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Analyse des Risques et Prise de Décision dans la Chaîne

d'approvisionnement

La gestion de la chaîne d’approvisionnement (Supply Chain Management ou SCM) est


devenue l’une des formes organisationnelles contemporaines les plus courantes. La
mondialisation, les économies d’échelle, l’augmentation constante des risques et des coûts
liés à la logistique, sont des facteurs dont la combinaison a engendré une révolution dans le
monde des affaires comparable à la révolution industrielle qui eût lieu à l’aube du siècle
dernier. De surcroît, la croissance soutenue de nouvelles technologies a réduit les difficultés
liées aux distances géographique et à la communication interentreprises. Les niveaux de
production et l’essor du secteur des services ont ainsi forcé les entreprises à devenir
littéralement ubiquitaires pour faire face aux événements impondérables et aux nouvelles
exigences ainsi générées. C’est dans cet esprit que la gestion des entreprises s’est transformée
passant d’une « gestion de la production à une gestion des opportunités ». Les chaînes
d’approvisionnement ont ainsi évolué vers une gestion de réseaux basés sur les intérêts
mutuels des entreprises générant par là même de nouvelles opportunités. Ces dernières ont
contribué à l’essor d’un commerce mondial tout en impliquant des risques dont les
conséquences sont potentiellement négatives. Plus précisément, et dans un sens opérationnel,
une Supply Chain et son management consistent en un réseau de services (échange,
communication, distribution) et d’entités dépendantes et indépendantes, qui procurent des
matériaux, les transforment en produits intermédiaires ou finis et les distribuent. Étant donné
l’éventail des fonctions concernées, la Supply Chain est une structure organisationnelle et
opérationnelle qui rassemble des acteurs ne pouvant pas, par nature ou par intérêt économique,
remplir seuls toutes les fonctions requises. Du fait de son caractère inclusif et transversal, le
SCM est un concept unique qui se démarque des approches traditionnelles centralisées et
autoritaires. Cependant, ses répercussions demeurent encore difficiles à évaluer. Les questions
soulevées sont diverses, allant de la volatilité de la demande aux retards d’approvisionnement
de la dépendance amont/aval à la complexité organisationnelle, en passant par les
changements d’ordre technologique, etc. Autant de problématiques qu’il faut appréhender
et gérer. Récemment, ces problématiques ont suscité des besoins managériaux et stratégiques,
tels que le besoin de générer des profits tant à court terme qu’à long terme, de maintenir des
services adaptés au client final, de répondre aux réglementations et interventions
gouvernementales (aux niveaux national ou international), de maintenir une capacité à gérer
l’entreprise dans sa croissance, en termes quantitatifs et en complexité, et faire face aux
implications stratégiques d’un fonctionnement à une échelle mondiale. Ces besoins et les
risques qui leur sont associés, qui sous-tendent le SCM, constituent un moteur de
changement, menant les entreprises à se restructurer en des formes organisationnelles
épurées et complexes, au sein desquelles « ce que l’on voit est bien moins que ce que l’on a
». Par exemple, les franchises, la sous-traitance, les alliances stratégiques, la production
conjointe, la variété croissante de contrats commerciaux et opérationnels, etc. ont constitué
des moyens importants de durabilité et un moyen d’augmenter le profit tout en maintenant la
flexibilité et permettre une gestion de pléthore de risques

Le succès des « chaînes d’approvisionnement » – à savoir l’amélioration des profits et la


réduction des risques traditionnels est un fait qui rencontre aujourd’hui des risques imprévus
et des « dégâts collatéraux » (Tapiero et Grando, 2008). La poussée des Supply Chains a ainsi

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donné lieu à des organisations en tout genre en quête de valeur, entraînant un processus
d’intégration et de collaboration optimisant les activités internes et externes des entreprises
engagées dans une dynamique de création de valeur perçue supérieure (Kogan et Tapiero,
2007 ; Corbett et Tang, 1999 ; Agrawal et Sheshadri, 2000 ; Reyniers et Tapiero, 1995a ;
Reyniers et Tapiero, 1995b).

