ÉTUDE DE CAS

DOIT-ON OBÉIR À UN ORDRE ÉQUIVOQUE

OU LE CONTESTER ?
UNE STAGIAIRE SE DEMANDE SI ELLE DOIT CÉDER
SUR SES VALEURS POUR OBTENIR UN POSTE.
PAR SANDRA SUCHER ET MATTHEW PREBLE

Susan Kim crut qu’elle avait

mal entendu ce que disait
son nouveau manager.
La communication était relativement bonne pour un appel entre San
Francisco et Séoul, mais la jeune femme demanda tout de même à Sukbin
Moon de répéter ce qu’il venait de lui dire. M. Moon (c’est ainsi que le père
de Susan, lui-même d’origine coréenne, lui avait conseillé d’appeler son
supérieur) dirigeait le bureau de Zantech à Séoul. Spécialisée dans la SANDRA SUCHER est
sécurité informatique, la société avait son siège à Amsterdam. Susan professeure en
venait de commencer son stage d’été dans l’entreprise et il était prévu pratique du management
qu’elle travaille à Séoul avec l’équipe de M. Moon, mais son départ avait attachée à la Joseph
L. Rice III Faculty de la
été retardé à cause d’un problème de visa. Emma Visser, responsable du Harvard Business School.
programme de stagiaires, avait suggéré qu’elle commence à travailler à MATTHEW PREBLE est rédacteur
distance, depuis San Francisco. d’études de cas à la
Une des principales missions de Susan pendant l’été serait d’aider Harvard Business School.
M. Moon sur les études de marché en contactant d’autres sociétés Les études de cas
romancées de Harvard
technologiques, et notamment des concurrents, pour réunir des Business Review sont
informations sur leurs produits, les services qu’elles proposaient, leurs basées sur des problèmes
clients, leur chiffre d’affaires et d’autres données. Il lui avait déjà envoyé réels vécus par des
par courriel une liste d’entreprises et de personnes à contacter. Il lui dirigeants d’entreprise et
expliquait à présent que, lorsqu’elle contacterait ces personnes, il serait proposent des solutions
d’experts. Celle-ci est tirée
préférable qu’elle utilise son adresse de courriel universitaire et qu’elle se de l’étude de cas de la HBS
présente comme une étudiante en MBA. « An Intern’s Dilemma »,
Percevant peut-être son hésitation, M. Moon ajouta : « C’est une élaborée par Sandra Sucher
pratique courante. C’est la seule manière d’obtenir des informations et Matthew Preble.
exactes. »
Mal à l’aise, Susan se tortilla sur sa chaise. C’était sa première
discussion avec son nouveau responsable et elle voulait faire bonne
impression. « Vous n’obtiendrez pas d’informations autrement, poursuivit
NOTES ACADÉMIQUES M. Moon, comblant le silence. C’est ce qu’ont fait les autres stagiaires par
SUR L’ÉTUDE DE CAS le passé. Vous n’avez pas à vous inquiéter. »
Le fait de savoir que Ne sachant toujours pas quoi répondre – ni si elle pouvait lui parler
l’entreprise a déjà agi franchement, son père lui ayant également expliqué que la confrontation
de la sorte rend-il la
directe était vue d’un mauvais œil dans la plupart des cultures
demande plus acceptable ?
Sandra Sucher pose cette asiatiques – elle dit simplement : « D’accord. » Elle posa quelques questions
question à ses étudiants supplémentaires sur les informations qu’elle devait recueillir et raccrocha.
lorsqu’elle enseigne Ce stage signifiait beaucoup pour Susan. A sa sortie de l’université, elle
cette étude de cas. avait travaillé dans un cabinet de conseil en management, où elle avait
tout de suite été affectée à un projet avec une société de cybersécurité.

AVRIL-MAI 2018 HARVARD BUSINESS REVIEW 141 

ÉTUDE DE CAS OBÉIR À UN ORDRE ÉQUIVOQUE OU LE CONTESTER ?
Face à un dilemme
éthique, Sandra Sucher
propose à ses étudiants
d’examiner quatre points :
(1) Suis-je à l’aise avec les
conséquences probables
de cette action ? (2) Est-ce
que je remplis mes devoirs
et respecte les droits des
autres ? (3) Est-ce que je
respecte la communauté
et ses normes ? (4) Est-ce
que je respecte mes
engagements et ceux de
l’entreprise ?
Les pratiques d’une
entreprise doivent-elles
varier en fonction du pays
où elle est implantée ?
