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Actuel 

l’estampe contemporaine
n 23
o 
Actuel 
l’estampe contemporaine
no 23

(4) Hector Saunier

(14) Atelier Contrepoint

Actuel est une émanation (18) María Chillón


du groupe Facebook
(20) Mustapha Bimich
« Parlons Gravure »
(22) Ryuichi Maeda

(24) Shu-Lin Chen


Comité de sélection :
Sabine Delahaut (26) Takuma Sakamoto
Jean-Michel Uyttersprot
Catho Hensmans
(28) Anne Touquet
Comité de rédaction :
Sabine Delahaut
Pascale De Nève (34) Chris Delville
Richard Noyce
Christine Pinto (38) Anaïs Charras
Jean-Michel Uyttersprot
Mise en page : (44) Marie-Cécile Clause
Jean-Michel Uyttersprot
Pierre Guérin (48) Johannes Vandenhoeck
Relecture :
Annie Latrille (54) Maristela Salvatori
Hector Saunier pour l’estampe en couverture
et pour le tirage de tête de ce numéro :
(58) Sophie Vigneau
un tirage pour la revue
et limité à 20 exemplaires (ci-dessus). (64) Nicolas Boucher
Sauf indication particulière, (72) Anne Gilsoul
les visuels appartiennent aux auteurs.

Les légendes des images sont à lire


(76) LEAF, Fondation Boghossian
de gauche à droite et de haut en bas, les
mesures sont celles de la surface imprimée, (78) CORÉElation 5
hauteur par largeur, sauf indications contraires

Pour toutes informations : Ont collaboré à l’écriture de ce numéro :


magazine.actuel@gmail.com Aude de Kerros, Shu-Lin Chen, Robert Marteau,
www.actueldelestampe.com María Chillón, Ryuichi Maeda, Mustapha Bimich,
Éditeur responsable : Pierre-François Albert, Takuma Sakamoto, François
K1L éditions.
Emmanuel, Anaïs Charras, Marie-Cécile Clause,
Johannes Vandenhoeck, Anaïs Charras,
Marie-Cécile Clause, Johannes Vandenhoeck,
Maristela Salvatori, Ana Letícia Fialho,
Prix de vente : 20 € Gilbert Lascault, Sophie Vigneau, François Leyge,
N ° ISSN : 0774-6008 Jean-Louis Marc, Nicolas Surlapierre,
EAN : 9 782 930 980 409 Nicolas Boucher, Danièle Gillemon
C
ette édition d’Actuel célèbre le
travail et l’héritage de l’Atelier
Contrepoint et de son prédécesseur, Dans les ateliers et les studios dédiés à cette
l’Atelier 17. Il y a de bonnes raisons forme d’art, le travail effectué est devenu plus
de revenir sur les réalisations des artistes collaboratif, que ce soit en production ou en
impliqués, mais aussi sur la manière dont les éducation. Certains artistes établis utiliseront
ateliers collaboratifs d’impression se sont les compétences des graveurs pour les aider
développés dans de nombreuses régions du à produire une édition d’estampes originales,
monde et continuent de croître en nombre. et certains passeront cette production entre
les mains d’un maître imprimeur. D’autres
Dans cette édition, il est fait référence à l’œuvre artistes rejoindront ces studios pour apprendre
importante de Stanley William Hayter, l’artiste des techniques et développer leurs propres
anglais qui a fondé l’Atelier 17 à Paris il y a compétences, en travaillant avec d’autres sur
près de cent ans, et son successeur, l’artiste des projets collaboratifs. Ces dernières années,
argentin Hector Saunier, ainsi que les assistants ces studios sont également devenus un pôle
qui entretiennent et transmettent leur héritage. créatif dynamique, ajoutant le rôle du déve-
Le site Wikipédia de l’atelier répertorie de loppement communautaire à ceux de la
manière non exhaustive les artistes et graveurs production et de l’éducation.
qui ont fréquenté l’Atelier 17 : c’est une liste
très impressionnante avec de nombreux noms L’histoire de l’Atelier Contrepoint et de son
bien connus. Certaines personnes sont sur- prédécesseur est centrée sur la technique du
prises de constater que la gravure, loin d’être burin et sur celle développée par Hayter pour
une forme d’art obscure, a été et continue imprimer en plusieurs couleurs simultanément
d’être une partie forte et influente du monde à partir d’une seule plaque de gravure, aussi
des arts visuels. n’est-il pas surprenant que cette technique
soit devenue populaire parmi les artistes car
Les ateliers et studios de gravure ont existé elle offrait un moyen de produire une édition
sous une forme ou une autre tout au long de d’estampes qui était, en fait, une sorte d’hybride
la longue histoire de la gravure et ont joué entre une estampe et une peinture. Le travail
leur rôle dans l’évolution des anciens médiums de l’atelier continuera d’avoir une influence
ainsi que dans le développement de nouveaux. sur les arts visuels du xxie siècle.
L’atelier de Hokusai est un exemple célèbre,
et son travail pour étendre le rôle de la forme Bonne année !
d’art ukiyo-e est bien connu. Bien qu’il existe
de nombreux cas d’artistes peintres travaillant
dans de grands studios avec des équipes
d’assistants, le cas des ateliers de gravure a
été et continue d’être très différent.
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Atelier Contrepoint

Hector Saunier

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Atelier Contrepoint

Du trait au mot

Hector Saunier
La ligne dans tous ses états.
Ample, libre, spontanée.
Éminemment expressive et
multidimensionnelle, elle capte le regard
et enchante l’imaginaire.
Hector Saunier grave des fils tissant des
galaxies hautes en couleur, qui nous
emmènent vers un ailleurs.
Dans un univers où la poésie visuelle puise
aux sources de l’inconscient.
Dans un voyage où les textures, spirales
et lignes organiques s’entremêlent pour
entrer en résonance avec ce qu’il y a de
plus intime.
Dans une œuvre personnelle qui flirte
avec la joie la plus pure.
On en redemande…
Pascale De Nève

Couverture : Benteveo, 2015, burin, double


impression, 40 × 30 cm
Page  4 : Cygogne, 2005, burin et eau-forte,
50 × 40 cm
Page  5 : Essai, 2020, burin, 30 × 30 cm
Source d’inspiration, 2005, burin et eau-forte
sur cuivre, 50 × 50 cm
Page  6 : Apparition, 1981, burin, 50 × 60 cm
Page  8 : Fleurs au vent, 2015, burin, 40 × 30 cm
Page  9 : Entre les vagues, burin, 40 × 50 cm
Cible, 2010, burin, 35 × 45 cm
Pages 10 et 11 : Origami, burin, 35 × 45 cm
Pages 12 et 13 : Faire surface, 2019, burin,
morsure à l’encre, 35 × 45 cm

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Hector Saunier est né en 1936 en Argentine.
Son premier voyage le conduit en France en 1961 ;
il a alors 25 ans. Il commence à travailler à l’Atelier
17, fondé et dirigé par S. W. Hayter.
Il poursuit ses apprentissages à Londres, où il
séjourne deux années.
Il revient ensuite à Paris, à l’Atelier 17, où il travaille
de façon ininterrompue auprès de S. W. Hayter dont
il se sent très proche en tant que peintre et graveur.
Il lui succédera en quelque sorte en fondant l’actuel
Atelier Contrepoint, où sont reçus de jeunes artistes
du monde entier désireux de travailler dans ce champ
libre inauguré par Hayter, champ ouvert à la ligne
et à la couleur par le biais de la gravure.
C’est ce qui a permis à Hector Saunier de créer
une grande variété d’estampes et l’a mené tout
naturellement au livre par un travail partagé, par
exemple, avec Robert Marteau.

En traversant les mers pour remonter le cours de


sa généalogie, Hector Saunier n’a oublié ni la terre
qu’il quittait, ni les eaux, écheveaux et fuseaux
qu’il a navigués. Sur cette rive-ci, il devait pourtant
rencontrer son destin, cela en entrant dans l’atelier
de Hayter, où il allait découvrir l’aventure et où il
allait s’armer pour sa propre course et pour son
voyage personnel. Les encres de couleurs mariées
au métal allaient lui permettre de mener à bien la
configuration de son rêve en faisant apparaître ce
que son savoir lui cachait et que sa main lui révélait.
Je dis révéler et non pas dévoiler, car c’est bien par
un voile sans cesse renouvelé en son tissage comme
en ses teintes qu’il allait avoir connaissance de son
ouvrage réalisé, un instant fixé pour prendre une
prochaine fois une autre forme. Miroir et musique
s’associent en d’infinies métamorphoses qui sont
autant d’inventions et de variantes ou variations.
C’est ainsi que se compose et se développe l’œuvre
dont chaque feuillet peut se lire comme celui d’une
partition.

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L’ATELIER
CONTREPOINT
Quand impression devient création

À quelques rues de la gare Montparnasse, l’Atelier


Contrepoint, enfant de l’Atelier 17, est un lieu à la
fois secret et célèbre de Paris, bientôt centenaire, relief où s’agencent des surfaces lisses ou vibrantes,
consacré à la gravure. Il a été créé en 1926 par ayant du grain, des effets de matière, afin d’accrocher
un jeune Anglais, Stanley William Hayter, peintre ou non au passage la couleur lumineuse. Il y dépose
et chimiste ! Après quelques années passées au trois couches de couleurs, les unes sur les autres,
Proche-Orient au service de la Standard Oil Co., chacune différemment chargée d’huile de lin. Ainsi
Hayter choisit l’art et Paris. elles se superposent sans se mélanger. La première
Son atelier ressemble vite à un antre d’alchimiste tant couche est encrée à la main et concerne les tailles
il aime essayer de nouveaux procédés et manières. les plus profondes. La deuxième est posée grâce à
Toutes les formes de gravure y sont pratiquées, il un rouleau dur, avec une deuxième couleur saturée
mélange sans complexes l’usage du burin, de la d’huile qui ne touche que les surfaces lisses. La
pointe sèche, du vernis, des acides… Cela ne se troisième pellicule colorée est transposée par un
fait pas ! Mais « Bill » imagine plutôt ce lieu comme rouleau mou, déposant l’encre plus dense de la
un laboratoire expérimental pour les artistes. Tout troisième couleur à l’intérieur des tailles les plus
savoir à transmettre est conçu par lui comme en larges seulement. Tel est le principe simple, aux
cours d’élaboration et de métamorphose. possibilités et variantes infinies ! Tous les styles,
Il connaît pour cela un grand afflux de peintres manières d’utiliser burin, eau-forte ou vernis mou
désireux d’y recueillir une stimulation créative. En y trouvent un chemin singulier.
cette époque d’entre-deux-guerres, cette aspiration
à la liberté concerne autant l’inspiration que la L’effet visuel
pratique du métier. Beaucoup de ses « élèves », ou Au-delà des effets chromatiques plus subtils et variés,
plutôt « compagnons de recherche », ont laissé un quelque chose de très nouveau s’est produit : des
nom dans l’histoire ! 1 effets visuels de profondeur, fluidité, mouvement,
de basculement spatial. Ils font choc : ce qui crée
La révolution de la couleur la sensation d’espace n’est pas tant la perspective
Un de ses plus remarquables terrains de découverte que la couleur.
est de traiter la couleur, au moment de l’impression, Ainsi, cette technique de la couleur faisant corps
autrement que comme un coloriage. Elle est pour avec le métal ouvragé se développe et engendre
lui la substance même de l’œuvre. Sa découverte ? des œuvres d’une grande diversité. La nouvelle
Faire en sorte que l’éclat lumineux produit par la se propage, le secret du procédé technique veut
gravure vienne de la superposition de plusieurs être connu, et bientôt arrivent des praticiens du
couches de couleur posées les unes sur les autres, monde entier pour l’apprendre à Paris. Il est vrai
simultanément, sans se mélanger. La plaque est que Hayter a une qualité rare : il est généreux de
désormais conçue comme un mur recevant la tous ses savoirs. Un de ses élèves, George Ball, qui
lumière, qui, après l’avoir percuté, la fait rayonner ou deviendra lui aussi un graveur accompli et aimé,
l’absorbe. La lumière entre dans la matière colorée, disait de lui : « Tout ce qu’il savait, il le partageait
se réfracte, produit l’effet du « glacis » bien connu avec ses collègues de l’Atelier 17. Ceci me semble
des peintres. La couleur n’est pas le résultat d’un la marque d’un très grand professeur. »
mélange sur la palette, mais procède de la matière
colorée de l’œuvre. Un atelier international à Paris
Le « secret » de Hayter réside dans sa connaissance La première vague d’artistes à fréquenter l’Atelier 17
de chimiste de la tension différentielle qui se produit est, entre les deux guerres, ceux qui, venus du monde
à la surface des fluides2. Ainsi, le graveur utilise une entier, ont choisi de vivre à Paris. Après la guerre,
plaque gravée unique. Il la travaille pour obtenir un la deuxième vague est majoritairement américaine.

