtant, l’activité économique globale
montre une certaine stabilité voire une reprise timide sur la période 2017-2018.
Malgré sa maigre performance globale, les données disponibles montrent que la branche d’activité
« agriculture, sylviculture, élevage et pêche » permettent d’alimenter majoritairement les exportations
du pays. Les 20 premiers produits d’exportation d’Haïti vers le monde en 2018 étaient essentiellement
des produits agricoles et ils représentaient 99% des exportations totales (soit 1 226 milliards de
dollars, selon les données disponibles sur Trademap.org). Autrement dit l’agriculture demeure le point
fort de la balance commerciale d’Haïti, même si pour la même année (2018), les céréales étaient le 3e
produit d’importation d’Haïti (280 milliards de dollars).
13
'10 Céréales 6382
'11 Produits de la minoterie; malt; amidons et fécules; 5172
inuline; gluten de froment
'12 Graines et fruits oléagineux; graines, semences et fruits 3814
divers; plantes industrielles ou ...
'13 Gommes, résines et autres sucs et extraits végétaux 3449
'14 Matières à tresser et autres produits d'origine végétale, 3116
non dénommés ni compris ailleurs
'15 Graisses et huiles animales ou végétales; produits de 2623
leur dissociation; graisses alimentaires
'16 Préparations de viande, de poissons ou de crustacés, 2580
de mollusques ou d'autres invertébrés
'17 Sucres et sucreries 2545
'18 Cacao et ses préparations 2078
'19 Préparations à base de céréales, de farines, 1780
d'amidons, de fécules ou de lait; pâtisseries
'20 Préparations de légumes, de fruits ou d'autres parties 1605
de plantes
Source : Trademap.org (online)
Graphique 6. Les 15 produits agricoles les plus exportés (valeur en milliers de dollars américains)
MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE
La question de l’inclusion financière est particulièrement d’intérêt pour le secteur de l’agriculture,
peu incluse dans le marché financier en Haïti (Paul, 2016). Afin de dresser ce panorama du secteur
financier agricole haïtien, la méthodologie a été pensée et élaborée de manière à : 1) tirer une
compréhension actualisée des interventions du monde financier en faveur du secteur agricole,
en interviewant séparément différents types d’acteurs (dans l’ordre : secteur bancaire, secteur
Plusieurs bases de données ont été analysées. Parmi les plus remarquables, il y a la base de
données de Trademap.org, celle de la BRH sur le marché financier bancaire, et les données du
recensement général agricole (RGA/MARNDR, 2012). Ensuite, les différents rapports sectoriels du
marché financier (banque, microfinance, ABCP) ont été analysés.
Plusieurs techniques (statistique, graphique, etc.) ont été utilisées dans l’analyse des données
collectées. L’ensemble a été complété par une analyse d’expert.
Les financements publics vers l’agriculture sont dirigés d’abord au paiement des salaires des fonctionnaires
de l’Etat qui encadrent l’activité agricole. Ensuite, viennent le financement des programmes et projets dont
une part (dépassant rarement les 60%) arrive aux agriculteurs. Enfin, le flux financier dont les agriculteurs
ont généralement le contrôle relève de l’autofinancement des exploitations et des entreprises agricoles du
pays.
15
5.1.1. FINANCEMENT PUBLIC NATIONAL
Les financements par le trésor public des programmes et projets agricoles sont peu différenciés en termes
géographique. Les départements les plus bénéficiaires sont l’Ouest et l’Artibonite. Si effectivement, ces
départements hébergent de grands bassins de production, elles ne sont pas le lieu d’insécurité alimentaire.
Aussi, les départements du Centre, du Nord-Ouest et de la Grande-Anse sont peu financés par l’Etat
haïtien, selon les données disponibles. Bien entendu, après le passage du cyclone Mathew en 2016, les
extrémités occidentales du pays (Nord-Ouest, Sud et Grand-Anse) ont bénéficié d’une réorientation
forcée des financements publics, notamment à travers des projets financés par des bailleurs internationaux.
Le financement public de l’agriculture est passé par différentes étapes avant de se stabiliser actuellement à
travers d’une part le Bureau de Crédit Agricole (BAC) dont la perception est relativement mauvaise et
l’implémentation des projets financés par les bailleurs (exemple des projets RESEPAG, PTTA, SECAL, etc.).
