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Chapitre 1

Martingales

Les martingales sont les objets de base en théorie du calcul stochastique. Ce chapitre, divisé
grosso modo en deux parties, est une introduction succincte à la théorie des martingales.
Dans la première partie du chapitre (sections 1–5), on résume les propriétés élémentaires
des martingales à temps discret, ou plutôt celles qui nous seront utiles par la suite. La
seconde partie est consacrée aux rudiments de la théorie des martingales à temps continu.
On étudie, en particulier, les différents modes de convergence pour les martingales à temps
continu, ainsi que le théorème d’arrêt.

0. Rappels sur espérance conditionnelle


Soit (Ω, F , P) un espace de probabilité. Soient ξ, ξ1 et ξ2 des variables aléatoires réelles
intégrables. Soit G ⊂ F une sous-tribu de F .
L’espérance conditionnelle E(ξ | G ) est une variable aléatoire telle que :
• E(ξ | G ) est G -mesurable ;
• E[ |E(ξ | G )| ] < ∞ ;
• ∀A ∈ G , E(ξ 1A ) = E[E(ξ | G ) 1A ].
Il y a, pour E(ξ | G ), existence et unicité (unicité au sens que si η est une variable aléatoire
vérifiant ces propriétés, alors E(ξ | G ) = η p.s.).

• ξ G -mesurable ⇒ E(ξ | G ) = ξ p.s.


• ξ indépendante de G ⇒ E(ξ | G ) = E(ξ) p.s.
• E(ξ) = E[E(ξ | G )].
• a, b ∈ R ⇒ E(aξ1 + bξ2 | G ) = a E(ξ1 | G ) + b E(ξ2 | G ) p.s.
• H ⊂ G sous-tribu ⇒ E[E(ξ | G ) | H ] = E(ξ | H ) p.s.
• η G -mesurable, ξη intégrable ⇒ E(ξη | G ) = η E(ξ | G ) p.s.

1
2 Chapitre 1. Martingales

• X et Y des variables aléatoires à valeurs dans les espaces mesurables (E1 , E1 ) et (E2 , E2 )
respectivement, ϕ : E1 × E2 → R mesurable telle que E(|ϕ(X, Y )|) < ∞, Y G -mesurable,
X indépendante de G ⇒ E(ϕ(X, Y ) | G ) = h(Y ) p.s., où h(y) := E(ϕ(X, y)).
• Jensen, Fatou, convergence dominée, convergence monotone.
• E(ξ1 | G ) ≥ E(ξ2 | G ) p.s. ⇔ E(ξ1 1A ) ≥ E(ξ2 1A ) ∀A ∈ G . [Preuve : voir TD.]

Enfin, comme pour espérance mathématique, si ξ ≥ 0 est une variable aléatoire positive,
pas nécessairement intégrable, on peut définir E(ξ | G ) := limn→∞ ↑ E(ξ ∧ n | G ) ∈ [0, ∞],
où ξ ∧ n := min{ξ, n}.

Notation : Lorsque G = σ(Z) où Z est une variable aléatoire à valeurs dans un espace
mesurable quelconque, on écrit souvent E(ξ | Z) à la place de E(ξ | σ(Z)). Plus généralement,
si G = σ(Zi , i ∈ I) est la tribu engendrée par une famille quelconque de variables aléatoires,
on écrit E(ξ | Zi , i ∈ I) à la place de E(ξ | σ(Zi , i ∈ I)).

1. Filtrations et martingales
Soit (Ω, F , P) un espace de probabilité. Une filtration à temps discret (Fn )n≥0 sur cet
espace est une famille croissante de sous-tribus de F :

F0 ⊂ F1 ⊂ F2 ⊂ · · · ⊂ F .

On appelle (Ω, F , (Fn ), P) un espace de probabilité filtré.


Une suite de variables aléatoires (Xn , n ≥ 0) est appelée un processus aléatoire (ou :
processus stochastique, ou : processus). L’indice n est moralement considéré comme un
paramètre temporel.

Exemple 1.1. Soit (Xn , n ≥ 0) un processus aléatoire. Pour tout n ≥ 0, on pose Fn :=


σ(Xi : 0 ≤ i ≤ n). Alors (Fn )n≥0 est une filtration, que l’on appelle souvent la filtration
naturelle (ou : filtration canonique) de (Xn , n ≥ 0). !