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Atelier Contrepoint
Rapidement arrivent aussi les Sud-Américains,
Européens, Australiens. Les Japonais leur emboîtent
le pas, ainsi que les Taïwanais, Coréens, Indiens. Puis,
dès que les frontières de la Chine s’ouvrent, on voit
accourir les Chinois. Les artistes d’Extrême-Orient
ont une très ancienne pratique de la gravure sur
bois et de l’estampe en couleur et se sentent en
cela très concernés par la découverte.
Ainsi se lient beaucoup d’amitiés intercontinentales S. W. Hayter quitte ce monde en 1988. Hector
qui dureront longtemps après le retour de chacun dans Saunier ainsi que Juan Valladares, qui l’ont assisté
son pays, entraînant pendant plusieurs
dans leur sillage le décennies à l’Atelier
voyage des œuvres 17, reprennent les
pour des expositions rênes. Il devient alors
communes. l’Atelier Contrepoint.
Valladares a quitté
l’aventure en 2019.
Mais l’atelier suscite
toujours autant
d’intérêt autour
de la planète, et
Shu-Lin Chen, venue
de Taiwan en 1995,
a pris le relais de
Juan. Elle connaît
le métier, l’exerce
avec maîtrise, elle
est l’âme des lieux,
dispense les secrets
d’atelier et complète
Hector Saunier
dans le travail de
transmission. La
différence des goûts
et sensibilités entre
les deux « maîtres »
est tout à fait dans
l’esprit de l’atelier. Hector Saunier a été le grand
explorateur des effets d’espace. Il en est le virtuose
et maître incontesté. Il connaît toutes les manières
d’évoquer l’immensité intersidérale… avec un burin,
une plaque et trois couleurs… Shu-Lin Chen, quant
à elle, aime la figuration, la nature. Elle conçoit la
couleur de façon plus terrestre, sensible, vaporeuse.
1. Pour n’en citer que quelques-uns : Alechinsky, On pourrait qualifier Hector de graveur d’inspiration
George Ball, Calder, Chagall, Dalí, Max Ernst, de
Kooning, Matta, Matisse, Masson, Joan Miró, cosmique et Shu-Lin Chen de poète du monde
Robert Motherwell, Picasso, Pollock, Riopelle, « atmosphérique ».
Rothko, Ono Shoïchi, Takesada Matsutani, Yves « Expérimentation et diversité » reste la formule,
Tanguy, Raoul Ubac, Maria Elena Vieira da Silva.
l’ADN, de l’Atelier Contrepoint.
2. La même pratique que celle des peintres
flamands obtenant la couleur par transparence, Aude de Kerros, graveuse, essayiste
selon le principe du « gras sur maigre ».

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Lorsque je suis entrée pour la première fois à l’Atelier
Contrepoint, au 10, rue Didot, à l’hiver 1995, je ne
me doutais pas de son lien avec l’Atelier 17, célébré
par l’histoire de l’art pour avoir influencé la gravure
moderne et contemporaine par ses recherches
techniques.
À cette époque, je venais d’arriver à Paris. La ville À propos de la méthode des couleurs simultanées
m’apparaissait magnifique, à moi qui arrivais de si
loin. Dès que j’ai passé la porte de l’atelier à l’aspect L’Atelier Contrepoint réunit des gens qui ont
modeste vu de la rue, j’ai compris que ce lieu dédié une passion pour la gravure. Quelle qu’en soit
à la taille-douce était stimulant, propice à la création, la pratique, c’est par l’échange et le goût pour
mais aussi à l’échange. l’expérimentation que se
J’ai su que j’allais pouvoir travaille ici l’impression
y travailler librement. selon une méthode
Je me souviens de originale.
l’impression que m’a fait Cette méthode associe
à ce moment-là le bruit l’usage des techniques
du roulement des presses, traditionnelles, notamment
mêlé aux voix parlant des la technique du burin,
langues étrangères et, et une utilisation très
parmi elles, un français particulière des couleurs.
un peu différent. Les Il s’agit de jouer avec les
couleurs ont enchanté différentes viscosités des
mon regard. encres, plus ou moins
En fait, je découvrais diluées avec de l’huile.
que ce lieu continuait Les couleurs de taille-
d’exister depuis 1988, douce et les couleurs
année de la disparition offset de surface créent
de S. W. Hayter, son ensemble des espaces
fondateur. Des artistes qui se complètent sur
venus du monde entier y une même plaque.
trouvaient quelque chose Sans toujours être
qui ne se rencontre pas sûre de disposer de
ailleurs. Chacun parlant suffisamment de temps,
volontiers de sa pratique j’ai voulu participer au
de la gravure, mais aussi développement d’une
de son propre parcours et de ses origines. Chacun autre approche et d’une nouvelle vision de la gravure.
pouvant donner son point de vue. Chacun alternant À Contrepoint, j’ai pu, par la gravure, accéder aussi à
entre le sous-sol, où l’on expérimente, où l’on des traditions, des cultures autres que la mienne. Ici,
cherche, et le rez-de-chaussée, où l’on mène outes la plupart d’entre nous viennent de pays étrangers ; et
les opérations préparatoires jusqu’à l’impression. ce lieu nous permet de travailler avec une confiance
J’avais jusque-là simplement étudié la gravure à en nous-mêmes. C’est un lieu d’épanouissement.
l’université et j’en savais encore bien peu. Je suis
entrée à Contrepoint par curiosité. J’y suis restée Shu-Lin Chen, directrice de l’Atelier Contrepoint
par plaisir et y suis devenue une professionnelle
de la gravure.

16
Atelier Contrepoint

L’Atelier de gravure Contrepoint pourrait se définir


comme un atelier expérimental fréquenté par des
artistes et étudiants venus de toutes les contrées du Cette méthode, bien loin d’uniformiser, éveille en
monde, un lieu d’échanges et d’apprentissage. Il chacun son chant singulier, suscite la découverte
succède à l’Atelier 17, créé en 1927, rue du Moulin- par l’exercice pratique, par le fait de vouloir mettre
Vert, à Paris. Son nom lui vient du 17, rue Campagne- soi-même la main à la pâte, de développer le
Première, où Hayter s’installe au début des années jugement en même temps que la vision. Elle permet
30. Nombreux sont les artistes de renom qui y ont aussi, parce que nous sommes en un lieu habité,
travaillé. Ce que veut encourager et développer la confrontation, la comparaison, car il s’agit de se
Hayter, c’est la pratique de la gravure en tant que mouvoir en vue de l’accomplissement, et non pas
moyen de création plutôt que moyen de reproduction. de se livrer à la compétition. Et l’accomplissement
Ainsi, les artistes travaillent-ils directement sur la n’est pas dans la production du chef-d’œuvre, mais
plaque, constamment sollicités par de nouvelles dans la révélation de ce qui était à chacun occulté,
expériences et des techniques nouvelles. ou offusqué par le manque d’exercice. Chacun se
donne là rendez-vous avec lui-même pour sa propre
En 1939, l’Atelier 17 suspend ses activités à Paris découverte, à laquelle sont invités à concourir les
pour les reprendre à New York en 1940. C’est autres par leur présence active. On peut à tout
alors un important lieu de rencontres des artistes moment solliciter leur concours, leur aide ou leur avis.
new-yorkais et européens. À la mort de Hayter, en
1988, l’Atelier, en hommage au fondateur, devient Robert Marteau
Paris, juin 1999
Atelier Contrepoint, dirigé par Juan Valladares
(1938-2019) et Hector Saunier.

La méthode des couleurs simultanées, les techniques


de gravure en plusieurs couleurs sur une plaque,
par le champ d’action qu’elles offrent, incitent
perpétuellement les artistes à innover. La collaboration
entre anciens et nouveaux favorise en outre l’esprit
de recherche et de création. Chaque jour, un assistant
ou collaborateur-assistant aide et conseille, mais
chacun travaille selon sa propre voie et réalise son
œuvre personnelle.

http://www.ateliercontrepoint.com

Page  16 : Ryuichi Maeda, Bioluminescence, 2018,


eau-forte, 34,5 × 24 cm

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Atelier Contrepoint

María Chillón
J’essaie d’attraper un instant de la vie, l’arrêter pour le rendre visible, pour percer son mystère et voyager hors
du temps vers un monde intérieur. Dans la combinaison des lignes du burin, j’essaie de trouver le secret des
sensations et de faire mien le fouillis des os, des chairs, des cheveux qui nous façonnent. Mon objectif n’est pas
de représenter
le réel, mais
de créer des
volumes, des
formes qui, sans
être figuratives,
pourraient
faire partie
de mondes
possibles, par
leur aspect
organique,
animal ou
végétal. Je veux
rechercher le
sens dans les
ombres qui se
dessinent à la
seconde où
mes yeux se
ferment, et les
matérialiser.