Par ailleurs, un besoin de profitabilité immédiat a mené « ces réseaux » à favoriser le court
terme plutôt qu’à préserver une vision durable (même si le terme durabilité est un terme à la
mode permettant d’exprimer les inquiétudes des managers par rapport aux performances de
leurs actions cotées sur les marchés financiers). Ce besoin, empreint d’une complexité accrue
en termes de dépendance, de synchronisation et d’intérêts divers a naturellement augmenté
d’autant les risques auxquels la supply chain et les entreprises la constituant doivent être
confrontées. C’est ainsi qu’une croissance d’organisations mondiales, toutes tournées vers le
marché, a modifié notre conception de la gestion logistique et opérationnelle. Les divers
modèles et la mesure de leurs performances deviennent effectivement plus stratégiques mais
également plus sensibles aux externalités susceptibles d’entraver leur bon fonctionnement.
Pour cette raison, en cette ère de supply chains mondiales, le SCM et les performances
associées représentent de nouveaux défis, incontournables pour les entreprises en quête de
survie ou de croissance.
Les opérations au sein de la supply chain ont cependant évolué, apportant autant de
possibilités d’optimisation que d’éléments de complexité. Un grand nombre de ces problèmes
sont encore mal compris, mal valorisés et mal évalués, et donc souvent mal gérés. Bien que
ces préoccupations puissent être prééminentes dans une gestion stratégique, elles nécessitent
une analyse complémentaire qui n’est pas toujours abordée dans un contexte opérationnel. La
gestion supply chain a donc un rôle important à remplir en attirant plus d’attention sur le
caractère particulier de la supply chain, de ses opportunités spécifiques et de ses risques.
Par exemple, la décision de délocaliser une activité de production française vers la Chine peut
s’appuyer sur le principe selon lequel la baisse des coûts et l’accroissement de flexibilité
permettront de compenser les risques inhérents à ce type de décision. Cependant, les
entreprises sont de plus en plus conscientes que les délocalisations peuvent également induire
des « dommages collatéraux » redéfinissant la « gestion des affaires », les affaires elles-
mêmes et ajouter des aléas futurs et imprévisibles, rendant l’entreprise d’autant plus
vulnérable. Par exemple, les risques politiques, les risques de taux de change, les risques
contractuels, les risques de qualité provenant de difficultés intrinsèques de contrôle d’un site
de production éloigné sont des risques nouveaux auxquels les entreprises sont confrontées et
dont elles n’ont pas toujours soupçonné l’existence et les implications.
De manière générale, le SCM repose sur une politique « d’intégration, de collaboration et de
contrôle » qui néglige les risques stratégiques, les asymétries de pouvoir et d’information. La
gestion des stocks, par l’introduction de nouvelles technologies s’appuyant sur l’EDI et les
réseaux privés virtuels (internet VPN) a, par exemple, apporté des moyens plus efficaces de
collaboration, en permettant une circulation de l’information entre les divers acteurs

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impliqués dans le processus de production. Ces technologies ont simplifié la communication
en général et la gestion des commandes en particulier. Pour autant, lorsque les agents sont
indépendants et prennent leurs décisions de manière indépendante, l’information est répartie
de manière hétérogène à travers la chaîne. Celle-ci peut ainsi générer des risques endogènes
aux conséquences inattendues (Akerlof, 1970 ; Riordan, 1984). Par exemple, les
constructeurs automobiles sur-fournissent souvent leurs distributeurs dans le but de transférer
une partie de leurs coûts de stockage et de pousser les ventes (aussi connu comme une
stratégie de VMI, Vendor Managed Inventory). Les concessionnaires en sont évidemment
conscients et par conséquent gèrent leurs commandes dans un jeu

« du chat et de la souris ». En ce sens, cela crée une incertitude mutuelle inhérente au


