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Revue des Deux Mondes

LES ENFANS D'ÉDOUARD. THÉATRE FRANÇAIS


Author(s): Gustave Planche
Source: Revue des Deux Mondes (1829-1971), DEUXIÈME SÉRIE, Vol. 2, No. 5 (1er JUIN
1833), pp. 521-532
Published by: Revue des Deux Mondes
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44688339
Accessed: 20-12-2020 12:24 UTC

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Revue des Deux Mondes (1829-1971)

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LUS

EN F ANS DÉDOÜARD.

THÉÂTRE FRANÇAIS.

Si c'est un bonheur pour la critique d'étudier, et d'expliquer a


la foule inattentive, un ouvrage important par son mérite réel,
par la grandeur de la conception, par l'exécution délicate et ache-
vée, ou même, au défaut de ces rares qualités, par la hardiesse des
intentions et la majesté de la perspective; si c'est pour la réflexion
patiente un sérieux et durable plaisir, que de pénétrer, jour par
jour, le secret des fantaisies qui ne se révèlent à la multitude que
par des tentatives souvent très éloignées l'une de l'autre; d'assister
sans relâche et sans distraction à la lutte perpétuelle qui se partage
l'imagination humaine depuis le berceau de la poésie, de suivre et
d'applaudir tour à tour le triomphe de l'ordre sur le mouvement ,
ou du mouvement sur l'ordre, c'est-à-dire de Sophocle sur Eschyle,

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52 2 ilEYUE DES DEUX MONDES.

de Térence sur Plaute, de Racine sur Corneille; c'est, je


une besogne fastidieuse que d'assister au spectacle d'une
sans portée, sans vigueur, et disons-le, sans volonté.
Or, cette tristesse sincère que nous exprimons ici, nous est
à la représentation des Enfans d'Edouard , La critique, et, j'
viens sans peine, si haute et si désintéressée qu'elle puis
n'aura jamais la même valeur et la même animation que les
des philosophes, les récits des historiens, ou les inventions
tes. Bien qu'elle prétende , avec une modestie effrontée, éta
défendre Jes lois qui régissent toutes les formes de la pens
en avouant implicitement que Dieu lui a refusé la faculté d
liser aucune de ces formes, cependant cette sévère magist
même aux mains de Quintilien, de Samuel Johnson ou de Di
n'aura jamais, pour la société qui nous entoure, la même g
et les mêmes joies que la lecture d'Homère, de Tacite ou de
Mais s'il est arrivé, à de lointains intervalles, à l'estimatio
œuvres de la pensée de disputer l'attention publique à ces
elles-mêmes, ce n'a jamais été qu'à la condition de ne s'en p
qu'aux maîtres et aux novateurs du premier ordre; car il fa
critique, pour vivre même huit jours, la colère ou l'enthou
Il faut qu'elle combatte corps à corps les idées perverses q
lent détourner l'art de sa route, ou qu'elle élève sur un pié
les statues des demi-dieux à qui l'impiété, l'ignorance ou l'
refusent la gloire et l'encens.
Pourtant, lorsqu'on a rencontré, parmi les inventeurs de son
de secrètes sympathies, si l'on n'a pu se défend re d'applaudir,
à une victoire personnelle, aux créations du génie qui sont
baptiser de leur nom de courageuses, mais impuissantes es
ces, il y aurait de l'ingratitude, et peut-être dela lâcheté,
mener à fin la tâche qu'on a choisie : ce n'est pas assez d'av
aux uns: « J'avais prévu ce que vous avez fait, » et aux
Vous avez donné la vie et la durée au plus cher et au- plu
stant de mes rêves ; j'avais aperçu l'écueil que vorn avez to
j'avais deviné la gloire qui vous, couronne. » Non., il faut al
loin,, quoi qu'il en coûte à notre paresse instinctive. A vra
nous n'avons plus rien à faire dans la lice , quand les la
plus vaillantes ont été rompues, quand les armures l es plus

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LES EN FAN S p'ÉDOUARD. 5'i3

ont été faussées, quand les casques étincelans ont roulé da


sang et la poussière, quançl Je vainqueur est proclamé. Mais,
qu'il ne manque rien à la louange de ceux qui ont vaincu
faut réciter, sans découragement et sans dégoût, les noms obs
de ceux qui n'ont pas même combattu, comme pour agrandir
cortège du guerrier prédestiné.