María Chillón

www.mariachillon.com
Instagram : @maria_chillon

Page  18 : Nudo 5, 2018, burin sur cuivre, 70 × 60 cm


Page  19 : Entre les nuages 3, 2019, burin sur cuivre, 50 × 70 cm

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Atelier Contrepoint

Mustapha
Bimich
Venu à la gravure alors que sa vocation et sa
formation le portent plutôt vers la céramique, Bimich
a déjà une œuvre importante traduisant à la fois
l’expression de ses talents, le désir et l’inquiétude de
ses recherches. Né à Salé (Maroc) en 1955 et installé
en France depuis 1980, Bimich, riche de ses racines,
nous révèle à travers son art sa mémoire d’enfant.
Céramiste travaillant avec les éléments naturels que
sont la terre, l’eau et le feu, il est aussi graveur en
taille-douce, insufflant la vie à la plaque de cuivre
ou de zinc, laissant l’acide jouer avec la part du
hasard propre à chacune de ses œuvres. De cette
surface accidentée travaillée plusieurs fois avec des
outils comme le burin, le grattoir, la pointe sèche et
autres, naîtra une plaque très riche en matière qui
permettra de jouer avec des couleurs chaleureuses et
profondes. Une surface dynamique qui fera dialoguer
les signes, les symboles, les formes…

Page  20 : Détour du vent, 2013, eau-forte,


vernis mou, couleurs simultanées, 40 × 40 cm
Page  21 : Un matin, 2014, eau-forte, vernis mou,
couleurs simultanées, 40 × 40 cm
Amazonie, 2017, eau-forte, vernis mou,
couleurs simultanées, 47 × 54 cm

21
Page  22 : La Grille d’arbre, 2015, eau-forte, 59 × 49,5 cm
Page  23 : Lentilles d’eau, 2019, eau-forte, 30 × 40 cm

22
Atelier Contrepoint

Ryuichi Maeda
« La représentation de la succession d’époques phares de ma vie, voilà comment je définis mon travail.
Sur la plaque de cuivre, je trace directement une composition en ayant conscience que le résultat obtenu
à l’impression sera inversé et donc forcément différent de mon souhait de départ.
Mon but n’étant pas de créer une image géométriquement parfaite, mais plutôt de composer avec des
traits doux et harmonieux, afin de rendre hommage à des objets, des paysages et des espaces familiers
à l’atmosphère chaleureuse.
L’œuvre se pare progressivement de couleurs vives et chaudes évoluant dans un jeu de lumières et de
transparences.
Le temps consacré à l’élaboration de l’œuvre n’est ni compté ni limité. »

Ryuichi Maeda

Né en 1971 à Osaka, au Japon, Ryuichi Maeda vit et travaille en France depuis 1997.
Il se forme à la gravure à l’Atelier Contrepoint, où il devient assistant. Il expose en solo
au Japon et en France, ainsi que collectivement en France et à l’international.
Instagram : @ryuichi.maeda

23
Shu-Lin est née à Taiwan en 1967. Elle termine ses
études à l’Institut des arts de Taipei en 1992 et décide
de se rendre à Paris deux ans plus tard. Dès 1995,
elle rejoint l’Atelier Contrepoint, digne successeur À côté de cette mission essentielle de pédagogie
du célèbre Atelier 17 de Stanley William Hayter expérimentale plus que d’enseignement, Shu-Lin
(1901-1988), l’un des graveurs les plus talentueux entreprend la création d’une œuvre personnelle
et influents du XXe siècle. diverse et variée.
Si l’influence technique et
philosophique de Hayter
est présente dans son travail,
elle a su s’en affranchir et
la dépasser pour créer
une œuvre personnelle
diversifiée. De ce génie
du trait que fut Hayter,
Shu-Lin dit à bon escient :
« Il superpose un certain
nombre de lignes comme
pour une partition musicale.
Les lignes et les couleurs
sont juxtaposées, assorties,
et les traces colorées.
Ainsi, ses harmonies se
composent musicalement. »
C’est pourquoi les plaques
de Shu-Lin sont le lieu de
vagabondage de lignes
virevoltantes qui se croisent
et se décroisent, avec toute
cette liberté que confère
le trait automatique à
la création. Je ne peux
m’empêcher de regarder
avec plaisir ce jeu spatial
dans Dragonfly ou dans Les
Parfums de la terre.
Le dynamisme de la gravure
de Shu-Lin s’appuie sur une
qualité affirmée de coloriste.
En aplats juxtaposés ou en
chevauchements subtils, les
couleurs franches s’allient
Dans cet atelier, elle travaille aux côtés de l’artiste et se mettent mutuellement en valeur, par exemple
argentin et ancien proche collaborateur de Hayter, dans la gravure À l’heure juste, qui me ramène
Hector Saunier. Elle y apprend le maniement des aux dernières créations de Hayter avant qu’il nous
outils et grave quotidiennement des plaques de quitte en 1988.
cuivre à l’aide du burin et de l’ébarboir. Elle progresse Shu-Lin apprécie particulièrement les bleus et les
rapidement et accède vite au rang d’assistante, jaunes. Et quand les deux sont au rendez-vous,
chargée d’apprendre aux jeunes artistes venus du nous nous retrouvons en un Éclair dans la Banquise.
monde entier à réaliser leur première plaque et à L’accord des deux couleurs est subtil, aucune ne
l’imprimer. domine et l’harmonie est totale.

24
Atelier Contrepoint

Shu-Lin Chen
Si le trait inspire l’artiste, elle le décline sur les
thèmes du temps, de l’espace et de la nature qu’elle
développe avec une poésie qui fait totalement partie Pour conclure, quoi de mieux que de citer le poète
de sa culture. Les titres ne manquent pas de nous Robert Marteau (1925-2011) quand il évoque sa
rappeler notre environnement spatio-temporel consœur Shu-Lin : « Me revient le chant d’un oiseau
quotidien : Après la pluie, Astres, Nocturne, Lunaire… dans la montagne. Est-ce une flûte ? Est-ce du feu
Je voudrais citer
particulièrement La
Rosée, où le classicisme
des fleurs est traité avec
une poésie de couleurs
douces tandis que le trait
automatique discret mais
bien présent apporte
sans heurt une touche
de modernisme.
Il arrive aussi que Shu-Lin
aborde la mythologie,
peut-être en hommage
à Hayter et à ses thèmes
mythologiques pendant
sa période surréaliste
des années 1930 où il
appartenait au groupe
d’André Breton. Icare
en fait partie, dans une
explosion expressionniste
exceptionnelle de par ses
éclats de rouge puissant.
Ou bien encore, l’artiste s’aventure dans la fable, qui flambe ? Le soleil se lève toujours à l’est en
et Sinbad le Marin trace ses voies maritimes dans quelque lieu que nous soyons. Shu-Lin Chen tire ses
une mer d’un bleu pur et vivifiant. encres de couleurs des eaux et des flammes que
lui révèle sa mémoire au fur et à mesure qu’elle se
fortifie en cet apprentissage sans fin qu’exige tout
métier – même celui qu’anime la poésie, puisqu’il
s’agit de faire apparaître ce qui n’avait pas eu
jusque-là de lieu. »

Pierre-François Albert
Page  24 : Les Parfums de la terre, 2013, eau-forte,
vernis mou, couleurs simultanées, 76 × 56 cm
Page  25 : Dragonfly, 2013, eau-forte, vernis mou,
couleurs simultanées, 56 × 76 cm

25
Takuma
Sakamoto

26
Atelier Contrepoint

Mon travail naît de la relation avec les autres. Rencontrer des gens est très important car les relations que
je noue avec les autres m’inspirent de nouveaux travaux.
Mes thématiques sont l’amour, la famille, les amis, les amants, le sentiment de compassion…
Par mes créations, je veux formuler ce que le cœur ne peut pas toujours dire. Exprimer d’une manière
différente ce qui relie les êtres les uns aux autres pour combler le petit espace entre les gens.

Takuma Sakamoto
Instagram : takumax56

Né à Fukuoka, au Japon, Takuma Sakamoto fait des études


d’arts plastiques à l’université de Kyushu Sangyo, à Fukuoka,
de 1999 à 2003.
En 2006, il vient en France et fréquente dès son arrivée
l’Atelier Contrepoint, à Paris. Là, il s’oriente vers une
nouvelle technique : la gravure. Ceci lui ouvre de nouvelles
perspectives et conduit son art vers plus d’abstraction.
Dès lors, il multiplie ses participations à des expositions Page  26 : BEAM, 2013, 2019, eau-forte, 12 × 9 cm
tant en France qu’à l’étranger (Angleterre, Italie, Maroc, Page  27 : Il se passe quelque chose…, 2019,
Roumanie, Japon…). eau-forte, 9 × 12 cm

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Anne Touquet
Au bord des ruines
Des visages de statues accidentés ou festonnés par
le lichen ; des fragments antiques pour décor ; des être, dans un instant semblable à celui qui suit
chairs pétrifiées se livrant à d’étranges rituels : les l’enlevage, ou bien elles resteront définitivement
gravures et les lithographies récentes d’Anne Touquet muettes et invisibles. La lithographie se prête ainsi
sont imprégnées du goût des ruines. À travers elles, plus facilement au mouvement de va-et-vient des
l’artiste nous convie, tels des archéologues médusés, images. Elle magnifie les corps et les visages, frottés
à observer ces étranges témoignages du passé, et estompés patiemment, pour les doter d’un
entre rêve et réalité. soupçon de vie, là où la gravure semble les retenir
de l’autre côté du miroir.
On remarquera, tout d’abord, les affinités
qu’entretiennent ces deux techniques vis-à-vis du Le fond blanc des estampes sur lequel se détachent
projet de l’artiste. La gravure en taille indirecte ces figures les enveloppe d’un vide profond et illimité.
réside dans le fait d’inscrire dans l’épaisseur du Ce caractère épuré des compositions nous ramène
métal des figures englouties que l’acide dévore également à la notion de fragment parce que la
amoureusement. En émergent des visages au teint représentation est toujours partiellement recomposée.
de pierre, piqués et tachés par la corrosion renvoyant Certaines ont un caractère familier, évoquant le
le cuivre à son origine minérale, mais sous des airs drame pompéien par exemple, tandis que d’autres
d’érosion. C’est avec patience et vigilance, strate sont plus insolites et convoquent l’univers de la
après strate, depuis le dessin des contours à l’eau- scène, telle La Chrysalide (2020). La singularité de
forte jusqu’aux morsures successives à l’aquatinte, ce travail réside dans cette oscillation permanente
pour modeler les formes, que l’artiste orchestre entre le spectacle de ruines réelles et la fiction d’un
cette accélération des effets du temps sur la matière. monde en ruine. Tel le peintre Hubert Robert qui
D’une tout autre manière, la lithographie sollicite la précipitait des monuments dans le temps, Anne
mémoire de la pierre. Ce support solide, mais sensible, Touquet s’attache à anticiper le caractère éphémère
nous confronte à une expérience paradoxale de la du vivant en interrogeant le modèle de la pierre. À
durée : « Dessiner sur la pierre lithographique, c’est travers ce glissement fantasmatique et inquiétant,
dessiner pour l’oubli », écrit Gérard Titus-Carmel. dont on ne sait s’il résulte d’une malédiction ou
Les figures fantomatiques d’Anne Touquet telles d’une catastrophe naturelle, la statuaire semble
que Murmures des ombres (2020) ou L’Étreinte plus humaine que les personnages eux-mêmes,
du présent (2020) hantent le bloc calcaire jusqu’à soudainement figés. En découle cette impression
leur inéluctable effacement. Elles ressurgiront peut- d’assister à des scènes que l’on n’approche qu’en
rêve, comme le disait André Breton au sujet des
collages et assemblages surréalistes.