Graphique 7. Flux financiers publics à l’agriculture (2006-2010) en millions de HTG – Valeurs réelles (base 100 en 2006)
17
Graphique 8. Flux financiers publics à l’agriculture (2010-2014) en millions de HTG – Valeurs réelles (base 100 en 2006)
Tout d’abord, le financement international de l’agriculture haïtienne est beaucoup plus important en
termes de montant que le financement national (par le trésor public). Ce financement international est
composé de financement multilatéral et de financement bilatéral
Graphique 9. Flux financiers publics et internationaux à destination de l’agriculture (moyenne annuelle 2010-2014 en millions de US$).
21
5.1.3. AUTOFINANCEMENT
Aussi importants qu’ils puissent paraitre, les financements publics et internationaux réunis ne représentent
pas un plus gros montant que l’investissement des agriculteurs eux-mêmes dans l’agriculture. De ce fait,
les dernières analyses (Giordano, 2016) montrent que le principal bailleur de l’agriculture est l’agriculteur.
Le million d’agriculteurs recensés à la veille de 2010 (RGA/MARNDR, 2012) ont apporté près de 7,5
Milliards de gourdes à l’agriculture (en autofinancement) quand le secteur bancaire n’avait apporté que
89,5 millions d gourdes.
Graphique 11. Flux financiers de l’Etat, des donateurs et des agriculteurs (moyenne annuelle 2010-2014 en millions de US$).
23
5.2. FINANCEMENT DE L’AGRICULTURE
Le financement de l’agriculture par le marché financier est étroitement lié à son niveau de formalisation.
Les analyses scientifiques ont déjà montré cette corrélation. En effet, Paul (2016) a montré que plus le
mode de gestion de l’activité agricole est structurée plus elle accède au marché financier et obtient des
montants de prêts élevés. Malheureusement, le nombre d’entreprises agricoles est relativement très
faible en Haïti (RGA/MARNDR, 2012).
Montants Prêts
Sources et Finance formelle Nombre EA
montant des
financements
Finance informelle
Montants Prêts
Nombre EA
Mode de
Agriculture gestion de
Agriculture familiale Agriculture Agriculture de
familiale l’activité
de subsistance entrepreneuriale firme
structurée agricole
Les entités du marché financier qui contribuent directement au secteur agricole sont le secteur bancaire,
la microfinance, les associations de base de cotisations et de prêts (ABCP) et les usuriers.
Depuis longtemps, le secteur bancaire (actuellement 8 banques) a pratiquement toujours contribué à moins
de 1% du portefeuille consolidé. En 2015, la contribution était à 0,12% (91,48 millions de gourdes). En
2016, cette contribution était réduite à 0,01% (7,96 millions de gourdes). Le crédit bancaire à l’agriculture
a connu une certaine ampleur à partir du programme d’incitation mis en place par la BRH (BRH, 2017).
Ce programme d’appui au secteur agricole visait à « faciliter l’accès au crédit en faveur des entreprises
agricoles et d’élevage » (ibid.). Comme tout banquier, les banquiers centraux priorisent là aussi les
entreprises formelles dans leur démarche de financement à travers l’incitation des banques commerciales
à octroyer du crédit à l’agriculture. En effet, la circulaire 108, émise en 2016 par la BRH, a autorisé les
banques à ne pas constituer de réserves obligatoires pour les ressources en gourdes utilisées pour financer
des projets agricoles. En 2016, seul l’Unibank avait réagi positivement à ces incitations, vu le rapport annuel
du secteur bancaire.
Le principal programme de crédit agricole de l’Unibank est le Programme de Crédit Rural et Agricole,
dénommé Kredi Agrikòl, mise en place au sein de la filiale microfinancière appelée micro-crédit national
(MCN). Ce programme qui vise à permettre aux agriculteurs et entrepreneurs du milieu rural d’avoir accès
au crédit. Lancé en 2011, ce programme prétend avoir injecté plus de 2.5 milliards de gourdes dans le
financement rural et agricole, à environ 88,000 prêts à des entrepreneurs évoluant dans les secteurs :
production végétale, élevage de bétail, commercialisation de denrées agricoles, pêche, vente de matériels
et d’équipements agricoles, etc. Au 30 septembre 2017, la division Kredi Agrikòl de MCN compte 17,671
clients actifs bénéficiant de 501 Millions de gourdes de crédit dont 34.5 % des prêts sont octroyés aux
femmes.
En 2017 et 2018, la Sogebank a augmenté ses prêts à l’agriculture de 11 153 clients à 12 654 clients
respectivement, pour des prêts moyens en gourdes de 43 991 HTG à 56 801 gourdes respectivement.