M. Casimir Delavigne pourrait impunément écrire et mont


sur la scène française plusieurs centaines de tragédies par
aux Enfans ď Edouard^ sans hâter ou ralentir les progrès de
dramatique. Si donc nous parlons de lui cette fois, ce n'es
pour lui-même, ni pour discuter ce qui n'est pas discutab
sens et le dessein de son poème prétendu; c'est qu'il nous im
absolument de prouver qu'il ne compte pas dans la littératur
son temps; qu'il n'est ni de ce siècle-ci, ni du siècle passé,
siècle précédent ; qu'il ne relève ni du tragique austère qui f
pleurer Condé , ni du studieux élève de Port-Royal qui d
mourir d'une bouderie de roi, après avoir dévoué sa muse aux
religieuses de Saint-Cyr, et qu'il n'a rien à démêler non plus
le hardi dialecticien qui, du fond de Ferney, gouvernait l'Eu
attentive, et rédigeait Mahomet, comme un pamphlet, pour le
au pape.

Au moins ces trois grands noms dominaient la société française


parce qu'ils la comprenaient. S'ils ont pris tour à tour pour
modèle la Grèce , l'Espagne ou l'Angleterre, c'est qu'ils y avaient
découvert d'intimes alliances avec les idées, les passions et les habi-
tudes de leur temps. Mais je défie le plus habile de surprendre une
parenté, si lointaine qu'elle soit, entre M. Delavigne et les choses
ou les hommes de ce temps-ci.
Les Enfans d'Edouard m'ont semblé une gageure sérieuse, un
parti pris d'emprunter à toutes les querelles, à tous les systèmes
qui se coudoient dans les salons et dans les académies, ce qu'ils ont
d'inoffensif el de superficiel, et ainsi, par exemple, aux versifica-
teurs patiens de l'empire, l'élégance monotone, les hémistiches
arrangés en cascatelles sonores; aux adeptes du moyen âge, aux
panégyristes de la scène anglaise et allemande, le nom et le cos-
tume de quelques personnages historiques ; et enfin aux admira-

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5 u 4 ni: v lì; dis dl lx mondes.

tears oisifs des bons mots et du marivaudage débités pendant


ans au boulevard Bonne-Nouvelle, et qui se sont appelés, je ne
pourquoi, la comédie de la restauration , leurs antithèses cli que
santes, leurs puérilités fardées; mais au moins, prenez-y garde
n'en veux pas conclure que M. Delavigne soit le rival de M. Eugè
Scribe.