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En regardant attentivement Les Pierres tendres
(2020), on est frappé par le dédoublement des
gestes et des figures. Les couples s’enchâssent
selon une chorégraphie tantôt intime, tantôt
protocolaire. À travers elle, ils expriment la force
gravitationnelle qu’exerce sur eux l’homme à la
jambe brisée, dernier rempart avant la chute à
laquelle nous renvoie le visage à terre. Ce dernier
est d’ailleurs le seul témoin de la scène projetant
possiblement sur eux son rêve de pierre.

Dans cet univers silencieux et monochrome, l’artiste


tire les ficelles d’interminables métamorphoses.
En effet, pratiquant une esthétique du collage,
appliquée à l’estampe, elle sollicite plusieurs fois
la même figure qu’elle intègre à de nouvelles
compositions. Ce tissage d’éléments hétérogènes
se répétant d’une estampe à l’autre constitue la
trame de ses énigmes visuelles.

Christine Pinto

Anne Touquet est née en 1979 en Bretagne.


Après des études à l’école Duperré et à l’École nationale
supérieure des Arts décoratifs de Paris et un début
de carrière dans le monde du théâtre, elle se tourne
vers le dessin avant de découvrir l’estampe.
Dans l’atelier de Raúl Velasco, elle apprend la gravure
avant de rejoindre l’atelier Sfumato, à Montreuil,
où elle s’initie à la lithographie. Depuis 2017,
elle est intervenante à l’ESAD d’Orléans.
www.annetouquet.fr

Page  28 : La Chrysalide, 2020, lithographie, 32,5 × 25 cm


Pages 30 et 31 : Les Particules poudrées, 2021, eau-forte,
aquatinte et lithographie, 38 × 48 cm
Pages 32 et 33 : Les Pierres tendres, 2020,
eau-forte et aquatinte, 30 × 40 cm

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Chris Delville
Un tumulte tranquille

Ce sont des femmes arbres, des dignitaires raides et penchées, qui parlent des langues de glace. Ce
sont des animaux étranges, cerfs, chamois, sauterelles, renards aux pattes d’os. Ce sont des créatures du
pays froid, intactes et miraculeuses, encloses dans la nacre comme des fragments fossiles. Et, tout autour,
une musique tremble, un rythme agence les motifs, blasons, médaillons, cartouches, un trait hésite sur
un bord, fasciné par l’entaille, la blessure au papier, au voluptueux fond de velours. C’est un ordre sacré
de traces, de bornes incertaines, des brindilles
dans la neige qui font signe au regardeur. C’est
un rébus savoureux et pourtant cryptique, plages,
piquetés, aplats, lignes d’erre. Ce sont les restes
d’un conte indémêlable, d’un rêve de nuit noire,
images en arrêt d’un autre temps, d’un ailleurs
ahurissant, mais si net cependant. On pense à
une beauté en éclats, une beauté encalminée. On
pense au silence qui cerne les figures, on pense
à l’amitié des bêtes, on pense à la douleur sans
voix, la tendresse des corps seuls. On devine
un texte sous l’image, mais chuchoté, effacé,
redevenu matière. C’est ce texte qui a fait venir
l’image, dit-elle, tandis qu’à mots choisis elle
évoque ses poètes, Han Shan qui écrivait sur
l’écorce des arbres, Rilke dont la langue transie
erre encore entre terre et ciel, Akhmatova et ses
scènes brisées, son alphabet d’ailleurs. Dans
le territoire où l’on grave, l’inversion est reine,
dit-elle, et l’espace est sans limites, on y avance
à l’aveugle, on ne voit pas ce qu’on fait. Entre
moi et le papier qui absorbe, que rien ne fasse
écran. Entre moi et le fond que je polis (crayon,
pointe sèche, aquarelle), qu’il n’y ait que mes
mains à l’œuvre. Entre moi et la plaque que je
paume, qu’il n’y ait que le frotté méticuleux de
ce temps artisanal. Entre moi et ce dessin qui
m’appelle « du fond de sa surface », qu’il n’y
ait pas autre chose que l’inconnu qui creuse.
Et face à ce tumulte tranquille que chaque jour
je couche, j’apaise, j’ordonnance, que je sois
comme une corde vibrante, ni trop lâche ni trop
tendue. Ce monde qui m’arrive aux doigts est
mystérieux, talismanique. J’y viens lentement,
je rôde longtemps en ses parages, longtemps
je charge l’espace de mon regard, je scrute,
puis les premières lignes se posent et alors tout
commence.
François Emmanuel

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Page  34 : Jardin japonais-rampes II, 2020, pointe sèche,
27 × 21 cm
Page  35 : Totem, 2020, pointe sèche, 60 × 30 cm
Page  36 : Oh Chazal, il a dit, he said, 2020, pointe sèche,
15 × 14 cm
Page  37 : Noir, 2019, pointe sèche, 17 × 10 cm
Nord. Le Rivage de midi, 2020, pointe sèche, 16 × 31 cm

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Anaïs Charras
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours conçu
la création artistique comme l’élaboration d’une
grande fresque documentaire, quelque chose de monde la simplicité et la réalité de leurs corps sans
l’ordre du reportage. artifice. Un processus de la plus haute importance
Observer la transition, consigner, annoter et laisser est en cours. Nous voilà spectateurs d’un cérémonial
cette étude derrière moi sous forme d’outil pour de codé qui nous échappe tout en évoquant en nous
futures investigations. Mes séries et travaux sont des un sentiment familier.
instantanés de ce moment critique et du parcours D’abord dessinatrice autodidacte, j’ai vite ressenti que
sinueux qui s’ensuit, emprunté par tous les hommes, la gravure s’imposait à moi. La matrice, mystérieuse et
événement crépusculaire et fantastique, intervalle sans cesse retravaillée, est le témoin des étapes, des
temporel étiré à l’infini qui sépare la vie du néant égarements parfois, passeuse invisible entre le dessein
et que je décline inlassablement. initial et l’épreuve finale, archive du mécanisme de
Mes influences surréalistes me conduisent à proposer création. De plus en plus, ma technique se dépouille
des tableaux dans lesquels les personnages sont et j’utilise bientôt principalement la pointe sèche en
affairés à d’obscures mais nécessaires tâches. J’aime taille directe sur le cuivre. Les remords, le grattage,
les regarder secrètement, de l’extérieur, sans les regrattage, taille et retaille sont autant de blessures
troubler dans leur besogne. et de traces du passé. Ils
Car c’est l’importance tendent non pas vers une
primordiale et énigmatique brutalité ou une nervosité
de ces tâches qui est au cœur du trait, mais, au contraire,
de mon travail. À l’heure vers une douceur profonde
des bilans, quel est le poids des teintes intermédiaires
de la mémoire, le fardeau contenues dans des contours
des héritages, le précieux précis. Le moment du tirage
bagage des souvenirs et les me conforte dans mon
trésors du vécu ? rôle de documentariste. Je
Pour les accompagner dans découvre à chaque état, tel
ce vertigineux recensement, un correspondant envoyé
j’imagine différentes textures dans de lointaines contrées,
qui balisent le chemin. le fruit de mes explorations.
Comme nous, ils peuvent s’y J’ai parfois la sensation que
raccrocher, leur récurrence ce sont mes personnages
est réconfortante. Voile de qui tirent les ficelles, et qu’ils
nuages, autel de planches, s’animent d’eux-mêmes,
fils courant vers l’inconnu… racontant leur histoire en
Ces décors vivants ponctuent toute autonomie. Ne les
la route, marquent les étapes, dérangeons pas.
se font guides.
Même si je m’affranchis des proportions académiques,
des lois de la perspective, je conserve des
compositions classiques qui confèrent à la scène
un équilibre que je souhaite rassurant.
Les corps en mutation, tantôt paniqués, tantôt
résignés, avancent doucement vers l’après. Il n’y a
plus ni ridicule ni honte dans ces cortèges d’êtres
nus, dépourvus d’attributs sexuels, présentant au

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Page  38 : Inventaire, 2021, eau-forte et pointe sèche en trois plaques couleur (cuivre et rhénalon), 21 × 14 cm
Page  39 : Passage des pilotis V, 2020, eau-forte et roulette sur cuivre découpé, 12 × 10 cm
Page  40 : Je les préfère avec moi, 2021, pointe sèche et roulette sur cuivre, chine collé, 35 × 23 cm
Page  41 : Peine perdue, 2021, pointe sèche sur cuivre, chine collé, 50 × 34 cm
Page  42 : Rappel, 2021, pointe sèche et roulette sur cuivre, chine collé, 36 × 12 cm
Page  43 : Les Couturiers II, 2020, eau-forte, pointe sèche et roulette sur cuivre, chine collé, 40 × 30 cm

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Anaïs Charras est née en 1984
à Paris, où elle vit et travaille.
Elle se forme, aux côtés
de Florence Hinneburg, aux
Ateliers de la Ville de Paris
et se consacre maintenant
exclusivement à la gravure au
sein de son atelier personnel.
Elle est membre de
la Fondation Taylor.

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Marie-Cécile
Clause

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Aujourd’hui, elle se partage entre la Belgique et
son Auvergne d’adoption. Elle grave de petites
Marie-Cécile a toujours aimé le papier, le dessin plaques, insole de grands cadres, imprime et
et le graphisme. Très vite attirée par l’impression superpose le tout sur du papier, du tissu…
et le multiple, elle s’initiera aux différentes Puis elle colle, plie, découpe, coud, assemble,
« graphies ». Elle sera l’élève de Georges Vercheval relie, soude… et réalise de délicats livres d’artiste.
en photographie argentique, de Matsutani et Sa devise : « Ce sont les contraintes qui nous
Éric Loyens en sérigraphie, de Gustave Marchoul font avancer. » Elle se les impose, en joue, les
en gravure et lithographie. Elle s’initiera aussi à dépasse, les transcende.
l’image numérique… Marie-Cécile Clause est en constante recherche,
Dans son travail artistique, Marie-Cécile cherche les thèmes, techniques et formats différents en
à aller à l’essentiel des formes ou de l’idée, à témoignent…
magnifier le rythme et l’espace, les vides et les Son travail, tout en sensibilité, nous emmène
pleins, saisir la lumière et l’instant, capter l’image, dans un univers épuré, poétique, délicat.
la morceler, aller au-delà de la première vision, D’abord photographe, puis sérigraphe, elle est
la fixer, la synthétiser, la multiplier, la faire vibrer. entrée dans le noir de la gravure par hasard, elle
Professeur d’art plastique et de sérigraphie jusqu’à y a goûté, n’a pas aimé, s’est alors mise en retrait
il y a peu, elle transmet toujours sa passion des pour mieux sauter dedans quelques années plus
arts et ne cesse de compléter sa formation. tard.
Elle fréquente assidûment l’Atelier du Livre Depuis, elle joue et mélange le tout, capture
du Musée royal de Mariemont, les ateliers de l’image, la photo, la transforme, l’insole, la grave,
sérigraphie, de gravure et de dessin de l’Académie la tranche, la retranche, l’agrandit, la recadre
des beaux-arts de Charleroi et de bijouterie de jusqu’à en être satisfaite pour enfin l’imprimer,
l’Académie des beaux-arts de Châtelet. la multiplier.