Soit (Fn )n≥0 une filtration, et soit (Xn , n ≥ 0) un processus aléatoire. On dit que
(Xn , n ≥ 0) est adapté par rapport à (Fn ) si pour tout n, Xn est Fn -mesurable. [Lorsqu’il
y a pas de risque d’ambiguı̈té sur le choix de la filtration, on dit simplement que (Xn , n ≥ 0)
est adapté.] Dans l’exemple 1.1, le processus est adapté.
§1 Filtrations et martingales 3

Définition 1.2. On dit que (Mn ) est une martingale (resp. surmartingale ; sous-martingale)
à temps discret par rapport à la filtration (Fn ) si
(i) (Mn ) est adapté ;
(ii) ∀ n, E(|Mn |) < ∞ ;
(iii) ∀ n, E(Mn+1 | Fn ) = Mn , p.s. (resp., E(Mn+1 | Fn ) ≤ Mn ; E(Mn+1 | Fn ) ≥ Mn ).

On appellera de temps en temps (iii) l’inégalité caractéristique des sous-martingales (ou


surmartingales), ou l’identité caractéristique des martingales.
Remarquons que si (Mn ) est une surmartingale, alors n -→ E(Mn ) est décroissante.1

Exemple 1.3. Soit (ξi )i≥0 une suite de variables aléatoires intégrables et indépendantes.
!
Soient Mn := ni=0 ξi et Fn := σ{ξi , 0 ≤ i ≤ n}.
Il est clair que (Mn ) est adapté, et est intégrable. De plus, E(Mn+1 | Fn ) = Mn + E(ξn+1 )
p.s. Donc (Mn ) est une martingale si E(ξn ) = 0, ∀n ≥ 1 ; une sous-martingale si E(ξn ) ≥ 0,
∀n ≥ 1 ; et une surmartingale si E(ξn ) ≤ 0, ∀n ≥ 1. !

Exemple 1.4. (Martingale fermée). Soit ξ une variable aléatoire réelle intégrable. Soit
Mn := E(ξ | Fn ). Alors (Mn ) est une martingale (appellée martingale fermée).
En effet, (Mn ) est adapté d’après la définition de l’espérance conditionnelle, ce qui donne
(i).
Pour tout n, |Mn | ≤ E( |ξ| | Fn) par l’inégalité de Jensen (version conditionnelle). Comme
E(|ξ| | Fn) est intégrable (par la définition de l’espérance conditionnelle), on en déduit que
Mn est également intégrable, ce qui donne (ii).
Enfin, on a E[Mn+1 | Fn ] = E[E(ξ | Fn+1) | Fn ], qui n’est autre que E[ξ | Fn ] (car Fn ⊂
Fn+1 ), c’est-à-dire Mn : d’où (iii). !

Exemple 1.5. Soient ξ0 , ξ1 , · · · des variables aléatoires positives et indépendantes, telles


"
que E(ξi ) = 1, ∀i ≥ 1. On pose Mn := ni=0 ξi et Fn := σ(ξi , 0 ≤ i ≤ n), n ≥ 0. Alors
(Mn , n ≥ 0) est une martingale.
En effet, Mn est intégrable, et (Mn , n ≥ 0) adapté. Pour tout n, E(Mn+1 | Fn ) =
E(ξn+1 Mn | Fn ) = Mn E(ξn+1 | Fn ) = Mn p.s. (où l’on a utilisé le fait que ξn+1 est indépen-
dante de Fn pour déduire que E(ξn+1 | Fn ) = E(ξn+1 ) = 1). !
1
L’origine de l’expression : une fonction f sur Rn est surharmonique si et seulement si pour un mouvement
brownien B à valeurs dans Rn , f (B) est une “surmartingale locale” par rapport à la filtration naturelle de
B.
4 Chapitre 1. Martingales

Remarque 1.6. Il est clair que (Mn ) est une sous-martingale si et seulement si (−Mn ) est
une surmartingale, et que (Mn ) est une martingale si et seulement si elle est à la fois une
sous-martingale et une surmartingale. !

Proposition 1.7. Si (Mn ) est une sous-martingale, alors ∀ m ≥ n, E(Mm | Fn ) ≥ Mn , p.s.

Preuve. Supposons m > n car le cas m = n est trivial. On a

E(Mm | Fn ) = E[ E(Mm | Fm−1 ) | Fn ] ≥ E[Mm−1 | Fn ].

Ceci démontre le résultat cherché avec un argument par récurrence. !

Proposition 1.8. (i) Si (Mn ) et (Nn ) sont des martingales (resp. sous-martingales ; sur-
martingales), alors (Mn + Nn ) en est également une.
(ii) Si (Mn ) et (Nn ) sont des sous-martingales, alors (Mn ∨Nn ) est une sous-martingale.2

Preuve. Élémentaire. !

Proposition 1.9. Soit (Mn ) une martingale, et soit ϕ une fonction convexe. Si E(|ϕ(Mn )|) <
∞, ∀ n, alors (ϕ(Mn )) est une sous-martingale.