Comme l’Unibank, le programme phare de crédit agricole de la Sogebank est le Kredi Agrikòl Sogesol placé
dans la filiale microfinancière SOGESOL.
Le secteur microfinancier est composé (d’après le dernier recensement) de 67 organisations réparties dans
4 réseaux (ANACAPH, Le Levier, KNFP et ANIMH). Le secteur de la microfinance, selon les données
présentées par les responsables en 2018 montre la performance de crédit agricole suivante.
Les ABCP (dont le nombre est récemment estimé à plus de 10 300 en 2018, avec un taux de croissance
annuel de près de 5%) représentent des structures de financement alternatif de proximité du milieu rural
Les usuriers ne peuvent pas être étudiés facilement. Cependant, on sait que le recours des agriculteurs à
ces emprunteurs permet de résoudre certains problèmes précis, notamment lors des moments critiques
(plantation, sarclage, etc.) où les besoins de crédit ne peuvent pas attendre. C’est d’ailleurs, en plus de
l’importance des montants et le caractère confidentiel du crédit, l’urgence de ces besoins de financement
qui poussent généralement les agriculteurs à s’adresser aux usuriers. Bien entendu, ce sont majoritairement
les activités agricoles non structurées en termes de mode de gestion qui se recourraient le plus à l’usure.
Le financement agricole national par le marché financier s’adresse en général à des filières de production
jugées plus rentables (et dans « rentables », il y a « rente », voire les cultures de rentes que sont les
cultures à campagne agricole très courte, soit en moyenne trois mois).
Les activités agricoles visées dans le cadre du programme d’incitation mis en place par la BRH concernaient
toute la chaine de valeur du secteur agricole Cette incitation avait pour vertu annoncée : le financement
préalable d’infrastructures de production (système d’irrigation, espace de conditionnement, système de
stockage) et l’octroi de période de grâce avant remboursement. Les prêts à être effectués par les banques,
les sociétés financières de développement (SFD), les sociétés de crédit-bail, les coopératives d’épargne et
de crédit ou toute autre institution financière ayant bénéficié d’avances de la BRH concernant de manière
séparée :
• le financement de long terme (plus de 5 ans) pour les projets agroindustriels, les zones franches
agricoles, la production sous serre, l’agriculture hydroponique, le développement de vergers ou
de cultures pérennes, la mise en place d’infrastructures sur les exploitations agricoles.
Les institutions financières participantes seraient exonérées de réserves obligatoires pour tous les prêts
accordés à ces activités. Cependant, tout compte fait, la réponse des banques commerciales à cette
incitation est limitée. On verra plus loin qu’elles choisissent les créneaux généralement réduits sur lesquels
elles investissent.
• la production,
• l’élevage,
• la transformation,
• l’équipement
• et la commercialisation.
Les produits microfinanciers s’adressent, selon les dirigeants du secteur, plus précisément à des filières
agricoles de rentes comme le riz, la banane, le café, le cacao, le haricot, les tubercules et les maraîchères.
Comme les banques, la microfinance s’adresse peu à l’élevage, probablement à cause de la longueur du
cycle de production. Pourtant l’élevage est généralement plus rémunérateur que les cultures, ces dernières
étant très sensibles aux chocs, notamment climatiques (sécheresses, tempêtes, etc.).
À part ces prestataires financiers ordinaires, il y a eu récemment la création d’une entreprise de crédit-
bail (Ayitileasing.ht) qui offre des facilités sur les équipements et le transport. Mais ces services longtemps
attendus dans le pays ne s’adressent qu’aux entreprises structurées comme telles.
Lorsque la BRH a lancé les programmes d’incitation, elle a exonéré les réserves obligatoires sur les prêts
accordés à l’agriculture entrepreneuriale, cependant elle n’a pas nécessairement pu contraindre les banques
commerciales à pratiquer des taux préférentielles adaptées à ce secteur. Dans la circulaire 113 qui précise
les modalités des incitations au financement agricole, la BRH a précisé que « le taux d’intérêt annuel des
avances de la BRH sera compris entre 1 % et 2 % à la date de leur octroi et sera maintenu pendant toute
la durée desdites avances. Les banques et les sociétés financières de développement utiliseront les avances
Les rapports produits par les faitières du secteur de la microfinance indiquent que les taux d’intérêt
pratiqués varient entre 1,5 et 3,5% le mois. De ce fait, ces taux sont peu appropriés à des activités agricoles
de moyenne et longue période.
