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Publications de l'École française

de Rome

Stratégie missionnaire du Saint-Siège sous Léon XIII (1878-1903)


Centralisation romaine et défis culturels
Claude Prudhomme

Résumé
Élu pape en 1878 dans un contexte de laïcisation combattive, Léon XIII ne se contente pas de poursuivre une politique de
défense religieuse mais entreprend de mobiliser les catholiques en vue de la construction d'une nouvelle chrétienté. Si les
efforts déployés pendant les vingt-cinq années de son pontificat pour imposer à l'Eglise une pensée homogène (le thomisme),
prendre en compte les changements politiques (Ralliement à la République en France) et élaborer une doctrine sociale (Rerum
novarum) sont bien connus, la dimension missionnaire n'a pas fait l'objet de travaux synthétiques. Pourtant la mission extérieure
constitue un objectif prioritaire et la congrégation De Propaganda fide (ou Propagande) occupe une place centrale dans le
gouvernement de l'Eglise, au point que son préfet est qualifié de «papa rosso» (pape rouge). Sous l'autorité d'un Souverain
pontife décidé à remplir pleinement son rôle de Vicaire du Christ, la congrégation romaine met à profit l'expansion de l'Europe
pour achever la centralisation de l'action missionnaire, déterminer les objectifs communs, uniformiser les méthodes et tolérer
parfois des ajustements en fonction des circonstances de temps et de lieux. Elle tente ainsi de répondre au défi de
l'enracinement dans des cultures non-occidentales par l'exportation d'un modèle de société chrétienne qui révèle sur le terrain
l'efficacité et les ambiguïtés de l'Idéal catholique intransigeant. Elle contribue enfin à servir les ambitions d'un pape qui rêvait de
devenir, grâce à son autorité morale et spirituelle, un médiateur universel.

Citer ce document / Cite this document :

, . Stratégie missionnaire du Saint-Siège sous Léon XIII (1878-1903) Centralisation romaine et défis culturels. Rome : École
Française de Rome, 1994. pp. 5-621. (Publications de l'École française de Rome, 186);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1994_ths_186_1

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COLLECTION DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME
186

CLAUDE PRUDHOMME

STRATÉGIE MISSIONNAIRE

DU SAINT-SIÈGE

SOUS LÉON XIII (1878-1903)

CENTRALISATION ROMAINE ET DÉFIS CULTURELS

ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME


PALAIS FARNESE
1994
- École française de Rome - 1994
ISSN 0223-5099
ISBN 2-7283-0290-1

Diffusion en France:

DIFFUSION DE BOCCARD
11 RUE DE MÉDICIS
75006 PARIS

SCUOLA TIPOGRAFICA S. ΡΙΟ Χ - VIA ETRUSCHI, 7-9 ROMA


INTRODUCTION

L'élévation de Léon XIII au pontificat le 20 février 1878


s'effectue dans un contexte particulièrement difficile pour l'Eglise
catholique. L'offensive laïcisatrice semble submerger l'Allemagne de
Bismarck, engagée dans le Kulturkampf, la France, où les républicains
sont en train de de contraindre Mac Mahon à se démettre, l'Italie, où
la question romaine dresse un mur infranchissable entre la papauté
et le nouvel Etat. Pourtant le pessimisme de la majorité des
observateurs n'est pas unanimement partagé. Tranchant avec cette vision
européocentrique d'une religion en son crépuscule, les revues
missionnaires dressent un bilan sensiblement différent. Dans leur
livraison de septembre 1878, quelques mois après l'élection pontificale,
les Annales de la Propagation de la Foi présentent à leurs 240 000
lecteurs une ample rétrospective qui met en évidence les progrès
catholiques dans le monde1.
Selon le rédacteur, la croissance est spectaculaire aux Etats-
Unis, mais les «intrépides apôtres» sont aussi présents parmi les
«peuplades qui errent au milieu des solitudes glacées», dans la mer
des Antilles ou Γ Amérique méridionale. Depuis 1822, «une légion de
nouveaux apôtres» s'élance à la conquête de l'Asie. En Chine, où
l'histoire incite à la prudence, les premiers résultats sont
encourageants. Si la Corée interdit et persécute le catholicisme, les
missionnaires ne renoncent pas à y pénétrer. L'Empire annamite, après
avoir été plus qu'aucun autre «arrosé du sang des chrétiens», justifie
un optimisme raisonnable. Désormais l'Eglise «y jouit de la paix que
les armes de la France lui ont acquise.» De même les missionnaires
peuvent à nouveau pénétrer au Japon où ils travaillent «à relever les
ruines» des missions fondées par François-Xavier. Les Indes offrent
les résultats les plus consolants, bien que le flux exceptionnel des
conversions en 1877 exige une certaine circonspection car «la
famine a jeté dans les catéchuménats une grande multitude
d'infidèles.» Les catholiques latins et orientaux de l'Asie mineure et de

1 «Etat actuel de l'Œuvre». Annales de la Propagation de la Foi, t. L (1878),


p. 320-362.
2 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

l'Europe orientale bénéficient à leur tour de la «sollicitude» de


l'Œuvre de la Propagation de la Foi et de la papauté, tandis que
l'Europe du nord protestante admet la liberté religieuse.
Si les vieilles civilisations d'Asie semblent enfin s'ouvrir aux
missionnaires, elles ne sont pas les seules à alimenter l'optimisme des
Annales. En Oceanie la résistance opposée à l'évangélisation dans les
colonies hollandaises est compensée par de nombreuses fondations
dans les colonies anglaises (Australie, Nouvelle-Zélande) et dans les
îles du Pacifique. Enfin l'Afrique, «où la ferveur primitive s'était
évanouie», paraît sur le chemin d'une nouvelle christianisation grâce à
la reprise des missions d'Algérie, d'Egypte, d'Abyssinie et aux
entreprises audacieuses lancées vers l'Afrique centrale, à partir du Caire,
de Zanzibar et des îles de l'Océan Indien.
Au-delà de ce tableau géographique consolant et idyllique se
dessine à terme une véritable mutation du catholicisme qui cesse de
s'identifier à une partie de l'Europe, à l'Amérique latine, au Canada
francophone. L'Eglise romaine poursuit en ce dernier tiers du
XIXe s. l'universalisation des implantations amorcée sous Grégoire
XVI, continuée sous Pie IX et amplifiée sous Léon XIII. Cette
expansion, lente mais indiscutable, corrige l'image d'un catholicisme sur
la défensive, à l'exemple du pape prisonnier solitaire à l'intérieur du
Vatican. Les progrès du libéralisme et du rationalisme, l'émergence
du socialisme scientifique, la sécularisation des Etats et des sociétés
constituent sans aucun doute de redoutables défis. Mais le
catholicisme ne reste pas passif devant une modernité qui s'affirme contre
lui. Sa contre-offensive revêt des formes variées. Dans les pays
germaniques et en Belgique se développent des courants réformateurs
préoccupés d'investir le champ scientifique et social. En Italie le
«mouvement catholique« entreprend la mobilisation des fidèles
menacés de marginalisation par la question romaine. La situation de la
France est caractérisée par l'ampleur du réveil missionnaire, dont le
choc révolutionnaire a été un puissant catalyseur. Ce dynamisme
s'exprime d'abord à travers les missions intérieures, puis à partir de
la décennie 1840 par le développement des missions chez les païens.
«Somme toute, la Révolution et l'Empire avaient suscité un regain
des initiatives apostoliques du peuple de Dieu et une nouvelle
popularité du Saint-Siège»2. Léon XIII ne prend pas seulement la tête
d'une Eglise romaine encerclée, mais aussi d'une communauté de
croyants mise en mouvement par les grands bouleversements du
temps. Le catholicisme est entré depuis le début du siècle dans une
phase de longue durée d'expansion géographique.

2 Jacques Gadille. «L'ultramontanisme français au XIXe s.»., p. 29, in Les ul-


INTRODUCTION 3

Plus que les modestes chiffres de conversions, comptabilisés


annuellement par les missions et soigneusement conservés par
l'administration romaine, la fondation des nouvelles stations et la
cartographie des implantations catholiques témoignent de cette
ouverture à de nouveaux mondes. La comparaison établie par l'Atlas des
Missions catholiques du R.P. Werner visualise et récapitule cette
évolution à l'intention des fidèles des vieilles chrétientés en mettant
côte à côte cartes et statistiques des missions en 1822 et 18853. Si le
poids de l'Amérique anglo-saxonne et de l'Europe du nord continue
d'être prépondérant parmi les territoires qui dépendent de la
congrégation de la Propagande, l'Asie, les îles de l'Océan Pacifique et
l'Afrique ont cessé d'être quasiment étrangères à toute présence
catholique.
Le pontificat de Léon XIII hérite ainsi d'une intense activité
missionnaire dont il convient de mieux cerner les caractères originaux
parce qu'ils déterminent pour une large part la politique et la
stratégie missionnaire du gouvernement pontifical.
La part prépondérante prise par la France dans le réveil
missionnaire est la première donnée essentielle et paradoxale. Pays de
la Révolution, réputé foyer de déchristianisation et de persécutions
dont les catholiques européens et la papauté craignent la
contamination, la France constitue pourtant le vivier dans lequel se
recrutent les missionnaires et sont puisés les fonds nécessaires aux
expéditions lointaines. Alors qu'elle reste à l'écart des grands
mouvements migratoires du siècle, elle fournit, selon les évaluations les
plus fiables, deux tiers des missionnaires masculins et une
proportion encore plus importante de religieuses. Cette étonnante
fécondité est le résultat de la restauration des anciennes sociétés
missionnaires (lazaristes, spiritains, Missions Etrangères de Paris) et des
nombreuses fondations qui se sont succédées depuis 1805. A partir
de 1840, les succès obtenus en matière de recrutement par les
sociétés missionnaires incitent de nombreux instituts à participer eux
aussi à l'apostolat outre-mer.
A l'occasion de l'Exposition universelle de 1900, le R.P. Piolet
rédige un rapport sur les Missions catholiques françaises destiné à
stimuler le zèle public ou privé4. Les chiffres de l'historien jésuite sont

tra-montains canadiens français. Etudes d'Histoire religieuse présentées en


hommage au professeur Philippe Sylvain, Montréal, Boréal Expresse, 1985, 350 p.
3 R.P. O. Werner. Atlas des Missions catholiques. Vingt cartes teintées avec
texte explicatif. Traduit de l'allemand, revu et corrigé par M. Valerien Grofßer auteur
du planisphère des croyances religieuses et des Missions chrétiennes. Lyon, Bureau
des Missions catholiques, 1886. (L'édition originale allemande a été publiée par
Herder, Friburg en Brisgau, 1885). Cf. p. 4-5.
4 J.B. Piolet s.j. Rapport sur les Missions catholiques françaises dressé au nom
du Comité d'organisation de l'Exposition des Missions. Paris, Téqui, 1900, 120p.
I I Territoires dépendant de la Propagande kS>j Territoires ne dépen
LES MISSIONS CATHOLIQUES EN 1885
INTRODUCTION

LES MISSIONS CATHOLIQUES EN 1822 ET 1885 (carte ci-contre)

Divis, Prêtres Catholiques


ecclésiast.
1822 1885 1822 1885 1822 1885

Europe 29 64 ? ? 3.941.000

Afrique
VIII. Afr. septentr. 1 6 ? 550 500.000
IX. Iles afric. de l'Atlantique 1 ? 3.000
X. Afrique occidentale 10 ? 102 22.000
XI. Afrique mérid. 5 ? 65 16.500
XII. Iles Océan indien occid. 2 5 28 140 296.000
XIII. Afrique orientale 3 ? 60
XTV. Afr. cent, dt Sahara, Zamb. 5 ? 50 22.500
XV. Egypte 2 6 ? 250 82.000
TOTAL 5 40 950.000

Asie
XVI. Arabie 1 3 500
XVII. Asie Min. Arm. Chypre 17 18 350 170.000
XVIII. Syrie et Palestine 25 27 200 368.000
XIX. Mésopotamie 21 21 200 33.000
XX. Perse 4 4 50 17.000
INDE (Padroado) 7 -
XXI. Inde sept, et Thibet 1 4 70 25.000
XXII. Inde centr. et mérid. 6 17 1000 1.369.500
XXIII. Ceylan 3 84 205.000
XXIV. Birm., Siam, Malaisie 2 5 104 50.000
XXV. Cochinchine et Cambodge 1 4 200 235.000
XXVI. Tonkin occid. et mérid. 1 2 207 228.000
Tonkin or. centr. mérid. 1 3 110 170.000
XXVII. Chine 6 33 640 500.000
XXVIII. Mongolie 3 35 14.000
XXIX. Corée 1 10 20.000
XXX. Japon 2
TOTAL 80(87) 148 3323 ? 3.477.000

Oceanie
XXXI. Oc. orient. (Indes holl.) 3 40 36.000
XXXII. Australie 16 2 350 522.000
XXXIII. Nelle Zelande 3 70 69.000
XXXIV. Oceanie centrale 4 82 46.000
XXXV. Oceanie occidentale 3 50 34.000
TOTAL 29 592 20000 707.000

Amérique 15 121 9500? 9.743.000

Récapitulation 134 402 ? 18.818.000


6 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

imprégnés d'intentions politico-patriotiques qui peuvent conduire à


émettre quelques doutes sur leur validité. La nature des sources et
l'usage incertain du qualificatif «missionnaire» incitent aussi à une
grande prudence. Les résultats des investigations du P. Piolet
donnent cependant une vue globale, sinon toujours exacte, de la
situation. Ils sont d'ailleurs corroborés par les indications que
recueille à la même date une source allemande utilisée par
l'ambassadeur de France auprès du Saint-Siège5. Ils ont servi de base pour
établir le tableau n° 1 (cf. p. 8) plus évocateur qu'un long commentaire.
Par l'antériorité des initiatives et le nombre de sujets qu'il envoie
outre-mer, le catholicisme français marque fortement de son
empreinte l'expansion missionnaire. Les trois associations les plus
actives de soutien populaire aux missions ont leur siège en France où
elles ont pris naissance. La Propagation de la Foi, avec ses deux
Conseils centraux de Lyon et de Paris, la Sainte Enfance et l'Œuvre
d'Orient fournissent une contribution indispensable au financement
des missions que la papauté serait incapable d'assurer elle-même.
En 1878 à l'avènement de Léon XIII, et encore en 1903 quand
s'achève le pontificat, le catholicisme français constitue le cœur du
dispositif.
Son apport n'est pas seulement quantitatif. Il véhicule avec lui
les grandes aspirations et les convictions forgées dans l'expérience
douloureuse de la Révolution, puis affichées au grand jour à partir
de la Restauration. Il introduit d'abord dans le discours
missionnaire un sens aigu de la vocation à l'universel. Affrontés aux idéaux
de 1789 et aux ambitions également universelles de la déclaration
des droits de l'Homme, les catholiques français aiment évoquer la
loi de l'inéluctable extension du règne de Dieu. L'Avant-Propos du
premier volume des Annales (1822) exprime admirablement, au
sortir des épreuves, la confiance dans l'avenir et la certitude que rien ne
peut durablement faire obstacle aux desseins divins :
C'est la destinée de la religion, comme de l'astre du jour, de faire
le tour du monde pour l'éclairer et le vivifier; elle visite
successivement, et non à la fois, mais dans l'ordre que son Tout-Puissant a
voulu, les régions de l'orient, du septentrion, du couchant et du midi. Sa
course lui est tracée depuis longtemps; il faut qu'elle la poursuive, et
qu'elle l'achève sans qu'aucun obstacle puisse l'arrêter jamais : le ciel
et la terre passeront avant que passe la parole de celui qui a dit : «cet

5 A.M.A.E. N.S. Saint-Siège, vol. 18, f. 36-58. Rapport établi par M. de Na-
venne et envoyé par l'ambassadeur Nisard, Rome, le 7 janvier 1901. Le conseiller
d'ambassade se réfère à M. Kannengieser. France et Allemagne. Les missions
catholiques. Cet ouvrage cite 38 congrégations masculines comptant 7400 religieux
français, prêtres et frères, dans les missions. Il dénombre par ailleurs 8500
religieuses.
INTRODUCTION 7

Evangile du Royaume sera annoncé dans toutes les parties de


l'univers habitable...»6

Ainsi l'épreuve révolutionnaire et l'expérience de la restauration


religieuse débouchent, par-delà les échecs apparents, sur une vision
optimiste de l'expansion catholique. «Lisons l'histoire des siècles :
on opprime la religion dans un lieu, elle passe dans un autre; on veut
l'étouffer, et elle s'étend; on croit qu'elle fuit, et elle ne fait que
disparaître un moment pour aller prendre possession d'une autre partie
de son héritage»7.
Cinquante après cette profession de foi, les événements
semblent donner raison au rédacteur des Annales. Cette expérience
historique des épreuves surmontées avec succès alimente toute une
spiritualité centrée sur la méditation de la croix et de la passion du
Christ, passage nécessaire à la vie éternelle. Les malheurs, voire les
échecs sont devenus la condition du progrès chrétien car le sang des
martyrs est la semence de nouvelles chrétientés. Si le séminaire des
Missions étrangères se rend célèbre par sa chapelle des martyrs,
tous les instituts baignent dans ce climat dont les dangers
n'échappent pas à plusieurs fondateurs de congrégation, soucieux de
tempérer l'ardeur ambiguë, et parfois malsaine, qui pousse certains
jeunes gens à choisir les missions lointaines. «Le désir du martyre
est bon, quand il est en nous par impression et d'une manière quasi
passive...»8. Néanmoins la littérature catholique exalte volontiers la
figure du missionnaire qui a renoncé à tout et à tous pour conquérir
les âmes. «Il se dit : et moi aussi je serai Missionnaire; j'irai
conquérir des âmes dans les pays lointains. Les obstacles et les périls ne
m'arrêteront pas; s'il le faut je mourrai pour accomplir la tâche à
laquelle je me sens appelé. Alors il quitte sa patrie, sa famille, sa vieille
mère, et, fort de l'assentiment de ceux que la Providence avait établi
ses supérieurs, fortifié par leur bénédiction, il part, pour évangéliser
ces tribus qu'il regarde comme siennes déjà, bien qu'ils ne les
connaisse pas encore»9.
La Révolution a aussi engendré une conscience aiguë des enjeux
personnels. «Je n'ai qu'une âme qu'il faut sauver»... Ayant cessé
d'être une donnée culturelle et sociale quasiment indiscutable,
l'adhésion au catholicisme implique désormais davantage un
investissement et un choix personnels. La catéchèse et la pastorale

6 Annales t. I, 1822, Avant-propos., p. (3).


7 Ibid.
8 Libermann. Cité par P. Blanchard, Le Vénérable Libermann, Paris, DDB,
1960, t. II, p. 264.
9 «Les missionnaires». Annales t. L, 1878, p. 356-357.
STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

Tableau n° 1
PRINCIPALES SOCIÉTÉS MISSIONNAIRES D'ORIGINE
OU À FORTE PARTICIPATION FRANÇAISE VERS 1900
(d'après J.B. Piolet s.j. - Rapport sur les missions catholiques françaises.
Exposition universelle de 1900).

Religieux prêtres Fond lère mission Missions Missionnaires


en 1900 (dont français)
Capucins 1209 XIIIe s. 2 160 (soit 30%)
Franciscains 1209 » 12 95 français
Dominicains 1217 » 5
Jésuites 1540 XVPs. 8 800 (21%)
Lazaristes 1625 XVIIe s. 8 360 français
Missions Etrangères de Paris 1663 XVIIe s. 31 1097 (franc.)
Spiritains 1703 XVIIIe s. 10 348 (gde maj.)
Picpus 1805 1826 (Oceanie) 3 97 franc.
Maristes 1816 1836 (Oceanie) 4 254 (maj.)
Oblats de Marie Immaculée 1816 1845 (Am. Nd) 7 509 (400)
Marianistes (Frères de Marie) 1888 (Japon) 77 (franc.)
Mi. Oblats St F. Sales (Annecy) 1833 1845 (Indes) 2 19 (franc.)
Prêtres de Ste Croix du Mans 1839 1853 (Indes) 1 16 (franc.)
Assomptionistes 1845 1865 (Orient) 195 (franc.)
Sacré-Cœur d'Issoudun 1854 1881 (Oceanie) 3 36 (franc.)
Missions Africaines de Lyon 1856 1859 (Afr. occ.) 8 105 (gde maj.)
Pères Blancs (Miss. D'Alger) 1868 8 187 (gde maj.)
Oblats St F. de Sales de Troyes 1871 1882 (Afr. mér.) 1 français
Pères de la Salette 1879 1899 (Madag.) 5 (franc.)
Trappistes 150 à 200
Total 4 100 eviron

Frères Français
Frères des Ecoles chrétiennes 1681 1817 (Bourbon) 1285
Frères Maristes 1817 1836 576
Fr. l'Instr. Chrét. (Ploërmel) 1819 1836 268
Total toutes congrégations environ 4 100

Religieuses
Filles de St Vincent de Paul 1633 Levant gde majorité
sur 265
St Joseph de Cluny 1807 1817 (Bourbon) gde majorité
sur 1400
St Paul de Chartres 1696 XVIIIe s. 350 fçses
N.D. du Bon Pasteur d'Angers 1835 54 fçses
Petites sœurs des Pauvres 1840 657 fçses
Sœurs Blanches 1869 141 fçses
N.D. des Apôtres 1876 134 fçses
Franciscaines Miss, de Marie 1877 env. 150 fçses
Total plus de 10 000
INTRODUCTION 9

mettent l'accent sur l'urgence du salut et la nécessité de choisir


immédiatement entre la voie étroite du ciel ou la voie facile de la
damnation. Simultanément l'enseignement catholique insiste sur
l'interdépendance des hommes et le commerce invisible des grâces
divines, sans distinction de classe ni de race. Le discours missionnaire
affirme sans cesse la nécessité de travailler au salut des autres pour
gagner le sien. La réciprocité des mérites permet aussi d'unir dans
un même projet les hérauts de l'Evangile, envoyés en première ligne,
et les fidèles de l'arrière. Ces derniers participent tout aussi
activement par leurs prières, leurs actions pieuses et leurs dons financiers
au progrès de la mission, selon une logique qu'illustre brillamment
l'œuvre de la Propagation de la Foi, prototype de toutes les
associations d'aide aux missions10.

Tableau n° 2
SOCIÉTÉ MISSIONNAIRES FONDÉES HORS DE FRANCE (XIXe S.)

Nom de la société Année de Lieu Recrutement


fondation

Société d'Apostolat Catholique 1835 Italie Ital., anglais,


(Pallotins) (Rome) allemands
Fils du Cœur Immaculée de 1849 Espagne Espagnols
Marie (Clarétins)
Miss. Etr. Milan (P.I.M.E.) 1850 Italie Italiens
Salésiens 1859 Italie Italiens
Cœur Imm. de Marie (Scheut) 1862 Belgique Belge, hollds
St Joseph de Mill-Hill 1866 Angleterre Roy. Uni
Fils du S. Cœur de Jésus (Vérone) 1867-85 Italie Ital., Autr.
Sém. St Pierre et Paul de Rome 1867-70 Italie Italiens
Soc. du Verbe Divin (Steyl) 1875 Pays-Bas Holl., Allemds
Miss. Trappistes de Mariannill 1882 Natal AU., Autr.
Salvatoriens (S.Div. Sauveur) 1881 Italie Allem., Italiens
St. Fr.-Xavier de Parme 1895 Italie Italiens
Missionn. de la Consolata 1901 Italie Italiens
Bénédictins de St-Ottilien Bavière Allemands

Née en France, l'onde missionnaire se propage au cours du


XIXe s. dans les pays voisins pour recruter des candidats à la
mission lointaine, réactiver l'action des anciennes congrégations
missionnaires favoriser la fondation de sociétés nouvelles en Belgique,

10 Préambule aux prières pour l'Œuvre de la propagation de la Foi


approuvées par l'archevêque de Paris en 1842.
10 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

en Hollande, en Allemagne, en Italie. Sans négliger la part


importante prise par la Belgique, le cas le plus remarquable en cette fin de
siècle, ou le plus nouveau, est celui de l'Allemagne. Tard venu dans
la compétition coloniale, l'Empire germanique a longtemps joué les
seconds rôles dans la mission extérieure. Le pontificat de Léon XIII
amorce un net changement dans le comportement des catholiques.
Certes les statistiques sont gonflées par l'intégration au Reich de ΓΑ1-
sace-Lorraine, terres traditionnellement fécondes en vocations
missionnaires. Mais depuis les années 1870 les indices d'un intérêt
accru pour l'apostolat en terre infidèle se multiplient. Les
ressortissants allemands dominent dans les missions jésuites à Bombay, au
Brésil, au Zambèze. Ils entrent nombreux à la fin du siècle dans les
congrégations qui ont en charge des territoires coloniaux allemands,
sociétés d'origine française comme les spiritains, les pères blancs,
les oblats de Marie; d'origine italienne comme les pallotins;
spécifiquement allemandes comme les bénédictins de Bavière ou
germano-hollandaise comme la société du Verbe divin (Steyl).

France Italie Belges Espagne P. Bas Irlande Gde- Allem.


Bret.

Croquis n° 1 - Comparaison de la nationalité des chefs de mission


en 1878 et 190311.

Grâce à cet élargissement du recrutement, la mission extérieure


cesse peu à peu d'être un phénomène essentiellement français,
complété par l'apport d'une minorité italienne. Cette observation
nuance notre affirmation précédente sur le poids du catholicisme
français dans le réveil missionnaire. Elle ne la contredit pas. Pour
l'heure, le rééquilibrage qui se dessine n'a pas encore modifié en
profondeur la physionomie des missions. Il suffit pour s'en
convaincre d'examiner le nombre de missionnaires sur le terrain, et

11 Cf. détail infra p. 325.


INTRODUCTION 11

encore plus clairement, car la statistique est sûre, l'origine nationale


des chefs de mission.
Les chiffres suggèrent encore que l'extension de la mobilisation
missionnaire hors de France concerne très inégalement l'ensemble
des régions catholiques de l'Europe. Le mouvement a ses bastions
bien délimités, zones de chrétientés traditionnelles (Bretagne,
Alsace-Lorraine, Lyonnais, Aveyron, Bavière, Flandres...) mais toutes
situées dans des pays mis en mouvement par la Révolution politique
ou industrielle, comme si l'environnement économique et social
stimulait l'ardeur de ces chrétientés, y compris quand elles ne
participent pas directement à la modernisation. On aura en effet constaté
dans notre enumeration la faible place de la péninsule ibérique (à
l'exception des clarétins dont la contribution missionnaire est
encore modeste), de l'Autriche, de la Pologne et plus généralement de
l'Europe centrale et méridionale. En Italie même, les créations les
plus fécondes interviennent dans le nord de la péninsule, sur l'axe de
la plaine du Pò : Turin, Milan, Parme, Vérone.
Enfin, le renouveau missionnaire apparaît partout le fruit
d'initiatives dispersées mais convergentes, au sein du clergé ou parmi les
laïcs. Parti de la base et non commandé du sommet, il aurait pu
échapper au contrôle romain et être emporté par la vague des
nationalismes. Or loin d'engendrer des mouvements centrifuges, il
participe activement à la «consolidation de la restauration
grégorienne»12. Les figures les plus eminentes, comme les missionnaires
de la base, professent une fidélité au pape insoupçonnable, à
l'exemple des vicaires apostoliques présents au concile de Vatican.
Mgr Bonjean, vicaire apostolique dans l'île de Ceylan, a prononcé un
plaidoyer en faveur de l'infaillibilté pontifical tout à fait révélateur
de leur état d'esprit13.
Expansion missionnaire et centralisation romaine se combinent
ainsi au temps de l'ultramontanisme triomphant. Grégoire XVI et
Pie IX ont eu soin, chacun à leur manière, de capitaliser ce
dynamisme pour renforcer leur autorité sur les territoires confiés à la
Propagande. Mais le concile du Vatican permet de mesurer aussi la
difficulté que rencontre le gouvernement de FEglise à prendre
véritablement en compte l'universalisation du catholicisme dans sa
manière de penser et d'agir.
Les progrès géographiques se traduisent en 1869 par la
participation d'un contingent appréciable de chefs de mission aux travaux
conciliaires. Certes leur présence ne met pas en danger la domina-

12 Selon le titre judicieux de J. Beckmann dans : H. Jedin (diretta da), Storia


della Chiesa, vol. VIII/2, p. 312 (Edit, italienne de Handbuch der
Kirchengeschichte).
13 Collectio Lacensis t. VII, p. 1352-1355.
12 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

tion de l'Europe qui envoie 548 représentants (69%) et fournit la


majorité des prélats venus des autres continents. Mais en termes de
représentation territoriale, et non de nationalité des évêques, le
changement est davantage perceptible. A côté de l'Amérique Latine (54
représentants, 8,5%), les territoires qui relèvent de la congrégation
de la Propagande font une apparition remarquée : 67 représentants
pour l'Amérique du Nord (9%); 41 pour l'Asie (5,2%); 18 pour l'Océa-
nie (2,2%); et 9 pour l'Afrique (1,1%).

REPRESENTANTS
POPULATION

Europe USA- Am. Latine Asie Afrique Oceanie


Canada

Croquis n° 2 - Concile du Vatican. Représentants (unités)


et population (millions).

La répartition par continent illustre l'universalisation de


l'implantation catholique dans le monde. Elle ne doit pas dissimuler que
le catholicisme reste fondamentalement une religion européenne ou
transportée par les européens outre-mer, à l'exception du cas très
complexe de l'Amérique latine. Comparée à la population totale, la
statistique du nombre de fidèles met en évidence que cette
émergence de nouvelles chrétientés est très relative : les deux grands
blocs formés par les continents africain et asiatique sont fortement
sous-représentés au concile, d'autant que tous les évêques
missionnaires sont européens. A l'inverse les îles d'Océanie occupent une
place de choix au regard de leur faible population.
L'arrivée des représentants des missions au concile du Vatican
INTRODUCTION 13

n'était pas une révolution14. Elle était suffisamment nouvelle pour


provoquer des réactions diverses. Les vicaires apostoliques
découvrirent, non sans amertume, que leur statut d'évêques in partibus in-
fidelium15 les maintenait vis-à-vis de leurs confrères dans une réelle
infériorité. L'idée de les inviter s'était imposée après quelques
hésitations. La convocation n'avait pas clairement fixé les droits des
chefs de mission dans les délibérations concilaires car, au regard des
canonistes, le statut des vicaires apostoliques restait incertain.
Représentants du pape, placés sous la dépendance immédiate, ad nu-
tum, ils n'étaient pas à proprement parler chefs d'une Eglise locale.
Les «libéraux» pouvaient nourrir quelques doutes sur
l'indépendance de ces hommes, réputés peu soucieux de débats théologiques,
soupçonnés d'être aux ordres de la Curie, appelés en renfort pour
faire triompher l'infaillibilité. Mgr Dupanloup notamment protesta
contre la présence de «deux-cents vicaires apostoliques»16.
Ayant cependant réussi à se faire admettre comme des
participants à part entière, il fallait encore aux prélats missionnaires se
faire entendre dans une assemblée absorbée par la question de
l'infaillibilité. La Curie romaine n'avait guère envisagé de traiter les
questions missionnaires, encore moins de les confier directement
aux principaux intéressés. Obéissant à ses anciens réflexes, aiguillo-
née par la section orientale de la Propagande nouvellement
constituée, elle avait surtout prévu de s'occuper des Eglises orientales et
des «schismatiques».
Peu à peu la dynamique des commissions préparatoires du
concile conduisit à élaborer un schéma traitant spécialement des
missions et incluant les missions chez les infidèles. Puis la présence
physique des vicaires apostoliques, les seuls à ne pas pouvoir
repartir dans leurs circonscriptions entre les sessions ou pendant l'été
romain, imposa de les prendre davantage en considération.
L'évolution s'aperçoit dans la genèse du projet de décret conciliaire
consacré aux missions apostoliques. La phase initiale des travaux de la
commision ad hoc est caractéristique de la main-mise des
fonctionnaires de la Curie sur la préparation du document. Les premières
réunions se focalisent sur les problèmes des relations avec les
chrétiens orientaux. Il faut attendre la dizième réunion (23 mars

14 Le développement qui suit est largement redevable à : Johannes.


Beckmann. «Il concilio Vaticano I e le missioni» in H. Jedin. Storia della chiesa, vol.
Vffl/2, Jaca Book, Milan, 1977, p. 337-346. Bibliographie en fin de chapitre.
Roger Aubert. Vatican I. Paris, édit. de l'Orante, 1964, 341 p. Henri Rondet s.j.
Vatican I. Le Concile de Pie IX. La préparation. Les méthodes de travail. Les schémas
restés en suspens. Paris. P. Lethiellieux, 1962, 219 p.
15 Cf. infra p. 30.
16 Roger Aubert. Vatican I. op. cit. p. 101-102. On dénombre en réalité une
centaine de vicaires apostoliques.
14 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

1869) pour que soit abordée de front la mission chez les «païens»
grâce à un exposé du secrétaire Cretoni17. Mais elle pose d'emblée
une question préalable fondamentale pour le gouvernement de
l'Eglise : le Concile est-il compétent pour traiter des missions ou est-
ce une matière appartenant toute entière au Souverain Pontife?
Selon le porte-parole de la Propagande, le pouvoir pontifical
d'envoyer des missionaires est ordinaire, «corne un attributo del
primato», contrairement à celui des évêques qui s'arrête aux limites de
leur diocèse. Le concile doit se prononcer en demeurant dans
certaines limites (juxta modum), pour respecter l'autorité supérieure de
la papauté et la subordination de l'épiscopat au Vicaire du Christ
dans l'apostolat missionnaire. Il faudra donc mentionner que les
missionnaires sont sous la dépendance immédiate du pape. Un
second argument s'appuie sur l'Histoire, non sans procéder à une
relecture très subjective, affirmant que les papes n'ont pas cessé de
déployer leur zèle pour remplir leur mandat et envoyer des
missionnaires répandre la religion et la civilisation18. En somme, et cette
attitude ne surprend pas au concile du Vatican, le vote des évêques
devrait avoir pour fonction essentielle de consolider l'autorité
pontificale et de confirmer le monopole romain sur les missions.
Les sessions ultérieures s'inscrivent dans la même logique.
L'accord s'établit finalement autour d'un texte général où la nécessité de
l'autorité de la Propagande revient à plusieurs reprises. Les
préoccupations réformatrices s'en tiennent à l'amélioration du
recrutement : sélection plus rigoureuse des candidats, formation
linguistique et théologique dont la commission constate les trop fréquentes
faiblesses, valeur morale et spirituelle. En définitive, le contenu des
débats met en évidence quelques idées-force et une tendance
spontanée à envisager les missions extérieures en termes de
fonctionnement institutionnel, d'autorité pontificale, de contrôle par la
Propagande. Le préfet Barnabò suggère même de convoquer en congresso
une fois par mois les supérieurs généraux des congrégations
auxquelles sont confiés des missions, alors que beaucoup ne résident
pas à Rome19.
Pour la même raison, le centre accepte mal que l'impulsion
vienne de l'extérieur. Mgr Simeoni constate que les missions sont en
grande partie «aux mains des français» qui fournissent les 9/10 des
sujets. Il regrette que les autres nations ne soient pas aussi
entreprenantes. Or l'explication qu'il apporte et la solution qu'il propose sont
caractéristiques de la vision romaine de la mobilisation missionnai-

17 Mansi, 49, col. 1023-1025.


18 Mansi, 49, col. 1037.
19 Ibid. col. 1039
INTRODUCTION 15

re. Il attribue la prépondérance française à la présence de nombreux


collèges missionnaires de formation, sans s'interroger sur les raisons
de cette fécondité. «Les prêtres de cette nation qui se sentent appelés
(aux mission) ont un nid».
La réforme des institutions devient la solution de tous les
problèmes. Comme la création des séminaires diocésains après le
concile de Trente, celle de «séminaires missionnaires» placés sous
l'autorité directe de Rome est supposée apporter une réponse
suffisante à la question du recutement clérical. Le rapporteur prend pour
référence le collège Urbain de la Propagande, réservé à la formation
d'un clergé autochtone d'élite. Puisqu'il n'est pas possible de lui
confier la formation des missionnaires, ce serait le dénaturer, on
imagine la fondation d'un second établissement qui, placé «à
l'ombre du Vatican», servirait de modèle et «informerait» les futurs
missionnaires selon «l'esprit romain». Dépendant de la Propagande,
«directrice suprême des missions», il en serait «son satellite»20.
La discussion aboutit finalement en novembre 1869 à la
rédaction d'un projet de schéma que la commission rejette. Il faut
attendre le 26 juin 1870 et une troisième rédaction pour que le
document soit accepté et distribué aux prélats. Il n'est pas possible de
reconstituer avec précision la genèse du texte et la part prise à sa
rédaction par la nomination tardive dans la commission de deux
vicaires apostoliques des Indes, E. Charbonneaux et J.M. Laouënan,
membres des M.E.P.21 Le contenu du schéma et quelques réactions
de l'assemblée conciliaire permettent au moins de préciser l'optique
des rédacteurs. L'impression dominante est celle d'une très grande
difficulté à sortir de considérations générales. Si le devoir
missionnaire de l'Eglise est affirmé avec force dans le document proposé, on
constate l'absence totale de débat sur les grandes questions
théologiques qui avaient agité l'Eglise du XVIe au XVIIIe s., tant en
Amérique latine (Las Casas, Vitoria) qu'en Asie (rites chinois et
malabars). Les seuls théologiens cités sont des canonistes, alors que les
documents fondateurs de la Propagande sont ignorés. Au contraire
les questions internes, en particulier l'exemption accordée aux
religieux et le droit des évêques, mobilisent les énergies. Les remarques
des Pères, envoyées à Rome par écrit car beaucoup étaient rentrés
dans leur diocèse pour l'été, se concentrent sur ces points de droit
canon, souvent pour plaider la cause des religieux, le recul de
l'exemption étant assimilé à celui de la juridiction immédiate du
pape. Seule la revendication d'un clergé indigène, égal en dignité au

20 Mansi, 49, col. 1040.


21 Mansi, 53, col. 396-397.
16 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

clergé missionnaire, tranche avec le ton général du schéma, mais


elle ne donne naissance à aucune discussion sur le fond.
Autre signe de la difficulté à intégrer les questions
missionnaires, les postulata et mémoires proposés en dehors de la
commission officielle sont rares et obtiennent un nombre limité de
signatures, à l'exception relative de celui qui préconise la reconnaissance
solennelle de l'Œuvre de la propagation de la Foi (110 pères
conciliaires, généralement français, l'approuvent22). Le postulatum rédigé
par Daniel Comboni en faveur des missions d'Afrique noire recueille
soixante-dix signatures, dont seulement quinze évêques
missionnaires23.
Les circonstances ne permettront pas de discuter publiquement
le schéma sur les missions apostoliques. Mais la conjoncture
défavorable n'est pas seule responsable de cette discrétion ou de cette
marginalisation. Si les problèmes de l'outre-mer n'ont jamais été au
centre des débats, c'est que les esprits sont accaparés par d'autres
affaires. La mission éveille la sympathie, nourrit la spiritualité
catholique, mobilise des générosités et des rêves. Elle n'est pas perçue
comme une donnée nouvelle qui impose une reflexion spécifique, y
compris dans l'épiscopat français pourtant le plus sensibilisé.
Au total, le concile du Vatican marque la resistible ascension des
missions dans les grandes orientations de l'Eglise. La suspension
prématurée des travaux et l'état de la reflexion théologique n'ont pas
permis la discussion collective d'un texte programme ambitieux et
argumenté. Aucune proposition n'est enregistrée dans la doctrine
missionnaire catholique, et les débats souffrent de la comparaison
avec les grandes controverses de l'époque moderne24.
Ma recherche s'est construite à partir de cette interrogation :
comment le système centralisé de l'Eglise catholique romaine a-t-il
progressivement pris en compte et administré une expansion
missionnaire venue des fidèles et qui demeure encore une question
périphérique au premier concile du Vatican? Le pontificat de Léon

22 Cf. l'analyse du mémoire par G. Dejaifve in Nouvelle Revue Théologique, 82


(I960), p. 785-802.
23 Pietro Chiocchetta. Il «postulatum pro Nigris Africae Centralis» al concilio
Vaticano I e i suoi precedenti storici e ideologici, Euntes docete, 13 (1969) p. 408-
447.
24 Cependant le témoignage du futur général des eudistes, Le Doré, cité par
R. Aubert, atteste une prise de conscience des représentants des missions. «Déjà
les évêques missionnaires, au nombre de plus de deux-cents, battent en brèche la
Propagande. Ils ont réclamé au concile une section spéciale pour eux; il est
probable qu'ils l'obtiendront et ils veulent introduire dans la congrégation des
consulteurs qui aient vécu dans les missions. Ils se plaignent de la direction
imprimée à la Propagande et ils s'entendent tous pour marcher unis».
INTRODUCTION 17

XIII (1878-1903) semblait s'imposer. L'impérialisme européen


connaît alors son apogée, symbolisé par le partage colonial de
l'Afrique au lendemain de la conférence de Berlin. Le catholicisme
romain, affermi en son centre, sort d'un cycle de condamnations
pour élaborer une doctrine positive et définir sa place dans le
monde. Le choix d'un pontificat dans sa totalité était par ailleurs
une condition nécessaire afin d'apprécier la cohérence d'une action,
l'influence d'un homme et la perspicacité d'une politique. Enfin un
quart de siècle constitue une durée suffisante pour observer
comment les tendances lourdes de l'évolution historique sont sensibles
aux impulsions données par les dirigeants de l'Eglise.
Mon projet initial était donc de me placer au centre du système,
pour tenter d'y découvrir la manière dont le gouvernement de
l'Eglise agit et réagit. Ce faisant, je souhaitais compléter les
approches habituelles qui privilégient un point de vue géographique
ou congréganiste. La somme des connaissances rassemblées dans
les Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria rerum25
offrait une base solide et une riche documentation. Il ne s'agissait
donc pas d'entreprendre une Histoire de la congrégation de la
Propagande, encore moins des missions, mais seulement de pénétrer au
cœur de la politique et de la stratégie pontificales. De la sorte, outre
l'Orient, j'ai écarté l'étude des néo-chrétientés d'Amérique du Nord,
d'Australie, de Nouvelle Zelande qui posent des problèmes
spécifiques, même si elles relèvent de la Propagande. Le terme de mission
est réservé ici aux territoires majoritairement «païens» ou
«infidèles», en Asie, Afrique et Oceanie. Cette option n' a pas empêché
d'élargir l'étude, chaque fois que cela était nécessaire, notamment
pour analyser le fonctionnement de l'institution romaine, ses
structures et ses hommes.
De ces ambitions se sont progressivement dégagées une
méthode et une démarche. La méthode consiste à partir
systématiquement des sources les plus proches des centres de décision romain.
J'ai donc procédé dans une première étape au dépouillement des Ac-
ta de la Propagande car elles donnent accès, mois après mois, aux
décisions prises par le conseil des cardinaux. J'ai complété cette
enquête par le dépouillement des grandes collections de décrets et
d'instructions à l'usage des missions. Inaugurées justement sous le
pontificat de Léon XIII, elles forment sous le titre abrégé de
Collectanea une source qui mériterait une exploitation d'ensemble. Puis
l'interpénétration des questions missionnaires et politiques m'a conduit

25 Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria Rerum, 350 anni al


servizio delle Missioni, 1622-1972, sous la direction de Josef Metzler. Roma,
Freiburg, Wien, Herder, 5 vol., I/l, 1/2, II, III/I, ΠΙ/2.
18 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

à poursuivre l'enquête dans les archives de la Secrétairerie d'Etat.


Faute de pouvoir procéder à une recherche méthodique, j'ai fait
appel aux archives de la congrégation des Affaires ecclésiastiques
extraordinaires qui, sur les grands dossiers, offrent le meilleur poste
d'observation politico-religieux.
Mais je ne voulais pas être prisonnier d'un point de vue
exclusivement romain. Aussi ai-je choisi de suivre, à travers quelques
études de cas, les modes de communication du centre et de la
périphérie. J'ai eu recours à un sondage dans la masse des
correspondances enregistrées sous diverses rubriques à la Propagande,
juxtaposant autant que possible les lettres expédiées, la correspondance
reçue ou les dossiers soumis pour examen aux consulteurs. Comme
les archives de la Propagande obéissent à une répartition
thématique et géographique, elles révèlent mal la position des instituts
missionnaires. J'ai tenté de la découvrir à partir de sources aussi
différentes que possibles, dans les archives de quelques sociétés
représentatives : jésuites, missions africaines de Lyon, pères blancs,
journal personnel du père Delpech, supérieur général des Missions
étrangères de Paris de 1883 à 1896. J'ai aussi bénéficié des
possibilités offertes par les archives lyonnaises de l'œuvre de la Propagation
de la Foi, intégrées aujourd'hui dans le centre de documentation des
Œuvres Pontificales Missionnaires, riche d'une importante
bibliothèque de sources imprimées. Enfin il était indispensable de
comparer le point de vue romain avec celui des Etats. L'étude des
implications des questions missionnaires sur la politique étrangère a déjà
produit en Allemagne, et à un degré moindre en Belgique et en
Italie, de nombreux travaux de grande qualité. Au contraire la
recherche historique française s'y est peu intéressée, à l'exception de la
question du protectorat français sur les missions d'Orient,
ponctuellement de Chine, ou de quelques travaux pionniers consacrés à
l'Afrique. J'ai pour ma part vérifié l'intérêt que revêtirait
l'exploitation systématique de la correspondance politique du quai d'Orsay
avec l'ambassade de France près le Saint-Siège.
Ces matériaux composites ont été progressivement organisés
autour de trois problématiques. La première vise à saisir
globalement l'activité de la Propagande au sein de la Curie. Elle privilégie le
fonctionnement de l'institution, l'étude du personnel et des
décideurs, l'articulation et l'intégration du dicastère chargé des missions
dans l'ensemble du gouvernement de l'Eglise. La seconde s'efforce
d'analyser la gestion quotidienne des missions par l'administration
romaine, de dégager la doctrine missionnaire, d'identifier les
instruments de contrôle, de mesurer l'influence du dicastère romain sur
les choix pastoraux et la diffusion des modèles ecclésiologiques. Il
convenait enfin d'évaluer la place des missions extérieures à
l'intérieur du pontificat. A partir de l'étude des encycliques de Léon XIII
INTRODUCTION 19

et de son activité diplomatique, j'ai conçu une dernière partie qui


replace les missions dans la grande politique pontificale et étudie
quelques interférences entre l'action déployée en Europe et l'action
menée outre-mer.
En résumé ce travail voudrait contribuer à l'intégration de la
dimension missionnaire comme facteur déterminant de l'évolution
des Eglises chrétiennes. Trop souvent réduite à être un appendice de
l'histoire religieuse, la diffusion du christianisme outre-mer est
pourtant au coeur des changements qui ont modelé le catholicisme
depuis le XVIe s., puis le protestantisme. La Conférence
missionnaire d'Edimbourg en 1910 n'est-elle pas capitale pour le
mouvement œcuménique protestant? Affrontées à de nouvelles sociétés, les
Eglises chrétiennes, qui ambitionnent l'universalité, rencontrent
avec l'acculturation un défi aussi redoutable que celui de la
modernité dans les sociétés industrielles. Elles ont apporté des réponses
différentes, au moins en apparence, et longtemps farouchement
concurrentes. C'est un moment privilégié et particulier de cette
histoire que j'ai tenté de comprendre. L'exploration scientifique et
systématique des archives missionnaires permettra des comparaisons,
complétera ou contredira mes interprétations et mes jugements.
Mais la mise en place d'un réseau de chercheurs venus d'horizons
nationaux de plus en plus variés laisse espérer que l'histoire
missionnaire cessera bientôt d'apparaître un genre insolite et exotique,
ou pire, le refuge d'une littérature apologétique surannée.
ABRÉVIATIONS ET SIGLES

A Archives
ACPF (ou ASCPF) Archives de la Congrégation De Propaganda Fide
Acta Acta Sacrae Congregationis De Propaganda Fide
ALOPF Archives lyonnaises de l'Œuvre de la Propagation de la Foi.
AMAE Archives du Ministère des Affaires Etrangères à Paris.
AMEP Archives du Séminaire des Missions Etrangères de Paris
Annales Annales de [l'Œuvre de] la Propagation de la Foi.
APBI Archives des Pères Blancs (Rome)
ARSI Archives de la Compagnie de Jésus (Rome)
ASMA Archives de la Société des Missions Africaines (Rome)
ASS Archives de la Secrétairerie d'Etat
ASSR Archives des Sciences Sociales des Religions
ASV Archivio Segreto Vaticano, Secrétairerie d'Etat.
BM Bibliotheca Missionum
CICM Congrégation du Cœur Immaculée de Marie ou scheutistes.
CM Congrégation de la Mission ou lazaristes.
DHGE Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques
DIP Dizionario degli Istituti di perfezione
DTC Dictionnaire de Théologie Catholique
Lettere Lettres de la Congrégation De Propaganda Fide
MC Les Missions Catholiques. Bulletin hebdomadaire illustré de
l'Œuvre de la Propagation de la Foi.
MEM Missions Etrangères de Milan
Memoria Rerum Sacrae Congregationis De Propaganda Fide Memoria Rerum
(3 volumes, 5 tomes) sous la direction de J. Metzler
NS Nuova Serie, Archives de la Congrégation De Propaganda Fide
NZM Neue Zeitschrift für Missionswissenschaft
OMI Oblats de Marie Immaculée
OP Ordre des Frères Prêcheurs ou Dominicains
RHEF Revue d'Histoire de l'Eglise de France
RHOM Revue d'Histoire d'Outre-Mer
SC Scritture riferite nei Congressi (ACPF)
SJ Société de Jésus
Sp. Congrégation du Saint-Esprit ou spiritains
V. Αρ. Vicaire Apostolique
ZMR Zeitschrift für Missionswissenschaft
PREMIÈRE PARTIE

RADIOGRAPHIE DE LA CONGRÉGATION
DE LA PROPAGANDE
CHAPITRE 1

LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT


DE L'ÉGLISE

Dans l'histoire de la Curie romaine, la création de la


congrégation de la Propagande achève le processus de centralisation
administrative qui donne à l'Eglise catholique son visage moderne. La
grande reformation du XVIe s. avait abouti sous Sixte-Quint à la
formation de nouveaux organes de gouvernement. Aux congrégations
permanentes qui existaient déjà (Inquisition, Concile, Index,
Evêques) vinrent s'ajouter en 1586 la congrégation des Réguliers et
par la bulle Immensa (1588) celles des Rites, des Etudes et des
Affaires consistoriales. Peu après apparaissent encore la congrégation
de l'Examen des évêques, de la Propagande (1622), de l'Immunité
ecclésiastique (1626), des Indulgences et des Reliques (1669). La
naissance de la Propagande intervint donc tardivement, au terme d'une
conception difficile, précédée de tentatives éphémères. Mais
l'ambition qui présidait à sa création lui conféra d'emblée une place de
choix dans le gouvernement ecclésiastique1.

1 - Le projet initial : le monopole de l'administration des pays


«hérétiques, schismatiques ou infidèles».
«La Propagande en tant qu'institution spéciale, ayant les droits
de Congrégation, est l'œuvre de Grégoire XV par diverses bulles de
1622... Son but est la propagation de la foi dans l'univers entier et
tout ce qui se rapporte à ce but; elle donne spécialement aux
missionnaires les règles pratiques qui doivent les conduire à l'évangéli-
sation des peuples infidèles. Son nom est Congregano generalis de
Propaganda Fide.
Elle est à elle seule comme un ensemble de toutes les autres
Congrégations réunies, à l'exception du Saint-Office. Elle a sous sa
juridiction des territoires bien plus considérables que ceux régis par
les autres bureaux de la Cour romaine, et tranche en souveraine

1 Cf. Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria rerum, 350 anni al


servizio delle missioni. 1622-1679. Voi. I/I, p. 79. «Foundation of the Congregation
de Propaganda Fide by Gregory XV» (Josef Metzler). Cité désormais Memoria
rerum...
26 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

toutes les questions qui s'y rapportent. Outre l'Oceanie, l'Asie et


l'Afrique, à l'exception de quelques parties, elle a toute l'Amérique du
Nord, sauf le Mexique, une partie de l'Amérique du Sud,
l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande, l'Allemagne, la Saxe, le Danemark, la
Suède et Norvège, les Balkans, la Turquie, la Grèce, la Suisse, etc.
Cette enumeration, qui est incomplète, montre l'extension de sa
juridiction et les immenses pouvoirs concentrés dans les mains du
cardinal préfet.»2.
Cette notice de Mgr Battandier, destinée à présenter la
congrégation «De Propaganda Fide» dans le premier volume de l'Annuaire
pontifical (1899) s'acorde parfaitement à l'image que donnent les
écrits ecclésiastiques et laïques de la fin du XIXe s. Tous soulignent
les prérogatives exceptionnelles accordées à la congrégation
romaine et ne reculent devant aucune métaphore pour suggérer son
importance. Une notice historique la décrit en 1875 comme «le
ministère des missions catholiques, le bureau central des affaires
religieuses pour la conversion du monde, le foyer lumineux d'où partent
tous les rayons qui mieux que le soleil physique éclairent
simultanément les deux hémisphères...»3. L'immensité du domaine
géographique placé sous la juridiction de la Propagande et l'étendue de ses
pouvoirs ont d'ailleurs conduit à qualifier son Préfet de «papa rosso»
(pape rouge). L'élection au trône pontifical du préfet de la
Propagande Bartolomeo Alberto Cappellari (Fra Mauro), devenu en 1826
Grégoire XVI, vient confirmer au XIXe s. le prestige de la
congrégation.
Il est vrai que celle-ci jouit de prérogatives extraordinaires. Les
autres dicastères n'ont, en principe, aucune compétence directe et
immédiate sur les territoires relevant de sa juridiction. Il suffit de se
reporter au classement adopté par les archives à partir de 1893 pour
prendre conscience de la diversité des affaires traitées à travers les
cent rubriques thématiques, auxquelles s'ajoutent soixante-deux
rubriques géographiques. Outre les séries concernant le personnel, les
établissements et les institutions dépendant de la Propagande, on
trouve des séries tour à tour consacrées à l'administration de tous
les sacrements, à la foi, à la liturgie, à l'impression des livres, aux
Indulgences, à la politique du Saint-Siège, à l'esclavage, aux facultés
ou aux dispenses4...

2 Annuaire Pontifical Romain, Paris, Bayard, 1899, p. 412.


3 La Propagande. Notice historique par un missionnaire. Rome, Imprimerie
polyglotte de la Propagande, 1875, 79 p. L'auteur est l'abbé F. Gennevoise dont
l'opuscule reprend pour l'essentiel les articles publiés dans les Missions
Catholiques (M. C), n° 272 à 278, 21 août au 2 octobre 1874.
4 Voir la liste complète des séries in Inventory of the Historical Archives.
Studia Urbaniana 18, Pontificia Universitas Urbaniana, Rome, 1983.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 27

Non seulement la Propagande exerce ainsi son action dans les


domaines les plus variés - elle est l'interlocuteur unique et obligé -
mais elle a parfois été amenée à agir en dehors des pays de mission.
Au XIXe s. le Saint-Siège utilise ses services pour accorder des
facultés exceptionnelles aux ordinaires de tous les pays (facultates
quinquennales). Faut-il pour autant adhérer à l'appréciation de
l'annuaire pontifical, définir la Propagande comme un concentré de
toutes les autres congrégations, voire déceler l'existence d'une
véritable «Eglise dans l'Eglise»? On pourrait alors considérer que la
réforme de la Curie par Pie X, grâce à la constitution Sapienti Consilio,
mettra fin en 1908 à un statut tout à fait privilégié.
Un rapide retour à l'histoire de la congrégation et de son
fonctionnement montre une réalité plus subtile. Depuis sa création, la
Propagande doit compter avec de nombreux acteurs qui ont le
pouvoir d'intervenir dans la vie des missions et de prendre des décisions.
Malgré les textes du XVIIe s., l'autorité de la place d'Espagne est loin
d'être illimitée, d'autant que le gouvernement de l'Eglise a déjà en
1622 une longue histoire, des traditions et des habitudes avec
lesquelles le nouvel organisme est obligé de composer.
La question de la délimitation des compétences apparaît dès la
lettre encyclique que Grégoire XV adresse le 15 janvier 1622 à tous
les nonces apostoliques pour justifier la création de la congrégation.
Dans la ligne de la Réforme entreprise depuis le Concile de Trente,
le Pontife romain souligne son double devoir pastoral, conserver la
foi parmi les fidèles et la répandre chez les païens5. Ainsi les deux
fonctions de l'Eglise dans le monde, définies conformément à
l'esprit du concile de Trente, défense de la foi par «la Sainte
Inquisition» et dilatatio regni Dei par la mission, déterminent la division du
travail apostolique. Cependant, observe l'encyclique, si la papauté a
rempli son office envers les régions catholiques par l'institution du
Saint-OfBce qui garde et consolide la vraie foi, les tentatives pour
établir à Rome «un gouvernement permanent» (perpetuo governo)
chargé d'étendre la foi dans le reste de l'univers ont échoué. La
décision de 1622 entend mettre fin à cette lacune en confiant à un
organisme unique la conversion et le soutien de tous les «acatholiques»,
qu'ils soient schismatiques, hérétiques ou infidèles. Seul le for
interne continuera de relever de la Sacrée Pénitencerie. La constitution
Inscrutabili érigeant la Propagande lui confie les pleins pouvoirs
pour le choix et l'envoi des missionnaires, l'organisation et la
surveillance de leur action :
«Afin de faciliter cette œuvre, nous voulons qu'il y ait réunion une
fois par mois, en notre présence, et deux fois chez le plus ancien des

5 Collect. I, n. 2
28 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Cardinaux susdits. Nous voulons qu'ils connaissent et traitent toutes


et chacune des affaires qui ont rapport à la diffusion de la foi dans le
monde entier. Ils en référeront à Nous pour les affaires plus graves
qu'ils auront traitées, décideront et expédieront les autres par eux-
mêmes, veilleront avec prudence sur toutes les missions pour la
prédication et l'enseignement de l'évangile et de la doctrine chrétienne. Ils
auront droit de nommer et de changer les employés nécessaires; enfin,
soit pour les choses susdites, soit pour toutes et chacune des autres
choses nécessaires et opportunes, qui même auraient besoin d'une
mention spéciale, particulière et expresse, nous accordons et
octroyons aux dits cardinaux, par la teneur des présentes et en vertu de
l'autorité apostolique la pleine, libre, et ample faculté, autorité,
pouvoir de faire, gérer, traiter, agir et exécuter.»6

Mais la création de la Propagande intervient dans un contexte


qui semble condamner le projet à rester une utopie sans efficacité.
L'activité missionnaire hors d'Europe se déploie depuis la
découverte des Nouveaux Mondes aux siècles précédents selon des
modalités qui échappent largement au contrôle de Rome. La division
géographique opérée par la Propagande dans sa troisième
congrégation générale (8 mars 1622) masque mal le décalage entre le
discours et la réalité7. La répartition de l'ensemble des terres habitées
entre les cardinaux, effectuée dans cette réunion, met
artificiellement sur le même plan toutes les régions, comme si Rome
disposait partout d'un égal pouvoir. L'énumération des territoires
attribués à chaque cardinal veut ignorer le caractère formel de ce
découpage. Ainsi la rubrique 3 rattache à l'Espagne les Indes
occidentales, les Philippines, les Moluques, les îles de «la mer
océane». La rubrique 4 joint au Portugal, le Brésil, les Indes
orientales, «et toutes les côtes de la mer océane, et les îles où touchent
les navires portugais». Or ces deux monarchies jouissent d'une
autorité complète sur leurs domaines d'outre-mer. Le nonce de
Madrid et le «collecteur» de Lisbonne, chargés par la Propagande de
ces terres, n'y disposeront en fait d'aucun pouvoir sans l'accord de
l'autorité civile... La concurrence des monarchies chrétiennes est
le premier obstacle à la réalisation des objectifs fixés à la
Propagande. Décidée à affirmer son autorité sur les missions
extérieures, la papauté doit s'engager d'abord dans une lente
reconquête des droits qu'elle a antérieurement concédés au pouvoir
politique.

6 Collect. 1907, vol. 1, n° 3.


7 A.C.P.F. Acta vol. 3 (1622-1625) f. 3-6. Reproduit dans Memoria rerum,
vol. III/2, p. 659-661.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 29

2 - Des principes à leur application sur le terrain : la Propagande face


aux prétentions des Etats.

Les accords conclus à la fin du XVe s. et au XVIe s. avec le


Portugal et l'Espagne ont abouti au système du patronat royal (real pa-
droado) par lequel la papauté a pratiquement délégué tous ses
pouvoirs aux souverains. La célèbre bulle Inter caetera du pape
Alexandre VI (3-5-1493) s'inscrit dans une logique juridique inaugurée dès
1452 lorsque Nicolas II acccorde aux souverains portugais le droit
d'occuper les terres païennes d'Afrique. Pendant plus d'un siècle se
succèdent les bulles qui confirment ou élargissent les privilèges déjà
reconnus. Finalement les rois du Portugal et d'Espagne se trouvent
dotés d'un véritable monopole religieux qui interdit tout entreprise
missionnaire sans leur accord préalable. La seule contrepartie
exigée par Rome, et susceptible de limiter ultérieurement ces droits,
réside dans l'obligation faite aux souverains de remplir effectivement
leur devoir religieux, d'assurer le culte et d'envoyer le personnel
nécessaire à la mission. Héritant de cette situation, la Propagande ne
peut pas revendiquer au XVIe s. l'Amérique latine, l'Afrique, tous les
territoires situés à l'est du cap de Bonne Espérance, y compris la
Chine et le Japon. Il suffit aux souverains ibériques d'entretenir
quelques établissements ecclésiastiques, de nommer quelques
évêques outre-mer pour qu'ils se prétendent respectueux des
engagements et refusent toute intervention effectuée sans leur
consentement. La mission y est bien subordonnée à la bonne volonté royale.
Les séquelles de cette politique sont encore sensibles au début
du XIXe s., malgré les efforts de la Propagande pour corriger les
effets pervers du système. Depuis sa fondation, la Propagande s'est
trouvée obligée de négocier sans fin pour obtenir le droit d'envoyer
des missionnaires, condamnée à trouver des compromis boiteux qui
préservent les droits acquis. Elle a dû adopter une stratégie
conciliante car la raison d'Etat pontificale dicte d'éviter les conflits avec
les souverains ibériques, ce qui entraîne une politique fluctuante et
des décisions contradictoires8.
Il est vrai que la position de la papauté est juridiquement fragile.
Elle ne peut pas contester la validité de traités qu'elle a signés en
toute liberté. Rome s'en tient donc, comme au XVIIe s., à une double
stratégie d'endiguement et de contournement des prétentions
monarchiques. A la première méthode appartiennent les interventions
pontificales posant comme condition de l'exercice du patronat l'oc-

8 Ainsi le pape Alexandre VIII érige en Chine le 10 avril 1690 les diocèses de
Pékin et de Nankin et les concède au padroado du Portugal malgré l'opposition de
la Propagande.
30 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

cupation effective des territoires et la prise en charge réelle des


intérêts spirituels, vérifiée par l'envoi de missionnaires. La seconde
orientation vise à court-circuiter la juridiction royale et s'inspire de
précédents utilisés dans les pays passés à la Réforme protestante.
Elle consiste à mettre en place une hiérarchie échappant au
patronat par la procédure de la nomination d'évêques in partions infïde-
lium, avec le titre de vicaires apostoliques. Les vicaires apostoliques
reçoivent au moment de leur nomination un double bref qui leur
assigne comme église titulaire un siège episcopal disparu et leur confie
un territoire missionnaire précis sur lequel s'applique leur
juridiction. Ils ne sont donc pas évêques résidentiels mais seulement les
représentants «à caractère episcopal» de la papauté, ce qui sauvegarde
formellement les droits du patronat. Expérimentée d'abord en Inde,
puis en Chine et en Indochine, cette solution allait connaître un très
grand développement et se généraliser dans les pays de mission,
malgré les interminables controverses qui en découlèrent avec le
Portugal.
La nomination des vicaires apostoliques est complétée dès
l'origine par l'affiliation des vicariats à un institut religieux déterminé.
Le Saint-Siège reconnaît à un institut une sorte de monopole sur le
territoire confié et choisit le vicaire apostolique au sein de l'institut.
En retour, la société de religieux s'engage à fournir les moyens
matériels et humains nécessaires à la mission. De la sorte la Propagande
peut exercer dans le vicariat un contrôle direct et entier qui exclut
toute intervention extérieure.
La stratégie de la Propagande, malgré son habileté, n'a pas
produit au XVIIe et au XVIIIe s. les fruits espérés. Il est vrai que les
causes de l'échec débordent largement le terrain du droit et de la
politique. La papauté n'avait pas eu les moyens matériels et humains
nécessaires pour mener la grande politique missionnaire dont
Francesco Ingoii, premier secrétaire (1622-1649) et véritable «inventeur»
de la Propagande, avait rêvé. Elle ne s'était pas seulement heurtée à
la mauvaise volonté des souverains mais aussi à celle des anciennes
congrégations religieuses attachées à leurs privilèges et peu pressées
de passer sous l'autorité romaine, malgré l'exemple donné par la
société de Jésus.
La réduction du patronat reste donc au XIXe s. un objectif
prioritaire de la Propagande qui continue de miser sur les moyens
expérimentés antérieurement. La papauté ne manque pas d'exploiter
l'affaiblissement du Portugal et de l'Espagne pour réduire la portée des
accords fondant le padroado. Grâce aux mouvements
d'indépendance de l'Amérique latine, l'autorité romaine commence à s'exercer
directement dans cette partie du monde par l'envoi de délégués
apostoliques et surtout la désignation de vicaires apostoliques, en
attendant la nomination d'évêques résidentiels. Pour l'Asie et l'Afrique,
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 31

Rome recourt plus que jamais à l'élection de vicaires apostoliques


dans les territoires sur lesquels le Portugal ne peut pas revendiquer
une autorité politique (Afrique centrale, Chine, Japon), ou doit
admettre la colonisation par d'autres (Inde, Cochinchine).
L'élection de Grégoire XVI marque le début d'une offensive
spectaculaire contre le patronat royal portugais et espagnol. En
Amérique latine, il procède aux nominations d'évêques résidentiels
proprio mota, malgré l'opposition de l'Espagne, brisant le rêve des
nouveaux Etats de récupérer à leur profit les droits de la couronne.
En Asie, il met le Portugal en demeure de remplir ses obligations
missionnaires sous peine de le priver de ses droits. Conscient de sa
faiblesse, le gouvernement de Lisbonne se garde bien de répondre à
ces requêtes et adopte une attitude de défense passive et silencieuse,
se retranchant derrière la lettre des traités antérieurs. Rome décide
alors d'agir unilatéralement et de mettre fin à une situation
juridique aberrante qui fait se juxtaposer en Chine trois diocèses
relevant du patronat et trois vicariats apostoliques. Grégoire XVI
nomme quatre vicaires apostoliques dans les territoires vacants
(1834-36). Le bref Multa praeclare (1838) poursuit cet effort de
limitation géographique du padroado. Sept vicariats et une préfecture
apostolique sont fondés dans l'empire du Milieu entre 1838 et 1841.
Cependant la fermeté romaine se heurte à l'intransigeance de la
couronne portugaise et de l'archevêque de Goa, Mgr Silva Torres. Privé
de moyen de réagir en Chine, le Portugal fait de la question indienne
le centre de sa résistance à la remise en cause du patronat. Son
représentant à Goa, désigné en toute validité canonique, refuse de
reconnaître les vicaires apostoliques désignés par Rome. L'Eglise
indienne est alors au bord du schisme.
Pie IX poursuit dans la voie tracée par son prédécesseur en
remplaçant les diocèses de Pékin et Nankin, sous régime de patronat,
par de simples vicariats apostoliques. Pour prévenir de nouvelles
difficultés et résoudre le conflit indien en suspens, la papauté continue
de rechercher une solution négociée avec le Portugal. Devant
l'attitude inflexible de Lisbonne et les conséquences néfastes du
«schisme goanais», la diplomatie romaine se montre alors plus
conciliante. Un nouveau concordat est établi le 21 février 1857 entre
le Portugal et la Saint-Siège après des concessions réciproques. Le
traité reconnaît le patronat portugais sur le patriarcat de Goa et sur
cinq diocèses d'Asie : Cranganore, Cochin, Mylapore, Goa et Macao.
L'accord suscite aussitôt des réactions très hostiles parmi les
vicaires apostoliques de l'Inde. Si le cas de la Chine est positivement
réglé par la limitation du diocèse de Macao à l'enclave portugaise,
les vicaires apostoliques de l'Inde ont toutes les raisons de craindre
que leur action et leur liberté ne soient constamment contrariées par
la présence sur leurs territoires de fidèles, de clercs, de paroisses se
32 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

réclamant de l'autorité des diocèses du padroado aux frontières


élastiques. Plus grave encore, les vicaires apostoliques étaient
condamnés à se retirer au fur et à mesure que les évêques du patronat
étendraient leur juridiction. Ces considérations amènent la papauté à ne
pas appliquer le Concordat de 1857, sinon pour nommer un nouvel
archevêque à Goa. L'Inde se retrouvait dans une situation
inextricable dont la Propagande essaya de sortir par la nomination de
visiteurs apotoliques. Clément Bonnand, vicaire apostolique de Pondi-
chéry, puis après sa mort, Etienne Charbonneaux, vicaire
apostolique du Mysore rédigent ainsi des rapports décisifs pour les futures
instructions romaines. Enfin, pour clarifier les incertitudes
entourant la validité des actes de l'archevêque de Goa, Pie IX rend au
patriarche (bref Ad reparanda damna, 1861) la juridiction sur les
territoires perdus en 1838. Mais il le fait en réaffirmant son autorité, au
titre d'une juridiction extraordinaire et déléguée par Rome, pas des
privilèges acquis antérieurement; et dans le même temps la papauté
poursuit la création de vicariats apostoliques sous l'autorité de la
Propagande. L'imbroglio s'est encore aggravé9...
Contrairement au patronage, la pratique du protectorat sur les
missions n'est pas le résultat d'une délégation volontaire de pouvoirs
mais elle aboutit aussi à neutraliser l'autorité de la Propagande. Elle
se présente sous la forme d'une convention par laquelle un Etat
chrétien s'engage à protéger les chrétiens et les institutions
chrétiennes dans un pays infidèle. Le fondement juridique est ici un
traité civil dont le modèle le plus connu est constitué par les
Capitulations signées entre la France et la Turquie au XVIIe s. La papauté se
trouve ainsi mise hors jeu et placée devant un fait accompli. Cette
pratique n'a pas suscité d'hostilité particulière de la part de la
Papauté car elle s'inscrit dans la tradition de l'appui apporté par le bras
séculier à l'expansion catholique. Les instituts missionnaires
recherchent d'ailleurs l'aide des gouvernements pour obtenir des
facilités de transport, des ressources, des appuis outre-mer. Ces
comportements s'inscrivent dans une longue histoire et paraissent
normaux à la Papauté comme à ses partenaires. Rome continue au
XIXe s. de solliciter les Etats chrétiens afin qu'ils assument encore
mieux leurs responsabilités en matière missionnaire. Mais la
sécularisation croissante des Etats et le triomphe du catholicisme
intransigeant rendent de plus en plus difficile l'antique collaboration du
pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.
La protection des missions extérieures revêt une importance

9 Sur toutes ces affaires voir la synthèse de Josef Metzler : Die Missionen der
Kongregation in Indien mit besonderer Berücksichtigung der Patronats Frage,
Memoria rerum III/l, p. 388-435.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 33

particulière pour la France qui fournit la plus grande partie des


missionnaires catholiques et mène parmi les grandes puissances
catholiques la politique d'expansion maritime la plus ambitieuse. Dans le
domaine colonial constitué sous l'Ancien Régime, la monarchie
avait pratiquement réussi à évincer la Propagande, puisque le roi se
réservait la désignation des chefs de mission, l'envoi des
missionnaires, l'entretien du clergé, l'interdiction des autres cultes
hérétiques, schismatiques ou païens. Rome a toléré avant la Révolution
cette situation, sans renoncer cependant à sa juridiction spirituelle
et à un droit de regard par le biais des relations entretenues entre
missionnaires et Propagande. A partir de la Restauration, la papauté
manifeste de plus en plus nettement sa volonté de contrôle direct.
En 1824, elle place sous sa dépendance la congrégation du Saint
Esprit, rétablie en 1816, à laquelle le gouvernement a confié toutes les
colonies. Elle se réserve la distribution des pouvoirs ecclésiastiques
pour les missionnaires, réunit des informations précises sur la vie
religieuse dans les colonies. Elle s'efforce de reconquérir la
nomination des préfets apostoliques, au moins pour écarter les sujets
douteux, quitte à accepter des compromis ingénieux et ambigus10. On ne
peut pas en dire autant de l'Afrique du Nord. Le différend qui
oppose Paris et Rome après la conquête de l'Algérie se dénoue le 28
juin 1838 par une bulle qui érige le siège episcopal d'Alger selon la
procédure concordataire11. Les multiples interventions romaines
attestent que la décision est acceptée faute de mieux car elle maintient
le diocèse en dehors de l'autorité de la Propagande.
Mais les prétentions françaises sur les missions catholiques ne
s'arrêtent pas aux frontières des territoires coloniaux. Elles
s'appliquent à l'ensemble des missions, au nom de ce que le quai d'Orsay
appelle «ses droits historiques» sur les missions d'Orient. Il étend la
notion d'Orient de la Terre-Sainte à la Chine, au Japon et à la Corée,
se tient informé des situations locales avec beaucoup de soin par son
réseau de consuls, donne des consignes très strictes à l'ambassadeur
auprès du Saint-Siège pour que soit respecté son rôle protecteur. Il
saisit toutes les occasions de signer de nouveaux accords avec les
Etats indépendants où s'implantent des missions. Les traités les plus
significatifs sont signés avec la Chine entre 1844 et 1860. La
convention Berthemy, par exemple, précise le 20 février 1865 que les biens
acquis par des missionnaires «français» (= porteurs de passeports
français) deviennent propriété collective de la mission catholique
pour laquelle le missionnaire agit, ce qui rendait inutile d'inscrire

10 R.P. Janin. Le clergé colonial de 1815 à 1850, Toulouse, Paris, Basuyau,


p. 50.
"Résumé du contentieux dans Memoria rerum... ΙΠ/1, p. 174-176.
34 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

dans l'acte d'acquisition les noms des missionnaires et des chrétiens.


La convention Berthemy régira désormais le statut du patrimoine
des missions en Chine. La France se conduisit dès lors en fondé de
pouvoir des missions catholiques pour la Chine, investie de la
représentation diplomatique, chargée d'assurer la sécurité des biens et
des personnes, protectrice des chrétientés devant les mandarins et
les tribunaux, y compris quand c'est possible... pour les chinois
catholiques, sujets de l'empereur.
L'idéal du protectorat guide de nombreuses autres initiatives de
la diplomatie française. Il aboutit à des conventions qui assurent
aux missionnaires catholiques le droit de pénétrer dans les îles du
Pacifique : Tahiti (1839); Hawaï (1839); Tonga (1855); Fidji (1858)...
Il est étendu à l'Afrique. La France cherche à signer un traité lui
reconnaissant le monopole de la protection des missions en Ethiopie
mais l'instabilité politique du pays l'empêche d'aboutir. Le
gouvernement devra se contenter de conventions passées avec le Dahomey
(1851) et avec le Gabon (1852).
Le protectorat doit-il être pour autant assimilé à une forme
modernisée du patronat? Ce serait oublier que la France l'avait acquis
en agissant de sa propre initiative. Si la papauté ne s'y était pas
opposée, elle n'avait pris aucun engagement écrit. Elle suit la même
ligne de conduite dans les traités passés par la Chine avec d'autres
nations catholiques qui font à leur tour inscrire des clauses
religieuses : Espagne (1864), Belgique (1865), Italie (1866). De la sorte
les puissances catholiques déploient partout une stratégie politico-
missionnaire sur laquelle le Saint-Siège ne se prononce pas
ouvertement. Un Etat aussi peu colonisateur que l'Empire d'Autriche
invoque les traités avec la Turquie de 1681, 1699 et 1718 pour
revendiquer la protection des missions catholiques en Egypte, à
Constantinople, à Jérusalem et en Albanie. Prenant prétexte que Vérone est en
territoire autrichien, et que la couronne s'était assurée la protection
des religieux et des coptes de Haute Egypte, l'Autriche se déclare
protectrice des missions fondées par Comboni12.
La situation dont hérite Léon XIII est donc très contrastée. La
juridiction sur les colonies françaises a été résolue par une solution
qui satisfait les deux parties. Les territoires hérités du premier
empire colonial (Bourbon, Antilles, Guyane) sont entrés dans le droit
commun des diocèses métropolitains13. Mais le plus important se
joue dans les nouvelles missions qui se créent le plus souvent grâce à
l'action des instituts français. La Propagande confie chaque terri-

12 D. Grange, «Religion et politique au Levant avant 1914. Le cas italien»,


s.d., dactyl.
13 Au moins provisoirement puisque Rome profitera de la séparation des
Eglises et de l'Etat pour rattacher ces diocèses à la Propagande en 1912.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 35

toire à une congrégation française, nomme elle-même les chefs de


missions, communique librement avec les missionnaires. Du coup
l'ouverture d'immenses espaces par les explorations, le commerce, la
colonisation semble préparer les voies de l'expansion catholique
sans souffrir cette fois des inconvénients nés du gallicanisme.
Ainsi il importe d'avoir présent à l'esprit que la colonisation du
monde apparaît d'abord à la Propagande comme une chance
providentielle de devenir enfin l'unique maître d'œuvre des missions.
Les puissances ibériques jouent un rôle très marginal dans
l'expansion coloniale et ne sont plus en mesure de dicter leur volonté. La
collaboration avec la France, en tant que protectrice des missions,
ne repose sur aucune convention contraignante. Enfin l'état d'esprit
des congrégations religieuses missionnaires s'est transformé. Le
modèle jésuite d'obéissance au pape triomphe, et les nouveaux instituts
illustrent dès leur naissance la rupture avec la tradition gallicane. La
Propagande dispose d'une marge de manœuvre qu'elle n'avait jamais
eue dans le passé pour imposer dans les territoires sous sa
juridiction une autorité directe, et non plus déléguée, effective, et non plus
soumise à un intermédiaire politique.
La nouvelle configuration comporte cependant des dangers que
les progrès de l'impérialisme européen dévoileront peu à peu. Le
mouvement des nationalités et la compétition entre les grandes
puissances pèsent sur les engagements gouvernementaux en faveur
des missions. Plus que jamais, l'implantation missionnaire est
conçue par les Etats comme une forme privilégiée d'expansion
culturelle. Les motivations religieuses antérieures des rois chrétiens
tendent à se dissoudre dans les considérations purement politiques
des Etats sécularisés. Dès lors chacun surveille attentivement son
voisin pour ne pas lui abandonner un avantage dans la course à
l'expansion outre-mer. La France apparaît abusivement favorisée.
Comment tolérer en pleine poussée des nationalités qu'un allemand ou
un italien demandent un passeport français en Chine sous prétexte
qu'ils sont missionnaires?

3 - Articuler mission et diplomatie : la congrégation des Affaires


ecclésiastiques extraordinaires.

Ce panorama trop rapide conduit à une première correction de


l'image d'une Propagande investie de pouvoirs extraordinaires,
jouissant d'une très grande autonomie. Le traitement de toutes les
affaires que nous venons d'évoquer engage, au-delà des missions,
toute la politique pontificale et les relations bilatérales entre le
Saint-Siège et les grandes puissances. Propagande et Secrétairerie
d'Etat sont donc simultanément impliquées dans le règlement de
beaucoup questions pour lesquelles il faut à la fois préserver les
36 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

droits acquis dans les pays catholiques, donc ne pas mécontenter


inconsidérément les gouvernements, et veiller à la défense des intérêts
missionnaires outre-mer. La réalisation de cette politique tolère une
diversité de moyens, notamment dans la manière d'obtenir l'appui
des puissances catholiques. Par sa fonction, la Propagande est plus
sensible aux modalités et aux résultats de l'action missionnaire in
situ, encline à se déterminer à partir des bénéfices retirés sur le
terrain. Au contraire, le Secrétaire d'Etat, par l'intermédiaire des
ambassadeurs et des nonces, a pour interlocuteurs habituels les
grandes puissances qui sont à la fois les Etats colonisateurs et les
pays d'origine des missionnaires et des fonds. Il doit tenir compte
des menaces qui pèsent sur les Eglises nationales à une période de
laïcisation intensive.
Il en résulte une certaine division des tâches entre la
Propagande et la Secrétairerie d'Etat au profit de cette dernière.
L'intervention de la Secrétairerie s'impose chaque fois que la politique
générale de la papauté est en jeu. Les grandes décisions se prennent
alors au Vatican, pas à la place d'Espagne, comme le démontrerait
aisément la place des questions missionnaires dans la
correspondance des nonces à Paris, Bruxelles, Munich, Madrid ou Lisbonne.
La nécessité de faire approuver par le Souverain Pontife tous les
actes importants n'est pas une simple formalité et a valeur
emblématique. La structure du gouvernement de l'Eglise conforte en effet
le rôle d'arbitre et de chef de l'exécutif, au nom et en place du pape,
y compris dans le domaine des missions, qui incombe au Secrétaire
d'Etat.
De la nécessité d'harmoniser les points de vue, d'articuler les
entreprises missionnaires et les impératifs diplomatiques, sont nées
des commissions mixtes chargées d'étudier les dossiers les plus
épineux, véritable domaine réservé soumis au secret pontifical. Depuis
1814 les questions de cette nature sont prises en charge par une
congrégation spéciale dont l'intitulé et la composition traduisent
parfaitement le rôle exceptionnel14. La congrégation des Affaires
ecclésiastiques extraordinaires (C.A.E.E.) n'a pas de préfet car elle
dépend directement du pape. Mais elle se réunit autour du Secrétaire
d'Etat. Elle a pour secrétaire un diplomate dont on peut parier, sans
risque, qu'il est appelé à exercer les plus hautes responsabilités dans
l'Eglise. De 1878 à 1903 se succèdent à ce poste : W. Czacki (1877),
Domenico Jacobini (1879), M. Rampolla (1880), Luigi Pallotti
(1882), L. Galimberti (1885), A. Agliardi (1887), D. Ferrata (1889), F.

14 L'appellation exacte au moment de sa création était «Congrégation


extraordinaire préposée aux affaires ecclésiastiques de l'univers catholique». La lettre
du cardinal Pacca, pro-secrétaire d'Etat, précisait en ces termes les buts qui lui
étaient assignés : examiner les affaires de l'univers catholique pour les étudier et
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 37

Segna (1891), F. Cavagnis (1893), P. Gaspard (1901). La nomination


d'un cardinal dans cette congrégation passe d'ailleurs dans les
milieux diplomatiques pour un indice significatif. L'ambassadeur
français de Béhaine attire en 1895 l'attention de son ministère sur la
désignation du cardinal Gotti, ancien internonce au Brésil car cette
affectation «indique que Léon XIII tient en haute estime ce nouveau
Prince de l'Eglise.»15
Contrairement aux autres congégations, celle des Affaires
ecclésiastiques extraordinaires n'a pas de compétences délimitées
nettement. Elle a pour tâche de fournir des avis sur les questions que le
pape décide de lui soumettre. Une enquête conduite dans les
archives de la Propagande et des Affaires ecclésiastiques extraordinaires
permet de repérer les principaux dossiers missionnaires traités sous
Léon XIII. La liste n'est pas exhaustive et un inventaire systématique
sera nécessaire pour l'établir avec plus de précision. Ainsi nous
n'avons pas trouvé trace aux Affaires ecclésiastiques d'un projet
d'accord entre le Saint-Siège et le Libéria, bien que le dossier figure dans
les archives de la Secrétairerie d'Etat16. Dans certains cas, les procès-
verbaux sont conservés dans les actes de la Propagande avec la
mention «Con segreto pontificio», congrégation De Propaganda Fide et
C.A.E.E. Dans d'autres cas les réunions sont tenues sous la seule
mention de la congrégation des Affaires ecclésiastiques. Ces nuances
sont cependant sans effet sur les caractéristiques essentielles : la
délibération commune d'un groupe très restreint de cardinaux, sous la
présidence du Secrétaire d'Etat, assisté du préfet de la Propagande,
avec les secrétaires des deux congrégations17.
La question qui figure le plus souvent dans les Acta de la
Propagande est celle du padroado : d'abord en Inde18, avec l'érection de la
Hiérarchie19, le problème de la juridiction sur les goanais en 188720
et 188821, les compensations en échange de l'érection des diocèses du
Malabar22; et aussi en Afrique23. La Chine est concernée par la tenta-

communiquer un avis, «de façon que Sa Sainteté puisse y répondre et les


trancher suivant les règles de la justice et de la prudence et conformément à la dignité
pontificale Cf. L. Pasztor. «La congregazione degli Affari Ecclesiastici Straordi-
nari tra il 1814 e 1850». Archivum Historiae Pontificiae, 6 (1968), p. 191-318.
15 A.N.O.M. Généralités 213 (1558). De Béhaine à Berthelot, ministre des
Affaires étrangères, Rome, 3 décembre 1895.
16A.C.P.F. Acta, 1903, f. 255-263.
17 C'est du moins ce qui est indiqué pour la réunion de 1889 (ACPF, Acta,
1889, f. 751).
1918A.C.P.F.
A.C.P.F. Acta, 1886,
1881, f. 274
202-257.
à 333 et SOCG. Indie, vol. 1013, f. 964-965.
20 A.C.P.F. Acta, 1887, f. 449-504 et 544-689.
21 A.C.P.F. Acta, 1888, f. 422-451 et 494-623.
22 A.C.P.F. Acta, 1891, f. 236-251
23 A.C.P.F. Acta, 1889, f. 751-754.
38 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

tive d'établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège


et le gouvernement de Pékin (février 1886).
Les archives de la C.A.E.E. conservent de leur côté un plus
grand nombre de dossiers et surtout de relations verbales. On y
retrouve évidemment le padroado, notamment en Afrique, avec de
laborieuses négociations (qui n'aboutissent pas) pour obtenir un
concordat réglant le statut des colonies africaines (1897-1898)24. La
France est visée par de multiples affaires, souvent mineures ou
ponctuelles : ordination des prêtres du Séminaire colonial25,
différend pour la nomination d'un vicaire apostolique26, création de
vicariats dans les colonies27. Plus graves sont les divergences provoquées
par le nouveau statut des congrégations, certaines d'entre elles
envisageant en 1903 d'obtenir la reconnaissance au titre des missions
extérieures (dominicains, capucins, franciscains), quitte à accepter des
statuts propres, au risque de relâcher, voire de couper les liens avec
leurs supérieurs28. Mais c'est encore le protectorat exercé en Orient
qui suscite le plus grand nombre d'interventions de la congrégation
des Affaires Extraordinaires pour examiner les projets
d'établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la Chine29, le
Japon30, ou la protection des missions de Corée31. L'Italie
n'entretenant pas de relations avec le Saint-Siège, il s'avère difficile de
retrouver les dossiers qui la concernent. Cependant les archives conservent
la trace d'informations touchant les missions d'Abyssinie32, ainsi
qu'un important dossier consacré à «la propaganda
politico-religiosa del Governo italiano all'estero» (session tenue le 2 avril 1903)33.
Les questions traitées par les Affaires ecclésiastiques ont donc
toutes une portée politique car elles mettent en cause les relations

24 A.C.A.E.E. Portugal, Position 449, Fascicules 304, 305, 307.


25 A.C.A.E.E. France Fase. 460 Demande des spiritains d'ordonner les clercs
du Séminaire colonial «ad titulum servitii Ecclesiae».
26 A.C.A.E.E. France, Fase. 457 : opposition de la France à la nomination de
Mgr Lavigne comme coadjuteur avec droit de succession de Mgr Cazet
(Tananarive).
27 A.C.A.E.E. France, fase. 457 Proposition du gouvernement de créer un
troisième vicariat dans le Nord de Madagascar.
28 A.C.A.E.E. France, Fase. 496, pos. 950-951. Le projet de statuts est très
inégalement développé et propose l'autorisation de congrégations portant la
dénomination Congrégation des Capucins missionnaires au Levant; Congrégation des
Franciscains; Congrégation des Missionnaires dominicains.
29 A.C.A.E.E. France, pos. 766, Fase. 404, année 1886
»A.C.A.E.E. France, pos. 760, fase. 403, 1885-1886.
31 A.C.A.E.E. France. Pos. 764, fase. 403.
32 A.C.A.E.E. Italie. Pos. 440, fase. 152. Lettre de Mgr Crouzet au Président
du Conseil du gouvernement italien, 24-9-1890.
33 A.C.A.E.E. Italie. Pos. 737, fase. 268, 1902-1903.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 39

du Saint-Siège avec le Portugal, la Chine, le Japon et la France. Mais


les réponses apportées ont des incidences évidentes sur
l'organisation, la place et la conception des missions, tant outre-mer qu'en
Europe. La qualité des cardinaux participant aux réunions de la
congrégation, dans la mesure où les procès-verbaux en gardent la
trace, vérifie cette insertion de l'action missionnaire dans la
politique globale. Ainsi pour traiter du patronat portugais en Afrique
(1889) sont réunis les cardinaux Rampolla, Simeoni, Mazzella,
V. Vannutelli; Parocchi et Ledochowski, absents, étaient également
convoqués. Deux ans plus tard les problèmes du «Malabar» sont
examinés par les cardinaux Rampolla, Simeoni, Zigliara, Serafino et
Vincenzo Vannutelli, Ledochowski. En avril 1898 le patronat
portugais en Afrique est à nouveau à l'ordre du jour et conduit à une
délibération de Rampolla, Ledochowski, V. Vannutelli, Jacobini, Stein-
huber. Le Secrétaire d'Etat et le préfet de la Propagande sont donc
entourés par leurs confrères les plus influents : théologiens comme
Mazzella, Zigliara, Steinhuber (préfet de l'Index), diplomates
comme Serafino et Vincenzo Vannutelli, tous membres très actifs de
la Propagande et (ou) d'autres dicastères. Au cœur du gouvernement
de l'Eglise, la congrégation des Affaires ecclésiastiques
extraordinaires joue ainsi un rôle essentiel pour assurer la cohérence de
l'ensemble. Instance d'arbitrage et de concertation, parfois cellule de
crise, elle accorde aux cardinaux de la Propagande une
représentation qui témoigne de l'importance reconnue à cette structure.

Tableau n° 3
CARDINAUX DE LA CURIE MEMBRES DE LA PROPAGANDE
ET DES AFFAIRES ECCLÉSIASTIQUES EXTRAORDINAIRES

1878 1887 1898


Bartolini Jacobini L. Ledochowski
Bilio Howard Mertel
De Luca Mertel Oreglia
Di Pietro Monaco Parocchi
Franchi Oreglia Steinhuber
Rampolla Parocchi Vannutelli V.
Franzelin Simeoni G.
Mertel Zigliara
Monaco
Nina
Oreglia
Panebianco
Sacconi
Simeoni G.
40 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

4 - La Propagande et les autres dicastères : centralisation et conflits


de juridiction. L'exemple du Saint-Office.

Les présentations de la Curie insistent sur un second caractère


propre à la congrégation de la Propagande : elle concentre entre ses
mains des pouvoirs habituellement répartis entre les divers
dicastères parce qu'elle est «toutes les congrégations à la fois». A travers
cette prérogative, Grégoire XV songeait probablement en priorité à
replacer sous l'autorité de la Propagande les ordres religieux qui,
profitant du pradoado, des exemptions, des facultés obtenues dans le
passé, avaient eu une fâcheuse tendance à s'émanciper. Une des
premières mesures de la nouvelle congrégation consista d'ailleurs à
exiger des supérieurs généraux qu'ils fournissent des informations
précises sur l'état de leurs missions34. Urbain VIII (1623-1644)
poursuivit cette reconquête des droits romains par la réforme du régime des
facultés. Ingoii eut à cœur de liquider des privilèges jugés abusifs et
de prévenir leur répétition en faveur des séculiers envoyés en
mission par la Propagande35. Innnocent X approuva en 1645 un décret
qui uniformisait le régime des missionnaires religieux et séculiers en
réservant l'attribution des facultés au Saint-Siège ou à l'Ordinaire du
lieu. Une ultime règle établit la suprématie de la papauté en
attribuant un territoire à un seul institut avec interdiction de s'immiscer
dans les affaires du voisin36.
Ces décisions restaient au XVIIe s. subordonnées à la capacité
de la Propagande à les appliquer. Pour l'heure les possibilités de
contrôle direct concernaient seulement les territoires
missionnaires échappant au padroado, notamment les nouvelles missions
entreprises en Asie (jésuites et Missions Etrangères de Paris) ou
en Afrique (capucins au Congo) sous la direction de la
Propagande. Mais même dans ce cas, une limite demeurait posée. La
constitution Inscrutabili précisait en effet que l'autorité la
Propagande se substituait à celles de tous les dicastères, à l'exception du

34 «Par un décret du 20 février 1623, (les cardinaux) enjoignirent les


Supérieurs généraux des Ordres missionnaires d'envoyer au moins une fois par an un
rapport sur la situation et les besoins de leurs territoires de mission. Le secrétaire
Ingoii, à qui l'on peut certainement attribuer l'initiative de toutes ces
prescriptions, était assez réaliste pour comprendre qu'ainsi seulement la nouvelle
Congrégation pourrait être efficace et et donner une aide valable... en même
temps Ingoii pensait déjà à une «Histoire de l'Eglise et des missions» qui serait
écrite à partir de sources authentiques.» (Memoria rerum, vol. 1-1, J. Metzler
p. 150).
35 Ibid. p. 112-152. Amandus Reuter. «De iuribus et officiis S.C. Propaganda
Fide...».
36 Cf. les recommandations des Instructions de 1659 chapitre 7.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 41

Saint-Office dont les droits étaient sauvegardés. Etant donné


l'importance de cette congrégation, la plus ancienne de la Curie37, il
est nécessaire de s'interroger sur les raisons et la portée de cette
restriction.
La division du monde imaginée par Grégoire XV en deux
grands blocs, l'un soumis à la Propagande, l'autre au Saint-Office
se révéla peu réaliste et fut immédiatement source de
contestations. Cette répartition géographique des attributions ne pouvait
pas convenir à une institution puissante qui avait été définie par
une fonction, la défense de la foi et des mœurs, partout où celles-
ci étaient en danger. Le Saint-Office s'éleva contre la perspective
d'être exclu des territoires missionnaires sous prétexte de
simplifier l'administration des missions. Il manifesta aussitôt son refus
de voir réduire ses compétences, et donc sa prééminence au sein
de la Curie en tant que défenseur de la foi. Le Pontife romain dut
en tenir compte et décida très vite une première limitation des
pouvoirs initialement reconnus à la Propagande en lui imposant
de demander au Saint-Office les facultés nécessaires aux
missionnaires. Puis il nomma le cardinal Barberini, son neveu, déjà
chargé du Saint-Office, préfet de la Propagande. Dès lors l'ambition du
secrétaire Ingoii de donner à la jeune congrégation une complète
autonomie par rapport aux autres dicastères, en la faisant
dépendre exclusivement du pape, était condamnée à se transformer
en de délicats compromis.
J. Metzler a parfaitement montré comment la querelle autour
des «Commissions théologiques» imaginées par Ingoii, au profit de
la Propagande, tourna à l'avantage du Saint-Office. Ingoii proposa
en vain un compromis qui aurait confié au Saint-Office les doutes
(dubbii) portant sur une question de foi et à la commission
théologique de la Propagande les questions de morale et les cas de
conscience. Un décret d'Alexandre VII mit fin à la controverse le 11
septembre 1658 :
«Sa Sainteté a ordonné à l'Assesseur de notifier au Révérend
Seigneur secrétaire de la Propagation de la foi que ce n'est plus leur rôle
de discuter les «doutes» (dubbii) qui leur parviennent. Lorsqu'on leur
en soumet, ils devront les transmettre au Saint-Office, comme de
coutume. Au cas où on aurait besoin de consulteurs spéciaux pour
certains cas, il reviendra au Saint-Office de les nommer, pour qu'ils
étudient ces questions spéciales»38.

37 Dans la mesure où on admet que la constitution Licet ab initio de Paul III


(1542) instituant le Saint-Office développe, réforme et centralise la vieille
Inquisition.
38 Memoria rerutn, 1/1, p. 195-196.
42 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Le débat était clos au profit du Saint-Office mais il avait soulevé


des questions qui restent entières à la fin de XIXe siècle. La
principale concerne la mise en place d'organismes et d'un personnel
compétents pour étudier les matières soumises à discussion,
capables de tenir compte de la spécificité missionnaire. Un
ecclésiastique romain, Don Pietro Lippa, avait suggéré dès 1648 de confier les
problèmes missionnaires à des théologiens spécialisés. Il ne fut pas
suivi39. La solution retenue fut au contraire de confier les questions
soulevées aux commissions existantes, ou de créer des commissions
composées par les théologiens déjà à l'œuvre dans la Curie. Après
avoir sauvegardé les droits du Saint-Office, puis ceux des autres
congrégations, la papauté écartait la possibilité d'une autonomie
théologique ou juridique de la Propagande. L'espace disponible pour
une «missiologie» est dès lors balisé : il ne pourra en aucun cas
concerner les questions mettant en jeu la foi et le dogme.
Pourtant les frontières ainsi tracées au XVIIe s. se révèlent à
l'usage incertaines. La définition des problèmes qui relèvent de la
compétence directe de la Propagande n'avait pas trouvé de réponse
définitive, parce qu'il ne pouvait pas y en avoir a priori. Comment
définir le moment à partir duquel une question portant sur la
traduction d'un terme religieux, la validité d'un sacrement, la moralité
d'un comportement, l'acceptation d'une coutume met en jeu le
dogme? Cette difficulté est illustrée en 1685 par le débat autour de la
liturgie chinoise. La Propagande n'osa pas autoriser cette liturgie
sans avoir obtenu l'accord du Saint-Office qui s'y était toujours
montré hostile. Une nouvelle intervention pontificale ramena le
litige devant la congrégation mais, malgré cette incitation pontificale,
le 26 novembre 1686 les pères décidèrent de confier les actes à une
congrégation particulière. La question des rites chinois ne sera
officiellement réglée qu'en 1742 par la constitution Ex quo singolari de
Benoît XIV40.
Faute de critères précis et définitifs, la Curie s'en remet au bon
sens des employés et des responsables afin d'opérer
quotidiennement le discernement entre les questions que l'on peut régler
directement et celles qui nécessitent de recourir au Saint - Office ou à la
congrégation spécialisée. L'étude des renvois effectués par la
Propagande vers d'autres congrégations éclairerait seule la manière dont
chaque dicastère de la Curie a été sollicité afin d'intervenir dans
l'activité missionnaire. Nous avons tenté de suppléer à l'absence de
travaux systématiques par l'examen des principales décisions rassem-

39 Memoria rerum, 1/1, p. 195.


40 Memoria rerum, 1/2, p. 630 donne les références de cette affaire dans les
archives de la Propagande.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 43

blées dans les Collectanea ou collections des constitutions, décrets,


induits et instructions de la Propagande.

5 - La délimitation des champs d'intervention dans la pratique.

Les Missions étrangères de Paris sont à l'origine de la première


synthèse ordonnée des actes du Saint-Siège concernant les missions
extérieures. Elles publient en 1880 une collection des principales
décisions classées thématiquement : Collectanea constitutionum, decre-
torum, indultorum ac instructionum Sanctae Sedis ad usum operario-
rum apostolicorum societatis missionum ad exteros41. L'initiative est
reprise à son compte en 1893 par la Propagande elle-même sous un
titre légèrement modifié : Collectanea S. Congregationis de
Propaganda Fide seu Decreta instructiones rescripta pro apostolicis missionibus
ex tabulano eiusdem sacrae congregationis deprompta. L'ouvrage,
imprimé par l'Imprimerie polyglotte de la Propagande à Rome, dans le
même format, avec la même présentation, rassemble 2206 décisions
regroupées sous trois titres : 1. De personis; 2. De rebus; 3. De fide et
moribus. Chaque partie est elle-rnême divisées en chapitres à
l'intérieur desquels le classement est chronologique. Une seconde édition,
entièrement refondue 9 aboutit en 1907 à la publication de deux
volumes dans lesquels le classement de 2317 décisions est fait
uniquement selon un critère chronologique.

250 ¦¦

200"

150'·

100 ¦

50"
Mil

Croquis
? VI n° 3 -? Répartition
VII parLXII
les
pondérée
Collectanea.
? Vili
des décisions
G XVI sélectionnées
PIX L XIII

41 in-4°, 760 pages à deux colonnes. Paris, Chamerot, 1880.


44 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Ces ouvrages constituent une base commode pour observer les


variations de l'activité réglementaire et les changements intervenus
dans la délimitation des compétences. Il convient cependant de
remarquer que ces collections sont des sélections. Cela n'enlève rien à
leur intérêt de notre point de vue puisqu'elles ont été constituées
sous le pontificat de Léon XIII ou peu de temps après sa mort. Si
elles ne donnent pas forcément une image exacte de l'ensemble des
instructions et décrets de la congrégation, elles permettent de
repérer les décisions jugées importantes par la Propagande elle-même
autour de 1900.
Une première indication nous est fournie par la ventilation des
textes à partir du pontificat de Pie VI (1775-1799). En prenant pour
base de calcul la durée du pontificat de Léon XIII (25 ans), et en
pondérant les comptages opérés par pontificat pour tenir compte de
leur durée très inégale, nous obtenons les résultats réunis dans le
croquis n° 3 avec les quatre dicastères le plus souvent cités.
Ces données mettent d'abord en évidence des changements
quantitatifs. La part des décrets émanant de la Propagande se réduit
progressivement relativement aux autres dicastères (sous Léon XIII,
le Saint-Office est mentionné beaucoup plus souvent que la
Propagande : 201 fois, contre seulement 61 pour la Propagande). Outre le
Saint-Office, les congrégations des Indulgences et des Rites sont les
principales bénéficiaires de l'évolution enregistrée au XIXe s. et
voient leur part augmenter également. Il est donc acquis au début
du XXe s. que les missions extérieures relèvent de toute la Curie, ce
que traduit la présence croissante des décisions venues des
différents dicastères.
Parallèlement, si l'on se place cette fois du point de vue des
destinataires, deux catégories parmi les textes sélectionnés sont en
augmentation : les actes qui ont une portée générale et universelle; les
réponses adressées à des évêchés des vieilles chrétientés. Mais les
uns et les autres sont spontanément étendus à tous les territoires
sous la juridiction de la Propagande, sans distinction. Cela explique
que la proportion de textes adressés spécialement à des chefs de
missions diminue alors que, dans le même temps, se multiplient les
préfectures et les vicariats apostoliques. On ne conçoit pas
l'existence d'une législation spécifique. La régulation de la vie de l'Eglise
catholique par son centre romain engendre une logique
d'uniformisation.
Notre documentation permet de mieux cerner la ventilation des
décisions entre les dicastères romains. Les éditions des Collectanea
de 1893 et 1907 permettent d'abord un comptage rapide des
interventions de chaque dicastère sur un thème donné, d'où se dégagent
les tendances lourdes. Elles peuvent ensuite servir à affiner l'analyse
pour rechercher avec plus de précision dans une rubrique donnée si
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 45

les décisions sont prises par la même congrégation entre 1622 et le


pontificat de Léon XIII.
Examinons en premier lieu la répartition des actes selon les
distinctions adoptées par les Collectanea en 1893. Le tableau ci-dessous
correspond aux actes qui concernent les chefs de mission (chap. IV)
et les missionnaires (chap. X) à l'intérieur de la première partie.

Pars I. Des personnes.


Chapitre 4 : Des Evêques et Vicaires Apostoliques
art. 1. De l'élection des Evêques : 8 actes, tous de la SCPF
art. 2. De la juridiction des Evêques et Vicaires apostoliques
26 actes de la SCPF
6 » » C. du Concile
1 » » C. des Ev. et Religieux
art. 3. Des devoirs des Evêques et V. Apostoliques
31 actes SCPF
1 » C. du Concile
1 » C. des Rites
1 » C. Des Ev. et rei.
art. 4. Des honneurs et privilèges
12 actes SCPF
7 » Rites
2 » Concile
art. 5. Des facultés concédées aux Ev. et V. Apostoliques.
13 actes SCPF
4 » Saint-Office

Pars I. Chapitres X. Des missionnaires apostoliques


art. 1. Sur le titre et les facultés des missionnaires.
31 actes de la SCPF
1 Saint-Office
art. 2. Des qualités et des devoirs des missionnaires apostoliques.
36 actes de la SCPF
2 Saint-Office
art. 3. de l'interdiction de faire du commerce ou exercer la médecine
3 actes pontificaux (1633, 1669, 1759)
13 actes SCPF
5 Saint-Office
1 Concile

Avec cette section consacrée au personnel missionnaire, nous


sommes manifestement dans un domaine où la Propagande légifère
46 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

à peu près souverainement, dans les pays «païens» comme dans les
zones à majorité protestante. Elle envoie des instructions détaillées
à l'épiscopat des Etats-Unis sur la procédure à suivre avec le clergé
dans les causes criminelles et disciplinaires : n° 75, 1878; n° 78,
1883. Elle rappelle fermement en 1845 l'obligation de former un
clergé indigène au moment où le débat se développe en Asie sur ce point
(Instruction Neminem profecto, n° 228, 1845). Le chapitre VIII
consacré au clergé (SCPF : 22 actes sur 27), le chapitre IX (Préfets
de missions : 16 actes sur 18), le chapitre X (Collèges et Séminaires)
confirment ce quasi monopole de la Propagande. La place
d'Espagne exerce une autorité très étendue sur les chefs de mission et les
missionnaires, ieurs pouvoirs, leurs devoirs. Elle donne ses
instructions et attend des comptes réguliers sous forme de rapports établis
à partir de questionnaires détaillés (n° 104, 1861; n° 109, 1877).
Il faut cependant noter que l'intervention du pape a été jugée
nécessaire à plusieurs reprises : pour déterminer les droits et devoirs
des vicaires apostoliques (n° 54 : Clément IX, 1669); pour obliger les
évêques réguliers à résider (n° 84 : Alexandre VII, 1662); pour
interdire toute activité commerciale au Japon et aux Indes orientales,
sous peine d'excommunication Iatae sententiae (n° 333, Const. Ex
debito d'Urbain VIII); interdiction répétée et étendue à toutes les
missions par Clément IX (n° 339) et Clément XIII (n° 340).
Il y a donc une limite par le haut à l'autorité du dicastère et un
domaine réservé au Pape. Le Saint- Office, les congrégation du
Concile et des Rites sont également citées dans cette section. Mais
les décisions de ces deux dernières n'ont pas de caractère
spécifiquement missionnaire. Celles du Concile sont généralement précédées
de la mention ad omnes episcopi. Elles visent plutôt des Eglises déjà
solidement établies en Amérique du Nord et en Europe, dans
lesquelles éclatent des conflits entre évêques et clergé diocésain,
obligeant à préciser la juridiction des premiers sur les seconds. Les Rites
rendent des avis avant tout «techniques», nécessitant une parfaite
connaissance des usages liturgiques. On précise par exemple qu'il
faut citer le nom de l'évêque ou du vicaire apostolique au canon de
la messe à partir de la prise de possession du siège et non de la
nouvelle de sa désignation (n° 135, 1879); ou que l'évêque et le vicaire
apostolique peuvent céder le trône episcopal au délégué apostolique
mais n'y sont pas obligés n° 136, 1880)... Ces deux décrets, sympto-
matiques du souci de tout réglementer, ont cependant disparu de
l'édition de 1907.
Plus significatifs sont les recours au Saint-Office. La ligne de
partage des compétences apparaît ici imprécise sur la question des
facultés d'où avait surgi le premier conflit de compétence. Quatre
interventions concernent les facultés accordées aux chefs de mission
émanent du Saint-Office, soit pour les limiter, dans le temps (n° 144,
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 47

1749), ou dans leur extension (n° 147, 1781), soit pour préciser le
sens des formules employées (n° 156, 1865; n° 158, 1877; n° 291,
1874). Mais dans d'autres cas la Propagande tranche de son propre
chef (par exemple n° 149 à 154). Autre exemple d'hésitation,
l'interdiction de commerce faite aux missions est examinée en fonction
des situations concrètes exposées par les vicaires apostoliques. La
solution est donnée alternativement par l'une ou l'autre
congrégation : le Saint-Office en 1777 (n° 341), 1782 (n° 342) ou 1851 (n° 347);
la Propagande en 1665 (n° 335 et 336), 1834, 1837, 1841, 1849 (n° 343
à 346).
Le point essentiel réside ici dans l'importance grandissante du
Saint-Office. En 1851 il répond à une demande du vicaire
apostolique de Corée en renvoyant à un décret antérieur... de la
Propagande (n° 348)42. Mais la «suprême et universelle Inquisition»
couvre désormais de son autorité la solution apportée, parce que
son approbation devient nécessaire pour confirmer et garantir une
instruction de la Propagande touchant à un point aussi sensible et
disputé que l'interdiction de commercer faite aux missionnaires. En
1862 (n° 350) et 1873 (n° 351), deux lettres de la Propagande, la
première adressée au vicaire apostolique de Lhassa, la seconde de
portée générale, se contentent de répercuter les décisions du Saint-
Office et de la Papauté. Le centre de gravité semble bien s'être
déplacé au profit du dicastère qui dit l'orthodoxie dogmatique et morale,
réduisant de ce fait les prérogatives anciennes de la Propagande.
Plus étonnants sont les avis donnés quelquefois par le Saint-
Office à propos de situations qui relèvent spécifiquement d'un
contexte missionnaire. C'est lui qui répond le 20 juin 1866 à Mgr
Massaja, vicaire apostolique des Gallas (Abyssinie), sur l'attitude à
tenir à l'égard de la «caste» des Mangio, victime d'une antique
ségrégation sociale. Après avoir expliqué qu'un missionnaire aperçu en
conversation avec les ressortissants de ce groupe est aussitôt mis en
quarantaine par le reste de la population, le missionnaire capucin
demande si les conséquences néfastes pour l'apostolat des autres
«castes« justifient de renoncer à instruire les «Mangio», notamment
de leur refuser le missionnaire qu'ils demandent. La réponse du
Saint-Office est l'occasion d'un long développement, appuyé sur une
réflexion théologique. Elle rappelle l'universalité du salut et le devoir
pour l'Eglise d'imiter Jésus Christ qui n'a exclu personne, vient évan-
géliser les pauvres, ne craint pas de manger avec les publicains et les

42 Coll. 1893, n° 348 : S.C.S. Officii 12 febr. 1851 - (Vie. Ap. Corae). -
Impossibile est habere in Corse viaticum nostrum totum in solidum : liceat illud mutare
in merces, sive lucrum sit, sive iactura.
R. Detur decretum 13 Augusti 1834 S.C. de Prop. Fide.
48 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

pécheurs au grand scandale des pharisiens43. La délibération conclut


que le missionnaire ne doit faire aucune concession à une
discrimination d'origine superstitieuse, habitude qu'elle met sur le compte
des traditions locales, étiquetées «probablement juives»... parce
qu'il s'agit de l'Abyssinie, mythique royaume de Saba.
Cette intervention du Saint-Office est d'autant plus remarquable
qu'elle s'inscrit dans une instruction beaucoup plus longue (25
colonnes) dont les Collectanea de 1907 donnent l'intégralité. Sous
prétexte d'éclairer quelques doutes, la congrégation n'est pas loin
d'exposer un véritable directoire pour la mission chez les païens44. Elle
aborde successivement la conversion des polygames, le mariage des
jeunes filles avec des infidèles sans qu'elles soient consultées, le
baptême des enfants d'infidèles ou de polygames, l'achat et la vente
d'esclaves, le maintien en esclavage, divers rites et usages superstitieux,
l'administration du baptême et de la confirmation sous condition.
Cette seule enumeration atteste qu'à cette date au moins (pontificat
de Pie IX), le Saint-Office intervient dans le concret de la pastorale
missionnaire.
La deuxième partie des Collectanea de 1893 est consacrée aux
sacrements. La lecture des textes portant sur le baptême, l'eucharistie
et le mariage montre d'emblée que les décrets du Saint-Office
occupent la première place, notamment chaque fois qu'il faut
apprécier la validité du sacrement. Ainsi, pour le baptême, les doutes
exposés sont répertoriés selon les catégories scolastiques. Ils reçoivent
du Saint-Office des réponses inégalement contraignantes selon qu'il
s'agit de la matière employée, c'est-à-dire la nature de l'eau (n° 517,
22 juin 1883); de la forme, plus particulièrement la formule
prononcée (n° 531, 3 août 1889); du sujet baptisé, ses dispositions et les
risques ultérieurs d'infidélité (n° 592, 1867). Durant la même année
1879, le vicaire apostolique de Cochinchine est autorisé par le Saint-
Office à conserver la coutume d'interroger les catéchumènes en
latin, puis de traduire les questions en vietnamien (n° 635); mais le
préfet apostolique de Madagascar se voit interdire l'interruption de
la cérémonie de baptême d'adultes pour donner des explications en
langue vernaculaire (636).
Le Saint-Office, dès qu'il s'agit des sacrements, surtout le
mariage, est donc l'instance ultime, sauf cas particuliers justifiant une
décision pontificale. C'est lui qui tranche les doutes transmis par la
Propagande. Cette dernière au XIXe s. intervient seulement pour
donner des normes générales sous forme d'instructions qui s'ap-

43 Coll. 1893, n° 324. S. Officii, 20 iunii 1866.


44 Coll. 1907, vol. 1, n° 1293.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 49

puient sur les décisions antérieures, essentiellement du Pape ou du


Saint-Office (n° 349, sur l'exercice du commerce; n° 594,
Instructions aux vicaires apostoliques de Chine, 18 octobre 1883). Cette
division du travail est conforme aux résolutions de 1658 qui tranchent
le différend entre Propagande et Saint-Office au profit dece dernier.
Un dernier sondage opéré dans la troisième partie (De la Foi et
des mœurs) confirme les remarques précédentes. Si les articles 2 et
3, consacrés aux Rites chinois et malabars, semblent faire exception
et rester du domaine de la Propagande, c'est qu'ils jouissent d'un
traitement particulier depuis qu'ils sont une question réservée au
Pape. Après les constitutions de Benoît XIV (n° 1762 et 1783), la
question des Rites est considérée comme définitivement tranchée et
les actes recueillis se bornent à rappeler, préciser, faire appliquer les
décisions du Saint-Siège. D'autre part certaines réponses envoyées
par la Propagande se contentent de transmettre des délibérations du
Saint-Office et du tribunal de l'Inquisition : n° 1782 et 1794. La
pratique que nous avons indiquée précédemment se vérifie. Le Saint-
Office se réserve de compléter la législation en autorisant ou
refusant la participation à des rites pour lesquels un doute subsiste. A
partir de 1846, il a acquis un véritable monopole.
Dans le chapitre «coopération aux rites superstitieux», 18 des 20
réponses (n° 1741 à 1761) expédiées aux missions de Chine, du Siam,
du Tonkin, du Cambodge, de Corée, des Gallas, du Japon et
d'Algérie émanent du Saint-Office. Seuls les trois doutes exposés par le
vicaire apostolique du Tonkin Occidental (n° 1745, année 1849) sont
solutionnés par la Propagande, et encore celle-ci se réfère-t-elle à
l'Inquisition et aux décisions du synode du Setchuen. De même, la
lettre envoyée aux directeurs parisiens des Missions étrangères rend
compte des décisions de l'Inquisition (n° 1747, année 1850). Les
deux articles suivants conduisent à des observations identiques à
propos de l'interdiction des rites chinois (n° 1762 à 1784) et des rites
malabars (n° 1785 à 1796). Les constitutions de Benoît XIV Ex quo
singülari et Omnium sollicitudinum sont interprétées et complétées
par la Propagande mais lorsque les difficultés soulevées par le
Vicaire Apostolique du Setchouen nécessitent de nouvelles
instructions, celles-ci émanent du Saint-Office (n° 1775, Année 1802).
La comparaison avec les données fournies par l'édition des
Collectanea de 1907 permet de confirmer les résultats enregistrés
précédemment. Nous avons choisi dans l'Index des entrées qui
correspondaient aux grandes catégories utilisées pour l'édition de 1893.
Nous avons ainsi retenu les rubriques suivantes : baptisma, coope-
ratio, ecclesia, impedimenta, matrimonium, missionarii et mis-
siones.
La rubrique missionarii recoupe la première partie de l'édition
de 1893. Une écrasante majorité de textes cités sous l'intitulé «Du
50 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

titre, des qualités et des devoirs des missionnaires» émane de la


Propagande : 81 contre 6 pour le Saint Office, 5 interventions
pontificales, 1 décret de la congrégation du Concile.
A l'article Baptême (deuxième partie en 1893), l'Index propose
115 renvois dont 42 explicitement adressés à des missions. Ils se
répartissent entre les dicastères dans des proportions proches de la
ventilation observée plus haut :

matière : SCPF : 1 (mais renvoie au St O.)


Saint-Office. 7
forme SCPF : 2 (dont 1 s'appuie sur le St 0.
Saint-Office : 11
ministre SCPF : 4
Saint-Office : 6
sujet baptisé SCPF : 19
Saint-Office : 53 et Papes : 6
doutes SCPF : 1 (avec St O.)
Saint-Office : 8 et Papes : 2
réitération sous condition SCPF : 6
Saint-Office : 13 et Papes : 3

La rubrique matrìmonium confirme le monopole du


Saint-Office, ou de la Sacrée Pénitencerie, quand le lien matrimonial est en
cause. La distinction entre instructions et doutes s'applique
pleinement aux impedimenta (empêchements) puisque les neuf doutes
cités sont tranchés par le Saint-Office, alors que de son côté la
Propagande précise à sept reprises la portée des facultés et des
procédures, ou procède à une récapitulation des instructions antérieures
(n° 1470).
Enfin l'article cooperatio peut être rapproché de la troisième
partie (De la Foi et des mœurs). Il détermine la conduite à tenir et
les relations acceptables entre chrétiens et païens de manière à
éviter tout risque de participation (coopération) à des usages contraires
au catholicisme. Le décompte semble indiquer un certain équilibre
entre le Saint-Office (35 textes) et la Propagande (50 références).
Mais le fait le plus marquant réside dans la disparition après 1849 de
toute décision venant de la Propagande, tandis que le Saint-Office
est cité à quinze reprises entre cette date et 1903. La seule décision
attribuée à la Propagande vise la transmission de résolutions prises
par les cardinaux «Inquisitores» (n° 1088, année 1853). Si la Propa-
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 51

gande conserve le privilège de communiquer elle-même les


décisions et de vérifier leur application, c'est donc le Saint-Office qui
légifère. Or nous sommes en présence d'un domaine vital pour les
chrétientés missionnaires puisqu'il détermine la place et le
comportement des fidèles au cœur de sociétés païennes.
De l'ensemble de ces observations, il se dégage une règle, ou
plutôt une tendance de fond, conforme aux distinctions opérées
dès l'époque d'Ingoii. Les orientations de type pastoral, par
exemple les instructions qui visent une adaptation aux conditions
de la mission parmi les païens, constituent le pré carré de la
Propagande. Au contraire, outre le for interne, la solution des doutes,
les décisions qui supposent une appréciation dogmatique, un
jugement d'orthodoxie, la détermination de ce qui est compatible avec
le catholicisme, en résumé ce qui définit l'appartenance à l'Eglise
catholique romaine, relèvent du Saint-Office. Mais nous avons
aussi observé que la frontière n'est pas toujours nette et qu'elle se
déplace. Les instructions sur le baptême nous fournissent un
ultime argument en faveur de cette interprétation. Sept grandes
instructions sont adressées entre 1777 et 1883 aux chefs de missions
en Afrique, Asie et Oceanie. Celles de 1777 et 1830 (n° 522 et 814)
proviennent de la Propagande. Les suivantes viennent à la fois de
la Propagande (n° 1346, 1606) et du Saint-Office (n° 1090, 1290,
1392). Malgré des hésitations, l'évolution joue dans le sens d'une
limitation des prérogatives de la Propagande et d'un renforcement
de l'autorité du Saint-Office.
En conséquence il convient de nuancer et corriger les manuels
consacrés à la description de la Curie quand ils affirment que «les
divers organismes de la curie romaine ne chevauchent pas les uns
sur les autres : chacun possède un domaine nettement délimité»45.
L'examen des Collectanea montre au contraire que la Propagande se
trouve par nature placée au carrefour de toutes les congrégations.
Ce serait une erreur d'optique d'envisager son fonctionnement et
d'interpréter ses décisions indépendamment de ses relations avec
l'ensemble des dicastères aussi bien qu'en dehors de l'action
diplomatique du Secrétaire d'Etat.
Il reste à expliquer pourquoi la part du Saint-Office s'est
considérablement renforcée dans les décrets des Collectanea, notamment
à partir du pontificat de Pie IX. On ne peut pas attribuer la
diminution du nombre des actes émanant de la Propagande aux rédacteurs
de l'ouvrage. On n'imagine pas des employés de la Propagande
omettant les décisions de la congrégation à laquelle ils sont ratta-

45 V. Martin, Les congrégations romaines. Paris, Bloud et Gay, 1930, p. 47-48.


52 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

chés et privilégiant dans leur sélection les actes du Saint-Office. La


nouvelle répartition statistique reflète sans doute un changement
dans la pratique quotidienne et aussi dans la hiérarchie des
références. Aux yeux des membres de la Curie en général, des
responsables de la Propagande en particulier, le Saint-Office dispose d'un
pouvoir de plus en plus étendu pour déterminer ce qui est
souhaitable, tolerable, et ce qui doit être prohibé. On peut en voir l'origine
dans l'application d'un principe traditionnel selon lequel «il suffit
que les matières ressortissant à la compétence de l'un ou de l'autre
soulèvent, sur un point particulier, une question intéressant la foi
pour qu'elles lui échappent et passent au pouvoir du Saint-Office»46.
Cependant l'application du principe est étendue à de nouveaux
domaines durant le XIXe s. La Curie appréhende désormais en termes
d'orthodoxie des sujets qui relevaient antérieurement du domaine de
la discipline, de la pastorale, ou tout simplement étaient laissés au
bon sens des missionnaires.
Parallèlement on assiste à une spécialisation croissante des
congrégations. La réforme de 1908 entérine donc une évolution
largement entamée quand elle soustrait à la juridiction de la
Propagande «tout ce qui est de la compétence du Saint-Office, de la
Congrégation des Sacrements pour les questions de mariage, et de la
congrégation des Rites», ou encore de la congrégation des
Indulgences47.
Quelle logique sous-tend cette évolution? La place tenue par le
Saint-Office traduit le renforcement du contrôle dogmatique selon
une conception descendante de la théologie, définie au sommet et
au centre de l'Eglise. La défense jalouse de l'orthodoxie l'emporte
sur la préoccupation de l'adaptation. Le petit nombre de textes
spécifiquement missionnaires confirme l'effort continu de la
papauté pour définir des normes universelles valables dans
l'ensemble du monde catholique. Il nous semble cependant prématuré
de conclure que la Curie se contente d'appliquer dans le champ
missionnaire des principes généraux, quasiment supra-historiques
et insensibles aux contextes culturels. Ce serait perdre de vue la
nature des Collectanea dont la grande majorité des décisions sont
destinées à l'Europe et à l'Amérique du nord, c'est-à-dire des
chrétientés de culture occidentale, et non des missions parmi les
«païens».

46 Ibid. p. 43.
47 J. Simier, La Curie romaine. Notes historiques et canoniques, p. 47.
LA PROPAGANDE AU SEIN DU GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE 53

COLLECTANEA

180

Orient Europe Amérique Chine Asie Afrique Oceanie


(reste)

Croquis n° 4 - Répartition géographique des décisions


sous le pontificat de Pie IX.

250

200

Général Orient Europe Amérique Chine Asie Afrique Oceanie


(reste)

Croquis n° 5 - Répartition géographique des décisions


sous le pontificat de Léon XIII.
CHAPITRE 2

CROISSANCE ET ADAPTATION

1 - Une administration de plus en plus sollicitée.

Interlocuteur unique pour toutes les Eglises des territoires


placés sous sa juridiction, la Propagande doit traiter une masse
croissante et extraordinairement variée d'affaires. La création d'une
congrégation, ou plus exactement d'une section spécialisée dans les
affaires «du rite oriental» par Pie IX (bulle Romani Pontifices, 6
janvier 1862) constitue la première étape dans l'adaptation de la gestion
à la croissance du domaine missionnaire1. Le nouvel organisme
reste placé sous l'autorité du préfet de la Propagande et d'une partie
des cardinaux membres de la section occidentale. Si l'étude du rite
oriental» n'est pas envisagée ici, il faut au moins observer que le
fonctionnement de cette nouvelle section ne reproduit pas
exactement celui de la section occidentale. Elle a une administration
autonome, son propre secrétaire2, quatre officiali minutanti (véritables
chefs de sous-section que nous étudierons ultérieurement pour la
Propagande latine), des «scribes« chargés de rédiger les documents
{scrittori). Elle repose en outre sur une spécialisation et l'affectation
de chaque cardinal à l'administration d'une Eglise particulière, ce
qui n'est pas le cas de la Propagande latine :
«Chaque cardinal a dû, dans la première séance, prendre
comme ponente {rapporteur), une Eglise orientale et ses affaires; et
quand une de ces ponences reste vacante, c'est le cardinal dernier
nommé membre de cette Congrégation qui en est chargé par droit
d'option. Il en résulte que les différents rites ou les diverses nations
orientales ont le même cardinal ponent qui, devant rapporter sur

1 Son titre officiel est De Propaganda Fide pro negotiis ritus orientalis
(Congrégation de la Propagande pour les affaires orientales). L'Eglise latine
comprend les rites romain, ambrosien, mozarabique et les rites particuliers des
ordres religieux. L'Eglise orientale se compose (Benoît XFV, bulle Allatœ sunt,
1755) des rites grec, arménien, syrien, copte. {Annuaire pontifical catholique,
1899, p. 415).
2 Les titulaires du poste sous Léon XIII sont : Mariano Rampolla del Tindaro
(1877-1880); Serafino Cretoni (1880-1889); Ignazio Persico (1899-1891); Andrea
Aiuti (1891-1893); Luigi Veccia (1893 - 1899); Antonio Savelli - Spinola (1899-
1905).
56 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

leurs affaires, se trouve par conséquent à même de les bien


connaître. Le Pape pourvoit ensuite au choix de consulteurs qui en
connaissent les langues orientales...»3
La nouvelle congrégation respecte donc dans ses structures la
nécessaire prise en compte d'une diversité et d'une originalité à
laquelle les différentes Eglises orientales sont farouchement
attachées. Elle prévient aussi les susceptibilités en matière de préséance
vis-à-vis de l'Eglise latine. En effet on aurait pu craindre que l'entre-
mêlement des juridictions, exercées sur des territoires communs, ne
fût source de multiples difficultés et d'accusations d'ingérences. «La
bulle (Inscrutabili) indique que cette Congrégation spéciale ne sera
pas seulement chargée des affaires appartenant exclusivement à
l'Eglise d'Orient; elle traitera les choses mixtes qui, soit à raison des
personnes ou des matières en cause, atteignent les latins, à moins
qu'elle n'estime que telle ou telle question doit être portée à
l'assemblée générale de la Propagande»4.
Pourtant la séparation introduite entre les deux rites, après
avoir occasionné quelques conflits de compétence, semble
fonctionner correctement. L'index des matières des Acta signale une seule
intervention du Secrétaire d'Etat en 1879, afin de mettre à exécution
les décisions divisant les matières relevant des affaires latines et
orientales5. L'unité assurée au sommet par le préfet et les cardinaux,
la présence simultanée aux assemblées des cardinaux de chaque
sections des deux secrétaires «pour mieux se tenir au courant des
affaires»6, les nombreux passages d'ecclésiastiques d'une section à
l'autre semblent avoir assuré une harmonisation suffisante.
La spécialisation des tâches ainsi amorcée sous Pie IX ne pouvait
être qu'une réponse conjoncturelle au gonflement régulier des affaires
traitées par la Propagande latine. Les catalogues et inventaires
donnent une première image de cette augmentation.
Malheureusement le changement intervenu dans le classement des archives en
1893 empêche de quantifier, faute de références identiques,
l'augmentation de l'activité entre 1862 et la mort de Léon XIII. Le meilleur
critère étant à notre avis le nombre de lettres expédiées, nous avons
utilisé pour la période où cela est possible (antérieure à 1893) les index
annuels des lettres envoyées par la Propagande. Notre sondage a porté
sur les années 1869, 1879 et 1889 pour apprécier à la fois le volume
global de la correspondance et la répartition par secteur géographique.
La première série de graphiques donne, pour chaque continent,

3 Annuaire Pontifical catholique, 1899 p. 486.


4 Ibid.
5 Index materie, 20/09/1879, renvoie à f. 144 a qui n'existe pas dans les Acta
de 1879.
6 Annuaire... op. cit. p. 486
CROISSANCE ET ADAPTATION 57

l'évolution du nombre de lettres expédiées, par grand ensemble


géographique, et selon les classifications de la Propagande. La base
utilisée dans échelle des ordonnées, établie à partir du nombre total de
lettres pour un continent, varie selon la zone envisagée.

Afr. en Afr. nord Afr. occ. Afr. Egypte Madag Petites


gai et sud cent. Iles
ortie Eth.
Croquis n° 6 - Afrique.

Les envois en direction des nouvelles missions créées en Afrique


sont relativement peu nombreux. La lenteur des communications et
le faible développement des administrations ecclésiastiques locales
expliquent en partie la petite quantité de lettres. La correspondance
interne entre les missionnaires et les supérieurs de leur
congrégation demeure prépondérante dans la vie des jeunes missions. Les
relations avec le centre romain se limitent aux démarches
indispensables : rapports d'activités obligatoires, financement, demande de
pouvoirs et facultés. Néanmoins la statistique fait apparaître une
croissance régulière et un déplacement des pôles de développement
en direction de l'Afrique occidentale, australe, centrale et orientale
alors que le «bloc musulman» est au contraire en régression.

Am. centr., Canada Etats - Unis Amer, sud Total


Antil.,
Mexique
Croquis n° 7 - Amérique.
58 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Le changement de références dans l'échelle des ordonnées (le


nombre total des actes est multiplié par 20 par rapport à l'Afrique)
traduit bien le poids du continent nord-américain au sein de la
Propagande. Les Etats - Unis, à un degré moindre le Canada,
monopolisent ici la correspondance. L'augmentation est pour une grande
part liée aux interminables conflits de juridiction, entre clercs et
ordinaires, entre paroisses «européennes» et américaines, ainsi qu'aux
questions matrimoniales. L'ancien domaine hispanique et portugais
échappe à l'autorité de la Propagande, à l'exception de quelques rares
préfectures apostoliques qui conservent un statut missionnaire.

300-
250- ■ 1869
■ ■
200- H 1879
150' luuJlll
II
Ü 1889
100· ^^Hq99SSh§SI
^mIIIIÜÜ
BasSUli
1
50·
ΛU H — J ^(lllllll+j
Carni Chine Coch. Corée Indes orles Japon
Laos, S am Birm H. Tonkin
Kong
Croquis n° 8 - Asie.

L'Asie occupe une situation intermédiaire. La Chine et l'Inde y


absorbent l'essentiel des énergies. La symétrie de leur croissance
montre que, pour Rome, ces deux immenses territoires constituent
des enjeux prioritaires. La part minime occupée par le Japon reflète
la faiblesse relative de la présence catholique.
Les croquis n° 9 et 10 permettent de comparer la part relative de
chaque continent. Ils soulignent à quel point les territoires
missionnaires, au sens de missions en pays infidèle, ne représentent qu'une
partie de l'activité de la Propagande. L'action de la place d'Espagne
doit toujours être évaluée en ayant à l'esprit qu'elle travaille
quotidiennement le plus souvent pour des chrétientés déjà solidement
établies. Or en Europe et en Amérique les problèmes de «gestion
ecclésiastique» l'emportent largement sur les actions de prosélytisme.
Dans ces conditions, la Propagande pourrait être absorbée par le
court terme, les sollicitations constantes de l'Europe protestante,
orthodoxe ou de l'Amérique du Nord. Cette constatation oblige à
CROISSANCE ET ADAPTATION 59

nuancer la place apparemment réduite de l'Afrique, l'Asie ou l'Océa-


nie. L'intérêt porté aux nouveaux mondes suppose en effet une
capacité à se dégager des sollicitations immédiates pour préparer
l'avenir, quitte à parier sur la réussite d'entreprises encore très
embryonnaires. Le petit nombre de catholiques n'empêche pas la papauté de
se tenir soigneusement informée des projets d'expédition, de
favoriser la propagande religieuse en faveur des missions et de saisir
toutes les occasions fournies par la conjoncture. La progression du
volume de lettres consacré à l'Asie témoigne de l'attention
particulière portée à ce continent malgré le peu de succès des entreprises
missionnaires.
Les graphiques confirment les inégalités dans le poids respectif
des zones géographiques. Ils montrent aussi l'alourdissement de la
charge de travail sur une période de vingt ans. Selon les Index, 1800
lettres sont expédiées en 1869, mais 2882 en 1889, soit une
augmentation de 62,5% en vingt ans. Par contre les tableaux laissent
dans l'ombre la diversité des affaires quotidiennement traitées ou
renvoyées auprès d'autres instances. Un sondage effectué dans
l'année 1891 nous a conduit à choisir un jour d'activité particulièrement
importante, en matière de lettres expédiées, pour illustrer cette
diversité. Nous reproduisons ci-dessous le destinataire et l'objet des 32
lettres datées du 23 septembre 1891, en respectant l'ordre du volume
qui en conserve les copies, pour refléter autant que possible la
réalité7. La longueur moyenne des documents est de 25 lignes mais
certains sont de simples billets, tandis qu'une lettre traitant l'affiliation
d'un orphelinat aux salésiens comporte plus de trois pages et
analyse par le détail les problèmes que pose le transfert.

Afrique Amérique Asie Oceanie Autres Total


Madag. îles général

Croquis n° 9 - Lettres expédiées en 1869, 1879, 1889.

7 Lettere, 1891, vol. 387, f. 707 à 716v, 739 et ss.


60 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

5,97%

WÊ Afrique, Madag., îles


27,72% Si Amérique
42,64%
Ëi Asie
Ü Oceanie
Ο Autres

4,23% 18,43%

Croquis n° 10 - Lettres expédiées en 1889.

Première série (hors Rome)

Mgr Racine, év. de Sherbrooke : l'autorise à retarder sa visite ad limina


fin 1892.
D. Barry Roberto, curé (Meatr, Irlande) : encouragements à continuer
son ministère.
Cal Manning, arch, de Westminster : dispense de vœux à des religieux.
Mgr Clearv, év. de Kingston : problèmes posés par l'installation de
religieuses.
Mgr Woodolck, év. d'Ardogh : acceptation de la candidature d'un élève
pour le collège Urbain.
Mgr Mac Mahon, év. d'Hartford : incardination et ordination de prêtres
au titre de la mission.
Mgr Hennessy, év. de Dubuque : devant la pétition de catholiques
allemands, la SCP conseille d'agir avec prudence.
Mgr Corrigan, arch, de New- York : indiquer le nom d'un évêque
acceptant de recevoir le père O'Reilly qui demande la dispense de vœux religieux
simples.
Père O'Reilly, id.
R.P. Sbarra : dispenses de mariages.
R.P. John Nicolson : argent pour la construction d'une église.
Mgr Walsh, archev. de Dublin : demande d'informations
supplémentaires suite à la requête en dispense du vœu de chasteté par un religieux qui
veut se marier.
M. Slaggiardomo, Hyderabad : envoi d'une mosaïque (550 lires) à offrir
au nizam d'Hyderabad.
Mgr Caprotti, év. d'Hyderabad : idem, exprimer au Nizam les
remerciements du Pape pour l'aide apportée aux missions catholiques
R.P. Van Sertzelaer, Mongolie orient. : fondation d'un monastère
bénédictin.
CROISSANCE ET ADAPTATION 61

Mgr Théodore Ruties, Vie. Ap. de Mongolie orient. : appréciation de la


Propagande sur sa relation; le préfet insiste sur la nécessité de former un
clergé indigène.
R.P. Serafino Crusati (en Italie) : envoi de messes (1 lire chacune) en
récompense des années de mission passées en Albanie.
Mgr Facciati, év. de Ferentino : envoi de 50 messes à 1,25 lire.
Administrateur apostolique de Ticino : acceptation d'un candidat au
collège Urbain.
Ev. de Semons (Suisse) : divers
Super, des Fils du Cœur Immaculée de Marie : divers.
Supérieure des sœurs de St Joseph de Cluny : autorise une novice à
interrompre le noviciat pour aller en Amérique; mais elle devra y accomplir les
deux mois qui manquent.
Supérieure des Filles du Cœur de Marie : fermeture d'une maison en
Suède.
Mgr Piavi, archev. de Jérusalem : demande d'informations sur le
recours d'un catholique de Jérusalem contre des religieuses.
R. P. Michele : projet d'affiliation d'un orphelinat aux Salésiens.
Lord Garmesson (Irlande) : refus de célébrer le culte au château.

Deuxième série.

remise d'un pli au secrétaire de la Sainte Pénitencerie (sur Canada)


assesseur du Saint Office : transmet une demande de dispense de
mariage (Canada)
au même : informations en complément des demandes des évêques de
Toronto, Québec, Montréal.
Mgr Mocenni (Iles Ioniennes) : la famille de Mgr Barenghi demande
des informations sur la mort du prélat et de son frère.
Général des Capucins : sur l'opportunité de maintenir l'ordre donné aux
capucins chapelains de Chalcédoine de retourner dans le couvent.
assesseur du Saint Office : demande de dispense de messe pour l'évêque
de Breda.

Cette liste met en évidence, malgré la sécheresse de l'énuméra-


tion, la triple diversité que nous avons déjà relevée : diversité dans
l'importance des affaires, dans leur objet et dans les destinataires ou
les interlocuteurs concernés. Décrire le fonctionnement de la
Propagande latine implique donc d'examiner comment est traitée cette
masse d'affaires de toutes natures, comment se réalise l'intervention
des différents acteurs sollicités au sein de la Curie, comment est
assurée la liaison tant au sommet (avec le Pape et le secrétaire d'Etat),
que sur le terrain (c'est-à dire les pays de mission ou les chrétientés
qui ont en charge les missions). Nous mènerons cette radiographie
en décrivant d'abord les procédures et les rouages administratifs,
62 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

puis en pénétrant dans le monde des clercs attachés à la Curie,


ecclésiastiques volontiers entourés de mystère et parfois accusés de
comportements bureaucratiques où l'exécution de directives
prendrait le pas sur la compréhension des situations.

2 - Le fonctionnement de la Propagande au quotidien.