Preuve. Par l’inégalité de Jensen,

E[ϕ(Mn+1 ) | Fn ] ≥ ϕ(E[Mn+1 | Fn ]) = ϕ(Mn ).

D’où la conclusion. !

Exemple 1.10. Soit p ≥ 1, et soit (Mn ) une martingale telle que E(|Mn |p ) < ∞. Alors
(|Mn |p ) est une sous-martingale.
Il suffit d’appliquer la proposition 1.9 à la fonction convexe ϕ(x) = |x|p . !

2. Théorème d’arrêt
Soit (Ω, F , (Fn ), P) un espace de probabilité filtré, et l’on note

F∞ := σ(Fn , n ≥ 0) ,
2
Notations : a ∨ b := max{a, b} et a ∧ b := min{a, b}.
§2 Théorème d’arrêt 5

c’est-à-dire la tribu engendrée par les éléments de l’ensemble des tribus Fn .


Une application T : Ω → {0, 1, 2, · · · } ∪ {∞} est appelée un temps d’arrêt si pour
tout n ≥ 0, {T ≤ n} ∈ Fn . Il est clair que T est un temps d’arrêt si et seulement si
{T = n} ∈ Fn , ∀ n ≤ ∞.

Exemple 2.1. (Temps d’arrêt déterministes) Fixons un entier positif k ≥ 0. Posons T (ω) :=
k, ω ∈ Ω. Alors T est un temps d’arrêt.
Un autre exemple de temps d’arrêt déterministe est T (ω) := ∞, ω ∈ Ω. !

Exemple 2.2. (Temps d’atteinte) Soit (Xn ) un processus adapté par rapport à la filtration
(Fn ), à valeurs dans un espace mesurable (E, E ). Soit B ∈ E . Posons

TB := inf{n ≥ 0 : Xn ∈ B} ,

avec la convention inf ∅ := ∞ (c’est-à-dire, si Xn (ω) ∈


/ B pour tout n ≥ 0, alors TB (ω) = ∞).
On vérifie très facilement par définition que TB est un temps d’arrêt. En effet, TB est à
valeurs dans {0, 1, 2, · · · } ∪ {∞} ; de plus, pour tout entier n ≥ 0, {TB ≤ n} = ∪nk=0 {Xk ∈
B} qui est un élément de Fn car {Xk ∈ B} ∈ Fk ⊂ Fn pour k ≤ n. !

Exemple 2.3. (Temps de passages successifs) Soit (Xn ) un processus adapté par rapport
à la filtration (Fn ), à valeurs dans un espace mesurable (E, E ). Soit (Bk , k ≥ 0) une
suite d’éléments (pas nécessairement distincts) de E . On définit, par récurrence, la suite
(Tk , k ≥ 0) par T0 := 0 et pour k ≥ 1,

Tk := inf{n > Tk−1 : Xn ∈ Bk } ,

avec la convention inf ∅ := ∞. Alors (Tk , k ≥ 0) est une suite de temps d’arrêt. [Voir TD.]
!

Soit T un temps d’arrêt. La tribu FT des événements antérieurs à T , que l’on appellera
également (par un abus d’appellation) “tribu engendrée par le temps d’arrêt T ”, est définie
par

FT = {A ∈ F∞ : ∀ n, A ∩ {T = n} ∈ Fn }
= {A ∈ F∞ : ∀ n, A ∩ {T ≤ n} ∈ Fn }.

Exemple 2.4. Fixons un entier k ≥ 0, et considérons le temps d’arrêt déterministe T (ω) :=


k, ω ∈ Ω. Alors FT = Fk .
De même, pour le temps d’arrêt déterministe T (ω) := ∞, ω ∈ Ω. Alors FT = F∞ . !
6 Chapitre 1. Martingales

Propriété 2.5. Soient S et T des temps d’arrêt.


(i) Alors S ∨ T et S ∧ T sont aussi des temps d’arrêt, et FS∧T = FS ∩ FT .
(ii) Si S ≤ T , alors FS ⊂ FT .
(iii) Si (Xn ) est un processus à valeurs dans Rd et est adapté par rapport à (Fn ), alors
XT 1{T <∞} est FT -mesurable.3 Si, de plus, X∞ (ω) := limn→∞ Xn (ω) existe pour tout ω ∈ Ω
et est finie, alors XT est FT -mesurable.

Preuve. (ii) Si A ∈ FS , alors A ∩ {T ≤ n} = (A ∩ {S ≤ n}) ∩ {T ≤ n} ∈ Fn .