Le drame s'ouvre par une scène d'espièglerie très médiocrement


gaie, dont la disposition et les détails sont froids, guindés, d'une
prétentieuse coquetterie, mais réussissent, Dieu seul sait comment!
à tenir le parterre et les loges dans une continuelle et muette
extase. Nous assistons àia toilette du jeune duc d'York; Elizabeth
Woodville semble oublier la guerre civile qui menace de toutes
parts la fortune de sa famille, pour se complaire dans les mutuelles
taquineries d'une gouvernante et d'un enfant. Je me prêterais bien
volontiers au charme individuel de la scène, si déplacée qu'elle soit,
si elle était touchée avec une délicatesse plus légère et plus naïve,
et si les sarcasmes, sur les lèvres de M. Delavigne, ne se figeaient
au point de se glacer. - L'analyse de la pièce entière, si l'on vou-
lait la rattacher à une idée une, progressive et logique, serait abso-
lument impossible : l'action, s'il y en a une toutefois, n'est qu'un
travail mesquin de marquetterie; les incidens se succèdent sans
jamais s'engendrer. Quoique l'auteur ait choisi dans les annales
anglaises un crime enveloppé d'épaisses ténèbres, mais constaté, au
dire des chroniqueurs, et notamment selon le témoignage de Phi-
lippe de Commines qui se connaissait en ces sortes de choses , pré-
paré, poursuivi, accompli, avec une ruse infernale, il n'y a pas,
durant trois heures, un seul instant d'émotion ou d'angoisse, d'indi-
gnation ou de pitié, d'horreur ou de sympathie.
J'ai entendu chuchoter autour de moi quelques amis empressés,
qui admiraient dans les Enfans d'Edouard le développement idéal
et simultané (disaient-ils) de deux sentimens très beaux à coup sûr,
mais à mon avis complètement absens de la pièce, pour peu qu'on
exige l'élan et la naïveté. Ils louaient à l'envi l'amour fraternel
d'Edouard et de Richard, et la tendresse d'Elisabeth pour ses deux
fils. Pour réfuter cette affirmation d'une aveugle amitié, j'invoque-
rais, s'il en était besoin, l'autorité des jeunes femmes, qui pendant
toute la soirée n'ont pas trouvé une larme à répandre; et l'on m'ac-

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1-KS KNFANS D'MHHUAD. J 2 5

cordera bieti, je l'espère, que la représentation scéniqu


arracher des cris de souffrance , aussi bien que le marbre c
le statuaire de Marseille.

Si l'on veut essayer de décalquer sévèrement les lignes de la


fable inventée par M. Delavigne, on a grand'peine à comprendre
le travail de sa pensée. Le duc de Glocester souffre avec une pa-
tience exemplaire les railleries d'un marmot , qu'il pourrait d'une
parole réduire au silence. Il convoite le trône, il le touche du
doigt, il n'a qu'à étendre la main pour placer la couronne sur sa
tête, et, comme un intrigant vulgaire, comme un chevalier d'in-
dustrie, il flatte honteusement la reine, qui va s'enfuir au premier
soupçon de ses desseins. Il descend jusqu'à la rassurer, quand il
pourrait lever le front, et lui dire hardiment : « Je veux être le roi,
et je le serai. » Il se laisse insulter par le jeune duc d'York, et se
résigne à l'insulte au lieu de la punir. Il confie à Buckingham la
moitié de ses projets, ets'indigne de ses scrupules, comme s'il igno-
rait qu'en de pareils marchés les demi-confidences font les trahi-
sons inévitables. Au lieu de le gagner en l'associant au partage, il
s'amuse à le tromper comme la reine, à protester devant lui de son
dévouaient inviolable aux droits et à la personne des héritiers d'E-
douard IV. Puis, pour décharger sa conscience de toute inquié-
tude, il le fait assassiner par un aventurier; il gaspille le crime , il
prodigue les meurtres publics, comme s'il n'avait pas à sa dévotion
les prisons et l'exil .

Quand il tient dans sa main la vie d'Edouard V et de Richard


d'York, chose incroyable! il ne révèle pas à leurs geôliers le sort
qui les attend; et c'est leur mère elle-même, la reine Elisabeth,
qui leur apprend qu'ils vont mourir. Comment a-t-elle pu pénétrer
dans la tour? comment a-t-elle trompé la vigilance des gardiens?
résolve qui pourra ces questions insolubles. Je ne chicanerais pas
la vraisemblance du moyen, si le poète atteignait à de grands effets;
mais comme il n'en est rien, j'ai le droit de me plaindre.

