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Chapitre 3

Intégration et théorie de la
mesure

3.1 Espaces mesurables et fonctions mesurables


Définition 3.1. (Espace mesurable) Une famille M de sous-ensembles d’un
ensemble X est appelée une σ-algèbre (on dit aussi une tribu) dans X si elle
vérifie les propriétés suivantes :
(i) X ∈ M,
(ii) si A ∈ M alors Ac := X \ A ∈ M,

(iii) si A = n=1 An , avec An ∈ M pour chaque n ∈ N, alors A ∈ M.
On dit alors que (X, M) est un espace mesurable, et les éléments de M sont
appelés les ensembles mesurables.

Etant donné un sous-ensemble quelconque F de P(X), il existe une plus


petite σ-algèbre contenant F, on la note σ(F ). En effet, la famille de toutes
les σ-algèbres contenant F est non vide (elle contient P(X)), et l’intersection
d’une famille quelconque de σ-algèbres est encore une σ-algèbre. Si (X, T ) est
un espace topologique, on peut ainsi considérer la plus petite σ-algèbre, notée
B(X), contenant tous les ensembles ouverts. On l’appelle la σ-algèbre de Borel
et ses éléments sont les boréliens. En particulier, les ouverts et les fermés sont
Borel mesurables.

Définition 3.2. (Fonction mesurable) Soit (X1 , M1 ) et (X2 , M2 ) deux es-


paces mesurables. Une fonction f : X1 → X2 est dite mesurable 1 si f −1 (V ) ∈
M1 pour tous V ∈ M2 .

Remarquons l’analogie, d’une part, entre les espaces mesurables et les espaces
topologiques, et celle d’autre part entre les fonctions mesurables et les fonctions
continues.

Définition 3.3. (Fonction borélienne) Si X1 et X2 sont deux espaces to-


pologiques, et si M1 = B(X1 ) et M2 = B(X2 ), alors f mesurable de (X1 , M1 )
dans (X2 , M2 ) est dite Borel mesurable, ou borélienne.
1. S’il y a risque d’ambiguı̈té on précise : mesurable de (X1 , M1 ) dans (X2 , M2 ).

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Lemme 3.4. Soient X1 et X2 sont deux espaces topologiques et F ⊂ P(X2 )
telle que σ(F ) ⊃ B(X2 ). Si f : X1 → X2 est telle que f −1 (V ) ∈ B(X1 ) pour
tout V ∈ F alors f est borélienne. En particulier toute fonction continue de X1
dans X2 est borélienne.
Démonstration. Soit

N := {V ⊆ X2 t.q. f −1 (V ) ∈ B(X1 )}.

Par hypothèse, N contient tous les éléments de F . Comme d’autre part N


est clairement une σ-algèbre, on a nécessairement N ⊃ σ(F ) ⊃ B(X2 ), ce qui
termine la preuve.
Proposition 3.5. Soit (X, M) un espace mesurable et (Y, T ), (Z, T ′ ) deux
espaces topologiques. Soit f : X → Y mesurable de (X, M) dans (Y, B(Y )) et
g : Y → Z continue de (Y, T ) dans (Z, T ′ ). Alors la fonction g ◦ f : X → Z
est mesurable de (X, M) dans (Z, B(Z)).
Tout ouvert de R peut s’écrire comme union dénombrable d’intervalles ou-
verts de R. En conséquence du Lemme 3.4, on déduit donc qu’une fonction
f : X → R est mesurable si et seulement si les sous-ensembles de niveau
{f < a} ∈ M pour tout a ∈ R. De plus, puisque pour tout a ∈ R, {f ≤ a} =
n {f < a + 1/n} et {f < a} = n {f ≤ a − 1/n}, et puisque les σ-algèbres
sont stables par intersection dénombrable, f est mesurable si et seulement si les
ensembles {f ≤ a} ∈ M pour tout a ∈ R.
Des considérations similaires s’appliquent lorsque l’espace d’arrivée est R :=
[−∞, +∞] ou R+ := [0, +∞], chacun muni de sa topologie propre usuelle.
En pratique, il n’est pas toujours évident de vérifier qu’une fonction est
mesurable. Toutefois, il peut être utile de se baser sur les propriétés suivantes
des fonctions mesurables :
Proposition 3.6.
(i) Soient f et g : X → R deux fonctions mesurables. Alors il en va de
même pour f + g, f g, |f |, min(f, g) et max(f, g).
(ii) Soient fn : X → R des fonctions mesurables, alors inf n fn , supn fn ,
lim inf n fn , lim supn fn sont mesurables à valeurs dans R.
Démonstration. Pour montrer que f g et f + g sont mesurables, par la Propo-
sition 3.5 il est suffisant de vérifier que l’application φ : x → (f (x), g(x)) est
mesurable de X dans R2 . De fait, si V ⊂ R2 est ouvert, alors il existe des
intervales ouverts In et Jn de R tels que

V = (In × Jn ).
n=1

En particulier,
∞ ∞
φ−1 (V ) = φ−1 (In × Jn ) = f −1 (In ) ∩ g −1 (Jn ) ∈ M,
n=1 n=1

puisque f −1 (In ) et g −1 (Jn ) ∈ M par la mesurabilité de f et g, et puisque M


est stable par union dénombrable.

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Puisque {min(f, g) < a} = {f < a} ∪ {g < a} ∈ M, et {max(f, g) < a} =
{f < a} ∩ {g < a} ∈ M, on déduit que les fonctions min(f, g) et max(f, g) sont
aussi mesurables. De plus, comme |f | = max(f, 0) − min(f, 0), |f | est elle aussi
mesurable.

De manière similaire, puisque {inf n fn < a} = n=1 {fn < a} ∈ M et

{supn fn ≤ a} = n=1 {fn ≤ a} ∈ M, il suit que inf n fn et supn fn sont
mesurables. Enfin, par definition,
lim inf fn := sup inf fk , lim sup fn := inf sup fk
n k∈N n≥k n k∈N n≥k

de sorte que lim inf n fn et lim supn fn sont mesurables.


Un exemple important de fonctions mesurables est celui des fonctions ca-
ractéristiques d’ensembles mesurables : si A ∈ M, elles sont définies par
1 si x ∈ A,
χA (x) =
0 si x ∈ A
Un autre exemple est donné par les fonctions simples (ont dit aussi fonctions
étagées), qui sont les combinaisons linéaires de fonctions caractéristiques :
n
s(x) := ci χAi (x),
i=1

où ci ∈ R et Ai ∈ M pour i = 1, . . . , n. Le résultat suivant affirme que l’on peut


toujours approcher une fonction mesurable par une suite de fonctions étagées.
Cette propriété est cruciale pour la définition de l’intégrale de Lebesgue.
Théorème 3.7. Soit f : X → [0, +∞] une fonction mesurable. Il existe une
suite croissante (sn )n∈N de fonctions étagées telles que sn (x) ր f (x) pour tout
x ∈ X, lorsque n → ∞.
Démonstration. Pour chaque n ∈ N et k ∈ {0, . . . , n2n − 1}, on définit les
ensembles mesurables
k k+1
En,k := x∈X: ≤ f (x) < , Fn := {f ≥ n}.
2n 2n
Pour chaque x, on définit aussi
n2n −1
k
sn (x) := χE (x) + nχFn (x).
2n n,k
k=0

La suite (sn )n∈N répond clairement aux conditions imposées.

3.2 Mesures positives


Définition 3.8. (Mesure positive) Soit (X, M) un espace mesurable. Une
fonction µ : M → [0, +∞] est appelée un mesure positive (ou simplement une
mesure) si µ(∅) = 0 et si elle est dénombrablement additive, i.e.,
∞ ∞
µ An = µ(An ),
n=0 n=0

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pour toute suite (An )n∈N dans M telle que An ∩ Am = ∅ si n = m. On dit alors
que (X, M, µ) est un espace mesuré.

Définition 3.9. (Mesure de Borel, mesure de Radon) Si (X, T ) est un


espace topologique, et µ une mesure sur B(X), alors on dit que µ est une mesure
de Borel. Si de plus µ(K) < ∞ pour tout compact K ⊂ X, alors µ est appelée
une mesure de Radon (positive).