(i) On a {S ∨ T ≤ n} = {S ≤ n} ∩ {T ≤ n}, et {S ∧ T ≤ n} = {S ≤ n} ∪ {T ≤ n}.
D’après (ii), FS∧T ⊂ FS et FS∧T ⊂ FT ; donc FS∧T ⊂ FS ∩ FT .
Inversement, soit A ∈ FS ∩ FT . Alors pour tout n ≥ 0, A ∩ {S ≤ n} ∈ Fn et A ∩ {T ≤
n} ∈ Fn ; d’où A∩{(S ∧T ) ≤ n} = A∩({S ≤ n}∪{T ≤ n}) = (A∩{S ≤ n})∪(A∩{T ≤ n})
qui est un élément de Fn , étant réunion de deux éléments de Fn .
!
(iii) On voit que XT 1{T <∞} = ∞ T =0 Xn 1{T =n} est F∞ -mesurable, et que pour tout A ⊂
d
R borélien et tout entier n ≥ 0, {XT 1{T <∞} ∈ A} ∩ {T = n} = {Xn ∈ A} ∩ {T = n} ∈ Fn .
Supposons maintenant que Xn (ω) → X∞ (ω) pour tout ω ∈ Ω. Il reste de vérifier, dans
ce cas, que X∞ 1{T =∞} est FT -mesurable, ce qui est immédiat car elle est évidemment F∞ -
mesurable, et pour tout A ⊂ Rd borélien et tout entier n ≥ 0, {X∞ 1{T =∞} ∈ A} ∩ {T = n}
est un élément de Fn (il vaut {T = n} si 0 ∈ A, et est vide si 0 ∈
/ A). !

On s’intéresse maintenant au processus (MT ∧n ) arrêté à un temps d’arrêt T .

Théorème 2.6. Si T est un temps d’arrêt, et si (Mn ) est une sous-martingale, alors (MT ∧n )
est une sous-martingale.

Preuve. Comme |MT ∧n | ≤ |M0 | + |M1 | + · · · + |Mn |, MT ∧n est intégrable. Il est clair que
(MT ∧n ) est adapté, car MT ∧n est FT ∧n -mesurable, et cette dernière est une sous-tribu de
Fn . Enfin, puisque {T ≥ n + 1} = {T ≤ n}c ∈ Fn ,
# $ # $
E (MT ∧(n+1) − MT ∧n ) | Fn = E (Mn+1 − Mn )1{T ≥n+1} | Fn
# $
= 1{T ≥n+1} E (Mn+1 − Mn ) | Fn ≥ 0,

ce qu’il fallait démontrer. !

3
Notation : Pour ω ∈ {T < ∞}, XT (ω) := XT (ω) (ω).
§2 Théorème d’arrêt 7

Théorème 2.7. (Théorème d’arrêt) Soient S et T deux temps d’arrêt bornés tels que
S ≤ T , p.s. Si (Mn ) est une sous-martingale, alors

E(MT | FS ) ≥ MS , p.s.

Preuve. Supposons que S(ω) ≤ T (ω) ≤ k pour tout ω ∈ Ω. Alors |MT | ≤ |M0 | + |M1 | +
· · · + |Mk | qui est intégrable. Soit A ∈ FS . On a

k
%
E[MT 1A ] = E[MT ∧k 1A∩{S=n} ].
n=0

Comme A ∩ {S = n} ∈ Fn , et (MT ∧n ) est une sous-martingale, on a

E[MT ∧k 1A∩{S=n} ] ≥ E[MT ∧n 1A∩{S=n} ] = E[MS 1A∩{S=n} ],

la dernière identité provenant du fait que MT ∧n = MS sur {S = n}. On a donc montré que
!
E[MT 1A ] ≥ kn=0 E[MS 1A∩{S=n} ] = E[MS 1A ]. !

Corollaire 2.8. Soit (Mn ) une sous-martingale. Si S ≤ T sont des temps d’arrêt bornés,
alors E(MS ) ≤ E(MT ). En particulier, pour tout temps d’arrêt borné T , on a E(MT ) ≥
E(M0 ).

Preuve. Il suffit d’appliquer le théorème d’arrêt. !

Remarque 2.9. On utilise souvent la forme suivante du corollaire 2.8 : si (Mn ) est une sous-
martingale, et si T est un temps d’arrêt (quelconque), alors pour tout n ≥ 0, E(MT ∧n ) ≥
E(M0 ). !