Le dénoûment prévu d'avance, la mort des deux enfans, n'effraie


pas un seul instant. Pourquoi? c'est que les deux frères n'ont pas
dans la bouche un accent vrai, pathétique } c'est qu'ils regrettent
la vie comme des hommes, pour des honneurs qu'ils ignorent, et

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59.6 REVUE DES DEUX MONDES.

qu'ils ne pleurent pas comme des enfans, sur les pla


échappent.
Disons-le simplement, cette tragédie prétendue
paraphrase laborieuse d'une toile envoyée il y a deux
vre, par M. Paul Delaroche. Or, le défaut du tabl
celui de la tragédie. M. Paul Delaroche avait peint
de dix pieds un sujet dont la composition et les ligne
tout au plus aux dimensions d'une aquarelle. M. D
layé dans les trois actes d'une tragédie le petit nom
d'images qui auraient pu suffire à défrayer une élég
M. Delaroche était d'une couleur violette et fausse; la
de M. Delavigne est d'une élégance frelatée. Je dois
(et ceci, j'en suis sûr, va surprendre bien des croyans
fois l'illustre académicien a violé cavalièrement les lo
et de la grammaii'e. Je ne sais pas, par exemple,
Londres se pouvait féminiser; qu'Edouard était un m
bique; que l'on pouvait protester une chose . Ce sont l
péchés véniels; mais enfin M. Delavigne est académi
Si nous abandonnons les questions relatives à la vr
à la rapidité de l'action, à l'enchaînement et à la gén
scènes, pour aborder un problème plus général et p
de la vérité humaine des caractères, noire embarr
pour reconnaître dans les acleurs de M. Delavigne
cidaient , dans les dernières années du quinzième siè
nées de là Grande-Bretagne. Je ne ferai pas à l'auteu
niennes l'injure de lui rappeler le Richard III de Sha
ne lui proposerai pas de s'agenouiller devant l'im
qui n'a jamais reçu ses prières. Mais, je lui demande
deGlocester, qui n'a pas craint de prendre pour mar
têtes de rois, qui a éclairci sans pitié les rangs des p
familles, pouvait trouver le temps de faire sur sa c
desseins d'ingénieux quolibets. N'était-ce pas avan
tout un homme d'action bien plus que de parole?
Est-ce que la reine Elisabeth ne doit pas opter ent
veuve et celui de mère, entre la couronne de son ma
ses fils? Reine, elle doit soutenir la légitimité de leu

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LES ENFANS D EDOUARD. 52 ?
de leur droit; mère, elle doit sacrifier, s'il le faut, l'honneur de
son nom au salut de ses enfans. Dans la tragédie de M. Delavigne,
elle flotte incessamment entre ces deux rôles sans se décider pour
aucun.

Buckingham professe en toute occasion une in


tout lieu de nous surprendre dans le compagnon e
de Richard III. Qu'il trébuche par maladresse, j
qu'il se perde auprès de son maître par impertinen
cherie, à la bonne heure ! Mais qu'il oppose à l'amb
cester les scrupules d'une conscience timorée, c
saurais comprendre.
Tyrrel a particulièrement charmé l'auditoire de
chelieu. J'aurais mauvaise grâce à nier un fait aus
tant, je dois l'avouer, je n'ai pas une admiration
cette scélératesse bavarde qui éclate en bruyant
se vante, s'explique, se met à l'enchère, et qui, au
tion, chancelle et redescend au niveau des poltronn
J'aimerais mieux dix fois que Tyrrel récitât quelq
moins sur la flamme ondoyante du punch, sur les
cieux qui viennent se jouer au bord du bowl, sur l
dés et le bonheur de l'orgie, et qu'il eût la main p
fidèle. Si j'avais été Richard III, loin de le réco
avoir gardé les fils d'Edouard IV, je l'aurais fait pe
laissé sa veuve pénétrer dans la Tour de Londres.
Je n'ai pas le courage de critiquer le caractère at
fans d'Edouard. Le rôle qu'ils jouent est tellement
blâme peut à peine les atteindre. Ils ne sont pas; c
j'en puis dire. Ils devaient concentrer l'intérêt s
mais ce n'était pas à eux que l'action appartenait. I
but et non le moyen. S'ils ne signifient rien dans
M. Delavigne, leur nullité doit être imputée à
l'inhabileté des autres caractères.