Beaucoup d’entreprises
qui se développent à
l’international ont des
difficultés à mettre en
place un ensemble
commun de valeurs et
de comportements.
142 HARVARD BUSINESS REVIEW AVRIL-mAi 2018
Dès le début, elle avait été fascinée par
ce travail. Elle avait alors décidé de
retourner à l’université pour obtenir
son MBA, dans la perspective de
rejoindre à plus ou moins brève
échéance une entreprise à la pointe de
ce domaine en plein boom. Dans un
secteur dont on estimait qu’il
générerait un chiffre d’affaires de
170 milliards de dollars à l’horizon
2020, elle savait que les opportunités
ne manqueraient pas. Et elle avait été
folle de joie lorsque Zantech lui avait
fait une offre. Si elle se débrouillait
bien, son stage pouvait déboucher sur
un poste à plein temps une fois qu’elle
serait diplômée. Mais voilà que
M. Moon lui demandait de se présenter
sous une identité trompeuse. Elle
n’ignorait pas que réunir des
informations sur la concurrence
exigeait de la « créativité » – ne
s’agissait-il pas de chercher des
informations que vos concurrents
voulaient garder pour eux ? – mais
n’était-ce pas franchir la ligne rouge ?
Au cours d’un de ses innombrables
sermons sur la culture asiatique des
affaires, son père lui avait expliqué que
les attentes et même l’éthique seraient
différentes à Séoul – mais le savoir ne
lui était d’aucun secours. Tordre le bras
à la vérité était-il une « pratique
courante » en Corée ou une pratique
courante chez Zantech ?
RELATIVISER
A son réveil le lendemain matin,
Susan avait déjà reçu plusieurs
courriels de M. Moon, accompagnés
de modèles de questionnaire. Elle
remarqua immédiatement qu’il avait
mis en copie Emma Visser et un
homme dont le nom ne lui disait rien.
Une rapide recherche lui apprit qu’il
s’agissait du responsable des études
de marché de Zantech pour l’Asie.
Elle était censée commencer son
enquête téléphonique le lundi, et on
était déjà jeudi après-midi. Elle devait
décider rapidement quoi faire.
Espérant se vider la tête, elle sortit
courir mais, une demi-heure plus tard,
elle tournait et retournait toujours dans
son esprit ce que M.  Moon lui avait
demandé de faire.
Lorsque son téléphone sonna et
qu’elle vit s’afficher le numéro de son
père, elle fut heureuse de cette
distraction – et espéra qu’il saurait la
conseiller. C’était un de leurs rituels.
Il l’appelait à l’heure du déjeuner
(heure de la côte est), au moment où
elle était en route pour un cours du
matin ou pendant son jogging. Leurs
conversations étaient brèves mais
Susan les attendait avec impatience.
Elle lui expliqua ce qu’il se passait
et son père se lança dans un de ses
monologues habituels sur l’importance
d’avoir un bon emploi et de bâtir
une carrière. Susan l’écouta de longues
minutes puis, n’y tenant plus,
lui coupa la parole.
« Papa, arrête avec les leçons de vie,
tu veux bien ? Je sais que j’ai besoin de
cet emploi. 
– Je veux juste que tu prennes une
bonne décision, ma chérie.
– James pense que je devrais
démissionner. Il dit que les gens ont le
droit de savoir la vérité quand on leur
demande de dévoiler des informations
sensibles », dit-elle. James était son
petit ami depuis deux ans, mais son
père ne l’appréciait que modérément.
« C’est facile à dire pour lui. Il
envisage de payer ton loyer cet été ?
Ou de te trouver un boulot l’année
prochaine ? Susie, tu as besoin de ce
stage. Tu sais qu’on ne demanderait pas
mieux que de t’aider, ta mère et moi,
mais avec un revenu fixe... »
« Revenu fixe » était devenu
l’expression préférée de son père
depuis qu’il était à la retraite. Ses
parents avaient subvenu à leurs
besoins, à son frère et elle, jusqu’à la fin
de leur licence, mais ils leur avaient
clairement fait comprendre que
désormais, ils devaient s’assumer tout
seuls. Pendant les trois ans où elle avait
travaillé comme consultante, elle avait
mis de l’argent de côté, mais pas assez
pour payer un loyer à San Francisco.
« Donc, je devrais accepter, c’est
ça ? Oublier tout ce que tu m’as
inculqué sur l’honnêteté et l’intégrité
et faire tout ce qu’ils me demandent ? »
Elle savait qu’elle forçait un peu le
trait, comme souvent avec ses parents.