Le résultat suivant résume les propriétés principales des mesures positives :


Proposition 3.10. Soit µ une mesure positive sur une espace mesurable (X, M).
Alors,
(i) si A, B ∈ M et A ⊂ B, on a µ(A) ≤ µ(B),
(ii) si pour tout n ∈ N, An ∈ M et An ⊂ An+1 , alors

µ An = lim µ(An ),
n→∞
n=0

(iii) si pour tout n ∈ N, An ∈ M, An+1 ⊂ An , et µ(A0 ) < ∞, alors



µ An = lim µ(An ).
n→∞
n=0

Démonstration. Si A, B ∈ M et A ⊂ B, alors B = A ∪ (B \ A). Dès lors par


additivité, µ(B) = µ(A) + µ(B \ A) ≥ µ(A), d’où (i).
Soient An ∈ M tels que An ⊂ An+1 pour tous n ∈ N. Si il existe n ∈ N tel
que µ(An ) = +∞ alors la conclusion suit. Par conséquent, on suppose dans la
suite que µ(An ) < +∞ pour tout n ∈ N. On définit ensuite B0 := A0 , et pour
tout n ≥ 1, Bn := An \ An−1 . Par construction Bn ∈ M et Bn ∩ Bm = ∅ si
n = m. De plus
∞ ∞
An = Bn .
n=0 n=0
Par additivité dénombrable, on obtient
∞ ∞ ∞ n
µ An =µ Bn = µ(Bn ) = lim µ(Ak \ Ak−1 ) + µ(A0 )
n→∞
n=0 n=0 n=0 k=1
n
= lim (µ(Ak ) − µ(Ak−1 )) + µ(A0 ) = lim µ(An ),
n→∞ n→∞
k=1

ce qui termine la preuve de (ii).


L’affirmation (iii) suit enfin de (ii) puisque, la suite (A0 \ An )n∈N étant
croissante,

µ(A0 ) − lim µ(An ) = lim µ(A0 \ An ) = µ (A0 \ An )
n→∞ n→∞
n=0
∞ ∞
= µ A0 \ An = µ(A0 ) − µ An .
n=0 n=0

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Définition 3.11. Si (X, M, µ) est un espace mesuré, on dit qu’un sous-ensemble
E de X est négligeable s’il existe M ∈ M tel que E ⊆ M et µ(M ) = 0.

Définition 3.12. (Mesure complète) On dit qu’une mesure µ est complète


si tout ensemble négligeable est mesurable.

Exercice 3.1. (Mesure complétée) Etant donné une mesure µ sur une espace
mesurable (X, M), montrer qu’il existe une σ-algèbre M′ ⊇ M et une mesure
positive complète µ′ sur (X, M′ ) telle que la restriction de µ′ à M coı̈ncide avec
µ.

3.3 Intégrale de Lebesgue


Dans la suite, et sauf mention contraire, µ désigne une mesure positive sur
une espace mesurable (X, M).
Nous commençons par définir l’intégrale de Lebesgue des fonctions simples
et des fonctions mesurables positives.

Définition 3.13. Si s : X → [0, +∞) est une fonction étagée de la forme


n
s= c i χ Ai ,
i=1

où ci ≥ 0 et Ai ∈ M pour i = 1, . . . , n sont deux à deux disjoints, et si E ∈ M,


on définit
n
s dµ := ci µ(Ai ∩ E),
E i=1

avec la convention que 0 · ∞ = 0.


Si f : X → [0, +∞] est une fonction mesurable, et E ∈ M, on définit

f dµ := sup s dµ,
E E

où le supremum agit sur toutes les fonctions étagées s : X → [0, +∞) telles que
s ≤ f.

Remarquons que si f est une fonction étagée positive, les deux définitions
coı̈ncident. De plus, par le Théorème 3.7 la famille de toutes les fonctions étagées
plus petites que f est non vide.
Les propriétés suivantes sont des conséquences directes des définitions, et la
démonstration en est laissée au lecteur. Toutes les fonctions y sont supposées
mesurables positives, et tous les ensembles y sont supposés mesurables.
Proposition 3.14.
(i) Si f ≤ g, alors E
f dµ ≤ E
g dµ.
(ii) Si A ⊂ B alors A
f dµ ≤ B
f dµ.
(iii) Si c est une constante, 0 ≤ c < ∞, alors E
cf dµ = c E
f dµ.
(iv) Si f (x) = 0 pour tous x ∈ E, alors E
f dµ = 0, même si µ(E) = ∞.
(v) Si µ(E) = 0, alors E
f dµ = 0 même si f ≡ ∞.

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Avant d’étendre la définition de l’intégrale de Lebesgue aux fonctions réelles,
établissons un résultat central de convergence dans le cadre des fonctions me-
surables positives.
Théorème 3.15 (Convergence monotone - Beppo Levi). Soit (fn )n∈N une
suite de fonctions mesurables de X dans [0, +∞], et telles que fn (x) ≤ fn+1 (x)
pour tout x ∈ X et tout n ∈ N. Alors f := supn fn est mesurable de X dans
[0, +∞] et
f dµ = lim fn dµ.
X n→+∞ X

Démonstration. Par la Proposition 3.6 la fonction f est mesurable. De plus


puisque X fn dµ ≤ X fn+1 dµ, la limite

ℓ := lim fn dµ
n→∞ X

est bien définie et par monotonie ℓ ≤ X f dµ.


Pour démontrer l’inégalité inverse, considérons une fonction étagée 0 ≤ s ≤
f , et une constante c ∈ (0, 1). On définit les ensembles mesurables En := {fn ≥
cs} pour n ∈ N. Alors

fn dµ ≥ fn dµ ≥ c s dµ. (3.3.1)
X En En
p
On écrit s := i=1 ci χAi pour des ci > 0 et Ai ∈ M, et par définition de
l’intégrale de Lebesgue on a
p
s dµ = ci µ(Ai ∩ En ).
En i=1

On a aussi En ⊂ En+1 et puisque fn → f ponctuellement et c < 1, n=0 En =
X. Dès lors, pour i fixé, la suite (Ai ∩ En )n∈N est croissante et l’union de ses
éléments égale Ai , on déduit alors de la Proposition 3.10 que
p
s dµ → ci µ(Ai ) = s dµ.
En i=1 X

En conséquence, passant à la limite dans (3.3.1) lorsque n → ∞, on obtient que


pour tout c < 1,
ℓ≥c s dµ,
X

et la conclusion suit en faisant tendre d’abord c → 1− , et ensuite en prenant le


supremum sur toutes les fonctions étagées s telles que 0 ≤ s ≤ f .
Lemme 3.16 (Fatou). Si les fn : X → [0, ∞] sont mesurables alors

lim inf fn dµ ≤ lim inf fn dµ.


X n→∞ n→∞ X

Démonstration. Il suffit d’appliquer le théorème de convergence monotone à la


suite gn := inf k≥n fk en observant que gn ≤ fn pour chaque n ∈ N, que la suite
(gn )n∈N est croissante et que limn gn = lim inf n fn .

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Proposition 3.17. Si f et g sont des fonctions mesurables positives et si α, β ≥
0, alors
(αf + βg) dµ = α f dµ + β g dµ.
X X X

Démonstration. C’est une conséquence facile de la définition de l’intégrale et du


Théorème de convergence monotone.
Passons maintenant à la définition de l’intégrale de Lebesgue de fonctions
mesurables réelles.

Définition 3.18. On définit l’espace L1 (X, µ) comme l’ensemble de toutes les


fonctions mesurables f : X → R telles que

|f | dµ < ∞.
X

Remarquons que la mesurabilité de f implique celle de |f | par la Proposition


3.6, et par conséquent l’intégrale intervenant dans la définition précédente est
bien définie suivant la Définition 3.13. Les éléments de L1 (X, µ) sont appelées
les fonctions Lebesgue intégrables (par rapport à µ).
Un corollaire immédiat de la définition précédente est le
Théorème 3.19 (de comparasion). Si f : X → R est mesurable et si g ∈
L1 (X, µ) est telle que |f | ≤ g alors f ∈ L1 (Ω, µ).

Définition 3.20. Si f ∈ L1 (X, µ) et E ∈ M, on définit

f dµ := f + dµ − f − dµ,
E E E

où f + := max(f, 0) et f − := max(−f, 0) sont mesurables positives au vu de la


Proposition 3.6.