Est-ce que par hasard l'été de i483, tel que le racontent les
historiens anglais, ne contenait pas les élémens d'une tragédie?
Voyons.
Je suis fort d'avis qu'il est très inutile, pour inventer un poème
dramatique fondé sitr une époque donnée de l'histoire d'un peuple,

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5 2 8 REVUE DES DEUX MONDES.

de posséder une formule générale et précise qui exprime


loppement total de ce peuple; ces sortes d'études pouvaien
nir à Bossuet, à Vico, à Herder, et, de nos jours, séduisen
quelques esprits graves et solitaires comme Schelling ou Ba
Mais quoique ces hardies tentatives, loin de refroidir l'ima
l'exaltent et la rassérènent, en portant ses regards vers les ré
l'idéalité la plus pure, cependant je conçois très bien que le
les plus éminens qui ont écrit pour le théâtre ne se soient
à ces sortes d'investigations. C'est qu'en effet les invention
ques vivent surtout d'individualité, tandis que les formul
riques ont besoin d'absorber l'homme dans l'idée.
Néanmoins, lors même qu'il s'agit d'aborder poétiquemen
rectement un caractère ou un événement historique, il f
connaître la mission et le rôle, l'origine et la fin. Autrem
marche de tâtonnemens en lâtonnemens, dans une nu
génie le plus heureux risque tout au plus d'éclairer par
songe.
Et ainsi, puisque Richard III, dans les annales anglaises, marque
le passage de la maison de Lancastre à la maison de Tudor, si l'on
ignore le sens politique de cette transition, à moins qu'on ne trouve
dans la biographie de Richard III une tragédie exclusivement
domestique, une intrigue d'amour par exemple, une aventure de
jeunesse, il n'y a pas de poème possible.
On le sait, la guerre civile des deux roses, c'est-à-dire la querelle
des maisons d'York et de Lancastre, marque, dans l'histoire des îles
Britanniques, la ruine de la royauté féodale, et l'avènement de la
royauté absolue, qui devait elle-même succomber en 1649, Pour
faire place en 1688 à la monarchie représentative. Donc, une tra-
gédie où Richard III joue le principal rôle doit nous montrer l'ago-
nie de la royauté féodale. A cette heure où le dogme de la royauté
absolue n'a pas encore été consacré par l'avarice de Henri VII , et
la luxure sanguinaire de Henri VIII , la guerre n'est pas entre la
cour et le peuple; elle est entre les seigneurs qui s'entretuent et se
disputent la couronne. Le premier guerrier venu qui peut mettre
une armée brave et cupide au service de son ambition, s'appelle
roi et s'asseoit sur le trône. Ainsi fit Richard III.
Quoi qu'on fasse, toutes les fois qu'on mettra sur la scène ce

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LES ENFANS D'ÉDOUARD. 02 CJ
bourreau difforme et bouffon, on ne pourra jamais le mettre au
second plan; car enfin il jouait sa partie et ne tuait que pour son
compte. C'était pour frayer sa route, et non celle d'un autre, qu'il
fauchait toute une moisson de têtes illustres. Le meurtre des enfans
d'Edouard IV n'est que le dernier épisode de cette monstrueuse
tragédie qui devait enfanter une royauté de deux ans. La dispari-
tion des deux jeunes frères n'eût servi de rien sans la mort de Cla-
rence, de lord Rivers, de lord Hastings. Il fallait vider toutes
les chambres du palais avant d'en trouver une qui fût paisiblement
habitable, et Richard III le savait bien.
La pénitence publique de Jane Shore, les accusations ignomi-
nieuses dirigées à la fois contre la mère et la veuve d'Edouard IV
par Richard lui-même, ne sont pas non plus inutiles à l'achève-
ment de ce tableau historique , car elles montrent que le duc de
Glocester se délassait parfois de la satiété du carnage dans de bril-
lans intermèdes d'hypocrisie, et qu'après tout il ne versait le sang
qu'à la dernière extrémité, quand la ruse, le mensonge, l'or, l'avi-
lissement et la servilité avaient désappointé ses espérances. En
attaquant la légitimité d'Edouard IV, il sapait la popularité de
ses enfans.