Dans le cas de l’usure, il ne s’agit pas d’un taux d’intérêt à proprement parler mais d’une majoration
forfaitaire fixée à l’avance par le prêteur (30 à 40% du prêt, selon nos observations dans la commune de
Kenscoff). Dans certains cas, cette forme d’intérêt peut prendre la forme d’un remboursement en nature
privant l’emprunteur la possibilité de spéculer sur les ventes de sa production agricole.
5.2.2.2. Remboursement
On pourrait classer les filières agricoles financées par le marché en deux catégories : les campagnes courtes
(haricot et maraîchères) et les campagnes longues (tubercules, bananes, café et cacao). Mais en réalité, les
organisations de microfinance tendent à ne pas vouloir discriminer les échéances. Aussi, les emprunteurs
doivent trouver d’autres moyens pour commencer les remboursements exigés généralement dès le
premier mois suivant le prêt.
L’accès au financement de marché suppose une certaine formalisation de l’entité emprunteuse. Dans le cas
de la banque, l’impossibilité de montrer un minimum de formalité entraine l’exclusion financière, tandis
que la microfinance offre dans certains cas des appuis ou des outils permettant aux emprunteurs de mieux
préparer leur demande. Cet accompagnement comporte des outils de comptabilité simple, des éléments
de gestion d’entreprises agricoles et des canevas de plan de production ou de plan d’affaires.
Le remboursement dans le cas du financement usuraire, surtout dans le cas de particuliers, est à versement
unique. La durée varie selon l’entente, entre une à six semaines. C’est dire que c’est encore plus
contraignant que les crédits bancaires, microfinanciers ou par les ABCP.
Il convient de noter que compte tenu des perceptions ancrées et des comportements induits par les
pratiques d’exclusion financière des agriculteurs, les données du RGA (MARNDR, 2012) ont montré une
demande de crédit généralement faible en provenance du secteur agricole. Sur le million d’agriculteurs
recensés, le nombre de demandeurs a été estimé à 5,3%. Cette faible demande n’a été satisfaite qu’à 35%,
soit au total, seulement 1,9% de la totalité des agriculteurs recensés ont accédé à un crédit.
Pour les agriculteurs interviewés dans le cadre du RGA (la plus grande base de données disponibles à ce
jour sur le secteur agricole), les besoins de financement sont essentiellement financiers (manque de
ressources financières à 74,9% et le problème d’accès au crédit à 21,9%). Ensuite, il y a les besoins à la base
de l’innovation et la productivité, à savoir l’accès à l’encadrement, à l’eau et aux intrants, sans oublier les
moyens de lutte contre les pestes. Au final, l’essentiel des besoins présentés comme non financiers aura
besoin pour leur satisfaction des moyens financiers, dans le contexte actuel de financiarisation des échanges
(y compris de la main-d’œuvre agricole devenue rare et précieuse).
Les données issues du FinScope 2018 présentent une certaine actualisation de ces contraintes et font
mieux ressortir les risques climatiques et l’accès aux marchés de commercialisation des produits agricoles.
Graphique 15. Demande et réception de crédit par les exploitations agricoles selon leur taille
18000
16000
14000
12000
10000
8000
6000
4000
2000
0
Moins 0,05 - 0,1 - 0,2 - 0,3 - 0,5 - 1,0 - 2,0 - 3,0 - 4,0 - 5,0 - 10,0 et Pas de
de 0,05 0,1 0,2 0,3 0,5 1,0 2,0 3,0 4,0 5,0 10,0 plus SAU
Nombre d'EA ayant demandé un crédit Nombre d'EA ayant reçu un crédit
Dans le détail, les besoins spécifiques de l’agriculture pour lesquels il y a un besoin de financement pouvant
être couvert par le marché, il y a : les semences, les fertilisants, les équipements (outils et machinerie), le
transport, l’eau et la technologie. Dans un document de Feed The Future (FTF), intitulé « enabling the
business agriculture data snapshot: Haiti”, l’analyse graphique des besoins/faiblesses de l’agriculture montre
qu’Haïti n’offre un accès moyen qu’au niveau des équipements (on se rappellera des distributions régulières
du MARNDR). Le cadre légal, les intrants et le transport (qui conditionne en partie l’accès aux marchés)
sont des points de faiblesse importants (FTF, 2017).
Aussi, non seulement il sera exigé d’être dans une démarche entrepreneuriale plus ou moins formalisée
pour accéder au financement mais également les produits financiers devront évoluer de pair avec les
besoins émergents.
la gestion de l’eau
Actuellement, l’offre de financement peut être qualifiée de « demand-driven ». Autrement dit, elle est peu
douée d’innovativité. Ce qui est contraire au bon sens, car les financeurs sont actuellement plus formés
que les agriculteurs. Ils devraient donc proposer des produits financiers plus innovants à l’agriculture, et
servir ainsi comme des courroies de transfert d’innovations à l’agriculture.
