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Feuille de salle : Flore ou le Printemps du sculpteur

La Commande

En 1863, Jean-Baptiste Carpeaux, alors à peine rentré de son séjour romain, cherche avidement la prestigieuse
commande qui lui permettra de conforter la notoriété obtenue grâce à Ugolin et ses fils.

Une belle occasion se présente au début de l’année 1863, lorsque l’architecte du palais du Louvre, Hector
Lefuel, se met en quête de sculpteurs pour concevoir le nouveau décor du pavillon de Flore. La démolition puis
la reconstruction de l’extrémité occidentale de la grande Galerie, qui assurait alors, en longeant la Seine, la
1
liaison entre la résidence impériale des Tuileries et le palais du Louvre, avaient été entreprise dès 1861 .
Lorsque, sur la présentation d’une esquisse, la candidature de Carpeaux est retenue, le statuaire valenciennois
exulte : « Si j’ai tardé à te répondre, c’est que j’avais entre les mains un projet splendide dont je ne connaissais
pas l’avenir. Aujourd’hui j’ai le bonheur d’apprendre que je suis chargé de la décoration [] du Pavillon de Flore

1
Ces travaux étaient devenus inévitables : L’implantation des fondations de cette aile sur un sol trop meuble
provoquait l’enfoncement inexorable de l’édifice, qui menaçait tout bonnement de s’effondrer.
qui fait face au pont Royal. Ma composition est heureuse et j’ai ici l’occasion de montrer la puissance des études
2
que j’ai eu le bonheur de faire avec toi à Rome… »

Bien que déçu par la rémunération associée à ce projet, Carpeaux, considérant le prestige de la commande,
n’en accepte pas moins les conditions : « Je m’empresse de vous accuser réception de la lettre que vous m’avez
fait l’honneur de m’écrire le 15 de ce mois pour fixer les conditions pour lesquelles doit être exécuté le
couronnement du pavillon de Flore, qui m’a été confié, et que je commence en ce moment. En vous rappelant,
et seulement pour forme les dépenses qu’entraîne pour moi l’exécution de ces figures. J’accepte cependant, le
prix de trente-deux mille francs qui m’est alloué pour ce travail, eu égard à la satisfaction profonde que
j’éprouve d’attacher mon nom, pour une bien faible partie malheureusement, à la grande œuvre que vous êtes
3
sur le point de terminer. »

À partir de l’esquisse fournie par Carpeaux, où semblent déjà arrêtées les grandes lignes de la composition
définitive, sont déterminés trois ensembles distincts qui viennent structurer le projet : les figures du
couronnement, une frise encadrant les œils-de-bœuf et un bas-relief placé au centre de l’élévation
4
représentant Flore, la déesse éponyme de ce pavillon .

« Inutile d’ajouter que j’apporterai à l’exécution des trois figures du couronnement de la frise à hauteur des œil
de bœuf et du bas-relief du milieu, tels qu’ils existent dans ce modèle que j’ai eu l’honneur de vous soumettre,
5
tous les soins, et toute l’activité que comporte une pareille œuvre. »

Comme pour toutes tractations commerciales, l’enjeu des négociations entre les deux parties se concentre
notamment sur les modalités de paiement - préoccupation constante d’un artiste sans plus aucun revenu
régulier et qui ne peut donc pas avancer seul les frais nécessaires à l’exécution de cette commande. « Sans
pouvoir l’affirmer, et en espérant même pouvoir m’en passer, je serais heureux que les conditions de soumission
stipulassent que je pourrai toucher le sixième de la somme totale après l’exécution des trois figures de
couronnement et leurs moulages en plâtre, un autre sixième après le moulage en plâtre de l’œuvre entière, un
tiers après l’exécution par les praticiens et enfin un tiers immédiatement après la terminaison de l’œuvre
complète par les praticiens. »

L’ombre de la mésentente qui opposera par la suite le sculpteur et l’architecte s’amorce déjà au travers de ce
qui constitue l’autre versant important de cette tractation : les délais de livraison. « Vous me connaissez assez,
j’espère, Monsieur, pour préciser que je tiens à honorer de ne pas me mettre par négligence au-dessous d’une
aussi belle tâche, qu’il me faut au moins 18 mois pour accomplir. »

2
Bibliothèque municipale de Valenciennes : Lettre de Jean-Baptiste Carpeaux, sans date. Le destinataire ne
nous est pas précisément connu, mais il s’agit vraisemblablement d’un ancien pensionnaire de l’Académie de
France à Rome, contemporain de Carpeaux.
3
Bibliothèque municipale de Valenciennes : brouillon de lettre de Jean-Baptiste Carpeaux à Hector Lefuel, 19
avril 1863.
4
Ce pavillon doit son nom au ballet de Flore, dont plusieurs représentations furent données en l’honneur de
Louis XIV au mois de février 1669.
5
Bibliothèque municipale de Valenciennes : brouillon de lettre de Jean-Baptiste Carpeaux à Hector Lefuel, 19
avril 1863.
La Genèse