Il semble donc, à la réflexion même la plus hâtée, qu'il n'y


avait dans l'été de i483 qu'une tragédie possible, dont Je dénoû-
ment aurait été l'avènement de Richard III, et qui aurait eu pour
exposition, pour nœud et pour moyens, les traits lesplussaillansde
la vie politique du Protecteur; à savoir : la pénitence publique de
Jane Shore, la fuite de la reine à l'abbaye de Westminster avec
le duc d'York , l'accusation d'illégitimité portée contre ses fils et
son mari, le meurtre d'Hastings et de Rivers, et, enfin, en pré-
sence d'une population menaçante, prête à se soulever pour un
roi qu'elle ne connait pas, en haine d'un tigre furieux dont elle a
trop senti la sanglante morsure, la mort des neveux et la royauté
de l'oncle.

Il eût été bon d'insister sur le côté jovial et satirique du carac-


tère de Richard III, et de mettre en scène ses paroles les plus con-
nues, comme ce qu'il dit à l'évêque d'Ely; les expressions dont il
s'est servi en dénonçant à la malédiction publique, comme luxu-
rieux, brigands , traîtres, concussionnaires , ses ennemis dont la
TOME II. 35

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tête venait de tomber sur le billot. Ainsi, on le voit, à


vouloir se mettre à la suite de M. Paul Delaroche, et tr
son tableau une tragédie armée de toutes pièces, on ne
chercher dans la seule mort des enfans d'Edouard l
poème dramatique.
Mais n'y a-t-il pas dans la biographie de Richard
épouvanter une imagination aussi mesquine que celle d
vigne? C'est à l'histoire littéraire qu'il appartient de r
je me contenterai de consulter les souvenirs poétiques
tauration. J'ai dit que l'auteur des Messéniennes n'étai
temps; je crois la chose facile à prouver. Bien que M
se soit essayé dans l'ode, dans le dithyrambe, dans l'élég
poème didactique, dans le discours en vers, dans la
caractère, dans la tragédie pure et la tragédie mê
drame bourgeois et dans le drame historique, et mê
drame héroïque et philosophique ; bien qu'il ait écrit W
Jeanne ď Arc, Parthénope, le Jeune Diacre, la Vaccine
l'Ecole des Vieillards, la princesse Aurèlie , et quan
lades mises en musique, remarquables surtout par la n
rhythme et l'hétérodoxie des rimes, cependant il ne lu
arrivé qu'une seule fois d'exciter un attention réelle; c
qu'il a versifié toutes les opinions militantes, tous les m
mens quotidiens dont se composait le libéralisme polit
par Paul-Louis, si exactement, le libéralisme à deux
cette occasion, je le confesse, M. Delavigne a été de
mais à quelles conditions?
Au théâtre, il n'a rien inventé. Son début, dont on a v
quelque bruit, et qui n'est guère célèbre que par la
posthume et fort peu authentique des sympathies de T
qu'un mélodrame de second ordre, une amplification d
que. Je n'attribue qu'un seul mérite aux Comédiens^ c'es
fait relire, avecun plaisir éternellementnouveau, quelq
Gilblas. J'en puis dire autant du Paria et de la Chaumièr
Je ne sais par quel hasard inespéré il s'est rencontré dan
quelques strophes vraiment lyriques; je soupçonne qu'o
rait retrouver la trace dans Kalidâsi. C'est à peine si
d'un travestissement de Byron, qui a dû à la pan tornirn