Page  44 : Bleus, 2020, monotype de sérigraphie sur


Tintoretto, 30 × 10 cm, reliure accordéon
Voyager, rêver dans la forêt, dans le rêve des nuages, dans
le mouvement de la vague. Trois livres bleus réunis dans un
coffret 31 × 31 cm au couvercle marouflé d’une sérigraphie
trois passages reprenant les trois thèmes des livres : l’arbre,
le nuage, la vague. Forêt bleue, Nuages à trous, Vague
verte.
Page  45 : De Bruxelles à Dakar, 2015, ensemble de 12 arbres
dans un portefolio gaufré, linogravure sur Arches 88,
42 × 35 cm
Partir de Bruxelles et des érables, voyager jusqu’à Dakar,
s’approcher des baobabs, zoomer jusqu’à l’abstraction.
Page  47 : Racines, 2017, ensemble de 12 racines, linogravure
sur Tintoretto, 35 × 25 sur 50 × 40 cm
Succédant logiquement à un travail sur l’arbre en général,
Racines est une recherche qui entre en profondeur dans
le détail et le gros plan de celui-ci. Dans un noir profond,
comme l’obscurité de la terre dans laquelle les racines
Marie-Cécile Clause, artiste plongent puiser leur force, le graphisme qui tend
sérigraphe-graveur, est née à l’abstraction invite chacun à doucement plonger
à Chimay, Belgique, en 1955. à la recherche de ses racines personnelles…

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Johannes
Vandenhoeck

J’aime la nature vivante, une touffe d’herbe au


printemps, le tronc blanc d’un bouleau surgissant
de la terre molle et odorante, le calme miroir de
l’eau d’un étang, la majesté d’un vieux chêne…
Essayer de faire partager par
la photographie ou la gravure
les émotions ressenties lors des
promenades effectuées dans la
belle région limousine que j’habite
est donc pour moi très naturel. À la
photographie que j’ai longtemps
pratiquée s’est progressivement
substituée l’estampe, qui s’est
imposée à moi comme moyen
d’expression prépondérant. Initié
à la gravure dans les années 80
par Jean-Claude Caffin, puis, plus
tardivement, à la manière noire
par Judith Rothchild, j’ai très vite
adhéré à cette dernière technique
exigeante qui est devenue ma
pratique artistique de prédilection.
J’apprécie l’idée des valeurs qui
émergent du néant et l’élégance
d’un graphisme qui semble surgir
d’un beau noir profond et velouté. Si
mon mode d’expression s’apparente
au réalisme, c’est pour m’affranchir
de toute affectation stylistique
inutile. En tant que créateur, mon
idéal esthétique penche pour une
gravure qui montre l’essentiel dans toute sa véracité
et toute sa complexité, sans emphase.

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Genèse des estampes

Page  48 : Allégorie de la sagesse, septembre 2020, manière


noire, encrage à la poupée en noir et beige, 30 × 20 cm
C’est en observant attentivement le tronc d’un bouleau qui
apporte un peu d’ombrage aux abords de l’étang de
Puychaumartin, situé dans ma commune, que m’est venue
l’idée de cette estampe. Le bouleau, symbole de sagesse et
de renouveau, est à l’honneur dans de très nombreuses
cultures, dans le monde celte, chez les Amérindiens, en
Russie…
Page  49 : Trinità di Filitosa, novembre 2019, manière noire,
encrage à la poupée en noir et brun, 20 × 20 cm
Le projet à l’origine de cette estampe m’est venu lors de la
visite en Corse de ce haut lieu de la préhistoire situé non
loin de Porto-Pollo. Les trois magnifiques oliviers centenaires
fortement intriqués qui ornent la cuvette du site m’ont
inspiré une gravure en couleurs encrée à la poupée
actuellement exposée à la galerie Heike Arndt de Berlin.
Page  50 : Amours, délices et orgues, novembre 2020,
manière noire, 15 × 15 cm
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’en français, les
trois noms du titre de cette estampe sont des exceptions
grammaticales bien connues qui ont la particularité d’être
masculins au singulier et féminins au pluriel. Les coquillages
de l’estampe, appelés vénus en langue vernaculaire,
évoquent à la fois les amours symbolisées par les attributs
de la déesse romaine du même nom, les délices culinaires Johannes Vandenhoeck est un photographe et graveur
et les orgues par leurs caractéristiques formelles. français né à Nevers en 1949. Après des études à l’École
nationale des beaux-arts de Bourges, puis à l’Université de
Page  51 : Promenade d’automne, décembre 2020, Provence et à l’École supérieure des beaux-arts de Marseille,
manière noire, 15 × 20 cm il s’installe dans les années 80 en Limousin, où il enseigne
C’est pendant une des nombreuses brèves sorties autorisées les arts visuels tout en continuant sa formation de graveur
lors du confinement généralisé décrété à la suite de la et de lithographe à l’École nationale supérieure d’art
pandémie actuelle que je suis tombé en admiration devant de Limoges. Depuis quelques années, il se consacre
ce tableau fortuit composé de simples feuilles de chêne et exclusivement à des travaux de gravure, principalement
de châtaignier qui abondent en Limousin et d’un morceau en manière noire.
de bois couvert de lichen qui jonchaient le sol.
Page  52 : Les Herbes du fossé, avril 2021,
manière noire, 20 × 20 cm
Cette estampe a une histoire singulière. Elle est en partie
née d’une amitié liée dans ma jeunesse avec un étudiant
coréen. Perdu de vue et retrouvé récemment sur un réseau
social, cet ami, devenu écrivain et peintre célèbre en son
pays sous le nom de Haïlji, a publié de nombreux ouvrages,
dont deux en français. C’est un lisant l’un d’eux, un recueil
de poèmes intitulé Les Hirondelles dans mon tiroir (Librairie-
Galerie Racine, 2003), que m’est venue l’idée de lui rendre
hommage.

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Maristela
Salvatori
Je ne peux pas nier la fascination pour la gravure et
pour la photographie. Dans mon processus, j’utilise
des procédés traditionnels et des technologies Selon Ana Letícia Fialho (2004) :
digitales. Dans la plupart de mes œuvres, on « Les œuvres de Maristela renvoient, pour moi, à un
retrouve des photographies comme références. Je sentiment de dépaysement. Des mondes imaginaires
me sers soit de formes isolées, soit d’un mélange sont construits à partir du fusionnement entre les
de ressources : gravure sur métal, photographie et lieux de passage et de permanence : lieux de passage,
manipulation numérique.
Les images apportent
un mouvement circulaire,
des scènes marines
et des scènes urbaines
où la fragmentation, la
répétition, la sérialisation
et le dédoublement des
formes sont une constante.
Dans les estampes
chalcographiques,
sur relief ou digitales,
au-delà de m´approprier
des photographies ou
certains de leurs aspects,
j´apporte des éléments de
lieux qui me captivent par
l’émotion afin d’évoquer
des moments de mémoire
affective.
Dans les années 1980, je
travaillais surtout sur la
figure humaine, dans un contexte d’album de famille. où l’artiste n’est restée qu’une période donnée ;
Les personnages étaient conçus avec des lignes lieux de permanence, parce qu’ils sont restés dans
quelque peu déformées. Au fur et à mesure, les sa mémoire. Les éléments cueillis dans le parcours
figures devenaient de plus en plus petites, jusqu`à retournent et renaissent dans son œuvre. Barthes a
disparaître, et l´architecture prenait de l´importance. dit un jour : “Quand on me montre un bouquet de
fleurs, la première fois, pour moi, ces fleurs n’ont
pas de sens. Le sens, ça se construit dans le retour.”
En partant d’un registre photographique – souvenirs
de vacances au Maroc, vieux bâtiments de sa ville
natale, etc. –, l’artiste transforme petit à petit les
images. Dans ces gravures, de nouveaux contours
se dessinent et les formes prennent de plus en
plus de distance par rapport à l’image du départ :

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enlevant un élément ici, déplaçant un autre là-bas,
l’artiste construit un nouveau paysage qui ne peut
exister que dans son œuvre.
Ces lieux solitaires où, souvent, nous ne percevons Plus récemment, pendant un séjour au Québec,
même pas l’ombre du vivant peuvent être, à tout je me suis consacrée à la photogravure avec des
instant, remplis par nos propres fantômes. polymères, pour aller au-delà des impressions
En utilisant l’imagination et la mémoire, l’artiste numériques, images parfois juxtaposées aux gravures,
invente et réécrit constamment des histoires aussi en restant toujours attirée par le paysage urbain.
personnelles qu’universelles, touchant à un imaginaire Depuis des années, je pars au bord de la mer sur une
collectif, transformant notre perception du vécu et petite plage au sud du Brésil. J´y reste désormais plus
du réel. »

De son côté, Gilbert


Lascault (2000) témoigne :
« Dans les gravures de
Maristela Salvatori,
souvent, des vues
frontales s’imposent. Elles
barrent toute voie. Elles
ferment tout passage.
Elles interdisent toute
communication. Elles
bloquent les chemins. Elles
immobilisent le regard.
Elles nous cernent. Elles
nous assiègent. Ça ne
circule pas. Ça ne se
déplace pas. Nul vent ne
souffle et les arbres sont
paralysés.
Dans le port dormant, sur le
quai de départ, nul navire ne surgit. Les grues sont longtemps. Mon regard demeure perdu pendant des
pétrifiées. Nul matelot, nul passager, nul marchand, heures, guettant la nature, surtout la mer, les vagues
nul débardeur ne se meut. Le débarcadère accablé et, avec un peu de chance, quelques baleines, et
est abandonné. Nulle vie. Nulle vague. Nul nuage cela devient ma dernière passion en tant que thème.
dans un ciel plombé. Nulle voix humaine. Nul chien.
Vous n’arrivez pas à bon port. Vous n’arrivez pas à
mauvais port. Vous n’arrivez pas.
Le port n’est pas un abri, un refuge, une protection,
un lieu sûr. Il est une zone de dépression et de
déréliction, un territoire de solitude et d’insécurité.
Page  54 : Sans titre (série Porto), 2016, gravure sur métal –
Le temps est dense, grave, lourd. Une ville est morne photogravure, 26 × 21 cm
et morte, taciturne. C’est le no man’s land. Sans titre (série Porto), 2016, gravure sur métal –
Maristela met en évidence deux hauts édifices du photogravure, 26 × 21 cm
Sans titre (série Porto), 2016, photogravure sur polymère,
bassin de la Villette, qui sont deux jumeaux de la 24,5 × 16,5 cm
nostalgie… À Paris, sur le quai du Point-du-Jour, Sans titre (série Porto), 2016, gravure sur métal –
une vaste usine délaissée dissimule l’horizon. photogravure, 26 × 21 cm
Ou bien, de biais, une route va en ligne oblique. Page  55 : Sans titre (série Québec), 2012, gravure sur métal,
eau-forte et aquatinte, 30 × 50 cm
Dans le port inquiétant, des docks, des hangars,
Page  56 : Sans titre (série Porto), 2016, photogravure sur
des entrepôts, des arsenaux, des blockhaus, fuyants, polymère, 30 × 21 cm
paraissent s’enfoncer dans le lointain. L’œil découvre Page  57 : Sans titre (série Québec), 2012, gravure sur métal,
l’inconnu. » eau-forte et aquatinte, 30 × 50 cm