La nouvelle acquisition du musée (1), une esquisse à la plume et encre brune sur papier, constitue l’une des
toutes premières études pour ce projet. On distingue nettement les trois composantes de la décoration de la
façade : la figure de Flore telle qu’elle apparaît dans sa première formulation, à savoir une figure couchée, dont
seul le buste est dressé, placée au centre de la façade. Une frise de putti semblant se cramponner à la corniche,
occupe le niveau supérieur, mais s’insère sous le rang d’œils-de-bœuf. Enfin, couronnant la façade, une
allégorie de la France impériale, représentée assise, nous montre son profil droit, en tenant des deux mains la
hampe du drapeau national. Reprenant le procédé antique qui consiste à habiter les angles aigus des frontons
par des figures masculines couchées, Carpeaux encadre sa figure centrale par les allégories de la Science et de
l’Agriculture. La référence à Michel-Ange, avouée à demi-mot - « la puissance des études faites à Rome» - est
tangible tant la posture de ces deux figures semble proche de celles du Crépuscule et de l’Aurore exécutées par
le maître florentin pour le tombeau de Laurent de Médicis dans la nouvelle sacristie de l’église San Lorenzo. La
récurrence dans les carnets d’esquisses de Carpeaux de ces figures comme de celles des allégories du Jour et
de la Nuit pour le monument funéraire de Julien de Médicis (3), sont autant de témoignages qui plaident en
faveur d’une inspiration michelangelesque.

Néanmoins Carpeaux n’a jamais recours à des modèles exclusifs. Il se montre par ailleurs bien trop attaché à
l’observation curieuse de la vie de ses contemporains pour ne pas chercher à les incorporer dans ses
compositions originales, au travers de quelques traits de dessin. Ainsi Ernest Chesneau, ami et biographe de
Carpeaux, nous relate-t-il cette anecdote, tout à fait conforme à ce que l’on connaît des habitudes de
l’artiste : « J’étais en compagnie du statuaire Carpeaux quand il fit sur un carnet de poche un croquis d’après un
ouvrier maçon couché sur un banc du boulevard de Courcelles ; il me dit : « Ce sera une des figures du Pavillon
6
de Flore » C’est en effet celle de l’homme au bœuf. »

(1) Etude d’ensemble pour le décor (2) Etude d’ensemble pour le décor (3) Etudes librement inspirées des
sculpté du pavillon de Flore. Plume sculpté du pavillon de Flore. Crayon monuments funéraires de Julien et Laurent
et encre brune sur papier. Inv. noir sur papier Médicis à la Nouvelle Sacristie de San
2014.2.1 Inv. CD 358 Lorenzo à Florence par Michel-Ange. Crayon
graphite sur papier. Inv. CD 336

6
Ernest Chesneau in L’œuvre complet de Eugène Delacroix, p. 239.
Si les lignes maîtresses de la composition d’ensemble ne varieront plus, Carpeaux sera tout de même amené à
affiner sa proposition en modifiant un certains nombres de détails :

Ainsi, très précocement, la frise de putti prévue au niveau du rang d’œil-de-bœuf, vient encadrer les fenêtres
arrondies plutôt que les souligner. Ce changement, qui apparaît déjà dans un dessin au crayon noir griffonné
dans un carnet (4) se répercute alors nécessairement dans la posture même de ces enfants, qui désormais
écartent les bras de manière à entourer de leurs membres les ouvertures, comme en témoignent quelques
rares études de figure (5).

(4) Etude de composition pour le (5) Etude pour les enfants porteurs de palme
décor du pavillon de Flore Crayon noir sur papier ligné
Crayon noir sur papier Inv. CD 33 F°23
Inv. CD 31 F° 85r

Les figures du fronton connaissent des modifications ultérieures significatives : au centre, l’inclinaison
légèrement de profil donnée initialement au buste de la figure de la France Impériale, (ill. 1) , et (1) est
abandonnée ; cette dernière étant finalement réorientée de manière à faire face au spectateur. Une telle
disposition frontale pourrait être héritée de l’étude des figures du socle de la Fontaine de Neptune dans les
jardins Boboli à Florence que l’on doit aux ciseaux de Giambologna (ill.2).

Par la suite, l’attention du sculpteur se focalise sur la position des bras de sa figure, comme tendent à le
montrer les nombreuses variations que l’on note dans les esquisses successives (2), (4), (6), (7) et (8). Après
avoir imaginé une formule, où l’allégorie de la France tend sa main droite en contre-bas vers celle de la Science
placée à sa droite (6) et (Ill. 3), Carpeaux privilégie une attitude plus enlevée : le bras droit tenant une torche
est levé et s’oppose symétriquement au bras gauche incliné vers le bas (2), (7), (8). Une sculpture antique en
e
porphyre du Louvre, représentant Minerve mais restaurée au XVIII siècle en déesse Rome (Ma 1065), a tenu
très probablement un rôle majeur dans ce parti pris. En effet une étude au crayon noir d’après cette sculpture
(ill. 4) figure au dos de l’une des premières esquisses dessinées de Carpeaux pour la figure de la France
impériale (ill. 1). Une autre feuille (ill. 5), très proche de la Fontaine d’Andromède, groupe sculpté par René
Frémin (1672-1744) pour la résidence royale espagnole de La Granja d’après un projet de Charles Lebrun
7
(1619-1690), semble avoir inspirée de manière décisive ce repositionnement des bras.