comportement du constructeur et du concessionnaire (Tapiero, 2000; Tapiero, 2005c; Tapiero
et Grando, 2006 pour des études techniques associées à ces risques). De manière similaire,
certains producteurs ont tendance à « surcharger » leurs rayons de supermarchés afin de
limiter l’exposition des marques concurrentes et ainsi augmenter leurs propres probabilités de
vendre. Des approches semblables sont utilisées par certaines grandes marques cherchant à
assumer un « monopole » sur certains médias. Ceci a pour effet d’accroître le besoin d’être de
plus en plus grand (par exemple Starbuck, McDonald, la grande distribution), toujours plus
étendu et toujours plus puissant. Il s’avère alors que la sagesse populaire selon laquelle
«Small is Beautiful » ou « moins vaut mieux que plus » n’est plus toujours vraie. Dans cet
esprit de confrontation entre « marketing » et production », réduire les stocks n’est pas
toujours de bon conseil! Ceci s’observe communément dans l’industrie automobile, dans
l’industrie pharmaceutique et dans la distribution, où le stock visible devient un outil de
promotion. Dans les cas cités, l’effort promotionnel sur le point de vente est associé à la taille
et à la qualité de la présentation du produit (d’où l’investissement en stock). Ce type
d’investissement se retrouve sous des formes diverses sur un large éventail de produits et de
marchés différents.
Des observations comparables peuvent être faites dans divers types de franchises où les
stocks de produits finis sont transférés aux franchisés. Par exemple, des objectifs de
commande peuvent être définis par le contrat de franchise (dont les termes peuvent être
modérés par un grand nombre de questions et de risques découlant des asymétries
d’information et de pouvoir entre le franchiseur et le franchisé). Une politique de stocks peut
alors être envisagée en fonction des objectifs et du niveau d’engagement des protagonistes.
Ces problèmes, parmi tant d’autres, soulèvent la question de la redéfinition de la gestion de la
supply chain en général, et celle de la gestion des opérations en particulier (cf. également
Tapiero, 1996 ; Tapiero, 2005a ; Tapiero, 2005b). Les questions qui suivent représentent
quelques-unes des problématiques (et leurs implications en termes de risques) qui ne
suscitaient qu’un intérêt tout relatif dans le passé, mais qui deviennent aujourd’hui
prépondérantes.

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– Quelles sont les règles du leadership ? Qui mène et qui suit ? Qui détient l’information ?
Qui détient le pouvoir et est en mesure de l’exercer, ou non ? Comment tout cela est-il réparti
dans la chaîne d’approvisionnement ? Comment les asymétries de pouvoir et d’information
sont-elles compensées afin d’assurer la durabilité d’une collaboration ? Comment contrôler
ces asymétries ?
– Quelle est la priorité opérationnelle et d’approvisionnement ? Quelles sont les garanties, les
éléments essentiels des contrats, les moyens de faire appliquer ces contrats ?

– Quels sont les systèmes d’information en place permettant une transparence et le contrôle
de la transparence et des flux d’information ? Qui reçoit quoi, quand, et de la part de qui ?
Les flux sont-ils synchronisés ? Quels sont les besoins et quels sont les délais ?
– Quels sont les objectifs de la chaîne d’approvisionnement et quels sont les objectifs de ses
membres ? S’agit-il à la fois d’objectifs déclarés ou d’objectifs latents ?
– Quels sont les principes d’équité, de distribution et de contrôle ? Les accords et les contrats
de partage et d’échange peuvent-ils vraiment être appliqués ?
– Quelles sont les variables en politique d’entreprise que chacune des parties est en mesure
d’influencer, et quelles variables peut-on contrôler ? Quelles sont les conséquences de ces
contrôles ?
– Quelles sont les sources d’incertitudes? Sont-elles provoquées en interne (endogènes) ou
proviennent-elles d’aléas externes? Ces risques sont-ils dépendants ou indépendants? Quels
sont les risques de la mondialisation, les risques politiques, les risques de taux de change, les
risques culturels ou locaux, les risques stratégiques, etc. ?
– Quelles sont les contraintes qui pèsent sur chacune des parties ? Sur les entreprises
individuellement ? Sur la chaîne d’approvisionnement dans son ensemble ?
– Quels sont les objectifs que chacune des parties optimise réellement ?
– Quels sont les modèles qu’il est pertinent d’envisager et sur quels aspects les parties de la
supply chain se sont-elles accordées (ou non) ?
– Comment ces problèmes sont-ils résolus et comment leurs risques sont-ils minimisés?
– Comment une solution jugée adéquate peut-elle être mise en place ?
– Quels sont les outils de suivi après la mise en place et quels sont les modes de résolution
des différends (économiques et autres) ?