Au visiteur, la Propagande offre d'abord l'aspect d'un palais


auquel l'ampleur de ses proportions et la sévérité de son architecture
donnent un caractère imposant. Légué par un prélat espagnol, Mgr
Vives, le bâtiment est relativement éloigné du Vatican. Mais sa
situation dans un des plus beaux quartiers lui confère une solennité que
les descriptions se plaisent à souligner : «Sa forme est un
quadrilatère irrégulier; il n'y a que deux étages, mais leur hauteur est
considérable. La façade regardée comme principale, quoique la moins
étendue, est sur la place d'Espagne, ainsi appelée à cause de
l'ambassade espagnole qui se trouve à droite. On admire aussi, sur cette
place, le monument commémoratif de la définition de l'Immaculée
Conception de la Ste Vierge; sa statue est portée par une magnifique
colonne, aux pieds de laquelle sont assis les prophètes Isaïe, Moïse,
David et Ezéchiel.
C'est sur la place d'Espagne que se trouve l'entrée qui donne
accès aux bureaux de la Congrégation et aux appartements du
Cardinal-Préfet, et du Secrétaire général. Deux cours intérieures donnent
de l'air et du jour à ce grand édifice. Sur les murs extérieurs on
remarque des abeilles taillées dans la pierre; ce sont les armes de la
famille Barberini, à laquelle appartenait Urbain VIII»8.
Mais pour la très grande majorité des catholiques associés à
l'expansion des missions, la Propagande est l'administration qui gère
leurs affaires selon une procédure soigneusement réglée.
Hiérarchie et rituel.
Toutes les communications, adressées gratuitement à la
Propagande9, passent à l'arrivée entre les mains du Préfet. L'importance
de la fonction dans la hiérarchie de la Curie est telle que les
détenteurs de la charge à partir de Léon XIII sont, de fait, nommés à vie.
Giovanni Simeoni (5 mars 1878 - 14 janvier 1892) et Mieczyslaw
Halka Ledochowski (26 janvier 1892 - 22 juillet 1902) meurent en
charge. Il en sera de même pour leurs successeurs, notamment An-

8 La Propagande. Notice historique o. c, p. 26-27. Urbain VIII (1623-1644) fit


construire le séminaire, dit Collegium Urbanum, et aménager le palais.
9 Par suite d'un privilège ancien, les plis étaient dispensés
d'affranchissement avant 1870. L'Etat italien ayant supprimé cette disposition en 1870,
on décida d'adresser la correspondance au Saint Père qui continuait de bénéficier
de la gratuité.
CROISSANCE ET ADAPTATION 63

tonio Giovanni Benedetto (Fra Girolamo) Gotti (29 juillet 1902 - 24


mars 1916). Il faudra attendre le pontificat de Paul VI pour que cette
tradition soit interrompue avec la démission de Grigor Petros Aga-
gianian le 19 octobre 1970.
Chaque matin de jour ouvrable, le Préfet reçoit les deux
secrétaires, celui de la section latine portant seul le titre de secrétaire
général Six secrétaires généraux se succèdent durant le pontificat de
Léon XIII :
Giovanni Battista Agnozzi (19 février 1877 - 19 septembre 1879)
Ignazio Masotti (19 septembre 1879 - 30 mars 1882)
Domenico Maria Jacobini (30 mars 1882 - 13 juin 1891)
(Ignazio) Persico (13 juin 1891 - 16 juin 1893), religieux capucin.
(Fra Agostino) Ciasca (19 juin 1893 - 19 juin 1899), religieux au-
gustinien
Luigi Veccia (1 juillet 1899 - 7 août 1911)
Préfet et secrétaires examinent ensemble les affaires courantes
durant une ou deux heures et les classent selon leur nature. Les
affaires n'offrant aucune difficulté particulière sont immédiatement
solutionnées; d'autres sont envoyées vers l'instance chargée de les
résoudre. Ces dernières consistent le plus souvent dans des
demandes de dispenses matrimonales, de facultés et de pouvoirs pour
lesquelles une autre congrégation est compétente (Saint-Office dans
de nombreux cas).
Quand la décision est immédiate, elle est notée par le préfet qui
porte sur le verso de la supplique la mention «concedimus juxta
preces», ou en cas de refus «non expedit». Dans le cas d'une
approbation du Pape, celle-ci est également indiquée. Enfin le secrétaire
de la Propagande signe l'acte, fait établir une copie pour les archives
et remet le document à l'intéressé ou son agent10 à Rome. Tous les
actes délivrés au bénéfice des pays de mission sont exemptés du
paiement de droits et de frais de chancellerie.
Les affaires exigeant un examen plus approfondi sont mises à
part. Si des éclaircissements sont jugés indispensables, la mention
«requirantur informationes» est portée au dos. Si une recherche doit

10 «Jusqu'en 1908, personne ne pouvait accéder aux congrégations


directement. Il fallait, de toute nécessité, utiliser les bons offices d'un procureur
accrédité. Les «agents ou «expéditionnaires» formaient une corporation ayant son siège
à la Daterie, et le 11 novembre 1877 Pie IX leur imposa un règlement dont les
termes laissent entendre qu'ils n'échappaient pas toujours au reproche
d'exploiter la clientèle. Ils jouissaient d'un véritable monopole, et pas plus les évêques
que les simples particuliers ne pouvaient éviter leur intermédiaire.» (V. Martin,
Les congrégation romaines... op. cit. p. 36-37).
Les congrégations missionnaires disposent peu à peu toutes d'un procureur
qui leur permet de tourner cette contrainte.
64 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

être effectuée, la question est renvoyée «in congresso». Le


«congresso» ordinaire consiste dans la réunion autour du préfet et dans ses
appartements, habituellement le mardi, des secrétaires des deux
sections et des minutanti; ils prendront une décision après avoir
entendu l'avis du minutante chargé d'étudier la question en suspens.
Parfois se tiennent aussi des congressi particuliers à l'occasion desquels
les représentants des parties concernées sont convoquées autour du
préfet, du secrétaire général, du minutante, voire du consulteur :
fondation d'une mission, délimitation de frontières, modification de
constitutions11.
Les affaires jugées de haute importance sont réservées pour les
réunions des cardinaux, affectés par le Pape à la congrégation de la
Propagande. Dans la pratique, seuls les cardinaux de curie, résidant
à Rome, participent à ces sessions plénières et mensuelles appelées
également «congresso». Il arrive exceptionnellement qu'un cardinal
titulaire d'un siège résidentiel vienne se joindre à ses pairs romains.
Le cardinal Lavigerie ne manquera pas de profiter de sa désignation
à la Propagande pour venir assister personnellement à des réunions
qui concernent les pères blancs. Les décisions du congresso sont
prises à la majorité des voix, ce qui relativise aux yeux de certains
commentateurs l'impression de toute - puissance donnée par
l'étendue de la juridiction du Préfet. «Son gouvernement n'a rien d'un
gouvernement absolu puisque tous les membres de la Propagande
exercent la juridiction en commun, in solidum12. La procédure qui
règle la marche du congresso plénier confirme dans une certaine
mesure le caractère collectif de la prise de décision, à condition de
préciser qu'il s'agit d'une collégialité restreinte aux membres de la
Curie.
Chaque fois que cela est nécessaire l'examen de l'affaire est
confié (en principe) à deux consulteurs, l'un choisi pour sa
compétence théologique, l'autre comme canoniste. Chacun remet un avis
ou votum fou voto), examen détaillé du problème posé. La pratique
montre que la procédure est souple, utilisant souvent un consulteur
unique pour rédiger le voto avant de discuter le cas en commission13.
Le minutante chargé du secteur géographique concerné constitue
enfin, sous la direction du secrétaire, le dossier.

11 Les archives des sociétés missionnaires conservent le récit de ces congressi


restreints dans la correspondance des procureurs ou de religieux envoyés à Rome
pour une mission. A titre d'exemple : A.S.M.A. Lettres de Planque 2 Β 1, p. 315-
316 (8 juillet 1886), p. 399 (22 juillet 1890), compte rendu d'entretiens entre le
Préfet et Planque par le P. G. Desribes (40282, 2/0, 1892).
12 John Prior, notice sur la Propagande dans : Mgr Charles Daniel, Paul
Baumgarten, Antoine De Waal. Rome. Le chef suprême, l'organisation et
l'administration de l'Eglise. Paris, Pion, 1900, p. 379.
13 Cf. chapitre 4.
CROISSANCE ET ADAPTATION 65

La partie la plus importante est le rapport synthétique (ristretto)


qui résume les éléments importants et envisage les diverses
hypothèses. Elle aboutit à un ou plusieurs dubbii (doutes) sur lesquels la
congrégation plénière doit se prononcer. Le minutante a joint le
sommario qui comporte la transcription, en partie ou dans leur
intégralité, des documents cités (scritture originali riferite nelle
congregazioni generali), éventuellement les avis des consulteurs, parfois une
«note d'archives» rédigée par l'archiviste afin de retracer l'histoire
de la question. L'ensemble, ou ponenza, est imprimé par
l'Imprimerie polyglotte de la Propagande. Dix jours avant la réunion14, le
dossier est remis à chacun des cardinaux. L'un d'eux est désigné par le
Préfet pour être rapporteur ou cardinal ponente. La séance s'ouvre
par une prière après laquelle le préfet donne la parole au cardinal
ponent de la première affaire. Selon V. Martin, «comme c'est lui qui
connaît le mieux la question, c'est aussi son avis qui l'emportera,
sauf dans des cas exceptionnels»15. Après l'exposé fait par le
rapporteur devant ses pairs, la discussion s'engage, suivie d'un vote en
commençant par le cardinal le plus ancien. Le résultat de la
délibération ou risoluzione est consigné de manière manuscrite
(rescriptum ou rescritto), authentifié par la signature du secrétaire et du
préfet. Il lui reste à recevoir l'approbation pontificale qui est ajoutée
à la fin du Decretum, à côté des signatures, avec la formule ex au-
dientia... Sauf très rare exception, le compte rendu de la discussion
n'est pas conservé dans les Acta. Pourtant celui-ci serait
systématique puisque «le prélat secrétaire a pris des notes. Il ne rédige pas
un procès-verbal proprement dit, mais une espèce de résumé de la
délibération, indiquant non seulement les avis formulés et la
décision prise, mais encore le nom de chaque cardinal et le sens de son
intervention16.
Les secrétaires des deux sections de la Propagande assistent à la
séance en compagnie d'un potonotaire apostolique, «assistant muet,
car il est seulement chargé d'enregistrer les affaires qui traiteraient
d'un martyre dans un pays soumis à la juridiction de la
Propagande»17.
L'assemblée des cardinaux, le Secrétaire général et le Préfet
constituent la colonne vertébrale de la congrégation et ont
compétence pour l'ensemble des affaires. Cependant le besoin s'est régu-

14 C'est du moins le délai donné en 1900 par John Prior, op. cit.
15 V. Martin, Les congrégations romaines, op. cit., p. 22.
16 Ibid. p. 23. Les seuls retrouvés concernent les réunions tenues avec la
Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires. Ex. Acta 1889, f. 751 -
754 (patronat portugais en Afrique).
17 Rome, le chef suprême... op. cit., p. 402.
66 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

lièrement fait sentir de constituer des structures particulières pour


répondre à des questions exigeant une attention et une connaissance
spécifiques du dossier18. Certaines de ces congrégations devinrent
même des institutions permanentes, telle la congrégation
particulière «De statu Temporali» ou celle chargée de la Typographie
polyglotte. Mais la plus importante avait été de 1664 à 1856 la
Congregano Particularìs de rebus Sinarum et Indianarum Orìentalium à
laquelle incombait la très délicate question des rites. La fin du siècle
voit naître à nouveau des Commissions spécialisées. Elles répondent
certes à la nécessité de mieux répartir des tâches qui ne cessent pas
de s'alourdir. Mais elles révèlent aussi une volonté marquée de
l'autorité romaine d' accroître son contrôle sur l'action missionnaire. Il
suffit pour s'en convaincre de considérer leur champ d'intervention.
La Commission pour l'examen des constitutions des Instituts
religieux qui dépendent de la Propagande examine toutes les fondations
de sociétés missionnaires et les révisions proposées dans leurs
Règles par les Instituts. Créée en 1884 avec à sa tête un «simple»
secrétaire (Mgr Grasselli), elle voit son autorité renforcée en 1887 par
la nomination d'un cardinal président (Mazzella), assisté d'un vice-
président (Grasselli) et d'un secrétaire (Savelli-Spinola).
La Commission pour l'examen des rapports présentés par les
évêques et les vicaires apostoliques sur l'état de leurs Eglises joue à la
Propagande le rôle de la S.C. du Concile vis-à-vis des évêques. Si
l'initiative en revient au cardinal Franchi en 187619, c'est Simeoni qui
lui donne un caractère officiel et permanent avec un règlement, un
président (Mgr Grasselli) et un secrétaire (Mgr Melata) en 1890.
Enfin sous Ledochowski, dont ce fut une des dernières
initiatives, est décidée la création d'une Commission pour l'examen des
actes des synodes provinciaux dans les territoires missionnaires. Il
reviendra au Cardinal Gotti d'en assurer la formation sous la
présidence du cardinal Martinelli20.
Instituts religieux, rapports des évêques, synodes provinciaux :
les trois institutions traduisent parfaitement la volonté romaine de
suivre au plus près l'action sur le terrain et de lui fixer ses
orientations.

18 N. Kowalsky - J. Metzler, Inventory of the Historical Archives. Studia Urba-


niana 18, 1983, p. 40.
19 ACPF, SC Congregazioni Cardinali vol. 3 f. 270 r.
20 ACPF. Acta 1903 (vol. 274) f. 941r-942v.
CROISSANCE ET ADAPTATION 67

3 - Les incertitudes de l'Administration temporelle.


La Propagande comprend une seconde branche qui n'apparaît
pas directement dans la description du travail quotidien mais dont
l'importance est pourtant décisive puisqu'elle a en charge
l'administration des finances. Selon Battandier21 «on a voulu scinder
l'administration temporelle de l'administration spirituelle pour que le
cardinal Préfet fût entièrement occupé à sa sublime mission du
développement de la foi dans les nations infidèles, sans en être
détourné par de vulgaires questions d'intérêts matériel ou de pure
comptabilité».
De fait cette séparation limite le pouvoir du préfet : il doit
compter avec la présence du préfet de l'Economat, qui tient les cordons de
la bourse, gère le Musée Borgia et surtout l'Imprimerie polyglotte
installée au palais Miganelli et capable d'imprimer en 250 langues
ou dialectes22. L'administration temporelle est partagée en deux
services, la comptabilité et la Chambre des Dépouilles (Reverenda
Camera degli Spogli)23. Le dualisme temporel-spirituel est donc inscrit
dans l'organigramme de la Propagande mais il est corrigé par la
nomination du Préfet de l'Economat au sein du collège des cardinaux
auquel sont soumises les grandes décisions. Cependant la
participation effective des préfets de l'Economat à l'activité générale de la
Congrégation est inégale. Si Enea Sbaretti, Gaetano Aloisi-Masella
et encore davantage Vincenzo Vannutelli ou Antonio Agliardi sont
parfaitement instruits des affaires de la Propagande, Lorenzi Randi
et Gaetano de Ruggiero se montrent beaucoup plus discrets24.
Faut-il accorder une place importante à la dissociation opérée
entre la gestion financière et l'administration spirituelle? La réponse
exigerait de retrouver la part de l'improvisation et celle de la volonté
des souverains pontifes dans un tel montage. Il ne fait pas de doute
que la discrétion en matière budgétaire trahit, après la disparition
des Etats pontificaux, les réticences à livrer un état public des re-

21 Ann. Pont. Cath. 1903, p. 415.


22 Fondée en 1626, l'Imprimerie polyglotte a bénéficié de l'attention de
Grégoire XVI sous lequel elle peut à nouveau imprimer en 55 langues (27
européennes, 22 asiatiques, 3 africaines, 3 arméniennes). Elle développe sa capacité
sous Pie IX et imprime en 1870 l'Oraison dominicale en 255 langues exigeant 180
caractères différents (Cf. Rome. Le chef... p. 405).
Sur l'histoire de la «Stamperia Poliglotta», voir Memoria Rerum I/I, p. 335 -
350 (Willi Henkel «The Polyglot Printing-office of the Congregation»).
23 Nous examinons un peu plus loin les ressources de la Propagande et les
problèmes soulevés par la gestion.
24 Enea Sbaretti (13 août 1878 - 10 mai 1884); Lorenzi Ilarione Randi (10 mai
1884 - 20 décembre 1887); Gaetano Aloisi-Masella (13 février 1888 - 3 octobre
1889); Gaetano de Ruggiero (3 octobre 1889 - 25 juin 1894); Vincenzo Vannutelli
(25 juin 1894 - 29 juillet 1902); Antonio Agliardi (29 juillet 1902 - 3 juillet 1903).
68 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

cettes et des dépenses. Doit-on voir pour autant dans le fait de


mettre à part le secteur budgétaire une volonté délibérée de secret?
Deux indices concourent à justifier cette opinion. Le premier est
l'absence des états budgétaires dans la collection des Acta, à
l'exception d'une année. Le second est la condamnation par l'Index du
manuel de F. Grimaldi qui accorde à l'argent une place jugée excessive
et malveillante, notamment quand il présente la Propagande. Mais il
ne nous est pas possible d'aller au-delà de ces suppositions tant qu'il
ne sera pas prouvé que le brouillard entourant les finances de la
Propagande ne s'explique pas très prosaïquement par l'archaïsme des
méthodes.
Une autre explication possible renvoie au désir de Léon XIII de
conserver la maîtrise des deniers. La papauté se trouve dans la
situation embarrassante d'un Etat qui ne peut pas compter sur des
rentrées automatiques d'impôts et doit s'en remettre aux contributions
volontaires des fidèles. De là naît un effort constant pour obtenir des
ressources régulières et directes, alors que la principale source de
financement des missions se trouve entre les mains d'une association
née d'une initiative laïque et privée : l'Œuvre de la Propagation de la
Foi. En laissant à part le financement de la Propagande, le pape se
réserve un contrôle plus facile des recettes tirées des revenus
propres à la congrégation. C'est d'ailleurs lui qui a accordé les
privilèges grâce auxquels la Propagande dispose de quelques rentrées :
taxe sur l'anneau cardinalice, fixée à 600 écus ou 3 000 lires, payée
par les nouveaux cardinaux; titres de rentes nominatifs; titres de
propriété de biens immeubles.
Le souverain pontife peut faire cesser le privilège.
L'administration par la Camera degli Spogli des évêchés vacants avait été cédée
par Pie VIII à la Propagande en 1817, jusqu'à concurrence de 30 000
écus, soit 161 000L. Léon XIII, à l'occasion de son jubilé sacerdotal
(1887), met provisoirement fin à cette situation : «voulant faire
quelque chose d'agréable aux évêques italiens, il leur a accordé
l'exemption pendant 20 ans des taxes des Spogli et de l'ingérence de cette
administration dans les bénéfices vacants»25.
Ce système complexe impose à la Propagande de réelles
contraintes financières, d'autant que le discours insiste sur les
difficultés rencontrées pour mobiliser la générosité des fidèles.
L'établissement du budget annuel de fonctionnement fait apparaître le
caractère aléatoire des prévisions et le volume limité des ressources
au moment où l'expansion missionnaire exige des sommes
considérables.
Félix Grimaldi brosse un tableau de la situation à la fin du pon-

25 F. Grimaldi, Les congrégations... op. cit. p. 251.


CROISSANCE ET ADAPTATION 69

tificat de Pie DC26. L'essentiel des revenus provient des donations


successives accordées par les Papes qui ont placé la Propagande à la
tête d'un important parc immobilier et foncier. Mais le produit
annuel sous forme de rentes est modeste si l'on prend en compte les
frais fixes incompressibles.
«Elle possède des immeubles locatifs soit à Rome, soit en dehors
de Rome, pour une somme de 110 000 francs; la rente nominative
dont elle jouissait en 1873 s'élevait à 225 000 francs de revenus
annuels; les cens, canons et rentes analogues à 150 000 francs. Sous le
titre d'assegni e compensi diversi on trouve une somme de 160 000
francs, enfin dans son ensemble, en comptant d'autres ressources
qui ne sont pas énumérées ici, la congrégation de la Propagande
jouirait d'une rente annuelle de 660 000 francs»27.
De ces revenus, il faut déduire les charges pesant sur les
propriétés, soit 85 000 francs; les impôts, 60 000 francs; les frais du collège
Urbain, 170 000 francs. «Les obligations de messes, la solde du
nombreux personnel, les réparations, les frais de poste et de chancellerie,
les pensions à servir... Grimaldi en conclut que la somme
effectivement disponible pour les missions ne dépasse pas 180 000 à
200 000 F. Elle était de 107 500 F en 1872.
La modestie des revenus disponibles est aggravée par la
difficulté d'établir un budget prévisionnel. Une partie des revenus ou
assegni correspond aux dotations annuelles effectuées par le Pape et
les associations privées d'aide aux missions. L'autre partie a été
directement affectée par les relations orageuses de la Papauté et du
jeune Etat italien. Après la prise de Rome, le gouvernement italien a
non seulement transformé les titres de rente pontificale en titres
nominatifs de rente italienne, mais encore décidé la conversion des
biens ecclésiastiques. Cette dernière mesure était assortie de
l'obligation pour la Propagande de remettre l'argent tiré des ventes au
gouvernement. Celui-ci lui donnerait en échange des titres
nominatifs de rente italienne. Le processus de vente, engagé en 1873 par
l'intermédiaire de la Giunta liquidatrice, fut stoppé dès la première mise
en vente d'une villa à Frascati. Un procès intenté par la Propagande
gela provisoirement les opérations jusqu'à ce qu'une sentence prise
le 14 décembre 1881 condamnât la Propagande à la conversion de
ses biens28.
La Propagande décida alors d'interjeter l'appel auprès de la cour
de cassation de Rome qui confirma cette fois la décision précédente
le 29 janvier 1884. Désormais la conversion devenait inévitable, avec

26 Ibid.
27
28 Félix p.
Grimaldi,
247.
249. ibid. p. 246-251.
70 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

les effets pervers que laissait prévoir le guide de Grimaldi :


dépendance vis-à-vis de l'Etat italien, impossibilité d'augmenter le capital
«la Propagande n'ayant plus entre les mains qu'un revenu annuel
fixe», impossibilité de procéder à une vente massive du capital pour
réunir rapidement une somme d'argent exceptionnellement
importante29.
Ces sombres prédictions sous-estimaient la capacité romaine à
retirer des avantages de son malheur30. Quelques semaines après la
décision de la cour de cassation, le Cardinal Simeoni envoie aux
Nonces apostoliques une lettre circulaire par laquelle la Propagande
annonce son intention d'établir des procures en des lieux sûrs et
indépendants31. Puis au début de 1885, le préfet diffuse largement un
appel inquiet symboliquement daté du jour de l'Epiphanie32. Après
une protestation solennelle contre la politique italienne
d'asservissement et de spoliation de la Propagande, l'appel se tourne résolument
vers l'avenir en évoquant les besoins immenses et les possibilités
ouvertes par la colonisation européenne en Afrique et dans les îles d'O-
céanie. La lettre développe ensuite la contre-offensive romaine sur
plusieurs fronts. Les mesures anticléricales du gouvernement
italien, notamment l'obligation du service militaire pour les
missionnaires, amènent à brandir la menace de substituer des
missionnaires d'autres nations aux italiens en poste. Le rôle des associations
missionnaires, parmi lesquelles la Propagation de la Foi a le
privilège d'être donnée en exemple, est exalté. Et finalement la piété des
fidèles est plus que jamais invitée à se développer généreusement
par les dons au profit des procures et des Œuvres missionnaires.
L'appel s'achève en évocation lyrique de la moisson abondante qui
attend les ouvriers et en mobilisation des fidèles pour faire
triompher la cité chrétienne.
Les effets de cet appel sont difficiles à évaluer. Les dons
effectués auprès des procures des nonciatures, de quelques grands
archevêchés (New York, Westminster, Sydney) ou des pays de mission
(Hong-Kong) échappent à l'analyse. L'évolution des recettes de la
Propagation de la Foi ou de la Sainte Enfance s'inscrit dans un
mouvement de longue durée qui s'explique d'abord par le contexte
politique et économique. La courbe de l'Œuvre lyonnaise n'est pas
affectée par l'intervention romaine (croquis n° 11).

29 Ibid. p. 250.
30 Cf. Aldo Merlino in Memoria rerum, III/l, p. 67-97. «Il patrimonio della S.
Congregazione». Rappelons qu'avant 1914 il y a parité entre le franc et la lire.
31 Ibid. p. 78.
32 On le retrouve dans tous les fonds d'archives missionnaires, par exemple
Arsi Mission 2 F II. Les M.C. y font écho en 1885, p. 42.
CROISSANCE ET ADAPTATION 71
Francs
8000000
7000000
6000000
5000000 -
4000000 -
3000000
2000000
1000000
ο ■■■!
Années 18181818181818181818181818181818181818181818181818181919
22 25 28 31 3437 40 43 46 49 5255 58 61 64 6770 73 76 79 82 8588 91 94 97 0003

Croquis n° 11 - Recettes de l'Œuvre de la Propagation de la Foi.

Quelle que soit l'incidence d'un événement qui ne doit pas être
séparé d'un contexte de mobilisation catholique autour du Pape, les
seuls budgets que nous avons retrouvés montrent une amélioration
des ressources disponibles pour les missions33. Le poste missions
passerait de 150 000 L. dans les années 1880 à environ 300 000 L. en
1891. Mais ces évaluations sont très approximatives car des
ressources supplémentaires peuvent être mises à disposition en cours
d'exercice. Le budget prévisionnel de 1888 tablait sur 860 000 L. Il
est gratifié d'une rallonge de 375 000 L. ayant pour origine :
la caisse des procures étrangères : 40 000 L.
un don exceptionnel du Pape sur les fonds recueillis à l'occasion
du jubilé : 300 000 L.
Divers : 13000 L.

Les missions sont les principales bénéficaires de cette manne


répartie entre missions d'Orient (138 000 L.) et d'Occident (173 000).
Les ressources disponibles n'en restent pas moins modestes avec
une somme qui tourne vers 1890 autour de 300 000 F réparties à peu
près à égalité entre Orient et Occident. Elles ne représentent que
25% des dépenses totales de la Propagande et encore envisage-t-on
en 1891 de les ramener à 200 000 L. La marge de manoeuvre est
donc très mince, les postes les plus importants (Collège Urbain,
personnel) ne pouvant pas subir de compression34. Pour 1891 les
dépenses prévisionnelles évaluées à 1 082 447,13 L. se décomposent
ainsi :
Rubrique 16 : honoraires des professeurs du collège Urbain :
43 171,44 L. (4% des dépenses)

33 A.P.F. Acta 261 (1891), f. 7r.


34 1 à 9. Osservazioni al consentivo 1888.
72 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Rubrique 17 : entretien des élèves hors du Collège : 14 034,63 L.


Rubrique 18 : entretien des élèves au Collège : 158 829,98 L.
(Rubriques 17 et 18 = 16%)
Rubrique 29 : Assegni : 160 709,92 L. (14,8%)
Rubrique 30 : missions d'Orient : 148 800,09 L. (13,7%)
Rubrique 31 : missions d'Occident : 153 000,46 L. (14,1%)

L'accroissement des ressources est nettement insuffisant pour


suivre l'augmentation des dépenses. La congrégation générale des
cardinaux compte cette année-là sur une contribution de 291 230 L.
de la caisse des procures installées à l'étranger pour équilibrer son
budget. Mais elle est confrontée à des difficultés croissantes pour
assurer les dépenses de fonctionnement ou de prestige prévues en
1891 : transfert de l'imprimerie, réparations dans le Collège Urbain,
installation d'un laboratoire de physique, mise en place de la statue
du défunt cardinal préfet Simeoni...
Les malheurs de l'imprimerie polyglotte confirment l'existence
d'un malaise financier et l'impuissance des cardinaux à trouver des
solutions à une crise chronique. Les changements de direction sont
sans effet sur le déficit qui passe de 135 971 1. en 1885-1891 à 224 160
1. en 1892-1898. Diverses solutions sont envisagées pour donner une
plus grande liberté à l'entreprise et lui permettre d'être
concurrentielle. Un projet de privatisation de la gestion, la Propagande
conservant la responsabilité morale, est élaboré en 1890 par une
commission composée des cardinaux Aloisi-Masella, Zigliara et Mazzella. Il
est d'abord refusé par Léon XIII, puis ce dernier cède devant la
fermeté et l'insistance de la Commission. Mais l'opération échoue après
le refus de tous les entrepreneurs contactés de reprendre
l'imprimerie : Desclée (Bruxelles), Pustet (Ratisbonne), Vives (Paris), Scurati
(Milan), Marregiani (Bologne). Le congresso de 1900 procède donc à
une réduction du personnel et s'oriente vers le repli sur les marchés
protégés en décidant l'achat de caractères coptes et arabes, et en
prônant la réduction des frais de publicité35. L'absorption de la
Typographie polyglotte de la Propagande par la «Tipografia vaticana»
sanctionnera en 1909 l'impuissance de l'entreprise à assurer un
minimum de rentabilité.
Dans ces conditions, malgré l'appoint précieux des procures, la
Propagande est incapable de faire face au financement des missions

35 A.C.P.F. Acta 271 (1900) f. 103-116. Mesures à prendre pour améliorer le


fonctionnement de la Typographie polyglotte, 19 février 1900. Le nombre
d'employés est réduit de 49 à 44. Le rapport préconise une meilleure surveillance des
ouvriers pour améliorer le rendement ainsi que diverses mesures de «vérité des
prix».
CROISSANCE ET ADAPTATION 73

et doit se contenter de couvrir des frais accessoires et ponctuels :


vestiaire, livres, entretien et logement des missionnaires de passage
à Rome, parfois voyages, petits dons... Pour mesurer ce décalage
entre ses possibilités financières et les besoins des missions, il suffit
de mettre en parallèle 150 000 L. de dotation pour l'ensemble des
missions occidentales avec le coût de l'envoi d'un missionnaire
d'Alger dans les grands lacs en 1885 : 12 792,50 F.. Ce prix de revient est
légèrement abaissé par la suite mais continue d'approcher les
10 000 F. Les budgets prévoient en 1890 pour le Tanganyika (905
baptisés, 360 postulants) : 110 000 F; en 1891-92 pour la mission des
Seychelles (15 872 catholiques) : 91 980 F.; du Nyanza septentrional
(19 000 catholiques) : 148 100 F; de Kabylie : 82 000 F. La plus
grande partie de ces sommes, soit 50 à 75 %, correspond aux frais de
construction, puis d'entretien des élèves ou catéchistes36.
Le conflit avec l'Etat italien n'a pas eu les conséquences
dramatiques évoquées. Il a d'abord accru la fragilité de la Propagande
avant de l'engager dans la recherche de réponses efficaces. Le réseau
des procures se développe à partir de ce contexte nouveau et accroît
les rentrées par une déconcentration de l'administration. Cela ne
suffit pas à donner à la congrégation romaine les ressources
financières dont elle rêve. Les principaux circuits de financement
continuent de passer par les Œuvres privées, en particulier la Propagation
de la Foi et l'Œuvre de la Sainte Enfance. La lecture de la
correspondance adressée par la Propagande aux conseils lyonnais et parisien
de la Propagation de la Foi témoigne de cette dépendance qui
contraint le préfet à intervenir pour recommander des subventions
souvent peu élevées, de l'ordre de 2000F. Il en résulte des relations
ambiguës entre la Propagande, préoccupée d'avoir la maîtrise des
financements, et l'association française, forte de la part des recettes
nationales (de 60 à 70% vers 1900), attachée à conserver la liberté de
répartir elle-même les dons, quel que soit le pays d'origine.
Le contrôle des circuits financiers n'intéresse pas seulement la
Propagande. Il revêt une importance capitale pour la politique
générale de Léon XIII. La maîtrise de ressources régulières et la
rationalisation des finances restent néanmoins un problème mal résolu par
la monarchie pontificale. Nous verrons ultérieurement que Léon
XIII s'efforce de peser sur ceux qui financent les missions, sans
parvenir à établir complètement son contrôle. La disparition de la
Préfecture de l'Economat sous Pie X, à l'occasion de la réforme de la

36 A.P.B.I. Il est illusoire de vouloir établir un budget précis des missions, a


fortiori de prétendre cerner les sources de financement privées et directes, non
déclarées par les missionnaires. Elles peuvent représenter une participation
importante par le biais de donations ou de legs en faveur d'une œuvre ou d'une
construction particulière.
74 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Curie, trahit les difficultés croissantes rencontrées par cet


organisme. Les besoins sans cesse croissants des missions extérieures
conduisaient tôt ou tard à une organisation mieux coordonnée, plus
concentrée, disposant de rentrées assurées et abondantes. Le temps
de la gestion traditionnelle d'un patrimoine de rentier prudent était
révolu.
En définitive le fonctionnement de la Propagande repose sur un
ensemble de règles qui l'apparentent en partie aux administrations
étatiques mais lui confèrent aussi une réelle originalité. La
hiérarchisation des dossiers et des décisions, l'introduction d'une dose de
spécialisation en commissions coexistent avec une gestion où la
pratique des réunions plénières maintient une dimension collective,
voire collégiale. Les méthodes de travail hésitent entre une
spécialisation accrue et la fidélité à la polyvalence.
Surtout le dicastère est caractérisé dans l'ensemble de ses
institutions par une structure tripartite propre à la Curie romaine et dont
il convient d'entreprendre maintenant la description. Le premier
pôle est constitué par les fonctionnaires dits «mineurs» qui
expédient les affaires courantes, préparent, mettent en forme, appliquent
les décisions. Le second pôle correspond aux consulteurs, conseillers
officiels chargés de fournir un avis après avoir évalué les questions
du double point de vue de la théologie et du droit canon. Enfin le
troisième pôle est celui de la congrégation cardinalice chargée
d'élaborer les résolutions qui deviendront décision définitive après
approbation pontificale. La cohésion du système est assurée par les
fonctionnaires majeurs, préfet et secrétaires.
Le niveau qui correspond aux affaires réglées par le congresso
mensuel des cardinaux est le plus aisé à définir, grâce au
dépouillement d'une source homogène et bien délimitée, les Acta. Pour les
autres, nous devrons nous contenter d'une vision globale à travers
l'activité des minutanti, sur lesquels repose l'essentiel du travail, et
l'étude des consulteurs. Nous tenterons ainsi d'esquisser les
processus de prise de décisions, de délimiter successivement la part prise
par les minutanti, les consulteurs, les cardinaux, les chefs de
dicastère, de dégager éventuellement les caractères originaux de cette
administration au sein du gouvernement pontifical.
CHAPITRE 3

AU CŒUR DE LA PROPAGANDE :
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS

«Disons, en terminant, que dans le jugement des causes multiples


portées à ce tribunal supérieur, à ce grand conseil d'Etat de la
Catholicité, la Congrégation (de la Propagande) agit toujours avec une
prudence et une patience consommée. Elle suit le conseil de l'évangile :
estote prudentes sicut serpentes et simplices sicut columbœ, elle a la
prudence du serpent et la simplicité de la colombe1.»

1 - Vue d'ensemble.
Les secrétariats des deux sections comportent d'abord des
employés désignés par le terme générique d'officiali, ou d'aggiunti. Il
n'est pas possible de les comptabiliser car seuls les scrittori
apparaissent dans les annuaires. Les Missiones catholicae citent quatre
scrittori en 1886, puis cinq à partir de 1891. La stabilité dans l'emploi
y est très forte. Déjà cité en 1886, Formuli est toujours en poste en
1901. Marcucci a été nommé scrittore suppléante le 16 avril 1877; il
est titularisé le 1er avril 1879 à l'occasion du départ à la retraite de
Domenico Veglia2. Il exerce toujours son emploi en 1895. Trois des
scrittori de 1891 sont en poste dix ans plus tard (Formuli, Quintini,
Cola). Leur fonction consiste à effectuer un travail de rédaction, de
mise en forme, «en se conformant aux méthodes de la curie pour le
style et l'allure extérieure»3. Les chances de promotion sont
nécessairement limitées, étant donné le petit nombre de minutanti et le
faible taux de renouvellement dans cet emploi. Mais gravitent aussi
dans les bureaux des copistes surnuméraires, stagiaires, employés
occasionnels dont on apprend la présence à l'occasion d'une
promotion ou d'une mutation.
Contrairement aux employés des services annexes, le personnel
d'exécution des secrétariats n'est pas l'objet sous Léon XIII d'une
réunion plénière des cardinaux afin de fixer les salaires ou réformer
le règlement intérieur. Cette lacune rend très difficile une enquête

1 La Propagande. Notice historique op. cit. p. 41-42.


2A.C.P., Lettere 1879 (vol. 375), f. 175.
3 V. Martin, op. cit. p. 10.
76 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

approfondie. Tout au plus peut-on observer que le noyau du


secrétariat de la Propagande latine compte une dizaine d'employés répartis
en nombre à peu près égal entre minutanti et scrìttorì, mais recevant
l'aide de quelques adjoints permanents ou occasionnels. Cela
représente un effectif somme toute restreint au regard de l'activité
déployée par le ministère et laisse supposer une productivité
globalement suffisante pour absorber les tâches du dicastère.
Malgré la brièveté de la journée de travail (les bureaux sont
ouverts de 9 h 30 à 12 h 30), le nombre important de jours chômés, la
durée des grandes vacances (en principe du mois de septembre à la
Saint - Martin), le service fonctionne de manière satisfaisante
puisqu'il n'est jamais question de prendre des mesures pour l'améliorer
ou le réformer, contrairement à l'administration du temporel. Nous
n'avons pas davantage trouvé trace de sanctions, qui peuvent
prendre des formes diverses : réprimande, amende, suspension ou
retrait d'emploi. La réforme de 1908 semble officialiser une pratique
assez souple :
«Le règlement prescrit rigoureusement à tous les employés
d'arriver à l'heure et de ne point partir avant la fermeture. Le secrétaire a
qualité pour imposer des travaux à domicile ou des heures de bureau
supplémentaires à ses subordonnés, quitte à les rétribuer équitable-
ment si le cas se renouvelait trop souvent. En dehors des congés
normaux, le (préfet) peut accorder aux employés un ou deux jours de
liberté par mois, à condition que le travail n'en souffre pas. En outre,
tout fonctionnaire de curie a droit, au moins tous les deux ans, à une
semaine pour faire sa retraite spirituelle...4».

La capacité à assurer la continuité du service constitue un


critère facile à vérifier. Prenant pour référence une année moyenne, en
l'occurrence l'année 1891, la dernière pour laquelle la
correspondance au départ est classée dans un fonds particulier, nous avons
procédé au décompte des lettres expédiées chaque jour. La
comparaison de l'activité, par jour ou par mois, met en évidence une bonne
répartition sur l'année, et une véritable continuité du service, y
compris pendant les «grandes vacances».
A côté des secrétariats, placés sous l'autorité du Préfet de
l'Economat et non de la Propagande, les services composant
l'administration temporelle connaissent une existence plus agitée. Les
fonctionnaires civils attachés à cette administration sont regroupés
primitivement en deux branches, la comptabilité générale et l'azienda

4 V. Martin, op. cit. p. 14.


LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 77

degli Spogli (Chambre des Spogli)5. Les bureaux de la comptabilité


emploient en 1886 vingt-deux personnes dont les renumérations
déterminées par un règlement intérieur sont peu élevées mais
susceptibles de gratifications6.

J FMAMJJASOND
Croquis n° 12 - Répartition mensuelle des lettres expédiées en 1891

Confrontés à de délicats problèmes financiers, les cardinaux


décident le 10 décembre 1888 la réunion temporaire des deux
administrations. Le nouveau relevé du personnel indique alors vingt-
huit employés répartis en trois sections (comptabilité : 5;
correspondance : 3; archives : 3) auxquelles s'ajoutent seize addetti, catégorie
fourre-tout regroupant le caissier, le magasinier, les gardiens, à
plein temps, et... l'agronome, les architectes, le conseil légal ou
l'avoué vacataires. L'échelle des rénumérations débute à 40 lires
(magasinier, gardien) pour atteindre 400 lires (Chef de bureau)7.
Dans une ville essentiellement tertiaire, la Curie constitue pour
la population romaine civile, et pas seulement les ecclésiastiques, un
débouché qui n'est pas négligeable et que confirme l'abondance des
demandes d'emploi chaque fois qu'un poste est vacant à la
Propagande. Il est vrai que pour les employés au service de Pie IX qui ont
refusé en 1870 leur laïcisation, l'administration pontificale demeure

5 Littéralement Chambre des dépouilles.


6 A.C.P.F., Acta 1886/11 (255) f. 478-492. Suite à la délibération du 21 juin
1886 est imprimé le «Règlement pour les employés et addetti du bureau de la
Comptabilité de la SCPF». Rome, 1887, Typ. polyglotte, 30 p. Le règlement
prévoit un comptable général, un chef comptable, un minutante, trois commis, un
archiviste, un protocollista, un caissier, un esattore, un gardien de musée, un
architecte, un agronome, un magasinier, un bussolante, un garde, quatre portiers.
7 A.C.P.F., Acta 1902, f. 565 r-v.
78 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

le seul espoir de travail. Les suppliques d'anciens soldats pontificaux


rappellent la situation difficile de ceux qui ont mal négocié la
transformation politique ou ont voulu rester fidèles à leurs convictions8.
Mais le recrutement donne la priorité aux liens familiaux et sur
vingt-huit emplois civils, six sont occupés en 1902 par des fils
d'autres officiali, un septième étant le gendre de l'architecte qui
n'avait pas eu d'enfant de sexe masculin9.
Deux catégories occupent une place centrale dans le dispositif
de la Propagande et émergent au sein des secrétariats : les
archivistes et les minutanti. Les premiers sont les auxiliaires
indispensables d'une institution dans laquelle la référence à l'histoire n'est
pas seulement commandée par des raisons pratiques. Quant aux
minutanti, ils sont le lien habituel entre les missionnaires sur le terrain
et la direction romaine de l'Eglise.

2 - L'archiviste et ses adjoints, mémoire de la Propagande.

Le pontificat de Léon XIII est marqué par la présence et l'action


efficace d' un unique archiviste en chef, Luigi Oreste Borgia. Prêtre
romain, doté de tous les grades universitaires ecclésiastiques
(philosophie, théologie, droit canon), il entre en mars 1867 dans ce service
en qualité de stagiaire. Un an plus tard, il est titularisé adjoint
d'archivé (aggiunto d'archivio). La promotion de son chef de service,
Mgr Serafino Cretoni10, nommé prosubstitut à la Secrétairie d'Etat,
amène à ouvrir un «concours» pour pourvoir le poste devenu vacant
en mai 1878. Borgia est sélectionné et reste dans cette charge jusqu'à
sa mort, le 14 janvier 1914. Les opérations entourant son
recrutement constituent l'unique occasion d'examiner le fonctionnement de
la Propagande à ce niveau sous Léon XIII.
Le dossier mentionne cinq candidatures. Tommaso Terrinoni,
36 ans, docteur en droit et en théologie (ad honorem), «beneficiato
coadjutore vaticano», a déjà postulé sans succès l'année précédente
pour un poste de scrittore. Employé au bureau de la congrégation du
Concile, il fait valoir son expérience des affaires juridiques.
Giovanni Zonghi, chanoine honoraire de la cathédrale de Fiesole, n'a pas

8 Par exemple : A.C.P.F. Ministri, 11, f. 133-135. Suppliques d'anciens


militaires en 1878.
9 A.C.P.F., Acta 273 (1902), f. 562 dresse la liste des employés qu'un proche
parent a précédés dans l'administration.
10 Serafino Cretoni, né à Soriano le 4-9-1833. Etudes de lettres, philosophie
et théologie à Rome. Pratique l'anglais, le français, le grec, l'espagnol. Sous-
archiviste à la Propagande de 1857 à 1861, archiviste de 1868 à 1878.
Parallèlement enseigne la littérature à l'Apollinaire et la philosophie scolastique au
Collège Urbain. Secrétaire à la S.C. du Concile de la commission pour les affaires
orientales (Ann. Pont., Rome..., Memoria return III/l p. 64).
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 79

besoin de fournir un curriculum vitae : il a été le dernier secrétaire


particulier de Pie IX. Nous le rencontrerons à nouveau après son
repêchage en qualité de minutante. La troisième candidature est plus
étonnante : Quirino Biserna, originaire de Velletri (à 35 kms au sud
de Rome), se contente d'indiquer qu'il est sans emploi depuis la
mort du cardinal Amat dont il était «Maestro di Camera». Les titres
de ces deux clercs garantissent leur honorabilité mais sont
manifestement insuffisants pour occuper une fonction très technique qui,
en l'absence d'école spécialisée, s'apprend par la pratique.
Le quatrième candidat, Stanislas Gentili, est un représentant
typique du clergé romain. Bénéficié de Sainte Marie Majeure et
recteur d'un collège, il cumule ainsi deux revenus pour vivre
correctement. Chapelain de sa Sainteté, il a acquis une respectabilité qui
récompense les services rendus, notamment comme secrétaire au
Concile du Vatican. Candidat à un poste de minutante dans la
section des affaires orientales en 1864, l'ecclésiastique n'a pas renoncé à
l'obtention d'un poste plus prestigieux au sein de la Propagande. Il
tire argument de la promesse que lui aurait faite le Cardinal Barna-
bò, préfet de l'époque, pour revendiquer un droit prioritaire à ce
poste... non sans laisser échapper son amertume de ne pas avoir été
retenu pour un des emplois devenux vacants dans l'intervalle11.
L'anecdote est révélatrice des modes de recrutement et des
comportements des hommes. La Propagande hésite entre le
concours et la cooptation. L'usage tranche en faveur de la seconde
voie ainsi que le confirme le choix de Borgia. Mais si le caractère de
concours ouvert est manifestement très formel, la nature de la
fonction à occuper ne peut pas donner aux candidats une quelconque
égalité de chances. La promotion de Luigi Borgia apparaît jouée
d'avance, justifiée par son expérience, y compris en tant que chef de
service pendant les absences, apparemment nombreuses, de Creto-
ni. Le dossier personnel a soin de souligner cette supériorité,
laissant également entendre qu'avec Borgia la présence du chef de
bureau sera mieux assurée12. La nomination de Borgia respecte
finalement une procédure classique dans la fonction publique : stage d'un
an, titularisation, promotion à l'ancienneté.
Plus indécis devrait être a priori le choix des adjoints d'archivé,
le titre de sous-archiviste ayant été supprimé en mai 1857. Le
recrutement opéré en juin-juillet 1878 donne l'occasion d'en examiner
les modalités et de constater que les méthodes et les critères de
recrutement ne diffèrent pas. Le «concours» est provoqué par la nomi-

11 A.C.P.F., Ministri, vol. 11, f. 162.


12 Ibid. f. 170.
80 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

nation du P. Raffaele Bernaglia à la cure de Sainte-Marie-aux-Monts.


Aussitôt onze candidats se présentent pour lui succéder dans les
archives, nouvelle preuve d'un très fort déséquilibre entre l'offre et la
demande. La majorité des postulants appartiennent au clergé
romain. Plusieurs ont déjé été candidats à d'autres fonctions, soit dans
un bureau de la Propagande (scrìttore des Archives), soit dans le
ministère paroissial (curé de paroisse romaine). Le passage d'une
activité pastorale à une fonction administrative semble déterminé par le
marché de l'emploi ecclésiastique plus que des penchants
personnels, même si la préférence va à la sécurité que garantit la Curie
romaine. Le dossier révèle au passage la précarité de la condition des
ecclésiastiques. Les uns sont sous-employés, à l'exemple de Pietro
Clementi et Gioacchino Sorrentino, catéchistes-directeurs d'une
école nocturne pour la jeunesse, ou d'Antonino Marini, prêt à se
consacrer entièrement à la Propagande puisqu'il n'a pas «d'autres
lourdes occupations»... D'autres sont sans aucun emploi, à l'image
de Salvatore Vespasiani, 59 ans, ancien employé des Archives de la
Propagande, puis minutante et professeur; il a suivi son frère, élu
évêque de Fano, mais depuis le décès de celui-ci, il se retrouve à
Rome sans emploi malgré ses titres en théologie, en droit, et son
rang de camérier d'honneur du pontife. C'est lui qui sera choisi, bien
que Luigi Borgia eût recommandé un autre candidat et que Marini
mette en avant, outre l'appui du cardinal Oreglia, l'expérience
acquise dans les archives de la Consistoriale. Le passé de Vespasiani
dans la famiglia de la Propagande pèse plus lourd que les arguments
des autres candidats.
Deux ans plus tard se déroule un nouveau recrutement pour
deux adjoints. Tous les candidats sont extérieurs à la Propagande.
Borgia, qui a pu affirmer son autorité dans l'intervalle, obtient la
nomination des deux ecclésiastiques qu'il a recommandés dans son
rapport : Antonio Popoli, 27 ans, sans emploi et Francesco Tordella,
34 ans13. En 1880, les Archives emploient seulement quatre
personnes, contre sept quelques années auparavant14. Deux autres
nominations interviennent en 1884, dont l'une est une titularisation. Le
court intervalle qui sépare les opérations de recrutement traduit les
difficultés persistantes à obtenir des employés stables et en nombre
suffisant. La documentation est cependant trop lacunaire pour
établir un décompte précis du personnel employé, faute de pouvoir
repérer la plupart des non titulaires. La faiblesse du traitement, fixé en
1857 à 12 écus pour le premier adjoint, 10 pour les autres, explique,

13 Recommandation de Borgia : A.C. P. F. Ministri, vol. 11, f. 366 v.


Nominations in Lettere 1880, f. 265 (Popoli, 25 mai) et f. 267 (Tordella, 29 mai).
14 Rapport du 1/12/1880. A.C.P.F., Ministri, vol. 11 f. 365 v.
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 81

selon Borgia, la brève durée des passages dans le service. Pour


retenir les employés, les cardinaux ont décidé en 1874 d'aligner le salaire
du premier adjoint sur celui des scrittori du secrétariat15. Malgré cela
l'emploi d'adjoint d'archives est le plus souvent une simple étape
dans une carrière, le premier degré d'un cursus dont« plusieurs
exemples montrent qu'il peut conduire très haut. Ainsi en 1868 Bor-
gia a été titularisé en compagnie de Domenico Jacobini et Cesare
Sambucetti. Le premier sera au terme de sa carrière secrétaire de la
Propagande (1882-1892), cardinal (1896) et Vicaire général de Rome
(899). Le second accédera au poste de nonce apostolique en Bavière
(1900). Quant à Serafino Cretoni, l'ancien chef des archives
deviendra secrétaire de la Propagande orientale (1880-89), nonce à Madrid
(1893-1896) et cardinal (1896).
L'affectation dans ce service de la Propagande manifeste donc
deux logiques parallèles. Pour certains, intégrer ses services
représente un but et le terme d'une carrière. Pour quelques autres, à
l'exemple de Cretoni, D.M. Jacobini, Sambucetti, la nomination est
une manière d'initier de jeunes clercs, remarqués au cours de leurs
études, bénéficiant éventuellement de protections, à la pratique des
affaires ecclésiastiques les plus diverses. L'étendue de la juridiction
de la Propagande fait des archives un terrain d'observation, un
instrument d'enseignement incomparables, en un mot un tremplin
idéal vers les plus hautes destinées et les plus brillantes carrières.
Les bureaux de la Propagande auront alors joué pour ces jeunes
clercs le rôle que tiennent ceux des Affaires ecclésiastiques
extraordinaires pour les jeunes gens bien nés et destinés à la carrière
diplomatique, après qu'ils sont sortis de l'Académie des nobles
ecclésiastiques. La Propagande est ainsi un des passages obligés pour les
jeunes gens ambitieux, originaires de familles bourgeoises, parfois
même de milieu populaire. Après avoir obtenu à Rome les grades
universitaires, ils y trouvent l'occasion d'apprendre le métier, de
prouver leurs aptitudes, d'acquérir une vision de l'Eglise aux
dimensions du monde moderne. Loin d'être un but en soi, la Propagande
devient alors la propédeutique vers des fonctions publiques
prestigieuses.
Si ce schéma reste valable pour l'ensemble des emplois
ecclésiastiques offerts par la Propagande, le maintien de Borgia dans ses
fonctions jusqu'à sa mort témoigne sans doute d'un tournant dans la
conception de la fonction d'archiviste. Le gonflement du volume des
documents qui arrivent et partent de la place d'Espagne impose une

15 A.C.P.F. Acta 1874. P. I (vol. 241) f. 54, fin de la note (l'ensemble des
feuillets est regroupé sous f. 54).
82 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

spécialisation et une professionnalisation de l'emploi. Luigi Borgia


est le prototype de l'employé qui s'identifie peu à peu à sa charge au
point qu'on ne l'imagine pas dans une autre fonction, et que lui-
même ne l'imagine sans doute pas davantage. En l'occurrence cette
longévité assure une connaissance des dossiers particulièrement
utile à une époque où les missions connaissent un essor sans
précédent. Elle compense partiellement l'insuffisance de personnel,
déplorée par l'intéressé qui doit sans doute ne pas compter son temps
pour fournir la documentation nécessaire à certaines délibérations.
Et le sombre tableau qu'il dresse en 1880 traduit l'impuissance
chronique de l'institution à répondre par la création de postes aux
besoins qui ne cessent de croître16.
Dans ces conditions, l'œuvre accomplie par Borgia prend
d'autant plus de relief. Avec l'aide de collaborateurs parfois rétribués à la
vacation, il favorise deux séries de publications tout à fait
révélatrices des préoccupations du moment. La volonté de mesurer les
progrès catholiques le plus exactement possible se traduit par la
création au sein de la congrégation d'un poste officiel de statisticien
(officiale effettivo di statistico, 29/5/1884) ", parfois doublé ou pourvu
d'adjoints18, et la publication d'un annuaire descriptif de l'état des
missions : Missiones catholicae rìtus latinae cura S.C. de Propaganda
Fide descriptae in annum... Annuel de 1886 à 1891, l'ouvrage connaît
ensuite une périodicité incertaine : 1895, 1898, 1901, 1904, 1907...
alors que les volumes s'alourdissent19. Dans une Eglise qui éprouve
le besoin permanent de se compter et de vérifier son expansion, la
statistique devient un critère fondamental pour juger le progrès des
missions.
Parallèlement l'aspiration à une vision exacte et exhaustive du
droit canon, l'obsédante quête de l'orthodoxie, dont Rome a le
monopole, se heurte à la dispersion d'une multitude de décisions. Deux
grandes collections entreprennent de rassembler rationnellement les
décisions romaines depuis la création de la Propagande. Les
Collectanea Sacrae Congregationis de Propaganda Fide (première édition en
un volume, 1893; deuxième édition en 2 volumes, 1907) nous sont
déjà connues. Il faut y ajouter l'œuvre monumentale du lazariste Ra-

16 Ibid. f. 365-366 (traduction).


17A.C.P.F. Lettere 1884, nomination d'Enrico Gualdi au nouveau poste de
statisticien f. 281. Remplacé en 1885, f. 604 par Camillo Laurenti. Décision in Ac-
ta 1884 (vol. 253) f. 178 A.
18 A.C.P.F. Lettere 1888. Nomination de Giovanni Bruni, officiale di
statistica, 4/02, 1888 en remplacement de C. Laurenti devenu minutante. Nomination de
Giuseppe Tarri (?) officiale di statistica, 28/10/1888. Mais Bruni devient
minutante en février 1889.
19 1886 : XXVIII+414 p.; 1891 : LII+626 p.; 1895 : XXXII+703 p.; 901 : XL+758

LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 83

fsele de Martinis, qui a aussi participé activement à la rédaction des


Collectanea, et réunit toutes les bulles et documents pontificaux
donnés pour le dicastère dans le Jurìs Pontifiais de Propaganda Fide. Pars
Prima... (7 volumes édités par l'Imprimerie polyglotte entre 1888 et
190720. La seconde partie est publiée sous Pie X)21. En l'absence d'un
code de droit canon unique, les collections de la Propagande sont
abondamment utilisées dans les manuels de droit ecclésiastique.
Mais l'initiative la plus importante de Borgia concerne la
réforme du mode de classement adopté par les archives. Il met en
application à partir de 1893 une numérotation des documents imitée
de la Secrétairerie d'Etat et généralise le classement des «posizioni»
par rubriques. Cette réforme s'inscrit dans la volonté manifestée
antérieurement de rationaliser le fonctionnement de la congrégation.
Obligés de s'adapter à la croissance régulière des affaires, les
bureaux romains multiplient depuis les années 1850 les directives
visant à uniformiser les démarches de leurs correspondants. Une
circulaire de 1885 récapitule les règles qui s'imposent désormais à tous
et faciliteront le travail des archivistes22. L'application de ces
directives rencontre quelques résistances et nécessite plusieurs rappels à
l'ordre en 1892 et 1896. Il est vrai que certaines dispositions, lues
dans des missions lointaines et isolées, doivent prêter à sourire
quand elles recommandent de soigner l'écriture ou de choisir un
papier clair et épais, pour ne pas occasionner une perte de temps et un
surcroît de fatigue aux fonctionnaires romains23.
La modernisation du système d'archivage traduit à sa manière le
renforcement de la centralisation. Les réponses apportées, même si
elles ne satisfont pas pleinement le chef de service qui souhaiterait
bien évidemment davantage d'employés, ont cependant permis à la
Propagande de faire face à la situation. Le bilan editorial et l'examen
des ponenze manifestent la capacité des archivistes à fournir les
éléments nécessaires aux prises de décision. Bien que nous n'ayons pas
trouvé de trace comparable sous Léon XIII, tout laisse à penser que

20 Iuriis Pontificii de Propaganda Fide Pars prima complectens Buttas Brevia


Acta S.S. a Congregationis institutione adpraesens iuxta temporis seriem disposita
E.mo ac R.mo D.no S.R.E. Cardinali Ioanne Simeoni S. C. de Propaganda Fide
Praefecto, cura ac studio Raphaelis De Martinis, eiusdem Cong. Consult, et Missio-
nis Sacerdotis.
21 ... Pars Secunda complectens Decreta Instructiones Encyclicas Literas etc.
ab eadem Congregatione lata, auspice Miecislao Ledochowski S. C. de Propaganda
Fide Praefecto... (Romae, 1909).
22 Coli. 1907, voi. II n° 1629, p. 205, 1885. Sur sa réception dans les instituts et
congrégations : ARSI, missions, 2, F. I.
23 ARSI. Missions SCP, varia, 3, 1, 19 : instructions du 1er février 1892 et du 18
mai 1896.
84 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

la demande déposée en 1877 en faveur de Serafino Marcucci n'est


pas exceptionnelle : Cretoni propose de lui verser 225 lires en
rétribution de travaux accomplis entre juillet et septembre. L'intéressé a
établi l'index par localité (1636-1639), par matières (1635-1661),
compilé l'index (1622-1639), ce qui confirme le retard dénoncé trois
ans plus tard par Borgia dans la mise en ordre des documents les
plus anciens24. Marcucci trouvera la juste récompense de son travail
dans son engagement au poste de scrittore25.
On peut néanmoins s'interroger sur la portée de la réforme du
mode de classement d'un point de vue de la perception du système
d'administration romain. La disparition des recueils autonomes de
lettres expédiées, désormais fondues dans l'ensemble des
documents, entraîne en effet une nouvelle vision des relations entre le
centre et la périphérie, Rome et ses correspondants. Le classement
antérieur à 1893 donnait l'image du modèle étatique classique. D'un
côté le gouvernement de l'Eglise qui encourage, oriente, légifère,
administre...; de l'autre les gouvernés qui sollicitent, rendent compte,
exécutent les ordres. A partir de 1893, il devient très difficile d'isoler
l'activité spécifique du centre romain puisque la correspondance au
départ se trouve diluée dans l'ensemble des rubriques. De la sorte,
l'action de la Propagande est plus délicate à cerner et se fond dans
l'ensemble de la documentation.

3 - Les Minutanti, chevilles ouvrières du dicastère.

Si les archives apparaissent plutôt comme un service auxiliaire


de la Propagande, l'action des minutanti nous introduit tout à fait au
cœur du dispositif. L'impossibilité de trouver en français un
équivalent de ce terme révèle d'emblée la difficulté de définir une
fonction le plus souvent sous-estimée : «aides de bureau, informateurs,
rédacteurs». Leur importance réelle peut d'abord s'évaluer par
l'étendue de leurs responsabilités. Peu nombreux, ils ont donc en
charge d'immenses zones géographiques : 5 de 1878 à 1884; 3 en
1885; 4 de 1886 à 1889; 5 de 1890 à 1897; 6 enfin à partir de 1898.
L'information sur la répartition des territoires est trop fragmentaire
pour être systématisée. D. Jacobini se voit confier autour des années
1870 les Etats-Unis, le Canada, les Indes et la Chine! Agliardi, en
1877, est chargé des Indes et de la Chine. Zitelli-Natali de 1875 à
1889, puis Bruni sont spécialisés pour les missions d'Afrique et de
Madagascar. En mai 1891, la nomination du secrétaire, Mgr Jacobi-
ni à la nonciature de Lisbonne est l'occasion de plusieurs
changements. Laurenti abandonne l'Asie au profit de Sbaretti et reçoit les

24A.C.P.F. Ministri, vol. 11 (1877-1892), f. 1-2, 28 septembre 1877.


25 A.C.P.F. Lettere 1884, f. 305.
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 85

Etats-Unis26. Mais à cette distribution spatiale, il faut ajouter la


correspondance qui n'entre pas dans ce découpage, par exemple avec
les instituts religieux ou les Œuvres missionnaires. Elle est assurée
alternativement par les uns et les autres.
Outre l'étendue du domaine géographique qui leur est confié, les
minutanti acquièrent surtout de l'importance par la connaissance
des dossiers que donnent la spécialisation et le privilège de suivre les
affaires. Un seul minutante reste en poste pendant une période très
courte de deux ans (Enrico Gualdi)27. Tous les autres ont occupé
cette fonction au minimum durant cinq années avec un record de 28
années (1894-1921, Giovanni Corti). Mais il convient de prendre
également en compte les éventuels emplois antérieurs au sein de la
Propagande qui ont permis aux intéressés de s'initier à la vie de la
congrégation et des missions. La stabilité est donc le trait dominant.
Le tableau ci-dessous récapitule la carrière de chacun des 17
ecclésiastiques qui ont successivement ou parallèlement occupé cette
fonction. Nous avons mentionné dans la mesure du possible la
formation initiale, l'entrée à la Propagande, enfin la principale
caractéristique de la carrière ultérieure.
Le tableau met en évidence les étapes marquantes de ces
carrières. Le trait le plus général concerne la formation initiale. Tous
les minutanti pour lesquels nous avons pu retrouver l'information
ont obtenu leurs diplômes universitaires à Rome, à l'exception de
Sante Tampieri, sorti du séminaire de Faenza. Selon les Normae
peculiares qui accompagnent la bulle de Pie X et réorganisent la
Curie en 1908, les doctorats en théologie et en droit canonique
sont obligatoires pour le recrutement28. Les indications
biographiques ne sont pas assez précises pour acquérir la certitude que
tous les minutanti sont docteurs avant 190829. Avoir accompli ses
études à Rome n'en est pas moins la condition sine qua non du
recrutement. Les cas particuliers d'Antonio Agliardi, appelé à Rome
alors qu'il exerce le ministère paroissial dans le diocèse de Ber-
game, ou d'Emilio Bergamaschi, antérieurement vicaire général de
son diocèse natal (Pontecorvo), ne dérogent pas sur ce point à la
règle générale.

26 A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. III, 22 mai 1891.


27 Nous ne trouvons aucune trace de cet ecclésiastique dans les annuaires en
dehors de son passage à la Propagande.
28R.P. J. Simier. La Curie Romaine. Notes historiques et canoniques... Paris,
édit. de la «Revue Augutinienne», Paris 1909.
29 Seules les informations glanées sur le chanoine Zonghi semblent établir
qu'il est docteur en philosophie et théologie, mais pas en droit canon. Mais son
passage par le collège Capranica compense peut-être cette lacune.
86 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Tableau n° 4
MINUTANTI EMPLOYÉS PAR LA SECTION LATINE SOUS LÉON XIII
(1878-1903)

Nom Carrière antérieure Entrée SCPF Minutante Carrière post.

Agliardi A. Grades au Sénm. 1877 + 1877-1884 Diplomatie


1832-1915 romain prof, de Cardinal
Curé de paroisse Mor. Coll. de Curie
Urb.
Bergamaschi Sém. pont. Pio 1889 1889-1894 Ev. résidentiel
E. Vic. général
1843-1925 (Pontecorvo)
Bruni G. Collège Capranica; Adjoint 1889-1910 mort
1860-1910 grades ord. d'archivé en charge
20/12/1884 1/8/1885 19/8/10
Cavicchioni grades à Rome Minutante 1879-1884 Dél. apost.
B. employé S.C. 1879 Am. lat.
1836-1911 Concile Secret.
SC Concile
Cardinal 1903
Corti G. Collège Capranica; Section 1894-1921
1844-1921 grades Prof. Philo orientale
institut Merode
Di Maria P. grades à Rome minutante 1893-1906 Ev. de
1865-1937 ord. 23/5/1891 Collège Catanzaro
Urbain Diplomatie
Gualdi E. ? Statist. 1885-1886 ?
1884
Laurenti C. Capranica; grades adjoint 1887-1908 secret. SCPF
1861-1938 ord. 7/6/1884 1/10/1884 Col. Card. Curie
Urbain
Pierantozzi G. ? avant 1869 1873-1878 Minut. S. Etat
1841-1909 ord. 15/04/1865 mort
en charge
Sambucetti C. grades à Rome archives 1874-1879 Dél. ap. Am.
1838-1911 ord. 1861 1861 lat. secret. SC
+ coll. Urb. Cérém. nonce
Bavière
Sbaretti D. grades Sém. romain minutante 1884-1893 diplomatie
1856-1939 prof. Coll. Urb. 1er min. Card, de Curie
1889

(à suivre)
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 87

Nom Carrière antérieure Entrée SCPF Minutante Carrière post.

Tampieri S. ? ord. 1883 secr. de


1859-1935 secr. év. Ravenne minutante 1893-1902 M. del Val
(83-87) 1893 AEE et S. Etat
Secr. Card. Oreglia
(87-93)
vie. gai d'Ostie
Torroni F. ? 1860-1884 Substitut S.
Etat
Zecchini A. Capranica, ord. 1873 scrittore minutante sous-secrét.
1850-1921 secr. Cai. Antonelli 1/4/1879 1887-1911 SCPF
(74-78) section latine
secr. Cai. Simeoni
Zitelli-Natali ? 1875-1889 mort
P-1889 en charge
Zonghi G.-M. Capranica; 1878-1887 arch. S. d'Etat
1847-? grades philo-théol. minutante dir. Accad.
secr. de Pie ΓΧ N. eccl.
(1872-78)

Sources biographiques :
ASCPF. Acta 1874; P. I (vol. 241), f. 54 : Nota d'archivio sul concorso
per la nomina degli officiali della SCP. Janvier 1874.
ASCPF. N.S. 1893, voi. 1, f. 45 à 95 Nomination d'un minutante
ASCPF Lettere 1879 (voi. 375) f. 175 (Marcucci, Zecchini)
Lettere, 1884, f. 304 (Zecchini), 281 (Gualdi), 334 (Sbaretti)
Lettere, 1885, f. 509 (Bruni), 604 (Laurenti), 660 (Gualdi)
Lettere 1887 Laurenti (23/11), Zecchini (26/11)
Lettere 1889 f. 121 (Bruni), 126 (Bergamaschi)
N.S. voi. 29, f. 68-69 (Bergamaschi), 70-72 (Corti)
La Gerarchla cattolica, passim
Annuaire pontifical, passim
Dizionario bibliografico degli italiani

Le lieu de naissance constitue un second élément majeur dans la


mesure où il avantage incontestablement les sujets originaires de
Rome ou de sa région. Ceux-ci sont évidemment les mieux placés
pour accéder aux grades universitaires délivrés par les universités
pontificales. Cependant les ecclésiastiques venus de diocèses plus
éloignés ne sont pas absents. On ne peut malheureusement pas
déterminer sur quels critères s'effectue la sélection des individus
choisis pour poursuivre leurs études dans les universités romaines. On
aimerait connaître en particulier la part des origines sociales, des re-
88 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

commandations, des protections, des relations familiales, ou des


aptitudes intellectuelles repérées au cours de la scolarité dans les petits
séminaires et autres collèges. Par contre la mention à cinq reprises
du collège Capranica (Almo Collegio Capranicense) atteste
l'importance de cet établissement dans les carrières des ecclésiastiques
romains.
Fondé en 1457 par le cardinal Capranica, installé à quelques
pas du Panthéon et de la Grégorienne, il reçoit à l'origine des
jeunes clercs sans fortune. Mais la réforme de 1807 a réduit le
nombre de boursiers à 13, les autres pensionnaires étant payants.
Il accueille les séminaristes à partir de dix-sept ans pour leur
permettre de suivre l'enseignement en philosophie, en théologie et en
droit canon dispensé par la Grégorienne. Pépinière de cardinaux
de Curie, de futurs fonctionnaires majeurs, de secrétaires
particuliers de prélats importants (Tampieri secrétaire d'Oreglia;
Zecchini secrétaire d'Antonelli; Zonghi secrétaire de Pie IX), il a
obtenu de Pie VII le privilège de désigner l'élève qui prononce, en
latin, le sermon de l'Ascension devant le Pape. Il compte parmi ses
anciens élèves les frères Vannutelli, Rampolla, di Rende. Il
constitue donc un atout essentiel dans les carrières ecclésiastiques, tant
par la qualité de ses pensionnaires que les liens tissés entre les
individus. La vie d'internat et l'attribution d'un vêtement spécifique
(soutane noire et soprana de soie noire lustrée) cultivent cet éli-
tisme clérical30.
A cette solidarité restreinte s'ajoute le réseau des relations qui
se construit par la fréquentation des mêmes professeurs, des
mêmes lieux, des mêmes salons, sur un espace géographique très
réduit, particulièrement favorable à la multiplication des contacts
et des dîners. La population des séminaristes étudiants se
concentre à l'Université Grégorienne (ou Collège romain) et au
Séminaire pontifical romain (l'Apollinaire). Si le second l'emporte en
prestige pour l'enseignement du droit canon qui forme les
meilleurs juristes, les dominicains n'ont pu enlever aux jésuites,
malgré la généralisation du thomisme, la prééminence en matière de
philosophie et de théologie. La grande majorité des «romains»
sont donc passés sur les bancs de la Grégorienne où l'effectif a
longtemps été réduit (375 élèves en 1878) avant de progresser
fortement sous Léon XIII (708 vers 1888, plus de 900 en 1892)31. La

30 Cf. Rome. Le chef suprême... op. cit. p. 623.


31 D'après R. Aubert. «Aspetti della cultura cattolica»..., p. 215, note 44. Sur
l'enseignement de la philosophie et de la théologie, mais sans appréhender la
portée des mutations et des conflits : G. Filograssi. «Teologia e filosofìa nel Collegio
romano dal 1824 ad oggi. (Note e ricordi)». Gregorianum, XXXV, 1954, p. 512-
540.
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 89

génération des jeunes minutanti recrutée sous Léon XIII y reçoit


ainsi l'enseignement donné par Giuseppe Pecci, Zigliara, Mazzella,
Billot, dont les noms sont immanquablement évoqués par les
biographies.
Ainsi Rome tient pleinement la place que le consensus
catholique lui reconnaît quasi unanimement en cette deuxième moitié
du XIXe s. La supériorité de l'enseignement qui y est dispensé
apporte les indispensables garanties d'orthodoxie exigées des
employés supérieurs de la Curie. C'est bien là la condition nécessaire,
sinon suffisante, à l'entrée des clercs séculiers dans les rouages du
gouvernement de l'Eglise. La légitimité du pouvoir auxquels ils
vont participer se fonde d'abord sur cette formation dans laquelle
ils ont puisé la vraie doctrine.
Ce raisonnement vaut également pour le développement des
collèges ou séminaires qui accueillent les séminaristes étrangers,
afin qu'eux aussi, en face des survivances gallicanes, des initiatives
hardies» (et manquant de «solidité doctrinale») du clergé nord-
américain, des «mœurs relâchées» des Américains du sud,
puissent «représenter et défendre dans leur pays les bonnes et
solides doctrines romaines»32. Les futurs hauts fonctionnaires de
l'Eglise ont été initialement mêlés aux futures élites des Eglises
locales, avec lesquelles ils trouveront spontanément un langage
commun.
Avoir conquis ses grades à Rome confère donc aux séculiers
un label d'orthodoxie qui ouvre les portes de la carrière
ecclésiastique. Mais ce serait une erreur de l'imaginer sur le modèle d'une
grande école qui délivre un diplôme prestigieux et crée une
solidarité essentiellement corporatiste entre les anciens élèves.
L'environnement romain et la nature de la formation, spirituelle autant
qu'intellectuelle, moulent les comportements, modèlent les esprits,
marquent les sensibilités, créent une connivence, laissent dans les
cœurs et les têtes une empreinte durable. La formation romaine
dote les individus d'une très forte identité, véritable cordon
ombilical qui les rattache par des liens personnels au centre du système
catholique.
A défaut de disposer du témoignage des minutanti, les
souvenirs de Ladislaw Zaleski fournissent un témoignage précieux de
cette mentalité ecclésiastique romaine. Ce clerc polonais, issu de
l'Académie des Nobles ecclésiastiques, a fréquenté la Grégorienne
au moment où Mazzella venait d'y être nommé pour enseigner la
théologie thomiste en 1878. En 1886, il abandonne le secrétariat

i2Rome. Le chef suprême p. 594.


90 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

de la nonciature de Paris car il est choisi comme secrétaire de


Mgr Agliardi, délégué apostolique en Inde. Six ans plus tard, il
occupera lui-même ce poste. Pour l'heure, il s'embarque avec
Agliardi et Aiuti (autre futur cardinal) en décembre 1886 et atteint
quelques semaines plus tard Ceylan. Quelle n'est pas sa surprise de
retrouver à son arrivée trois anciens compagnons d'études.
L'évocation de cette rencontre inattendue lui donne l'occasion
d'évoquer de manière saisissante l'identité romaine que nous
décrivions.
«Mgr Sébastien Delgado, prêtre indien goanais, avec lequel j'avais
fait mon droit à l'université de Saint Apollinaire à Rome - et qui s'y
distinguait entre nous tous, non seulement par la couleur de son
visage, mais bien plus encore par son talent et ses capacités - et deux
bons religieux oblats : les pères Bullig et Boyer, qui avaient fait, avec
moi, leurs cours de théologie à Rome. Pendant trois ans j'étais assis en
face de leur banc et nous nous regardions dans le blanc des yeux. Ils
étaient magnifiques ces cours que faisait le R.P. Mazzella, aujourd'hui
Cardinal. Nous eûmes donc bien des choses à nous dire; qui aurait cru
que nous allions nous rencontrer ici, sur une terre étrangère, si loin de
Rome, si loin de notre patrie?...
Je venais d'ordinaire aux cours de l'Université Grégorienne en
compagnie du marquis Misciatelli et nous nous mettions l'un à côté
de l'autre, dans le banc réservé à l'Académie Ecclésiastique.
Misciatel i était grand et très gros, moi maigre comme un cocotier. On nous
avait surnommé «les vaches du Pharaon».
Pour voir et comprendre combien Rome est vraiment le centre du
monde, il faut y avoir fait ses études, il faut y avoir connu cette
jeunesse qui fréquente les cours des quatre Universités pontificales.
Dans les cinq dernières années, j'ai parcouru presque toute
l'Europe - depuis Londres jusqu'à Constantinople - et dans chaque ville
que j'ai visité j'ai presque toujours trouvé quelque compagnon de
Rome».
Pour Zaleski, Rome donne le sens de l'universalité et donc un
contenu à la catholicité d'où découle une fierté insensible aux
attaques de modernes Néron.
«Mais ce qui me touchait le plus vivement, c'était, lorsque le
dimanche, dans l'après-midi, à l'heure où tous les élèves sortaient pour
faire leur promenade au Pincio ou à la Villa Borghese, - ils entraient
en passant, dans l'église de Sainte Marie du Peuple, pour faire une
courte prière. J'aimais aussi à m'y trouver alors. On y voyait rassemblé
autour de l'autel des jeunes gens de toutes les terres du globe, à côté
du blanc Européen se tenaient l'Arabe et le Chinois, l'Ethiopien et le
nègre du Soudan, l'Américain et le fort Australien dans ce temple sous
le pavé duquel reposent encore peut-être les cendres de Néron... se
tenaient à genoux, aux pieds de Jésus-Christ, ces enfants de toutes les
terres du monde dont le fier empereur, ennemi des Chrétiens, n'aurait
pas même osé rêver la conquête... les terres lointaines, le Christ les a
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 91

courbées sous son joug pacifique. Quelle leçon pour ceux qui
persécutent l'Eglise!33».

4 - Aptitudes, diplômes et recommandations.

Les diplômes en poche et la formation cléricale achevée dans les


grands établissements romains, comment se fait le passage dans la
vie professionnelle? Le jeune clerc n'est pas dans l'obligation
d'acquérir primitivement une expérience pastorale en exerçant un
ministère. Les dates d'ordination sont généralement très proches du
premier emploi dans les bureaux de la Propagande (Bruni, Di
Maria, Laurenti, Pierantozzi, Sambucetti, Sbaretti) ou d'autres
congrégations (Cavicchioni). La lecture des dossiers de candidature aux
postes inférieurs, notamment ceux de scrittore ou aggiunto, même si
tous ne sont pas appelés à devenir par la suite minutante, confirme
que cette tradition vaut pour tous les recrutements. Le déroulement
normal des carrières implique donc d'être choisi pour une fonction
dans un bureau (studio) de la Curie à la fin des études universitaires.
Le détour par le secrétariat particulier d'un dignitaire de
l'Eglise, surtout quand il s'agit d'un cardinal de curie (Oreglia pour
Tampieri; Antonelli et Simeoni pour Zecchini), n'est qu'une variante
de ce modèle. Deux itinéraires seulement divergent dans notre
échantillon. Agliardi exerce d'abord le ministère paroissial et
Bergamaschi rentre dans son diocèse où ses diplômes romains lui
assurent aussitôt, malgré sa jeunesse, des responsabilités importantes.
Mais si Agliardi paraît venir à Rome à la demande expresse de Pie
IX, la démarche de Bergamaschi correspond à une décision
personnelle et traduit une «vocation». Les efforts des évêques locaux
pour retenir dans le diocèse les jeunes prêtres diplômés, en les
associant à leur administration ou en les nommant professeurs du
séminaire diocésain, ne sont pas toujours couronnés de succès.
Le népotisme ne semble plus jouer un rôle déterminant dans le
choix des minutanti, à moins que les sources n'occultent toute
allusion aux liens familiaux. Nous n'avons pu l'établir que dans un seul
cas, celui de Donato Sbaretti, neveu du cardinal du même nom,
futur cardinal de Curie lui-même34. Le deuxième moment stratégique
est le passage d'un emploi inférieur à un poste de minutante. Si le
déséquilibre entre l'offre et la demande y est nettement moins fort
qu'au stade antérieur, le petit nombre de scrittori devenus minutanti
prouve que l'avancement n'est pas automatique. La compétition ne

33 L. Zaleski. Voyage à Ceylan et aux Indes, 1887, par Mgr Zaleski. Rome,
impr. A Befani, 1888, 427 p., p. 51-53. La même tonalité est rendue par de
multiples ouvrages de mémoires.
34 A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. III, 22 mai 1891.
92 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

peut qu'être vive entre les candidats qui présentent des profils et des
arguments très proches. Quels sont donc les critères retenus par le
congresso des cardinaux pour choisir les chefs de section de la
Propagande?
La qualité scientifique du candidat constitue en première
lecture un argument décisif dans le recrutement. Les clercs qui font
acte de candidature le savent bien. Ils ont soin de mettre en valeur
les récompenses obtenues afin d'attester qu'ils ont accompli des
cursus universitaires de qualité35. Mais les tergiversations dans la
procédure et la diversité des considérations ne permettent pas
d'extraire des règles bien définies.
Trois recrutements opérés en 1874, 1878 et 1893 fournissent
exceptionnellement des informations précises. Le premier est aussi le
plus précieux parce qu'il comporte une nota d'archivio destinée à
éclairer les cardinaux sur les modalités de recrutement des
employés de la Propagande. Le besoin de faire le point trahit déjà le
flou des pratiques. On y apprend qu'une délibération de 1858 a
décidé l'instauration d'un concours qui a alors été appliqué aux
employés des Archives. Deux ans plus tard le principe est étendu au
personnel de la comptabilité et du secrétariat. Il prévoit un examen
oral et écrit. Mais la décision ne sera observée qu'une seule fois en
1861 pour la nomination d'un secrétaire. Sur la recommandation du
pape, le poste à pourvoir dans la comptabilité l'a été par simple
examen de l'unique candidat. Par la suite trois minutanti de la section
latine sont nommés sans concours ni examen en 1861 (Chanoine
Roncetti), 1862 (Chanoine Delicati) et 1866 (abbé Jacobini transféré
des Archives au secrétariat).
Les emplois d'archivistes, ou de rang inférieur, ne connaissent
pas davantage d'examen ou concours entre 1862 et 1866. Nouvelle
donne en 1867 après une réunion cardinalice qui opte pour d'autres
modalités. Afin d'éviter les inconvénients (?) du concours, le
congresso décide d'instaurer un stage pratique au terme duquel sera évaluée
la capacité de l'employé. Mais ces stages, réservés à un employé déjà
en poste, relèvent de la promotion interne et écartent les candidats
extérieurs. Cette formule est appliquée en 1868 aux adjoints des
archives (dont Sambucetti et Borgia) et à un secrétaire; en 1869 à la
nomination de Giovanni Pierantozzi au poste de minutante adjoint
avec droit de succession et d'un autre adjoint d'archivé (Raffaele Be-
neglia). La note d'archivé conclut, non sans humour, que le
concours est théoriquement la loi... mais que la congrégation et le

35 Nous devons cependant avouer que l'abondance des médailles et des prix
cités dans les dossiers rend délicate l'appréciation de leur signification exacte.
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 93

Saint Père ont manifesté à plusieurs reprises leurs préférences pour


le stage probatoire. Forte de ces renseignements, qui laissent toutes
les possibilités ouvertes, la réunion plénière des cardinaux du 20
janvier 1874 examine les trois candidatures soumises à son choix
afin de pourvoir le poste de minutante laissé vacant par le transfert
de Domenico Jacobini au Secrétariat des Brefs. Les trois candidats,
à savoir Cesare Sambucetti (n° 1), Francesco Spolverini (n° 2), Gian
Battista Cornevalini (n° 3) sont docteurs en philosophie et théologie.
Seul Spolverini a obtenu le doctorat en droit à l'Apollinaire. Ce
dernier dispose manifestement des meilleures références universitaires,
avec une impressionnante collection de médailles, de premiers prix,
de victoires dans les concours de théologie ou d'Ecriture Sainte (le
seul accompagné d'une récompense en argent de 40 écus). Employé
pour préparer des dossiers sur les ordres religieux lors du Concile,
secrétaire d'une ambassade pontificale auprès de la Sublime Porte,
ce jeune ecclésiastique n'est pourtant pas retenu. Sambucetti lui est
préféré parce qu'il a une longue pratique des affaires ecclésiastiques
et des langues étrangères, français et anglais. Employé
immédiatement après son ordination pendant sept ans aux archives, scrittore
au Concile du Vatican, puis secrétaire de la Propagande latine pour
la Chine, puis de la Propagande orientale, employé à la congrégation
du Concile, son expérience administrative est de fait considérable.
En outre il a occupé à plusieurs reprises, au collège Urbain ou à
l'Apollinaire, des chaires d'enseignement au titre de professeur
titulaire ou académique (= remplaçant), tant en mathématique qu'en
lettres ou philosophie.
Cependant les conditions de sa nomination suggèrent que ce
choix n'allait pas de soi, le concurrent classé second ayant des titres
universitaires au moins aussi brillants. Tout incite donc à penser
que, derrière la froideur des dossiers et des décisions, d'autres
variables entrent en ligne de compte. Le cas de Sambucetti semble
exemplaire de relations et de protections non dites qui ont permis à
sa carrière, dès son ordination, de se dérouler heureusement et
rapidement. Cette quasi programmation se vérifie a posteriori. Après
un emploi de cinq ans comme minutante, ultime test de ses qualités,
l'intéressé est nommé délégué apostolique auprès des républiques
d'Equateur, Pérou et Bolivie. (18 avril 1882).
La valse hésitation - examen, concours, désignation directe -
continue après 1874, comme si la pratique de la cooptation
provoquait des critiques et avait besoin périodiquement d'être corrigée
par une injection de critères plus neutres. La nomination de Benia-
nimo Cavicchioni (début 1879) semble effectuée sans qu'on lui
oppose de rivaux. Mais son parcours est trop parallèle à celui de
Sambucetti pour ne pas imaginer qu'il bénéficie également d'appuis.
Spécialisé en droit canon, employé à la congrégation du Concile,
94 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

avocat pour les causes ecclésiastiques, engagé après concours au


secrétariat de cette congrégation, son transfert à la Propagande paraît
favorisé par une main invisible. Lui aussi passe cinq années à son
poste avant d'être nommé délégué apostolique en 1884, à la place de
Sambucetti justement.
Pendant dix ans seules les Lettere enregistrent la nomination des
minutanti. En 1889 les Acta signalent deux nouvelles nominations
sans fournir d'information sur la procédure qui aboutit à la
nomination de Giovanni Bruni et Paolo Bergamaschi36 Le premier était déjà
employé dans le secrétariat en qualité de minutante adjoint. Le
second remplace Zitelli-Natali décédé. Il bénéficie de la protection du
Cardinal Aloisi-Masella et la lettre qu'il adresse à Mgr D. Jacobini,
Secrétaire de la Propagande latine, laisse entrevoir d'autres
recommandations .
Il faut attendre 1893 pour qu'un nouveau concours soit organisé
aux fins de départager trois ecclésiastiques. Il constitue même
l'unique véritable application de la décision prise en 1858 pour recruter
ces fonctionnaires37. A quelle motivation attribuer cette irruption
d'une procédure qui n'avait jamais réussi à s'imposer? Notre
hypothèse est qu'elle triomphe chaque fois que les circonstances mettent
en présence plusieurs ecclésiastiques pouvant se prévaloir de titres,
d'expérience, et de protections sensiblement équivalentes. Elle
devient en effet la meilleure manière de dirimer les conflits souterrains
nés de protections rivales. Le concours de 1893 laisse en effet
perplexe.
Trois concurrents ont été retenus. Sante Tampieri est
recommandé par le cardinal Oreglia dont il est secrétaire. Il possède
un doctorat en droit canon et l'équivalence d'un doctorat en
théologie (quelle équivalence?), en raison d'excellentes études accomplies
au Séminaire de Faenza. Il a aussi servi comme auditeur à la
congrégation du Concile et a entrepris l'apprentissage de l'anglais. Mais il
souffre d'un handicap sérieux : il n'a pas reçu la formation
universitaire romaine. Au contraire Ruggero Rossetti répond à tous les
critères relevés jusqu'ici : études à l'Apollinaire, grades en théologie,
droit civil et canon, professeur à l'Université romaine, vice-recteur
du Séminaire du Vatican. Enfin Filippo de Lorenzi a fourni un
certificat du cardinal Parocchi, est docteur en théologie et professeur de
théologie morale au Séminaire romain. Le concours comporte
d'abord une épreuve écrite de 8 h30 à 14 heures. Elle comprend la
rédaction dans les quatre langues de la Propagande (latin, anglais,

36 A.C.P.F. Acta 259 (1889). Nomina del sacerdote Giovanni Bruni e Mons.
Emilio Bergamaschi a minutanti della Segreteria, 28 janvier 1889, f. 22-27.
37 A.C.P.F. N.S. vol. 1, f. 45 à 95. Nomination d'un minutante pour la section
latine de la SCPF. Relation verbale du 24 avril 1893.
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 95

français, italien) de quatre documents caractéristiques de ce dicas-


tère. Les candidats doivent successivement répondre à un rapport
sur l'état d'une mission; à un appel adressé à la Propagande contre
l'ordinaire du lieu; à une demande de recommandation d'un institut
pour obtenir des missionnaires; au rapport d'un évêque. L'examen
oral consiste dans l'étude d'une demande de dispense matrimoniale
pour empêchement par consanguinité.
Mises dans des enveloppes de manière anonyme, les copies sont
corrigées par des spécialistes confirmés (Ciasca, Aiuti...) et livrent
un verdict clair. Lorenzi obtient 29 points, Rossetti 24, Tampieri 21.
Seuls les deux premiers ont pu rédiger dans les quatre langues,
Tampieri se contentant de l'italien et du latin. Mais l'examen oral vient
bouleverser ces résultats. En obtenant 30 points, contre 29 à
Tampieri et 20 à Lorenzi, Rossetti triomphe et obtient le poste.
Cependant son évêque s'opposera à sa nomination et c'est finalement
Tampieri, classé second, qui sera retenu.
Sans mettre en cause la régularité de l'examen, il est difficile de
ne pas s'étonner devant la part décisive accordée à l'oral, épreuve la
moins objective, et dont le contenu favorisait un canoniste. Tout
tend à donner le sentiment que Rossetti constituait a prìori le
candidat possédant les meilleurs titres, mais qu'il était difficile de
mécontenter le cardinal Oreglia. La procédure du concours venait à
point légitimer cette préférence. Rossetti écarté (pour quelles
raisons précises?), Tampieri l'emportait sur Lorenzi pour un petit point
obtenu par un spectaculaire renversement de situation à l'oral... En
somme, avec ou sans examen, la pesanteur de la cooptation
l'emporte sur d'autres modalités. Cette manière de procéder introduit un
arbitraire susceptible d'engendrer des rancœurs et d'alimenter le
clientélisme.
Pourtant rien n'indique qu'elle ait été préjudiciable à la qualité
du recrutement, tant les profils des candidats se ressemblent. Les
règles de promotion interne n'étant pas réglementées, comme dans
la plupart des Etats, par l'ancienneté ou le concours interne, toute
nomination résulte nécessairement de critères en partie subjectifs et
de négociations entre décideurs - protecteurs. Les traditions de
clientélisme, certes corrigées par la prise en compte des capacités et
des comportements ecclésiastiques, restent souvent décisives.
Elles trouvent théoriquement un premier contre-poids dans le
contrôle que le Pape exerce sur la nomination des minutanti. Léon
XIII demande en 1899 qu'on l'avise avant que les postes vacants
soient pourvus38. Quelques semaines plus tard, il accepte officielle-

38 A.C.P.F. N.S. 147 (Rub. 2/1899) f. 175-176. Sulla nomina di minutanti alla
Segreteria.
96 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

ment que les employés de la Propagande soient nommés par le


Préfet lui-même mais il excepte les minutanti de cette mesure39. De la
sorte Léon XIII se réserve la possibilité d'intervenir et prouve
l'intérêt qu'il accorde à la fonction de minutante pour l'application de ses
orientations.
Il ne faut cependant pas forcer cette image de l'employé docile
et conformiste, soucieux de plaire pour faire carrière. Le travail
quotidien met le fonctionnaire en présence d'une formidable variété de
questions posées par les nouvelles missions et il n'est pas toujours
possible de les ramener à des cas de figure connus. L'esprit
d'initiative retrouve alors une place. Enfin le fonctionnaire de la
Propagande ne vit pas dans un complet isolement. Il rencontre à Rome les
représentants des sociétés missionnaires et tous les ecclésiastiques
venus accomplir une démarche à la Propagande. Sociologiquement
très typé, ce petit monde de bureaucrates doit aussi prouver son
aptitude à gérer la diversité des situations et des hommes.

5 - Des fonctionnaires très sollicités.


L'accès au poste de minutante confère donc une réelle
responsabilité. Les interlocuteurs de la Propagande le savent bien et
cherchent tous à nouer des liens réguliers, voire privilégiés avec ces
ecclésiastiques. Ils s'intéressent particulièrement à celui qui a la
charge de leurs territoires ainsi qu'au premier minutante,
fonctionnaire le plus proche du secrétaire et du Préfet. La correspondance
échangée par le père Burtin, procureur des pères blancs à Rome,
avec Lavigerie, puis avec Livinhac, son successeur à la tête de la
société, nous permet d'entrer à l'intérieur de ces relations et de mieux
saisir la position stratégique des minutanti.
Lavigerie connaît parfaitement les milieux romains pour les
avoir longuement fréquentés, d'abord quand il séjournait à Rome en
qualité d'auditeur de Rote 1861-1863), puis par ses visites d'évêque
résidentiel de Nancy (1863) et d'Alger (1867), enfin comme cardinal
(1882) attaché notamment à la Propagande. Fort de cette
expérience, le primat d'Afrique adresse régulièrement à son procureur
des instructions sur la manière de suivre les affaires en cours. Il
insiste sur la nécessité de s'adresser à la source, en l'occurrence au
minutante :
«Pour avoir des détails tout à fait sûrs et précis, il faut aller
trouver Mgr Zitelli minutante pour les affaires équatoriales et à qui vous
viendrez demander de ma part ce qui s'est passé pour l'érection du
Congo. Quand vous aurez lu bien attentivement ma lettre au
Cardinal vous connaîtrez et vous comprendrez j'espère assez bien l'affaire

39 Ibid. f. 199-200.
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 97

pour que ce que vous dira Mgr Zitelli vous permette d'en apprécier
le caractère et de m'en informer exactement40».
Quelques mois plus tard, au retour d'une visite - inspection à
Rome, Lavigerie condense sa volonté par des directives fort
explicites :
«II faut éviter de faire des visites inutiles soit aux cardinaux, soit
aux prélats, soit aux communautés religieuses. Ces visites ne
peuvent que faire perdre l'esprit intérieur, la considération même, et
mêler nos missionnaires à des cancans, et par suite à des divisions et
à des haines qu'il faut absolument éviter.
En conséquence et pratiquement, je défends au père Burtin de
faire aucune visite personnelle soit aux cardinaux, soit aux Evêques,
aux Prélats, soit aux communautés, autrement que pour traiter
quelque affaire à sa charge, ou accomplir une commission précise qui lui
serait donnée par ses supérieurs. Il s'abstiendra, en particulier,
d'aller voir, comme il l'a fait jusqu'ici, les Evêques de France, lorsqu'ils
viendront à Rome, et il se contentera de leur porter sa carte au
moment où il pourra prévoir qu'ils ne sont pas chez eux.
Il ira en moyenne une fois par semaine à la Propagande, pour
demander à Mgr Zitelli, à Mgr Zonghi ou à Mgr Jacobini s'ils ont
quelque chose à me faire savoir qui intéresse nos Missions...41».
Ce guide du bon usage de Rome marque bien la coexistence
d'une sphère ecclésiastique mondaine, propice aux rumeurs, à la
formation des tendances et des clans, et d'une minorité travailleuse,
prudente, peu loquace mais qui détient l'information et exerce
véritablement le pouvoir. Selon Lavigerie, les deux minutanti
appartiennent précisément à ce cercle très restreint. Le père Burtin suivra
fidèlement les instructions du cardinal. A vrai dire, il ne les avait pas
attendues pour rencontrer régulièrement les minutanti. Mais il est
clair que la fréquentation du palais de la Propagande lui apprendra
à utiliser au mieux ses relations. Il est efficacement servi dans cette
tâche par l'habileté de Lavigerie qui sait comment on gagne la
confiance et les faveurs d'un fonctionnaire ecclésiastique de la
Curie. Le procureur des Pères blancs confirme une semaine plus
tard l'efficacité de ce réseau romain :
«Le Saint Père s'intéresse à Mgr Zitelli sur votre puissante
recommandation. Je ne sais pas où sa Sainteté veut le nommer; mais ce
que je sais, c'est qu'elle a demandé à Mgr Jacobini s'il était content du
Minutante de la Propagande, si on pouvait facilement le remplacer. . .
Ce dernier ne se possède pas de joie et il m'a dit : voyez ce que peut
S.E. le Cardinal Lavigerie42.»

40 A. P. Bl. Lavigerie à Burtin, Carthage 9 juin 1886, Β 2-208, Τ 994.


41 A. P. Bl. Lavigerie à Burtin, 26 avril 1 887,B 2-222(1).
42 A. P. Bl. Rome, 2 mai 1887. Burtin à Lavigerie. T. 1032, N° 7018.
98 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

En réalité Zitelli sera (seulement) nommé «prélat domestique de


Sa Sainteté» mais le caractère honorifique de la distinction semble
combler l'intéressé43. Désormais les pères blancs ont dans la place
un allié qui leur communique des renseignements confidentiels et
pousse discrètement les dossiers44. Il se révèle précieux quand le
père Amrheim, bénédictin allemand, ouvre les négociations pour
établir des missionnaires allemands au Tanganyka45. «Mgr Zitelli
m'a donné secrètement connaissance d'un télégramme que ce Père
adressait à Mgr Jacobini46».
Une autre affaire opposant Lavigerie à Mgr Sogaro à propos des
limites de leurs vicariats en Afrique centrale, donne encore
l'occasion à Zitelli de prouver sa gratitude à son bienfaiteur. «Mgr Zitelli a
prouvé au congrès que Mgr Sogaro se trompait et que les limites
dataient de 1880, non de l'année dernière. Il paraît que Mgr Jacobini ne
se souvenait plus de ce premier décret, c'est assez étrange.» Et le
procureur ajoute qu'il sait cela par le rapport secret de Mgr Zitelli
qui a traité Mgr Sogaro de «broglione de première qualité47».
Dans ce cas, le secret administratif se trouve contourné. Grâce
au minutante, Burtin a obtenu des informations sur lesquelles le
secrétaire Jacobini avait gardé un silence absolu malgré les questions
posées. Mais la personnalité de Lavigerie explique sans doute pour
une bonne part ce type de situation. Burtin le sait bien qui note en
janvier 1888 : «Mgr Zitelli me demande chaque fois que je vais à la
Propagande à quel moment vous arriverez. Il est on ne peut plus
aimable et prévenant pour moi. Tant qu'il sera minutante, ce sera un
homme bien précieux pour nos missionnaires48».
Victime d'une attaque en juin 1888, le minutante meurt en
pleine activité, vraisemblablement d'une crise cardiaque, le 11
janvier 188949. S'il a des raisons personnelles de regretter le disparu,
Burtin semble cependant suggérer que les libertés prises par Zitelli
avec le secret administratif pesaient peu en proportion de ses
qualités professionnelles :

43 A. P. Bl. Rome, Burtin à Lavigerie, 12 avril 1887. T. 1034; N° 7020 : «Mgr


Zitelli est très heureux d'avoir été nommé prélat domestique».
44 A. P. Bl. Rome, Burtin à Lavigerie, 2 mars 1888. Τ 1101, N° 7077. «Mgr
Zitelli a recommandé tout spécialement nos missions».
45 A. P. Bl. Rome, Burtin à Lavigerie, 30 juin 1887. T. 1049, N° 7032.
46 A. P. Bl. Rome, Burtin à Lavigerie., 12 juillet 1887. Τ 1052, N° 7035.
47 A. P. Bl. Rome, Burtin à Lavigerie, 25 novembre 1887. Τ 1077, N° 7060.
48 A. P. Bl. Rome, Burtin à Lavigerie, 26 janvier 1888. Τ 1088, N° 7070.
49 A. P. Bl. Rome, Burtin à Lavigerie, 28 juin 1888. Τ 1125, N° 7101 : «Mgr
Zitelli a eu ce matin à la Propagande un étouffement : il est tombé par terre sans
connaissance.» Burtin rend visite au malade qui lui confie : «c'est un mauvais
signe». Et de commenter : «Espérons que Mgr Zitelli n'a pas été bon prophète en
me disant cela; nous serions les premiers à le déplorer».
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 99

«Tout le inonde le regrette, les procureurs surtout qui ne


retrouveront que difficilement un prélat aussi dévoué et aussi simple avec
eux, aussi instruit et aussi expéditif dans le maniement des affaires50».
Le retour à une situation plus normale après cette date montre
qu'il ne faut cependant pas donner une importance excessive aux
«confidences « de Zitelli. En premier lieu les informations
véritablement confidentielles sont peu nombreuses et la docilité de ce
minutante représente un cas de figure exceptionnel, largement lié à la
personnalité de Lavigerie et à sa position. Par ailleurs, replacées dans
l'ensemble des affaires traitées, les indications fournies ne sont
jamais de nature à exercer une influence décisive sur le cours des
délibérations. Le premier minutante joue le plus souvent le rôle de
conseiller technique auprès des pères blancs. Il sait de l'intérieur
quel est l'état d'esprit des décideurs et peut indiquer l'attitude la plus
opportune dans les affaires en cours. Ainsi Zitelli n'hésite pas à
tempérer les ardeurs de Lavigerie contre Mgr Sogaro. Et le
fonctionnaire fournit le modèle de lettre à adresser au Pape, mélange habile
de déclaration d'attachement filial et de défense des droits de la
société51.
En somme les confidences de Zitelli constituent le cas limite
d'une pratique tacitement tolérée. En effet le secret imposé aux
employés de la Curie souffre des accommodements qui ne sont pas de
véritables fuites car ils ne portent pas sur l'essentiel et servent au
contraire à faire patienter les intéressés. Des bribes d'informations
sont régulièrement distillées, laissant espérer l'issue heureuse d'une
demande ou préparant à l'acceptation d'un refus. Le minutante jouit
d'une certaine latitude, implicite ou explicite, dans ses rapports avec
les sociétés missionnaires. Procureur et minutante sont au centre
d'un jeu de demi-secrets peu compromettants, d'allusions plus ou
moins codées, et dont personne n'est dupe.
Le remplacement de Zitelli par Sbaretti prouve que le
comportement du premier ne sortait pas vraiment des normes admises. Sans
ressusciter les relations privilégiées d'autrefois, le procureur des

50 A. P. Bl. Rome, Burtin à Lavigerie, 11 janvier 1889. Τ 1166, N° 7130.


51 A.M.G.P.B. Burtin à Lavigerie, E-5,T.l 120, n° 7096. «T.S. Père, Vous
connaissez le dévoûment (sic) sans borne que je professe pour Votre personne
sacrée, comme aussi la profonde soumission que j'ai toujours montrée pour vos
ordres paternels. Cette soumission, très Saint Père, je l'aurai toute ma vie,
heureux d'être jusqu'à la mort fidèle à vos sages enseignements. Aussi, plein du désir
de connaître Votre Sainte volonté dans une affaire qui regarde et l'Ambassade
d'Autriche et Votre humble serviteur, j'ai l'honneur de soumettre humblement à
Votre Sainteté, ce que je crois mon droit en conscience, en Vous déclarant, par
avance, que j'accepte avec soumission et respect, tout ce que Votre Sainteté aura
décidé, après l'examen des observations que j'ai l'honneur de lui soumettre...
etc.».
100 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

pères blancs peut à nouveau obtenir des informations sur l'évolution


des affaires le concernant. Il désigne Sbaretti par l'expression «notre
ami», comme il le fera plus tard pour Bruni. Sans doute les
informations ont pris un tour plus classique et la position des missionnaires
d'Afrique dans la Curie est affaiblie par le décès de son prestigieux
fondateur en novembre 1892. La société n'en continue pas moins à
soigner ses relations avec les fonctionnaires, tient le plus grand
compte de leurs avis, s'assure d'autres appuis en se plaçant sous la
protection du Secrétaire d'Etat Rampolla.
Toutes les congrégations n'ont pas bénéficié de conditions aussi
favorables pour prendre position à Rome. Si l'activité du père Caze-
nave, procureur des Missions Etrangères de Paris, ou du père Esch-
bach, procureur des spiritains, n'a rien à envier à celle du père Bur-
tin, les missions Africaines de Lyon mettent beaucoup de temps à
obtenir leurs entrées, malgré l'ouverture d'une procure en 1894. La
minceur de la correspondance entre la procure et Planque témoigne
des difficultés. Elle est émaillée de remarques qui traduisent surtout
l'impuissance du représentant de la société, réduit à grapiller auprès
des employés quelques vagues informations52, Le refus d'élever en
vicariat la préfecture apostolique d'Egypte trahit même le désabuse-
ment du procureur : «M. Bruni en m'annonçant cela disait que ce
n'est pas un refus (pour moi c'en est un), que dans six mois nous
pourrions revenir à la charge. Pas si tôt à mon avis»53. L'obligation
d'assurer une liaison efficace et permanente avec la Propagande n'en
est pas pour autant contestée. Le minutante s'affirme dans ce
processus un personnage essentiel dont les instituts religieux les mieux
organisés savent conquérir et conserver la confiance.
Sociétés missionnaires et dignitaires romains trouvent d'ailleurs
leur compte dans des relations qui permettent des services mutuels.
Mgr Agliardi, alors nonce à Munich, adresse au père Delpech,
supérieur des M.E.P., le baron Hertling, venu à Paris pour un congrès
scientifique catholique. Et Delpech note avec satisfaction : «II
(Agliardi) lui avait remis pour moi une lettre qui prouve que les
sentiments de l'ancien minutante de la Propagande ne sont pas changés
à notre égard»54. Autre exemple de ces liens personnels établis avec
la Curie, et dont se flattent les sociétés missionnaires, l'ancien em-

52 S.M.A. 1/3 1900-1903. Procure Rome. Bricet à Planque, 13 juillet 1900 : «M.
Bruni m'objecte maintenant que peut-être il faudra attendre la réponse des pères
blancs, que Mgr Veccia (le secrétaire de la S.C.P.) voudra peut-être attendre
l'arrivée du Cardinal...».
53 Ibid. Bricet à Pellet, Rome, Séminaire français, Bricet à Pellet, le 14 mai
1903.
54A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. III, 7 avril 1891.
LES FONCTIONNAIRES PERMANENTS 101

ployé de la Propagande, devenu Mgr César Sambucetti, vient à Paris


en août 1893. Chargé d'une mission secrète, il n'en rend pas moins
visite au Séminaire des Missions Etrangères au début et à la fin de
son séjour55. Toute une solidarité ecclésiastique romaine se diffuse
ainsi dans le monde entier à travers le réseau des anciens étudiants
et des antennes romaines des sociétés missionnaires.

55 Ibid. vol. V, 8 août et 5 septembre 1893.


CHAPITRE 4

LES CONSULTEURS

1 - La fonction.

Les consulteurs constituent un autre chaînon indispensable


dans le fonctionnement de la Curie. Ils apprécient d'abord la
conformité des décisions aux lois de l'Eglise. Ils fournissent ensuite les
éléments à partir desquels sera résolue la question débattue et
recommandent la solution qui leur paraît s'imposer. A la fois experts
et conseillers, les consulteurs exercent donc un pouvoir considérable
que relèvent les manuels consacrés au gouvernement de l'Eglise
catholique romaine. «Leur nombre varie avec les congrégations : aux
Sacrements où il est le plus élevé, il dépasse la soixantaine. Un
même consulteur peut appartenir du reste, à plusieurs
congrégations. Tous n'ont pas l'occasion de déployer une égale activité; on
peut même dire que, pour quelques-uns, il s'agit pratiquement d'un
simple titre honorifique.
Les consulteurs ne sont pas des employés, des fonctionnaires de
carrière, mais des prélats, des religieux, des prêtres séculiers,
théologiens ou canonistes, auxquels le pape reconnaît une compétence
spéciale... Ils gardent d'autres occupations, et prêtent au dicastère le
concours de leurs lumières lorsque les chefs de celui-ci jugent à
propos de le leur demander... Les consulteurs travaillent chez eux, non
pas dans les bureaux, et le plus souvent à titre gracieux. Quelquefois
le secrétaire en met plusieurs à contribution pour l'étude de la
même affaire : si le rapport du premier ne le satisfait pas, il recourt
à un autre...1».
Cette description, il est vrai postérieure à notre étude, appelle
des compléments mais elle incite à décrire les consulteurs de la
Propagande à partir de quelques critères essentiels : le nombre
d'emplois, le mode de recrutement, les méthodes de travail, la
compétence. Elle insiste en outre sur l'importance d'une fonction qui
justifie la nomination des intéressés par le Pape lui-même, à travers le
Secrétaire d'Etat qui la communique en ces termes à la
Propagande : «La Santità di Nosto Signore si è benignamente degnata di

1 V. Martin, op. cit., p. 16. Les chiffres indiqués renvoient évidemment à la


situation de la Curie après la réforme de 1908.
104 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

ascrivere fra i consultori della Sacra Congregazione de Propaganda


Fide...2».
La concentration à Rome des grands centres de formation
universitaire et de nombreux collèges ecclésiastiques alimente
l'indispensable réservoir de gradués en théologie et droit canon. Nous
avons procédé à un sondage sur les années 1884 et 1898, deux
années moyennes, situées au milieu de la gestion des deux principaux
préfets (Simeoni de 1878 à 1892; Ledochowski de 1892 à 1902). Nous
donnons la liste telle qu'elle figure dans la Gerarchla cattolica et
l'Annuaire pontifical catholique. Certes la mention d'un ecclésiastique
parmi les consulteurs d'une congrégation ou d'une commission
n'implique pas automatiquement que la Curie fasse appel à ses
services. Mais l'analyse de la liste des consulteurs attachés à un dicas-
tère éclaire au moins le mécanisme général de désignation. Nous
avons fait suivre chaque nom, autant que possible, d'éléments
d'identification empruntés aux mêmes annuaires.

Tableau n° 5
CONSULTEURS DE LA PROPAGANDE (1884)

Séculiers (11 sur 28)


Baccelli L.
Cassetta F., 1883, auditeur du diocèse de Rome
Chicaro Α., ancien délégué apostolique pour les orientaux d'Egypte et d'Arabie,
ancien vicaire apostolique d'Egypte pour les latins
Cretoni S., secrétaire de la Propagande pour les affaires orientales
Desflèches J., 1883, ancien vicaire apostolique du Se-Tchouen
Fausti T. professeur honoraire de droit à l'Apollinaire, examinateur du clergé de
Rome, substitut su secrétariat des brefs (1889).
Martinucci P., spécialiste du cérémonial3
Segna F., ancien minutante S.C.P. orientale, canoniste au tribunal de la Pé-
nitencerie et sous-secrétaire des A.E.E.
Stefanopoli St., archevêque titulaire de rite grec.
Talbot de Malahide G.
Verga I., ancien avocat de Rote, secrétaire S.C. Concile, cardinal en 1884

Religieux.
Allard F., ancien vie. apost. du Natal, archev. de Taron, O.M.I.
Bartolini G., abbé général des Cisterciens.
Bianchi R., procureur général o. p.

2 Cf. A.C.P.F., N.S. rub. 2, passim.


3 On cite dans les annuaires son «manuel des cérémonies sacrées» (Manuale
sacrarum cœrimoniarum), en 8 (?) volumes. Cf. Ann. pont., 1899, p. 327.
LES CONSULTEURS 105

Brichet H., procureur général spiritain.


Cardella V., jésuite, 18824
Ciasca Α., augustin, président du collège des interprètes pontificaux
Cirino F. M., théatin
Fabiano da Scandiano, capucin
Grasselli A.M., mineur conventuel, ancien délégué apostolique à Constantinople,
secrétaire de la Commission pour l'examen des rapports des évêques et
vicaires apostoliques.
G. da Guarcino, capucin
Kaspen Α., récollet
Magner Eusebio, capucin, évêque d'Orvieto
Marcellino da Civezza, Frère Mineur.
Persico Ignazio, capucin, évêque d' Aquino, Pontecorvo et Sora.
Smeülders H., procureur général des cisterciens.
Tommaso da Forli, capucin
Smith B., Bénédictin du Mont-Cassin
Tosa G.T., dominicain, 18825

Tableau n° 6
CONSULTEURS DE LA PROPAGANDE EN 1898

Séculiers (17 sur 32).


Aiuti Α., archev. titulaire de Damiette, nonce à Lisbonne.
Barone P. M., évêque de Casale.
Carcani Α., auditeur de Rote (1895).
Cassetta F., patriarche tit. d'Antioche, aumônier de Sa Steté, vice-régent de
Rome.
Cavicchioni B., archev. tit. de Nazianze, prosecrétaire de la S.C. du Concile,
ancien minutante SCPF.
Conrado G., 18856, ancien auditeur de Rote, recteur du collège Urbain.
Gessi Α., 18917, clerc de la Chambre apostolique, prélat référendaire de la
Signature papale.
Giustini F., 18928, professeur honor, de droit à l'Apollinaire, auditeur de Rote
(1897).
Keane J.J., 18979, archev. tit. de Damas, ancien recteur de l'Université catholique
de Washington.
Pennacchi G., recteur du Collège des Saints Apôtres Pierre et Paul, professeur
d'histoire ecclésiastique au collège Urbain.
Pompili Β., 189410, prélat adjoint à la SC Concile, maître des cérémonies
pontificales.

4 A.C.P.F. Lettere 1882, f. 106.


5 Ibid. F. 616.
6 A.C.P.F. Lettere 1885, f. 604.
7 A.C.P.F. Lettere 1891, f. 302.
8 A.C.P.F. Lettere t. 369.
9A.C.P.F. N.S. vol. 99 (1897) f. 55-58.
10A.C.P.F. N.S. vol. 29 (1894) f. 79-83.
106 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Sambucetti C, arch. tit. de Corinthe, 188611, secrétaire S.C. de la Cérémoniale.


Skirmunt C, 189812.
Solieri F., 189813, prof, de droit civil à l'Apollinaire et droit canon au Collège
Urbain.
Talamo S., préfet des études et professeur à l'Apollinaire, prélat clerc de la
Chambre apostolique depuis 1893.
Trombetta L, 1885 14, protonotaire participant, secrétaire SC Ev. et Rég. (5/12/
1897).
Van den Branden V., archev. tit. de Tyr, évêque auxiliaire de Malines.

Religieux.
Anselme Knapen, Frère mineur.
Augustinis E. de, jésuite, 1891 1S, professeur de théologie sacramentaire à la
Grégorienne.
Baravelli Α., barnabite, 189116.
Brichet H., spiritain, procureur des spiritains.
Buonpensiere E., dominicain, 1895 ", recteur de la Minerve.
Calasanzio da Llevaneras, capucin.
Corrado M., congrégation de la Mère de Dieu, 1885 18.
Fernandez y Villa V., ermite de Saint- Augustin, 1895, auteur d'un Cursus theologi-
cus (1890)19.
Grabowski Ch., congrégation de la Résurrection.
Grasselli A.-M., Frère mineur conventuel, archev. tit. de Colosses, président de la
Commission pour examiner les relations des évêques et Vicaires
Apostoliques.
Marcellino da Civezza Frère Mineur.
Martinis R. de, archev. titulaire de Laodicée, lazariste.
Raffaele d'Aurillac, Frère Mineur, 189220, procureur général des Mineurs
observants.
Serafini D., abbé général des bénédictins cassiniens de la première observance,
189421.
Smolikowski P., supérieur général de la congrégation de la Résurrection, recteur
du collège polonais, 189522.
Tommaso da Forli, capucin.

11 A.C.P.F. Lettere 1886, 21 Décembre 1886. En qualité de secrétaire de la


cérémoniale, il appartient à la famille pontificale comme prélat palatin et introduit
les personnes royales ou princières auprès du Souverain Pontife.
12 A.C.P.F. N.S. vol. 122 (1898) f. 56-59.
13 Ibid.
14 A.C.P.F. Lettere 1886, 21 Décembre 1886.
15A.C.P.F. Lettere 1891 f. 459.
16 A.C.P.F. Lettere 1891 f. 459.
17 A.C.P.F. N.S. vol. 52 (1895) t. 171-175.
18A.C.P.F. Lettere 1885 f. 604.
19 A.C.P.F. N.S. vol. 52 (1895) f. 171-175. E. Hocedez op. cit. p. 374.
20 A.C.P.F. Lettere 1892, f. 292.
21 A.C.P.F. N.S. vol. 29 (1894) t. 79-83.
22 A.C.P.F. N.S. vol. 52 (1895) t. 171-175.
LES CONSULTEURS 107

La composition des deux listes traduit d'abord la volonté de


faire appel simultanément à des séculiers et des réguliers. Les
changements intervenus entre 1884 et 1898 dans la part relative des deux
clergés s'explique par la réorganisation du corps des consulteurs. On
avait décidé le 23 octobre 1878 de créer une Consulta prelatizia pour
les affaires de la Propagande. Les «prélats adjoints» (prelati
aggiunti), pratiquement toujours séculiers, figurent à part dans les
annuaires officiels (cf. la Gerarchla cattolica), ce qui amène à sous-
évaluer avant 1895 la proportion de séculiers. Or cette consulte a été
dissoute le 29 octobre 189523. Il s'en suit après cette date une
progression du nombre des séculiers, effet mécanique du transfert de
plusieurs prélats aggiunti parmi les consulteurs officiels. Sont
notamment issus de ce corps parmi les noms cités en 1898 : Carcani,
Gessi, Grasselli, Sambucetti,Talamo, Trombetta, Van den Branden.
La représentation des grandes congrégations religieuses à
vocation intellectuelle est un principe constant. Les consulteurs issus des
principales branches de la famille franciscaine sont
particulièrement nombreux et soigneusement distribués. Les autres grandes
congrégations religieuses (jésuites, dominicains, bénédictins, augus-
tins) fournissent à la Propagande un, parfois deux conseillers. Par
contre les cisterciens sont absents de la seconde liste, comme de
toutes les commissions de la Propagande en 1898. La taille des
congrégations n'est pas un critère décisif puisque des sociétés aux
effectifs relativement faibles fournissent régulièrement des
consulteurs (barnabites, clercs réguliers de la Mère de Dieu). Les Ermites
augustins, 2200 religieux, quelques établissements missionnaires en
Chine, comptent ainsi en 1900 deux cardinaux, Martinelli et Ciasca
qui jouent un rôle très actif à la Propagande et fournissent de
nombreux consulteurs. Les lazaristes, à la tête de multiples missions en
Afrique, Madagascar et en Asie, sont au contraire peu représentés.
La congrégation polonaise de la Résurrection est en 1898 la seule à
compter deux représentants. La promotion du Cardinal Ledochow-
ski à la tête de la Propagande n'est sans doute pas étrangère à ce
traitement de faveur, d'autant que cette présence suit la nomination
du Préfet polonais.
Mais le trait le plus marquant est la faible représentation des
principaux instituts missionnaires au sein même de la Propagande.
Si l'on met à part le cas des jésuites et des dominicains, on constate
que les trois grandes sociétés missionnaires françaises constituées
sous l'Ancien Régime donnent peu de consulteurs. La présence en

23 A.C.P.F. N.S. 52 (1895) f. 77-169. Consulta prelatizia. Origine, vita, morte


(23 octobre 1878-29 octobre 1899).
108 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

1884 de Mgr Desflèches24, membre des M.E.P. et ancien vicaire


apostolique du Se-Tcheun, correspond à la première mention d'un
membre de cette société. Il n'est pas remplacé par un confrère après
son départ pour le midi de la France où il prend sa retraite en 1885.
Cependant les M.E.P fournissent en 1889 un consulteur à la
Commission pour l'examen des règles des instituts religieux dépendant
de la Propagande en la personne de leur procureur à Rome, le père
Cazenave. Les lazaristes, congrégation polyvalente, trouvent en Mgr
de Martinis, canoniste et collecteur de documents pontificaux, éru-
dit reconnu, un consulteur pour plusieurs dicastères (Concile,
Index, A.E.E). Mais sa carrière en fait davantage un homme de la
Curie que le représentant de sa congrégation. En définitive seuls les
spiritains disposent, par une sorte de droit tacite, d'un consulteur
permanent. Le père Henri Brichet remplit cette fonction depuis
187525. Il est ensuite remplacé par le père Alphonse Eschbach,
supérieur du Séminaire français26. Or les consulteurs spiritains, envoyés
par la congrégation pour être administrateurs et professeurs, n'ont
pas d'expérience personnelle de la mission. Le plus célèbre d'entre
eux, le père Eschbach, a obtenu le doctorat de théologie à Rome. Il
été nommé au scolasticat de Paris immédiatement après son
ordination pour y enseigner l'écriture sainte, l'histoire ecclésiastique, puis
la théologie dogmatique. Envoyé au séminaire français en 1864, «il y
remplira les fonctions de directeur des scolastiques, de répétiteur,
de préfet de culte, de professeur de liturgie et de pastorale. En juillet
1864, il passera le doctorat en théologie. Après de courts passages
dans d'autres maisons de l'Institut il succédera le 15 mars 1875 au
R.P. Freyd dans sa double fonction de supérieur du Séminaire
français et de procureur du Saint-Esprit auprès du Saint-Siège»,
fonctions qu'il conserve jusqu'en 190027.
Les nouveaux instituts missionnaires, dont la multiplication et
la croissance sont pourtant spectaculaires, sont pratiquement
absents ou doivent la présence d'un représentant à des circonstances
bien singulières. Le premier à apparaître est en 1884 François Al-
lard28, ancien professeur au scolasticat de Marseille, maître des no-

24 J. Desflèches, parti en mission en 1838, vie. apost. du Se-Tchuen, mort à


Rome en 1887. Nommé consulteur le 16 juin 1883 en reconnaissance des services
rendus en Chine (A.C.P.F. Lettere 1883, f. 333).
25 «Le R.P. Brichet qui travaille depuis 19 ans pour le bien des missions de la
congrégation des pères du Saint-Esprit et du Saint Cœur de Marie, dont il est
membre vient d'être nommé consulteur de la S.C. de la Propagande. (Rome, 23
avril 1875). M.C. 1875, p. 212.
26 Cf. p. 116.
27 Cf. la biographie de B. Noël in D.H.G.E., article Eschbach, col. 852-854.
28 Cf. M.C. T. 21 (1889) p. 494 (notice nécrologique) et p. 488 (portrait)
D.H.G.E, notice de J. Pietschin T. 2 col. 473-474.
LES CONSULTEURS 109

vices pour le Québec, et surtout premier vicaire apostolique du


Natal. Selon ses biographes, il se retire en 1874 pour raison de santé.
En réalité un conflit l'oppose au supérieur général O.M.L, Joseph
Fabre. La Propagande le contraint à démissionner en 1873 et à
s'établir à Rome où il meurt le 26 septembre 188929. Il figurait déjà parmi
les prélats associés en 1878 à la Propagande.
Le cas de Mgr Desflèches30 est comparable. Venu à Rome alors
qu'il est vicaire apostolique du Se-Tchouen oriental, il ne peut pas
regagner son poste, officiellement pour cause de maladie. Il a en fait
été convoqué pour se justifier après ses ingérences répétées dans les
affaires politiques et ses appels en faveur d'une intervention
militaire française. Devenu encombrant pour le Vatican comme le
gouvernement français, il démissionne finalement en 1883, reçoit un
titre d'archevêque in partions, et se voit attaché comme consulteur à
la Propagande pour un court laps de temps puisqu'il prend sa
retraite dès 1885. Sa nomination semble avoir été décidée en dehors de
la Propagande, voire contre elle, probablement par la Secrétairerie
d'Etat, car le cardinal Simeoni est surpris de la question que lui pose
à ce sujet le supérieur des M.E.P. en visite à Rome : «Le cardinal a
paru étonné d'entendre dire qu'on avait promis à Mgr Desflèches
l'office de consulteur, c'est-à-dire que, malgré sa surdité, il n'y avait
pas d'obstacle à sa nomination, que, seulement, il n'assisterait pas
aux réunions communes, mais pourrait être consulté par écrit»31.
Sans doute des raisons objectives expliquent cette quasi absence
des missionnaires. Rappelons en premier lieu que les experts
ecclésiastiques sont nommés pour l'ensemble de la section latine de la
Propagande. Il faut donc pondérer le petit nombre de consulteurs
connaisseurs des missions en pays païens en tenant compte que
beaucoup d'affaires concernent l'Amérique ou l'Europe protestante.
D'autre part les instituts missionnaires disposent rarement de
membres possédant les titres universitaires nécessaires (et délivrés
autant que possible à Rome) pour remplir l'office de consulteurs.
Rares sont donc les théologiens de métier issus des sociétés
missionnaires. Edgar Hocedez dans son Histoire de la théologie au XIXe s. ne

29 Pour un résumé de l'affaire et les références aux archives de la


Propagande, voir J. Metzler Memoria rerum III/l, p. 310. Le différend avait été
provoqué par l'attitude d'Allard qui cumulait les charges de vicaire apostolique, de
supérieur religieux et d'économe, violant les statut de la congrégation. Son refus de
se soumettre entraîna l'intervention de la Propagande et son rappel à Rome.
30 Cf. A. Launay, Mémorial de la Soc. des M.E.P., II, Paris, 1916, p. 195-197
M.C. 1888, p. 23-24 (nécrologie), D.H.G.E., notice de R. Aubert, T. 14, col. 338-
339.
31 A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. I, Rome, 18 mai 1883. Le 7 juin Delpech
reçoit de Mgr Jacobini, Secrétaire de la Propagande, l'assurance que la
nomination a seulement été retardée par un «oubli».
110 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

relève qu'un seul nom, celui du mariste E. Dublanchy, auteur d'une


thèse sur l'axiome «Hors de l'Eglise, point de salut»32.
Au-delà des distinctions entre séculiers et réguliers, il est
possible de proposer une typologie des consulteurs en affinant la des-
ription à l'aide de quatre critères principaux : leur formation, leur
fonction principale à la date considérée, leur participation
éventuelle à d'autres congrégations de la Curie, leur connaissance des
territoires administrés par la Propagande.

- l'origine des consulteurs.

Un premier groupe de consulteurs a pour commun


dénominateur d'être formé par d'anciens employés ou des collaborateurs
habituels de la Propagande. Ce sont, en 1884, Serafino Cretoni
(archiviste, 1868-1878), Augustino Ciasca (professeur au Collège Urbain,
traducteur, éditeur de manuscrits orientaux), Ignazio Persico
(chargé de mission en Inde, 1877), Francesco Segna et Isidoro Verga
(anciens minutanti de la Propagande orientale). Ils sont encore trois en
1898, soit deux anciens minutanti (Beniamino Cavicchioni, Cesare
Sambucetti) et Raffaele de Martinis. On peut rattacher à ce groupe
Antonio-Maria Grasselli, secrétaire puis président de la Commission
pour l'examen des relations des évêques et vicaires apostoliques.
Ancien délégué apostolique à Constantinople, après avoir accompli
plusieurs missions en Moldavie et en Amérique du Nord, il a mené
l'essentiel de sa carrière au service de la Propagande. Tous ont donc
acquis une connaissance des dossiers à travers les relations, les
questions, les demandes des missionnaires. Plusieurs des
consulteurs ont aussi eu l'occasion d'effectuer des séjours dans les pays
pour lesquels ils ont à se prononcer. Mais seuls les trois anciens
vicaires apostoliques ont l'expérience du ministère dans les missions.
Parmi eux, le capucin I. Persico, ancien vicaire apostolique d'Agra
(1856-1860) puis évêque de Savannah (1870-1871), est le seul à jouer
un rôle important au sein de la Curie.
Un second groupe est composé par des religieux qui exercent
des responsabilités à la tête de leur congrégation. Dans la liste de
1884 on trouve trois procureurs généraux (Raimondo Bianchi,
dominicain; Henri Brichet, spiritain; Henri Smeülders, cistercien). En
1898 Gioacchino-Maria Corrado, seul consulteur à figurer
également dans les deux Commissions spécialisées, est procureur général
de la congrégation de la Mère de Dieu; Raffaele d'Aurillac est pro-

32 E. Hocedez. Histoire de la théologie au XIXe s., T. 3, p. 321. Le titre original


de cette thèse est De axiomate : Extra Ecclesiam nulla salus, 1895.
LES CONSULTEURS 111

cureur général des mineurs observants; Paul Smolikowski,


supérieur général des Résurrectionnistes; Vincenzo Fernandez y Villa,
assistant général des Ermites de Saint Augustin; Enrico Buonpen-
siere, prieur de Sainte Marie de la Minerve... Leur élection dans des
postes de direction suppose chez ces ecclésiastiques une formation
universitaire. Mais leur désignation est aussi liée à une fonction qui
leur donne l'expérience des affaires ecclésiastiques et les met en
contact régulier avec la Curie. Par contre ils ne sont pas
spécialement préparés à appréhender les dossiers à partir de réalités propres
à des missions qu'ils ne connaissent pas.
Le troisième groupe comprend des professeurs de théologie
(Buonpensiere, de Augustinis, S. Talamo) et des spécialistes du droit
civil et ecclésiastique. Francesco Segna, Salvatore Talamo, Tancredi
Fausti, Filippo Giustini et Felice Cavagnis sont professeurs à
l'Apollinaire, Francesco Solieri professeur en exercice au Collegio Legale
de l'Apollinaire et au Collège Urbain. Alessandro Carcani est un
ancien avocat, vocation tardive, auditeur de Rote (comme F. Giustini)
et consulteur des Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires.
Francesco Segna, puis Basilio Pompili sont également canonistes en 1898 à
la Sacrée Pénitencerie. Isidoro Verga est le co-auteur des
constitutions apostoliques Romanos Pontifices33 dont les juristes ont fait un
«caput juris». Plusieurs religieux sont également réputés pour leur
compétence de juristes : Emilio de Augustinis, Raphaël d'Aurillac...
L'accroissement sensible de ce type de recrutement est sans aucun
doute le symptôme de la montée en force des juristes et de
théologiens rompus à la casuistique.
Le quatrième groupe est constitué par des ecclésiastiques qui,
sans être attachés directement à l'administration de la Propagande,
ont été amenés à tisser avec elle des liens étroits. Gustavo Conrado
est recteur du collège Urbain. Giuseppe Pennachi, inamovible
professeur d'Histoire ecclésiastique du Collège Urbain, est aussi recteur
du collège des Saints Apôtres Pierre et Paul. L'un et l'autre sont
responsables de la formation de futurs missionnaires et vivent dans
l'environnement immédiat de la Propagande.
Seuls quelques ecclésiastiques échappent à cette classification.
Victor Van den Branden de Reeth a été président du collège belge de
Rome, dont il devient le recteur en 1878. Il suit un cursus classique
de prélat romain entré dans la carrière en qualité de prélat
référendaire le 25 janvier 1877. Autre cas très particulier, John Keane,
recteur de l'Université de Washington, victime du conflit autour de «l'a-

33 Nous reviendrons ultérieurement sur cette Constitution consacrée à la


juridiction des évêques dans les missions confiées à des religieux (8 mai 1881, Coll.
1907, T. II p. 145 et ss., n° 1552). Les deux autres auteurs sont Vincente Pallotti et
Luigi Galimberti.
112 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

méricanisme», est provisoirement mis hors circuit par une


nomination à Rome; il devient consulteur de la Propagande et de la
congrégation des Etudes en 189734. Cette affectation, dictée par les
circonstances, prend fin avec l'élection de l'ancien recteur au siège
d'archevêque de Dubuque. Le séjour romain lui aura ainsi permis de
traverser honorablement la «bataille» qui secoue l'Eglise américaine
entre 1897 et 1899.
- participation à d'autres organes de la Curie.
La nature de la Propagande, nous l'avons souligné
précédemment, la prédispose à recourir à des spécialistes de diverses
branches et lui impose de travailler en union avec les autres
congrégations. En 1884, comme en 1898, plusieurs consulteurs désignés
pour la place d'Espagne sont également attachés à d'autres
congrégations :

S.C. du Concile : de Martinis (1884), G.M. Corrado, P. Smolikowski


S.C. des Etudes : G.M. Corrado, F. Giustini, de Martinis (1898)
S.C. des Evêques et Réguliers : G.M. Corrado, D. Serafini
S.C. du Saint-Office : Cretoni, (1884), F. Cassetta (1898), Grasselli (1884 et
1898), V. Fernandez y Vila (1898).

Il faut y ajouter le mouvement permanent des consulteurs d'un


dicastère à l'autre, sur le modèle des transferts de fonctionnaires
opérés systématiquement au sein des bureaux de la Curie. Ainsi, en
prenant toujours pour référence 1898, le Saint-Office compte
plusieurs consulteurs qui sont à un moment du pontificat attachés à la
Propagande : Ciasca et Cavagnis (consulteurs), Dioniso di S. Teresa,
Henri Cormier, Domenico Serafini (commissaires du Saint-Office).
La remarque vaut encore pour les congrégations du Concile (Esch-
bach), de l'Index (Eschbach, Buonpensiere; de Martinis, Talamo),
des Etudes (Lépicier), des Evêques (Cavagnis, Savelli-Spinola) etc..
Mais la proportion la plus forte est celle des consulteurs passés par
le Saint-Office ou l'Index, indice supplémentaire de l'attention
portée à la défense de l'orthodoxie et du dogme.
En superposant les traits communs à l'ensemble des experts,
nous obtenons une sorte de portrait-robot qu'il est intéressant de
rapprocher de celui des fonctionnaires de la Propagande. A
l'exemple des minutanti, le consulteur a accompli ses études
universitaires à Rome. Beaucoup sont originaires de la ville ou sa région.
Carcani, Melata, Pellegrini, Serafini sont nés à Rome, Pompili à

34 John Joseph Keane (1839-1918). Biographie in New Catholic Encyclopedia.


Il démissionne pour raisons de santé en 1911.
LES CONSULTEURS 113

Spolete, Giustini et Segna près de Tivoli... Il est plus un juriste qu'un


théologien. Religieux, il occupe alternativement ou simultanément
des tâches d'administration, d'enseignement, de direction de sa
congrégation. Séculier, il appartient à ce clergé romain gradué qui a
ses entrées auprès des dignitaires ecclésiastiques. Il poursuit une
carrière où alternent les postes diplomatiques et les responsabilités
au sein de la Curie.
Que d'anciens minutanti deviennent fréquemment consulteurs
témoigne des liaisons étroites entre les deux fonctions. Les
probabilités de devenir cardinal sont d'ailleurs assez semblables. Sur les
onze consulteurs séculiers de 1884, trois accéderont à la pourpre
(Cassetta, Segna, Verga); sur les dix-huit consulteurs de 1898, cinq
connaîtront cette consécration (Aiuti, Cassetta, Cawicchioni,
Giustini, Pompili), alors qu'on relève quatre futurs cardinaux parmi les
seize minutanti de la Propagande latine.
Le choix des religieux puise à la tête des instituts. Supérieurs
généraux, assistants, procureurs, fournissent la plupart des experts.
Quelques-uns atteignent les postes les plus élevés de la hiérarchie, à
l'image du bénédictin Domenico Serafini, consulteur en 1892 et
préfet de la Propagande en 1916-1918; du servite Alexis Lépicier,
professeur de dogme au Collège Urbain, consulteur en 1900, cardinal et
préfet des Religieux (1927, 1928-35); du dominicain Henri Cormier,
assistant de l'ordre, puis procureur général et consulteur du Saint
Office (1896), consulteur de la Propagande (1900), enfin maître de
l'ordre (1904-1916).
Si l'on considère maintenant les itinéraires individuels, le
rapprochement avec les minutanti s'impose à nouveau. Les seules
différences sont liées à la nature plus «théorique» de la tâche exercée.
Elle implique de recruter des ecclésiastiques confirmés, qui ont fait
leurs preuves comme professeurs d'Université, responsables de
congrégations religieuses... ou fonctionnaires de la Propagande. Ces
différentes activités font toutes partie du cursus ecclésiastique
romain.
En conséquence l'expérience du «terrain» est limitée, surtout
pour le groupe des consulteurs de 1898 qui ne comporte plus
d'anciens évêques missionnaires. Seuls P.M. Barone et F. Cassetta, ce
dernier engagé dans le mouvement de la jeunesse catholique, ont
véritablement exercé, antérieurement à leur désignation, un ministère
classique. La présence des religieux, parallèlement aux séculiers, ne
modifie pas fondamentalement cette donnée. Dans la mesure où
nous avons pu la reconstituer, le cursus des religieux consulteurs est
lui aussi fortement dominé par des tâches d'enseignement, de
recherche, d'administration, de direction de collèges ou des
congrégations elle-mêmes. Gestionnaires, diplomates, professeurs de
théologie et de droit fournissent les experts attachés à la Propagande.
114 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Composé à l'image de l'ensemble des dicastères de la Curie, le


corps des consulteurs de la Propagande n'est donc pas transformé
par la spécificité des tâches qui incombent à la congrégation. La
prépondérance des «romains» n'est pas compensée par un plus large
appel à des ecclésiastiques américains ou européens venus des
territoires placés sous la juridiction de la Propagande. Le principal
infléchissement consiste plutôt, à la fin du XIXe s., dans la priorité
donnée aux juristes, voire à des érudits (tel Martinucci, spécialiste
eminent du rituel). Ils tendent à l'emporter sur les théologiens
professionnels, au moins théologiens du dogme, car la frontière entre
moralistes et canonistes est plus incertaine. Carcani, l'ancien avocat
devenu auditeur de Rote; Giustini, professeur de droit canon et
auditeur de Rote; B. Pompili, canoniste et dataire à la Pénitencerie; T.
Fausti et F. Solieri professeurs de droit à l'Apollinaire, sont
parfaitement représentatifs des préoccupations réglementaires de la Curie
qui aboutiront à la rédaction du code de Droit canon sous Pie X. Ba-
silio Pompili sera d'ailleurs membre de la Commission chargée de
mener à bien ce travail.
Cette coloration du recrutement a pour conséquence de
favoriser une perception juridique de la vie des missions. Elle fait
cependant une place à la théologie dogmatique, mais au profit de
commentateurs de Thomas d'Aquin, à l'image des dominicains Cormier
et Buonpensiere (auteur en 1902 d'un Commentarìum in primant
partent Sommae Sancii Thomae). Les spécialistes de l'apologétique
donnent plusieurs consulteurs dont certains accèdent à une relative
célébrité dans les milieux ecclésiastiques italiens, à l'image du frère
mineur Marcellino da Civezza. Après avoir contribué à harmoniser
la pensée franciscaine avec la scolastique thomiste (Le dottrine filo-
sofiche di San Bonaventura), il a été nommé par Léon XIII membre
de la Commission des Etudes Historiques. Il est l'auteur d'une
monumentale histoire universelle des missions franciscaines et d'un
gros ouvrage d'apologétique (3 volumes) très répandu en Italie : //
pontificato romano netta storia d'Italia35.
Le choix des experts reflète ainsi les préoccupations
théologiques et sociales du pontificat, la volonté de concilier le retour à la
scolastique et une certaine modernité. Salvatore Talamo est la
synthèse de tous les courants que nous venons d'évoquer. Appelé à
Rome en 1879 par Léon XIII, alors qu'il a seulement 35 ans, il se voit
confier le secrétariat de l'Académie de St Thomas et la chaire de
philosophie supérieure de l'Apollinaire. Initiative inédite, il enseigne en
italien et s'impose comme commentateur du thomisme, notamment

35 Notice nécrologique de Marcellino da Civezza in Ann. Pont, cath., 1907,


LES CONSULTEURS 115

de la Summa contra Gentes. Il multiplie les ouvrages de philosophie


scolastique, en particulier Le orìgini del crìstianestmo e il pensiero
stoico et L'arìstotelismo della scolastica nella storia della filosofìa
(1881). Il est de 1893 à 1927 le très influent directeur de la Rivista
internazionale per gli studi sociali in Italia*6.
La composition des corps de consulteurs au service des deux
Commissions spécialisées de la Propagande confirme totalement les
observations précédentes. La Commission pour l'examen des
constitutions des Instituts qui dépendent de la Propagande ne compte en
1898 aucun religieux appartenant à des instituts spécifiquement
missionnaires. La présence de Cazenave, procureur des M.EP. à
Rome depuis 1883, constitue une courte parenthèse. Il se distingue
de ses confrères par son expérience des missions d'Extrême-orient
où il a séjourné dans les procures d'Hong-Kong, Shangaï,
Singapour, avant d'être rappelé à Paris pour être directeur dans le
Séminaire37. Au mieux sont représentées des congrégations polyvalentes
partiellement missionnaires. La nomination dans cette instance
suppose en priorité la connaissance du droit des religieux. La
Commission chargée d'examiner les rapports des évêques et vicaires
apostoliques ne se soucie pas davantage de favoriser les hommes qui
connaissent eux-mêmes la mission. Près de la moitié des consulteurs
qui collaborent à ces deux instances sont d'ailleurs simultanément
consulteurs de la Propagande en général (leur nom est en italiques
dans les tableaux qui suivent), ou l'ont été antérieurement.
Contrairement à ce qu'aurait pu laisser présumer la finalité plus
missionnaire de ces deux Commissions, les critères de nomination sont ceux
qui jouent habituellement au sein de la Curie. Seul l'examen des
synodes ou d'autres affaires exceptionnelles bénéfice d'un traitement
particulier. A côté de canonistes polyvalents, à l'image de Denis de
Sainte Thérèse38, figurent des experts qui ont eu à traiter des
dossiers au titre de minutante (D. Jacobini : synodes de Chine39), d'éru-

p. 656. L'ouvrage d'histoire missionnaire s'intitule : Storia universale delle


mis ioni francescane, 11 vol., Roma-Prato-Firenze, 1857-1895.
36 Salvatore Talamo. Né à Naples (1844), mort à Rome (1932). Biographie in
Dizionario ecclesiastico. Cf. Vincenzo Paglia, «Note sulla formazione culturale del
clero», art. cité, p. 202-203.
37 Cf. Ann. Pont. 1913, p. 806. Pierre Cazenave, né en 1834 (Bas-Pyr.) - ord. à
Paris en 1858 - mort à Paris en 1912. Il s'occupe à Rome des procès de
béatification des martyrs de la société, des victimes des missions de Chine et d'Indochine,
d'Emilie de Rodât, d'A.M. Javouhey.
38 Ce carme déchaussé, très sollicité à la fin du siècle, est l'auteur du voto
examiné en assemblée plénière des cardinaux pour les synodes de Bombay (Acta,
1898, f. 41-182), Verapoly (Acta, 1899, f. 74-179); Agra (Acta, 1900, f. 302-409);
Pondichery 39 Cf. chapitre
(Acta, 1901,
9. f. 548-644).
116 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

dit spécialiste de ces pays (l'orientaliste Ciasca : création d'un


Séminaire central aux Indes40), quelquefois un ancien missionnaire (T.M.
Gentili41 : 2ème synode de Pékin).
Comment interpréter l'attachement à la polyvalence des experts
et la priorité accordée au droit canon? Si le gouvernement pontifical
privilégie ceux qui ont le savoir théologique, et encore davantage
juridique, plutôt qu'une expérience pastorale, c'est qu'il leur reconnaît
la capacité de résoudre tous les cas qui se présentent en fonction des
règles établies. La logique d'une autorité descendante prend le pas
sur la recherche de voies nouvelles à partir des expériences de la
mission chez les païens. Certes l'attitude de la Curie n'a pas la
rigueur que certains lui prêtent. Plusieurs auteurs contemporains de
Léon XIII estiment même qu'il existe une tradition propre à la
Propagande de ne pas exiger l'impossible et de préférer l'esprit à la
^lettre. «L'Eglise ne change jamais ses principes, mais elle sait en
modérer l'application et se rappelle toujours cet axiome canonique :
que les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les
lois42».
En réalité il ne s'agit pas d'adapter la tradition catholique à des
contextes mais d'ajuster des principes à des situations particulières.
La désignation des consulteurs de la Propagande est fondée sur leur
savoir, leur pratique des affaires, leur aptitude à définir la normalité.
Le père Eschbach constitue une bonne illustration des qualités
exigées des consulteurs. Spiritain, sans avoir connu la vie de
mission, enseignant polyvalent, il passe pour un «fougueux contro ver-
siste» dont les talents s'exercent «un peu sur tous les sujets
théologiques : dogme, écriture sainte, morale, droit canonique, liturgie.»
Son œuvre se compose essentiellement d'ouvrages d'apologétique
consacrés à l'authenticité de la Santa casa de Lorette et du Saint-
Suaire de Turin. Nommé tour à tour consulteur de l'Index, du
Concile, de la Propagande orientale et latine, il jouit «d'une autorité
hors pair» dans les questions de mariage. Censeur de l'Académie
théologique et du cas de morale de Rome, membre de la
commission pour la codification du droit canon, il obtient en 1902,
consécration officielle, que le Séminaire français soit élevé au rang de
«Séminaire pontifical»43. On conçoit que son expérience ne le
prépare guère à sortir des raisonnements propres à la casuistique.