7
Carpeaux, qui n’a jamais été en Espagne, n’a pas pu étudier cette œuvre directement, et les études originales
de Lebrun conservées au Louvre comme les gravures de Jean Audran semblent trop éloignées pour avoir ici
servi de modèle. Carpeaux a-t-il travaillé à partir d’une reproduction ?
(6) Etude pour les figures de fronton du pavillon de (7) Etude pour les (8) Etude pour les figures de
Flore. Crayon noir sur papier figures de fronton du fronton du pavillon de Flore.
Inv. CD 354/355/356 pavillon de Flore. Plume et encre brune sur
Crayon noir sur papier.
papier. Inv. CD 322
Inv. CD 357

Ill. 1 Étude pour les figures du Fronton du Pavillon de Flore Ill. 3 Étude pour la figure de la France
Pierre noire sur papier bleu Impériale
Musée d’Orsay, Inv. RF. 8662 verso Encre brune sur papier
Musée d’Orsay, Inv. 8661

Ill. 2 Etude pour le pavillon de Flore d’après le socle de la Ill. 4 Etude d’après une sculpture antique du
fontaine de l’Isolotto dans les Jardins Boboli à Florence. Plume, Louvre, restaurée en déesse Rome au XVIIIe
encre brune et rehauts de blanc sur papier bleu. Musée d’Orsay. siècle : Minerve (Ma 1056). Crayon noir sur
Inv. RF 1261 papier bleu. Musée d’Orsay, Inv. RF. 8662
recto
Ill. 5 Etude de la Fontaîne d’Andromède à La Granja d’après René Frimin. Crayon noir sur papier. Inv. CD 321

8
Dans sa version modelée, la France impériale (9), arbore le visage grave de la Palombella (10), une jeune
italienne du village de Palombara dont s’éprit le sculpteur, qui périt de manière précoce en 1861. Bien après
son retour de Rome, la Palombella demeure une source d’inspiration permanente pour le sculpteur, qui donne
à ses allégories de l’Eté, mais aussi la République, les traits de la jeune femme.

(9) Epreuve d’après une esquisse de la France Impériale. Inv. (10) La Palombella au pane. Inv. S.90.8
S.90.109

8
Barbara Pasquarelli de son vrai nom.
C’est certainement pour la figure de Flore que les changements sont les plus perceptibles avant
l’aboutissement de la version définitive. En premier lieu, le maître valenciennois élabore une figure couchée,
dont seul le buste est relevé. Les trois esquisses pour le bas-relief de Flore réunies sur une même feuille (11)
montrent tout ce que cette dernière doit à la sculpture de l’École de Fontainebleau, que, par ailleurs, Carpeaux
a beaucoup étudiée. Ainsi, la silhouette disposée horizontalement en bas à gauche de la feuille, reprend-t-elle
visiblement, en l’inversant toutefois, la posture de la Nymphe de Fontainebleau de Benvenuto Cellini, que
Carpeaux a dessinée la même année dans la salle voisine des Cariatides au Louvre (ill. 7). Le redressement du
buste que l’on observe sur les deux autres esquisses de cette même feuille, ainsi que sur une première version
modelée (12) résulte très probablement de l’étude d’une autre œuvre, emblématique de cette école, bien que
restée anonyme : La Diane d’Anet (ill. 8).

Ce double hommage à la sculpture de la Renaissance française s’accorde certes parfaitement au projet global
de l’architecte Hector Lefuel, qui s’évertue à maintenir une unité esthétique entre le Vieux Louvre dont le
décor est l’œuvre de Jean Goujon et les travaux qu’il supervise. Mais cela correspond également au goût
personnel de l’artiste, comme en témoigne une lettre du sculpteur Alexandre Falguière adressée le 23
[octobre] 1863 à Jean-Baptiste Carpeaux : « J’ai appris hier au soir et je t’en fais mon compliment, que tu dois
décorer le pavillon de Flore. C’est un de ces beaux travaux que tu dois être heureux d’avoir obtenu parce que
dans ce choix là il ne s’en présente pas souvent, et cela ne pouvait du reste pas mieux tomber. Tu ne détestes
e
pas trop nos charmants florentins du XV siècle et ne veux pas trop de mal à notre Jean Goujon à la condition si
9 10
l’on veut ou peut de ne pas faire une trop Cattiva figura à côté du maître.»

(11) Trois esquisses pour la figure de Ill. 6 Esquisse pour la première (12) Epreuve en plâtre de la première
Flore. Crayon noir sur papier version de Flore. version pour Flore.
Inv. CD 352 Musée d’Orsay, Inv.RF 23329 Inv. S.90.116

Ill. 7 Etude d’après la Nymphe de Fontainebleau de Benvenuto Cellini. Ill. 8 Etude d’après la Diane d’Anet
Crayon noir sur papier au Louvre. Crayon noir sur papier
Inv. CD 455 Inv. CD 1768

9
Expression italienne signifiant « mauvaise figure ».
10
Bibliothèque municipale de Valenciennes, Boîte 3, Dossier Statue de Watteau.
Est-ce finalement pour éviter cette comparaison avec les sculptures de Jean Goujon que Carpeaux change
radicalement de parti-pris ?