« Susie, relativise un peu ! Ce que
M.  Moon t’a demandé de faire n’est pas
illégal. Et il n’est même pas question de
Pour beaucoup de
mentir : tu es en MBA. Si une de ces
personnes, décider si un
personnes que tu dois contacter te acte est bon ou mauvais
demande si tu as des liens avec une est ce qu’il y a de plus
entreprise, rien ne t’empêche de dire la difficile dans un dilemme.
vérité. En plus, il semblerait que tout Mais décider exactement
comment gérer le
cela soit parfaitement transparent chez
problème une fois votre
Zantech. Puisque le responsable des position arrêtée est tout
études de marché est au courant, tu aussi important.
vois que M. Moon ne dissimule rien. 
– Cela me met extrêmement mal à
l’aise, papa, je n’y peux rien. J’aurais

l’impression de mentir. Je crois qu’il
faut que j’explique à M. Moon ce que je
ressens. Ou que je parle à la
responsable des stages, Emma.
– Oui, bien sûr, pourquoi pas. Fais
tout de même attention à ce que tu dis.
Il ne faudrait pas qu’ils pensent que
travailler avec toi n’est pas facile. »
Elle soupira bruyamment. « Qu’une
entreprise qui tente de lutter contre la
fraude me demande de ne pas dire
toute la vérité ! On marche sur la tête.
– Bienvenue dans le monde
du travail et ses contradictions,
ma chérie. »
FUTURS EMPLOYEURS
« Je te croyais en Corée », lui dit Melissa
Sussman en prenant place en face
Si Susan s’ouvre à M. Moon d’elle à la table d’un café. Melissa était
de ses réticences à ne pas consultante senior dans le cabinet
mentionner qu’elle réalise où avait travaillé Susan. Dès leurs
son enquête pour Zantech,
risque-t-elle de passer premières collaborations, les deux
pour quelqu’un avec qui jeunes femmes avaient sympathisé,
il ne sera pas facile de travaillant par la suite ensemble
travailler ? chaque fois que possible. Lorsque
Susan avait décidé de quitter le cabinet
pour s’inscrire en MBA, Melissa
lui avait écrit une lettre de
recommandation, et toutes deux étant
toujours à San Francisco, elles avaient
gardé le contact.
« Pas encore. Merci beaucoup
d’avoir accepté de me voir pendant le
week-end. »
Susan lui parla de problèmes de
visa, de sa conversation avec M. Moon
et de ses discussions avec James et son
père.
« J’ai même parlé au P-DG.  offre de stage. Tu n’es même pas
– Tu as parlé au P- DG ? De ça ?
– Non, non, pas de ça. Il m’a appelée
hier pour s’excuser à propos des
problèmes de visa. »
Peter Carlssen était venu à Berkeley
l’automne précédent pour participer à
une table ronde sur la cybersécurité.
Lorsque Susan était allée lui parler à la
fin du débat, il lui avait dit avoir été
impressionné par ses questions et l’avait
encouragée à postuler pour le stage.
Elle avait été sidérée d’entendre sa voix
au téléphone et s’était demandé s’il était
dans ses habitudes de prendre des
nouvelles des stagiaires ou si elle avait
droit à un traitement de faveur.
Préoccupée par sa conversation avec
M. Moon, elle avait été tentée d’aborder la
question avec lui, mais ne l’avait pas fait.
« Je me suis dit que je pourrais
peut-être lui en parler, dit-elle à
Melissa. Lors de son intervention, il a
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HBRFRANCE.FR
beaucoup insisté sur l’importance de
l’éthique dans ce domaine d’activité. 
– Je suis certaine qu’il a d’autres
chats à fouetter. Et puis, une stagiaire
qui va dire du mal d’un manager au
P-DG, je ne pense pas que ce soit le
genre de réputation que tu aies envie
de te faire. Quelle est la taille de
l’entreprise ?
– Environ 1 500 collaborateurs dans
le monde, mais l’ambiance est
Compte tenu des échanges
vraiment bonne. En dehors de cette
précédents de Susan avec
histoire, je n’ai eu que des interactions le P-DG, est-il pertinent de
positives – mes entretiens, mes lui parler directement du
conversations avec les RH, et même problème ? Sera-t-il
mes premiers courriels avec M. Moon. disposé à prêter l’oreille à
ses inquiétudes ?