L’espace L1 (X, µ) est un espace vectoriel. En effet, on a le


Théorème 3.21. Soient f , g ∈ L1 (X, µ), et α, β ∈ R. Alors αf +βg ∈ L1 (X, µ)
et
(αf + βg) dµ = α f dµ + β g dµ.
X X X

Démonstration. On observe premièrement que αf + βg est mesurable (ceci suit


de la Proposition 3.6). Ensuite, puisque |αf + βg| ≤ |α||f | + |β||g|, par la Pro-
position 3.14 on déduit que

|αf + βg| dµ ≤ (|α||f | + |β||g|) dµ = |α| |f | dµ + |β| |g| dµ < ∞,


X X X X

et donc que αf + βg ∈ L1 (X, µ). Enfin, il suffit de montrer que

(f + g) dµ = f dµ + g dµ, (3.3.2)
X X X

et que
αf dµ = α f dµ. (3.3.3)
X X

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Pour montrer (3.3.2), on écrit (f + g)+ − (f + g)− = f + − f − + g + − g − , ou
encore (f + g)+ + f − + g − = (f + g)− + f + + g + . Intégrant sur X et se référant
à la Proposition 3.17 on obtient

(f + g)+ dµ + f − dµ + g − dµ = (f + g)− dµ + f + dµ + g + dµ.


X X X X X X

Il suffit alors d’échanger l’ordre des terms pour obtenir (3.3.2).


La démonstration de (3.3.3) suit de la Proposition 3.14 si α ≥ 0. Si α ≤ 0,
alors −α ≥ 0, −f = f − − f + et le résultat suit à nouveau de la Proposition
3.14.

3.4 Convergence des fonctions et des intégrales


Définition 3.22. On dit qu’une propriété P a lieu µ-presque partout dans X
s’il existe Z ∈ M tel que µ(Z) = 0 et tel que P ait lieu pour tout x dans X \ Z.

On dit aussi que P a lieu pour µ presque tout x ∈ X, et on abrège fréquemment


la syntaxe en écrivant que P a lieu µ-p.p. dans X.
Lemme 3.23.
(i) Soient f, g : X → R deux fonctions mesurables telles que f (x) = g(x)
µ-presque partout. Alors f ∈ L1 (X, µ) si et seulement si g ∈ L1 (X, µ),
auquel cas X f dµ = X g dµ.
(ii) Si f : X → [0, +∞] est mesurable et vérifie X
f dµ = 0 alors f est nulle
µ-presque partout.
(iii) Si g : X → [0, +∞] est mesurable et vérifie X
g dµ < +∞ alors nécessairement
g < +∞ µ-presque partout.

Démonstration. Les énoncés i) et ii) sont laissés en exercice. Pour ce qui est du
iii), on définit An := {g ≥ n} pour n ∈ N. Comme g est mesurable, An ∈ M
pour tout n ∈ N et par la Proposition 3.14 on a
1
µ(An ) ≤ g dµ.
n X

En particulier µ(A0 ) < ∞ et (An ) est une suite décroissante d’ensembles mesu-
rables dont l’intersection est {g = +∞}. En appliquant la Proposition 3.10, on
déduit que

µ({g = +∞}) = µ An = lim µ(An ) = 0.
n→∞
n=0

Le théorème de convergence suivant est un allié bien utile au Théorème de


Beppo - Levi.

Théorème 3.24 (Convergence dominée - Lebesgue). Soient (fn )n∈N une


suite dans L1 (X, µ) et f : X → R mesurable telle que fn (x) → f (x) pour µ-
presque tout x ∈ X. Supposons qu’il existe g : X → [0, +∞] mesurable vérifiant

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X
g dµ < +∞ et telle que |fn (x)| ≤ g(x) pour µ-presque tout x ∈ X et pour
tout n ∈ N. Alors f ∈ L1 (X, µ) et

|fn − f | dµ → 0.
X

En particulier, X
fn dµ → X
f dµ.
Démonstration. Soit Z ⊆ X un ensemble mesurable tel que µ(Z) = 0 et tel que
toutes les convergences et inégalités évoquées dans l’énoncé aient lieu pour tout
x dans X \ Z. Il suit du Théorème de comparaison que le produit de f par la
fonction caractéristique de X \ Z appartient à L1 (X, µ), et ensuite du Lemme
3.23 que f ∈ L1 (X, µ). Par le Lemme de Fatou et le Théorème 3.21, on obtient
alors

2g dµ = lim inf (2g − |f − fn |) dµ ≤ lim inf (2g − |f − fn |) dµ,


X\Z X\Z n→∞ n→∞ X\Z

de sorte que
lim sup |f − fn | dµ ≤ 0.
n→∞ X\Z

Comme pour tout n on a par ailleurs X


|f − fn | dµ = X\Z
|f − fn | dµ, la
conclusion suit.
Théorème 3.25 (“réciproque” de Lebesgue). Soient (fn )n∈N une suite
dans L1 (X, µ) et f ∈ L1 (X, µ) telles que

|fn − f | dµ → 0.
X

Alors il existe une sous-suite (fnk )k∈N et g ∈ L1 (X, µ) telles que |fnk (x)| ≤ g(x)
et fnk (x) → f (x) pour µ-presque tout x dans X.
Démonstration. Pour chaque k ∈ N, il existe nk ∈ N tel que nk → ∞ lorsque
k → ∞ et
1
|fnk − f | dµ ≤ k .
X 2

On définit g̃ : X → [0, +∞] par g̃ := |f | + k=1 |fnk − f |. Par le Théorème de
convergence monotone, g̃ est mesurable positive et

g̃ dµ = |f | dµ + |fnk − f | dµ ≤ |f | dµ + 1.
X X k=1 X X

Il suit du Lemme 3.23-iii) que g̃(x) ∈ R pour µ-presque tout x, et ensuite du


Lemme 3.23-i) que la fonction g, définie comme étant égale à g̃ là où g̃ est réelle
et (par exemple) nulle là où g̃ = +∞, appartient à L1 (X, µ). Par construction
|fnk | ≤ g µ-p.p. dans X, et puisque
∞ ∞
|fnk − f | dµ = |fnk − f | dµ ≤ 1,
X k=0 k=0 X


on déduit à nouveau du Lemme 3.23-iii) que k=0 |fnk − f | < ∞ µ-p.p. dans
X et finalement que fnk → f µ-p.p. dans X.

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Définition 3.26. Soient (fn )n∈N et f des fonctions de X dans R. On dit que
(fn )n∈N converge vers f presque uniformément sur X si pour tout ε > 0, il
existe une ensemble mesurable Eε ⊂ X tel que µ(X \ Eε ) < ε et

sup |fn (x) − f (x)| → 0.


x∈Eε

Proposition 3.27. Soient (fn )n∈N et f des fonctions de X dans R. Si (fn )


converge vers f presque uniformément alors elle converge aussi vers f µ-presque
partout.

Démonstration. Par hypothèse, pour tout ε > 0 il existe un ensemble mesurable


Eε ⊂ X tel que µ(X \ Eε ) < ε et supEε |fn − f | → 0. On choisit successivement

ε := 1/k pour tous k ∈ N∗ , et on définit Z := k=1 (X \ E1/k ). Dès lors, pour

tout k ∈ N , on a µ(Z) ≤ µ(X \ E1/k ) < 1/k → 0 de sorte que µ(Z) = 0. De
plus pour chaque x ∈ X \ Z il existe k ∈ N∗ tel que x ∈ E1/k , et en particulier
fn (x) → f (x) lorsque n → +∞.

La réciproque a lieu dans le cas de mesures finies, c’est-à-dire vérifiant


µ(X) < +∞.

Théorème 3.28 (Egoroff ). On suppose que µ est une mesure finie. Si (fn )n∈N
est une suite de fonctions de X dans R convergeant presque partout sur X vers
f : X → R alors (fn )n∈N converge aussi presque uniformément sur X vers f .

Démonstration. Pour tous i, j ∈ N, on définit les ensembles mesurables Ei,j :=


∞ −i
n=j {|fn − f | > 2 }. Par construction Ei,j+1 ⊂ Ei,j , et puisque µ(X) < ∞,
par la Proposition 3.10-(iii) on a
 

lim µ(Ei,j ) = µ  Ei,j  = 0,
j→∞
j=1

puisque (fn ) converge presque partout vers f . Dès lors, il existe un entier N (i) tel

que µ(Ei,N (i) ) < ε/2i . On définit Eε := X \ i=0 Ei,N (i) , et on a µ(X \ Eε ) < ε.
De plus, si x ∈ Eε alors pour tout i ∈ N, x ∈ X \ Ei,N (i) et pour tout n ≥ N (i),
|fn (x) − f (x)| ≤ 2−i . Par conséquent, fn → f uniformément dans Eε .

Définition 3.29. Soient (fn )n∈N et f des fonctions mesurables de X dans R.