Un premier croquis provenant d’un carnet (ill. 9) montre que dès avant 1864, Carpeaux réfléchit déjà à une
autre proposition pour sa figure de Flore. Il s’agit dorénavant d’une figure accroupie et non plus couchée, se
détachant en très haut relief de son bloc. Les bras restent levés, mais les mains ne s’affairent plus dans la
chevelure de la jeune fille, et se tendent de part et d’autre du relief dans une attitude qui n’est pas sans
évoquer la figure principale de la Sainte Alliance des Peuples (13). Ce changement de posture semble devoir
beaucoup à un célèbre type antique attribué à Doidalsès de Bythinie, que Carpeaux, après en avoir étudié
plusieurs répliques au Louvre, paraît avoir gardé en mémoire (ill. 11). Mais une fois encore Carpeaux ne
s’arrête pas à un modèle unique, et nombreux sont les commentateurs qui ont vu dans ce Triomphe de Flore,
une réminiscence rubénienne. Il est vrai que Carpeaux entreprend un voyage en Belgique au cours de l’été
1863, mais dans sa correspondance c’est davantage Adam Van Noort que Rubens qui semble lui avoir fait
impression : « J’avais pris mon installation à Anvers, ville charmante, pleine d’intérêt où je comptais étudier
11
Rubens et Van Noort. Je trouve dans ce dernier des accents plus mâles que dans Rubens. » Dans une autre
lettre datée du même jour : « J’ai vu des choses merveilleuses. Van Noort, le maître de Rubens, m’a par sa
couleur montré autant de puissance que Michel-Ange dans la forme. C’est un génie inconnu dont on n’a jamais
12
parlé. » Pourtant la comparaison avec Rubens n’est pas infondée. Lorsque le biographe Ernest Chesneau
évoque la Flore, il emploie des qualificatifs qui seraient tout à fait à leur place pour commenter l’œuvre du
maître anversois : « Cette chair vit et frémit, le sang de la jeunesse impétueux et riche anime ces tissus, court
abondant et chaud en cette pierre vivifiée. » Edouard Sarradin, complète de manière plus éloquente encore :
« La Flore des Tuileries, c’est un Rubens de pierre, et la sculpture la plus libre, la plus riche, la plus vivante, qu’on
eût alors vue. L’épanouissement des formes, le frémissement de la chair, la grâce si jeune du mouvement et du
sourire, tout cela, et l’invention décorative compose un poème de la plus saine, de la plus lumineuse séduction.»

Le sourire solaire qu’admire Sarradin sur le visage de Flore (14), n’est autre que celui de la gracieuse Anna
Foucart, dont Carpeaux, ami d’enfance de son père, dressait déjà un charmant portrait vers 1860 (15). Les traits
radieux de la jeune adolescente, rendus avec beaucoup de fraîcheur, incarnent à merveille cette métaphore de
l’insouciance de la jeunesse.

Ill. 9 Esquisse pour la figure de Flore. Ill. 10 Esquisse pour la figure de Flore. Ill. 11 Etude d’après
Inv. CD 33 f°28 Musée d’Orsay. Inv. RF 8657 une variante de
l’Aphrodite
Accroupie (Ma 53).
Valenciennes, Inv.
CD 51 F°182

11
Lettre de Jean-Baptiste Carpeaux à Bruno Chérier, en date du 26 Juillet 1863.
12
Lettre de Jean-Baptiste Carpeaux à Louis Dutouquet, en date du 26 Juillet 1863.
(13) La Sainte Alliance des Peuples. Bas-relief en plâtre composé vers 1848-1850. Inv. S.90.19

Ill. 12 Esquisse pour la deuxième Ill. 13 Etude modelée pour la (14) Epreuve en plâtre, d’après le
version de Flore. figure de Flore. modèle original du pavillon de Flore. Inv.
Musée d’Orsay. Inv. R.F.1643 Metropolitan Museum de New S.92.28
York, Inv. 2010.71

(15) Portrait d’Anna Foucart Ill. 14. Masque provenant du Détail du (14)
Bronze démoulage de la figure de Flore
Valenciennes. Inv. S.92.3 Musée d’Orsay, R.F. 3415
Aparté 1 : Entre recherche laborieuse et fébrilité créatrice

Dans sa monographie consacrée à Carpeaux, Laure de Margerie, qualifie la méthode de travail de Carpeaux de
« fièvre créatrice ». Le témoignage d’Eugène d’Halwin, marquis de Piennes, ami et protecteur du sculpteur,
nous confirme que le travail laborieux et quotidien de recherche dont témoignent les feuilles de carnets,
s’accompagne de phases de créativité fulgurantes comparables à un véritable état de transe !

« Puisque vous êtes curieux des détails de la vie de votre artiste, je dois vous citer un fait, qui donne, mieux que
tout, l’idée de la facilité et de la vigueur de son génie, alors qu’il avait vu le sujet tel qu’il voulait le traiter.
Lorsqu’il eut la commande du groupe qui décore le pavillon de Flore, il ne cessa, durant quelques jours de me
parler de la façon dont il entendait disposer ses figures, nos conversations sur ce sujet, se reproduisaient sans
cesse. Un soir notre entretien fut plus long que d’habitude et il se prolongea jusque onze heures du soir.
Carpeaux me quitta à cette heure pour rentrer chez lui, et bien grande fut ma surprise, quoique je fusse habitué
aux façons de faire du grand artiste, lorsque le lendemain matin, vers cinq heures, un retentissant coup de
sonnette réveillait toute la maison, on conduisit Carpeaux qui demandait absolument à me voir dans ma
chambre, il prit un air très préoccupé, très sérieux et il m’expliqua que la veille au soir j’avais fixé ses idées sur ce
qu’il devait faire, qu’il avait rêvé toute la nuit à notre conversation et qu’il me suppliait, comme le plus grand
service qu’un ami comme moi pût lui rendre, de venir à son atelier où je pourrais mieux l’aider à fixer ses idées
sur le papier ; moitié grommelant, moitié riant, je me prêtai à la fantaisie de Carpeaux, je remontai avec lui
l’avenue Wagram jusqu’au faubourg Saint Honoré où il demeurait alors : Carpeaux avait conservé un air triste
préoccupé et penaud durant toute la course ; mais lorsqu’il arriva à son atelier il changea tout à coup de façon
d’être et prenant l’air théâtral qu’il s’amusait parfois à poser il ouvrit la porte et s’écria : « qu’est-ce que vous
dites de cela ? Est-ce bien ce dont nous avions convenus ? » La décoration du pavillon de Flore, identiquement
ce qu’elle est, était là. Carpeaux avait en rentrant de chez moi, allumé une vingtaine de bougies et la maquette
de son projet en terre sur une grandeur de un mètre vingt à un mètre trente était ébauchée, de telle façon qu’il
13
n’y avait plus qu’à l’exécuter. »