40 Cf. chapitre 9.
41 A.P.F. Acta 258 (1888), f. 261-306. Tommaso Maria Gentili (1828-1888),
dominicain, missionnaire en Chine (1853), vicaire apostolique du Fou-kien (1883-
1884), consulteur de la Propagande (18857-1888). Auteur de Memorie di un
missionario dominicano nella Cina, Roma, 1887.
42 F. Grimaldi. Les congrégations romaines, op. cit., p. 254.
43 D'après B. Noël in D.H.G.E. op. cit.
LES CONSULTEURS 117

L'absence de spécialisation observée jusqu'ici n'a d'ailleurs pas


uniquement des inconvénients. S'il ne prédispose pas à tenir compte
des spécificités locales, ce mode de fonctionnement présente au
moins l'avantage d'intégrer les missions au fonctionnement de toute
la Curie, au lieu de les mettre à part. Faiblement présents parmi les
consulteurs de la Propagande, les délégués des instituts
missionnaires peuvent par contre être employés dans toutes les
congrégations romaines. Le spiritain Eschbach et le père des M.E.P. Rous-
seille sont respectivement consulteurs des congrégations du Concile
et des évêques et Réguliers cette même année 1898. Un missionnaire
combonien figure parmi les consulteurs des évêques et réguliers en
1893, ainsi que deux spiritains (Daum et Brunetti). L'activité
missionnaire est de la sorte préservée du risque d'être marginalisée.

2 - L'organisation du travail des consulteurs : la réforme de 1878.


Les débuts du pontificat de Léon XIII, sont marqués par un
essai d'adaptation des organismes de la Curie au lendemain de
1870. Le Secrétaire d'Etat tente de trouver un emploi à ces
nombreux prélats réduits à l'inactivité par la disparition du pouvoir
temporel des papes. Il confie à une commission de cardinaux le
soin de proposer des réformes. Le rapport de la commission,
présidée par le juriste le plus eminent, Teodolfo Mertel, dresse en
1878 le catalogue des Collèges qui ont perdu leur raison d'être44. Il
énumère successivement le Collège des protonotaires
participants45, le Collège des Auditeurs de Rote46, le Collège des prélats
Clercs de chambre47, le Collège des prélats votants de la Signature
apostolique48, le Collège des prélats abréviateurs du parc majeur49,
les prélats vacabilistes... Le rapport s'inquiète surtout de la
manière de réemployer les ecclésiastiques qui composent ces
instances. Il propose par exemple de confier aux protonotaires la
conservation des actes rédigés dans un fonds d'archives ou de
réserver aux auditeurs de Rote certaines affaires (causes matrimo-

44 A.C.P.F. N.S. 52 (1895). Consulta prelatizia, op. cit.


45 Ecclésiastiques chargés de recueillir et conserver les actes des martyrs.
Forment à nouveau sous Pie IX un collège de sept prélats; ont un délégué de droit
à la congrégation des Rites et à la Propagande.
46 Ancien tribunal chargé d'établir la jurisprudence. Chargés sous Léon XIII
de veiller à la validité des procès de béatification et de canonisation.
47 Primitivement ils contrôlaient les recettes et les dépenses. Ils avaient
conservé en 1870 le contrôle de quelques administrations.
48 Ancien tribunal suprême des Etats pontificaux. Fonction devenue
honorifique mais très prisée car donne le droit de servir le Pape à l'autel comme acolyte.
49 Les seuls à conserver après 1870 leur office qui consiste à «se rendre à
jours fixes à la Chancellerie pour authentifier les Bulles préalablement rédigées
et revues par des fonctionnaires mineurs».
118 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

niales, controverses sur des bénéfices, affaires du for interne


etc...)· Bien que la question déborde le terrain de la Propagande,
il est important d'observer à cette occasion le glissement des
hommes de loi depuis les juridictions civiles vers des instances ec-
clésiales. Ce transfert est une indication supplémentaire du
renforcement du poids des juristes au sein de l'appareil
ecclésiastique.
Simultanément sont mis en place de nouveaux organes de
contrôle des Eglises locales par le pouvoir central. La commission
Mertel propose notamment d'améliorer l'examen des relations des
ordinaires (les visites pastorales), pour ne plus se contenter de
pourvoir aux cas particuliers mais élaborer, à partir des divers
comptes rendus, des synthèses, discerner les questions et les
informations exprimant les «besoins ressentis le plus généralement»50.
Tout une mécanique se dessine pour encadrer systématiquement
les pasteurs.
Les travaux de la Commission aboutissent à la décision
pontificale d'adjoindre à chaque dicastère un nombre déterminé de prélats
baptisés prelati aggiunti. Ceux-ci auront pour rôle principal d'étudier
et discuter les affaires de «maggiore rilievo et difficoltà» que le
Préfet jugera opportun de leur soumettre. Leur avis sera consultatif. Le
système est appliqué à la Propagande avec quelques adaptations
puisque la «consulta prelatizia« pourra être réunie séparément ou
en même temps que les autres consulteurs attachés. La liberté
laissée au Préfet de recourir à l'une ou l'autre des procédures s'appuie
sur «la nature spéciale» de la Propagande. Elle dispose que les
minutanti assistent aux réunions quand sont traitées des affaires relevant
de leur secteur, sans donner leur avis, aux seules fins «d'indiquer les
normes propres aux diverses missions et de prendre acte de
l'opinion des Prélats consulteurs»51.
On peut s'interroger sur le contenu que les contemporains
donnent à cette expression «nature spéciale». Elle vise d'abord les
prérogatives de la congrégation romaine, sans équivalent au sein de
la Curie. Elle sous-entend la volonté de tenir compte de la jeunesse
des chrétientés missionnaires auxquelles l'Eglise ne peut pas
imposer d'emblée toutes ses exigences. La réforme ne modifie pas
substantiellement le déroulement habituel des consultations.
La lecture du règlement fixant la procédure à suivre lors des
réunions des prélats adjoints explique l'existence éphémère d'une
réforme qui alourdit le fonctionnement au lieu de l'améliorer. La

50 A.C.P.F. Consulta prelatizia op. cit. f. 89-90.


51 Ibid. f. 91 r-v.
LES CONSULTEURS 119

commission des prélats consulteurs se réunit de manière assez


irrégulière pendant sept années. Paradoxalement, au moment où les
réunions se multiplient (9 de janvier à juillet 1895), la Secrétairerie
d'Etat avise le Préfet que le Pape a décidé de supprimer cette
institution. Il se contente de justifier la décision par le constat que «cette
organisation n'a pas pleinement répondu aux intentions.» La charge
financière a aussi pu influencer la suppression puisque la fonction
bénéficie d'une gratification. Le soin mis par plusieurs
ecclésiastiques à obtenir l'intégralité de leurs émoluments, ou la promptitude
à protester respectueusement et fermement contre les amputations,
laissent supposer que, pour certains, la disparition de la fonction
signifiait la fin d'un complément de revenus non négligeable52. Il
atteint en moyenne 400 lires par consulteur pour l'année 1894, à
mettre en rapport avec le traitement mensuel d'un minutante du
secrétariat qui s'élève à 215 lires53. Mais globalement la dépense reste
modeste, entre 4500 et 5200 lires par an54, et elle ne fut
probablement pas l'argument principal, malgré les difficultés financières du
trésor pontifical. La pesanteur d'un système qui impose de réunir
douze à quinze consulteurs, sans compter les fonctionnaires de la
Propagande et les consulteurs officiels, paraît un motif plus
vraisemblable.
Si les procédures d'examen des dossiers et le choix des hommes
ne traduit aucun souci d'adaptation, la Propagande n'est pas liée par
l'opinion des consulteurs et conserve théoriquement une marge de
manœuvre. L'usage semble55 ainsi répandu de ne pas solliciter
seulement l'avis d'un consulteur et d'y ajouter celui du minutante, a priori
plus pragmatique. L'avis de l'expert serait donc doublement
encadré, dépendant en amont du dossier que fournit le minutante, en
aval de l'usage qu'en font les instances supérieures de la
Propagande. Il faudrait rechercher de manière sérielle comment les avis
des consulteurs sont incorporés à la ponenza, quand il s'agit d'af-

52 A.C.P.F. ibid. Cf. f. 112-125. Le 5 octobre 1891 la Secrétairerie d'Etat envoie


une enveloppe de 4732,45 lires (sic) pour régler les consulteurs. Le 19 novembre
un envoi complémentaire de 733,15 lires est destiné à satisfaire les réclamations
des consulteurs dont une partie de la gratification avait été amputée pour cause
d'absences à certaines réunions. Mgr Van den Branden s'était étonné de n'avoir
reçu que 133,30 lires. Il en avait demandé les raisons, estimant que c'était pour la
Propagande qu'il avait le plus travaillé et d'elle qu'il recevait le moins (f. 118).
53 A.C.P.F. N.S. 76 (13 mars 1896). Note du comptable général : l'honoraire
est fixé à 2580 1. par an soit 215 par mois.
54 Les archives indiquent 4800 lires en 1883 (f. 105-107, 5200 en 1894 (f. 132),
5240 en 1895 (f. 166).
55 A. P. Bl. Burtin à Livinhac, 1/7, n° 181, 18 février 1899. La SCP «fait
examiner par «notre minutante et un canoniste» la demande relative à l'incorporation
de nos sujets par le moyen du serment solennel de la Société».
120 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

faires destinées à la réunion plénière des cardinaux, comment leurs


propositions sont suivies par le Préfet quand la décision est prise en
congresso ordinaire.
Les mêmes limitations s'appliquent aux Commissions
spécialisées qui disposent de leurs propres consulteurs et semblent jouir
d'une grande autonomie. Elles restent également soumises aux
décisions du Préfet et des cardinaux. La Commission pour l'examen des
règles des instituts dépendant de la Propagande ne tranche pas; elle
émet un avis dont la réunion plénière des cardinaux tient
inégalement compte. Autre méthode pour les avis de la Commission
examinant les relations des chefs de mission : ils sont directement transmis
au Préfet, qui rédige ensuite l'appréciation destinée à l'auteur de la
relation. Le Préfet conserve ainsi la possibilité d'amender et
modifier le jugement des experts.
Au total, quel que soit l'organisme de la Propagande, ses
dirigeants conservent le pouvoir de décider. La difficulté est de
déterminer dans quelle mesure et sur quels points ils en usent
pour infléchir les opinions. Faut-il minimiser le rôle du consul-
teur sous prétexte qu'ils ne sont pas les décideurs? Ce serait
méconnaître le jeu des relations quotidiennes qui unissent tout ce
personnel romain et l'importance accordée par la Curie à la
sauvegarde de l'orthodoxie des décisions. Le comportement des
usagers de la Propagande atteste qu'ils sont les premiers à admettre
le poids des experts pour le règlement de leurs affaires.
Les interlocuteurs de la Propagande éprouvent parfois le
sentiment d'une mécanique mystérieuse sur laquelle ils n'ont pas
prise, dont ils doivent attendre impuissants des décisions bien
longues à venir. Seuls les individus parfaitement informés du
fonctionnement de la Curie, disposant d'entrées et d'appuis dans
la place, peuvent espérer profiter de ce long circuit pour
influencer ou accélérer la décision. Le témoignage du père Burtin,
pourtant fort des recommandations du cardinal Lavigerie, atteste
la difficulté de l'entreprise. Chargé d'appuyer la demande
d'approbation des constitutions destinées à la branche féminine de
la société, le procureur des pères blancs reçoit trop tard les
nouvelles instructions du cardinal. Il tente de se consoler en
rapportant les paroles louangeuses de la Commission qui laissent
favorablement augurer de la décision... mais ne comportent aucun
engagement.
«Après avoir reçu la lettre du 8 relative à l'approbation de nos
religieuses, je me suis empressé d'aller trouver Son Eminence le
Cardinal Mazzella et le Rme Smeulders. Mais je suis arrivé trop tard, le vo-
tum de la Commission d'examen était déjà imprimé. J'en ai exprimé
tout mon regret soit à S.E. le cardinal Préfet de la Congrégation, soit
au père Smeulders, soit enfin à Mgr Melata. Mais ces Messieurs m'ont
LES CONSULTEURS 121

répondu que je ne devais pas regretter d'être venu trop tard, parce que
quelques-unes des modifications apportées dans le dernier exemplaire
envoyé par votre Eminence sont précisément celles que la Propagande
aura l'honneur de Vous soumettre...
Tous ces Messieurs de la Commission m'ont chargé de Vous dire
qu'ils avaient été très heureux de faire passer l'examen des Règles de
Nos religieuses avant celui des Règles des différentes congrégations.
Ils m'ont tous dit qu'ils restaient les admirateurs dévoués de vos
Œuvres d'apostolat ... 56 ».

Sans aucun doute sincères, ces paroles réconfortantes ne


préjugent en rien de la décision finale. Elles participent à une subtile
mise en scène des délibérations qui préserve le secret des
discussions sous couvert d'affabilité conviviale. Un an plus tard, Burtin
se verra sévèrement semonce pour son inaptitude à discerner «les
ragots» et les informations vérifiables à propos de l'Œuvre
antiesclavagiste57. Le coup de sang de Lavigerie feint alors d'ignorer que
le cercle réduit et apparemment tout proche des décideurs n'en est
pas pour cela facile à pénétrer véritablement. Silence ou paroles
aimables relèvent le plus souvent d'une même stratégie de
préservation du secret. L'intervention du consulteur contribue à diluer la
prise de décision entre plusieurs intervenants. Elle permet aux
véritables décideurs de se réfugier, le cas échéant, derrière des acteurs
qui n'appartiennent pas directement à la Propagande et atténuent sa
responsabilité.
Nous l'avons dit, il faudrait une étude de détail, question par
question, pour évaluer dans quelle mesure les cardinaux et le Préfet
se considèrent engagés par les voti des consulteurs. Faute de pouvoir
suivre le travail des consulteurs cas par cas, nous avons choisi de
procéder à quelques sondages pour vérifier l'hypothèse la plus
probable : tout laisse penser que l'opinion de l'expert est habituellement
suivie, surtout quand il s'agit d'apprécier l'orthodoxie d'une position
ou la validité d'un acte religieux. Un tel sondage a donc une valeur
essentiellement indicative et voudrait surtout inciter à généraliser
l'investigation.

56 A. P. Bl. E-5,T. 1081, n° 7064. Burtin à Lavigerie, Rome le 18 décembre


1887.
57 A. P. Bl. Β 11-239., n° 1087 Lavigerie à Burtin, Paris, le 24 septembre 1888
«Qu'est-ce que vous faites donc toute la journée dans votre maison où vous n'avez
rien à faire? Qu'est-ce que vous faites dans vos visites? Est-ce que, si vous vous en
étiez donné la peine, vous n'auriez pas pu savoir par Mgr Angeli ou par Mgr
Boccali ou par le Cardinal Rampolla lui-même, quels étaient les membres de cette
Commission cardinalice, ce qu'ils pensaient et ce qu'ils disaient, sans me
rapporter des ragots comme ces bouts de conversation du Comte Schechini...».
122 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

3 - La méthode des consulteurs face aux dossiers missionnaires :


entre la conformité aux principes, la recherche du précédent et la
tolérance à titre provisoire.

Les missionnaires peuvent-ils faire le commerce d'huile d'olive en


Kabylie?

L'opinion des consulteurs peut être sollicitée aussi bien sur des
questions dogmatiques que des usages quotidiens concernant les
aspects les plus matériels, tel le vêtement ou la discipline
ecclésiastique. Si la préoccupation d'orthodoxie est à l'origine de nombreuses
questions adressées à Rome, il faut également prêter attention aux
multiples interrogations très prosaïques qui témoignent, elles aussi,
de la mentalité ambiante. Le premier cas que nous retiendrons sera
donc emprunté à cette catégorie. Il concerne la demande d'activité
commerciale formulée par les pères blancs en 189958. La meilleure
manière de comprendre le mécanisme de consultation et les
références des protagonistes est d'écouter l'exposé des demandeurs.
Se situant d'emblée par rapport aux normes que donne la
Propagande, le chef de la mission affirme sa volonté de se conformer aux
directives... pour mieux montrer les contradictions auxquelles
peuvent conduire en Kabylie les directives romaines :
«La S.C. de la Propagande ne cesse de recommander aux
missionnaires de ne pas compter uniquement sur la charité des
catholiques, pour assurer l'entretien de leurs Missions et de leurs œuvres.
Elle les engage, dans ce but à chercher des ressources dans les
produits des pays qu'ils habitent.
Or les missionnaires de la Kabylie (Afrique du Nord) ne trouvent
pas d'autres moyens d'entrer dans les vues si sages de la Propagande
que la préparation des huiles d'olive, à peu près seul produit du pays.
Craignant d'aller contre les lois canoniques relatives au commerce, ils
demandent humblement à votre Eminence Rév. s'ils peuvent se livrer
à la préparation et à la vente de ces huiles en sûreté de conscience».
Une fois entré dans cette problématique, le quémandeur y reste
fidèle. Il tente de concilier le commerce de l'huile avec la règle
établie par le droit de l'Eglise plutôt que de mettre en avant
l'inadaptation du droit à la réalité missionnaire en Kabylie :
«Du côté des Missionnaires, il est à remarquer que cette industrie
ne peut pas prendre de grandes proportions, puisque les Pères d'une
station ne peuvent acheter que des propriétaires voisins de leurs
missions. Il est à remarquer aussi qu'il est impossible aux missionnaires,
faute de ressources, de pouvoir acheter des terres assez étendues pour

58 A.C.P.F. N.S. 161 (1899) f. 262-273. Demande transmise à La Propagande


par le père Socube, procureur par interim.
LES CONSULTEURS 123

créer des revenus assurés à leurs missions. D'ailleurs, même si les


missions étaient assez riches, ils ne devraient pas acheter de nombreuses
terres d'oliviers, parce qu'il s'agit d'un pays pauvre où les terres sont
très divisées et qu'on risquerait de forcer les pauvres familles à émi-
grer, s'exposant ainsi à des critiques nuisibles au but qu'on désire
atteindre, c'est-à-dire l'évangélisation de ces pauvres Kabyles».

Le consulteur chargé du dossier est le frère Denis de Ste


Thérèse, un carme déchaux romain habitué à démêler de telles affaires.
Il prépare le rapport destiné au congresso avec promptitude (une
semaine?) et s'inscrit d'emblée dans la logique juridique des pères
blancs59.

- la première étape consiste à déterminer dans quelle mesure il


faut appliquer la législation prévue pour les Indes orientales, la
Chine, le Japon, les deux Amériques60. Elle conclut que, s'agissant de
la Kabylie, les missionnaires d'Alger ne sont pas concernés par ces
décrets mais entrent dans le droit commun.
- le doute est alors formulé en termes généraux. Le frère Denis
s'emploie à définir les activités qui tombent sous le coup de
l'interdiction, soit l'exercice habituel du commerce, sauf aux Indes et en
Amérique où les décrets pontificaux condamnent un seul acte de
commerce. Il faut donc déterminer dans quelle catégorie entre la
fabrication d'huile d'olive en vue de la vente. L'huile est-elle obtenue à
partir d'olives cultivées ou achetées? Puis, dans cette hypothèse, est-
elle fabriquée pour obtenir un profit ou subvenir aux besoins grâce à
un travail manuel honnête, à l'image des Pères et de l'apôtre Paul
lui-même. S'abritant derrière l'autorité de Schmalzgrueber (1663-
1735), auteur classique de droit canon61, le consulteur conclut que
les opérations accomplies relèvent bien du commerce et ne peuvent
pas être autorisées à des clercs dans les conditions proposées.
Mais cette interdiction de principe n'exclut pas la possibilité
d'une dispense. La discussion a alors pour objet de fixer les
conditions qui justifient l'exception et préviennent toute dérive laxiste : ne

59 Ibid. f. 266 à 270. La demande est déposée le 11 août 1899. Le rapport du


consulteur est rédigé entre le 14 et 21 août.
60 Le frère Denis rappelle les condamnations prononcées par Urbain VIII (Ex
debito pastoralii offici, 22 février 1633), Clément IX (Sollicitudo pastoralis officii,
17 juin 1741), Benoît XIV (Apostolico servitutis, 25 février 1741), Pie IX (décret du
4 décembre 1872).
61 Jésuite bavarois dont les ouvrages ont été réunis sous le titre Jus ecclesias-
ticum Universum brevi methodo ad discentium utilitatem explicatum, seu elu-
cubrationes canonicae in quinque libros Decretalium, lère édit., 1719, 7 vol.; 2ème
edit., Naples, 5 vol.
124 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

pas provoquer d'inconvénients plus graves que les avantages retirés,


ne pas disposer d'autre solution conforme au droit, sauvegarder la
dignité de l'état clérical. A nouveau l'argumentation pose le pouvoir
de la Curie de concéder une telle faculté et constate que la seule
circonstance prévue concerne justement «necessitatem providendi in-
digentiis missionis».
Dès lors la difficulté est contournée et le rapport conclut en
faveur de la demande des pères blancs, aux conditions énumérées plus
haut. De fait le congresso ordinaire décide d'autoriser la production
d'huile en vue de la vente pour une période de dix ans.
La démarche du consulteur est fondamentalement celle d'un
juriste. La loi est la donnée en fonction de laquelle la demande est
jugée recevable ou non. La validité de ce droit, bien que constitué en
Occident, va de soi pour les pays de mission. Affrontés à des
situations qui les mettent en opposition avec le droit canon, les
missionnaires n'imaginent pas de se mettre en dehors de la loi ecclésiastique
commune. La logique de la procédure ne tend pas à discuter la
validité de la règle énoncée mais au contraire à la sauvegarder.
Cependant la rigidité de cette position initiale est aussitôt compensée par
les multiples ressources qu'offre la pratique du droit. L'application
des textes dans le cas examiné, la recherche d'une lecture moins
contraignante, l'appel aux précédents et aux exceptions sont autant
de possibilités laissées à une interprétation qui tolère quelques
accommodements. «Tolerare posse» devient une formule clé dans les
réponses apportées aux missionnaires62. A l'arrivée, l'essentiel
semble sauvegardé pour les deux parties. Rome n'a pas renoncé à
l'interdiction du commerce pour les clercs; les missionnaires ont
obtenu les ressources qui leur sont indispensables. Mais l'habileté du
compromis qui permet au «système «de tourner ne peut pas faire
oublier que les questions de fond ont été évacuées. Comment la
mission peut-elle s'assurer des revenus suffisants dans les pays
«infidèles?» Quel est l'impact d'activités commerciales sur l'évangélisa-
tion? La demande des pères blancs avait esquissé cette
problématique. La logique juridique adoptée spontanément par les deux
parties court-circuite un tel débat.

Les premières prières traduites en Ibo (Nigeria) sont-elles


orthodoxes?
Pratiquement à la même époque, le frère Denis de Sainte
Thérèse se voit confier une seconde consultation portant sur une toute
autre matière. Le père Charles Zappa, membre des Missions afri-

62 Mgr Cazet s'inquiète en 1899 de la pratique bien établie parmi les missions
jésuites de Madacascar d'acheter et de vendre des objets de piété, du matériel
LES CONSULTEURS 125

caines de Lyon, préfet apostolique du Niger, soumet pour


approbation la traduction en ibo des prières suivantes : Pater, Ave, Gloria,
Symbole des Apôtres (Credo), commandements de Dieu et de
l'Eglise. Envoyé le 14 mars 1899, le document est examiné en
conférence hebdomadaire le 28 avril, puis confié au consulteur qui remet
son rapport le 17 mai. L'avis de la Propagande est enfin
communiqué par la voie hiérarchique au Supérieur Planque le 14 juin. Cinq
mois environ se sont écoulés entre l'envoi de la demande par le
missionnaire et la réception par Planque de la réponse romaine63.
Le préfet apostolique avait fait précéder son envoi de remarques
générales qui résument les difficultés de son entreprise. La
traduction se heurte d'abord à l'absence de voie passive en ibo. En second
lieu les termes «surnaturels» et ceux qui expriment les concepts
abstraits manquent le plus souvent. La traduction des paroles du signe
de croix illustre d'emblée ce problème. Comment rendre «(au nom
du) Saint-Esprit» ? Le père Zappa propose (na) Mo-Nso et justifie les
termes choisis. Mo traduit spiritus parce que ce terme désigne chez
les Ibos les «animas» (âmes, esprits) qui ont quitté cette vie, vivent
dans un lieu spécial, errent souvent de nouveau dans ce monde, en
somme les personnes privées de corps. Νso traduit sanctus car ce
terme est utilisé pour désigner ce qu'il faut éviter, ne pas toucher,
mettre à part, ne pas faire entrer dans la maison; on l'emploie
spécialement pour la femme qui a ses règles. Les ministres protestants,
puis les missionnaires catholiques, ont choisi Nso pour rendre le
latin sanctus. Le même mot sert à traduire vendredi, c'est-à-dire (le
jour où la viande est) interdite. Il n'échappe pas à Zappa que cette
traduction assimile quasiment «saint» à «interdit» mais il fait valoir
que les termes ibo exprimant le latin bonus sont très éloignés de
l'idée de sainteté.
Toutes les prières sont présentées sur ce modèle, avec d'un côté
la version en Ibo et de l'autre la traduction littérale et commentée,
en latin. Les noms de personne sont transcrits phonétiquement :
Maria, Jesu, Kristi, Pontio Pilati. Seuls quelques noms communs
échappent à la tentative de trouver un équivalent et sont de simples
transcriptions : Amen, Catholic, missa, eukarist, Paska, friday, sa-
turday.

scolaire, des livres scolaires. Les congresso du 23 septembre 1899 lui répond «to-
lerare posse usum praedictum in missione». A.C. P. F. 161 (1899) f. 274-276. Cazet,
Tananarive, le 24 août 1899. La réponse est expédiée dès le 25 septembre.
63 A.C.P.F. N.S. 185 (1900). Prières en Ibo. In conferentia, 28 avril 1899. f. 137
à 170. Lettre de Zappa, Préfet Apostolique, 14 mars 1899, f. 137-148; examen du
consulteur Dionysius a Sta Theresa, Rome, Corso d'Italia, 17 mai 1899, f. 155 à
164. Préfet Ledochowski à Zappa, Rome le 14 juin 1899, f. 165-170.
126 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Le frère Denis de Sainte Thérèse se voit là aussi confier la


mission redoutable d'évaluer l'orthodoxie des traductions et de proposer
d'éventuelles améliorations. Faute de pouvoir remédier à son
ignorance en matière de langue ibo, le consulteur se propose de formuler
seulement des conseils et des hypothèses. Cette prudence ne
l'empêche pas ensuite de se livrer à un décorticage consciencieux sur
une dizaine de feuillets que nous ne pouvons pas suivre dans le
détail. L'essentiel de l'exercice consiste à vérifier que la traduction rend
le plus fidèlement possible le sens des textes latins et qu'elle le rend
intégralement.
La fidélité au texte latin en usage à Rome commande d'emblée
la critique adressée à la manière de rendre Spintus Sanctus par Mo-
Nso. Le frère Denis conteste que Nso puisse être l'équivalent de
Sanctus, comme le laisse entendre le commentaire du préfet
apostolique. Il s'appuie sur des considérations linguistiques selon
lesquelles «les mots, comme c'est connu, sont des signes arbitraires qui
n'ont pas de signification déterminée en dehors de celle que leur
donne les hommes vivant en société.» Il illustre sa démonstration
par le passage du grec pneuma au latin spiritus dans les deux
versions de l'Evangile de Matthieu. Le grec pneuma signifie à la fois
flatus, respiratio, anima, mais le nom spiritus a été choisi pour le
traduire parce qu'il prend une signification précise quand il
accompagne Sanctus, désignant alors la troisième personne de la
Trinité. En conséquence on ne peut pas dire que Nso, qui exprime
une chose interdite, corresponde à sanctus, à moins que le sens soit
changé par la présence de Nso. Dans ce cas, «ex usu et doctrina», mo
peut acquérir la signification du latin sanctus.
Ainsi la discussion, au delà de son aspect formaliste, pose aux
missionnaires des questions fondamentales sur la traduction et le
statut de la langue. Le consulteur insiste sur le caractère spécifique
des termes catholiques parce qu'ils expriment des concepts
inconnus des païens. La préoccupation qui le guide est d'ordre caté-
chétique : faire passer par les mots tout le contenu de la foi. La
position adoptée tend à banaliser les mots puisque leur sens est
dépendant de ceux qui en usent. En conséquence la critique ne porte pas
tant sur le choix de certains termes ibos que sur l'impossibilité de
découvrir dans la langue indigène des équivalents. La perspective
d'une pédagogie partant de la langue parlée pour prendre appui sur
la culture locale, selon la théologie traditionnelle des semences
enfouies et obscurcies depuis la révélation primitive, est totalement
évacuée. Certes le consulteur n'écarte pas a prìori l'utilisation des
termes indigènes mais il ne s'intéresse pas au contenu positif dont
ils sont porteurs. La christianisation est imaginée par le haut, plutôt
qu'à partir de la base, en transmettant le message déjà formulé
plutôt qu'en le ré-exprimant autrement. L'Eglise enseignante impose
LES CONSULTEURS 127

une logique de reproduction où la traduction serait le simple


habillage d'un contenu invariable.
D'autres consulteurs vont jusqu'au bout de la logique de Frère
Denis. Ils écartent délibérément le vocabulaire autochtone, accusé
d'alimenter les ambiguïtés et de favoriser les déformations. Ils
préconisent ouvertement le choix de mots extérieurs grâce à la
transcription phonétique des termes latins. Telle est la position adoptée à
Rome vis-à-vis des prières et du catéchisme soumis à l'approbation
de la Propagande par Mgr Gendreau, vicaire apostolique du Tonkin.
Il proposait d'employer des termes annamites pour remplacer les
mots transcrits du latin tels que Phirìto Sangto, Yghêrêgia (Ecclesia),
Sacramento :
«Si les traducteurs (du XVe s.) ont inséré ces différentes locutions
dans le texte des prières, c'est peut-être parce qu'ils se défiaient de
leurs connaissances en annamite ou parce qu'ils désiraient conserver
à ces mots latins leur sens intégral et les différentes significations
qu'ils ont dans la langue officielle de l'Eglise.» Le missionnaire se
livrait ensuite à une critique sévère de cette méthode : introduction de
mots difficiles à comprendre par les fidèles, difficiles à prononcer,
soumis au risque d'être déformés et de menacer la validité du
sacrement quand il est administré par un laïc. Sans négliger le risque de
mécontenter les vieux chrétiens attachés à des formules récitées
depuis deux cents ans, le vicaire apostolique penchait manifestement
pour les équivalents Indochinois utilisés en Cochinchine et
partiellement introduits au Tonkin, malgré le danger d'une contamination par
des croyances païennes, par exemple en traduisant Esprit Saint : Hôi
th'anh, Génie Saint, le mot qui désigne les génies des «cultes
superstitieux» ...

La Propagande doit donc trancher entre les partisans d'une «an-


namisation» et ceux qui défendent la tradition. Mgr Gendreau a
montré que l'enjeu n'est pas seulement dogmatique mais pastoral.
La première solution a l'avantage de faciliter l'intégration des
chrétiens dans leur pays, la seconde marque mieux la spécificité de leur
religion par rapport au paganisme. Le souci de maintenir la
cohésion de la chrétienté et la pureté de la foi l'emportent nettement au
congresso qui ordonne de conserver les termes latins, notamment
Phirìto Sangto, et plus généralement de garder le texte ancien des
prières et du catéchisme.
Par rapport à cette décision, Denis de Sainte Thérèse adopte un
point de vue nuancé à l'égard des textes ibos, dans un contexte il est
vrai moins polémique; mais sur le fond il exprime le consensus des
milieux romains, caractérisé par la nécessité de faire passer dans la
catéchèse la totalité d'un dogme reçu en dépôt intangible. La
critique du consulteur à propos de la traduction du Notre Père est
particulièrement révélatrice de cette hantise de ne pas restituer l'inté-
128 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

gralité du dogme. Elle repose sur la conviction que le texte de


référence est le latin («langue officielle de l'Eglise» disait Mgr
Gendreau), car il est censé exprimer [a totalité du dogme; il prend
une dimension intemporelle et aculturelle. Le père Zappa avait
pourtant eu soin d'expliquer qu'il n'existait pas de terme rendant
exactement les paroles de «l'original», par exemple «Que ton règne
vienne (adveniat regnum tuum)». La société ibo, dirigée par une très
large oligarchie, ignore en effet les rois et le concept de règne... Le
consulteur ne répond pas à cette objection et reproche à la
traduction de ne pas rendre que le Royaume de Dieu est à la fois d'essence
spirituelle (Luc, 17/21), bonheur éternel (Matthieu 7/21), récompense
des élus au Jugement dernier (Matthieu 23/34).
Le cas que nous venons d'exposer brièvement nous semble
emblématique des rapports ambigus qui se nouent entre les experts
romains et les missionnaires. Il révèle la tentation permanente de
banaliser la nouveauté des situations examinées pour les ramener à
des modèles connus. Le fossé qui sépare les deux parties est
artificiellement comblé par l'affirmation d'un contenu de la foi déjà
constitué, qu'il suffit de faire passer par d'autres canaux, ici les
langues indigènes, pour qu'il soit transféré à l'identique. Le transfert
des termes latins, indigénisés phonétiquement, devient la seule
alternative à l'impuissance de Zappa pour trouver des termes ibos
satisfaisants.
Pourtant la lettre que Ledochowski adresse au préfet
apostolique du Nigeria se garde de reprendre l'ensemble des remarques du
consulteur. Le préfet les condense, après avoir fait précéder ses ani-
madversiones d'un chapeau éloquent. Puisqu'il n'y a pas à Rome de
consulteur qui connaisse la langue, il est impossible de suggérer
d'autres mots pour améliorer les textes proposés par le
missionnaire. En conséquence les prières en Ibo ne sont pas approuvées
mais elles peuvent être utilisées par les missionnaires à titre
provisoire, en attendant qu'une meilleure connaissance de la langue
permette de les rendre plus conformes aux originaux. Sans se
prononcer sur le fond, le préfet introduit une certaine souplesse dans la
régulation autoritaire des expressions du dogme64. A l'intervention du
consulteur revenait le soin de surveiller la conformité de l'action
missionnaire aux lois et à la foi de l'Eglise. A la Propagande incombe
de déterminer ce qui peut être exigé hic et nunc, dans telle mission.
Cette marge de manœuvre ne doit pas être négligée, même si elle est
sans doute majorée par certains commentateurs.

64 Ibid. f. 165. Pour le Vietnam : A.C.P.F. N.S. 1898, vol. 137, rub. 48. Lettre
de Mgr Gendreau, Hanoï, 10 mai 1898, f. 116-119.
LES CONSULTEURS 129

Mission et colonisation : la norme de la liberté religieuse.


L'avis des consulteurs ne se limite pas aux questions
dogmatiques, morales ou réglementaires. Il s'étend à la vie des instituts
religieux et aux rapports d'activités à travers les commissions
spécialisées que nous évoquerons ultérieurement. Il est également sollicité
dans les affaires politiques. L'activité des experts est à l'image de la
diversité des affaires traitées par la Propagande. L'étonnant est ici
encore de vérifier que les mêmes hommes sont appelés à exprimer
leur opinion sur l'ensemble des questions, sans qu'habituellement
soient repérables des critères particuliers dans la distribution des
dossiers relatifs aux missions.
Ainsi rien ne prédispose Mgr Van den Branden à se prononcer
sur la situation au Tonkin en 189265. Il établit son voto à partir de
deux rapports adressés par Mgr Puginier, vicaire apostolique, aux
administrateurs coloniaux français. Il complète son information par
des renseignements privés, puisés auprès de Mgr Freppel et divers
documents décrivant les persécutions religieuses contre les
catholiques en 1890-1891. A partir de ces données, peu susceptibles de
favoriser une critique de l'intervention française que Puginier et
Freppel ont appelé de leurs vœux, le consulteur s'inquiète
essentiellement du respect de la liberté religieuse au Tonkin. Il se retrouve
alors en terrain connu, dans une problématique qui guide toute
l'action de l'Eglise romaine au même moment. Il en tire pour
l'Indochine le souhait que cessent chez les fonctionnaires français les
interventions en faveur des païens. Il met sa confiance dans le
nouveau Résident général pour que prennent fin les tracasseries
exercées à l'encontre des villages chrétiens. Attentif aux avantages
qu'offre l'administration coloniale pour protéger les missions, Mgr
Van den Branden ne s'émeut pas des incidences politiques d'une
telle situation qui associe de fait catholicisme et colonisation. Il
enregistre favorablement la déclaration du nouveau résident : «Je ne
veux pas de persécution; les missionnaires nous rendent d'éminents
services; les catholiques sont nos plus fidèles amis; il faut que toutes
ces tracasseries cessent»66.
La défense de la liberté religieuse est spontanément entendue
comme la liberté du catholicisme de développer son action
missionnaire. Critère fondamental d'évaluation, elle vient ici justifier la
colonisation française. Cela n'entraîne pas que la Propagande soit
systématiquement favorable à la colonisation. Au Tonkin le parti à
prendre semble clair puisqu'il met en balance un pouvoir annamite
anti-chrétien et une administration française décidée à soutenir les

65A.C.P.F. N.S. 185 (1900) f. 187-191. Rapport du 31 mars 1892.


66 Ibid. f. 191 ν.
130 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

missions. Mgr Van den Branden ne fait pas pour autant


aveuglément confiance à l'administration française. Il souhaite que Rome
insiste pour que l'autorité coloniale fasse appliquer les traités de
1874 et 1884 car ils garantissent la liberté de la Religion. Il n'oublie
pas son origine belge et donne en modèle l'action de Leopold II en
faveur des missions au Congo. Mais tout son raisonnement reste
guidé par les profits à attendre du pouvoir politique pour l'évangéli-
sation. Le débat sur la légitimité de la conquête coloniale «en
général» est en dehors de son horizon.
Le rôle des consulteurs au sein de la Propagande est difficile à
apprécier avec exactitude. L'influence de plusieurs d'entre eux est
manifestement considérable, malgré la discrétion dont leur activité
est entourée. Certains, tel le jésuite De Augustinis, le franciscain
d'Aurillac ou le cistercien Smeulders, jouissent d'une notoriété bien
supérieure à leur place dans la hiérarchie ecclésiastique. Mais il faut
une événement exceptionnel pour vérifier officiellement leur
importance, par exemple une mission extraordinaire d'inspection au
Québec confiée au père Smeulders67.
Difficile à mesurer le pouvoir des consulteurs n'est ni occulte, ni
parallèle. Les critères de sélection réservent la fonction à des
ecclésiastiques en vue, diplômés des universités romaines, occupant
souvent les charges les plus hautes dans les congrégations
religieuses. Ils nous apparaissent comme les reflets fidèles des choix
théologiques et des modes de pensée qui dominent sous Léon XIII.
La constitution de la théologie thomiste en théologie officielle et pe-
rennis contribue à fixer ou figer la réflexion. Les commentateurs de
la scolastique prennent le pas sur les théoriciens soucieux d'un effort
d'invention, d'élaborer des réponses nouvelles. L'obsession de la
norme et la recherche du précédent guident la démarche d'experts
qui placent leurs avis sous l'autorité des maîtres du passé. L'esprit
juridique imprègne ces hommes de dossier parfaitement adaptés à
la volonté collective d'uniformiser les pratiques des catholiques et de
réglementer tous les domaines de la vie. L'idée moderne d'une mis-
siologie, en train d'émerger parmi les protestants, a peu de chance
de trouver parmi eux un terrain favorable à son éclosion.

67 M.C. 1883, p. 461. Un bref du 11 septembre 1883 l'envoie enquêter sur les
difficultés survenues à l'Ecole de médecine de l'Université Laval (Montréal).
CHAPITRE 5

LES DÉCIDEURS :
CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS

1 - Le rôle des cardinaux et du congresso {«congrégation générale» ou


«réunion plénière»).

Le congresso des cardinaux constitue l'instance executive de la


Propagande. Il est aussi l'organe dont l'activité est la plus facile à
isoler dans les archives. Les Acta conservent dans l'ordre
chronologique les ponenze et les procès-verbaux des décisions adoptées à
l'occasion des réunions mensuelles. Le classement thématique
fournit un premier aperçu des questions réservées aux cardinaux en
matière de mission chez les infidèles. Nous avons regroupé les sujets
abordés de 1878 à 1903 autour de huit têtes de chapitre respectant
autant que possible les intitulés adoptés par le dicastère :
1. Nomination du chef de mission (Préfet ou Vicaire
apostolique), ou de l'évêque quand la hiérarchie a été établie.
2. Création d'une mission; transformation du statut par
érection d'une préfecture, d'un vicariat ou d'un diocèse; établissement de
la hiérarchie ecclésiastique.
3. Relations avec les gouvernements, en particulier patronage
ou protection des missions.
4. Mesures à prendre; conseils et directives après la réunion de
synodes.
5. Approbation de statuts ou règlements de sociétés
missionnaires.
6. Règlement de conflits ecclésiastiques dans les missions.
7. Vie interne de la Propagande (nominations, organisation,
budget, institutions sous sa dépendance directe : collège Urbain,
collège de Naples).
8. Causes matrimoniales.

Les résultats obtenus doivent aussitôt être corrigés par deux


remarques. En premier lieu, le décompte attribue la même valeur à
toutes les délibérations et donc gomme les écarts très importants
concernant le temps effectivement consacré par le dicastère à l'étude
des différents dossiers. La nomination d'un coadjuteur pour une
modeste mission, réglée en quelques minutes, prend la même valeur
132 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

qu'une longue délibération sur une succession episcopale délicate,


l'érection de la hiérarchie en Inde, en Chine, au Japon, ou l'examen
des actes d'un synode. En second lieu le contenu d'une rubrique ne
rend pas compte de toute la délibération. Souvent la ponenza

13,61%

11,69% 38,22%

4,89%
19,37%

Croquis n° 13 - Délibérations en congresso1.

comporte plusieurs éléments, ce qui rend arbitraire l'affectation


d'un dossier dans une rubrique plutôt que l'autre. Enfin la
délimitation d'une nouvelle circonscription ecclésiastique est généralement
accompagnée de la désignation du missionnaire qui en aura la
charge. Ou bien la nomination d'un nouveau préfet, vicaire
apostolique ou évêque, est l'occasion d'un examen détaillé de l'état de la
mission. Inversement la décision est quelquefois différée (dilata). En
tenant compte de ces réserves, le décompte offre une vue globale de
la nature des dossiers traités et suffit pour déterminer quelques
grands postes. Nous l'avons visualisé sous la forme d'un graphique

1 Rappel des rubriques :


1. Nomination du chef de mission (Préfet ou Vicaire apostolique), ou de l'é-
vêque quand la hiérarchie a été établie.
2. Création d'une mission; transformation du statut par érection d'une
préfecture, d'un vicariat ou d'un diocèse; établissement de la hiérarchie
ecclésiastique.
3. Relations avec les gouvernements, en particulier patronage ou protection
des missions.
4. Mesures à prendre; conseils et directives après la réunion de synodes.
5. Approbation de statuts ou règlements de sociétés missionnaires.
6. Règlement de conflits ecclésiastiques dans les missions.
7. Vie interne de la Propagande (nominations, organisation, budget,
institutions sous sa dépendance directe : collège Urbain, collège de Naples).
8. Causes matrimoniales.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 133

sectoriel conservant les numéros des rubriques du tableau


précédent.
Les Acta permettent donc de délimiter nettement ce qui est en
priorité du ressort des cardinaux. Leurs décisions peuvent se
caractériser par le contrôle du processus de la «plantatio ecclesiae».
Définir un territoire, l'attribuer à une société missionnaire, choisir entre
plusieurs candidats ou susciter une offre qui n'est pas toujours
spontanée2, décider du moment de la transformation de la mission en
préfecture, vicariat, diocèse et archidiocèse, telles sont les
attributions fondamentales. Les rubriques 1 et 2 représentent 58% des
délibérations répertoriées. La Propagande exerce ainsi une fonction
d'autorité, que lui délègue la papauté, au nom de laquelle elle
assume la direction et la planification de l'action missionnaire. La
reconnaissance des nouvelles sociétés missionnaires, l'approbation
provisoire ou définitive de leurs règlements et statuts sont un
corollaire de cette activité. L'ensemble correspond à la structure très
hiérarchique de l'Eglise catholique, particulièrement au lendemain du
Concile du Vatican. L'action des instituts missionnaires est soumise
à un contrôle strict qui prévient toute tentation d'autonomie et
d'appropriation d'un territoire. Certes le fonctionnement suppose la
négociation mais il repose en dernière instance sur la concentration du
pouvoir entre les mains de Rome.
Les relations des missions avec les Etats arrivent en seconde
position. Elles constituent un autre domaine réservé, soit qu'elles
relèvent de traités anciens (type padroado) et soulèvent de graves
questions en matière de juridiction ecclésiastique, et dans ce cas la Se-
crétairerie d'Etat prend en charge le dossier à travers les Affaires
ecclésiastiques extraordinaires au sein d'une commission mixte, soit
qu'elles supposent des accords écrits susceptibles de provoquer
l'ingérence du pouvoir civil dans la vie de l'Eglise. Dans un contexte
d'expansion coloniale, qui est aussi en Europe celui de la laïcisation,
le gouvernement pontifical entend superviser toutes les opérations
qui font intervenir le pouvoir civil.
Les conflits ecclésiastiques survenus dans les missions font
rarement l'objet d'un examen en congresso (2,6%). Ils correspondent à
des situations locales très particulières. Le statut de Pondichéry
oblige en 1880 à démêler une situation embrouillée : la ville est à la
fois siège d'une préfecture pour le territoire de la colonie française,
confiée aux spiritains, et siège d'un vicariat missionnaire attribué
aux M.E.P. couvrant la région sous régime britannique3. La division

2 Les principales réticences concernent les missions dites «d'Afrique


centrale», soit pour le Haut Nil (refus des jésuites, Acta 1882, cf. supra), soit pour
l'Etat Indépendant du Congo (les mêmes).
3 Acta 1880, f. 570-622.
134 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

des biens de la société des religieuses de Marie Réparatrice, suite à


la scission intervenue en 1876 d'où naît la congrégation des
missionnaires franciscaines de Marie, trouve une solution en 18834. Les
relations entre supérieurs religieux locaux et chefs de missions jésuites
sont à l'origine du seul dossier épineux dont la solution est
durablement contestée. La compagnie cherche à obtenir la modification de
la législation sur cette matière telle qu'elle a été établie par un décret
de la Propagande daté du 12 août 1851. Les cardinaux optent en 1879
pour le statu quo en différant la décision (dilata)5, puis confirment le
décret en 18806, et à nouveau en 1895, malgré la pression de la
compagnie7.
Ces rivalités de juridiction entre chef de mission et supérieur
religieux expliquent pour une part le long conflit opposant Mgr Meu-
rin, vicaire apostolique jésuite de Bombay, à ses confrères et
missionnaires qui dénoncent ses méthodes, son autoritarisme, ses choix
pastoraux8. Le différend qui éclate au Natal entre le vicaire
apostolique Ricards et le supérieur du monastère des Trappistes de Ma-
rianhill est beaucoup moins grave. Les religieux estiment que les
promesses matérielles et financières du chef de la mission,
formulées afin d'obtenir leur installation en Afrique australe, n'ont pas été
tenues, ce qui les place dans une situation financière délicate. Ils
obtiennent l'attribution d'une somme de 2000 F. Dans ce cas
l'intervention romaine s'explique par la nature plutôt que l'importance du
différend, sans mobiliser beaucoup d'énergie9. Un dernier conflit
majeur oppose à Ceylan en 1897 le délégué Apostolique Zaleski et le le
père Collin, vicaire général de la mission confiée aux O.M.I. La
complexité de cette affaire, comme celle qui met en cause Mgr Meu-
rin en Inde, justifie de l'examiner ultérieurement10.

2 - Le choix des cardinaux rapporteurs (ponenti).

L'importance des congrégations plénières de cardinaux incite à


identifier les hommes qui ont effectivement assumé sous le
pontificat de Léon XIII les responsabilités. L'examen des annuaires permet

4 Acta 1883/1, f. 1 à 51 et 465 à 554.


5 Acta 1879, f. 36 à 106.
6 Acta 1880, f. 162 et ss.
7 Acta 1895, f. 18 à 25.
»Acta 1886/1, f. 65 à 240.
9 Acta 1889, f. 427 à 436 (seulement) et pour conclure l'affaire une simple
relation verbale, Acta 1890, f. 39.
10 Acta 1897, f. 252 à 287 r.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 135

de repérer le nom des prélats de la curie qui ont siégé le plus


régulièrement dans le dicastère. Un classement approximatif selon
l'ordre de leur création suffit pour constater que la Propagande a
compté dans ses rangs tous les cardinaux de Curie importants :
Créés sous Pie IX : Monaco la Valletta, Di Pietro (Camillo), Mer-
tel, Sacconi, Panebianco, De Luca, Buio, Oreglia, Bartolini, di
Canossa, Serafini, Sbaretti, Parocchi; parmi les non italiens : Ledo-
chowski, Franzelin, Howard.
Créés par Léon XIII : Alimonda, Zigliara, Meglia, Jacobini (Lo-
dovico), Hassoun, Jacobini (Angelo), Czacki, Masotti, Verga,
Schiaffino, Mazzella, Vannutelli (Serafino), Aloisi-Masella, Rampolla,
Macchi, Apolloni, Vannutelli (Vincenzo), Di Pietro (Angelo), Persico,
Galimberti, Steinhuber, Segna, Satolli, Gotti, Jacobini (Domenico-
Maria), Agliardi, Ferrata, Cretoni, Cassetta, Ciasca, Matthieu,
Trombetta, Vives y Tuto, Martinelli.
Cette indication ne permet pas de mesurer l'activité réelle des
cardinaux. A défaut du compte rendu des délibérations, qui aurait
permis d'analyser les interventions individuelles, la désignation des
cardinaux ponenti (rapporteurs) pour les questions concernant
l'Afrique, l'Asie, l'Oceanie, et les quelques territoires missionnaires
américains, nous a paru le meilleur critère afin d'évaluer
l'engagement réel des uns et des autres. Le premier tableau correspond à la
préfecture du cardinal Simeoni à partir de 1881 et le second à celle
du cardinal Ledochowski.
La polyvalence des hommes est la première constatation qui
s'impose. Le même cardinal est amené à s'intéresser successivement
à des régions très différentes. Pas plus qu'il n'existe de spécialisation
vouant les uns aux chrétientés de l'Europe protestante, d'autres à
celles d'Amérique ou aux missions chez les païens, il n'y a
affectation suivie d'un territoire à un prélat. Certes il existe des séances
dans lesquelles on perçoit un regroupement géographique des
dossiers. En 1883 Parocchi présente plusieurs rapports sur la
nomination de vicaires apostoliques en Chine. Mais il ne s'agit nullement
d'une règle comme le montrent les années 1882 et 1884 où sont
intervenus pour la Chine, malgré la présence de Parocchi, Alimonda,
Hassun, Czacki, Camille di Pietro, Sacconi, Serafini. Inversement
Parocchi intervient aussi pour l'Inde et le Bénin.
Le refus de la spécialisation souffre cependant une exception.
Dès lors que la question abordée comporte une dimension
théologique ou un enjeu ecclésial essentiel, le choix du rapporteur fait
apparaître la prise en considération de critères précis. C'est
notamment le cas de l'examen des synodes locaux. Les séances consacrées
à l'enregistrement définitif des actes des synodes régionaux> après
qu'ils ont été modifiés par la commission chargée de les examiner,
sont toujours confiées à des cardinaux qui peuvent se prévaloir
136 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

d'une compétence théologique ou d'une connaissance plus complète


du dossier.
Le deuxième synode de la première région ecclésiastique (Pékin)
et de la deuxième région de Chine (Chansi) sont attribués en 1888 au

Tableau n° 7
CARDINAUX PONENTI SOUS LE PRÉFET SIMEONI

1879 1880 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92

Alimonda 1 2 2
Aloisi-M. © 2 1
Apolloni 1 3
Bartolini 2 1
Bilio 1 1 t
Czacki © 3 5 t
C. Di Pietro 1 it
Franzélin 3 2 1 2 2 2 t
Hassun 3 1 It
Howard 1 1 1 1 1
L. Jacobini 1
Lasagni it
Massa]a © 3 t
Meglia © 1 1 1 t
Mazzetta © 2 1 2
Melchers © 2 1
Mertel 1 1 1 1 3 1 2
Nina 1 t
Oreglia 2 1 2 1 1 1 1
Parecchi 7 1 1 1 2
Vitra 2 1 2 1
Randi 1 1
Sacconi 1
Sanguigni 1
Schiaffino 2 1
Serafini 2 1 5 2 1 1 1
Simeoni G. 1 1 1
Vannutelli S. © 1 4 1 3 5
Vannutelli V. ©
Verga © 1 2 2 2
Zigliara © 2 5 1 2
© = créé cardinal
t = décès
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 137

Tableau n° 8
CARDINAUX PONENTI SOUS LE PRÉFET LEDOCHOWSKI

1893 94 95 96 97 98 99 1900 1901 1902

Agliardi © 4 3 2 3 3
Aloisi-M. t
Ciasca © 3 1
Cretoni © 3 2 2 2 2 3
Galimberti © 3 4 1 t
D. M. Jacobini © 1 4
Mathieu 2 6
Mazzetta 7 3 1 1 1 1 t
Melchers 1 1 t
Parocchi 1 1 2 3
Persico ©2 2 2t
Satolli © 1 3 1 1
Segna © 3 3 1 1 1 1
Serafini 2 t
Steinhuber © 2 2
Vannutelli S. 1 1 2 5 4 2
Vannutelli V. 5 5 3 6 5 5 1 4 4 4
Verga 2 t
Vives © 1 1 1
Zigliara t
© = Créé cardinal
t = Décès

Tableau n° 9
CARDINAUX PONENTI LES PLUS SOUVENT CITÉS

sous Simeoni sous Ledochowski

V. Vannutelli 42 42
S. Vannutelli 29 14 15
Parocchi 19 12 7
Mazzella 19 5 14
Serafini 15 13 2
Agliardi 14 14
Franzelin 12 12
Segna 11 11 11
Mertel 10 10
Zigliara 10 10
138 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

dominicain Zigliara11. Théologien sans rayonnement particulier


antérieurement à 1878, il doit à son thomisme intransigeant, à son
séjour à Pérouse et aux frères Pecci une ascension rapide qui suscita
de multiples commentaires. Ce corse, qui n'aimait guère la France,
était devenu profondément romain par ses études et son
rattachement à la province dominicaine de Rome. Régent de la Minerve,
promu cardinal dès le premier consistoire (12 mai 1879), à l'âge de
45 ans, il est le maître d'œuvre de la restauration thomiste voulue
par Joseph Pecci et le souverain pontife12.
Après le décès prématuré de Zigliara en 1893, la direction de
l'entreprise de promotion et d'imposition de la néo-scolastique, dans
les séminaires et les universités, est confiée au jésuite Mazzella. Ce
dernier a enseigné dans les scolasticats jésuites de Lyon et des Etats-
Unis (Georgetown, Woodstock) avant de faire triompher le
thomisme à la Grégorienne à partir de 1878, aux dépens des partisans
de Rosmini ou de la théologie positive enseignée jusque là dans le
Collège romain (Passaglia, Schrader, Franzelin depuis 1857).
Parallèlement à une abondante œuvre théologique, Mazzella poursuit une
ascension régulière au sein de la Curie après l'obtention de la
barrette de cardinal en 1886. Préfet de l'Index, il succède à Zigliara
comme préfet des Etudes. Dès lors il n'est pas étonnant de le
retrouver rapporteur dans l'examen du premier synode national du Japon
(1893)13, puis du troisième synode des première et deuxième région
de Chine (1894)14, enfin du premier synode de Bombay (1898)15.
Ce sont d'autres critères qui poussent à désigner les frères Van-
nutelli comme rapporteurs pour la convocation des premiers
synodes provinciaux de l'Inde (Vincenzo, 1893)16, l'approbation du
second synode de la cinquième région de Chine17, du premier synode
de la province de Tokyo (Serafino, 1896)18 et d'Agra en Inde
(Vincenzo, 1900)19. L'itinéraire de ces deux prélats est étonnamment
symétrique. Issus du patriciat pontifical, les deux frères fréquentent très

11 A.S.C.P.F. Acta 1888 f. 261-306 ν et 702-723.


12 Cf. la notice du D.T.C. , Zigliara, col. 3694. Né à Bonifacio le 29 octobre
1834. Premières études chez les Frères des Ecoles Chrétiennes. Noviciat
dominicain à la Minerve. Prend l'habit à Agnani (1851) «puis passa au couvent de
Pérouse, où il étudia la théologie. L'évêque de Pérouse était alors le cardinal
Joachim Pecci. . . Il conféra au jeune dominicain l'ordination sacerdotale, le 7 mai
1856».
13 A.S.C.P.F. Acta 1893 f. 63 à 130 v.
14 A.S.C.P.F. Acta 1894, respectivement f. 409-456 et 149-195.
15 A.S.C.P.F. Acta 1898 f. 41 à 182.
16A.S.C.P.F. Acta 1893 f. 343-349.
17 A.S.C.P.F. Acta 1896 f. 185 r-210 v.
18 A.S.C.P.F. Acta 1896 f. 135-152.
19 A.S.C.P.F. Acta 1900 f. 302 à 409.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 139

tôt les salons romains et leur carrière se déroule comme si elle était
programmée. Ils sont pensionnaires du collège Capranica en même
temps que Rampolla et se succèdent à la chaire de dogme du
séminaire du Vatican. Vincenzo, le puîné, y est nommé alors qu'il vient
d'être ordonné prêtre et a seulement vingt-cinq ans. Serafino
remplace son frère qui entame en 1863 une carrière diplomatique en
qualité de collaborateur du cardinal Oreglia (Hollande, Belgique).
Serafino l'imite dès 1864 et suit le cardinal Meglia (Mexico,
Munich).
Chacun gravit rapidement les échelons d'une carrière qui
conduit Serafino aux nonciatures de Bruxelles et de Vienne,
Vincenzo à celle de Lisbonne (1883-1889), où il négocie le concordat sur les
Indes (1886) après avoir été délégué apostolique à Constantinople.
L'aîné devient cardinal le 14 mars 1887 et son frère le 30 décembre
1889 (in petto). Ils sont l'un et l'autre des personnages clés de la
Curie, réputés pour leur talent de diplomates et bénéficient des
sympathies de la compagnie de Jésus. Bien que plutôt favorables à la
Triplice, mais avant tout romains, ils appartiennent au petit cercle
des conseillers privilégiés, tempèrent la francophilie de Rampolla,
sont omniprésents. Vincenzo est préfet de l'Economat de la
Propagande (1892) puis de la congrégation du Concile (1902). Serafino est
brièvement préfet de la congrégation des évêques et réguliers (1892).
La nomination de Serafino à l'archevêché de Bologne en 1893 en
aurait fait l'héritier désigné de Léon XIII, si l'intéressé ne l'avait pas
refusé20, préférant sans doute participer effectivement et
immédiatement au gouvernement de l'Eglise, ou craignant d'être éloigné de
Rome. Il obtient l'évêché de Frascati, mais ne reçoit plus après 1893
de «poste de direction» à la Curie. Quant à Vincenzo,
l'impressionnante liste des congrégations et associations qui l'ont choisi pour
protecteur atteste son influence et son prestige.
Deux autres cardinaux interviennent plus ponctuellement sur
les matières doctrinales. Cretoni se voit chargé du premier synode
de la province de Vérapoly en 189921. Cet érudit polyglotte, que l'on
dit homme affable, d'abord professeur de littérature à l'Apollinaire
et de philosophie scolastique à la Propagande, a mené une brillante
carrière au sein de la Curie. Sous-archiviste et archiviste de la
Propagande de 1868 à 1878, il devient secrétaire de la section orientale
entre 1880 et 1889. Il a également été employé à la congrégation du
Concile comme secrétaire de la commission pour les affaires
orientales et sert au Saint-Office en qualité d'assesseur (1889). Il est nom-

20 Cf. Christoph Weber, Quellen und Studien... op. cit. p. 420-426.


21 A.S.C.P.F. Acta 1899 f. 74-179.
140 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

mé nonce à Madrid le 3 mai 1893 et finalement promu cardinal en


1896.
Ciasca est le sixième cardinal de la période rapporteur d'un
synode, en l'occurrence celui tenu par la province de Pondichéry
(1901)22. Il présente un «profil» proche de celui de Cretoni. Ses
travaux et son enseignement ont fait de ce religieux augustin le
meilleur connaisseur à la Curie de multiples langues orientales, en
particulier l'hébreu et l'arabe, d'où son emploi comme fonctionnaire ou
consulteur de plusieurs dicastères. Président du collège des
interprètes pontificaux, doyen de la faculté de philologie du Séminaire
romain, préfet des archives du Vatican (1891), envoyé extraordinaire
chargé de présider le synode de rite ruthène à Lemberg (ou Lwow,
Lepoli, 1891), il accède aux plus hautes responsabilités en devenant
secrétaire de la Propagande en 1893, enfin cardinal en 1899. Chargé
de réorganiser les missions du Proche-Orient et de Galicie, de
préparer l'érection de la préfecture d'Erythrée en accord avec le
gouvernement italien, Ciasca a acquis une connaissance approfondie des
problèmes épineux de l'Orient, entendu ici en incluant l'Ethiopie (rite
copte) et l'Inde (rites malabar et syriaque).
Un dernier exemple apporte une confirmation supplémentaire à
notre observation, celui de la Nouvelle-Zélande, qui est plus une
néo-chrétienté occidentale qu'une véritable mission. Elle connaît
son premier synode provincial distinct de l'Australie en 1899. Les
décrets sont approuvés par le congresso le 9 avril 1900 après un rapport
du cardinal Vives y Tuto. Religieux capucin, ce prélat joue à Rome
un rôle très actif depuis les années 1880 pour le compte de sa
province, puis comme consulteur du Saint-Office, de la Propagande, du
Concile ou des Affaires ecclésiastiques extraordinaires. Son
élévation au cardinalat en 1899 en fait un autre homme clé de l'entourage
pontifical à cette date23.
A travers des itinéraires personnels différents, ces cardinaux ont
en commun d'offrir des garanties en matière de compétence et
d'adhésion à l'école théologique dominante. En ce sens le décès de
Franzelin marque le début du monopole des thomistes. La règle que
nous venons d'exposer comporte, plutôt qu'une exception, un
aménagement lorsque la congrégation plénière des cardinaux délibère
sur l'ensemble des synodes tenus en Chine en 1880 par chacune des
cinq régions ecclésiastiques24. La désignation comme rapporteur du

22 A.S.C. P. F. Acta 1901 f. 458-644. La résolution se trouve dans les actes de la


commission pour la révision des synodes (1905).
23 A.S.C.P.F. Acta 1900 f. 149 à 197. Nécrologie in Annuaire pontifical 1914,
p. 816.
24 Le décret d'érection (23 juin 1879) avait établi que, durant l'année cou-
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 141

cardinal Alimonda n'est surprenante qu'en apparence. Le prélat se


borne à exposer le travail du consulteur, un très long et minutieux
avis (voto)25 rédigé par Domenico Jacobini. Son expérience passée
de minutante, chargé notamment de la Chine, désignait D. Jacobini
pour synthétiser les observations et les modifications souhaitées. La
rédaction du voto est datée du 1er septembre 1881. Domenico
Jacobini est alors secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires. Sa
nomination comme secrétaire de la Propagande le 30 mars 1882 est
probablement en rapport direct avec l'importance qu'accorde Léon
XIII aux missions de Chine à cette époque. Elle permet au
consulteur qui a rédigé le rapport d'être aussi présent aux délibérations du
collège des cardinaux de la Propagande. Jacobini devient ainsi un
des principaux experts et collaborateurs du souverain pontife dont il
partage explicitement les orientations théologiques. Traitant de la
formation du clergé indigène, il a soin de recommander la
généralisation de l'enseignement de la philosophie thomiste en Chine26.
D'autres affaires bénéficient d'un traitement les réservant à des
cardinaux mieux préparés à leur examen. Les plus nombreuses
concernent la vie des instituts religieux missionnaires.
L'approbation ou la modification des structures, statuts ou règlements sont
confiées à un cardinal ponente réunissant la compétence
théologique, juridique et l'expérience de la vie religieuse. Le cardinal Pitra,
bénédictin érudit, est désigné pour la division des biens de la société
de Marie Réparatrice à la suite de la «scission» des franciscaines
missionnaires de Marie27. Le jésuite Franzelin, ancien professeur de
dogme à la Grégorienne, reçoit le soin de présenter en 1882 le projet
d'approbation définitive des constitutions des sœurs du Bon et
Perpétuel Secours à l'île Maurice28. Il a en charge en 1883, puis en 1884
le dossier de l'institut de l'Annonciation fondé à Oran (Algérie) par le
père Abram29. En 1885 le cardinal jésuite reçoit le dossier des
religieuses franciscaines missionnaires de Marie30 après la retraite for-

rante à partir de la signature de celui-ci, le doyen des vicaires apostoliques de


chaque région convoquerait et présiderait le synode. Chacun était libre de
proposer les questions qu'il voulait. Les assemblées se tinrent à Hong Kong, Suifu (ou
Suchow auj. Yibin, alors v. ap. du Se tchouen mérid.), Hankow, Taiyan et Pékin.
Les actes des différentes sessions furent discutés globalement de février à
septembre 1882 par les cardinaux de la Propagande. Cf. Acta 1882, f. 358-638.
Présentation in Metzler, Die synoden in China... p. 99 à 117; succinctement par Mar-
giotti in Memoria rerum III/l p. 524-525.
25 A.S.C.P.F. Acta 1882, f. 375 à 536 r., soit 324 pages.
26 Ibid. Recommandation n° 39 de la conclusion du voto, f. 523.
27 A.S.C.P.F. Acta 1883/1 f. 1 à 51 et 465-554 ν (con segreto ponteficio).
28 A.S.C.P.F. Acta 1882 f. 112 à 185 r.
29 A.S.C.P.F. Acta, 1883/2, f. 987 (dilata); 1884, approbation ad decennium
après modifications, f. 35 à 38.
30 A.S.C.P.F. Acta 1885 f. 277 à 306.
142 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

cée de Pitra victime de ses prises de position31. Il s'occupe aussi cette


année-là de l'approbation ad quiquennium des constitutions des
missionnaires d'Afrique (pères blancs)32. Il est encore désigné
comme rapporteur dans la délicate question des réformes à apporter
aux missions des capucins en Inde (Agra, Patna, Pendjab)33. La
résolution exigera trois autres années et deux nouvelles réunions plé-
nières34 dans lesquelles Zigliara remplace son confrère jésuite
décédé en 1886. C'est au tour du jésuite Mazzella d'être rapporteur, en
1890, dans les séances consacrées à l'approbation des constitutions
des missions africaines de Lyon, et du Règlement des M.E.P.35; en
1896 et 1897 des règles de la société de St Joseph de Mill-Hill36.
Le cardinal Schiaffino37, bénédictin très apprécié de Léon XIII
dans les questions de dogme et de discipline ecclésiastique, préfet de
l'Index, est ponente en 1889 quand le congresso examine longuement
les constitutions des Missions africaines de Lyon38. Quant au
cardinal Persico, capucin, qui a joué un rôle essentiel dans la réforme des
missions de son institut, il est rapporteur dans la réunion qui
approuve définitivement les nouveaux statuts missionnaires de la
congrégation39; c'est également lui qui dresse en 1895 l'état du
Séminaire de Mill-Hill40.
L'attribution des affaires concernant les instituts religieux tend
donc à être réservée à des cardinaux religieux qui sont aussi des
experts au plan de la théologie ou du droit canon. Conformément aux
traditions du dicastère, il s'agit là d'une règle non écrite et non
absolue. Mais la seule exception repérée est relative. Le cardinal Mertel
en 188041 et l'omniprésent cardinal V. Vannutelli en 189542 sont
nommés ponente quand resurgit l'interminable contestation par la
compagnie de Jésus du décret de 1851 relatif aux pouvoirs des supé-

31 L'article de Pitra critiquant la politique pontificale est publié dans le


Journal de Rome à la date du 19 mai 1885.
32 A.S.C.P.F. Acta 1885 f. 602 à 604 v.
33 A.S.C.P.F. Acta 1884 f. 199 à 261.
»A.S.C.P.F. Acta 1887 f. 255 à 297.
35 A.S.C.P.F. Acta 1890 f. 10-11 (S. M. Afrique de Lyon) et f. 130 à 133
(M.E.P.).
36A.S.C.P.F. Acta 1896 f. 556-557 et 1897 f. 79 à 100.
37 Biographie in Dizionarìo storico del movimento cattolico in Italia. Sur son
rôle de conciliateur dans la Curie, ses tendances rosminiennes et ses sympathies
catholiques libérales, voir aussi Weber p. 107-109.
38 A.S.C.P.F. Acta 1889 f. 508 à 648.
39 A.S.C.P.F. Acta 1893 f. 264 à 320.
40A.S.C.P.F. Actaf. 16-18 r.
41 A.S.C.P.F. Acta 1880 f. 161 à 204.
42 A.S.C.P.F. Acta f. 18 a-25 v. Election du supérieur régulier dans les
missions confiées à la Compagnie où est établie la hiérarchie ecclésiastique.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 143

rieurs religieux et des préfets ou vicaires apostoliques dans les


missions. L'appel à un séculier, dont l'autorité personnelle est
indiscutable, apparaît ici comme une manière adroite d'éviter d'aiguiser
des rivalités ou de provoquer des dissensions entre religieux. Mertel,
seul laïc devenu cardinal (puis fait diacre quand il reçoit la barrette
en 1858) a joui auprès de Pie IX d'une position à part en tant que
conseiller juridique et bras droit du secrétaire d'Etat Antonelli. Il
bénéficie encore d'égards au début du pontificat de Léon XIII avant de
se retirer progressivement de la vie publique. . . et de collectionner les
minéraux.
On recourt à des procédés semblables pour les affaires qui
présentent des difficultés particulières et risquent de froisser les
susceptibilités. Ainsi le préfet Simeoni se réserve en 1882 le dossier brûlant
de la succession de Comboni et de l'avenir du vicariat d'Afrique
Centrale43. Mertel, spécialiste des relations diplomatiques du Saint-
Siège se voit confier en 1886 le rapport sur l'une des grandes
ambitions du pontificat : l'établissement des relations diplomatiques
entre la Chine et le Saint-Siège44.
En résumé le fonctionnement de l'assemblée des cardinaux
obéit à une double exigence. Habituellement la distribution des
dossiers s'effectue selon les disponibilités des prélats, et sans doute leur
influence, sans spécialisation géographique, encore moins de
connaissance directe des pays de mission. La mention dans notre
tableau, pour 1883, de Massaja, le missionnaire le plus célèbre et
respecté d'Italie, est le résultat d'une conjoncture exceptionnelle de
brève durée. Son activité au sein de la Curie constitue une
parenthèse dans sa carrière. Persico et Agliardi sont les seuls cardinaux de
Curie qui peuvent se prévaloir d'une expérience personnelle de la
mission. Le premier a exercé la fonction de vicaire apostolique en
Inde et le second de délégué apostolique dans le même pays. Si
plusieurs cardinaux ont acquis une connaissance des missions, c'est par
le biais des fonctions qu'ils ont exercées antérieurement au sein de
la Propagande, pas d'une présence sur le terrain. Le critère d'une
expérience directe compte si peu que le cardinal Mathieu, à peine
appelé dans la Curie et nommé à la Propagande, se voit chargé de
nombreux rapports en 1901 et 1902.
La polyvalence des dirigeants de l'Eglise cesse cependant dès
que les questions abordées comportent une dimension canonique ou
théologique. La part prise par les cardinaux religieux devient alors
essentielle car ils bénéficient d'une compétence scientifique supé-

43 A.S.C.P.F. Acta 1882 f. 248-261. Simeoni s'est également attribué en 1881 le


dossier du choix d'un visiteur apostolique pour la Moldavie (f. 267-273 r et 413-
416 r).
"A.S.C.P.F. Acta 1886 f. 314-384.
144 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

rieure à la plupart de leurs confrères séculiers. Erudits comme Cias-


ca ou Pitra, théologiens comme Franzelin, Zigliara ou Mazzella, les
religieux exercent ainsi une influence décisive bien que leur
représentation soit quantitativement faible dans le dicastère. Trois
congrégations sont particulièrement bien placées au sein du
dicastère, comme dans l'ensemble de la Curie : les bénédictins, les
capucins et les jésuites. Ils prolongent dans l'exercice de fonctions
d'autorité l'importance qu'ils ont acquise dans la formation des élites du
clergé à Rome. La part des dominicains est plus restreinte au sein de
la Propagande; la faveur dont jouit Zigliara s'attache plus à son
thomisme exemplaire qu'à l'ensemble de l'ordre. Après son décès
prématuré en 1893, le cardinal n'est pas remplacé par un confrère et la
prépondérance jésuite est rétablie. L'influence des prêcheurs passe
par d'autres canaux, notamment comme consulteurs du
Saint-Office45.
Le poids des cardinaux religieux et théologiens à l'intérieur de la
Propagande se fait encore sentir dans la Commission pour l'examen
des constitutions des instituts religieux. A sa création en 1884, elle
reçoit comme secrétaire un mineur conventuel qui a effectué
plusieurs missions extérieures, Mgr Antonio-Maria Grasselli. La
commission voit son autorité renforcée en 1887 par la nomination
du cardinal Mazzella, Grasselli devenant vice-président. Cependant
le secrétaire Antonio Savelli-Spinola est un séculier. Elle utilise les
services de six à dix consulteurs, tous membres de congrégations, en
particulier les quatres grandes familles que nous venons d'évoquer :
jésuites, mineurs, bénédictins, dominicains46.
La situation de la «Commission pour l'examen des rapports
présentés par les évêques et les vicaires apostoliques sur l'état de leurs
Eglises» est plus ambiguë. Créée par le cardinal Franchi, c'est le
cardinal Simeoni qui lui a donné un règlement et a systématisé son
fonctionnement. Bien qu'elle joue dans les missions le rôle
normalement rempli par la congrégation du Concile, elle n'est pas placée
sous la responsabilité d'un cardinal et relève directement des
fonctionnaires majeurs. Le président en 1899 est Grasselli, le secrétaire
Benedetto Melata (séculier), et elle compte une dizaine de
consulteurs, selon le rapport approximatif un tiers de religieux, deux tiers
de séculiers47.

45 Cf. leur rôle de consulteur de la Propagande, en particulier dans les


Commissions spécialisées.
46 Sur la Commission en 1899 : Rome. Le chef., op. cit., p. 404; Annuaire
pont, cathol, 1899, p. 415.
47 Ibid.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 145

3 - Choix des hommes et grande politique pontificale : la marque de


Léon XIII.

Des cardinaux liés au pape.

Le tableau récapitulatif des cardinaux ponenti peut servir


d'indicateur sur l'évolution des rapports de force au sein de la Curie. Il
met en évidence un renouvellement progressif des dirigeants.
L'accession de Rampolla à la Secrétairie d'Etat en 1887, puis la
nomination de Ledochowski comme préfet n'ont pas d'effet apparent sur le
fonctionnement interne de la Propagande. Evitant toute rupture
brutale, Léon XIII profite plutôt de la relève des générations pour
procéder en douceur à la prise en main de la Curie. Jusqu'en 1886
environ, les cardinaux mis en place par Pie IX dominent place
d'Espagne. Ils sont remplacés au fur et à mesure des décès (Alimonda,
Bilio, Camille Di Pietro, Hassun, Howard, Meglia, Nina...) ou
s'effacent tardivement pour raison d'âge (Mertel en 1892 : il a 86 ans).
La mise à l'écart du cardinal Pitra reste tout à fait exceptionnelle.
Utilisant pleinement la durée, Léon XIII s'applique cependant à
introduire les hommes qui secondent le mieux sa politique.
La faveur dont ils jouissent doit évidemment beaucoup à la
personnalité d'un pape qui a appris à mener de front action
diplomatique et activité pastorale, à conjuguer la transformation des esprits
et des mœurs. Vincenzo Gioacchino Pecci, issu de la petite noblesse
de la campagne romaine, ancien élève des jésuites à Viterbe, aurait
pu se contenter de suivre une route qui semblait toute tracée pour
faire carrière dans l'administration pontificale. Mais peu à peu
s'affirme la forte personnalité de ce petit homme sec, dont le regard
perçant dit une volonté inflexible sous les sourires affectueux ou
ironiques qui savent séduire ses interlocuteurs. Il dépasse les horizons
limités des Etats pontificaux et de la réussite individuelle pour se
confectionner une haute idée de la mission de l'Eglise dans le
monde. Les hommes dont il s'entoure sont à l'image de ses
préoccupations. De ses études au Séminaire romain, le pontife a conservé
la conviction que l'enseignement du thomisme était la seule réponse
aux défis intellectuels du monde moderne pour penser les rapports
de la foi et de la raison, de l'Etat et de l'Eglise, pour répondre à la
laïcisation des sociétés par la sécularisation. Avec son frère Giuseppe,
il impose à toute l'Eglise la réforme des études qu'il a expérimentée
dans son évêché de Pérouse. La poussée du thomisme dans les
cercles dirigeants n'est certes pas tout à fait nouvelle. Agliardi s'est
fait remarquer par Pie IX à l'occasion d' une polémique qui
l'opposait à Passaglia. Le pape aurait été particulièrement sensible à un
article par lequel il réfutait dans La scuola cattolica les thèses de G. Au-
146 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

disio concernant les rapports de la société politique et religieuse.


Elle lui vaut d'être appelé à Rome en 1877, nommé professeur de
théologie morale au collège Urbain, et minutante de la
Propagande48. Mais avec Léon XIII, les partisans du néo-thomisme
acquièrent une suprématie incontestable, à la Propagande comme
dans toute la Curie. La mort de Franzelin (1885), théologien
officieux du collège des cardinaux, est l'occasion de mettre
définitivement en avant Zigliara, puis Mazzella, enfin Satolli. Tous trois ont
acquis des titres incontestables de thomistes orthodoxes et se sont
engagés pleinement dans la bataille théologique.
L'intransigeance doctrinale est tempérée chez Léon XIII par le
sens des réalités politiques et l'acceptation des changements
irréversibles. Sa formation de juriste à la Sapienza a peut-être favorisée
cette combinaison de rigueur et d'adaptation aux circonstances qui
caractérise beaucoup de ses entreprises. Son passage à l'Académie
des nobles ecclésiastiques, et son expérience malheureuse de la
diplomatie à la nonciature de Bruxelles, ont sûrement contribué à lui
apprendre que le sens de l'Etat supposait parfois celui du
compromis. On retrouve à la Propagande la forte présence de cardinaux
diplomates, tels Czacki, Galimberti, Agliardi, les frères Vannutelli,
fidèles à la revendication de l'Etat pontifical et acquis à la nécessité de
concessions raisonnables. Le Pape pratique d'ailleurs un équilibre
subtil entre les différentes tendances, confiant des responsabilités
aussi bien à Parocchi, partisan de la fermeté, qu'aux frères
Vannutelli. Il est vrai que dans certains cas les nominations à la
Propagande constituent une sortie honorable, pour Franzelin remplacé à
la Grégorienne par Mazzella, ou Galimberti, partisan malheureux
du rapprochement avec l'Allemagne.
Finalement l'évolution la plus évidente consiste dans la position
hégémonique acquise à la fin du pontificat par les cardinaux
incarnant le plus parfaitement le modèle catholique intransigeant dans sa
version léonienne. La fermeté doctrinale est désormais complétée
par la volonté d'intégrer tous les aspects de l'existence, de
christianiser la société, d'évangéliser la modernité en lui (re)donnant un
fondement et un horizon conformes au catholicisme. Le pape politique
et enseignant se veut surtout pasteur universel.
Quelques itinéraires individuels apportent la confirmation de la
volonté de Léon XIII de réaliser l'unité des projets autour de sa
personne. Agliardi est revenu de ses missions dans les Empires
centraux entièrement gagné aux thèses du «mouvement catholique».
D.M. Jacobini est connu à Rome pour l'intérêt qu'il montre aux asso-

48 Cf. Rome. Le chef suprême..., p. 153-154 et Diz. Bibl. ital.


LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 147

ciations de jeunes et aux sociétés ouvrières, disposition peu


commune parmi les cardinaux de Curie. Le cardinal bénédictin
Satolli, originaire de Pérouse et formé au séminaire diocésain, a servi
fidèlement Léon XIII dès les débuts du pontificat. Professeur de
théologie dogmatique au collège Urbain (1880), puis au séminaire
romain (1881), président de l'Académie des nobles ecclésiastiques
(1886), délégué apostolique aux Etats-Unis (1892), président de la
commission qui prépare la condamnation de l'américanisme, préfet
des Etudes depuis 1896, il est un des hommes forts de la fin du
pontificat49.
Mais le pape reste attentif au maintien de la cohésion du corps
des cardinaux, excluant seulement ceux qui prennent une position
ouvertement hostile à ses initiatives (Pitra). Il a soin de se situer
dans la continuité de son prédécesseur et utilise aussi des hommes
qui sont issus des réseaux romains traditionnels. Si les perugini ont
conquis le pouvoir de définir les orientations théologiques, de
fournir le cadre dans lequel s'inscrit l'action, toutes les compétences
disponibles sont mises au service de la Propagande. Agliardi, distingué
par Pie IX avant de servir la politique léonienne, illustre sur le fond,
sinon dans les options conjoncturelles, la continuité de l'action des
pontifes. De même Serafini et les frères Vannutelli sont les plus
longuement et régulièrement cités parmi les rapporteurs. Le premier,
nommé cardinal en 1877, détient de 1885 à 1893 la charge de préfet
de la S.C. du Concile. Les seconds se sont précocement ralliés aux
orientations fixées par Léon XIII et leurs liens avec les puissances
germaniques ou les élites de la monarchie italienne sont
particulièrement utiles à la diplomatie pontificale. Un même idéal de société
chrétienne moderne et universelle les réunit. L'adhésion sur le fond
à l'ecclésiologie léonienne l'emporte manifestement sur les
divergences stratégiques ou de sensibilité politique.

Les fonctionnaires majeurs : instruments ou acteurs autonomes?


S'ils ne sont pas membres du Sacré Collège, mais seulement
archevêques titulaires, les secrétaires généraux de la Propagande
occupent une position centrale dans l'organigramme. Présents à toutes
les réunions, chargés de l'intérim pendant les absences du préfet,
interlocuteurs plus faciles à rencontrer que ce dernier, ils connaissent
tous les dossiers. Deux prélats se distinguent durant le pontificat par
la durée de leur mandat : Domenico-Maria Jacobini (1882-1891) et
Frère Agostino Ciasca (1893-1899). Nous avons déjà évoqué leur
activité mais à une phase ultérieure de leur carrière, en qualité de cardi-

49 R. Aubert. «Aspetti della cultura».... Biographie in Rome. Le chef suprême,


p. 149.
148 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

naux attachés à la Propagande. Leur itinéraire individuel mérite


qu'on s'y attarde pour comprendre concrètement les mécanismes de
nomination au secrétariat.
D.-M. Jacobini est un séculier dont la carrière sans éclat jusqu'à
cette nomination donne à Simmaco l'occasion d'exercer sa verve de
polémiste :
«A Masotti succède à la Propagande un des membres les plus
insipides du corps des prélats, ce Mgr Jacobini que Léon avait exclu
des affaires ecclésiastiques extraordinaires pour insuffisance, et
placé, presque par ironie, à la Bibliothèque Vaticane, où il a vécu
jusqu'ici dans l'obscurité, participant aux réunions de l'académie
catholique où il lisait des discours écrits par d'autres50».
Ce jugement impitoyable fait l'impasse sur des antécédents qui
témoignent d'une culture plus solide que ne le dit Simmaco. Jacobi-
ni a suivi tout le cursus du Séminaire romain et a conquis tous les
grades universitaires ecclésiastiques. Son goût pour la culture
classique le fait nommer professeur de grec au Séminaire romain, puis
ainsi que nous l'avons vu, aux archives de la Propagande. Sa carrière
se poursuit alors discrètement dans les bureaux de la congrégation
comme minutante, puis à la secrétairerie des brefs (1874), enfin au
secrétariat des Affaires ecclésiastiques. En ironisant sur la brièveté
de ce mandat (septembre 1879 à novembre 1880) et sur les discours
qu'il n'a pas écrits, Simmaco omet d'ajouter que Ludovico-Maria
Jacobini, loin d'être écarté par Léon XIII, joue un rôle majeur dans la
réforme des études théologiques. Préfet des études à l'Apollinaire,
préfet du séminaire du Vatican, il se conduit en serviteur fidèle et
efficace. Le poste de secrétaire de la Propagande représente donc une
nouvelle preuve de confiance du pape, et une nouvelle étape dans
une carrière qui le conduira à Lisbonne, au cardinalat (1896) et au
vicariat de Rome (1899).
Une deuxième facette de sa personnalité explique sans doute
l'attachement de Léon XIII qui l'a récompensé vers 1880 par le
bénéfice très envié et lucratif de chanoine de Saint Pierre (60000 lires par
mois, selon Simmaco; il jouit en outre du privilège d'habiter le palais
de la Propagande). Jacobini n'en mène pas moins une vie discrète et
participe à la vie des sociétés de jeunes ouvriers catholiques créés à
Rome après 1870. Ses biographes donnent de lui l'image assez
nouvelle du prélat romain préférant «se retrouver le soir au milieu des
jeunes gens du cercle ouvrier» plutôt que dans les salons romains.
Artisan de la promotion de Saint Thomas dans les études de théolo-

50 In La Rassegna, «Le ultime nomine». N° 76, 14 avril 1882. Cité par C.


Weber op. cit., p. 285. Traduction.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 149

gie, en contact avec les catholiques sociaux, Domenico-Maria


Jacobini incarne les valeurs d'un pontificat qui puise son énergie aux
origines chrétiennes de Rome. N'est-il pas lui-même amateur
d'archéologie sacré, propagandiste du culte des martyrs, au point qu'il
célèbre la messe dans les catacombes à l'occasion de la saint Damase
avant de rejoindre son poste de nonce à Lisbonne51?
Sans souscrire aveuglément aux portraits flatteurs qui le
décrivent encore comme un homme «affable, toujours prêt à se
dévouer, intelligent, causeur agréable et d'une grande franchise», les
qualités du secrétaire de la Propagande sont reconnues par ses
interlocuteurs. Moins brillant que d'autres ecclésiastiques romains, il
manifeste un ensemble de qualités en plein accord avec les modèles
cléricaux du pontificat. Ancien minutante pour l'Inde et la Chine,
consulteur pour l'examen des synodes de ce pays, il seconde
efficacement les efforts déployés en direction de l'Empire du Milieu,
spécialement dans les années 1882-1887.
Le frère Agostino Ciasca semble de prime abord appartenir à un
autre microcosme clérical. Issu d'une famille modeste, religieux au-
gustinien, érudit d'une qualité exceptionnelle, il consacre la
première partie de sa vie à l'étude des langues orientales. Ses fonctions
de professeur de langue, d'interprète pontifical, de traducteur,
consulté tant par le Saint-Siège que le gouvernement italien, ne le
prédisposent pas spécialement à une carrière au sein de la Curie.
Mais ses études au collège Saint Augustin de Rome et son entrée
dans un institut religieux traditionnellement influent lui assurent
l'accès précoce aux milieux romains. Sa connaissance des langues
orientales fait du religieux un auxiliaire précieux, pour la
Bibliothèque et les Archives Vaticanes, et surtout pour la Propagande dont
il est tour à tour professeur d'hébreu au collège Urbain, consulteur,
chargé de mission en Egypte et Proche-Orient. Mais avant d'être
nommé secrétaire, Agostino Ciasca a aussi donné la preuve de ses
qualités d'administrateur au sein de son institut (il en est depuis
1889 assistant et procureur général) et il a mené à bien la réunion du
synode provincial de rite ruthène en 1891. Homme d'étude, il
apporte une compétence à laquelle Léon XIII attache un prix d'autant
plus grand qu'il rêve de réunir les Eglises d'Orient dans l'Eglise
catholique. Pro-secrétaire de la Propagande depuis le 19 septembre
1892, Ciasca est promu secrétaire le 19 juin 1893, veille de la
promulgation de l'encyclique Prœclara gratulationis qui appelle
solennellement à l'union les chrétiens orthodoxes. Si Léon XIII n'a pas créé
une congrégation spéciale pour l'Orient ainsi que le laissent penser

51 D'après Rome. Le chef suprême..., op. cit. p. 151-152.


150 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

certaines rumeurs à cette date, la désignation de Ciasca illustre


parfaitement les priorités de la fin du pontificat. En choisissant cet
ecclésiastique érudit et discret, le Pape montrait en outre qu'il avait su
apprécier un homme qualité de «très énergique, très juste et sans
préventions52».
En laissant dans l'ombre jusque là les préfets de la Propagande,
nous avons voulu pondérer la place à notre sens excessive qui est
attribuée par la littérature ecclésiastique au «papa rosso». Simmaco
(encore) se fait l'écho de l'opinion romaine quand il décrit la
considération qui s'attache au préfet «della Congregazione ch'è detta un
secondo papato»53 et insiste ailleurs sur la bonne affaire matérielle
que constitue une fonction donnant droit à un magnifique palais et
à des revenus substantiels54.
Notre opinion est que l'action des Préfets est indissociable de
celle de tout le collège des cardinaux et du Souverain Pontife. S'ils
occupent le sommet de la hiérarchie, ils agissent dans un
environnement fortement balisé. Soumis aux choix du pape qui les nomme,
constamment entourés par leurs confrères dans les prises de
décision, dépossédés du pouvoir théologique exercé par le Saint-Office
et les consulteurs, «allégés» de l'Economat, subordonnés aux grands
impératifs diplomatiques par les interventions permanentes du
Secrétaire d'Etat, les Préfets sont d'abord au service du pontificat. Les
trois choix opérés par Léon XIII éclairent le mécanisme et les
motivations pour des désignations qui doivent à la fois respecter les
équilibres internes et mettre en œuvre efficacement les grandes
orientations.
La première nomination est inhabituelle puis qu'elle fait passer
le Secrétaire d'Etat Giovanni Simeoni à un poste qui, pour être
prestigieux, le place néanmoins en retrait et paraît une manière adroite
d'écarter le collaborateur de Pie IX. Au-delà de l'habileté de Léon
XIII, cette redistribution des fonctions peut aussi être relue à partir
des intérêts de la Propagande. De ce point de vue Giovanni Simeoni
apparaît parfaitement préparé à son nouveau poste et à la
multiplicité des tâches qui l'attendent. Né le 12 juillet 1816, il a enseigné la
philosophie et la théologie au collège Urbain. Il poursuit une
carrière diplomatique dans les nonciatures de Madrid et Vienne, fait
partie de la mission apostolique envoyée en Transsylvanie en 1858.
Revenu à Rome il devient le premier secrétaire de la Propagande
pour le rite oriental quand cette section est créée en 1862. Puis il est
promu au secrétariat général de la congrégation (13 mars 1868 à 15

52 «Monsignor Ciasca ist ein energischer, gerechter Mann ohne


Voreingenommenheiten». Reichenau, Rome 8 août 1892, in Ch. Weber, op. cit. p. 490.
53 Ibid.
54 La Rassegna, n° 41, 18 juin 1882, «L'alto clero». C. Weber p. 320.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 151

mars 1875). Ephémère nonce apostolique à Madrid, il est promu au


cardinalat cette même année et appelé à remplacer le secrétaire
d'Etat Antonelli le 18 décembre 1876.
Par sa carrière, Giovanni Simeoni est donc pleinement en
mesure de comprendre les choix théologiques de Léon XIII et surtout
d'appliquer les orientations diplomatico-ecclésiastiques : ouverture
à l'Orient, amélioration des relations avec les Etats, volonté de régler
la question pendante du padroado portugais. Sa désignation à la tête
de la Propagande le 5 mars 1878 manifeste l'intérêt du pape pour la
grande diplomatie et le rôle que la Propagande est appelée à y jouer.
Il est plus que le cardinal «vertueux mais parmi les moins capables»
décrit par Simmaco55.
Le comte Mieczyslaw Halka Ledochowski, promu cardinal en
1875, préfet de la Propagande le 26 janvier 1892, a lui aussi suivi la
voie diplomatique pendant de longues années56 Né à Gorki en 1822
dans la Pologne russe, il appartient à une famille de nobles qui
possède de grandes propriétés en Russie et Galicie. Il fréquente les
séminaires de Varsovie et de Vienne. Un séjour à Rome lui a permis
d'achever ses études à l'Académie des nobles ecclésiastiques. Il
entreprend une carrière diplomatique comme ablégat à Madrid,
auditeur à Lisbonne, délégué apostolique à Bogota, nonce à Bruxelles.
Mais son élection à l'évêché résidentiel de Gnesen et Posen en 1866
infléchit complètement son itinéraire. Entré en conflit avec
Bismarck, incarcéré pendant un an, banni et réfugié en Pologne, il
symbolise la résistance aux lois de Mai et l'intransigeantisme catholique.
Pourtant en acceptant de quitter Cracovie pour s'établir au Vatican,
il montre aussi son sens des intérêts supérieurs de l'Eglise. Il devient
à Rome un très actif cardinal de Curie, membre de plusieurs
congrégations, et travaille aux côtés de Rampolla à partir de 1883.
Placé à la tête de la Propagande, Ledochowski reçoit juridiction
sur d'immenses domaines. Le choix peut paraître d'autant plus
paradoxal que la Propagande figure parmi les rares dicastères qui ne lui
ont jamais été attribués. Mais il est depuis longtemps un prélat
écouté, personna grata, selon l'expression de l'ambassadeur de
France auprès du Saint-Siège. La rapidité de son adaptation prouve
que son expérience d'homme d'Eglise polyvalent l'a préparé à
embrasser la diversité des affaires traitées à la Propagande.
Simmaco propose en 1882 une vision extrêmement défavorable
de Ledochowski qu'il baptise «l'altro polacco», en référence au
nonce Czacki. Tous deux ont la particularité d'être les seuls diplo-

55 Ibid. n° 76, 1882, op. cit., Ch. Weber p. 285.


56 Outre Memoria rerum...T. III/l p. 51-52, voir Rome. Le chef op. cit. p. 140-
141.
152 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

mates non italiens mais Ledochowski se distinguerait par une


germanophobie militante. Implicitement accusé de carriérisme, il
devrait sa promotion à sa naissance et à la protection aveugle de
Pie IX. Délégué apostolique à Bogota, il en aurait été retiré à la suite
de la disparition de la caisse de la délégation57... Ami de Czacki, il
aurait ensuite bénéficié de l'appui de «la casa Odescalchi, patrona
dei signori di Polonia.» Héros de l'intransigeantisme anti-bismar-
ckien, réfugié au Vatican dans les appartements pontificaux, autre
privilège insensé, il cultiverait complaisamment son image de
martyr de l'intransigeantisme et s'opposerait à tout rapprochement avec
l'Allemagne58.
Cette approche politique nous paraît abusivement réductrice,
démentie par les événements, la divergence des jugements
contemporains et par l'ensemble de la carrière du cardinal polonais.
Contrairement aux pronostics de Simmaco, Ledochowski accepte de
démissionner de son siège de Posen pour faciliter la reprise et la
normalisation des relations avec Berlin. Devenu préfet de la
Propagande, il ne conduit pas la politique à sens unique que laisse prévoir
notre informateur. Il se montre capable de diplomatie et de
modération dans la conduite de questions délicates comme le protectorat de
la France sur les missions. Ses sympathies pour la France ne vont
pas au-delà des dispositions que peuvent attendre les catholiques du
pays le plus actif et le plus fécond en matière de missions
extérieures. Elles sont peu évidentes à d'autres observateurs.
L'ambassade de France le présente dans ses premiers rapports comme un
cardinal influent «qui mérite une attention particulière», d'autant
qu'elle voit en lui, à l'opposé de Simmaco, un auxiliaire de la
politique allemande, aux côtés des cardinaux Hohenlohe et Melchers...
«Né en octobre 1822, créé cardinal en 1875, il fait partie des
principales congrégations : Saint-Office, Concile, Index, Affaires
Ecclésiastiques extraordinaires, Etudes... Préfet de la Propagande
depuis la mort du Cardinal Simeoni, il est un des personnages les plus
en vue de la Cour pontificale. Membre du Sacré Collège au moment
de l'élection de Léon XIII, il n'a jamais négligé de conserver
l'influence qu'il a su prendre sur le Souverain Pontife, mais il n'en
prend aucune pour défendre les intérêts qui lui sont chers. Votre Ex-

57 «Nato a Gorki, diocesi di Sandomir, Ledochowski può dirsi un polacco


romanizzato. Qui venne giovanetto; qui abbracciò la carriera ecclesiastica,
entrando nel collegio germanico, e poi nell'Academia dei nobili, dalla quale uscì per
andare alla segreteria di Stato e farvi un pò di pratica diplomatica. Dopo breve
tempo andò delegato apostolico a Bogota nella Nuova Granata, e vi restò del tempo,
e forse ci sarebbe rimasto, se un bel giorno, per cause ancora ignote, non fosse
sparita la cassa della delegazione e fieri sospetti non avessero colpito anche lui...
{La Rassegna, N° 133, 10 juin 1882, in Ch. Weber, p. 315).
58 Ibid, in Ch. Weber p. 317.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 153

cellence sait trop bien dans quels sens le cardinal Ledochowski use
de son pouvoir pour que j'aie besoin de le mettre en relief59».
L'application d'une grille de lecture nationale se révèle avec les
années tout à fait dérisoire. A la fin du pontificat, ce préfet
longtemps accusé par les allemands de parler l'allemand «mal et à
regret», au contraire du français et de l'italien60, est sévèrement
critiqué par l'ambassade française61». Quant au cardinal Ledochowski, il
est connu : au point de vue russe et français, c'est un ennemi
déclaré»... «c'est moins lui qui gouverne que sa créature, M. Montel, avec
lequel il passe toutes ses soirées. A eux deux ils tiennent les clés de la
Propagande. Depuis que trompant la confiance du Pape et du
cardinal Rampolla, Mgr Ledochowski a pris la direction du ministère
public le plus important du Saint Siège, il a constamment lutté contre
les œuvres qui sont pour nous une source d'influence... M. de Bé-
haine a dû rompre avec lui et M. Poubelle ne fréquente pas encore
chez lui. C'est là une situation d'une infériorité extraordinaire62».
A vrai dire Ledochowski n'est pas fermé au monde germanique.
Il conserve à travers sa famille, en Autriche ou en Prusse, des liens
qui permettent difficilement de voir en lui un ennemi acharné des
empires centraux. Il ne nourrit pas davantage d'hostilité envers la
France. Placé à la tête de la Propagande, il s'efforce de mener une
politique conforme aux intérêts des missions, pas de régler ses
comptes.
La désignation le 29 juillet 1902 du Frère Girolamo Maria
dell'Immacolata Concezione, carme déchaussé, devenu le cardinal
Gotti, est peut-être l'illustration la plus éclatante de l'importance de la
polyvalence chez un préfet de la Propagande. L'énumération de ses
fonctions successives est étonnante. Il a d'abord enseigné les
mathématiques et la physique à l'Ecole Navale de Gênes. Il passe dès lors
pour un homme d'Eglise qui sait compter et gérer. Appelé par Léon
XIII à administrer le Denier de Saint Pierre quand ce dernier
traverse une phase difficile, il se révèle excellent financier, et son
travail est particulièrement apprécié à un moment où l'administration
temporelle de la Propagande est en crise.

59 A.M.A.E. Rome, Saint-Siège, vol. 1115, f. 15-22. De Navenne au président


du Conseil et M.A.E. Casimir Périer.
60 Lettre de Reichenau. Rome, 8 août 1892. In extenso in Ch. Weber, op. cit.
p. 476-490. Citation p. 479. «Dieser Cardinal, eine durchaus vornehme und
fesselnde Erscheinung, welcher im Laufe des Herbstes sein 70. Lebensjahr
erreichen wird, besitz trotz seiner angegriffenen Gesundheit und seines hohen Alters
noch eine seltene Willens und Arbeitskraft, verbunden mit großer Weltklugheit
und rascher Auffassungsgabe.
61 M.A.E. N.S. St Siège, vol. 28. Annexe à la dépêche politique de Saint Pe-
tersbourg du 5 juillet 1898. f. 297 à 308.
62 M.A.E. Ibid. f. 300.
154 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Sa compétence philosophique et théologique est également


unanimement reconnue. Professeur de philosophie, théologien au
Concile du Vatican, consulteur de la Propagande orientale et de
plusieurs dicastères, il est un des conseillers les plus écoutés au
Vatican. Maître général des carmes, on lui reconnaît le mérite d'avoir
dirigé son ordre avec une remarquable efficacité. Religieux
exemplaire, fuyant les mondanités, travailleur acharné, prudent sans être
indécis, il réussit le tour de force de décourager les mauvaises
langues romaines. L'historien Kraus, «qui n'était pas tendre pour les
milieux romains», porte un jugement flatteur après une audience
obtenue en 1896. Sa nomination à la tête de la Propagande est
favorablement accueillie et vient couronner une ascension discrète mais
continue. Internonce au Brésil (19 avril 1892), cardinal (29
novembre 1895), préfet de la Congrégation des Indulgences (1er octobre
1896), préfet des Evêques et Réguliers (20 novembre 1899), préfet de
la Propagande (3 août 1902), il est alors présenté comme «l'un des
papabili les plus en vue et il semble même que le pape ait laissé
entendre qu'il le considérait comme son successeur probable»63.
Personnage central par lequel transitent toutes les décisions
importantes, omniprésent dans les principales instances de la Curie, le
préfet de la Propagande est évidemment choisi avec le plus grand
soin. La personnalité des prélats nommés les rend aptes à peser sur
le cours des décisions. Il est vrai aussi que chaque préfet imprime
son style aux relations individuelles. Le contraste est grand entre
l'affabilité paternelle de Simeoni et la gravité froide et un peu
distante de Ledochowski. Le père Van Aertselaer, supérieur des Scheu-
tistes, se trouve à Rome au moment où le cardinal Ledochowski
prend ses fonctions et oppose les manières des deux ecclésiastiques :
«(Le cardinal Ledochowski) est très poli et m'a très bien reçu; un
avantage pour un grand nombre de missionnaires, c'est qu'il
s'exprime en bon français. De plus, il est bien au courant des choses de
l'Afrique, ce qu'on exprime en disant que c'est un Africaniste. Il est
bon, mais je ne trouve pas chez lui les manières paternelles du
cardinal Simeoni, qui vous mettaient à l'aise et vous engageaient à parler à
cœur ouvert»64.

A la même date, Reichenau insiste sur l'autorité dont fait preuve


Ledochowski, y compris face à Léon XIII. «Il est capable de
défendre son point de vue là où il pense devoir le faire avec un manque
d'égard presque blessant de telle sorte que Léon XIII ressent une

63 R. Aubert : D.H.G.E. col. 919-921. Citations col. 921.


64 Cité par Ng'ehieb Mukoso. Aux origines de la mission du Kwango (1879-
1914)... Univ. Grégorienne, Rome, 1981, XXXII-708 p. p. 170-171. Lettre du père
Van Aerstaeler à ses confrères, Rome, 16 février 1892.
LES DÉCIDEURS : CARDINAUX ET FONCTIONNAIRES MAJEURS 155

certaine timidité devant le «pape rouge», même s'il l'estime


beaucoup à cause de ses qualités»65.
Mais sa liberté d'action se concentre essentiellement dans la
manière de gouverner, d'exercer l'autorité et d'appliquer les
orientations. Il est évidemment tentant d'imiter les diplomates et d'accorder
à quelques signes extérieurs, quelques réflexions en aparté, quelques
attitudes en public, une importance démesurée. Les différences de
personnalité ont tôt fait de s'effacer derrière les obligations de la
fonction. Les témoins de la vie romaine se livrent avec délectation à
un décodage incertain des comportements et des bons mots. Les
résultats ne sont pas souvent convaincants et les appréciations
fluctuent au gré des intérêts et des observateurs. Les prévisions sont
fréquemment contredites par les événements. Les charges contre Ledo-
chowski, celles de Simmaco, comme celles de l'ambassade française,
parfois dans des directions contraires, sont caractéristiques de la
difficulté éprouvée par les observateurs les plus avertis à analyser la
Curie d'un point de vue romain. Ils attribuent une importance
excessive aux préférences des hommes aux dépens du sens des intérêts
supérieurs de l'Eglise tels que les comprend le Vatican. Tout le
fonctionnement de la Curie vise justement à permettre cette élaboration
concertée des objectifs, à entretenir un puissant consensus, quitte à
faire taire les voix dissonantes.

65 In Ch. Weber op. cit. p. 479 : «Dem Papste gegenüber weiß er seine
Ansicht, wo er dies für nöthig hält mit fast verletzender Rücksichtslosigkeit zu
vertreten, so daß Leo XIII. vor dem «rothen Papste» eine gewisse Scheu empfindet,
wie sehr er ihn auch seiner Befähigung wegen schätzt...».
CHAPITRE 6

COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION


DE LA PROPAGANDE À LA CURIE

1 - La cohésion par le choix des hommes.


La Propagande tire d'abord sa cohésion de l'étonnante
homogénéité qui caractérise le personnel de la Curie. L'appartenance au
milieu clérical romain, l'enseignement dispensé dans les universités
locales (Grégorienne, Apollinaire, Minerve), les valeurs inculquées
dans les collèges et les séminaires sont la matrice de ce corps
ecclésiastique formé sur un même modèle. Mais une fois leurs études
achevées, les candidats à la Curie doivent affronter une sélection
sévère. La compétition est vive car il existe une forte disproportion
entre le nombre d'offres et celui des demandes. La cité pontificale
attire une foule d'ecclésiastiques diplômés, venus de toute l'Italie, à
l'affût d'une place dans un bureau romain1. En outre l'habitude
d'ordonner les clercs dans le diocèse de Rome, sans pour autant les
affecter à un ministère, contribue à maintenir sur place une masse
d'ecclésiastiques pas ou peu employés.
En 1877, vingt-et-un candidats s'affrontent pour un poste de
scrittore au secrétariat de la Propagande. L'énumération confirme la
présence d'une cohorte d'ecclésiastiques de tous âges, inégalement
diplômés et auréolés de distinctions, fréquemment chargés
d'entretenir leurs familles, armés de multiples recommandations, assurant
un ministère à temps très partiel dans les écoles, les catéchismes, les
paroisses, les associations pieuses ou charitables...
Cette situation du clergé dans la cité romaine2, aggravée par le
rétrécissement du «marché de l'emploi» depuis la disparition de l'Etat
pontifical, suscite sous Léon XIII des critiques de plus en plus vives.

1 Vincenzo Paglia. «Note sulla formazione culturale de clero romano tra


Otto e Novecento. In Ricerche par la stona religiosa di Roma, 4 (1980), p. 182. «E
singolare, ad esempio, che sino all'inizio del Novecento i neo sacerdoti del
Seminario Romano non ricevessero l'indicazione del luogo dove esercitare il loro
ministero dal cardinale Vicario; ognuno doveva cercarlo per proprio conto».
2 Vue d'ensemble dans : Fiorella Bartoccini, Roma nell'Ottocento. Storia di
Roma, voi. XVI, Bologna, Capelli editore, 1985, 872 p., contribution de P. Drou-
lers, G. Martina, P. Tufari, «La vita religiosa a Roma intorno al 1870. Ricerche di
storia e di sociologia».
158 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

La présence de nombreux prêtres étrangers au diocèse de Rome est


désormais mal tolérée. Elle donne de l'Eglise une vision négative,
nourrit l'anticléricalisme, s'oppose à l'exaltation par Léon XIII de la
«cité sainte», contredit la formation spirituelle des séminaires et les
discours du magistère sur l'état sacerdotal. Mais l'amélioration
prendra du temps. Sous le pontificat de Léon XIII, les listes de candidats à
un emploi ne sont plus aussi imposantes. Une vingtaine d'années
après notre premier sondage, les archives mentionnent sept
candidatures pour un poste de scrìttore (1899)3. Est-ce le signe d'une
meilleure utilisation du clergé, du développement d'activités sociales et
religieuses qui captent mieux les énergies? En 1890 une circulaire du
cardinal vicaire s'efforce de réglementer le séjour à Rome des prêtres
des autres diocèses, avant qu'on se décide sous Pie X à éloigner de
Rome tous les clercs qui n'y étaient pas incardinés4.
Les imperfections du système et les habitudes carriéristes dans
le clergé romain font comprendre l'importance de la sélection
sévère, sinon impartiale, opérée pour entrer dans la Curie. Elle aboutit
au recrutement de clercs qui présentent des garanties de savoir
minimum, attestés par leurs grades universitaires, de moralité et
d'esprit ecclésiastique confirmés par les recommandations de prélats
influents. Car au-delà des critères objectifs, l'intégration à la Curie
passe par une cooptation impliquant l'adhésion à des valeurs et la
conformité à des habitudes que les contemporains jugent
typiquement romaines. F. Grimaldi les résume dans l'adage «Si Romae es,
Romano vivito more·»5.
Toute une littérature ecclésiastique s'étend avec délectation sur
la grandeur et la supériorité de Rome6. La redécouverte des
catacombes alimente l'exaltation des premiers martyrs et du tombeau de
Pierre; les études d'histoire démontrent la succession apostolique et
la primauté romaine; les pèlerinages vers l'auguste vieillard
prisonnier du Vatican mobilisent les cœurs et les intelligences en faveur de
la papauté. Les employés de la Curie participent en première ligne à
ce mouvement et acquièrent aux yeux de l'opinion catholique une
importance sans précédent. Un monumental ouvrage dirigé par

3 A.S.C.P.F. N.S. rub 2, 1899, vol. 147, f. 173 à 198.


4 In «La vita religiosa...» op. cit. p. 183, note 29. Mgr Faberi, le prélat chargé
d'exécuter la mesure fut objet de nombreuses attaques. Il entreprit d'établir un
décompte des clercs extérieurs au diocèse et «en peu de temps en enregistre au
moins deux-cent-cinquante...» Texte de la circulaire du 9 juillet 1890 in Questions
actuelles, T. VIII, n° 9, p. 226-227.
5 F. Grimaldi, op. cit. p. 490.
6 F. Grimaldi ne craint pas d'imaginer une catastrophe entraînant la
disparition de Rome au profit d'un vaste lac (cf. le précédent de la ville d'Ys et le
volcanisme du Latium) pour démontrer que le Pape conserverait le titre d'évêque de
Rome. «Cette étendue d'eau étant l'endroit où a été Rome, serait encore la por-
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 159

Mgrs Daniel, Baumgarten, de Waal est un éclatant témoignage de


l'identification de l'Eglise catholique à la monarchie pontificale, objet
d'une vénération qui confine au culte. Au fil des pages toute la
hiérarchie, le personnel et les rouages du gouvernement de l'Eglise
défilent, abondamment illustrés par les photographies qui contribuent
à rendre vivantes et sensibles ces froides notions «d'organisation et
administration centrale de l'Eglise». Par l'intermédiaire d'une
politique de communication avec l'opinion publique parfaitement
maîtrisée, le catholicisme fait de fonctionnaires obscurs et de
dignitaires lointains les héros d'une épopée universelle.
Dans la vieille capitale où les soucis de carrière semblaient
dominer chez beaucoup de fonctionnaires, la mission universelle de
l'Eglise acquiert une nouvelle vigueur. Mise quotidiennement en
présence de cette avancée du catholicisme dont elle établit
soigneusement les statistiques, la Propagande participe tout
particulièrement à l'élargissement des horizons aux dimensions du
monde. Les ecclésiastiques entrés à son service montrent une forte
conscience de leur position. La plupart resteront installés à des
fonctions subalternes. Mais ils bénéficient d'un emploi
financièrement honorable, surtout par rapport à la majorité de leurs
confrères qui subsistent médiocrement et cherchent un revenu
sûr. Ils peuvent espérer accéder aux bénéfices lucratifs attachés
notamment aux chanoines des grandes basiliques. Enfin ils ont la
fierté de participer, même modestement, au gouvernement de
l'Eglise, œuvre divine et seule assurée de traverser les siècles7.
La vie quotidienne de la Curie entretient la cohésion entre les
différents niveaux de responsabilité. L'association des individus aux
soucis et aux projets du Pape est cimentée par l'octroi de
récompenses qui concrétisent l'intégration à la famiglia pontificale.
Les titres honorifiques et les prélatures domestiques (350 vers 1900)
renforcent encore les liens affectifs qui unissent le personnel de la
Curie au monarque suprême. Proche physiquement et par sa
fonction du cœur et de la tête de la catholicité, l'ecclésiastique met entre
parenthèses sa nationalité, qui ne figure d'ailleurs pas dans les
annuaires pontificaux, pour être avant tout «romain». Il incarne plus
que tout autre confrère les vertus demandées aux fidèles : «Le
catholique donne au Très-Saint Père ce qu'il refuse à tous les souverains :
il lui soumet ce qu'il y a de plus noble en lui : la volonté, et sans que
cette volonté soit sollicitée par un intérêt ou dominée par la
crainte.»8

tion du territoire qui formerait cet évêché, et sur lequel le pape aurait juridiction
en vertu de son titre episcopal.»... (p. 490).
7 Cf. Le chef suprême..., Préface p. VII et ss.
8 Ibid. p. 55
160 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Venant sous la plume d'un ancien secrétaire du cardinal Pi-


tra, obligé de faire amende honorable en 1885 et de se retirer de
la vie publique, cette profession de foi n'en prend que davantage
de relief.
Les procédures de recrutement des fonctionnaires de la Curie, à
tous les niveaux, concourent donc à une forte identité de
comportement, de références intellectuelles, en un mot une mentalité
collective. Ce fonds commun atténue les différences observables dans
l'origine sociale des responsables ecclésiastiques. Si la naissance
continue de favoriser les ecclésiastiques issus du patriciat romain (les
frères Vannutelli), de l'aristocratie (Oreglia di San Stefano,
Rampolla, Ledochowski, Macchi, Segna) ou de la noblesse rurale (les Pecci),
une origine bourgeoise (Ferrata, Parocchi...), ne constitue pas un
obstacle infranchissable pour une brillante carrière, en particulier
au sein des instituts religieux. Mais le tronc commun initial présente
un second avantage. La brièveté relative du cursus universitaire
(deux ans pour le doctorat de théologie, une ou deux années
supplémentaires pour le droit civil et le droit canon) fournit aux gradués
un bagage intellectuel limité dont la contre-partie est l'aptitude à la
polyvalence. Ayant acquis une formation pluridisciplinaire, les
diplômés peuvent être distribués selon les besoins du service et les
opportunités d'affectation. La carrière ecclésiastique fait alterner
l'emploi dans un ministère pastoral, administratif ou diplomatique. Les
parcours individuels des minutanti sont, de ce point de vue, tout à
fait exemplaires. Ils peuvent être répartis en trois profils
principaux9.

Type - 1. Le minutante poursuit sa carrière au sein de la


Propagande ou d'un autre organisme de la Curie. Zefferini Zitelli-Natali,
nommé minutante en 1875, meurt à cette charge en 1889. Giovanni
Bruni, entré après son ordination à la Propagande, minutante
depuis 1889, meurt aussi en charge en 1910. Giovanni Corti occupe
durant trente-et-un ans l'office de minutante (1894-1921) après avoir
fait carrière à la section orientale. Addano Zecchini représente la
stabilité la plus grande avec vingt-quatre ans passés comme
minutante, de 1887 à 1911 (précédés de huit en qualité de scrittore), puis
dix dans le poste de sous - secrétaire de la Propagande (1911-1921).
A ces quatre carrières, qui se déroulent entièrement au sein de
la Propagande, il faut rattacher autant de cas de mutations dans
un autre dicastère pour y exercer une fonction similaire. Filippo
Torroni est promu substitut de la Secrétairerie d'Etat le 9 octobre

9 Les indications biographiques sont tirées des documents cités à la fin du


tableau récapitulatif des carrières, p. 87.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 161

188410. Giovanni Pierantozzi quitte la Propagande pour le même


poste de minutante dans la Secrétairerie d'Etat en 1887. La même
année Giovanni-Maria Zonghi passe aux archives de la
Secrétairerie d'Etat avant de présider à partir de 1912 l'Académie des nobles
ecclésiastiques. Enfin le cas de Sante Tampieri s'apparente aussi à
ce modèle, malgré une petite variante. S'il accompagne Mgr Merry
del Val, délégué apostolique extraordinaire au Canada (1897), ce
voyage constitue une courte parenthèse dans une carrière
inaugurée comme secrétaire de prélats, continuée à la Propagande
{minutante de 1893 à 1902), puis partagée entre la Secrétairerie d'Etat
et la congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires. Il
est donc possible de mener toute une carrière dans des emplois de
fonctionnaire.

Type 2. A ce déroulement s'oppose le cursus qui mène à la


pourpre. Le minutante, après un période de cinq ans à dix ans, est
nommé dans un poste diplomatique, en mission extraordinaire ou
en qualité de nonce; puis il accède à des charges importantes;
finalement il est promu cardinal. Tel est l'itinéraire suivi
successivement par Antonio Agliardi, Benianimo Cavicchioni, Donato Sba-
retti. Ces deux derniers joueront notamment un rôle très actif à la
Congrégation du Concile. Le passage à la Propagande a
manifestement servi dans leur cas de préparation et de test de leurs
capacités. La rapidité de la promotion est particulièrement spectaculaire
chez Agliardi, Cavicchioni et Sambucetti, devenus aussitôt, ou peu
de temps après avoir été minutanti, délégués apostoliques; elle est
un peu plus lente pour Sbaretti qui commence par être auditeur à
Washington. Mais l'âge explique cette différence de traitement.
Alors que les trois premiers sont des hommes mûrs (52, 48 et 44
ans), Sbaretti compte seulement 37 ans quand il laisse Rome pour
l'Amérique.

Type 3. Le minutante abandonne la carrière de fonctionnaire


ecclésiastique pour un ministère de pasteur à la tête d'un diocèse
italien. Deux minutanti seulement suivent ce parcours. Pietro di Maria
abandonne la Propagande en 1906 pour devenir évêque de Catan-
zaro. Après douze années sur le siège episcopal, il rejoint la carrière
diplomatique. Il est nommé délégué apostolique au Canada (juin
1918), puis nonce apostolique à Berne. Il démissionne le 10 août
1935 et se retire à Moliterno (son village natal) où il meurt le 1er mai
1935 n. Son élection à la tête d'un un diocèse ne l'a donc pas empêché
de poursuivre ensuite une évolution très proche du type pré-

10 A.C.P.F. Lettere 1884 f. 551.


11 Annuaire pontifical catholique, 1917, p. 216, 1927 p. 405, 1936 p. 391 etc..
162 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

cèdent. Minutante, vice-recteur du collège Urbain, recteur du collège


bohème de Rome, évêque résidentiel, nonce apostolique, assistant
au trône pontifical en 1935, il ne lui aura manqué que la barrette
cardinalice.
Venu d'un diocèse, Emilio Bergamaschi retourne dans le
ministère en qualité d'évêque de Terracine en 1894. Mais sa carrière se
déroule ensuite de manière très différente. Transféré en 1909 sur un
autre siège italien (Troia), Bergamaschi démissionne en 1909 et se
retire dans sa ville natale de Pontecorvo, avec le titre d'évêque
titulaire d'Areopolis. Il meurt le 10 février 1925 sans avoir repris
d'activité officielle12.
Les trois types que nous avons définis se retrouvent dans des
proportions modifiées chez les consulteurs séculiers de 1898 que
nous avons présentés plus haut.

Type 1. Carrière au sein des bureaux de la Curie : Gessi, Giustini, Melata,


Pompili, Savelli-Spinola, Solieri, Stefanopoli, Trombetta, Van den
Branden.
Type 2. Carrière faisant alterner fonctions dans la Curie et postes
diplomatiques : Aiuti, Chicaro, Segna.
Type 3. Carrière comportant un ministère de pasteur : Barone, Cassetta.

La loi de polyvalence des compétences, en deçà d'un certain


seuil de technicité et de spécialisation théologique, juridique ou
diplomatique, permet aux individus d'occuper des fonctions ou
de remplir des tâches très différentes. En règle générale, seuls
les ecclésiastiques qui ont rempli des fonctions diplomatiques à
l'étranger peuvent aspirer aux plus hautes charges. Le
gouvernement de l'Eglise se distingue nettement ici de la fonction
publique dans les états modernes où les carrières sont davantage
balisées par le corps de rattachement. Les passages, voire les
allers et retours, sont habituels dans la Curie entre la fonction
administrative et la voie diplomatique. Plus rares sont les carrières
qui comportent des tâches essentiellement pastorales, à l'exemple
de Pietro di Maria. Elles ne sont cependant pas impensables. Le
tableau récapitulatif des minutanti illustrait cette mobilité et ses
limites13. On peut le compléter par un schéma traduisant les
différents types de mobilité à l'intérieur de la Curie.

12 Annuaire pontifical catholique, 1910, 1917, 1926. Son successeur à l'évéché


d'Areopolis est Mgr Roncalli.
13 Cf. chapitre 4.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 163

ROME
Diplomatie Ministère pastoral

préfet de congrégation :
Sbaretti
Laurenti
cardinal :
Agliardi, Cavicchioni
secrétaire d'une congrégation
nonce : Sambucetti
Délégué apostolique : di Maria
sous-secrétaire ou rang équivalent
Tampieri, Toroni
Zecchini, Zonghi
auditeur Evêque :
Bergamaschi
minutante
Corti, Pierantozzi, Zitelli

emploi dans un bureau de la Curie


ministère pastoral
|

Etudes universitaires à Rome

Croquis n° 14 - Mobilité des minutanti.

Nous avons situé chaque minutante sur le degré le plus élevé atteint et
en fonction du profil général de sa carrière : à gauche (diplomatie), au
centre (Curie), à droite (ministère pastoral).
Par rapport à l'axe central, le tronc commun initial admet une
pos ibilité de passage par un ministère pastoral hors de Rome (Agliardi,
Bergamaschi).
Le cursus type 1 se déroule entièrement sur cet axe. Seul Laurenti gravit
tous les échelons et devient cardinal.
Le type 2 passe par la diplomatie, à la gauche du schéma et aboutit à la
nomination de trois cardinaux : Agliardi, Cawichioni, Sbaretti.
Le type 3 concerne seulement Bergamaschi.
Di Maria se distingue en occupant un évêché résidentiel avant de
poursuivre une carrière diplomatique.

Les carrières romaines : voies secondaires et voies royales

Quels facteurs déterminent les diverses évolutions? Il est


impossible de retracer avec exactitude les motifs qui déterminent la
nomination d'un employé dans tel poste plutôt que tel autre. La règle du
service de l'Eglise exigeant une totale disponibilité, admise
implicitement par le corps ecclésiastique, élimine évidemment des
documents toute référence éventuelle à des plans de carrière. Tout au
164 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

plus peut-on estimer que les itinéraires, selon une combinaison qui
nous échappe, sont le produit de plusieurs variables : la compétence
de l'individu, ses aspirations personnelles, la volonté de l'intéressé et
les faveurs des supérieurs ecclésiastiques.
Cependant quelques traces subsistent qui permettent d'imaginer
le poids prépondérant de certains facteurs. La voie 1 (Curie) ne
sanctionne pas l'incapacité de l'individu à occuper des responsabilités
plus en vue. Les notices biographiques font allusion à des refus
délibérés de promotion, soit que certains clercs soient peu attirés par le
départ vers des pays éloignés, soit qu'ils ne se sentent pas de goût
pour la carrière diplomatique et lui préfèrent un poste dont
l'obscurité relative n'empêche pas de disposer d'un réel pouvoir. C'est ce
que suggère la notice nécrologique consacrée à Giovanni Pierantoz-
zi :

«Plusieurs fois Léon XIII et Pie X qui appréciaient à sa valeur les


services que rendait Mgr Pierantozzi lui ont proposé de l'envoyer dans
une nonciature où il aurait pu faire connaître les belles qualités que
Dieu avait mises en lui, mais l'humilité du prélat refusa constamment
toute dignité.»14

Le concept d'humilité recouvre sans doute ici des réticences


plus complexes et n'empêche pas ces clercs d'être sensibles aux
dignités pontificales qui viennent matérialiser la reconnaissance du
Pape.
Par ailleurs un minutante échappe à la règle et gravit tous les
échelons de la carrière romaine sans quitter la Curie. Camillo Lau-
renti, ancien pensionnaire du collège Capranica, employé à la
Propagande dès son ordination, minutante de 1887 à 1908, connaît une
ascension régulière. Premier minutante en 1891, bien qu'il soit le
plus jeune (trente ans), sous-secrétaire en 1908, il devient secrétaire
après le départ de Veccia (1911). La confiance dont il jouit se
concrétise encore par le poste de professeur qu'il occupe au Collège de la
Propagande depuis 1892. Les annuaires indiquent que son domicile
est le prestigieux collège Capranica. Notre homme se trouve ainsi
remarquablement intégré aux réseaux de sociabilité ecclésiastique
romaine. Promu cardinal le 13 juin 1921, il sera préfet des
congrégations des Religieux, puis des Rites15.
La voie 2 (diplomatie) est cependant la voie la plus sûre pour at-

14 Annuaire pontificai catholique, 1910, p. 731. (Pierantozzi meurt le 11 mars


1903).
15 Memoria Rerum..., III/l, p. 63. Laurenti est le premier à occuper la
fonction de sous-secrétaire créée par la réforme de 1908.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 165

teindre les sommets. Elle suppose de s'éloigner momentanément de


Rome. Mais le retour au centre géographique de la catholicité se
traduit par une promotion de l'intéressé. Il est nommé à un poste qui le
rapproche du cœur du gouvernement de l'Eglise. Rentré des Indes
au printemps 1886, Agliardi est nommé prosecrétaire, puis
secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires16. Cavicchioni
intègre la congrégation du Concile dont il est également prosecrétaire
et secrétaire17. Sbaretti revient des Etats-Unis pour obtenir
consécutivement deux délégations apostoliques aux Philippines et au
Canada18. Chaque mission à l'extérieur est ainsi suivie d'une promotion
qui fait participer plus activement et directement à l'exercice du
pouvoir.
La voie 3 (nomination à un évêché résidentiel) est à la fois plus
rare et plus difficile à apprécier. La satisfaction de l'élu ne résiste
pas toujours à la première épreuve si l'on se fie à la réaction du
minutante Bergamaschi. Nommé à l'évêché de Terracina le 6 janvier
1893, il n'a toujours pas pu en prendre possession un an plus tard.
Un conflit entre le Vatican et le gouvernement italien retarde la
délivrance de l'exequatur. Incapable de faire face aux dépenses d'un
évêque avec son traitement d'employé, il demande l'autorisation de
reprendre son poste à la Propagande19.
Tentative pour échapper à l'élection ou simple effet d'une
conjoncture politique qui place l'intéressé dans une situation
embarrassante? Le cursus non conformiste de Bergamaschi reste énig-
matique. Il est en effet originaire de Pontecorvo où il exerce les
fonctions de provicaire général, et examinateur du clergé. Or il est
recommandé par le cardinal Aloisi-Masella, originaire de Pontecorvo,
préfet de l'économat de la Propagande de février 1888 à octobre
188920, La nomination de Bergamaschi au poste de minutante date
justement du 28 janvier 1889. En outre il a pour évêque le capucin
Ignazio Persico, nommé en 1879, démissionnaire en 1887. Ce
religieux s'établit ensuite à Rome où il est attaché à la Propagande en
qualité de consulteur de la Propagande orientale, avant d'en devenir
le secrétaire (juin 1891-juin 1893). Nouvelle coïncidence, l'élection de
Bergamaschi à l'évêché de Terracine est de janvier 1893... Mais la
disparition de Persico (1895) et d'Aloisi-Masella (1902) l'ont peut-
être privé des protections qui avaient favorisé jusque là sa carrière.

16 8 mai 1887 : prosecrétaire A.E.E. 6 octobre 1888 : secrétaire A.E.E.


17 Selon Ann. Pont, cath., 1912, p. 763 prosecrétaire en 1889. 11 janvier 1900 :
secrétaire.
18 15 février 1902 : délégué apostolique extraordinaire pour les Philippines.
26 novembre 1902 : délégué apostolique pour le Canada.
19A.C.P.F. N.S. vol. 29, f. 70-71 (Rome, le 16 février 1894).
20 A.C.P.F. Acta 259(1889), f. 25 r-v.
166 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Seules les mémoires des fonctionnaires de la Propagande


seraient susceptibles de nous faire pénétrer au cœur des carrières
ecclésiastiques. Aucun des minutanti n'ayant succombé à cet exercice,
nous nous sommes déterminé à utiliser le témoignage du Cardinal
Ferrata. S'il n'a pas occupé de poste important à la Propagande, ce
prélat fournit des indications précieuses pour saisir de l'intérieur
comment se joue une carrière romaine.
Son itinéraire confirme sur de nombreux point les observations
que nous avons formulées. Originaire de la région d'Orvieto,
scolarisé dans un collège jésuite réputé, il entre à quatorze ans au
séminaire. A seize ans, il est nommé chanoine surnuméraire de Gradoli,
sa cité natale, ce qui lui assure un pécule (quarante écus), et surtout
«c'était... un lien qui m'attachait déjà à l'Eglise». Au milieu de
l'année 1866, son père le retire du séminaire à la suite de désordres
causés par quelques étudiants et «auxquels on attacha beaucoup trop
d'importance». Mais cette décision permet au jeune homme de
s'inscrire en novembre 1867 à la faculté de théologie de la Grégorienne
(Sapience). Après deux mois qu'il avoue avoir vécu «en touriste», il
obtient les premiers prix, le doctorat ad honorem, des médailles
d'or... et une pension viagère de 30 écus. Il suit aussi les cours de
philosophie de Giuseppe Pecci, avec le même succès. Distingué par
les distributions de prix, remarqué par le Secrétaire d'Etat Antonelli
en personne, il est ordonné prêtre dès octobre 1869, à vingt-deux
ans. La présence à la cérémonie de professeurs, en particulier Cias-
ca, confirme qu'il apparaît comme un sujet particulièrement doué à
la voie toute tracée. Le doctorat en droit civil et canonique, préparé
dans la meilleure faculté (l'Apollinaire), complète en 1869-1871 sa
formation. C'est dans ces circonstances que se situe le premier choix
révélateur. Malgré son évêque qui souhaite utiliser ses services pour
le séminaire diocésain, Dominique Ferrata choisit de rester à la
congrégation du Concile où il fait ses premières armes de canoniste.
Il l'avoue, la perspective d'enseigner dans un modeste séminaire «ne
lui souriait guère.» Se greffe alors l'intervention de protecteurs qui
vont assurer un avancement rapide. Un ancien professeur fait
cardinal (Tommaso Martinelli, des ermites de Saint Augustin) le choisit
pour secrétaire particulier et auditeur. Pendant quatre ans, à partir
de décembre 1873, le jeune prêtre poursuit son introduction dans le
monde ecclésiastique romain, d'autant plus aisément que le service
du cardinal lui prend «une heure par jour.»
A la Curie, il démontre ses qualités de canoniste qui lui valent
d'introduire la cause de mère Barat, ou de «vaincre les objections»
contre la proclamation de Bernardin de Sienne comme docteur de
l'Eglise. Prévenant les jugements de son lecteur, Ferrata écarte
l'accusation de carriérisme ou de clientélisme. «Je n'avais pas d'autre
préoccupation que de me procurer par mon travail une honnête si-
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 167

tuation à Rome; je dis : par mon travail, car j'ai toujours eu


l'intention de ne jamais quémander de faveur.»
La réalité est plus subtile. L'ambition déclarée et le clientélisme
voyant ne sont effectivement plus de mise en ces années 1870. Mais la
qualité des individus, l'importance accordée aux manières
ecclésiastiques, les garanties dogmatiques, morales et spirituelles, ne suffisent
pas pour entreprendre une carrière. La fréquentation des cardinaux
est nécessaire pour accéder aux fonctions d'enseignement et
d'employé de la Curie, premières marches du cursus ecclésiastique.
Ferrata est ainsi nommé professeur académique (= remplaçant) pour la
chaire de droit canon du Séminaire pontifical. S'il sert par ailleurs la
congrégation du Concile, il obtient en février 1877 un poste de
professeur académique au collège de la Propagande et occupe des chaires
qui illustrent une nouvelle fois la polyvalence des emplois : Ecritures
saintes, Histoire ecclésiastique, droit canon, théologie sacramen-
taire. Il n'aura cependant guère l'occasion d'exercer ses talents, sinon
pour dispenser quelques thèses sur les anges que son auditoire aurait
beaucoup appréciées. Les circonstances du véritable démarrage de sa
carrière se situent à la même période et nous paraissent
caractéristiques des pratiques romaines. Le cardinal Caterini, préfet de la
congrégation du Concile, et son compatriote, lui propose de devenir
sous-secrétaire de la congrégation. Mais la nomination tarde. «La
nouvelle que plusieurs candidats, protégés par de puissants
personnages, s'employaient activement à obtenir cet emploi, vinrent
diminuer les probabilités et les espérances». De fait un candidat plus âgé
est désigné. Ferrata n'a cependant pas à regretter «ce petit incident»
car, soucieux de lui accorder une compensation, Pie IX confie
aussitôt à Wladimir Czacki21 son regret de ne pas avoir pu choisir ce jeune
prêtre «(qui) avait de meilleures attestations que les autres
candidats». «Mgr Czacki, qui m'avait vu quelquefois chez le cardinal Mar-
tinelli, répondit aussitôt que les choses pourraient s'arranger
facilement si le Pape le voulait. «Et comment cela?» demanda Pie IX. «En
donnant ce jeune homme, répliqua Mgr Czacki, à la Secrétairerie des
Affaires ecclésiastiques extraordinaires, où il pourra rendre d'utiles
services, pour le moment comme employé subalterne, plus tard
comme sous - secrétaire... Je reçus en effet le 27 avril le billet qui me
nommait adjoint ou minutante à la Congrégation des A.E.E. Le
lendemain, je fus reçu par Pie IX qui m'accueillit avec son habituelle
bonté. Jouant sur mon nom (Ferrata), il me dit en souriant que dans
les environs de Rome, il y avait une image de la Vierge dite de la Fer-

21 A cette date il est secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires. Cf.


Card. Dominique Ferrata, Mémoires, Rome, Tipografia Cuggiani, 1920, T. I, p. 3 à
37.
168 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

rateila, qui lui rappellerait mon nom à l'avenir. Il m'exhorta ensuite à


travailler avec dévouement pour le Saint-Père, et ajouta que je
pouvais compter sur sa bienveillance.»
Titres universitaires, qualités intellectuelles, ambition discrète,
protections entrecroisées au sein de la Curie, intervention
personnelle du Souverain pontife : les débuts de Domenico Ferrata sont
sans doute représentatifs pour l'essentiel de beaucoup d'itinéraires
ecclésiastiques romains. Désormais des perspectives sont ouvertes
(un plan de carrière implicite), son avenir est tracé, associé à celui
de Czacki qu'il suivra à la nonciature de Paris en qualité d'auditeur.
En attendant de conquérir son autonomie,le jeune et dynamique
ecclésiastique, distingué pour son intelligence et sa sociabilité a trouvé
un «patron».
La tradition romaine du clientélisme continue de structurer la
vie du gouvernement de l'Eglise. Le modèle antique de la famiglia,
dont la famille pontificale constitue la forme la plus achevée, est
reproduit par tous les hauts dignitaires. En s'élargissant à d'autres
dignitaires ecclésiastiques romains, la méthode n'a pas été
substantiellement transformée. Les principes de la cooptation et de la
recommandation continuent de s'imposer pour produire ces
«familles» de cardinaux fixées par les photographies. Cette logique
vaut pour tous et commande finalement les nominations au sein
d'un dicastère. L'affectation à la Propagande n'y échappe pas,
réduisant d'autant les chances d'ecclésiastiques formés hors de Rome. La
nomination au sein du ministère des missions n'est pas la
conséquence d'un choix individuel ou d'une spécialisation, mais une
manière parmi d'autres de participer au gouvernement de l'Eglise.
Fonctionnaires mineurs ou majeurs savent qu'ils peuvent à tout
moment, pour les mêmes raisons, être appelés ailleurs.