On dit que (fn )n∈N converge vers f en mesure si pour tout ε > 0,

µ({|fn − f | > ε}) → 0 lorsque n → +∞.

Proposition 3.30. Soient (fn )n∈N et f des fonctions mesurables de X dans R.


(i) Si la suite (fn )n∈N converge vers f presque uniformément sur X alors elle
converge aussi en mesure vers f .
(ii) Si la suite (fn )n∈N converge vers f en mesure alors il existe une sous-
suite (fnk )k∈N qui converge presque uniformément (et donc aussi presque
partout) sur X vers f .

Démonstration. Si (fn )n∈N converge vers f presque uniformément, alors pour


tout ε > 0 il exite un ensemble mesurable Eε ⊂ X tel que µ(X \ Eε ) < ε et

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supEε |fn − f | → 0. Soit δ > 0, on a

µ({|fn − f | > δ}) = µ({|fn − f | > δ} ∩ Eε ) + µ({|fn − f | > δ} \ Eε )


≤ µ({|fn − f | > δ} ∩ Eε ) + ε.

Puisque fn → f uniformément sur Eε , il existe n(δ, ε) ∈ N tel que pour tout


n ≥ n(δ, ε), supEε |fn − f | < δ de sorte que {|fn − f | > δ} ∩ Eε = ∅. En
conséquence, pour n ≥ n(δ, ε) on a µ({|fn − f | > δ}) < ε. Par suite,

lim sup µ({|fn − f | > δ}) ≤ ε,


n→∞

et en faisant tendre ε vers zéro on obtient la première implication.


Soit ε > 0. Si (fn )n∈N converge en mesure vers f , alors il existe un suite
(nk )k≥1 telle que nk ր ∞ lorsque k → +∞ et telle que

1 ε
µ |fnk − f | > <
k 2k

pour tout k ≥ 1. On définit les ensembles mesurables Ek := {|fnk − f | ≤ 1/k}



et Eε := k=1 Ek . Alors

µ(X \ Eε ) ≤ µ(X \ Ek ) ≤ ε,
k=1

et pour tout x ∈ Eε et tout k ≥ 1 on a |fnk (x) − f (x)| ≤ k1 . Dès lors fnk → f


presque uniformément, et aussi presque partout par la proposition précédente.

Définition 3.31. Un suite (fn )n∈N de fonctions réelles est dite équi-intégrable
si pour tout ε > 0, il existe δ > 0 tel que

sup |fn | dµ ≤ ε,
n∈N E

quel que soit l’ensemble mesurable E ⊂ X vérifiant µ(E) ≤ δ.

L’équi-integrabilité exprime donc le fait que la suite (fn )n∈N ne se concentre


pas sur des ensembles de mesure arbitrairement petite.

Proposition 3.32. Soit (fn )n∈N une suite dans L1 (X, µ) telle que

sup |fn | dµ < ∞.


n∈N X

Alors (fn )n∈N est équi-intégrable si et seulement si

lim sup |fn | dµ = 0. (3.4.1)


t→∞ n∈N {|fn |>t}

Démonstration. Soit
M := sup |fn | dµ < ∞.
n∈N X

29
Supposons que (fn )n∈N soit équi-intégrable et, étant donné ε > 0, soit δ > 0 tel
que
sup |fn | dµ ≤ ε
n∈N E
pour tout ensemble mesurable E ⊂ X vérifiant µ(E) ≤ δ. On choisit tε > 0 tel
que M
tε ≤ δ. Par définition de M , pour tout n ∈ N et tout t ≥ tε on a

1 M
µ({|fn | > t}) ≤ |fn | dµ ≤ ≤ δ,
t X t
et dès lors
sup |fn | dµ ≤ ε.
n∈N {|fn |>t}

Inversement, supposons que (3.4.1) ait lieu et fixons ε > 0. On choisit tε > 0
tel que
ε
sup |fn | dµ ≤ .
n∈N {|fn |>tε } 2
ε
Pour tout ensemble mesurable E ⊂ X tel que µ(E) ≤ 2tε =: δ et pour tout
n ∈ N on a alors
ε
|fn | dµ = |fn | dµ + |fn | dµ ≤ + tε µ(E) ≤ ε.
E E∩{|fn |>tε } E∩{|fn |≤tε } 2

La notion d’équi-intégrabilité permet d’obtenir un troisième critère, après la


monotonie et la majoration uniforme, qui permet de passer à la limite dans les
intégrales.
Théorème 3.33 (de convergence de Vitali). Soit µ est une mesure positive
finie, i.e. µ(X) < +∞. Soient (fn )n∈N et f dans L1 (X, µ) telles que (fn )n∈N
est équi-intégrable et telles que fn (x) → f (x) µ-presque partout sur X. Alors

|fn − f | dµ → 0.
X

Démonstration. Soit ε fixé, et soit δ > 0 tel que

sup (|fn | + |f |) dµ ≤ ε
n∈N E

que que soit l’ensemble mesurable E ⊂ X vérifiant µ(E) ≤ δ. Par le Théorème


d’Egoroff, pour ce choix de δ il existe un ensemble mesurable Eδ ⊂ X tel que
µ(X \ Eδ ) < δ et fn → f uniformément sur Eδ . Par conséquent

|fn − f | dµ = |fn − f | dµ + |fn − f | dµ


X Eδ X\Eδ

≤ µ(X) sup |fn − f | + (|fn | + |f |) dµ.


Eδ X\Eδ

En faisant tendre n → ∞ on obtient

lim sup |fn − f | dµ ≤ ε,


n→∞ X

et puisque ε était arbitraire la conclusion suit.

30
3.5 Intégrale de Riesz et représentation
L’approche de F. Riesz pour l’intégration est très différente dans l’esprit de
celle de Borel et de Lebesgue. Elle s’attache à définir l’intégrale des fonctions
avant la mesure des ensembles. In fine, un théorème de représentation permet,
sous des hypothèses sur l’espace X, de s’assurer de l’équivalence des deux ap-
proches.
Pour simplifier l’exposition, nous supposerons dans cette section que X ≡
Ω désigne un sous-ensemble ouvert de RN . Plus généralement, on pourrait
considérer des espaces topologiques localement compacts ou des espaces métriques
complets et séparables (espaces Polonais).
Soit µ une mesure de Radon positive sur Ω, c’est-à-dire une mesure de po-
sitive sur la σ-algèbre des boréliens B(Ω) de Ω qui prenne des valeurs finies
sur les sous-ensembles compacts de Ω. On désigne par Cc (Ω, R) l’ensemble des
fonctions continues à support compact dans Ω et on définit l’application linéaire
Lµ : Cc (Ω, R) → R par
Lµ (f ) := f dµ.
Ω
Puisque µ est positive, Lµ est positive, au sens où
Lµ (f ) ≥ 0 lorsque f ∈ Cc (Ω) vérifie f ≥ 0.
Nous allons démontrer la réciproque, à savoir que toute application linéaire
positive de Cc (Ω, R) dans R (c’est ainsi que F. Riesz définit son intégrale) est de
la forme Lν pour une mesure de Radon positive ν.
Commençons d’abord par deux petits lemmes bien utiles.
Lemme 3.34 (Urysohn). Soit K un ensemble compact et V un ouvert borné
tels que K ⊂ V ⊂ V ⊂ Ω. Il existe une fonction f ∈ Cc (Ω, [0, 1]) telle que f = 1
sur K et f = 0 sur Ω \ V .
Démonstration. La fonction
dist(x, Ω \ V )
f (x) :=
dist(x, Ω \ V ) + dist(x, K)
en est un exemple.
Lemme 3.35 (Partition de l’unité). Soient V1 , . . . , Vn des ouverts vérifiant
n
Vi ⊂ Ω pour tous i = 1, . . . , n et soit K un compact tel que K ⊂ i=1 Vi . Alors
n
pour i = 1, . . . , n il existe des fonctions fi ∈ Cc (Vi , [0, 1]) telles que i=1 fi = 1
sur K.
Démonstration. Pour chaque x ∈ K, il existe une boule ouverte Bx centrée
en x et telle que Bx ⊂ Vi pour un certain i (dépendant de x). En particulier,
K ⊂ x∈K Bx , et puisque K est compact on peut extraire un sous-recouvrement
p
fini K ⊂ j=1 Bxj . On définit Ki comme l’union des boules fermées Bxj qui sont
contenues dans Vi . Alors Ki est un compact de Vi et par le Lemme d’Urysohn
il existe un fonction gi ∈ Cc (Vi , [0, 1]) telle que gi = 1 sur Ki . La fonction
gi (x)


n si x ∈ Vi ,
fi (x) := j=1 gj (x)
0 si x ∈ Ω \ Vi

31
vérifie les conclusions du lemme.
Nous pouvons maintenant démontrer le
Théorème 3.36 (de représentation de Riesz). Soit L : Cc (Ω, R) → R une
application linéaire positive. Il exite une σ-algèbre M contenant la σ-algèbre de
Borel B(Ω) et une mesure positive µ sur M telle que