13
Lettre d’Eugène d’Halwin, marquis de Piennes à Edouard Fromentin, en date du 15 novembre 1903.
Aparté 2 : Boulettes impériales

Dans la biographie qu’il consacre à l’artiste, Édouard Fromentin rapporte une anecdote que Carpeaux lui-même
se plaisait à raconter et qui laisse entendre que derrière la rigidité protocolaire impériale, une complicité réelle
unissait l’empereur Napoléon III et le statuaire valenciennois :

« Un beau matin, disait-il, Napoléon arrive et s’arrête surpris, étrangement intrigué. Que voit-il ? Carpeaux
attentif et souriant, qui la main appuyée sur une poutre, se baisse, se penche du côté de la Seine, exécute en se
dérobant derrière une planche un mouvement uniforme et bizarre comme si il envoyait sa bénédiction aux
passants. L’empereur observe, attend, réfléchit, ne comprend absolument rien de ce manège plein de mystère
qu’il répète cinq ou six fois !

- Que faîtes-vous, là Carpeaux ?


- Vous le voyez bien, Sire, je m’amuse.
- Mais à quoi donc vous amusez-vous ?
- C’est bien simple : je lance des boulettes aux bourgeois qui passent sur le quai.
- Très drôle ! fait gravement l’Empereur en passant une main sur son front soucieux. Êtes-vous heureux
de vos coups…
- d’Etat… , achève hardiment l’artiste : mais je ne me plains pas, regardez-moi ça, et Carpeaux se met à
lancer cinq ou six boulettes qui n’atteignent personne.
- Vous n’êtes pas fort, déclare sentencieusement Napoléon III en caressant sa barbiche.
- Je voudrais vous y voir, riposte Carpeaux en mettant une grosse boule d’argile dans la main de
l’Empereur. À votre tour, Sire !
- Vous plaisantez sans doute !
- Belle affaire ma foi ! Allons n’ayez pas peur. Une, deux, trois ! Personne n’en saura rien. Ca y est ?
- L’empereur jette sa cigarette, vise un passant et lance avec une vigueur qu’on n’aurait jamais
soupçonnée dans sa main débile, la boulette qui tombe sur le nez d’un bourgeois ventripotent qui
s’arrête stupéfait indigné, esquissant un geste de colère.
- Bien touché s’écrie Carpeaux en préparant une seconde boulette.
- Non refuse crânement l’Empereur ; c’est assez – vous ne reconnaissez donc pas cet homme ?
- Carpeaux se penche, regarde, et part d’un grand éclat de rire. Le bourgeois atteint c’était M.
14
Rouher . »

L’indiscrétion relayée par Ernest Chesneau et à sa suite par Édouard Fromentin, laisse Louise Clément-Carpeaux
dubitative. La fille de l’artiste note à juste titre que son père «achevait alors son œuvre en pierre dure et ne
devait pas avoir d’argile sous la main. »

14
Eugène Rouher (1814-1884), ministre d’État sous le Second Empire. Son influence auprès de l’Empereur était
telle qu’on le surnommait le « Vice-Empereur » .
15
Aparté 3 : La « terreur des architectes » : Hector Lefuel et Carpeaux

L’expression que l’on doit à Charles Garnier, qui fut pourtant un proche de Carpeaux, montre que les difficiles
relations de travail entre l’artiste valenciennois et l’architecte du Louvre ne furent pas des exceptions : Le
tempérament bouillant du sculpteur se heurte régulièrement aux contraintes rigoureuses imposées par les
maîtres d’œuvres.

Ces tensions semblent avoir pour première origine le respect des délais. Dès novembre 1863, c'est-à-dire une
année avant l’échéance de 18 mois initialement prévue, Lefuel, qui souhaite prévenir tout retard d’exécution,
presse le sculpteur. Ainsi, le frère aîné de l’artiste, Charles, écrit le 25 novembre 1863 à Carpeaux, alors que
celui-ci séjourne à Valenciennes : « Mon frère, Mr Murgey est venu hier, de la part de Mr Lefuel, pour le fronton
en disant que Mr Lefuel ne veut attendre davantage, et qu’au pis-aller il le ferait estamper lui-même à
l’administration où il a des mouleurs, car il ne peut continuer les travaux de constructions sans cela pour la
16
coupe des pierres. »