Théorème 2.10. (Inégalité de Doob) Soit (Mn ) une martingale. On a


& '
E max Mk2 ≤ 4E(Mn2 ), ∀n,
0≤k≤n
& '
E max Mk2 ≤ 4 max E(Mk2 ).
k≥0 k≥0

Preuve. Exercice aux TD. Il est clair que la seconde inégalité est une conséquence de la
première et du théorème de convergence monotone. !
8 Chapitre 1. Martingales

3. Intégrabilité uniforme
La notion d’intégrabilité uniforme jouera un rôle crucial dans l’étude de convergence dans
1
L pour les martingales.
Soit (ξi , i ∈ I) une famille de variables aléatoires réelles, indexée par un ensemble I non
vide, définie sur (Ω, F , P). Attention : On ne suppose pas que I soit dénombrable.

Définition 3.1. On dit que (ξi , i ∈ I) est uniformément intégrable (ou : équi-intégrable) si

lim sup E[ |ξi | 1{|ξi |>a} ] = 0.


a→∞ i∈I

Exemple 3.2. Soit η une variable aléatoire réelle intégrable. Alors η est uniformément
intégrable.
En effet, E[ |η| 1{|η|>a} ] → 0 (quand a → ∞) par convergence dominée. !

Exemple 3.3. Soient (ξi , i ∈ I) et (ηi , i ∈ I) des familles de variables aléatoires réelles
telle que |ξi | ≤ ηi , ∀i ∈ I. Si, (ηi , i ∈ I) est uniformément intégrable, alors (ξi , i ∈ I) l’est
également.
En particulier, si |ξi | ≤ η, ∀i ∈ I, où η est intégrable. Alors (ξi , i ∈ I) est uniformément
intégrable. !

Exemple 3.4. Soit (ξi , i ∈ I) une famille de variables aléatoires réelles uniformément
intégrable, alors (ξi+ , i ∈ I) l’est également.
En effet, |ξi+ | ≤ |ξi |, ∀i ∈ I. !

Théorème 3.5. Une famille de variables aléatoires réelles (ξi , i ∈ I) est uniformément
intégrable si et seulement si les deux conditions suivantes sont satisfaites :
(i) supi∈I E[ |ξi | ] < ∞ ;
(ii) ∀ ε > 0, ∃ δ > 0 tel que A ∈ F , P(A) ≤ δ ⇒ supi∈I E[ |ξi | 1A ] ≤ ε.

Preuve. Exercice aux TD. !

Exemple 3.6. Si (ξi , i ∈ I) et (ηi , i ∈ I) sont deux familles de variables aléatoires uni-
formément intégrables. Alors (ξi + ηi , i ∈ I) est aussi uniformément intégrable.
Il suffit d’appliquer le théorème 3.5. [On peut aussi directement prouver le résultat en
utilisant seulement la définition.] !

Théorème 3.7. Soient ξ, ξ1 , ξ2 , · · · des variables aléatoires réelles. Alors


L1 P.
ξn −→ ξ ⇐⇒ (ξn ) uniformément intégrable, et ξn −→ ξ.
§4 Convergences des martingales à temps discret 9

Preuve. Exercice aux TD. !

Théorème 3.8. Si η est une variable aléatoire réelle intégrable, alors


& '
E(η | G ); G ⊂ F sous-tribu est uniformément intégrable.

Preuve. Exercice aux TD. !

4. Convergences des martingales à temps discret


On étudie différents modes de convergence pour les martingales à temps discret.

Théorème 4.1. Si (Mn ) est une sous-martingale telle que

sup E(Mn+ ) < ∞,


n

alors M∞ := limn→∞ Mn existe p.s., et E(|M∞ |) < ∞.

Preuve. Admise. [Aux TD, on va prouver que E(|M∞ |) < ∞.]

Théorème 4.2. Si (Mn ) est une surmartingale positive, alors M∞ := limn→∞ Mn existe
p.s., et E(M∞ ) ≤ E(M0 ).

Preuve. L’existence de M∞ provient du fait que (−Mn ) est une sous-martingale telle que
(−Mn )+ = 0 et donc supn E[(−Mn )+ ] < ∞. Puisque E(Mn ) ≤ E(M0 ), le lemme de Fatou
nous dit que E(M∞ ) ≤ lim inf n E(Mn ) ≤ E(M0 ). !

Théorème 4.3. Soit (Mn ) une sous-martingale uniformément intégrable. Alors


(i) Mn → M∞ dans L1 ;
(ii) Mn → M∞ p.s. ;
(iii) ∀n, Mn ≤ E(M∞ | Fn ), p.s.