(i) L(f ) = f dµ, pour tout f ∈ Cc (Ω, R),


Ω
(ii) µ(K) < +∞ pour tout sous-ensemble compact K ⊂ Ω,
(iii) pour tout E ∈ M,

µ(E) = inf{µ(V ) : E ⊂ V, V ouvert}, (3.5.1)

(iv) pour tout ensemble ouvert E, ou pour tout ensemble E ∈ M tel que µ(E) <
+∞,
µ(E) = sup{µ(K) : K ⊂ E, K compact}. (3.5.2)
De plus cette mesure est unique au sens où si (M1 , µ1 ) et (M2 , µ2 ) vérifient
les propriétés ci-dessus alors nécessairement les restrictions de µ1 et µ2 à B(Ω)
coı̈ncident.
Démonstration. Commençons par démontrer l’unicité. Soient µ1 et µ2 sont deux
mesures de Radon qui vérifient les conclusions du théorème. Par la propriété de
régularité (3.5.2), il suffit de montrer que µ1 (K) = µ2 (K) pour tout compact
K. Soit ε > 0 et K un compact. Par (3.5.1), il existe un ensemble ouvert V
contenant K et tel que µ2 (V ) < µ2 (K) + ε. Par le Lemme d’Urysohn on peut
trouver une fonction f ∈ Cc (V, [0, 1]) telle que f = 1 sur K. En particulier,
χK ≤ f ≤ χV , et donc

µ1 (K) = χK dµ1 ≤ f dµ1 = L(f ) = f dµ2


Ω Ω Ω

≤ χV dµ2 = µ2 (V ) < µ2 (K) + ε.


Ω

On déduit que µ1 (K) ≤ µ2 (K), et en échangeant les rôles de µ1 et µ2 on obtient


l’égalité.
Passons maintenant à la partie existence. Pour tout ouvert V ⊂ Ω, on définit

µ(V ) := sup{L(f ) : f ∈ Cc (Ω, [0, 1]), supp(f ) ⊂ V }. (3.5.3)

Clairement, si V1 ⊂ V2 alors µ(V1 ) ≤ µ(V2 ) et on peut ensuite étendre µ à tout


ensemble E ⊂ Ω par

µ(E) := inf{µ(V ) : E ⊂ V, V ouvert}.

Par construction les deux définitions coı̈ncident pour les ensembles ouverts, et
aussi la propriété (3.5.1) est automatiquement vérifiée. De plus, µ est une fonc-
tion croissante pour l’inclusion, au sens où si E1 ⊂ E2 alors µ(E1 ) ≤ µ(E2 ).
On définit la famille MF des sous-ensembles E ⊂ Ω tels que µ(E) < +∞ et

µ(E) = sup{µ(K) : K ⊂ E, K compact}.

32
Finalement, on définit M comme la famille de tous les E ⊂ Ω tels que E ∩ K ∈
MF pour tout compact K.
Etape 1. Si K est compact, alors K ∈ MF et
µ(K) = inf{L(f ) : f ∈ Cc (Ω, [0, 1]), f = 1 sur K}. (3.5.4)
De plus, si V est ouvert alors V vérifie (3.5.2). En particulier si µ(V ) < +∞
alors V ∈ MF .
Soit f ∈ Cc (Ω, [0, 1]) tel que f = 1 sur K, α ∈ (0, 1), et Vα := {f >
α}. Alors K ⊂ Vα et αg ≤ f pour tout g ∈ Cc (Vα , [0, 1]). Dès lors µ(K) ≤
µ(Vα ) = sup{L(g) : g ∈ Cc (Vα , [0, 1])} ≤ α−1 L(f ). Faisant tendre α → 1 on
obtient µ(K) ≤ L(f ) < +∞. Par conséquent K ∈ MF puisque (3.5.2) est bien
évidemment vérifié. Ensuite, si ε > 0, il existe un ensemble ouvert V contenant
K et tel que µ(V ) < µ(K) + ε. Par le Lemme d’Urysohn il existe une fonction
f ∈ Cc (V, [0, 1]) vérifiant f = 1 sur K, de sorte que
µ(K) ≤ L(f ) ≤ µ(V ) < µ(K) + ε,
ce qui fournit (3.5.4).
Considérons maintenant un ouvert quelconque V . Pour tout α < µ(V ), il
existe f ∈ Cc (V, [0, 1]) tel que α < L(f ). Pour tout ouvert W contenant K :=
supp(f ), on a f ∈ Cc (W, R) et par définition de µ on a que L(f ) ≤ µ(W ).
Prenant l’infimum sur de tels W amène à la conclusion que L(f ) ≤ µ(K). Cela
montre l’existence d’un ensemble compact K ⊂ V avec α < µ(K), et comme
α < µ(V ) était quelconque il suit que V vérifie (3.5.2) et par conséquent que
V ∈ MF si de plus µ(V ) < ∞.
Etape 2. Pour tout suite d’ensembles En ⊂ Ω, on a
∞ ∞
µ En ≤ µ(En ).
n=0 n=0

On montre d’abord que


µ(V1 ∪ V2 ) ≤ µ(V1 ) + µ(V2 ) (3.5.5)
lorsque V1 et V2 sont deux ouverts. Soit g ∈ Cc (V1 ∪ V2 , [0, 1]). Par le Lemme
3.35, il existe des fonctions f1 et f2 telles que fi ∈ Cc (Vi , [0, 1]) et f1 + f2 = 1
sur supp(g). Par conséquent fi g ∈ Cc (Vi , [0, 1]), g = f1 g + f2 g et par linéarité
de L et par définitio, de µ,
L(g) = L(f1 g) + L(f2 g) ≤ µ(V1 ) + µ(V2 ).
En prenant le supremum sur tous les tels g on obtient µ(V1 ∪V2 ) ≤ µ(V1 )+µ(V2 ).
Venons en au cas général. Si µ(En ) = +∞ pour au moins un n alors la
conclusion est immédiate. Sinon, si µ(En ) < +∞ pour tout n, alors pour chaque
ε > 0 il existe des ouverts Vn tels que En ⊂ Vn et µ(Vn ) < µ(En ) + 2−n ε. On

définit V := n=0 Vn . Soit f ∈ Cc (V, [0, 1]). Puisque supp(f ) est compact, il
p
existe un nombre fini d’ouverts V0 , . . . , Vp tels que supp(f ) ⊂ n=0 Vn . En
itérant (3.5.5), on obtient
p p ∞
L(f ) ≤ µ Vn ≤ µ(Vn ) ≤ µ(En ) + ε.
n=0 n=0 n=0

33

L’inégalité précédente ayant lieu pour tout f ∈ Cc (V, [0, 1]), et puisque n=0 En ⊂
V , il suit que
∞ ∞
µ En ≤ µ(V ) ≤ µ(En ) + ε,
n=1 n=1

ce qui termine la preuve de l’étape 2, ε étant arbitraire.



Etape 3. Supposons que E = n=0 En , où les En sont deux à deux disjoints
et appartiennent à MF pour tous n ∈ N. Alors

µ(E) = µ(En ). (3.5.6)
n=0

Si de plus µ(E) < +∞, alors E ∈ MF .


On montre d’abord que

µ(K1 ∪ K2 ) = µ(K1 ) + µ(K2 ) (3.5.7)

si K1 et K2 sont des compacts disjoints. Soit ε > 0, par le Lemme d’Urysohn


il existe f ∈ Cc (Ω, [0, 1]) telle que f = 1 sur K1 et f = 0 sur K2 . Par l’étape 1,
il existe g ∈ Cc (Ω, R) telle que g = 1 sur K1 ∪ K2 et L(g) ≤ µ(K1 ∪ K2 ) + ε.
Remarquons que f g = 1 sur K1 et que (1 − f )g = 1 sur K2 . Dès lors, par
linéarité de L, il suit que t

µ(K1 ) + µ(K2 ) ≤ L(f g) + L((1 − f )g) = L(g) ≤ µ(K1 ∪ K2 ) + ε.

Comme ε était arbitraire, (3.5.7) suit de l’étape 2.