Il faut bien avouer que d’autres commandes prestigieuses, alliées aux nécessités de la vie mondaine et à une
santé délicate, concourent à aggraver ce retard. Lefuel maintient la pression et écrit une nouvelle fois en mai
1864 : « Monsieur, Quand aurez-vous fini votre modèle ? La pierre est dressée et vous attend. Vous rappelez-
er
vous que l’exécution doit être entièrement terminée du 1 au 8 août dernier terme de rigueur. Compliment
17
empressé. H. Lefuel » Au début de l’été 1864, l’absence de toute progression finit par user la patience de
Lefuel, qui menace Carpeaux d’annuler cette commande : « Voici trois fois que je passe chez vous, sans être
assez heureux pour vous rencontrer : Une première fois, voici 6 semaines, deux mois, j’ai vu le commencement
de votre travail ; un de vos élèves l’avait découvert. Une deuxième fois j’ai trouvé porte close. Enfin ce matin
votre concierge m’a dit que vous étiez à la campagne et comme j’ai pu entrer dans votre atelier, j’ai vu qu’il n’y
avait absolument rien de plus que ce que j’avais trouvé voici six semaines. Je suis fâché que vous ne m’ayez pas
prévenu des retards que d’autres travaux sans doute vous obligent à mettre dans celui que vous avez accepté
aux Tuileries. Il est tout à fait impossible que nous restions un jour de plus dans cette voie. Je vous ai dit comme
je devais le faire entre artistes presque camarades la nécessité où je me trouvais de marcher avec célérité. C’eut
été bien préférable que vous me disiez avec la même franchise que d’autres occupations vous empêchaient de
marcher rapidement. […]Pouvez-vous réparer ce temps perdu ? A quelle époque certaine pouvez-vous être au
point où est votre collègue ? Je ne cache point que votre réponse, ou du moins son résumé sera adressé par moi
à Mr le Ministre. Voyez encore si vous voulez continuer à rester chargé de ce travail ; auquel cas il faut
absolument vous y mettre sans désemparer. Mais dans le cas contraire, et tel regret que j’en éprouverais, je ne
manquerai certainement pas de demander à l’administration supérieure, la résiliation de votre marché. Agréez,
18
mon cher Monsieur Carpeaux, l’assurance de mes sentiments distingués. H. Lefuel »

De peur de perdre cette précieuse commande, il s’empresse de répondre aux exigences de son commanditaire.
Il écrit une semaine plus tard au Marquis de Piennes : « J’ai trouvé deux lettres à mon retour : une de Ballu et
l’autre de Lefuel. […] mais la seconde est vive et pleine d’inquiétude. Car mon concierge a dit à Lefuel que j’étais

15
Charles Garnier. Le Nouvel Opéra de Paris. Paris, 1878, p. 432.
16
Bibliothèque municipale de Valenciennes : Lettre de Charles Carpeaux à Jean-Baptiste Carpeaux en date du
25 novembre 1863.
17
Bibliothèque municipale de Valenciennes : Lettre d’Hector Lefuel à Jean-Baptiste Carpeaux, en date du 23
mai 1864.
18
Bibliothèque municipale de Valenciennes : Lettre d’Hector Lefuel à Jean-Baptiste Carpeaux, en date du 9
Juillet 1864.
à la campagne, sans déterminer le temps que je devais y rester. Je l’ai rassuré illico et mon groupe se moule dès
19
ce moment. J’ai repris le pavillon de Flore, et je me suis engagé à ne plus désemparer. »

La dispute s’apaise quelque temps grâce au redoublement des efforts de Carpeaux, mais reprend de plus belle
en août 1864. Cette fois-ci Lefuel reproche à Carpeaux et à son confrère Cavelier travaillant sur l’autre façade
du pavillon, d’outrepasser les dimensions prévues pour les figures de fronton et du milieu :

« Mon cher Monsieur

Cavelier qui sort de mon cabinet me dit qu’après avoir vu l’extension qu’il a donnée à sa figure milieu, vous êtes
vous-même sorti des mesures qui étaient fixées dans le dessin que je vous ai remis. Je regrette beaucoup ce
contretemps. À la vérité je n’avais pas vu Cavelier depuis quelques jours mais aujourd’hui je n’ai pas pu lui
laisser ignorer que nous serions obligés de rentrer pour cette figure milieu dans les cotes que je lui avais donné
et de faire subir la même diminution proportionnelle aux deux figures couchées soit qu’elles remontassent un
peu sur ce fronton, soit qu’elles fussent un peu plus écartées de la figure principale. Je comptais d’ailleurs en
arriver à ce dernier calcul que lorsque votre modèle d’après l’esquisse duquel nous avons toujours travaillé
serait terminé. Ne vous préoccupez donc je vous en prie que de ces deux dernières choses :

1° : suivre aussi exactement que possible les proportions de votre esquisse qui étaient excellentes et d’après
lesquelles sont basées les mesures du dessin qui vous a été remis.

2° : Vous hâter le plus possible pour nous mettre à même de prendre les dimensions des pierres nécessaires en
bonne saison laquelle s’avance malheureusement beaucoup. Agréez mon cher Monsieur Carpeaux, l’assurance
de mes meilleurs sentiments.