2 - La Propagande, rouage du gouvernement de l'Eglise.

Nous avons souligné à plusieurs reprises la variété des fonctions


de la Propagande en même temps que son intégration à l'ensemble
de la Curie. Nous avons tenté de représenter par un schéma cette
position de la congrégation au sein du gouvernement de l'Eglise.
La monarchie pontificale après le concile du Vatican postule
fortement la concentration des pouvoirs dans la personne du pape,
selon la théorie du Vicariat du Christ. Elle forme la clé de voûte d'un
ensemble qui doit assumer simultanément le gouvernement de l'Etat
pontifical et de la religion catholique. La spécificité de la
Propagande réside d'abord dans sa participation à ce double registre.
Elle doit à son niveau traiter des affaires politiques et
religieuses. Dans ces conditions il importe d'instaurer des liens
organiques avec les instances plus politiques ou religieuses. Nous avons
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 169

vu comment la liaison avec le Secrétaire d'Etat est inscrite dans la


participation de droit de ce dernier à la Propagande. Elle se
concrétise dans la tenue de congressi restreints et mixtes, généralement
sous le couvert des Affaires ecclésiastiques extraordinaires.

PÔLE RELIGIEUX ET DOCTRINAL

RELATIONS AVEC
LES ETATS ET LA

SOCIETE CIVILE

1 : Congrégations romaines spécialisées


2 : Saint-Office
3 : Propagande
4 : Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires
Croquis n° 15 - Essai de représentation du gouvernement de l'Eglise
romaine.

Le schéma tente ensuite de visualiser les articulations avec les di-


castères chargés des aspects proprement religieux. Le Saint-Office a
été isolé des autres dicastères. La prépondérance du domaine
dogmatique est inscrite dans la constitution de la Curie puisque ce dicas-
tère a pour préfet le Pape lui-même. Nous avons constaté que
l'histoire de la Propagande avait complètement vérifié cette prééminence
du Saint-Office. Après avoir préservé sa juridiction sur les territoires
de la Propagande au XVIIe siècle, il n'a pas cessé d'étendre son champ
170 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

d'interventions à des secteurs qui avaient primitivement appartenu à


la place d'Espagne. C'est pour cette raison que nous avons représenté
la Propagande par un cercle symétrique à celui du Saint-Office, mais
dans une subordination qu'il est difficile de matérialiser.
La Propagande possède enfin le privilège d'intervenir dans les
domaines qui relèvent normalement de la compétence d'un dicas-
tère spécialisé. Elle recoupe donc la sphère des congrégations
romaines22. Mais cette juridiction polyvalente tend à devenir fictive à
la fin du XIXe s., puisque, dans la pratique, la Propagande consulte
les autres congrégations et se contente de transmettre leurs
décisions. Elle fait de moins en moins «office de...» pour être seulement
l'intermédiaire entre les missions et les congrégations spécialisées.
Ainsi le pontificat de Léon XIII voit la Propagande accroître son
importance proportionnellement à l'extension du domaine
missionnaire. Dans le même temps, son autorité tend à être réduite par une
pratique qui renvoie aux dicastères spécialisés la solution des
problèmes posés en matière de dogme, de rites, d'indulgences... La
réforme de la Curie décrétée par Pie X en 1908 prendra acte de cette
évolution. Elle stoppera l'hypertrophie des régions dépendant de la
Propagande et lui réservera exclusivement les missions chez les
païens et les nouvelles Eglises.
La place de la Propagande au sein de l'organigramme prévient
toute dérive vers la constitution d'une «super - congrégation»
indépendante au sein de la Curie. Les liens structurels consolident
ceux qu'ont tissés les individus, unis par une commune formation de
base, à la fois théologique et canonique. Le refus de la spécialisation
consacre cette recherche permanente du consensus. En effet la
circulation des individus d'un secteur à l'autre, à travers les diverses
congrégations, n'est pas limitée aux employés mineurs. Au sommet
de l'appareil ecclésiastique, la participation conjointe des hommes
clés à plusieurs congrégations assure d'autres passerelles entre les
principaux organes de gouvernement. Dès lors il n'est pas étonnant
que la Propagande fasse appel, sur bien des matières, à l'avis des
congrégations concernées et se contente de répercuter leur décision.
Consulteurs et cardinaux se retrouvent régulièrement à l'intérieur
des divers organes du gouvernement.
La lecture synoptique de la composition des principales
congrégations rend de manière saisissante cette volonté d'interpénétration,
sorte de loi interne implicite. Nous avons choisi trois dates
correspondant au début, au milieu et à la fin du pontificat (1884, 1893,
1900) pour souligner les permanence dans la manière de distribuer
les cardinaux de Curie entre les principaux dicastères.

22 F. Grimaldi op. cit. p. 253.


COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 171

Tableau n° 10
COMPOSITION DES PRINCIPALES CONGRÉGATIONS EN 1884

Saint-Office Propagande Aff. Eccl. Extr. Concile Etudes

Agostini
Alimonda Alimonda
Bartolini Bartolini Bartolini Bartolini
Bianchi
Bilio Bilio Bilio Bilio
Chigi Chigi Chigi
Consolini Di Canossa
Czacki Czacki
D'Avanzo
Di Pietro C. Di Pietro C. Di Pietro C. Di Pietro C.
Ferrieri Ferrieri Ferrieri
Franzelin Franzelin Franzelin Franzelin
Hergenroether Hergenroether
Hohenlœ
Howard Howard
Jacobini (L.) Jacobini (L.) Jacobini (L.) Jacobini (L.)
Ledochowski Ledochowski Ledochowski Ledochowski
Martinelli Martinelli
Mertel Mertel Mertel Mertel
Monaco la V. Monaco la V. Monaco la V. Monaco la V. Monaco la V.
Newman
Nina Nina Nina Nina
Oreglia di S. St Oreglia
Panebianco Panebianco Panebianco
Parocchi Parocchi Parocchi
Paya y Rico
Pecci (G.) Pecci
Pitra
Randi
Sacconi Sacconi Sacconi
Sbaretti Sbaretti
Schwarzenberg Schwarzenberg
Serafini
Simeoni (G.) Simeoni (G.) Simeoni (G.) Simeoni (G.)
Zigliara

Les noms des préfets sont en caractères gras


172 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Tableau n° 11
COMPOSITION DES PRINCIPALES CONGRÉGATIONS EN 1893
Saint-Office Propagande Aff. Eccl. Extr. Concile Etudes
Aloisi-M. Aloisi-M.
Apolloni Apolloni
De Ruggiero
Hohenlohe
Laurenzi Laurenzi Laurenzi
Ledochowski Ledochowski Ledochowski Ledochowski Ledochowski
Mazzella Mazzella Mazzella
Mertel Mertel Mertel Mertel
Mocenni
Monaco la V. Monaco la V. Monaco la V. Monaco la V. Monaco la V.
Oreglia Oreglia
Parocchi Parocchi Parocchi Parocchi Parocchi
Persico Persico
Rampolla Rampolla Rampolla Rampolla
Sepiacci Sepiacci
Serafini Serafini Serafini
Vannutelli S. Vannutelli S.
Vannutelli V. Vannutelli V. Vannutelli V.
Verga Verga Verga
Zigliara Zigliara Zigliara Zigliara

Tableau n° 12
COMPOSITION EN 1900
Saint-Office Propagande Aff. Eccl. Extr. Concile Etudes
Agliardi Agliardi
Aloisi-M. Aloisi-M.
Ciasca
Cretoni Cretoni
Di Pietro A. Di Pietro A. Di Pietro A.
Ferrata Ferrata
Gotti Gotti
Jacobini D. Jacobini D.
Ledochowski Ledochowski Ledochowski Ledochowski Ledochowski
Mazzella Mazzella
Mertel Mertel Mertel
Mocenni
Oreglia Oreglia Oreglia
Parocchi Parocchi Parocchi Parocchi
Rampolla Rampolla Rampolla Rampolla
Satolli Satolli
Segna Segna
Steinhuber Steinhuber Steinhuber
Vannutelli S. Vannutelli S. Vannutelli S. Vannutelli S. Vannutelli S.
Vannutelli V. Vannutelli V. Vannutelli V. Vannutelli V.
Verga Verga Verga Verga
Vives y Tuto
Préfets en caractères gras
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 173

Ce système assure l'osmose des dicastères, prévient


efficacement la constitution de «citadelles ministérielles» tentées de mener
leur propre politique. Il entretient la cohésion de l'ensemble et
favorise l'esprit de corps au sein de la Curie prise comme une entité. Il
n'empêche certes pas les luttes de «tendances». La lecture de ces
tableaux montre comment la ligne pontificale s'inscrit dans le choix
d'un petit nombre d'hommes installés aux postes clés, en particulier
pour contrôler les deux pôles majeurs, celui du dogme et de la
diplomatie. En 1884 l'héritage de Pie IX est sensible dans la
prépondérance de Bilio, Franzelin, Nina ou Giovanni Simeoni. De 1884 à 1893
on assiste, après le décès de Franzelin et la retraite de Mertel, au
triomphe des tenants du néo-thomisme, Zigliara, Mazzella, puis
Satolli ou Steinhuber. Le pôle politico-diplomatique exige un peu plus
de nuances. La ligne Rampolla s'impose sans éliminer les
représentants d'autres sensibilités. Le sens politique de Léon XIII lui fait
réserver une place aux intransigeants les plus stricts comme aux
modérés favorables à la conciliation, tels les frères Vannutelli. L'accord
sur le projet global n'interdit pas des nuances et des variantes.
Cet équilibre général obtenu pour l'ensemble de la Curie a son
correspondant au sein même de la Propagande. Nous avons eu
l'occasion de l'observer dans le choix des cardinaux rapporteurs. La
cohésion de la Propagande ne s'appuie pas d'abord sur des
combinazioni. Il faut plutôt rechercher son fondement dans ce refus de toute
séparation nette entre spécialistes de la doctrine et praticiens
engagés dans la gestion des affaires. Jusqu'au niveau des minutanti, la
seule spécialisation reconnue est la division des affaires sur une
base géographique. La raison évoquée plus haut reste évidemment
valable. La formation universitaire des clercs, quand ils ont suivi
tout le cursus (philosophie-théologie-droit), ce qui est le cas à la
Propagande, les rend théoriquement aptes à traiter des affaires de tous
ordres. Les modalités du seul véritable concours organisé en 1893
attestent que le minutante est d'abord un généraliste. Les dossiers de
candidature mettent d'ailleurs constamment en évidence le lien
étroit entre savoir théologique ou canonique et compétence
administrative, illustré par l'exercice successif ou parallèle des activités
d'enseignement et d'administration.
Certes, à partir d'un certain degré de difficulté, la spécialisation
s'impose progressivement. Les cardinaux rapporteurs sont choisis
de manière indifférenciée dans les affaires courantes; la répartition
des dossiers politiques sensibles (padroado, protection des missions)
ou l'examen des synodes régionaux s'effectuent au contraire en
fonction des compétences. Très logiquement, les cardinaux forts d'une
expérience diplomatique traitent en priorité les dossiers politiques,
les théologiens ont la charge des questions doctrinales. Mais les uns
et les autres ont eu, à un moment de leur carrière, l'expérience de
174 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

ces deux domaines et sont présents simultanément dans les


congres i.
En somme la Propagande reproduit à son échelle le
fonctionnement global du gouvernement de l'Eglise. En l'absence de conseils des
ministres, la solidarité gouvernementale s'y exprime dans
l'appartenance des cardinaux à plusieurs dicastères. La monarchie pontificale,
si elle a considérablement renforcé le rôle du pontife, n'a pas tué une
certaine collégialité, entre cardinaux. Parce que toute décision doit
manifester la même foi et l'unique Eglise, elle doit être le fruit d'un
consensus. L'unanimité devient figure de l'ecclésiologie. Certes les
votes sont pris à la majorité mais seule la décision finale est rendue
publique. La règle de l'unanimité n'est pas seulement méfiance envers
la démocratie, sous prétexte qu'elle est source de divisions, mais une
manière de comprendre et manifester l'unité de l'Eglise.
En résumé la nécessité d'accorder au sein de la Propagande
théologie et diplomatie, d'accorder le croire et le faire s'applique à
tous les niveaux. Le choix des fonctionnaires majeurs de la
Propagande par' Léon XIII apparaît comme le couronnement de cette
volonté, tant chez les secrétaires que les préfets.
Plutôt que de juxtaposer des carrières que nous avons déjà eu
l'occasion d'évoquer, nous avons superposé dans un même
graphique les cinq itinéraires.

POSTE DIPLOMATIQUE ROME MINISTERE PASTORAL


Préfet de congrégation : 1, 2, 3
Cardinal de Curie : 1, 2, 3
nonce : 2
Secrétaire de congrégation :
1, 2, 3, 4, 5
Evêque missionnaire
Professeur d'université : 2, 4 3
Fonctionnaire de la Curie : 1, 2
Etudes universitaires à Rome :
h 2, 4, 5

Croquis n° 16 - Itinéraires individuels des Secrétaires de la Propagande en


fonction sous Léon XIII.

N° 1 : Ignazio Masotti, secrétaire de la Propagande du 19 septembre 1879 au


30 mars 1882.
N° 2 : Domenico Jacobini, du 30 mars 1882 au 13 juin 1891.
N° 3 : Ignazio Persico, du 13 juin 1891 au 16 janvier 1893.
N° 4 : Augustino Ciasca, du 19 juin 1893 au 19 juin 1899.
N° 5 : Luigi Veccia du 1er juillet 1899 au 7 août 1911.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 175

La carrière des trois préfets qui se succèdent à la tête du dicas-


tère durant le pontificat appellent des remarques identiques, bien
que les deux premiers préfets apparaissent au premier abord plutôt
comme des «politiques».

Poste diplomatique AROME Ministère pastoral


Préfet de la Propagande
1, 2, 3
Cardinal de Curie
1,2,3
Secrétaire de congrégation romaine
1 (section orientale de la SCPF)
Nonce : 1, 2, 3
Délégué apostol.
Archevêque : 2
Supérieur général des carmes
déchaux : 3
Procureur général
des carmes : 3
poste extérieur
en ambassade : 1, 2
Professeur d'université provincial : 3
à Rome : 1
Fonctionnaire de la Curie : 1
Etudes universitaires : 1, 2

Croquis n° 17 - Itinéraires des Préfets de la Propagande.

N° 1 : Giovanni Simeoni (5 mars 1878 - 14 janvier 1892)


N° 2 : Mieczyslaw Halka Ledochowski (26 janvier 1892 - 22 juillet 1902)
N° 3 : Antonio Giovanni Benedetto (Frère Girolamo) Gotti (29 juillet 1902 -
19 mars 1916)

Du fonctionnaire mineur aux plus hauts dignitaires, l'ensemble


de ces constatations établit donc que la cohésion du système repose
sur la polyvalence des individus et la perméabilité des organes
d'administration. Des échanges permanents se développent à l'intérieur
de la Curie, les responsables passent sans cesse d'un département à
l'autre. La circulation observée à propos des minutanti se retrouve
au niveau le plus élevé, celui des secrétaires et des préfets. Tout se
passe comme si le renforcement de la monarchie pontificale s'a-
compagnait d'un respect scrupuleux d'une pratique qui associe
l'ensemble des dignitaires ecclésiastiques à l'ensemble de la politique
pontificale. Certes les grandes orientations et les choix décisifs sont
176 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

opérés par Léon XIII. Il prend soin d'installer aux postes clés des
hommes partageant ses convictions, surtout en matière
philosophique et théologique. Mais après avoir obtenu, et parfois imposé,
une vision commune du monde et de l'Eglise dans le monde, le pape
doit favoriser un fonctionnement qui assure la cohérence, mobiliser
le maximum d'hommes en faveur de son projet ecclésial. La vie de la
Propagande se déroule dans cette globalisation de l'action et n'a pas
de sens en dehors de celle-ci.
L'étude des carrières ecclésiastiques corrige donc la
représentation d'une bureaucratie technocratique confisquant le
gouvernement de l'Eglise sans avoir quitté Rome. Plus encore que les
hommes politiques dans les états modernes, les responsables de la
Propagande doivent être aptes à la mobilité administrative et
géographique. Cela laisse cependant ouverte la question du pouvoir et
de la définition de la doctrine. Quelles sont les logiques de
gouvernement : celle de la théologie (plus que des théologiens), de la politique
(plus que des diplomates), ou de la pastorale?
La présence de théologiens ou de canonistes dans les organes de
la Propagande (congresso, commissions spécialisées) et à toutes les
étapes de l'examen des dossiers (consulteur, réunion des consul-
teurs, réunions des cardinaux) confirme la place prioritaire des
critères doctrinaux dans les prises de décision. Mais il convient aussi
de préciser sous quelle forme s'affirme l'autorité des théologiens. Il
est évident que les déclarations explicitement dogmatiques sont
exceptionnelles et ne permettent habituellement pas d'en tirer des
applications automatiques dans les territoires missionnaires. Les avis
des consulteurs eux-mêmes répètent l'enseignement des autorités,
en particulier Augustin, Thomas d'Aquin et Bellarmin. La théologie
abandonne généralement toute ambition spéculative au profit de ses
branches qui ont vocation à fournir des normes pratiques dans la vie
chrétienne, telle la théologie morale ou sacramentaire.
Dans ce contexte, la liaison entre théologie et droit canon revêt
une importance capitale par la répartition des tâches qu'elle permet.
Or le système universitaire romain favorise les diplômés en droit
canon car l'obtention de grades juridiques couronne le cycle
théologique. Le doctorat en droit canon constitue le principal critère de
recrutement des fonctionnaires de la Propagande, le seul grade
vraiment indispensable aux candidats. Certes la frontière est imprécise.
Il n'est pas toujours possible de faire la part entre les arguments
juridiques et théologiques dans les raisonnements du Saint-Office et de
la Propagande. Cependant l'approche juridique semble l'emporter
dans la résolution des questions missionnaires. Elle se traduit par
l'impressionnant développement du droit ecclésiastique qui assume
la redoutable responsabilité de donner réponse aux problèmes les
plus divers.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 177

Le succès remporté par les collections de décrets est le


symptôme de ce pouvoir grandissant des juristes. Des bureaux de la
Propagande sortent les collections les plus complètes d'actes
pontificaux. Nous avons précédemment rencontré les Collectanea et les
ouvrages de Raphaël de Martinis. On peut y ajouter l'œuvre du
minutante Zeferino Zitelli-Natali. Ses ouvrages de droit canonique
connaissent une diffusion importante en Italie : Apparatus jurìs
ecclesiastici in usum episcoporum et sacerdotum (1886); Enchiridion
(1880) qui comporte quatre éditions.
Il revient au droit canon de tenter de solutionner les cas que les
cours de théologie morale et de droit dispensés aux futurs
missionnaires n'ont pas prévu. C'est lui qui est chargé de traduire les normes
romaines en comportements pratiques et de trier les applications
souhaitables, tolérables ou condamnables. C'est lui qui ajuste la
règle, censée universelle, aux circonstances. C'est encore le droit
canon qui a la tâche de régler la vie interne des jeunes Eglises ou de
définir leurs relations avec leur environnement «païen», relations
des catholiques avec les non catholiques, rapports de l'institution et
des Etats. Le mariage tient une place de choix et il n'est pas
étonnant de retrouver Z. Zitelli-Natali au premier rang des auteurs
d'ouvrages de casuistique en renom avec son De dispensationibus matri-
monialibus (1887, 2ème édition). Du même coup, le droit latin
s'impose dans les missions lointaines au nom de l'unité et de
l'orthodoxie.

3 -La cohésion verticale entre Rome et les missions : de l'amélioration


de la communication à l'accroissement du contrôle.

La forte intégration obtenue par le choix des hommes et le


fonctionnement de l'institution confèrent une indéniable efficacité au
gouvernement de l'Eglise catholique. Mais la Propagande a la charge
de territoires immenses et dispersés dans le monde entier. Cela lui
impose de prêter une attention particulière aux moyens de
maintenir des liens étroits entre la base et le gouvernement romain. Sans
doute la révolution des moyens de transport et de communication
rend les liaisons plus faciles à la fin du XIXe s., mais l'intérieur de
l'Afrique ou de l'Asie, certaines îles du Pacifique ou de l'Océan
Indien demeurent d'un accès problématique. En outre les
missionnaires sont habituellement en liaison avec les supérieurs de leurs
instituts et sont donc prioritairement tournés vers la maison-mère
ou leur province, située le plus souvent en France, plus rarement en
Belgique (scheutistes, jésuites du Congo), en Hollande (Steyl), en
Allemagne (bénédictins de Saint Ottilien) ou en Italie (comboniens,
provinces de capucins et franciscains de l'Inde, de Chine ou d'Ery-
178 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

thrée). La croissance missionnaire du XIXe s. comportait le risque


de voir les forces centrifuges profiter de la conjoncture pour
privilégier les relations internes aux congrégations, risque accru par la
montée des nationalismes qui établissent une équation redoutable
entre action religieuse et influence nationale. Sensibilisée depuis le
XVIIe s. à ces dangers, la Propagande perfectionne sous Pie IX puis
Léon XIII un ensemble de dispositions qui renforcent au contraire
son autorité sur les missions.

L'application restrictive de la délégation de pouvoir.

Nous avons souligné précédemment que toute l'histoire de la


Propagande est commandée par la volonté romaine de reprendre la
direction effective des missions. Les décrets relatifs au statut des
chefs de mission sont particulièrement révélateurs de cet état
d'esprit. L'édition de 1893 récapitule en quatre sections le statut des
évêques et des vicaires apostoliques. Un premier ensemble de
décrets fixe leur juridiction. Le second s'intéresse aux devoirs qui
découlent de leur charge. Le troisième définit les privilèges respectifs
des uns et des autres. Enfin la quatrième section aborde la
concession des facultés. Il résulte de ces textes que la Propagande attache
la plus grande importance à matérialiser dans le droit la différence
de statut entre évêques résidentiels et vicaires apostoliques. Toute
une série d'avis viennent rappeler depuis 1669 que le vicaire
apostolique a une juridiction ordinaire, de droit ecclésiastique, non de
droit divin comme celle des évêques résidentiels23.
A la différence des évêques résidentiels, le vicaire (ou le préfet)
apostolique est placé par le Souverain pontife à la tête d'un territoire
de mission qu'il gouverne au nom et à la place du pape. Toutes les
restrictions apportées aux pouvoirs dont dispose l'évêque résidentiel
maintiennent les vicaires apostoliques, parfois symboliquement, dans
un statut de délégué de la papauté. Ils n'ont pas le droit de concéder des
indulgences dans les limites reconnues aux évêques24, ni d'avoir un
trône25; on ne les nomme pas au canon de la messe26 et on ne porte pas
la croix devant eux27. La Propagande maintient en 1883 cette
législation élaborée souvent au XVIIe et XVIIIe s.28. Elle oblige les vicaires et

23 Coll. 1893, p. 28, n° 50. C.P pro Sin.


24 Coll. 1893, p. 58, n° 123, 21 sept. 1843, S.C. P. pro Sin.
25 Coll. 1893, p. 58-59, n° 26. Au vie. ap. de Jaffna (Ceylan), 24 août 1852.
26 Coll. 1893, p. 58, n° 120, 13 janvier 1776.
27 Coll. 1893, p. 58, n° 122, S.C.P. pro Sin., 14 janvier 1793.
28 Coll. 1893, p. 60, n° 139, juillet 1883. S.C.P. au vie. ap. de Hong Kong
«Quod spectat ad petitiones Praesulum (Synodi regionalis) quibus postulatur ab
Apostolica Sede ut concédât privilegium constituendi thronum in Ecclesia pro
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 179

préfets apostoliques à solliciter régulièrement des facultés qui leur


sont accordés en petite quantité et pour une période limitée.
La dépendance initiale se trouve cependant progressivement
compliquée et brouillée par l'habitude d'accorder aux vicaires
apostoliques le «caractère episcopal», ce qui leur confère tous les
pouvoirs «d'ordre» d'un évêque, mais pas «de juridiction». Le droit
canon leur reconnaît en effet une juridiction ordinaire, de droit
ecclésiastique, et non de droit divin, comme celle des évêques
résidentiels. En clair le vicaire apostolique à caractère episcopal
continue d'exercer sa juridiction au nom du pape. Puis le statut
des chefs de mission franchit une nouvelle étape sur la voie de
l'uniformisation avec l'établissement d'une hiérarchie ordinaire aux
Indes et au Japon. A ce stade, les distinctions entre évêques
missionnaires et de chrétientés sont juridiquement abolies. Mais
l'héritage reste suffisamment fort pour maintenir l'épiscopat
missionnaire soumis à la Propagande dans une dépendance directe de
Rome qui lui est propre.

L'obligation de la visite ad limina adaptée aux conditions


des missions.

L'éloignement géographique des missions avait imposé à la


Propagande d'adapter l'obligation de la visite ad limina29 en lui
substituant des relations écrites. Mais les instructions, improvisées
au cours des années, ont donné lieu à des décisions
contradictoires. Un décret de 1626 accepte que la visite soit effectuée par
l'intermédiaire d'un procureur ou d'un ecclésiastique résidant à
Rome et jouissant de la confiance du prélat30. Le principe de la
visite semble encore davantage mis en question quand la
Propagande interdit en 1668 aux chefs de missions de quitter leur
territoire sans sa permission31, obligeant les intéressés à faire précéder
d'une première demande d'absence, parfois très longue à obtenir,
leur voyage au tombeau de Pierre. Avec l'amélioration des
transports est instituée l'obligation d'effectuer la visite tous les dix ans.
Dans l'intervalle, pour remplacer la venue à Rome, le dicastère

Vicario Apostolico, anteferendi crucem, et nominandi eumdem Praelatum in


Canone Missae censuit S.C. non esse annuendum.»
29 La visite ad limina apostolarum, seu sacrorum liminum, définie par la
Constitution Summus Pontifex de sixte V en 1585, comporte : 1. La visite rituelle
au tombeau des Apôtres Pierre et Paul. 2. L'audience pontificale. 3. La remise de
la relation sur l'état du diocèse à la congrégation du Concile.
30 Coll. 1893, p. 40, n° 82, 28 juillet 1626.
31 Coll. 1893, p. 85, n° 85, 10 juillet 1668.
180 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

demande d'adresser des relations écrites. Mais pendant longtemps


les modalités étaient restées floues, ce qui n'avait pas facilité le
respect d'une obligation souvent très mal remplie. Les textes
exigent alternativement ou simultanément une relation annuelle,
sorte de statistique des baptêmes et des sacrements, et une
relation quinquennale plus détaillée32. La législation s'éclaire et se fixe
enfin sous Pie IX.
Une lettre33 de la Propagande rappelle en 1849 l'obligation de la
Visite ad limina tous les dix ans, personnellement ou par
l'intermédiaire du procureur. Elle distingue34 les relations quinquennales qui
sont un compte rendu précis de l'état de la mission, et les relations
annuelles, limitées aux événements les plus importants.
Il restait à faire appliquer ces dispositions. Le survol des
Archives et des Index donne à penser que l'objectif est atteint sous
Léon XIII, non sans avoir dû affronter à la fin du pontificat
précédent quelques résistances. Mgr Corrigan, évêque de Newark,
avait pris prétexte que la Propagande n'existait pas en 1585, quand
Sixte V publia la constitution Summus Pontifex réglant la visite ad
limina, pour estimer qu'il n'était pas soumis à cette obligation. Le
congresso plénier se réunit le 1er février 1876 et lui donne tort35. Il
établit que les évêques dépendant de la Propagande et les vicaires
apostoliques sont tenus à la visite. Le dicastère en profite pour
préciser le cas des vicaires apostoliques dont le statut est ambigu,
puisqu'ils ne sont pas évêques et ne succèdent pas à des évêques «
ce qui est a situation des vicaires apostoliques anglais). La note de
l'archiviste observe qu'il est difficile de leur appliquer tous les
devoirs de l'ordinaire alors qu'ils n'en ont pas tous les droits. Elle
soulève aussi un problème d'interprétation que les Collectanea se
gardent bien d'évoquer : peut-on appliquer à toutes les missions
des instructions destinées primitivement à une région
géographique particulière? C'est le cas de l'obligation de la visite ad
limina et de la relation écrite périodique décidées en congrégation plé-
nière le 21 et 27 septembre 1843 : le décret concernait seulement
les vicaires apostoliques de l'Empire chinois et des royaumes
limitrophes.
La solution retenue témoigne du changement de mentalité. La
congrégation décide d'astreindre les missionnaires à la visite, non au
titre de la constitution de 1585 mais «ratione officii», tout en laissant
la possibilité de la remplacer par une relation écrite. L'uniformisa-

32 Coll. 1893, p. 42, n° 88, 20 sept. 1741. (statistiques annuelles); n° 90, 17 juin
1747 (relation annuelle); p. 43, n° 97, 31 oct. 1843 (Annuelle).
33 Coll. 1907, T. I, p. 565, n° 1039, 24 décembre 1849.
34 Distinction réapparue nettement en 1843 : Coll. 1893, p. 44, n° 98.
35 S.C.P.F. Acta 244 (1876), f. 7-15 v. 1er février 1876.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 181

tion et l'universalisation des règles se poursuit de la sorte au profit


de la centralisation romaine.

La déconcentration du pouvoir : mieux communiquer pour mieux


contrôler. L'exemple des déléqués apostoliques dans les Indes
orientales.
La communication régulière obtenue entre Rome et les
missions, par la correspondance, les visites, les procureurs suffit à la
coordination des efforts dans les situations communes. Elle devient
insuffisante dès lors que les missions sont confrontées à des
questions difficiles telles les missions de l'Inde, à la fin du XIXe s.
Affrontées à l'héritage du padroado et à la résistance de l'archevêque de
Goa, elles doivent composer avec l'administration coloniale
britannique qui introduit la législation laïque sur le mariage. Elles
entreprennent en ordre dispersé la formation d'un clergé indigène et se
heurtent aux structures socio-religieuses de la société hindoue.
L'information obtenue par les rapports et la rédaction de directives se
révèlent impuissantes à résoudre à distance d'aussi graves questions.
Ces différents obstacles ont déterminé Rome à choisir sous Pie
IX des vicaires apostoliques enquêteurs. Sous Léon XIII, la
Propagande décide d'envoyer un délégué chargé d'une mission
extraordinaire, puis d'établir un délégué apostolique permanent pour les
Indes orientales. Expérimentée d'abord avec l'Orient, étendue à
l'Amérique, ultérieurement aux Etats-Unis, la solution du délégué
apostolique permet une représentation officieuse, à défaut d'être
officielle, qui compense en partie l'absence de relations diplomatiques
avec le gouvernement du lieu. Le délégué est en effet le représentant
du Saint-Siège auprès du clergé et des fidèles. Mais comme il relève
de la Propagande, il a aussi compétence, dans une certaine mesure,
pour traiter des questions disciplinaires et pastorales.
Mgr Agliardi, minutante chargé des Indes orientales, est désigné
pour préparer le règlement du différend qui oppose le Saint-Siège et
le Portugal. Promu archevêque titulaire de Cesaree et pourvu
d'instructions de la Propagande, il entreprend un premier séjour (sept.
1884 - juin 1886) qui aboutit à la signature d'un concordat. Un
second séjour au début de 1887 l'amène à parcourir Ceylan et les
Indes, accompagné par Mgrs Aiuti (auditeur à Munich) et Zaleski,
désigné pour être son secrétaire. La Propagande entend ainsi veiller
à l'application du Concordat qui accompagne l'érection de la
Hiérarchie et la réunion des premiers synodes régionaux36.
Le rôle dévolu au délégué apostolique est clairement délimité

36 Pour la chronologie des missions et des décisions, voir J. Metzler in


Memoria rerum, III/l, p. 426-428. Sur cette mission, voir le récit de Mgr Zaleski : Voyage
182 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

dans les Instructions du 11 décembre 188637. Il tient son pouvoir du


pontife suprême dont il doit exécuter la volonté. Sa mission a pour
but de rapprocher le pouvoir central du terrain et d'obtenir que les
diocèses indiens soient soumis à l'autorité et aux normes de la
Propagande. Le mouvement essentiel est donc descendant. Certes il
prévoit d'écouter l'avis de la hiérarchie locale mais dans des limites très
strictes : les points sur lesquels le Concordat n'apporte pas de
réponse suffisamment précise; la délivrance de facultés
supplémentaires; l'application différée de certains points du droit
ecclésiastique commun en fonction des «circonstances locales». Ces
concessions restent minimes et ne mettent pas en cause le schéma
dominant de la centralisation et de l'uniformisation à terme. Ainsi
que le répète la conclusion des instructions, la logique du concordat
et de l'érection de la hiérarchie est une logique de «régularisation»
ou «normalisation».
Avec la nomination en 1887 de Mgr Aiuti, puis celle en 1892 de
Mgr Zaleski, en qualité de délégué apostolique permanent résident à
Ceylan, la fonction du délégué apostolique ne varie pas sur le fond.
Mais l'éloignement de l'Inde favorise une déconcentration de
l'autorité romaine et un dirigisme auxquels les missionnaires n'étaient pas
habitués. Zaleski est très représentatif de ces tendances à identifier
délégation et pleins pouvoirs. Comme Aiuti, il a accompagné Agliar-
di en 1887 et acquis une certaine connaissance de l'Inde. Cependant
le prélat polonais n'a pas d'expérience missionnaire. Sa formation
initiale à l'Académie des nobles ecclésiastiques et son passage à la
nonciature de Paris en qualité de secrétaire confortent son profil de
diplomate au service de Saint-Siège. Enfin la rapidité de sa
promotion (quarante ans quand il est nommé délégué apostolique le 27
février 1892) laisse penser qu'il a pu bénéficier d'appuis au sein de la
Curie, et il est difficile de ne pas s'interroger sur le rôle qu' a pu jouer
son origine polonaise38.
Sur le terrain, l'homme se veut explicitement l'incarnation du
pouvoir central. Amené à définir dans un long mémoire pour la
Propagande la tâche du délégué apostolique, Zaleski défend une
compréhension très extensive de la délégation :

à Ceylan et aux Indes. 1887, Rome, Impr. A. Befani, 1888, 427 p. (Biblioth. de l'U-
niv. de la Propagande).
37 A.C.P.F. Lettere 1886 (382), f. 679-680. Instructions à Mgr Agliardi,
délégué apostolique, Rome, 11 décembre 1886.
38 Ladislaw Zaleski, né le 26 mai 1852 à Wiolena (diocèse de Samogitien),
mort à Rome, patriarche d'Antioche le 5 octobre 1925. Cf. Ann. Pont. 1925, p. 173,
1926, p. 891... Cf. W. Malej. Patnarcha Zaleski. Delegai Apostolski Indii Wschod-
niej arcybiskup Teb, Patriarcha Antiochii, Rome, 1965.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 183

«(II) ne doit pas se contenter d'entretenir une correspondance


avec la Propagande et les évêques pour les affaires courantes. Il doit
s'efforcer de connaître en détail tout ce qui a un rapport avec sa
délégation, surveiller, diriger le développement de l'Eglise catholique et
son organisation, prévoir et prévenir les affaires plus graves, tenir
constamment au courant la S.C.P., en un mot être vraiment, comme
disent les canonistes, les yeux et les oreilles du Saint-Siège (l'occhio e
l'orecchio della S. Sede)»39.

Une telle interprétation de la fonction comporte un danger


évident de dérive. Investi de tous les pouvoirs, le délégué tend à
court-circuiter les relations directes entre la hiérarchie locale et la
Propagande. Zaleski obtient d'être avisé de la nomination des
évêques40, avec le risque de se substituer à terme à l'avis des
missionnaires ou de leur institut. Par zèle apostolique, Zaleski cherche à
multiplier les voyages dans les diocèses. Il intervient avec une
vigueur croissante dans les questions qui mettent en jeu, à ses yeux, la
liberté religieuse et la loi de l'Eglise. Rome va ainsi se trouver dans
l'obligation de corriger les excès de son représentant.
La Propagande dispose de plusieurs garde-fous, et d'abord du
contrôle de l'argent alloué au délégué. Les comptes rendus réguliers
envoyés par Zaleski attestent la réalité de ce contrôle41. En outre la
place d'Espagne lui interdit en 1895 d'effectuer une visite «formelle»
des missions42. S'il peut profiter de visites amicales pour rencontrer
les évêques des lieux, donner des conseils et faire des suggestions
dans l'intérêt de la mission, le délégué doit respecter l'autonomie de
l'ordinaire. Zaleski met sur le compte d'une mauvaise formulation et
de sa connaissance imparfaite de l'italien (!) les empiétements de
pouvoir qu'on lui reproche. Il se défend d'avoir imaginé une visite
officielle, véritable inspection des évêchés, et prétend chercher
seulement le contact personnel avec le clergé dans les missions qui
connaissent des difficultés ou des tensions. Le désaccord surmonté,

39 A.C.P.F. N.S. vol. 261 (1903), rub. 128. «Appunti confidenziali sullo stato
della Delegazione», Rome, 25 mai 1902, f. 154 v.
40 A.C.P. F. N.S. voi. 166 (1899). Kandy le 14 novembre 1898. Zaleski à Ledo-
chowski. Il se plaint d'apprendre par les journaux la nomination des évêques et
d'en avoir confirmation seulement par les élus qui lui annoncent leur prochaine
consécration episcopale. «Sarebbe desiderante che la nomine dei vescovi nelle
limiti di questa Delegazione mi fossero communicate subito.
41A.C.P.F. N.S. 76 (1896) f. 138-139; 138 (1898) f. 40-42...
42 A.C.P.F. N.S. 76 (1896) f. 119-121. Zaleski à Ledochowski, Kandy, 23 juillet
1895 : projet de visite des missions et demande des dispenses, f. 122 : refus en
congresso; n'est pas dans les attributions du délégué apostolique, f. 126r-v :
Ledochowski à Zaleski, Rome, 11 novembre 1895. Informe du refus et autorise des
visites amicales et informelles.
184 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Zaleski entreprend un voyage informel de trois mois à travers les


Indes.
Les explications du délégué ne lèvent pas les ambiguïtés liées à
sa position de représentant officiel, «œil et oreille» de la
Propagande. Cependant le système comporte des possibilités de
rééquilibrage. En premier lieu la Propagande est trop jalouse de ses
compétences pour s'en laisser dessaisir par un représentant local auquel on
rappelle régulièrement sa qualité de simple délégué. En second lieu,
les réseaux de relations entre les évêques, les instituts missionnaires
et la Propagande, échappent au délégué apostolique.

Le rôle des procures dans le renforcement de la centralisation :


les conséquences ambivalentes d'une logique.

Tout le fonctionnement de la Curie tend donc à tourner les


sociétés missionnaires vers la cité pontificale. Or les affaires se traitent
à Rome, par un agent, ce qui fournit traditionnellement à de
nombreux ecclésiastiques un moyen de subsister43. Les instituts anciens
ont tous en 1878 une représentation à Rome. Celle-ci n'est pourtant
pas toujours suffisante : le cardinal Simeoni presse en 1887 le
général des jésuites de désigner un père chargé exclusivement des
problèmes missionnaires, pour traiter les affaires de vive voix44.
Mais pour les nombreuses sociétés missionnaires fondées au
XIXe s. l'investissement que représente l'ouverture d'une procure
provoque bien des hésitations. Pourtant, les unes après les autres,
elles doivent se résoudre à franchir le pas, assez vite pour les pères
blancs (1886) dont le fondateur, ancien auditeur de Rote, sait
l'importance de ce relais, plus tardivement pour les missions africaines
de Lyon45 (1894), toujours hébergées à titre provisoire par le
Séminaire français en 1903. A la même date l'annuaire pontifical atteste
la présence à Rome de représentants de la plupart des instituts
missionnaires, à l'exception des missions étrangères de Milan, des
missionnaires du Cœur-Immaculée de Marie de Scheutveld (scheu-
tistes), des missionnaires de Vérone, des prêtres de Picpus. Ces
procures abritent fréquemment une petite maison d'études qui accueille
quelques étudiants en théologie (maristes, pères blancs, pères de
Steyl ou du Verbe divin, pallotins, assomptionnistes, pères de la Sa-
lette...)46.

44 ARSI,
43 F. Grimaldi...
Missions,op.SCP
cit. 1887-1891,
p. 37. Varia, 3,1,2. Simeoni au Général, Rome,
22 juillet 1887.
45 A.S.M.A. Rome, vol. I, 4 juin 1894, nomination du P. Poirier comme
procureur.
46 Cf. Rome. Le chef suprême..., p. 652.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 185

Dans un contexte de développement des relations entre les


missions et Rome, les procureurs constituent désormais un relais
nécessaire pour satisfaire à l'obligation des visites ad limina et simplifier
une correspondance dont le volume ne cesse de croître. Le
procureur, à l'image du père Burtin installé par Lavigerie, s'initie aux
coutumes romaines, repère les interlocuteurs adéquats, filtre et
ventile les demandes de ses confrères. Il allège de la sorte le travail de la
Propagande, humanise les contacts, accélère la marche des dossiers,
informe de la situation à Rome, en un mot devient «l'œil et les
oreilles» de sa société. A l'effort de la Propagande pour se
rapprocher des missionnaires répond celui des missions pour s'installer à
proximité du gouvernement de l'Eglise.
Etablies pour faire entendre la voix des sociétés et obtenir une
réponse rapide aux problèmes posés, les procures ont aussi eu pour
résultat l'aspiration vers le centre que certains avaient pressentie et
parfois redoutée. Le déplacement des directions d'instituts vers le
centre romain de l'Eglise, complété par l'ouverture de collèges
religieux47, plus tard des maisons généralices, enfin à une époque
récente le transfert des archives, est entamé dès le XIXe s.
Le père Delpech exprime à plusieurs reprises dans son journal
les hésitations de sa société partagée entre le souci d'affirmer sa
soumission à la volonté pontificale et de préserver ses traditions. Il
enregistre que les Lazaristes, présents en force à Rome (200 prêtres, 3
ou 400 élèves) ont bénéficié d'un discours spécial du Saint Père en
réponse à leur pèlerinage pour célébrer le cinquantième
anniversaire e la consécration episcopale de Léon XIII. «Dans ce discours,
j'ai surtout remarqué combien le Saint Père loue les prêtres de la
Mission d'avoir établi un scolasticat à Rome.»48 Un mois plus tard, il
s'inquiète des paroles adressées par Léon XIII au procureur Caze-
nave à l'occasion de l'audience du 2 février 1893 :
- «Vous êtes des Missions Etrangères?
- Oui, Très Saint Père.
- Mais de Paris?
- Oui, Très Saint Père.
Je lui ai alors demandé la bénédiction pour le Séminaire et les
Missions. Le Saint Père a répondu : «Je vous la donne. Et combien
êtes-vous ici?
- Nous ne sommes que deux. Nous n'avons ici qu'une procure.

47 On relève en 1903 à Rome : un collège international lazariste, un collège


des pères du Sacré-Cœur d'Issoudun et d'une certaine manière le séminaire
français dirigé par les spiritains,
48 A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. 4, 28 janvier 1893.
186 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

- Ah vous n'avez qu'une Procure?


- Non, Très Saint Père.»49
Le procureur n'aura pas le temps d'expliquer que quelques
séminaristes sont aussi présents à Rome. L'aspiration vers le centre
s'accentue; elle pose à terme la question du maintien des spécificités,
aussi bien juridiques que spirituelles, dans une logique
d'uniformisation.

Centralisation et recours systématique à Rome : les limites d'une


logique.
Dans l'immédiat cet effort continu de centralisation engendre en
effet des effets pervers qui neutralisent les «gains de productivité»
obtenus en rapprochant le centre romain de ses interlocuteurs, ici
par les procureurs, là-bas par les délégués apostoliques. Tout
devient prétexte à consulter la Propagande pour vérifier la conformité
des usages missionnaires au modèle romain. Une véritable boulimie
réglementaire s'empare des missions, selon une spirale où la
demande de la base alimente la volonté normalisatrice du centre,
laquelle renforce chez les missionnaires l'obsession d'agir selon les
normes, et donc les conduit à soumettre de nouveaux cas.
En témoignent les interminables listes de demandes conservées
après 1893 dans les rubriques des Nuove serie n° 42 (Sacri Riti,
liturgia...), 45 (Feste), 46 (astinenze, digiuni), 58 (Facoltà)...
Les demandes de pouvoirs et d'éclaircissements expédiées par
H. Bricet, préfet apostolique du Dahomey, mission emblématique
de l'Afrique noire «sauvage et primitive», résument mieux que tout
discours l'extraordinaire diversité des consultations et l'obsession de
se conformer sur toutes les matières à la norme romaine50.
1. Autorisation de suivre le cérémonial de Benoît XV pour
certaines fêtes dans les églises non paroissiales.
2. Transférer la solennité de la fête de St Jean-Baptiste au
dimanche suivant à Ouidah où les fidèles ont une grande dévotion
pour ce saint.
3. Pouvoir pour le missionnaire de confesser jusqu'au port de
débarquement en France.
4. Le préfet apostolique peut-il autoriser l'impression en langue
indigène des catéchismes, petits livres de prières, cantiques...?
5. Peut-on traduire l'évangile du second dimanche de carême
«ses habits devinrent la blancheur même»51?

49 Ibid. 10 février 1893.


50 A.S.M.A. 2 E 19. Lettre d'H. Bricet à Ledochowski, 9 septembre 1898.
51 Pour remplacer dans le récit de la transfiguration «blanc comme neige»,
comparaison peu compréhensible au Dahomey...
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 187

6. Demande d'induit pour exercer le ministère auprès des sœurs


de N.D. des Apôtres qui sont seulement autorisées par l'évêque
diocésain de Grenoble, Fava.
7. Induit pour utiliser des lunules où l'Hostie touche le verre de
l'ostensoir : les missionnaires sont trop pauvres pour en acheter
d'autres.
8. Faculté de bénir les églises et les cloches.
9. Deux païens et deux païennes vont finir le catéchuménat; ils
seront mariés le jour de leurs baptêmes : faut-il publier les bans?
10. Quand, faute de cimetière, on enterre les morts dans les
maisons, est-il permis de bénir les tombes?
11. Si oui, le clergé peut-il après l'office conduire processionnel-
lement le défunt à la maison où il doit être enterré?
12. Un catholique peut-il enseigner les sciences profanes pour
gagner son pain dans une petite église protestante?
13. Demande d'approbation de la dédicace d'une église à St
Antoine de Padoue.
14. La S.C.P. (Instruction du 1er juin 1877) rappelle que pour le
rapport quinquennal sur les Missions le temps doit être compté à
partir de la Bulle de Sixte-Quint (20 décembre 1585). D'autre part ce
rapport fut demandé à son prédécesseur par la S.C. Propagande le
24 octobre 1893. A partir de quelle date doit-il compter les 5 ans?
Les Collectanea elles-mêmes sélectionnent des réponses dont le
caractère surréaliste ne doit pas faire oublier qu'elles ont été
suffisamment jugées exemplaires en leur temps pour figurer dans le
recueil. La matière première à employer pour la fabrication des
cierges, du vin de messe. ... ou la construction des églises, la liturgie
à suivre, la manière de célébrer la messe sur les navires, les
inclinaisons de la tête à la messe, le port d'un couvre-chef par le prêtre
célébrant la messe en Chine, la bénédiction des cloches, le port et la
matière des vêtements liturgiques, l'usage des cantiques en langue ver-
naculaire, la récitation de l'office divin : tout devient prétexte à
légiférer52. Toute situation nouvelle, qu'elle soit liée au progrès
technique (l'usage du télégraphe avec Rome comme celui du téléphone
dans les monastères) ou surgisse du contact avec d'autres cultures,
appelle une règle universelle.
L'action de la Propagande participe à ce vaste mouvement
d'uniformisation romaine que la littérature missionnaire récente,
soucieuse de répondre aux accusations d'ethnocentrisme occidental,
minimise volontiers. Pourtant il ne nous paraît pas contestable que

52 On trouvera sur tous ces thèmes les références aux décrets concernés dans
l'Index des Collectanea, 1907. Consulter notamment les termes cera, vinum,
ecclesia, campanae, cantus, inclinatio, indumenta, missa (de missa ritibus), offi-
cium divinum, pileum, pyxis, stola, vinum...
188 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

l'état d'esprit dominant autour de 1900 est aux antipodes d'un souci
de reconnaissance du pluralisme culturel. Le respect dû aux rites
orientaux traditionnels, hautement affirmé par Léon XIII, n'induit
pas qu'on puisse autoriser de nouvelles exceptions pour les jeunes
Eglises. Si la Propagande a une section qui tient compte de la
spécificité des rites orientaux, sa principale branche, appelée d'ailleurs
dans le langage courant section latine, ne conçoit pas que les
missions fondées en Afrique, en Asie, en Oceanie ne se moulent pas
dans la matrice latine du catholicisme.

4 - Administration et relations humaines. L'indispensable lien


personnel au pape.

Au terme de ce parcours, l'intégration de la Propagande à


l'ensemble de la Curie apparaît le résultat d'un processus continu.
Désormais la Propagande dispose en droit dans les missions d'une
autorité complète qu'elle avait vainement revendiqué avant la
Révolution française. Un seul secteur échappe sous Léon XIII à son
pouvoir : le financement des missions et la gestion du temporel.
Mais le perfectionnement et le renforcement des rouages
administratifs ne doit pas occulter la place occupée dans ce système par les
relations personnelles, particulièrement la relation au Pape.
Vigoureusement engagée sous Pie IX, amplifiée par Léon XIII, l'exaltation
de la primauté romaine et de la fidélité au successeur de Pierre,
Vicaire du Christ, nourrit et mobilise le monde missionnaire. «Aussi,
dès le matin de la Pentecôte, la Mission commence : Pierre en est le
chef»53. La relation à Rome est désormais un lien vital qui engage la
tête aussi bien que le cœur des catholiques. L'expérience
missionnaire, avec ses dangers et l'éloignement géographique, semble
amplifier l'attachement à la personne du pape. Le missionnaire en fait
une composante majeure de sa prédication. Les premiers pères
blancs installés au Buganda, près du lac Victoria, entreprennent la
catéchèse du roi Mtesa en lui parlant «de l'Evangile, du pape, des
actes de Foi, d'Espérance et de Charité...»54. Quelques années plus
tard, ils dénoncent la propagande protestante et britannique accusée
de répandre un «nouvel hymne national» antipapiste, reconnaissant
implicitement la place occupée par la papauté dans les compétitions
entre missionnaires de différentes confessions55. Aussi n'est-il pas

53 Mgr Le Roy, super, des spiritains, La Propagande. Lyon, Imp. J. Poncet,


1905, 30 p., p. 5.
54 A.P.B1. (UG) Diaire de Rubaga., p. 23 (22 août 1879).
55 Ibid. p. 204 (29 mars 1892). «Ne me fais pas asseoir comme le pape est
assis / Ne me fais pas faire comme le Pape fait / Ne me fais pas manger comme le
Pape mange / Les Anglais ont chassé le Pape.
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 189

étonnant de les entendre raconter la douleur causée chez leurs


néophytes par la mort de Léon XIII. «C'est lui, disent-ils, qui nous a
envoyé des prêtres pour nous tirer du Busicu.» Et le 27 juillet 1903 ils
célèbrent une messe solennelle de Requiem qui attire tous les
chrétiens «venus prier pour leur premier Père dans la Foi.»56
La personnalisation du pouvoir confère à chaque rencontre avec
le Souverain pontife une valeur sentimentale qui relègue au second
plan les légitimations doctrinales et juridiques. L'invitation adressée
par Léon XIII à Burtin pour qu'il vienne voir dans les jardins du
Vatican les deux gazelles offertes par Lavigerie constituent pour les
missionnaires d'Alger le plus beau succès. Ils ont ainsi le privilège
d'entrer dans l'intimité du pontife et d'être présents à ses
délassements :
«Sa Sainteté semble beaucoup désirer une autruche, ou bien
quelque autre animal qui ne soit par dangereux ou féroce... Le Saint
Père aurait voulu que je lui fasse immédiatement un rapport lui
indiquant quels seraient les animaux d'Afrique qu'on pourrait se
procurer... Depuis que les deux gazelles sont installées dans le nouveau
parc, le pape va les voir presque tous les jours. Il entre dans l'enclos. Il
les appelle et les caresse avec bonté; c'est sa récréation.»57

La correspondance des supérieurs des instituts est riche de


témoignages semblables sur l'affection portée à la personne du
Souverain Pontife. Il suffit pour s'en convaincre de lire le journal
personnel du père Delpech qui note avec un souci d'extrême exactitude les
jubilés, les cadeaux58, les malheurs qui affectent Léon XIII. Pour le
supérieur des M.E.P. aussi, les rencontres physiques du Vicaire du
Christ, directement59 ou par procureur interposé60, constituent un
sommet de la vie religieuse. Il cache mal son émotion quand il
recopie dans son journal le récit que Madame de Saint Jean, bienfaitrice
des missionnaires, directrice de l'œuvre des Partants, lui a envoyé
après son audience avec le pape61.
Sans doute, derrière la description d'une affection partagée
affleurent ainsi les compétitions entre les hommes. Il est tentant d'iro-

56 Ibid. p. 304(25 et 27 juillet 1903).


57 A.P.B1. T. 1156, Burtin à Livinhac, 13 décembre 1888.
58 A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. VI, 27 mai 1895. Cazenave a offert le 20
mai L'Histoire générale des M.E.P. à Mgr Angeli, secrétaire particulier du Pape.
59 A.M.E.P. Journal de Delpech, Rome, 20 juin 1883. «Très Saint Père,
(procureur général des MEP) depuis trois ans, et obligé de me rendre à Paris pour
quelques mois, j'éprouve le besoin de solliciter votre sainte bénédiction.« Delpech
est élu supérieur lors de ce séjour à Paris...
60 Ibid. Par exemple vol. IV, 10 février 1893, audience de Léon XIII à
Cazenave pour la remise «du cierge traditionnel» offert le 2 février à l'occasion de la
fête de la Purification de la Vierge.
61 Ibid., vol. VI, 13 décembre 1894.
190 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

niser sur la sincérité des démarches. Dans une micro - société


qu'agitent les rumeurs, les rivalités et les ambitions, la quête du pouvoir
est omniprésente et les sociétés missionnaires ont aussi leurs
rivalités internes parfois mesquines. La distribution des objets
rassemblés pour une Exposition vaticane suffit pour susciter des réactions
peu fraternelles.
«La Propagande vient de distribuer aux différentes sociétés de
Missionnaires les objets de l'Exposition vaticane que le Comité
distributeur lui avait adressés pour les missions... Il paraît que les
différents procureurs n'ont pas été satisfaits de la part qui leur a été faite.
Ils ont reçu chacun trois ou quatre chapelles de missions... Son
Eminence m'a fait recommander par son secrétaire Mgr Zecchini de ne
dire à personne ce qu'il m'avait donné. Nos chers missions ont donc
reçu 10 valises de la Propagande et 5 du Vatican, dont 1 episcopale,
par l'entremise du Comte Pecci.»62

Cependant l'ardeur des luttes pour augmenter des influences,


conquérir le pouvoir, plus ou moins masquée par la façade d'union
qu'impose la déontologie ecclésiastique, cède devant l'attachement
au chef suprême.
La personnalisation des relations de travail ne se limite pas au
pape. Toute la Curie y participe, notamment par la généralisation du
recours au cardinal protecteur que choisissent les instituts religieux.
La liste des instituts, des associations et des confrères protégés
mesure pour une part le prestige et l'influence des prélats. Parocchi,
Rampolla, Vincenzo Vannutelli se distinguent particulièrement dans
ce domaine par le nombre imposant de communautés placées sous
leur patronage. La vie de la Propagande voit, elle aussi, interférer en
permanence des relations administratives classiques, fonctionnelles,
et d'autres sur un registre quasiment affectif. Si certaines démarches
peuvent apparaître formelles (présentation de vœux plus ou moins
spontanées, organisation des jubilés63), d'autres illustrent une claire

62 A.P.B1. Τ 1150, Burtin à Lavigerie, Rome, 18 novembre 1888. Deux jours


plus tard Burtin doit déchanter. Les objets remis ne correspondent pas à ceux
promis et sont de médiocre qualité. Il accuse Mgr Volpe (majordome de Sa
Sainteté) de considérer un ornement pontifical venu de Brescia «trop cher et trop
beau pour être envoyé à Carthage, pauvre petite cathédrale d'Afrique» (Ibid. T.
1155, 12 novembre 1888).
63 A.P.Bl. 1-7, n° 86. Burtin à Livinhac, 6 juin 1895. «Le Secrétaire de la
Propagande me charge de vous avertir officiellement que S.E. le cardinal Préfet
célébrera son jubilé sacerdotal le 13 juillet prochain.
Il vous prie de rédiger pour cette époque une adrese de félicitations au nom
de toute la Société, que vous m'enverrez assez à temps pour qu'elle puisse être
remise au cardinal le jour du jubilé. Je crois que Votre Grandeur ferait bien de lui
envoyer une caisse de vin de différentes années de la Maison-Carrée, ou bien
toute autre chose comme cadeau.»
COHÉSION INTERNE ET INTÉGRATION DE LA PROPAGANDE À LA CURIE 191

volonté d'exprimer des sentiments personnels. Le préfet de la


Propagande bénéficie évidemment d'une attention particulière à
l'occasion de sa fête, d'événements privés (deuils) ou de maladies. Les
sociétés missionnaires s'emploient aussi à gagner le cœur des
employés de la Propagande et de l'entourage pontifical par des gages
d'attachement.
Sans exclure les arrières-pensées et l'ambivalence de certains
comportements, les témoignages amicaux introduisent une
épaisseur humaine dans un univers clérical, masculin, bureaucratique et
hiérarchisé. Ils amortissent les effets d'une autorité qui n'admet
guère la discussion. Ils insufflent aux échanges administratifs un
supplément d'âme et conduisent les responsables des sociétés
missionnaires à multiplier les signes concrets de sympathie (au sens
étymologique), y compris sous la forme d'envois des caisses de vin doux
aux uns64, d'invitations, telles celles du père Planque à l'adresse des
minutanti65.
Aux sentiments exprimés par les missionnaires, la Propagande
répond en assurant ses interlocuteurs de l'affection pontificale. Dans
ce sens également les cadeaux ont leur place66, mais encore plus les
faveurs spirituelles que sont les bénédictions et indulgences. C'est
encore le rôle du Préfet de trouver les mots qui tempéreront le
caractère impersonnel du jugement porté par les commissions sur les
relations quinquennales qu'elles ont examinées. Toutes ces
manifestations concourent à créer un climat typiquement catholique romain
où l'on partage avec intensité les événements heureux et douloureux.
La fierté née des progrès du catholicisme ou l'émotion suscitée par
les martyres d'Ouganda et les persécutions de Chine révèlent une
solidarité fondamentale au-delà de la comédie des intrigues de cour et
des compétitions intestines. Sans cette connivence entre le «centre»
et la «périphérie», la mobilisation des catholiques et l'adhésion
consensuelle aux objectifs missionnaires romains n'eût pas été
durable.

64 «Je crois que Votre Grandeur ferait bien de me faire adresser, par petite
vitesse, trois caisses de vin doux, dont l'une serait offerte au maître de Chambre du
pape, l'autre au majordome et enfin, la troisième, à S.E. le Cardinal Satolli,
l'ancien professeur de nos Pères à la Propagande, qui m'a manifesté le désir de
goûter notre vin que lui ont tant vanté certains prêtres canadiens. Les deux premiers
prélats me rendent d'immenses services pour nos bienfaiteurs qui viennent à
Rome, en me donnant des billets d'audience ou de consistoire, et je ne sais
comment les remercier.» (A.P.Bl. 1-7, n° 1254, Burtin à Lavigerie, 23 novembre 1896).
65 A.S.M.A. Lettres du supérieur Planque, T. X (1883-1884). Lyon, le 20
septembre 1883. Le destinataire n'est pas mentionné.
66 Ibid. f. 882. Mgr Leray, V. Ap. des îles Gilbert, au T. St Père. Boutaritari, le
10 décembre 1901. «C'est avec une vive reconnaissance que nous avons reçu les
deux précieux chapelets bénits par Votre Sainteté. Merci mille fois, T. St P., pour
cette délicate attention...».
192 RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE

Mais ce constat d'une emprise de plus en plus forte du centre


romain, ici à travers la Propagande, est-il entièrement fondé? Ne
sommes-nous pas victimes d'une illusion d'optique quand, à partir
de l'accumulation des décrets et des interventions romaines, nous
concluons à un encadrement rigide des missions. Mgr Le Roy,
supérieur générale des spiritains, trace en 1905 un tableau de la
Propagande qui semble contredire notre analyse67.
«Ce respect de l'initiative privée, la Propagande le montre en tout.
Elle n'impose à ses missionnaires aucune méthode, aucun livre,
aucun système. Mise en présence d'un abus, elle le signale. Mais elle
laisse chaque chef de mission, chaque congrégation, chaque corps
d'ouvriers apostoliques suivre l'organisation qui lui paraît la
meilleure, en égard au pays et aux circonstances locales... Organe de la
Providence de Dieu, le Saint-Siège aime que les hommes prennent
l'initiative du salut de leurs frères et ne respecte rien tant que leur
liberté.»
De fait notre démarche a jusqu'ici résolument privilégié le
fonctionnement de la Propagande en tant qu'institution au sein du
gouvernement de l'Eglise. Une telle approche imposait d'analyser la
direction des missions comme un tout pour en rechercher la logique
interne et la place dans le gouvernement pontificai. Elle a
provisoirement mis entre parenthèses la réalité quotidienne des liens
entre la congrégation et les missions. Or la gestion des affaires
ordinaires peut seule rendre compte du rôle concret de la Propagande,
donner la mesure de son emprise, révéler les espaces qui échappent
au contrôle et les contre-pouvoirs qui tempèrent l'apparente toute-
puissance romaine. Notre seconde partie visera donc à confronter
l'image qui s'est dégagée jusqu'ici à l'impact réel du dicastère dans la
vie des missions.

Mgr Le Roy, La Propagande, op. cit. p. 29-30.


DEUXIÈME PARTIE

LA DIRECTION DES MISSIONS


PAR LA CONGRÉGATION DE LA PROPAGANDE.
PRINCIPES, INSTRUMENTS
ET CHAMPS D'INTERVENTION
CHAPITRE 7

LA PLACE DE LA PROPAGANDE DANS


L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONNAIRE

1 - L'instruction de 1659 est-elle la charte des missions selon la


Propagande?

Si les textes fondateurs de la Propagande définissent la


juridiction de la nouvelle congrégation romaine, son organisation, ses
objectifs, ils ne s'intéressent guère aux modalités pratiques de l'action
missionnaire. La missiologie contemporaine a donc pris l'habitude
de combler cette lacune en se référant à l'instruction adressée par A-
lexandre VI le 10 novembre 1659 «à l'usage des Vicaires Apostoliques
en partance pour les royaumes chinois de Tonkin et de Co-
chinchine». Plusieurs auteurs la qualifient de «charte des missions»
ou «magna carta» élaborée par la Propagande. Ce document jouit
d'une telle place dans la littérature récente qu'il est nécessaire de
rappeler succinctement son contenu.
La première section décrit, sous le titre Antequam discedant, les
qualités requises pour la mission afin de définir les critères à retenir
dans le choix des missionnaires. Elle insiste sur la capacité du
candidat à s'adapter au tempérament et aux mœurs de l'autre,
missionnaire ou étranger, se référant, par allusion, à la parole de l'Apôtre
Paul «je me suis fait tout à tous pour que quelques-uns soient sauvés
(1 Co. 9/22) »Κ Elle revient à plusieurs reprises sur la nécessité de
mener les opérations en concertation avec la Propagande et dans la
subordination à ses directives.
La seconde section (In ipso innere) regroupe des conseils sur les
itinéraires à suivre, la nécessité de voyager incognito2 et les moyens
de communiquer avec la Propagande pour que l'expérience des pre-

1 Nous citons l'Instruction de 1659 d'après le texte établi par J. Guennou (dit
texte B) et publié in Memoria rerum III/2 p. 697-704.
... «denique ad Evangelicae Charitatis normam efformati, aliorum se
ingenio ac moribus accomodantes, nec sociis, quibuscum vixerint, graves nec exteris
invisi, ingrative reddantur, sed cum Apostolo fiant omnia omnibus.»
2 Le secret et l'anonymat sont rendus nécessaires par les prétentions du Pa-
droado à assurer lui-même la mission.
196 LA DIRECTION DES MISSIONS

miers missionnaires serve aux suivants. L'obligation de relations


précises et régulières y est largement développée.
La troisième section (in ipsa missione) expose plus
longuement la nature de la mission confiée aux mandataires du Saint-
Siège. L'objectif prioritaire est sans équivoque : préparer de
jeunes autochtones à recevoir l'ordination sacerdotale. Il prévoit
la consécration des évêques dans un délai limité mais réserve
cependant la décision à la Propagande. L'obéissance au pape est
ensuite présentée comme la condition de l'unité et de la fidélité à
la vraie doctrine. Elle commande de consulter Rome pour toutes
les affaires grave, d'inculquer «aux Chinois et autres peuples
évangélisés» la soumission au pontife romain et le sentiment de
sa sollicitude, manifestée par l'envoi d'évêques, d'envisager
éventuellement la nomination de nonces. La valorisation du lien
matériel et spirituel au Souverain pontife est telle que plusieurs
paragraphes sont consacrés aux manières de maintenir une
correspondance sûre et permanente entre les missionnaires et la
Propagande.
La façon de conduire l'évangélisation est ensuite traitée à partir
des questions qui, depuis le réveil du XVIe s., ont suscité le plus de
difficultés aux Indes, en Chine et au Japon. Les directives sont très
nettes :
- le missionnaire doit se tenir éloigné de la politique et des
affaires de l'Etat, fuyant toute attitude équivoque susceptible d'éveiller
les soupçons. Il prêchera l'obéissance aux princes, même ceux qui le
persécutent, et se gardera absolument de prendre parti dans les
luttes.
- le missionnaire doit respecter tous les rites et les usages qui ne
sont pas «détestables». Au lieu de comparer les mœurs du pays avec
ceux de l'Europe, il s'empressera de s'habituer aux usages locaux,
louant ceux qui le méritent, ne condamnant rien inconsidérément,
redressant insensiblement ceux qui sont mauvais.
- la division stricte des territoires confiés aux missionnaires
prévient la tentation de s'immiscer dans les affaires du voisin. Elle
favorise l'ordre et la paix que les vicaires apostoliques auront à cœur de
préserver parmi les missionnaires et le clergé.
- la vie matérielle de la mission doit se caractériser par la
pauvreté dont les apôtres donnent l'exemple en gagnant de leurs
mains ce qui leur est nécessaire. Elle est la garantie de la liberté
de parole.
- l'instruction de la jeunesse est nécessaire à la formation d'un
clergé indigène. Des écoles seront donc ouvertes «avec grand soin et
sans retard.» Cette recommandation conclut très logiquement la
lettre puisqu'elle ramène au point de départ de la troisième section.
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 197

Elle précise la nécessité d'enseigner le latin et d'utiliser la langue


vulgaire pour transmettre la doctrine chrétienne3.
L'importance de ces Instructions n'est pas contestable. Elles
tracent, pour la première fois, des objectifs précis, proposent des
moyens pour les atteindre, en somme définissent une politique, une
stratégie, un directoire. Elaborées à partir d'une collecte des actes et
des archives de la congrégation par un prêtre écossais agrégé aux
M.E.P., William Leslie, remaniées par Mgr Alberizzi, secrétaire de la
Propagande, discutées et définitivement établies au cours d'une
assemblée plénière des cardinaux, les Instructions de 1659 sont le fruit
d'une démarche collective qui leur confère une portée générale4. J.
Metzler y voit la synthèse posthume de toute la pensée d'Ingoii : «On
peut considérer comme document définitif, où est résumé le
parachèvement du programme de la Congrégation, la grandiose
Instruction de 1659 aux Vicaires Apostoliques d'Indochine... Cette
Instruction servit d'ailleurs de base aux «Instructiones ad munera
apostolica rite obeunda perutiles» qui furent rédigées quelques années plus
tard par les Vicaires apostoliques eux-mêmes et qui furent
imprimées sur les presses de la S. Congrégation. Pendant bien longtemps
ces Instructions allaient servir de 'Manuel' pour les missionnaires de
la Propagande.»5
Arguant de l'ancienneté de la déclaration et soulignant le soin
apporté à sa rédaction, toute une historiographie missionnaire s'est
ainsi développée pour affirmer que la papauté, en créant la
Propagande, poursuivait un plan qui avait un triple but :
- créer des Eglises complètes avec un clergé autochtone.
- sauvegarder l'indépendance de la mission par rapport à la
«politique« (puissances coloniales et gouvernements des pays évangéli-
sés). La subordination étroite à Rome, l'obligation d'en référer à la
Propagande pour toute décision importante, la pauvreté évangé-
lique, le refus des honneurs et du pouvoir sont revendiqués dès 1659
pour permettre cette indépendance.
- prôner le respect des cultures non occidentales et ouvrir ainsi
la voie à l'adaptation du catholicisme.
L'histoire des missions depuis le XVIIe s. serait donc celle de la
réalisation progressive de ce programme grâce à l'action
persévérante de la papauté. En d'autres termes, Rome aurait pour l'essentiel

3 Pour une analyse plus fine et la bibliographie voir J. Metzler, Memoria re-
rum vol. I/I, p. 165-172.
4 Bonne synthèse de la genèse et de la postérité de l'Instruction in : Massimo
Marcocchi, Colonalismo, cristianesimo e culture extraeuropee, Milano, Jaca Book,
1980, 88 p., p. 51-59
5 J. Metzler, Memoria rerum I/I, p. 165.
198 LA DIRECTION DES MISSIONS

anticipé les aspirations contemporaines. Le retard apporté à


l'application intégrale du plan viendrait des contraintes de la conjoncture.
La persévérance pontificale aurait finalement permis de dégager le
catholicisme de ses compromissions provisoires et de ses alliances
contre nature.
Cette lecture ultramontaine, et quelque peu hégélienne,
imprègne la plupart des interprétations actuelles, sans manifester
toujours l'érudition minutieuse et argumentée d'un J. Metzler6. Les
arrière-pensées n'en sont d'ailleurs pas absentes car elle présente
l'avantage d'expliquer des errements anciens en préservant la pureté
des intentions. De ce fait, elle rapporte à la papauté et à la
Propagande le mérite de la fidélité aux principes évangéliques
constamment menacés et parfois contaminés par le contexte
historique.
Pourtant l'existence d'une doctrine missionnaire permanente est
loin d'être acquise. La plupart des auteurs esquivent en effet le
problème du sort réservé à ces instructions au cours des périodes
suivantes. Pour nous en tenir au pontificat de Léon XIII et aux années
qui le suivent immédiatement, plusieurs indices incitent à la
prudence avant d'admettre le caractère normatif des Instructions de
1659. Elles trouvent bien place dans les deux versions des
Collectanea mais de manière tronquée en 18937 et sous forme de morceaux
choisis en 19078. Les deux instructions les plus élaborées de la
période que nous étudions les utilisent partiellement : Quae a praesuli-
bus (aux vicaires apostoliques de Chine, 18 octobre 1883) l'invoque à
deux reprises et l'instruction Cum postremis (aux évêques de l'Inde,
19 mars 1893) la cite aussi par deux fois. Moins qu'à un texte-
programme unique, la Propagande se réfère à un fonds commun de
principes dont 1659 constitue rétrospectivement l'expression la plus
achevée.
Or peu d'auteurs s'interrogent sur les variations possibles dans

6 Nous pensons en particulier aux études que l'ancien archiviste de la


Propagande (aujourd'hui archiviste du Vatican) a consacré aux synodes dans la
collection Konziliengeschichte : Josef Metzler. Die Synoden in China, Japan und Korea,
1570-1931 et Die Synoden in Indochina, 1625-1934, Paderborn, Schöningh, 1980,
XVII-324 p. et 1984, XXII-407 p. Ces travaux mettent l'accent sur l'impulsion
romaine dans un processus synodal qui conduirait naturellement à l'établissement
de la hiérarchie. Ils s'intéressent moins à la signification institutionnelle de la
généralisation des synodes : adaptation aux réalités ou uniformisation des
pratiques? promotion indigène ou centralisation accrue etc.?
7 Collectanea 1893, p. 40, n° 83, extrait sur les qualités nécessaires aux
missionnaires; p. 103-104 : divers extraits dans un ordre libre.
8 Collectanea 1907, T. 2, p. 42-43. Reproduit les extraits dispersés dans
l'édition de 1893.
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 199

la compréhension et l'interprétation des directives initiales. Les


passages qui sont habituellement cités pour démontrer la modernité
des positions de la Propagande, en particulier la priorité donnée à la
formation d'un clergé indigène, le projet de consécration d'évêques
indigènes, l'indépendance des missions et l'adaptation aux cultures
locales sont appréhendés comme un noyau dur univoque. Le petit
ouvrage de Massimo Marcocchi : Colonialismo, cristianesimo e
culture extraeuropee ouvre une autre piste en observant dans une
note : «È interessante rilevare che in questi documenti di
Propaganda Fide (les instructions de 1883 et 1893) non è mai menzionato il
passo della Istruzione del 1659 relativo al rapporto tra fede e
culture.»9
Prolongeant cette réflexion, on peut se demander si le sens
attribué de nos jours à ce passage célèbre pour définir une stratégie
missionnaire d'adaptation, dans un contexte de décolonisation peut être
transposé avec la même signification s'agissant du XVIIe s. ou du
XIXe s. finissant.
Ces remarques incitent à isoler les principales instructions
missionnaires de la Propagande sous Léon XIII, à les analyser, puis à
évaluer la place qu'y occupent les Instructions de 1659, et plus
largement à identifier les «autorités» qui fondent l'argumentation. Dans
une troisième étape nous les confronterons à la pratique de la
Propagande pour déterminer dans quelle mesure les procédures de
contrôle mises en place par la congrégation romaine servent
effectivement à l'application des prescriptions.

2 - Identifier les instructions normatives : définition d'un corpus.

Si la masse des documents rassemblés par les Collectanea


connaît une augmentation spectaculaire sous Léon XIII, les textes
émanant de la Propagande sont paradoxalement peu nombreux.
Certes l'édition de 1907 cite 75 actes produits entre 1878 et 1903,
mais si on écarte les décisions qui visent l'Amérique anglo-saxonne,
l'Europe et les orientaux, il reste moins d'une trentaine de textes in-

9 M. Marcocchi, op. cit. p. 58, n. 74. Rappelons quelques phrases


caractéristiques : «Ne mettez aucun zèle, n'avancez aucun argument pour convaincre ces
peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs, à moins qu'elles
ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus
absurde que de transporter chez les Chinois la France, l'Espagne, l'Italie ou quelque
autre pays d'Europe? N'introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi, cette foi
qui repousse ni ne blesse les rites d'aucun peuple, pourvu qu'ils ne soient pas
détestables, mais bien au contraire veut qu'on les garde et les protège... Que sera-ce
si, les ayant abrogés, vous cherchez à mettre à la place les mœurs de votre pays,
introduites du dehors? Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces
peuples avec ceux d'Europe...»
200 LA DIRECTION DES MISSIONS

téressant véritablement les missions parmi les païens. Elles se


répartissent autour de quelques grands thèmes et abordent des points
d'une importance très inégale10.
- l'administration des missions : financement par les œuvres
(n° 1818); propriété et gestion des biens (n° 1553); statistiques
(n° 1507); juridiction du chef de mission sur les religieux (n° 1531);
sur les séculiers (n° 1563); statut des missionnaires apostoliques
(n° 1634); statut des missions jésuites (n° 1651); pauvreté des
religieux (n° 1711); statut canonique du vicaire apostolique (n° 1565,
n° 1600); vade mecum pour la correspondance avec la Propagande
(n° 1929); musée de la Propagande (n° 1577)
- la formation et le ministère des missionnaires : apprentissage
des langues (1602); érection de confréries (n° 1710); fondation des
séminaires (n° 1828); obligation du serment pour la Chine et l'Inde
(n° 1900); obtention du titre de missionnaire apostolique (n° 2050);
célébration de la messe sur les navires (n° 2130) ou dans les missions
(n° 1847).
- la vie des fidèles : commerce et usage de l'opium (n° 1599);
baptêmes (n° 1901); mariages et causes matrimoniales (nos 1587,
1621, 1678); enterrements (n° 1626); jeûne et abstinence (nos 1594,
1679).

Comment expliquer cette relative faiblesse quantitative de la


production recensée par les Collectanea?
Elle reflète d'abord le déplacement des foyers d'élaboration
doctrinale vers les congrégations spécialisées, essentiellement
Saint-Office (250 citations dont une centaine concerne les missions) et Rites
(104 décisions). La subordination de la Propagande au Saint-Office
en matière de dogme s'accentue sous Léon XIII. Certes le risque de
divergence est très faible, puisque les mêmes hommes président à la
destinée des deux congrégations sous le contrôle du Pape. Malgré
cela, le partage des tâches conduit de plus en plus la Propagande à
s'en tenir à des prises de position pastorale. Mais il n'y a pas de place
pour une réflexion systématique sur l'ecclésiologie et la théologie du
salut qui sous-tend les instructions.
Le petit nombre d'interventions marque aussi la réticence à
tenir un discours universel et la préférence marquée pour des
réponses à des demandes précises. Les enseignements du passé, par
exemple la querelle des rites, incitent à la plus grande prudence
avant d'adopter des décisions définitives. Dès lors que la
congrégation quitte le terrain des principes pour leur application concrète,
elle préfère s'en tenir à la résolution de cas. Il faut donc, pour justi-

10 Nous donnons les numéros entre parenthèses, selon l'édition de 1907.


L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 201

fier une intervention solennelle et globale, un contexte favorable, tel


qu'on le rencontre dans la deuxième moitié du XIXe s. en Asie.
L'expérience et les informations accumulées pour les Indes ou la Chine y
rendent possibles d'entrer dans le détail de la vie missionnaire. De
plus l'évolution rapide de la situation politique et l'ouverture
croissante à l'Occident confèrent à ces deux masses humaines une
importance cruciale pour l'avenir du catholicisme engagé dans une
compétition acharnée avec le protestantisme. Or les progrès
enregistrés dans l'implantation des missions sur l'ensemble des territoires
ne s'est pas accompagnée de conversions en grand nombre.
L'apparent piétinement justifie la volonté romaine d'intervenir pour
organiser plus efficacement l'effort d'évangélisation. L'Afrique ou
l'Océanie11, qui en restent au temps des fondations le plus souvent,
incitent au contraire «à attendre (les demandes de la base) et voir
(les mesures à prendre)», avant d'imposer un cadre unique plus
contraignant.
Très peu de directives développent donc une réflexion qui
dépasse le cadre de réponses ponctuelles. Deux interventions
proposent une synthèse sur un point particulièrement débattu qui exige
une clarification. Au numéro 1587 (1883) quinze colonnes sont
nécessaires pour fixer la procédure à suivre dans les causes
matrimoniales en fonction des différents cas possibles. 47 paragraphes
numérotés s'efforcent de faire le tour des problèmes rencontrés, sans
pour autant mettre fin aux demandes des missionnaires qui
continuent d'affluer à Rome. Cette simple observation laisse entrevoir les
formidables obstacles rencontrées dans l'application de la
législation matrimoniale en pays de mission. Au numéro 1602 (22 juillet
1883)12 une lettre encyclique adressée aux missionnaires envoyés en
Orient insiste sur la nécessité de l'étude des langues indigènes. Mais
seules deux instructions destinées à la Chine et aux Indes
ambitionnent en 1883 et 1893 d'exposer une véritable pastorale
d'ensemble et justifient un examen plus approfondi.

3 - Les instructions de 1883 pour les Vicaires Apostoliques de Chine :


directoire missionnaire et indigénisation des chrétientés.

L'instruction Quae a praesulibus (18 octobre 1883), à l'intention


des Vicaires Apostoliques de Chine, intervient à un moment
stratégique13. Les premiers synodes des cinq nouvelles régions ecclésias-

11 Nous mettons à part le cas de l'Australie, voire de la Nouvelle-Zélande (à


l'exception des missions parmi les maoris) qui ne sont pas des territoires
missionnaires correspondant aux critères que nous avons retenus.
12 Coll. 1907, n° 1587, p. 172-179.
13 Coll. 1907, n° 1606, p. 187-196.
202 LA DIRECTION DES MISSIONS

tiques se sont tenus en 1880. Leurs actes viennent d'être examinés,


puis approuvés par Rome, un an plus tôt, soit le 10 octobre 1882. La
Propagande est donc en mesure de présenter une synthèse des
différentes réunions et de tracer les directions à suivre dans l'ensemble
de l'Empire chinois. Elle s'y emploie longuement puisque le texte,
dans la version des Collectanea, comporte 17 colonnes et traite de
tous les aspects qui ont été abordés dans les synodes. Véritable
somme des orientations du moment, l'instruction est pour nous une
occasion exceptionnelle de saisir sous une forme condensée la
«doctrine» de la Propagande.
Le premier point, consacré aux missionnaires européens, énu-
mére les qualités exigées et signale la nécessité d'augmenter leur
nombre. Les Instructions de 1659 sont citées assez longuement afin
de décrire le missionnaire idéal, prudent, expérimenté, capable de
garder un secret, vertueux, capable de donner l'exemple en mettant
en pratique la foi au Christ qu'il proclame14.
L'étude de la langue chinoise est l'objet du second paragraphe,
preuve de l'importance qu'elle revêt aux yeux de Rome dans la
formation missionnaire. L'instruction rappelle les dispositions prises le
21 mars 1774 et invoque l'exemple des jésuites pour appuyer les
mesures destinées à promouvoir l'étude du chinois. Elle souhaite une
exposition plus efficace de la foi et la réfutation des erreurs et des
superstitions.
La question du vêtement du clergé est rapidement évacuée (§3).
Rome laisse aux vicaires apostoliques le soin de la régler et donne
comme norme d'éviter toute innovation inopportune. La
Propagande aborde ici le problème du clergé chinois, thème qui va la
retenir le plus longuement puisqu'il occupe quatre colonnes (près d'un
quart du total) et comporte neuf alinéas numérotés.
L'argumentation se développe à partir de la nécessité d'un clergé indigène pour la
stabilité et la diffusion du christianisme en Chine15.
A l'appui de son affirmation, la Propagande cite l'Instruction Ne-
minem profecto du 23 novembre 1845 en faveur de l'institution d'un
clergé indigène. Elle se réfère aussi aux dispositions adoptées dans

14 «qui denique ad evangelicae charitatis normam eff ormati aliorum se


ingenio ac moribus accomodantes, nec sociis quibuscum vixerint graves, nec exteris
invisi ingratique reddantur, sed cum Apostolo fiant omnia omnibus».
15 «Quoniam vero inter praecipua argumenta a W.AA. pertractata, magni
plane ponderis est quod spectat cleri indigenae institutionem ac doctrinam, Emi
PP. de tanto negotio vel imprimis solliciti, ac prae oculis habentes nunquam
christianam religionem in Sinis firmam stabilitatem ac praepotentem progres-
sum consecuturam, nisi homines illius nationis in clerum adscripti exemplo
maxime, ne dum verbo, contribulibus suis praeluceant, atque propriae vitae mo-
rum speculo ad Christianas virtutes informent, ad haec adeo pretiosa bona asse-
quenda, quae sequuntur omnibus Episcopis indicanda censuerunt.»
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 203

la réunion des vicaires apostoliques de Chine pendant le Concile du


Vatican. Dès lors l'objectif assigné est sans équivoque : les missions
en Chine doivent appliquer les décisions du concile de Trente en
faveur de l'ouverture de petits et de grands Séminaires. Les conditions
de recrutement, le regroupement éventuel des séminaristes de
plusieurs vicariats dans une séminaire central, les différents aspects de
la formation, les modalités d'évaluation des candidats au sacerdoce,
le financement (objectif prioritaire) sont successivement traités
selon les normes en vigueur dans l'Eglise romaine. La volonté de
transposer le seul modèle acceptable conduit ainsi à insister sur la
nécessité du latin et surtout l'introduction de la philosophie
thomiste. Le contenu de l'enseignement n'est pas davantage précisé, à
deux exceptions près. Il devra lutter contre les erreurs que les
chinois ont sous les yeux et exposer la doctrine De Ecclesia telle que
la définit le Concile du Vatican16. La section 5, consacrée à la
nécessité des Séminaires débouche naturellement sur la description du
statut et du rôle du clergé indigène, sans oublier les mesures à
prévoir pour l'améliorer (ou le sanctionner). Le discours éprouve ici
quelques difficultés à adopter une position tout à fait cohérente. S'il
fait à nouveau référence aux Instructions de 1845 et refuse toute
discrimination entre les deux clergés, s'il recommande de confier des
responsabilités aux prêtres chinois qui en ont la capacité, il
manifeste une grande prudence dans ses affirmations. La
subordination du clergé indigène n'est pas ouvertement combattue.
L'insistance apportée à la nécessité d'un clergé uni sous la direction et
l'administration de l'Ordinaire laisse entrevoir des tensions et des
réticences à accorder aux prêtres indigènes l'égalité des droits, et pas
seulement des devoirs.
Le développement des instituts religieux (§ 6) soulève
manifestement moins de difficultés, à condition que le recrutement de chinois
ne se fasse pas au détriment du clergé indigène. Le modèle trappiste
est particulièrement encouragé et l'introduction du monachisme
parmi les thibétains est souhaitée afin de lutter contre les «lamas» et
capter le goût de ces populations pour ce genre de vie. L'institution
d'instituts religieux féminins (§7) est également hautement re-

16 «Id sane, ut notum est, gratissimum SSmo D. N. erit qui tantam de philo-
sophia S. Thomae restituenda sollicitudinem ostendit uti ex eius literis encyclicis
patet. Item animadvertendum erit qua ratione in philosophicis et praesertim
theologicis doctrinis tradendis errores et praeiudica nationis prae oculis haberi
ac refutari debeant... Denique in id maxime contendum est ut in doctrina De
Ecclesia tradenda alumni de vi ac ratione primatus Romani Pontificis ac de eius
prerogativis ac dotibus diligentissime iuxta Concilii Vaticani decreta edoceantur,
ac Romanae Ecclesiae amore ac reverentia intima imbuì valeant.»
204 LA DIRECTION DES MISSIONS

commandée. Prenant acte de la situation chinoise, la Propagande se


réjouit de l'existence de groupes de vierges vivant ou non en
communauté. Mais la préférence pour les sociétés régulièrement
constituées conduit à suggérer de rattacher ces femmes à de véritables
instituts religieux.
Le paragraphe 8, consacré à la conversion des païens, est
étonnamment concis. Les méthodes missionnaires semblent être
l'objet d'un consensus qui dispense de tout développement et sont
résumées en quelques lignes : multiplication des œuvres
d'éducation et de bienfaisance pour préparer à la conversion;
associations; prédication usant de la simplicité évangélique et recourant
à l'apologétique. Deux recommandations sont plus révélatrices de
la situation. L'une reprend l'invitation du synode du Chansi à
développer l'apostolat dans les maisons particulières et pas
seulement les lieux publics ou les églises. L'autre met en garde contre
toute immixtion des missionnaires dans les affaires de l'Etat et
toute compromission. Tirant la leçon des persécutions et des
campagnes anticatholiques dont les chrétientés chinoises ont été
victimes, la Propagande se réfère pour la seconde fois aux
conseils de 1659, les résume en des termes qui leur confèrent une
grande vigueur, exhorte à refuser tout privilège et à éviter les
provocations.
L'interdiction de toute innovation, la généralisation et
l'uniformisation d'un petit catéchisme (parvus Catechismus), conforme au
catéchisme romain élaboré par le Concile de Trente, est fixée
comme objectif à tous les vicariats, sans exclure des adaptations
en fonction des «choses chinoises» mais après avoir obtenu
l'approbation romaine (§ 9). La Propagande ajoute à cette
recommandation un développement d'une longueur équivalente consacré aux
problèmes de la déformation par les chinois de la formule latine
du baptême. Elle demande aux vicaires apostoliques de recueillir
l'information dont la congrégation a besoin pour préserver la
forme du sacrement telle que le Christ l'a institué.
Du catéchisme unique, la Propagande passe ensuite à
l'importante fonction de catéchiste, jugée utile et «quasiment nécessaire»
à la conservation et la propagation de la foi. Le recrutement et la
formation dans des écoles spécialisées sont prescrits en termes
assez généraux qui tiennent compte des possibilités locales et
laissent à la responsabilité des missionnaires le contrôle des
candidats et la durée de la formation. L'instruction est plus précise sur
le point des rénumérations. Elle opère une distinction entre les
catéchistes qui restent dans leur région natale, et dont les besoins
matériels sont moindres, et ceux qui sont envoyés dans une autre
province pour y préparer la prédication du missionnaire. Enfin
l'accent est mis sur le contrôle permanent des catéchistes par le
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 205

missionnaire. Il évitera de les laisser seuls et rendra compte


régulièrement de leur vie et de leurs mœurs au vicaire apostolique.
Le développement suivant (n° 11) traite des écoles et des
collèges. Il vient en troisième position, derrière les Séminaires et le
clergé indigène, pour la place occupée. Le vocabulaire (hortari, ju-
bere, optandum est) souligne l'importance accordée à la création
d'un réseau scolaire complet, de l'enseignement élémentaire (rudi-
mentaire : un peu d'histoire sainte et les prières) à l'enseignement
secondaire. Aux préoccupations de moralité et d'orthodoxie se
superpose la question de la mixité, c'est-à-dire l'admission de non
chrétiens. La règle est de refuser les «païens» (infidèles) et les
«hétérodoxes». La pratique laisse la porte ouverte à des
accommodements, mais en les entourant d'extrêmes précautions qui se
fondent sur l'Instruction du 25 avril 1868. La Propagande
demande de s'y conformer en Chine, de séparer les élèves
catholiques des autres et de montrer une grande vigilance. Cette
première concession à la situation minoritaire du catholicisme
s'accompagne d'une seconde concernant le recrutement des
enseignants. Le recours à des maîtres païens pour l'enseignement
du chinois et de la calligraphie est toléré, mais il sera compensé
par une stricte sélection des livres. L'instruction préconise
l'impression de morceaux choisis expurgés de tout passage offensant
les mœurs ou la foi. L'éducation des filles soulève des difficultés
particulières que les missionnaires entreprendront de résoudre en
les confiant à des religieuses. On procédera à leur scolarisation
avec une extrême prudence pour ne pas heurter la population. La
rubrique se clôt par l'incitation à ouvrir des imprimeries afin
d'éditer des livres catholiques.
Le texte revient ensuite à des préoccupations caractéristiques
de la réforme post-tridentine. Les procédures de contrôle sont
encouragées, soit par les visites des vicaires apostoliques, soit par
l'intermédiaire de vicaires forains (§ 12). Elles permettront de
veiller à l'obligation prévue par le Rituel romain de tenir les registres
de baptêmes et de mariages. Les vicaires apostoliques chercheront
à promouvoir les sociétés mariales et les œuvres pieuses. La
construction de lieux de culte et de résidences missionnaires est
encouragée avec le concours des fidèles (§ 13). L'existence de ces
«biens temporels» (terrains, résidences, églises et chapelles, écoles,
dispensaires et hôpitaux, orphelinats) implique une gestion pour
laquelle la Propagande applique les garanties imposées aux Indes
(instruction de 1869) : conseil de gestion, interdiction d'aliéner les
biens sans l'accord de Rome.
Aux rubriques 15-16, deux usages propres à la Chine sont
l'objet de décisions destinées à l'uniformisation progressive des
pratiques. Le port d'un voile par les femmes qui s'approchent des sa-
206 LA DIRECTION DES MISSIONS

crements de pénitence et de l'Eucharistie, tel qu'il est prescrit dans


les régions de Pékin et Hong-Kong, sera étendu «en douceur» à
tout l'Empire. A l'inverse, l'usage du pïleum, coiffure dont se
couvre le célébrant pendant la messe, nécessite une mise au point
après la décision du Saint-Office de l'abolir sensim sine sensu et
de ne pas l'introduire dans les lieux où il n'existe pas. L'exécution
de la consigne s'est heurtée aux réticences des vicaires
apostoliques qui font valoir l'importance de cette tradition pour la
Chine17. Pris entre deux impératifs, celui de la normalisation et la
volonté de ne pas heurter les fidèles, le Saint-Office a donné une
interprétation très large du décret. Le maintien de la loi
n'empêche pas de tolérer des exceptions en fonction «des circonstances
de temps et de lieu», afin de ne pas porter préjudice à la foi et aux
bonnes mœurs.
La dernière rubrique s'intéresse à la préparation au baptême.
Malgré l'importance de ce sacrement dans la pratique
missionnaire, à peine plus d'une demi-colonne est consacrée aux
conditions que les catéchumènes doivent remplir. Après quelques
généralités sur les garanties à prendre et la mention des constitutions
de Clément XI (In Excelsa) et Benoît XIV (Postremo mense) qui
traitent du baptême des infidèles adultes ou enfants, l'instruction
énumère cinq conditions en dehors du danger de mort : savoir
minimum18; rejet des superstitions et des «rites chinois»; réparation
des dommages commis dans le passé et restitution des biens
obtenus par l'usure; renonciation à l'opium et monogamie;
conformité des mœurs à la foi chrétienne. Le mode précis de formation et
le temps de mise à l'épreuve sont laissés à l'appréciation de
l'Ordinaire, ce qui respecte la diversité des méthodes congréganistes. Le
Saint-Office, consulté sur le baptême des musulmans moribonds,
précisera ultérieurement qu'on n'a pas le droit de baptiser des
infidèles qui restent conscients sans leur avoir enseigné les mystères
chrétiens, même s'ils connaissent l'existence de Dieu19.
Ainsi la Propagande distingue des domaines où elle se
contente d'orientations générales et ceux pour lesquels elle
légifère. Elle laisse aux vicariats le soin de fixer le programme et la
durée de catéchuménat mais elle fournit un compendium du
contenu minimum doctrinal et détermine les comportements radi-

17 «apud sinenses mos sit caput coopertum gerere in signum obsequii et re-
verentiae».
18 «1° Cognoscant principalia mysteria fidei, Symbolum, Orationem
dominicain, decalogum, praecepta Ecclesiae, effectum Baptismi, aetus virtutum theolo-
galium earumque motiva.»
19 St Office, 30 mars 1898. Collectanea 1907, vol. 2, p. 365-366, n° 1993.
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 207

calement incompatibles avec la foi. L'usure, la polygamie et le


culte des ancêtres, considérés comme les trois grands maux de la
Chine, sont strictement interdits.
L'ensemble de ces dispositions obéit à une logique solide et
longuement mûrie. Le but de la mission consiste dans la plantation
d'églises indigènes, ce qui suppose de constituer au plus vite un clergé
autochtone grâce aux séminaires. Les dispositions adoptées au
Concile de Trente servent ici de guide, de même qu'elles inspirent la
volonté de lutter contre les superstitions et de réfuter l'hérésie. La
mission est pensée selon ce double dynamisme caractéristique du
catholicisme post-tridentin où le renforcement de l'institution
(séminaires, œuvres, associations pieuses contrôlées par le clergé) se
double d'une lutte permanente contre l'hérésie et le paganisme qui
menacent de corrompre la communauté des fidèles. La position du
clergé, investi du soin de protéger le troupeau et de conduire
l'offensive, justifie la place prépondérante qu'il occupe dans les
recommandations. La Propagande y apporte sa vision propre en
insistant sur la supériorité du clergé indigène pour assurer à terme
l'enracinement des Eglises. Les réticences des missionnaires, qui
considèrent le clergé indigène comme un auxiliaire, incapable de se
substituer à leur action, suscitent des débats animés. L'Instruction
de 1845 apparaît la référence obligée dans les développements
réservés aux séminaires et au clergé autochtone. Elle ne suffit pas à
dissiper les malentendus.
L'Instruction 1883 se fait particulièrement l'écho de deux
priorités du moment pour assurer l'unité autour du successeur de Pierre
en insistant sur la nécessité d'un catéchisme unique pour les fidèles
et d'un enseignement conforme au thomisme pour le clergé. La
subordination, juridique et doctrinale, déjà fortement affirmée en
1659, prolongée plus que jamais par l'adhésion personnelle à la
papauté («ac Romanae Ecclesiae amore ac reverentia intima»)20 est
donc la clé de voûte du système.
Concrètement le modèle ecclésial est celui de la chrétienté dotée
de ses écoles et de son réseau d'œuvres tel qu'il triomphe en
Occident. Si la Propagande doit composer avec la réalité chinoise, elle
n'envisage pas pour autant une adaptation du modèle, mais
seulement des moyens d'y parvenir pour passer les obstacles propres au
milieu. La formation du clergé, le ministère sacerdotal,
l'introduction des formes de vie religieuse, les usages liturgiques tendent à
introduire en Chine le modèle catholique romain du temps. Seule la
question du clergé indigène et du pileum laisse entrevoir que la
réalité locale ne se coule pas forcément dans le moule latin.

20 Ibid. p. 190, fin du n° IV, 6.


208 LA DIRECTION DES MISSIONS

En d'autres termes, les objectifs de 1659 sont à la fois conservés


et réinterprétés. La nécessité du clergé indigène reste affirmée
vigoureusement mais la position dominante des missionnaires est
globalement acceptée. La promotion de prêtres chinois est envisagée
comme une possibilité qu'il ne faut pas entraver, sans aller jusqu'à
l'ordination à l'épiscopat. La nécessité de préserver l'indépendance
des missionnaires, en évitant soigneusement toute immixtion dans
les affaires politiques, est rappelée en termes fermes mais trop
vagues pour être opératoires : ils font l'impasse sur le redoutable
problème de la protection des missions par les Etats européens. On
ne retrouve pas la fameuse consigne de ne pas exporter les usages
européens. Jamais le texte ne met en doute le bien fondé d'une
même législation pour toutes les chrétientés. Les questions
soulevées au XVIIe s. par les premiers missionnaires à propos de
l'utilisation du latin dans la formation des clercs, ou de l'interprétation à
donner aux rites confucéens, sont provisoirement des affaires
classées.
La cohérence du programme masque les contradictions; elle ne
les résout pas. Comment obtenir un clergé chinois dont toute la
formation est calquée sur celle que distribuent les séminaires
occidentaux? Comment gagner la confiance des populations païennes sans
prendre nettement position sur la question du protectorat et de la
présence européenne? Comment espérer un progrès de la mission
quand les jeunes chrétientés sont invitées à se protéger contre leur
environnement socio-culturel jugé dangereux, à user de la
controverse plus que du dialogue, à rompre avec des traditions ancestrales
globalement condamnées? Le projet d'une adaptation à la
civilisation autochtone, conçue comme l'intégration de valeurs et de
traditions chinoises, demeure complètement absent du programme
exposé par la Propagande en 1883.

4 - L'Instruction Cum postremis aux évêques des Indes orientales (19


mars 1893) : une tonalité plus offensive.
L'instruction Cum postremis21 témoigne que les Indes sont,
parallèlement à la Chine, l'autre grande priorité missionnaire de la
Propagande. Dès le pontificat de Pie IX, la volonté romaine
d'intervenir plus directement s'est concrétisée par une série d'initiatives
qui accompagnent et prolongent les négociations avec le Portugal
autour du padroado. Le 8 septembre 1869 une longue instruction en
55 points est adressée aux vicaires apostoliques de l'Inde afin de
fournir un cadre unique aux missions du sous-continent,
préfigurant largement l'instruction de 1883 aux vicaires apostoliques

21 Collectanea 1907, n° 1828, p. 286-290. Traduction plus loin, p. 574-582.


L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 209

chinois. Si les orientations de base sont identiques dans les deux


documents, celui de 1869 insistait peu sur le clergé indigène, alors que
ce point est au centre de la seconde Instruction destinée aux Indes.
Il est vrai qu'entre temps, la situation du catholicisme indien a
considérablement évolué. La colonisation britannique du sous-
continent asiatique a facilité l'évolution juridique du statut des
missions, maintenant dégagées des contraintes du padroado par le
concordat entre le Portugal et le Saint-Siège. L'érection d'une
hiérarchie régulière a été réalisée en 1887 et suivie par la réunion des
synodes provinciaux. Les débats se sont cristallisés autour de la
question du clergé indigène. L'objectif de la Propagande sera donc à la
fois plus limité et plus ambitieux. La nouvelle déclaration,
débarrassée des soucis réglementaires et du poids du padroado, riche d'une
abondante information accumulée depuis les années 1840 (affaire
Luquet, instruction Neminem profecto de 1845), confortée par les
rapports des délégués apostoliques, se focalise sur le cœur de
l'action missionnaire, les mesures à prendre pour obtenir la conversion
des païens («de gentium conversione procuranda») et rompre
l'isolement de la minorité catholique. En 1893 l'heure est venue de
franchir une nouvelle étape, ce que confirme solennellement
l'intervention personnelle de Léon XIII en faveur des séminaires le 24 juin. Il
s'agit donc d'une action concertée au sommet.
Le père Adrien Launay, membre et historien des Missions
Etrangères de Paris, dresse à peu près à la même époque22 un
tableau éloquent de la situation pour les diocèses confiés à sa société.
Il permet de mesurer l'impact des directives romaines et de cerner
les préoccupations du moment. Il laisse entendre que l'application
de la discipline ecclésiastique romaine, dans les communautés déjà
constituées, s'opère sans obstacle majeur. Par contre les conversions
sont peu nombreuses et l'indigénisation avance lentement, comme
le révèlent trois faiblesses persistantes : le manque de clercs
indigènes et de congrégations masculines; l'organisation médiocre du
ministère attribuée implicitement à la séparation entre
missionnaires et prêtres indiens; l'insuffisant développement quantitatif et
qualitatif des écoles catholiques.
Dans un tel contexte, le but de l'Instruction Cum postremis en
1893 est de mobiliser l'effort missionnaire en Inde autour de
l'objectif que la Propagande a défini comme prioritaire dès le pontificat
de Grégoire XVI, à savoir la formation du clergé indigène.
Consciente de la faible croissance du catholicisme, elle y ajoute
cependant une réflexion sur les méthodes d'apostolat et propose la

22 Extrait de Histoire des Missions de l'Inde, t. IV, p. 4-5, Paris, M.E.P., 1898.
210 LA DIRECTION DES MISSIONS

mise en œuvre d'une pastorale plus offensive. Les différentes


initiatives romaines entrent ainsi dans un plan d'ensemble qui dessine
peu à peu la nouvelle organisation des missions indiennes. Il serait
certes artificiel d'imaginer que toutes les modalités étaient prévues
dès Grégoire XVI et que l'action de la Propagande relève d'une
planification rigoureuse. Mais les interventions romaines de 1893 se
ramènent toutes à une logique identique. Depuis Neminem profecto en
1845 à Cum postremis et la lettre Ad Extremas en 1893, en passant
par les prescriptions de 1869, elles préparent l'érection de la
hiérarchie et son corollaire, la réunion des synodes provinciaux.
L'instruction Cum postremis23 voit dans cette procédure le secret de la
réussite missionnaire :

«Lorsque, dans ces dernières années, le Souverain Pontife Léon


XIII dans sa sollicitude apostolique pour la religion dans les Indes
orientales, instituait dans ces pays la hiérarchie ecclésiastique, il
n'avait pas seulement en vue de relever le prestige et la dignité de cette
Eglise lointaine, mais aussi, et surtout, de donner une force nouvelle
et un élan fécond à l'évangélisation de cette immense contrée... Mais
comme il est nécessaire qu'à l'opportunité des temps et des
circonstances que la grâce divine nous accorde, correspondent aussi le
zèle, l'action et le résultat fécond du travail, la S. Congrégation, à
laquelle est confiée le soin et le devoir de la Propagation de la foi dans le
monde, doit exercer la vigilance assidue qu'exige l'importance de ses
hautes fonctions. Elle ne peut manquer d'accorder une attention
spéciale aux missions de l'Inde.»

Ainsi s'esquisse une vision d'ensemble qui implique un


engagement croissant de la Propagande, suffisamment nouveau pour que
la place d'Espagne éprouve le besoin de justifier ce pas
supplémentaire dans ses interventions. Convaincue de la nécessité d'une
action vigoureuse, elle manifeste une détermination qui ne souffre
pas la discussion car «il faut vaincre (les) obstacles, pour que ces
peuples innombrables, délivrés de l'antique servitude à l'ennemi
infernal, parviennent à la lumière et à la liberté de l'Evangile».
De fait cette déclaration va au-delà des principes généraux et des
recommandations habituelles. Elle impose des mesures très
concrètes, dont elle prévoit de contrôler l'exécution, et elle entre
dans le détail de la pastorale d'une manière souvent nouvelle.

23 Collectanea 1907, n° 1828, p. 286-290.


L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 211

Un triple programme missionnaire : conquête des païens, autonomie


financière et personnel autochtone.

La première disposition demande aux diocèses de redonner la


priorité à la mission parmi les païens. «En premier lieu, on devra
établir dans chaque diocèse plusieurs (aliquot) missions dont le but
propre et particulier2* sera la conversion des païens.» A cette fin, la
Propagande étend à toutes les Indes la disposition adoptée par trois
synodes provinciaux25 de 1887 qui ordonne à chaque missionnaire
d'avoir une parfaite connaissance de la langue locale et de choisir
pour chaque région deux confrères destinés exclusivement
(exclusive) à l'évangélisation des païens. Cette décision ne souffre aucune
exception, «même dans le cas où les chrétientés déjà établies
devraient en souffrir, suivant en cela l'exemple du Bon Pasteur qui
n'hésite pas à abandonner dans le désert quatre vingt dix-neuf brebis
pour aller chercher et ramener celle qui s'est égarée»26. L'application
sera contrôlée par la Propagande. «Six mois après qu'ils auront
reçue ces instructions, les évêques communiqueront à la S.
Congrégation les noms des missionnaires qu'ils auront choisis pour cette
œuvre, et ils agiront de même, chaque fois qu'ils feront le rapport
d'usage sur l'état de leur diocèse»27. Prévenant une interprétation
restrictive, la Propagande s'appuie sur l'Instruction de 1883 pour la
Chine afin de préciser à nouveau que cet apostolat se fera «non
seulement en public et dans les Eglises, mais aussi dans les maisons
particulières et les familles»28.
La seconde section révèle la prise de conscience précoce que le
mode de financement des missions, à partir des subventions
extérieures, comporte à terme un grave danger de dépendance. Réagis-

24proprium peculiaremque finem. En italique dans les Collectanea, Ibid.,


p. 287, n° I.
25 Ce sont les synodes de Colombo (O.M.I.), Bangalore (jésuites), Allahabad
(capucins).
26 Ibid. «Hanc quorumdam missionariorum designationem ad ethnicos
convertendos faciendam in unaque diocesi S.C. praecipit, etiamsi id minus
commodum accidere videatur iam constitutis fidelium communitatibus, ad boni
Pastoris exemplum, qui nonaginta novem oves relinquere in deserto non dubitat
ut deviam quaerat et reducat.»
27 Ibid. «Missionariorum vero nomina, quos ad id operis destinaverint signi-
ficabunt Episcopi huic S.C. sexto post mense ab hisce litteris acceptis; atque
hanc consuetudinem semper posthac servabunt, quoties statis temporibus de
suae diocesis statu referre debebunt».
28 Ibid. Quod vero attinet ad ipsam Evangelii praedicationem animadvertant
hanc praecipuam apostolatus partent implerì non solum publice et in Ecclesiis, sed
praesertim in domibus familiisque privatis...»
212 LA DIRECTION DES MISSIONS

sant contre la tendance générale à confondre apologétique et


entreprises de constructions, elle rappelle que l'argent doit d'abord servir
à la conversion des païens, puis précise :
«Et pour qu'ils puissent le faire plus facilement, qu'ils
s'abstiennent de bâtir des édifices imposants, de sorte qu'ils renoncent à
un luxe superflu et un decorum inutile, réservent leurs dépenses aux
constructions vraiment nécessaires, car rien n'orne autant l'Eglise
du Christ qu'un grand nombre de fidèles, pleins de foi et pratiquant
toutes les vertus chrétiennes.»29
Là encore la déclaration donne des directives précises et
reprend les règles posées en 1869. Elle les complète par l'ordre de
rechercher une progressive autonomie financière. «La plupart des
diocèses de l'Inde n'ont presque pas de revenus locaux et ont besoin,
pour subsister, de subsides qu'on doit quêter ailleurs et qui, de ce
fait, sont des revenus insuffisants et précaires. Or comme il faut
absolument assurer l'avenir des missions, la S. Congrégation est d'avis
d'attirer l'attention des Evêques sur la nécessité de pourvoir les
diocèses de l'Inde de revenus propres et assurés. Du reste, comme les
nécessités urgentes du moment ne permettent pas que l'on mette de
côté des sommes considérables, tout ce que la S. Congrégation
demande aux évêques, c'est qu'ils réservent de temps en temps de
petites sommes d'argent pour les besoins futurs de la mission et les
vicissitudes des temps. Il appartient à chaque évêque de décider, selon
les circonstances, comment cet argent devra être placé. Il semble
raisonnable à la S. Congrégation de mettre à profit les opportunités
d'acquérir des terrains agricoles, qui seraient ensuite cultivés au
profit des missions ou qu'on louerait pour les cultiver à des
chrétiens indigènes30».

29 Ibid n° II. «Quod ut facilius praestent, maxime ab aedifìciorum sumptu


cultuque nimis exquisito abstineant, ut quae supervacaneis pompis decorique
minime necessario subtraxerint, impendant levandis gravissimis necessitatibus,
nullo nobiliori ornamento Christi Ecclesiam decoraturi, quam populorum sibi
commissorum fide christianisque virtutibus.»
30 Ibid. «Sane pleraque nunc in India diœceses, cum proprios vix reditus ha-
beant, corrogata tantum aliunde stipe externisque subsidiis sustentantur; id vero
nee satis amplum nee satis certum. Quapropter cum etiam futuros Missionum
casu longe prospicere oporteat, S. C. istorum Episcoporum mentem revocandam
censuit ad necessitatem providendi, ut proprios certosque proventus aliquando
habere dioceses in India possint. Curandum est igitur ut stabili quodam
patrimonio eaedem instruantur, quemadmodum ad exemplum anteactae aetatis coeptum
alicubi in hac ipsa Indiarum regione féliciter est. Ceterum cum tot quae urgent
praesentissimae necessitate prohibeant, quominas ingens pecuniarum summa
conferii ac seponi ad hoc opus queat, id solum S. haec C. ab ipsis Episcopis
postulat ut vel tenues quasdam summas identidem per opportunitatem reservantes
ad futura Missionum incrementa dubiasque temporum vices, tuto collocare stu-
deant. Hanc autem pecuniae collocationem quonam potissimum modo fieri ex-
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 213

L'accélération de l'indigénisation des diocèses indiens constitue


le troisième impératif de l'Instruction, et pour la congrégation le
plus urgent. Mais la démonstration mérite d'être examinée
attentivement. Le premier argument avancé, traditionnel, constate
l'insuffisance du nombre de missionnaires disponibles pour les païens,
situation qui s'aggravera nécessairement avec l'augmentation du
nombre de fidèles. Le second fait référence à la lettre de 1659 pour
affirmer que la préparation d'un clergé autochtone est la première
tâche confiée aux missionnaires européens31. Ce discours sur le
clergé indigène est à la fois solidement fondé et grevé d'une ambiguïté
persistante. Si la Propagande lie explicitement le développement du
catholicisme indien à la formation et la promotion du clergé
indigène, elle n'abandonne pas franchement la conception d'un clergé
auxiliaire et tend à privilégier une argumentation pragmatique
(l'efficacité) plutôt que théologique (la nature des nouvelles Eglises). La
connotation de subordination (Us dhrigentibus) contenue par
l'Instruction de 1659 est encore renforcée par la sélection qu'opèrent les
citations. La lettre de 1893, comme celle de 1869 ou de 1883, omet le
passage qui fixait en 1659 la procédure à suivre dans l'établissement
de l'épiscopat indigène. Certes, elle réservait à Rome la consécration
episcopale, mais par souci tridentin d'imposer l'autorité pontificale
et de prévenir des initiatives centrifuges, non par hostilité à cette
éventualité.
La raison de ce glissement apparaît en creux dans les lignes qui
concluent la partie consacrée au clergé indigène. La Propagande se
fait l'écho des réticences de la base en rappelant qu'il existe des
vocations sacerdotales et que les prêtres indiens donnent satisfaction
s'ils sont formés correctement. Elle invoque l'universalité voulue par
le Christ pour l'Eglise afin d'inviter les missionnaires à faire
confiance au souffle de l'Esprit Saint qui peut rendre capables du
sacerdoce les «hommes faibles de nature»32. Mais le clergé latin étant

pediat, singulorum Episcoporum pro cuiusque dioecesis adiunctis erit inquirere.


Ea tarnen huic S.C. videtur prae ceteris ratio consulenda, ut agri ac fundi rustici
per opportunitatem coemantur, qui postea aut in utilitatem Missionis excolan-
tur, aut indigenis christianis locentur ad culturam.»
31 «Voici la principale raison qui a déterminé la Sacrée Congrégation à vous
envoyer revêtus de l'épiscopat dans ces régions. C'est que vous preniez en main,
par tous les moyens et méthodes possibles, l'éducation de jeunes gens de façon à
les rendre capables de recevoir le sacerdoce. Après les avoir ordonnés prêtres,
vous les établirez chacun dans son pays d'origine à travers ces vastes territoires,
avec mission d'y servir le christianisme sous votre direction. Ayez donc toujours
ce but devant les yeux : amener jusqu'aux ordres sacrés le plus grand nombre
possible de sujets et les plus aptes, les former et les faire avancer chacun en son
temps». Traduction Le siège apostolique et les missions, 1959, T. I, p. 10, § (1).
32 Collectanea, 1907, n° IV, p. 289. «Constat enim nee adeo infrequentes penes
Indos esse qui ecclesiasticae militiae nomen dare velint, nec parum opis ad sa-
214 LA DIRECTION DES MISSIONS

la norme universelle, la promotion du clergé indigène aux postes de


direction suppose qu'il ait au préalable assimilé ce modèle. En
attendant l'accent est mis sur les moyens pédagogiques à utiliser pour
porter les Indiens au niveau des européens, ce qui retarde d'autant
la possibilité d'un épiscopat indien.
Priorité à la mission parmi les païens, recherche de l'autonomie
financière des missions, clergé indigène, telles sont les trois grandes
ambitions autour desquelles se construit tout le discours de la
Propagande à la fin du siècle. Elles constituent des objectifs
mobilisateurs et modernes qui ne doivent cependant pas être réinterprétés à
partir de la théologie missionnaire contemporaine. Le recours aux
missionnaires européens, l'urgence de les multiplier et de les
sélectionner attentivement est également affirmée, en reprenant là
encore les termes de 1659. L'indigénisation des agents d'évangélisation,
clercs ou catéchistes, accompagne donc une conception d'une Eglise
très cléricale dont les missionnaires restent la tête et la colonne
vertébrale. De même les congrégations religieuses enseignantes
européennes fourniront les maîtres dont les collèges ont besoin, alors
que les laïcs «autochtones» seront utilisés à titre complémentaire.
L'érection de la hiérarchie episcopale est présentée comme
l'achèvement de l'Eglise locale sans envisager la nomination d'évêques
indiens. Le clergé indigène reste subordonné à l'entreprise
missionnaire, dirigée par les européens. Le rôle attendu des catéchistes,
appuyer les missionnaires européens et préparer le terrain «car, étant
eux-mêmes indigènes, ils auront un accès plus facile auprès du
peuple païen, il aplaniront la voie au prêtre...», ne fait que confirmer
cette conception. Sans doute la promotion des indiens aux postes de
responsabilité n'est pas écartée mais elle passe par une longue roma-
nisation préalable. L'avenir de l'Eglise indienne est soumis à la
possibilité de reproduire le modèle romain, non sans l'infléchir dans un
sens de plus en plus clérical, au point de souhaiter que les
catéchistes soient formés dans un collège spécial «comme les prêtres
dans les séminaires.»
L'exportation des modèles ecclésiaux européens demeure ainsi
la référence implicite de toute l'instruction. Elle repose sur le
modèle du noyau chrétien (nucleus) qui se constitue à partir de la
première «plantation» de l'Eglise33. L'expansion catholique n'est pas at-

crum ministerium haberi in iis, qui rite fuerint ad id instituti. Ceterum cum
Christus Ecclesiam suam fundaverit, ut omnes gentes ambitu suo complectere-
tur, non est dubitandum quin praeclara charismatum dona possint penes omnes
populos efflorescere, Eius Spiritu Sanctu afflante, qui, ut ubi vult spirans,
infirmas naturae vires erigit ut ad ardua quaeque consurgant.
33 Ibid. n° VI. «lis igitur praesertim in locis, ubi primum sancta Evangelii
doctrina fuerit, firmissimum enscenti fidei praesidium scholae suppeditabunt,
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 215

tendue d'une osmose avec le milieu mais de la multiplication des


plantations, notamment par les écoles qui permettent de protéger
les néophytes contre le milieu païen et de former les futures élites
catholiques.
Une telle approche de la mission ne prédispose évidemment pas
à imaginer une stratégie d'adaptation culturelle. L'Eglise catholique
joue la carte de la transformation de la société indienne par la
colonisation européenne et se réjouit de l'ébranlement des vieilles
superstitions indiennes34. Pourtant, si elles ne sont pas des déclarations
«prophétiques» qui rompent avec la théologie du moment, les
instructions de 1893, après celles de 1883, contiennent un dynamisme
potentiel susceptible de faire éclater le cadre ecclésial dont elles se
réclament. La logique de la chrétienté, îlot protégé, se trouve à
terme contestée par l'appel à un effort accru pour sortir des
paroisses et évangéliser les païens. La dépendance des missionnaires
européens est, de la même manière, atténuée par la volonté de
conquérir l'autonomie financière et de former un encadrement
intermédiaire autochtone : clergé indigène, catéchistes, maîtres
d'école. Les instructions romaines ouvrent ainsi dans la pastorale
missionnaire des perspectives qui peuvent entraîner les Eglises en pays
de mission au-delà de l'avenir qu'elles sont à ce moment capables
d'imaginer.
La preuve la plus probante d'un dépassement possible des
perspectives esquissées nous est donnée par la lettre Ad extremas que
Léon XIII consacre, dès le 24 juin 1893, à la fondation de séminaires
dans les Indes orientales. Si l'argumentation du pontife reprend les
thèmes «utilitaires» de l'insuffisance numérique des missionnaires
et la nécessité de prévoir l'expulsion des missionnaires étrangers,
éventualité qui ne va pas de soi dans l'Empire britannique de 1893,
la lettre s'engage plus loin sur la voie de l'indigénisation :
«La foi catholique dans les Indes n'aura pas un avenir certain, sa
propagation ne sera point assurée aussi longtemps qu'il n'existera pas
de clergé formé d'indigènes préparés à remplir les fonctions
sacerdotales et qui soient capables, non seulement d'aider les missionnaires,
mais de remplir eux-mêmes les charges pastorales. La tradition
rapporte que Saint François-Xavier avait cette même pensée et qu'il avait
coutume de dire que la religion ne pourrait s'établir fermement dans
les Indes sans l'activité apostolique de prêtres pieux et intrépides nés
dans le pays. Il est facile de juger combien grande était, particulière-

per quas recentium fïdelium soboles christiana disciplina mature instituta stabi-
lis veluti nucleus constituitur, qui novis christianorum accessionibus granatini
postea augeatur.»
34 Ibid. n° VII, p. 290. «Quippe pacata in India omnia, patefacta itinera, Epis-
coporum praesidio res christiana ornata ac munita, adsiduoque novorum institu-
torum appulsu, vetera, gradatim minus firma, cum patria superstitione nutant.»
216 LA DIRECTION DES MISSIONS

ment sur ce point, la perspicacité de l'apôtre. En effet, le zèle des


hommes apostoliques venus d'Europe rencontre beaucoup d'obstacles
dont les plus grands sont l'ignorance de la langue du pays bien
difficile à apprendre, la nouveauté des mœurs et ces coutumes auxquelles
on ne se fait pas toujours, même après de longues années; aussi le
clergé européen reste-t-il dans ce pays absolument à l'étranger. Aussi,
à cause de la moins grande confiance des indigènes envers les
étrangers, est-il évident que des prêtres du pays produiront des fruits de
salut beaucoup plus abondants. Ils ont les goûts, le caractère, les mœurs
de la nation, ils savent quand il vaut mieux parler et quand il est
préférable de se taire; enfin, Hindous eux-mêmes, ils vivent au milieu des
Hindous sans inspirer de défiance, avantage dont il est inutile de
démontrer l'importance, surtout pour les circonstances critiques.»
Sans doute ne faut-il pas artificiellement opposer la lettre
pontificale à l'instruction de la Propagande. Cependant l'intervention de
Léon XIII témoigne d'une lecture moins restrictive de l'appel au
clergé indigène. Sans envisager des évêques indiens, elle prévoit de
confier des tâches pastorales équivalentes aux indiens et aux
européens. Surtout, en soulignant l'impossibilité pour les européens de
se faire indiens, elle reconnaît la supériorité du clergé autochtone
pour la propagation de la foi catholique. Si l'on mène ce
raisonnement à son terme, il aboutit à donner le premier rôle au clergé
indigène, seul apte à assurer l'expansion et la stabilité de l'Eglise, ce qui
reviendrait à considérer les missionnaires européens comme des
auxiliaires. Un véritable renversement des rôles est potentiellement
contenu dans ces affirmations.

5 - Permanences et variations dans la doctrine missionnaire.


Le corpus des textes normatifs issus de la Propagande est donc
limité à trois instructions fondamentales utilisées sur des points
complémentaires (1659, 1869, 1883). Malgré la faiblesse quantitative
de la production et la faible créativité théologique, les Instructions
pastorales de la Propagande de Grégoire XVI à Léon XIII ont une
vigueur et une ampleur que l'on ne retrouvera plus avant 1920. De
1845 à 1893 s'est construit un corps doctrinal où chaque nouvelle
déclaration s'appuie sur les précédentes comme en témoigne le tableau
suivant :
1845 Pères de l'Eglise
Instruction de 1659
Instructions de la Propagande depuis 1626
Interventions pontificales du XVIIe s. à Grégoire XVI
1869 1845
Concile de Trente
Instruction de 1659
Instructions de la Propagande
Lettres de Benoît XIV et Pie IX
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 217

1883 1659 (méthodes apostoliques, établissement d'instituts religieux)


1845
1869 (instituts religieux, gestion du temporel)
Concile de Trente (clergé et catéchisme unique)
Lettres de Clément XIV et Benoît XIV (baptême des infidèles)
Encyclique Romanos Pontifîces sur l'administration du temporel
(1881)
Décisions de la Propagande, du Saint-Office (pileum), des Rites.
1893 1659
1869
1883

L'instruction de 1893 est bien l'aboutissement d'une réflexion


qui dégage de plus en plus vigoureusement les priorités de la
mission et les moyens de les mettre en œuvre. Conversion des païens,
autonomie financière, clergé indigène : ce tryptique constitue à la
fin du siècle le noyau dur de la doctrine romaine en matière
missionnaire. En revenant régulièrement à ses textes fondateurs, la
congrégation romaine limite les dérives consenties sous la pression
des événements. La logique du jus commissionis menace en effet les
instituts missionnaires de chercher dans leur propre développement
la finalité de leur présence. Les instructions de 1845, 1869, 1883 et
1893 corrigent cette tendance en rappelant avec constance que la
plantation de l'Eglise indigène est le seul et véritable but de la
mission.
Certes ces interventions comportent aussi des ambiguïtés
redoutables qu'illustrent les positions adoptées sur deux questions
sensibles. Les rapports avec le pouvoir civil sont l'objet d'approches
différentes en 1883 et 1893 selon que le partenaire est l'Etat chinois ou
le colonisateur britannique. Le rappel de l'indépendance de la
mission vis-à-vis des autorités politiques figure en bonne place dans
l'instruction de 1883, alors qu'il est absent des instructions de 1869
et 1893. Le processus d'indigénisation est partout souhaité vivement,
mais il est conçu à travers la reproduction du modèle romain, ce qui
transforme profondément la signification du message. Si les progrès
de l'autorité centrale obligent les instituts missionnaires à conserver
un cap conforme à leur idéal originel, ils concourent simultanément
à l'uniformisation des Eglises selon les normes latines. L'entreprise
de romanisation poursuivie en Occident, surtout depuis le concile
de Trente, relayée par Vatican I, s'étend désormais à l'Asie et à
toutes les nouvelles Eglises. Les références au concile de Trente et
du Vatican, aux synodes tenus selon les recommandations de la
Propagande, aux décisions de la Propagande ou d'autres dicastères,
visent toutes à une uniformisation par voie réglementaire qui laisse
de moins en moins de place aux initiatives locales.
218 LA DIRECTION DES MISSIONS

En somme les réemplois de l'instruction de 1659 au cours du


XIXe s. sont tout à fait symptomatiques de l'usage à géométrie
variable d'un texte fondateur. De 1869 à 1893, aucune déclaration
n'éprouve le besoin d'envisager l'hypothèse d'évêques indigènes qui
figurait pourtant en bonne place dans la stratégie préconisée en 1659
et surtout dans l'Instruction Neminem profecto.. Quant aux
Collectanea, elles publient des morceaux choisis de 1659 dans lesquels est
absent, en 1893 comme en 1907, le paragraphe consacré à cette
question L'instruction de 1659 est donc bien un texte normatif de
cette fin de siècle mais selon une relecture très sélective et modulée
en fonction des terrains d'application et du contexte. La
comparaison entre le texte original et la version réaménagée proposée par les
Collectanea de 1907 permet de vérifier que l'instruction primitive aux
vicaires apostoliques des M.E.P. ne constitue pas un bloc mais une
somme de recommandations inégalement et diversement intégrées
selon les époques35.
Apparemment très directives, les instructions se heurtent en
outre aux réalités locales. L'introduction dans toutes les missions du
même enseignement thomiste, des mêmes règles d'admission aux
sacrements, des mêmes usages liturgiques, du même catéchisme
«romain» entraîne des réactions en chaîne et des blocages dont
l'institution est obligée de tenir compte en prévoyant des exceptions
qu'elle espère provisoires.
De la sorte le discours romain aboutit à des propositions
antithétiques. Il juxtapose une critique souvent brutale des
superstitions païennes et la consigne de ne pas heurter les indigènes
inutilement. Il met en garde contre le milieu et ordonne d'apprendre
la langue le mieux possible. Il fait l'éloge du missionnaire
apostolique mais il admet que seul le prêtre autochtone peut être
pleinement accepté par ses compatriotes. Il invite les chrétiens à se
préserver des contaminations venant du paganisme mais il presse le
missionnaire d'aller chez les païens. On pourrait multiplier les
oppositions qui correspondent à la tension entre le modèle de la
chrétienté, reproduisant outre-mer la paroisse traditionnelle
européenne, vivant en vase clos pour se protéger comme une
réduction, et celui de la plantation, qui suppose l'enracinement dans le
pays, l'indigénisation, l'ouverture aux «païens». La contradiction
entre les deux mouvements est censée se résoudre à long terme
par la multiplication de ces chrétientés-modèles qui pourront à
leur tour entreprendre la transformation de la société globale
selon les normes du catholicisme romain.

35 Cet exemple pose la question du réemploi et de l'usage par le magistère


d'une texte ancien hors de son contexte.
L'ÉLABORATION DE LA DOCTRINE MISSIONAIRE 219

Les instructions romaines, à l'exception de Neminem profecto,


se caractérisent enfin par la quasi absence d'un discours
théologique explicite. Nous l'avons déjà observé, la spécialisation
intervenue entre Propagande et Saint-Office a favorisé cette situation.
Certes la Propagande se réfère implicitement aux perspectives
théologiques du moment, structurées autour de la vocation
universelle du catholicisme, de l'urgence du salut, de l'Eglise société
parfaite. Mais en renonçant à développer une théologie de la mission
chez les païens, elle contribue à favoriser l'hypertrophie du
discours juridique, plus ou moins corrigée par toute une spirirtualité
de la mission. La meilleure illustration en est fournie par la
fortune que connaît un texte forgé par les premiers vicaires
apostoliques et familièrement appelé Instructions aux Missionnaires de la
Propagande. Régulièrement repris jusqu'au XXe s., il est édité
primitivement en 1665 sous le titre : Instructiones ad munera
Apostolica rite obeunda perutïles, missionïbus Chinae, Tunchini, Co-
chinchinae atque Siami accomodatae, a missionariis S.C. de
Propaganda Fide Juthiae regia Siami congregatis anno Domini 1665
concinnatae, dicatae Summo Pontifìci Clementi IX36.
Il est difficile d'établir avec précision l'influence qu'exerce au
XIXe s. ces règles rédigées au Siam entre 1665 et 1669 par Mgr
Pallu à partir des conclusions du synode d'Ayuthia. Selon Launay,
sous Léon XIII, chaque prêtre de la société des missions
étrangères de Paris les emporte avec son bréviaire «comme l'ouvrage le
plus important qu'il puisse posséder et le plus utile pour guider
son zèle d'apôtre»37. Les journaux personnels confirment que les
missionnaires du Japon utilisent les Monita ad Missionnarìos -
c'est leur titre à partir de la cinquième édition (1840) - pour leur
apostolat. Le père Planque, Supérieur des Missions Africaines de
Lyon, les cite parmi les ouvrages de référence indispensables38.
Leur succès vient sans doute de l'articulation des considérations
spirituelles et pratiques. On retrouve du XVIIe s. au pontificat de
Léon XIII le même refus de recourir aux moyens purement
humains que sont le commerce et la violence, les mêmes conseils de
prudence, de piété et d'exigence personnelle, les mêmes objectifs

36 Pour les différentes éditions : Bibliothèque de l'Urbaniana. Il existe une


traduction française : Instructions aux missionaires de la S.C.P. traduites par un
missionnaire de la congrégation du Cœur Immaculé de Mane (Scheut). Bruxelles,
Albert Dewit, 1920, 1928 deuxième édition, 298 p.
37 A. Launay, Histoire générale de la Société... op. cit. vol. 1, p. 108.
38 Le P. Bricet, préfet du Dahomey, conseille à Darthois les Monita, après les
Collectanea, parmi les ouvrages de base pour préparer la rédaction d'un
directoire. (A.S.M.A., 2 E 19, Agoué, 16 juillet 1896).
220 LA DIRECTION DES MISSIONS

de formation des catéchumènes et des catéchistes, la même


affirmation de l'identité romaine. Mais capable d'insuffler un esprit
commun, de mobiliser les cœurs et d'orienter l'action, l'approche
spiritualisante choisie par de tels textes ne saurait remplacer une
réflexion dogmatique méthodique. La condamnation des rites
chinois et malabars a causé un traumatisme majeur dont les effets
paralysants jouent encore à plein dans la pensée missionnaire au
XIXe siècle.
CHAPITRE 8

QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE


DE L'ACTION MISSIONNAIRE

1 - De la collecte des informations à la définition d'un cadre pastoral.

La fin du pontificat de Pie IX avait vu la Propagande publier le


premier juin 1877 une lettre encyclique qui exposait les soixante-
trois questions auxquelles devraient désormais répondre les préfets
et les vicaires apostoliques «pour rendre pleinement compte des
régions auxquelles ils sont commis par la Sacrée Congrégation»1. Cette
volonté d'obtenir des relations circonstanciées et régulières n'était
pas une innovation mais l'aboutisement des efforts patients
déployés par la congrégation romaine depuis sa création. Dès 1626
l'ordre était donné au procureur général des capucins d'envoyer «au
moins chaque année» une relation sur les progrès des missions
confiées (commissis) à la congrégation2. L'instruction de 1659
s'attardait à son tour sur les moyens dont les vicaires apostoliques
d'Indochine devront user afin de maintenir une communication
permanente et envoyer à Rome des informations secrètes3. La
Propagande manifestait dans ces directives son intérêt pour une
information qui soit la plus large possible, notamment pendant le
voyage. Les divers décrets qui jalonnent le XVIIIe s. (1741, 1747) et la
première moitié du XIXe s. (1838, 1843, 1844) témoignent d'une belle
permanence dans la poursuite de cet objectif.
Si la plupart de ces instructions connurent un sort très variable
selon les lieux et le temps, ce qui explique leur répétition, la
Propagande mit à profit l'expérience accumulée pour définir
progressivement un cadre de plus en plus précis. En 1798 elle établit un premier
questionnaire pour décider l'érection de nouveaux diocèses,
vicariats ou préfectures apostoliques.

1 Collectanea 1907, vol. 2, n° 1473, p. 190. «Capita quibus respondere debent


Vicarii Apostolici ac Missionum Praefecti ut de regionibus sibi commissis ple-
nam Sacrae Congr. relationem reddant.»
2 Ibid, vol. 1, n° 22, p. 9, 4 mai 1626.
3 Memoria rerum..., III/2, p. 697 et ss., passim.
222 LA DIRECTION DES MISSIONS

Les vingt questions révèlent une structure déjà très affirmée


autour des têtes de chapitre suivantes4 :
- historique de la mission (n° 1)
- description géographique, ethnologique, socio-politique (n° 2
et 3)
- implantation et influence des «acatholiques» (n° 4 et 5).
- liberté religieuse des catholiques (n° 6).
- description des fidèles catholiques (n° 7 à 9).
- résidence, revenus, édifices (n° 10 à 13).
- missionnaires : ministère et connaissance des langues (n° 14).
- clergé indigène : coopération à la conservation et la
propagation de la foi (n° 15).
- catéchistes (n° 16)
- instituts religieux masculins et féminins n° 17).
- conditions et moyens d'instituer des séminaires (n° 18).
- écoles (n° 19).
- confréries, associations pieuses, œuvres (20).
L'érection d'une nouvelle juridiction ecclésiastique autonome
doit donc remplir des conditions précises définies par l'ecclésiologie
tridentine. L'Eglise locale est d'abord marquée par une histoire et un
tissu socio-politique. Elle est soigneusement délimitée dans l'espace
pour éviter tout empiétement de juridiction. (1 à 3). Elle se définit
par rapport aux autres : protestants, schismatiques, musulmans,
païens (4-5). Puis vient l'énumérations des éléments qui vont la
constituer en tant que chrétienté : un évêque ou vicaire apostolique
résident (n° 10), des biens, des lieux de culte et des ressources, un
clergé, des auxiliaires, des séminaires, des œuvres, des associations.
Un tel modèle a valeur universel car il peut s'appliquer aussi
bien aux régions païennes qu'aux contrées européennes dominées
par le protestantisme ou l'orthodoxie. Il sous-entend que le statut
juridique, de la préfecture à l'évêché, dépend de la maturité de la
mission, mesurée par l'importance du clergé indigène, l'implantation
des instituts religieux, le développement des œuvres. Ce schéma
correspond parfaitement à l'esprit des instructions examinées plus
haut.
Le pontificat de Pie IX, héritant des initiatives de Grégoire XVI
et des premiers fruits du réveil missionnaire, voit la Propagande
mettre au point un second document. Au moment où le progrès des
communications maritimes favorise un contrôle régulier de toutes
les missions lointaines, une première lettre encyclique, datée du 24

4 Collectanea 1907, vol. I, n° 645, p. 393-394 : Instr. S.C. de Prop. F. «De in-
formatione exhibenda pro novis Diocesibus, Vicariatibus, vel Praefecturis erigen-
dis», 1798.
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 223

avril 1861, fixe cinquante-cinq questions auxquelles devront


répondre les rapports ou relations des chefs de mission, sur le modèle
des visites ad limino.5. Pour l'essentiel, ce questionnaire constitue un
catalogue largement inspiré du texte de 1798. Il manifeste cependant
des préoccupations beaucoup plus statistiques, avec un souci
d'exactitude et de quantification (quot, quo numero, num...). A l'inverse le
questionnaire évacue tout ce qui concernait l'histoire ou la
description de type ethnographique. D'une manière générale la quête
d'informations sur les populations évangélisées s'efface au profit d'une
démarche descendante visant à juger les missions à partir de critères
déjà fixés par Rome. La rédaction de relations régulières devient
pour le gouvernement romain un moyen d'obtenir définitivement le
contrôle de l'orthodoxie (n° 28), la normalisation des usages, la
répression des «abus» (n° 51), l'application stricte de la législation
ecclésiastique (n° 48).
Un nouveau questionnaire remplace en 1877 la version de 1861.
Le dicastère tranche au même moment les controverses autour de
l'obligation de la visite ad limina, en l'imposant partout et à tous,
quitte à maintenir pour les territoires lointains la procédure de la
relation quinquennale6. Il s'apprête à solliciter les avis les plus
autorisés pour entreprendre l'évangélisation de l'Afrique noire intérieure
à l'heure où se réunit à Bruxelles le Comité de l'Association
Internationale Africaine (juin 1877)7. Il est engagé dans de délicates
négociations avec le Portugal, suit attentivement les affaires d'Asie,
multiplie les nouvelles missions. Autant d'éléments qui prédisposent à
une véritable refonte du document de 1861 pour encadrer
solidement une expansion qui s'accélère. Observons enfin que le
document prend place entre les grandes instructions de 1869 pour les
Indes et de 1883 pour la Chine.
Avec le questionnaire de 1877, la Propagande impose aux chefs
de missions la rédaction détaillée et régulière de relations
quinquennales, voire annuelles, ce qui a longtemps manqué. La lecture des
documents montre qu'il ne s'agit pas là d'un exercice formel. La
correspondance y perd le caractère personnel que les comptes rendus
avaient souvent conservé. Le rédacteur doit se couler dans un cadre

5 Collectanea 1893, n° 104; Ex litt, encycl. S.C. de Prop. Fide, 24 avril 1861,
p. 45-46.
6 Cf. Collectanea 1893, n° 110, Instructio S.C. de Prop. Fide super Visitatione
SS. Liminum, 1er juin 1877.
7 Cf. la synthèse de Marcel Storme in Memoria rerum, vol III/l, p. 261-263. La
Secrétairerie d'Etat et la Propagande bénéficient d'une excellente information
grâce à Leopold II et au nonce V. Vannutelli. La Propagande adresse le 31 août
une circulaire aux sociétés missionnaires «leur demandant de s'informer auprès
de leurs missionnaires 'sur la marche des affaires, les résultats à espérer pour la
religion et sur les meilleurs moyens à employer à cet effet.'»
224 LA DIRECTION DES MISSIONS

rigide et aborder systématiquement tous les points prévus par la


Propagande. Les instructions obligent à répondre à chaque
demande, en indiquant le numéro, quitte à préciser «ad talem numero,
non est quod respondeam», sous peine de réprimande.

Le questionnaire de 1877 : un cadre rìgoureux et stable.

La répétition périodique des relations va modeler


progressivement les mentalités et les conceptions missionnaires. Elle détermine
implicitement toute une stratégie et une pastorale. Les progrès
réalisés dans l'élaboration doctrinale se lisent d'abord dans la
présentation du document. La sèche succession de 1861 laisse la place à un
regroupement en quinze sections. Le catholicisme intransigeant y
manifeste sa volonté d'embrasser toute la vie des chrétientés.

De missionis orìgine, progressu et confìniis.