Ces considérations de même que les risques qui en découlent sont effectivement multiples.
Quelles solutions une entreprise devrait-elle envisager pour surmonter les obstacles
rencontrés dans les marchés étrangers ? Comment une société peut-elle adopter une stratégie
centrée sur son savoir-faire tout en maintenant sa diversité et sa viabilité ? Comment une
entreprise peut-elle réduire ses points faibles en opérant seule ? Peut-elle augmenter sa part
de marché par elle-même ? Peut-elle acquérir, à un prix raisonnable, tous les brevets
nécessaires au maintien de son inventivité et de son savoir-faire en matière de technologie ?
C’est ce type de considérations que les entreprises rencontrent à des moments clés,
lorsqu’elles font face à leur future croissance ou à leur future perte. Ainsi, il existe un
sentiment croissant que le bénéfice issu des supply chains n’est pas gratuit (Aggarwal et
Shesadri, 2000) et que ses risques ne sont pas toujours définis, comptabilisés et gérés. Une
recherche sur internet avec « risques des chaînes d’approvisionnements » (mots-clés : supply
chains risks) débouche sur un grand nombre d’entretiens avec des professionnels, des articles

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académiques, et des publicités (par des sociétés de conseil) cherchant à attirer l’at-tention sur
ce que la gestion de chaînes d’approvisionnement vise à faire valoir. Par exemple, Chris D.
Mahoney (UPS, octobre 2004, www.ism.ws/Pubs/ISM-Mag/100406.cfm) indique que «
beaucoup d’entreprises ont œuvré activement à rationaliser leurs chaînes
d’approvisionnement. Elles ont construit des relations préférentielles avec des fournisseurs et
des partenaires, pour finalement se retrouver à leur merci ! Nombre d’entre elles ont obtenu le
résultat escompté : des supply chains qui fonctionnent comme des montres suisses, réduisant
les coûts tout en soutenant leur vente et leur service client. Mais il se dessine alors un effet
pervers : une vulnérabilité plus grande ! Ces risques sont aussi plus complexes, dépassant les
préoccupations opérationnelles (intra-entreprise) et externes (aléas), et ont pris de l’ampleur
du fait de l’interdépendance des acteurs qui composent les supply chains. Ceci se traduit par
la nécessité de maîtriser les interfaces externes de l’entreprise, facteurs de risques
interentreprises divers. La quête permanente d’une production efficiente, de stocks réduits,
d’une réduction du nombre de sources d’approvisionnement ou du juste-à-temps (Just in
time), parallèlement à une politique systématique de réduction des coûts a contribué à
l’apparition et à l’accroissement de ces risques. Mahoney soulève par exemple les questions
suivantes :
Si votre unité ou centre de distribution principal subissait des dommages conséquents,
combien de temps vous faudrait-il pour reprendre le dessus? Quelle part de votre stock
perdriez-vous et combien cela vous coûterait-il pour le récupérer? Si une perte de stock est
relativement considérable, dans quel délai êtes-vous en mesure d’ajuster la production et sa
planification tout en remplissant vos objectifs ? Vos fournisseurs principaux sont-ils capables
d’accélérer la cadence immédiatement? Si un produit est en recul, comment gérer sa perte?
Quelle part de revenu l’entreprise perdrait-elle si le passage de commandes et leur exécution
étaient interrompus pendant une semaine, deux semaines ou un mois? Quelles sont les
ramifications juridiques et financières du non-respect des termes d’un contrat? Comment
votre marque et votre part de marché seront-elles affectées à long terme? Quelles actions
marketing et commerciales vous faudra-t-il réaliser pour gérer les clients, récupérer du chiffre
d’affaires et reconquérir la part de marché et la clientèle perdue? Etc. C’est pour ces raisons
que nous avons besoin de plus d’analyse de risque et d’intégration au sein de la supply chain
ainsi que de plus de gestion des contraintes et des capacités individuelle et communes (c’est-
à-dire des infrastructures) du réseau qui constitue la supply chain. Cependant, la « réponse
fait toujours partie du problème » et la gestion du risque nécessite une implication plus
profonde des chefs d’entreprise, susceptible de soulever de nombreuses interrogations telles
que les suivantes (Marsh’s consulting Risk-Adjusted Supply Chain Practice) :

– Comprenons-nous entièrement les dépendances au sein de notre Supply Chain ?