Preuve. L’intégrabilité uniforme implique que supn E(|Mn |) < ∞. Par le théorème 4.1,
Mn → M∞ p.s., qui est intégrable. La convergence dans L1 , quant à elle, est une conséquence
de converge p.s. et de l’intégrabilité uniforme (et n’a rien à voir avec les martingales).
Par la proposition 1.7, si m > n et A ∈ Fn , alors E(Mm 1A ) ≥ E(Mn 1A ). En faisant
m → ∞, et vu la convergence dans L1 , on a E(Mm 1A ) → E(M∞ 1A ). Donc E(Mn 1A ) ≤
E(M∞ 1A ) pour tout A ∈ Fn . Autrement dit, Mn ≤ E(M∞ | Fn ), p.s. !
10 Chapitre 1. Martingales

Exemple 4.4. Soit (Mn ) une sous-martingale. Alors elle converge dans L1 si et seulement
si elle est uniformément intégrable.
“⇒” C’est une conséquence du théorème 3.7 (cela n’a rien à voir avec les martingales).
“⇐” C’est une conséquence du théorème 4.3. !

Théorème 4.5. Soit (Mn ) une sous-martingale uniformément intégrable. Alors pour tout
temps d’arrêt T , (MT ∧n ) est une sous-martingale uniformément intégrable.

Preuve. Exercice aux TD. !

Corollaire 4.6. Soit (Mn ) une sous-martingale uniformément intégrable. Si T est un temps
d’arrêt, alors E(MT ) ≥ E(M0 ).

Preuve. Soit n ≥ 1. Alors T ∧ n est un temps d’arrêt borné. D’après le corollaire 2.8,
E(MT ∧n ) ≥ E(M0 ). Il suffit alors de constater que MT ∧n → MT p.s., et d’appliquer les
théorème 4.5 et 3.7. [En particulier, MT est intégrable.] !

Exemple 4.7. Soit (Mn ) une sous-martingale uniformément intégrable. Si T est un temps
d’arrêt, alors
E(M0 ) ≤ E(MT ) ≤ E(M∞ ),
où M∞ est la limite p.s. et dans L1 de Mn quand n → ∞.
En effet, par le théorème 2.7 (théorème d’arrêt, version pour les temps d’arrêt bornés),
E(M0 ) ≤ E(MT ∧n ) ≤ E(Mn ). On fait n → ∞. Par les théorèmes 4.5 et 4.3, Mn → M∞ dans
L1 et MT ∧n → MT dans L1 . D’où la conclusion cherchée. !

Théorème 4.8. (Théorème d’arrêt). Soit (Mn ) une sous-martingale uniformément in-
tégrable. Alors pour tous temps d’arrêt S ≤ T , on a

E(MT | FS ) ≥ MS , p.s.

Preuve. D’après le théorème 4.5 et l’exemple 4.7, E(MS ) ≤ E(MT ).


Soit A ∈ FS , et soit
R = S 1A + T 1 A c ,
qui est un temps d’arrêt, tel que R ≤ T . D’après ce que l’on vient de démontrer, E(MR ) ≤
E(MT ). Puisque R = T sur Ac , on a E(MS 1A ) = E(MR 1A ) ≤ E(MT 1A ). Ceci étant vrai
pour tout A ∈ FS , on obtient E(MT | FS ) ≥ MS , p.s. !
§5 Décomposition de Doob 11

Théorème 4.9. Si (Mn ) est une martingale telle que

sup E(Mn2 ) < ∞,


n≥0

alors Mn → M∞ p.s. et dans L2 .


De plus, Mn = E(M∞ | Fn ) p.s.

Preuve. D’après l’inégalité de Doob, supn |Mn | ∈ L2 , et est a fortiori intégrable. D’après le
théorème 4.3, on a convergence p.s. et Mn = E(M∞ | Fn ) p.s.
Puisque |Mn − M∞ |2 ≤ (2 supn |Mn |)2 p.s., le théorème de convergence dominée implique
que E(|Mn − M∞ |2 ) → 0. !

5. Décomposition de Doob
Soit (Ω, F , (Fn ), P) un espace de probabilité filtré.

Définition 5.1. Une famille (Yn , n ≥ 1) de variables aléatoires est dite prévisible si pour
tout n ≥ 1, Yn est Fn−1 -mesurable.

Théorème 5.2. (Décomposition de Doob) Toute sous-martingale (Xn ) s’écrit comme


Xn = Mn + An , où (Mn ) est une martingale, et (An ) est prévisible telle que A0 = 0.
Cette décomposition est unique. En plus, (An ) est croissante.

Preuve. (Unicité). Si (Mn ) et (An ) satisfont les conditions du théorème, alors

E[Xn | Fn−1 ] = E[Mn | Fn−1 ] + E[An | Fn−1] = Mn−1 + An = Xn−1 − An−1 + An .