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L’artiste graveur et plasticienne du livre naît
en 1960 dans le Lot-et-Garonne, en France.
En 2001, elle installe son atelier, avec l’aide
de la DRAC Midi-Pyrénées, dans une
ancienne scierie au bord de l’eau, à
Fondamente, sur le territoire de Millau et
des Grands Causses, dans le Sud-Aveyron.
Autodidacte, elle s’est formée à la gravure
et à d’autres techniques auprès d’artistes à
Paris et à Chaville, de 1990 à 2000. Son
œuvre est multiple : gravures, peintures,
livres d’artiste, boîtes, photographies,
vidéos, installations… Le thème des Raticés,
petits rongeurs qui avaient trouvé refuge
dans la scierie avant son installation, est
récurrent dans son œuvre depuis 2000. Elle
évolue par la suite vers la mise en espace
puis en mouvement de son travail, avec
notamment les Thaumatropes.
Depuis son atelier de Fondamente, elle
bâtit son œuvre méthodiquement, explorant
des pistes diverses, de l’estampe à
l’installation (Envol, prix jury et public Rat
d’art volant, 2013) en passant par la
photographie numérique (L’art prend l’eau,
Nay 64, 2016). Pourtant, elle reste
profondément attachée à la gravure,
comme une empreinte majeure pour elle,
une rencontre dont on ne se défait pas.
Les Thaumatropes (2013-2015) sont réalisés
à partir de cette matrice gravée et nous
invitent à l’envol. Invitée lors de
manifestations à Millau (Galerie service
culture et Rat d’art volant) et en exposition
personnelle (2013-2014) au musée de Millau
MÛ, Hors de la nasse tout est possible, elle
conforte cette orientation d’« être à l’affût »
sans répit comme une évidence. L’invitation
avec les artistes d’Aveyron Culture, au
musée de Ningbo en Chine, en 2017, lui
permettra de fortifier ce choix et de
prolonger sa recherche.
Depuis 2002, elle anime des ateliers
artistiques autour de l’estampe et du livre
d’artiste en milieu scolaire, dans les
hôpitaux (culture-santé) et dans des Ehpad
(art thérapie). Elle organise, dès 2006, aux
Ateliers de la Scierie (association loi 1901
pour la culture et l’art en milieu rural
soutenue par Aveyron Culture) des
expositions et des résidences d’artistes
après une formation à Paris. Elle collabore
régulièrement avec les associations de
gravure Estampadura de Toulouse, Sud
Estampe de Nîmes et Artpage d’Octon ainsi
que Manisfestampe de Paris. Elle présente
ses estampes dans les arthothèques de
Millau et Rieupeyroux, en Aveyron. Son
œuvre a déjà donné lieu à de nombreux
reportages vidéo à Rodez, Toulouse, Paris,
et à de nombreuses expositions
personnelles et collectives en région,
en France et à l’étranger (Chine).

http://www.sophie-vigneau.com

58
Sophie Vigneau

Le mouvement artistique chez elle est enclenché par


des émotions suscitées lors de « rencontres » qui que l’artiste puise son énergie pour mieux les
sortent de leur banalité pour être transformées en prolonger ou les détourner de leur fonction première.
objets esthétiques : rencontre aux Ateliers de la Scierie Le prolongement actuel de son travail sur le
avec les souris ou « Raticés » et les nasses utilisées mouvement l’a conduite à la création du Thaumatrope
pour les capturer, les chauves-souris, les cailloux au géant, sollicitation au rêve induite par le mouvement
hasard des chemins… autant de thèmes de base du du public.
travail de l’artiste. C’est dans l’exploration de plusieurs Catalogue de l’exposition MÛ, Hors de la nasse
voies et dans le mélange des techniques : dessin, tout est possible au musée de Millau et des Grands
gravure, peinture, photographie, vidéo, installations… Causses, 2013-2014

59
Le temps des souris
Bien sûr, il y a toujours les souris, métaphores
vivantes de l’animal destiné au piège. Mais la
souris, c’est aussi Sophie, l’Artiste, qui met tout en
œuvre pour échapper à la nasse, pour se libérer de
sa (bonne) éducation, des codes incontournables
de la vie en société, des souvenirs de jeunesse qui
ont déterminé son parcours… et qui menacent de
paralysie sa création.

François Leyge, catalogue, petit journal de l’exposition


MÛ, Hors de la nasse tout est possible au musée de Millau
et des Grands Causses

Les cailloux
ou eaux lentes, 2012
De petits cailloux s’entrechoquent,
s’assemblent, se fondent,
s’équilibrent pour retrouver leur
position plastique, toute une
énergie au service de l’artiste. C’est
la rencontre avec ces fragments,
leur recueil pour les associer dans
des aquatintes, eaux-fortes, qui les
redynamisent et les placent dans
une œuvre complète sur le thème.
L’artiste poursuit sa démarche
sur le statique (les « Raticés »,
les insectes, les plantes, etc.)
pour l’étendre aux cailloux. Il
semble qu’elle y puise une énergie
toute nouvelle dans sa quête de
transformation esthétique du banal.
Une mise en mouvement s’instaure
alors, comme un sentier qui ne
peut s’éviter.

60
Les Méduses et Planètes, 2014
Si le sujet semble sérieux dans un monde où les
méduses envahissent les plages, j’ai plutôt choisi les
méduses lacustres de nos étangs, méduses existantes
déjà à l’ère du permien. Le processus de création
reste surprenant, processus qui associe à la fois la
recherche aléatoire et la technique de l’estampe du
vernis mou. Des lentilles restées attachées au fond
d’une casserole sont le point de départ. Reportées
sur des plaques de cuivre par la technique du vernis
mou, elles se sont ensuite écrasées en passant sous
la presse, donnant cette impression en étoiles ou
en méduses.

Les plaques sont ici trempées longuement dans


le perchlorure de fer. L’acide, lentement (plusieurs
heures pendant plusieurs jours), passe au travers
de certaines plaques, faisant apparaître comme un Page  58 : Thaumatrope, 2013, 3 portants 310 × 50 cm,
21 disques de 20 et 30 cm gravés à la pointe sèche sur
gaufrage (surtout dans les Méduses). Les Planètes aluminium, (prix jury et public 2013 Millau : Rat d’art volant)
poursuivent cette recherche entre animal et étoiles Page  59 : Chauves-souris, 2013, pointe sèche sur aluminium
inaccessibles. et crayon graphite, plaques circulaires de 20 et 30 cm issues
Toujours en éveil, dans une création personnelle, du Thaumatrope*
Page  60 : Le rat n’attrape pas les souris, 2008,
je ne démords pas d’un monde animal surprenant, aquatinte deux plaques 20 × 20 cm*
qui me captive. Cailloux, 2013, aquatinte, 2 plaques couleur, 41 × 5 cm
Cailloux, 2013, aquatinte, 2 plaques côte à côte, 12 × 41 cm
Page  61 : Planètes, 2014, vernis mou avec report 15 × 40 cm
Page  62 : Permutations, 2018, vernis mou, 2 plaques couleur
20 × 20 cm qui tournent sur 4 tirages 24 × 82 cm et détail*
Page  63 : Méduses 2, 2014, vernis mou avec report,
couleurs à la poupée, 20 × 20 cm × 3*
* Le tirage est réalisé en collaboration avec Thomas Fouque,
des Ateliers Moret Manonviller de Paris.

61
Permutations, 2018
Toujours à « l’affût », l’artiste récupère cette fois-ci,
dans la scierie du Sud-Aveyron où se trouve son
atelier, de petits « boudins en crin végétal séchés »
qui, mis bout à bout, évitaient qu’un matelas ne
glisse sur un sommier.
Une rencontre particulière avec matière et objet
utile qui lui permet de pousser encore un peu plus
loin sa création en y engageant le mouvement lors
des tirages. Les deux plaques initiales sont bougées
d’un quart de rotation lors de l’impression.
Les plaques sont toujours trempées
longuement dans le perchlorure
de fer. L’acide, lentement (plusieurs
heures pendant plusieurs jours),
passe au travers de certaines
plaques, faisant apparaître comme
un gaufrage (comme dans la série
Méduses et planètes, 2015-2016).

Le sujet n’est pas anodin si


ce n’est par son usage ancien,
oublié et pratique. Sortant du
thème de l’animal souvent traité
dans son travail, l’artiste est à
nouveau captivée par l’élément.
La permutation des plaques
se déroule dans l’impression
même, ce qui engage une mise
en mouvement du résultat.

62
C’est une création étrange que ces carrés de gravures
qui nous apparaissent comme abstraites. Taches
éparses, irrégulières, comme aléatoires, noires sur
fond vert, marron ou gris bleu : que signifient-elles ?
Au départ du processus de création : des lentilles
corail ou vertes du Puy qui, après s’être attachées
par cuisson sur du métal, sont ensuite transférées Sophie Vigneau revisite les techniques les plus
sur d’autres plaques de vernis mou pour être ensuite éprouvées de l’art : gravures, peintures, livres
trempées dans du perchlorure de fer. Longtemps ; d’artistes, boîtes, « reliquaires » de toutes sortes,
plusieurs jours pour transformation. Traces multiples l’œuvre est plurielle. Or cette visite n’est pas teintée
qui changent de destination voire de distinction. C’est de nostalgie ; au contraire, Sophie Vigneau ponctue
un peu comme des méduses lacustres des étangs ou son travail d’arrangements multiples où la peinture,
d’autres lentilles flottantes sur les eaux stagnantes. le dessin (le trait) demeurent essentiels, mais ces
La transformation s’opère. Au départ alimentaires pratiques sont avant tout génériques, elles permettent
(sèches), les lentilles deviennent de toutes petites à la fois un passage à l’acte et d’élaborer dans un
méduses en mouvement, imperceptibles. Le départ protocole de création complexe et hétérogène une
de l’œuvre reste donc cette cuisson (accidentelle) réflexion sur la trace et la mémoire… Son œuvre de
de lentilles restant attachées à la casserole faute 2001, Les Souris de la Sciourie, est chargée de cette
de surveillance. Elles vont pouvoir se reporter sur sorte d’humour et de gravité. Souris de la scierie
des plaques de cuivre passées au vernis mou et le de Fondamente, qu’elle observe, sorte d’affût où
détacher. Reste le trempage acide d’où sortira la elle retrouve cette position de l’artiste observant
magie de l’estampe par l’encrage. Le résultat de longuement un animal. Sur la toile, le métal (gravures),
l’œuvre fera penser aussi à de lointaines planètes les pochettes de papier kraft ou le livre d’artiste, les
intergalactiques inatteignables… On est confondu souris demeurent des rongeurs, mais sont aussi bien
par cette œuvre étrange et saisi par cette démarche autre chose, certaines confinent à l’abstraction ou
originale qui tend à l’abstraction : méduses, lentilles, aux peintures rupestres, à la manière… Certaines
planètes. La matrice est à la fois la plaque et ses ont l’air renversées, d’autres sont écartelées, si bien
traces ; l’encrage déterminera les impressions qui que le visiteur rentre dans la chair même de ces
d’essai deviendra œuvre. souris, mais sans réelle cruauté, car cette chair est
matière, camaïeu, peut-être douleur comme dans
Jean-Louis Marc, architecte DPLG, galeriste de l’espace tout souvenir ou en tous les cas mystère, tant au sens
JLS 13 à Paris jusqu’en 2005, 2019 policier qu’au sens médiéval avec les interrogations
de l’histoire de l’art sur la présence animale dans la
création, telles les souris qui grignotent, trottinent
et ne se laissent pas saisir.