Tout le monde s’est mis en quatre pour
que je me sente la bienvenue. Pas le
moindre signal négatif. 
– Tu n’as pas moyen de repousser le
projet jusqu’à ce que tu sois à Séoul ?
demanda Melinda. Et si tu en parlais à
cette Emma ? Elle est aussi ta
responsable, n’est-ce pas ? 
– En fait, ce n’est pas très clair. J’ai
l’impression qu’ils le sont tous les
deux. Je n’ai pas vraiment pu le savoir
pour M. Moon au téléphone et, vu
qu’Emma était en copie du courriel,
elle sait ce qu’il m’a demandé de faire.
– Naturellement, tout serait plus
facile si tu savais comment les uns et
les autres allaient réagir à tes
questions. Si tu parles du problème à
quelqu’un – M. Moon, Emma, les
RH – prépare-toi au pire. Il est possible
qu’ils t’autorisent à procéder
autrement pour obtenir les infos mais
il est également possible – et je ne veux
pas te faire peur – qu’ils retirent leur
encore partie, ce ne devrait donc pas
être très compliqué. 
– Je n’aimerais vraiment pas avoir à
expliquer ça à mes parents. Si Susan décide de parler
– Ni à de futurs employeurs. Inutile du problème à quelqu’un
de préciser que tes perspectives de chez Zantech, que doit-elle
dire, précisément ?
carrière pourraient en souffrir. Mais si
Comment doit-elle
tu acceptes de dissimuler pour qui tu présenter ses
travailles et que tes interlocuteurs préoccupations éthiques ?
découvrent la vérité, tu risques d’avoir Quelles autres options, s’il
du mal à trouver un boulot tout court y en a, doit-elle proposer ?
dans ton secteur. Et tu as également
certaines obligations vis-à-vis de
l’université. Si tu te présentes comme
une étudiante qui travaille sur un
projet pour la fac et que les entreprises
découvrent qu’il n’en est rien, cela peut
avoir des conséquences très négatives
pour ton MBA. »
Les épaules de Susan s’affaissèrent.
Elle n’avait pas pensé à ça. Elle ne LIRE LES COMMENTAIRES
savait vraiment pas quoi faire. EN PAGES SUIVANTES
AVRIL-MAI 2018 HARVARD BUSINESS REVIEW 143 
ÉTUDE DE CAS OBÉIR À UN ORDRE ÉQUIVOQUE OU LE CONTESTER ?
SUSAN DOIT-ELLE M. MOON DEMANDE à Susan de faire quelque
chose qui ne se fait pas. La chose est loin
EXPRIMER SES d’être anodine ; solliciter des informations
sans dévoiler son identité est malhonnête,
RÉTICENCES et le malaise de Susan ne me surprend pas.
En dépit de sa jeunesse et de son statut
AU SUJET DE encore précaire dans l’entreprise, je pense
qu’elle devrait expliquer ses réticences
LA DEMANDE à M.  Moon et à Emma Visser, la manager
à Amsterdam.
DE M. MOON ? La première décennie d’une carrière est
une période importante pour faire son
LA RÉPONSE apprentissage du monde de l’entreprise et
du travail, déterminer quels types de rôles
DES EXPERTS et de postes on aime, et mettre au clair ses
valeurs. J’ai eu la chance de faire mon
apprentissage de l’éthique chez IBM dans
les années 1980. L’honnêteté et le respect
faisaient partie de la philosophie de
l’entreprise et dissimuler des informations
ou dire des choses qui n’étaient pas vraies
n’était pas toléré. Ces principes m’ont aidé
à gérer bien des situations troubles à mes
débuts et tout au long de mes quarante ans
de carrière. Susan doit chercher le même
type d’employeur – un employeur qui
l’aidera à prendre le bon départ
professionnel et à apprendre ce qu’est une
bonne entreprise.
Je lui conseillerais de faire des
recherches sur Zantech : l’entreprise
correspond-elle à ses valeurs ? Susan peut
par exemple consulter Glassdoor et
d’autres sites sur lesquels les
collaborateurs donnent des informations
et des avis sur leurs entreprises. Des
salariés ont-ils indiqué qu’on leur avait
demandé de faire des choses contraires à
l’éthique ? Des concurrents, des clients ou
des fournisseurs se sont-ils plaints des
pratiques de Zantech ? L’entreprise a-t-elle
des problèmes juridiques ? Dans
l’affirmative, Susan pourrait estimer que
cette entreprise n’est pas faite pour elle.