De missionarìis, eorum qualitate et idoneitate.
De regimine missionum per Vicarios Ap.
De clero indigena.
De Instituas Regularìum.
De ministerìo sacro ac de gentium conversione.
De Ecclesiis, Capellis et Presbyteriis.
De bonis Ecclesiae eorumque administratione.
De rebus ad divinum cultum spectantïbus.
De educatione et institutione iuventutis.
De quibusdam pus instituas diffundendae fidei valde opportunis.
De festis ieiuniis et abstinentiis.
De coemeterìis et sepulturis.
De Sacramentorum administratione.
De abusibus et necessitatibus missionis.

Comparé aux versions antérieures, le questionnaire s'efforce de


concilier une information strictement quantitative et des éléments
d'appréciation qualitative de la situation. Les questions fermées de
1861, qui incitaient à fournir un ensemble de statistiques ou à énu-
mérer sèchement les comportements «a-normaux», sont formulées
de manière plus ouverte. Elles suggèrent l'expression d'avis
personnels (n° 62, 63).
Le plan suivi dans l'exposition témoigne aussi d'une certaine
évolution. Après avoir situé la mission dans le temps et l'espace
(comme en 1798), la première série de questions est consacrée aux
ministres de la religion et à leur ministère «pour la conversion des
gentils». La finalité d'évangélisation des païens est désormais mieux
affirmée. Viennent ensuite l'administration des biens, les
établissements d'éducation de la jeunesse, les œuvres d'assistance. Curieuse-
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 225

ment cependant s'y intercalent six questions (n° 29 à 34) sur le culte
divin. Enfin la dernière série s'étend assez longuement sur la vie
chrétienne en insistant sur le respect de la discipline en matière de
jeûne, de funérailles et d'administration des sacrements.
L'élargissement des préoccupations et les aménagements
apportés à un esprit strictement directif ont-ils pour autant introduit une
autre logique et une autre approche de la chrétienté?
On peut d'abord s'interroger sur cette volonté de rationalisation
qui conduit à des regroupements artificiels, comme celui qui
rassemble sous le même titre les maisons accueillant les catéchumènes,
les catéchistes et les hôpitaux... L'existence d'un tel questionnaire
implique fondamentalement que l'organisation spatiale, les
institutions, la doctrine, la discipline, la vie religieuse doivent répéter un
modèle unique en Europe, en Amérique, en Asie, en Afrique, en
Oceanie. En conséquence l'enquête continue de focaliser son intérêt
sur une chrétienté idéale, déjà constituée, reproductible
universellement, dont la paroisse est l'unité de base, symbolisée par le registre
«d'état des âmes» et l'observation du «précepte pascal»8.
Les ouvertures contenues dans quelques questions ne mettent
pas en cause cette conviction. Elles ne sont jamais des appels à
l'innovation pastorale mais des invitations à proposer des remèdes
contre les abus ou les défaillances, à se rapprocher progressivement
de la chrétienté idéale. Cette logique conduit à contrôler en priorité
tout ce qui concourt à assurer la reproduction du modèle et à
préserver les Eglises de toute contamination extérieure. L'étude du
vocabulaire et des termes récurrents est très révélatrice de ce double
souci. Il prône d'abord la soumission aux normes pour obtenir dans
tous les domaines l'uniformité, gage de concorde, selon les
prescriptions du concile de Trente, du rituel romain et du droit canon.
Le second objectif majeur est de protéger la chrétienté contre la
contagion des néophytes par des idées, des mœurs, des croyances
(superstitions) répandues dans le milieu environnant non
catholique. Anticipant sur l'instruction de 18839, la série de questions
consacrées aux écoles insiste sur la nécessité de respecter une stricte
séparation, certes entre garçons et filles (n° 37) mais surtout entre les
catholiques et les autres. Elle presse les préfets et vicaires
apostoliques de se prémunir contre les risques qu'entraîne dans les collèges

8 N° 19. «Utrum in singulis districtibus, quae parochiarum locum tenent, di-


ligenter serventur libri baptizatorum, matrimoniorum, defunctorum, nec non
status animarum; an ratio habeatur observantiae praecepti paschalis, et utrum
memorati districtus ad formarti paroeciae a canonibus requisitam accédant»·.
9 Collectanea 1907, vol. II, n° 1329, p. 12-13. Instr. S.C. de Prop. F., 25 avril
1868. «Circa scholas et collegia mixta.»
226 LA DIRECTION DES MISSIONS

catholiques l'admission d'infidèles et de protestants; elle demande


de surveiller les catholiques qui fréquentent d'autres écoles (n° 39 et
40). La séparation des lieux de culte doit se prolonger dans un tri,
beaucoup plus délicat à opérer, parmi les dévotions des individus.
L'élimination des superstitions est la condition nécessaire à la
constitution, puis à la fortification des chrétientés10.
Ce souci d'orthodoxie doit cependant être corrigé par la
constatation que les termes employés demeurent extrêmement vagues et
laissent aux chefs de missions le soin de déterminer les
comportements de type superstitieux. Si la volonté de débarrasser le
catholicisme de pratiques suspectes ou répréhensibles ne souffre pas de
discussion, aucun critère de discernement n'est fourni. Une lecture
sérielle de réponses à cette question dans le long terme révélerait
certainement des déplacements permanents des frontières. La
querelle des rites aux Indes et en Chine a encouragé une extrême
rigueur dans un catholicisme prompt à éliminer les conduites
hétérodoxes. Elle a aussi incité les responsables ecclésiastiques à faire
désormais preuve d' une grande prudence dans la définition
autoritaire des rites superstitieux.
L'administration des sacrements constitue un troisième
domaine très important pour que la chrétienté catholique se démarque
du reste de la population. L'interdiction d'admettre des parrains
hérétiques ou schismatiques, pour le baptême et la confirmation, est
strictement maintenue11. La législation matrimoniale est soumise à
des règles rigoureuses dont Rome prévient des interprétations
localement laxistes en limitant et contrôlant l'usage des dispenses. Pas
moins de six questions sont nécessaires pour traiter du mariage.
Après avoir posé la loi (n° 55 : le décret Tametsi12), exigé la
publication des bans (n° 56), l'enquête prévoit trois questions sur
l'utilisation des dispenses (n° 57-58-59). Plus circonspecte en ce qui
concerne les mariages mixtes, qu'elle sait inévitables quand les

10 ^jo 34 «Δη in cultu divino ac veneratione sanctorum aliquae superstition.es


irrepserint, et quae».
N° 61. «An in celebratione matrimoniorum christiani immisceant aliquas
caeremonias superstitiosas».
11 N° 51. «Utrum debita diligentia adhibeatur a missionariis, ne haeretici aut
schismatici ut patrini in sacramento Baptismi et Confirmationis admittantur».
12 Le décret Tametsi, adopté par le concile de Trente en 1563, définit le
mariage comme un sacrement et un contrat régi par la société. Il lie donc la validité
du mariage à l'observation de règles strictes : l'échange des consentements devra
avoir lieu en présence du curé juridiquement compétent et de deux témoins. Il
fait cependant une concession en admettant, dans des circonstances
particulières, la validité des mariages clandestins aussi longtemps que l'Eglise ne les
déclarait pas nuls. Cette clause est d'une grande importance pour les missions et
suscite des questions incessantes.
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 227

tholiques sont en situation minoritaire, la Propagande demande là


aussi une surveillance attentive et entend être exactement
informée13.
Reproduction, romanisation, uniformisation, défense de
l'orthodoxie, conformité rigoureuse aux lois et aux rites de l'Eglise. Le
questionnaire de 1877 s'inspire à l'évidence des principes exposés
dans les instructions que nous avons examinées. Il propose aussi les
mêmes priorités : étude des langues indigènes, formation du clergé
indigène, financement des missions. L'étude des langues verna-
culaires est l'objet d'une seule mention mais elle annonce
l'instruction du 22 juillet 1883 aux préfets des missions14. Le clergé indigène
bénéficie au contraire de trois rubriques. Dès lors que l'évangélisa-
tion est commencée, le préfet apostolique doit exposer ce qu'il fait
pour préparer l'introduction d'un clergé autochtone y compris dans
les zones jugées les plus sauvages. Les question 7 et 8 utilisent des
termes ambivalents. L'insistance sur un clergé indigène «conforme»
(ideonitate) peut justifier la lenteur des missionnaires à le
promouvoir. Cependant le rédacteur du rapport devra désormais rendre
compte régulièrement de ses efforts pour ouvrir des séminaires,
former le clergé autochtone, éviter toute discrimination (n° 9).
L'importance accordée aux biens ecclésiastiques ne surprend pas
dans une Eglise qui adopte pour modèle missionnaire la chrétienté,
voire le village chrétien, et tient à protéger ses fidèles du monde
environnant. Or la construction des édifices cultuels, des écoles, des
orphelinats, hospices, hôpitaux..., l'entretien du clergé, la rétribution
des catéchistes et des maîtres d'école, supposent des ressources
importantes. Dans un premier temps chacun admet la nécessité de
recourir à des financements extérieurs. Soucieuse de prévenir des
pratiques douteuses, des excès, des dépenses superflues, la Propagande
exige une administration au-dessus de tout soupçon et assurée
collectivement par les missionnaires15. Elle demande aussi un compte
rendu précis sur l'utilisation des revenus, notamment les subventions
octroyées par l'Œuvre de la Propagation de la foi (n° 24).
La dépendance financière engendrée par ce mode de
financement externe doit cependant être provisoire. De même que la
formation d'un clergé indigène est justifiée par l'éventualité d'une
expulsion des missionnaires étrangers, la constitution de ressources lo-

13 N° 60. «An usus matrimoniorum mixtorum invaluerit, et qua frequentia, et


quomodo circa ea missionarii se gérant».
14 Collectanea, vol. II, n° 1602, p. 184-185 op. cit.
15 N° 28. «Utrum adsit Consilium aliquod missionariorum ad eadem bona vel
reditus administrandos, et ad impediendam eorumdem dissipationem, et utrum
fidèle aliquam partem habeant in praedicta administratione».
228 LA DIRECTION DES MISSIONS

cales peut seule garantir l'avenir de la chrétienté. Le questionnaire


rejoint par cette autre préoccupation fondamentale les instructions
de l'époque. L'auto-fïnancement figure aussi au premier plan des
objectifs fixés aux missionnaires, malgré un contexte souvent peu
favorable à cause de la pauvreté des fidèles (n° 25).
Il est tentant de voir dans cette orientation une preuve de la
lucidité de la Propagande et de la modernité de ses positions. La réalité
est plus complexe. La perspective d'auto-subsistance s'explique par
le projet de planter des chrétientés autonomes qui risquent de
former des ilôts mal intégrés, et donc mal acceptés. L'image du
monastère trappiste vivant en auto-subsistance, à Staouëli en Algérie, à
Mariannhill en Afrique australe, ou celle du village chrétien,
reproduit sur tous les continents, avec quelques variantes, nourrit
fortement la pensée missionnaire. De ce point de vue la formation d'un
patrimoine regarde largement en arrière vers un Moyen-Age
mythique.
Il ne faut pas davantage négliger les conséquences redoutables
de la constitution d'une propriété foncière ou immobilière. Elle
implique inévitablement d'en assurer la protection. La stratégie
missionnaire, à la base comme à Rome, est dès lors conditionnée par
des intérêts matériels qui poussent à préférer un régime politique
assurant la sécurité des biens et des personnes. Les missions de
Chine sont particulièrement confrontées à ces contradictions et
exposées en permanence aux convoitises, aux rancœurs et aux
susceptibilités nationalistes. Parfaitement informée de ces risques, la
Propagande introduit deux questions qui incitent au respect des lois et à
la prudence à l'égard des autorités mais n'apportent pas de réponse
sur le fond (n° 26 et 27).
Le rôle de ce questionnaire dans la vie des missions est essentiel.
Il constitue la seule référence commune à l'ensemble des missions et
fixe pour longtemps la grille à travers laquelle est appréciée leur
action. Il atteste par ailleurs que la doctrine missionnaire de la
Propagande est élaborée dès 1877. Le modèle de la chrétienté autonome,
la quête de l'orthodoxie, la préservation des fidèles, quitte à les
séparer matériellement de leurs compatriotes, imprègnent également
tous ces documents. Il en résulte une extrême cohérence qui fait à la
fois la force et la faiblesse de ce discours. La spécificité missionnaire
et la part reconnue à l'innovation y apparaissent très réduites, sinon
nulles. Rarement citée, ou interprétée d'une manière singulièrement
restrictive, l'exhortation de 1659 sur les respects des coutumes
semble s'effacer de la pastorale missionnaire.
Cependant la logique de la reproduction n'est pas exclusive. Ses
effets sont partiellement atténuées par quelques préoccupations que
la Propagande n'a pas cessé de maintenir au premier plan, y compris
en cette période où triomphe la croyance dans la supériorité de la ci-
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 229

vilisation occidentale. En exigeant l'étude des langues vernaculaires,


la formation du clergé indigène, la constitution de ressources
locales, la place d'Espagne ne rompt pas avec la logique dominante de
romanisation des Eglises nouvelles. Mais ces trois objectifs, devenus
au fil des années sa marque propre, empêchent les sociétés
missionnaires de se considérer définitivement propriétaires des territoires
qui leur sont confiés par la Propagande, de regionibus sibi commis-
sis, pour reprendre la formulation de l'intitulé du questionnaire. Ces
trois impératifs donnent pour horizon de la mission la construction
d'Eglises vivant par elles-mêmes et non à partir des hommes et des
ressources venus d'ailleurs. Sans doute une telle perspective
apparaît-elle alors bien lointaine et renferme-t-elle de graves illusions
parce qu'elle ignore encore les mécanismes d'acculturation et les
ambiguïtés de certains choix. Mais elle a historiquement constitué
une limite à la tentation de fonder des Eglises satellites, concédées à
des congrégations religieuses, condamnées à recevoir de l'extérieur
clergé et argent.

2 - L'impact des questionnaires sur la vie des missions.

Les relations envoyées à la Propagande par les chefs de mission


fournissent des indications convergentes sur la réception des
instructions romaines. L'exploitation systématique de ces sources
nécessiterait de comparer les réponses selon la nature de la relation.
Nous avons dû nous imiter à une enquête plus modeste en
choisissant de comparer trois types de relations concernant la même
région, le Dahomey, confié à la société des missions africaines de
Lyon, puis de multiplier les sondages dans d'autres zones pour
vérifier ou infirmer les conclusions tirées de cet exemple africain16.

Les relations annuelles.


La relation annuelle, de mieux en mieux respectée à la fin du
siècle, présente apparemment un intérêt mineur en dehors de ses
données statistiques. Pourtant son caractère laconique met en
valeur les traits jugés les plus significatifs par les missionnaires et la
Propagande. A travers les réponses fournies en 1898 par Henri Bri-
cet, préfet apostolique du Dahomey, s'affirme un schéma directeur
très net pour la fin du XIXe s.17. Nous reproduisons ci-dessous in ex-

16 Afin de ne pas orienter le sondage, j'ai demandé au père Douau, archiviste


de la S.M.A. de me fournir trois rapports de la fin du XIXe s. portant sur une
même région, sans tenir compte du contenu.
17 A.S.M.A.. H. Bricet à Mgr Ciasca, secrétaire de la S.C. de la Propagande.
Description annuelle de la Mission du Dahomey. Agoué (Dahomey) le 9
septembre 1898.
230 LA DIRECTION DES MISSIONS

tenso une «Description annuelle de la Mission du Dahomey.»


Nom de la Mission : Préfecture apostolique du Dahomey.
Nom du Supérieur : Hyacinthe Bricet, Préfet apostolique.
Nom de la résidence et de la province où il habite : Agoué, Dahomey.
Limites de la Mission : Au Nord, elle n'en a point; à l'est, le fleuve Ocpara et
le lac Nokué...
A qui appartient le pouvoir civil? A la France. La Préfecture comprend toute
la colonie française du Dahomey : moins la langue de terre située entre
l'Ocpara et l'Adjara, parcelle restée sous la juridiction de l'évêque de
Lagos.
Nombre de catholique : 5500. Les catéchumènes sont au nombre de 479.
Nombre de prêtres européens : vingt.
Nombre de prêtres indigènes 0.
Y-a-t-il de vraies paroisses? Non.
Combien de stations où résident les missionnaires : 6 : Agoué, Athiémé,
Grand-Popo, Ouidah, Zagnanado, Abomey-Calavy.
Combien de stations non résidentielles : 18.
Combien d'églises : 4 : à Agoué, Grand-Popo, Zagnanado, Abomey-Calavy.
Combien de chapelles : 5...
Y-a-t-il un séminaire : Non.
Combien d'écoles élémentaires pour les garçons : 8.
Combien d'écoles pour les filles : 4.
Combien ont-elles d'élèves : 230.
Autres établissements d'éducation : II n'y en a point.
Instituts de charité : orphelinats de garçons à Anthiémé, Agoué, Grand-
Popo, Ouidah, Abomey-C, Zagnanado, renfermant 99 enfants.
Orphelinats de filles : à Ouidah et à Agoué : 45 enfants.
Pharmacies-dispensaires : 6.
Hôpital : un.
Asiles pour les vieillards : un à Ouidah, un à Agoué. Ont hospitalisé cette
année 42 vieillards.
Soins de malades à domicile : dans toutes les stations.
Instituts religieux : Hommes : 20 prêtres des Missions africaines de Lyon.
Religieuses : 10 sœurs des Missions Africaines de Lyon.
Remarques
Par suite de diverses délimitations successives, Apido, Petit-Popo, Port-
Seguro, Atakpamé n'appartiennent plus à la Préfecture du Dahomey. Atak-
pamé n'a même plus de missionnaires. Les langues indigènes sont le Nago et
l'Ewé qui se divisent en plusieurs dialectes. Dans le Nord, on parle le Bariba,
le Haoussa, le Codokoli.
Les communications sont malheureusement difficiles en certaines
missions. Les sentiers traversent des marécages d'où il n'est pas facile de sortir;
les hautes herbes ou les halliers épineux envahissent le chemin. Une grande
partie de l'année, l'eau est insuffisante dans la rivière pour voyager en
pirogue.

La mission est d'abord définie par une localisation, un supérieur


et sa résidence. La question des limites est en bonne place, non seu-
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 231

lement par ses incidences sur la juridiction, mais de plus en plus par
la nécessité de les faire coïncider avec les délimitations coloniales.
La communauté catholique est composée de fidèles baptisés ou en
voie de l'être, sous la direction de prêtres. La paroisse reste l'idéal,
mais provisoirement il faut se contenter de stations où le petit
nombre de prêtres ne permet généralement pas la résidence d'un
missionnaire. L'effort porte dans la première étape de l'évangélisa-
tion (elle a été entreprise au Dahomey en 1861) sur la mise en place
d'un réseau d'œuvres d'assistance et d'écoles. La question du clergé
indigène ne se pose pas encore. Le préfet apostolique n'en signale
pas moins son absence. Il éprouve enfin le besoin de donner
quelques renseignements complémentaires sur les langues indigènes et
les difficultés de communication, sans doute pour souligner les
difficultés de la mission et prévenir éventuellement des jugements trop
sévères concernant ses progrès. Implicitement se dessine le portrait
d'une chrétienté organisée autour de ses missionnaires, de son
église, de ses écoles, de ses orphelinats et de ses œuvres d'assistance.
Ces critères sont aussi ceux qui sont retenus par les statistiques
officielles. Les Missiones catholicae™ proposent des tableaux de
l'Afrique ou de l'Océanie distribués en cinq colonnes : nombre de
catholiques, stations, églises ou chapelles, prêtres, établissements
d'éducation et charitables. La même présentation est conservée pour
l'Asie, avec des variations mineures (rubriques écoles et orphelinats
de préférence aux appellations institutions d'éducation et de
charité). Cependant elle distingue les prêtres indigènes des missionnaires
européens et met à part les séminaires.

Le questionnaire d'érection ou de transformation des missions.

Les réponses aux questionnaires destinés à demander la


constitution d'une nouvelle unité territoriale révèlent une optique un peu
différente car l'argumentation doit apporter la preuve que cette
nouvelle mission sera viable. Elles apportent trois types d'informations.
La première concerne la manière dont la mission conserve la
mémoire de ses origines. C'est souvent l'occasion de décrire la
stratégie missionnaire :
«1. Commencée en 1861, la mission du Bénin s'est faite surtout
par le moyen des écoles. Les progrès ont été lents, mais continus. On
peut dire que tous nos enfants deviennent catholiques. Le nombre des
mariages chrétiens augmente chaque année : c'est le noyau des jeunes
familles chrétiennes qui donne force et espérance».

18 Cf. Missiones catholicae 1886 p. 51 (Corée, Japon, Mandchourie, Thibet),


56 (Chine), 68 (Indochine), 98, (Indes), 170 (Afrique). Mêmes tableaux en 1891,
1895, 1901...
232 LA DIRECTION DES MISSIONS

Ici se confirme la priorité donnée aux enfants, dans les missions


d'Afrique occidentale comme ailleurs. Ce choix rejoint la doctrine
d'ensemble de la Propagande et des instituts missionnaires qui
préconisent la plantation de cellules chrétiennes à partir de jeunes mis
à part et capables par leur mariage de constituer des petites
communautés. La dialectique séparation/plantation joue à plein selon des
modalités laissées à l'appréciation des missionnaires. Une telle
stratégie s'accorde avec les craintes que suscite l'immersion dans un
milieu païen hostile par nature au catholicisme. Cependant, si les
mœurs primitives et la résistance des Chefs africains qui craignent
«de se voir dépouillés de leurs états par les blancs», constituent de
réels obstacles, il existe d'autres adversaires beaucoup plus
menaçants aux yeux des missionnaires catholiques, avec lesquels ils
livrent une véritable course de vitesse : les protestants et surtout les
musulmans.
«4. Les Protestants ont établi depuis longtemps sur la côte et
envoient de nombreux émissaires à l'intérieur. Le nombre de leurs
prosélytes ne s'est pas augmenté en proportion des ressources
considérables dont ils disposent.
Un ennemi beaucoup plus à craindre, c'est l'Islamisme. Il fait
chaque année de rapides progrès et va tout envahir si nous ne nous
hâtons pas. La plupart des villes ne sont pas musulmanes. Il faudrait
multiplier nos stations, augmenter le personnel des missionnaires. Et
le seul moyen, c'est la division.»19

Si les concurrents changent selon les lieux et les temps, l'esprit


de compétition n'a pas varié. Loin d'être un argument pour avancer
lentement, la concurrence incite au contraire à accélérer la
fondation de nouvelles stations, l'envoi de missionnaires, la création
d'écoles. Mgr Augouard justifie l'érection d'un nouveau vicariat de l'Ou-
bangui en expliquant : «II n'y a ni hérétiques ni schismatiques mais
il importe que les missionnaires catholiques devancent les ministres
protestants.»20
La compétition entre confessions chrétiennes conduit parfois à
des argumentations inattendues, par exemple quand il s'agit de
justifier la transformation de la préfecture apostolique de Zanzibar (ou
Zanguebar) en vicariat apostolique. Le père Emonet, supérieur
général des spiritains, après avoir opposé les mahométans aux Noirs

19 Entendre évidemment la division de la préfecture du Dahomey en deux


missions, Dahomey et Bénin.
20 A.C.P.F. Acta 250 (1890). Division du Vicariat apostolique du Congo
français, f. 279-284. Réponse de Mgr Augouard à l'enquête de la Propagande, f. 280-
281, questions 4 et 5.
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 233

fétichistes (réponse 10) et souligné les dangereuses initiatives des


anglicans et des «méthodistes» richement subventionnés (n° 11),
conclut ainsi le rapport :
«Les protestants ayant à leur tête un évêque, et cet évêque s'atta-
chant à imiter plus ou moins les cérémonies catholiques, il en résulte
pour le chef actuel de la préfecture une sorte d'infériorité dans l'esprit
public, si bien que les indiens et les arabes, et même des catholiques
portugais peu instruits, regardent nos missionnaires comme
dépendant de l'évêque anglais. La présence d'un Vicaire apostolique
assurera à la Mission devant le public, le Sultan et les Consuls européens, le
rang qui doit lui appartenir21».
La stratégie missionnaire des postes avancés, constitués le plus
solidement possible de petites communautés très homogènes et
encadrées, s'emploie à conquérir les païens, car protestants et
musulmans sont hors de portée. L'indigène païen apparaît davantage
victime de ses superstitions que responsable de sa sauvagerie. Au-delà
de sa férocité, il manifeste à l'égard du missionnaire une bonne
volonté qu'il est impensable d'attendre des hérétiques et des
musulmans :
«Le nombre des indigènes est inconnu. Ce que l'on peut affirmer,
c'est que la population est considérable. Plusieurs tribus sur la rive
droite de l'Oubangui sont anthropophages et toutes sont livrées au
fétichisme le plus grossier. Elles seront heureuses de voir les
missionnaires s'établir au milieu d'elles pour instruire le enfants et donner
leurs soins aux malades.»22
Toutes les réponses qui suivent (n° 7 à 20) ont pour fonction de
légitimer l'érection d'une nouvelle mission en montrant qu'elle jouit
du minimum vital. Celui-ci suppose que la liberté religieuse soit
garantie; elle admet aussi bien des situations coloniales que des états
indépendants23, bien que la première solution semble
progressivement préférée24. Elle exige un nombre «suffisant» de catholiques
(10000 ici, une poignée dans d'autres cas), une résidence convenable

21 A.C.P.F. Acta 252 (1883/1) f. 1072-1077 r. Zanzibar. Erection du Vicariat


apostolique et nomination de Mgr Rodolphe de Courmont. cit. f. 1073 r.
22 Ibid.
23 A.C.P.F. Acta 246 (1878), f. 650-653. Borneo. Projet de nouvelle mission
dans la préfecture de Labuan, affiliée à la société de Mil-Hill. Réponse à la
question 6 : la liberté de prédication est assurée dans le royaume et le rajah
protégerait probablement les missions catholiques. Sa femme est prête à entrer «dans le
giron de l'Eglise catholique». Le commandant des troupes est un anglais
catholique.
24 A.C.P.F. Acta 250 (1890) f. 279-284. Erection du Vicariat apostolique de
l'Oubangui et nomination de Mgr P. Augouard. Réponse 6 du père Emonet :« Les
missionnaires ont toute liberté d'y prêcher la foi catholique, le gouvernement
français leur promet sa protection et même son secours, dans le but d'y étendre et
234 LA DIRECTION DES MISSIONS

pour le chef de mission avec une église, des stations disposant,


même modestement, de cet équipement de base que sont la
chapelle, la résidence, des missionnaires, des religieuses25, des écoles et
des établissements de soin26. L'absence de ressources locales et de
clergé indigène n'est pas un obstacle au statut de vicariat27 mais la
perspective d'une indigénisation future est toujours mentionnée,
d'autant que trois questions y ramènent obligatoirement le
rédacteur des rapports. Bien qu'au Dahomey la possibilité de créer un
clergé local apparaisse encore lointaine, le père Planque, supérieur
de la société, souligne que les missionnaires ont entrepris de former
des auxiliaires et laisse entendre que l'établissement d'un séminaire
sera envisagé dès que possible.
«15. Il n'y aura pas de sitôt des prêtres indigènes.
16. Il y a quelques jeunes gens qui deviennent maîtres d'école et
donnent une bonne et utile coopération aux Missionnaires. C'est ainsi
qu'à Wydah, depuis plusieurs années, nous avons placé un jeune
maître d'école marié et qui répond complètement à notre attente.
18. Il n' y a pas encore possibilité d'établir un Séminaire.»

Planque reprendra un argument classique pour justifier ce délai


à l'occasion de la demande d'érection de la Côte d'Or en vicariat
apostolique (1901) : «La civilisation et la foi n'ont pas encore
transformé ces natures pour que nous puissions songer à former un
clergé indigène»28. Mgr Augouard en fait aussi une affaire de temps en
Oubangui et s'engage à la fondation rapide d'un séminaire. Dans
l'intervalle il prône la formation de catéchistes indigènes29.
Sous des modalités variables, tous les instituts missionnaires
s'inspirent de la même logique. Présente physiquement dans le pays,

développer l'influence politique et civilisatrice de la France.» Les réponses


semblables se multiplient en Afrique, en Indochine, en Oceanie.
25 17. «A Lagos, à Porto Novo, à Agoué, nous avons des soeurs pour les écoles
de filles.»
26 19. «Nous avons des écoles dans toutes nos stations; dans quelques-unes il
y a des internes. Nous pourrions avoir des écoles et des convict partout où nous
nous établirons.
20. Nous avons des Confréries du Rosaire ou des filles de Marie partout où
nous sommes établis actuellement. Nous avons aussi des hôpitaux rudimen-
taires, des pansements de plaies, des orphelinats à l'état naissant, le tout sous
notre unique dépendance.»
27 «12. Les Missionnaires sont soutenus par l'Œuvre de la Propagation de la
Foi.
13. Rien à obtenir (= ressources locales).
14. Les Missionnaires en nombre suffisant sont prêts à partir.»
28 A.C.P.F. Acta, 271 (1901), Erection de la préfecture apostolique de la Côte
d'or en Vicariat Apostolique. Rapport de Planque, Rome, 12 février 1901, f. 355-
356.
29 Rapport cité sur la division du Congo français, note 20.
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 235

la mission constitue une micro-société dotée de principes, de règles,


de rites qui marquent la différence avec le milieu. La conservation
d'un questionnaire fixé en 1798 témoigne de la puissance du
consensus catholique autour de quelques critères simples et du modèle de
la chrétienté.

Le rapport quinquennal, miroir de la mission et instrument de


contrôle.

Néanmoins les rapports quinquennaux sont les documents les


plus aptes à nous faire pénétrer au cœur des relations entre Rome et
les chefs de mission. Leurs 63 questions obligent à une très grande
précision dans les réponses qui sont soumises à un examen
particulier par la commission ad hoc de la Propagande. Puis elles sont
sanctionnées par une lettre personnelle du préfet qui communique
l'appréciation portée sur l'action des missionnaires, véritable
certificat de conformité. La procédure permet donc de repérer les points
sensibles à plusieurs stades : réponse du chef de mission, travail des
consulteurs ou fonctionnaires permanents sur le document (les
marges comportent souvent des marques au crayon de couleur),
voto des consulteurs, lettre finale du préfet.
L'immensité de la documentation pourrait là aussi susciter une
étude systématique qui romprait les séparations géographiques
traditionnelles à travers lesquelles ces documents sont habituellement
lus. Dans l'attente de tels travaux, nous avons procédé à la mise en
parallèle de rapports quinquennaux appartenant aux grandes
régions de l'expansion missionnaire. Très vite, le caractère répétitif
des critères nous a confirmé qu'il y avait totale concordance entre
l'esprit qui guidait le questionnaire de 1877, les instructions de 1869,
1883, 1893 et les réponses des chefs de mission. La grille de lecture
qui se dégageait de l'étude du questionnaire s'appliquait sans
difficulté à toutes les relations. Nous avons donc privilégié à nouveau le
cas du Dahomey en le complétant par d'autres relations pour vérifier
sa valeur d'exemplarité.
Avant toute autre considération, la relation matérialise la
reconnaissance de l'autorité de la Propagande sur la mission et
témoigne de la soumission du clergé :
«Les missionnaires qui travaillent au bien des âmes dans la
Préfecture apostolique du Dahomé (sic) sont au nombre de vingt et un.
Tous appartiennent à la Société des Missions Africaines de Lyon. Ils
n'ont point les vœux de religion; mais ils sont liés par un serment de
stabilité et d'obéissance à la S.C. de la Propagande et aux
constitutions de leur Société»

Les mesures adoptées en faveur de l'apprentissage et l'utilisation


des langues vernaculaires figurent toujours en très bonne place :
236 LA DIRECTION DES MISSIONS

«Les langues indigènes sont nombreuses : quatre principales. Les


missionnaires les apprennent et s'efforcent de les fixer par l'écriture.
Trois catéchismes, des livres de prières en sont à la troisième édition.
Nous préparons deux dictionnaires».

Mais les rubriques sont avant tout inspirées par la volonté


d'uniformité dans la conformité aux normes romaines.

uniformité de discipline et de pastorale entre missionnaires :


«3. Nous sommes heureux du zèle de nos missionnaires. Il leur
est facile de comprendre par expérience combien une manière
uniforme de faire est nécessaire. Ils sont aussi amenés à cette uniformité
par notre Directoire.
13. Nous avons sous presse un Directoire pour la conduite privée
des missionnaires et leurs rapports avec les fidèles.»

uniformité de doctrine :
«15. Nous n'avons point remarqué de divergences entre les
missionnaires pour l'enseignement de la morale. Plusieurs fois nous
avons voulu tenter d'établir des conférences pour discuter des cas de
morale, exciter les études ecclésiastiques, et promouvoir plus
facilement l'uniformité. L'éloignement des stations, la difficulté des
communications ne nous ont pas permis la réalisation de nos désirs.
Reste le moyen de s'éclairer par lettres. Au besoin il est employé.
17. Nous avons adopté le catéchisme suivi dans toutes nos
missions de la Côte; à quelque chose près, c'est le catéchisme du diocèse
de Cambrai.»

uniformité dans la liturgie et les règles ecclésiastiques.


«29. Je suis heureux de voir la sainte liturgie bien observée.
45. Dans toutes la Préfecture, en vertu d'un Induit, nous ferions
seulement les fêtes de Noël, Ascension, Assomption, Toussaint. Nous
pensons qu'il n'y a rien à changer sous ce rapport.
46. Les Indigènes observent les jeûnes et abstinences de l'Eglise,
avec induit dispensant de l'abstinence, les dimanche, lundi, mardi,
jeudi de carême.

Uniformité dans l'administration des sacrements et le contrôle des


pouvoirs :
«49. Nous suivons exactement le rituel romain en
l'administration du baptême.
53. A cause de l'éloignement des stations et de la difficulté des
communications, il n'y a pour les missionnaires de cas réservés que
les cas de la feuille IV. En arrivant en mission les missionnaires
reçoivent un directoire qui leur donne pleine connaissance de leurs
pouvoirs.»

Enserrés dans l'application d'une législation de plus en plus


raffinée et pointilleuse, les missionnaires disposent de très peu de lati-
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 237

tude pour s'adapter aux conditions locales. La rigueur est


particulièrement sensible en matière d'administration des sacrements
pour laquelle affleure l'influence de positions très strictes sur la
validité du sacrement. Ainsi le baptême administré par les indigènes.
Bricet prévient les critiques contre l'accusation d'un manque de
précautions en affirmant : «II n'y a pas lieu de douter de la validité du
baptême administré par les indigènes, spécialement instruits sur ce
sujet». Même sévérité dans les mariages. Si le concile de Trente n'a
pas toujours été publié30, ses dispositions sont appliquées pour des
mariages que l'on souhaite autant que possible entre chrétiens. Et
l'affichage des bans dans une Afrique de tradition orale semble aller
de soi. Soucieux de prouver que la loi est parfaitement observée
dans le territoire qui lui est confié, le chef de mission doit prendre
des précautions chaque fois qu'il mentionne une exception à la loi
commune du catholicisme. Il s'appuie autant que possible sur une
permission officielle :
«49... En vertu d'un induit, après avoir fait les interrogations en
latin (pour administrer le baptême), nous les répétons en langue
vulgaire.»

Les usages non romains sont mentionnés et justifiés, prévenant


toute dénonciation de quelque rubriciste scrupuleux :«Les adultes
sont ou non confirmés aussitôt le baptême, selon les circonstances.
L'usage déjà établi d'essuyer le front des confirmés avec du coton,
comme on fait en France, a été conservé, car les moindres
changements scandalisent le peuple».
uniformité des méthodes d 'evangelisation :
«Les dispensaires, le soin des malades dans nos asiles à domicile,
la visite des païens, les récompenses accordées aux enfants qui
avertissent quand ils connaissent des malades ou amènent quelque
nouvelle recrue au catéchisme, sont de bons moyens d'évangélisation.»
uniformité enfin par la généralisation du modèle de la chrétienté, forte
de son personnel, de ses œuvres, de ses écoles.
«19. Le livre de baptêmes, mariages, confirmations, décès, status
animarum, et des familles sont tenus exactement. La brièveté de notre
vie rend ces livres encore plus précieux... Chaque station est érigée en
forme de paroisses dont les limites seules ne sont pas bien fixées, mais
qui a ses prêtres, ses œuvres propres, ses écoles etc..»

L'objectif principal de la Propagande est donc tout à fait atteint


en cette fin de siècle, avec pour contre-partie une rigidité
contraignante qui ne souffre guère d'accommodements.

30 Ibid. «55. Le Concile de Trente n'a point été publié.»


238 LA DIRECTION DES MISSIONS

La préservation de la pureté de la foi est le second fil directeur


que nous avions repéré dans le questionnaire. La défense de
l'orthodoxie et la protection des chrétiens, obsession des instructions
romaines, apparaissent dans les réponses pleinement intériorisées. Le
refus de toute concession aux superstitions en est la première
manifestation :
«34. Nous ne pensons pas qu'il y ait des superstitions dans le
culte des saints.
47. Nous ne connaissons pas de superstitions dans les funérailles
des chrétiens.
61. Il n' y a point de cérémonies superstitieuses dans les
mariages.»

Conformément au modèle de la chrétienté, la meilleure


méthode pour éradiquer les superstitions consiste dans l'éducation des
enfants, de préférence en internat, la séparation des chrétiens de
leur milieu païen, symbolisée par la répugnance que suscitent les
mariages mixtes.
«62. Le remède (contre les usages païens) est dans une
instruction religieuse solide, la réception fréquente de la Sainte Eucharistie
et la vigilance des prêtres..
51. Jamais schismatiques ni hérétiques ne sont admis comme
parrains.
60. Il n'y a point de mariages mixtes. Il leur répugne aussi de se
marier avec des infidèles».

La séparation des vivants, et aussi des morts dans des cultures


où les ancêtres sont omniprésents, veut ainsi prévenir la contagion
des superstitions.
«48. Nous avons plusieurs cimetières séparés et bénits. Nous
tendons à en avoir partout. La plus grande difficulté, c'est qu'il faut
dépenser de l'argent pour les clôtures, qui doivent être solides à cause
des fauves et des orages, et notre pauvreté est extrême; nous n'avons
que le nécessaire. Les chrétiens tiennent beaucoup à ces cimetières».

Pourtant, malgré la volonté de se conformer aux directives


romaines, les missionnaires doivent parfois confesser que la
séparation stricte entre paganisme et catholicisme n'est pas aussi aisée que
plusieurs réponses voudraient le laisser penser. Ainsi la volonté de
mettre les chrétiens à part suppose un regroupement qui n'est pas
forcément possible, pour les enfants comme les catéchumènes.
«42. Nos catéchumènes vivent dans leur famille, il n'y a à cela
aucun inconvénient, et c'est une économie énorme. Leur nombre et la
durée du catéchuménat ne le permettrait pas. Ils apprennent aussi
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 239

bien la doctrine que s'ils étaient pensionnaires. Les pauvres reçoivent


des aumônes et il y a des asiles pour les malades et vieillards.»

Le mariage est sans aucun doute l'acte de la vie sociale qui


révèle le mieux ces tensions souterraines entre l'ouverture que requiert
la conversion des païens et la fermeture à laquelle aboutit la
protection des néophytes.
«62. Nos premiers missionnaires trouvèrent sur cette côte
quelques centaines de chrétiens. Cela leur fut une vraie force. Mais ces
chrétiens n'avaient aucune connaissance du dogme ni de la morale et
avaient accepté beaucoup de coutumes païennes, idolâtriques.
Beaucoup de nos chrétiens appartiennent à des familles païennes; celles-ci
veulent souvent les marier selon les usages païens, le danger est
extrême.»

La mission mise sur l'imposition d'un nouveau modèle


matrimonial pour dépasser ces contradictions. Elle attend de la formation
de ménages chrétiens la transformation individuelle et collective des
Africains. Sans illusion :

«63. Le Noir à cause du climat, de l'ignorance, de son caractère,


est très mou. Le remède : ... l'abolition de l'exagération d'autorité des
parents et des maîtres qui ont droit de tout commander, surtout pour
les mariages.
64. Multiplier les mariages, établir solidement l'esprit de famille,
diminuer les dépenses excessives et ridicules de la plupart des
mariages, s'opposer au luxe du? (il n'est pas entravé), inspirer l'amour du
travail, de la terre surtout, même au civil éloigner des musulmans.
Que le prêtre soit toujours là pour soutenir, au besoin relever.
Sans doute nous nous sommes dépensés à cette rude besogne,
mais le succès est loin d'être assez complet».

L'aveu est significatif. Engagés dans une difficile lutte pour


introduire le mariage chrétien, les missionnaires y affrontent tous les
problèmes liés à la résistance des traditions. Craignant que les
néophytes soient repris par leur milieu, ils optent pour la formation
d'une contre-société chrétienne qui impose d'autres modes de
fonctionnement.
La contradiction entre les exigences de la conquête et celles de
la préservation des fidèles se retrouve dans les écoles. Elles sont un
moyen de christianisation unanimement reconnu. Mais en
accueillant des non catholiques, elles peuvent exercer une influence
néfaste. Aussi des règles strictes définissent les rapports entre
catholiques et non catholiques à l'intérieur des établissements, sans
abandonner le projet de les convertir à la «vraie foi», à l'exception des
éléments inassimilables qui seront exclus des écoles.
240 LA DIRECTION DES MISSIONS

«36. Nous admettons dans ces écoles des infidèles et des


protestants, à condition qu'ils apprennent le catéchisme et assistent à
tous les exercices pieux à l'église. Il n'y a aucun danger pour la foi
des catholiques; des infidèles et ces protestants se convertissent
tous. Nous n'admettons point les musulmans parce qu'ils sont in-
convertissables et sont convertisseurs. Il y aurait danger pour nos
catholiques.»

L'impact des instructions romaines en faveur de «cadres


indigènes» est également manifeste. Plus encore que dans les autres
types de correspondance, les chefs de mission s'appliquent dans
les relations quinquennales à mettre en valeur leur bonne volonté
et à justifier leur peu de résultats.
«7-8-9. La prudence et le manque de ressources ne nous ont
pas encore permis d'essayer de former un clergé indigène. Nous le
désirons vivement et faisons prier pour qu'il nous soit donné de
voir ce jour... »Le recours aux auxiliaires est adopté partout
comme une solution transitoire et le préfet Bricet regrette que ses
consœurs ne mettent pas un empressement égal à celui des
missionnaires pour les former. Mais la création d'un clergé indigène
ne va pas de soi. Si c'est «la création la plus nécessaire» il y a à
craindre « l'orgueil et l'impureté». Le préfet de Dahomey est ainsi
partagé entre le désir d'appliquer les instructions de la
Propagande et la crainte qu'on ignore à Rome les réalités du terrain.
La constitution de ressources spécifiques à la mission souffre
de la même difficulté à faire cadrer la consigne romaine
d'autonomie financière avec les conditions locales. La dépendance des
subventions extérieures ne peut être rompue que par la formation
d'un patrimoine qui impose aux missionnaires des initiatives
foncières ou agricoles délicates et impose la recherche d'une
protection politique.
«24. Nos seules ressources sont les aumônes de la Propagation
de la Foi, qui sont annuellement de 15 à 16000 frs, et nous
craignons chaque année qu'elles ne baissent.
25. Nous n'avons aucun bien meuble ou immeuble pour
pourvoir à notre subsistance. Que donneront plus tard nos plantations
d'arbres? Espérons. Ouidah a un peu de casuel. Le peuple est
pauvre, plus encore depuis la domination française, l'abolition de
l'esclavage.
26. Pour nos maisons, églises, fermes, le Gouvernement
jusqu'ici les protège.»

Peu sensible à ces ambiguïtés, la Propagande exerce une


pression constante pour que ses directives soient suivies,
particulièrement dans les nouvelles missions. Les chefs de mission exposent
soigneusement leurs efforts, reconnaissent l'insuffisance des
résultats, laissent espérer une amélioration, tel Mgr Navarre, vicaire
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 241

apostolique de Nouvelle Guinée : «Depuis quelques années nous


travaillons à nous créer des ressources sur place par des
plantations de cocotiers. Nous avons déjà 60 à 70 hectares de plants et
nous en plantons chaque année le plus que nous pouvons selon
nos ressources. Déjà quelques hectares commencent à produire31».
En retour le préfet de la Propagande ne manque pas une
occasion d'encourager les missionnaires à se procurer des revenus,
notamment par l'agriculture32.
Ainsi toutes ces réponses confirment l'efficacité de la
dynamique générée par le jeu des questions et des réponses pour
renforcer l'autorité romaine. Il ne s'en suit pas qu'il convient
d'opposer les instructions, d'où viendraient les impulsions, au
conservatisme missionnaire. La correspondance révèle l'ambivalence de
bien des orientations et la difficulté pour les partenaires de se
comprendre. La formation du clergé autochtone et d'auxiliaires
laïcs, ou la recherche de financements autonomes, ne posent pas
de difficulté théorique. Mais la résistance apparente des
missionnaires à mettre en pratique ces dispositions est souvent un aveu
d'impuissance à surmonter les obstacles, notamment pour la
constitution d'un patrimoine ou la formation du clergé indigène
selon les critères romains. Là où la Propagande tendrait à
diagnostiquer l'expression d'une mauvaise volonté ou de l'inertie, les
rapports révèlent des impasses que Rome comprend d'autant
moins qu'elles sont exprimées à travers de mauvais arguments. La
récurrence des divergences autour de la formation du clergé
indigène est sans doute le meilleur révélateur des difficultés à nouer
un vrai dialogue.

3 - Consensus apparent et résistances sur le terrain.

Les remarques que nous venons d'énoncer pourraient être


répétées pour l'essentiel à propos de toutes les relations et l'exercice
deviendrait rapidement fastidieux. Un examen plus attentif
permettrait certes de mettre en évidence des différences d'accent ou
des variations dans les moyens choisis pour appliquer les
instructions de la Propagande. Elles n'affectent pas le cœur du dispositif
missionnaire.
Plusieurs facteurs concourent à des modulations. Le premier,
et le plus évident, s'enracine dans la spécificité des instituts
missionnaires. La pensée du fondateur et les traditions de la société

31 A.C.P.F. N.S. 242 (1902), f. 919-925 : relation de Mgr Navarre, Vie. ap. de
Nouvelle Guinée au Cardinal Gotti. Thusday Island, octobre 1902. Citation f. 924.
32 Ibid. f. 926-927. Gotti à Navarre, 20 mai 1902.
242 LA DIRECTION DES MISSIONS

contribuent à maintenir une diversité de méthodes que le


questionnaire de 1877 admettait indirectement en laissant aux
missionnaires le choix des moyens. L'exemple le plus visible en est la
préparation des catéchumènes dont la Propagande souhaite le
regroupement dans des internats33; mais elle tolère d'autres
solutions et n'intervient pas dans les débats sur la durée de la
préparation. Les instituts adoptent des solutions variées auxquelles ils
sont très attachés, à l'image des pères blancs qui suivent la règle
fixée par le cardinal Lavigerie d'un catéchuménat long (quatre
ans)34.
Quelles que soient les solutions retenues, le discours insiste
sur la nécessité d'être exigeant. Mgr Augouard se fait le porte-
parole d'un point de vue général quand il exclut fermement le
baptême de chrétiens qui le seraient de nom et vivraient dans les
erreurs et les superstitions du paganisme35. Les variations
pastorales n'entament manifestement pas une interprétation du
questionnaire qui met l'accent sur la défense de l'orthodoxie et la
«séparation» des néophytes.
Cependant il n'est pas possible d'apprécier dans quelle mesure
les rapports sont le reflet fidèle d'une réalité ou s'ils cherchent
l'approbation de la Propagande en occultant une pastorale plus
souple, sinon laxiste, au quotidien. La personnalité du chef de
mission joue parfois un rôle sensible dans la préférence apportée
à certaines solutions. Le même rapport d'Augouard manifeste les
fortes convictions de son auteur sur la manière d'éduquer les
jeunes Noirs en leur apprenant à travailler de leurs mains pour ne
pas en faire «des déclassés mais des gens sérieux et utiles à la
société36.» Il exprime aussi le choix très affirmé de «suppléer aux
missionnaires européens qui seront toujours trop peu nombreux
dans ces vastes contrées« en multipliant les catéchistes indigènes.

33 «42. Utrum adsint hospitia pro catechumenis utriusque sexus et quomodo


ordinata sint».
34 «J'exige que, sauf le cas de mort, les futurs chrétiens passent au moins
deux ans dans l'ordre des postulants, puis deux autres dans celui des
catéchumènes, et que ce ne soit qu'au bout de quatre années au moins qu'on puisse leur
conférer le baptême, s'ils offrent des garanties morales sérieuses de persévérance,
particulièrement en ce qui regarde l'abandon définitif de la polygamie; sans quoi
on se contenterait de leur promettre le baptême à la mort, et on leur enseignerait
que, si, par impossible, ils ne pouvaient le recevoir alors, le désir du sacrement y
suppléerait.» (Lavigerie, Instructions de 1878, d'après Mgr Baunard. Le cardinal
Lavigerie T. II, p. 74).
35 A.C.P.F. N.S. 193 (1900), f. 613-620. Rapport quinquennal sur le Vicariat de
l'Oubangui (Haut-Congo français), par Prosper Augouard, 1er décembre 1899. cf.
f. 614 v.
36 Ibid. f. 615r.
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 243

Cette solution rencontre l'approbation du cardinal Ledochow-


ski; apparemment convaincu de l'impossibilité de former un clergé
indigène dans l'immédiat, il ne reproche pas son absence et
félicite Augouard pour la formation de catéchistes37. Il est vrai que le
contact avec les populations et leur résistance à la christianisation
favorise un regard négatif qui laisse mal augurer d'une indigénisa-
tion rapide des cadres de la chrétienté et justifie de se satisfaire de
former des auxiliaires :

«Non datur clerus indigena nee, nisi post aliquot generationes


potest concipi spes, cum omnes indigenae in summa vivant ignoran-
tia, barbarla, et diffidentia erga Europeos»38.

Mais aucune de ces variations ne remet en cause le schéma


directeur. La grande majorité des relations quinquennales
consacrent des développements importants aux réponses 7, 8 et 9,
destinées au clergé indigène et aux séminaires, y compris pour
l'Afrique intérieure dont les récits décrivent par ailleurs complai-
samment la primitivité et la sauvagerie des populations livrées aux
superstitions. Une relation de Mgr Henry Hanlon, membre de la
congrégation anglaise de Mill-Hill et vicaire apostolique du Haut
Nil, souligne, dans un français très personnel, que les contraintes
immédiates ne lui font pas oublier la nécessité d'obtenir un clergé
autochtone39.
La question du clergé indigène est donc, sur le fond, l'objet d'un
consensus que les questionnaires de la Propagande ont su entretenir
efficacement. Faut-il y voir le fruit de la seule volonté romaine? La
priorité que lui accorde la congrégation romaine depuis le XVIIe s.
est indéniable. Mais on ne peut pas non plus éliminer le rôle joué
dans cette unanimité par la pensée des principaux artisans du réveil
missionnaire. Gäbet40, Luquet41, Libermann42 et Marion Brésillac43

37 Ibid. f. 621-622. Ledochowski à Augouard, Rome, le 31 janvier 1900.


38 A.C.P.F. N.S. Relation de Mgr Jérôme Van Hoof, norbertin, préfet
apostolique de rUellé, Congo belge, f. 618 (réponse à la question 7).
39 A.C.P.F. N.S. 214 (1901), f. 455-489. Relation de la Mission par Henry
Hanlon. Vicariat apost. du Haut Nil, St Pierre d'Nsambya, 6 Juillet 1901.
40 Gäbet, Coup d'œil sur l'état des missions en Chine, présenté au Saint-Père le
Pape Pie IX. Poissy, 1848, 84 p. L'ouvrage jugé trop polémique sera mis à l'Index.
41 Sur Mgr Luquet et son oeuvre voir in Paul Coulon, Paule Brasseur et
collaborateurs, Libermann, 1802-1852. Une pensée et une mystique misionnaires. Paris,
Cerf, 1988. Communication de François Pinus : «Quand un 'champion terrible'
entre en lice. Mgr Luquet et l'instruction Neminem profecto du 23 novembre
1845», p. 383-395.
42 Ibid., en particulier Josef-Theodor Rath : «Libermann, promoteur du
clergé africain», p. 547-578.
43 Cf. Marion Brésillac, fondateur de la Société des Missions Africaines. Docu-
244 LA DIRECTION DES MISSIONS

au milieu du siècle, puis Comboni44 ou Lavigerie45, pour nous en


tenir aux plus illustres, mettent tous en tête de leurs objectifs, et
parfois des statuts de leurs instituts, la formation du clergé indigène46.
La littérature missionnaire à partir de 1840 et les travaux de Vatican
I47, interrompus par la guerre, confirment également la vive
conscience des enjeux.
Dans ce contexte, le rôle de la Propagande n'est pas tellement de
défendre un principe qui n'a jamais été contesté sérieusement. Il
consiste beaucoup plus à réclamer une application effective et
rapide du principe énoncé. Aux missionnaires qui font valoir
l'impossibilité de former un clergé indigène, puis de lui confier des
responsabilités, la Propagande tient un langage sans équivoque sur la
nécessité de prendre les mesures nécessaires et de traiter sur un pied
d'égalité les deux clergés. Au réalisme des uns, qui prétendent
s'appuyer sur leur expérience et mettent an avant les dangers d'une
évolution précipitée, s'oppose la conviction des autres, pour lesquels la
mission doit au plus tôt se doter d'un clergé autochtone.
Les auteurs des relations auraient eu une preuve éclatante de
l'importance accordée à la question du clergé s'ils avaient pu lire les
annotations dans les marges de leurs relations. Les paragraphes
consacrés au clergé indigène sont quasiment systématiquement
marqués en rouge ou en bleu, et les phrases qui en traitent
fréquemment soulignées. Les chefs de mission tentés de minimiser cet
objectif sont aussitôt rappelés à l'ordre par les lettres qui
communiquent, après examen de la commission, le jugement du préfet de la
Propagande sur leur action. La réponse de Ledochowski à une rap-

ments de mission et de fondation, par Jean Bonfils et Noël Douau. Paris, Médias-
paul, 1985, 293 p., spécialement p. 114-119.
44 Cf. en 1868 le plan de Comboni pour justifier la fondation de l'œuvre de la
Régénération de l'Afrique par l'Afrique elle-même. Texte intégral dans : Jean Mau-
zaize. Présence missionnaire de Daniel Comboni dans la France du Second Empire,
E.M.I., Bologne, 1980, p. 179-192.
45 Cf. Rédactions successives des constitutions provisoires dites Règles de la
société des Missionnaires d'Afrique., 1872, 1874, 1876. Présentation dans Roger
Heremans. L'éducation dans les Missions des Pères Blancs en Afrique Centrale
(1879-1914), Univ. catholique de Louvain, Recueil de Travaux Historiques, VIe
série, fascicule 26, Louvain et Bruxelles, 1983, p. 43-44.
46 Constitutions S.M.A. discutées par la Propagande en 1889 : chapitre X § 1 :
«Le but essentiel de cette Société est, non seulement de propager notre sainte
religion dans les immenses régions d'Afrique, mais en outre de travailler avec
dévouement à la fondation de vraies églises par l'établissement d'un clergé Indigène,
et de donner aux Missions dont elles est chargée, autant que les circonstances le
permettent, la forme et la Constitution des diocèses régulièrement établis.»
(A.C.P.F.
47 Cf. Acta
R. Heremans
259, f. 536op.r.)cit. p. 30.
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 245

port de Mgr Hanlon ne manque pas à cette règle. Après les


félicitations d'usage pour les progrès réalisés, et l'allusion non moins
stéréotypée à la compétition avec les protestants, le préfet se félicite de
l'observation rigoureuse des lois ecclésiastiques, de l'uniformité des
usages et de la tenue des registres. Puis il s'arrête sur la politique
scolaire des missionnaires et encourage les efforts en vue de fonder
des séminaires :
«Quod si, ut refero, datum insuper vobis sit, ut denerus (?) tem-
poris, adoloscentes indigenas, ecclesiasticis muneribus optos Dei
aspirantes gratia ufficialis, summum bonorum missionis eritis compa-
ratu48.»

Il ne s'en suit pas que la progression du clergé indigène vérifie


dans les faits les bonnes intentions exprimées dans les relations.
Déjà Marion Brésillac dénonçait le double langage des missionnaires :
«L'œuvre du clergé local est possible. Mais c'est impossible. Voilà
le terrible mot que nous entendons répéter à tout instant, et derrière
lequel on se retranche comme derrière un rempart inexpugnable.
Mais vraiment a-t-on essayé pour voir si c'est impossible; a-t-on pris
les moyens convenables de le rendre possible? Disons-le clairement,
absolument non»49.

Consciente de ce danger, Rome se montre particulièrement


ferme sur cette question. Les justifications des chefs de mission ne
suffisent pas toujour à éviter les remontrances de la Propagande
comme en témoigne la réponse au rapport de Mgr H. Otto, scheu-
tiste et vicaire apostolique du Kansou en 189250. Benedetto Melata51,
chargé de rédiger le voto, s'étonne que Mgr Otto envoie dans un
autre vicariat les aspirants au sacerdoce. Il y décèle une
interprétation erronée de l'instruction de 1883 pour la Chine52. La remarque,
marquée en rouge dans la marge, est non seulement reprise mais
amplifiée par la lettre de Ledochowski. Les précautions préalables
(expression de la satisfaction causée par les progrès réalisés malgré
l'hostilité des mandarins) et le ton adopté (de simples recommanda-

48 A.C.P.F. Acta N.S. 214, f. 490-492, Ledochowski à Hanlon, Rome, 18


septembre 1901.
49 «Exposition abrégée de l'état de la religion dans l'Inde», s. date,
probablement entre 1842 et 1846. In Marion Brésillac. Documents op. cit. p. 115.
50A.C.P.F. N.S. 26 (1893) f. 131 à 138. Hubert Otto, vicaire ap. du Kansou,
Leang Toufou, 1er juin 1892.
51 II est alors secrétaire de la Commission de la Propagande pour l'examen
des relations.
52 A.C.P.F. N.S. 26 (1893) Voto du Rev. Benedetto Melata, 14 février 1893,
f. 139-144 ν. La citation finale est tirée de l'Instruction du 18 octobre 1883, n° IV.
Collectanea 1907, vol. II, p. 188.
246 LA DIRECTION DES MISSIONS

tions) atténuent peu le sentiment qu'elle constitue une véritable


admonestation53.
La Propagande se montre aussi de plus en plus sensible à la
position réservée aux clercs autochtones par rapport aux
missionnaires européens. Un malentendu causé par la formulation en latin,
c'est du moins ce que l'intéressé va s'efforcer de prouver, naît de la
relation qu'envoie J. Dunand, Vicaire apostolique du Su-Tchuen
occidental et membre des M.E.P. Le préfet reproche à Dunand de
manifester de la mauvaise volonté et même une antipathie (animad-
versio) pour le clergé indigène. J. Dunand s'empresse de se justifier
sur une matière manifestement perçue comme grave. Sa réponse est
exemplaire à un double titre. Elle témoigne de la soumission des
chefs de mission à la volonté romaine. Mais elle laisse aussi deviner
en conclusion que le fossé subsiste entre les fonctionnaires de la
Propagande et l'homme de terrain. Sous les proclamations de
soumission perce une résistance passive et prolongée :
«J'ai reçu il y a quelques jours les deux lettres dont m'a honoré
Son Eminence. Pour la première, j'ai remarqué que je m'étais mal
expliqué dans ma lettre de 1895. Au n° 9 j'ai mal traduit ma pensée en
écrivant ces lignes : «Excluduntur sacerdotes indigenae a quacumque
superioritate respectu habito ad missionarios europeos». Excluduntur
Europei a quolibet superioritate, excepto provicario, respectu habito
ad sacerdotes indigenas.» Dans ma Mission, les prêtres sont comme
des curés en France. Tous, indigènes ou Français, obéissent
directement au Vicaire apostolique et sont indépendants les uns des autres.
Presque tous les postes, à part celui de provicaire, sont occupés tantôt
par les Français, tantôt par les prêtres indigènes. Actuellement, le curé
de la capitale et le directeur de notre grand hôpital sont deux prêtres
chinois.
Nos prêtres indigènes sont doués, en général, d'une intelligence
convenable : mais ils laissent à désirer quant à l'énergie du caractère.
Ils reçoivent dans nos séminaires une éducation soignée à l'instar du
clergé d'Europe. La feuille de leurs pouvoirs est celle que nous
donnons aux missionnaires d'Europe.
Nous ne désirons pas mieux que de nous conformer aux
Instructions de la S.C. de la Propagande, Instructions que nous relisons bien
souvent. Avec le temps et la patience le clergé indigène se montrera de
plus en plus digne de sa vocation et moins faible dans
l'accomplissement de son ministère.»
Profession d'obéissance d'une part; rappel des réalités d'autre
part : ce témoignage résume la difficulté du dialogue entre le centre
romain et sa base missionnaire. Les réticences missionnaires,
habilement justifiées par les critiques que Mgr Dunand glisse in-

53 Ibid. f. 146-153. Ledochowski au Vicaire apostolique, Rome, 19 mai 1894.


Citation : f. 147v.
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 247

cidemment (ou insidieusement) dans ses réponses, aident à


comprendre les concessions de la Propagande. Au gré des relations,
les mêmes arguments sont ressassés contre une promotion
prématurée des prêtres chinois : les chinois n'accepteraient pas l'autorité
d'un compatriote. Dom Marie Bertrand, abbé de la Trappe de Pékin,
ayant proposé d'installer au Se-Tchuen des trappistes chinois, Mgr
Dunand écrit à la Propagande :
«Je lui ai immédiatement répondu que cette démarche était
inutile et que ce serait en vain faire un voyage inutile et dispendieux. Des
Trappistes ici chinois, même de Pékin et cousins de l'empereur, ne
réussiraient pas. Nos Setchouennais ne se soumettraient pas et ne
consentiraient jamais à se faire moines dans une Trappe purement
chinoise. Les gens de cette province sont hautains, sévères, et le clergé
indigène n'est pas facile à gouverner. Le vice-roi et les mandarins,
bien qu'ils soient le glaive et la force pour eux, se plaignent beaucoup
de leurs subordonnés qu'ils régissent difficilement.
Pour l'européen ces fières natures subissent volontiers son
ascendant et se soumettent convenablement. Il en est de même pour les
femmes. Beaucoup de nos vierges chinoises entreraient volontiers en
religion dans un monastère sévère, mais jamais ne se soumettraient à
une supérieur indigène54.»

Au risque d'insubordination s'ajoute le danger d'un syncrétisme


hérétique dont la description est de nature à inquiéter les milieux
romains soupçonneux en la matière :
«Les prêtres chinois sont malgré eux de leur pays, attachés à
leurs usages, à leurs traditions, plus ou moins englués de leur
civilisation païenne, acceptant toujours avec répugnance nos usages et nos
mœurs chrétiennes. Ils trouvent toujours moyen d'accommoder aux
circonstances les principes les plus immuables, et supposé qu'il ne
reste plus de missionnaires européens dans un Vicariat, le clergé
indigène y aura en peu d'années constitué une religion qui se rapprochera
peut-être de celle de Confucius mais ne ressemblera nullement à celle
de Saint Pierre instituée par Notre Seigneur55.»

Le cardinal Ledochowski ne manque pas de relever cette


description peu flatteuse, flanquée dans la marge de vigoureux coups de
crayon bleu et rouge. Impuissant à contester les propos, il insiste sur
la formation du clergé indigène mais admet que sa promotion
suppose de le libérer d'un «attachement excessif aux coutumes
chinoises»56.

54A.C.P.F. N.S. 117 (1897). J. Dunand à Ledochowski, 16 août 1897. f.


713V-714 r.
55 A.C.P.F. N.S. 192 (1900). Relation de Mgr Casimir Vie, CM., vicaire ap. du
Kiang-si oriental, Rome le 6 janvier 1900. f. 138-149, citation f. 145 v.
56 Ibid. Ledochowski à Casimir Vie, Rome, 3 février 1900, f. 152.
248 LA DIRECTION DES MISSIONS

II serait facile d'accumuler les citations empruntées aux


relations chinoises57, mais aussi japonaises58 et indiennes59, pour
démontrer l'omniprésence de la question du clergé indigène et la
persistance des résistances aux instructions de la Propagande. La
correspondance des chefs de mission prouve que les observations
de la Propagande ne laissent pas leurs destinataires inactifs,
surtout quand elles s'accompagnent de subventions60. Pourtant,
malgré son efficacité, le dispositif organisé autour des relations
annuelles ou quinquennales, est précocement apparu insuffisant
pour obtenir une mise en œuvre générale et systématique des
directives de la Propagande. Les assurances écrites des
interlocuteurs ne se traduisaient pas toujours par des réalisations, ni un
changement de comportement sensible chez les missionnaires. La
lenteur des progrès du clergé autochtone vient confirmer et
nourrir les craintes romaines.

Clergé indigène (caractères gras) et missionnaires européens61.

Chine

1886 : 281-471 (soit 37% de prêtres autochtones)


1891 : 371-626 (37%)

57 Dernier exemple, la relation quinquennale de Mgr A. Coqset, vicaire ap.


lazariste du Kiang-si méridional, est gratifiée en marge de bene pour la réponse n° 7
dans laquelle il approuve chaudement et cite la lettre de Léon XIII «Ad extremas
orientis» sur la nécessité du clergé indigène aux Indes. Cependant la réponse n° 9
dans la quelle il estime nécessaire de placer les prêtres chinois sous la direction
des missionnaires européens lui vaut en marge un? Il écrivait : «Indigenae sacer-
dotes idonei sunt omnes ad Sacramentorum administrationem : Officio vero
praedicandi et catechizandi apud neophytos apti sunt quidam indigenae et, zelo
crescente, utiliores esse possent quam Europei. Sub directione tarnen Sacerdotis
Europei etiam non continuo habitantis cum eis, nostri presbyteri indigenae se-
cundarium districtum regere possent.»
58 Cf. la relation de Mgr Osouf, évêque de Tokyo, 17 novembre 1896 et la
lettre de Ledochowski, 9 février 1897, insistant sur la formation du clergé
indigène... (A.C.P.F. N.S. 117 (1897), f. 823-832 et f. 833-834).
59 Le cas indien sera abordé dans le chapitre suivant car l'action du délégué
apostolique y est déterminante à partir de 1884.
60 A.C.P.F. Acta 1902 f. 137 E-139. Mgr Berlioz à Ledochowski, 27 mars 1902.
Mgr Osouf, évêque de Tokyo remercie lui aussi la Propagande de ses
observations et promet de s'employer à former le clergé indigène (A.C.P.F. N.S. 76,
année 1895, f. 835-836).
61 Source : Missiones catholicae.
QUESTIONNAIRES, RAPPORTS ET CONTRÔLE DE L'ACTION MISSIONNAIRE 249

1895 : 370-695 (35%)


1901 : 471-904 (34%)

clergé indigène

missionnaires

1886 1891 1895 1901


Croquis n° 18 - Clergé indigène et clergé missionnaire en Chine.

Indochine
1886 : 375-290 (soit 56% de prêtres autochtones)
1891 : 377-327 (53,5%)
1895 : 363-378 (49%)
1901 : 527-512 (50,7%)

1886 1891 1895 1901


Croquis n° 19 - Clergé indigène et clergé missionnaire en Indochine.

Indes
1886 : 93-1089 (soit 8% de prêtres autochtones)
1891 : 194-705 (21,5%)
1895 : 263-662 (28%)
1901 : 349-809 (30%)

clergé indigène

missionnaires

1886 1891 1895 1901


Croquis n° 20 - Clergé Indigène et clergé missionnaire aux Indes.
250 LA DIRECTION DES MISSIONS

On le voit, la progression du clergé indigène est réelle sous Léon


XIII, mais très inégale et parfois particulièrement faible. En 1894,
cinq missions des M.E.P. ne comprennent aucun prêtre indigène,
soit la Corée, le Kouangsi et trois diocèses japonais (Tokyo, Osaka,
Hakodate) sur quatre (15 prêtres à Nagasaki; ils seront 22 en 1899).
Dans tous les cas la croissance est trop lente pour modifier le
rapport de forces entre prêtres européens et missionnaires, par exemple
en Chine et en Indochine. Aux Indes, si l'augmentation du clergé
local est plus marquée, c'est que le point de départ est très bas. Le
clergé indien reste fortement minoritaire et ses progrès compensent à
peine la diminution des missionnaires : on compte moins de prêtres
en 1901 qu'en 1886 (1158 au lieu de 1182) Partout la relève
autochtone risquait d'être reléguée dans un avenir très lointain.
Cette difficulté à obtenir un plus grand nombre de prêtres
indigènes et les réticences persistantes à leur confier des reponsabilités,
y compris en Indochine, pouvaient conduire à deux politiques. L'une
consistait à remettre en cause la pertinence du modèle clérical
exporté outre-mer, la seconde à imposer l'indigénisation par le
renforcement des interventions autoritaires et du contrôle. C'est cette
dernière voie qui est confirmée sous le pontificat de Léon XIII avec
la multiplication des synodes en Asie et l'envoi d'un délégué
apostolique aux Indes. Ceux-ci deviennent ainsi les instruments choisis par
Rome pour accélérer l'uniformisation des pratiques et obtenir
l'application des directives concernant la connaissance des langues ver-
naculaires, la recherche de ressources locales, et surtout la
formation d'un clergé indigène.
CHAPITRE 9

LE DÉVELOPPEMENT DE NOUVEAUX RELAIS


DE L'AUTORITÉ ROMAINE : SYNODES RÉGIONAUX
ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES

Le recours aux synodes, dans les missions où le catholicisme est


sufisamment établi, devient sous Léon XIII une pratique
systématique. Outre l'Amérique du Nord et les jeunes Eglises d'Australie et
de Nouvelle-Zélande, que nous avons exclues de notre étude, l'Asie
est la principale bénéficaire de ce type de délibérations. La
chronologie des réunions varie cependant dans ce continent en fonction des
pays. La Chine et l'Indochine sont concernées les premières par la
convocation régulière de synodes à partir de 1880. Les Indes suivent
en 1887 et le Japon en 1890. La généralisation de ce mode de
fonctionnement accompagne l'érection de la hiérarchie aux Indes (1886)
ou au Japon (1891), pas en Chine, où elle est cependant envisagée, ni
en Indochine.
La Propagande fait ainsi preuve de souplesse dans la mise en
œuvre de sa politique, modifiant la succession des étapes selon la
conjoncture locale plus que la nature des régimes politiques. Elle
n'en applique pas moins une ligne de conduite unique que l'exemple
de la Chine illustre remarquablement. Mais l'amélioration de la
communication entre le centre romain et les chefs de mission favori-
set-elle un dialogue bilatéral ou renforce-t-elle les moyens
d'intervention de l'autorité romaine?

1 - Les synodes au service de l'uniformisation et de Vindigénisation du


clergé. L'exemple de la Chine.

Repères chronologiques.
1803 : Synode du Se-Tchouen (Szechwan).
1822 : Extension à toute la Chine du synode du Szechwan.
1851 : Réunion des Vicaires ap. à Shangaï.
1860 : Traité de Tientsin (liberté d'action missionnnaire, exterritorialité,
réparation des dommages et restitution des biens)
1869-70: Réunion des vicaires ap. pendant le concile à Rome.
1880 : Synodes régionaux dans toute la Chine.
Première région (Pékin) : 2 CM (F), 1 MEP (F), 1 Scheut (Β), 1 SJ (F)
Deuxième région (Shansi) : 3 OFM (I), I MEM (I), 1 Scheut (NL)
252 LA DIRECTION DES MISSIONS

Troisième région (Hankow) : 4 OFM (I), 3 CM (F), 1 SJ (F), 1 OESA (E)


Quatrième région (Szechwan) : 6 MEP (F)
Cinquième région (Hong Kong) : 1 MEM (I), 1 MEP (F), 1 OP (I)

1883 : Instruction de la Propagande aux V.A. de Chine.

1885 Deuxième région (2e Synode)


1886 Première région (2e Synode)
1887 Troisième région (2e Synode)
1891 Deuxième région (3e Synode)
1892 Première région (2e Synode)

1906 à 1910 : les cinq régions à tour de rôle.


Entre parenthèses : nationalité du V. Apost. F : France; I = Italie; Β : Belgique
NL : Hollande E : Espagne

Le schéma directeur : le questionnaire de 1877.

Les instructions romaines adressées aux vicaires apostoliques


de Chine en 1883 constituent l'aboutissement des décisions prises
dans les synodes régionaux antérieurs. Elles s'y réfèrent d'ailleurs
quand elles traitent de multiples questions particulières concernant
les missionnaires (article 1, synode du Shansi), le costume clérical
(III, Se-Tchouen), le statut du clergé indigène (V, 3, Pékin, Chansi,
Se-Tchouen), les instituts de vierges (VII, Pékin et Se-Tchouen), la
pauvreté missionnaire (VIII, Sutcheuen), le régime des missions
(XII, Chansi), les lieux de culte (Chansi), le voile pour les femmes
qui communient (XV, Pékin et Hong Kong), le port du pileum (XVI,
Pékin)...
On conçoit dans ces conditions le soin qui a été apporté à
l'examen des synodes de 1880 avant d'aboutir à leur approbation. Le
rapport final a été confié à Domenico Jacobini, l'ancien minutante
chargé de la Chine, bien qu'il ait quitté le service de la Propagande en
1874. Six mois après l'achèvement de ce travail, il est nommé
Secrétaire de la Propagande le 30 mars 1882 et reçoit ainsi la
responsabil té de veiller personnellement à la bonne exécution des décisions
qu'il a supervisées. La Chine occupe dès lors une place privilégiée
dans les affaires de la Propagande, comme le confirmeront en 1885-
86 les tractations avortées afin de nouer des relations diplomatiques
directes entre le Vatican et l'Empire du Milieu.
Cet intérêt croissant de la papauté pour la Chine s'explique par
les transformations profondes dont elle est le théâtre. L'ouverture
brutale aux occidentaux et aux japonais par les traités inégaux fait
de cet immense et populeux territoire un formidable enjeu politique,
économique et religieux. Les confessions chrétiennes s'y livrent une
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 253

MISSIONS CATHOLIQUES DE CHINE EN 1900

1ONGO L Ι Ε
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ÔRÏÈNT'**)

. '-.....♦ --·, · ν·Λ

,.,Π M. JAUNE

-, ϊ SU-TCHUEN

Siège des vicariats et préfectures apostoliques


254 LA DIRECTION DES MISSIONS

concurrence acharnée et les missions catholiques fournissent un


très gros effort pour augmenter le nombre de missionnaires
européens, fonder de nouvelles stations, développer les œuvres,
quadril er l'espace par la multiplication des circonscriptions
ecclésiastiques. Malgré cet important investissement missionnaire, la
croissance du catholicisme reste des plus modestes quand on la compare
à l'évolution de la population chinoise.

Année 1886 1891 1895 1901

Population 390 Millions 447 M 451 M 467 M


Catholiques 485 403 568 628 581 755 720 540
% catholiques 0,124% 0,127% 0,128% 0,154%

Nous ne reviendrons pas sur le contenu des décisions synodales


de chaque région : Josef Metzler en a fourni une excellente analyse1.
Notre propos vise à suivre la manière dont les délibérations
synodales sont examinées à Rome. La qualité des consulteurs et des
cardinaux ponenti (Zigliara en 1888, Mazzella en 1894) témoigne du
soin apporté à cette étude. L'épaisseur et la précision des rapports
qui sont soumis à la discussion des cardinaux en congresso confirme
qu'il ne s'agit pas simplement d'entériner des décisions, mais bien de
les diriger et de les encadrer. Pour prendre la mesure de cet intérêt,
nous nous arrêterons sur le volumineux rapport (324 pages) de
D. Jacobini, daté du 1er septembre 1881 et discuté au moins à deux
reprises (4 mai et 14 septembre 1882) avant d'être adopté en
congresso le 18 septembre 18822. Il occupe dans la production de la
Propagande une position centrale. Il synthétise les décisions des synodes
régionaux tenus dans les cinq régions de Chine en 1880 et annonce
la grande instruction de 1883.
Il apparaît d'abord à travers le plan du voto3 que le rédacteur se
réfère à une structure extrêmement solide qui présente de très fortes
analogies avec les Instructions de 18834 et surtout avec le
questionnaire de 1877 destiné aux relations quinquennales5. Ce dernier
fournit manifestement la grille de lecture de l'action missionnaire telle
que la conçoit l'autorité romaine. Les variations concernent des

1 Josef Metzler, Die Synoden in China, Japan und Korea, 1570-1931. F. Schö-
ningh, Paderborn-München-Wien-Zürich, 1980, p. 99 à 120.
2 A.C.P.F. Acta 250 (1882), f. 359-520. Voto de D. Jacobini. Pour l'ensemble
de la ponenza dont le rapporteur est le cardinal Alimonda : f. 358 r-638 v, 18
septembre 1882.
3 A.C.P.F. Acta 250 (1882), op. cit. f. 359 r-v : Indice del voto.
4 Cf. chap. 7,3.
5 Cf. chap. 7,2.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 255

points secondaires, en fonction des questions propres à la Chine.


Ainsi le développement consacré par Jacobini aux contrats en usage
en Chine occupe une vingtaine de pages, celui réservé aux fêtes et
aux jeûnes près de trente. De la même manière la destination du
document modifie en partie son contenu. Les synodes régionaux
entrent dans le détail des problèmes rencontrés quotidiennement,
alors que les instructions de 1883 définissent des règles collectives
limitées aux points jugés essentiels. Mais, pour l'essentiel, la lecture
synoptique confirme la très forte cohérence de la conception des
missions au sein de la Propagande.
Le questionnaire de 1877 dicte d'emblée une approche juridique
des missions et une conception des chrétientés quasiment close.
L'espace disponible pour une adaptation aux réalités locales est
insignifiant. Il faut apporter des réponses concrètes mais appliquant
des principes identiques, tenir compte des difficultés rencontrées en
Chine dans l'exportation du modèle mais ne rien sacrifier ou altérer,
embrasser l'ensemble de la vie chrétienne.
On peut de la sorte observer le sort de «l'idéal type» de la
chrétienté quand il est soumis à la transplantation en milieu chinois. La
délimitation de territoires, première étape du processus, ne
provoque pas de difficulté particulière sauf quand il s'agit de choisir la
résidence du vicaire apostolique. Un premier décalage apparaît
parfois entre les capitales administratives civiles et l'implantation des
résidences. Il s'accentue au stade des stations missionnaires, les
communautés chrétiennes ayant tendance à se constituer en villages
autonomes ou dans des zones marginale6.
Plus graves sont les effets de la constitution d'un patrimoine
mobilier et immobilier ou la construction d'un puissant réseau d'écoles
et d'œuvres. Cette rubrique nécessite dix-huit pages dans le rapport
Jacobini. Elle engage les missions dans la recherche de garanties
pour assurer la sécurité des biens, ce qui occupe tout un chapitre du
voto du consulteur, avec des sous-sections aux titres significatifs :
moyen d'assurer la sécurité légale, précautions à prendre,
administration des biens... Les avantages obtenus, ou extorqués, par le traité
de 1860, puis «le décret Favier» de 1898 se révèlent ici dans toute
leur ambiguïté. Ils placent la mission dans une situation privilégiée,
grâce à la protection des puissances européennes, mais en font une
cible de choix sur laquelle se cristallisent les rancœurs nationalistes
et xénophobes. La longue litanie des destructions - réparations
jalonne tragiquement la vie des missions. Pourtant le principe de la
propriété ecclésiastique et de sa sécurité n'est jamais mis en cause.

L'étude régionale de l'implantation des stations missionnaires par rapport


1
256 LA DIRECTION DES MISSIONS

La perspective de la reproduction des chrétientés européennes


domine les préoccupations romaines dès la table des matières du
voto. Lieux de culte, écoles, œuvres de bienfaisance, sont
successivement examinés et recommandés. Il en va de même pour le clergé
missionnaire ou indigène, les catéchistes et les auxiliaires, le souhait
de voir s'établir des instituts religieux et les confréries ou autres
associations de piété. L'obsession de l'uniformité et l'obligation du
respect rigoureux des règles établies dans le calendrier liturgique, les
obligations de jeûne et d'abstinence, l'administration des
sacrements ne surprennent pas davantage; nous les avons précédemment
signalés à plusieurs reprises.
Dans ces conditions, la spécificité de l'Eglise chinoise semble
ignorée ou rejetée sur les marges. Elle se limite à l'encouragement
des associations de «vierges chinoises», sortes de confréries
inspirées par le modèle des tiers ordres, implantées dans tout l'Empire7.
Et encore la Propagande exprime-t-elle en 1883 le souhait de voir ces
associations évoluer peu à peu vers le statut des instituts religieux
classiques8.
Les passages les plus originaux sont finalement ceux qui sont
consacrés, non pas à des initiatives propres aux missions de Chine,
mais aux obstacles que le pays oppose à la diffusion du
catholicisme. La problématique de D. Jacobini, reprise par la Propagande
en 1883, se caractérise ici par un projet de christianisation du pays
qui suppose la disparition des superstitions, véhiculées par la
littérature classique et les rites (Première partie, chapitre 5 du voto;
Instruction § IV § 6,7; XI, V; XVII). De l'issue de ce combat dépend la
suppression des maux endémiques qui accablent la société chinoise,
en particulier l'usure, le «commerce» autour du mariage des femmes
et l'abus de l'opium (Deuxième partie, chapitre 3 du voto).
A côté de ces vues traditionnelles, on constate une nouvelle fois
que l'accent est vigoureusement mis sur la formation du clergé indi-

aux courants d'échanges économiques et sociaux permettrait de mieux mesurer


la place des chrétientés dans le tissu socio-économique.
7 «Les vierges surtout, à cause de leur instruction, ont un grand ascendant.
Ces bonnes jeunes filles qui pour servir la cause de la religion ont renoncé au
mariage, et ont passé des années à étudier, nous rendent d'immenses services. Les
femmes chinoise, qui ne font jamais d'études, les regardent comme des oracles.
Dans la chrétienté où elles font leur séjour, elles forment les jeunes filles,
prêchent, catéchisent, dirigent les prières, préparent les malades à la mort,
tiennent l'église bien propre etc. Elles ont généralement de 30 à 40 ans. Elles ont
toujours avec elles une ou deux orphelines qui les suivent. Nous donnons à une
vierge la valeur de 8 fr. par mois. Avec cela elles doivent se nourrir». (A. privées.
Lettre du P. Japiot à une bienfaitrice. Ho-Kien-fou, 20 octobre 1881).
8 Collectanea, 1907, vol. II, p. 192, art. VII. De Institute Virginum.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 257

gène et d'auxiliaires chinois, la fondation des séminaires, l'accession


progressive des autochtones à des postes de responsabilité (le
chapitre 3 y consacre 40 pages)9. Le discours se déploie de la sorte en
juxtaposant une stratégie de transfert des modèles romains (latins)
et d'indigénisation des cadres. Mais le rapport Jacobini trace aussi,
en fonction des informations recueillies et des faiblesses relevées, le
chemin des réformes à apporter dans les missions de Chine.

2 - Les synodes au service de la réforme romaine : diagnostic et


remèdes selon D. Jacobini.

La conclusion du rapport de D. Jacobini constitue une occasion


exceptionnelle de pénétrer à l'intérieur de la vision missionnaire.
Elle ne se contente pas de dresser un catalogue de mesures à
prendre et de corrections à effectuer mais elle propose un bilan
critique de la situation et élabore un véritable plan des réformes à
apporter à l'action missionnaire. Le passé du rapporteur, minutante
chargé de la Chine, puis sa nomination au poste de Secrétaire de la
congrégation le 30 mars 1882 confèrent à ses propos une portée
indiscutable. Ils nous semblent fournir les clés d'une stratégie fondée à
la fois sur une conception intransigeante de la plantation de l'Eglise
et une appréciation pessimiste et négative de la civilisation chinoise.

Diagnostic.

Le diagnostic porté par le prélat romain sur la santé des


missions chinoises tranche avec la vision que véhicule la littérature
missionnaire. Parfaitement informé des difficultés rencontrées, il trace
un tableau réaliste. Sans jamais mettre en cause la sincérité, le
courage et les sacrifices consentis par les «messagers de l'Evangile»10, D.
Jacobini juge, en dépit de quelques progrès, que les résultats ob-

9 Acta 250, op. cit., voto Jacobini f. 398 à 417. Chapitre 3 : clergé indigène.
Art. 1 : Observations sur les décrets. Art. 2 : considérations générales sur le clergé
indigène, éducation des clercs indigènes dans les Séminaires, régime du clergé
adulte attaché au ministère.
10 Ibid. f. 535 r. «con tanti tentavi fatti dalla Santa Sede e dai missionari, con
tanti sudori e tanto sangue sparso si rimanga ancora sì limitato e impedito il
progresso dell'idea cristiana.»
258 LA DIRECTION DES MISSIONS

tenus sont décevants au regard des efforts déployés. «L'idée


chrétienne» semble piétiner dans la Chine moderne. «Siffatta debolezza
di risultato è dovuta allo stato stesso delle missioni, le quali
quantunque senza alcun dubbio da mezzo secolo a questa parte abbiano
avuto un grandissimo aumento, come si è accennato al principio,
sono però ancora lontane dal presentare una poderosa azione per lo
stabilimento della Fede nelle popolose contrade del celeste
ro»
Ce constat réaliste sert de point de départ à une recherche des
explications. Domenico Jacobini y témoigne d'un sens affirmé de la
synthèse en organisant son analyse autour des causes externes et
internes. Au rang des premières, il range la xénophobie et l'hostilité
des chinois pour tout ce qui vient du dehors. Il suffit, selon lui, de
jeter un coup d'œil au Memorandum chinois de 187112 pour
comprendre pourquoi les mandarins opposent des obstacles
continuels aux missionnaires, et les persécutent. Les chinois considèrent
les acquisitions de propriétés mobilières et immobilières «come
tanti passi diretti ad infeudare agli europei altrettanti lembi del
territorio cinese»13. Mais cette lucidité n'entame en rien la conviction qu'il
ne faut en aucun cas se fier aux autorités chinoises et que bientôt les
nations européennes feront respecter la liberté religieuse nécessaire
à la conversion des gentils14.
Puis Jacobini énumère les causes internes du piétinement. Il
place en tête le petit nombre de missionnaires qui se laissent
absorber par le ministère paroissial auprès des chrétiens, au détriment du
temps qu'ils devraient consacrer aux païens. Il consate ensuite
l'impuissance des missions à créer un clergé indigène et dénonce la
mauvaise connaissance des langues. Les missionnaires européens, à
l'inverse des premiers jésuites, maîtrisent souvent mal les variantes
dialectales régionales et communiquent difficilement avec les fidèles
pour la catéchèse et l'administration des sacrements. Enfin
l'absence de concertation entre les chefs de mission, en partie
imputable aux énormes distances qui séparent les vicariats, contribue à
une dilution regrettable des énergies et engendre «una incredibile
varietà di opinioni e di pratiche».

11 Ibid. «De si faibles résultats sont dûs à l'état même des missions qui, si
elles ont connu sans aucun doute depuis un demi siècle un fort accroissement,
comme on l'a noté au début, sont cependant encore loin de présenter une action
puissante pour établir la Foi dans les populeuses contrées du céleste Empire».
12 Nous reviendrons ultérieurement sur ce memorandum qui récapitule les
critiques et les rancœurs chinoises (chapitre 15).
13 Ibid. f. 535 «comme autant de pas en vue d'inféoder aux européens autant
de portions du territoire chinois».
14 Voto Jacobini f. 535 r-v.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 259

Des réponses insuffisantes.

Les solutions préconisées par le rapport sont apparemment


conformes à ce diagnostic et correspondent à la politique
missionnaire de la Propagande. On y retrouve toute la panoplie des mesures
destinées à uniformiser la catéchèse (rédaction d'un petit
catéchisme unique), la liturgie et l'administration des sacrements. Mais
plusieurs d'entre elles ne vont pas sans entraîner de redoutables
ambiguïtés. La plus sensible réside dans la défense de la liberté
religieuse grâce à l'intervention des grandes puissances occidentales
dont le document semble moins se soucier de limiter les
débordements en Chine que d'exiger le respect des engagements souscrits en
matière de protection des missions. La peur du gendarme paraît
inévitable pour garantir la sécurité des chrétientés.
Le second remède préconisé réside dans le développement des
œuvres, non sans entraîner immédiatement une nouvelle difficulté.
Jacobini a parfaitement saisi et montré que les missions sont
critiquées par les chinois pour leurs acquisitions de biens et leurs
constructions opérées à l'abri du sabre européen. Il ne ne saurait
pour cela imaginer d'autres modes d'évangélisation15. Or cette
volonté d'établir matériellement le catholicisme entraîne inévitablement
un peu plus loin le recours au bras séculier et au protectorat
français16. Conscient des dangers d'assimilation des missionnaires à
l'Occident honni par les Chinois, Jacobini entrevoit comme alternative à
la dépendance des puissances européennes l'enracinement de
l'Eglise par l'indigénisation du clergé, mais il ne renonce pas aux
protections politiques.
Cependant le rapport se consacre pour l'essentiel à
l'amélioration interne des missions chinoises. Il propose d'augmenter le
nombre des «ouvriers évangéliques», en attendant la relève indigène,
mais insiste surtout sur les insuffisances qualitatives. Tant qu'il n'y
aura pas de centres d'études, sur le modèle des missions jésuites, au
moins dans les principaux centres des missions, «la cognizione delle
cose cinesi sarà sempre scarsa e la predicazione riuscirà inefficace
in gran parte»17. Le rapport du consulteur rejoint ici une
préoccupation constante de la Propagande qui multiplie depuis ses origines les
incitations à l'étude du chinois par les missionnaires, conformément
à l'instruction du 21 mars 1774. Davantage de missionnaires et des
missionnaires mieux formés, ces deux mots d'ordre sont censés

15 Ibid. f. 5256 r.
16 Ibid. f. 534 ν.
17 Ibid. f. 536 r.
260 LA DIRECTION DES MISSIONS

constituer une solution immédiate adaptée aux difficultés de


communication rencontrées par le catholicisme18.
En définitive l'idée maîtresse reste la plantation d'une Eglise
indigène, par son patrimoine, ses œuvres, son personnel, ses
ressources. D'une grande lucidité dans l'analyse des carences, Jacobini
pense la reforme selon un schéma traditionnel. Bien que les
résistances rencontrées par le catholicisme en Chine témoignent des
difficultés soulevées par le transfert de cette stratégie, le rapport
demeure complètement fidèle à cette problématique.
Comment expliquer cette juxtaposition d'une vision
globalement critique et de réponses aussi classiques? La raison
fondamentale nous semble que la Propagande est attachée à un modèle ecclé-
sial immobile et ne peut pas renouveler son approche des rapports
entre le catholicisme et la culture chinoise. Elle s'en tient à la
poursuite d'une stratégie de lutte contre les superstitions et de
controverse anticonfucéenne, héritée de l'esprit tridentin, symbolisée par
la censure de la littérature classique et la condamnation des «rites
chinois». Un siècle après les bulles de Clément XI et Benoît XIV, la
clôture de tout débat continue de paralyser la réflexion
philosophique et théologique.
En conséquence les initiatives les plus novatrices perdent une
grande partie de leur efficacité car elles n'attaquent pas les
problèmes à leurs racines. Ainsi la promotion de centres d'études des
langues indigènes produit dès cette époque un renouveau des études
scientifiques19. Mais elle reçoit comme principal objectif la
réfutation des erreurs, non la confrontation positive à la culture littéraire
chinoise : «a confutazione degli errori e a combattere le superstizioni
specialmente della setta dei letterati»20.
Le rapport Jacobini transpose sur la réalité chinoise («la nature
même de la société chinoise») le modèle catholique intransigeant et
assimile la philosophie chinoise à une secte (setta), excluant toute
séparation entre politique (donc rites civils publics) et religion21...
Comment tolérer les rites chinois dès lors que la civilisation chinoise
est perçue à travers le prisme d'une civilisation anti-chrétienne, «un
filet diabolique dans lequel ont été capturés les chinois», viciée dans

18 Ibid. f. 522 ν, n° 20.


19 Plusieurs ouvrages consacrés par des missionnaires jésuites à la langue et
la littérature chinoise sont couronnés en Europe. Ainsi l'Académie française
prime en 1885 le Cours de littérature chinoise du R.P. Zottoli, missionnaire jésuite
du Kiang-nan (M.C. 1886, p. 196) et l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres,
en 1886, le Dictionnaire franco-chinois du R.P. Couvreur, autre jésuite de la même
mission.
20 Ibid. f. 522 ν, η° 21. «(concourir) à la réfutation des erreurs et combattre
les superstitions, spécialement celles de la secte des lettrés».
21 Ibid. f. 535 ν.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 261

ses fondements, condamnée à errer tant qu'elle n'a pas renoncé à ses
valeurs et ses représentations? Le catholicisme semble incapable de
concevoir pour les rites chinois une laïcisation du politique qu'il
refuse d'ailleurs aussi en Occident. La distinction tentée aux siècles
précédents par les jésuites entre rites civils et religieux, distinction
réactivée au début du XXe s. par les travaux du père J. Brucker22,
demeure extérieure au discours de la Propagande et l'enferme dans
une stratégie du tout ou rien.
De cette opposition jugée irréductible entre les totalités
chrétienne et chinoise découle une stratégie de la substitution d'une
civilisation à l'autre et une pastorale de la séparation entre les catholiques
et le milieu ambiant. Celle-ci aboutit à édifier des chrétientés -
refuges, retranchées derrière leurs murs et leurs œuvres, ou
simplement modestement disséminées, mais isolées, dans la campagne. La
rupture avec la société d'origine devient la condition de l'adhésion au
catholicisme, pour le fidèle ordinaire, le catéchiste ou le clerc.

Impasses du catholicisme en Chine.


Cette description sommaire n'est pas une reconstruction
artificielle à partir des délibérations et des instructions de la Propagande.
Elle correspond aussi aux multiples témoignages contemporains des
missionnaires, tant la correspondance destinée à la publication que
les lettres inédites envoyées aux confrères, aux parents et amis.
Ultra-minoritaire dans l'immense Empire, malgré son désir d'évangéli-
sation le catholicisme entretient son isolement en se repliant sur ses
institutions et ses certitudes, craignant à tout moment d'être
englouti. Il progresse par des adhésions individuelles que lui valent
l'activité des chrétiens, le réseau des écoles et des institutions de
bienfaisance, le prestige de quelques réalisations exemplaires, les
orphelinats pour les enfants abandonnés. Mais cette Eglise s'organise en
chrétienté - isolât, condamnée à se protéger pour vivre.
Conformément aux vues romaines qu'obsèdent la préservation de l'orthodoxie
et l'homogénéité des chrétientés, la mission multiplie les barrages et
les filtres protecteurs, y compris à l'intérieur de ses propres écoles.
Jacobini met un soin minutieux à définir la finalité religieuse des
écoles et à réglementer l'admission des païens23.
Restant pour l'essentiel un corps étranger au monde chinois, le
catholicisme se sent menacé par une société environnante qu'il
conteste radicalement, entretient avec elle des rapports conflictuels,
accumule procès et contestations de toutes sortes. La Propagande
pressent bien les dangers d'interventions cléricales inopportunes et

22 Cf. D.T.C., vol. 1112, son article chinois (rites), 1910.


23 Ibid. f. 527 r-v.
262 LA DIRECTION DES MISSIONS

accumule les mises en garde et les appels à une saine prudence. Le


décalage entre son discours et la situation concrète des missions,
conditionnées per l'hostilité ambiante à choisir la protection
étrangère à la suite des missionnaires, est manifeste. D. Jacobini se réfère
aux résolutions de l'ancien synode de Se-tchuen (X, 19) pour
demander de renouveler aux missionnaires l'interdiction de s'immiscer
dans les affaires des chrétiens, spécialement les questions
matrimoniales24. Mais que peut signifier pour le missionnaire
l'admonestation de s'en tenir à son ministère («restringere al proprio ministe-
rio») quand tout le système concourt à le placer au centre de la vie
religieuse et sociale de sa chrétienté? L'irréalisme de cette position
est si évident que le paragraphe suivant du rapport prévoit ces
conflits et laisse percer une certaine impuissance. Il y est envisagé
de demander aux chefs de mission de la région occidentale
d'informer la Propagande sur deux points : la conduite des missionnaires
qui s'immiscent dans les affaires entre chrétiens, ou entre chrétiens
et païens; l'attitude retenue envers les autorités en cas de conflit25.
La contradiction est encore plus flagrante quand surgit la
question du clergé indigène. D. Jacobini reprend la doctrine de la
Propagande pour affirmer que rien ne sera solidement établi sans un
clergé chinois capable de diriger lui-même l'Eglise, et il regrette
vivement l'absence de vicaires apostoliques chinois. Mais dans le même
temps perdure une vision négative des capacités du clergé chinois
dont le consulteur réclame un contrôle sévère. En conséquence sa
promotion est repoussée à plus tard parce qu'elle suppose de le
civiliser en le romanisant, c'est-à-dire aussi de le déculturer. Toute la
formation vise à arracher le candidat à la prêtrise à son milieu
d'origine puis à le maintenir soigneusement à part, loin de la pensée
chinoise traditionnelle et loin de sa famille, à le surveiller
étroitement, enfin à redresser d'éventuels dérapages.
Les propositions exposées par Jacobini dans sa conclusion
reflètent cette volonté de modeler le jeune chinois selon les recettes
éprouvées dans les séminaires post-tridentins. Pris en charge, et en
mains, dès son jeune âge, vers 10 ou douze ans, jamais au-delà de 14,
le jeune chinois vivra désormais dans une communauté aux règles
explicitement inspirées des noviciats religieux26 et dont sont écartés «les

24 Ibid. f. 523 ν, η° 36.


25 Ibid. f. 523 ν, η° 37.
26 f. 524, n° 42. «Si dovrebbe mettere una cura speciale nelle scelta degli
Alunni, e perciò presentandosi fanciulli che ciò dimandassero, e paressero
idonei, si dovrebbero dai sacerdoti applicare dal servizio dell'altare, ritenendoli, ove
si possa, presso al santuario, e dopo un anno di prova, ben riuscita, si avrebbero
mandare nel Seminario scuola preparatoria ο nel piccolo Seminario; l'età del
fanciullo dovrebbe esser di 10 ο 12 anni, ο al più 14 anni. Dovrebbe passare due anni
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 263

jeunes laïcs qui n'ont pas vocation au sanctuaire.»27. Il reçoit un


enseignement calqué sur celui d'Europe. Si l'étude des langues verna-
culaires est prévue, elle le sera en évitant soigneusement «tout danger
de superstition». Admis au grand séminaire, le séminariste est initié à
la philosophie de Saint Thomas d'Aquin, à travers les commentateurs
et les auteurs que la Propagande aura elle-même sélectionnés, car il
faut le préparer à combattre les erreurs répandues dans son pays28.
Quant à l'accès aux examens pour obtenir les «grades de littérature»,
il est strictement interdit aux clercs comme à tous les fidèles,
conformément aux bulles de Clément XI et Benoît XIV29.
Ordonné prêtre, le jeune clerc peut en principe espérer accéder
à des postes de responsabilité mais il reste simultanément soumis à
une autorité soupçonneuse. Cinq propositions récapitulent le
balancement permanent de la pensée missionnaire entre le projet de
promouvoir les clercs indigènes, sans aller jusqu'à placer un
européen sous leur autorité, et la méfiance suscitée par une christianisa-
tion jugée encore trop fragile et superficielle.
Les conclusions du rapport Jacobini poursuivent ainsi des
objectifs contradictoires que reprendront sans plus de succès les
résolutions ultérieures des synodes. Au projet maintes fois réaffirmé de
combattre toute discrimination entre les deux clergés s'opposent les
développements sur les précautions à prendre pour maintenir le
clergé chinois dans la discipline cléricale. A la recommandation de
multiplier des séminaires répond négativement celle d'ouvrir dans
toutes les missions des maisons pénitentielles pour les clercs
défaillants30. Sans doute ces directives rappellent à bien des égards les
méthodes suivies en Europe, appliquent les prescriptions du concile de
Trente31 et s'inspirent d'une conception universelle de «l'état ecclé-

come di noviziato in questa comunità, e quindi, come riuscisse, diverrebbe


alunno.»
27 f. 524 v, n° 8
28 f. 523 v. N° 39. Jacobini propose de remercier les membres des synodes de
Hankow et Hong-Kong qui ont décidé d'enseigner la philosophie de Saint
Thomas et de recommander aux autres régions de les imiter, «soggerando ancora a
nome dell'Emo Cerd. Prefetto qualche autore adattato alla intelligenza di quelli
alunni il quale tratasse secondo il metodo dell'Angelico le più fondamentali
questioni della filosofia.»
n° 40, «La S.C. potrebbe insinuare ai Superiori dei Vicariati Cinesi di cias-
cun gruppo di nominare unitamente una Commissione all'effetto di esaminare
libri di corso di teologia usati dai rispettivi Seminari, e di mandare a Roma una
relazione accurata e un parere circa gli autori, che crederebbero più opportuni,
all'uopo esponendo ancora le aggiunte che si reputerebbero necessarie avuti in
vista gli errori e le circostanze di quei paesi».
29 f. 524 v, n° 6.
30 Collectanea, 1907, vol. 2, Instructions 1883, V,5 6, p. 191.
31 Cite à plusieurs reprises pour les séminaires, par exemple f. 524v, n°. 8.
264 LA DIRECTION DES MISSIONS

siastique». Mais appliquées à la Chine, elles sont durcies et creusent


un fossé encore plus profond entre le prêtre chinois et ses
compatriotes, mettant comme condition à sa promotion dans l'Eglise son
assimilation au clergé latin.
Ainsi la politique d'indigénisation accouche d'une Eglise
devenant indigène par la nationalité de ses cadres mais demeurant
étrangère à la culture chinoise qu'elle persiste à condamner dans ses
fondements. Le catholicisme se voue à être rejeté par la société globale
qui le perçoit comme un intrus agressif. La schématisation de la
littérature apologétique, décrivant la christianisation comme la lutte
de Dieu et du Diable, ne fait que pousser au bout cette logique
d'exclusion mutuelle. Les campagnes contre l'infanticide menées en
Europe par la Sainte-Enfance, et parfois prolongées en polémiques
publiques32, ne sont évidemment pas de nature à favoriser une
approche moins passionnelle et simplificatrice. Certes le catholicisme
ne cède pas aux sirènes d'un racisme pseudo-scientifique qui postule
l'infériorité biologique. Dans son discours, la perversité des hommes
et des mœurs chinois n'est pas une fatalité irrémédiable puisqu'elle
est le fruit historique d'une culture païenne. La transformation des
hommes, des valeurs et des comportements est donc possible mais à
la stricte condition de construire un nouvel homme et une nouvelle
société selon les principes civilisateurs du catholicisme.
En définitive, l'indigénisation de l'Eglise chinoise, objectif
prioritaire de la Propagande, ne va guère au delà d'une association au
clergé missionnaire, admet une adaptation superficielle qui vise à
accepter des concessions dictées par les circonstances. Le récit que
livre un missionnaire jésuite sur son changement de costume en
Chine nous semble symboliser sur un mode anecdotique cette
relation non résolue du catholicisme au monde chinois. Du vieil
Empire, le catholicisme peut accepter les contraintes vestimentaires,
alimentaires, quotidiennes, mais il n'intègre pas les valeurs et les
références culturelles :
«Ici nous devons prendre le costume chinois. Il est difficile de
vous en faire une description. Sur une chemise et un caleçon de forme
spéciale, on met un pantalon bleu, une espèce de soutane grise très
large, et par dessus une petite veste ronde à larges manches. Avec cela

32 En 1884 l'attaché à l'ambassade chinoise de Paris conteste dans la Revue


des Deux-Mondes l'existence de l'infanticide dans son pays et accuse les
missionnaires de calomnies. Aussitôt le père Vasseur, jésuite et ancien missionnaire en
Chine, publie une brochure établissant la réalite des faits à partir de
cent-cinquante images chinoises : Un orphelinat chinois de la Sainte-Enfance à
l'exposition d'imagerie de Rouen, et l'infanticide en Chine prouvé à M. Tchen-Ki-Kong par
ses compatriotes. (Cf. M.C. 1884, p. 363).
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 265

on a la tête rasée, excepté le sommet d'où partira plus tard une queue
de cheveux qui descend sur les épaules, des chaussures avec des
semelles en carton etc.. Avec ce costume on n'est plus remarqué par les
Chinois, bien qu'ils distinguent entre mille les Européens chinoises33.»

La naïveté du nouveau missionnaire, persuadé que ce


changement extérieur suffira à le fondre dans la foule, trahit le rêve
impossible de cette génération. Elle ambitionne d'être adoptée mais adhère
à la perspective d'une christianisation qui absorbera par une lente
digestion l'Empire chinois et son paganisme, grâce à l'action des
cellules chrétiennes disséminées dans le pays. Mais ces chrétientés, ou
ces clercs indigènes, sont-ils encore chinois? Dans l'immédiat les
missions se consacrent d'abord à renforcer leur homogénéité interne et
leur identité catholique romaine. Elles entretiennent au sein de la
société chinoise un isolement qu'elles ne veulent pas vraiment briser.
La littérature missionnaire permet de mesurer les conséquences
de cette situation inconfortable d'une Eglise étrangère à la société
chinoise malgré ses efforts d'insertion. Dans les villes, ou les stations
centrales, s'édifient de véritables concessions missionnaires vivant
en circuit fermé. Dans les campagnes, l'idéal des villages chrétiens
subsiste, malgré les difficultés rencontrées, donnant naissance
localement à des réductions34, petites contre-sociétés sous l'emprise de
la mission35. Parfois il débouche sur de véritables complexes
missionnaires, à l'image de celui édifié à Kin-Kia-Kang par les
missionnaires italiens de Milan (plan ci-contre)36. Le plus souvent les
chrétiens sont isolés dans de petites communautés dont le récit des
tournées missionnaires laisse apercevoir la mauvaise intégration.

33 A. privées. Père Japiot à ses parents, Tien-Tsin le 5 avril 1879.


34 Ce modèle de la réduction est explicitement repris par les missionaires
scheutistes, particulièrement en Mongolie. Cf. J. Van Hecken, Les réductions
catholiques du pays des Ordos. Une méthode d'apostolat des missionnaires de Scheut,
Bruxelles, Schöneck-Beckenried, 1957.
35 Teilhard de Chardin observe en Mandchourie en juillet 1923 les effets qu'a
pu avoir localement cette méthode missionnaire : «San-Tao-Ho est une résidence
episcopale entourée d'un village chrétien et abritée, avec ses beaux grands arbres,
à l'intérieur de hautes murailles en terre. Dans ces régions, les missionnaires sont
de gros propriétaires, et les chrétiens sont en fait les colons de l'Eglise.» P.
Teilhard de Chardin, Lettres de voyage 1923-1955, FM/ La Découverte, 1982, p. 83.
36 Source : G.B. Tragella, Le missioni estere di Milano nel quadro degli av-
venamenti contemporanei, voi. 2; pian p. 266.
L'énumération des divers éléments du complexe met en évidence le
caractère auto-suffisant et défensif de la mission. L'emprise sur le milieu passe par les
emplois créés pour les besoins des missionnaires, l'action sanitaire et la priorité
donnée aux orphelinats de la Sainte Enfance.
266 LA DIRECTION DES MISSIONS

COMPLEXE DE KIN-KIA-KANG : PLAN DE LA MISSION CATHOLIQUE.


N° 1-3-4-5-6-7-8-9-19-11-12-18-20-22 : Maisons et terrains des chrétiens.
- N° 2 : Cour de la Sainte Enfance (filles). - N° 13 : Sainte Enfance (garçons).
- N° 14 : Cour pour les mules et les chevaux. Pièces pour les muletiers et les
meuniers. - N° 15 : Entrée orientale. - N° 16 : Cour des paysans. - N° 17 :
logements de la Sainte Enfance (filles). - N° 19 : Catéchuménat pour les
femmes. - N° 21-24-32-33 : jardins et puîts. - N° 23 : secteur des Pères. -
N° 25-26 : Séminaire. - N° 27 : Pharmacie. - N° 28 : Economat, boulangerie,
greniers. - N° 29 : Eglise pour les hommes et les femmes (avec entrée
distincte). - N° 30 : Cimetière des Pères. - N° 31 : Maison des maraîchers. -
N° 34 : Route menant à la ville. - N° 35 : Entrée sud et cour. - N° 36 : Cour. -
N° 37 : Hospices. - N° 38 : Maisons pour les domestiques. - N° 39 : Collège. -
N° 40 : logement du père chargé de la Sainte Enfance.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 267

Enfermés dans un dilemme insoluble, les missionnaires sont


d'abord occupés par la survie et la croissance des chrétientés
existantes. Pour maintenir leur cohésion et les préserver, d'autant que le
missionnaire ne peut guère y venir qu'une semaine par an, on met
en place un encadrement très hiérarchisé et des règlements
contraignants, particulièrement pour les catéchistes qui sont le relais
naturel et permanent entre le missionnaire et les chrétiens37. Ce
fonctionnement, calqué sur celui des séminaires, est d'ailleurs conforme
aux propositions de D. Jacobini38.
Les chrétientés sont ainsi préparées à subir les assauts de leurs
adversaires et supporteront courageusement destructions et
persécutions à la fin du XIXe s. Mais elles ne peuvent guère jouer un rôle
dynamique et directeur dans cet Empire entré dans une période de
profonds bouleversements. Les élites chinoises que forme le
catholicisme, empêchées d'accéder aux postes d'autorité par l'interdiction
des rites39, reproduisent le modèle missionnaire de la controverse,
s'engagent à leur tour dans le combat contre les superstitons et le
paganisme, à l'image du père Pierre Hoang40. Le choc de cette altéri-
té apparemment irréductible entre le catholicisme et la civilisation
chinoise conduira bientôt plusieurs missionnaires à s'interroger sur
la pastorale et l'ecclésiologie qui guident leur action41.
Le voto de Jacobini s'achève sur une proposition qui récapitule

37 A titre d'exemple, lire les 53 articles (dont l'exigence d'un rapport annuel
inspiré des questionnaires de la Propagande) que comporte le «Règlement des
catéchistes de Wenchow ou recueil synthétique des avis donnés aux catéchistes
depuis 1900 jusqu'à 1919». In : En Mission... extraits des Lettres de Cyprien Aroud,
CM., missionnaire en Chine, 1899-1928, Paris, 1933, p. 255-266.
38 A.C.P.F. Rapport Jacobini op. cit. f. 526 v-527 r.
39 «II y a toujours impossibilité pour un chrétien chinois, déterminé à ne pas
faire les cérémonies prohibées, d'atteindre à aucun des grades littéraires sans
lesquels on ne parvient pas à la considération, à la fortune et et à l'influence sociale
en Chine. «(D.T.C., Chinois (rites) op. cit.).
40 M.C. 1881, p. 365. «Son livre, qui comprend six volumes, est intitulé : Tsi-
chouo-tsiun-chen, c'est-à-dire La vérité démontrée par les textes réunis.
Le père Hoang, dit le Hong-Kong Catholic Register, est bien placé pour
connaître exactement la situation des chrétiens en Chine. Très versé dans
l'histoire ecclésiastique, il a suivi la méthode des anciens apologistes du
christianisme, en s'appuyant sur les textes des plus chauds partisans du paganisme pour
prouver la fausseté de leurs croyances. Il n'est pas rare d'entendre des Chinois se
plaindre que les chrétiens dénaturent l'histoire de leurs idoles. Le p. Hoang, étant
parfaitement au courant des plus célèbres publications en faveur des
superstitions chinoises, attaque ses antagonistes sur leur propre terrain et les bat par
leurs propres armes... Le sixième volume est une charge à fond contre les trois
principaux systèmes religieux : religion de Confucius, bouddhisme et
rationalisme de Lao-Tseu. Il met en évidence leurs contradictions, quand on les compare
l'un à l'autre, et il montre combien ils sont ridicules de l'avis de leurs propres
partisans».
41 Vincent Lebbe arrive à Pékin en mars 1901 et Antoine Cotta en 1906.
268 LA DIRECTION DES MISSIONS

les espoirs et les illusions mis dans l'application de directives


romaines censées nécessaires et suffisantes. Attribuant une grande
partie des difficultés à l'éloignement géographique, à l'absence d'une
autorité centrale qui mettrait fin «à l'incroyable variété des opinions
et des pratiques», le prélat préconise en effet de profiter de la
conjoncture pour resserrer les liens, c'est-à-dire la centralisation
romaine, par l'envoi d'un délégué apostolique, ou au moins de
visiteurs «che la ragguaglino esattamente sullo stato delle cose... si è
veduto al principio come essa ordinasse a Mons. Spelta42 la Visita
accurata di tutte le missioni dell'Impero»43.
Nous ne concluons pas de ce constat d'immobilisme théologique
à l'inefficacité des orientations retenues. Nous voulons seulement
souligner le caractère relatif, historiquement daté, de la lucidité
critique manifestée par la Propagande. Sa fidélité aux objectifs
originels n'en a pas moins contribué à maintenir un pôle critique et une
dynamique qui permettront ultérieurement l'émergence d'autres
problématiques. L'expérience d'un clergé chinois et l'envoi d'un
délégué apostolique le confirmeront trente ans plus tard. L'expression de
différents points de vue sur le problème du clergé chinois atteste
déjà que la ligne de partage entre «sinicisants» et «européanisants»
n'oppose pas tant nationaux et étrangers que deux conceptions de la
mission44. Aussi discret qu'il soit encore, ce débat maintient ouvertes
les questions déjà posées par Ricci et ses compagnons. Il prépare la
mise en mouvement intellectuelle et pastorale des missions de
Chine.

3 - L'achèvement de la plantation de l'Eglise dans les Indes : le délégué


apostolique au service de la «normalisation».
Le dispositif missionnaire préconisé par Jacobini pour la Chine
se retrouve point pour point dans la stratégie mise en œuvre dans les
Indes orientales. Mais le contexte permet cette fois de le mener à son
terme grâce à l'établissement d'un représentant permanent de la
Propagande. La réunion des synodes se poursuit parallèlement à la

42 Luigi Celestino Spelta (1818-1862), franciscain, missionnaire en Chine


depuis 1845, évêque de Nankin (1855), vicaire apostolique du Hupeh oriental
(1856), fut désigné en 1860 comme Visiteur Apostolique chargé de sonder
l'empereur Hsien-Feng en vue d'ouvrir des relations entre Rome et Pékin.
43 II compare sur ce point les problèmes de la Chine à ceux rencontrés en
Amérique et dans les colonies anglaises. Rapport f. 536 r.
44 Nous faisons allusion à la correspondance Becker-Brucker sur la question
des rites chinois (1885-1907) excellemment présentée par Henri Bernard-Maitre
in Rech. Sci. Rei. 54 (1966), p. 417-425. Le père Hoang, de la mission de Shangai,
cité (note 40) comme un controversiste affirmé, critique vivement en 1886 les
«idées philosophiques préexistantes» des «sinologues» européens, c'est-à-dire le
R.P. Zottoli et d'autres jésuites de la mission.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 269

mise en place de la hiérarchie régulière, sous le regard du délégué


apostolique.
Repères chronologiques.
1838 (24 avril) : Bref Multa praeclare de Grégoire XVI. Suppression des
diocèses du patronat, sauf Goa, au profit des Vicaires Apostoliques
1857 : Concordat avec le Portugal. Rétablissement des diocèses du patronat.
1869 : Instructions aux Vicaires Apostoliques
1884 (sept.) : Nomination d'un Délégué apostolique (Agliardi).
1886 : 23 juin : Concordat avec le Portugal définissant la juridiction des
diocèses du patronat et des diocèses de la Propagande45.
1er septembre : Etablissement de la Hiérarchie (Lettre apostolique Hu-
manae salutis auctor)
1887 : 31 mars : Nomination d'Aiuti comme Délégué apostolique.
Début des synodes diocésains46.
1891 : visite des missions et rapport de Zaleski en qualité de Délégué
extraordinaire.
1892 : Nomination de Zaleski comme Délégué apostolique résident à Kandy.
1893 : 19 mars : Instructions aux Evêques des Indes.
24 juin : Encyclique Ad extremas Orientis oras sur la fondation des
séminaires en Inde.
Début des synodes provinciaux (Bombay, Verapoly, Agra, Pondichéry,
Calcutta, Madras, Goa).
1898 : 8 décembre : ouverture du séminaire central à Kandy (80
étudiants).

L'évolution de l'Eglise dans les Indes orientales est celle qui


reflète le plus exactement les étapes de la stratégie missionnaires de la
Propagande. Rapports réguliers à la Propagande, synodes, envoi
d'un délégué apostolique, hiérarchie régulière : le programme est
entièrement réalisé, conformément aux instructions données à Mgr
Agliardi : 1. application du concordat. 2. érection de la hiérarchie. 3.
Clergé indigène47. Le premier point entend créer les conditions
favorables à l'action missionnaire. La pax britannica garantissait la
sécurité des missions et l'exercice de la liberté religieuse. Il restait à
conclure la signature du concordat avec le Portugal pour mettre fin
aux principales aberrations qu'entraînait le maintien du padroado. A
partir de 1886, l'autorité de la Propagande s'exerce sans partage sur
la grande majorité des territoires et Rome normalise ses relations

45 Pour un extrait des articles les plus importants, voir M.C., 1886, p. 437,
ainsi qu'un résumé des principales modifications dans le même volume p. 469-
471.
46 1887 : Bangalore et Allahabad; 188 : Nagpur; 1889, 1893 et 1896 : Verapoly;
1890 : Allahabad, Lahore et Agra; 1891 : Coïmbatore; 1898; Goa; 1902 :
Hyderabad.
47 A.C.P.F. Lettere 382 (1886), f. 679-680. Instructions du Préfet de la
Propagande à Mgr Agliardi, 11 décembre 1886.
270 LA DIRECTION DES MISSIONS

DIVISION ECCLESIASTIQUE DES INDES

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avec l'archevêché de Goa. Sans doute les espoirs placés dans l'accord
seront en partie déçus car les rivalités de juridiction ou la
compétition entre les clergés subsistent et entretiennent des conflits
interminables jusqu'en 1950. Mais l'essentiel est acquis, les conditions
préalables sont réunies pour passer à la réalisation des points 2
(établissement de la hiérarchie régulière) et 3 (formation et promotion
du clergé indigène).
Dans ce processus, la chronologie souligne la place stratégique
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 271

du délégué apostolique. Agliardi est nommé en 1884 pour mener à


bien les négociations avec le Portugal. Son expérience de minutante
l'a parfaitement préparé à traiter ce dossier et Léon XIII n'hésite pas
à le désigner comme envoyé extraordinaire, bien qu'il ne soit pas
diplomate de profession. La conclusion du concordat ne met pas fin à
ses fonctions. Il est chargé d'établir la hiérarchie et il acomplit un
second voyage dans les missions des Indes, secondé par Mgr Aiuti,
précédemment auditeur à la nonciature de Munich, et un jeune
secrétaire de nonciature, Zaleski. Entré dans la carrière diplomatique
et choisi pour le secrétariat des Affaires ecclésiastiques
extraordinaires, Agliardi est tout naturellement remplacé par Aiuti qui va
présider et surveiller les synodes diocésains. Quand Aiuti devient
secrétaire de la section orientale de la Propagande, Zaleski est nommé à
son tour, avec à partir de 1892, résidence à Kandy. La longévité du
prélat polonais dans le poste (1892-1916) et sa forte personnalité
rendent particulièrement intéressante l'étude de ses relations avec
les missionnaires.

La normalisation sous contrôle romain : «bon pour l'Europe, bon


pour les missions?»

La multiplicité des congrégations missionnaires et des origines


nationales pousse la Propagande à obtenir, aux Indes comme en
Chine, une uniformité jugée indispensable à l'unité catholique.
L'entreprise ne suscite guère d'oppositions, à condition de respecter
quelques susceptibilités et de composer avec les traditions des
sociétés missionnaires les plus anciennes. Les Missions Etrangères de
Paris affirment se soumettre de bon gré aux directives romaines et A.
Launay se plaît à décrire la docilité de ses confrères. Mais le bilan
qu'il dresse montre que le programme romain n'est pas entièrement
exécuté en 1898, ce qui justifie l'intervention des délégués
apostoliques.
Selon l'historien des M.E.P., l'unification doctrinale ne soulève
pas de difficultés dans les missions. La condamnation des rites
malabars et la censure des écrits ecclésiastiques ne laissent aucune
place à des initiatives originales. La littérature missionnaire s'en
tient à des exposés parfaitement classiques de la doctrine, à des
ouvrages de controverses contre le protestantisme et le paganisme, à
une littérature édifiante (vies de saints) ou des ouvrages de dévotion.
Cependant la volonté romaine est inégalement suivie. Le souhait
réitéré par la Propagande d'un petit catéchisme unique ne semble pas
mobiliser beaucoup d'énergie et chaque diocèse continue de
recourir à ses propres manuels.
272 LA DIRECTION DES MISSIONS

Les obstacles linguistiques favorisent, il est vrai, le statu quo.


Mais il nous manque des études systématiques pour évaluer la
portée des instructions romaines de 1869 et 1893 sur la rédaction des
catéchismes. Le père Vérinaud, à travers une étude de
l'iconographie des catéchismes conservés par les M.E.P., relevait au début du
XXe s. l'influence croissante du Catéchisme en images de la Bonne
Presse48. D'une manière générale, en l'absence d'un catéchisme
romain universel pour les fidèles, les missionnaires continuent de
prendre pour modèle les manuels les plus répandus dans leur pays
d'origine. Cette diversité régionale n'entrave pas la forte
homogénéité de la production quant aux modèles, aux principes et aux
méthodes d'exposition.
L'uniformisation des institutions demandée par les instructions
s'opère également avec quelques accommodements. Si les diocèses
des M.E.P.49 mettent en place les vicaires généraux et les conseils
épiscopaux, la présence dans le conseil d'un prêtre indigène a été
subordonnée par le synode provincial de Bangalore à la présence de
dix prêtres dans le diocèse50. Cette clause les élimine à Coïmbatore
où ils sont seulement 8 en 1901.
L'uniformisation du vêtement est en cours. Elle conduit à
adopter «la soutane blanche et le chapeau de liège ou de mœlle d'aloès,
en forme de casque.»51 L'apprentissage systématique des langues
indigènes et de l'anglais, vivement recommandé par Rome, ne
constitue pas une nouveauté pour cette société qui a fourni depuis
longtemps un gros effort de traductions de livres, en tamoul notamment.
Cependant la formation des individus continue de s'effectuer sur le
terrain, dans les paroisses, et non dans des centres spécialisés52. La
tenue des registres de paroisses pour les baptêmes, les mariages et
les décès semble soigneusement respectée. Le coutumier des M.E.P.
y ajoute un registre «renfermant les noms de toutes les familles
chrétiennes : pères, mères, enfants»53. Enfin les recommandations
pour obtenir un respect rigoureux des lois ecclésiastiques dans
l'administration des sacrements obtiennent aisément l'assentiment d'un
clergé européen formé dans la hantise de la validité54.
Même si la présentation de la situation des diocèses confiés aux
M.EP. tourne parfois au plaidoyer pro domo, elle démontre que les

48 J. Vérinaud, «Iconographie catéchétique en Extrême-Orient». In :


Iconographie, Catéchisme et Mission. Actes du colloque tenu par le Credic à Louvain,
publiés par l'Université Lyon III, 1984, p. 16 à 21.
49 Ce sont l'archevêché de Pondichéry, les évêchés de Mysore et Coïmbatore.
50 Launay, Histoire... Inde, t. IV, p. 459.
51 Ibid. p. 459.
52 Ibid. p. 462.
53 Ibid. p. 466.
54 Ibid. p. 464.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 273

missions des Indes sont entrées dans un processus de


«normalisation» qui épouse pleinement les vues de la Propagande. Mais la
correspondance des délégués apostoliques révèle aussi que l'adéquation
des points de vue n'est pas toujours immédiate. Zaleski, plus que ses
prédécesseurs, en est un témoin précieux. Dès ses premiers
rapports, il manifeste son souci de prendre réellement la tête de l'action
missionnaire. Il expose en 1893 un plan en trois points approuvé par
le congresso des cardinaux :

1. Organiser les diocèses, les œuvres et les écoles.


2. Améliorer la discipline par l'uniformisation (administration
des sacrements, écoles).
3. Mettre en pratique l'Instruction de la Propagande de 189355.

Une dizaine d'années plus tard, le délégué apostolique


récapitule son expérience dans un copieux rapport confidentiel adressé au
Préfet de la Propagande. Le premier avantage de son travail est
d'offrir une vue synthétique et de repérer la part consacrée aux
différentes rubriques56. Plus encore, il met à nu les problématiques. Le
chapitre consacré à l'application du droit canon, malgré un intitulé
agressif («Ignorance et mépris du droit canon»), compte seulement
cinq pages manuscrites57. Non pas que Zaleski y accorde une
importance mineure, mais le respect de la législation ecclésiastique n'est
plus une source de conflits. Les défauts dénoncés par le délégué
apostolique sont attribués à l'ignorance des clercs plutôt qu'à leur
mauvaise volonté. Le modelage progressif des missions indiennes,
selon les prescriptions du droit canon, constitue pour Zaleski un
objectif en voie de réalisation.
Pourtant quelques remarques trahissent que les années n'ont
pas comblé le fossé qui sépare parfois l'ecclésiastique de la Curie,
formé au respect minutieux du droit, et les missionnaires, enclins à
relativiser sur le terrain la portée des règlements. Zaleski est choqué
par les pratiques dont il a été le témoin : «Ho conosciuto un Vicario
Generale, il quale non ha mai avuto in mano le Istituzioni»5*. Il
déplore que les causes traitées dans les tribunaux épiscopaux ne soient
pas examinées selon les textes mais d'un manière sommaire et
arbitraire, et il donne en exemple sa propre expérience. Il a dû refuser

55 A.C.P.F. Acta, 263 (1893), f. 345 v-346v.


56 A.C.P.F. N.S. 261 (1903) f. 141-329. Appunti confindenziali sullo stato della
Delegazione. Rome, 25 mai 1902.
57 Ibid. chapitre Vili, f. 220-222.
58 Ibid. f. 220 r. «J'ai connu un vicaire général qui n'avait jamais eu entre les
mains les Institutions».
274 LA DIRECTION DES MISSIONS

l'ordination d'un séminariste dont le dossier n'était pas complet,


provoquant l'étonnement du supérieur et de l'Evêque. Il laisse enfin
entendre que l'administration du baptême et du sacrement de
mariage sont encore souvent gênés par la disparition des actes ou la
méconnaissance du droit59. Malgré l'omniprésence du délégué, la
logique juridique romaine ne s'impose donc pas sans rencontrer les
réticences des missionnaires. L'immense effort de «normalisation»
se heurte à une objection que Zaleski signale lui-même : «Più volte
ho sentito dire che il diritto canonico è buono per l'Europa, non per
le missioni60».

L'impossible conquête indienne.

L'action du délégué s'applique aussi à la pastorale missionnaire


pour la conformer aux instructions de 1893 qui comptaient accélérer
l'évangélisation grâce à deux remèdes : la spécialisation de deux
missionnaires dans chaque district en vue de «la conversion des
païens»; la formation d'un clergé et d'auxiliaires indigènes. Zaleski
reprendra inlassablement ces deux thèmes dans ses ouvrages, en
particulier dans Les missionnaires d'aujourd'hui. Appendice à St
François-Xavier missionnaire. Après avoir décrit et comparé la
méthode suivie par chaque société missionnaire dans les Indes, l'auteur
y dégage un tronc commun directement inspiré par les directives de
la Propagande et dont il condense le message dans la conclusion :
«En résumé, voici ce qui est nécessaire pour donner aux missions
de l'Inde un plus grand développement, aussi bien en ce qui regarde
l'administration des chrétiens, comme aussi la conversion des païens :
«1° - Organiser partout l'apostolat actif. Et pour pouvoir le faire
avec fruit :
2° - Instituer dans toutes les missions des missionnaires exclusive
ad paganos, tels que les veut le St-Siège.
3° - Augmenter, et de beaucoup, le clergé indigène. Et dans ce
but :
4° - Eriger dans chaque diocèse un petit séminaire, et des grands
séminaires métropolitains, ainsi que dans tous les diocèses qui
peuvent en avoir un.
5° - Désigner quelques prêtres connaissant parfaitement la
langue du pays et les coutumes du peuple, comme prédicateurs
extraordinaires, qui iraient de temps en temps prêcher et donner des
missions dans les paroisses ou groupes de paroisses, et même dans les
diocèses qui n'auraient pas d'hommes capables pour ce ministère.

59 Ibid. f. 220 v-221 r.


60 Ibid. f. 220 ν. «A plusieurs reprises j'ai entendu dire que le droit canon
était bon pour l'Europe, pas pour les missions».
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 275

6° - Renoncer au funeste monopole qui est la cause de la perte de


tant d'âmes et ouvrir les missions à toutes les initiatives salutaires61.

Cette dernière suggestion est peut-être la plus significative de la


manière dont Zaleski comprend sa fonction. Il se place
systématiquement au-dessus des sociétés missionnaires, simplement
commises à l'administration d'un territoire, alors qu'il est, lui,
dépositaire de l'autorité pontificale. La critique du «monopole» des
instituts dans leur diocèse lui permet d'incarner l'intérêt supérieur de
l'Eglise en l'opposant aux intérêts particuliers des instituts.
En 1902, Zaleski en convient pour le déplorer, la consigne de la
Propagande de spécialiser deux missionnaires par district pour l'é-
vangélisation des païens est loin d'être respectée62. L'explication la
plus répandue dans la littérature missionnaire justifie le statu quo
par une raison de bon sens : le très petit nombre de missionnaires.
Le témoignage du père Launay est formel à ce sujet :
«Dans chaque district, le missionnaire est généralement seul.
Cette mesure n'est pas particulière aux missions de Pondichéry, du
Maïssour et du Coïmbatour; elle se retrouve dans toutes les missions
de l'Inde... (d'après le Madras catholic Directory de 1897) dans le
diocèse de Nagpore dirigé par les religieux de la Congrégation de Saint
François de Sales, il y a 13 postes, dont 9 sont occupés par un seul
missionnaire, et 3, quoique chefs-lieux de districts, ne sont pas
régulièrement habités; seul Nagpore possède plusieurs prêtres; le diocèse
de Trichinopoly confié aux religieux de la Compagnie de Jésus,
compte 39 districts, sur lesquels 25 ont un seul missionnaire; dans le
diocèse de Dacca dépendant de la Congrégation de Sainte-Croix, 9 postes
ont un seul missionnaire. Nous pourrions continuer cette
enumeration et trouver partout la même proportion63».

Cet argument masque en réalité d'autres réticences, au nombre


desquelles figure en bonne place le scepticisme ambiant sur les
aptitudes du clergé indigène à assumer l'administration des paroisses.
Mais le schéma missionnaire que veulent substituer la Propagande
et Zaleski ne se heurte pas seulement à l'inertie, il entre en conflit
avec toute la stratégie missionnaire. Retirer du ministère paroissial
une partie des missionnaires, pour les réserver à l'évangélisation des
païens, n'est en effet guère compatible avec le développement
continu des séminaires et des écoles qui exigent toujours plus de prêtres.

61 Mgr Ladislas Michel Zaleski, Les Missionnaires d'aujourd'hui. Appendice à


St François-Xavier missionnaire. (Ce livre n'est pas mis en vente. Il sera envoyé
gratis aux prêtres qui en feront la demande au Secrétariat de la Délégation
Apostolique). Bezinger and Co, S.A. Editeurs typographes du St-Siège Apostolique,
Einsielden, 1910, 197 p. Il existe une seconde édition en anglais, s. d.
62 Rapport Zaleski op. cit. f. chap. XII : Conversion des païens, § n° 183.
63 A. Launay, Histoire... Inde t. IV, p. 473.
276 LA DIRECTION DES MISSIONS

En outre la cléricalisation des chrétientés impose aux missionnaires


d'écrasantes charges de culte, de catéchèse, de contrôle des
auxiliaires, de surveillance des fidèles. Dans le diocèse de Colombo, les
O.M.I, sont, en 1901, 80, aidés par 14 prêtres ceylanais, pour
administrer 198.000 catholiques répartis dans 46 stations primaires ou
districts; ils doivent desservir 271 lieux de culte, surveiller 661 écoles
et 10 orphelinats. Pondichéry (M.E.P.) compte 134.000 fidèles, 51
districts, 275 lieux de culte, 80 écoles et 19 orphelinats pour 77
missionnaires et 29 prêtres indiens. Le diocèse du Maduré (Trichinopo-
ly), où les jésuites poursuivent la mission inaugurée par St François-
Xavier, comportent 206.000 catholiques avec 37 districts, 980 églises
et chapelles, 239 écoles, 10 orphelinats sous la responsabilité de 51
missionnaires et 24 prêtres indiens... L'envoi de quelques
missionnaires supplémentaires dans une masse humaine de 245 millions
d'habitants paraît une mesure symbolique.
La Propagande tente de prévenir les critiques en invoquant dans
les Instructions de 1893 l'exemple du Bon Pasteur qui abandonne les
99 brebis pour sauver la centième. En réalité les missionnaires se
sentent mis dans la situation de sacrifier la brebis difficilement
introduite dans le bercail au profit des 99 peu sensibles à la voix des
pasteurs. Amplement sollicités par leurs fidèles, ils ne voient guère
de raison d'abandonner une pastorale éprouvée au profit de
méthodes aléatoires. Il n'est donc pas étonnant que les M.E.P.
continuent en 1910 de répéter les mêmes objections à l'obligation d'avoir
deux missionnaires réservés à la conversion des païens. A leurs yeux,
les néophytes, séparés du missionnaire qui les a instruits, ont toutes
les chances de retourner au paganisme64.
Finalement la consigne de 1893, bien que présentée comme une
décision de trois synodes diocésains appartenant à trois sociétés
missionnaires puissantes (Colombo : O.M.I; Bangalore : M.E.P.;
Allahabad : capucins)65 correspond davantage au vœu de la
Propagande qu'à une orientation venue de la base. Elle supposait, pour
être efficiente, une réflexion pastorale qui n'a pas eu lieu. Le tableau
des méthodes pastorales en 1910 confirme les piétinements, y
compris dans les missions dépendant des sociétés citées en
référence par la Propagande. Selon Zaleski chaque société semble plus
attachée à perpétuer sa propre tradition missionnaire qu'à appliquer

64L.M. Zaleski, Les missionnaires d'aujourd'hui... p. 57.


65 «La S. Congrégation ordonne qu'on observe dans tous les diocèses les
décrets sagement promulgués aux synodes qui furent célébrés en 1887 à Colombo,
Bangalore, Allahabad, savoir que : «chaque évêque aura soin que quelques
missionnaires apprennent parfaitement la langue propre à chaque région. Deux
d'entre eux seront envoyés exclusive pour évangéliser les païens.»
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 277

les instructions de la Propagande. Les techniques de prédication des


bénédictins sylvestrins et des Oblats de Marie font appel aux
procédés de mise en scène et de catéchèse dialoguée qui ont fait leurs
preuves en Europe66, Les Missions Etrangères de Paris suivent leurs
anciens directoires, certes mis à jour par Mgr Laouënan, archevêque
de Pondichéry, mais fidèles aux principes et aux méthodes de la
société67.
Zaleski n'a pas renoncé à dégager de ces variations congréga-
nistes, qu'il ne conteste pas, un bon sens missionnaire commun. Il
propose d'adopter quelques règles simples, telle l'organisation de
belles cérémonies pour que les païens viennent par ce biais écouter
la prédication qui les convertira68. Il préconise dans ses propres
écrits pastoraux des schémas de mission hebdomadaire
«standardisés» et universellement transférables. De ces ébauches de directoire,
la réalité culturelle indienne est pratiquement absente69. L'impératif
prioritaire de la conversion des païens n'incite pas Zaleski à prôner
d'emprunter des voies nouvelles.
Dans ces conditions comment demander au missionnaire de
mener une action personnelle et directe en milieu indien, alors qu'il
a l'habitude de passer par des intermédiaires autochtones (enfants,
catéchistes, chrétiens «ordinaires»)? Comment exiger d'affronter la
société indienne collectivement et publiquement quand toute la
pratique s'appuie sur des conversions individuelles ou familiales? Les
conseils adressés aux missionnaires par les Instructions romaines,
qu'ils concernent la manière de prêcher ou l'invitation à ne pas se
décourager, font l'impasse sur les difficultés concrètes de la mission,
s'en tiennent à des exhortations générales ou transposent les
traditions européennes de la controverse.
Les commentaires dont A. Launay acompagne la présentation
des coutumiers suggèrent quelques-uns de ces obstacles quotidiens

66 L'usage par les bénédictins sylvestrins des cérémonies religieuses, des


exercices collectifs de piété, des instructions dialoguées pour aboutir à des
prédications «terroristes» sur le châtiment du pêcheur (mais aussi la promesse du
pardon de Dieu aux convertis) transpose en Inde la grande tradition des missions
intérieures européennes. Cf. L.M. Zaleski, Les missionnaires d'aujourd'hui... op. cit.
p. 7 à 13.
67 Ibid. L'ouvrage insiste sur le soin apporté par les M.E.P. à la connaissance
des langues, à la préparation des catéchistes, à la pédagogie de la catéchèse (p. 40
à 47). Il décrit ensuite (p. 48 à 52) la préparation au baptême (30 jours au
minimum) en laissant pointer une critique discrète contre l'abaissement des exigences
en certains cas. (p. 52)
68 Ibid. p. 13
69 Cf. les lettres rassemblées sous le titre Epistola? ad missionarios. Manga-
lore, Codialbail Press, 1914, Pars Ia, XII + 416 p. (latin) et 1915, Pars IIa, XII+514 p.
(anglais). Les lettres 49 à 70 du deuxième volume fournissent les plans à suivre
dans les missions hebdomadaires.
278 LA DIRECTION DES MISSIONS

qui ne sont pas pris en compte. La plupart d'entre eux sont liés au
statut du missionnaire européen. L'action auprès des élites
indiennes supposerait une présence dont le missionnaire n'a «ni le
temps, ni le goût». Car, l'auteur le regrette, «le missionnaire
demeure généralement étranger à la vie littéraire, politique,
économique et sociale de l'Inde; il ne fait pas partie d'associations, ne
fréquente pas les meetings, n'écrit pas dans les journaux; il n'est pas un
personnage officiel avec lequel le gouvernement ait à compter, et
dont l'influence se fasse sentir dans le mouvement de civilisation et
de progrès matériel qui emporte le pays vers l'avenir»70.
Pour combattre cette marginalisation du catholicisme, le
délégué apostolique incite les chefs des diocèses à faire entendre la voix
de l'Eglise sans concession; mais il leur interdit de participer à des
associations qui les placeraient dans une position de subordination
inadmissible pour un représentant de la hiérarchie catholique. Mgr
Mayer, évêque auxiliaire de Madras, est accusé d'avoir cherché une
vaine notoriété quand il a accepté de siéger dans l'académie
provinciale, compromettant l'Eglise en acceptant un poste secondaire sous
la présidence d'un ministre protestant...71.
De la même manière la rencontre des masses indiennes ne peut
s'effectuer sans respecter les règles de la vie sociale indienne. Or les
visites à domicile ne sont pas concevables. «(Le missionnaire) visite
peu les chrétiens, les coutumes indiennes ne le permettent pas; mais
ceux-ci vont souvent chez lui, ils sont reçus dans la pièce d'honneur,
celle du milieu tout à la fois salon et salle à manger; les femmes
n'entrent pas et restent sous la véranda où, pour traiter l'affaire qui
les amène, le missionnaire se tient avec un catéchiste»72.
Les instructions romaines relayées, voire durcies par Zaleski, ne
donnent pas prise sur la résistance globale de la société autochtone
au christianisme, résistance qu'illustre la place démesurée accordée
aux baptêmes des enfants in articulo mortis à l'insu de leurs parents.
En d'autres termes le modèle de la chrétienté en milieu indien nous
paraît là encore indissociable d'une pastorale fondée sur la
multiplication des œuvres et l'intégration progressive des individus au
noyau initial. Zaleski observe que les conversions se font plus
facilement au voisinage des chrétientés car les païens sont «à demi-appri-
voisés. Et puis en rompant avec la société païenne, l'infidèle entre de
suite dans celle de la localité : il ne sera jamais isolé»73. C'est ainsi
que le délégué apostolique invite le missionnaire réservé pour l'évan-
gélisation des païens à établir son quartier général dans un village

70 A. Launay, Histoire... Inde, op. cit. p. 460.


71 L.M. Zaleski, Appunti confidenziali... op. cit. f. 150 r.
72 A. Launay, Histoire... Inde, p. 464-465.
73 Ibid. p. 19.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 279

chrétien, de préférence dans la maison du curé. Puis il suggère


d'entrer en contact avec les païens grâce à des procédés bien connus. Il
préconise de ne pas négliger «les moyens humains», voire d'exercer
des pressions sur les parents qui veulent envoyer leurs enfants à
l'école, conseillant au missionnaire de leur répondre : «Je le voudrais
bien, mes amis, mais que puis-je faire, l'école dépend du curé qui n'y
admet gratis que les enfants des chrétiens74.»
Ces directives négligent les très fortes solidarités sociales et
condamnent le catholicisme à progresser sur les marges de la
société, parmi les individus mal intégrés. L'Instruction de 1893 n'offre pas
d'alternative véritable à la «pêche à la ligne» que Zaleski voudrait
pourtant transformer en pêche par des filets jetés dans la mer75. La
mission reste subordonnée à l'arrachement de l'indien à son système
social pour l'intégrer et l'assimiler au sein de la chrétienté. En
somme les propositions missionnaires de la Propagande,
répercutées et amplifiées par son délégué apostolique, ne mettent pas fin
à une contradiction majeure entretenue par la peur de la
contamination païenne. Celle-ci voue le catholicisme à s'organiser en une
contre-société, au risque de former une caste supplémentaire, avec
sa hiérarchie, ses règles de fonctionnement, ses critères du pur et de
l'impur. En son centre, le missionnaire y cumule les responsabilités
du chef et du ministre de la religion, tour à tour «prêtre, vicaire,
curé, avocat, arbitre, juge, médecin, architecte, maître-maçon... et
que sais-je encore?»76. Cette perspective est manifestement plus
mobilisatrice pour les prêtres de l'époque qu'une hypothétique
evangelisation des païens «à plein temps», d'autant que les missionnaires
savent leur impuissance à évangéliser si le terrain n'a pas été
préparé par des auxiliaires indigènes.