Nicolas Surlapierre, conservateur adjoint au musée


Matisse du Cateau-Cambrésis, mars 2001

63
64
Nicolas Boucher
Vertige de Lyyst
Lyyst a la même prononciation et un sens similaire
au mot « liste ». Ce mot est interprété ici comme
une manière d’organiser la pensée et les actes en L’artiste utilise cette matière pour de mystérieuses
une suite raisonnée. Les travaux qui en résultent sont transformations alchimiques. À la manière d’un
comme un inventaire figuratif visant à représenter chimiste de la texture, il répète ses expérimentations
l’excès. Cette obsession énumérative, souvent et œuvre de manière sérielle pour représenter
jumelée à des figures arrondies idéales, offre différents phénomènes.
une sensation de mouvement proche de l’œuvre
cinétique. Ces formes à la ligne claire et aux contours
bombés, pourtant abstraites, revêtent une dimension
anthropomorphique, rappelant une certaine matière
organique.

65
Classification
de fictions multiples -
œuvres de choix
Bien que mes pratiques puissent sembler différentes,
le même processus de collecte se répète. À l’image
de mes collages ou des séries de gravures, mes Ces œuvres de choix offrent une communication
installations sont des listes figuratives, des sélections invisible entre le spectateur et l’artiste. Ludiques,
d’objets ou d’images de sens ; elles se composent elles permettent d’aborder des sujets en associant
d’objets collectés qui définissent une sorte de le spectateur à l’œuvre : je lui octroie, selon sa
confidence intime. Chaque objet ayant été choisi sensibilité, le choix de ce qui fait sens.
parmi d’autres, ils forment un environnement subjectif
d’idées. Les associations d’idées qui se créent lors du
contact entre différentes images offrent un choix de
pensée. Cette notion de choix est primordiale dans
mon processus artistique comme dans sa réception.

66
La gravure,
un art du temps
La gravure est l’art du temps et de la main. Tantôt
directe, tantôt indirecte, tantôt en creux, tantôt en
relief, elle transporte l’art entre sculpture et dessin.
L’artiste face à sa plaque crée un objet qui n’est pas
une œuvre, mais l’outil de création de cette œuvre.
L’art de créer le support est un art du temps. Avec
l’eau-forte, lorsque la plaque est rongée par l’acide,
l’artiste ne peut qu’observer le travail chimique
qu’il a simplement coordonné. Il n’agit pas, il est
coordinateur. Les formes se délectent de vernis,
l’aciérage leur est tout spécialement destiné. La
gravure permet l’exaltation du dessin, par l’acuité
du trait. L’estampe est pour moi particulièrement
favorable à mes recherches sur la courbe, le trait et
la symétrie de masse.

Page  64 : Amoncellement régulier, 2010, eau-forte et


aquatinte sur chine collé, 32 × 22 cm
Page  65 : Matière alchimique, 2016, monotype et collage,
50 × 40 cm
Strates semi-minérales, 2012, technique mixte, épreuve
d’artiste, 40 × 30 cm
Page  66 : Classification de fictions multiples -
Choix esthétique libre, série de 12 collages
de morceaux de gravure, papier, 29,7 × 21 cm
Pages 66 et 67 : Classification de fictions multiples -
Attente en temps de guerre, plaques d’aquatinte sur collage
héliogravures, 5 feuillets 32 × 24 cm
Page  67 : Envol de matière organique, 2012, eau-forte
et aquatinte, 15 × 10 cm
Page  68 : Amoncellement accumulé, 2010,
eau-forte et aquatinte, 33 × 22 cm
Amoncellement de ligne claire organique, 2019, linogravure,
15 × 21 cm
Page  69 : Envol de matière organique - faune & flore, 2015,
eau-forte et aquatinte, 54,5 × 49 cm

67
Intention,
amoncellement,
mouvement et
saturation ouverte
au choix

Les travaux de Lyyst portent sur l’accumulation, la


prolifération, la répétition, la colonisation du support
de l’œuvre par une infinité de formes arrondies de
gabarit régulier. Les corps qui se créent entre écriture Les formes que je produis ne sont pas tant des
automatique et imagination libre s’adaptent à leur corps organiques que des compositions abstraites
environnement. Avec ses arrondis voluptueux et de succession de courbes virtuoses. Le trait est
ses changements de sens subtilement maîtrisés, la équivalent sur tout son trajet, pas de points ni
courbe est un outil de création privilégié. d’intersections. D’épaisseur identique, il demande
règles et contraintes pour s’exprimer en tant qu’idéal.
Une courbe, selon son ampleur, nécessite un temps
défini par elle-même avant de pouvoir changer de
sens. La courbe donne vie à la forme, une image du
vivant qui existe juste en étant structurellement close.
Que va-t-il advenir de cette courbe ? Je l’oublie, en
commence une autre. J’y reviens. De l’une, j’obtiens
un corps sans forme. Un corps hors de la réalité,
un corps tout de même. Un corps sans bras, des
ailes, une queue, deux protubérances au niveau
de la tête. J’attends avant de lui faire un pied. De
l’autre, j’obtiens une plante, un bulbe, ses racines
sont cachées. Elle se développe et s’élargit en de
multiples bourses fines et allongées. Cette matière
s’adapte à son environnement.
Ces travaux traitent de la nature même de la courbe,
celle que l’on retrouve dans la faune ou la flore.
Par l’imagination du spectateur et la paréidolie,
les traits aériens se transforment en des corps
anthropomorphiques, la courbe devient l’essence
même d’un mouvement naturel. Ces univers de
texture évoluent en des univers de vie, grouillants,
foisonnants. Cette création d’univers regorgeant
de réalité offre une richesse graphique, ludique et
captivante.

Nicolas Boucher
Instagram : @lyyst_

68
69
« À force de mêler les procédures classiques et les autres, d’intercaler lambeaux de papiers de soie et
éléments hétérogènes, elle matérialise pour ainsi dire ses intuitions les plus intimes du monde physique
et leur imprime ses peurs et ses éblouissements. »

« Deux cycles de gravures, Stèles et Rythm and Blues, où se croisent aquatinte, eau-forte, pointe sèche,
manière noire et photogravure, illustrent ces tendances apparemment contraires.
La première, plutôt sobre et modulée, joue sur la révélation de formes compactes, d’architectures qui
orchestrent les jeux arbitraires de la lumière et de l’ombre.
L’autre, dynamique, fait la part belle à la morsure du trait, aux éclats du noir et blanc, à la sonorité du
graphisme qui éclate le support. »

70
Anne Gilsoul
Le noir, empreinte de mes énergies secrètes
Extraits du catalogue Visions d’encre, écrit par Danièle Gillemon
à l’occasion de l’exposition rétrospective au musée Félicien-Rops (Namur, 2012)
Photos © Luc Schrobiltgen

« Qui douterait de la nécessité de l’art de la gravure en ces temps postmodernes se verra complètement
retourné par la pratique complexe, acrobatique, toujours expérimentale d’Anne Gilsoul, par son écriture
tour à tour feutrée et frémissante, sourde et lumineuse, retenue et lyrique. »

« Se servant d’une planche pour enfanter l’autre, Anne Gilsoul ouvre de nouvelles fenêtres, traverse
l’espace toujours en quête d’un au-delà du miroir dont la conquête n’est pas le monde à l’envers mais un
monde parallèle où les vibrations, les précipitations, les chutes, les efflorescences, toutes les modalités
du changement sont le seul objet.
C’est au milieu de glissements progressifs, parfois infimes, où l’image matricielle demeure en friche
et prête à la gravure une épaisseur particulière, que l’œuvre s’est constituée.
Prenante, déroutante, suggestive, elle a fait siennes, dirait-on, l’organisation secrète de la matière
et ses transformations. »

71
« Ses recherches dans de minces formats verticaux ou horizontaux donnent la juste mesure du chemin
parcouru, de l’économie progressive du langage, de la maîtrise à faire surgir de l’obscurité veloutée le
mystère d’une présence, d’un frémissement à fleur de planche, d’un souffle sur le miroir de l’existence. »

« Le lyrisme tempéré par une rigueur conquise jour après jour et un dépouillement sans sécheresse sont
les deux pôles entre lesquels l’œuvre oscille, les deux tentations qui se résolvent souvent à l’intérieur
d’une seule de ces planches tirées presque toujours en exemplaire unique. »

72
« … elle cherche à confronter l’art de la taille à celui de l’impression, s’essaye à la gravure non toxique,
découvre les aquatintes, des gris perlés aux noirs profonds, mêlant des couleurs raffinées et voilées par
les vestiges du noir. »

73
« Anne Gilsoul joue de façon subtile la transparence contre l’opacité, la douceur contre la violence, le
silence contre la sonorité, le blanc contre le noir dans l’infini de leur palette. »

74
«  E l l e a p p r e n d l a
photogravure qu’elle
intègre à des structures
é p u ré e s , c ré e d e s
vibrations de lumière aussi
bien dans les manières
noires que dans ces
nouvelles techniques. »

«  U n e t e n s i o n n a î t
immanquablement de
ce jeu à fleur du papier,
de cette lutte pour donner
une matérialité aux plus
infimes mouvements de
l’âme. Certes, on ne sait
pas vraiment où vont ni
d’où viennent les lignes,
ces arpents de lumière
ou de ténèbres, ces
évanescences graphiques.
Ce que l’on sait, en
revanche, c’est qu’ils
cheminent étroitement
avec ce que le cerveau
connaît de l’intangible
des choses. »

« Voilà, brossé à grands traits, le thème poétique


qu’elle s’est fixé sans l’avoir explicitement choisi
mais parce que la pratique graphique, à force de
se voir questionnée, le lui a bel et bien enseigné et
pour ainsi dire imposé. »

Anne Gilsoul est née à


Spa, Belgique, en 1948.
Elle vit et travaille à
Bruxelles. Anne Gilsoul
expose régulièrement
depuis 1982. Elle a
participé à de
Page  70 : Noir diaphane, 1988, 1/1, manière noire, pointe sèche, papier de soie 32 × 30,5 cm nombreuses expositions
Page  71 : Cantate d’encre II, 2005, 1/1 ,pointe sèche, manière noire, 19 × 36 cm collectives en Belgique
Page  72 : Stèle V, 2009, 1/1 ,aquatinte, eau-forte, pointe sèche, 34,5 × 52 cm et à l’étranger.
Voile d’ombre, 2011, 1/1, manière noire, eau-forte, pointe sèche, 12,5 × 41,5 cm Elle crée des
Page  73 : Stèle, 2009, 1/1, aquatinte, eau-forte, pointe sèche, 34,5 × 52 cm illustrations d’ouvrages
Page  74 : Variations IV-c, 2007, 1/1, pointe sèche, manière noire, 40 × 29,7 cm pour les Éditions de
Page  75 : Souffle, 2021, 1/1, pointe sèche, 14,5 × 14,5 cm l’Ambedui, Bruxelles.