Si les recherches indiquent que Zantech
est une entreprise éthique, ouverte, où il
fait bon travailler, Susan doit simplement
exprimer ses inquiétudes. Elle doit
envoyer un courriel à M. Moon et à Emma
Visser pour leur expliquer ses réticences
envers la mission qu’on lui a confiée. Son
père a peut-être raison lorsqu’il déclare
JOSH BERSIN
EST CONSULTANT.
IL A CRÉÉ BERSIN
BY DELOITTE.
144 HARVARD BUSINESS REVIEW AVRIL-MAI 2018
que la franchise est mal vue en Corée,
mais, si Susan ne contacte qu’Emma, elle
se prive de l’occasion d’aborder le
problème avec son responsable – la
personne pour qui elle travaillera.
Son courriel doit être positif et insister
sur les risques pour l’entreprise, pas
seulement sur ce qu’elle-même ressent.
Elle pourrait par exemple écrire : « Je
mesure la chance qui m’est offerte de
travailler avec vous et ce projet est très
intéressant. Toutefois, si nous ne
révélons pas que je travaille pour Zantech
et que la chose vient à être connue, je
crains que l’image de l’entreprise n’en
souffre. » Elle doit adopter un ton
constructif, et utiliser le plus possible le
pronom « nous ».
On peut espérer que M. Moon et Emma
apprécieront sa franchise, comprendront
sa position et lui permettront d’aborder
sa mission en employant d’autres
moyens. Cela pourrait également amener
M. Moon à réfléchir à ce que Zantech a
demandé à Susan. Les études les plus
récentes de Deloitte indiquent que les
entreprises focalisées sur une mission,
un objectif et un comportement éthique
enregistrent systématiquement de
meilleurs résultats que les autres sur
le long terme. Les entreprises porteuses
de ce type de culture encouragent
leurs employés à exprimer leurs
préoccupations et sont ouvertes aux
discussions sur les problèmes éthiques.
Des scandales éclatent à une fréquence
alarmante ; dans la plupart des cas, ils
sont dévastateurs pour la réputation
et la marque de l’entreprise. Trop
souvent, des collaborateurs qui auraient
pu tirer la sonnette d’alarme ont gardé
le silence, en supposant peut-être
que personne ne les écouterait.
Si M. Moon et Emma ne tiennent pas
compte des réticences de Susan, la jeune
femme devra y voir le signe qu’elle doit
commencer à chercher un travail ailleurs.
Les diplômés de MBA ayant un solide
bagage technologique sont très
recherchés et une longue carrière
l’attend. Si elle transige sur ses valeurs
aujourd’hui, cela la rattrapera un jour.

RUWAN WEERASEKERA EST DIRECTEUR NON EXÉCUTIF
DE PLUSIEURS ENTREPRISES DANS LE DOMAINE DES
SERVICES FINANCIERS, DE LA SANTÉ ET DE L’ÉDUCATION,
ET ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL CHEZ UBS.
SUSAN NE DOIT pas obéir aux ordres
aveuglément. Mais en tant que stagiaire,
elle doit faire le travail qu’on lui a
demandé. Je lui conseillerais donc de
trouver une autre manière – éthique,
légale et transparente – de mener à bien
la mission que lui a confiée M. Moon.
Lorsque je pense aux questions
d’éthique, je me représente une matrice
2 x 2, avec la légalité sur un axe et l’éthique
sur l’autre. L’idéal, naturellement, est que
les choses viennent se ranger dans la case
légale et éthique, mais il n’en va pas
toujours ainsi dans le monde de
l’entreprise. Il arrive fréquemment que
l’on soit confronté à des situations qui,
pour être parfaitement légales, n’en vont
pas moins à l’encontre de vos valeurs.
Ce ne sont pas les plus faciles à gérer.
Au cours de ma carrière, j’ai eu
à faire face à beaucoup de situations
problématiques – et notamment conduire
des investigations internes dans
les plus grosses affaires de fraude et de
faute professionnelle de l’histoire
bancaire – et j’ai toujours réussi à agir
selon mes principes.
Si j’étais à la place de Susan, je
n’appellerais certainement pas les
concurrents de Zantech en omettant
de préciser pour qui je travaille.
Mais je n’affronterais pas non plus
immédiatement M. Moon ou Emma
Visser. Les normes peuvent être
différentes selon les entreprises et les
pays, et Susan n’en sait pas encore
suffisamment sur l’entreprise ou la vie
professionnelle en Corée pour remettre
en cause leur manière de faire. En l’état
actuel des choses, contester la requête
de M. Moon en arguant qu’elle est
contraire à l’éthique pourrait lui être
préjudiciable à long terme.