4 - L'adaptation selon Zaleski : la peau de chagrìn.

Au-delà des divergences pastorales, c'est donc une nouvelle fois


l'adaptation du catholicisme au monde autochtone qui est en jeu.
Comme dans le cas de la Chine, la résolution romaine de planter
définitivement l'Eglise dans les Indes se réfère à une logique
génératrice d'affirmation de la différence et d'isolement. L'application

75 L.M. Zaleski, Les missionnaires d'aujourd'hui...


74 d'aujourd'hui, op.
p. cit.
20. p. 17. «Piscator ho-
minum», le missionnaire «ne doit pas se contenter de pêcher à la ligne, mais il
doit jeter les filets à la mer, partout où il y a quelque chance de les retirer pleins.»
76 D. Guchen, Cinquante ans au Maduré. T. I, seconde lettre : «ce que je fais»,
p. 22-23. L'image que le missionnaire de brousse donne de lui-même, en Inde et
ailleurs, est ici identique, religieux en plus, à celle que renvoie l'administrateur
colonial en brousse. Cf. le témoignage de M. Delafosse in Louise Delafosse,
Maurice Delafosse. Le berrichon conquis par l'Afrique. S.F.H.O.M., Paris, 1976, p.
280 LA DIRECTION DES MISSIONS

scrupuleuse du rituel romain et du droit canon accentue un peu plus


le recul des spécificités locales à la fin du XIXe s. A l'image de la mise
en cause du bonnet liturgique en Chine, l'occidentalisation du
costume missionnaire illustre cette évolution apparemment irréversible
où la soutane et le casque colonial remplacent les anciennes tenues
décrites avec une évidente nostalgie par Launay :
«Autrefois le costume du missionnaire consistait en un angui, un
salve, une ceinture blanche ou de toute autre couleur, le noir excepté,
une barrette rouge, des papatchis ou sandales du pays, des padacura-
dus ou socques en bois et une canne en jonc, assez longue, pour aller
presque à la hauteur des épaules. L'angui est à peu près la soutane
espagnole. Le salve ou châle indien pouvait être blanc, jaune ou rouge;
mais le blanc était plus conforme à l'usage des personnes de bonne
caste. Il se portait sur les épaules à la mode indienne...»77.

Zaleski relègue ce costume au rang des extravagances ridicules


et ironise sur les adeptes de la mission à la manière du P. de Nobili.
Il donne en exemple ces Pères d'une congrégation nouvelle en Inde
qui arrivèrent habillés avec des «vêtements semblables à ceux qu'ils
avaient vus sur le portrait du P. de Nobili. Ils débarquèrent le soir
dans la ville chef-lieu de leur mission et dès le lendemain, les pieds
nus, drapés dans une toile jaune et coiffés d'un turban, ils sortirent
dans la rue. Mais à peine avaient-ils fait quelques pas qu'ils
s'aperçurent que tout le monde les regardait étonné, les gamins les
suivaient et faisaient des grimaces. Ils rentrèrent bien vite à la maison
et reprirent leurs soutanes. Ce furent par la suite de grands
missionnaires et ils étaient les premiers à rire de leur mésaventure»78.
Le missionnaire doit donc accepter d'être et de paraître un
européen, surtout dans une Inde colonisée qui s'habitue à cette présence
étrangère79. Si la Propagande conçoit d'introduire des monastères
au Thibet, ce n'est pas pour une quelconque acculturation avec le
monachisme bouddhiste mais afin de proposer un mode d'apostolat
plus facile à substituer à la structure religieuse traditionnelle. Car
dans le même temps les ecclésiastiques romains ne croient pas à l'ef-

77 A. Launay T. IV op. cit. p. 459. Zaleski confirme le changement de


comportement en 1887. «Un évêque raconta que, lorsque tout jeune prêtre, il
arriva aux Indes, par égard aux idées de ses paroissiens, il devait dire la sainte Messe
les pieds nus et, qu'une fois, s'étant avisé de mettre des souliers, il risqua d'être
chassé de l'Eglise par ses ouailles.» Voyage à Ceylon p. 65.
78 L.M. Zaleski, Les missionnaires p. 79-80.
79 C'est la conviction de Zaleski en 1887 : «La race blanche aura toujours du
prestige dans les pays de couleur. Souvent on haïra le blanc, mais on le
respectera. Sa supériorité s'impose. Mais que l'Européen s'avise de prendre le costume
oriental, on le considérera comme un géant déchu, comme un homme qui
abdique ses droits légitimes, qui renonce à sa supériorité, sans compter que, sous
cette livrée, il sera toujours gauche et ridicule». (Voyage à Ceylon op. cit. p. 110).
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 281

ficacité de méthodes missionnaires inspirées des traditions


religieuses autochtones. Loin de nuancer cette position rigide au
contact de la réalité indienne, Zaleski se fait l'artisan inflexible et
zélé de la déculturation. Il dénonce la fascination exercée sur
l'imagination de certains missionnaires par Robert de Nobili et met en
garde contre un idéalisme suicidaire qui voudrait imiter la vie des
sanyasi (renonçants) de l'hindouisme. II puise ses arguments dans
l'histoire récente de la mission jésuite au Maduré (Trichinopoly).

«Le P. Jules Billas était une âme ardente, naïve et sans mesure
dans le dévouement. Pour convertir les infidèles, il rêva de prendre le
genre de vie du P. de Nobili : abstinence absolue de viande, de pain et
de vin, du riz cuit à l'eau et un seul repas vers les cinq heures du soir.
La réalité suivit immédiatement le rêve. Le père Verdier80, prévenu de
ces excès, les défendit absolument. Le rude missionnaire en appela à
Mgr Canoz81; c'était son droit. Sa Grandeur pour ne pas affliger ce
grand cœur, lui permit de continuer sa vie pénitente, mais là
seulement où elle pourrait influencer les populations idolâtres. En maints
endroits les païens admirèrent en effet une vertu si rare mais pas un
seul ne se convertit. Les temps étaient passés où cette manière de
vivre attirait au baptême. Le seul résultat trop visible de ce jeûne
perpétuel fut que le P. Billas y perdit la santé et les forces du corps»82.

Convaincus que la civilisation européenne est en train de


s'imposer et que l'indigène reconnaît maintenant sa supériorité, les
missionnaires ne voient plus de justification à des concessions devenues
à leurs yeux ridicules. L'intransigeance culturelle triomphe,
symbolisée par les ouvrages de controverse83. Les essais d'acculturation
encourent aussitôt les sanctions de l'autorité ecclésiastique prompte à
pouchasser toute dérive hétérodoxe.
Upadhyaya Brahmabandhav en fera la cruelle expérience. Cet
intellectuel indien, venu de l'anglicanisme, adopte la robe jaune et le
mode de vie des Sannyasis, prêche, mendie, fonde trois revues et un
institut que l'évêque de Nagpur, favorable au projet, autorise. Zales-

80 Louis Verdier, jésuite, arrivé au Madure en 1846, supérieur de la mission,


mort le 30 octobre 1898.
81 Alexis Canoz, jésuite, arrivé au Madure en 1840, vicaire apostolique (1846)
puis évêque (1886), mort le 2 décembre 1888.
82 Voyage à Ceylon, op. cit., p. 78-79.
83 A. Launay donne en appendice de L'histoire des Missions de l'Inde le
catalogue des principaux ouvrages publiés dans les missions des M.E.P. On y
trouvera la liste des ouvrages de controverse (T. V p. 580-588). Mérite une mention
spéciale : Mgr Laouënan Du Brahmanisme et de ses rapports avec le Judaïsme et le
Christianisme, Pondichéry,1884, dont la réfutation du «Brahmansime» dépasse le
niveau habituel des controverses.
282 LA DIRECTION DES MISSIONS

ki intervient pour mettre fin à l'expérience. Il fait supprimer la revue


Sophia, fondée par Upadhyaya Brahmabandhav pour penser la
situation politique indienne, confronter les traditions philosophiques
ou religieuses de l'hindouisme et du christianisme. Il interdit aux
catholiques les écrits du guru catholique qu'il qualifie de «dangereuse
doctrine». L'intéressé tentera vainement de plaider sa cause auprès
de Rome et de rencontrer le pape84.
L'idée d'une adaptation s'est réfugiée dans la conviction que le
missionnaire doit adopter un mode de vie le faisant proche des
populations. Les vertus de pauvreté et de simplicité sont désormais le
contenu donné à la recommandation de l'apôtre Paul souvent
reprise par les instructions romaines : «Je me suis fait l'esclave de
tous... Juif avec les Juifs...» (1 CO 9/1923). Responsables des
missions et de la Propagande sont unanimes à mettre en garde contre
une vie d'internat qui installerait les futures élites indiennes dans un
confort et des habitudes européennes désastreuses parce qu'elles les
couperaient de leurs compatriotes. La seule supériorité «naturelle»
des natifs, la connaissance et l'usage des langues et des mœurs
indiennes, serait alors annulée au détriment des bénéfices attendus
pour l'évangélisation :
«Les prêtres indigènes... connaissent non seulement la langue
littéraire, mais aussi le jargon des villages et sont au courant des
mœurs du peuple et des détails de leur vie domestique que les
Européens, élevés dans un milieu différent n'arrivent pas toujours à
comprendre parfaitement»85. Tout doit donc être fait pour préserver
cette proximité. Mais il reste à fixer ensuite la frontière entre la dose
nécessaire de civilisation, ou de romanisation, et l'héritage culturel
acceptable. Les discussions autour de la pastorale et de la formation
des clercs révèlent que la question de l'acculturation, apparemment
tranchée, revient inévitablement par d'autres voies.
Le progrès des «coutumes romaines» ne saurait en effet étouffer
un débat qui recoupe très exactement l'opposition apparue en Chine
entre «sinicisants», et «européens». Pourtant la ligne de
démarcation est en train de se déplacer au profit de nouvelles idées. A l'image
de Mgr Laouënan, figure de proue des M.E.P., l'ancienne génération
missionnaire met en avant son expérience pour prôner une pasto-

84 Son premier nom est Bhawani Charan Banerji. Né en 1861, fils de


brahmane de haute caste, militant nationaliste, professeur, baptisé dans
l'anglicanisme puis converti au catholicisme. Il meurt en 1907 du tétanos après avoir été
emprisonné par les anglais. (Cf. Martin Jarret-Kenner, Patterns of Christian
Acceptance. Individual response to the missionary impact, 1550-1950, Londres,
Oxford university Press, 1972, p. 211-221).
85 L.M. Zaleski, Les missionnaires... p. 7
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 283

raie adaptée à la mentalité et aux mœurs indiennes. A. Launay se fait


son porte-parole en citant longuement un rapport rédigé en 1861 par
le futur archevêque de Pondichéry (1886) après qu'il eut visité toutes
les missions. Ses remarques continuent de faire autorité à la fin du
siècle dans la société et engagent une réflexion allant sans doute au-
delà des conséquences qu'il envisage lui-même.
«Mon opinion est que la différence de succès dans la propagation
de l'Evangile entre le Nord et le Sud de l'Inde, est due principalement
à la différence avec laquelle les missionnaires se sont présentés aux
populations. Les autres missions indiennes se divisent en deux
catégories : celles dont les fondateurs et les missionnaires actuels ont pris le
costume, les manières et le genre de vie (plus ou moins) des Indiens,
et celles dont les missionnaires ont toujours conservé l'habit et le
genre de vie européens»86.
Cette constatation conduit le prélat à souligner l'importance des
facteurs socio-culturels :
«Et cela se comprend facilement, pour peu que l'on connaisse le
caractère indien, ses préjugés, ses idées, etc. Le prêtre vêtu à
l'européenne est et sera toujours pour lui un étranger, et sa religion sera
une religion étrangère. Beaucoup d'usages européens, les plus
rationnels et les plus naturels en Europe, sont regardés comme infâmes ou
déshonnêtes par les Indiens, et par conséquent celui qui les pratique,
sa religion et sa civilisation seront également déshonnêtes. Manger de
la viande de bœuf ou de vache, par exemple, porter des souliers cirés,
entrer dans une maison ou dans une chambre les souliers aux pieds,
se moucher dans son mouchoir, puis ramasser son mouchoir dans sa
poche, manger en public, boire du vin ou des liqueurs fermentées,
avoir à son service des gens de basse caste, ou les laisser entrer chez
soi, ou s'en laisser toucher, et mille autres choses de cette nature, sont
aux yeux des Indiens, ou des crimes, ou des souillures, ou pour le
moins des fautes contre l'honnêteté. Or les Indiens ne s'imaginent
guère qu'il y ait une civilisation, des idées, des usages différents des
leurs, également légitimes, également rationnels et louables»...87.
Dépassant peu à peu les arguments de bon sens et
d'expérience88, Mgr Laouënan en vient ainsi à plaider en faveur de la
légitimité des traditions indiennes. Bien qu'il se défende de vouloir justi-

86 A. Launay, Histoire... Inde, T. IV, p. 468-469.


87 Ibid.
88 II conteste que l'influence européenne grandissante et la colonisation
changent en profondeur la mentalité indienne : «Si aujourd'hui la domination
anglaise, sur toute l'Inde, a un peu familiarisé les Indiens avec nos mœurs, ce
n'est pas au point cependant de nous gagner leur estime à leur point de vue de
moralité et d'honnêteté; ils nous respectent extérieurement, ils nous craignent; ils
reconnaissent la supériorité de notre esprit, mais ils continuent encore à
mépriser nos usages et à condamner nos mœurs.» (Ibid. p. 469)
284 LA DIRECTION DES MISSIONS

fier des usages sociaux que les européens considèrent comme «un
abus, une erreur, une absurdité, tout ce que vous voudrez», il
manifeste un grand respect pour la culture indienne et n'hésite pas à
relativiser les normes européennes.
«Pour mieux faire ressortir ma pensée, laissez-moi supposer que
la France, avec ses mœurs et sa civilisation actuelles, soit plongée
dans l'infidélité; que les brahmes de l'Inde étant chrétiens, mais
conservant tout ce qui dans leurs usages sociaux n'est pas
rigoureusement opposé à l'Evangile89, vont en France y prêcher la religion
chrétienne; mais que par inadvertance ou attachement à leurs coutumes,
ces missionnaires retiennent leurs usages et leurs idées particulières,
concernant ce qui est convenable ou messéant, bien plus, ils exigent
que leurs néophytes se conforment à ces usages, adoptent ces idées.
Pensez- vous que ces brahmes réussiraient beaucoup?»90

A la fin du XIXe s. Zaleski incarne une toute autre approche dont


témoigne en 1887 cet aveu devant Bangalore : «cette ville indigène
me fit une mauvaise impression; elle était trop païenne»91. Certes le
même homme confesse aussi son admiration après avoir écouté son
premier concert de musique indienne. «Chez nous, les sons sont
plus distincts... Dans les pièces que l'on nous fit entendre, ils se
confondaient les uns les autres, ce qui faisait que toutes ces
mélodies nous paraisaient languissantes et confuses. Mais elles sont
pleines de notes savantes et de passages d'une hardiesse
surprenante. Si Wagner avait entendu cette musique, il serait devenu fou
de joie. Je suis sûr qu'elle aurait été de son goût»92. Une évaluation
plus nuancée de la civilisation indienne se fait d'ailleurs jour dans
ses écrits avec les années. Elle n'est pas suffisante pour ébranler les
certitudes doctrinales acquises dans les universités romaines. Sous
la pression conjuguée des nouvelles générations missionnaires,
élevées dans la conviction presque unanimement partagée de la
supériorité occidentale, et celle du délégué apostolique, défenseur
intransigeant des usages romains au nom de l'unité de la foi, le domaine
reconnu à l'adaptation ne cesse pas de se réduire.

5 - Clerc romain et pourtant indien. L'introuvable clergé indigène.

La question du clergé indien, cheval de bataille de la


Propagande, est en Indes aussi à la confluence de tous ces débats
missionnaires. Apparemment l'affrontement se déroule à fronts renversés

89 1659 : «évidemment contraires à la religion et à la morale.»


90 A. Launay, Histoire... Inde, p. 470.
91 L.M. Zaleski, Voyage à Ceylon, op. cit. p. 145.
92 Ibid. op. cit. p. 212-213. Plus loin il' compare cette musique à celle de
Beethoven.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 285

par rapport au précédent. Zaleski et la Propagande, appuyés


solennellement par Léon XIII en personne, se font les défenseurs
inflexibles des droits des indiens en prônant sans aucune faiblesse un
clergé indigène plus nombreux, mieux formé, traité sur un pied
d'égalité avec les missionnaires européens, y compris pour l'accès à des
responsabilités. En face, les jésuites assez discrètement, les M.E.P.
plus ouvertement, multiplient les réserves. Le débat répète le plus
souvent celui qui se déroule en Chine sur l'opportunité de mesures
jugées prématurées et dangereuses. Il se complique aux Indes du
projet de fonder un Séminaire central pour toutes les missions,
confié aux jésuites et implanté à Ceylan. Les rivalités entre sociétés
missionnaires sont ravivées par cette initiative qui constitue une
atteinte à la liberté de chaque évêque Mais derrière ces querelles se
profilent des divergences plus fondamentales autour de l'adaptation
à la culture indienne.
Inauguré par Neminem profecto en 1845, le conflit n'a plus cessé.
Quarante ans plus tard, la Propagande constate que les promesses
des sociétés d'accroître leurs efforts n'ont pas produits de fruits.
Citant les Missions catholiques, le dicastère déplore que les Indes
comptent en 1891 seulement 1,6 million de catholiques, 200 prêtres
indigènes, 344 élèves répartis en 15 séminaires, alors que le nombre
de païens s'élève à 250 millions93. Elle confie à son délégué
apostolique la mission de forcer les résistances. Lancée par Agliardi,
poursuivie par Aiuti, la campagne romaine s'intensifie sous Zaleski. Le
délégué entreprend des voyages d'inspection et accumule les
rapports qui dénoncent la mauvaise volonté missionnaire94. A partir de
1890 le pape s'engage officiellement dans l'affaire. C'est lui qui
envoie Zaleski en octobre pour enquêter, convaincre les missionnaires,
préparer l'érection d'un «séminaire général et central pour les Indes
orientales.» C'est lui qui le nomme en qualité de délégué apostolique
avec résidence à Ceylan. C'est à la volonté de Léon XIII, présentée
comme l'expression «di una vera ispirazione divina», qu'est rapporté

93 A.C.P.F. Acta 262 (1892) f. 48 r.


94 Ainsi, le préfet de la Propagande Simeoni écrit au général des jésuites
Beckx, le 24 octobre 1882 (ARSI, Madure, 5, 1,8) : «Da una statistica che ho re-
centamente letto sulle Missioni dell'India, sono venuto non senza maraviglia a
conoscere che in alcuni Vicariati non si pone nella formazione del Clero Indigeno
tutto quell'impegno che la S.C. ha inculcato più volte nelle sue Istruzioni ai Vicari
Ap. Ho perciò rinnovato particolari raccommandazioni in questo senso a Mgr
Canoz e a Mons. Goethals, constandomi che nel Madure non vi è neppure un
sacerdote indigeno e nel Bengale occidentale ve ne sono solamente due.»
Desiderei nondimeno anche la P.V. Reverendissima aggiunse i suoi officii
presso quegli egregi Prelati, onde ottenere che più sollecitamente ponessero ma-
no ad un opera che interessa vivamente la S.C.».
286 LA DIRECTION DES MISSIONS

le dessein de réunir dans un même séminaire des élèves indigènes


venus de toutes les Indes pour qu'ils deviennent ensuite les cadres et
les professeurs de leurs diocèses d'origine. Enfin le rapport
préparant la fondation du séminaire est rédigé à la demande du Secrétaire
d'Etat par Mgr Ciasca95, l'orientaliste du Vatican. A la suite de ce
travail, l'ancien consulteur est nommé prosecrétaire (septembre 1892),
puis secrétaire de la Propagande (19 juin 1893), selon un schéma
parfaitement symétrique de celui qui avait promu, dix ans plus tôt,
Mgr D. Jacobini pour traiter les affaires de Chine.
Le conflit entre Rome et les missionnaires atteint son
paroxysme en 1893 avec la publication successive des Instructions de
la Propagande et de l'Encylique Ad extremas orìentis, appuyées par
toute une corrrespondance aux supérieurs généraux ou régionaux
des congrégations et aux évêques des Indes. Il se conclut
officiellement par la décision de la Propagande de tenir des synodes dans les
sept provinces ecclésiastiques indiennes, selon le plan en trois points
proposé par Zaleski : organisation des diocèses, des œuvres et des
écoles; uniformisation de la discipline; mise en pratique de
l'Instruction de 189396. Pour dissiper toutes les ambiguïtés97 et mettre fin aux
discussions, Rome impose partout l'ouverture de séminaires et la
construction d'un Séminaire central commun à Ceylan. Cette
décision va déterminer des réactions souvent défavorables. Parce que
Rome a parlé, les jésuites obéiront, mais sans empressement. Le
père Barbier, missionnaire au Maduré écrit au général le 3 février
1891 :
«Si j'ai changé d'opinion depuis ma dernière lettre à votre
Paternité, c'est que Mgr Zaleski m'a fait connaître la volonté irrévocable
du Saint Père de fonder ce séminaire et le danger réel en ce moment
de le voir confier à une congrégation qui nous est ouvertement
hostile.»
Le père Verdier, supérieur pour le diocèse du Maduré, est
encore plus explicite et ne cache pas davantage qu'il obéit sans avoir
changé d'avis sur le fond98. Aucun obstacle ne sera ouvertement mis

95 Sur les préparatifs et la discussion, voir A.P.F. Acta 262 (1892), f. 45-97 r et
Lettere 1891 f. 113, 1892 f. 381.
96 A.P.F. Acta, 263 (1893), f. 343-349 r. «Sul celebrare i Sinodi provinciali
nelle Indie orientali». Le délégué présidera chaque synode dont il a fixé le lieu de
réunion (Pondichery, Madras, Verapoly, Bombay, Agra, Calcutta, Colombo) et le
programme (f. 345v-346v).
97 Le père Verdier émet en 1885 l'hypothèse que les M.E.P. ont renoncé à
ordonner des séculiers indiens avec l'accord tacite de la Propagande : Mgr Bonjean,
à cause des difficultés survenues, n'ordonne plus de séculiers, dit-on avec la
permission de la S.C.P.» (A.R.S.I., Maduré, 5, II, 5, Pallancotah, 17 mars 1885).
98A.R.S.L, Maduré, 5,VIII,20. Verdier au général, Bombay, 22 décembre
1893.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 287

à la formation du clergé indien. Outre le développement du clergé


séculier, une circulaire du Général décide en 1896 la fondation d'un
scolasticat général pour toutes les missions jésuites des Indes".
Mais la décision d'avoir des prêtres indigènes pour... baptiser les
mourants ne laisse pas augurer une mutation dans la distribution
des tâches entre missionnaires européens et auxiliaires indiens. Ce
n'est donc pas un hasard si la direction du Séminaire central de
Kandy est confiée aux jésuites, mais ceux de la province belge, selon
la volonté pontificale100.

Les M.E.P. en accusation.

Les jésuites ayant adopté une attitude prudente, la crise porte


sur le devant de la scène l'affrontement entre Zaleski et les M.E.P. Le
délégué apostolique accuse la société de pratiquer une
discrimination intolérable entre prêtres indigènes et missionnaires. La
première attaque porte sur le mode de formation des séminaristes et la
manière de traiter le clergé indien. Dans une lettre à Mgr Gandy,
archevêque de Pondichéry, le délégué dénonce vigoureusement les
carences qu'il a constatées.
«Je ne puis vous dire aussi, Monseigneur, quelle impression triste
et décourageante firent sur moi les prêtres indigènes de Pondichéry.
C'était le sacerdoce abaissé, humilié, privé de toute sa dignité. Ils me
rappelaient exactement les popes russes101.
On se plaint qu'il n'y a pas de vocations sérieuses. Mais
trouverait-on des vocations sérieuses en Europe si le Clergé y avait la
position que l'on fait au Clergé indigène dans les diocèses des Missions
Etrangères et de ceux du Malabar?
Le prêtre indigène doit être l'égal du prêtre européen et non pas
son subalterne. C'est le vrai esprit de l'Eglise, et c'est ce que le Saint
Père exige des Evêques. Le sacerdoce abaissé, humilié, abaisse et
humilie l'Eglise et finit toujours par causer les plus grands embarras.
Plus d'un schisme n'eut pas d'autre origine»102.
Un peu plus tard Zaleski étoffe sa critique à l'occasion d'un
rapport sur le séminaire de Pondichéry. Il déplore la médiocrité de la
formation scientifique et religieuse, puis énumère de multiples
exemples de discrimination : ordre des processions, séparation des
tables au réfectoire, séparation des groupes à la récréation (seuls les

99 A.R.S.I., Maduré, 5-XI,3, Rome, 16 janvier 1896.


100 R. Boudens, «The Establishment of the Papal Seminary in Kandy, Ceylon,
in 1893». NZM, 38-1982/4, p. 298-303.
101 Zaleski n'oublie pas ses origines polonaises.
102 A.C.P.F. N.S. 143 (1893) f. 450 r-v. Extrait d'une lettre de Zaleski datée du
12 août 1893 adressée à Mgr Gandy, transmis pas ce dernier à la Propagande,
Pondichéry, 12 novembre 1893.
288 LA DIRECTION DES MISSIONS

européens conversent avec l'évêque), exclusion des indiens des


messes solennelles avec diacres etc.. Il voit dans ces comportements
les raisons qui éloignent les hautes castes du sacerdoce, au moment
où l'administration anglaise leur donne accès à des responsabilités
dans l'administration103. Il demande que le synode s'engage dans une
réforme profonde du Séminaire et donne enfin au clergé indien une
position plus digne.
Les évêques l'ayant invité à prendre l'initiative, car ils craignent
les réactions des missionnaires, voire des directeurs parisiens de la
société, Zaleski exige des engagements écrits du synode de Pondi-
chéry. Pour frapper les esprits, il demande à Rome une réforme du
statut de missionnaire apostolique104. Réservé primitivement aux
missionnaires dûment reconnus et nommés par la Propagande,
après un examen de leurs connaissances, le titre était devenu
honorifique, y compris dans les territoires de mission, et prétexte à
discrimination105. Dans la pratique il revenait en effet à réserver cette
distinction aux missionnaires européens, ce qui leur conférait la
préséance sur les prêtres indigènes et suscitait des ressentiments
quotidiens. Zaleski suggère de décerner cette qualité aux
missionnaires qui se sont distingués dans la conversion des païens, «senza
distinzione di bianco o nero.» Malgré les instances du délégué qui
renouvelle ses critiques106, la Propagande choisit le statu quo pour ne
pas fournir une cause supplémentaire de difficultés.

Discrimination ou respect des traditions : la position des M.E.P.


Selon Zaleski, la faiblesse du clergé indien s'explique donc par
la survivance des préjugés scandaleux dont il est victime. Sans
nier l'existence de la situation décrite par le délégué, il convient
cependant d'entendre aussi la défense des M.E.P. pour
comprendre les enjeux du conflit. Les trois évêques du sud de
l'Inde (Pondichéry : Gandy : Bangalore : Kleiner; Coïmbatore :
Bardou) admettent bon gré, mal gré, la survivance chez leurs mis-

103 A.C.P.F. N.S. 143, f. 470-480 v. Rapport de Mgr Zaleski sur le clergé
indigène. A propos du synode provincial de Pondichéry, Kandy, 15 mai 1894.
104 Ibid. f. 490-493 ν. A propos du titre de missionnaire apostolique. Zaleski à
Propagande, Kandy, 20 mai 1894.
105 Sur les origines, les pouvoirs et la manière d'obtenir le titre de
missionnaire apostolique : Annuaire pontifical catholique, 1903, p. 496-498.
106 Zaleski, rapport de 1902, f. 175-177. Il décrit les situations anormales
créées par cette tradition, surtout à Pondichéry. A table, un vieux prêtre indigène
doit céder la place à de jeunes missionnaires français à peine sortis du séminaire.
Zaleski a proposé à l'archevêque de «tailler dans le vif» en établissant la
préséance selon l'ancienneté, sans autre distinction. L'archevêque a refusé,
prétextant l'opposition des missionnaires. En fait, les jeunes seraient d'accord mais
l'archevêque camoufle son propre attachement à cette tradition antique.
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 289

sionnaires de traditions répréhensibles dont ils essaient d'atténuer


la signification107. Mais au-delà de cette question, ils tentent
surtout d'expliquer que le Délégué leur intente un mauvais procès et
se trompe de cible. Comment accuser la société de répugner à
former et promouvoir le clergé indien alors que c'est sa raison
d'exister depuis l'origine? L'archevêque de Pondichery n'hésite pas à
invoquer le témoignage de Luquet... qui avait pourtant mis en cause
la pratique de la société en la matière :
«La congrégation des Missions étrangères a été appelée à
n'avoir qu'une existence transitoire. Si elle comprend bien la portée
des vues qu'a eues le Saint-Siège en la créant, elle doit tendre non
pas à sa propre perpétuité, mais bien plutôt à son heureuse
destruction»108.

En fait missionnaires et délégué apostolique s'accordent à


observer que beaucoup d'Indiens sont réticents à entrer dans les
séminaires et à épouser l'état ecclésiastique tel qu'il leur est proposé. Ils
en tirent des conclusions contradictoires. Zaleski accuse la société
des M.E.P. d'éduquer les séminaristes indiens dans des conditions
matérielles humiliantes qui détournent les jeunes gens, surtout s'ils
sont issus de castes élevées. Les missionnaires répondent qu'il ne
faut pas les arracher à leur milieu si l'on veut les préparer aux dures
conditions de leur futur ministère. Le délégué accuse de pratiquer
un recrutement trop sélectif, aux dépens de certaines catégories
sociales méprisées par la majorité des Indiens. Les missionnaires lui
font valoir qu'il est impossible de réunir des jeunes gens de castes
trop différentes sous peine de provoquer des troubles graves. Ils
donnent en exemple les incidents survenus en 1848. Le directeur du
séminaire de Pondichery a voulu prendre ses repas avec les élèves.
Les hautes castes, dont les enfants ne peuvent pas manger avec un
étranger, ont provoqué une grève de l'assistance au culte qui a duré
un an, la célébration de mariages en dehors de l'Eglise et l'apostasie
d'une famille. Le scénario s'est répété en 1883, à Coïmbatore où un
enfant de basse caste a été introduit dans le séminaire après accord
des autres élèves. Il s'en est suivi une révolte et il a fallu licencier les
élèves109...
Tous ces faits incitent les missionnaires à juger que les
instructions romaines méconnaissent la réalite de la société indienne. La
nomination d'un délégué apostolique ne réduit pas le décalage entre
les missions et le gouvernement de l'Eglise à ce propos. Convaincu
qu'il doit faire exécuter des directives dont le principe n'est pas dis-

107 Dossier dans A.C.P.F., N.S. 143 (1898), f. 451-480.


108 Ibid. f. 451 ν. Mgr Gandy à Zaleski, Pondichery, 12 novembre 1893.
109 Ibid. f. 452 r.
290 LA DIRECTION DES MISSIONS

cutable, ni discuté, le représentant local de la Propagande n'est pas


prêt à entendre les critiques de la base pour y déceler autre chose
qu'un refus d'obéissance filiale. Pourtant, dans une forme
maladroite, les évêques de l'Inde expriment deux difficultés majeures
rencontrées par le transfert outre-mer de la logique romaine. La
première a son origine dans le système des castes. La seconde est la
conséquence directe d'une formation cléricale inadaptée. L'affaire
du séminaire de Kandy montre à dix ans d'intervalle (1892-1902)
l'impuissance à résoudre ces deux problèmes, malgré l'appel à
l'autorité suprême de Pape.
L'enquête préliminaire à la fondation du Séminaire central avait
fait apparaître en 1892 deux options parmi les évêques, en fonction
de leurs expériences et des contextes socio-culturels. Pour les uns,
aucune distinction ne devait être acceptée à l'intérieur du séminaire,
afin de rendre possible «la formazione omogena di un clero nativo.»
La seule concession tolerable était, selon l'évêque de Nagpur,
l'interdiction des viandes (porc ou bœuf) et des boissons (vin et liqueurs).
Pour les autres, il convenait de trouver un compromis entre la
«susceptibilité» des castes et la cohabitation au sein de l'institution. On
admettrait toutes les castes mais en les séparant à l'intérieur du
séminaire pour le réfectoire, le dortoir et les récréations. De la sorte
l'introduction de séminaristes issus des castes inférieures pourrait
être modulée selon la mentalité de chaque division.
Finalement le délégué apostolique et les pères jésuites se
rallièrent à la solution préconisée par Mgr Aiuti. Elle consistait à
diviser les séminaristes en trois camerate, correspondant à la région
d'origine et aux métis. On conservera les usages propres aux
hautes castes en matière d'alimentation et «qualche altro
dettaglio.» Mais conformément au droit canon, il s'agira d'une
tolérance provisoire. L'implantation du séminaire à Ceylan vise en
effet à atténuer progressivement l'esprit de caste en plaçant les
jeunes gens dans une île où il est moins vif. Mis à l'écart, les
séminaristes apprendront par l'expérience de la vie commune que la
véritable hiérarchie ne dépend pas des castes mais d'une vie
«vertueuse et sacerdotale»110.
Le rapport exposant l'opinion de Zaleski en 1902 reste fidèle à
la position moyenne qui a prévalu en 1892. Estimant que l'on
donne à la question des castes une importance exagérée, il
continue de penser qu'il ne faut pas se polariser sur la conversion des
brahmanes, accepter que les catholiques viennent surtout des
bases castes, admettre les jeunes de ces castes au sacerdoce car

A.C.P.F., Acta 262 (1892) op. cit. f. 72v-73 r.


'
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 291

l'état eccclésiastiqûe les valorise aux yeux de leurs concitoyens.


Par prudence, il concède qu'il est encore trop tôt pour admettre
des panas mais il s'oppose vigoureusement aux instances de
l'archevêque de Madras en faveur d'une déclaration officielle excluant
cette partie de la population du séminaire de Ceylan. Le modèle
qui s'impose est donc bien celui d'un compromis provisoire, en
attendant que le catholicisme triomphe peu à peu des «préjugés»
indiens. Paradoxalement l'argument de l'égalité entre catholiques est
invoqué ici, en oubliant que le droit canon procède lui aussi à des
exclusions et interdit l'accès du sacerdoce et d'autres fonctions
(sœurs de chœur) aux enfants naturels. Pour Zaleski et la majorité
des missionnaires, le système des castes est associé au paganisme
et doit disparaître avec lui. La réalité se révèle plus complexe et
rétive, et les missionnaires sont obligés de composer avec elle. Le
renvoi à plus tard de l'admission des «parias» dans les séminaires
en est un bon exemple.
Copier les séminaires européens sans européaniser (europea-
nizzare) les futurs prêtres constitue un défi redoutable. La
solution consiste à ne pas donner aux indiens des habitudes et des
goûts européens incompatibles avec la situation matérielle du
clergé. Dans le même temps le programme d'études est celui de la
Grégorienne, avec comme seules adaptations à la réalité locale
l'étude des langues et la réfutation des religions propres aux
indiens111. Façonné intellectuellement et spirituellement pendant sept
années d'internat dans le moule du séminaire, le futur prêtre
indien plus encore que son confrère européen, est séparé de son
milieu d'origine. Censés constituer plus tard un corps de
missionnaires proche de la population, les futurs prêtres indiens sont
systématiquement éloignés de leur famille et de leur milieu,- surtout
s'il s'agit d'une famille pauvre. Ainsi durant les vacances, les
séminaristes sont confiés à de vieux missionnaires pour être préservés
et initiés à la vie apostolique112.
Aux Indes, comme en Chine, la tentative de substitution de
l'ordre catholique à l'ordre païen a suivi deux voies principales.
Les jésuites ont souvent cherché à gagner en priorité les élites,
espérant entraîner à leur suite des conversions en masse113. Les

111 Ibid. conclusion, 79 r-v.


112 Ibid. f. 77 r-v.
113 La description qui suit est une illustration concrète de la méthode, étant
entendu que les catéchistes peuvent être remplacés par un clergé indien
auxiliaire :
«Nos catéchistes sont des Indiens de bonnes mœurs, de haute caste et doués
d'intelligence, que nous instruisons à fond des vérités de notre sainte religion et
que nous employons ensuite à la conversion des païens. Nous en occuper nous-
mêmes directement n'est pas le moyen de réussir. Il faut que les catéchistes pré-
292 LA DIRECTION DES MISSIONS

missions étrangères de Paris ont plutôt misé sur une action


auprès des humbles pour les faire accéder à un statut plus
honorable114.
Les deux stratégies ont rencontré une résistance massive et se
sont brisées sur les règles des castes. Les missionnaires ont
partout dû se résoudre à la constitution de chrétientés très
minoritaires, attirant en priorité les exclus ou les castes inférieures de
la société indienne, s'organisant pour une vie collective autonome
et originale, engendrant leurs propres brahmanes par la
promotion d'un clergé indigène. Synodes et délégués apostoliques ont
accru l'emprise romaine, ils n'ont pas freiné l'aggravation de la
déculturation au XIXe s.
Sans doute il ne faut pas être prisonnier de la seule image
renvoyée par les archives romaines qui restituent avant tout
l'immense effort pontifical de codification et d'encadrement. L'impact
de la mission déborde toujours cette visée et la pastorale procède
aussi sur le terrain par ajustements spontanés ou imposés.
D'ailleurs tous les champs ne sont pas également côturés. Ni Zaleski,
ni la Propagande n'imposent des méthodes concrètes d'apostolat,
même si le délégué apostolique ne cache pas ses préférences
pour un catholicisme populaire de chrétienté. L'invitation à
recruter des clercs parmi les castes inférieures, parce qu'elles sont
jugées plus malléables, traduit la priorité accordée à la romanisa-
tion. Cependant les hésitations manifestées autour de la question
des castes témoignent que le débat sur l'hindouisme n'est pas
achevé115.

viennent d'abord les esprits en notre faveur. Enfin, l'expérience de près d'un
siècle nous a appris que toutes les conversions doivent se commencer par le
moyen des catéchistes. C'est une nécessité d'en avoir toujours un grand nombre,
car, outre qu'il y a toujours beaucoup de travail, le catéchiste d'une basse caste ne
peut servir à instruire des Indiens d'une caste élevée. Un homme de haute caste
serait à jamais déshonoré auprès des siens, déchu de son rang et proscrit comme
un lépreux, s'il avait écouté des instructions d'un homme de basse caste.» (M. C.
1886, p. 424, Mangalore (Hindoustan), lettre d'un missionnaire jésuite du Manga-
lore).
114 «Les chrétiens des missions de Pondichéry, du Maïssour et du Coïmba-
tour appartiennent en majorité à la classe des parias et des pauvres. La
prédication de l'Evangile, à ses débuts, convertit principalement ceux que le monde
méprisait; l'empreinte dont elle fut alors marquée ne s'est pas effacée.» (A. Launay,
Histoire... Inde, t. IV, p. 485).
115 «En général, les chrétiens de l'intérieur presque tous habitants des
campagnes, sont dociles, patients et simples sauf quand il s'agit de leurs usages, de
leurs idées et de leurs privilèges de caste; alors les meilleures raisons n'ont
aucune prise sur eux, et facilement ils vont jusqu'à la révolte (A. Launay, Histoire...
Inde, t. IV, p. 485-486.)
SYNODES RÉGIONAUX ET DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES 293

En somme la stratégie de la plantation de l'Eglise


institutionnelle, y compris à marche forcée, s'avère impuissante à lever
les obstacles rencontrés par la christianisation des sociétés
asiatiques. Sans doute il existe aussi des succès locaux qui se
traduisent par la construction de chrétientés solides, au Tonkin par
exemple. Il n'est pas possible de confondre dans le même
jugement toutes les missions. Mais ces corrections indispensables
n'affectent pas substantiellement le constat que la Propagande
préconise des solutions qui négligent les raisons profondes des
résistances. Dès lors on ne s'étonnera pas des similitudes qui
caractérisent les bilans des chefs de mission.
Ainsi le premier synode nationale du Japon semble répéter
le scénario rencontré précédemment à propos de la question
névralgique du clergé autochtone116. Le commentaire des consul-
teurs romains sur les décrets soumis à approbation répète les
critiques habituelles contre les distinctions introduites entre les
différents clergés117. Partout l'intervention romaine représente un
contre-poids aux dérives des congrégations missionnaires tentées
de pérenniser leur présence et de créer un double clergé.
Pourtant le désir de «romaniser» le clergé indigène recule
inévitablement le moment de sa promotion et place les instituts dans une
impasse. Le refus de l'européanisation butte sur l'obligation de
se conformer au modèle du clerc latin. Même si les causes en
sont complexes, les statistiques confirment que la greffe prend
mal, en Chine comme aux Indes, mais aussi en Indochine ou au
Japon.
Effectifs catholiques :

1886 1891 1895 1901

Japon 47.186 55.453


Vietnam 564.750 609.700 644.050 812.090
dont Tonkin 456.483 505.900 540.280 619.990

116 A.C.F.P. Acta 263 (1893), f. 63 à 130. Sur le premier synode national du
Japon.
117 Ibid. f. 67 r : «b). Nostri clerici, quamvis eodem Sacerdotio decorati et
eidem ministerio mancipati sint, ac Sacerdotes Europaei, attamen loco et incessu
his cedunt. Ita a Romano Pontifice sancitum est, qui speciali titolo missionarium
apostolicorum insignitos esse voluit eos qui ad gentes exteras mittuntur
sacerdotes.
c) Quod ad cibos, vestes, habitationes attinet, nemo mirabitur non pari jure
et conditione esse indigenas et europeos qui aliunde sunt, aliis indigent, nec
eodem modo educati sunt, id est non de sumptibus missionis et singulis annis
viaticum personale de praestituis ad hoc recipiunt.»
294 LA DIRECTION DES MISSIONS

L'ouverture du Japon à l'Occident et les réformes de l'ère Meiji


ont suscité d'extraordinaires espérances118. Or, malgré l'octroi de la
liberté religieuse par la constitution de 1889 et l'érection de la
hiérarchie episcopale en 1891, la courbe des baptêmes, «telle l'aiguille
du baromètre», indique un renversement de tendance à la fin du
siècle. «A partir du sommet atteint en 1881, la courbe redescend
brutalement. En 1893, elle n'indique plus que 538 baptêmes (diocèses de
Tokyo et Hakodate)... On pouvait croire d'abord que ce n'était qu'un
léger accident de parcours, force est bien de constater qu'il s'agissait
de beaucoup plus».119
Les missionnaires cherchent alors des explications, laissent
percer leur désarroi, s'accrochent à l'hypothèse d'une rénovation de leur
pédagogie pour se faire mieux entendre: «La liberté religieuse, dont
on avait tant espéré, fut loin de donner l'effet qu'on attendait. La
religion avait été déjà prêchée presque partout, elle n'avait plus
l'attrait de la nouveauté... Ce qui, dix ans plus auparavant, suffisait
pour les intéresser et les attacher, quand on leur parlait de religion,
ne suffisait plus. Ils le savaient déjà, ou bien ils le voulaient dit d'une
autre manière»120.
L'enthousiasme des témoins, le lyrisme de la littérature, le
dévouement et l'esprit de sacrifice, parfois poussés jusqu'à la
recherche du martyre, donnent de la mission l'image d'une épopée
douloureuse mais triomphale, où les coups d'arrêt sont provisoires
et les épreuves gage de fécondité. La froideur des chiffres témoigne
que le formidable effort missionnaire s'avère plus efficace en terme
d'œuvres et d'institutions que d'adhésions collectives.
D'indiscutables succès locaux ne doivent pas dissimuler la résistance
massive des sociétés d'Asie. Elle oblige à s'interroger sur la pertinence
du modèle catholique transféré outre-mer.

118 Des observations très pertinentes dans : Julien Gayard (M.E.P., groupe
missionnaire de Kitakyushu). «La grande illusion. Dix ans d'évangélisation
durant l'ère Meiji (1885-1895)». Echos de la rue du Bac, n° 202, janvier 1986, p. 11-20.
119 Ibid. p. 18.
120 Ibid. p. 20. Témoignage du père Ligneul à la mort de Mgr Osouf (1906).
CHAPITRE 10

DÉLIMITATIONS ET «COMMISSION».
LA GESTION AU QUOTIDIEN

Après avoir focalisé notre étude sur la doctrine et la stratégie


de la Propagande, il est nécessaire de porter notre attention sur
les tâches administratives ordinaires, cependant tout aussi
décisives, qui sont le lot quotidien des fonctionnaires de la place
d'Espagne. Le pontificat de Léon XIII constitue un observatoire idéal
pour un tel examen. Les immenses espaces de l'Afrique, de l'Asie,
de l'Océanie, à quelques exceptions près dans les vieilles colonies
ibériques et françaises, sont maintenant entièrement soumis à
l'administration romaine. La phase de fondations s'achève et les
transformations de territoires en préfectures et vicariats
s'accélèrent. La colonisation européenne s'intensifie et remodèle la carte
du monde, la révolution des transports facilite la pénétration des
continents. La papauté est plus que jamais appelée à réguler
l'offre et les besoins, car il n'est pas question dans un système
désormais très centralisé d'abandonner la mission aux initiatives
personnelles ou aux intérêts nationaux.
De nombreuses études sectorielles ou congréganistes ont
analysé les interventions de la Propagande à tous les stades de la
croissance missionnaire et en relation avec le contexte historique.
Aussi, plutôt que d'ajouter de nouveaux cas à ceux que la
littérature décrit déjà, nous adopterons une approche résolument
synthétique. Privilégiant les séries, quitte à négliger parfois certaines
nuances, nous tenterons de dégager les principes qui guident la
Propagande dans trois opérations décisives : l'attribution des
territoires, la nominations des chefs de missions et le contrôle des
sociétés missionnaires.

1 - L'attribution des territoires.

L'attribution d'un territoire matérialise le monopole


missionnaire romain désigné par le droit canon sous le nom de jus commis-
sionis. A vrai dire la codification de ce droit, sous cette
dénomination, est récente. Le terme commissio apparaît bien dans le titre du
296 LA DIRECTION DES MISSIONS

questionnaire de 1877 réglementant les relations des missionnaires1,


mais à la fin du XIXe s. son emploi est peu fréquent. Le
questionnaire première version (1869) l'ignore, de même que l'Index des
Collectanea en 1907. L'usage systématique semble semble s'imposer
avec la grande instruction de la Propagande du 8 décembre 19292.
Mais la réalité existe bien avant, et s'exprime à travers un
vocabulaire qui hésite dans les décrets et délibérations entre les termes de
confier (affidare) et charger de (incaricare).
La «commission» suppose préalablement la délimitation de la
mission. Si l'Asie et les îles d'Océanie sont déjà quadrillées en 1878,
l'Afrique intérieure est encore le continent mystérieux dont les
explorateurs tentent de découvrir les secrets. L'attribution des
nouvelles missions se fait donc pour l'essentiel en Afrique noire.
Quatorze préfectures y sont érigées sous Léon XIII contre seulement quatre
aux Indes, trois en Amérique latine (Argentine et Pérou), deux en
Amérique du Nord (Alaska et Canada) et en Oceanie, et une en
Afrique septentrionale (Egypte).

La délimitation des territoires.

La détermination du territoire attribué à de nouvelles missions


est souvent une entreprise délicate. Les efforts des supérieurs pour
s'informer, parfois les explorations des missionnaires eux-mêmes,
ne suffisent pas toujours à fournir des données sûres et donc à
établir des frontières claires. Les cardinaux de la Propagande sont mis
en présence de cartes plus ou moins précises, accompagnées de
commentaires dans lesquels le souci du détail masque mal les
incertitudes. Le bref d'érection du Vicariat du Sahara (puis Soudan
français) fixe les limites méridionales aux «montagnes de Kong», dont
on découvre bientôt... qu'elles n'existent pas. En conséquence, les
pères blancs retiennent «l'endroit qui aurait été leur centre»,
approximativement et subsidiairement le 10° degré sud3. Pour justifier
cette prise de possession, le vicaire apostolique, Mgr Hacquard,
esquisse une comparaison adaptée à son auditoire romain et
sédentaire.
«Si, étant à Rome, j'avais dessein d'aller faire un pèlerinage à
Saint Paul-hors-les-murs, je pourrais l'énoncer en ces termes : je vais
à St Paul-hors-les murs, c'est à une demi-heure d'ici environ', mais si

1 «Capita quibus respondere debent Vicarii Apostolici... ut de regionibus sibi


commissis plenam Sacrae Congr. relationem reddant». (Coll. 1907, vo. 2, p. 109).
2 Le terme ne figure pas dans le titre de l'instruction mais dès la première
phrase. Cf. Memoria rerum, III/2, p. 780-781.
3 «circa decimum gradum latitudinis». Décret du 16 novembre 1890, Acta 271
(1 901), f. 375v.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 297

ce sanctuaire se trouve à 25 ou 40 minutes, je m'y rendrai quand


même, bien que je constate qu'il n'est point à 30 minutes comme je
l'avais pensé»4.

Les arguments avancés ne sont évidemment pas contrôlables et


supposent un climat de confiance quand les congrégations font
valoir la nécessité de rattacher telle région à la nouvelle
circonscription. Quelle objection opposer au général des jésuites Beckx quand il
demande d'inclure dans la préfecture du Zambèze la zone située
entre Zambèze et Limpopo, car elle comprend la seule route par
laquelle les pères peuvent accéder en toute sécurité dans leur
préfecture5?
En fait le dicastère doit s'en remettre aux propositions des
demandeurs et son rôle vise avant tout à vérifier que les solutions
proposées ne susciteront pas ultérieurement des conflits de juridiction,
par imprécision ou empiétement. Le plus souvent les négociations
se déroulent pacifiquement. L'accord est rapide quand la
rectification met en présence deux territoires de la même société6, ou ne
comporte pas d'enjeu important. En 1896, une nouvelle délimitation
entre le vicariat du Sahara et les diocèses d'Alger et Constantine,
proposée par l'évêque séculier de Constantine, est adoptée sans
difficulté et officialisée par la Propagande7. L'érection de la préfecture
du Niger (1884) est a. priori plus délicate car elle concerne trois
instituts. La consultation des sociétés qui occupent les territoires voisins
se déroule paisiblement. Emonet demande au nom des spiritains
d'apporter de petites modifications de frontière au profit du vicariat
spiritain du Gabon. Lavigerie fait remarquer que la nouvelle mission
s'étend sur une partie du territoire du Haut-Congo occupé par les
pères blancs mais se veut généreux. «Dieu me préserve à cet égard
d'une jalousie ridicule. Je fais au contraire les vœux les plus sincères
pour que les missions nouvelles se multiplient dans toute l'Afrique et
qu'elles y fassent l'œuvre de Notre-Seigneur»8.
Dans de nombreux cas, les progrès de la christianisation et
l'augmentation du nombre de missionnaires justifient la division des

45 A.C.P.F.
Ibid. p. 370-372V.
Acta f. 140. Limites de la préfecture du Zambèze confiée aux
jésuites, 10 février 1879 (f. 135-140).
6 Par exemple quand il s'agit de rattacher un territoire du Bas Niger (vicariat
du Bénin) au Dahomey pour des raisons de communication et d'efficacité de l'é-
vangélisation. Les missions africaines de Lyon occupent les deux rives du fleuve
Acta 264 (1894), f. 266-268, 30 avril 1894.
7 A.C.P.F. Acta 266 (1896), f. 542-544.
8 A.C.P.F. Acta 253 (1884), f. 59 v. Erection de la préfecture apostolique du
Niger, (f. 53-59 v).
298 LA DIRECTION DES MISSIONS

territoires devenus trop étendus. C'est l'immense espace chinois qui


bénéficie le plus souvent de ces mesures. Proposées par les chefs de
mission après accord des supérieurs de congrégation, les divisions
s'opèrent sans difficulté9. Cependant l'irénisme devient moins
fréquent dès lors que la délimitation atteint les intérêts particuliers
et les positions acquises.

L'alignement des territoires ecclésiastiques sur les frontières


coloniales.
Dans ce domaine aussi l'opposition entre l'Afrique et les autres
continents est très marquée. Quelques modifications de frontières
consécutives à l'impérialisme colonial interviennent entre la Chine
et le Tonkin10, ou au Chantong11. Mais ces retouches sont mineures
en comparaison du bouleversement qui affecte l'Afrique.
Conformément à un principe non écrit, qui répond du côté romain à la bonne
volonté manifestée par les grandes puissances lors du Congrès de
Berlin pour garantir la liberté religieuse, la Propagande accepte de
bon gré les modifications territoriales souhaitées par les
colonisateurs, dès lors que les accords internationaux sont signés. Le
démembrement de l'immense et approximatif vicariat apostolique des
deux Guinées s'accélère à partir de 1880. Le vicariat du Gabon, créé
seulement en 1880, est à son tour subdivisé en préfecture du Niger
inférieur (1889), correspondant aux possessions britanniques du
Nigeria, et en préfecture du Cameroun (1890) pour les possessions
allemandes12. Le gouvernement allemand obtient en 1892 la création
d'une préfecture du Togo qu'il a explicitement souhaitée depuis
plusieurs années13.

9 A.C.P.F. Acta 247 (1879) f. 385-394 : division du V. ap. du Hu-nan et


cession d'une partie aux augustiniens des Philippines; f. 395-401 : division du V.
ap. du Kiangsi.
Acta 252 (1883) : division du V. Ap. du Foukien et de Mongolie (f. 1259-1280)
etc..
10 Acta 265 (1895), f. 12-15. Modification des frontières entre le Tonkin et le
Kuang-Tong. Elle suscite un petit contentieux entre les chefs de mission pour
l'administration de 200 chrétiens. Mgr Chausse justifie la nécessité de la
rectification par la susceptibilité chinoise. «Il semble naturel que ces points devenus
chinois ne doivent plus être administrés par les missions du Tonking; ce serait
peut-être exciter la jalousie et attirer des embarras sur la frontière où les Chinois
ont, durant ces dernières années, donné une attention spéciale.» (f. 12r).
11 La rectification de frontières est à l'origine de plusieurs différends locaux
où se superposent les incertitudes sur les nouvelles limites et les rivalités entre
missionnaires français et allemands. Cf Acta 269 (1898) f. 599-601v (20 juin) et
271 (1900) f. 421-423 (9 juillet).
12 A.C.P.F. Niger : Acta 259 (1889) f. 253-256.
Cameroun : Acta 350 (1890) f. 26-29.
13 A.C.P.F. Acta 262 (1892), f. 21v-22 r.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 299

L'alignement sur le découpage colonial apparaît à tous


nécessaire pour des raisons administratives et financières. Les
subventions coloniales sont une première raison de se conformer aux
nouvelles frontières : «Depuis quelques années, il s'est constitué sous le
nom de Guinée française entre la Guinée portugaise et la colonie
anglaise de Sierra Leone, une colonie française en formation et
complètement séparée des pays voisins par ses divers intérêts...
Cependant au point de vue ecclésiastique, la Guinée française fait
partie du vicariat apostolique de la colonie anglaise de Sierra Leone,
également confiée à la congrégation du Saint Esprit, ce qui crée des
susceptibilités incessantes, des difficultés réelles pour
l'administration de la Mission, et des retards regrettables pour le progrès de la
Foi14. La collecte des fonds auprès des fidèles, dans les métropoles,
est également facilitée par ces rattachements15.
Le redécoupage des circonscriptions suscite exceptionnellement
l'hostilité du gouvernement qui craint un recul de son influence. La
France souhaite profiter de la prédominance des missionnaires
français pour maintenir son influence culturelle dans les pays
indépendants ou soumis à d'autres colonisateurs. La petite enclave de Pon-
dichéry est ainsi l'objet d'un âpre marchandage. On y trouve en effet
sur le même territoire une préfecture apostolique, administrée par
les spiritains, et le siège du vicariat qui s'étend essentiellement sur la
colonie britannique.
Cette superposition de juridiction crée «una questione
complicata», selon l'expression qui introduit la ponenza. Les spiritains ne
veulent pas abandonner le collège qu'ils ont ouvert à Pondichéry, ni
une préfecture qui vient de leur être accordée en 1879. Les M.E.P. se
plaignent de la confusion engendrée par cette situation, en
particulier pour les élèves indiens du collège. Par ailleurs le
gouvernement français ne veut pas renoncer à la tradition gallicane de
nommer le préfet apostolique, comme c'était le cas aux Antilles et à la
Réunion, la Propagande se contentant d'accorder les pouvoirs
spirituels. De telles prétentions étant devenues intolérables aux yeux de
Rome, la Propagande prend une série de mesures destinées à
garantir la juridiction des M.E.P. sur les indiens et à affirmer son autorité
sans affronter ouvertement la France16.

14 A.C.P.F. Acta 267 (1897/1), f. 801 r-v, lettre de Mgr Le Roy au Préfet de la
Propagande, Rome, 24 janvier 1897. Ponenza : Erection d'une nouvelle
préfecture en Guinée française, 20 septembre 1897.
15 A.C.P.F. Acta 259 (1889), f. 253-256. 1er avril 1889, Erection de la Préfecture
du Niger inférieur ou Bas Niger. Emonet utilise successivement l'argument
administratif et l'obtention d'allocations de la Propagation de la Foi.
Acta 350 (1890), f. 26-29 r. Erection d'une préfecture apostolique dans les
possessions allemandes dites du «Cameron».
16 A.C.P.F. Acta 248 (1880). Pondichéry, f. 570-622.
300 LA DIRECTION DES MISSIONS

Mais c'est du Portugal que proviennent les oppositions les plus


déterminées à une nouvelle distribution géographique des missions.
S'appuyant sur les droits acquis historiquement dans le cadre du pa-
droado, le petit royaume émet des prétentions qui résistent de plus
en plus difficilement au partage colonial. Elles n'empêchent pas la
Propagande de faire droit aux demandes anglaises en créant la
préfecture du Zambèze (1879), puis allemandes en constituant la
préfecture de la Cimbébasie inférieure (1892) qui recouvre les
possessions du Sud-Ouest africain; enfin cette même année marque la
fixation laborieuse des frontières entre Angola et Congo belge, d'où naît
la mission du Kwango.

Nouveaux découpages et intérêts des instituts missionnaires.

Les sociétés missionnaires installées dans une région sont


rapidement gagnées par un sentiment de propriété qui les pousse à
défendre énergiquement leur patrimoine. Les opérations de
redistribution rencontrent de vives résistances quand l'institut se sent
dépossédé d'un territoire pour lequel il a consenti sacrifices,
investissements matériels et humains, et dont il escompte des
résultats positifs. Des modifications de frontières apparemment
anodines entraînent alors des réactions en chaîne tout à fait
inattendues.
Parmi les multiples conflits qui éclatent, les relations entre
pères blancs et spiritains sont en effet à l'origine du contentieux
le plus lourd. Nous ne reviendrons pas sur l'histoire des
délimitations successives entre le Soudan français (attribué aux pères
blancs) et le Sénégal (spiritains), ni sur les étapes de ce différend
excellemment résumé par Roger de Benoist17. Arrêtons-nous
seulement à un épisode qui met en cause pères blancs et
missionnaires de Lyon.
Les modifications envisagées en 1901 entre les vicariats du
Dahomey, du Bénin et du Sahara. Hyacinte Bricet, vicaire apostolique
du Dahomey, a de solides arguments à faire valoir pour justifier sa
demande. La colonisation de la région a en effet amené ce vicariat à
administrer à l'ouest une zone incorporée au Togo. A l'inverse, la
colonie française du Dahomey et la colonie britannique du Nigeria
s'étendent sur le territoire du vicariat du Sahara. La solution la plus
logique est donc de superposer les frontières ecclésiastiques et les

17 Joseph-Roger de Benoist. Eglise et pouvoir colonial au Soudan français,


op. cit., p. 56 et ss.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 301

frontières civiles. Mais le vicaire apostolique du Sahara, Mgr Hac-


quard, prend ombrage de ce projet et lui fait obstruction pendant
près de quatre ans.
Pour sortir de l'impasse, le supérieur des missions de Lyon,
Planque, fait appel à la Propagande et avance des arguments
sanitaires qu'il répète à plusieurs reprises. Les missions de la côte sont
marécageuses, insalubres et meurtrières (200 morts depuis 1860).
Elles ont un impérieux besoin d'un sanatorium à l'intérieur du
continent. Le gouvernement et l'ambassade de France auprès du
Saint-Siège appuient la demande en août 1899. Mais la Propagande,
soucieuse d'obtenir un règlement à l'amiable, invite les parties à
négocier et reporte régulièrement sa décision.
Malgré les pressions, Hacquard ne cède pas. Si le vicaire
apostolique admet que «les gouvernements coloniaux ne voient pas d'un
bon œil que les missions englobent des territoires relevant de
puissances différentes»18, il subordonne ce principe à d'autres intérêts19.
Cas exceptionnel, le supérieur des pères blancs s'élève contre
l'harmonisation systématique des frontières. Livinhac n'hésite pas à
préciser un peu plus tard : «Vouloir mettre les limites des vicariats en
harmonie avec celle des divisions administratives dans les régions
que les puissances européennes sont en train de coloniser, serait se
condamner à des changements trop fréquents et inutiles, à moins
qu'il ne s'agit de frontières entre deux pays n'appartenant pas à la
même puissance»20.
Ce distinguo subtil permet d'accepter la cession au vicariat du
Bénin des zones occupées par les anglais et de conserver la zone
contestée entre le 10ème et 12ème parallèle parce qu'elle est en territoire
français. Mais l'obstination des missionnaires d'Alger est surtout
révélatrice d'un état d'esprit. Les pères blancs accusent leurs confrères
de s'être installés sur «leur» vicariat avant d'avoir obtenu l'accord de
la Propagande.
L'affaire est finalement tranchée le 22 avril 1901 selon les
propositions des missions africaines de Lyon. La résolution prévoit
d'étendre la mission du Dahomey à toute la colonie du même nom et de
donner au vicariat du Bénin les territoires anglais situés sur le
vicariat du Sahara. Quant aux secteurs sous domination allemande, ils
sont cédés par le Dahomey à la préfecture apostolique du Togo,
administrée par la société du Verbe Divin (Steyl)21.

18 A.C.P.F., Acta 271, Segou, 22 juin 1900, f. 370-372 v.


19 II explique notamment que l'éloignement de la côte entraînerait un
surcoût pour le ravitaillement des missions par portage, effectué sur la tête, alors
que les prix (vin de messe) sont déjà multipliés par cinq à cause du transport.
20 Ibid, f. 375 v-376 r. Livinhac à Propagande, 7 février 1901.
21 A.C.P.F. Acta 271 (1901), f. 368-379, 22 avril 1901.
302 LA DIRECTION DES MISSIONS

2 - Le choix des sociétés missionnaires.

Le cadre général ainsi fixé, la désignation des sociétés


missionnaires qui reçoivent la charge de la mission se déroule le plus
souvent sans difficulté majeure. Trois facteurs viennent cependant
troubler cette harmonie à plusieurs reprises.

Distorsions entre l'offre et la demande.

La très rapide extension géographique des missions catholiques,


et la volonté d'occuper le premier le terrain, amènent à multiplier les
implantations et à hâter l'attribution de territoires dont l'occupation
est tout juste amorcée. Il en résulte une augmentation rapide des
besoins en personnel à laquelle les sociétés missionnaires ne sont pas
toujours en état de répondre. Les jeunes sociétés sont généralement
les mieux disposées à prendre en charge les nouvelles missions.
Elles comptent, de cette manière, obtenir une reconnaissance
ecclésiastique plus rapide et savent que le «label« missionnaire constitue
un excellent argument pour leur développement en Europe. Les
instituts plus anciens sont plus prudents. Les jésuites prennent garde
de ne pas se lancer inconsidérément dans de nouvelles entreprises
lointaines. Il est vrai que la Propagande se tourne souvent vers eux
quand un problème se pose en Asie (remplacement des sylvestrins à
Colombo, ouverture d'un séminaire central à Kandy) ou en Afrique.
Les raisons avancées par le Général pour justifier devant le préfet Si-
meoni le refus du vicariat d'Afrique centrale, à la mort de Comboni,
résument bien leur argumentation. Après avoir mis en avant son
impuissance à trouver les missionnaires supplémentaires, alors que la
compagnie vient d'entreprendre de nouvelles missions, le Général
observe malicieusement qu'il serait maladroit d'alimenter les
accusations d'impérialisme religieux portées contre la compagnie par
d'autres sociétés missionnaires. Les jésuites viennent en effet
d'accepter les missions de Bombay, Calcutta, Mangalore, Maduré
(1836), Shangaï, Tchely (1857), Egypte (séminaire et collège au
Caire, 1879) : «Si la liste s'allonge encore, on va crier «che vogliamo
invadere tutto, dominare dappertutto»22.
Les mêmes raisons font échouer les ouvertures de Leopold II en
1879, devenues en 1885 de pressantes sollicitations et appuyées par
le cardinal Simeoni. La province belge des jésuites refuse la mission
du Congo Indépendant23. On peut cependant se demander si la

22 ARSI. Curie Rome vol. III, p. 25. Beckx à Simeoni, Fiesole, 25 novembre
1881... «que nous voulons tout envahir, dominer partout».
Ensemble du dossier : A.P.F. Acta 250 (1882) f. 248-261, 18 septembre 1882.
23 Récit des tractations par Ng'ekieb Mukoso. Aux origines de la mission du
LA GESTION AU QUOTIDIEN 303

compagnie ne profite pas de ces circonstances pour manifester


indirectement à la Propagande son mécontentement. Le congresso
s'oppose en effet à plusieurs reprises entre 1879 et 1886 à toute
modification de la législation réglant dans les missions jésuites les
rapports entre supérieur et vicaire (ou préfet) apostolique. Or Beckx fait
valoir en 1881 qu'il convient de ne pas donner un supérieur régulier
à des religieux, sous-entendant que les difficultés apparues à cause
du décret incriminé par la compagnie pourraient se répéter en
Afrique.
Au fur et à mesure de leur affermissement, les jeunes sociétés
elles aussi semblent modérer leur enthousiasme originel, souvent
payé par la perte de nombreux jeunes missionnaires. Elles sont
progressivement amenées à privilégier les territoires offrant des
garanties et des perspectives de réussite, à préciser leur stratégie,
compensant des missions stériles par des territoires prometteurs. Les
hésitations des grandes sociétés à accepter le nouveau vicariat envisagé au
sud de Madagascar sont très caractéristiques de ces préoccupations.
Les lazaristes, sollicités les premiers, déclinent l'offre. Les pères
blancs sont moins catégoriques et semblent sur le point d'accepter.
Mais l'attrait d'une expansion, après les «reculs» subis en Afrique
centrale, est finalement annulé par la crainte d'une dispersion
excessive et le désir de demeurer fidèle aux volontés de Lavigerie. Livin-
hac subordonne l'acceptation à des rectifications géographiques qui
n'ont aucune chance d'aboutir.
La Propagande exerce alors de fortes pressions sur les spiritains
et finit par gagner à ses vues le supérieur général Emonet qui donne
une réponse positive le 16 janvier 1894. Le déclenchement de la
guerre franco-malgache oblige à suspendre l'envoi de missionnaires.
Finalement Fiat propose le 16 novembre 1895 les services des
lazaristes expulsés d'Abyssinie par le gouvernement italien au début de
l'année. La Propagande leur confie en dédommagement le vicariat
de Madagascar méridional, nommant Crouzet, ancien vicaire
apostolique d'Abyssinie, à Fort-Dauphin24.
Ces considérations internes rendent particulièrement difficile
l'affiliation d'une mission réputée ingrate, par exemple dans les

Kwango (1879-1914). Tractations et premiers jalons de l'œuvre missionnaire des


jésuites belges au Zaire. Univ. Grégorienne, Rome, 1981, XXXII-708 p., p. 31 et ss.
24 A.C.P.F. Acta f. 451-557. Erection du Vicariat ap. de Madagascar
méridional.
A.P.Bl. : compte rendu des tractations par le procureur Burtin à Livinhac,
1-7, 1895-1896, passim. Burtin est successivement partisan de la prudence, selon
les recommandations du cardinal Rampolla qui conseille de ne pas s'installer
hors d'Afrique, puis très vivement intéressé par le projet. Les menaces qui pèsent
alors sur la présence des missionnaires d'Alger en Uganda (Nyanza) expliquent
sans doute ces hésitations sur la stratégie à adopter.
304 LA DIRECTION DES MISSIONS

régions de l'Inde à majorité musulmane. De même le Libéria est


longtemps laissé à l'écart car la mission y semble d'emblée
condamnée. Son statut d'état indépendant dirigé par des noirs
protestants n'incite pas les missionnaires catholiques à s'y
précipiter. La note d'archives énumère les essais infructueux de la
Propagande pour confier la future mission aux jésuites (1893),
aux évêques américains et aux spiritains. Il faut attendre 1903
pour que les Montfortains prennent en charge cette mission,
conciliant heureusement leur désir de se dévouer «au salut des
pauvres noirs» et l'avenir de leur institut. Victime des lois sur les
congrégations, la compagnie de Marie a vu ses propriétés en
France placées sous séquestre et compte sur le préfet de la
Propagande, «dispensateur des trésors «(de la Providence) pour
financer la mission25. Cependant en règle générale la fondation de
nouvelles sociétés missionnaires, l'augmentation globale des
effectifs, l'intérêt croissant des congrégations religieuses pour les
missions lointaines permettent de poursuivre sous Léon XIII le
quadrillage géographique de l'Afrique, de l'Asie et de l'Océanie.

De la relève des sociétés défaillantes à la «nationalisation» du


personnel missionnaire.

Les contestations ne se portent pas seulement sur la


délimitation des territoires et l'affiliation d'une région à une société peut
toujours être reconsidérée. Le cas le plus exceptionnel est la défaillance
d'un institut missionnaire devenu incapable de faire face aux
dépenses et de fournir le personnel nécessaire. La Propagande procède
alors à son remplacement ou à une nouvelle division administrative.
Le vicariat de Dacca est confié aux missionnaires de Sainte-Croix du
Mans (1852) qui le cèdent en 1875 aux bénédictins de la province
anglo-belge, puis le reprennent en 188926. En 1879 les sylvestrins
(branche de bénédictins italiens) chargés du Vicariat de Colombo,
sont sur la sellette à l'occasion de la désignation d'un nouveau
vicaire apostolique. Ils se montrent incapables de répondre aux
besoins d'un territoire qui est le plus riche de Ceylan et contient le plus
grand nombre de catholiques. Faute d'une direction énergique et de
recrues, il ne peuvent pas envoyer plus d'une trentaine de
missionnaires. Le congresso de la Propagande décide le statu quo en l'assor-
tissant de conditions précises. La nomination du R.P. Pagani en

25 A.C.P.F. Acta 274 (1903), lettre du procureur de la compagnie de Marie,


Rome, 13 janvier 1903. Ponenza : établissement en mission indépendante confiée
aux Montfortains du territoire de la République du Libéria, f. 255-263 v, 6 avril
1903.
26 II est entre temps devenu diocèse en 1886.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 305

qualité de vicaire apostolique est soumise à l'obligation


d'entreprendre une série de réformes : respects de la règle religieuse
(pauvreté et vie commune) : réforme de l'administration financière;
rédaction d'un règlement vicarial sur le modèle des statuts synodaux;
augmentation du nombre de séminaristes; harmonisation de la
discipline avec le vicariat de Jaffna.
Quatre ans plus tard les cardinaux constatent que rien n'a été
fait et que la situation s'est même détériorée après la fuite de deux
missionnaires qui a déclenché contre les sylvestrins une pétition
signée par 2153 fidèles (sic). Conscient de son impuissance à
réformer la mission, Mgr Pagani a proposé de ne garder que la
région de Kandy (où les religieux possèdent un beau monastère).
Malgré l'abbé général qui propose la solution inverse, le congresso
décide de nommer Pagani vicaire apostolique de Kandy et
d'appeler d'autres missionnaires à Colombo. Sollicités les premiers, les
jésuites déclinent l'offre. La Propagande obtient au contraire
l'accord des oblats de Marie qui succèdent donc aux sylvestrins à
Colombo» sous la direction de Mgr Bonjean, jusque là vicaire
apostolique de Jaffna27.
Ce cas n'est pas isolé à Ceylan. Zaleski fait opérer le
rattachement du diocèse de Trincomalee aux jésuites en 189628. Cependant
les abandons imposés sont très rares. Au contraire l'exportation
outre-mer des rivalités nationales constitue un facteur de
déstabilisation très actif et pernicieux pour l'harmonie entre missionnaires.
Elle se traduit globalement par un processus de «nationalisation»
du personnel des missions qui accompagne à maintes reprises
l'harmonisation des frontières. Les missionnaires français,
fondateurs de la plupart des stations africaines avant le partage
colonial, deviennent les principaux accusés. Leur présence est de plus
en plus mal acceptée par les colonisateurs allemands, belges,
italiens qui expriment la volonté de réserver leurs colonies à des
nationaux, ou au moins à une société majoritairement nationale car
des cas particuliers sont tolérés29. Ils promettent en contre-partie
d'assurer la liberté des missionnaires, parfois une aide matérielle
et financière.

27 A.C.P.F. Acta 251 (1883), f. 250 r à 266 r. Colombo. Démembrement du


territoire pour ériger le Vicariat apostolique de Kandy. Transfert de Mgr Bonjean du
vicariat de Jaffna à celui de Colombo. Transfert du vicariat de Jaffna à celui de
Colombo.
28 Cf. Robrecht Boudens, «The difficult growth of catholic life in Ceylon,»,
Memoria III/l, p. 455-456.
29 Note du gouvernement allemand à la Propagande sur le projet d'ériger une
préfecture ap. du Cameroun confiée aux pallotins. «Non si farà caso se i singoli
missionari non posseggano la loro qualifica di cittadinanza allemana.» Acta 260
(1890) f. 26v.
306 LA DIRECTION DES MISSIONS

Les italiens obtiennent en 1894, non sans mal, l'érection d'une


préfecture apostolique en Erythrée, détachée de la mission
lazariste, et confiée aux capucins italiens de la province romaine30.
Leopold II poursuit une politique progressive d'expulsion des
missionnaires français du Congo. Les allemands interviennent en
faveur de l'envoi des pallotins allemands au Cameroun en 189031;
des missionnaires du Verbe divin (Steyl) au Togo32, puis en
Nouvelle-Guinée grâce à l'érection de la préfecture de la Terre-de-
Guillaume en 189633. L'importance des colonies détermine
cependant des variations dans l'application de ces orientations. C'est
ainsi que le Zanguebar méridional est détaché du vicariat du
même nom pour être confié en 1887 aux bénédictins allemands de
la congrégation de Sainte Odile. Au contraire la présence des
pères blancs dans les missions de l'intérieur n'est pas mise en
cause dans les vicariats de l'Unyanembe et du Tanganyika. La
substitution de fanciscains allemands aux français dans le Chan-
tong oriental, décidée en juin 1898, n'est pas réalisée. On se
contente de rattacher au Chantong méridional, confié aux
missionnaires allemands de Steyl, la portion de territoire cédée à
l'Allemagne par la Chine34.
Lorsque les enjeux sont secondaires des compromis sont
trouvés sans trop de difficultés. Les maristes conservent la préfecture
apostolique érigée aux îles Salomon en 1898 et obtiennent le
soutien financier des sociétés catholiques et coloniales allemandes... à
condition de nommer un chef de mission allemand35. Faute de
disposer d'un tel sujet, la Propagande rattache l'administration de la
préfecture au vicaire des îles Fidji pour une période de trois ans
mais le provisoire dure toujours en 1903. Le remplacement des
spiritains par les oblats de Marie dans le nord de la colonie
allemande du Sud-Ouest africain (création de la préfecture de Cimbé-

30 Narration des tractations par Claudio Betti. «Missionari cattolici e


autorità italiane in Eritrea negli anni 1885-1894». Storia contemporanea, 1985, n° 56,
p. 905-930.
31 Ibid. f. 26-29.
32 A.C.P.F. Acta 262 (1892) f. 21-29. Erection de la Préfecture ap. du Togo. Le
congresso hésite entre les pallotins et les missionnaires de Steyl, ces derniers
ayant l'inconvénient d'être basés aux Pays-Bas. Mais l'Allemagne entend avant
tout éliminer les missionnaires français...
33 A.C.P.F. Acta 266 (1896), f. 165-169. Les missionnaires du Sacré-Cœur d'Is-
soudun, installés en Nouvelle-Guinée, envisagent d'abord d'ouvrir une maison en
Allemagne. La Propagande préfère choisir un institut qui ne rencontrera pas
d'obstacles de la part des autorités civiles sur la base de soupçons «mal fondés
mais gênants pour la bonne marche de la mission».
34 A.C.P.F. Acta 269 (1898) t. 599-601.
35 A.C.P.F. Acta 269 (1898), f. 421-425. Erection de la Préfecture ap. des îles
Salomon.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 307

basie inférieure) relève d'une autre forme de conciliation : les


oblats, dont le recrutement est plus international, choisissent des
sujets parlant allemand et originaires de l'Alsace-Lorraine36.
Incapables de fournir à leurs colonies africaines les
missionnaires nécessaires, les portugais font preuve d'une grande fermeté
dans la défense du padroado mais adoptent eux aussi une
politique conciliante envers les spiritains installés depuis 1866 en
Angola. Outre la préfecture de Cimbébasie supérieure, qui
correspond aux limites de l'Angola, les pères du Saint-Esprit
administrent la préfecture du Congo portugais. Conscients des risques
qui pèsent à terme sur leur présence, les pères français mettent
l'accent sur l'enseignement du portugais et cherchent à recruter au
Portugal.
La politique anglaise, d'inspiration libérale, est
habituellement très tolérante. Le contexte général incite cependant les
missionnaires installés en territoire britannique à donner des gages
de fidélité. Les missions africaines de Lyon se sont très tôt
souciées de recruter des sujets britanniques pour leur mission de
Nigeria et ont ouvert dès 1876 un collège en Irlande à Cork. Un
siècle plus tard la société sera quasiment devenue irlandaise. La
Propagande exige des spiritains, installés dans l'autre partie de la
colonie, qu'ils recherchent des missionnaires anglais pour ériger
la préfecture du Bas Niger37. Une conjoncture particulière peut
cependant réveiller les nationalismes et obliger à pousser plus
loin l'anglicisation. Le Buganda est le théâtre de la crise la plus
grave, au point de mettre en cause la présence des pères blancs
dans le Nyanza38.

3 - Entre pragmatisme et indépendance missionnaire : l'élaboration


de règles universelles dans l'attribution des territoires de
mission.

Concilier autorité romaine et intérêts particuliers.


L'autorité de la Propagande s'exerce à travers quelques règles
simples et universelles. Des initiatives individuelles ont pu forcer
la main du dicastère romain en le plaçant devant le fait
accompli. Au fur et à mesure que l'occupation des continents s'a-

36 A.C.P.F. Acta 262 (1892) t. 406-409. Cimbébasie. Division en deux


préfectures et affiliation aux O.M.I, de la région sous protectorat allemand. Nous
n'avons pas pu déterminer la nationalité exacte des missionaires.
37 A.C.P.F. Acta 259 (1889) t. 253-256.
38 Cf. C. Prudhomme. Stratégie missionnaire du Saint-Siège sous le pontificat
de Léon XIII, Thèse pour le doctorat d'Etat, 1989, 3 vol. dact. et microfiches (Lille-
Thèses), vol. 2, chapitre 10.
308 LA DIRECTION DES MISSIONS

chève, cette éventualité disparaît et les fondations de nouvelles


stations sont strictement soumises à des autorisations préalables.
Cela n'élimine pas des rectifications ultérieures pour corriger des
erreurs, diviser des territoires trop étendus, harmoniser les fon-
tières. Mais ces opérations sont réservées à la Propagande. Elle
prend soin de préciser dans les décrets de délimitation qu'elle se
réserve, conformément au droit, la possibilité de modifier les
limites si les circonstances l'exigent39.
Le bon fonctionnement du système suppose que le tracé des
frontières soit acceptable pour toutes les parties concernées et
permette l'indépendance matérielle de la mission. Cependant,
notamment sous le pontificat de Léon XIII, la Propagande tend à
superposer les frontières religieuses et civiles. Les rares entorses à cette
règle entraînent d'interminables conflits de nature à faire regretter
amèrement les faiblesses. L'établissement d'une préfecture confiée
aux missions africaines de Lyon dans le delta du Nil, d'abord sous la
dépendance du vicariat apostolique franciscain d'Egypte, puis
indépendante, engendre un imbroglio chronique décourageant et
exemplaire40.
Les règles observées dans la distribution des missions ont
l'avantage de prévenir les conflits de juridiction et les heurts entre
congrégations. Elles ont l'inconvénient, rarement évoqué, de couper
certaines ethnies, alors que les missions avaient primitivement
décidé de préserver l'unité de celles-ci :
«Quand la ligne donnée comme limite approximative coupe une
tribu, infléchir cette ligne de façon à laisser la tribu entière à la
mission, qui, d'après les limites approximatives, en possède le plus
grand nombre»41. En Afrique et en Oceanie les divisions assurent la
prédominance des relations verticales, en fonction des intérêts
européens ou congréganistes, sur les relations horizontales, entre
vicariats et préfectures.
Une seconde règle consiste à affilier un territoire à une seule
société. Il faut des circonstances exceptionnelles pour concéder aux
spiritains français le droit de rester dans la portion continentale de
la Guinée rattachée à la colonie espagnole de Fernando-Po par le

39 «Reservata, ut juris est, facultate prout in posterum adjuncta postulabunt,


diversi mode praedictum Vicariatum circumscribendi aut dividendi.» (Erection
du Vicariat d'Afrique centrale, 30 mars 1846).
40 Sur ses vicissitudes : A.C.P.F. Acta 253 (1884), t. 163-166; Acta 254 (1885),
t. 608-629 ; Acta 261 (1891), 1. 132-139 : Planque obtient l'indépendance de la
Préfecture mais le V. ap. italien Corbelli accuse les missionnaires français de ne pas
s'occuper des italiens et des maltais parce qu'ils ignorent l'italien...
41 Acta 271, f. 375v.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 309

traité franco-espagnol du 27 juin 1900. La modification des limites


civiles aurait dû entraîner, outre l'harmonisation des limites
ecclésiastiques, le départ des spiritains au profit des missionnaires
espagnols chargés de la préfecture (Fils du Cœur-Immaculée de
Marie). Mais l'opération suppose de dédommager le gouvernement
français, qui a construit les établissements missionnaires. Le
montant est estimé par le préfet spiritain de Guinée à 200000 f.
Incapables de payer une telle somme, les autorités espagnoles préfèrent
tolérer la présence des spiritains à condition qu'ils utilisent
exclusivement l'espagnol dans leur enseignement42.
L'importance accordée à l'unité du personnel missionnaire se
traduit aussi par la liberté laissée à la société masculine
responsable d'un territoire de choisir les congrégations féminines ou
les instituts de frères chargés des œuvres. Nous n'avons pas
enquêté sur les procédures d'affiliation. Tout porte à penser que le
choix de la société missionnaire est entériné par la Propagande,
cette dernière demeurant cependant seule habilitée à autoriser
l'opération. Dès les premières missions des relations privilégiées
se sont nouées entre certains instituts, par exemple entre les
spiritains et les sœurs de St Joseph de Cluny ou les sœurs de
l'Immaculée Conception de Castres. La principale évolution au cours
du siècle consiste dans la tendance générale des sociétés
masculines à fonder des congrégations féminines qui se trouvent
sous leur dépendance. Du vivant des fondateurs (Colin,
Comboni, Jordan, Janssen, Lavigerie, Planque) ou ultérieurement, pour
répondre aux besoins missionnaires, de nombreuses sociétés se
dotent ainsi d'une branche féminine43. Les franciscaines de
Marie, nées d'une scission et d'un projet fortement marqué par la
personnalité d'Hélène de Chappotin, en religion Marie de la
Passion, constituent une exception et sont une des rares fondations
du pontificat de Léon XIII à conserver une large autonomie.

42 A.C.P.F. Acta (1903) f. 15-18. Erection en Préfecture apostolique de la


mission de Koango.
43 En Allemagne, le père Jordan fonde en 1888 les sœurs du Divin Sauveur ou
Salvatorianerinnen (1888); le p. Arnold Janssen la congrégation des servantes du
Saint-Esprit ou Genossenschaft der Dienerinnen des Heiligen Geistes (1889); les
pallotins, les sœurs pallotines ou Pallottinerinnen (1895).
En France Colin fonde les sœurs maristes (1817); Lavigerie les sœurs
missionnaires de N. Dame d'Afrique (1869); Planque les sœurs de N. Dame des
Apôtres pour les Missions (1876); les pères maristes sont avec Françoise Péroton
à l'origine du Tiers ordre régulier de Marie.
En Italie Dom Bosco fonde les Filles de Marie-Auxiliatrice (1872) et
Comboni les Pie Madri della Nigrizia ou Pieuses Mères du pays des Nègres (1876).
310 LA DIRECTION DES MISSIONS

Une troisième règle se dégage enfin qui tend à


«nationaliser» le personnel missionnaire. Aucune instruction de la
Propagande n'établit une telle obligation quand elle est formulée par
un gouvernement. Mais la pression conjuguée des états, des
opinions publiques et des associations catholiques qui financent les
missions inclinent la Propagande à faire preuve de pragama-
tisme au nom de la bonne marche des missions («il buon
andamento delle missioni»). La création de la préfecture apostolique
du Zanguebar méridional est explicitement motivée par
l'existence de revendications convergentes. S'étonnant du retard de la
Propagande à publier les décrets, le supérieur des missionnaires
bénédictins allemands redoute qu'en différant l'envoi des
premiers religieux on ne perde «la confiance des catholiques
allemands qui, à Trêves, ont voté la résolution de l'assister, et celle
du gouvernement à Berlin. Les lettres du président et
vice-président de l'Afrique allemande sollicitent l'expédition
continuellement»44.
Les pressions extérieures ne sont pas seules responsables de
cette situation. Les missionnaires n'échappent pas au
chauvinisme ambiant. Les signes de tension entre missionnaires de
nationalité différente, notamment français et italiens (plus
qu'allemands), ne manquent pas. Ces rivalités sont favorisées par le
caractère national de beaucoup de jeunes sociétés, ou la
structuration des grandes congrégations par provinces
géographiques. Ainsi les missions jésuites sont-elles réparties sur la
base des provinces chargées de missions particulières45. A la
province de Venise revient le Mangalore, celle du Portugal le Bas
Zambèze; à la Champagne Madagascar nord, le Tchely sud-est,
Trincomalee; à Toulouse, le Maduré et Madagascar central etc..
Ce modèle tolère la présence de religieux rattachés à une
province qui ne correspond pas à leur lieu de naissance. Mais les
exceptions semblent peu nombreuses, et concernent plutôt des
autochtones (indiens, chinois...), pour lesquels n'existe pas une
province spécifique.
S'il ne pose pas de difficulté majeure dans la plupart des
colonies anglaises, ce fonctionnement doit parfois être aménagé

44 A.C.P.F. Acta 257 (1887), t. 692-694. Erection de la Préfecture apostolique


de Zanzibar méridional qui sera confiée aux bénédictins de la congrégation
allemande.
45 Tableau des missions jésuites en 1907 in A. Brou. Les Jésuites
missionnaires au XIXe s. Bruxelles, libr. Albert Dewit, 1908, p. 243-244. Ajoutons aux
exemples cités : la province de Paris : Kiang-Nan; Belgique : Bengale Occid.,
Galle (Ceylan), Kandy (séminaire), Kwango; Hollande : Indes néerlandaises; An-
LA GESTION AU QUOTIDIEN 311

pour prendre en compte les susceptibilités nationales.


L'établissement d'un pouvoir colonial ne signifie pas automatiquement
changement de société missionnaire. Le puzzle européen des
nationalités permet des compromis honorables. Les missionnaires
alsaciens-lorrains ou les missionnaires irlandais deviennent des
instruments précieux d'apaisement dans de nombreuses missions
passées sous contrôle allemand ou anglais. Ironie du contexte,
les missionnaires alsaciens servent simultanément à donner des
gages dans certaines missions en territoire allemand, tandis que
d'autres sont présentés comme les plus sûrs garants de fidélité
patriotique quand il s'agit d'une colonie française... Et les spiri-
tains peuvent ainsi promouvoir deux alsaciens, Emile Allgeyer à
Zanzibar (1897) et Alphonse Kuneman en Sénégambie (1901), le
premier parce qu'il est «opportun de proposer des Pères issus de
l'Alsace-Lorraine»46 dans un pays allemand... et le second parce
qu'il a «choisi la France après la guerre»47.
La pondération de la représentation d'une nation est encore
possible par la diversification des sociétés travaillant sur un
territoire. A notre période, cette alternative est utilisée
exceptionnellement, par exemple chez les pères de Picpus chargés des îles
Sandwich qui emploient des Marianites et des franciscaines
américaines.
Mais les effets les plus inattendus en cette période de
nationalisme aigu apparaissent au sein même des principales sociétés
missionnaires : pères blancs, missions africaines de Lyon,
missionnaires du Sacré-Cœur d'Issoudun, O.M.I. , pallotins, picpu-
siens, spiritains... Pour prévenir de nouvelles difficultés, elles
s'engagent progressivement dans une politique d'implantation en
Belgique, Hollande, Allemagne48, Iles Britanniques. Les oblats de
Marie conduisent la stratégie d'internationalisation la plus
remarquable49.

gleterre : Guyane anglaise, Haut Zambèze; Maryland : Jamaïque; Missouri :


Honduras anglais.
46 A.C.P.F. Acta 267 (1897) t. 102-104. Nomination du V. ap. du Zanguebar
sept., 25 janvier 1897.
47 A.C.P.F. Acta 271 (1901) t. 90-93. Nomination du V. ap. de Sénégambie et
Préfet du Sénégal. 4 février 1891.
48 Les spiritains ouvrent une maison en Rhénanie (Knechsteden, 1896) et
comptent 121 sujets allemands en 1898, surtout à Zanzibar. Les pères blancs ont
une maison à Trêves (1894) et une annexe à Marienthal pour la missions des
colonies allemandes du Nyanza méridional, Unyanembe et Tanganyika. Les pères du
Sacré-Cœur d'Issoudun forment à Hiltrup (1898) les missionnaires de la Nou-
velle-Poméranie (archipel de Bismark).
49 Source : D.I.P., vol 6, col. 624-634, art. de F. Ciardi.
312 LA DIRECTION DES MISSIONS

Tableau n° 13
IMPLANTATION DES OBLATS DE MARIE AU XIXe S.

1816 France
1831 Suisse
1841 Angleterre
Canada
1847 Etats-Unis Ceylan
1852 Afrique du Sud
1856 Irlande
1858 Mexique
1860 Ecosse
1862 Lesotho
1880 Pays-Bas
1882 Italie et Espagne
1891 Belgique
1895 Allemagne
1901 Galles

En 1899 la congrégation compte 1537 membres, dont 54,9% de


français, 15,7% de canadiens, 9,8% d'allemands et 9% d'irlandais50.
Dans l'immédiat cette diversification entraîne dans certaines
sociétés des tensions internes51. Néanmoins une internationalisation du
recrutement s'esquisse à la veille de la première guerre mondiale
dans les instituts missionnaires masculins.
En résumé, les missions connaissent deux mouvements
contraires, selon les lieux et les circonstances. Quand la métropole
peut fournir des missionnaires catholiques en nombre suffisant et
entend contrôler les missions, elle impose une «nationalisation «du
personnel. C'est le cas le plus répandu, celui des colonies françaises,
belges et italiennes, parfois allemandes. Au contraire, là où la
présence des sociétés françaises déjà installées est tolérée par le pouvoir
colonial, les instituts amorcent une internationalisation de leur
personnel pour prévenir les conflits.

50 Donat Levasseur, Histoire des missionnaires oblats de Marie. T. 1 p. 307.


Origine des oblats en avril 1899 : 838 français, 240 canadiens, 147 allemands, 138
irlandais, 31 anglais (2%), 25 italiens, 24 belges, 19 américains, 13 hollandais, 9
polonais, 6 espagnols... 13 ceylanais, 1 Indien.
51 La branche allemande des sœurs pallotines se détache en 1895 du tronc
italien. Les divergences qui apparaissent parmi les missionnaires de Vérone ont
sans doute aussi une dimension nationale et préparent la séparation entre sujets
italiens et germaniques (Autriche et Allemagne).
LA GESTION AU QUOTIDIEN 313

4 - La Propagande et la Secrétairerie d'Etat face aux puissances


coloniales : oui à la protection et aux subventions; non à la
subordination.

Le refus des engagements écrìts.

Les relations avec le pouvoir civil mettent en évidence un


principe absolu : la défense jalouse des prérogatives de la Propagande
contre l'ingérence des Etats. Elle conduit Rome à nouer avec les
puissances coloniales des liens amicaux, à rechercher leurs soutien,
mais aussi à refuser toute forme de subordination.
Le sens de l'adaptation aux mutations politiques comporte en
effet des limites strictes. Rome refuse tout engagement écrit et
repousse énergiquement les pressions des gouvernements qui
marchandent leurs subventions contre un traité garantissant la
nomination d'un chef de mission de leur nationalité. Les «prétentions» du
gouvernement espagnol sur le Maroc en 1878 ou celles du
gouvernement français en 1881 sur la Tunisie, sont vigoureusement rejetées
malgré les promesses de subventions qui les accompagnent. A la
question : «quelle part peut-on concéder au gouvernement
d'Espagne dans la nomination du Préfet apostolique de la Mission du
Maroc? «le congresso répond :
«Le ragioni contro le dette pretese siano dedotte dalla natura
della Prefettura, dall'esempio di tutte le altre Prefetture e Vicariati
Apostolici, quantunque sieno sussidiate ο mantenute da alcuni governi, e
dalle altre ragioni sviluppate a voce nella discussione».
Et les cardinaux brandissent la menace de confier le Maroc à
d'autres missionnaires52.
Le scénario se répète lorsque la démission du vicaire
apostolique capucin italien, Mgr Suter, permet de faire passer la Tunisie,
devenue protectorat français le 12 mai 1881 (Traité du Bardo), sous
la direction du cardinal Lavigerie. La Propagande et la congrégation
des Affaires ecclésiastiques décident de nommer Lavigerie
Administrateur apostolique ad nutum Sanctae Sedis. Mais elles prévoient le
cas où le gouvernement français demanderait lui-même la
désignation de Lavigerie ou d'un autre sujet français. Elles conviennent que
dans cette éventualité «on déclarerait que le Saint-Siège ne peut pas
admettre qu'un quelconque gouvernement s'arroge le droit de nom-

52 A.C.P.F. Acta 246 (1878), t. 604 r-v. Sulle pretese del Governo di Spagna
relative alla nomina del Prefetto Ap. del Marocco (25 novembre 1878) «Les raisons
qui s'opposent aux dites prétentions découlent de la nature de la préfecture, de
l'exemple de toutes les autres préfectures et vicariats apostoliques, quand bien
même ils sont subventionnés ou soutenus par quelque gouvernement, et de
toutes les autres raisons développées oralement dans la discussion».
314 LA DIRECTION DES MISSIONS

mer et présenter les administrateurs, vicaires et préfets


apostoliques»53. Cette mise au point est d'autant plus remarquable que La-
vigerie a activement recherché le protectorat français et sa
nomination en agissant auprès du quai d'Orsay par l'intermédiaire du père
Charmetant54.
Le gouvernement français élabore en 1893 un second projet
d'accord pour la Tunisie. Après avoir fait miroiter à l'article 1 le
versement d'une subvention, l'article 2 introduit une clause fixant que
l'archevêque de Carthage devra être de nationalité française et sera
nommé en vertu d'un accord préalable entre le Vatican et la France.
L'article 3 réserve les fonctions de vicaire général à des
ecclésiastiques français agréés par le gouvernement. L'argumentation
française fonde ses exigences sur la situation particulière de la Tunisie et
les risques d'immixtion de l'Italie dont les capucins ont administré le
territoire avant de laisser sa direction à Lavigerie en 1881, puis d'en
être tout à fait exclus en 1891 après une prudente période
transitoire55.
Redoutant des revendications appuyées sur d'anciennes facultés
juridiques, le gouvernement veut prévenir le cas «où, soit un Vicaire
général, soit le titulaire d'une des grandes paroisses du diocèse
n'appartenant pas à la nationalité française, prendront parti dans des
incidents suceptibles de fournir à un agent consulaire les moyens de
provoquer des conflits dangereux.» La réponse de la Propagande et
de la congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires est
sans équivoque. L'allocation apparaît un devoir de la puissance
coloniale et Rome en fixe le plancher à 75.000 F. Mais aucun accord ne
sera signé tant que figurent les mots «devra être de nationalité
française» (art. 2) et que le choix des vicaires généraux est soumis à des
conditions (art. 3). En outre, fidèle à sa vision de l'histoire et
instruite par son expérience, la papauté demande que la durée du traité
soit limitée à la durée de «l'état actuel des choses en Tunisie»56. Pour

53 A.C.P.F. Acta 249 (1881), t. 341-342. Mesures à prendre pour la mission de


Tunisie (con segreto pontiticio), 4 juin 1881.
54 Jacques Gadille, La pensée et l'action politiques des évêques français au
début de la IIP République, 1870-1883, Paris, Hachette, 1966, t. 2, p. 123.
55 Lavigerie et le préfet Simeoni étaient tombés d'accord pour respecter une
transition. Le 27 mars 1887, Lavigerie insistait pour qu'on ne retire pas
immédiatement les religieux en invoquant les risques politiques d'une telle mesure :
«on ne manquerait pas de répéter, en effet, ce que l'on a déjà dit dans toute la
presse italienne que N.S.P. le Pape Léon XIII sacrifie les missions italiennes pour
plaire à la France, et on lui attribuera, ainsi qu'à moi, le départ des Capucins.»
(A.P.Bl., Lavigerie à Propagande, A.C. 606, Alger 27 mars 1887). Mais la
subordination des capucins italiens au clergé français rendait leur départ inéluctable.
56 A.C.P.F. Acta 263 (1893), t. 336-342 v,, 20 juillet 1893. La note du
gouvernement est rédigée par l'ambassadeur de Béhaine.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 315

gagner du temps et ne pas compromettre ses relations avec la


France, la diplomatie vaticane propose de recourir à un échange de
notes qui enterre le projet.
L'établissement des pères blancs au Soudan donne lieu fin 1894
à des tractations comparables par leur déroulement et leur issue57.
Rome s'y révèle disposée à des concessions contre une subvention de
10.000 F. «somme équivalant au montant attribué aux évêques de
France.» Mais la négociation va achopper sur l'exigence de nommer
à l'avenir des ecclésiastiques français pour diriger la mission du
Sahara. La correspondance du quai d'Orsay laisse entendre que le
refus provient de Ledochowski, alors que Rampolla se serait montré
plus conciliant. Nous croyons plutôt que le Vatican recourt à une
distribution des tâches traditionnelle entre la Propagande et la Se-
crétairerie d'Etat, l'intransigeance de l'une préparant la voie à
l'esprit de compréhension affiché par la seconde. Pour une autre affaire
concernant un projet de contrat entre le Portugal et les
missionnaires d'Alger désireux de s'établir au Nyassa (1889), Simeoni avait
également écarté toute rédaction qui ne précisait pas que «sous le
rapport religieux, les missionnaires seront exclusivement soumis
aux supérieurs de la congrégation à laquelle ils appartiennent». Et
Burtin, le procureur, de commenter pour Lavigerie : «(le
gouvernement portugais lui a créé) tant de misères et tant d'ennuis avec son
haut patronage qu'il désire parler de cette affaire au Cardinal
Secrétaire d'Etat»58.

L'institution des vicariats, barrage aux ingérences gallicanes dans


les colonies françaises.
De la sorte, l'institution des préfectures et des vicariats
apostoliques, parce qu'elle protège les territoires contre les ingérences du
pouvoir civil, constitue le fondement de tout le système
missionnaire. Elle écarte les résurgences de gallicanisme et toutes les
prétentions fondées sur l'application outre-mer des concordats conclus
avec les métropoles. C'est pour cette raison que Rome s'oppose
fermement à la transformation de vicariats en diocèses dans les
colonies françaises, spécialement à Madagascar.
Le projet du gouvernement français de voir établir la hiérarchie
à Madagascar, repoussé par Rome une première fois en 1895,
semble très avancé à la fin de 1897 et confère une importance
supplémentaire au choix d'un coadjuteur et futur évêque. Mgr Cazet, le
vicaire apostolique jésuite de Tananarive (Madagascar central), se

57 Cf. Leonhard Harding, Les antécédents diplomatiques de l'établissement des


pères Blancs au Soudan. ZMR, 1970/4, p. 241-252.
58 A.P.B1. Burtin à Lavigerie, Τ 1217 (Copie n° 7174), Rome 28 juin 1889.
316 LA DIRECTION DES MISSIONS

préoccupe d'obtenir le successeur qu'il a souhaité, Mgr Lavigne59. Il


s'interroge cependant sur la position de la Propagande. Il ignore que
cette dernière l'a définitivement arrêtée. Interrogé sur une éventuelle
opposition du gouvernement français contre la nomination de Mgr
Lavigne en qualité de coadjuteur de Mgr Cazet, Ledochowski avait
déclaré au père Martin (juillet 1897) : «J'ai de bonnes raisons de
penser que votre Grandeur n'a pas à craindre, pour le moment,
l'opposition du gouvernement français. Madagascar étant encore pays de
mission, sous la juridiction de la Propagande. Mais le danger
viendra plus tard. C'est le langage que m'a tenu le Cardinal Préfet»60.
Décidée à refuser la hiérarchie dans les colonies françaises61, la
Propagande ne peut pas envisager de déroger à cette règle pour
Madagascar et aborde avec une extrême circonspection la désignation
d'un coadjuteur à Tananarive. Elle doit en effet tenir compte du
contexte de crise religieuse et de la situation des jésuites français.
Faut-il demander à la France confirmation de la nomination, sous
prétexte que le religieux reçoit un titre episcopal, et bien que ce ne
soit pas un évêché résidentiel? Le Conseil d'Etat peut-il enregistrer
les bulles d'un religieux dont la congrégation n'est pas reconnue? La
correspondance fait référence à trois autres cas récents. Deux n'ont
pas entraîné de difficulté (insurmontable), à Tahiti62 et en Nouvelle-
Calédonie. Par contre, le spiritain Adam, nommé vicaire apostolique
du Gabon, a été contraint de revenir en France pour être parti sans
l'autorisation du gouvernement...
Décidée à ne rien envenimer, ni céder, Rome évite
l'affrontement direct. Le nonce demande à Lavigne de faire connaître sa
nomination au ministère avant qu'elle ne soit rendue officielle, puis
d'attendre. En août 1897 le ministre des Affaires étrangères Hano-
taux rappelle que les nominations dans les colonies doivent
comporter une entente préalable avec le gouvernement français»63. Après de

59 II ne cite pas son nom dans la correspondance que j'ai consultée.


60 ARSI, Madagascar, 2, 3-XII-21. Martin à Lavigne, Fiesole, 24 juillet 1897.
61 C'est aussi la position adoptée en 1892 pour la nomination d'un vicaire
apostolique aux les Marquises. Plutôt que de céder, après la mort de Mgr Dordil-
lon le 11 janvier 1888, la Propagande diffère la nomination du successeur et
nomme un simple administrateur. A.C.P.F. Acta 262 (1892), f. 207-210, les
Marquises. Nomination du P. Joseph Martin, S.C. de Picpus, vicaire apostolique (9
mai 1892).
62 II s'agit très vraisemblablement de la nomination de Mgr Martin aux
Marquises.
63 «Conformément aux prescriptions de l'art. 1 du décret du 7 janvier 1808,
tout ecclésiastique français ne peut accepter la collation d'un évêché in partibus
sans y avoir été préalablement autorisé par le gouvernement.» (Lebon, min. des
Colonies à Lavigne, 21 août 1897. ARSI, Mad. 3-XII-27)
Complication supplémentaire, Léon XIII a supprimé la dénomination d'é-
vêques in partibus au profit de celle d'évêques titulaires...
LA GESTION AU QUOTIDIEN 317

multiples péripéties, Lavigne devra renoncer à sa nomination à


Madagascar pour recevoir l'évêché indien de Trincomalee. Son retrait
permet de désigner l'année suivante un jésuite extérieur à la
mission, Henry de Saune. Ancien officier d'artillerie «il pourra plus
facilement s'entendre avec les officiers de la Colonie» et étant nouveau
venu «il ne devra rencontrer aucun préjugé défavorable chez les
administrateurs de Madagascar.» Sa désignation exige néanmoins la
complicité de Le Myre de Vilers, député de Madagascar et ancien
résident général. La nomination, décidée en congresso le 13 novembre
1899, aura demandé cinq mois.
La Propagande a manifesté dès le départ une intransigeance qui
ne relève pas seulement de l'attachement à ses grands principes
mais aussi d'une tactique efficace. Insensiblement, elle a déplacé le
conflit du terrain ultrasensible de l'établissement de la hiérarchie
régulière au domaine mieux balisé des mécanismes de nomination
d'un vicaire apostolique. Au bout du compte, elle a entièrement
préservé l'indépendance de sa juridiction dans les colonies françaises,
avant que la séparation des Eglises et de l'Etat n'écarte
définitivement les risques de contentieux.

5 - La nomination des chefs de mission : un choix fortement


conditionné.
La nomination du chef de mission constitue dans le système
catholique une opération essentielle. La Propagande y consacre
d'ailleurs le plus grand nombre de ses délibérations en congresso,
profitant fréquemment de l'occasion pour réunir de petits dossiers sur
l'état des missions. La prise de décision passe par une concertation qui
fait habituellement du supérieur général de la société le véritable
décideur. Cependant le rôle de la Propagande est loin d'être
négligeable.
C'est d'abord elle qui fixe les critères de sélection en reprenant
les normes prévues pour l'ensemble des évêques64. Mais l'application
du questionnaire est ensuite soumise aux conditions propres aux
missions extérieures. Le nombre de prêtres en activité y est souvent
très faible. Il est dès lors très difficile de trouver trois candidats qui
remplissent toutes les conditions. Malgré la mortalité localement
forte, l'âge n'est pas un obstacle. Très rarement l'âge minimum de
trente ans fixé par le droit canon impose la demande d'une
dispense65. Par contre le niveau moyen de formation des missionnaires
rend inutile dans la plupart des cas la prise en compte des grades

64 Collectanea 1893, n° 38, p. 19. «Notiones ac quaestiones circa qualitates


quae necesseriae sunt in promovendis ad episcopates munus ac dignitatem».
65 1884 : Paul Reynaud, 29 ans, nommé v. ap. du Tché-Kiang, 28 janvier 1884
318 LA DIRECTION DES MISSIONS

universitaires, ce qui ne signifie pas forcément absence d'anciens


élèves des universités catholiques. La direction du Séminaire
français permet aux spiritains d'y destiner quelques futurs
missionnaires, comme François - Xavier Riehl. Les pères blancs envoient
régulièrement des «théologiens» achever leurs études à Rome, mais
à une date trop tardive pour qu'ils accèdent aux postes de
responsabilité sous Léon XIII. Ils comptent cependant en leurs rangs un
vicaire apostolique érudit (Mgr Toulotte) et quelques chefs de mission
réputés pour être des hommes d'études. Les jésuites font exception
avec un niveau universitaire nettement plus élevé. Mgr Cazet,
nommé à Tananarive, a accompli ses études à la Grégorienne dont il est
docteur en théologie. A ses côtés figurent dans la mission deux
autres fortes personnalités : l'historien de la mission de Madagascar,
le père de Lavaissière; le supérieur régional, issu d'une célèbre
famille aristocratique installée à la Réunion, Henri de Villèle.
Mais il faut bien reconnaître que le recrutement missionnaire,
d'origine essentiellement rurale, au sein de chrétientés
traditionnelles, accorde généralement peu d'importance à la formation
intellectuelle. Privilégiant les qualités humaines et spirituelles, il
accentue un état d'esprit répandu en France pour la formation des
clercs66. Le faible développement technique des pays de mission est
censé justifier un discours pragmatique. Homme d'action, pionnier
de l'Eglise, le missionnaire ne saurait être un «homme de livres», au
point que le visiteur des pères blancs déplore les prétentions
scientifiques des missionnaires allemands67 ... Cette image doit certes être
corrigée au niveau des chefs de mission jésuites, pères blancs,
spiritains, lazaristes, maristes, oblats ... qui ont fréquemment enseigné
dans un établissement de la société. La priorité n'en est pas moins
donnée à une conception qui fait souvent du refus de
«l'intellectualisme» une vertu religieuse.
Il résulte de cette situation un glissement au profit de critères

(Acta 253 t. 20-21). 1899 : Alain Guynot de Boismenu, 29 ans, coadj. de Mgr
Navarre, 8 mai 1899 (Acta 270 f. 324-326).
66 Cf. les remarques de Roger Heremans op. cit. A propos de Mgr Gerboin, v.
a. de rUnyanyembe : «Peut-être plus encore qu'à d'autres, on songe à lui, en
relisant la phrase du cardinal Lavigerie qui rappelait aux évêques Pères Blancs que
«dans leur diocèse d'origine, ils seraient probablement restés de simples curés de
campagne.» (p. 181).
67 Roger Heremans cite ce rapport du P. Malet en 1907 : «Je ne connais pas
encore d'Allemand qui nous est donné satisfaction. Pourquoi donc à Trêves, Hai-
gerloch, leur inspire-t-on un culte ridicule de la science. Ces braves gens que j'ai
connus et qui n'avaient rien de transcendant, tant s'en faut, ne parlent que de
pédagogie, ethnographie, géologie etc. . . On en fait des gens de livres qui ne rêvent
qu'articles et pour lui la valeur d'un homme se mesure à la science. Pourquoi
donc ne pas leur inspirer un peu de mépris pour tout cela?» (p. 215, note 2).
LA GESTION AU QUOTIDIEN 319

peu nombreux. Les candidats proposés jouissent d'une bonne santé


(sauf deux cas où l'absence d'alternative conduit à faire le pari
qu'elle sera suffisante68), témoignent évidemment des vertus
sacerdotales, manifestent un extérieur conforme à l'état ecclésiastique et
capable d'inspirer le respect dû à leur fonction prochaine. Les
exigences de la mission conduisent à privilégier trois qualités qui
départagent les candidats : la connaissance des langues en usage dans
leur territoire; l'aptitude à administrer et gérer, essentielle pour le
développement des «Œuvres»; les relations avec les confrères.
Contrairement aux évêques résidentiels, la très grande majorité
des promus se recrute au sein même du vicariat ou de la préfecture,
selon des modalités qui accordent une grande place à l'opinion des
missionnaires. L'appel à des prêtres de l'extérieur est pratiqué
seulement si aucun candidat local ne remplit les conditions nécessaires69.
Il explique plusieurs cas de décision différée (dilata), symptôme que
la société ou la province de congrégation en charge de la mission
manque de dynamisme, voire traverse une crise70. Enfin, dernier cas
de figure, les missionnaires choisissent un ancien confrère appelé
entre temps à une autre fonction71.
Certains instituts ont instauré une consultation systématique
des missionnaires qui votent pour fournir et classer les trois noms

68 Alphonse Joosten est préféré par la province dominicaine de Hollande


pour Curaçao malgré des examens médicaux contradictoires concernant
l'évolution probable de sa surdité. Le provincial s'appuie sur les contradictions du
diagnostic pour conclure que «da sordasto non passerà ad esser sordo». Acta 257
(1887) f. 415v.
69 Par exemple : nomination du v. ap. de l'Etat d'Orange en 1901 (Acta 271
f. 670-672). La difficulté est augmentée par la volonté de nommer un candidat
britannique dans cette mission des oblats de Marie. Ce sera un irlandais Mat-
theus Gaughren.
Nomination du v. ap. de Sénégambie en 1889 (Acta 259 t. 253-256). Joseph
Barthet, 52 ans, «mais encore très fort de santé», vingt-cinq ans de mission,
nombreuses constructions d'œuvres à son actif, est préféré aux missionnaires locaux.
Il en sera de même après la démission de Barthet en 1899 : le supérieur Le Roy
estime qu'aucun candidat local ne remplit les conditions et désigne le père Bu-
léon, missionnaire au Gabon (Acta 270, f. 320-323).
Nomination du vicaire ap. de Jamaïque (Acta 259 1. 257-258). Le général des
jésuites propose trois missionnaires d'Afrique car il y a «quatre cent mille
Nègres» en Jamaïque.
70 Les frères mineurs n'ont pas de candidat valide et valable à proposer pour
succéder en 1883 à Mgr Zanoli à la tête du Houpé oriental (Acta 252 in ponenza t.
1259-1280).
71 Jean-Claude Bouchut obtient 20 «premier vote» pour 25 suffages exprimés
afin de devenir vicaire ap. du Cambodge. Il a pourtant regagné le Séminaire des
M.E. à Paris pour raison de santé et il y enseigne depuis douze ans. Mais il a
laissé un très bon souvenir dans les deux parties de la population, annamite et
cambodgienne, et jouit de l'estime de tous ses confrères. (Lettre de Delpech, sup. gal.,
Acta 273 (1902), f. 228-230).
320 LA DIRECTION DES MISSIONS

de la terne. C'est le fonctionnement adopté par les M.E.P. qui sont


très attachés à cette démocratie interne. Chaque dossier est
accompagné d'une présentation du candidat avec un extrait de la lettre
d'explication de vote par un missionnaire l'ayant placé en tête.
L'élection permet la plupart du temps de dégager un nom qui s'impose
très nettement. En 1899 Hugo Bottero (Pondichéry) recueille treize
premières place pour 15 votants72. En 1901 le père Choulet est placé
dix fois en tête, une fois en second et en troisième. Le père Merel
obtient 13 premiers votes et cinq second.
Sans doute, tous les candidats ne font pas l'unanimité et Lucien
Mossard sort premier d'un scrutin apparemment très disputé73. Mais
le système permet un consensus minimum que le père Delpech
exprime en ces termes :» (Damien Grangeon) extérieur grave et digne;
très ordonné dans tout ce qu'il fait... il a montré une grande
prudence et beaucoup d'habileté en plusieurs affaires qu'il a eues à
traiter avec les autorités françaises et indigènes... n'a pas tout le monde
pour lui, il n'a assurément personne contre lui dans son Vicariat74».
Les M.E.P. manifestent un très fort attachement à cette
procédure que nous n'avons trouvé omise qu'en une seule occasion, par
Mgr Puginier au Tonkin. Le père Delpech, solidaire de ses confrères,
critique les libertés prises par le vicaire apostolique, craignant qu'il
ne mette en péril un usage solidement établi. «Votre Eminence sait
que nous n'avons jamais agi autrement dans les propositions que
nous avons soumises à la S. Congrégation»75.
Ce modèle est repris par les pères de Scheut qui ont compliqué
le système en affectant d'un coefficient le rang obtenu au vote76. En
outre ils réservent le droit de vote aux missionnaires ayant accompli
les vœux décennaux et en poste dans la mission depuis plus de trois
ans77. Le supérieur forme ensuite la terne après délibération avec ses
Assistants. Il dispose d'une autorité spécifique, conforme à la
structure hiérarchisée de la congrégation. C'est ainsi qu'Hubert Otto est

72 A.C.P.F. Acta 270 (1899) f. 363-368.


73 A.C.P.F. Acta 270 (1899) f. 44-47. Nomination du v.ap. de Cochinchine oc-
cid.. Sur 42 voix il a recueili 13 premier vote, deux second, cinq troisième.
74 A.C.P.F. Acta 273 (1902) f. 91-94. Nomination du v. ap. de Cochinchine
orientale, 24 février 1902.
75A.C.P.F. Acta 257 (1887), f. 45-50 v. Nomination de Pierre Gendreau,
coadj. de Mgr Puginier, v. ap. de l'Annam-Tonkin, 21 mars 1887.
76 La terne est établie à partir d'un total sur le modèle suivant :
Nombre de première place χ 3 + nombre deuxième place χ 2 + nombre
troisième place χ 1.
Ainsi le père Bermyn est proposé à la tête du vicariat de Mongolie pour avoir
obtenu le plus de points, soit : 5x3+5x2+2=27 sur un maximum possible de 90
(Acta 271 f. 255-258)
77 La procédure est décrite in : A.C.P.F. Acta 267, Parte II (1897), f. 511-514.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 321

retenu à l'unanimité par le congresso des cardinaux pour le Kansou,


après avoir été placé en tête de la terne par le supérieur, et bien que
ses confrères ne l'aient classé qu'en troisième position78.
Le vote est aussi utilisé par les pères de St François de Sales
d'Annecy pour leurs deux missions des Indes mais il provoque en
1902 une situation curieuse. Les missionnaires classent seulement
deux candidats et mettent en tête le supérieur général (Gojon) qui
refuse en invoquant ses «goûts» et sa santé. Le vicaire général et
administrateur, Jean-Marie Crochet, devient évêque sans concurrent,
après vingt-six années de missions79.
D'autres procédures laissent d'emblée le soin du choix au
supérieur et son conseil. Mais toutes les propositions semblent précéder
d'une consultation, au moins informelle, avant l'envoi du rapport à
la Propagande. Le supérieur des spiritains insiste (1883) pour que
soit retenu le père Riehl «adopté à l'unanimité» par la congrégation.
L'opinion exprimée éventuellement de son vivant par le vicaire
apostolique décédé est toujours prise en compte. Sans doute faut-il faire
une place à part au Cardinal Lavigerie. Sa position au sein de «sa
société» lui donne une liberté de parole et une autorité que n'aura pas
son successeur Livinhac. La désignation des chefs de mission est le
fruit de son propre choix.
Très rarement les supérieurs fournissent le classement des votes
missionnaires puis demandent... de ne pas le suivre, pour un motif
jugé décisif. Ainsi le frère mineur placé en premier pour le Houpé
oriental (1884) est écarté au profit du second candidat car s'il est très
bon administrateur, il est pris de panique dès qu'il doit prêcher80. Le
candidat préconisé exprime parfois ses scrupules à accepter. Un seul
commence par opposer un refus explicite et motivé81.
Quelle que soit la procédure, la Propagande retient presque
toujours le prêtre classé en tête au point que la constitution d'une terne
devient pour les supérieurs des instituts un exercice destiné à
respecter formellement les droits de Rome. C'est l'opinion que
Lavigerie se permet d'exprimer ouvertement : «Je prie donc mes Eminen-
tissimes Collègues de vouloir bien proposer à Sa Sainteté le R.P.
Anatole Toulotte pour V. ap. définitif du Sahara... Toutefois pour
me conformer à l'usage et mettre la Sacrée Congrégation dans la
possibilité de choisir entre plusieurs candidats pour une charge de

78 A.C.P.F. Acta 260 (1890) f. 66-69 r.


79 A.C.P.F. Acta 271 (1901), f. 575-577. Nomination de l'évêque de Nagpore.
80 A.C.P.F. Acta 253 (1884) f. 410-413, 23 juin 1884.
81 Le capucin Francesco Fogolla refuse dans un premier temps de devenir
coadjuteur pour le Chansi sept. (A.C.P.F., N.S. 167/1899, f. 96-98v.).
322 LA DIRECTION DES MISSIONS

cette importance, je me permettrai de lui indiquer deux autres


sujets...»82.
Plusieurs exemples confirment cette impression que les jeux
sont faits avant le congresso. Sans disposer de l'autorité du
fondateur des missionnaires d'Alger, Livinhac ne craint pas de se placer
en troisième position de la terne qui concerne en 1897 le Victoria
Nyanza septentrional. «Comme troisième nom, puisque le Conseil
veut bien me le permettre, je prends la liberté de proposer
humblement le mien». La ponenza y voit le fruit de sa grande humilité et de
son zèle apostolique qui le font rêver de laisser sa charge pour
repartir en mission83.
Dernière illustration du poids des missionnaires dans la prise de
décision, le lazariste Sarthou84, profitant de l'autorité que lui donne
sa récente nomination de vicaire apostolique à Pékin, réussit à faire
écarter le candidat préconisé par la Propagande pour le Tchely (ou
Pe-Tchi-li) oriental. Son oppposition, exprimée sans explication
dans un télégramme, suscite d'abord l'étonnement du supérieur des
lazaristes et la surprise des cardinaux qui demandent une
justification (16 mars). Elle arrive un peu plus tard : Mgr Sarthou juge le
père Windhoven «trop timide et indécis», pas sympathique, selon
plusieurs confrères excessivement scrupuleux. Un nouveau
congresso est donc nécessaire pour retenir à sa place Jules Bruguière85.
Cet équilibre des forces, favorable aux sociétés missionnaires,
peut à tout moment être modifié au profit de la Propagande qui ne
renonce jamais à ses prérogatives. La nomination d'un délégué
apostolique aux Indes orientales joue dans le sens d'un
affaiblissement des mécanismes de cooptation. Zaleski demande à être
systématiquement tenu au courant. Dès 1894, le délégué apostolique est
consulté mais son avis n'est pas toujours suivi. S'il recommande
avec succès de choisir le coadjuteur que souhaite l'évêque de Dacca,
le congresso préfère s'en tenir à l'opinion du général des jésuites
dans la nomination de l'évêque de Pointe-de Galle (Ceylan). Zaleski
souhaitait que Mgr Van Reeth demeure directeur du Séminaire
central de Kandy86. On fait encore appel à l'avis du délégué pour
trancher une divergence apparue entre l'évêque de Vérapoly, Mellano, et

82 A.P.B1. C. 5-7 (Copie 3185/2) Lavigerie à Simeoni, Préfet de la Propagande,


14 avril 1891.
83 A.C.P.F. Acta 267 (1897) f. 114 v et 115 v. 11 janvier 1897.
84 A.C.P.F. Acta 260 (1890), f. 44-46 r. : nomination de Jean-Baptiste Sarthou
v. ap. du Tcheli sept., 12 mai 1890.
85 A.C.P.F. Acta 261 (1891) f. 21-23 : opposition de Sarthou; f. 1167-118 :
demande d'explication; f. 273-275 : nomination de J. Bruguière.
86 A.C.P.F. Acta 264 (1894), t. 291-295 : nomination de Mgr Joseph Hurth,
coadjuteur de l'évêque de Dacca. Ibid. f. 539-542 : Nomination de Mgr Van
Reeth, évêque de Galle.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 323

le vicaire général des carmes déchaussés. Il appuie la proposition de


coadjuteur formulée par l'évêque et les cardinaux nomment leur
candidat commun87. Le conflit persistant qui oppose Zaleski aux
oblats de Marie, implantés à Ceylan, lui donne encore l'occasion
d'affirmer son autorité en 1898. Les missionnaires proposent une
terne qui place à la deuxième place le père Collin, à peine sorti d'une
longue lutte contre le délégué qui avait exigé son renvoi l'année
précédente. Zaleski ne se prive pas de distribuer bons et mauvais points
et de faire la leçon aux oblats : le n° 1, Isidore Belle, manque
d'instruction; le n° 2, Charles Collin, ignore le droit; le n° 3, Antoine Cou-
dert a seul l'éducation et les qualités nécessaires. L'opinion de
Zaleski est suivie par le congresso, probablement soucieux de poursuivre
sa politique d'apaisement. Mais il faut surtout observer que le
délégué introduit des critères ecclésiatiques typiquement romains,
insistant sur l'extérieur, l'éducation, la connaissance du droit canon88.
Par contre Zaleski ne peut imposer aux jésuites la nomination à
Calcutta du père Grosjean, jugé dépensier et aventureux par la
compagnie89.
L'évolution constatée aux Indes est-elle la prémisse d'un
nouveau progrès de la centralisation romaine ou le résultat d'initiatives
propres à Zaleski? Elle confirme du moins la propension de la
Propagande à élargir son contrôle sur des domaines où elle laissait
généralement les coudées franches aux missionnaires. Pour l'heure
l'intervention de la Propagande est surtout déterminante dans les
situations de crise, pour dénouer un conflit qui paralyse la mission.
Le séminaire St Pierre-et-Paul, fondé à Rome par Pie IX, éprouve
beaucoup de difficultés à administrer la mission qu'il a fondée au
Chensi méridional. La démission du vicaire apostolique en mai
1892, autorisé à retourner «in famiglia», provoque une vacance de
trois ans, ponctuée par deux ternes que désapprouve le supérieur
des missionnaires. Ce dernier finit par imposer le candidat classé
par deux fois en troisième position, Giuseppe Passerini90.
Les principales difficultés proviennent des territoires qui ne sont
pas confiés à une société. Elles incitent à les faire entrer dans le droit
commun, sur le modèle de l'archevêché de Madras, progressivement
confié aux missionnaires britanniques de Mill-Hill. Le congresso
décide en 1881 de choisir dans cette société le chef de l'archidiocèse,

87 A.C.P.F. Acta 265 (1895), f. 525-527, 16 décembre 1895.


88 A.C.P.F. Acta 269 (1898), f. 433-436, 6 juin 1898. Une analyse plus détaillée
montrerait d'une manière générale que les italiens prêtent une plus grande
attention à l'apparence sociale et aux bonnes manières des candidats.
89 A.C.P.F. Acta 273 (1902), f. 50-53, 27 juillet 1901.
90 A.C.P.F. Acta 265 (1895), f. 86-94, 21 janvier 1895.
324 LA DIRECTION DES MISSIONS

puis en 1882 de l'affilier à terme. Cependant en 1894 le collège de Mill-


Hill paraît toujours incapable d'assumer la charge d'un territoire
aussi vaste et peuplé. Le statu quo est prolongé avec la désignation du
père Théophile Mayer en qualité de coadjuteur91. Le statut hybride
des deux vicariats du Cap amène également des interventions plus
nombreuses. Ces territoires dépendant de missionnaires séculiers
britanniques, la constitution des ternes y est laborieuse92.
Autre cas de figure exceptionnel, la Propagande peut être
amenée à trancher entre deux opinions divergentes. Elle se conforme
alors à l'avis du supérieur. Elle suit par exemple le père Delpech,
supérieur des M.E.P., plutôt que le vote des missionnaires, pour
nommer Laurent Quillon au vicariat de Mandchourie en 188993.
Enfin, à deux reprises, une intervention inattendue vient
interrompre le processus normal. Le congresso choisit le jésuite Jean
Barthe pour le siège de Trichinopoly en 1890. Sa nomination semble
acquise quand survient un télégramme sybillin : «Barthe
administrateur, graves inconvénients. Demandez Propagande délai, lettre
explicative.» Nous n'avons pas retrouvé cette lettre, qui n'empêchera
pas l'intéressé d'être désigné, selon une procédure inhabituelle, par
le secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires94. La
nomination du Vicaire apostolique du Bénin est également l'occasion
d'une situation embrouillée. Natale Radaelli, proposé par le père
Planque et retenu par les cardinaux, est accusé par son supérieur
local de manquer aux bonnes mœurs. Malgré une enquête qui tend à
le disculper, une nouvelle terne est composée dans laquelle la
Propagande préfère le candidat classé second, Joseph Lang95.
A vingt-cinq ans de distance (1878-1903), la comparaison des
évêques et vicaires apostoliques fait apparaître quelques
infléchissements. L'âge moyen à la nomination s'élève légèrement, la durée
moyenne de vie plus sensiblement. La mortalité très élevée de
certaines zones (Afrique occidentale et equatoriale) n'est pas une
donnée universelle, en tout cas elle n'est pas sensible ici. La ventilation
des nationalités montre un renforcement de la prépondérance
française, malgré l'effort d'internationalisation du recrutement et la
prise en compte de la colonisation allemande, belge, britannique.

91 A.C.P.F. 264 (1894), t. 487-494, 16 juillet 1894.


92 A.C.P.F. 266 (1896), f. 485-490. Nomination d'un coadjuteur pour le v. ap.
du Cap oriental.
93 A.C.P.F. Acta 259 (1889), f. 787-790.
94 A.C.P.F. Acta 260 (1890), ponenza 4 a, renvoie à S.C. Indie Orientali, 35
(1890) t. 199-217.
95 A.C.P.F. Acta 273 (1902) f. 154-156 et 174-176, 24 mars et 2 juin 1902. Lang
a une plus longue expérience du Bénin, une meilleure santé et connaît plusieurs
langues. Son «concurrent», le suisse Isidore Klaus, sera nommé en 1904 v. ap. de
Côte d'Or.
LA GESTION AU QUOÏÏDIEN 325

Enfin les M.E.P conservent aisément la première place devant les


jésuites pour le nombre de missionaires.

1878 1903

Age moyen de nomination 42,3 ans 44 ans

Durée moyenne de vie 54,3 68,3

Français 35 (51,5%) 79 (60%)


Italiens 17 (25%) 16 (12%)
Belges 4 (5%) 8 (6,5%)
Espagnols 5 (7,3%) 6 (4,7%)
Hollandais 2 5

M.E.P. 21 (30%) 33 (26%)


Jésuites 6 (9%) 10 (8%)
(L'absence des préfets apostoliques entraîne une sous-représentation des
missions africaines).

6 - Le. contrôle des sociétés missionnaires^ .

En amont : le renforcement constant des moyens de contrôle.


L'autonomie concédée aux instituts dans le choix des chefs de
mission, par nécessité plus que par conviction, n'affecte pas l'autorité
de la Propagande comme instance de légitimation et de contrôle. La
gestion des relations avec les sociétés missionnaires en apporte une
confirmation éclatante. De même que la liberté inhérente à la vie
missionnaire a pour corollaire l'élaboration d'une réglementation de plus
en plus abondante, l'attribution des territoires s'accompagne
d'instruments propres à éviter tout mouvement centrifuge.
Tout l'édifice repose sur l'affirmation sans cesse répétée que les
instituts missionnaires sont soumis, avant toute autre autorité, à
celle de la Propagande. Ainsi que le rappellent les délibérations de
1885 et 1901, nul institut diocésain n'a le droit de s'établir en dehors
de son diocèse sans l'autorisation de la Propagande97 et nul institut
religieux ne peut fonder de nouvelles maisons sans cette même
autorisation98. Comme le précise le commentaire de l'Annuaire -pontifical

96 Pour une vue d'ensemble se reporter à Rafael Moya, La colaboracion de las


Ordenes y Congregaciones religiosas y de las Sociedades y Seminarios para las Mi-
siones. In Memoria rerum III/l, p. 123-152.
97 A.C.P.F. Acta 254 (1885), f. 317-318r. Relation verbale du 6 juillet 1885.
98 Lettre de Ledochowski aux ordinaires dépendant de la Propagande, 7
juillet 1901. Questions actuelles, T. LXII, 1902, p. 222.
326 LA DIRECTION DES MISSIONS

catholique «cette jurisprudence est spéciale à la Propagande, car,


dans les autres pays, l'autorité de l'Ordinaire n'est aucunement liée
par une permission préalable à demander à la S.C. des Evêques et
Réguliers»99.
Cette insistance est d'autant plus importante que les initiatives
émanant directement de Rome pour former des missionnaires
rencontrent peu de succès. La procédure des missionnaires
apostoliques recrutés par examen à Rome tombe en désuétude100. Les
collèges dépendant exclusivement de la Propagande, y compris le
collège Urbain101, jouent un rôle très faible si on le rapporte à
l'ensemble de l'expansion missionnaire. Certains d'entre eux
survivent très médiocrement. Le séminaire Saint Pierre et Saint Paul
compte en 1886 un effectif de 8 élèves, contre 202 au séminaire des
Missions étrangères de Paris, 195 à celui de Steyl et 55 à celui de
Mill-Hill. Le collège chinois de Naples doit renoncer à ses objectifs
initiaux et le congresso se résout en 1891 à le confier aux lazaristes
italiens et à le transformer en Collegium pro Aethiopis et Sinensibus.
Mais les lazaristes ayant décliné l'offre, l'établissement est supprimé
le 30 mai 1892 et les trois derniers étudiants chinois sont ramenés
dans le Collège Urbain102. Paradoxalement, pendant que les
initiatives fleurissent en Europe, Rome ne réussit pas à créer des
institutions spécifiquement romaines. Dès lors toute la politique de la
Propagande consiste à multiplier les précautions pour garder l'entière
maîtrise des sociétés missionnaires sans paralyser leur expansion.
Seuls les collèges pontificaux exigent un serment de fidélité à la
Propagande. L'hypothèse de le supprimer, malgré ses inconvénients,
est repoussée en 1894 par le congresso™3. Mais les nouvelles sociétés
missionnaires sont également l'objet d'une surveillance attentive
avec l'instauration d'une commission spéciale de consulteurs104, puis
d'une Commission permanente pour l'examen des règles et des consti-

99 Ann. pont. 1903, p. 496.


100 Cf A.C.P.F. la série Esami dei Missionarì qui se prolonge officiellement
jusqu'en 1896 mais ne contient pratiquement plus d'examens à l'exception de
quelques franciscains et capucins italiens destinés à l'Asie. Le nombre de
candidats varie en dents de scie, entre 17 (1879) et 3 (1893 et 1895), pour tomber à un
seul en 1896.
101 Cf. Memoria rerum III/l p. 99-121. Maksimilijan Jezernik. «Il Pontificio
Collegio Urbano de Propaganda Fide». La moyenne des élèves est de 100 à 120
mais seule une partie se destine aux missions chez les infidèles.
102 A.C.P.F. Acta 248 (1880) f. 309-344 v; vol. 261 (1891) f. 476-477 et 262
(1892), f. 332-345. Pour plus de détails, voir Memoria rerum, III/I, p. 521-522.
103 A.C.P.F. Acta 264 (1894) f. 269-275 r. La formule du serment comporte la
promesse de rester dans la province ou la mission d'origine, ce qui entre en
contradiction avec l'éventuelle adhésion à une congrégation «transterritoriale».
Le congresso décide néanmoins le 30 mai 1894 «nihil est innovandum».
104A.C.P.F. Acta 252 (1883) f. 1067, 13 août 1883.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 327

tutions des instituts religieux. Elle procède à un examen minutieux


des projets de satuts. Citons quelques exemples tirés des
délibérations de la Propagande :

1879 : Constitutions des missionnaires d'Afrique (pères blancs).


Les cardinaux modifient l'article Β en rappelant qu'un chapitre de
congrégation ne peut pas interprêter souverainement les
constitutions, droit réservé à la Propagande105.
1883 : A propos de l'érection d'un collège augustinien à Rome, la
note de l'archiviste souligne que les collèges des capucins doivent
être placés sous la dépendance immédiate de la Propagande106.
1886 : Examen des statuts de l'Institut lombard pour les
Missions Etrangères (P.I.M.E.). L'article 14 mentionnait que les
relations entre les Missions et la S.C.P. se maintenaient par
l'intermédiaire de la Maison-Mère. Le congresso fait ajouter après «se
maintiennent» ordinairement. Le projet avait pourtant eu soin de se
référer au précédent du Séminaire des M.E.P. dont le règlement (art.
40) exige de faire passer tous les différends par Paris avant de les
soumettre à la Propagande. Désormais la possibilité de
communiquer directement avec Rome s'impose au contraire.
1889 : Approbation des Constitutions du Séminaire des Missions
africaines de Lyon107. L'examen, entrepris en janvier 1889, est repris
en juillet car les cardinaux exigent notamment que le lien avec le
Saint Siège soit mieux défini et affirmé. Ils approuvent l'opinion
exprimée par le consulteur, le père Cazenave, procureur des M.E.P. à
Rome108 : «la mission ne peut être considérée comme confiée à la
Société qu'en tant que le St Siège l'en a chargée par une acte positif. . . On
ne peut pas dire que la Société choisit le Supérieur d'une mission. . . et
que le St Siège l'investit simplement de son autorité. Le St Siège le
nomme directement et, tout au plus, sur la proposition de la société».
Il en découle une rédaction qui symbolise les préoccupations
romaines d'établir sans ambiguïté, conformément à la «commission»,
le lien direct et immédiat entre chef de mission et Propagande. La
première mouture contenait le texte suivant :

«Chapitre 1. La société des Missions africaines se met sous la


protection de la S. C. de la Propagande à l'autorité de laquelle elle restera

105 A.C.P.F. Acta 247 (1879) f. 25-34. Demande d'approbation des Règles et
Constitutions des Missionnaires d'Afrique, 3 février 1879.
106 A.C.P.F. Acta 252 (1883) f. 1071 r. Relation du 1er octobre 1883.
107 A.C.P.F. Acta 259 (1889) f. 508 à 648. Sur l'approbation des Constitutions
et du séminaire des Missions africaines de Lyon. Renvoie aussi à Atti della
Commissione per la revisione delle Regole (1890), voi. 8, pon. 2 a.
108 Ibid. f. 575r-576r.
328 LA DIRECTION DES MISSIONS

toujours parfaitement soumise. Elle a pour but l'évangélisation de


l'Afrique, quelque difficile qu'elle soit, quand le St Siège juge à propos de
lui confier.»
La nouvelle rédaction précise à propos du Supérieur de la
Mission : «Le choix et la nomination des Supérieurs des Missions, soit
Vicaires ou Délégués, ou Préfet apostolique, appartiennent
uniquement au St Siège, dont ils relèvent immédiatement»™9.
La dépendance dé la Propagande et la définition des modes de
liaison ou de contrôle est encore au centre de la réforme des
missions des capucins110 ou des projets de statuts pour les missionnaires
du collège de Mill-Hill. Plusieurs corrections visent à préciser la
subordination à la Propagande111. Ainsi, la Propagande s'applique à
inscrire dans les statuts des nouvelles sociétés l'ultramontanisme qui
inspire les fondateurs, ou à profiter de la révision des règlements des
anciennes congrégations112.