75
EXPOSITIONS

76
EXPOSITIONS

Limited Edition
Art Fair
Le salon du multiple
et de l’image imprimée
les 11, 12 et 13 février 2022
La Fondation Boghossian présente la troisième édition de la Limited Edition Art Fair,
le salon qui célèbre le multiple et l’image imprimée, du 11 au 13 février 2022.
Créée en 2020, la Limited Edition Art Fair a pour vocation de proposer au
public des œuvres de natures diverses : impressions offset, lithographies, Artistes invités
gravures, sérigraphies, estampes, illustrations, céramiques, photographies… Zeina Abirached, Pauline Bonnet, Adrien Cicero, Samuel Coisne, Roman
toutes conçues en séries limitées. Couchard, Nina Faivre, Job Gijsbrechts, Philippine d’Otreppe, Harold Lechien,
Durant trois jours, éditeurs renommés, galeries internationales et institutions Margaux Lecoursonnois, Lucian Moriyama, Guilyan Pepin, Thomas Perino,
belges incontournables, tels la Fondation CIVA (Bruxelles) et le Centre de la Félicien Umbreit.
gravure et de l’image imprimée (La Louvière), investissent la Villa Empain.
Une section est consacrée aux œuvres d’une douzaine d’artistes lauréats du
prix de la Fondation Boghossian ou ayant résidé à la Villa Empain.
La LEAF fait cette année la part belle aux maisons d’édition émergentes
ou spécialisées, à la production foisonnante, telles Anima Ludens, Barythé, Fondation Boghossian
Villa Empain, Centre d’art et de dialogue entre les cultures d’Orient et
Estampille, Three Star Books, Taschen…
d’Occident
Se déployant sur les trois étages de la Fondation Boghossian, le salon est Avenue Franklin-Roosevelt, 67 – 1050 Bruxelles
l’occasion de faire un état des lieux de l’édition de l’image imprimée et du www.boghossianfoundation.be
multiple aujourd’hui, à la fois plurielle et authentique, innovante, précieuse ou tout au long de la foire, sur rendez-vous
et accessible.
Ouverture au public
du 11 au 13 février 2022
Participants
de 11 à 19 heures
Institutions, galeries et éditeurs Prix : 7 € - gratuit pour les enfants de moins de 12 ans
Académie royale des Beaux-arts de Bruxelles, Anima Ludens, Ars Belga, Art’Loft- et les étudiants de moins de 26 ans
LeeBauwens, Gallery Atelier Bruno Robbe, Baryté, Bernier Eliades Gallery,
Atelier « Réalisez votre gravure ! »
Centre de la Gravure et de l’Image imprimée, CIVA, Daily-Bul & Co, Estampille,
Pour adultes : samedi 12 février, à 15 heures
Frans Masereel Centrum, Galerie Catherine Putman, Gallery Fifty One, HdM Pour enfants : dimanche 13 février, à 15 heures
Gallery, Irène Laub Gallery, JAP, LMNO, La Patinoire Royale – Galerie Valérie Gratuit - sur inscription
Bach, Keramis, Meessen De Clercq, Michael Woolworth, Taschen, Three Star Contact : www.villaempain.com
Books, We do not work alone, Wittockiana, Actuel, l’estampe contemporaine. +32 497 46 12 64

77
EXPOSITIONS

travaux croisés de graveurs coréens et français


INTERNATIONAL EXCHANGE EXHIBITION OF PRINTS
France - Korea 2022

Exposition du 5 au 27 mars 2022


SALLE DES FÊTES
1 rue Léon Gambetta - 76410 SAINT-AUBIN-LES-ELBEUF
Ouvert tous les jours de 14h à 18h

78
EXPOSITIONS

travaux croisés de graveurs coréens et français


INTERNATIONAL EXCHANGE EXHIBITION OF PRINTS

CORÉElation 5
France - Korea 2022

du 5 au 27 mars 2022
salle des fêtes
Saint-Aubin-lès-Elbeuf
1, rue Léon-Gambetta
76410, Saint-Aubin-lès-Elbeuf
Service culturel : 02 35 81 75 52
www.ville-saint-aubin-les-elbeuf.fr/Agenda.html#M
Exposition du 5 au 27 mars 2022
SALLE DES FÊTES
1 rue Léon Gambetta - 76410 SAINT-AUBIN-LES-ELBEUF
Ouvert tous les jours de 14h à 18h

CORÉElation Noh Jungsuk


Depuis maintenant quatorze ans, l’association du 17 mars au 3 avril 2022
CORÉElation, en lien avec son homologue coréen,
International Visual Culture & Arts Association, chapelle Saint-Julien
organise des manifestations en Corée du Sud et
en France afin d’échanger des connaissances dans
le domaine de la gravure. Ces échanges culturels
Kim Ikmo Le Petit-Quevilly
rue Danton, 76140 Le Petit-Quevilly
et amicaux entre artistes graveurs se présentent du 9 mars au 8 avril 2022
sous forme d’expositions, de séjours, d’ateliers
et de conférences. La Passerelle
Les derniers en date ont eu lieu à Gwangju en 2018 Mont-Saint-Aignan
et 2021, et les prochaines manifestations auront
lieu en France, en mars 2022. 2, rue du Tronquet, 761630 Mont-Saint-Aignan
culture-espe@univ-rouen.fr
Cinq expositions d’estampes originales se dérou-
leront dans la métropole rouennaise : à Saint-
Aubin-lès-Elbeuf, pour l’exposition CORÉElation 5,
qui réunira une vingtaine d’exposants graveurs
coréens et français ; à Petit-Quevilly, pour l’artiste
Noh Jungsuk ; à Mont-Saint-Aignan, pour Kim
Ikmo ; à Grand-Couronne, pour une exposition
hommage posthume au graveur Maurice Maillard,
et aux Andelys, pour une exposition parallèle Noh
Jungsuk et Pascal Girard.
Ces rencontres entre graveurs de cultures et
d’horizons différents permettent de partager
connaissances et techniques et de les communiquer
Hommage
au public. Elles développent l’intérêt pour l’art de
l’estampe. Des animations, ateliers et conférences Noh Jungsuk à Maurice
se tiendront pendant les expositions.
Les estampes coréennes de CORÉElation 5 seront Pascal Girard Maillard
présentées à Blois, Espace E. Leclerc culture
>portecôté, du 2 avril au 11 mai puis à Saint- Gravure et Contemplation du 12 mars au 10 avril 2022
Laurent-de-Trèves (Lozère), La Ronceraie, du 30 août Orangerie de
au 10 septembre.
du 2 avril au 30 octobre 2022
Pour avoir plus de renseignements Musée Nicolas-Poussin Grand-Couronne
sur ces manifestations : rue Georges-Clemenceau
facebook.com/COREElationFrance
Les Andelys 76530 Grand-Couronne
http://coreelation.blogspot.com rue Sainte-Clotilde, 27700 Les Andelys Service culturel : 02 32 11 53 55
contact@coreelation-france.com musee.nicolaspoussin@ville-andelys.fr www.grand-couronne.com

79
rue de l’hôtel des monnaies, 81 - 1060 bruxelles - 02 537 65 40 - www.lesalondart.be

Y
HAPP AR! présente
YE
NEW 年
謹賀新 lotus in mud

koyuki kazahaya
風早小雪
œuvres récentes
du 10 janvier au 5 mars 2022
¡!¡ vernissage le lundi 24 janvier de 18 à 20 h 30 ¡!¡

salon ouvert du mardi au vendredi de 14 h à 18 h 30


le samedi de 10 h à 12 h et de 14 h à 17 h 30

En raison des récentes restrictions de voyage, j’ai dû rester au Japon pendant et un soulagement différents de ceux perçus dans une forêt ordinaire. Une
environ un an. C’est la première fois que je suis restée aussi longtemps au présence sacrée, des esprits, les pensées et les sentiments des gens transmis
Japon depuis mon départ, il y a 8 ans, afin d’étudier en Belgique. Le fait d’être de génération en génération.
au Japon m’a donné un sentiment complètement différent de l’Europe. Dans Un vieux proverbe chinois dit « Lotus dans la boue ». Cela signifie que le
ma vie quotidienne, j’ai pu ressentir le changement des saisons dans les lotus peut porter de belles fleurs, tout en poussant dans la boue. Même
arbres, les fleurs, le temps, les sons et les odeurs, une sensation que j’avais si l’environnement est sale, elles restent immaculées. Le projet « Lotus
oubliée depuis un certain temps, mais que je considérais comme acquise dans la boue » porte sur le cycle de floraison du lotus qui dure quatre jours
lorsque j’étais enfant. environ, ensuite les pétales tombent et les graines sont déposées pour un
Dans mes œuvres, j’utilise le thème de la confrontation entre l’humanité nouveau départ. En regardant ce cycle de vie, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un
et la nature. Le Japon est connu pour ses catastrophes naturelles telles microcosme de la vie humaine. Les fleurs ont une signification particulière
que les typhons, les tremblements de terre et les tsunamis. Cela se produit que l’on retrouve non seulement dans l’art, mais aussi dans la littérature, les
fréquemment depuis l’Antiquité, la nature et donc l’animisme sont présents chansons et la musique. Dans différentes cultures, les gens voient parfois
dans de nombreux aspects de la culture et de la vie quotidienne, ce qui signifie un parallélisme entre leur propre vie, leur époque et la vie des fleurs. Il existe
que tout dans la nature et certains objets ont un esprit. un célèbre Waka (poème traditionnel japonais) qui dit : « Les fleurs sont
La série Spirit of the forest est basée sur le thème d’une forêt millénaire avec éphémères et tombent si vite, mais en fleurissant année après année sans
des sanctuaires que j’ai récemment visités. Beaucoup de ces sanctuaires changement, la vie humaine est plus impermanente. »
existent encore dans les montagnes et les arbres sacrés qui les protègent Par ces nouvelles œuvres, je veux créer et montrer ce que j’ai revécu de ma
sont toujours vénérés. Quand on pénètre dans ces lieux sacrés, où les gens propre culture, de mes souvenirs et émotions durant cette année contrainte
se rendent avec leurs propres pensées et souhaits, on ressent une tension au Japon. Koyuki Kazahaya
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Illustration: Thomas Perino, À travers le miroir, 2018

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