Si µ(E) = +∞, alors (3.5.6) est une conséquence immédiate de l’étape 2.
Supposons dès lors que µ(E) < +∞. Soit ε > 0, puisque En ∈ MF , il existe des
compacts Hn ⊂ En tels que µ(Hn ) > µ(En ) − 2−n ε pour tout n ∈ N. On définit
n
Kn := k=0 Hk ⊂ E, il s’agit d’un compact. Par conséquent, par induction sur
(3.5.7), on déduit que
n n
µ(E) ≥ µ(Kn ) = µ(Hk ) > µ(Ek ) − ε.
k=0 k=0

L’inégalité précédente ayant lieu pour tout n ∈ N et tout ε > 0, utilisant à


nouveau l’étape 2 on déduit (3.5.6). De plus, pour n suffisamment grand (cela
n
dépend de ε) on a µ(E) ≤ k=0 µ(Ek ) + ε ≤ µ(Kn ) + 2ε, ce qui montrer que
E ∈ MF .
Etape 4. Si E ∈ MF et ε > 0, il existe un compact K et un ouvert V tels
que K ⊂ E ⊂ V et µ(V \ K) < ε. De plus, si A et B ∈ MF , alors A \ B, A ∪ B
et A ∩ B ∈ MF .
Nos définitions montrent qu’il existe un compact K et un ouvert V tels que
K ⊂ E ⊂ V et
ε ε
µ(V ) − < µ(E) < µ(K) + < ∞,
2 2
où on a utilisé le fait que, par l’étape 1, µ est finie sur les compacts. Utilisant à
nouveau l’étape 1, puisque V \ K est ouvert et puisque µ(V \ K) < +∞, il suit
que V \ K ∈ MF . On applique alors l’étape 3 et on obtient µ(K) + µ(V \ K) =
µ(V ) < µ(K) + ε < +∞.

34
Soient maintenant A et B ∈ MF et ε > 0. On peut trouver des compacts
K1 et K2 , et des ouverts V1 et V2 , tels que K1 ⊂ A ⊂ V1 et K2 ⊂ B ⊂ V2 , et
µ(Vi \ Ki ) < ε pour i = 1, 2. Comme

A \ B ⊂ V1 \ K2 ⊂ (V1 \ K1 ) ∪ (K1 \ V2 ) ∪ (V2 \ K2 ),

de la sous-additivité démontrée à l’étape 2 on déduit que µ(A \ B) ≤ 2ε + µ(K1 \


V2 ). Par ailleurs K1 \ V2 est un sous-ensemble compact de A \ B, cela montre
que A \ B ∈ MF . Ensuite, puisque A ∪ B = (A \ B) ∪ B, il suit de l’étape 3 que
A ∪ B ∈ MF . Enfin, puisque A ∩ B = A \ (A \ B), on a aussi que A ∩ B ∈ MF .
Etape 5. M est une σ-algèbre qui contient tout les boréliens, ainsi que tous
les ensembles E ⊂ Ω tels que µ(E) = 0. De plus, MF = {E ⊂ M : µ(E) < +∞}.
Enfin, µ est une mesure positive sur M vérifiant (3.5.1) et (3.5.2).
Il suit d’abord de l’étape 1 que Ω appartient à M. Soit K un compact
quelconque de X. Si A ∈ M, alors A ∩ K ∈ MF et par l’étape 4, Ac ∩ K =
K \ (A ∩ K) ∈ MF . En conséquence, Ac ∈ M. Si An ∈ M pour tout n ∈ N, on
n−1
définit B0 = A0 ∩ K et pour n ≥ 1, Bn = (An ∩ K) \ k=0 Bk . Par l’étape 4,
(Bn ) est la réunion d’ensembles disjoints de MF . Par l’étape 3, on obtient
∞ ∞
K∩ An = Bn ∈ MF
n=0 n=0


et donc n=0 An ∈ M. Cela montre que M est une σ-algèbre. Si C est fermé,
alors K ∩ C est compact et par l’étape 1, il appartient à MF . Par conséquent
C ∈ M. Cela montre que M contient tous les fermés et, puisqu’il s’agit d’une
σ-algèbre, tous les boréliens également. Si E ⊂ Ω est tel que µ(E) = 0, alors
bien sûr E ∈ M puisque µ est croissant pour l’inclusion.
Par les étapes 1 et 4, on a que MF ⊂ {E ⊂ M : µ(E) < +∞}. Inversement,
soit E ∈ M tel que µ(E) < +∞ et soit ε > 0. Il existe un ouvert V contenant
E tel que µ(V ) < +∞. Utilisant à nouveau les étapes 1 et 4, on peut trouver
un compact K ⊂ V tel que µ(V \ K) < ε. Puisque E ∩ K ∈ MF , il existe un
compact H ⊂ E ∩ K avec µ(E ∩ K) < µ(H) + ε. Puisque E ⊂ (E ∩ K) ∪ (V \ K),
il suit que
µ(E) ≤ µ(E ∩ K) + µ(V \ K) < µ(H) + 2ε,
ce qui implique que E ∈ MF . Les propriétés (3.5.1) et (3.5.2) sont par conséquent
vérifiées.
Montrons maintenant que µ est une mesure sur (Ω, M). Si (En ) est une

suite d’éléments deux à deux disjoints de M, alors E := n=0 En ∈ M. Si
µ(E) = +∞, par l’étape 2 on a

µ (E) = µ(En ),
n=0

alors que si µ(E) < +∞ on a µ(En ) < +∞ pour tout n ∈ N et par conséquent
E, En ∈ MF pour tout n ∈ N. Par l’étape 3 on déduit que µ est une mesure
sur M.
Etape 6. Preuve de la propriété de représentation. Soit f ∈ Cc (Ω, R). Clai-
rement il est suffisant de vérifier que l’inégalité L(f ) ≤ Ω f dµ car par linéarité

35
de L, on déduit alors que

−L(f ) = L(−f ) ≤ (−f ) dµ = − f dµ.


Ω Ω

Soit K := suppf et [a, b] un intervalle qui contient l’image de f . Pour ε > 0, soit
y0 , . . . , yn ∈ R tels que y0 < a < y1 < . . . < yn = b, et max1≤i≤n (yi − yi−1 ) < ε.
On définit
Ei := {yi−1 < f ≤ yi } ∩ K.
Comme f est continue, f est Borel mesurable et les ensembles Ei sont donc des
boréliens deux à deux disjoints dont l’union est égale à K. Il existe des ouverts
Vi contenant Ei et tels que µ(Vi ) < µ(Ei ) + ε/n et f (x) < yi + ε pour tout
x ∈ Vi et tout i = 1, . . . , n. Par le Théorème 3.35 on peut trouver des fonctions
n n
hi ∈ Cc (Vi , [0, 1]) telles que i=1 hi = 1 sur K. Par conséquent, f = i=1 hi f
dans Ω et par l’étape 1, on déduit que
n n
µ(K) ≤ L hi = L(hi ).
i=1 i=1

Remarquons que L(hi ) ≤ µ(Vi ) < µ(Ei ) + ε/n, hi f ≤ (yi + ε)hi et yi − ε < f (x)
pour x ∈ Ei . Notant M := maxK |f | < +∞ on a
n n n n
L(f ) = L(hi f ) ≤ (yi + ε)L(hi ) = (M + yi + ε)L(hi ) − M L(hi )
i=1 i=1 i=1 i=1
n
ε
≤ (M + yi + ε) µ(Ei ) + − M µ(K)
i=1
n
n n
ε
≤ (yi − ε)µ(Ei ) + 2εµ(K) + (M + yi + ε)
i=1
n i=1

≤ f dµ + ε(2µ(K) + 2M + ε).
Ω

Comme ε était arbitraire, la preuve est maintenant complète.