– Avons-nous identifié les maillons faibles de notre supply chain ?
– Comprenons-nous le risque qui s’est construit malgré nous dans notre supply chain ?
– Avons-nous identifié les risques liés à notre supply chain que nous serions en mesure de
diminuer, éliminer ou transférer sur un autre membre de la Supply Chain ?
– L’élément de risque est-il incorporé dans la prise de décisions stratégiques ou tactiques
relatives à notre Supply Chain ?

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– Notre Supply Chain est-elle assez souple et flexible pour que nous puissions tirer avantage
à la fois des risques et des opportunités qu’elle présente ?
– Avons-nous entièrement saisi le profil de risque de l’ensemble de l’entreprise ?
– Savons-nous quels risques liés à la supply chain pourraient engendrer un événement négatif
capable de causer de sérieuses perturbations au sein de la supply chain ?
– Possédons-nous les ressources, compé-tences et outils nécessaires pour modéliser notre
supply chain, y compris les points de risque et de vulnérabilité afin de comprendre l’impact
financier que divers événements et scénarios auraient sur notre supply chain ?
– Avons-nous un référentiel (i.e., Bench-Mark) pour les activités qui constituent notre supply
chain ?
– Avons-nous identifié et effectuons-nous un suivi des indicateurs-clés de risque en relation
avec les activités en amont et en aval susceptibles de causer des perturbations dans la supply
chain ?
– Avons-nous entièrement intégré un plan des impondérables de notre activité ainsi qu’un
plan de réaction d’urgence dans les actions de gestion de notre supply chain ?
La plus grande part des risques relatifs à la chaîne d’approvisionnement est basée sur les
échanges et la dépendance entre entreprises, chacune tirant un parti dont elle doit aussi subir
le risque et le gérer (Reyniers et Tapiero, 1995 ; Tapiero, 1995a ; Tapiero, 1995b ; Tapiero,
2007a ; Tapiero, 2007b ; Corbett et Tang, 1999). De plus, la prémisse selon laquelle les
entreprises d’une chaîne d’approvisionnement collaborent n’est pas toujours entièrement
vraie ou facile à mettre en application (même si cela est déclaré très avantageux à grand
renfort de tambours et trompettes). Les accords sont parfois difficiles à faire respecter au sein
de ses propres équipes. Il s’avère donc que des entreprises qui effectuent un recentrage
stratégique de leur activité et sous-traitent, bien que cela soit justifié sur le plan économique,
doivent en supporter les « effets secondaires et tertiaires ». Pour représenter ces risques, des
systèmes de mesure sont nécessaires pour une meilleure compréhension des motivations et
des facteurs de risque lorsque les entreprises s’engagent dans des relations au sein d’une
supply chain (Beckers, 1996 ; Grando et al., 2007). Ces systèmes de mesure nécessitent une
approche très élaborée de la valorisation du risque et de son prix réel. La question est de
savoir quelle valeur les risques représentent pour les entreprises individuelles, ainsi que pour
l’ensemble de la supply chain. Comment les mécanismes du marché valorisent-ils ces risques
? C’est à travers ces valorisations que les événements peuvent être définis comme générateurs
de risques (Munier et Tapiero, 2008 ; Tapiero, 2005b). C’est pourquoi nous allons centrer
notre attention, dans la section suivante, sur la définition des risques relatifs à la chaîne
d’approvisionnement pour ensuite proposer un cadre d’analyse des risques basé sur une
philosophie en termes de « profit et non pas de regret ».

Multiplicité des risques dans les chaînes d’approvisionnement


Les risques de la chaîne d’approvisionnement peuvent être répartis en quatre catégories :
– les risques internes ou opérationnels (risques intra-entreprises)

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– les risques externes ou aléas (météo, technologie, marchés financiers, risques de nature
politique ou liés à la structure du marché).

Ces risques sont généralement mutuellement indépendants.

– les risques stratégiques endogènes (risques interentreprises, dépendance entre les


entreprises) et, en particulier, les risques issus de l’asymétrie d’information (sélection adverse
ou aléas d’ordre moral), de l’asymétrie de pouvoir, etc. Ces risques ont plus tendance à être
liés et sont donc plus difficiles à gérer.
– les risques d’externalités pour lesquels les responsables de ces risques n’en subissent pas les
conséquences et pour lesquels des principes de réglementation et de contrôle public s’avèrent
nécessaires.