Donc on a nécessairement An − An−1 = E[Xn | Fn−1 ] − Xn−1 p.s. La condition A0 = 0


implique que le choix de (An ) (dont aussi celui de (Mn )) est unique.
(Existence) Soit (An ) telle que An − An−1 = E[Xn | Fn−1] − Xn−1 , et que A0 = 0. Comme
(Xn ) est une sous-martingale, on a An − An−1 ≥ 0, et (An ) est donc croissante. De plus,
!
An = ni=1 {E[Xi | Fi−1 ] − Xi−1 } est Fn−1 -mesurable.
Pour montrer que (Mn := Xn −An ) est une martingale, on constate que Mn est intégrable
et adapté, tel que

E[Mn | Fn−1 ] = E[Xn − An | Fn−1 ] = E[Xn | Fn−1 ] − An = Xn−1 − An−1 = Mn−1 .

Donc (Mn ) est une martingale. !


12 Chapitre 1. Martingales

Une martingale (Xn ) est dite de carré intégrable si E[Xn2 ] < ∞ pour tout n. Dans
ce cas, (Xn2 ) est une sous-martingale. Soit Xn2 = Mn + An sa décomposition de Doob. La
preuve du théorème précédent nous dit par ailleurs que
% n ( ) % n
2 2
An = E[Xi | Fi−1 ] − Xi−1 = E[(Xi − Xi−1 )2 | Fi−1 ].
i=1 i=1

6. Filtrations à temps continu et temps d’arrêt


On passe maintenant au cadre à temps continu. Soit (Ω, F , P) un espace de probabilité.
Une filtration (Ft )t≥0 sur cet espace est une famille croissante de sous-tribus de F . On dit
que (Ω, F , (Ft ), P) est un espace de probabilité filtré.
Durant tout le cours, on supposera que la filtration possède la propriété suivante : Si
A ⊂ Ω est tel que A ⊂ B pour un B ∈ F avec P(B) = 0, alors A ∈ F0 (dont A ∈ Ft
pour tout t ≥ 0). Cette propriété n’aura aucune influence sur les calculs concrets ; elle aura
l’avantage de nous épargner de certaines discussions de mesurabilité.

Définition 6.1. Un processus (Xt , t ≥ 0) est dit adapté (par rapport à la filtration (Ft ))
si ∀ t ≥ 0, Xt est Ft -mesurable.

On définit
F∞ := σ(Ft , t ≥ 0) .

Définition 6.2. Une application T : Ω → R+ ∪ {+∞} est un temps d’arrêt si ∀t ≥ 0,


{T ≤ t} ∈ Ft .

À chaque temps d’arrêt T , on peut associer la tribu

FT := {A ∈ F∞ : ∀ t ≥ 0, A ∩ {T ≤ t} ∈ Ft }.

On peut facilement vérifier que si T = t (temps d’arrêt déterministe), alors FT vaut bien
Ft .

Propriété 6.3. Soient S et T des temps d’arrêt.


(i) T est FT -mesurable. [Si l’on préfère les variables aléatoires réelles, on peut dire :
T 1{T <∞} et 1{T <∞} sont FT -mesurables.]
(ii) Si S ≤ T , alors FS ⊂ FT .
(iii) S ∧ T et S ∨ T sont des temps d’arrêt, et on a FS∧T = FS ∩ FT . De plus,
{S ≤ T } ∈ FS∧T , {S = T } ∈ FS∧T et {S < T } ∈ FS∧T .
§7 Martingales à temps continu 13

Preuve. (i) Voir TD.


(ii)-(iii) Le même argument à temps discret démontre que FS ⊂ FT si S ≤ T , et que
FS∧T = FS ∩ FT . Montrons maintenant que {S ≤ T } ∈ FS∧T , {S = T } ∈ FS∧T et
{S < T } ∈ FS∧T .
Pour tout t ≥ 0, on a {S ≤ T } ∩ {T ≤ t} = {S ≤ t} ∩ {T ≤ t} ∩ {S ∧ t ≤ T ∧ t} ∈ Ft , car
S ∧ t et T ∧ t étant FS∧t -mesurable et FT ∧t -mesurable respectivement, sont Ft -mesurables.
Donc {S ≤ T } est FT -mesurable. De même, {S ≤ T } ∩ {S ≤ t} = {S ≤ t} ∩ {S ∧ t ≤
T ∧ t} ∈ Ft , ce qui donne {S ≤ T } ∈ FS . Donc {S ≤ T } ∈ FS ∩ FT = FS∧T .
En interchangeant S et T , on voit que {S ≥ T } ∈ FS∧T . Donc {S = T } = {S ≤
T } ∩ {S ≥ T } ∈ FS∧T , et {S < T } = {S ≥ T }c ∈ FS∧T . !