Remarque 3.37.
i) Dans l’énoncé qui précède, la restriction de µ à la σ-algèbre de Borel B(Ω)
définit une mesure de Radon.
ii) L’étape 5 de la preuve du Théorème 3.36 montre que M contient tous les
ensembles E négligeables. La mesure µ qui y est construite est donc complète.
Nous reviendrons sur le Théorème de représentation de Riesz lorsque nous
étudierons certains espaces duaux plus loin dans le cours. D’ores et déjà, en
voici une première application à la régularité de toute mesure de Radon.
Théorème 3.38. Toute mesure de Radon λ sur Ω vérifie

λ(E) = inf{λ(V ) : E ⊂ V, V ouvert},

pour tout borélien E ⊂ Ω, et

λ(E) = sup{λ(K) : K ⊂ E, K compact},

36
pour tout borélien E ⊂ Ω tel que λ(E) < +∞. De plus, pour tout E ∈ B(Ω) et
tout ε > 0, il existe un fermé C et un ouvert V tels que C ⊂ E ⊂ V , et
λ(V \ C) < ε. (3.5.8)
Démonstration. On définit la forme linéaire Lλ comme dans l’introduction de
cette section, à savoir Lλ (f ) := Ω f dλ pour chaque f ∈ Cc (Ω, R). Comme
λ(K) < +∞ pour tout compact K ⊂ Ω, Lλ est bien une forme linéaire positive
sur Cc (Ω, R), et par le Théorème de représentation de Riesz il existe une mesure
µ vérifiant les propriétés (i) à (iv) et donc en particulier

f dλ = f dµ.
Ω Ω

Comme µ vérifie (3.5.1) et (3.5.2), il nous suffit de vérifier que µ vérifie (3.5.8)
et ensuite que la restriction de µ aux boréliens coı̈ncide avec λ.
Commençons par montrer que µ vérifie (3.5.8). Soit E ∈ B(Ω) et soit
(Kn )n∈N une suite croissante de compacts dont l’union égale Ω (on prend par
exemple Kn := {x ∈ Ω : |x| ≤ n et dist(x, RN \ Ω) ≥ 2−n }). On a µ(E ∩ Kn ) <
+∞ pour tout n ≥ 0 et il existe des ouverts Vn tels que E ∩ Kn ⊂ Vn et
µ(Vn ) < µ(E ∩ Kn ) + 2−n−2 ε. En particulier, puisque µ(E ∩ Kn ) < +∞, on
a µ(Vn \ (E ∩ Kn )) < 2−n−2 ε. Définissons l’ouvert V := n≥0 Vn , il vérifie
E ⊂ V et V \ E ⊂ n≥0 Vn \ (E ∩ Kn ). Dès lors µ(V \ E) < ε/2. On applique
ensuite ceci à F := E c , et par conséquent il existe un ouvert W contenant
F et tel que µ(W \ F ) < ε/2. Soit C := W c qui est fermé, alors C ⊂ E et
µ(E \ C) = µ(E ∩ W ) = µ(W \ (E c )) = µ(W \ F ) < ε/2. L’inégalité (3.5.8) et
démontrée.
Venons en à l’égalité de λ et µ sur les boréliens. Soit V un ouvert de Ω. Alors

à nouveau V = n=0 Kn pour des compacts Kn . Par le Lemme d’Urysohn, on
peut choisir des fn ∈ Cc (V, [0, 1]) telles que fn = 1 sur Kn . On définit ensuite
gn := max0≤i≤n fi , de sorte que gn ∈ Cc (V, [0, 1]) et que la suite (gn ) croı̂t
ponctuellement vers χV (la fonction charactéristique de V ) sur Ω. Il suit du
Théorème de convergence monotone que

λ(V ) = lim gn dλ = lim gn dµ = µ(V ).


n→∞ Ω n→∞ Ω

Soit E un borélien quelconque de Ω et soit ε > 0. Par (3.5.8), il existe un


ouvert V et un fermé C tels que C ⊂ E ⊂ V et µ(V \ C) < ε. Mais puisque
V \ C est ouvert on déduit de ce qui précède que λ(V \ C) = µ(V \ C) < ε. En
conséquence,
λ(E) ≤ λ(V ) = µ(V ) ≤ µ(E) + ε ≤ µ(V ) + ε = λ(V ) + ε ≤ λ(E) + 2ε,
et donc µ(E) = λ(E) par le côté arbitraire de ε. Ceci termine la démonstration.

3.6 Construction de la mesure de Lebesgue


Le théorème de représentation de Riesz permet de construire la mesure de
Lebesgue sur RN et de montrer que l’intégrale de Lebesgue par rapport à la
mesure de Lebesgue est une extension naturelle de l’intégrale de Cauchy (définie
comme limite de sommes de Riemann).

37
Théorème 3.39. Il exite une unique σ-algèbre L(RN ) contenant B(RN ) et une
unique mesure positive LN sur L(RN ) telles que
(i) LN ([0, 1]N ) = 1.
(ii) Pour tout E ∈ L(RN ) et tout x ∈ RN , LN (x + E) = LN (E).
(iii) E ∈ L(RN ) si et seulement si il existe un ensemble A de classe Fσ (c’est-à-
dire une union dénombrable de fermés) et un ensemble B de classe Gδ (un
intersection dénombrable d’ouverts) tels que A ⊂ E ⊂ B et LN (B \A) = 0.
De plus, pour tout f ∈ Cc (RN ),

f dLN = f (x) dx,


RN RN

où l’intégrale à gauche est l’intégrale de Lebesgue de f pour la mesure LN et


celle à droite est l’intégrale de Cauchy de f .

La mesure LN est appelée la mesure de Lebesgue, et L(RN ) est la σ-algèbre


de tous les ensembles Lebesgue mesurables.

Démonstration. Nous commençons par l’existence avant d’aborder l’unicité.


Etape 1. Soit L : Cc (RN ) → R définie par

L(f ) := f (x) dx,


RN

où l’intégrale est celle au sens de Cauchy. Comme L est clairement une forme
linéaire positive sur Cc (RN , R), on peut lui appliquer le Théorème de représentation
de Riesz, et il existe donc une σ-algèbra L(RN ) (contenant B(RN )) et une me-
sure LN sur L(RN ) telle que LN (K) < +∞ pour tout compact K ⊂ RN et

L(f ) = f (x) dx = f dLN


RN RN

pour toute f ∈ Cc (RN , R).


Etape 2. Les conclusions du Théorème 3.36 montrent aussi que pour tout
E ∈ L(RN )
LN (E) = inf{LN (V ) : E ⊂ V, V ouvert} (3.6.1)
et pour tout E ∈ L(RN ) avec LN (E) < ∞

LN (E) = sup{LN (K) : K ⊂ E, K compact}.

De plus, par (3.5.8), pour chaque E ∈ L(RN ) et tout ε > 0, il existe un fermé
C et un ouvert V tels que C ⊂ E ⊂ V et LN (V \ C) < ε. Par conséquent, pour
tout n ≥ 1, on peut trouver un fermé Cn et un ouvert Vn tels que Cn ⊂ E ⊂ Vn
et LN (Vn \ Cn ) < 1/n. On définit A := n≥1 Cn et B := n≥1 Vn . Alors A est
un Fσ , B est un Gδ , A ⊂ E ⊂ B et LN (B \ A) ≤ LN (Vn \ Cn ) < 1/n → 0.
Inversement, supposons que E ⊂ RN est tel que A ⊂ E ⊂ B et LN (B \ A) = 0
pour un certain A dans Fσ et B dans Gδ . Alors E = A ∪ (E \ A) où A ∈ B(RN )
et E \ A ⊂ B \ A avec B \ A ∈ B(RN ) et LN (B \ A) = 0. Comme la mesure
LN est complète (voir une remarque ci-dessus) on déduit que E \ A ∈ L(RN ) et
finalement que E ∈ L(RN ).

38
N
Etape 3. Montrons que pour tout cube ouvert Q := i=1 (ai , bi ) (pour
ai < bi et i ∈ {1, . . . , N }), on a
N
LN (Q) = (bi − ai ). (3.6.2)
i=1

N
On définit pour chaque n ≥ 1 et chaque x ∈ RN , fn (x) := i=1 ϕnai ,bi (xi ), où

 0 si xi ∈ [ai , bi ],
∈ ai + n1 , bi − 1

1 si xi ,

ϕnai ,bi (xi ) := n
 n(xi − ai ) si xi ∈ ai , ai + n1 ,
∈ bi − n1 , bi .

−n(xi − bi ) si xi

N
Alors fn ∈ Cc (RN ) pour tout n ≥ 1 et χQn ≤ fn ≤ χQ où Qn := i=1 [ai +
1/n, bi −1/n] est un cube fermé. Par conséquent, en intégrant la chaı̂ne d’inégalités
ci-dessus par rapport à la mesure LN on obtient

LN (Qn ) ≤ fn dLN = fn (x) dx ≤ LN (Q). (3.6.3)


RN RN

Comme Qn est une suite croissante d’ensembles mesurables dont l’union donne
N
Q = i=1 (ai , bi ), on déduit de la Proposition 3.10-(ii) que LN (Qn ) → LN (Q)
lorsque n → ∞. Par construction des fn , leur intégrale de Cauchy peut être
calculée explicitement et vaut
N bi N
1
fn (x) dx = fn (x) dx = ϕnai ,bi (xi ) dxi = bi − a i − .
RN Q i=1 ai i=1
n

On prend ensuite la limite dans 3.6.3 lorsque n → ∞ et on obtient 3.6.2.