P.S. : J’attends avec bien de l’impatience que vous me disiez de vous venir voir et de surtout de venir avec
20
l’appareilleur »

La controverse jusque-là cordiale, s’envenime : l’architecte, considère que la figure de Flore, débordant de
trop, rompt l’harmonie architectonique de l’édifice et souhaite en conséquence en réduire la taille « de la
hauteur d’une tête ». Mais Carpeaux refuse catégoriquement de revenir sur son travail. L’entêtement du
sculpteur est tel, qu’agacé, l’architecte menace ni plus ni moins de décapiter la déesse. Finalement Napoléon
III, sollicité par Carpeaux, décide de s’en remettre au jugement du public.

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Bibliothèque municipale de Valenciennes : Lettre de Jean-Baptiste Carpeaux au Marquis de Piennes, en date
du 16 Juillet 1864.
20
Bibliothèque municipale de Valenciennes : Lettre d’Hector Lefuel à Jean-Baptiste Carpeaux en date du 8 août
1864.
Le Triomphe de Flore : Fortune et réception

Les sculptures du pavillon de Flore sont dégagées de leurs échafaudages dans la nuit du 26 octobre 1865.
21
Carpeaux, qui vient d’essuyer une grave déconvenue avec la statue du Prince Impérial , n’a pas le cœur à
affronter la sentence du public. Louise Clément Carpeaux, sa fille et biographe raconte : « Carpeaux était si
anxieux du résultat de cette épreuve, qu’il n’eut pas le courage de se mêler à la foule et de recueillir son verdict.
Il s’était donc embusqué chez un coiffeur de la rue de Rivoli et se faisait raser sans presse, lorsque son
domestique élève, un certain Victor Poupin, dont je reparlerai, lancé à sa recherche depuis longtemps, finit par
le découvrir encore tout barbouillé de savon. On ne lui laissa pas le temps de se retourner : le brave Victor
Poupin avait été suivi par quelques jeunes étudiants aux Beaux-Arts, qui s’emparèrent du pauvre maître,
violemment ému, et l’emportèrent au Louvre, où retentissaient les acclamations de la foule ! »

Ce plébiscite s’accompagne, dans l’ensemble, d’un accueil très favorable de la presse spécialisée. Ainsi dans son
édition du 25 novembre 1865, Le Monde illustré fustige les travaux de Cavelier, mais encense le décor composé
par Carpeaux : « Le nouveau, c'est aujourd'hui, — et encore avec la rapidité avec laquelle nous brûlons la vie,
c'est plutôt demain. On mange le blé en herbe, on ne laisse pas même aux échafaudages le temps de
débarrasser le Pavillon de Flore reconstruit que déjà on a commencé la critique en règle de ce fragment des
Tuileries restaurées. Critique en partie double. D'un côté, un grand succès ; de l'autre, un demi-échec. L'échec—
délivrons-nous tout de suite de cette constatation désagréable, — l'échec est pour celui des deux groupes qu'a
sculpté M. Cavelier, au sommet du Pavillon. […] Le second fronton, au contraire, est un petit événement pour le
Paris artiste. Large de conception, il est exécuté avec une réelle maestria. Tous les passants qui traversent le
pont Royal ont le nez levé en l'air pour admirer cette composition magistrale. Les deux figures d'hommes
étendus des deux côtés du motif principal que domine un aigle aux ailes éployées sont traitées avec un rare
bonheur. Et voilà le nom de M. Carpeaux, le sculpteur du groupe, à l'ordre du jour de la vogue. »

De plus, lorsque l’année suivante, il expose les plâtres originaux au salon (ill.15), Carpeaux ne manque la
médaille d’honneur que d’une seule voix. Il peut cependant se consoler grâce aux louanges de la critique, à
l’instar de Charles Blanc (1813-1882), rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts, particulièrement séduit
par la Flore: « Au-dessous, la muraille se creuse en entrée de caverne, et l'on en voit sortir à demi une nymphe
rieuse, qui joue avec des enfants robustes, à la face bouffie, aux formes ressenties et renflées. Tout ce morceau
est d'une beauté imprévue, qui saisit. »

Ill. 15. Ch. Michelez - Vue générale de la sculpture au salon de 1866. Épreuve sur papier albuminé. On
distingue nettement au milieu de la rangée centrale le Pavillon de Flore.

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Une veine apparue dans le bloc de marbre l’oblige à en recommencer l’exécution.
Mais à l’instar de Ludovic Vitet (1802-1873), d’autres critiques reprennent à leurs comptes les griefs d’Hector
Lefuel. Ainsi dans un article consacré au Nouveau Louvre publié dans la Revue des deux Mondes en juin 1866,
Ludovic Vitet (1802-1873) déplore la forte saillie des sculptures du pavillon en même temps qu’il regrette la
profusion décorative et l’enchevêtrement des inspirations artistiques propres au style éclectique:
« Non-seulement cette ornementation est d'une exubérance affligeante, mais elle est entachée, à un degré
peut-être encore plus fort, de l'incohérence de style qui déjà nous avait frappé sur la nouvelle façade du
Carrousel. A côté de sculptures simulant les délicatesses des meilleurs temps de la renaissance, sculptures
méplates s'il en fut, reliefs modérés et sobres, vous voyez poindre au-dessus de votre tête des figures posées à la
Michel-Ange sur les rampants de frontons échancrés, figures en pleine ronde-bosse et du mouvement le plus
accentué. Il faut vivre dans un temps comme le nôtre, avoir l'amour, le culte des contradictions pour s'aviser en
même temps sur le même monument de se faire le disciple de Jean Goujon et du Bernin. […] Au lieu de modestes
corniches, suspectées on ne sait trop pourquoi, ce sont de tous côtés des sculptures en saillie, à peine en
équilibre, une carrière de pierres suspendue sur nos têtes, et que le premier hiver un peu rude, le premier dégel
un peu brusque, doivent nécessairement faire voler en éclats.»