Mais capituler ou attaquer ne sont pas
les seules options. Susan doit proposer
une alternative– c’est-à-dire présenter à
ses responsables non un problème mais
une solution, comme le doit tout bon
stagiaire ou tout bon salarié.
Comment, donc, obtenir les
informations dont elle a besoin sans
dissimuler qui elle est ? Une option serait
de s’entretenir avec les clients les plus
HBRFRANCE.FR
COMMENTAIRES DE LA
COMMUNAUTÉ HBR.ORG
Ne vous inquiétez pas
Si quelqu’un me
téléphonait et me
demandait des
informations sensibles sur
mon entreprise, je ne
fidèles de Zantech, qui ont certainement
les lui donnerais pas, que
évalué d’autres éditeurs de logiciels avant
la personne se prétende
de s’engager avec l’entreprise. Les clients
étudiante ou salariée.
adorent être consultés, et ces conversations
Susan ne doit pas
aideraient Susan à réunir des informations
s’inquiéter de ne pas dire
sur les concurrents et à comparer les
toute la vérité, car de
produits.
toute façon elle n’obtiendra
Une autre possibilité serait de discuter
pas les informations
avec des sociétés indépendantes comme
qu’elle recherche.
IBM, PwC et des cabinets de conseil
Ardita M. Gjeçi,
indépendants qui ont aidé à mettre en place
responsable de la conduite
les produits de Zantech ou avec des
du changement, GJEÇI
cabinets d’analystes dont le métier est
d’évaluer le paysage concurrentiel. Parlez franchement
Susan recueillerait auprès d’eux des J’ai géré des stagiaires
informations tout aussi pertinentes et ils dans une grande entreprise
seraient peut-être même plus disposés et j’encourage toujours
à mettre en lumière les forces et les les individus, quelle
faiblesses de Zantech. que soit leur position dans
Une troisième option consiste à se l’entreprise, à ne pas
tourner vers des sources d’information obéir aveuglément
internes. Parmi les 1 500 salariés de à leurs supérieurs, à
Zantech, il s’en trouve certainement qui ont exprimer – avec respect
travaillé chez des concurrents et dont les naturellement – les
renseignements, une fois agrégés, interrogations qu’ils
pourraient être utiles. Il est possible que peuvent avoir. Leurs
certains soient tenus par une clause de questions peuvent aider
confidentialité – que Susan devra l’entreprise à s’améliorer.
naturellement respecter – mais beaucoup Les bons managers sont
disposent probablement d’informations de attentifs et réceptifs
valeur que l’entreprise pourrait utiliser à ces remarques.
facilement et gratuitement. Terrel Fish, directeur de
Ces approches, outre qu’elles ont le projet, MKEC Engineering
mérite de sortir Susan de son dilemme
éthique, seront probablement plus efficaces
aussi dans la mesure où un coup de
téléphone d’une stagiaire à un concurrent,
de but en blanc, est bien peu susceptible, à également m’enorgueillir de ma capacité
mon avis, de déboucher sur la moindre à obtenir des résultats. C’est cet équilibre
information utile. Je ne suggère pas que que Susan doit rechercher.
Susan dise à M. Moon : « Cela ne marchera Et si elle parvient à résoudre le
jamais», mais elle pourrait se porter dilemme de manière satisfaisante, elle
volontaire pour tester l’approche auprès de doit se souvenir qu’un stage est une
Zantech, passer quelques coups de forme de long entretien d’embauche. Elle
téléphone en interne à des collaborateurs et doit évaluer Zantech autant que ses
voir si la tactique qu’il propose fonctionne. dirigeants l’évaluent, elle. Et se
Cela permettrait également d’en savoir un demander : « Est-ce une entreprise pour
peu plus sur la façon dont les employés de laquelle j’ai envie de travailler ? Mes
l’entreprise protègent leurs propres valeurs correspondent-elles à celles de
informations concurrentielles sensibles. l’entreprise ? » Les réponses à ces
Comme de nombreux dirigeants, j’ai bâti questions ne viendront pas d’un mentor,
ma réputation sur mon intégrité et je veille de ses parents ou de son petit ami. La
jalousement dessus. Mais je peux décision lui appartient.
AVRIL-MAI 2018 HARVARD BUSINESS REVIEW 145