Propriété 6.4. Soit T un temps d’arrêt. Alors

%∞
k
Tn := 1 k−1 k + (+∞) 1{T =∞},
k=0
2n { 2n <T ≤ 2n }

est une suite de temps d’arrêt qui décroı̂t vers T .

Preuve. Exercice aux TD. !

7. Martingales à temps continu


Soit (Ω, F , (Ft ), P) un espace filtré.

Définition 7.1. On dit que (Mt , t ≥ 0) est une martingale [resp. surmartingale ; sous-
martingale] si
(i) (Mt ) est adapté;
(ii) ∀ t ≥ 0, E(|Mt |) < ∞;
(iii) ∀ s < t, E(Mt | Fs ) = Ms , p.s. [resp., ≤ Ms ; ≥ Ms ].

Il est facile de voir que la plupart de propriétés élémentaires des martingales à temps
discret sont encore valables pour les martingales à temps continu. Par exemple, si (Mt ) est
une martingale et si f est une fonction convexe telle que E(|f (Mt )|) < ∞, ∀ t, alors (f (Mt ))
est une sous-martingale.
14 Chapitre 1. Martingales

Théorème 7.2. (Inégalité de Doob) Soit (Mt , t ≥ 0) une martingale continue à droite4 .
Alors pour tout t > 0, & '
E sup Ms ≤ 4E(Mt2 ).
2
s∈[0,t]

Preuve. Soit D ⊂ R+ dénombrable et dense. Soient 0 = t0 < t1 < t2 < · · · < tk = t. Alors
Nn := Mtn∧k est une martingale à temps discret. Par l’inégalité de Doob pour les martingales
à temps discret, on a E(max1≤i≤k Mt2i ) ≤ 4E(Mt2 ). Par convergence monotone, ceci implique
que, si D est un sous-ensemble dénombrable de R+ , alors E(sups∈[0,t]∩D Ms2 ) ≤ 4E(Mt2 ). La
continuité à droite des trajectoires de (Ms ) (c’est-à-dire, des fonctions aléatoires s -→ Ms )
confirme alors que sups∈[0,t]∩D Ms2 = sups∈[0,t] Ms2 p.s. si t ∈ D et si D ⊂ R+ est dense. !

8. Convergences et théorèmes d’arrêt à temps continu


On présente une collection de résultats importants, dont la preuve est omise car elle s’appuie
sur des résultats pour les martingales à temps discret, combinés avec un argument semblable
à celui dans la preuve du théorème 7.2, nécessitant parfois des traitements techniques.

Théorème 8.1. Si (Mt , t ≥ 0) est une sous-martingale continue à droite, et si T est un


temps d’arrêt, alors (MT ∧t , t ≥ 0) est une sous-martingale continue à droite.

Théorème 8.2. Soit (Mt , t ≥ 0) une sous-martingale continue à droite. Si supt≥0 E(Mt+ ) <
∞, alors M∞ := limt→∞ Mt existe p.s., et E(|M∞ |) < ∞.

Théorème 8.3. Si (Mt , t ≥ 0) est une surmartingale positive et continue à droite, alors
M∞ := limt→∞ Mt existe p.s., et E(M∞ ) ≤ E(M0 ).

Théorème 8.4. Soit (Mt , t ≥ 0) une sous-martingale continue à droite et uniformément


intégrable. Alors Mt → M∞ p.s. et dans L1 .
De plus, pour tout t ≥ 0, on a Mt ≤ E(M∞ | Ft ) p.s.

Théorème 8.5. Si (Mt , t ≥ 0) est une martingale continue à droite telle que

sup E(Mt2 ) < ∞,


t≥0

alors Mt → M∞ p.s., et dans L2 .


De plus, pour tout t ≥ 0, on a Mt = E(M∞ | Ft ) p.s.
4
Continuité à droite : p.s., la fonction t -→ Mt (ω) est continue à droite sur R+ .
§8 Convergences et théorèmes d’arrêt à temps continu 15

Théorème 8.6. Soit (Mt , t ≥ 0) une sous-martingale continue à droite, et soient S ≤ T


des temps d’arrêt bornés. Alors

E(MT | FS ) ≥ MS , p.s.

En particulier, pour tout temps d’arrêt borné T , on a E(MT ) ≥ E(M0 ).

Théorème 8.7. Soit (Mt ) une sous-martingale continue à droite et uniformément intégrable.
Soient S ≤ T des temps d’arrêt. Alors

E(MT | FS ) ≥ MS , p.s.

En particulier, pour tout temps d’arrêt T , on a E(M∞ ) ≥ E(MT ) ≥ E(M0 ).

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