Les produits et services financiers offerts sont de nature traditionnelle. Ils concernent les filières d’activités
relativement courtes (ne dépassant pas un an). Lorsque le crédit s’adresse à des filières moyennement
longues, le calendrier de remboursement ne prend pas en compte celui de l’arrivée des flux financiers de
l’activité. Pourtant, il existe des opportunités d’affaires importantes dans l’arboriculture fruitière et la
chaine de valeur qui y est liée, pour citer juste un exemple.
Les produits et services seront de plus en plus à distance, offerts à partir de technologies portatives
(embarquées sur les téléphones intelligents) et connectées à des plateformes de partages de connaissances
et de bonnes pratiques.
Les perspectives qui s’annoncent vont de pair avec une démarche de professionnalisation de l’agriculture.
Car de toute manière les chefs d’exploitation actuels, majoritairement peu éduqués, sont en train de vieillir.
Le profil d’agriculteur de demain est : plus jeune, plus éduqué, plus connecté, avec un désir de faire mieux
que les parents. Ce profil offrira des opportunités aux PSTA d’apporter des produits financiers moins
coûteux en termes de gestion de proximité. Ces entrepreneurs de demain investiront non seulement dans
la production (maitrise du cycle biologique animale ou végétale) mais surtout ils feront des affaires dans le
conditionnement (poissons par exemple), la transformation (jus de fruits, huiles végétales, pâtes
alimentaires, équipements, conseil, etc.).
Le financement par le marché sera certainement/nécessairement sélectif, et cherchera à cibler les filières
d’activités ou de production les plus rentables et les moins risquées (donc à cycle plus court). Selon les
zones agro-écologiques, l’élevage, la pêche, les céréales et les maraîchères seront priorisés par les PSTA.
Dans la partie post-récoltes, les ateliers de transformation structurés en entreprise attireront les
financements formels. Mais tout au long de la chaine, les futurs jeunes agriculteurs connectés pourront
attirer également des financeurs non conventionnels, pas nécessairement à proximité (via le crowdfunding
notamment).
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Dans ce contexte, la banque centrale a mis en place un programme d’incitation à l’endroit des
banques commerciales pour les porter à financer l’agriculture. Pour l’instant, les activités financées
sont celles constituées en entreprises formelles. De ce fait, les activités agricoles informelles sont
essentiellement financées par la microfinance, les ABCP et l’usure. Cependant, les défis actuels et
à venir représentent des impulsions qui devraient inciter les prestataires de services financiers à
définir des produits spéciaux pour l’agriculture, tout en accompagnant celle-ci dans sa démarche
de professionnalisation.
8.2. RECOMMANDATIONS
À la fin de cette étude, il nous parait recommandable qu’il y ait :
4. un investissement des jeunes de façon plus massive dans l’économie agricole, afin
d’accélérer le renouvellement de la main-d’œuvre et de la gérance dans l’agriculture, ainsi
que dans l’adoption des innovations.
BRH (2015). Projet de Stratégie Nationale d’Inclusion Financière, Banque de la République d’Haïti.
BRH (2017). Les programmes d’incitation de la BRH, Document d’information DI-003, Banque de la
République d’Haïti.
FTF (2017). Enabling the business agriculture data snapshot: Haiti, Feed The Future Enabling Environment for
Food Security Project.
Giordano, T. (2016). Flux financiers publics et privés dans l’agriculture, in Une étude exhaustive et
stratégique du secteur agricole/rural haïtien et des investissements publics requis pour son
développement. Van Vliet Geert (ed.), Pressoir Gaël (ed.), Marzin Jacques (ed.), Giordano Thierry
(ed.). 2016. Montpellier: CIRAD, 624 p, CIRAD/BID-Haïti, chapitre 13. http://agritrop.cirad.fr/580373/.
Paul, B. (2019). Étude sur la contribution des ABCP dans l’inclusion financière et le financement rural
en Haïti, rapport d’étude, DAI/USAID.
MARNDR, (2012), Synthèse nationale des résultats du recensement Général de l’Agriculture (RGA)
2008/2009, Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR),
Port-au-Prince.
World Bank. 2019. Global Economic Prospects, June 2019: Heightened Tensions, Subdued Investment.
Washington, DC: World Bank. doi: 10.1596/978-1-4648-1398-6.