Les risques opérationnels concernent les conséquences négatives, directes et indirectes


d’événements provenant de services et d’opérations, qui n’ont pas été gérés correctement ou
qui n’ont pas été prévenus afin d’éviter leurs conséquences. Dans les sup-ply chains, ces
risques peuvent dépendre à la fois du « fournisseur » et du « producteur », chacun possédant
des caractéristiques spécifiques à ses propres procédures. Par exemple, une entreprise mettant
l’accent sur des livraisons à temps (du fait d’exigences absolues de synchronisation) peut, par
ailleurs, négliger certains aspects intangibles mais coûteux.

Les risques externes ou aléas proviennent d’incidents sur lesquels les entreprises de la supply
chain ont peu de contrôle. Les marchés financiers, par exemple, ont créé d’immenses
possibilités de transfert et de valorisation du risque pour les entreprises et de ce fait une
gestion des risques financiers plus efficace. Mal utilisés, ces mécanismes deviennent
cependant des épées à double tranchant rendant certaines décisions finan-cières opaques dont
le but favorise le gain à court terme. De plus, si l’on se base sur la présomption selon laquelle
il n’y a pas de profit sans risque, les marchés financiers peuvent eux-mêmes donner lieu à des
prises de risque multiples (et irrationnelles).
« Taille et échelle » sur les marchés financiers ont également entraîné une diminution du
contrôle mettant certaines entreprises à la merci de facteurs et d’impondérables que celles-ci
ne contrôlent pas. Par ailleurs, la mondialisation a généré de nouvelles opportunités mais
aussi l’émergence de nouvelles menaces externes. Elle représente une ouverture sur des
marchés tout en créant le risque qu’une concurrence « mondiale » vienne s’installer sur nos
marchés traditionnels protégés.
Les risques stratégiques sont basés sur les conséquences de l’échange et de la collaboration.
Ils sont donc liés et surviennent lorsque les entreprises engagées dans une relation d’échange
ont des intérêts divergents. Dans un tel cas, la collaboration peut se révéler difficile. Les
asymétries de pouvoir et d’information, « une tyrannie des minorités », etc. peuvent entraîner
des situations où quelques-uns sont en mesure de menacer et de contrôler l’ensemble. Cela
peut conduire à une désintégration de la supply chain. De plus, même si les entre prises
collaborent et trouvent leur intérêt, d’un point de vue économique, une stratégie de répartition

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aléatoire suit souvent le principe d’efficacité de Pareto, d’où un risque stratégique
supplémentaire. Étant données ces circonstances, le seul fait que les entreprises s’engagent
dans une relation de collaboration au sein d’une supply chain entraîne un risque, distinct du
risque subi découlant de l’utilisation de ses moyens propres. Les risques stratégiques ne sont
donc plus seulement une conséquence d’un environnement compétitif mais le résultat de
comportements potentiellement malveillants.
Des activités basiques et traditionnelles telles que le contrôle de la qualité, la gestion des
stocks, etc. ne peuvent plus être gérées suivant une double hypothèse de neutralité vis-à-vis
du risque et d’absence de conflit, ainsi qu’elles sont enseignées à l’université puis appliquées
ensuite systématiquement en gestion industrielle. En fait il devient nécessaire d’adopter une
approche du risque stratégique et de ses implications économiques (par exemple, Ritchken et
Tapiero, 1986 ; Tapiero, 2004a ; Tapiero, 2004b ; Tapiero, 2005c; Tapiero, 2007a; Tapiero,
2007b; Kogan et Tapiero, 2007).
Le risque stratégique et découlant d’une asymétrie d’information et de pouvoir induit les
effets pervers que l’on appelle l’anti-sélection (ou sélection adverse) et l’aléa moral. Le
risque d’anti-sélection provient du fait que des biens de qualité différente peuvent être vendus
au même prix lorsque l’acheteur ne peut l’évaluer a priori. C’est par exemple le cas lorsque
l’on achète une voiture d’occasion sans connaître son véritable état mécanique. Dans ce cas,
le risque réside dans le fait de payer un prix qui peut ne pas refléter la valeur réelle de la
voiture. Lorsqu’il y a une telle asymétrie d’information, le prix de la qualité n’est pas défini
de manière unique. Le problème de l’aléa moral, quant à lui, implique une caractéristique
difficilement observable. Par exemple, le fournisseur peut utiliser cette situation à son
avantage et ne pas livrer le produit ou la qualité requise. Bien évidemment, si un contrat de
livraison stipule la livraison d’un niveau de qualité donné et que le fournisseur ne respecte
pas les termes de ce contrat en toute connaissance de cause, il s’agit de tromperie. Ces
problèmes peuvent dans certain cas être gérés par des contrôles et par des clauses incitatives,
ou par la projection d’un signal qui indique le degré d’honnêteté. Par exemple, certains
restaurants peuvent ouvrir leur cuisine à leurs clients et de ce fait promouvoir un message de
transparence et de vérité quant à la propreté de cuisine. Un fournisseur peut promouvoir et/ou
permettre à un acheteur la visite de ses usines et lui présenter toutes les procédures de
contrôle mises en place.