En aval : l'entière domination des mécanismes d'approbation.

Le contrôle des instituts, instauré par l'examen des Règles, se


poursuit à travers une procédure complexe de mise à l'épreuve. Elle
consiste en approbations provisoires dont l'ordre, le degré et la
durée sont entièrement laissés à l'appréciation de la Propagande. Quels
que soient les garanties et le prestige des fondateurs ou protecteurs,
nul n'échappe à ce temps de probation. Les pères blancs de Lavige-
rie n'obtiennent que des approbations provisoires du vivant du
cardinal. Loin d'être influencé par la notoriété et les relations romaines
de l'évêque d'Alger, et bien qu'ancien missionnaire, le consulteur J.F.
Allard, ancien vicaire apostolique du Natal, (OMI) préconise une
approbation ad experimentum, parce qu'à ses yeux la société a été
gouvernée jusqu'ici de manière exceptionnelle et doit expérimenter un
«état normal» sous un supérieur général113. La société des missions
africaines de Lyon est soumise à un contrôle encore plus tatillon qui
fait parfois désespérer ses supérieurs d'obtenir l'approbation
définitive. Le cardinal Vaughan, qui a le collège anglais de Mill-Hill sous

109 Ibid. f. 536 r.


110 A.C.P.F. Acta 257 (1887) f. 255-297. Missions des capucins.
111 A.C.P.F. Acta 267 (1897) f. 79-100. Approbation des Règles de la Société de
St Joseph de Mill-Hill pour les Missions extérieures. Corrections : f. 84v.
112 A.C.P.F. Acta 267 (1897) f. 187-195. Révision des statuts des Missions
dominicaines. Le règlement se réfère à l'autorité de la Propagande dès la première
ligne : «Missiones apostolicae, quarum cura a Summo Pontifice, per organum
S.C. de Propaganda Fide.». Les Collectanea y sont abondamment citées.
113 A.C.P.F. Acta 247 (1879), f. 33. Le consulteur mentionne aussi l'argument
traditionnel : «enfin on ne connaît pas encore quels sont les résultats que la
Société a obtenus dans son œuvre».
LA GESTION AU QUOTIDIEN 329

sa juridiction, est lui aussi astreint à la rédaction d'un rapport


justificatif détaillé en 1894, avant que le séminaire n'obtienne trois ans
plus tard une reconnaissance officielle pour dix ans114. Un tableau
récapitulatif évitera une description répétitive et matérialisera les
variations subtiles de la procédure avant d'accorder l'approbation
définitive aux sociétés missionnaires.

Tableau n° 14
APPROBATION DES SOCIÉTÉS MISSIONNAIRES PAR LE SAINT-SIÈGE

Sociétés partiellement missionnaires Fondât. Approb. Approb.


provis. définit.

Assomptionistes (Augustins de l'A.) 1845


Miss. Fils du Cœur Imm. de Marie (Clarétins) 1849 1860 1870
Frères de Marie ou Marianistes 1817
Maristes ou Société de Marie 1816 1836 1873
Miss, du S. Cœur d'Issoudun 1854 1869 1874
Miss. Oblats de St F. de Sales d'Annecy 1838 1843 1889
Oblats de Marie Immaculée (O.M.I.) 1816 1826
Oblats de St François de Sales de Troyes 1871
Pallotins ou Pieuse Société des Missions 1835 1839 1910
Picpuciens ou Cong, du S.C. de J. et Marie 1805
Prêtres de Ste Croix 1839
Prêtres du S.C. de J. de St Quentin 1877 1888 1906
Salésiens de Don Bosco 1859 1864 1874
Société du Divin Sauveur (Salvatoriens) 1881 1901 1910

Sociétés exclusivement missionnaires

Institut des Miss. Etr. de la Consolata (Turin) 1901 1909 1923


Missionnaires de Mariannhill 1822 1936
Missionn. du S. Cœur de Jésus (Comboniens) 1867 1894
Miss, du C. Im. de Mar. (Scheutistes Verbistes) 1862 1888 1900
Prêtres des M. Etrangères de Milan (P.I.M.E.) 1850 1926*
Soc. des Missions Afric. de Lyon 1856 1890 1900
Soc. des M. Etrangères de Maryknoll 1911 1915 1930
Soc. de St. Joseph de Mill-Hill 1866 1897 1908
Soc. de St F.-Xavier des M. Etr. de Parme 1895 1906
Soc. M. E. du Sém. des St Pierre et Paul (Rome) 1867 1926*
Société du Verbe Divin ou Miss, de Steyl 1875 1901 1910
* Fusion en 1926

114 A.C.P.F. Acta 265 (1895) f. 16-18r. Renseignements transmis par le


cardinal Vaughan sur le Séminaire collège de Mill-Hill. Acta 267 (1897) f. 79-100.
Approbation provisoire ad decennium.
330 LA DIRECTION DES MISSIONS

Le cas le plus spectaculaire est peut-être celui des missionnaires


de Vérone. Les espoirs mis dans la mission du Soudan en 1872 se
sont transformés en douloureuses désillusions avec la révolte du
Mahdi. La jeune société traverse après la mort de Comboni en 1881,
sous la direction très contestée de Mgr Sogaro, une longue crise. Le
séminaire de Vérone compte seulement 27 élèves en 1891, alors que
la mission du Soudan reste fermée. Le dubbio qui résume le rapport
du consulteur, daté du 2 juillet 1891, met en valeur les multiples
raisons de ne pas approuver l'institut : manque de recommandations,
jeunesse et faible extension de la société (Vérone et le Caire),
personnel restreint (17 profès et 16 novices), absence de motifs sérieux de
croire à un prochain essor... Cette situation détermine la
Propagande à la plus extrême réserve, tant envers la branche masculine
que féminine. Les deux délibérations de la Commission pour
l'examen des Règles concluent en 1891 et 1892 à une dilata.115.

La Propagande comme instance de recours et contre-pouvoir au sein


des instituts.
Dès l'examen des statuts, la Propagande vérifie que les pouvoirs
du supérieur sur les missionnaires ne sont pas exorbitants et
préservent des possibilités de recours à Rome. Les Règles des
missionnaires d'Alger sont modifiées en ce sens en 1879 par le congresso116.
Le rapport du pere Corrado consacré aux constitutions des Fils du
S. Cœur de Jésus (Vérone) insiste de la même manière pour que soit
tempérée l'autorité illimitée du supérieur.
Une attention identique est portée au fonctionnement de la
mission. La distribution des tâches entre le vicaire apostolique (ou
l'évêque) et le supérieur religieux, la distinction entre la propriété de
la mission et celle des réguliers sont fixées par les constitutions Fir-
mandis (1744) de Benoît XIV et Romanos pontifìces (1881) de Léon
XIII117. Les textes tendent à séparer nettement les offices118, à
renforcer l'autorité du chef de mission face au supérieur religieux, à
dégager le premier de ses liens avec son institut en établissant une rela-

115 A.C.P.F. Acta 264 (1894) f. 48r-74v. Constitutions des Fils du S. C. de


Jésus, missionnaires au Soudan (Verone), septembre 1891, f. 49-123 : Institut des
Sœurs dites Pie madri della Nigrizia, octobre 1892.
116 A.C.P.F. Acta 247 (1879), f. 25-34.
117 La Constitution Romanos Pontifìces (8 mai 1881) porte en sous titre : «Qua
nonnulla controversiarum capita inter episcopos et missionarios reguläres An-
gliae et Scotiae definiuntur». Une note précise dans les Collectanea 1907, vol. 2,
n° 1552, p. 145) : «Quae hac Const. Praescribuntur ad plures alias Missiones
Apostolica auctoritate extensa sunt».
118 La séparation rigoureuse des offices de supérieur religieux et de supérieur
de la mission est une des corrections imposées par le consulteur Smeulders et la
Propagande à la SMA (Acta 260, 1890, f. 10).
LA GESTION AU QUOTIDIEN 331

tion directe et privilégiée avec la Propagande. Un décret du 12 août


1851 soumet particulièrement les missionnaires de la compagnie de
Jésus à l'autorité unique du vicaire apostolique, défini comme étant
aussi Supérieur régulier primaire et perpétuel119.
La rupture avec la tradition d'exemption vis-à-vis de l'Ordinaire
déclenche une avalanche de protestations et de réclamations auprès
de la Propagande120. Les points les plus disputés portent sur
l'autorité respective du vicaire apostolique et des supérieurs religieux,
d'autant que tous appartiennent à la même société. Les cas d'abus de
pouvoir du chef de mission sont longuement exposés. Sur ces
divergences se greffent des contestations multiples sur la propriété des
biens et les legs en faveur des missions. Toutes les tentatives pour
abroger le décret de 1852, sous Pie IX puis Léon XIII, se heurtent au
refus de la Propagande après des débats animés si l'on se fie aux
votes exprimés. En 1879 les cardinaux acceptent de procéder à une
enquête auprès des vicaires apostoliques sur la nomination des
supérieurs mais refusent d'abroger le décret de 1851 m. L'espoir que la
compagnie soit soumise à des règles plus favorables à la juridiction
des supérieurs, telles que les fixe la constitution de Benoît XIV Apos-
tolicum Ministerium, s'envole en février 1880 après la décision
négative des cardinaux122. Cependant la même congrégation générale
admet la nomination d'un supérieur régulier par le Préposé général,
après accord du vicaire apostolique. Sa compétence s'étend à tout ce
qui concerne la vie religieuse alors que le vicaire apostolique
demeure seul maître du ministère apostolique. La résolution des
cardinaux rétablit une dyarchie relative. Elle ne satisfait pas la
compagnie. Le Général s'adresse au pape pour exprimer ses craintes et sa
conviction que les nouvelles dispositions ne mettront pas fin aux
inconvénients existants123. Insatisfait mais fils soumis du pape, le père
Beckx adresse peu après au Préfet Simeoni un acte solennel
d'obéissance conforme à la tradition de la compagnie :
«Petrus per Leonem locutus est... si compiaccia di sottomettere ai
piedi di Sua Santità questa umile protesta di nostra pienissima
sommissione»124.
La référence au principe Roma locuta, causa finita, n'empêche
pas le Général de décliner un peu plus tard l'offre de la Propagande

119 Collectanea 1907, vol. 1, n° 1065, p. 575.


120 ARSI. Les documents sont regroupés sous le titre Mission 1 Propaganda
Fide. De regimine Missionum 1846-1886.
121 A.C.P.F. Acta 247 (1879) f. 63, 23 janvier 1879.
122 A.C.P.F. Acta 248 (1880) f. 162 et ss., 23 février 1880.
123 ARSI. Curie Rome vol. II, p. 642-644, Beckx à Léon XIII Fiesole, 22 mars
1880.
124 ARSI. Curie, Rome, vol. III, Beckx à Simeoni, Fiesole, 17 mai 1881.
332 LA DIRECTION DES MISSIONS

qui veut désigner un jésuite à la tête du Vicariat d'Afrique centrale


pour succéder à Comboni125. Non sans humour, Beckx observe qu'il
est périlleux de donner à des religieux un supérieur régulier
appartenant à un autre institut! Pour remédier aux abus de pouvoir et
mieux protéger les religieux, la réunion des cardinaux améliore la
délimitation des domaines de compétence126. Il faut cependant
attendre 1895 pour que la Propagande accorde aux jésuites de
nommer le supérieur régulier indépendamment de l'Ordinaire, mais
uniquement dans les missions de l'Inde où la hiérarchie a été établie.
En outre la réponse précise que le Père général prendra
«officieusement» l'avis de l'évêque concerné127.
Forte de son appareil juridique, la Propagande peut agir à tout
moment dans la vie des missions. Elle exerce d'abord une fonction
de recours et d'arbitrage quand surgissent des différends entre
religieux de diverses sociétés missionnaires, voire au sein d'une
congrégation touchée par une sécession interne. La gestion relativement
rapide du conflit surgi au sein des religieuses de la société de Marie
Réparatrice implantées en Inde témoigne d'une réelle efficacité.
Hélène de Chappotin (en religion Marie de la Passion) quitte l'institut
avec dix-huit consœurs en 1877 et décide de fonder un nouvel
institut. Elle donne ainsi naissance aux franciscaines missionnaires de
Marie qui bénéficient d'une approbation par «décret de louange»
dès 1885128.

De l'arbitrage aux sanctions : la régulation autoritaire.

Mais les interventions les plus déterminantes sont provoquées


par des conflits qui mettent en cause le chef de mission nommé par
la Propagande. A trois reprises, celle-ci est ainsi conduite à
sanctionner des personnalités de première importance : Mgr Meurin, vicaire
apostolique de Bombay; Mgr Sogaro, vicaire apostolique d'Afrique
centrale et supérieur des missionnaires de Vérone; Mgr Anzer
vicaire apostolique du Chantong méridional et homme clé dans les
relations diplomatiques entre le Vatican, l'Allemagne et la Chine. Sans
entrer dans le détail de ces affaires délicates, et parfois douloureuses

125 Ibid. p. 25, Fiesole, 25 novembre 1881.


126 A.C.P.F. Acta 256 (1886) f. 1 et ss., 18 janvier 1886. Les résolutions de 1851,
1880 et 1886 sont également conservées in ARSI Mission 2, Varia juridica et his-
torica, 1820-1886.
127 A.C.P.F. Acta 265 (1895) f. 18 a-25 v, 21 janvier 1895.
128 A.C.P.F. Acta 254 (1885) f. 277-306, 6 juillet 1885.
LA GESTION AU QUOTIDIEN 333

pour les intéressés, il est possible de repérer quelques permanences


dans la gestion de ces crises. Les obstacles à une solution équitable
sont nombreux. L'éloignement géographique rend difficile le
jugement de Rome. Les susceptibilités des congrégations exigent
d'avancer prudemment. La Propagande y fait face par le refus de toute
précipitation et l'appel à des témoignages multiples. Le cas Meurin est
traité par l'intermédiaire du délégué apostolique Agliardi, du
supérieur provincial et du général des jésuites. Celui d' Anzer nécessite,
outre la consultation du supérieur général, l'enquête d'un évêque
voisin, malgré le risque de réveiller les rivalités congréganistes. La
bonne marche de la mission (Meurin), le rétablissement de
l'harmonie au sein de l'institut (Sogaro), la crainte d'un scandale (Anzer)
déterminent, au terme d'investigations contradictoires, le déplacement
des intéressés.
Les sanctions sont adaptées à la gravité de la faute. Mgr Meurin
réussit à transformer son départ en mutation sans être «rétrogradé».
Il obtient l'archevêché de Port-Louis (Maurice)... où son
administration ne sera guère plus appréciée129. L'administration de Mgr Sogaro
est l'objet de critiques plus graves car coupable de ne pas avoir tenu
compte des observations romaines. Le congresso délibère le 28 mai
sur l'état de la mission de Vérone et dresse un constat de carence qui
met gravement en cause le prélat. Le Cardinal di Canossa, évêque de
Vérone et protecteur de la société, les supérieurs religieux et les
missionnaires sont tombés d'accord pour demander la révocation du
vicaire apostolique pour «non-convenance« (indoneità). On souligne
que les mesures décidées antérieurement, à la demande de la
Propagande, n'ont pas été appliquées par celui-ci. Les informations
affluent pour dénoncer l'incurie et l'absence de toute concertation
dans l'administration temporelle, le manquement aux obligations de
chef de mission (aucun rapport n'a été envoyé à la Propagande),
l'incompétence en matière de droit ecclésiastique. D'autres dénoncent
les abus liturgiques : les messes sont accompagnées de concerts de
musique de chambre, avec violons, solistes et chœurs féminins... à
Alexandrie, pays musulman. Enfin Mgr Corbelli, vicaire apostolique
d'Egypte se plaint des empiétements de juridiction de Sogaro qu'il
accueille sur son territoire. A ces griefs s'ajoutent les mauvaises
relations du supérieur avec les missionnaires au moment où des
tractations sont en cours pour ouvrir une maison en Autriche. La ponenza
conclut le rapport par un jugement sans appel du cardinal di
Canossa. Sur la proposition de Ledochowski, Sogaro est nommé arche-

129 Sur l'affaire Meurin : Acta 256 (1886), f. 1 à 240. Sur les décisions du 5
avril 1880 autour des missions des jésuites et sur quelques difficultés concernant
le vicaire apostolique de Bombay, 18 janvier 1886. (La ponenza figure aussi vol.
255, f. 2 à 21).
334 LA DIRECTION DES MISSIONS

vêque titulaire d'Amida pour que la révocation du prélat ne porte


pas préjudice à sa réputation130.
Dans chacun de ces cas, la démission s'impose comme
inévitable. Bien que les accusations soient relativement faciles à établir
quand elles concernent les méthodes administratives et pastorales
de Meurin, ou les mauvaises relations de Sogaro avec les autres
missionnaires, elles sont toutes longuement vérifiées. Elles suscitent un
surcroît de précautions quand elles mettent en cause la moralité, le
comportement en public et le ministère de Mgr Anzer. Ouverte en
1895 par les plaintes de plusieurs missionnaires, l'enquête contre le
prélat allemand est suspendue après les explications données par
l'accusé. D'autres plaintes arrivent en août 1901, toujours transmises
par le supérieur de Steyl, Janssen. Elles conduisent à consulter le
vicaire apostolique du Chantong oriental voisin, le franciscain Cesario
Shang, qui disculpe son confrère. Mais les témoignages convergents
continuent de mettre en cause Anzer. La Propagande désigne le
jésuite Paris, vicaire apostolique de Nankin, qui confirme les
accusations. Placée dans une situation délicate, la Propagande envoie
d'abord le dossier au Saint-Office, lequel s'estime incompétent et laisse
le congresso statuer. L'affaire se conclut par le rappel à Rome de Mgr
Anzer, sous la forme d'une sèche mise en demeure, accompagnée
d'une menace de suspension. L'évêque allemand mourra peu après
son arrivée dans la cité pontificale131.
Chaque fois la procédure se déroule en sauvegardant les formes.
La sanction est occultée par des raisons (crédibles) de santé pour
justifier la démission, ce qui permet de jeter un voile pudique sur les
véritables motifs dans les biographies ultérieures132. Mais le respect
des individus et la volonté de préserver la réputation de l'Eglise

130 A.C.P.F. Acta 264 (1894), f. 378-385 v. Sur l'état actuel du V. ap. d'Afrique
centrale, 21 avril 1894. Le gouvernement autrichien lui décerne la Grande Croix
de l'Ordre de François-Joseph. Mgr Sogaro vit à Rome jusqu'à sa mort en 1912 et
occupe plusieurs fonctions dans la Curie avant de devenir président de
l'Académie des nobles ecclésiastiques.
131 A.C.P.F. N.S. 261 (1903), f. 915-926. Relation verbale sur Mgr Anzer, s. d.
12 mai 1903. Précédée des pièces du dossier, f. 817-914 (30 janvier 1895 à 27 avril
1903).
132 Lu avec ces informations, le récit de la mort d'Anzer par les Missions
Catholiques (1903, p. 587-588) prend une connotation pathétique. «Mgr von Anzer...
de passage à Rome, est mort subitement le 24 novembre, au collège allemand, dit
l'Anima où il était descendu.. C'est dans toute la force de l'âge et au moment où il
était permis d'attendre beaucoup de son activité et de ses talents que le zélé prélat
a été enlevé par une foudroyante attaque d'apoplexie... M. Rotenham, ministre de
Prusse près le St-Siège, venait d'arriver au collège pour saluer Mgr Anzer, qui
devait partir le jour même pour Berlin. On frappa à la porte du prélat pour le
prévenir. Ne recevant pas de réponse, on enfonça la porte. Mgr Anzer était mort».
LA GESTION AU ΟυΟΉϋΙΕΝ 335

commandent ce silence officiel, plus que le goût du secret, car les


archives romaines conservent scrupuleusement les éléments des
dossiers.
La Propagande peut enfin décider elle-même des mesures
rendues indispensables par l'état des missions confiées à un institut. La
société fondée par Comboni est là encore l'objet de soins particuliers
que requièrent sa fragilité et la protection envahissante du
gouvernement autrichien. Pour écarter le candidat de ce dernier, Xavier
Geyer, missionnaire allemand, le cardinal di Canossa compose une
terne composée de deux italiens et d'un hollandais. Le congresso
retient le religieux placé en première position, Antonio Roveggio.
Entré dans l'institut en 1885, choisi par le suffrage de ses confrères,
expérimenté (il a passé sept ans en Egypte et parle l'arabe), il est
vénitien mais des dispositions ont été prises pour l'inscrire dans le
Trentin afin de le naturaliser autrichien. La solution préserve ainsi
la protection accordée par l'Autriche sans sacrifier l'indépendance
de la congrégation. Ce n'est pourtant que partie remise puisque la
mort prématurée de Roveggio au Soudan amènera l'élection du père
Geyer, repoussée en 1895.
La réforme des missions des carmes déchaussés soulève les
délicates questions de la place de la vie contemplative pour les
missionnaires et du recrutement de religieux indiens (sous quelle forme et
en quelle quantité?). Il reviendra au cardinal Gotti, membre de la
congrégation, de dépasser les divergences et de la mener à bien133.
Ce sont les missions des capucins italiens qui sont au centre de
l'effort le plus important et le plus étendu dans le temps. Le futur
secrétaire de la Propagande, puis cardinal, Ignazio Persico avait alerté
la Propagande dès 1853 sur la nécessité de procéder à la réforme des
missions de son ordre aux Indes. Son plan de réforme, conçu avec
son confrère Hartman vicaire apostolique de Bombay, exposé à la
Propagande en mai 1858, est progressivement mis en œuvre134. Mais
il faut une trentaine d'années avant que la direction des missions ne
soit restructurée, la formation des missionnaires réorganisée, des
statuts missionnaires adoptés avec l'aval de la Propagande et du
Pape135.

133 Cf. l'opinion de l'évêque de Verapoly en 1899 (A.P.F. N.S. 128, f. 492-500,
18 avril 1899) auquel s'oppose le Père Denis de sainte Thérèse, consulteur de la
Propagande (A.P.F. N.S. 1666, f. 492-500, 31 mai 1899 : «Je vais essayer de
dégager la question des brouillards dont le bon évêque de Verapoly l'a enveloppée...»).
Pour une vue d'ensemble voir Elisée De La Nativité OCD, Les Missions des
Cannes Déchaussés in Etudes carmélitaines (1930) p. 1-39.
134 P. Celestino. «Il Cardinale missionario cappucino Ignazio Persico». Studi
e Ricerche Francescane, 10 (1981) p. 115-132.
135 A.C.P.F. Acta 253 (1884), f. 199-261 v. Mesures pour une meilleure marche
des Missions des Capucins, 6 septembre 1884.
336 LA DIRECTION DES MISSIONS

La délégation d'autorité découlant de la commission réserve


donc à la Propagande des pouvoirs étendus et extensible. Malgré son
manque de moyens pour fournir aux missions les hommes et
l'argent qu'elles réclament, la place d'Espagne réussit à canaliser et
réguler le mouvement d'expansion. Ses décisions ne sont pas
infaillibles et elle n'est pas à l'abri d'erreurs de jugements qui lui font
reconnaître de manière prématurée un institut éphémère136. Mais
globalement le renforcement de ses instruments de contrôle sur les
sociétés missionnaires n'a pas ralenti l'essor des instituts. Il a fondé un
droit permanent à intervenir pour arbitrer, sanctionner, réformer. Il
a imposé des règles communes qui contribuent à prévenir
l'appropriation congréganiste des territoires de missions. Il préserve ainsi
pour l'avenir la possibilité d'inventer d'autres modes d'attribution
des territoires qui marquent mieux la distinction entre mission et
société missionnaire, à l'image de l'initiative prise pour la Chine en
1891. Une instruction adressée aux supérieurs généraux les informe
que les missions seront affiliées aux provinces, sous une forme plus
proche d'un véritable contrat puisque les droits et les devoirs y sont
exposés en neuf points137.
La tentation de l'uniformisation comporte aussi le danger
d'étouffer les initiatives et de fondre la diversité des instituts dans un
moule unique. Certains symptômes révèlent la préférence de la
Curie pour le modèle congréganiste avec ses Règles, ses vœux et ses

Cf. Metodio da Nembro. «Interventi di Propaganda Fide e la


riorganizzazione delle Missioni Cappuccini durante il generalato del P. Bernardo da Ander-
matt (1884-1909)». Euntes docete, (1970), p. 41-86.
Acta 257 (1887) f. 255 à 297. Relation avec voto sur le statut des Missions des
Capucins. La décision est d'abord différée par les cardinaux qui souhaitent
entendre le Ministre général et le Procureur général des Missions. Les statuts sont
adoptés ad quinquennium le 20 juin (f. 263-266). Le Ministre général est
désormais seul interlocuteur de la Propagande et responsable unique du collège
destiné à la formation exclusive des futurs missionnaires.
Acta 263 (1893) f. 264-320, 26 juin 1893. Approbation définitive du statut des
Missions des Capucins.
136 L'Institut de l'Annonciation fondé à Oran par le père Abram bénéficie d'un
décret de louange en 1880 à condition de se consacrer au succès des Missions
d'Afrique (Acta 252, 1883, f. 987). Il est approuvé ad decennium en 1884 (Acta 253
f. 53-59v) et définitivement dès 1887, à la demande du fondateur qui fait valoir
son âge avancé. Mais la situation en 1900 est devenue tellement catastrophique
(700.000 F de dettes) qu'il faut décider sa suppression et, avec d'infinies
précautions, l'incorporation des religieux aux spiritains (Acta 271, 1900, 17 septembre,
f. 463-470).
137 Cf. Memoria rerum, III/l, p. 529. «Modus gubernandi missionem provin-
ciae concreditam». «Per fare ciò più speditamente essa fece redigere speciali
modus vivendi molto dettagliati per i singoli istituti religiosi. Dal 1893 al 1916 ne
furono approvati 7, il primo dei quali fu quello dei cappuccini il 17 luglio 1893».
LA GESTION AU QUOTIDIEN 337

statuts. Le non conformisme du statut des puissantes M.E.P. devient


difficile à accepter. Elles constituent depuis leur fondation en 1664
une simple association de vicaires apostoliques, dépendant de la
Propagande, qui entretiennent un séminaire commun pour leurs
missions. Elles doivent soumettre un nouveau règlement qui est
approuvé provisoirement en 1874 et définitivement en 1890. Mais la
Commission présidée par Mazzella souligne le caractère
exceptionnel de cette délibération et semble regretter que la société n'entre
pas dans les classifications traditionnelles138.
De même le préfet Ledochowski tente de faire introduire les
vœux religieux chez les pères blancs. «Insinuare delicatamente ai
Superiore generale che qualora nella Società venissero emessi voti
religiosi, la Propaganda non avrebbe esitato ad accordargli quanto
dimandava»139. La Société du Verbe Divin (Steyl) témoigne d'une
tendance lourde pour adopter le statut congréganiste. Constituée en
1876 en association diocésaine de prêtres séculiers, primitivement
considérée par la Propagande comme société missionnaire, elle se
transforme progressivement en congrégation religieuse centralisée
avec vœux.
Malgré ses réticences devant certains modes originaux
d'organisation et de fonctionnement, la Propagande a néanmoins eu le
mérite de ne pas imposer des transformations qui seraient sans
doute apparues comme une immixtion intolérable dans la vie des
instituts, très attachés à un mode d'adhésion particulier : vœux,
engagement personnel (MEP), promesse (PIME) ou serment
(SMA, pères blancs). La Propagande dispose par ailleurs de
moyens d'intervention suffisants pour tolérer une certaine
diversité des formes juridiques. La fondation de la société missionnaire
de St Joseph (Mill-Hill) prouve qu'il est encore possible d'adopter
une organisation de simple association apostolique sans vœux.
Les sociétés missionnaires sont donc toujours caractérisées,
autour de 1900, par une réelle diversité que recouvre l'expression
assez vague de «société de vie commune». Toute une gamme de
statuts s'affirme, de la monarchie jésuite à la quasi démocratie
interne des M.E.P.140, des solutions intermédiaires étant choisies
par les pallotins, les pères blancs ou les missions africaines de
Lyon. Un des faits les plus singuliers en cette période de centrali-

138 Cf. Memoria rerum III/l, p. 137.


139 A.C.P.F. Acta 270 (1899) f. 376-379, 24 juillet 1899.
140 Jusqu'en 1921 les membres des MEP peuvent rester incardinés à leur
diocèse d'origine. La direction est assurée collégialement par les chefs de mission et
le supérieur du séminaire. Le Code de Droit canon impose à partir de 1922
l'élection d'un supérieur général élu pour dix ans.
338 LA DIRECTION DES MISSIONS

sation et d'uniformisation par le droit canon réside peut-être


dans la vitalité de ces formes associatives missionnaires non
congréganistes. Le champ missionnaire demeure un espace
ouvert à des initiatives et des aventures collectives débordant les
cadres habituels, alors que les entreprises destinées à l'Europe
n'échappent pas longtemps aux normes sous le regard de l'évêque
du lieu et de Rome141.

141 La Société du Divin Sauveur de J.B. Jordan, fondée à Rome en 1881, doit
renoncer à l'organisation initialement prévue qui transgresse les frontières clercs
/laïcs, vie commune/vie séculière et hommes/femmes. (DIP, vol. 8, article Società
del Divin Salvatore).
CHAPITRE 11

MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION


MISSIONNAIRE

\ - Le fil conducteur des interprétations catholiques de la mission :


la piantano ecclesiae.
Le développement relativement tardif de la missiologie
catholique a été marqué dans le premier tiers du XXe s. par l'émergence
de trois théories concurrentes pour fonder l'activité missionnaire.
La première synthèse, proposée à partir de 1917 par l'allemand J.
Schmidlin, adopte une démarche toute classique qui fonde l'action
missionnaire sur l'universalité du salut et met l'accent sur la
conversion des infidèles1. T. Grentrup oppose à cette approche, à
ses yeux influencée par la missiologie protestante, une vision de
spécialiste du droit canon, construite a partir du concept de «dila-
tatio regni Dei»2. Dans cette perspective, il assimile l'action
missionnaire à l'effort déployé pour augmenter le nombre de fidèles,
puis consolider la foi des néophytes. Cette conception rend compte
des préoccupations statistiques et cartographiques effectivement
omniprésentes. Elle correspond aussi à la conviction générale que
les chrétientés locales progresseront par expansion du noyau
initial, jusqu'à englober toute la population. Cependant elle ne permet
pas de décrire avec précision la dynamique missionnaire et ses
modalités concrètes. Aussi nous préférons emprunter à la missiologie
construite par le père Charles, à l'Université de Louvain, le concept
de la «plantatio Ecclesiae» pour caractériser la pensée et l'action de
la Propagande. Cette définition catholique de la mission extérieure
apparaît la plus féconde pour la période que nous étudions. Nous
l'utilisons ici dans une acception volontairement restreinte : la
constitution d'Eglises locales par essaimage des vieilles chrétientés
sous la direction du centre romain. Elle a l'avantage de souligner la
filiation tridentine, fortement marquée dans les textes de la
Propagande.

1 J. Schmidlin, Einführung in die Missionswissenschaft. Münster, 1917;


Missionswissenschaftlicher Lehrerinnenkursus. Münster, 1917; Katolische
Missionslehre im Grundriß. Münster, 1919.
2T. Grentrup, Jus missionarium, Steyl, 1925.
340 LA DIRECTION DES MISSIONS

L'expansion catholique s'effectue, selon cette logique, par le


transfert et la reproduction outre-mer de la pensée, de
l'organisation et des expressions de la foi élaborées au sein du catholicisme
latin. Les Eglises nouvelles sont les filles de l'Eglise romaine dans
sa version occidentale, engendrées quasiment par clonage. Le mot
d'ordre du gouvernement de l'Eglise catholique n'est-il pas en cette
fin de XIXe s. l'uniformisation dans tous les domaines? Celle-ci
consacre la prépondérance du droit canon, au point que les milieux
romains éprouvent le besoin de codifier systématiquement la vie
chrétienne et ses rapports avec les non-chrétiens. Si la rédaction du
Code de droit canon n'est achevée qu'en 1917, toutes les
interventions réglementaires rassemblées par les Collectanea le
préfigurent. Sans doute cette pratique n'est pas nouvelle mais elle revêt
une extension inconnue auparavant. Les progrès enregistrés dans
les moyens de communication permettent d'exercer un contrôle
beaucoup plus étroit et justifient la restriction des pouvoirs
extraordinaires accordés aux missionnaires. Ils sont désormais
distribués en nombre strictement limité et doivent faire l'objet de
renouvellements périodiques. La documentation consacrée à ces
questions est immense, mais répète les mêmes démarches. «Les
feuilles de pouvoir qui me furent accordées par le Saint-Siège au
moment de mon élévation me concédaient la faculté : dispensandi
super impedimento secundi gradus mixti cum primo consanguini-
tatis, pro viginti casibus. J'ai l'honneur d'informer votre Eminence
que, de ces vingt cas, 16 ont été déjà accordés. Un 17eme a été
promis, et un autre encore sollicité. Il ne me reste donc plus à disposer
que de deux cas pour de nouvelles occurrences, lesquelles pourront
se présenter bientôt. Votre Eminence n'ignore pas que, dans ces
pays de l'Inde où règne la caste, les mariages entre proches parents
sont forcément plus nombreux qu'ailleurs. Je la supplie donc de
vouloir bien m'accorder gracieusement de nouveaux pouvoirs pour
vingt autres cas...3».
De leur côté les chefs de mission sont invités à surveiller l'usage
que les prêtres font localement de leurs facultés et sont amenés à
consulter Rome sur les questions les plus variées et inattendues. La
lutte contre les abus s'est muée en politique d'uniformisation et de
subordination à l'autorité centrale. D'abord essentiellement réservée
à la doctrine, la liturgie et l'administration des sacrements, la
législation romaine gagne peu à peu tous les secteurs.

3 A.C.P.F. N.S. 242 (1902), f. 914. Mgr Bottero, évêque de Kumbakonam au


Préfet de la Propagande, 12 novembre 1902.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 341

Planter l'Eglise latine, c'est introduire «l'esprit romain» du


catholicisme.

Le triomphe du droit canon entraîne celui du modèle latin. Le


rapport de forces évolue en effet pleinement en faveur des usages, de
la discipline, de la liturgie et de la langue qui sont censés incarner la
romanité catholique. La spécialisation de la Propagande en deux
sections joue de ce point de vue contre l'exportation des traditions
orientales. Ces dernières sont cantonnées dans un secteur
géographique clos, elle sont reconnues en tant que traditions honorables et
obtiennent droit de cité, mais pas de se reproduire hors de la sphère
qui leur a été assignée. Au contraire, les usages qui différent du
modèle latin sans bénéficier de la dignité prêtée aux pratiques antiques,
subissent une érosion constante. De ce point de vue la querelle sur le
port du pileum en Chine a valeur emblématique.
L'autorisation de célébrer la messe et d'administrer les
sacrements tête couverte avait été primitivement accordée aux seuls
missionnaires jésuites par un bref de Paul V4 (27 juin 1615), puis
étendue à toute la Chine5 (décret de la Propagande du 31 juillet 1673),
enfin à la Corée6 (11 septembre 1841). Mais le raisonnement reste celui
d'une permission exceptionnelle et provisoire; il n'envisage pas une
adaptation à la culture chinoise dont l'autorité romaine sait par
ailleurs exactement que le port d'une coiffure, contrairement à nos
coutumes, y est marque de respect et de considération7. Dès 1859 la
possibilité d'introduire «la pratique universelle» de l'Eglise est
encouragée dans les missions où les fidèles ne manifestent pas
d'opposition8. Sous Léon XIII, le Saint-Office intervient directement pour
fixer la règle qui sera suivie et recommandée par les instructions de
1883 à tous les vicaires apostoliques de Chine9.
Certes l'interprétation donnée en 1883 à ce décret tient compte
des craintes exprimées et donne toute latitude aux chefs de mission
pour apprécier l'opportunité de la suppression du pileum. Mais la
prise en considération «des circonstances de lieux et de temps» s'ins-

4 Collectanea 1907, vol. 1, p. 70.


5 Ibid. n° 206, p. 70.
6 Ibid. n° 940, p. 524.
7 «... cum apud sinenses mos sit caput copertum gerere in signum obsequii
et reverentiae.» (Instructions de 1883, Collectanea 1907, vol. 2, p. 195, XVI.
8 Collectanea 1907, vol. 1, n° 1182, p. 644-645. «Ad provicarium Kuytceu. Ad
sinici vero pileoli quaestionem quod attinet, earn revera S. Congregationis men-
tem fuisse, quam innuis, declaramus, ut nimirum, si facile usus aboleri posset,
neque graves adhuc illum retinendi causae, ut antea, suaderent, sensim universa-
lis Ecclesiae praxis Missam celebrandi capite detecto instauraretur.»
9 Collectanea 1907, vol. 2, n° 1539, p. 137.
342 LA DIRECTION DES MISSIONS

pire des traditions juridiques romaines, sans interrompre à terme le


processus d'uniformisation. L'argument de la contrainte culturelle
opposé par les missionnaires n'a manifestement guère de portée
auprès des canonistes romains quant au fond. Les hommes de terrain
doivent parfois brandir la menace de désordres pour que les
anciennes concessions soient maintenues. Dans tous les cas l'exception
doit être provisoire. En 1890 le Vicaire apostolique du Chan-tong
méridional demande s'il peut omettre dans la célébration de
mariage l'invitation faite aux nouveaux époux de joindre les mains car
ce geste répugne aux chinois. Le Saint-Office répond positivement, à
condition que les missionnaires initient peu à peu les néophytes à
l'observation du rite romain : «Tolerari potest; et ad mentem, ut
paulatim inducantur neophyti ad observantiam Ritualis Romani10».
Les progrès du latin dans l'administration et dans la vie
ecclesiale sont un autre signe caractéristique de cette évolution. Il en
résulte que la validité des sacrements est liée à la récitation des
formules prévues par le rituel en latin. L'usage de la langue verna-
culaire n'est certes pas éliminé, et Zaleski est le premier à souligner
qu'il faut y recourir systématiquement. Il recommande de traduire
chaque question posée au catéchumène11. Mais la langue verna-
culaire intervient seulement à titre de doublage, dont les dicastères
romains ont soin de préciser qu'il doit toujours suivre la formule
latine, jamais la précéder, pour ne pas mettre eA cause la validité du
sacrement. Le besoin d'interroger la Propagande en 1879 sur l'usage
des langues locales au cours de la cérémonie de baptême est déjà
significatif du renforcement des contraintes. Le recours au Saint-
Office pour trancher le doute l'est tout autant12. Le choix de la
langue liturgique est devenu enjeu doctrinal. Le recours aux
catégories scolastiques de la matière et de la forme aboutit à faire de la
récitation de la formule linguistique, selon le rite romain, une
condition essentielle de la validité du sacrement. L'utilisation du latin
pour administrer le baptême est encore plus nettement exigée dans
une réponse adressée en août 1880 :
«Utrum liceat in Baptismatis collatione interrogationes lingua
vulgari facere; vel saltern dictas interrogationes primo latine factas,
dein in vulgärem linguam vertere, ut ab adulto baptizando intelligan-
tur, vel a patrinis et matrinis, si agitur de baptismo infantium. R. :
Quoad primam partem : Non expedire. Quod secundam :
Affirmative13».

10 Collectanea 1907, vol. 2, n° 1736, p. 250.


11 A.C.P.F. Acta 263 (1893), f. 346 r.
12 Collectanea 1907, vol. 2, p. 131, n° 1519, 9 mai 1879.
13 Ibid., p. 137, n° 1538, 25 août 1880. «Est-il permis de procéder dans
l'administration du baptême à l'interrogatoire en langue vulgaire; ou faut-il poser les
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 343

La congrégation des rites fait preuve de la même volonté unifor-


misatrice et délimite de plus en plus strictement les espaces
disponibles dans la liturgie pour l'emploi des langues vernaculaires,
maintenant l'autorisation de traduire les questions, mais interdisant
d'interrompre l'interrogatoire pour fournir aux fidèles des explications
ou chanter en langue vernaculaire certaines prières de la messe14.
La liturgie est d'ailleurs l'objet du processus de latinisation le
plus spectaculaire. Si l'architecture, la décoration, l'aménagement
intérieur des lieux de culte échappent dans le détail à la
réglementation et conservent un minimum d'adaptation à l'environnement
culturel, par conviction ou contrainte matérielle, le déroulement des
cérémonies est soumis aux exigences des rubricistes, occasionnant
parfois des interrogations cocasses sur la fabrication du vin de
messe15, la composition des cierges16 ou le déroulement des
cérémonies.
Un détour par la Propagande orientale, parce qu'il concerne
l'Afrique, permet de saisir comment sont traitées les questions
liturgiques et de comprendre pourquoi la situation est bloquée. La
reprise de la mission en Abyssinie et Erythrée place la Propagande en
présence d'un rite mal connu et au statut mal défini, bien que réputé
antique : le rite éthiopien. Très vite, et pour plus d'un siècle, il
devient l'objet de discussions et de controverses connues grâce aux
travaux du P. Metodio da Nembro17. L'affaire prend naissance avec la
nomination du lazariste de Jacobis comme Vicaire Apostolique d'A-
byssinie (1847). L'élection est accompagnée de la faculté d'exercer
«toutes les fonctions sacrées en rite abyssin.» Mais le rituel ne se
présentant pas sous la forme du rituel romain, l'intéressé éprouve de

questions d'abord en latin, ensuite les traduire en langue vulgaire, de sorte


qu'elles soient comprises par les adultes, ou par les parrains et les marraines s'il
s'agit du baptême d'enfants? En ce qui concerne la première hypothèse : la
réponse est non. Pour la seconde : réponse positive».
14 Ibid., Madagascar (21 juin 1879) p. 131, n° 1522, 21 juin 1879.
15 Les Collectanea 1907 citent à la rubrique vinum huit interventions du
Saint-Office. La plus longue autorise les missionnaires du Tcheli méridional à
ajouter de l'alcool jusqu'à concurrence de 12% afin de permettre la conservation
du vin (vol. II, 25 juin 1891, n° 1757, p. 261-262). A titre d'échantillon et de
curiosité, voici la réponse du St Office du 7 mai 1879 :
«Utrum in Missae Sacrificio possit adhiberi vinum confectum ex uvis passis
(vulgo zizibo).
R. Detur decretum Fer. V. 22 iulii 1706, nempe : «Licere, dummodo liquor
extrahendus a zizibo vel uvis passis, ex colore, odore et gusto dignoscatur esse ve-
rum vinum.»
16 Collectanea 1907, rubrique cera (de cerae qualitate in ecclesiis et pro Missa
adhibendae), vol. 1, n° 837, 1048; vol. II, n° 2209.
17 P. Metodio Da Nembro cap. La missione dei minori cappucini in Eritrea
(1894-1952) Rome, 1953, Institutum Historicum ord. Fr. Min. Cap., spécialement
p. 361-393.
344 LA DIRECTION DES MISSIONS

grandes difficultés à identifier le rite, délimiter soigneusement ce


qui peut être conservé ou doit être prohibé pour cause d'influence
monophysite, compléter les nombreuses lacunes. Une enquête est
finalement confiée en 1882 aux deux experts qui pouvaient sembler
les mieux informés : Mgr Touvier, vicaire apostolique lazariste d'A-
byssinie, et Mgr Massaia, ancien vicaire apostolique capucin des
Gallas. La conclusion des deux rapports aboutit à définir deux
attitudes également instructives.
Aux yeux de Mgr Touvier, la véritable liturgie éthiopienne a
sombré au cours de l'histoire et les lambeaux qui ont survécu,
plus ou moins abâtardis par les influences monophysites, ne
méritent pas le nom de rituel. Dès lors le retour des éthiopiens au
bercail romain passe par l'introduction du rite romain. La fidélité
au modèle latin mesure la qualité et l'orthodoxie de l'Eglise
locale.
«Vraiment ce rite n'est qu'une ruine sans dignité, une sorte de
momie privée de vie et de sens religieux... Non jamais avec ce rite,
il ne sera possible de former des âmes à la piété, de faire des
Saints, jamais nous n'aurons des Catholiques solides et sincères,
parce que tout dans ce rite éloigne de l'Eglise romaine, de la
Religion et de Dieu. Par conséquent, le temps ne serait-il pas venu
d'examiner si pour ramener au catholicisme cette nation
éthiopienne, il n'est pas plus utile et même nécessaire de lui donner le
rite romain purement et simplement? A mon humble avis, il n'y a
pas d'autres moyens de rendre sincèrement catholiques toutes ces
sociétés chrétiennes de l'Orient18».
La position adoptée par le cardinal Massaia est plus nuancée.
Elle repose sur la distinction entre ce qui est souhaitable et
possible. Elle n'écarte donc pas l'idée de tolérer d'autres rituels. Mais
il rejoint Touvier pour estimer que le rite éthiopien ne peut pas
être assimilé aux rites orientaux déjà reconnus. Le prélat ressent
d'ailleurs la diversité des rites comme un «embarras» qu'il faut
supporter («un moindre mal») pour ne pas perdre les fidèles
attachés à leurs traditions. Il suggère donc de ne pas reconnaître le
rite éthiopien et d'autoriser le rite latin, ce qui revient à imposer
peu à peu ce dernier19...
Les progrès de la romanisation dans les missions s'appuient
donc sur un large consensus pour dévaloriser les héritages
extérieurs au monde latin, voire simplement les usages non romains.
Les divergences se limitent aux appréciations portées sur
l'opportunité des mesures d'uniformisation. Mais le débat ne saurait dé-

18 Ibid. p. 368. Mgr Touvier a été conseillé par le célèbre explorateur français
Antoine d'Abbadie.
19 Ibid. p. 370.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 345

border la gestion d'un héritage historique, excluant absolument de


créer de nouvelles «exceptions» qui seraient autant
d'encouragements au schisme. Or les jeunes Eglises ne peuvent pas invoquer
la tradition pour obtenir des aménagements dans le rituel romain.
Le congresso de la Propagande, orienté par le rapport du cardinal
Parocchi, témoigne le 3 février 1895 de la faible marge de
manœuvre devant les hypothèses examinées20 :
1. adopter le rite latin purement et simplement en temps
opportun, comme semblent le suggérer Massaja et Touvier.
2. adopter le rite latin mais avec des livres liturgiques traduits
en ghez et amarique.
3. Restituer le rite éthiopien primitif purifié, si c'est possible,
des erreurs monophysites.
4. Tolérer le rite actuel.
Sur cet éventail de possibilités, les cardinaux choisissent une
semi-latinisation progressive en adoptant la seconde hypothèse. Ils
témoignent ainsi d'une modération plus grande que les rapports
des missionnaires. Reflétant les ouvertures de Léon XIII aux
Eglises orientales21 l'année précédente, ils concèdent l'usage des
langues vernaculaires locales. Soucieux de ne pas heurter les
fidèles, Ledochowski confirmera un peu plus tard qu'il est interdit
de substituer tel quel et brutalement le rituel romain. Cependant,
si la Propagande admet d'autres formes linguistiques que le latin,
elle ne renonce pas à identifier foi catholique et mentalité latine,
ou selon son expression, «spirito romano», invitant les chefs de
mission à inculquer cet état d'esprit (cette quasi spiritualité) au
clergé indigène pour améliorer sa qualité22.

Bâtir et former un clergé indigène.

Les interventions de la Propagande mettent aussi en évidence


que la plantation de l'Eglise passe prioritairement par deux
objectifs : la construction d'un réseau de bâtiments et la formation du
clergé indigène. Les directives constantes de la Propagande sur la
nécessité de donner aux Eglises une base matérielle et foncière ne
sont l'objet d'aucune contestation missionnaire, sinon pour déplorer
l'insuffisance de leurs ressources. Elles sont appliquées dans toutes
les parties du monde, justifient une grande partie de la
correspondance missionnaire, occupent une place essentielle dans la littéra-

20 Ibid. p. 373-374.
21 Constitution Orientalium dignitas Ecclesiarum, Léon XIII, 30 novembre
1894.
22 La missione... op. cit., p. 376.
346 LA DIRECTION DES MISSIONS

ture et la presse, notamment dans l'iconographie. Plutôt que


d'entreprendre une enumeration fastidieuse d'exemples, citons encore une
fois Zaleski. Il développe en effet une triple argumentation qui
résume la majorité des points de vue. Reprenant le thème traditionnel
des constructions nécessaires à la vie des chrétiens (lieux de culte,
résidences) et celui des œuvres destinées à attirer les païens (écoles,
orphelinats, hospices...), il commente :

«J'ai entendu dire plus d'une fois (à propos surtout du patriarcat


latin de Jérusalem et de la cathédrale de Bucarest) que les
Missionnaires feraient mieux d'employer l'argent d'une autre manière, qu'à
élever des constructions quelquefois imposantes... Ce n'est pas vrai :
qui bâtit s'établit. Ainsi, dans un pays récemment subjugué, les
conquérants n'élèveront pas de splendides édifices jusqu'au moment
où ils seront certains de garder leur conquête. En les bâtissant, ils
affirment aux yeux de leurs voisins leur force et leur droit; aux yeux de
leurs compatriotes, ils affirment leur puissance et montrent la
décision de garder leur conquête. C'est une espèce de prise de possession.
Qu'ont fait depuis quinze ans les sacrilèges envahisseurs de Rome? ils
ont bâti...
L'apostolat chrétien au fond est une conquête. Le chef de la
Mission a non seulement la tâche de convertir les habitants du pays qui
leur est confié, il doit les protéger contre la malice, la vengeance des
païens... Et pour qu'ils osent se convertir, souvent il faut qu'ils
sachent qu'ils seront protégés et qu'ils le seront toujours.
Or, avant que le misionnaire n'ait bâti chez eux une église, une
maison, ils doutent toujours que le Père restera.
D'un autre côté, aux yeux des infidèles - bâtir, c'est montrer que
l'on est décidé à s'établir chez eux-bâtir bien, c'est montrer qu'on est
riche - bâtir malgré leurs protestations, c'est montrer qu'on est fort;
or, dans ces pays barbares on respecte la richesse et la force; la force
et la richesse inspirent confiance»23.

La formation d'auxiliaires, puis d'un clergé indigène


progressivement investi des postes de responsabilité, est la deuxième étape
dans la réalisation d'Eglises complètes, vivant de leurs propres
ressources matérielles ou humaines. Zaleski ne cesse pas de justifier
l'exigence du clergé indigène par le devoir d'organiser l'Eglise de
manière à la mettre «dans la position normale» comme «le chiese
fiorenti del mondo24». L'insistance sur la nécessité de former au plus
tôt le clergé autochtone est générale et constante. Elle concerne
aussi bien les chrétientés d'Asie que celles d'Afrique et d'Océanie. Aux
yeux de la Propagande, le caractère récent d'une fondation justifie

23 L.M. Zaleski, Voyage à Ceylan, op. cit. p. 201-202.


24 Rapport confidentiel de 1902, op. cit. f. 166.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 347

des délais, jamais de ne pas prévoir des écoles et séminaires pour les
futurs clercs. L'établissement d'un séminaire est tenté dès 1842 à
Wallis (vicariat d'Océanie centrale) et les quatre premiers prêtres
sortent du séminaire de Lano en 1884 25. Vingt ans après avoir reçu la
charge du Congo français, les spiritains ont fondé un institut de
religieux indigènes et ouvert un séminaire à Landana. Le père Emonet,
supérieur général, fonde de gands espoirs en 1886 sur trois élèves
qui ont achevé le cycle de philosophie et commencent celui de
théologie. Il y voit un argument sérieux pour transformer la préfecture
en vicariat26.
La véritable question surgit du décalage observé entre les
efforts déployés et les résultats obtenus. La bonne volonté des
missionnaires, aiguillonée par la Propagande, n'est pas contestable
globalement. Pourtant la constitution du clergé indigène sera
beaucoup plus longue et laborieuse que ne l'imaginaient les
contemporains .
Une première réponse peut être recherchée dans la stratégie
de latinisation des missions. Programmes, modes de formation,
vie en internat sont calqués autant que possible sur les séminaires
européens. Il serait anachronique d'interpréter la position romaine
à la lumière des débats contemporains sur l'acculturation
religieuse. Elle s'inspire d'une autre logique, celle de la promotion par
la formation. Mais il est vrai qu'elle conduit à réunir deux
stratégies apparemment inconciliables, l'adaptation étant accusée de
nier l'égalité des hommes, puisqu'elle refuse aux autochtones le
droit de vivre comme le missionnaire européen. Ce débat s'étend
d'ailleurs à toute la politique scolaire, et le refus de
l'occidentalisation semble à beaucoup une manière de maintenir l'indigène dans
une position inférieure. Mais l'absence de programme préétabli et
de directives concrètes laisse souvent les missionnaires libres dans
leurs choix pédagogiques27. Au contraire, la formation des clercs
est d'emblée subordonnée à la reproduction du séminaire selon les
prescriptions tridentines. Le caractère définitif, intemporel et
universel prêté au modèle sacerdotal romain interdit désormais toute
innovation.

«Il clero nativo in India deve essere formato, come si forma il cle-

25 M.C. 1886, p. 388. Cite une lettre de Mgr Lamaze, V. ap., au Cardinal Si-
meoni.
26 A.C.P.F. Acta, 255 (1886), f. 422R Erection du Congo français en vicariat.
Nomination du P. Antoine Carrie comme vie. ap. (f. 421-425 v).
27 Cf. par exemple les conclusions générales de Roger Heremans in
L'Education dans les Missions des Pères Blancs en Afrique centrale (1879-1914). Objectifs et
réalisations. Louvain-Bruxelles, 1983.
348 LA DIRECTION DES MISSIONS

ro in Europa. Bisogna seguitare strettamente il metodo indicato dal


Concilio tridentino, il metodo che la S. Chiesa ha seguitato sempre e
dappertutto. Cercare altri metodi è lo stesso che credersi sapere dip-
più che i Padri del*Concilio, pretendere avere più grande esperienza
che la Chiesa cattolica»28

Quant à la question du célibat, elle reçoit une réponse spontanée


par l'obligation universelle de la discipline suivie dans le monde
latin. Les missionnaires ont beau exposer la difficulté que rencontre
l'observation de cette loi, l'autorité ecclésiastique romaine ne doute
pas un instant de sa nécessité. Là encore, l'hypothèse d'une autre
discipline que celle en vigueur dans l'Eglise latine est écartée parce
qu'elle serait une forme subtile de mépris pour les noirs. Dieu
distribue sa grâce «igualmente a bianchi e neri»29. Comme dans les autres
domaines, la qualité du clergé est une affaire de temps, de
transformation des mentalités et des comportements, d'efficacité des
séminaires, en un mot de christianisation. Si des compromis
transitoires sont acceptables pour le pileum ou la liturgie éthiopienne, le
célibat ecclésiastique doit être respecté immédiatement et partout. Il
est aussi impensable de le modifier que d'apporter des innovations
au catéchisme romain30.
La romanisation des missions, à l'image de ce qui se passe dans
l'ensemble du catholicisme, se traduit ainsi par deux
transformations simultanées. D'une part Rome étend son champ d'intervention
à toutes les régions et toutes les matières. D'autre part, au sein du
gouvernement de l'Eglise, l'emprise des instances de contrôle
doctrinal s'accroît, amenant la Propagande à consulter de plus en plus
systématiquement le Saint-Office. La frontière entre discipline et
doctrine s'est déplacée au point que la seconde tend à absorber la
première.
L'hypertrophie indéfinie du droit canon risquait d'entraîner la
paralysie progressive du système. Mais les rapports missionnaires
rappellent à la Propagande que les contraintes locales imposent des
aménagements :

«Dans nos pays de Mission si éloignés de Rome, où nous avons à

28 Ibid. F. 174 r. «Le clergé indigène indien doit être formé comme on forme
le clergé européen. Il faut suivre strictement la méthode indiquée par le Concile
de Trente, la méthode que la Sainte Eglise a toujours et partout suivi. Chercher
d'autres méthodes, c'est la même chose que se croire au-dessus des Pères du
Concile, prétendre avoir une expérience plus grande que l'Eglise catholique».
29 Ibid. 169 r. «de manière égale aux blancs et aux noirs».
30 Ibid. «Secondo l'istruzione del 1883 la S. Congr. ha vietato che si faccia
innovazioni alcune al piccolo catechismo : e solo desidera che si compenga un
catechismo unico, ad imitazione del catechismo romano, per uso dei catechisti».
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 349

traiter tour à tour avec des catholiques, des gentils, des protestants ou
des musulmans, il est souvent moralement impossible ou difficile de
suivre les règles canoniques. Je supplie donc votre Eminence de
vouloir m'accorder ou de m'obtenir la dispense de recourir au St Siège
pour une foule de cas où il me paraît bon d'agir promptement. En
général il est mieux de saisir l'occasion par les cheveux, quand je crois
qu'il y va de l'intérêt des Eglises, et c'est ce que j'ai fait jusqu'ici31.»
Or la force (apparente) du droit canon est de faire place à ces
cas particuliers sans changer la législation, de tolérer des exceptions
provisoires sans mettre en cause le système. La distinction entre la
lettre et l'esprit, c'est-à-dire ici la norme à atteindre et les règles
immédiatement applicables, apporte le minimum de souplesse
indispensable. Rome utilisera la remise des facultés et des dispenses pour
laisser aux missionnaires une marge de manœuvre à géométrie
variable.
Il reste cependant à déterminer combien de temps la législation
pourra s'imposer sans multiplier les dispenses, tolérer des
exceptions au point de vider la loi de toute signification. La vie des
missions érode le mythe de la codification uniforme. Rome exige-t-elle
la suppression des chants liturgiques en langue vemacuaire, aussitôt
les chefs de mission s'inquiètent des conséquences pour les fidèles
africains :
«La procession du St Sacrement, en la fête du Corpus Christi, est
une véritable manifestation de la foi de nos chrétiens. Eux-mêmes y
tiennent beaucoup. Sans chants, pour eux une procession ne serait
plus une procession... peut-être devra-t-elle être supprimée en
certaines stations où elle se fait, ce qui serait un scandale pour les fidèles,
parce que nos chrétiens ne peuvent pas chanter du latin pendant toute
une procession32.»
Pour ne pas accumuler les exemples de cette avalanche de
demandes de dispenses, et les limites de ce fonctionnement, citons
cette autre demande du préfet apostolique Bricet (Bénin). Il
souhaite que les missionnaires soient autorisés à porter l'Eucharistie
aux malades la tête couverte d'un casque colonial à cause du soleil et
parce que les fidèles seraient scandalisés de voir un européen tête
nu. La Propagande lui répond d'utiliser un dais. Il s'épanche alors
auprès du supérieur général Planque, dénonçant une décision
dangereuse (le dais ne protège pas) et déplore l'indifférence de la
Propagande à la mortalité missionnaire, notamment par insolation33.
L'écart qui se creuse entre les protagonistes risque de rendre le dia-

31 A.C.P.F. N.S. 242 (1902), f. 915, Mgr Bottero op. cit.


32 A.S.M.A. 2 E 19, p. 367, Bricet à Ledochowski, 18 juillet 1899.
33 Ibid. p. 374, Bricet à Planque, août 1899. Sur 180 missionnaires décédés
en quarante ans, plus de quarante ont été, selon lui, victimes du soleil.
350 LA DIRECTION DES MISSIONS

logue impossible à terme et d'ancrer chez les missionnaires la


conviction de n'être pas compris des lointains bureaux romains.

L'établissement de la hiérarchie.

La plantation de l'Eglise s'achève juridiquement avec


l'établissement de la hiérarchie. Désormais complète, l'Eglise locale peut
fonctionner sur le modèle de l'Eglise universelle. Le contrôle
minutieux exercé par la Propagande sur le passage de la mission à la
préfecture, puis au vicariat, enfin aux évêchés résidentiels,
sanctionne les progrès dans la maturation des églises locales. Elle
suppose théoriquement l'achèvement du quadrillage de l'espace'
géographique, un réseau suffisamment étoffé de stations, des œuvres,
des ressources, un encadrement de missionnaires, de clercs et
d'auxiliaires indigènes (catéchistes). Malgré l'application d'un
questionnaire unique et de critères identiques dans le monde
entier, l'autorité romaine conserve une grande liberté pour apprécier
l'opportunité d'établir la hiérarchie. Il suffit pour s'en convaincre
d'observer la différence de traitement des quatre grandes régions
d'Asie. Si les Indes (1886) et le Japon (1891) reçoivent la hiérarchie
régulière, la Chine et l'Indochine attendent 1946 et 1960.
L'insécurité de la Chine et l'échec des pourparlers engagés en vue
d'ouvrir des relations diplomatiques expliquent dans ce cas la
prudence de la Propagande. Mais si l'obtention de garanties
permettant d'exercer librement l'activité missionnaire est une condition
nécessaire, elle n'est pas suffisante. De la même manière, la
présence d'un clergé indigène est un élément favorable, ni suffisant,
ni nécessaire. L'Indochine, «pacifiée» par la France, malgré la
présence d'une forte et antique chrétienté au Tonkin (343 prêtres
indigènes en 1901) conserve son organisation en vicariats. Le Japon,
où le catholicisme est ultra-minoritaire et ne possède en 1891 que
quelques prêtres autochtones, reçoit une hiérarchie. Celle-ci est
donc autant un acte symbolique que la reconnaissance d'une
maturité suffisante, à l'image du rétablissement du titre de primat
d'Afrique obtenu par Lavigerie.
Enfin, en aucun cas l'achèvement de l'Eglise institutionnelle
ne signifie Eglise dirigée par des indigènes. De ce point de vue la
situation est cependant différente dans les néo-chrétientés nées de
l'émigration européenne : les «natifs» y fournissent très tôt les
responsables ecclésiastiques. Ailleurs la nomination du premier
évêque indigène précède ou suit l'érection de la hiérachie, avec un
intervalle de temps très variable, selon les conjonctures locales et
internationales.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 351

Tableau n° 15
QUELQUES ÉTAPES DE LA PLANTATIO ECCLESIAE

Pays Début (reprise) Etablissement Premier «évêque»


de la mission de la hiérarchie autochtone

Chine 1946 1926 (6 évêques)


Indes 1886 1923 (de rite latin)
Indonésie XVIe s. 1942
Japon 1858 1891 1927
Vietnam XVIIe s. 1960 1933
Formose XVIIP s. 1952
Birmanie XVIe s. 1955 1954
Maroc XVIIe s. 1955
A.O.F. XIXe s. 1955 1939 (Préfet ap.)
1956 (Ev. résidentiel)
Madagascar 1861 1955 1939
Af. Sud 1838 1951 1925 (Blancs)
1953 (noir)
Ghana XIXe s. 1950 1957 (Ev. auxiliaire)
Nigeria 1861 1950 1953
Uganda 1879 1953 1939 (1er év. afr. noir)
Rwanda 1894 1959 1952
Antilles brit. XVIe s. 1956
Antilles néerl. XVIe s. 1958
Surinam XVIIe s. 1958
Australie 1820 1848
N.-Zél. 1828-29 1887
Maurice XVIIP s. 1847 1969
Réunion XVIIe s. 1850 1976

2 - L'exportation du catholicisme «intransigeant».

Si la piantano ecclesiae permet de décrire assez complètement le


processus missionnaire, elle reste un concept interne au
catholicisme. C'est pourquoi il convient de prolonger cette approche en la
confrontant aux caractères qui caractérisent, selon E. Poulat, le
catholicisme «intransigeant» autour de 1900 : romain, antilibéral,
intégral et social.
La romanité est une composante vécue intensément chez les
acteurs de l'expansion catholique. Nous avons précédemment souligné
l'ultramontanisme des milieux missionnaire après la révolution de
1789, par nécessité (Rome délègue seule le droit d'évangéliser un
territoire) et par idéologie (les évêques missionnaires sont en 1869-70
dans le camp des infaillibilistes). L'affirmation de l'identité romaine
est à la fois à usage interne et externe. Elle imprègne la vie
chrétienne de tous les fidèles de références collectives, rythme le temps
352 LA DIRECTION DES MISSIONS

et organise l'espace, soumet chacun à une discipline commune. Elle


a certes pour conséquence un juridisme pointilleux qui entend tout
réglementer à l'identique. Mais elle façonne une manière de penser,
de vivre et d'être ensemble qui donne le sentiment au voyageur de se
trouver partout en pays catholique connu. L'uniformité de
l'organisation et de la hiérarchie, l'imposition de la liturgie latine et les
progrès du chant grégorien, la similitude croissante des vêtements, des
bâtiments, des lieux de culte, des dévotions, la référence aux mêmes
auteurs et aux mêmes textes, donnent extérieurement le sentiment
que toutes les chrétientés se ressemblent. L'entrée au sein de l'Eglise
catholique représente un changement d'identité, acte irréversible
dont la gravité est soulignée par l'extraordinaire soin apporté à
légiférer sur le baptême : 197 renvois pour ce seul article dans les
Collectanea.
Symétriquement l'autorité ecclésiastique trace soigneusement la
frontière qui sépare le néophyte de l'hérétique ou du païen, dans la
doctrine, dans la pratique religieuse, dans la vie morale et les
rapports sociaux. L'affirmation de l'identité catholique passe aussi par
celle de la différence face aux autres. La situation minoritaire des
chrétientés tend à accentuer tout ce qui renforce le sentiment de la
spécificité.
La différence ne s'exprime pas seulement par la participation au
culte et à des associations particulières. Elle est tout autant inscrite
dans une morale et un comportement qui traduisent la
transformation du néophyte dans une autre manière de vivre. Dans toutes les
missions, la régularisation des unions sur le modèle du mariage
chrétien, monogame et indissoluble, est pour les adultes la
démarche réputée la plus difficile et la plus symbolique. Selon les
contextes s'y ajoutent d'autres exigences, par exemple en Chine le
renoncement à l'usure, ou l'abandon de la consommation et du
commerce de l'opium, sa culture étant provisoirement tolérée par
nécessité économique.
Le catholicisme doit encore se démarquer de son concurrent
direct qu'est le protestantisme, volontiers qualifié de méthodisme.
Sans doute les missions participent à une compétition universelle et
appliquent des règles d'exclusion valables pour tous les pays que les
Collectanea recensent soigneusement. L'Index de 1907 répertorie à la
rubrique acatholici 48 renvois, auxquels il faut ajouter les rubriques
Haeresis, abjuratio, apostatae, communicatio in divinis, et une bonne
partie des décisions figurant à scholae, matrìmonium, voire baptis-
mus.
La concurrence très vive avec les protestants amène les
missionnaires à insister sur la soumission au pape et à privilégier la
dévotion mariale. La «suridentification» est une manière de prévenir les
confusions qui risquent d'entraîner les indigènes dans le camp ad-
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 353

verse. Ainsi à Madagascar, exemple typique de compétition sévère,


les missionnaires s'affrontent durement sur ces thèmes. Partout la
toponymie des stations missionnaires (Roma, Sainte Marie de...)
conserve la trace de cet affrontement. Au Basutoland, les
catholiques sont dénommés Baroma (Romains)34 et les formules de
salutations sont dès 1881 l'écho de la compétition confessionnelle.
«- Ho rosiae Jesu-Kriste! me dit le premier Cafre que je
rencontrai : c'est à dire : Loué soit Jésus-Christ!
Et le Père qui m'accompagnait répondit pour moi, qui ne savait
pas encore bégayer :
- Le Maria a se nang le sekoti.
- Et Marie-Immaculée.
Deux pas plus loin, en voilà un autre qui m'arrête :
- Maria nthapelle (que Marie prie pour moi)...
Le premier chant que j'entendis en langue indigène fut : Maria a
bocholane, Marie toute belle, sur l'air de Unis au concert des anges35.»
La ligne de démarcation entre catholiques et infidèles est tracée
avec tout autant de précision et... d'embarras. L'article cooperano
donne une image fidèle des principales préoccupations en ce
domaine. Malgré la condamnation des rites malabars et chinois, la
Propagande est en effet amenée en permanence à préciser les actes
domestiques et publics qui sont acceptables ou prohibés. Les
Collectanea (1907) enregistrent 110 décisions des dicastères sur ces sujets.
La collaboration à des rites religieux païens est la crainte
dominante. Faute de pouvoir définir définitivement le moment où une
action devient superstitieuse, les décisions s'accumulent. Dans quelle
mesure le catolique peut-il participer à la construction ou la
restauration d'un édifice de culte musulman ou païen? Peut-il consommer
la viande qui sert dans des cérémonies ou vendre des produits
utilisés dans les cultes? Quels sont les gestes autorisés dans les
funérailles? Peut-on tolérer des images d'idoles dans les maisons?
inscrire son nom sur les registres des païens? Utiliser dans un
testament des «formules superstitieuses» etc..
Mais la rubrique cooperano est loin d'être exhaustive. Il faudrait
y ajouter toutes les situations qui mettent catholiques et païens en
contact. Activités économiques et financières (cf. commercium,
contractus, furtum, negotiatio, usura), cœxistence quotidienne avec
les employés {famuli, servitus), les autorités {leges, magistratus, ri-
tus), au sein des écoles (scholae, universitates), participation à la vie
publique... Il en résulte inévitablement une multiplication des
interdits qui contribuent à isoler les chrétiens, surtout dans les sociétés

34 R.P. Léon Hermant, O.M.I. Au sud africain. Chez les Basutos, les Zoulous,
les Herreros. Bruxelles, 1924, p. 16.
35 Ibid. p. 17-19. Il est vrai que la scène se déroule début mai.
354 LA DIRECTION DES MISSIONS

où l'existence collective est fortement structurée par des actes


religieux. Les mariages et les funérailles, actes essentiels pour le
fonctionnement du groupe social, sont l'objet du plus grand nombre de
demandes et d'interventions de l'autorité centrale. A titre indicatif,
la sous - rubrique De matrimoniis mixtis compte 62 renvois,
auxquels s'ajoutent partiellement les décisions classées à bigamia, cau-
sae (de matrimonialibus causis), impedimenta, dispensationes, dispa-
rìtas (cultus) nuptiae, polyandria, polygamia. Le repérage des
décisions est encore plus difficile pour les funérailles. Outre les
rubriques sepultura, defuncti, il faut tenir compte des règles établies
pour la Chine à propos des genuflexions et des tablettes utilisées
dans le culte aux ancêtres (tabellae, progenitores, sepultura, defuncti,
exequiae)... Cette législation envahissante explique qu'en bien des
cas le néopyte deviendrait un «exilé» au sein de sa propre société, s'il
ne trouvait pas dans la chrétienté une société de substitution36.

Antilibéralisme et rejet de la sécularisation.


L'affirmation de l'identité romaine passe aussi par la
revendication inlassable des droits de l'Eglise à exercer son action et fonder
les valeurs morales. Le programme minimum est toujours
l'obtention de la liberté religieuse pour les missions, par exemple dans les
colonies hollandaises, britanniques, allemandes ou au Japon.
Chaque fois que les conditions sont réunies, il se transforme en
revendication du monopole, ou du moins d'une situation dominante.
La Propagande est trop éloignée géographiquement pour
décider elle-même la position à retenir. Elle entérine généralement la
proposition des chefs de mission et des supérieurs de sociétés mi-
sionnaires. En cas de situation plus compliquée, la diplomatie
vaticane prend le relais. Mais l'affaire n'est pas toujours portée devant la
congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires. La
Propagande mène parfois personnellement la négociation. Ainsi
l'affiliation de la préfecture apostolique de Nouvelle Guinée hollandaise,
détachée du vicariat de Batavia confié aux jésuites hollandais, au
profit de la société française du Sacré-Cœur d'Issoudun, est
précédée de consultations auprès du gouvernement hollandais. Mgr Lo-
renzelli, internonce à la Haye, attire l'attention de la Propagande sur
la nécessité de ne pas heurter «l'estrema sucettibilità del Governo
Olandese.» Il propose que la nouvelle mission reste dépendante du
Vicariat de Batavia en ce qui concerne les rapports avec l'autorité
civile. Cette solution étant incompatible avec les principes de la Pro-

36 Cf. les observations de Donat Levavasseur sur la situation des bouddhistes


ceylanais convertis au catholicisme à la fin du XIXe s. : Histoire des missions
O.M.I, op. cit. T. 1, p. 263.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 355

pagande sur l'indépendance de chaque mission vis-à-vis des


territoires voisins, la place d'Espagne lui demande d'obtenir du
gouvernement la reconnaissance des nouvelles missions. Le refus
hollandais provoque le gel des discussions pendant cinq années. Le
ministère des colonies fait une ouverture en 1901 qui permet de
trouver un an plus tard un compromis. Si la mission en tant que telle
n'est pas reconnue officiellement, les missionnaires reçoivent le
droit de correspondre librement avec leur supérieur et des garanties
pour leur apostolat37.
Mais l'unanimité de principe n'empêche pas l'apparition de
divergences sensibles dans l'attitude à adopter face aux pouvoirs civils.
La présence aux Indes d'un délégué apostolique crée une situation
originale. N'étant pas accrédité près du gouvernement, Zaleski
compte sur les évêques pour défendre publiquement les droits du
catholicisme devant la loi anglaise. Persuadé que l'administration
coloniale est aux mains des ennemis de l'Eglise romaine,
francs-maçons ou (et) protestants, pas loin de croire à la conspiration d'une
société secrète38, il appelle à protester contre toutes les ingérences
du pouvoir civil par écrit, de manière à laisser des traces, à défaut
d'obtenir satisfaction. Misant sur la mobilisation de l'opinion
publique, il préconise de recourir aux méthodes anglaises de
protestation : pétitions de laïcs, lettres collectives des évêques, organisation
de meetings39.
Les efforts du représentant pontifical ne sont pas récompensés.
Zaleski regrette amèrement que la hiérachie en Asie soit trop
timorée et routinière, victime de l'inertie orientale, incapable de largeur
d'esprit et de prévoir l'avenir. La modération reprochée aux évêques
révèle en fait des nuances non négligeables dans l'intransigeantisme.
Les missionnaires, instruits par l'expérience et attachés à la
coexistence pacifique, redoutent de se laisser entraîner dans des combats à
l'issue incertaine. Ils manifestent une préférence compréhensible
pour le statu quo et la négociation avec les autorités. La combativité
du délégué apostolique n'est cependant pas un cas isolé. Les chefs de
mission, et pas seulement un Lavigerie, n'hésitent pas dans les
colonies françaises ou belges à faire entendre leur voix avec
l'assentiment tacite ou explicite de la Propagande. Si l'anticléricalisme n'est
pas, habituellement, un article d'exportation, les autorités romaines
veillent à garantir les droits des missions et à prévenir les mesures
locales en contradiction avec la législation ecclésiastique.
L'antilibéralisme catholique prend donc des colorations diffé-

37 A.C.P.F. Acta 1902, Nouvelle-Guinée (cardinal ponente : V. Vannutelli), f.


619-625, 15 décembre 1902.
38 Zaleski, rapport confidentiel 1902, f. 205 r.
39 Ibid. f. 208-218.
356 LA DIRECTION DES MISSIONS

rentes selon les lieux et les hommes. Zaleski représente une position
dure, parfois inattendue pour un diplomate de Léon XIII, même s'il
a été formé au temps de Pie X. Il manifeste avec virulence sa
répulsion contre les idées funestes de 1789, en particulier la tolérance
religieuse qui caractérise les colonies britanniques et profite au
«brahmanisme» :
«C'est hideux ce qu'on appelle : tolérance religieuse. On s'indige-
rait à coup sûr, si l'on entendait dire qu'un chrétien a permis que l'on
insulta à sa table le saint Nom de Jésus... Mais est-ce donc autre chose
qu'insulter le Seigneur, lorsqu'on tolère le culte solennel et religieux
du démon, sur une terre que gouvernent les chrétiens... Le culte
rendu au Diable est un crime contre lequel les lois de presque tous les
pays de l'Europe décréteraient la peine capitale. Ici (Indes) on le
permet ouvertement et officiellement... plus encore, les représentants du
gouvernement visitent les pagodes, et souffrent que Souamis et Bottos
les reçoivent avec ostentation. Permettre le paganisme, c'est tolérer le
crime40.»

Appliquant jusqu'au bout le modèle de la civilisation chrétienne,


seule capable de garantir solidement le pouvoir civil, Zaleski ne
manque pas de rappeler les avantages que le gouvernement anglais
retirerait d'un appui au christianisme :
«Si cet Empire - Dieu le préserve - doit tomber, le coup fatal lui
viendra du côté des païens, des musulmans surtout»41.

L'affaire Colin, conflit exemplaire.

Adversaire farouche de la sécularisation, Zaleski dénonce toutes


les mesures de laïcisation dans la législation. L'intransigeance dans
l'exercice de l'autorité est d'ailleurs autant un trait de son caractère
qu'une position de principe42. Il aime à répéter qu'il faut se monter
ferme avec les Indiens. Il ne manque pas d'émulés en Afrique noire,
en Oceanie, en Indochine pour conforter la rigidité doctrinale par
des considérations pseudo-philosophiques sur les peuples
d'outremer. A l'inverse, d'autres responsables missionnaires penchent pour
davantage de pragamatisme. Le différend qui éclate entre le délégué
et les oblats de Marie installés à Ceylan prolonge outre-mer la
rivalité entre intransigeants et partisans d'une conciliation43.
L'affaire a pour origine la discussion par le conseil législatif de

40L.M. Zaleski, Voyage à... op. cit., p. 340-341.


41 Ibid. p. 342.
42 A.C.P.F. N.S. 128 (1899), f. 246 r. Zaleski à Ledochowski, Kandy, 22 février
1898.
43 Cf. infra p. 280.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 357

Ceylan d'un projet de loi instaurant le mariage civil44. Pour Zaleski,


les évêques ont le devoir de dénoncer une législation contraire à la
doctrine de l'Eglise catholique. Mais les deux évêques O.M.I. , sur les
conseils de Collin, ne s'associent pas à la protestation de leurs
confrères de Kandy (bénédictins italiens) et Gale (jésuites belges).
Ils laissent au contraire ce dernier traiter directement avec le
gouverneur pour obtenir la réduction des taxes d'enregistrement,
admettant implicitement la nouvelle loi. Ce premier conflit est à peine
apaisé, après que les «accusés» ont fait acte de soumission, que la
crise rebondit. Le gouvernement de Ceylan projette de réglementer
les pèlerinages catholiques à Sainte Anne et Madhu pour des raisons
sanitaires. Cette fois, les O.M.I, organisent des meetings de
protestation mais Collin argumente sur la base des droits civils et non de la
liberté religieuse. Se placer sur le terrain de l'adversaire en adoptant
son mode de pensée constitue pour Zaleski une faute
impardonnable, une manière de collaborer avec un gouvernement
maçonnique45. Il faudra l'engagement personnel du P. Augier, supérieur
général, le soutien de de la congrégation, et finalement l'intervention
pontificale pour éviter le déplacement de Collin.
Les divergences dans la lutte contre la sécularisation ne mettent
pas en cause l'unanimité en faveur d'un catholicisme intégral. Ce
qualificatif s'applique parfaitement aux missions extérieures qui
visent à englober tout l'homme et tous les hommes. L'expansion
continue du droit canon est le reflet de cette ambition qui oblige
l'autorité ecclésiastique à étendre sans cesse ses interventions à de
nouveaux secteurs. Mais l'adjectif intégral connote intégralité et
intégration. Le modèle de la chrétienté permet d'opérer la synthèse des
différents niveaux. Il supppose au préalable d'arracher le païen à son
milieu pour l'intégrer dans la société chrétienne. Cette idée,
répandue dans tous les rapports est parfois l'occasion de comparaisons
crues et savoureuses. En Cochinchine, le vicaire apostolique de
Saigon insiste sur le rôle des rabatteurs, ajoutant aussitôt : «que votre
Eminence daigne passer ce mot emprunté à l'art cynégétique...
allant lancer le païen et l'amener comme catéchumène aux pieds du
prêtre46.»
La Propagande cautionne par ses interventions ce procès de
rupture avec le milieu, fixe les frontières avec le monde environnant,
réglemente la vie interne de la chrétienté. Elle ne se prononce pas
sur les stratégies missionnaires et se contente de fixer les grandes

44 A.C.P.F. Acta (1897), f. 252 à 287. Zaleski revient sur cette affaire dans son
rapport confidentiel de 1902 : f. 221 v-222 r.
45 C'est l'accusation formulée par le rapport Zaleski de 1902 (f. 22 r.)
46 A.C.P.F. N.S. 128 (1899). Rapport sommaire de Mgr Mussard, Vicaire ap.
de Saigon (f. 668-676).
358 LA DIRECTION DES MISSIONS

orientations en manière de catéchuménat. La préférence va très


vraisemblablement à une action par le sommet qui permettrait
d'entraîner les masses dans le catholicisme à la suite du souverain et des
élites locales. Ce cas de figure est cependant trop exceptionnel pour
être vraiment opératoire. Le pontificat de Léon XIII ne connaît pas
de nouveau Clovis, à l'exception de quelques îles du Pacifique
comme Wallis et Futuna47.
Le schéma qui s'impose est donc plus modestement celui des
microchrétientés qui se multiplient dans l'espace, en attendant de
faire tâche d'huile et de phagocyter le milieu dans lequel elles se
développent. Cette stratégie, imposée par la réalité, a l'avantage de
réaliser d'emblée l'intégration du néophyte au sein d'un ordre qui
l'englobe totalement, l'encadre et le suit de la naissance à la mort.
Satisfaisant sur le plan théorique, il permet la rupture complète avec le
paganisme sans condamner le néophyte à l'isolement. Les
missionnaires répugnent d'ailleurs à des conversions individuelles réputées
sans avenir si elles ne trouvent pas appui dans une communauté
fortement structurée et hiérarchisée48. La lecture des relations
missionnaires venues de tous les horizons fait apparaître l'universalité du
modèle de la chrétienté. Voici quelques exemples puisés dans les Ac-
ta, révélateurs d'un idéal collectif de transplantation, sinon reflet
exact d'une réalité beaucoup plus complexe.
Mandchourie : «Nouvellement arrivés dans le pays, et séparés
des préjugés de races et de famille, ils se convertisent avec beaucoup
plus de facilité à la religion catholique, où ils trouvent une société,

47 Les histoires missionnaires catholiques donnent en exemple la conversion


d'une reine du Basutoland (Lesotho) en 1901. Mais l'événement n'eut pas l'effet
d'entraînement que lui prêtent les missionnaires O.M.I., peut-être soucieux de
trouver une compensation à la protection accordée d'abord au protestantisme
par le grand roi Moshesh.
Cf. Claude H. Perrot, Les Sotho et les missionnaires européens au XIXe s.
Annales de l'Université d'Abidjan, 1970.
Mars Spindler, Le modèle Moshesh dans la missiologie protestante du XIXe s.
Credic, Actes du colloque de Stuttgart, Lyon III, 1986, p. 36-47.
48 «Les conversions individuelles donnent certes les meilleurs résultats, mais
si l'on devait se borner à cela, le progrès de la religion serait lent. Les
missionnaires doivent travailler à provoquer des conversions en masse, même au risque
de défections futures qui, dans ce cas, sont inévitables.» (L.M. Zaleski, Les
missionnaires, op. cit. p. 36).
Il y a cependant toujours eu des divergences sur ce point et les conversions
en masse, quand elles surviennent, sont contestées par certains missionnaires.
Mais le consensus règne pour ne pas convertir un individu qui ne trouverait pas
ensuite un soutien. Les travailleurs indiens émigrés provisoirement dans les
plantations de l'Océan Indien ne sont pas baptisés, au contraire de ceux qui
s'installent définitivement, par crainte qu'ils apostasient de retour dans leur patrie.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 359

une famille universelle qui compensent celles qu'ils ont perdus en


s'expatriant»49.
Afrique australe (Orange) : «Avec la misère répandue par la
famine dans tout le pays, s'il était possible de nourrir les enfants en
grand nombre, que les parents voudraient abandonner à la Mission,
nous formerions un groupe très compact de chrétiens, noirs,
capables de nous aider ensemble à instruire et évangéliser leurs
semblables»50.
Etat du Congo Indépendant (belge) : «Les pères missionnaires
(scheutistes) ont commencé par s'installer à proximité de Lulua-
burg; ils y ont groupé peu à peu, autour de leur résidence, les
esclaves libérés ou rachetés en les adoptant en quelque sorte, et en
demandant de leur part une dépendance basée sur les lois coutumières
du pays, de façon que tout le personnel ainsi adopté - hommes,
femmes et enfants, se considèrent au fond - et volontiers en général
- comme les hommes du Missionnaire. L'agglomération ainsi
formée, qui a dépassé le nombre de 1700 personnes, constitue un
village, dont les habitants sont soumis à des règles d'ordre et de
discipline intérieures, édictées par le missionnaire»51.
Une telle solution ne se heurte pas moins à d'irréductibles
contradictions. L'auto-suffisance de la chrétienté sur le modèle des
réductions est en effet impossible à atteindre. Villages chrétiens,
villages-chapelles, fermes-chapelles, villages de liberté échouent dans
toutes les missions à entraîner l'ensemble de la population et sont
généralement assez vite abandonnés. Un minimum de relations
économiques et sociales demeure indispensable. Et la marginalité
fait courir le risque de susciter des réactions violentes de rejet dans
le pays.
Lavigerie réagit fortement dans ses Instructions aux
missionnaires contre la constitution de villages chrétiens formés par les
anciens élèves des missionnaires, recommande une action de masse et
demande de ne pas perdre son temps auprès de populations hostiles.
Mais la perception lucide des risques que comporte la logique de la
chrétienté-réduction ne donne pas d'alternative pastorale. L'échec
de la conversion des chefs conduit les pères blancs à adopter une
stratégie peu différente de celle de leurs confrères, et même à faire
l'expérience des villages de liberté.

49 A.P.F. Acta 269 (1898), f. 319 v. Division de la Mandchourie en deux


vicariats; réponse au questionnaire de la Propagande (population).
50 Ibid. f. 343 r. Erection en vicariat apostolique de la préfecture d'Orange
(f. 341-350). Réponse au questionnaire de la Propagande.
51 A.P.F. Acta 271 (1901), f. 428 v. Erection de la mission du Kassai supérieur
(f. 480-486).
360 LA DIRECTION DES MISSIONS

L'insistance sur l'identité catholique, l'obsession de la


délimitation entre ce qui est permis et interdit, le désir de différencier le
catholique et de régler ses relations avec les «acatholiques» donnent
naissance à des chrétientés très structurées. Mais l'isolement semble
le corollaire de l'ambition de totalisation du catholicisme
intransigeant. Rejetant en Europe la sécularisation, Rome ne peut pas
davantage imaginer un compromis permettant outre-mer aux
catholiques chinois, indiens ou africains de conserver des rites et des
solidarités sociales qui les intègrent à la vie collective. Partiellement
coupées de leurs compatriotes par les interdictions de
«coopération», les chrétientés vivent plus ou moins en vase clos. Ou bien elles
jouent le jeu de la modernité et les anciens élèves des missions
acquièrent au sein des nouvelles administrations nées de la
colonisation les responsabilités qu'ils ne peuvent pas espérer dans la société
traditionnelle. D'abord conçue comme moyen d'évangélisation, la
scolarisation s'avère bientôt une arme efficace et indispensable pour
former les élites catholiques qui christianiseront par le haut les
sociétés indigènes en pleine mutation.
Pour l'heure, les symptômes de l'échec missionnaire à entamer
la résistance des société sont nombreux. Les conversions s'opèrent
en priorité parmi les catégories sociales mal intégrées : esclaves
libérés, castes et couches sociales inférieures, minorités ethniques,
enfants et jeunes épris de progrès et de participation à un pouvoir que
détiennent les anciens... Les statistiques alignent les baptêmes in ar-
ticulo mortis qui améliorent sensiblement les résultats de l'apostolat,
notamment là où la mission avance le plus difficilement. L'invention
des baptiseurs en Asie et la description des mille moyens d'arracher
au démon les âmes prêtes à s'envoler au ciel («une pléiade de
baptiseurs et de baptiseuses qui, sous prétexte de faire de la médecine
recherchent dans les marchés et les villages les enfants en danger de
mort et les baptisent presque toujours au moyen d'une pieuse
ruse52») confirment l'impuissance à gagner massivement les bien-
portants. Les synodes d'Asie53 et les Collectanea contiennent un
nombre élevé de consultations sur les baptêmes administrés aux
adultes in articulo mords. Le débat se concentre dans la définition
des conditions de validité et de licéité, il ne porte pas sur la pratique
elle-même qui suscite l'approbation élogieuse du cardinal Ledo-
chowski54.

52 Ibid., f. 669 ν.
53 Ainsi l'examen de l'important synode de Bombay s'attarde sur le baptême
des païens adultes à l'article de la mort (f. 49 r) et modifie la rédaction primitive
du décret (f. 57 r-60 ν : Tit. V, Chap. 3, art. 3).
54A.C.P.F. N.S. 185 (1900). f. 510-511. Ledochowski à Frère Bertrand, préfet
ap. du Radjpoutana, Rome, 1er septembre 1900.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 361

A l'exception des quelques sociétés qui basculent massivement


dans le catholicisme, souvent des micro-sociétés insulaires
(Réunion, Seychelles, Wallis et Futuna, Antilles françaises), le projet
intransigeant, forgé par l'histoire occidentale, entre en conflit culturel
avec les civilisations dans lesquelles il s'introduit.

3 - Catholicisme intransigeant et acculturation : impasses et


réappropriations non conformistes.

Pourtant les progrès de l'uniformisation et la restriction


constante des possibilités d'adaptation ne sont pas seulement
imputables au catholicisme intransigeant, obsédé par la défense de
l'orthodoxie et de l'identité catholique. Les attitudes adoptées dans les
missions sont également le produit d'une anthropologie et d'une
théologie qui conditionnent l'approche des autres cultures.
Le schéma ci-dessous servira de point de départ à notre
hypothèse. A gauche figurent les trois points de vue à partir desquels
l'Eglise regarde simultanément les sociétés païennes évangélisées. Au
centre est résumée la stratégie missionnaire. A droite, apparaît
l'aboutissement théorique du processus :

Le «natif» (Indien, chinois, noir...) Adapter La Chrétienté


Le païen Arracher * intègre
Le barbare (primitif, sauvage) Transformer * civilise

La stratégie missionnaire entend donc poursuivre deux objectifs


a priori contradictoires. Elle vise à conserver au natif son caractère
spécifique, ce qui induit de respecter ses coutumes. Mais cet
indigène est aussi un païen, et en tant que tel il doit être arraché aux
superstitions. Le discours missionnaire tend à déceler partout,
derrière les mentalités et les mœurs, la trace du paganisme et l'action
du démon. C'est enfin un barbare car le paganisme ne peut pas
engendrer une vraie civilisation (pas plus que les philosophies
occidentales dévoyées). Il doit en tant que tel être transformé pour acquérir
une nouvelle morale et de nouvelles mœurs. La chrétienté est censée
réaliser le dépassement de ces contradictions. Elle conserve tout ce
qui distingue positivement le natif de l'européen, essentiellement
son genre de vie matérielle. Elle assure la protection du néophyte
contre l'influence païenne et l'introduit dans la vraie religion. Elle
transforme le comportement du barbare, lui faisant renoncer par
exemple aux pratiques immorales que sont l'usage de l'opium,
l'usure, la polygamie, le commerce des femmes. Elle substitue
finalement une autre cohérence et, grâce à sa dimension collective, elle
intègre le néophyte dans une société chrétienne qui prend le relais de
la société traditionnelle.
La décomposition à laquelle nous nous livrons est évidemment
362 LA DIRECTION DES MISSIONS

formelle car, dans la réalité, les opérations décrites interfèrent en


permanence. Elle aide cependant à comprendre les obstacles
auxquelles se heurtent les missionnaires; obstacles que la Propagande
n'est pas en état de surmonter. Comment pratiquer dans le concret
la distinction entre les traditions positives (à conserver), neutres (à
tolérer au moins provisoirement) et nocives (à prohiber
immédiatement)? Où passe la frontière entre la superstition religieuse et le rite
social? Quels critères le missionnaire doit-il utiliser pour qualifier
un comportement de barbare sans porter des jugements de valeur
subjectifs, à partir de sa propre culture? Que reste-t-il dans une
société «dépaganisée»?
Parce que le catholicisme n'a pas de réponse théologique à ces
interrogations, il improvise sur le terrain. Au gré des contacts, de
l'évolution des mentalités, le missionnaire développe un discours
favorable ou défavorable, apprécie ou condamne, admire ou rejette en
bloc. Il est vain de vouloir tirer de la documentation une image
unique, et le jeu des citations permet d'opposer indéfiniment les
jugements les plus contradictoires. Cependant la fin du XIXe s. voit
une dépréciation croissante des cultures découvertes. Elle est
d'autant plus affirmée que l'écart culturel est important et le contact
brutal. A l'aube du XXe s. les spécificités ethniques qui ne sont pas
jugées barbares et païennes sont réduites à la portion congrue et
rendent insupportables les différences. L'expansion de la catégorie
«barbare» amène Zaleski à condamner la pastorale des M.E.P. qui
prennent «prétexte de s'adapter au caractère des Indiens» pour
refuser de les «sortir de leur simplicité native.» Et de commenter : il ne
faut certes pas faire sortir l'Indien de sa simplicité naturelle, mais
«la semplicità di persone di condizione civile e non quella di
contadini barbari e rozzi55.»

Trois impasses majeures: la traduction des concepts; le marìage; le


clergé indigène.
La correspondance échangée entre les missionnaires et la
Propagande révèle les principales impasses auxquelle aboutit
l'exportation de la chrétienté latine. Le premier blocage majeur touche la
traduction des prières et du catéchisme dans les langues vernaculaires.
Missionnaires et consulteurs de la Propagande découvrent que
certains termes n'ont pas d'équivalent. Craignant les contaminations et
le syncrétisme, ils s'orientent vers l'utilisation des mots latins
transcrits phonétiquement, avec l'espoir d'introduire dans le mot
nouveau les connotations dont l'a chargé la culture catholique
occidentale. La possibilité de penser le dogme à travers de nouveaux

55 L.M. Zaleski, Rapport de 1902, f. 173 r.


MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 363

concepts est ainsi écartée. Or il ne suffit pas d'imposer dans tous les
séminaires l'enseignement du thomisme pour éliminer ou
neutraliser des modes de pensée étrangers à la tradition chrétienne et qui
restent bien vivants dans la culture environnante. Hindouisme,
confucianisme, bouddhisme, philosophies et métaphysiques
africaines ou océaniennes continuent de dominer les mondes dans
lesquels le catholicisme entend s'implanter.
Le mariage constitue un second môle de résistance contre lequel
échouent la prédication missionnaire et les sentences des canonistes
romains. Perceptibles tout au long de l'histoire des missions
modernes, les difficultés autour du mariage augmentent en proportion
des progrès du catholicisme outre-mer. Les bureaux de la
Propagande croulent sous les demandes de nullité et de dispenses qui
nécessitent la création d'un poste de minutante spécialisé56, Les ca-
suistes répondent sans se décourager aux problèmes nouveaux qui
leur sont posés sans mettre fin à l'inflation des demandes. Une
première instruction de la Propagande examine en 1877 dix-huit cas de
dispenses de mariage57. Une seconde propose en 1883 un véritable
petit traité de droit matrimonial ecclésiastique qui comporte pas
moins de qurante sept points58. Aucune ne suffit à résoudre les
problèmes rencontrés. Quand le Saint-Office a tranché les six doutes
soumis par les pères blancs du Victoria-Nyanza à propos du mariage
des néophytes avec des «infidèles»59, les missionnaires du Niger
soulèvent de nouvelles questions nées de la polygamie60 ou l'âge des
épouses61. La rubrique mariage devient la plus fournie des
Collectanea sous Léon XIII. D'autres rites de socialisation provoquent
l'embarras des missionnaires, telle la circoncision62 et soulèvent des
problèmes mal résolus. Etrangers à une réflexion ethnologique, les
théologiens romains ne peuvent pas concevoir la gravité des conflits
qu'engendre la lutte aveugle contre les superstitions63.
A travers le mariage, se jouent à la fois l'articulation du catholi-

56 A.C.P.F. N.S. 76 (1896), f. 47. Ledochowski à V. Vannutelli, préfet de


l'Economat, 7 mars 1896. Transmet le besoin urgent d'un autre minutante pour les
travaux relatifs «alle questioni contenziose e matrimoniali delle due Segreterie».
57 Collectanea 1907, p. 104-106, n° 1470, Instruction du 9 mai 1877.
58 Ibid., p. 172-179, n° 1587, 1883.
59 Collectanea 1907, p. 225, n° 1682, 22 décembre 1887.
60 Ibid. 2017, p. 374, n° 2017, 17 août 1898.
61 Ibid. p. 440, n° 2165, 18 mars 1903.
62 La circoncision est interdite aux chrétiens : Instruction du Saint-Office au
v. ap. des Gallas du 20 juin 1866, § 10, p. 725 (Collectanea 1907). Les pères blancs
ne tardent pas à découvrir que la prohibition ne résout pas les problèmes. (A.
P.B. Procure 1/10, 1903, Kita, 21 décembre 1903).
63 Roger de Benoist cite deux exemples d'incidents provoqués en 1896 par
l'incompréhension des coutumes dans cette mission de Kita. Eglise et pouvoir
colonial au Soudan français... Paris, Karthala, 1987, p. 103).
364 LA DIRECTION DES MISSIONS

cisme aux sociétés d'outre-mer, sa capacité à être transféré dans une


autre culture et les rapports des convertis et de leurs compatriotes.
Ici, comme ailleurs, les conditions d'une réflexion théorique sur
l'universalité du modèle matrimonial qui a triomphé historiquement
dans le catholicisme occidental ne sont pas remplies. Le droit canon
est donc investi du pouvoir de trancher au cas par cas, ce qui
mobilise les énergies jusqu'au sein du congresso des cardinaux. Des
enquêtes insolites sont engagées pour appliquer une procédure
complètement inadaptée aux réalités missionnaires. Les dossiers
conservés dans les Acta révèlent le caractère surréaliste que revêt
l'application du droit écrit ecclésiastique aux populations d'Afrique,
d'Asie et d'Océanie. Comment établir l'impuissance ou la
consommation du mariage dans des sociétés ignorant la médicalisation?
Comment déterminer le consentement mutuel dans des mariages
qui n'ont pas été conclus en vue de constituer des couples mais
avant tout de perpétuer du groupe? Le juge ecclésiastique doit
parfois confesser que «trattandosi di luoghi di missioni non si può
pretendere che nella confezione del processo siano state rigorosamente
osservate tutte e singole le norme e formalità prescritte...»64.
Malgré l'absence de «vraie forme canonique», malgré le manque
de temps des missionnaires qui ne peuvent pas réunir les pièces
«d'un procès canonique régulier», malgré le souhait de certains
chefs de mission d'être dispensés de recourir systématiquement à
Rome65, l'institution ne renonce pas à juger et les dossiers
s'accumulent, fournissant d'inédits et étonnants témoignages sur le
fonctionnement de ces sociétés en matière de sexualité66.
L'institution aurait cependant succombé à la tâche si elle n'avait
pas pu recourir aux subtilités de la casuistique des moralistes et ca-
nonistes. Intransigeant sur le principe de la monogamie et de l'indis-
soubilité, le droit ecclésiastique exploite les possibilités offertes par
le privilège paulin pour autoriser le divorce des néophytes. «Le
privilège paulin, ainsi appelé parce qu'il a été promulgué par Saint Paul
(1 Cor 7/12) est la faculté accordée à un néophyte uni avant son
baptême à une personne infidèle par un mariage légitime, de contracter,

64 A.C.P.F. Acta 271 (1900) f. 320v. Ponenza du 9 avril 1900. Cas


d'impuissance, «s'agissant de lieux aussi éloignés, on ne peut pas prétendre que dans la
manière de mener le procès on ait observé scrupuleusement toutes les normes et
formalités requises».
65 A.C.P.F. SC Cina 35 (1891-1892). f. 465-469. Mutel, V. Ap. de Corée à Ledo-
chowski, Séoul, 6 juillet 1891. Doit-il dans les demandes en nullité s'adresser
chaque fois à la Propagande si le mariage est déclaré nul par le procès local?
66 Autre preuve de l'importance accordée à cette prérogative romaine : Ledo-
chowski adresse le 2 août 1901 une lettre aux évêques des Etats-Unis pour
dénoncer les abus qui se glissent dans les demandes de dispenses de mariage. {Annuaire
pontifical, 1903, p. 496).
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 365

une fois baptisé, un nouveau mariage chrétien qui entraîne la


rupture de l'union légitime «contractée dans l'infidélité», lorsque l'autre
époux encore infidèle refuse de se convertir ou au moins de
cohabiter sans que Dieu soit outragé par cette cohabitation»67. Cette
disposition n'évite pas d'incessantes consultations et discussions pour
interpréter le privilège et déterminer les cas qui justifient son aplica-
tion. Et chaque précision en suscite de nouvelles, fidèlement
recueillies par les Collectanea6*.
Une nouvelle fois la paralysie du système est évitée par
l'injection d'un peu de souplesse, mais au prix d'un raffinement juridique
qui finit par être obscur, et sans répondre sur le fond : le modèle
matrimonial qui s'est imposé historiquement en Occident est-il le seul
possible?
La promotion du clergé indigène est la troisième grande
question de l'époque. Rome a parlé, les sociétés missionnaires ont obéi.
Pourtant les résultats quantitatifs sont médiocres, le clergé
autochtone est toujours maintenu en situation de subordination en 1903,
la perspective d'un épiscopat indigène s'éloigne. Nous l'avons dit, le
procès intenté aux préjugés et à l'inertie missionnaires masque
surtout le désarroi des intéressés devant une situation qu'ils ne
contrôlent pas. L'intervention énergique de la Propagande, de la
papauté, du délégué apostolique ont obligé les missionnaires à agir et
réagir. Les séminaires se multiplient, leur organisation est
améliorée, les discriminations entre missionnaires européens et clergé
natif reculent. Mais comment former un clergé sur le modèle romain,
tridentin et latin sans provoquer son déracinement, sa déculturation
et sa marginalisation? La pédagogie de l'assimilation se pervertit en
argument pour retarder la promotion de prêtres auxquels les
missionnaires reprochent de ne pas être suffisamment ressemblants et
elle menace d'entretenir indéfiniment leur subordination. La
publication de l'ouvrage du chanoine Léon Joly69 relancera la polémique
et confirme que la situation n'a pas véritablement évolué. Le dossier
réuni par la compagnie de Jésus en témoigne abondamment70. Nous
lui empruntons une de ses pièces.

67 P. Michel, père blanc. Ce qu'il y a de plus pratique pour le prêtre dans le


Nouveau Code canonique, 6ème édition, Maison-Carrée, Alger, 1930, p. 267.
68 Ibid. p. 268 à 285 sur l'interprétation du privilège paulin et la manière
d'interpeller la partie non baptisée. Nombreuses références à des sentences du
Saint-Office (consignées dans les Collectanea) sous Léon XIII. A comparer avec
l'article mariage du D. T. C.
69 Chanoine Léon Joly, Les tribulations d'un vieux chanoine. Paris, Lethel-
lieux, 1908 répond au P. Brou, Etudes t. 112, 1907, p. 161, 199, 498, puis après la
publication du livre, 1908, p. 263-269.
70 ARSI, Mission, 2, Varia, F V.
366 LA DIRECTION DES MISSIONS

«Le père Lémour, s. j. (un de ceux qui au témoignage de Mgr


Paris tirent le mieux parti de leurs prêtres indigènes) écrit de Nang-kin,
le 16 novembre 1910, au père de la Serviere (qui nous a communiqué
la lettre) :
a) Croyez-vous que nous ayons dans les missions un prêtre
indigène résumant les qualités requises à un Vicaire apostolique?
b) Supposé qu'il existe, les prêtres chinois et les chrétiens
admettraient-ils son autorité?
c) Croyez-vous qu'il puisse subsister aux yeux des autorités du
pays? Réponse formellement négative sur tous les points...
Or, remarquez que, de l'aveu de tout le monde, nous avons, sans
conteste, le clergé le mieux formé et le plus sérieux de toute la Chine...
Cependant (les prêtres chinois) reconnaissent, sauf quelques têtes mal
équilibrées, avoir besoin, bien plus, ne pouvoir se passer de nous. Que
dire du clergé indigène de Tché Kiang, de Pékin et d'ailleurs?... A 24
ans un Chinois n'est qu'un gamin. Ne le comparez pas à ceux de notre
race qui à cet âge ont parfois une parfaite maturité.»

L'acculturation, quand même?

Ces blocages pourraient inciter à porter un jugement sévère sur


l'expansion catholique. Ce serait se tromper de débat. Il est vain de
se demander si la mission pouvait se développer autrement mais il
est nécessaire de rechercher pourquoi elle a pris cette forme
historique. Le modèle du catholicisme intransigeant proposé par E. Pou-
lat pour rendre compte du catholicisme à la fin du XIXe s. éclaire ses
rapports avec de nouvelles cultures et les blocages nés de
l'exportation outre-mer. Si l'on veut cependant procéder à une évaluation en
termes d'efficacité, il ne faut pas sous-estimer le pouvoir
mobilisateur du mythe de la chrétienté et la fécondité de la stratégie
d'exportation du modèle intransigeant dans les pays de mission. Elle a
assuré la mobilisation missionnaire dans les pays de départ et un
consensus sans précédent chez la masse des catholiques groupés
autour du pape. Elle donnait à court terme le sentiment de remplacer
efficacement l'ordre social détruit par le catholicisme. Elle arrachait
le païen à sa culture, puis elle reconstituait un monde où la religion
conservait la place centrale qu'elle occupait dans la société
traditionnelle, continuait de structurer la représentation du monde, la vie
sociale, le lien avec les ancêtres et la divinité.
En outre nos sources donnent une image imparfaite des réalités
sur le terrain. Rituels, Collectanea, manuels de confesseurs sont-ils
lus, et surtout scrupuleusement appliqués partout71? Nous ne

71 Les demandes de livres pour les missions adressées à la Propagande les


mentionnent régulièrement. La mission du Chansi (A.P.F. N.S. 167 (1899), f. 108-
118) commande des rituels, cérémoniaux, quinze Bibles, 4 Collectanea.
MODÈLES ECÇLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 367

sommes pas davantage renseignés sur les théologiens qui inspirent


la solution des cas de conscience, les listes d'ouvrages faisant se
côtoyer Augustin et Alphone de Liguori, François de Sales, Verricelli et
Antoine, soit, à côté du probabilorisme pragamatique de Liguori,
des auteurs classés parmi les laxistes (Verricelli) ou des rigoristes72.
L'accumulation des recours à Rome comporte aussi des limites.
Certaines concession aux usages locaux semblent trop enracinées
dans les chrétientés pour être soumises à l'avis des théologiens
romains, y compris en matière de liturgie. Le père Japiot est surpris à
son arrivée dans la mission de découvrir l'usage abondant des
pétards pendant les offices chinois mais ne s'en offusque pas pour
autant :

«Les offices de Pâques étaient magnifiques. Messe chantée avec


diacre et sous-diacre, 18 enfants de chœur, musique chinoise (flûtes,
tam-tam, etc.), pétards en grand nombre. Il n'y a pas de belles fêtes en
Chine sans pétards. Les chinois les fabriquent eux-mêmes avec la
poudre, en sorte qu'ils ne font aucune dépense. Une première charge
de gros pétards se fait au commencement de la messe, une seconde,
plus formidable, à l'élévation, une troisième enfin à la sortie de
l'Eglise73.»

La fin du siècle est-elle cependant favorable à un recul de ces


variations imposées par les populations? A. Launay le suggère en
regrettant que les jeunes missionnaires du sud de l'Inde réprouvent les
traditions locales74.

Bricet, Préfet ap. du Bénin, propose comme livres de base pour la société
des missions africaines de Lyon : les Collectanea, les Monita ad missionarios, les
manuscrits du fondateur Marion Brésillac, les lettres de Libermann. (A.S.M.A.
Bricet, Agoué, 16 juillet 1896).
72 La longévité des manuels de théologie morale est remarquable. Outre
Alphonse de Liguori qui bénéficie en France d'un succès tardif au XIXe s., A.M.
Verricelli reste la référence bien que son manuel Quaestiones morales ut plurìmum
novae et peregrinae, seu Tractatus de apostolicis missionibus, Venezia., 1656, ait
été condamné pour laxisme. Bricet cite aussi le franciscain A. Breno (De missio-
nariis apostolicis) et «Antoine, théologie morale», très probablement le jésuite
P.G. Antoine qui publie en 1726 une Theologia moralis universa, très antiprobabi-
liste. «Il eut la faveur de Benoît XV, qui en prescrivit l'usage au collège de la Pro-
pragande.» (D.T.C, article probabilisme, XIII/1, col. 562).
73 A. privées. Lettre à ses parents, Chang-Kia-Chouang, 30 avril 1879.
74 «Ces représentations (d'épisodes bibliques et de la Passion), comme les
processions, ne plaisent pas aux européens, et quelquefois pas davantage aux
jeunes missionnairres, et cependant elles sont utiles, pour ne pas dire
nécessaires, elles réveillent la foi et la piété des Indiens, elles sont dans l'esprit des
païens des manifestations honorables pour les catholiques, elles tiennent lieu de
prédication. «(Histoire... Inde, op. cit. p. 490.)
368 LA DIRECTION DES MISSIONS

II ne faut pas davantage négliger les effets correcteurs des


instructions de la Propagande qui rappelle la nécessité d'étudier la
langue et les mœurs. Certes ces recommandations n'empêchent pas
le recours à des méthodes parfois brutales et ne protègent pas les
missionnaires contre les préjugés de leur temps, sous prétexte
d'éliminer les superstitions et de vaincre le Démon. Mais un autre
discours et un autre regard sur «l'autre» est aussi en gestation, nourri
par les observations et l'expérience missionnaire. Mgr Le Roy, qui
cède quelquefois à l'apologétique négative, est un brillant
représentant de ce courant d'idées75. Il rédige en 1906 pour la revue Anthro-
pos un article sur «le rôle scientifique des missionnaires»76 qui ne se
contente pas des lieux communs sur l'apport missionnaire77 mais
esquisse aussi une justification théorique. Après avoir rappelé que
l'annonce du salut par l'Evangile suppose la moralisation des
hommes, il met en relation la connaissance des populations avec la
plantation de l'Eglise et une certaine adaptation du message.
Pour «établir le christianisme»... «il faut bien se mettre dans
l'esprit, en effet, que chaque peuple a sa civilisation, c'est-à-dire sa
manière de comprendre la vie, de la mener comme il l'entend, d'en
tirer le parti qui lui semble le meilleur, de se diriger, de se
gouverner? C'est pourquoi il n'y a pas sur la terre à proprement parler de
«Sauvages». Les «Sauvages» ne se rencontrent que dans nos sociétés
civilisées, et c'est la «civilisation» qui la produit! (le missionnaire
doit) «recevoir ses lettres de naturalisation et être, comme le fut
Saint Paul, tout à tous, Noir avec les Noirs, jaune avec les Jaunes,
Rouge avec les Rouges. ... (il) n'a donc pas à condamner tout en
bloc, mais semblable à l'archéologie dans ses fouilles patientes et
avisées, à démêler ce qui est primitif et moral de ce qui a été
rapporté, ajouté et défiguré par les générations qui se sont succédées sans
lumière et sans guide. Et ayant ainsi retrouvé une trace, il s'en
ouvrira pour asseoir la Religion dont il a l'honneur d'être l'humble
architecte. Souvent même il trouvera les principaux matériaux tout
préparés; il lui suffira de les traiter, de les déplacer et de les rapporter

75 Ses récits missionnaires sont dominés par une approche globalement


sympathique des populations quand ils décrivent les mœurs, sans exclure des
jugements très sévères. Cf. ses articles dans les Missions catholiques repris dans : Au
Kilimandjaro. Histoire de la fondation d'une mission catholique en Afrique
orientale. Paris, Beauchesne. Même contraste saisissant entre ses remarquables
dessins à la plume, précieux documents ethnographiques sur l'artisanat, le vêtement,
les coiffures féminines etc. et de douteux dessins humoristiques publiés dans YAl-
manach des Missions Catholiques.
76Anthropos, I, (1906), p. 3 à 10.
77 Cf. Missions Catholiques, 1900, p. 2 et ss., «L'œuvre scientifique des
missionnaires.» Revue des Deux Mondes : M. Bonet-Maury. «Les missions
chrétiennes et leur rôle civilisateur» (1er et 15 avril 1904).
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 369

au bon endroit. Après quoi, les conceptions que le paganisme avait


élaborées tomberont souvent d'elles-mêmes78».
Ce discours sur la nécessaire adaptation, nous l'avons constaté à
plusieurs reprises, n'a jamais disparu des instructions romaines et
imprègne les textes des fondateurs de congrégations79. Mais Mgr Le
Roy l'articule à la théologie de la révélation primitive, ce qui lui
confère une amplitude exceptionnelle. Sans doute il ne règle pas la
question pratique du tri entre les coutumes et son optimisme repose
sur une conception naïve des cultures. Mais il témoigne que la
pastorale de la table rase est parfois contestée. L'action missionnaire
manifeste ainsi une capacité à s'auto-critiquer qui lui évite de se
figer définitivement dans une configuration particulière.
Un copieux rapport rédigé en 1883 par un missionnaire capucin
atteste que les responsables de la Propagande eux-mêmes ne sont
pas insensibles à cet aspect et en débattent parfois80. Les cardinaux
examinent avec intérêt la relation du capucin Giuseppe Val d'Ere-
mao qui se livre à une vive critique de ses confrères missionnaires
aux Indes, et incidemment des jésuites. Le religieux établit un lien
entre européanisation et déculturation, dénonce le risque
d'engendrer au sein des missions la dépendance économique et financière
des convertis. «Vale a dire che il farsi christiano dà al convcrtito il
titolo e diritto di cangiare di vita dalla nativa all'Europea, di vivere
alle spese della missione e d'essere del continuo aiuto dai padri con
denaro e viveri»81. La dénonciation de l'assimilation extérieure à
l'Europe («il nuovo convcrtito cangia il suo vestire, le sue scarpe, la
foggia di tenere la barba; e tutto l'esterno nativo») est donc analysée
comme un déracinement et une mise à l'écart de la société
contraires à l'objet de la mission. Pour mettre fin à cette «folie» qu'il
qualifie de «maggior impedimento alla conversione», le
missionnaire préconise un retour au vrai et antique système catholique.
Tout en relevant l'outrance des propos, le rapport présenté par
le cardinal Franzelin observe que son auteur a été un brillant élève

78 Ibid. p. 7.
79 On peut la rapprocher des instructions de Lavigerie : «Qu'aurait-on pensé
de St Pierre et de St Paul, s'ils avaient voulu faire des Hébreux des enfants des
premiers néophytes de Rome? Et que dirions-nous de St Irénée, s'il avait voulu
faire des Grecs des enfants de Dieu?... (Nouvelles Instructions aux missionnaires
d'Afrique equatoriale, 1879).
80 A.C.P.F. Acta 253 (1884), f. 199-261. Relation du P. Giuseppe Val d'Eremao,
f. 205 à 248. Rome, 16 juillet 1883.
81 «Cela reviendrait à dire que se faire chrétien donne au converti le titre et le
droit de passer du mode de vie indigène à celui de l'Europe, de vivre aux dépens
des missionnaires et de recevoir des pères en permanence un aide en argent et en
vivres».
370 LA DIRECTION DES MISSIONS

du collège Urbain et mérite d'être pris en considération. Ainsi,


ponctuellement, revient l'affirmation que le catholicisme n'implique pas
l'européanisation et que l'Eglise universelle doit s'adapter à toutes
les cultures. Cette conviction anime quelques missionnaires aux
Indes, en Chine, au Japon; elle ne laisse pas indifférents les
fondateurs de sociétés missionnaires (Lavigerie) ou le centre romain. Elle
rend pensable l'hypothèse d'une Eglise qui ne serait pas
monolithique, monophonique et monocolore. Pour l'heure elle s'effectue à
la base et les fidèles mettent spontanément à profit les nombreuses
possibilités de reprendre en compte le message chrétien à partir de
leur héritage culturel. Sous une apparente orthodoxie s'expérimente
une inculturation spontanée et populaire. La panoplie des dévotions
transportées outre-mer offre une infinité de vecteurs pour la
transposition, la juxtapositon ou la superposition des pratiques et des
croyances.
Nous avons étudié ces mécanismes de réappropriation pour l'île
de la Réunion82. Malgré ses dimensions modestes, cette petite
chrétienté nous semble le prototype d'une acculturation qui s'est répétée,
selon d'autres modalités, dans toutes les missions. Les travaux de
Françoise Raison- Jourde sur Madagascar attestent qu'il s'agit là
d'un mouvement général et commun à toutes les missions
chrétiennes83. La vague de codification qui déferle sur le catholicisme
sous Léon XIII et se poursuit au XXe s. n'emporte pas tout sur son
passage. Les népohytes s'emparent du discours clérical pour le
remodeler. Ils construisent leur univers religieux à partir des
symboles, des gestes et des objets que les missionnaires distribuent
généreusement : médailles, images, scapulaires...
«Je baptise. Je fais les onctions saintes. J'impose la voile blanc sur
le front de chacun des baptisés. Je fais toucher le cierge allumé,
symbole de la charité qui doit toujours, ainsi qu'une flamme ardente,
embraser les cœurs... C'est fini! Je me tais... mais pas pour longtemps!
Presque aussitôt, en effet, on me demande des médailles : j'en
donne, mais non pas sans exposer la vertu de la médaille miraculeuse.
On me réclame des chapelets : je réponds que je n'en ai pas, mais j'en
promets. Les nouveaux baptisés viennent me saluer et me remercier :
je rends le salut, je réponds qu'il faut garder précieusement la grâce
du baptême, observer fidèlement le dimanche, les jours de jeûne et
d'abstinence, faire les prières du matin et du soir, vivre comme de
fervents chrétiens. On le promet. Une trentaine de néophytes arrivent me

82 C. Prudhomme, Histoire religieuse de la Réunion. Paris, Karthala, 1984,


p. 286-327 : «la religion vécue.»
83 Outre de nombreux articles, on se reportera à sa thèse dont l'essentiel est
repris dans : Françoise Raison- Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe
siècle. Invention d'une identité chrétienne et construction de l'Etat, Paris, Karthala,
1991, 840 p.
MODÈLES ECCLÉSIAUX ET ACTION MISSIONNAIRE 371

supplier de leur imposer le scapulaire. J'inscris leurs noms et je


renvoie la cérémonie au lendemain matin...84».
Les missionnaires, pas plus que les théologiens romains, ne
s'étonnent du succès que rencontrent les médiations et les supports
matériels du catholicisme, persuadés qu'ils se substituent aux
anciennes idoles.
Enfin les chrétiens investissent rites et dévotions selon des
procédures qui échappent au contrôle exercé par le clergé et donnent
parfois des résultas inattendus. Les démarches qui comportent de
fortes similitudes extérieures, à l'image des pèlerinages hindous et
catholiques, sont les plus favorables à des transformations. A. Lau-
nay fournit à ce propos une description extrêmement suggestive de
«manipulations» populaires : confréries, préférences pour le culte
de certains saints, pèlerinages85 collectifs ou individuels (sur le
tombeau d'un «saint»), procession représentations théâtrales inspirées
de la Bible : autant d'ouvertures pour une indianisation du
catholicisme86. Zaleski, si méfiant vis-à-vis des entreprises d'adaptation, est
le premier à donner en exemple le prosélytisme des femmes
chrétiennes qui incitent leurs compatriotes stériles à se rendre en
pèlerinage auprès de sainte Anne87. Alors qu'elle interdit absolument le
culte des morts, la Propagande favorise involontairement le
transfert chez les convertis à travers les messes pour les défunts ou le
culte aux âmes du Purgatoire. Ces messes connaissent au Bénin un
tel succès que le préfet apostolique demande en 1900 le
renouvellement de l'Induit «accordant aux missionnaires du Dahomey le
privilège de dire deux fois par semaine la messe de requiem, en dehors
des fériés privilégiées, dans les fêtes doubles et doubles majeurs.» Et
d'expliquer : «Si nous n'avions point ce privilège, ce serait au grand
détriment des âmes du Purgatoire, car les fidèles ne demandent que

84 En Mission... Extraits des Lettres de Cyprien Aroud, CM., missionnaire en


Chine, 1899-1928, p. 197.
85 Launay cite Mgr Laouënan qui n'hésite pas à parler de Pougol à la manière
chrétienne (ou Pongol : principale fête tamoule comportant une offrande de riz
bouilli, une aspersion des vaches qui sont ensuite rassemblées pour qu'on leur
présente des images divines) A. Launay, Histoire... Inde, op. cit., T. IV, p. 487-
488. 86 Ibid. p. 487-492. Il s'agit ici dans les missions des M.E.P. de l'hindouisme
tamoul. Les mêmes mécanismes ont joué parmi les indiens émigrés au XIXe s.
dans les plantations des colonies anglaises ou françaises.
Cf. A.H.I.O.M. Les relations historiques et culturelles entre la France et l'Inde,
XVe-XXe s. Actes de la Conférence Internationale France-Inde, 1986, T. I : Jean Be-
noist, Usages et transformations du sacré indien dans la société réunionnaise,
p. 267-281. Claude Prudhomme, Les Indiens de la Réunion entre hindouisme et
catholicisme, p. 249-265.
87 L.M. Zaleski, Les missionnaires... op. cit. p. 16. «C'est ce qui fait que
chaque année des milliers de païens vont au pèlerinage de sainte Anne. Ils
obtiennent des grâces et beaucoup deviennent chrétiens.»
372 LA DIRECTION DES MISSIONS

des messes de Requiem, à jours déterminés et pour des jours qui,


n'étant ni le 3e, 7e, 30e, ni l'anniversaire, ne jouissent d'aucun
privilège. En outre, notre extrême pauvreté serait privée d'honoraires»88.
Autre exemple significatif, tandis que les missionnaires exigent
des catéchumènes la destruction des idoles, la congrégation du
Saint-Office tolère au Chili en 1903 la pratique, pour le moins
ambiguë, d'avaler à des fins thérapeutiques des images de la Vierge
fondues ou transformées en pilules89.
Notre propos n'étant pas d'analyser ces transferts, nous
renvoyons le lecteur aux études ethno-historiques qui leur ont été
consacrées. Mais il était indispensable de nuancer l'impression
donnée par l'étude du catholicisme à travers ses seules prescriptions. Le
catholicisme intransigeant et la piété ultramontaine du XIXe s.
ouvrent aussi un vaste espace d'initiatives populaires incontrôlées
qui amorcent, sous couvert de reproduction, une transformation des
modes d'expression et de contenu du message diffusé par les
missionnaires. La même observation vaut pour l'organisation
ecclésiastique. Derrière la structure ultra-hiérarchisée et cléricale qui se met
en place dans toutes les missions, une analyse plus attentive ne tarde
pas à mettre en évidence qu'elles ne sont pas copies conformes de la
paroisse rurale européenne. Le rôle des intermédiaires autochtones,
en particulier catéchistes, chefs de chrétientés, voire serviteurs des
missionnaires (véritable catégorie socio-professionnelle dans de
nombreuses missions) confère à ces communautés une réelle
originalité90.

88 A.S.M.A. 2 E 19. Lettres de Bricet. Bricet à Ledochowski, 23 janvier 1900.


89 Collectanea 1907, vol. 2, n° 2173, Saint-Office, 3 août 1903. «Dummodo
vana omnis observantia, et periculum in ipsam incidendi removeatur, licere».
90 Cf. l'exemple de Madagascar : F. Raison, Missions L.M.S. et missions
jésuites face aux communautés villageoises merina. Fondation et fonctionnement des
paroisses entre 1869 et 1876. Africa, 53 (3), 1983, p. 66 et ss.
Claude Prudhomme et Bruno Hübsch, «Les laïcs dans la mission catholique
à Madagascar». Credic, Naître et grandir en Eglise. Le rôle des autochtones dans la
première inculturation du christianisme hors d'Europe. Colloque de Chantelle,
Lyon III, 1987, p. 43-63.
Pietro Lupo, Une église de laïcs à Madagascar. Les catholiques pendant la
guerre coloniale de 1894-1895 d'après l'Histoire Journal de Paul Rafiringa (1894-
1895). Paris, C.N.R.S., 1989, 432 p.
TROISIÈME PARTIE

LA POLITIQUE MISSIONNAIRE
LA MARQUE DE LÉON XIII
CHAPITRE 12

LA MISSION EXTÉRIEURE DANS


L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII

L'expansion des missions extérieures sous Léon XIII s'inscrit


dans un mouvement de longue durée qui déborde largement les
limites chronologiques du pontificat. Elle est d'abord le fruit
d'initiatives individuelles parmi les fidèles, mais celles-ci ne peuvent pas se
développer et réussir sans avoir reçu leur légitimité et leur champ
d'action de l'autorité romaine. Il serait donc vain de vouloir
délimiter ce que l'expansion catholique doit en particulier à Léon XIII.
Cependant tout conduit à penser que son influence fut déterminante.
La forte personnalité du pape, son aptitude à appréhender
globalement les événements, sa volonté d'insuffler à l'Eglise un esprit
conquérant, son goût pour les vastes desseins et les visions
prophétiques le prédisposaient à capitaliser la dynamique missionnaire et à
la mettre au service de ses grands objectifs. Certes Léon XIII ne
manifeste pas un intérêt aussi visible que Grégoire XVI pour l'action de
la Propagande latine, ne laisse pas d'encyclique spécifiquement
missionnaire et semble donner la priorité au «retour» des Eglises
orthodoxes. Mais il fut, bien plus qu'un pape diplomate, l'artisan du
triomphe définitif du catholicisme intransigeant en Europe et
outremer1. La marque de son pontificat fut d'inscrire systématiquement
l'expansion catholique dans une vision dynamique de l'histoire, de
l'intégrer concrètement au gouvernement de l'Eglise et à l'ensemble
de l'activité diplomatique. Loin de penser la mission comme une
activité à part, ou d'en attendre seulement une compensation aux
échecs subis dans les vieilles chrétientés européennes, Léon XIII en
fait une dimension naturelle d'un catholicisme contemporain
offensif.

1 Nous suivons l'interprétation du pontificat proposée par Oskar Köhler dans


Handbuch der Kirchengeschischte, vol. IX et Roger Aubert dans diverses
contributions, notamment, parmi les plus récentes, l'article «Leone XIII» in Dizionario
storico del Movimento cattolico in Italia, T. III/2. Le figure rappresentative. L'article
d'Emile Poulat «Regno di Dio e impero della Chiesa. Alle origini del Movimento
cattolico contemporaneo» (in Rivista di letteratura religiosa, XIX, 1983, p. 45-62)
ouvre également des perspectives fécondes qui rejoignent les précédentes.
376 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

1 - La place des missions extérieures dans le discours pontifical.

L'identification des documents pontificaux relevant des


missions est une entreprise délicate qu'illustrent les Index des recueils
composés à la mort de Léon XIII. La table alphabétique des sept
volumes de Lettres apostoliques établie par la Bonne Presse en 1904
comporte seulement cinq entrées consacrées explicitement aux
questions missionnaires.
Antiesclavagisme Catholicae Ecclesiae, 1890.
Carthage Materna Ecclesiae Caritas, 1884, «au sujet
de la restauration du siège archiépiscopal
de Carthage».
Missions Auspicia rerum, 1896. «Sur la méthode à
suivre et la concorde à garder dans
l'avancement du Catholicisme en Orient».
Unitatis christianae, 1895. Aux coptes.
Propagation de la foi Sancta Dei civitas, 1880. Sur trois œuvres
pies appelées par les français Propagation
de la Foi, Sainte-Enfance, Ecoles d'Orient.
Christi nomen, 1894. (Pour accroître les
ressources de la Propagagation de la Foi
amenées à fournir un important effort
financier en faveur des Eglises d'Orient).
Protectorat des missions Au milieu des consolations, 1883.
L'édition de 1907 des Collectanea retient au contraire vingt-deux
documents. Mais cette collection regroupe à la fois des instructions
et des encycliques, des textes à destination universelle ou à finalité
locale, applicables à l'ensemble des territoires relevant de la
Propagande ou plus particulièrement aux missions chez les païens. Nous
dressons ci-desous la liste des documents les plus importants.

Interventions réglementaires, disciplinaires, cultuelles


à caractère universel dans les collectanea :

In suprema, 1882. Sur la célébration des messes pro populo par les
Evêques
Quo se placabiliorem, 1889, dévotion à St Joseph.
Consensus mutuus ,1892, Sur les contrats de mariage.
Magnae Dei Matris, 1892, Dévotion à la Vierge : Rosaire.
Ilud est proprium,1894, sur l'institution des chanoines.
Abrogata, 1897, abrogation de la tradition d'administrer la
confirmation avant le baptême.
Ubi primum, 1898, sur les confréries du Rosaire.
Officiorum, 1897, interdiction et censure des livres.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 377

Conditae, 1900, statut des associations pieuses et confréries


diocésaines.
Omnibus et singulis, 1902, octroi d'Indulgences
Fin dal prìncipio, 1902, sur le clergé et le ministère sacerdotal.

Interventions théologiques, juridiques et disciplinaires


spéciales

Sancta Dei civitas, 1880, sur trois œuvres pieuses (d'aide aux
missions).
Romanos Pontifìces, 1881, juridiction des évêques sur les religieux
missionnaires.
Humani generis, 1893, sur la Sainte Enfance.
Orientalium dignitas, 1894, sur le maintien et la conservation de la
discipline des orientaux.
Au Délégué apostolique aux Etats-Unis, 1895.
Apostolicae curae, 1896. Validité des ordinations anglicanes.
Trans Oceanum, 1897, sur les privilèges de l'Amérique latine.
Testern benevolentiae, 1899, Contre l'américanisme.

Mais si les interventions spécifiques sont rares, la préoccupation


missionnaire est omniprésente dans l'ensemble des interventions de
Léon XIII. Les premières encycliques, Inscrutabili, Quod Apostolici
(1878), /Eterni Patrìs (1879) ouvrent déjà des perspectives
universelles qui intègrent la dimension missionnaire. Résolument
constructives, elles s'articulent autour des thèmes centraux de
l'Eglise agent du salut et fondement de la vraie civilisation. Pour le
pape, les attaques contre l'Eglise portent surtout préjudice aux
pouvoirs politiques. Quand ceux-ci les tolèrent ou les favorisent, ils
préparent leur propre perte. Abandonnant une problématique
essentiellement négative, le discours de Léon XIII exalte la vitalité du
christianisme et énonce les valeurs qui vont être proposées durant
tout le pontificat aux vieilles chrétientés comme aux jeunes
missions.
Selon Inscrutabili, l'Eglise est «nourrice, maîtresse et mère de
civilisation»2. Cette affirmation ne condamne pas seulement le
processus de sécularisation des sociétés occidentales. Elle légitime aussi
l'action missionnaire, indissociablement religieuse et éducative.

2 Inscrutabili, 21 avril 1878, Lettres apostoliques de Léon XIII... p. 13 : «II s'en


faut donc de beaucoup que l'Eglise de Jésus-Christ abhorre la civilisation et la
repousse, puisque c'est à elle, au contraire, qu'elle croit que revient entièrement
l'honneur d'avoir été sa nourrice, sa maîtresse et sa mère».
378 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

«N'est-ce pas l'Eglise qui, en prêchant l'Evangile parmi les nations, a


fait briller la lumière de la vérité au milieu des peuples sauvages et
imbus de superstitions honteuses et qui les a ramenés à la
connaissance du divin Auteur de toutes choses et au respect d'eux-mêmes?
N'est-ce pas l'Eglise qui, faisant disparaître la calamité de
l'esclavage, a appelé les hommes à la dignité de leur très noble nature»3?
La mission civilisatrice universelle trouve son fondement et son
efficacité dans une mission religieuse plus fondamentale dont le
rappel couronne tout le développement de l'encyclique Inscrutabili :
«Ce sont, en vérité, Vénérables Frères, de grandes choses, même des
choses supérieures aux forces humaines que Nous embrassons ainsi
de nos vœux et de nos espérances; mais, comme Dieu a fait les
nations du monde guérissables et qu'il a fondé son Eglise pour le salut
des peuples, en promettant de l'assister jusqu'à la consommation
des siècles, Nous avons la ferme confiance que le genre humain,
frappé de tant de maux et de calamités, finira, grâce à vos efforts,
par chercher le salut et la prospérité dans la soumission à l'Eglise et
dans le magistère infaillible de cette Chaire Apostolique4».
Cette aptitude de Léon XIII à insuffler au discours un caractère
universel se retrouve dans sa lettre Quod Apostolici sur les erreurs
moderne5. Malgré un point de départ conforme à l'esprit de Quanta
Cura, l'essentiel du message ne porte pas sur la répétition du
Syllabus mais regarde en avant et expose la vraie doctrine en matière
d'organisation politique, économique, sociale et de conception du
mariage. La conclusion choisit à nouveau de privilégier les
promesses du salut sur la châtiment des pécheurs, «car la main de Dieu
n'a point été raccourcie, pour qu'il ne puisse nous sauver, et son
oreille n'a pas été fermée pour qu'il ne puisse entendre (Isaïe 49/1) »6.
L'encyclique Alterni patris ne procède pas d'un esprit différent.
Avant de démontrer la nécessité de la philosophie et de peindre une
vaste fresque qui assure la prééminence doctrinale de Thomas d'A-
quin, Léon XIII situe la fonction d'enseignement de l'Eglise dans la
continuité du message évangélique. Telle est l'affirmation exposée
dès la première phrase :
«Le Fils unique du Père éternel, après avoir apparu sur la terre
pour apporter au genre humain le salut ainsi que la lumière de la
divine sagesse procura au monde un immense et admirable bienfait
quand, sur le point de remonter aux cieux, il enjoignit aux Apôtres

3 Inscrutabili, ibid. p. 11.


4 Inscrutabili, ibid. p. 21-22.
5 Quod Apostolici, 28 décembre 1878, Lettres apostoliques de Léon XIII..., t. 1,
p. 27-41.
6 Ibid. p. 41.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 379

d'aller et d'enseigner toutes les nations, et laissa, pour commune et


suprême maîtresse de tous les peuples, l'Eglise qu'il avait fondée»7.

La conscience de la mission universelle de l'Eglise s'impose


ainsi, dès les premières encycliques et dans toutes les interventions
importantes, parmi les convictions maîtresses, au point de reprendre,
comme ci-dessus, la citation évangélique qui est la devise de la
congrégation de la Propagande.
La publication de l'encyclique Sancta Dei Civitas8 explicitement
missionnaire, représente une expression plus élaborée de la pensée
habituelle au pontificat. Elle ne développe pas une véritable
théologie de la mission, sinon à travers les thèmes généraux que nous
avons précédemment signalés. La loi de la dilatation du règne de
Dieu, l'annonce du salut et l'action civilisatrice sont bien évoquées
au cours du développement, mais sans insistance particulière, sans
que le rédacteur éprouve le besoin de s'y attarder9. Par contre
l'encyclique concrétise le nouveau style imprimé par le pontife au dicours
du magistère. Elle adopte une hauteur de vue qui réduit
notablement la part des lamentations ou des polémiques anitiprotestantes.
L'évocation de la compétition constitue surtout une incitation
supplémentaire à l'action et à la générosité financière face à un
concurrent que la littérature contemporaine présente toujours
pourvu de formidables richesses :

«Nous passons en effet sous silence les difficultés et les obstacles


nés des contradictions. Souvent, en effet, des hommes fallacieux, des
semeurs d'erreurs, se donnent pour les apôtres du Christ et
abondamment pourvus de ressources humaines, entravent le ministère des
prêtres catholiques, ou viennent après ceux qui sont partis, ou élèvent
chaire contre chaire... Plût à Dieu qu'ils ne réussissent point dans
leurs artifices. Mais combien il est regrettable que tels et tels qui ont
en dégoût de pareils maîtres ou qui ne les ont jamais connus, et qui
aspirent après la lumière de la vérité, n'aient souvent pas un homme
pour les instruire de la saine doctrine et les amener au sein de l'Eglise!
Petits enfants, ils demandent du pain, et il n'y a personne pour leur en
donner; les pays sont comme une moisson blanchissante, et cette

1 Aitemi patris, 4 août 1879, Lettres apostoliques de Léon XIII, t. 1, p. 43.


8 «(La propagation de la foi) a, en effet, pour objet direct la gloire du nom de
Dieu et l'extension du règne de Jéus-Christ sur la terre; elle est aussi un bienfait
inappréciable pour ceux qui sont tirés de la fange des vices et des ombres de la
mort; car, non seulement ils deviennent aptes au salut éternel, mais ils sont
amenés de la barbarie et d'un état de mœurs sauvages à la plénitude de la
civilisation». (Sancta Dei Civitas, 3 décembre 1880, Lettres apostoliques de Léon XIII, t. 1,
p. 119-129).
9 Ibid. p. 127.
380 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

moisson est riche; mais les ouvriers sont peu nombreux et ils le
deviendront peut-être encore moins.»
L'inévitable rappel de la permanence des prises de position du
magistère, en particulier par la référence à Grégoire XVI, n'empêche
pas davantage l'expression d'une sérénité et d'une conviction qui
avaient déserté les interventions antérieures. L'introduction de
l'encyclique emprunte le langage d'Isaïe pour anticiper un avenir en
train de se réaliser. «La cité sainte de Dieu, qui est l'Eglise, n'étant
limitée par aucune frontière, a reçu de son fondateur une telle force
que chaque jour elle élargit l'enceinte de sa tente et elle étend les
peaux qui couvrent ses tabernacles (Is.44/2)». A la suite de cette
vision quasiment prophétique, une série de références évangéliques et
pauliniennes rattachent à la tradition apostolique la responsabilité
romaine de diriger la propagation de la foi. Le soutien aux missions
est vigoureusement articulé à une mobilisation générale des fidèles.
Cette dernière donne à chacun, selon son rang, le devoir de
participer activement au mouvement catholique : par l'argent, par la
prière, par la paternité et la maternité, par le choix de la vie
missionnaire. Elle constitue pour le catholique un moyen privilégié de
concourir à son propre salut car la propagation de la foi «est, pour
ceux qui y participent, grandement utile et fructueuse, puisqu'elle
leur assure les richesses, leur fournit un sujet de mérite, et leur
donne, pour ainsi dire, Dieu comme débiteur».
Les impératifs plus prosaïques du gouvernement ecclésiastique
ne sont pas pour autant négligés au milieu de ces considérations
spirituelles. L'approbation donnée à la multiplication des initiatives
locales, preuves de la vitalité du catholicisme, suppose que les
associations créées déploient leur action sous la conduite de l'autorité
romaine, comme «coopérateurs» et non maîtres d'œuvre. Le discours
réintroduit discrètement la nécessité de l'union car le Souverain
Pontife est seule source de légitimité10.
L'encyclique Sancta Dei Civitas a ainsi synthétisé le fondement,
les buts et les moyens des missions chez les païens. Plus qu'à
l'invention d'une théologie de la mission, le discours de Léon XIII affirme
sa capacité à l'aggiornamento des formulations et au renversement
des perspectives pour affronter l'avenir dans un esprit conquérant et
confiant.
Après 1880 la référence à la mission de l'Eglise et à la vocation

10 «Ces trois sociétés ayant donc fleuri avec la faveur si marquée des
Souverains Pontifes et n'ayant jamais cessé de poursuivre chacune son œuvre avec un
zèle sans rivalité, on les a vues produire des fruits abondants de salut, aider
puissamment notre congrégation de la foi à soutenir la charge des missions, et
prospérer au point de donner pour l'avenir l'heureux espoir d'une plus ample
moisson» (Ibid. p. 125).
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 381

de tous les hommes au salut (qualifié de régénération et


d'accomplissement) continue d'accompagner systématiquement les
interventions pontificales. Immortale Dei (1885, sur la constitution
chrétienne des Etats)11, Liberias praestantissimum (1888, sur la
liberté humaine)12, Sapientiae christianae (1890, sur les devoirs civiques
des chrétiens)13 tracent les mêmes perspectives universalistes. Quant
à la lettre apostolique Praeclara gratulationis (1894), elle clôture le
jubilé episcopal du pontife en s'adressant «aux peuples et aux
princes de l'Univers», non aux évêques et aux fidèles. Elle symbolise
la volonté de Léon XIII de se présenter en Pontife souverain, garant
de la paix entre les nations, de fonder l'ordre international sur les
principes catholiques, d'instaurer ou de restaurer l'unité des peuples
au sein de l'Eglise romaine. Occasion d'une nouvelle et grandiose
fresque historico-géographique, le document exalte les progrès
techniques du monde moderne interprétés comme une étape nouvelle et
décisive dans l'économie du salut :
«A la restauration de cette concorde, aussi bien qu'à la
propagation de l'Evangile, les temps que nous traversons semblent
éminemment propices, car jamais le sentiment de la fraternité humaine n'a
pénétré plus avant dans les âmes, et jamais aucun âge ne vit l'homme
plus attentif à s'enquérir de ses semblables pour les connaître et les
secourir; jamais non plus on ne franchit avec une telle célérité les
immensités des terres et des mers : avantages précieux, non seulement
pour le commerce et les explorations des savants, mais encore pour la
diffusion de la parole divine»14.
Au total, les interventions solennelles traduisent la dimension
visionnaire et utopique de la pensée de Léon XIII. Celui-ci multiplie
les références à Augustin, aux papes qui ont affirmé le pouvoir
pontifical, Léon le Grand et Grégoire le Grand, aux extraits des
Ecritures qui donneraient à l'Eglise une autorité directe sur les fidèles et
indirecte sur les Etats. On retrouve cette forte conviction d'une
responsabilité particulière du pape dans la lettre In plurimis (1888),
adressée aux évêques brésiliens pour saluer l'abolition de
l'esclavage :
«Nous tenons auprès de tous les hommes la place du Christ, Fils
de Dieu, qui a été tellement embrasé de l'amour du genre humain, que
non seulement il n'a pas hésité en prenant notre nature, à vivre au
milieu de nous, mais qu'il a aussi aimé à se donner le nom de Fils de
l'homme, en attestant qu'il s'était mis en rapport avec nous pour
'annoncer aux captifs la délivrance'...