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LES ENFANS D'EDOUARD. 53 1

et puissante de madame Dorval, quelques soirées d'applau


mens. Les pages de Sanuto sont plus dramatiques à coup sûr
le poème de M. Delavigne.
Je ne voudrais pas affirmer que cent personnes, même litté
se souviennent aujourd'hui de la princesse Auréhe, satire obs
alambiquée d'un triumvirat politique oublié six mois avant
où l'auteur des Messéniennes s'aventura malencontreusemen
qu'à prendre en main le fouet d'Aristophane, de Junius et d
marchais. - Sans Talma, qui est-ce qui se souviendrait d
ville? Louis XI est dans la vie littéraire de M. Delavigne, la
chose à peu près que Philippe à Bovines, dans la vie pitto
d'Horace Vernet. Des deux parts, c'est la même impuissance
même guinderie . Il fallait le talent pastoral de M. Delavign
trouver dans Philippe de Commines, Jean de Trojes et Béra
le sujet d'une églogue inoffensive; pour emprunter au cons
de Bourgogne, au greffier de Paris et au lyriste le plus
notre siècle, une bergerie qui eût fait envie à Racan.
Il n'y a donc en lui ni l'étoffe d'un poète capable d'imposer
contemporains la couleur et la trempe de ses pensées habitu
ni celle d'un inventeur fertile en ressources de toutes sortes
menant du nord au midi, de la Grèce à la Judée, de 1' Alha
Whitehall, les caprices et les erreurs de son imagination; s'ég
avec délices dans les siècles évanouis, et donnant à chacune
rêveries, de ses douleurs ou de ses joies, le nom d'une catas
ou d'un héros ; se ressouvenant des choses et des hommes q
pas connus, comme un vieillard qui repasse dans le secre
conscience ses premières années, et qui écoute le bruit des
qui ne sont plus.
Non, M. Delavigne n'est pas poète. Ceux qui l'ont cru s
trompés. Ceux qui l'ont répété ont été trompés; ceux qui le
tiennent ignorent eux-mêmes l'origine et la valeur de leur c
tion. S'il était vraiment, comme on le dit, un artiste du pr
ordre, au lieu de descendre aux opinions vulgaires et démoné
pour les versifier et les appeler siennes, il aurait libremen
primé ses idées individuelles, et il aurait amené la foule à l
cepter. Puisqu'il n'en a rien fait, c'est qu'il se sentait faible
qu'il s'est appuyé sur elle au lieu de l'élever jusqu'à lui, c'est
35.

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532 IIEYUE DES DEUX BI ONDES.

n'avait ni mission ni puissance; puisqu'il a suivi, c'est qu


vait pas conduire.
Mais il y a dans toutes les réflexions qui précèdent , l
d'une conclusion plus générale et plus haute : je veux pa
réaction spiritualiste dans toutes les formes de l'art litté
prenez-y garde, l'esprit, l'imagination et le style de M.
sont à la taille du plus grand nombre. C'est un irréproc
vrier en hémistiches; il sait précisément la dose de p
commune dont il faut envelopper et assaisonner une id
nouvelle pour la rendre présentable et polie.
Il faut donc induire de tout ceci que l'auditoire de la r
chelieu, qui n'a trouvé dans les Enfans d'Edouard aucune
repoussante, aucune excentricité scandaleuse, mais q
meuré froid et muet malgré le dévoůment des amitiés,
à se lasser tout de bon des panoramas historiques, et re
rieusement les passions humaines en échange desque
donne aujourd'hui des hauberts , des tabards, des sur
couronnes à fleurons. Il commence à comprendre ce qu'
jamais dû oublier, que la poésie dramatique est quelqu
plus sérieux et de plus élevé qu'un ballet ou une masc
c'est une nourriture pour l'âme, et non une pâture pour
C'est pourquoi je pense que les inventeurs de professio
bien de se préparer à la révolution qui s'annonce dans le
blic, de se mêler au monde et à ceux qui ont vécu, de m
journées actives et pleines, et d'oublier pour quelque
missels enluminés, les chroniques poudreuses, les gravu
diques et les généalogies, s'ils veulent faire face à l'indiff
ramener la foule qui s'en va.
Gustave Planche.

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