Les exemples de ce genre sont nombreux. Un transporteur peut négliger les biens expédiés ou
tarder à livrer une entreprise qui est otage de sa relation avec son fournisseur (contrat à long
terme). Ainsi, gérer la relation requiert de gérer le risque qu’une telle relation implique. De
manière similaire, un employé dénué de responsabilité et mal encadré peut manifester des
comportements générateurs de certains risques. C’est pour cette raison que des primes, des
indices de performance et des « responsabilités sur le terrain », voire même des incitations
positives et négatives, sont inévitables si l’on cherche à minimiser les risques d’aléas moraux.

D’une manière générale, les entreprises ont eu tendance à sous-estimer la relation, les
conflits, leur gestion et le rôle des contrôles et des mesures préventives pour améliorer les
performances de la supply chain. Pour résoudre ces problèmes, il est nécessaire d’interpréter

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les aléas et de comprendre que nos mesures et nos contrôles qui agissent sur ces aléas doivent
reconnaître leurs origines et les motifs qui les dirigent. Reyniers et Tapiero (1995a, 1995b),
Tapiero (1996, 2006) soulignent ces effets dans les relations fournisseur-producteur et dans la
conception de contrats de contrôle de la qualité.

Une externalité est la conséquence – coût ou bénéfice – qu’une transaction peut avoir sur un
tiers ne constituant pas initialement l’une des parties de la transaction dont elle est issue. Elle
peut être négative (coût) ou positive (bénéfice). Quand tous les coûts et bénéfices d’une
transaction sont internes, à savoir qu’ils concernent une ou plusieurs des parties directement
impliquées, on peut s’attendre à ce que la transaction ne soit réalisée que lorsque les
bénéfices sont supérieurs aux coûts. Considérons, par exemple, un bien provenant d’une
chaîne d’approvisionnement. Il est possible de s’accorder sur un prix si les deux parties – le
public et la supply chain – peuvent en tirer un bénéfice. Que se passe-t-il si, par la production
de ce bien, la supply chain pollue l’environnement de manière importante sans participer aux
coûts de prise en charge d’une telle pollution ? Dans ce cas, le fait qu’un produit ait été créé
et vendu ne signifie pas qu’une richesse fut créée. Afin de le savoir réellement, il faudrait
évaluer l’impact économique de cette pollution. En règle générale, le problème réside dans le
fait que les externalités génèrent une divergence entre les coûts privés et les coûts sociaux et
dans le fait que les supply chains, de par leur taille et leur puissance, entrent souvent en
concurrence avec les institutions publiques et politiques. La responsabilité des entreprises,
l’éthique, la conscience « verte » peut alors agir pour atténuer un certain nombre de risques
d’externalités.
La mesure des risques et leur analyse sont alors essentielles et devraient éclairer les
motivations et caractéristiques des supply chains et leurs priorités. Un cadre quantitatif est
aussi nécessaire pour se démarquer des approches d’analyse traditionnelles et apporter une
sensibilité plus forte aux calculs de risques (probabilités) et de leurs conséquences
financières.

Article extrait de la« Revue française de gestion »2008/6 n° 186 | pages 163 à 182
ISSN 0338-4551 ISBN 9782746222564
Auteur : Charles S. Tapiero
Sujet proposé aux étudiants en Master MF: FP Larache 2020

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