Etape 4. Montrons à présent que pour tout i ∈ {1, . . . , N } et tout a ∈ R,
LN ({xi = a}) = 0. (3.6.4)
Sans perte de généralité, nous pouvons supposer que i = 1 et a = 0. Pour
N
chaque k ≥ 1, on a {x1 = 0}∩Q(0, n) ⊂ (−1/k, 1/k)× i=2 (−n, n) où Q(0, n) =
N
i=1 (−n, n) est le cube ouvert de centre 0 et de côté de longueur 2n. En utilisant
(3.6.2), on déduit que
(2n)N −1
LN ({x1 = 0} ∩ Q(0, n)) ≤ .
2k
Pour n ≥ 1 fixé, faisant tendre k → ∞ implique que LN ({x1 = 0}∩Q(0, n)) = 0.
Prenant ensuite la limite n → ∞ et utilisant la Proposition 3.10-(ii), on obtient
LN ({x1 = 0}) = 0.
Etape 5. Comme
N N
[ai , bi ] \ (ai , bi )
i=1 i=1
est contenu dans une union finoe de sous-ensembles de la forme {xi = a}, on
déduit de l’étape 4 que
N N
LN [ai , bi ] \ (ai , bi ) =0
i=1 i=1

39
et donc que
N N N
LN [ai , bi ] = LN (ai , bi ) = (bi − ai ).
i=1 i=1 i=1

En particulier, choisissant ai = 0 et bi = 1 pour tous i ∈ {1, . . . , N } on obtient


LN ([0, 1]N ) = 1.
Etape 6. Montrons que LN est invariante par translation. Soit x ∈ RN
et V ⊂ RN un ouvert. Comme la translation τx : y ∈ RN → x + y est un
homéomorphisme (d’inverse (τx )−1 = τ−x ), x + V est également ouvert, et par
définition de LN sur les ouverts (voir (3.5.3)) on a

LN (x + V ) = sup f (y) dy : f ∈ Cc (RN , [0, 1]), Supp(f ) ⊂ x + V .


RN

Par changement de variables dans l’intégrale de Cauchy on obtient

LN (x + V ) = sup g(x + y) dy : g ∈ Cc (RN , [0, 1]), Supp(g) ⊂ V


RN

= sup g(z) dz : g ∈ Cc (RN , [0, 1]), Supp(g) ⊂ V


RN
= LN (V ).

De même, si E ∈ B(RN ) alors x + E ∈ B(RN ). En utilisant la propriété de


régularité extérieure (3.6.1) de la mesure LN , on obtient que

LN (x + E) = inf{LN (V ) : x + E ⊂ V, V ouvert}
= inf{LN (−x + V ) : E ⊂ −x + V, V ouvert}
= inf{LN (U ) : E ⊂ U, U ouvert}
= LN (E).

Finalement, par l’étape 2, on sait que si E ∈ L(RN ) il existe un Fσ A et Gδ


B tels que A ⊂ E ⊂ B et LN (B \A) = 0. Alors, x+A ⊂ x+E ⊂ x+B, où x+A
est un Fσ et x + B est un Gδ . De plus, puisque x + B \ A = (x + B) \ (x + A) et
B \ A ∈ B(RN ), on a LN ((x + B) \ (x + A)) = LN (x + (B \ A)) = LN (B \ A) = 0.
En conséquence, x + E ∈ L(RN ) et

LN (x + E) = LN (x + A) = LN (A) = LN (E).

Il nous reste à montrer l’unicité de LN .


Etape 7. Au vu de iii), il nous suffit pour montrer l’unicité de montrer que si
λ est une mesure de Radon invariante par translation et telle que λ([0, 1]N ) = 1
alors la restriction de LN à B(RN ) coı̈ncide avec λ.
Montrons dans un premier temps que pour tous a ∈ R et i ∈ {1, . . . , N }, on
a λ({xi = a}) = 0. Sans perte de généralité, on suppose ici aussi que i = 1 et
a = 0. Alors
 

λ({x1 = 0}) = λ {x1 = 0} ∩ [0, n]N  = lim λ {x1 = 0} ∩ [0, n]N .


n→∞
n≥1
(3.6.5)

40
On définit En := {x1 = 0} ∩ [0, n]N et on remarque que

[0, n]N = (y1 + En ) ⊃ (y1 + En ),


y1 ∈[−n,n] y1 ∈[−n,n]∩Q

où les ensembles mesurables {y1 +En }y1 ∈[−n,n]∩Q sont deux à deux disjoints. Par
conséquent, puisque λ est une mesure de Radon, elle est finie sur les compacts,
et par invariance par translation on obtient

λ(En ) = λ(y1 + En )
y1 ∈[−n,n]∩Q y1 ∈[−n,n]∩Q
 

= λ (y1 + En ) ≤ λ([0, n]N ) < ∞


y1 ∈[−n,n]∩Q

ce qui est possible seulement si λ(En ) = 0. En conséquence, de (3.6.5) on déduit


que λ({x1 = 0}) = 0. Ensuite, si n ∈ N∗ , puisque
N
k 1
[0, 1)N = + 0, ,
n n
k∈{0,...,n−1}N

où les ensembles impliqués sont mesurables et deux à deux disjoints, on déduit
que
 
N
k 1
1 = λ([0, 1]N ) = λ([0, 1)N ) = λ  + 0, 
N
n n
k∈{0,...,n−1}
N N
k 1 1
= λ + 0, = λ 0,
n n n
k∈{0,...,n−1}N k∈{0,...,n−1}N
N
1
= nN L N 0, .
n

Il s’ensuit que λ([0, 1/n)N ) = n−N = LN ([0, 1/n)N ).


Montrons maintenant que λ coı̈ncide avec LN sur les cubes. Soit Q :=
N
i=1 [ai , bi ], et supposons d’abord que ai et bi ∈ Q avec ai < bi pour i ∈
{1, . . . , N }. Alors il existe des entiers n ∈ N, αi et βi ∈ Z tels que ai = αi /n et
bi = βi /n. Par conséquent
N
αi αN qi
Q= ,..., + 0, ,
n n i=1
n

où qi = βi − αi ∈ N. En utilisant l’invariance par translation de λ, on déduit


que
N
qi
λ(Q) = λ 0, .
i=1
n
D’autre part,
 
N N
qi ki ki + 1  k 1
λ 0, = λ , =λ + 0, ,
i=1
n i=1 ki ∈N,|ki |≤qi −1
n n n n
k∈K

41
où K := {k ∈ NN : 0 ≤ ki ≤ qi − 1 pour tout i ∈ {1, . . . , N }}. De nouveau par
invariance par translation de λ, on obtient

N
qi k 1 1
λ 0, = λ + 0, = λ 0,
i=1
n n n n
k∈K k∈K
N N
1 1
= N
Card(K) = N qi = (bi − ai ).
n n i=1 i=1

On aboutit finalement à λ(Q) = LN (Q).


Dans le cas général où ai et bi ∈ R, il existe des suites (ani )n≥1 et (bni )n≥1 ⊂ Q
tells que ani ց ai et bni ր bi lorsque n → ∞, pour chaque i ∈ {1, . . . , N }.
N
Comme i=1 [ani , bni ] est une suite croissante de cubes fermés dont l’union re-
N
donne i=1 (ai , bi ), on déduit que

N N N
λ [ai , bi ] =λ (ai , bi ) = lim λ [ani , bni ]
n→∞
i=1 i=1 i=1
N N N
= lim (bni − ani ) = (bi − ai ) = LN [ai , bi ] .
n→∞
i=1 i=1 i=1

Pour montrer ensuite que λ(V ) = LN (V ) pour tout ouvert de RN , il suf-


fit d’utiliser le fait qu’un ouvert de RN peut toujours s’écrire comme union
N
dénombrable de cubes disjoints de la forme i=1 [bi − ai ) où ai et bi ∈ R
pour i ∈ {1, . . . , N }. Finallement, puisque λ est une mesure de Radon, on peut
utiliser la régularité extérieure de λ et de LN (voir le Théorème 3.38) pour
conclure que λ(E) = LN (E) pour tout ensemble borélien E. Ceci termine la
démonstration.

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