Dans sa critique du salon de 1866, la plume caustique d’Edmond About (1828-1885) rejette le principe même
d’exposer de plain-pied des œuvres relevant de la décoration architecturale, et donc qui n’ont pas vocation à
être vues de près : « La France impériale portant la lumière dans le monde et protégeant l'agriculture et la
Science, est sans doute une allégorie fort ingénieuse ; mais les figures de M. Carpeaux, vues de près, ne
représentent que des sacs de noix agréablement tortillés. J'entends ce que l'artiste a voulu dire : les biens-de la
terre vont être tellement abondants que tous les citoyens, hommes, femmes et enfants, se rempliront, de noix
jusqu'à ce qu'ils éclatent. Voilà l'agriculture. Mais la science ? Ah la science! Je la cherche et je ne la vois pas.
J'entrevois-un brave sculpteur qui entend assez bien son affaire et qui pourrait modeler simplement une figure
bien bâtie; mais qui veut avoir du génie et qui se fait un grand tort par ce petit travers. »

Néanmoins, comble des honneurs, et chose qui lui tenait personnellement à cœur, Carpeaux est reçu, le 11
août 1866, chevalier de la Légion d’Honneur. Carpeaux n’en a pas fini pour autant avec sa Flore.

Du bas-relief à la ronde bosse :

« Cette Flore n’a aucun rapport avec la Flore accroupie que Carpeaux devait exécuter plus tard» affirme de
manière péremptoire Louise Clément-Carpeaux. On ne saurait pourtant nier la parenté qui existe entre le bas-
relief du Louvre et la Flore accroupie, élaborée en ronde-bosse vers 1869.

Carpeaux reprend en effet la posture accroupie de la déesse du bas-relief mais inverse la disposition des
jambes (ill. 16) et (ill. 17). Il renoue avec le mouvement des bras qu’il avait initialement prévu pour la première
version du bas-relief de la Flore (12) et finalement adopté pour la Pêcheuse à la coquille (16). La déesse est
cette-fois représentée entièrement nue, les deux mains levées, arrangeant sa coiffure.

Avant le modelage de la figure grandeur nature, qui précède l’exécution du marbre, Carpeaux passe d’abord
par une esquisse dessinée (ill. 18), qui pose l’allure générale de sa silhouette, puis réalise une esquisse peinte
(17) qui grâce à la couleur, permet déjà de travailler la volumétrie.

Cette transposition en ronde bosse semble avant tout destinée à l’édition commerciale comme nous l’apprend
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la correspondance entre l’artiste et le fondeur Barbedienne . Il s’agit alors de tirer profit des nombreux
efforts consentis dans cette prestigieuse commande en commercialisant des répliques de différentes tailles et
matières. Mais Barbedienne apparaît d’emblée hésitant : « Je veux vous dire que cette figure composée pour
une destination très spéciale ne porte pas en elle-même de grandes conditions de succès auprès du public. En
acceptant de l’éditer avec droits d’auteur, je risque une affaire très douteuse. […] C’est bien plus le désir de vous
être agréable que l’espoir d’une bonne opération qui m’a déterminé à prendre la Flore. ». Le fondeur finit par

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Bibliothèque municipale de Valenciennes : Lettre de Félix Barbedienne à Jean-Baptiste Carpeaux, en date du
10 octobre 1869.
renoncer et la Flore accroupie ne sera éditée dans ses dimensions originales que de manière posthume par la
maison Susse. Mais Carpeaux, qui a installé à Auteuil un atelier spécialisé dans la reproduction et la
commercialisation de ses œuvres, édite dès 1872, toutes sortes de répliques en terre cuite, en marbre, en
bronze, en plâtre et même en biscuit de porcelaine, variant en taille de la demi-grandeur au quart de l’original.

Il faut attendre le séjour londonien de 1873 pour que ce travail de transposition en ronde bosse débouche sur
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la commande d’un marbre grandeur nature par un riche anglais, Mr Turner pour 15000 francs. Notre version
en marbre (Ill. 19), dépôt de l’état en 1929, porte la signature du praticien Boudet. L’œuvre a été léguée au
Louvre en 1909 par le collectionneur Alfred Chauchard en même temps que d’autres œuvres de Carpeaux,
comme une version en bronze du Jeune pêcheur à la coquille et une autre de la Jeune fille à la coquille, et
pourrait provenir du fonds d’atelier de Carpeaux, mais aurait dans ce cas était achetée avant 1894.

Ill. 16 Etude en terre d’une Ill. 17 Terre cuite originale pour (16) Terre cuite originale pour la
femme accroupie Flore accroupie Jeune fille à la coquille.
Inv. S.61.26 Inv. S.90.111 Inv. S.61.21

Ill. 18 Esquisse pour Flore (17) Esquisse peinte pour Flore Ill. 19 Le Printemps ou Flore
Accroupie. Musée d’Orsay, Inv. accroupie. Inv. P.46.1.324 accroupie. Inv. SY 123
R.F. 8671

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Aujourd’hui conservé à Lisbonne au Musée Calouste Gulbenkian, inv. 562.

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