11 Immortale Dei, 1er novembre 1885, Lettres apostoliques..., t. 2, p. 24-25.


12 Liberias praestantissimum, Lettres apostoliques..., t. 2, p. 173.
13 Sapientiae christianae, 10 janvier 1890, Lettres apostoliques..., t. 2, p. 267.
14 Praeclara gratulationis, 20 juin 1894, Lettres apostoliques..., t. 4, p. 31.
382 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

II convient donc, et c'est bien le propre de notre ministère


apostolique, de seconder et de favoriser puissamment tout ce qui peut
assurer aux hommes, soit pris séparément, soit en société, les secours
aptes à soulager leurs nombreuses misères, dérivées, comme le fruit
d'un arbre gâté, de la faute des premiers parents, et ces secours, de
quelque genre qu'ils soient, sont non seulement très efficaces pour la
civilisation, mais ils conduisent aussi convenablement à cette
rénovation intégrale de toutes choses, que Jésus-Christ, Rédempteur des
hommes, s'est proposé et a voulu»15.
La formulation par Léon XIII d'un vaste plan universel de (re)
christianisation consacre donc la place eminente de la mission dans
la conscience catholique. Mais l'extension des préoccupations et des
ambitions aux dimensions du monde nouvellement exploré,
colonisé, dominé par l'Occident s'accompagne d'un renforcement continu
du centre de l'Eglise romaine. Parce que, selon la théorie du
Vicariat, le pontife romain tient la place de ce Dieu tout-puissant, les
progrès du salut et de la civilisation ne peuvent pas se concevoir
sans «mettre en évidence cette vérité, que l'influence du pontificat
est salutaire à tous égard»16. L'universalité du salut et
l'accomplissement de la mission confiée à l'Eglise passent par la reconnaissance
universelle de l'autorité pontificale pour hâter «l'accomplissement
de cette promesse de Jésus-Christ : II n'y aura qu'un seul bercail et
un seul pasteur (Jn 10/16) »17.

2 - Joindre le geste à la parole : la médiation des îles Carolines, les


lettres aux emprereurs de Chine et du Japon, la campagne
antiesclavagiste.

La mission lointaine constitue depuis la Révolution un foyer


essentiel du triomphe ultramontain. Mais là encore Léon XIII fait
franchir une nouvelle étape au discours. Avant son pontificat, et le
concile du Vatican l'a illustré par les positions unanimes des évêques
missionnaires en faveur de l'infaillibilité, les progrès missionnaires
concouraient à un ultramontanisme interne : soumission au pape,
renforcement des pouvoirs de la Propagande, élimination de
l'intervention des Etats dans la vie des missions. Désormais Léon XIII
capitalise l'action missionnaire pour légitimer son droit à intervenir à
l'extérieur, dans la vie des Etats et prendre la tête de l'humanité sur
les chemins du véritable progrès. L'affaire des Carolines, l'évolution
de l'Extrême-Orient et la croisade antiesclavagiste procurent au
pape des occasions de traduire dans les faits cette double ambition.

15 In plurimis, 5 mai 1888, Lettres apostoliques..., t. 2, p. 147.


16 Ibid. p. 9 et 7.
17 Ce sont les derniers mots de la lettre Praeclara gratulationis, p. 31.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 383

L'affaire des îles Carolines : le pape médiateur universel (1885).


L'arbitrage demandé à Léon XIII à propos des îles Carolines
comporte une valeur avant tout symbolique dont témoigne le
dossier conservé à la Secrétairerie d'Etat18. Car le contentieux porte sur
une contestation banale en cette fin de XIXe s. Les îles Carolines
regroupent un archipel de petites îles partiellement et faiblement
peuplées, sans grande importance économique. Deux sociétés
allemandes s'y sont installées, l'une pour ouvrir neuf comptoirs et
l'autre deux factoreries qui tendent à monopoliser les échanges et
notamment le commerce du coprah. Poursuivant son implantation
dans cette région du Pacifique, l'Allemagne décide le 25 juillet 1885
l'occupation du petit archipel. Cette initiative déclenche un violent
mouvent anti-allemand dans une Espagne dont l'opinion publique
supporte mal qu'elle soit exclue du concert des nations et
progressivement privée des restes de son immense empire colonial. Les
manifestations de rue à Madrid obligent le gouvernement espagnol à
réagir plus violemment qu'il ne l'avait primitivement décidé19.
La tension monte encore après l'arrivée d'un navire de guerre
allemand qui dépose des fonctionnaires, un détachement de soldats et
les ouvriers nécessaires à la construction d'édifices publics. Ces
événements engendrent une crise internationale qui met dans
l'embarras un Bismarck soucieux d'éviter un conflit préjudiciable à
l'ensemble de sa politique extérieure et de ne pas déstabiliser le régime
conservateur établi en Espagne20.
Le vieux chancelier et le pontife romain, déjà rapprochés par
une volonté commune de surmonter les conséquences du
Kulturkampf, vont admirablement utiliser cette conjoncture de crise pour
conforter leur image dans l'opinion et servir leurs intérêts respectifs.
Léon XIII se trouve en position idéale pour mener des négociations
avec les deux parties. Le gouvernement d'Alphonse XII a tout intérêt
à consolider les bonnes relations nouées à la chute d'Isabelle II et
concrétisées par le rétablissement de la nonciature de Madrid. Bis-

18 A.S.V., S.S., Rub. 1/1886 Fase. 18 à 20. Sous la référence Fase. 18 figure un
dossier de 132 pages.
19 Ibid. dossier F. 18, f. 6. Le télégramme initial est tout à fait modéré.
«Gouvernement espagnol très satisfait des dispositions amicales et conciliantes
Allemagne, il condamne exagération de grande partie presse surexcitée par la forme
Lui parvient nouvelle qu'on méconnaissait absolument nos droits antiques et
traditionnels aux Carolines».
20 Ibid. f. 10. Amb. d'Espagne près St Siège. Transmet copie dép. télégr.,
Madrid, 16 septembre 1885. «Remarque, que majorité presse européenne annonce
révolution comme imminente ici. Absolument faux. Devant efforts faits par
révolutionnaires pour tourner conflit allemand contre institutions, tous hommes
d'ordre ralliés. Monarchie facilitant tâche gouvernement. Révolutionnaires
découragés. Armée plus royaliste que jamais. Ceci entièrement exact».
384 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

marck a besoin de l'appui du centre catholique qui s'est vivement


opposé à ses initiatives coloniales l'année précédente21. Il sollicite
donc l'intervention de Léon XIII, définie comme une médiation
plutôt qu'un arbitrage. Le pontife réunit une commission cardinalice
qui est chargée de mettre au point un règlement pacifique sous la
direction du secrétaire d'Etat Jacobini. Elle élabore un projet (22
octobre 1885) qui maintient la souveraineté nominale de l'Espagne mais
accorde à l'Allemagne l'entière liberté de commerce, de navigation,
de pêche, le droit de construire une station navale et un dépôt pour
le ravitaillement en charbon. Enfin l'Allemagne obtient la liberté de
faire des plantations et de fonder des établissements agricoles, tout
comme les sujets espagnols22.
Léon XIII investit dans cette affaire, objectivement mineure,
d'immenses espoirs. La diplomatie pontificale observe avec une
attention soutenue les réactions de la presse et de l'opinion publique.
L'année 1885 offre en effet des opportunités sans précédent pour
asseoir l'autorité pontificale et faire coïncider les actes avec le discours
qu'expose solennellement le 1er novembre l'encyclique Immortale
Dei, essai de théologie politique consacré à la constitution des Etats.
Comment ne pas percevoir une inspiration providentielle dans la
démarche de Bismarck quand il sollicite Léon XIII «d'accepter le noble
emploi d'arbitre du différend», puis remercie le Souverain pontife
en termes flatteurs? «La considération du fait que les deux nations
ne se trouvent pas dans une situation analogue par rapport à l'Eglise
qui vénère en Votre Sainteté son chef suprême, n'a jamais affaibli
ma ferme confiance de l'élévation des vues de Votre Sainteté, qui
m'assureraient la plus juste impartialité de son verdict»23.
Quelques jours après la signature du protocole d'accord entre
l'Allemagne et l'Espagne, le 17 décembre 1885, dans les
appartements du Secrétaire d'Etat, l'encyclique Quod auctoritate apostolica
(22 décembre 1885) décrétait que l'année 1886 serait une année
sainte extraordinaire, exploitant immédiatement le prestige retiré de
l'opération. La décision allemande de décorer le Secrétaire d'Etat Ja-
cobini de la Toison d'or semblait consacrer le succès de l'action
pontificale.

21 Ibid. f. 21 r-v. Le nonce envoie de Vienne le 27 décembre 1885, un article


da la Neue freie Presse, daté du 23 décembre qui analyse les trois enjeux de la
crise : l'avenir de la politique coloniale allemande; l'existence du gouvernement
espagnol; les relations entre Berlin et Rome. Il souligne la crainte du chancelier
de voir l'Espagne se jeter dans les bras de la France et l'avantage que Léon XIII
retire de la situation. Il se pose en diplomate avisé et sage sans avoir cédé dans les
problèmes ecclésiastiques allemands, (f. 19-25).
22 Ibid. f. 133r.
23 Ibid. f. 136 r. Lettre du Prince Bismarck à Sa Sainteté Léon XIII, Berlin, 13
janvier 1886.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 385

La médiation des Carolines est le premier acte qui manifeste


pleinement l'art et les ambitions du pontificat. Elle se développe en
effet à tous les niveaux d'action que rend possible la double nature
de la Papauté, Etat et Religion. Officiellement, c'est l'Etat du Vatican
qui a offert sa médiation dans un règlement strictement politique.
Une interprétation superficielle pourrait déceler dans cette
terminologie un relatif échec de Rome pour se poser en cour suprême
d'arbitrage moral, au-dessus des Etats. Ce serait oublier qu'au sortir de la
conférence de Berlin, achevée le 25 février 1885, la papauté a eu tout
loisir de méditer les conséquences de son exclusion de négociations
internationales dont les décisions concernent l'avenir des missions.
Elle attache plus que jamais une grande importance à la
reconnaissance effective de ses droits temporels et à son statut international
d'Etat, symbolisé par la position intransigeante adoptée dans la
question romaine.
Mais la décision concernant les Carolines a aussi des incidences
sur la politique missionnaire du pontificat. En effet l'argumentation
espagnole est fondée sur l'antériorité de l'occupation et sur la
revendication d'une possession accordée à l'origine par une décision
pontificale, à charge pour Madrid d'évangéliser les territoires concédés.
La papauté se trouve donc dans la situation délicate d'être juge,
après avoir été historiquement partie, au moment où elle achève de
se débarrasser du padroadao sur les missions d'Asie et d'Afrique. La
solution préconisée par les cardinaux doit aussi être lue en fonction
de ces contraintes et de ces objectifs. En maintenant la souveraineté
espagnole, elle préserve la validité du partage effectué par les papes
à l'époque moderne, de la bulle Inter cœtera d'Alexandre VI (1493)
aux arbitrages de Martin V, Nicolas V et Callixte III. En accordant
des droits concrets, en fait toutes les fonctions demandées à une
colonie, la Curie romaine admet que le monopole espagnol est devenu
caduc et elle soumet désormais l'exercice de la souveraineté à
l'établissement d'une administration régulière, «avec une force
suffisante pour sauvegarder l'ordre et les droits acquis»24. Léon XIII
manifestera jusqu'au bout son sens de l'équilibre, organisant la
missions en deux préfectures (1896) confiées à des capucins espagnols.
Sans remettre en cause ses décisions antérieures, la papauté prend
acte des mutations coloniales contemporaines et applique les règles
du jeu fixées pour l'Afrique à la conférence de Berlin. Elle trace la
voie étroite que suivra la politique pontificale.

Accord élaboré sous la direction du Secrétaire d'Etat, art. 2. Ibid. f. 133r.


1
386 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

L'Eglise au-dessus des partis: les lettres à l'Empereur de Chine et du


Japon (1885).

Le rapprochement effectué avec l'Allemagne prépare un


rééquilibrage diplomatique qui ne pouvait manquer d'influencer la
politique menée outremer. Jusque là, la France se posait en protecteur
attitré des missions catholiques. Le congrès de Berlin a rendu cette
prétention anachronique avec la constitution en Afrique noire de
colonies allemandes et belges pour lesquelles la métropole exige un
personnel national. Plus grave, la guerre franco-chinoise à propos
du Tonkin (novembre 1884 - avril 1885) compromet
dramatiquement les missions de Chine car elle assimile, aux yeux des autorités
et des milieux nationalistes, catholique à français. Une vague de
destructions et de persécutions entraîne la mort de plusieurs
missionnaires et de nombreux catholiques chinois. Elle rend urgent un
certain désengagement vis-à-vis de la France pour sauvegarder l'avenir
des missions.
Dans cette optique l'Allemagne et les catholiques allemands
deviennent un atout essentiel pour détacher progressivement la
papauté de son apparente alliance exclusive avec la République. Cette
volonté d'internationaliser l'image des missions catholiques est
particulièrement explicite dans la lettre du 1er février 1885 adressée par
Léon XIII à l'empereur de Chine pour qu'il assure la liberté et la
sécurité des missions.

«Il n'est personne qui, en cela, grand prince, n'ait reconnu Votre
équité et Votre humanité, d'autant plus que tous les prêtres, habitant
votre florissant empire pour y prêcher l'Evangile, sont envoyés par les
Pontifes Romains, de qui ils tiennent leurs charges, leur mandat et
toute leur autorité. Ils ne sont pas recrutés dans une seule nation : on
en compte aujourd'hui un grand nombre de l'Italie, de la Belgique, de
la Hollande, de l'Espagne, de l'Allemagne, qui habitent dix provinces
de votre vaste domination. Les prêtres tant de la Compagnie de Jésus
que de la Congrégation des missions, qui travaillent en d'autres
provinces, viennent de nations très diverses. Et cela est pleinement
d'accord avec la nature de la religion chrétienne qui n'est pas faite pour un
seul peuple, mais pour tous, qui unit tous les hommes par des liens
fraternels, sans aucune distinction de pays ni de race»25.

Une seconde lettre (12 mai 1885), destinée cette fois à l'empereur

25 Lettre de Léon XIII à l'empereur de la Chine, Rome, 1er février 1885.


Traduction publiée par les M. C, 1885, p. 157. Texte latin in AEE Francia, 1886, pos.
766, fase. 404, f. 83-84.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 387

du Japon, et d'abord entourée de discrétion, traduit le même désir


de se dégager de la protection française pour attendre du seul
Mikado la liberté religieuse et la protection des missions. Après avoir
félicité le souverain des progrès réalisés dans l'ordre civil et politique,
de l'état moral du peuple, Léon XIII démontre les avantages du
catholicisme pour fonder la justice, l'obéissance aux lois, le respect des
autorités et l'honnêteté. «C'est pourquoi nous vous demandons
vivement de daigner accorder aux chrétiens la grande liberté qu'il vous
sera possible, et de vouloir bien continuer, selon ce qui est déjà votre
habitude, à couvrir leurs institutions de votre protection et faveur»26.
Les revues missionnaires assurent aussitôt la publicité de
l'audience accordée par «S.M. le Mikado» à Mgr Osouf, vicaire
apostolique du Japon septentrional, venu remettre solennellement la lettre
de Léon XIII. Plus que le contenu, seulement évoqué, les comptes
rendus de l'entrevue mettent en évidence la portée du geste et
suggèrent l'admiration du souverain du Japon pour le Pontife de
Rome27. Ces démarches semblent conforter l'ambition de Léon XIII
d'imposer le catholicisme comme fondement et accomplissement de
la civilisation, en Europe et outre-mer, dans les Etats indépendants
et les colonies.
La nouvelle configuration internationale permet le 6 janvier
1886 de franchir un nouveau pas dans l'exposé des positions
pontificales en matière coloniale. La lettre Jampndem, aux évêques de
Prusse, se félicite de la restauration des droits du catholicisme au
sein de la nation allemande, gage de concorde à l'intérieur du pays
et de paix sociale grâce au concours des catholiques pour résoudre
la question ouvrière. Mais elle applique aussi le raisonnement aux
colonies : la collaboration de l'Eglise est nécessaire pour apporter
aux peuples colonisés par l'Allemagne, avec les préceptes de la
religion, la civilisation.

«Ni moins sérieux, ni moins utile est le concours que peuvent


apporter les ministres sacrés, animés de l'esprit que l'Eglise leur inspire,
dans ces pays reculés, sans aucune civilisation, où plusieurs princes
ont pris à tâche d'établir des colonies. Le gouvernement allemand lui-
même cherche, non seulement à fonder des colonies, à agrandir ses
possessions, mais encore à ouvrir de nouveaux débouchés au
commerce et à l'industrie. Ce qui fera sa gloire, aux yeux de
l'humanité, ce sont ses efforts pour polir et civiliser des sauvages sanguinaires.

26 «Igitur vehementer petimus, ut majorem, quam potes, libertatem christia-


nis imperias, eorumque instituta patrocinio gratiaque tua, ut soles, tueri pergas.»
AEEE, Francia, 1885-1886, pos. 760-765, fase. 403, f. 14-15.
21 M. C. 1885, p. 518-520. «Japon septentrional. Audience accordée à Mgr
Osouf par S. M. le Mikado». Annales, LVIII, 24.
388 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Mais, pour se concilier l'esprit et gagner la confiance de ces nations


grossières et incultes, il importe beaucoup de leur enseigner dès
l'abord les préceptes salutaires de la religion, de les amener à
comprendre la vraie notion du juste et de l'honnête, de leur apprendre
la dignité des enfants de Dieu, à laquelle, grâce aux mérites de notre
Sauveur, elles ont aussi été appelées»28.

En quelques mois, de 1885 à 1886, Léon XIII a ainsi dessiné par


ses interventions publiques une réorientation de la stratégie du
Vatican qui embrasse aussi bien la politique européenne que
l'outremer. Elle connaît des prolongements concrets et parfois
spectaculaires : en Chine et au Japon, avec la tentative d'établissement de
relations diplomatiques entre le Vatican et les cours de Pékin et de
Tokyo (1885-1886); en Afrique, avec la substitution progressive d'un
personnel missionnaire allemand aux missionnaires français à
partir de 1887, substitution encouragée implicitement par l'encyclique
Jampridem29. L'affaire des Carolines illustre admirablement
l'aptitude de Léon XIII à mettre en mouvement l'opinion publique, à
articuler l'affirmation des principes et la prédication par l'exemple. Elle
ouvre une période très riche en initiatives qui s'efforcent toutes de
traduire en actes la position spécifique de la papauté dans les
relations internationales. Le 20 novembre 1890 l'encyclique Catholicae
Ecclesiae consacrée à la lutte antiesclavagiste constitue le point
d'orgue de cette intense activité.

L'année 1890 : le point d'orgue de la campagne antiesclavagiste

La campagne antiesclavagiste menée par Lavigerie rencontre


trop exactement les préoccupations permanentes de Léon XIII pour
que ces deux personnalités n'associent pas bientôt leurs efforts. Le
projet du fondateur des missionnaires d'Alger repose
fondamentalement sur la volonté de redonner au catholicisme, contre les
idéologies laïques et le protestantisme, la direction morale et spirituelle du
mouvement d'expansion européenne en Afrique. L'Eglise catholique
s'était trouvée à la remorque de l'abolition de l'esclavage dans les
colonies anglaises et françaises entre 1815 et 1848. Il fallait cette fois
démontrer de manière spectaculaire sa vocation civilisatrice. C'est
l'objectif poursuivi depuis 1877 par Lavigerie, inquiet de voir à
nouveau l'initiative échapper au catholicisme30. Si Lavigerie écrit au
pape le 16 février 1888 : «J'ai vu, pour moi un devoir à remplir, et,

28 Jampridem, «sur la situation du catholicisme en Allemagne», 6 janvier


1886. Lettres apostoliques,... p. 79.
29 Id.
30 François Renault. Lavigerie, l'esclave africain et l'Europe..., op. cit. t. 2,
p. 77-78.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 389

pour votre Sainteté, une occasion nouvelle d'honorer aux yeux du


monde le Saint-Siège apostolique par une initiative que lui seul peut
prendre aujourd'hui»31, c'est qu'il sait épouser les ambitions
exprimées à plusieurs reprises par Léon XIII. Son action démontre la
capacité du catholicisme à civiliser sans violence, thème repris trois
mois plus tard à l'occasion de l'abolition de l'esclavage au Brésil par
l'encyclique In plurimis. 32.
Le soutien apporté à la campagne de Lavigerie n'est donc pas
une simple reconnaissance a posteriori d'une entreprise
individuelle. Il est une préfiguration de la doctrine que Léon XIII
développera en 1891 dans Rerum novarum, et qu'annonce le 20 avril 1890 la
lettre à l'archevêque de Cologne sur la question sociale.
L'exhortation à envoyer des missionnaires allemands dans les colonies pour
contribuer à la réduction de l'esclavage occupe environ 1/4 de ce
document33 et s'y présente comme le volet complémentaire de l'action
sociale déployée en Allemagne.
«Mais ce n'est pas dans ce seul ordre de choses que l'Eglise a
coutume de servir la cause de la civilisation; il en est d'autres qui
réclament sa bienfaisante assistance. L'une de ses plus saintes
institutions est d'instruire dans la doctrine de la foi les peuples barbares et
incultes, et en même temps de leur apporter les arts et les mœurs
civilisées... A l'heure présente, la sollicitude des Pasteurs de l'Eglise
est spécialement appelée par la misérable condition des habitants de
l'Afrique, réduits en esclavage, qui sont vendus et achetés comme
une denrée commerciale, pour les honteux profits des marchands...
Aussi le gouvernement impérial d'Allemagne ayant décidé d'ouvrir le
libre accès aux missionnaires catholiques dans les pays soumis à son
protectorat, Nous ne pouvons faire moins que de vous exhorter vive-
mement... à rechercher avec soin si, dans ce clergé d'Allemagne qui
a donné des preuves éclatantes de constance, de patience et de zèle
apostolique, il se trouve des prêtres qui se sentent appelés à porter la
lumière de l'Evangile à ces malheureuses nations d'Afrique»34.
Ces thèmes trouvent leur expression la plus achevée et la plus
ramassée dans la lettre Catholicœ Ecclesiœ du 20 novembre 1890.
Synthétisant en quelques phrases sa conception de la mission de ΓΕ-

31 A.P.BI. VII-2 (Copie n° 2457). Lettre de son Em. le Cardinal Lavigerie à Sa


Sainteté le pape Léon XIII pour le prier de prendre en mains la cause de
l'Abolition de la Traite en Afrique. Alger, 16 février 1888).
32 In plurimis op. cit. p. 167. A comparer avec le paragraphe symétrique au
début du document (p. 147).
33 Lettre de Léon XIII à l'archevêque de Cologne, 20 avril 1890. Texte latin-
français in Questions actuelles, T. VII, 1890, p. 271-275.
34 Ibid. p. 274-275.
390 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

glise dans l'histoire, Léon XIII rattache la revendication de l'égalité


et de la liberté à la Révélation chrétienne pour prouver que l'Eglise
est porteuse du vrai progrès et de la vraie civilisation35. Et la
démonstration en vient finalement à la conviction centrale de toute la
pensée catholique intransigeante. «... partout où les mœurs et les
lois chrétiennes sont en vigueur, partout où la religion a enseigné
aux hommes à observer la justice et à honorer la dignité humaine,
partout où s'est largement répandu l'esprit de la charité fraternelle
que Jésus-Christ nous a enseigné, il ne peut plus subsister ni
servitude, ni crauté, ni barbarie, et, tout au contraire, on voit fleurir
l'aménité des mœurs ornée des œuvres de la civilisation»36.
Greffé sur une argumentation très traditionnelle, le discours de
Léon XIII affirme son originalité dans cette capacité à esquisser de
vastes desseins et à proposer aux fidèles de grandes utopies. L'action
missionnaire fournit de ce point de vue un terrain privilégié par les
espaces et l'avenir qu'elle ouvre à l'imaginaire catholique. Mais le
successeur de Pierre sait aussi concilier les perspectives mondiales
avec les intérêts concrets de l'institution ecclesiale. La dernière
partie de la lettre opère le passage entre les objectifs grandioses et les
décisions pragmatiques avec l'annonce d'une quête annuelle, fixée le
jour de l'Epiphanie37 et destinée à donner à la Propagande les
ressources financières qui lui font défaut. Exploitant pleinement les
rivalités nationales et la difficulté d'organiser une gestion
multinationale, Léon XIII répond ainsi au désir de la congrégation romaine de
disposer directement et librement des fonds recueillis. Contraire-

35 «Gardienne zélée de la doctrine de son fondateur, qui, par lui-même et par


la voix des apôtres, a enseigné aux hommes la fraternité qui les unit tous, comme
issus de la même origine, rachetés du rriême prix, également appelés à la même
béatitude éternelle, elle a pris en main la cause délaissée des esclaves et s'est faite
la revendicatrice courageuse de la liberté, en procédant, il est vrai, graduellement
et prudemment. Et elle réussit dans son entreprise par sa sagesse et sa conduite
réfléchie, en réclamant constamment ce qui était de la religion, de la justice et de
l'humanité. En cela elle a bien mérité du progrès et de la civilisation». (Catholicce
Ecclesiœ, Lettres apostoliques, t. 2, p. 299).
36 Ibid. p. 303. L'argument est repris ultérieurement par le parallèle
classique entre suppression des superstitions et régénération des individus. «Nous
avons bon espoir que N.S Jésus-Christ, touché de la charité et des prières de ses
fils qui ont reçu la lumière de la vérité, illuminera aussi par la révélation de sa
divinité cette partie si malheureuse du genre humain, et qu'il l'arrachera au
bourbier de superstition et à la condition misérable où elle croupit depuis si
longtemps dans l'abjection et l'abandon» (p. 305).
37 Parce que cette fête symbolise à travers les Mages la priorité accordée aux
nations païennes dans l'annonce du salut. «C'est en ce jour que le Fils de Dieu
s'est tout d'abord révélé aux nations en se faisant voir aux Mages, qui à cause de
cela, ont été gracieusement appelés par saint Léon le Grand, Notre prédécesseur,
les Prémices de notre vocation et de notre foi» Ibid. p. 305.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 391

ment à l'usage établi, notamment en ce qui concerne l'Œuvre de la


Propagation de la foi, les fonds seront envoyés à Rome et il
incombera à la Propagande d'en assurer la répartition.
«C'est en outre Notre volonté que l'argent recueilli en ce jour dans
les églises et les chapelles soumises à votre juridiction, soit envoyé à
Rome, au conseil de la Propagande. C'est à celui-ci qu'il appartiendra
de partager ces offrandes entre les missions qui sont ou seront
installées dans les régions de l'Afrique, spécialement pour détruire
l'esclavage; et la règle de ce partage sera que l'argent provenant des nations
qui ont des missions catholiques, ayant pour but la libération des
esclaves, ainsi que Nous l'avons dit, soit appliqué à soutenir et à aider
ces missions. Quant au reste des aumônes, il sera partagé avec un sage
discernement entre les missions plus pauvres, par le même conseil de
la Propagande, qui est au courant des besoins de ces missions»™.

Les précautions prises dans les lignes de conclusion, pour que


ces aumônes n'affectent pas les œuvres existantes, n'atténuent en
rien la volonté de donner à Rome l'indépendance financière à
laquelle le gouvernement des missions aspire de plus en plus
ouvertement. En ce sens, la lettre à Lavigerie concilie la réaffirmation des
principes essentiels et les nécessités quotidiennes du gouvernement
de l'Eglise.
D'autres déclarations vont jalonner la deuxième partie du
pontificat et témoignent que l'intérêt pontifical pour la mission chez les
païens ne faiblit pas. La lettre Praeclara gratulationis salue la clôture
du jubilé episcopal avec les accents militants propres aux grandes
encycliques39. Parfois perce cependant un certain aveu
d'impuissance. La consécration de tous les hommes au Sacré-Cœur (25 mai
1899), «symbole et image sensible de la charité infinie de Jésus-
Christ» semble remettre à Dieu le soin de suppléer à la faiblesse
humaine:
«Mais oublierons-nous une quantité innombrable d'hommes
pour lesquels n'a pas encore brillé la vérité chrétienne?... Nous avons
envoyé de tous côtés pour les instruire des messagers du Christ. Et
maintenant, déplorant leur sort, Nous les recommandons de toute

38 Ibid.
39 «Au cours de ces manifestations populaires, parmi ces démonstrations
d'allégresse et de piété filiale, une pensée obsédait notre esprit : Nous songions
aux multitudes immenses qui vivent en dehors de ces grands mouvements
catholiques, les unes ignorant complètement l'Evangile, les autres, initiées, il est vrai,
au christianisme, mais en rupture avec notre foi. Notre cœur vole tout d'abord
vers les nations qui n'ont jamais reçu le flambeau de l'Evangile, vers celles qui
n'ont pas su l'abriter contre leur propre incurie ou contre les vicissitudes du
temps : nations malheureuses entre toutes, qui ne connaissent pas Dieu et vivent
au sein d'une profonde erreur» (Prœclara gratulationis, 20 juin 1894, Lettres
apostoliques... t. 4 p. 9)
392 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

notre âme et nous les consacrons autant qu'il est en Nous, au Cœur
Sacré de Jésus»40.
Les interventions suivantes n'apportent plus d'élément
véritablement nouveau et les incises consacrées aux missions prennent un
caractère répétitif. Aucune initiative publique ne revêt le caractère
spectaculaire de la médiation des Carolines ou de la campagne
antiesclavagiste. La fin des grandes envolées missionnaires et
l'imprégnation d'un certain pessimisme correspondent également aux
échecs subis dans l'évangélisation de l'Asie. Les allocutions
consacrées à la Chine consistent désormais en des appels à des prières
publiques pour les victimes des mouvements nationalistes et
antichrétiens (janvier 1900). Le recul de l'optimisme conquérant dans le
discours se traduit par un repli sur un objectif apparemment moins
éloigné : le retour des orthodoxes au sein du catholicisme. La
détérioration de la conjoncture, les déceptions de la diplomatie, les
difficultés provoquées par l'évolution de la Troisième République, les
impasses dans laquelle s'enlise la question romaine expliquent pour
une part ce sentiment d'un essouflement. Sans négliger les facteurs
externes qui pèsent sur cette évolution, et sur lesquels nous
reviendrons ultérieurement, il convient également de s'interroger sur les
raisons intrinsèques de cette impuissance à produire une doctrine
missionnaire originale.

3 - Limites et contradictions du discours de Léon XIII sur la


colonisation.
Les encycliques de Léon XIII répètent inlassablement tout au
long du pontificat que le Christ est l'unique voie qui mène au salut et
l'indispensable fondement de toute civilisation. Les interventions
des dernières années insistent paticulièrement sur la royauté du
Christ «Prince et maître suprême», dont l'empire s'étend à toute
l'humanité41. «Le règne du Christ embrasse tous les hommes privés
de la foi chrétienne, de sorte que l'universalité du genre humain est
réellement soumise au pouvoir de Jésus»42. Tout procède ensuite par
délégation de pouvoir, le Christ ayant fondé l'Eglise pour enseigner
la voie du salut et baptiser tous les hommes. Sur cette affirmation

40 Annum sacrum, 25 mai 1899. De la consécration du genre humain au


Sacré Cœur de Jésus. Lettres apostoliques... t. 6, p. 26.
41 «Ce témoignage général et solennel de respect et de piété est bien dû à
Jésus-Christ, car il est le prince et le Maître suprême. En effet, son empire ne
s'étend pas seulement aux nations qui professent la foi catholique ou aux hommes
qui ayant reçu régulièrement le saint baptême sont rattachés en droit à l'Eglise,
quoiqu'ils en soient éloignés par des opinions erronées ou un dissentiment qui les
sépare de la charité.» {Annum sacrum, 1899, Lettres apostoliques t. 6, p. 19).
42 Ibid.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 393

centrale se greffe une ecclesiologie post-tridentine, durcie par le


concile du Vatican, qui donne mandat à l'Eglise romaine, à travers
son chef, Vicaire du Christ, de continuer la mission du Christ. A
partir du Pape, tête de l'Eglise, les pouvoirs sont délégués aux évêques,
au clergé, enfin à ses auxiliaires. Un tel schéma a des implications
fondamentales pour la mission parmi les païens. Ainsi que nous
l'avons observé, l'histoire de la congrégation de la Propagande est pour
une bonne part l'histoire d'une application croissante de ce modèle.
La papauté sous Léon XIII donne corps au vieux projet de contrôler
directement l'envoi et l'activité des «hérauts de l'Evangile». «L'union
de tous les hommes par un seul baptême, au sein d'une même
Eglise» sous la conduite d'un unique pasteur est bien l'objectif de
toute la mission extérieure. Elle se traduit plus que jamais par la
vision d'une extension du règne du Christ par dilatation à partir du
siège romain43. Il en résulte une très forte identité et une
exceptionnelle cohésion qui permettent de mobiliser les hommes pour
christianiser la société et unir les fidèles autour du Vicaire du Christ.
Mais la volonté d'intégrer ou réintégrer toute la société et toutes les
sociétés dans le Christ44 ne fournit pas de cadre intellectuel pour
penser la colonisation ou assumer les affrontements culturels qui
accompagnent la mission.
Prodigue en déclarations sur les problèmes de son temps, le
pape de Rerum novarum est resté étonnamment discret sur les
questions coloniales.
Sans doute Léon XIII se prononce à plusieurs reprises sur cette
question. Mais entre l'évocation de la place de la colonisation dans

43 «Puisque tout salut vient de Jésus-Christ et qu'il n'est point sous le ciel
d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous puissions être sauvés (Act. 4/12),
c'est notre vœu le plus ardent que le très saint nom de Jésus se répande
rapidement sur toutes les plages et les pénètre de sa bienfaisante vertu... Aujourd'hui
encore, c'est bien souvent que l'on voit des hérauts de l'Evangile franchir les mers
par Notre autorité, et s'en aller jusqu'aux extrémités de la terre; et tous les
jours, nous supplions la bonté divine de vouloir multiplier les ministres sacrés,
vraiment dignes du ministère apostolique, c'est-à-dire dévoués à l'extension du
règne de Jésus-Christ, jusqu'au sacrifice de leur santé, et, s'il le faut même,
jusqu'à l'immolation de leur vie» {Prœclara gratulationis, 1894, op. cit., p. 11).
44 «C'est donc le cri du salut public de revenir au point qu'on n'aurait jamais
dû abandonner, à Celui qui est la voie, la vérité et la vie : cela, non seulement
pour les individus, mais pour la société humaine toute entière. Dans cette société,
comme dans son domaine il s'agit de réintégrer le Christ Seigneur, de faire puiser
et imprégner à la source de sa vie tous les membres et tous les éléments de la
société, les ordres et les défenses des lois, les institutions populaires, les maisons
d'enseignement, le droit conjugal, et les rapports domestiques, la demeure du
riche et l'atelier de l'ouvrier. Qu'on ne l'oublie pas : c'est là la grande condition de
cette civilisation si vivement recherchée.» (Tametsi futura, 1900, op. cit. p. 157).
394 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

l'Histoire du salut et les considérations pragamatiques sur la


nécessité d'aider et de protéger les missions, le registre théologique est
quasiment déserté. Alors que l'encyclique In plurimis tente de fonder
l'abolition de l'esclavage et de justifier par une volonté pédagogique
la prudence de l'Eglise à mettre en pratique ses principes, les
interventions consacrées à la colonisation sont conjoncturelles. Elles
figurent dans des lettres adressées aux nations catholiques qui
participent le plus activement au mouvement, pas dans des encycliques
destinées à toute la chrétienté. Elles traitent de la colonisation au
titre des applications de la doctrine catholique sur la place des
fidèles dans la société politique, jamais en tant que rélexion autonome
et fondamentale.
Trois interventions donnent lieu à des développements
consacrés à la colonisation et vérifient cette observation. Le paragraphe le
plus explicite prend place dans l'encyclique sur la situation du
catholicisme en Allemagne {Jampridem, 1886) pour rappeler la
nécessité des missions dans les colonies afin de «polir et civiliser des
sauvages sanguinaires.» Cependant le lien établi entre la colonisation et
la mission n'est pas de l'ordre de la nécessité mais de la conjoncture.
Rien n'indique dans ce texte que la colonisation correspond à une
inspiration divine puisqu'elle est rapportée à la seule initiative des
«princes européens (qui) ont pris à tâche de nos jours d'établir des
colonies.« L'objet de la lettre est strictement limité à une
affirmation : les peuples indigènes ne feront pas de progrès si le
catholicisme n'est pas chargé d'enseigner les préceptes de la religion. La
responsabilité essentielle, celle de répandre la foi, incombe au pape
qui détient dans ce domaine une autorité excluant toute immixtion
des autorités civiles.
«Mais, pour se concilier l'esprit et gagner la confiance de ces
nations grossières et incultes, il importe beaucoup de leur enseigner dès
l'abord les préceptes salutaires de la religion, de les amener à
comprendre la vraie notion du juste et de l'honnête, de leur apprendre
la dignité des enfants de Dieu à laquelle, grâce aux mérites de notre
Sauveur, elles ont aussi été appelées. C'est ce qui engagea les
Pontifes Romains à envoyer des hérauts de l'Evangile aux peuples encore
barbares. Et certainement, l'œuvre dont il s'agit n'est point affaire des
armées, ni des vainqueurs, bien qu'ils en puissent retirer des fruits
abondants; mais c'est le rôle, comme l'atteste l'histoire, de ces
hommes qui, s'élançant du camp de l'Eglise, embrassent les labeurs et
les dangers des expéditions sacrées et ne craignent pas, messagers et
interprètes de Dieu, de s'exiler chez des nations barbares, prêts à
répandre leur sang et leur vie pour le salut de leurs frères»45.
La conjonction historique de l'expansion coloniale et mission-

45 Jampridem, Lettres apostoliques, t. 2, p. 79.


LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 395

naire s'accompagne donc d'une distinction des compétences, selon


la doctrine des deux sphères abondamment exposée dans les
discours de Léon XIII. Elle ne dissipe pas tous les malentendus. En
présentant la colonisation comme une opportunité exceptionnelle, le
discours glisse progressivement vers l'hypothèse d'une coïncidence
providentielle. La mission colonisatrice de l'Europe en général, de la
France en particulier, est alors intégrée dans l'économie du salut.
L'affirmation est encore exprimée avec prudence dans la lettre Prœ-
clara gratulationis (1894) : «car, autant que la raison humaine en
peut juger par les événements, il paraît évident que c'est à l'Europe
que Dieu a assigné le rôle de répandre sur la terre les bienfaits de la
civilisation chrétienne»46. Elle devient exaltation de la gesta Dei per
francos dans l'encyclique Depuis le jour (1899), même si le pape se
garde de citer nommément la colonisation.
«C'est chez elle (la France) en effet, que, dans le cours des siècles,
mû par les insondables desseins de sa miséricorde sur le monde, Dieu
a choisi de préférence les hommes apostoliques destinés à prêcher la
vraie foi jusqu'aux confins du globe et à porter la lumière de l'Evangile
aux nations encore plongées dans les ténèbres du paganisme. Il l'a
prédestiné à être le défenseur de son Eglise et l'instrument de ses
grandes œuvres : Gesta Dei per Francos»47.
La réception de la lettre par les catholiques français montre que
les précautions oratoires et les silences pontificaux ne résistent pas
aux interprétations spontanées qui voient dans cette évocation une
invitation solennelle à l'alliance de la mission et de la colonisation.
Le discours sur la colonisation est donc dicté par les
circonstances, conçu pour des destinataires précis, en l'occurrence
deux grandes nations colonisatrices. Il aborde les missions en
fonction de la sensibilité nationale. Il conduit à présenter la colonisation
comme le cadre souhaité pour la mission, malgré le refus de justifier
la première par la seconde, et l'opposition à toute ingérence des
gouvernements dans la vie des missions. Ce discours est spontanément
reçu par les contemporains comme une approbation de l'expansion
coloniale dans la mesure où elle concourt au triomphe universel de
l'Eglise catholique.
Le contraste est ici saisissant avec la féconde controverse qui
accompagne au XVIe s. la conquête des Nouveaux mondes. Le XIXe s.
ne voit surgir aucun Las Casas, ni aucun Vitoria ou Suarez48 pour
s'interroger sur les droits des européens en Afrique, en Asie, en

46 op. cit. Lettres apostoliques, t. 4, p. 29.


47 Depuis le jour, 8 septembre 1899. Lettres apostoliques, t. 5, p. 224.
48 Sur cette question, se reporter aux actes du colloque «Las Casa et Vitoria,
le droit des gens dans l'âge moderne», publiés sous le titre Las Casas et Vitoria, Le
Supplément, n° 160, 1987.
396 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Oceanie. Convaincue de la supériorité de son message et de la


nécessité d'adhérer par le baptême à la société parfaite qu'elle forme,
l'Eglise catholique n'imagine pas de contester la légitimité de la
colonisation. L'enseignement de Vitoria et de l'école de Salamanque n'est
pourtant pas ignoré. Le dossier relatif à la médiation des Carolines
se réfère à la Leçon de Vitoria «Sur les Indiens» pour fonder le droit
de colonisation49. Mais les raisons avancées par Vitoria, en
particulier le «droit naturel de société et de communication», sont
appliquées automatiquement aux nouvelles colonies, sans examen de leur
situation concrète. Le débat sur la légitimité des conquêtes ne peut
pas avoir lieu dans un climat de certitudes unanimement partagées
quant à la mission civilisatrice de l'Europe. L'absence d'encyclique
«coloniale» aura ultérieurement le mérite de préserver une marge de
manœuvre au temps des remises en causes de l'impérialisme
européen. Mais cette prudence masque à notre sens une impuissance à
penser la colonisation pour elle-même, plus qu'une volonté
consciente de fuir les compromissions. Les appels à la collaboration
dans les colonies sont trop appuyés pour imaginer que la légitimité
de l'expansion soit mise en cause. Sans doutes des critiques
vigoureuses se font entendre, à l'exemple d'un article écrit par Mgr Le Roy
sur le Gabon en 1902. «Nous sommes allés là vers l'inconnu, nous
nous sommes abouchés avec des chefs des tribus indigènes, nous
avons fait avec eux amitié et alliance, nous nous sommes installés
sur leurs terres. S'ils nous ont accueillis, c'est que, sans doute, ils
espéraient de notre présence quelques avantages pour eux et pour
leurs peuples. Or il se trouve que ces terres sur lesquelles, il y a dix,
vingt ou trente ans, nous ne pouvions passer qu'avec leur
autorisation ne leur appartiennent déjà plus»50. Mais la critique s'attaque
aux formes de la colonisation, pas au droit de coloniser.
En donnant le sentiment de reconnaître le droit de colonisation,
tel que les grandes puissances l'exercent, le discours affaiblit le désir
de collaborer avec les pouvoirs autochtones qui ont préservé leur
indépendance. La reconnaissance des souverains de Chine et du Japon
est accompagnée de considérations et soumise à des conditions qui
rendent la volonté romaine très ambiguë, voire suspecte, prompte à

49 AVSS. Médiation pour les Carolines, 1/1886/ Fase. 18, f. 116 r-v. «La natura
destinata ai bisogni degli uomini ciascuna nazione ha il diritto di appropriarsi un
paese per usarne e non impedire che altri ne usi, sia che si faccia discendere dal
principio, più nobile e generale della civilizzazione, la quale abbraccia l'onesto e
l'utile dei popoli...»
50 Mgr Le Roy, Le Correspondant, 10 juin 1902. Artide partiellement cité par
Charles-Robert Ageron, L'anticolonialisme en France de 1871 à 1914, dossier Clio,
PUF, 1973, p. 88-89.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 397

compter sur le bras séculier occidental plutôt que sur les autorités
locales pour assurer la liberté religieuse. Cette différence de
traitement affaiblit du même coup la portée des paroles vigoureuses qui
veulent placer les missionnaires au-dessus des conflits nationaux
pendant la guerre franco-chinoise (1884-1885) et postulent une
supra-nationalité:
«L'œuvre de ceux qui travaillent au nom de l'Evangile est très
salutaire, même aux choses publiques. Ils doivent s'abstenir des affaires
politiques, et se donner tout entiers à la propagation et à la
sauvegarde de la doctrine de Jésus-Christ. Or les principaux préceptes de la
religion chrétienne sont: craindre Dieu, conserver en toute chose
invariablement et inviolablement la justice, d'où cette conséquence qu'il
faut se soumettre aux magistrats, honorer le roi, non seulement par
crainte de sa colère, mais surtout par conscience. Rien, certes, n'est
plus propre que ces vertus à tenir la multitude dans le devoir et à
conserver la sécurité publique»51.
Pour être totalement crédible, il aurait fallu que ce discours
trace toujours fermement la frontière entre mission et colonisation.
Emportés par la vague des nationalismes, les missionnaires sont
persuadés dans leur immense majorité que la protection militaire
des puissances européennes est la seule garantie efficace qu'ils
peuvent raisonnablement espérer. Or Léon XIII admet sans réserve
le devoir pour les Etats catholiques de protéger les missions. Il
considère que le missionnaire peut être à la fois agent du
catholicisme et instrument du rayonnement national. La lettre au cardinal
Richard est l'exemple le plus net de cette confusion entretenue par la
volonté de mettre les Etats au service de la mission et d'en suggérer
la réciproque.
«Si admirable est l'activité des congrégations françaises qu'elle
n'a pu rester circonscrite aux frontières nationales et qu'elle est allée
porter l'Evangile jusqu'aux extrémités du monde et, avec l'Evangile, le
nom, la langue, le prestige de la France. (Suit la description de la
conquête des âmes et de l'action civilisatrice auprès des peuples)...
C'est précisément sur l'action laborieuse, patiente, infatigable de
ces admirables missionnaires qu'est principalement fondé le
protectorat de la France, que les gouvernements successifs de ce pays ont été
jaloux de lui conserver, et que Nous-même Nous avons affirmé
publiquement. Du reste, l'attachement inviolable des missionnaires
français à leur patrie, les services eminente qu'ils lui rendent, la grande
influence qu'ils lui assurent, particulièrement en Orient, sont des faits
reconnus par des hommes d'opinion très diverses et naguère encore
proclamés solennellement par les voix les plus autorisés»52.

51 Lettre de Léon XIII à l'empereur de Chine, op. cit.


52 Lettre à S. Em. le cardinal Richard sur les congrégations, 23 décembre /900,
Lettres apostoliques, t. 6, p. 242-246.
398 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Une telle intervention ne pouvait manquer d'appuyer les


campagnes politico-religieuses menées en France à l'occasion de
l'Exposition universelle de 1900. Elle rejoignait le vœu exprimé par le Père
Piolet, rapporteur jésuite du Comité d'organisation de l'Exposition
des Missions pour lesquel «nos Missionnaires français, en
particulier, devraient être soutenus et aidés, même en dehors du public
religieux, par tous ceux qui s'intéressent à la diffusion de la
civilisation et de l'influence française»53. Sans doute Léon XIII ne précise
jamais en quoi consiste ce protectorat sur les missions auquel il fait
allusion, ni son extension géographique54, ce qui préserve
l'indépendance du Saint-Siège. Mais les habiletés diplomatiques trouvent ici
leurs limites.
De même la théologie de la légitimité des pouvoirs civils,
élaborée à l'intention des pays occidentaux, conduit à des positions
incertaines quand elle s'applique à l'Asie et à l'Afrique. Elle apprécie la
légitimité d'un gouvernement, non pas en fonction de l'origine de son
pouvoir mais en raison de la manière dont il exerce ce pouvoir. Est
donc légitime tout pouvoir établi qui assure de façon immédiate le
Bien Commun des populations55. Or, dans les pays de mission, la
doctrine du Bien Commun, développé inlassablement par Léon
XIII, prend une acception bien précise et réductrice. Elle signifie
essentiellement pour l'Eglise la jouissance de la liberté religieuse et
l'assurance de la sécurité des missionnaires, car «les chefs d'Etat
doivent tenir pour saint le nom de Dieu et mettre au nombre de
leurs principaux devoirs celui de favoriser la religion, de la protéger
de leur bienveillance, de la couvrir de l'autorité tutélaire des lois, et
de ne rien décider qui soit contraire à son intégrité»56.
Le reproche d'opportunisme politique adressé à cet
enseignement paraît confirmé à plusieurs reprises par les événements. Dès
lors que les rois du Buganda n'ont pas répondu aux attentes mis-

53 J.B. Piolet, s.j. Rapport sur les Missions catholiques françaises dressé au
nom du comité d'organisation de l'Exposition des Missions. Paris, Tequi, 1900,
p. 123 (conclusion du rapport).
54 Cf. chapitre 16.
55 «Rien n'empêche que l'Eglise n'approuve le gouvernement d'un seul ou
celui de plusieurs, pourvu que ce gouvernement soit juste et appliqué au bien
commun. Aussi, réserve faite des droits acquis, il n'est point interdit aux peuples
de se donner telle forme politique qui s'adaptera mieux à leur génie propre, ou à
leurs traditions et à leurs coutumes» (Diurtinum, 29 juin 1881, Lettres
apostoliques, t. 1, p. 143-144).
«Et ce grand devoir de respect et de dépendance (dû au gouvernement)
persévérera, tant que les exigences du bien commun le demanderont puisque ce bien
est, après Dieu, dans la société, la loi première et dernière». (Au milieu des
sollicitudes, 16 février 1892, ibid. t. 3, p. 118).
56 Immortale Dei, 1er novembre 1885, ibid., t. 2, p. 23.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 399

sionnaires, l'établissement de l'autorité britannique ne soulève


aucune difficulté. D'une manière générale, les administrations
coloniales semblent légitimes parce qu'elles assurent l'ordre, permettent
l'implantation des missions, concourent à l'expansion du
catholicisme. Inversement le gouvernement chinois est accusé de tolérer et
parfois de favoriser les agressions contre le christianisme, ce qui
affaiblit, voire détruit le fondement de sa légitimité, tandis que le
gouvernement japonais acquiert définitivement cette même légitimité le
jour où il reconnaît officiellement la liberté religieuse.
On comprend mieux dans ce contexte les réactions
missionnaires devant la décision pontificale d'établir des relations
diplomatiques avec la Chine. Elle signifie, pour eux, la reconnaissance d'un
gouvernement incapable de servir le «Bien Commun» indissociable
de l'expansion missionnaire. Or Léon XIII n'a-t-il pas clairement
rappelé que «jamais on ne peut approuver des points de législation
qui soient hostiles à la religion et à Dieu; c'est, au contraire, un
devoir de les réprouver»57? Sans doute, la même encyclique précise
que la contestation de la Législation n'implique pas
automatiquement le rejet des Pouvoirs constitués. Mais pour des chrétientés en
but à des persécutions et aux attaques des Boxers, un gouvernement
chinois qui ne peut pas, ou ne veut pas les protéger, qui leur nie le
droit de s'établir et de développer, perd sa raison d'être.
La démarche de Léon XIII, reflet de la théologie du temps,
court-circuite donc les questions autour du droit de s'établir dans les
colonies ou d'intervenir dans un Etat indépendant. Elle prend acte
d'un ordre international acquis, cherche à en tirer bénéfice pour
l'expansion catholique, en prenant cependant la précaution de ne pas
aliéner l'indépendance de l'Eglise par des engagements écrits. Elle se
réserve aussi la possibilité de critiquer la manière d'administrer les
colonies et n'hésite pas parfois à dénoncer des abus. Somme toute la
position romaine relève d'une conception «missio-centriste» qui voit
dans l'appui aux œuvres (écoles) et la promulgation d'une législation
conforme aux principes chrétiens les critères d'évaluation de l'action
coloniale. L'absence d'une réflexion à partir des réalités locales, à la
manière de Las Casas, Vitoria et Suarez, entraîne une occultation
des droits des indigènes en tant que tels, et pas seulement en tant
que baptisés ou futurs chrétiens.

4 - L'impensable acculturation.

Nous avons largement eu l'occasion de constater que la pensée


missionnaire de la Propagande et la pastorale déployée se
caractérisaient par une propension spontanée à reproduire outre-mer le mo-

57 Ibid. p. 120.
400 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

dèle, plus ou moins mythique, des chrétientés européennes58. Si les


écrits de Léon XIII ne comportent pas d'écho de cet affrontement
culturel vécu sur le terrain, ils aident à saisir les prémisses de la
doctrine missionnaire.
Le discours pontifical use parfois explicitement de l'image de la
transplantation, au sens littéral, pour décrire l'envoi des
missionnaires. Préconisant l'ouverture d'un séminaire missionnaire national
en Allemagne, la lettre à l'archevêque de Cologne commente : «De la
sorte, il y aura bientôt comme une noble pépinière d'où les sarments
de la vraie Vigne, qui est le Christ, étant extraits et transplantés sur la
terre africaine, ils porteront des fruits abondants et répandront une
bonne odeur de Jésus-Christ au milieu de ces nations incultes,
corrompues par la barbarie et la souillure du péché»59.
Plus généralement l'évangélisation est une action à sens unique;
la christianisation consiste dans l'enseignement de la vérité révélée à
des masses ignorantes, selon un mouvement qui part du centre
romain, tête du royaume et source de la lumière, vers la périphérie,
enfoncée dans les ténèbres60. Il s'en suit une série de métaphores qui
opposent l'état de païen et de chrétien en les comparant tour à tour à
la mort et la vie, l'immoralité et la vertu, l'ignorance et le savoir, la
barbarie et la civilisation61.
Ce discours, malgré sa connotation spirituelle, glisse
immanquablement vers une lecture anthropologique, au premier degré,
dans un contexte culturel marqué par la croyance à l'inégalité des
cultures, et de plus en plus à la hérarchie des races. Ses
conséquences sont particulièrement fâcheuses quand il s'applique à
l'Afrique. Bien que Léon XIII ne se réfère pas au mythe de Cham, il
n'évite pas les formules réductrices sur «les habitants de ces terres assis
dans les ténèbres»62. Il court le risque de laisser assimiler tous les
africains aux esclaves, «cette partie si malheureuse du genre
humain« qu'il faut arracher «au bourbier de superstition et à la
condition misérable où elle croupit depuis si longtemps dans l'abjection et
l'abandon»63. D'autres textes romains, destinés à une diffusion
populaire, accentuent l'image d'une Afrique malheureuse et condamnée à

58 Sur cette problématique, voir Jean-Claude Baumont, Jacques Gadille,


Xavier de Montclos : L'exportation des modèles de christianisme français. Pour une
nouvelle problématique de l'histoire missionnaire. In Libermann op. cit. p. 883-
906.
59 op. cit. p. 275.
60Properante ad exitum, 11 mai 1899, Lettres apostoliques t. 6, p. 13.
61 Sancta Dei Civitas, 1880, op. cit. p. 127.
62 Catholicce Ecclesia?, 20 novembre 1890, op. cit. p. 303.
63 Ibid p. 305. La lettre à l'archevêque de Cologne citée plus haut reprend la
même terminologie.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 401

un destin tragique. Les prières recommandées à la piété des fidèles


popularisent cette représentation64.
Certes, si le discours catholique et pontifical est pris dans son
intégralité, il comporte un deuxième volet qui ouvre aux africains la
perspective de la rédemption : «Les âmes de ces pauvres infidèles
sont l'œuvre des mains de votre divin Fils, ont été créées à son image
et rachetées au prix de son précieux sang»65. L'Eglise catholique est
ainsi porteuse d'un message et d'un pouvoir qui délivrent l'Africain
de la servitude la plus redoutable, celle du péché et de Satan. Elle
apporte la religion sur laquelle s'édifiera une civilisation vraiment
humaine. Elle conduit les peuples vers la liberté chrétienne et
affirme l'égalité dans la dignité et les responsabiltés par la formation
d'un clergé autochtone. De la sorte la perception catholique de
l'Autre devrait échapper au déterminisme pseudo-scientifique qui à
la fin du XIXe s. classe et fige dans une hiérarchie définitive les races
humaines sur le modèle des espèces animales, végétales et
minérales.
Mais la volonté d'émouvoir l'opinion publique, pour mieux la
mobiliser, demeure au plus haut niveau un ressort de la propagande
missionnaire qui met l'accent sur le malheur des africains. Il relègue
à l'arrière-plan les approches beaucoup plus positives qui insistent,
dans les mêmes discours pontificaux, sur la vocation et la capacité
des païens à sortir de la servitude humaine et religieuse66. Il
concourt à entretenir une image négative de l'Autre, à cultiver les
stéréotypes, à passer de l'infériorité surnaturelle provisoire du païen
à l'infériorité naturelle irrémédiable du Noir.
Ce regard porté sur l'Africain, et plus généralement le païen
barbare, conditionne fortement la pastorale missionnaire. Ses effets
sont aggravés par les courants théologiques dominants au XIXe s. A
quelques exceptions (brillantes) près, telles certaines interventions
de Mgr Le Roy67, les travaux de la revue Anthropos, du père W.

64 Oremus et pro miserrimis Africae populis, ut Deus tandem aliquando aufe-


rat maledictionem Chami a cordibus eorum detque benedictionem unice in Jesu
Christo et Domino nostro consenquandam...» (1885).
«O Nostra Signora d'Africa, il cui Cuore Immacolato è si pieno di
misericordia e di materna compassione, inteneritevi alla profonda miseria dei musulmani
e degli altri infedeli dell'Africa...» (1886) Prière pour la conversion de l'Afrique,
Congr. des Indulgences, 30 juin 1886, Collectanea 1907 n° 2304 et 2311.
65 Ibid.
66 «A ce soin (l'évangélisation de l'Afrique), Nous Nous donnons avec
d'autant plus d'énergie qu'ayant une fois reçu cette lumière, ils secoueront loin d'eux
le joug de la servitude humaine.» Ibid. p. 303.
67 Cf. Le rôle scientifique des missionnaires et l'extrait déjà cité (p. 7 : «le
missionnaire n'a donc pas à condamner tout en bloc»...). Le supérieur des spiritains
développe sa reflexion dans La religion des Primitifs, Paris, 1909 (notamment
p. 484).
402 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Schmidt et de plusieurs chercheurs germaniques, les interrogations


de quelques missionnaires en Asie, la logique de l'exportation
unilatérale supplante les théologies traditionnelles de la révélation
primitive qui invitaient les missionnaires à retrouver et faire germer les
semences enfouies parmi les peuples païens pour y faire pousser le
christianisme. Toute l'apologie construite autour de l'argument des
traditions primitives, après avoir connu un regain de succès dans les
premiers écrits de Lamennais et chez les traditionalistes, est
provisoirement écartée68. L'acte missionnaire est désormais conçu
comme une plantation à partir d'un jeune plant venu des pays de
chrétientés. En même temps que les théologiens romains (Fran-
zelin), rompant avec l'enseignement de Perrone, abandonnent
l'hypothèse d'une révélation primitive, l'opposition systématique du
païen et du chrétien achève d'encourager une pastorale de la table
rase et assimile les traditions héritées des ancêtres à des inventions
diaboliques69. Cette évolution éclaire l'interprétation de plus en plus
réductrice apportée au sein de la Propagande, ou parmi les
missionnaires, aux instructions de 1659 sur la distinction entre les coutumes
bonnes, neutres et mauvaises. Elle explique aussi que le pluralisme
au sein de l'Eglise soit uniquement appréhendé en termes de
concessions anciennes à respecter en matière de discipline70, parfois de
rite, jamais de nouvelles expressions à promouvoir. La seule
diversité imaginable outre-mer par rapport au modèle latin se réduit à
l'exportation de la liturgie et de la discipline des orientaux dont
l'encyclique Orientalium dignitas (1894) vante la valeur71. Les
circonstances historiques font que cette possibilité ne s'est pas
présentée, faute de missionnaires issus des Eglises catholiques de
rite oriental. Les réticences à admettre les traditions «éthiopiennes»
en Abyssinie et les frontières imposés aux rites non latins donnent
d'ailleurs à penser que cette éventualité aurait soulevé de
nombreuses difficultés dans une Eglise éprise d'unité par l'uniformité.
Plus encore qu'à l'époque de Ricci et Nobili, l'identification de la
catholicité romaine au seul rite latin, le triomphe de l'esprit post-
tridentin, rendent quasiment impossible, ou a priorì suspecte, toute
tentative institutionnelle d'acculturation du catholicisme. L'obses-

68 Exposé très clair par Louis Caperan, Le problème du salut des Infidèles op.
cit. p. 445-459 (Lamennais et traditionalistes) et 549-553.
69 Ou à des vagues traces de la révélation primitive, mais détournées de leur
sens initial par le Démon, ce qui les rend inutilisables» pour l'évangélisation.
70 Cf. Trans Oceanum, 18 avril 1897, qui admet la «variété de la discipline»
opposée à «l'immutabilité du dogme» mais s'empresse de délimiter strictement
les «privilèges» de l'Amérique latine.
71 Selon la volonté du pape, et non sans réticences de la Propagande, comme
le montre Claude Sœtens, Le Congrès Eucharistique international de Jérusalem,
op. cit. p. 275-276.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 403

sion de préserver le dogme, selon le principe que le magistère «s'est


toujours tenu dans le même dogme, au même sens et à la même
formule», étouffe les initiatives à la base et justifie l'ardeur de la Curie à
légiférer dans tous les domaines. Certes l'éventualité d'une
adaptation n'est pas définitivement écartée et Léon XIII distingue
soigneusement le dogme et la discipline qui doit «tenir compte des mœurs et
des exigences des nations si diverses que l'Eglise réunit dans son
sein. Et qui peut douter que celles-ci soit prête à agir de même
encore aujourd'hui si le salut des âmes le demande»72? Mais la crainte
des novateurs et de perdre le contrôle du moindre changement est
devenue telle que l'espace laissé dans les missions en vue de
l'adaptation n'a pas cessé de se réduire73.
Les conceptions de Léon XIII en matière d'ecclésiologie sont
très fortement marquées par l'esprit du concile de Vatican,
développant longuement les arguments catholiques en faveur de la
primauté de Pierre, exaltant le rôle du clergé, exhortant à l'unité et à
l'obéissance74. L'application de ce discours outre-mer ne rencontre pas de
difficulté théorique. Mais nous avons vu comment elle se heurtait à
la résistance des réalités locales dès lors qu'elle entendait reproduire
le modèle clérical latin. Les efforts remarquables déployés en faveur
des séminaires sont impuissants à résoudre le dilemme des
missionnaires. Comment poursuivre une politique «d'indigénisation «du
clergé et imposer aux prêtres autochtones, selon la consigne
romaine, un «état» clérical défini par des normes et des règles
élaborées dans l'Eglise latine75? Il faut posséder la personnalité de Lavige-
rie pour pouvoir proposer, sans succès d'ailleurs, un clergé africain
qui ne soit pas obligatoirement soumis au célibat. Plus qu'en tout
autre domaine, le cardinal touchait à une discipline tellement identi-

72 Testern benevolentiœ, 22 janvier 1899. Toutes les citations sur le dogme et


la discipline sont tirées de cette encyclique emblématique de la tension croissante
entre les intentions et la réalité uniformisatrice. (In Lettres apostoliques, t. 5,
p. 187).
73 «Assurément il y a des nouveautés avantageuses, propres à faire avancer le
royaume de Dieu dans les âmes et dans la société. Mais, nous dit le saint
Evangile, c'est au Père de famille, et non aux enfants ou aux serviteurs, qu'il appartient
de les examiner et, s'il le juge à propos, de leur donner droit de cité, à côté des
usages anciens et vénérables qui composent l'autre partie de son trésor.» {Depuis
le jour, 8 septembre 1899, Lettres apostoliques, t. 5 p. 236).
74 Sur ces trois thèmes, se reporter notamment aux documents qui les
développent avec insistance à la fin du pontificat : Satis cognitium (1896);
Encycliques aux évêques français Depuis le jour (1899) et aux évêques italiens sur
l'éducation des clercs (1902); lettre apostolique sur les devoirs des catholiques (1902).
75 La spécificité de l'état clérical, censé caractériser la vie convenant à la
dignité sacerdotale, est particulièrement bien décrite par l'encyclique Depuis le jour
(8 septembre 1899).
404 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

fiée au catholicisme romain qu'elle était devenue un principe


intangible, faisant de l'exception orientale un privilège acquis et non
renouvelable pour d'autres cultures.
L'ecclésiologie de la fin du XIXe s., reprise par Léon XIII,
organise la vie des chrétientés en fonction du clergé. Cette structure
cléricale n'intègre pas les données propres aux nouvelles Eglises. Elle
se complique outre-mer de la hiérarchisation opérée entre
missionnaires et prêtres indigènes. Elle donne naissance dans les missions à
des chrétientés placées sous la ferme autorité du missionnaire qui
s'entoure d'auxiliaires et d'assistants locaux. Elle maintient la fiction
du missionnaire agent essentiel, voire unique de l'évangélisation,
alors que tous les témoignages font au contraire ressortir que la
progression du catholicisme passe par des intermédiaires locaux. Ce
sont eux qui préparent et précèdent l'intervention du missionnaire.
Mais la spécificité de ces permanents locaux, sans équivalent en
Europe, ne se prolonge pas dans la recherche d'une adaptation de
l'institution aux réalités. Aux uns sont confiées des tâches subalternes, à
l'image des baptiseurs et baptiseuses en Asie. Aux autres est assignée
une fonction beaucoup plus valorisante de catéchiste ou de chef de
chrétienté. Alors que les synodes provinciaux en Asie multiplient les
recommandations en matière de formation, de contrôle par les
missionnaires, ils n'imaginent pas de reconnaître par de nouveaux
«ministères» l'action de ceux que l'on persiste à considérer comme de
simples auxiliaires.

5 - «Hors de l'Eglise, point de salut» : comment légiférer l'indéci-


dable?

S'il ne produit pas une théologie spécifiquement missionnaire,


Léon XIII accorde dans ses encycliques une place centrale au
«mystère de la rédemption» et au salut. C'est même l'objet propre en 1900
(la date n'est évidemment pas arbitraire) de l'encyclique Tametsi
futura. Elle fournit une référence autorisée sur l'enseignement du
magistère catholique à la fin du XIXe s. concernant un point essentiel et
controversé qui conditionne toute l'action missionnaire.
L'exposé de Léon XIII adopte une démarche classique qui peut
être résumée sous la forme suivante. Le Christ est nécessairement
«la voie, la vérité, la vie» qui mènent au salut. Sa mort a sauvé
l'humanité mais la grâce de la rédemption serait vaine, sans effet dans
l'homme, si ce dernier négligeait les préceptes et les lois du Christ.
Pour permettre aux hommes de profiter du salut et d'arriver à Dieu
en sécurité, Jésus a laissé sur terre l'Eglise, qui montre la voie, qui
enseigne la vérité, qui donne la vie. Mais cette doctrine se heurte
depuis les origines à deux difficultés. La première concerne le sort des
hommes qui ont vécu avant le Christ. La seconde intéresse directe-
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 405

ment la mission puisqu'elle vise le sort des infidèles. La loi


chrétienne est-elle devenue obligatoire, pour espérer le salut, après
l'événement de la Rédemption?
Sur cette interrogation d'ensemble se greffent de multiples
débats :
- à partir de quel moment cette obligation d'adhérer à la
prédication peut-elle être exigée?76
- suffit-il que la loi soit promulguée pour qu'elle devienne
obligatoire?
La découverte des nouveaux mondes au XVIe s. favorisa une
interprétation plus large, et la distinction entre divulgation et
promulgation suffisante77. De la sorte les infidèles laissés en dehors de l'é-
vangélisation n'étaient pas automatiquement condamnés mais
soumis à l'obligation d'une foi implicite, en attendant qu'ils puissent
bénéficier, grâce aux missionnaires, d'une foi explicite qui leur
garantissait beaucoup plus sûrement la possibilité d'accéder au salut.
La solution, adoptée par la compagnie de Jésus, est remise en
cause au XIXe s., par l'enseignement du père Perrone à la
Grégorienne. Ce théologien soumit à critique la notion de «promulgation
suffisante» pour en déduire qu'il s'agissait d'un concept vague. On
ne pouvait pas déterminer à quel moment elle était réalisée et
rendait nécessaire dans une nation le baptême et la foi explicite. Au
milieu du XIXe s. «on se remettait à enseigner que la foi explicite à la
Trinité et à l'Incarnation n'est pas, même après l'Evangile,
absolument nécessaire de nécessité de moyens pour le salut; ce sentiment
paraissait le plus fondé et obtenait la faveur; on le disait communio
inter récentes»78.
Ces incertitudes pèsent indirectement et directement sur la
conception des missions. Aux yeux de certains, le choix d'une
opinion large risquait d'atténuer l'urgence de la mission. Si les païens
conservaient de bonnes chances d'accéder à une foi implicite
suffisante, pourquoi se hâter? Or c'est justement l'opinion large qui
prévaut sous Léon XIII, selon Louis Capéran79. Elle aurait dû conduire
à administrer le baptême sans précipitation. Pourtant l'encyclique
Tametsi futura insiste sur le rôle de l'Eglise dans une formulation
qui rappelle l'adage «hors de l'Eglise point de salut» :
«Par le ministère de cette Eglise, si glorieusement fondée par lui,
(le Christ) a voulu perpétuer la mission qu'il avait reçue lui-même de

76 Louis Caperan, Le problème du salut des Infidèles. Essai historique, o.e.


p. 459-460.
77 Ibid. p. 460.
78 Ibid. p. 463.
79 Ibid. p. 465.
406 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

son Père; et, d'une part, ayant mis en elle tous les moyens de salut
pour l'humanité, d'autre part il enjoignit très formellement aux
hommes d'obéir à son Eglise comme à lui-même et de la prendre
soigneusement pour guide toute leur vie. Celui qui vous écoute m'écoute,
et celui qui vous méprise me méprise (Luc 10/16). Donc, c'est
uniquement à l'Eglise qu'il faut demander la loi du Christ : et, par
conséquent, si pour l'homme le Christ est la voie, l'Eglise l'est aussi,
l'un par lui-même et par sa nature, l'autre par délégation et par
communication de pouvoir. Par conséquent, tous ceux qui veulent
arriver au salut en dehors de l'Eglise se trompent de route et font de
vains efforts»80.
Une telle affirmation a toutes les chances de fortifier les
pratiques missionnaires déjà marquées par des schémas
simplificateurs. L'importance accordée par les contemporains au risque de la
damnation, la prédominance d'un discours négatif sur l'Autre parce
qu'il est païen, la brutalité et les déboires du contact sur le terrain,
prédisposent les missionnaires à une interprétation littérale de la
nécessité du passage par l'Eglise grâce à une adhésion immédiate et
formelle.
La pastorale du baptême des infidèles en est une preuve
éclatante. Nous avons dit combien l'administration de ce sacrement
était au cœur de la stratégie missionnaire. Tous les récits publiés à
l'époque mettent en scène les mille moyens utilisés pour obtenir le
baptême des adultes et celui des enfants des infidèles in articulo
mortis. Cette véritable obsession correspond à la conception
dominante de l'action du rite sacrementel ex opere operato et à la
conviction que le baptême est «de nécessité de moyen» au salut des âmes.
A partir de cette affirmation, la théologie admet des opinions
divergentes en ce qui concerne les adultes. Pour les auteurs, la
responsabilité est inégalement engagée, selon qu'il s'agit d'infidèles négatifs
(qui n'ont pas pu avoir connaissance de l'Evangile) et positifs (qui
n'ont pas adhéré à l'Eglise malgré l'évangélisation). Pour les
premiers, l'ignorance invincible oblige à imaginer qu'ils ont pu sous
d'autres formes accéder à la foi. Pour les seconds, la bonne foi
pourra éventuellement être prise en considération. Mais l'opinion que la
responsabilité des hommes est beaucoup plus fortement engagée
quand l'Evangile a été proclamé rend paradoxalement la situation
des infidèles davantage compromise après l'évangélisation. Le païen
persistant dans l'erreur est condamné à la damnation, alors que le
bonheur éternel est promis au croyant mort muni des sacrements de
l'Eglise. En d'autres termes, la pratique missionnaire gomme les
tentatives de la théologie pour sortir d'un dualisme du tout ou rien,
prévenir le clergé contre la tentation de décréter le sort éternel des indi-

80 Tametsi futura, 1er novembre 1900, Lettres apostoliques..., vol. 6, p. 145.


LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 407

vidus, quitte à inventer des états intermédiaires comme le


purgatoire.
Le baptême des enfants à l'article de la mort révèle même une
conception quasiment mécanique du sacrement. Oubliant que la
tradition catholique a modéré l'affirmation de la nécessité du rite, en
reconnaissant que celui-ci pouvait être obtenu par le désir (in voto),
et pas seulement in re, la pastorale missionnaire voit dans le
baptême un moyen automatique de dérober une âme au Diable pour
l'envoyer au paradis. Puisque le baptême efface le péché originel,
l'enfant qui meurt après l'avoir reçu accède directement et
certainement au salut. Symétriquement la réflexion développée sur l'enfant
mort sans baptême est de nature à alimenter la frénésie baptismale.
Elle conclut qu'un tel enfant ne pourra jamais bénéficier de la vision
béatifique et devra se contenter de vivre éternellement dans les
limbes, quatrième état dans l'au-delà après le paradis, l'enfer et le
purgatoire. La privation de la vision de Dieu, justifiée par une
citation évangélique («Celui qui n'est pas né de nouveau par l'Eau et
l'Esprit Saint ne peut pas entrer dans le Royaume de Dieu», Jean
3/5), définie comme la peine du dam, est unanimement reçue dans
le catholicisme du temps81.
Dès lors la mise en place de spécialistes du baptême, capables
d'approcher des moribonds, et en particulier des nouveaux-nés,
devient une tâche principale de la mission. La profusion des
témoignages, relayée par les aumônes pour la Propagation de la foi dans
le but de baptiser des enfants, atteste que nous sommes ici à un
nœud stratégique de l'action missionnaire. Le discours du magistère
participe lui-même à cette obsession du baptême des enfants païens
qui avait présidé à la création de la Sainte-Enfance en 1843 et dont
Léon XIII approuve ainsi l'objectif :
«Ce sont ces enfants que recueille avec tendresse la charité des
fidèles, qu'elle rachète parfois et qu'elle s'occupe de laver dans les eaux
de la régénération chrétienne, afin qu'ils s'élèvent avec l'aide de Dieu
pour l'espoir de l'Eglise, ou tout au moins que s'ils viennent à mourir,
le moyen leur soit donné d'acquérir le bonheur éternel»82.

Encouragé par ces déclarations, entraîné dans l'ardeur de


l'action quotidienne, le missionnaire transforme volontiers le salut des
âmes en impératif absolu. Il s'arroge les prérogatives divines pour
juger la bonne foi de ses interlocuteurs païens. Les incertitudes et les
failles de l'enseignement, la pression ambiante en vue d'une
augmentation statistique des chrétientés dont Rome demande des rele-

81 C'est du moins ce qu'affirme l'article de J. Bellamy : baptême (sort des


enfants morts sans) dans D.T.C., col. 364-365. (vol. II- 1, 1909).
82 Sancta Dei civitas, op. cit. p. 123.
408 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

vés annuels, le discours polémique concourent aussi à des


simplifications périlleuses. L'abus des baptêmes à l'article de la mort est
ainsi la source de multiples quiproquos et donne naissance aux plus
folles rumeurs sur ces missionnaires qui versent une eau mortelle ou
enlèvent des enfants pour les enfermer dans les orphelinats.
Plus grave peut-être, la Curie romaine entretient cette ambiguïté
de la pastorale en donnant le sentiment de la cautionner. Elle
légifère à l'infini sur les conditions de validité et de licéité des baptêmes
à l'article de la mort, sur la base de la lettre Postremo mense de
Benoît XIV. Aux nouveaux cas particuliers soumis par les
missionnaires, le Saint-Office applique les grilles de la scolastique,
s'interroge sur l'intention, la notion de danger de mort, la disposition
intérieure des candidats adultes, la matière et la forme, mais peu sur
l'impact de cette pratique, sinon pour exiger de ne pas y recourir
lorsqu'elle provoque des réactions dangereuses83. La casuistique des
théologiens romains s'enfonce dans d'interminables discussions,
plutôt que de s'interroger sur la pratique elle-même et la conception
missionnaire que postule l'apologie des baptêmes à l'article de la
mort84.
Comment expliquer ce décalage entre des positions
théologiques nuancées et une pratique missionnaire réductrice? Une
première réponse réside dans l'influence des représentations
dominantes autour de 1900. L'image obsédante d'un Dieu Juge ultime, la
hantise de la damnation, la critique sans concession du paganisme,
l'infériorisation du sauvage, tout concourt à définir l'adhésion au
catholicisme par le baptême comme la condition du salut. Pourtant
l'expérience missionnaire met les théologiens devant des questions
qui imposeront, tôt ou tard, un dépassement de ces comportements
rigides. Les résistances à l'évangélisation amènent à reconsidérer
dès le début du XXe s. la situation des infidèles qui persistent dans
l'erreur. Comment concilier la rédemption avec des refus qui
condamnent des millions d'hommes à la damnation? Le cardinal
Billot relancera le débat dans une série d'articles en 1919, prouvant

83 Cf. dans l'Index des Collectanea 1907 les trois colonnes de renvois à l'article
baptismus.
84 L'article baptême des infidèles (D.T.C., II-1, col. 342-353) illustre
parfaitement la démarche suivie depuis Benoît XIV. L'auteur traite d'abord le baptême
des enfants d'infidèles (ou de juifs) en distinguant : 1° la validité du baptême
malgré les parents; 2° sa licéité; 3° le cas du danger de mort; d'abandon; de
disparition du pouvoir parental; 4° ce que l'on doit faire des enfants d'infidèles baptisés
malgré leurs parents; 5° le baptême d'enfants infidèles quand le sacrement est
demandé par les ou un parent... Puis est abordé le baptême des adultes infidèles : 1°
à quel âge une enfant est-il en droit de demander le b. malgré ses parents? 2° et 3°
l'interdiction de baptiser contre la volonté de l'adulte (illicite et invalide); 4° le
consentement; 5° la préparation au baptême.
LA MISSION EXTÉRIEURE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LÉON XIII 409

que les positions n'étaient pas figées85. Finalement c'est toute le


fondement de la mission qui va se trouver mis en discussion par une
théologie spécifique née des insuffisances et des impasses des
réponses traditionnelles.
L'enseignement de Léon XIII n'a donc pas constitué une étape
originale dans l'élaboration d'une théologie de la mission. Sa plus
grande force réside dans la capacité à penser l'histoire des hommes
en fonction d'objectifs religieux, à faire entrer par ses déclarations et
ses gestes l'histoire de son temps dans l'Histoire du salut; car le
pontife est intimement convaincu d'être l'interprète et l'instrument de la
volonté divine. La conquête coloniale n'est ainsi qu'une péripétie,
mais providentielle, dans la pespective d'une Histoire sainte dont la
fin est l'union ou la réunion de tous les hommes «dans un seul
bercail et sous un seul pasteur».
Sur ce projet d'ensemble se greffent des discours classiques. Le
premier affirme la nécessité de la religion catholique pour moraliser
la nature humaine et fonder la civilisation, donc l'ordre social. Il
entraîne un second principe essentiel, l'exercice de la liberté religieuse,
comprise au sens de liberté pour l'Eglise d'implanter des missions,
acquérir des terrains et des biens, établir des œuvres. Mais la
cohérence de ce dispositif résiste mal à l'épreuve des réalités et tolère
des applications contradictoires. La volonté de maintenir la mission
religieuse de l'Eglise au-dessus des rivalités politiques et nationales
conduit à évaluer les pouvoirs selon leur apitude à protéger la
mission. «Progressiste» en Extrême-Orient, quand il joue la carte de la
reconnaissance de la Chine et du Japon, le discours légitime sans
difficulté la colonisation en Indochine, en Afrique, en Oceanie. A
force d'assimiler les droits des peuples au droit de recevoir l'évangile
grâce au catholicisme, il s'expose à apparaître dicté par les seuls
intérêts catholiques et taxé d'opportunisme.
Il aura cependant eu le mérite de sceller définitivement et
systématiquement l'intégration d'un devoir missionnaire, d'une solidarité
universelle religieuse et humaine, dans la mentalité collective des
catholiques. Quelles que soient les ambiguïtés du discours sur l'Autre,
Léon XIII cautionne de son autorité la revendication d'égalité des
clercs indigènes et des missionnaires européens. Peu sensible aux
défis de l'acculturation, il rend possible une évolution en affirmant
avec constance la nécessité de planter des Eglises indigènes.

85 Référence et résumé de la thèse développée dans les Etudes (1919-1923) in


Louis Caperan, Le problème du salut... op. cit. p. 511 et ss.
CHAPITRE 13

ÉCHEC À ROME? LA CENTRALISATION


INACHEVÉE DES MODES DE FINANCEMENT

La papauté se trouve sous Léon XIII dans la situation


paradoxale d'une monarchie très centralisée, disposant d'une immense
autorité morale, religieuse et spirituelle, dotée d'un pouvoir
réglementaire sans précédent, mais sans territoire et sans ressources
assurées. La fragilité financière constitue l'ultime môle de résistance
au processus de centralisation, le dernier secteur pour lequel la
papauté doit négocier et convaincre les clergés locaux et les fidèles. Il
est évidemment difficile d'étudier le poids de cette arme financière
dans les relations entre Rome et les Eglises locales. L'apparente
unanimité à recommander les quêtes pour le denier de Saint Pierre, à
imaginer des ressources nouvelles, masque d'éventuelles tensions.
La menace de représailles financières, si la papauté adopte des
positions contraires à l'opinion catholique d'un pays, suggère au moins
que l'argent demeure un enjeu vital.
Les mécanismes de financement des missions sont
particulièrement représentatifs de cette situation. La dépendance de Rome y est
manifeste vis-à-vis des deux grandes associations privées qui
assurent l'essentiel des ressources alimentant le budget des missions.
Même en tenant compte de la multiplication des associations
spécialisées, ou opérant dans un cadre national, l'œuvre de la
Propagation de la Foi fournit sans doute, à elle seule, près de la moitié des
revenus «officiels»1. En plein triomphe centralisateur et clérical, le
financement des missions catholiques se trouve ainsi en grande
partie entre les mains d'une association française, et dirigée par deux
conseils de laïcs établis à Paris et à Lyon.

1 Pour les raisons que nous avons indiquées plus haut, les budgets publiés
par les missions locales sont très approximatifs. Les recettes annuelles publiques
font apparaître la prépondérance de la Propagation de la Foi, dans un rapport de
2/3-1/3 avec la Sainte Enfance. Les associations spécialisées dans l'aide à une
société ou à des missions nationales jouent un rôle très variable, et selon toute
probabilité accessoire. Paul Marie Baumgarten a évalué le budget des missions
catholiques pour le XIXe s. à 16 millions de marks ou 20 millions de francs. (Cf.
Arens p. 269).
412 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Sans doute la nomination d'un ecclésiastique à la tête des


Missions catholiques, en qualité de directeur, et des Annales de la
Propagation de la Foi, comme rédacteur2, l'élection progressive de clercs
dans les conseils centraux, la présence de personnalités religieuses
dans certaines séances, la prépondérance du clergé local dans le
réseau des comités diocésains et des regroupements paroissiaux
(décuries, centuries), manifestent la pénétration et l'encadrement de
l'association par le clergé. Mais les présidents3, secrétaires généraux,
trésoriers, à Paris et à Lyon, n'en restent pas moins des laïcs. Les
procès-verbaux des réunions attestent que ceux-ci n'ont pas
l'intention d'être dépossédés de leur pouvoirs, que que soit par ailleurs leur
respect pour le clergé. L'omniprésence de la puissante Congrégation
confère particulièrement au conseil central de Lyon une
homogénéité et une efficacité hors du commun4.

1 - Un héritage d'autonomie relative.

La Propagation de la Foi hérite d'une une réelle autonomie qui


se fonde primitivement sur la reconnaissance par Rome des conseils
locaux. La réussite financière de l'association, après le décollage des
années 1840, lui a valu d'obtenir de nombreux privilèges de la
papauté. En 1878, elle dispose d'un budget de 6.804.000F., (près de dix
fois celui de la Propagande), publie les Annales en 10 langues à
248.620 exemplaires5. Le caractère national de l'association n'a pas
manqué de susciter par le passé des critiques et des contestations.

2 Mgr Théodore Morel.


3 Depuis 1830, l'œuvre est bicéphale et compte deux conseils centraux qui se
sont répartis géographiquement les missions. Le conseil de Lyon revendique
cependant une prééminence, et pas seulement honorifique. Toutes les décisions
importantes sont prises en concertation.
Présidents du Conseil Central de Lyon :
M. le Comte Francisque des Garets, 1868-1898.
M. Martial de Prandières, 1898-1906.
Présidents du Conseil Central de Paris :
M. Colin de Verdière, 1873-1885.
M. Charles Hamel, 1885-1916.
4 Sous Léon XIII, les laïcs du conseil central de Lyon adhèrent tous à la
Congrégation de Lyon.
5 «Les Annales sont tirées actuellement, tous les deux mois, à 248.620
exemplaires, savoir : français : 159.200; bretons : 4.900; allemands : 24.900;
espagnols : 2.500; flamands : 6.620; italiens : 245.000 portugais : 25.000; hollandais :
2.000; basques : 500... Il faut remarquer que l'extension de l'œuvre nécessite
quelquefois plusieurs éditions dans la même langue, soit à cause de la distance
des lieux, soit par suite de l'élévation des droits de douane ou autres motifs
graves. C'est ainsi que, parmi les éditions des Annales, il s'en trouve trois en
allemand, deux en anglais, trois en Italie.» {Annales; T. LI, 1879, p. 316).
MODES DE FINANCEMENT 413

Mais l'échec des entreprises concurrentes et l'apport prépondérant


des français à l'expansion missionnaire n'ont pas tardé à faire
abandonner tout projet de réorganisation. Somme toute, la présence sur
le sol français du siège des principales sociétés missionnaires,
l'origine française de la majorité des recettes, facilitaient les
communications et les négociations entre les bailleurs de fonds et les
destinataires.
Sous Grégoire XVI et Pie IX, la défense de la citadelle assiégée
avait fait triompher un statu quo favorable à l'œuvre lyonnaise. La
seule atteinte sérieuse à ses prérogatives avait été provoquée par
l'approbation donnée en 1846 à l'œuvre de la Sainte-Enfance, créée
par Mgr Forbin de Janson (1843).
Elle donna lieu à une délicate répartition des tâches affectées
aux deux associations. Destinée primitivement à aider les enfants
païens et à lutter contre l'infanticide en Chine, la Sainte Enfance
avait reçu pour but principal le rachat des enfants ou, à défaut,
l'administration du baptême in articulo mortis. Peu à peu, elle s'orienta
essentiellement vers le financement d'œuvres pour les enfants
rachetés ou recueillis : crèches, dispensaires écoles. Contrairement à la
Propagation de la Foi, elle recrute ses adhérents parmi les enfants
des écoles dans un cadre paroissial et clérical. «Elle n'eut jamais que
des ecclésiastiques comme directeurs et les laïcs n'y jouèrent qu'un
rôle de conseillers»6.
Rome se donnait ainsi un moyen de contrebalancer la toute
puissance de la Propagation de la Foi, avec une seconde association
dirigée par le clergé. La fondation de l'œuvre d'Orient en 1856 par le
mathématicien Augustin Cauchy, sous la direction de l'abbé Lavige-
rie, fut plus facilement acceptée à Lyon parce qu'elle n'entrait pas
directement en concurrence avec la Propagation de la Foi. Son apport
financier demeure d'ailleurs secondaire.
Cependant l'autonomie de la Propagation de la Foi était relative.
La solidarité entre Rome et l'Œuvre, caractérisée par l'attribution de
secours matériels en vue de l'acquisition de bien spirituels, liait
fortement les deux partenaires. La congrégation de la Propagande ne
pouvait pas ses passer des aumônes de l'œuvre de la Propagation de
la Foi. En retour, l'effort financier des associés trouvait sa
récompense sous forme de privilèges pour les clercs7 et d'indulgences

6 Mgr Delacroix et col. Histoire universelle des missions catholiques, T. 3


p. 68.
7 Par exemple : 1853 : indulgence de l'autel privilégié aux prêtres chefs de
divisions, Annales XXVI, 325-326.
1862 : rescrit accordant aux prêtres collecteurs de cent souscriptions le
pouvoir pendant sept ans d'indulgencier tous les objets auxquels des indulgences
peuvent être appliquées, Ibid. XXXV, 5-7.
414 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

pour tous. La seule lecture des tables des Annales donne une idée de
ce «donnant-donnant», même si l'échange n'était évidemment pas
vécu sous cette forme grossière.

2 - Des signes d'essoufflement

L'évolution des aumônes laisse cependant apparaître sous le


pontificat de Léon XIII des signes d'affaiblissement qui donnent
plus facilement prise à la critique. La croissance de l'œuvre,
spectaculaire dans les années 1840, atteint un premier sommet en
1858 avec une recette de 6.684.000F, puis ses rentrées se
stabilisent autour de cinq millions dans les années 187Ö. Un nouveau
pallier est franchi en 1875-1877, situant le budget autour de six
millions de francs. Désormais les recettes stagnent dans une
fourchette de 6 à 7 millions de francs.
Ainsi que le montre le tableau ci-dessous, les ressources
obtenues hors de France n'augmentent pas en dehors de l'Amérique
latine. La ligne bugétaire «Amérique du Nord» est
particulièrement significative. L'évolution y traduit en premier lieu les
variations des recettes obtenues au Mexique, en fonction des résultats
obtenus par les deux missionnaires qui y mènent des campagnes
de propagande et s'efforcent d'organiser l'œuvre. Les recettes
passent d'un peu moins de 10.000F à 66.283F en 1898, mais elles
sont soumises à des fluctuations permanentes, faute d'une
organisation stable. La part des Etats-Unis est évidemment
déterminante. Or les recettes, après avoir nettement décollé, plafonnent
bientôt : 54.263F en 1878; puis 263.795F en 1888; 218.222F en
1898. L'évolution n'est pas plus encourageante en Europe. Bien
que que la marge de progression soit théoriquement importante
dans les régions catholiques germaniques en plein essor
économique, et qui commencent par ailleurs à s'engager dans la
mission lontaine, les recettes n'augmentent pas. La recette
allemande, Alsace-Lorraine non comprise, est inférieure à celle du
diocèse de Lyon. Celle des Pays-Bas au diocèse de Rennes. Elle
recule en Italie à la fin des années 1870 et et ne dépasse plus
350.000F.

1865 : rescrit accordant aux prêtres qui font partie d'un Conseil ou d'un
Comité chargé de la direction de l'Œuvre les mêmes faveurs qu'aux prêtres
collecteurs de centuries., XXXVIII, 251-253.
MODES DE FINANCEMENT 415

Tableau n° 16
COMPARAISON DE QUELQUES RECETTES.

1878 1888 1898

Paris 332.904 224.900 198.900


Lyon 507.453 473.016 484.426
Marseille 68.270 60.241 50.232
Bordeaux 86.603 69.587 59.114
Rennes 153.762 144.877 132.099
Reims 49.050 40.005 40.143
France (Total) 4.383.891 4.079.944 4.077.085
Alsace-Lorraine 244.634 259.603 353.732
Allemagne 631.459 363.071 398.079
Autriche — 71.544 62.890
Belgique 397.049 355.496 363.899
Espagne 9.780 81.968 146.010
Iles Britanniques 178.189 168.878 129.302
Italie 316.955 339.566 284.682
Pays-Bas 118.155 102.112 97.425
Portugal 45.054 43.862 25.282
Suisse 66.545 80.959 —
Asie 6.874 8.305 6.831
Afrique 21.031 33.449 30.393
Amérique nd 102.913 294.875 362.005
Amérique sud 24.500 33.449 164.474

Ces observations sont recoupées par la situation de la presse


missionnaire. Le tirage des Annales augmente seulement de 40.000
exemplaires être 1878 et 1898, pour moitié grâce à l'Espagne, malgré
deux nouvelles éditions, en maltais et en polonais. On observe même
un recul sensible de la diffusion des éditions en anglais et en
allemand8. Ainsi le caractère national de la Propagation de la Foi
s'accuse et paraît constituer un frein pour son développement en Italie,
dans les pays anglophones et germanophones.
Un premier indice de malaise apparaît dans les échanges épisto-
laires qui précèdent la publication de l'encyclique Sancta Dei Civitas
en 1880. L'élection de Léon XIII avait été saluée par l'œuvre
française d'une lettre de félicitations qui renouvelait le dévouement filial
des associés envers le Saint-Siège et le pape9. Cependant une sup-

8 1898 : 282.310 exemplaires, savoir : français : 174.000; bretons : 6.485;


anglais : 11.500; allemands : 33.500; espagnols : 20.000; flamands : 6.725; italiens :
20.500; maltais : 2.500; portugais : 11.500; hollandais : 2.800; basques : 7.509;
polonais : 2.050 (Annales T. LXXI, p. 406.)
9 A.L.O.P.F. Copie de lettre 1881 (I). Conseil de Lyon au pape, 25 février 1881.
416 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

plique soumise au nouveau pontife, pour qu'il intervienne en faveur


de l'œuvre à l'occasion du jubilé, est accueillie avec quelque réserve.
La réaction pontificale, qualifiée de favorable, s'accompagne en fait
du refus d'agir dans l'immédiat parce que le jubilé n'aura pas lieu
«pour le moment»10. En février 1880 le Conseil lyonnais, constatant
la stagnation ou la diminution des offrandes, se tourne à nouveau
vers Rome pour demander une recommandation de l'œuvre «à
l'univers catholique». La réponse est encore prudente. Sans écarter
l'hypothèse d'une intervention officielle, la Curie s'abrite derrière la
publication récente d'une encyclique pour juger préférable «d'attendre
la première occasion favorable qui se présentera». Elle demande
néanmoins que lui soient envoyés les actes antérieurs du Saint-Siège
en faveur de l'association11.
Quelques mois plus tard, l'œuvre semble faire marche arrière.
Les démarches entreprises à Rome par le directeur de la Sainte
Enfance, également dans le but d'obtenir une encyclique, font naître de
multiples réticences à la perspective d'une encyclique. Les conseils
centraux redoutent que la publicité conjointe aux deux asssociations
ne profite surtout à la Sainte Enfance, au moment où les lois sur les
congrégations menacent son implantation dans les écoles congréga-
nistes.
Le principal reproche adressé à la Sainte Enfance est de
pratiquer une sorte de concurrence déloyale, en étendant son domaine
d'intervention à l'éducation des enfants de chrétiens et en acceptant
l'adhésion de jeunes adultes. En conséquence la Propagation de la
Foi décide de laisser les négociations se poursuivre sans s'engager
elle-même. «En définitive, n'est-il pas sage de laisser l'œuvre de la
Sainte Enfance agir seule? Si elle obtient l'Encyclique qu'elle désire
et qu'il y soit question de notre œuvre, ce sera à notre égard un fait
providentiel dont nous accepterons les conséquences»12. La
publication de l'encyclique Sancta Dei Civitas le 3 décembre met fin aux
hésitations. Elle recommande simultanément aux fidèles la
Propagation de la Foi, la Sainte Enfance, et l'Œuvre d'Orient. Le fait de les
réunir n'est pas anodin. Il constitue la première étape dans un
processus de rééquilibrage qui place sur un pied d'égalité les trois
œuvres. Il affirme l'autorité supérieure de l'autorité pontificale au
point de donner le sentiment que l'initiative passe peu à peu de la

10A.L.O.P.F. 1878, Propagande à Lyon, Rome, 3 mars 1878.


11 A.L.O.P.F. Propagande à Lyon, Rome, 4 mars 1880. De fait, l'encyclique Ar-
canum Divince sapientiœ sur le mariage chrétien vient d'être publiée le 10 février
1880.
12 A.L.O.P.F. C 1880. Résumé d'une conversation avec le Directeur de la
Sainte Enfance, 8 juillet 1880. Suivie d'une note explicitant la position du conseil.
MODES DE FINANCEMENT 417

base au sommet, chaque œuvre se voyant fixer une place précise et


l'obligation d'agir en bon ordre13.
La mention de l'œuvre, toujours associée aux deux autres, dans
la lettre apostolique Militans (12 janvier 1881) confirme l'appui de
Léon XIII et déclenche de nouvelles manifestations d'attachement
de la part des conseils français. Mais cet intérêt accru de l'autorité
romaine signifie aussi la volonté de la papauté d'exercer un droit de
regard, d'user de son pouvoir d'arbitrage et d'intervenir dans les
orientations de la gestion.

3 - Du bon usage romain des rivalités nationales.

Le caractère national de la Propagation de la Foi avait entraîné


de nombreuses contestations dès les premières tentatives
d'implantation en Europe entre 1835 et 1840. Plus que le principe des
nationalités, c'est l'hostilité des autorités civiles et religieuses à
l'immixtion d'un tiers extérieur qui déclencha les oppositions. En Suisse,
c'est l'épiscopat qui essaie de transformer la Propagation de la Foi
en œuvre pour les missions intérieures helvétiques, avec une
direction indépendante (1835). A Naples, le clergé et la cour tentent de
fonder autour du collège chinois de la Sainte Famille une institution
nationale pour les missions de Chine. L'évêque de Détroit
entreprend de convaincre la branche implantée en Bavière de se détacher
de la Propagation pour se joindre à l'Œuvre Léopoldine établie en
Autriche dans le but de secourir les missions d'Amérique. Mêmes
essais de constituer des sociétés indépendantes en Belgique,
Hollande... et à Rome. Dans le cas de l'Espagne, c'est le gouvernement
issu de la révolution de 1841 qui interdit l'organisation des quêtes
pour des étrangers.
Ce vent d'hostilité obligea l'œuvre lyonnaise à demander
l'arbitrage de la congrégation de la Propagande et à accepter des
compromis plus ou moins efficaces. L'Espagne décida de rester dans
l'œuvre à condition que les aumônes soient envoyées à la
Propagande, qui les transmettait ensuite à Lyon. Situation encore plus
équivoque en Allemagne : la Franciskus-Xaverius Verein se déclare
en 1842 membre de la Société française, pour bénéficier de ses
privilèges spirituels, mais affirme son indépendance. Ses statuts
prévoient de faire appel à la Propagation de la Foi sans lui être soumise,
en d'autres termes de souscrire aux répartitions de ses fonds
décidées en France dans la mesure où elles ne lèsent pas les intérêts des
catholiques et des missions allemandes.
Les arrangements n'empêchent pas dans la deuxième moitié du
siècle la fondation de nombreuses associations qui tournent le mo-

uSancta Dei Civitas, 3 décembre 1880, o.e. p. 122-123.


418 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

nopole de la Propagation de la Foi en se fixant des objectifs limités.


Le manuel d'Arens n'en relève pas moins de 136 dans le monde au
XIIe s., dont 110 entre 1860 et 1900.

Tableau n° 17
FONDATIONS D'ASSOCIATIONS D'AIDE AUX MISSIONS (1818-1900).
1818- 1831- 1841- 1851- 1861- 1871- 1881- 1891-
1830 1840 1850 1860 1870 1880 1890 1900

Allemagne 1 1 2 4 6 5
Angleterre 1 1 1
Autriche 1 2 3
Belgique 1 2 7 10
Espagne 1 1 1 1
France 2 3 3 6 10 6 7 9
Irlande 1 1
Italie 1 2 2 1 3
Luxembourg 1
Pays Bas 1 1 4 5
Suisse 2
Tchécoslovaquie 1
Amer, du nord 4 2 4
TOTAL 4 5 6 10 21 13 31 45
(Source : ARENS p. 289)

Allem. Anglet. Autr. Belg. Esp. France Iride Italie Lux. P. Bas Suisse Amer.
du nord
Croquis n° 21 - Associations d'aide aux missions (1818-1900).

Ce dénombrement regroupe des associations d'importance très


inégale. La majorité sont des œuvres destinées uniquement à
soutenir une société missionnaire établie dans le pays. Bénédictins, pères
blancs, pères de Steyl ou de Mariannhill, maristes, salvatoriens
rivalisent d'imagination pour mobiliser à leur profit les fidèles et consti-
MODES DE FINANCEMENT 419

tuer des réseaux. Mais quelques associations affichent des


ambitions nationales et «séparatistes «plus inquiétantes pour la
Propagation de la Foi. La comtesse Marie-Thérèse Ledochowska, nièce du
préfet Ledochowski, invente une association d'un type nouveau que
sa position et ses qualités d'organisatrice réussissent à faire
approuver rapidement. L'Association Saint-Pierre Claver, fondée en 1894
après approbation de Léon XIII, a pour noyau une congrégation
religieuse (les sœurs missionnaires de Saint Pierre Claver) autour de
laquelle sont développées avec des laïcs des organismes de
propagande et de collecte d'aumônes en faveur des missions d'Afrique14.
Ces initiatives bénéficient d'un accueil favorable à Rome qui exerce
un contrôle direct ou indirect sur leur activité. Plus embarrassantes
sont les entreprises engagées de manière autonome avec la
protection des associations coloniales et des autorités civiles, comme
l'Association Nationale pour secourir les missionnaires italiens. Mais le
bilan reste globalement positif pour Rome par laquelle passent les
principales associations pour obtenir approbation et
recommandations.
Ainsi la prise de conscience missionnaire en Europe du Nord se
traduit par la naissance d'un réseau de collectes des fonds parallèle à
la Propagation de la foi. Il matérialise le refus persistant, accentué
par la vague nationaliste, d'adhérer à une œuvre qualifiée de
française bien que son implantation soit internationale. La Propagation
de la Foi en appelle alors aux engagements antérieurs de la papauté
à son égard et s'abrite derrière le caractère religieux de ses objectifs.
Mais ses protestations sont impuissantes face aux critiques contre le
monopole des conseils français en matière de répartition des fonds
venus de l'étranger. Les rivalités nationales fournissent de plus en
plus souvent à Rome des occasions d'intervenir.
A partir de 1883 surgissent plusieurs conflits qui relancent les
polémiques sur le caractère national de la Propagation de la Foi. L'é-
piscopat américain se montre divisé et manifestement peu empressé
à répondre aux sollicitations de l'œuvre. Les démarches accomplies
à Rome par Mgr Morel, auprès de la délégation episcopale
américaine, sont accueillies assez fraîchement. «Nous ne savons pas si
notre organisation habituelle, si nos dizaines, nos centuries peuvent
s'acclimater avec le génie américain mais nous savons que toutes les
grandes causes y sont toujours entendues»15. Les maigres résultats

14 Notice in D.I.P. à Ledochowska. Diverses biographies peu scientifiques


dont : Sœur M. Thérèse Walzer, Deux mains ouvertes pour donner. Vie et œuvre de
la bienheureuse M. Th. Ledochowska. traduit de l'allemand par l'abbé F.X. Bro-
dard. Edit. Sœurs missonn. St Pierre Claver, Berne, 1977, 159 p.
15 A.L.O.P.F. Propagande, Mgr Morel à Lyon, Rome, 20 novembre 1883.
420 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

des aumônes aux Etats-Unis prouvent que les promesses de


quelques prélats manquent d'enthousiasme.
Cependant les mises en cause les plus graves surgissent à la
même date en Europe. Le 21 septembre 1882 le préfet de la
Propagande transmet au conseil de Lyon une information qu'il présente
comme une rumeur :
«On m'a rapporté que dans les diocèses du Portugal, il se ferait
une tentative de séparation de l'œuvre de la Propagation de la foi
dans le but de fonder une œuvre indépendante pour user au profit
de ce royaume des aumônes recueillies dans les diocèses
portugais»16.
La Propagande adopte ainsi une position d'arbitre qui lui
permet de se déterminer en fonction des réactions et des situations. Le
30 novembre, elle transmet l'explication du nonce, manière habile
d'exposer les critiques contre le système en vigueur sans les prendre
à son compte. Le diplomate refuse de cautionner les tendances à la
séparation; il n'en éprouve pas moins le besoin de justifier les
réactions portugaises en contestant les règles de répartition des
aumônes suivies par la Propagation de la foi. Elles écartent en effet de
la distribution les clergés coloniaux, ce qui élimine les territoires
portugais d'outre-mer. Il donne en exemple le refus essuyé par des
religieuses partant pour Macao et souligne l'effet désastreux de cette
pratique qui nuit à la réputation de la Propagation de la Foi et aux
missions en pays idolâtres, missions dont on connaît l'état de
langueur dans les colonies portugaises. Comment demander d'envoyer
en France des recettes qui ne profiteront pas aux missions
nationales?17
Dès avril 1883, le scénario se répète en Espagne. Pour relancer
l'activité de l'œuvre, le nonce Rampolla propose de l'organiser sur
une autre base. Dirigée par une junte de femmes laïques et présidée
par l'archevêque de Tolède, elle dépendrait de la Propagande avec
laquelle elle communiquerait par l'intermédiaire du nonce de Madrid.
Le préfet de la Propagande serait chargé de la répartition des
aumônes en ayant soin de privilégier les missions espagnoles. Un tel
projet provoque l'indignation contenue des conseils français et
l'envoi de Mgr Morel à Rome où il traite cette affaire parallèlement aux
tentatives d'extension de l'œuvre aux Etats-Unis.
Malgré la médiation de Lavigerie, qui recommande aux
délégués français de se montrer résolus face à la Curie («nous avons dès
le premier jour parlé ferme sur les conseils du cardinal Lavigerie»),

16A.L.O.P.F. Propagande, 21 septembre 1882 (traduction).


17 A.L.O.P.F. Propagande, 1882, n° 26. Copie de la réponse du nonce au Préfet
de la SCP, 14 octobre 1882. Traduction manuscrite (dans laquelle le caractère
lyonnais est réaffirmé contrairement à l'original...).
MODES DE FINANCEMENT 421

l'accord signé le 26 mai 1883 impose le point de vue romain, tout en


ménageant les formes et la susceptibilité des français18. La nouvelle
structure est censée «unie à l'œuvre universelle de la Propagation de
la foi», mais elle «dépend entièrement de la Sacrée congrégation de
la Propagande». Quant aux fonds recueillis, ils seront envoyés
chaque année au préfet de la Propagande, par l'intermédiaire du
nonce, conformément au plan de Rampolla. Seul l'article 4 de la
convention sauvegarde un minimum de relations destinées à sauver
les apparences : «il existera de bonnes relations entre la Junte
centrale de Madrid et les Conseils de Lyon, et sur les Annales et les
Comptes qui s'imprimeront en France seront enregistrés les sommes
recueillies en Espagne»19.
Ce premier coup porté au monopole français était suffisamment
rude pour que, l'accord signé, la Propagande décide d'en adoucir
l'effet et de reverser les recettes espagnoles au conseil central de
Lyon. Dès lors l'opération provoque chaque année des frais de
change et de transfert coûteux que Rome ne manque pas
rituellement de mentionner dans la lettre accompagnant l'envoi des fonds.
Trop heureux de s'en sortir de la sorte, le conseil lyonnais se garde
bien de relever l'allusion transparente à l'avantage que présenterait
une centralisation complète.
Le contentieux espagnol à peine réglé, la Propagande annonce à
ses interlocuteurs lyonnais en juillet 1883 que le gouvernement
autrichien a décidé de remettre toutes les aumônes recueillies dans
l'Empire au préfet de la congrégation, pour qu'il les répartisse
exclusivement au profit des missions dépendant de l'Autriche en Orient.
La Propagande n'ose cependant pas entériner une initiative qu'elle
sait inacceptable aux yeux de la France. Elle mettrait d'ailleurs en
cause tout le système, sans renforcer pour autant le contrôle romain
sur les recettes. Elle refuse donc à l'archevêque de Vienne, au nom
du Pape, le projet d'établir une œuvre spéciale pour les missions
«qui se rapportent plus particulièrement aux intérêts de l'empire», et
prévient qu'il n'est pas question de la faire bénéficier des
indulgences acordées à la Propagation de la Foi20.
Cependant ce refus s'accompagne de l'annonce que le dossier
«di materia delicata» est transmis au secrétaire d'Etat. Et la réponse
adressée par l'Archevêque de Vienne révèle les limites du succès
remporté par l'association française. Certes, les institutions de la
Propagation de la Foi et de la Sainte Enfance continuent d'exister en
Autriche au profit des missions universelles. Mais l'empire dispose

^A.L.O.P.F. Propagande à Lyon, 1883, n° 13, Mgr Morel au président du


conseil de Lyon, Rome 4 mai 1883.
19 A.L.O.P.F. Propagande à Lyon, 1883, doc. n° 19 s. d. (26 mai 1883).
20 A.L.O.P.F. Propagande à Lyon, Rome, 14 juillet 1884.
422 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

de quatre autres sociétés nationales d'aide aux missions qui


tournent le monopole :

- La Fondation Léopoldine (Die Leopoldinenstiftung, 1829)


pour les missions d'Amérique du nord.
- L'Association mariale (Der Marienverein, 1851) pour l'Afrique
centrale.
- L'Immaculée Conception (Der verein der Unbelfleckten
Empfängnis Mariens, 1856) pour les catholiques d'Orient.
- La société de St Boniface pour les missionnaires catholiques
en Allemagne.

Toutes ces sociétés sont approuvées par le Saint-Siège et


bénéficient déjà d'Indulgences. Le projet, explique l'archevêque, vise
seulement à fusionner les trois premières dans une structure
indépendante de la Propagation de la Foi21. Ainsi le danger de
sécession est-il en train de se transformer en contournement progressif
des privilèges de la Propagation de la Foi. Officiellement, la Curie
défend le statu quo. Pratiquement, elle ne paraît pas outre mesure
mécontente d'initiatives qui multiplient les moyens d'aider les
missions, surtout quand elles reçoivent la protection de
gouvernements catholiques.
Une dernière affaire confirme l'émergence d'une stratégie
visant à ne pas compromettre la Propagation de la Foi, pièce
centrale du financement, tout en faisant place aux aspirations
nationales. Le 5 février 1887 le cardinal Simeoni annonce l'envoi de la
recette espagnole. Il y joint la copie de la réponse que le dicastère
a adressé à l'archevêque de Florence au sujet d'une association
d'aide aux missions italiennes22. Si la réponse est négative, elle est
suivie d'un développement qui en atténue la portée. Rome
manifeste sa sympathie pour les efforts des catholiques italiens en
direction de leurs missions ou de leurs compatriotes. A défaut d'un
approbation, impossible deux ans après l'arrêt rendant obligatoire
la conversion des biens de la Propagande23, les ouvertures à des
formes d'accommodement ou de neutralité bienveillante sont
soigneusement préservées24.

21 A.L.O.P.F. Propagande à Lyon, 30 août 1884, copie de la lettre de


l'archevêque de Vienne, 30 août 1884.
22 Ibid., 5 février 1887.
23 A.L.O.P.F. Propagande à Lyon, Rome, 17 janvier 1885. Envoi d'une
protestation du St Siège au sujet de la conversion des biens de la Propagande et prière
de l'insérer dans les revues missionnaires. Cf. M.C. 1885, p. 42 (en extraits).
24 A.L.O.P.F. Propagande à Lyon, op. cit., 5 février 1887.
MODES DE FINANCEMENT 423

Officiellement la ligne de conduite reste inchangée : il est


recommandé à l'archevêque de Florence de favoriser la Propagation
de la Foi et l'œuvre d'Orient. L'augmentation des recettes en Italie
contribuera à accroître les subventions en faveur des missions
italiennes. Pourtant, la poussée de contestations convergentes, les
succès diplomatiques de Léon XIII, le rapprochement en direction
de l'Allemagne créent les conditions favorables à une première
tentative de transformation de la Propagation de la Foi.

4 - La résistance de la Propagation de la Foi à la centralisation


romaine.

1887-1888 : échec à Rome.

En septembre 1887, les Annales annonçaient que le secrétaire


général de la Propagande, Mgr Dominique Jacobini, effectuait un
voyage en France, événement dont il y a peu de chances que les
lecteurs aient saisi le caractère extraordinaire25. Après avoir
séjourné à Lyon et présidé une séance du conseil central de la ville,
le prélat vient à Paris où il descend en compagnie de son camérier
di capa e spada au séminaire de la rue du Bac, à la grande fierté
des Missions étrangères26. Le père Delpech se trouve ainsi
parfaitement placé pour enregistrer le contenu des discussions. Son récit
restitue avec fidélité la manière et le fond de l'intervention
romaine.
«Le Secrétaire de la Propagande était à Lyon depuis samedi, et
il a vu le conseil réuni de la Propagation de la Foi. Il a offert à ces
Messieurs les félicitations et les remerciements du St Père et du
cardinal Préfet de la Propagande pour le zèle qu'ils mettaient à
accomplir leur méritante Mission, et pour les éminents services qu'ils
rendaient à la grande Œuvre de la prédication de l'Evangile. Il a dit
qu'il fallait rendre grâces à Dieu pour les progrès de la pieuse
association de la Propagation de la Foi, et pour ses grands résultats.
Près de 7.000.000 de recettes. Mais ces résultats devraient être
encore plus grands, car ils ne sont pas en proportion avec le
développement des Missions. Il faut en prendre les moyens. Un de ces
moyens serait d'établir à Rome un procureur des Conseils de Lyon
et de Paris. Chez plusieurs nations, l'Espagne, l'Autriche, etc. Un des
obstacles au développement de l'Œuvre sont la politique, la jalousie
nationale. Il répugne à ces nations d'envoyer leurs aumônes à une
autre nation, la France, toujours rivale, quelquefois ennemie. Il faut
donner à ces nations le moyen de verser leurs aumônes, sans les
mettre directement entre les mains de la France.

25 Annales LIX, p. 309.


26 A.M.E.P., Journal de Delpech, vol. 1, 14 juillet 1887.
424 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Ce moyen serait l'établissement d'un procureur à Rome, qui


serait en relation avec le Cardinal Préfet de la Propagande et serait
chargé de recevoir les fonds des pays qui éprouveraient quelque
difficulté à les envoyer en France. Le conseil de Paris est convoqué
pour vendredi prochain et Mgr Jacobini lui fera la même
communication»27.

La position romaine est donc désormais clairement arrêtée. La


centralisation de l'Œuvre à Rome constitue la seule réponse
efficace aux rivalités nationales. Pour ne pas heurter de front les
conseils centraux, la Propagande se contente de demander
l'établissement d'une procure, selon le schéma qui a conduit les
sociétés missionnaires à établir un relais dans la cité pontificale. Il
n'est pas explicitement question de retirer aux français le droit
d'assurer la répartition des recettes, encore moins de transférer le
siège à Rome. Mais la proposition de Mgr Jacobini conduit
inéluctablement à mettre sur pied un réseau d'œuvres nationales sous
l'autorité de la Propagande. La prudence du propos s'accompagne
d'une grande habileté dans l'argumentation qui constate, sans
porter de jugement, les obstacles nés du caractère national de la
Propagation de la Foi et se place au-dessus des intérêts particuliers
pour légitimer le recours à Rome.
Le projet de la Curie aurait, selon Jacobini, été favorablement
accueilli et le conseil de Lyon se serait montré «enchanté de cette
proposition.» L'affirmation appartient sans doute au langage des
négociations délicates et vise à balayer les objections parisiennes.
La réaction du conseil de Lyon est probablement plus proche de
l'embarras. Les cahiers de procès-verbaux ne conservent d'ailleurs
aucune trace de cette réunion.
Face à l'offensive romaine, les conseils centraux de l'œuvre
savent qu'ils ont un allié potentiel dans le quai d'Orsay. Le
ministère guette tous les signes d'une atteinte au protectorat français
sur les missions. Alerté par son ambassade auprès du Saint-Siège,
il suit l'affaire avec une attention d'autant plus soutenue qu'une
grave crise vient de se dénouer à propos de l'ouverture des
relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la Chine. La direction
de la Propagation de la Foi et le gouvernement français font ainsi
cause commune, et leurs efforts semblent couronnés de succès
puisque l'ambassade de Rome annonce, dès le retour de Jacobini,
l'abandon du projet.
Le secrétaire général de la Propagande déclare en effet à

27 Ibid. 13 juillet 1887.


MODES DE FINANCEMENT 425

l'ambassadeur que la congrégation romaine ne veut pas porter


atteinte à l'autonomie de la Propagation de la Foi et agissait
seulement dans le but de déjouer les efforts de l'Autriche, de
l'Espagne, du Portugal et de l'Italie pour entraver l'envoi des
cotisations à Lyon. L'objection mise en avant par les conseils et le
ministère, le risque de fournir des armes à «ceux qui veulent
détruire le protectorat français sur les missions et nationaliser les
œuvres religieuses», plus crûment la perspective de tarir en
France les recettes sans lesquelles «les sociétés missionnaires
allemandes et italiennes n'auraient pas les ressources de leurs
ambitieux programmes», auraient, selon le diplomate, déterminé
Rome à changer d'avis28.
Décidé à pousser son avantage et à prévenir d'autres
tentatives, le ministère des affaires étrangères recourt à son tour au
chantage financier29. Le préfet Simeoni, que l'on soupçonne
d'avoir monté l'opération, s'emploie à ramener le calme. Il s'engage
- de vive voix - à «respecter l'autonomie de la Propagation de la
Foi de Lyon» et se défend énergiquement d'avoir voulu dépouiller
l'œuvre de son caractère français. Il rappelle son action en 1884
pour empêcher le gouvernement autrichien de faire pression sur
î'épiscopat afin que cesse l'envoi des cotisations en France30.
En réalité le projet de procure est toujours d'actualité et le
président du conseil central de Paris est appelé à Rome à la fin
du mois de novembre. Son voyage est aussi commandé par des
divergences entre les conseils de Paris et de Lyon dont Rome
peut espérer tirer parti. Le conseil de Paris désire être associé à
la direction de la revue des Missions catholiques et s'estime
mieux placé pour apprécier ce que peut et doit écrire une revue
«exposée par sa nature à glisser sur le terrain politique», amenée
à «diriger les courants d'aumône vers telle œuvre ou telle
personnalité plutôt que vers telle autre.» M. Hamel, Mgr Morel et Mgr
Neyrat effectuent un nouveau séjour à Rome en février 1888. Us
semblent utiliser les conseils et les services du père Burtin, le
procureur des pères blancs, qui les introduit auprès de Mgr
Zitelli, le minutante «protégé» par le cardinal Lavigerie.
L'affaire a pris entre temps de nouveaux développements. Il
serait désormais question de transférer le siège de l'Œuvre à
Rome et la gravité de la situation conduit à en remettre la
solution entre les mains de Léon XIII. C'est donc avec une réelle
appréhension que les envoyés français attendent l'audience pontifi-

28 A.M.A.E. Rome, 1887, T. 1087. Ambassadeur à Ministre, Rome, le 10 juillet


1887 (f. 266) et le 20 juillet 1887 (f. 284-287).
29 Ibid. f. 299, Paris, 26 juillet 1887.
30 Ibid. f. 392, Rome, 27 septembre 1887.
426 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

cale fixée au 18 février 1888. Or, déjouant toutes les prévisions,


Léon XIII réserve une réception «des plus cordiales et des plus
intimes «à la délégation française... et ne fait aucune allusion au
transfert réclamé par la Propagande. Le pouvoir de séduction du
pontife s'exerce à plein sur ses hôtes mais le chef de l'Eglise
s'efface entièrement derrière le pasteur suprême.
«Le Pape, presque insensible au commencement, s'est ému peu
à peu, et a ensuite parlé de cette belle œuvre en des termes si
touchants, avec des paroles si senties, que M. Hamel et Mgrs Morel et
Neyrat en pleuraient à chaudes larmes. Le Souverain Pontife,
appliquant aux Directeurs de cette belle œuvre ces paroles de nos
saints Livres : et copiosa apud eum redemptio, les a tous vivement
encouragés et bénis. M. Hamel, à qui Mgr Jacobini n'avait cessé de
dire que l'établissement de la Procure de l'Œuvre à Rome était le
vœu du saint Père, a été très étonné de voir que tout cela ne devait
se trouver que dans le cerveau de Mgr Jacobini, et encore pour un
but politique. Aussi, M. le président est de plus en plus décidé à
tenir fermement à son refus absolu d'établir à Rome la procure de
l'Œuvre. Il ira même, si Mgr Jacobini veut le pousser à bout,
jusqu'à lui proposer de laisser à ceux qui ne seraient pas contents, le
soin de s'organiser et de procurer aux missionnaires de leurs
nations les ressources nécessaires à leurs missions respectives,
persuadé qu'il est que la France donnera, à elle seule, les deux tiers
des aumônes que l'Œuvre recueille annuellement de toutes les
parties du monde»31.
L'affrontement a donc tourné court. La papauté paraît céder
devant le chantage français. Les raisons de ce revirement sont à
rechercher d'abord du côté d'un rapport de forces qui est
effectivement favorable aux français. Privée de ressources
indépendantes suffisantes, confrontée à des difficultés financières
chroniques, la Curie n'a pas de solution de rechange en cas de crise
ouverte avec la Propagation de la Foi. Mais le recul romain fait
aussi parti d'un réaménagement global de la diplomatie sous la
direction de Rampolla après les déceptions engendrées par le
rapprochement avec l'Allemagne. L'ambassadeur affirme d'ailleurs
que le nouveau Secrétaire d'Etat est favorable au statu quo. La
France s'avère un partenaire difficile et peu sûr, avec lequel il
faut pourtant composer. Les intérêts des catholiques français et
ceux des missions poussent la papauté à un compromis
raisonnable. Il en résulte un curieux ménage à trois que suggère une
conversation rapportée par l'ambassadeur de France. Reçu avec
M. Hamel dans les salons du cardinal Simeoni, le préfet de la
Propagande, ce dernier \e\ir lance, faussement énigmatique :

31 Ibid. n° 7075 (E-5, Τ 1096), Burtin à Lavigerie, Rome, 21 février 1888.


MODES DE FINANCEMENT 427

«Voici M. Hamel qui fait partie de l'Ambassade de France...» Et


l'ambassadeur de répliquer :
«Non, nous sommes, votre Eminence, M. Hamel et moi, trois
puissances alliées qui gardent chacune leur autonomie bien
distincte»32.

Cette réponse résume la complexité et les ambiguïtés d'un jeu


où s'entremêlent les considérations politiques et religieuses, au
gré des circonstances et des interlocuteurs. Entre les deux
partenaires principaux se glissent continuellement des acteurs
secondaires que chacun essaie de gagner à sa cause. Le
gouvernement français sait que la fibre patriotique et l'appui des autorités
aux missions demeure une carte efficace pour contrebalancer la
vénération des milieux missionnaires à l'égard du pape. Léon
XIII n'a pas jugé opportun de s'engager plus avant dans une
affaire qui pouvait compromettre son prestige et sa liberté d'action
au moment d'entamer un nouveau chapitre des relations avec la
France républicaine. Mais il n'a pas pour autant renoncé à ses
objectifs financiers.
En donnant le sentiment qu'elle refuse «toute tentative de
défranciser la Propagation de la Foi» et de «lui imprimer un
caractère international», l'Œuvre s'enferme dans une logique qui la
condamne à entretenir avec Rome des relations difficiles. Il serait
cependant simpliste d'assimiler sa réaction défensive à un réflexe
exclusivement nationaliste. L'intervention romaine se heurte aussi
à la volonté des conseils centraux de ne pas être dépossédés de
leurs attributions, de s'opposer à la centralisation et à la cléricali-
sation de la société qu'ils ont mis sur pied. Dans cette lutte, les
enjeux de pouvoir au sein de l'Eglise sont peut-être aussi décisifs
que les rivalités nationales, façade commode pour camoufler
d'autres tensions.

La poursuite de la centralisation par d'autres moyens.

La mise en sommeil du projet de transfert n'est pourtant pas


immédiate. Le 20 avril 1888, Mgr Mermillod, évêque de Lausanne
et Genève, effectue au nom du Pape une visite au Conseil de
Lyon pour mettre les choses au point. Il rend compte de ses
démarches à Rome pour combattre le projet «de faire de Rome le
centre de l'œuvre, soit par la formation d'un Conseil supérieur,
soit par la nomination d'un procureur.» Son argumentation re-

32 A.M.A.E. Rome 1089, f. 239-242, ambassadeur à Ministre, Rome, 28 février


1888.
428 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

prend les thèmes chers aux présidents de l'œuvre. «Rome n'est


pas plus sûre actuellement que la France, et s'il arrivait un
bouleversement social, il s'y ferait sentir aussi bien que dans notre
pays. Puis la France qui a fondé l'Œuvre, qui est son principal
soutien, sera blessée qu'on la lui enlève et il est à craindre qu'on
n'y perde plus encore qu'on pourra gagner à l'étranger par cette
transformation. » 33
Rien n'indique pourtant que la papauté renonce à grignoter
les privilèges de la Propagation de la Foi. La prudence de Mgr
Mermillod quant à l'avenir - «il croit que ces raisons ont été
goûtées par le pape et le Cardinal, et il estime que pour le moment
au moins le danger... est écarté» - est tout à fait significative. Et
les conseils de l'Œuvre sont bien placées pour connaître la
détermination patiente de Rome. Depuis le début du pontificat, les
interventions personnelles de Léon XIII tendent à s'accroître,
essentiellement en faveur des missions d'Orient dont la Propagande
rappelle au conseil de Lyon dès 1883 : «Vous n'ignorez pas
combien le retour des schismatiques grecs dans le sein de la
véritable Eglise de N. S. J.C. tient à cœur à sa sainteté le Pape Léon
XIII»34.
La pression romaine, loin de se relâcher, s'intensifie à partir
de 1889. Le Préfet Simeoni souligne en juin 1889, comme
incidemment, la nécessité pour l'association de se conformer à la
volonté de la Propagande35. La ligne est donc toute tracée. La
propagation de la foi relève de la congrégation de la Propagande,
pas de l'Œuvre qui porte ce nom. Avec constance, Rome met à
profit toutes les possibilités qui lui sont offertes afin d'intervenir
dans la répartition des budgets. La première méthode se réclame
du pouvoir d'arbitrage et vise à corriger les choix partiaux que ne
peut manquer de faire une œuvre nationale. Les réclamations
adressées à Rome par les chefs de mission sont aussitôt
transmises au conseil de Lyon, laissant entendre que des sécessions
interviendront tôt ou tard si l'association n'assouplit pas son
attitude. C'est la menace que brandit Mgr Mac Intyre, évêque de
Charlottetown. Mécontent de ne recevoir aucun subside, il
demande la faculté d'utiliser les aumônes recueillies dans son
diocèse pour ses propres œuvres. Le cardinal Simeoni commente,
sans approuver cette décision... ni en écarter l'éventualité :
«Desiderando che ciò non avvenga, anche perché altri vorrebero poi

33 A.L.O.P.F. Procès Verbaux 1888, Conseil de Lyon, 20 avril 1888.


34 A.L.O.P.F. Propagande, 1883, n° 29, Rome, 1er octobre 1883.
35 A.L.O.P.F. Propagande, 1889, n° 6, Rome, 18 juin 1889.
MODES DE FINANCEMENT 429

imitarne l'esempio, prego V.S. di tener conto della necessità della


diocesi del vescovo oratore»36.
De demandes d'explication en recommandation, de
suggestions en mises en gardes, Rome maintient une pression qui
fragilise l'œuvre française. Pourquoi ne pas modifier la procédure qui
oblige à reverser en France les aumônes espagnoles au prix d'une
perte de 13 à 14%37? Pourquoi l'engagement de verser 12.000F
aux sœurs de Smyrne est-il conjoncturel et l'Œuvre refuse-t-elle
de s'engager pour l'avenir, selon le souhait de Léon XIII? Un tel
comportement est présenté comme un manque de confiance dans
la capacité du pape à garantir les recettes grâce à un nouvel
appel aux fidèles38. Les recommandations ponctuelles sont même
remplacées en 1891 par une liste de missions à aider que la
Propagande communique au conseil central de Lyon39.
Dans ce climat de défiance qui ne s'avoue pas, la Propagation
de la Foi épie tous les essais réels ou supposés d'affaiblissement.
Elle hésite en 1888 à recevoir les dons destinés à la société
antiesclavagiste sous prétexte que «cette Société poursuit une œuvre
de guerre et non de paix»40. Elle s'inquiète du retard mis par la
congrégation des Indulgences à redéfinir les privilèges de
l'association. Elle s'insurge contre les revues missionnaires étrangères
qui risquent de la concurrencer41. Elle proteste contre la demande
de la Sainte Enfance de supprimer dans ses statuts l'article
disposant qu'à vingt-et-un ans les associés doivent adhérer à la
Propagation de la Foi42. Mais ces efforts sont impuissants à changer le
cours d'une évolution qui échappe toujours plus à la Propagation
de la Foi.

36 A.L.O.P.F. Propagande, 1890, n° 23, Rome, 23 décembre 1890. «Désirant


que cela n'arrive pas, et parce que d'autres voudraient ensuite imiter un tel
exemple, je vous prie de prendre en considération les besoins du diocèse de l'é-
vêque qui fait cette demande».
37 A.L.O.P.F. Propagande, 1892, Ledochowski à Lyon, Rome, 26 février 1892.
38 A.L.O.P.F. Propagande, 1890,15 août 1890.
39 A.L.O.P.F. Mgr Zecchini à Lyon, Rome, 5 mars 1891. Ce sont les missions
suivantes : Nouvelle-Zélande, Antivari (Montenegro), St Boniface (Canada),
Scandinavie, Pontiac, St Georges, Hunan sept, et mérid., et Chine en général, Tri-
chaor; Egypte (coptes), Hte Egypte, Délégation apostolique d'Egypte, Capucins
de Mésopotamie, Séminaire syrien de Putempally (Indes), Abyssinie.
40A.L.O.P.L., P.V. 1888, 30 novembre 1888. Finalement, pour ne pas
mécontenter le cardinal Lavigerie, ni troubler les donateurs, qui pourraient prendre
la fâcheuse habitude de remettre leurs dons sans passer par la Propagation de la
Foi, les conseils décident de conserver leur rôle d'intermédiaires.
41 A.L.O.P.F., Préfet à Lyon, Rome, 10 août 1891. L'inquiétude est alimentée
par un bulletin des missions édité à Florence, siège de l'Association nationale
pour les missions italiennes.
42 A.L.O.P.F. Propagande, 1892. Réponse de Ledochowski, Rome, 28 octobre
1892. Le préfet «en tiendra compte le moment venu».
430 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Le lancement en 1891 de la première campagne


antiesclavagiste fournit enfin à la papauté, au moins provisoirement, le
contrôle de ressources abondantes dont elle dispose librement.
L'Œuvre française a tenté d'atténuer les effets de l'initiative et le
père Burtin est témoin en novembre 1890 des démarches
accomplies à Rome par «l'envoyé de Lyon».

«J'ai vu hier le Cardinal Rampolla, et il m'a dit qu'il n'y avait


encore rien de changé à ce qui avait été réglé précédemment dans
la commission cardinalice. Ce mot encore me fait douter qu'il n'y
ait quelque velléité (sic) d'accommoder en quelque manière ces
Messieurs de la Propagation de la Foi. Ils voudraient que le Bref
présentât la quête comme faite simplement en faveur de l'œuvre de
l'abolition de l'esclavage, sans ajouter : par les missions d'Afrique. Ils
ont peur que ces mots : par les missions d'Afrique ne fassent croire
aux pieux fidèles qu'il s'agit de l'œuvre de la Propagation de la Foi
et qu'il n'y ait confusion entre les deux quêtes. Ils voudraient
également que les produits de la quête ne soient pas envoyés à la S.C.
de la Propagande, mais à toute autre congrégation ou commission,
afin d'éviter la même confusion. Enfin, ils désireraient que la
distribution ne se fît pas par nationalités, mais par missions, (comme
cela se pratique dans l'œuvre de la Propagation de la Foi) afin de
ne pas poser un principe sur lequel les gouvernements reviennent à
chaque instant»43.

De fait la papauté maintient la décision de centraliser la


gestion des aumônes à Rome et une abondante correspondance
témoigne des négociations, des attributions, des contrôles de
l'autorité romaine par l'intermédiaire des nonces ou des supérieurs des
instituts missionnaires44. Les sommes concernées sont
initialement très élevées. Les recettes de 1891 s'élèvent à 1.127.673 lires,
soit 1,7 fois le produit des aumônes fournies par la Propagation
de la Foi. Consciente du caractère aléatoire de ces rentrées,
décidée à surveiller l'emploi des sommes distribuées aux missions qui
participent à la lutte contre l'esclavage (rachat des enfants), la
Propagande procède avec prudence la première année. Par la
suite, elle conserve l'habitude de placer une partie des sommes
en dépôt à la banque Guerini et d'en laisser une autre disponible
en caisse45.

43 A.P.BI. n° 7236 (Copie de E-5, T. 1308), Burtin à Lavigerie, Rome le 27 no-


vermbre 1890.
44 Cf. à partir de 1893 : A.C.P.F., N.S. rubrique 55 (Schiavitù, Schiavi,
Antischiavismo), (vol. 20, 90, 138, 161...).
45 Sources : A.C.P.F., N.S. vol. 20 (1893) f. 125 pour 1892 et f. 126-131 pour
1891.
MODES DE FINANCEMENT 431

Tableau n° 18
BUDGET DES QUÊTES POUR LA LUTTE ANTIESCLAVAGISTES(1891-1892)
(EN LIRES)

Budget 1891
Entrées 1.312.263
dont Recettes 1.127.673
Intérêts Guerini 14.590
Don du St Siège 170.000

Sorties 1.188.387
dont subsides distribués 328.000
Missions africaines de Lyon 240.000
Zanzibar 220.000
Lavigerie 400.000
dépenses diverses 387

Reste 123.876

Budget 1892
Recettes 1.293.963 L.
Dépenses 891.704 L.
dont Spiritains 220.000
Sémin. St Pierre et Paul 19.774
Pères Blancs 400.000
Mission de Cunene 30.000
Zambèze 101.000
Madagascar 20.000
Sénégal, Bas Congo 60.000
Oubangui 40.000
Reste 402.258

Outre l'entrée de fonds, l'opération apporte à la Propagande la


preuve qu'une campagne véritablement internationale et religieuse
peut obtenir hors de France des résultats supérieurs aux aumônes
retirées des œuvres traditionnelles. Si l'apport français l'emporte
encore sur les autres pays, la part des diocèses allemands et hollandais
est en augmentation sensible.
Forte de cet atout, la Propagande peut se permettre de faire la
leçon au conseil central de Lyon. Un rappel à l'ordre émanant du
cardinal Ledochowski illustre le nouveau rapport de forces. Sous
prétexte de répercuter les plaintes répétées des chefs de missions, le
préfet critique la répartition des réductions. La mise en garde vient
en conclusion rappeler, plus solennellement que jamais, la
subordination des œuvres missionnaires à la Propagande, «cui s'appartiene
432 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

la suprema direzione delle Missioni, e quindi incombe anche lo


stretto dovere di provvedere al loro regolare andamento»46.
Six mois plus tard le ton se durcit encore. Arguant de
l'aggravation des réclamations et en particulier de la détermination de
l'Autriche - Hongrie à ne plus transférer les aumônes en France, le
préfet de la Propagande tance sévèrement la Propagation de la Foi dont
le comportement suicidaire prépare les ingérences des
gouvernements étrangers et la ruine de l'œuvre47.

Nouveaux affrontements.
A partir de 1891 les tensions observées dans la correspondance
se doublent de conflits sur le terrain. Le premier éclate en Amérique
Latine, notamment au Mexique où la Propagation de la Foi a envoyé
un Délégué, le père Terrien, des Missions Africaines de Lyon, pour
une tournée de prédication en faveur de l'œuvre. Alors qu'en 1883 le
Cardinal Simeoni invitait par une circulaire les épiscopats
d'Amérique latine à soutenir et installer la société dans leurs diocèses,
Rampolla intervient en septembre 1891 pour fixer la répartition des
aumônes recueillies. Il exige que le tiers soit réservé à la
Propagande. Dans les années qui suivent, le contentieux s'alourdit encore.
La nomination de Ledochowski n'amène pas l'assouplissement
escompté dans la position pontificale et M. Hamel confie son
inquiétude au père Delpech en mai 1892. Il redoute les effets sur Léon XIII
d'une suggestion du Cardinal Gibbons : réduire la concurrence par
la suppression de la quête de l'Epiphanie en faveur de l'œuvre
antiesclavagiste.
L'affaire du Mexique illustre cette dégradation des relations. Le
pape y décide personnellement une répartition des aumônes
défavorable à la Propagation de la Foi : 1/3 pour le Denier de Saint Pierre;
2/3 divisés en trois entre la Propagation de la Foi, la Propagande,
l'ordinaire du Mexique. Les voyages répétés de M. Hamel et de Mgr
Morel à Rome tentent de rétablir la confiance entre les partenaires
mais la menace du transfert du siège de l'Œuvre reste brandie au-
dessus des conseils. Delpech note dans son journal : «Sans doute la
question du transfert à Rome du siège de l'Œuvre n'est pas pour cela
enterrée à jamais»48. Pourtant les événements les plus graves vont

46 A.L.O.P.F. Propagande, Ledochowski à Lyon, Rome, 27 juillet 1892.


47 Ibid., Ledochowski à Lyon, Rome, 12 janvier 1893.
48 A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. 4, 7 mars 1893. Visite de M. Hamel,
président du conseil de Paris à Rome. «Il connaît mieux les idées et les tendances (du
Préfet Ledochowski), et il lui sera plus facile de s'orienter d'une manière
convenable dans les affaires qu'il pourra y avoir à traiter avec la Propagande... Sans
doute la question du transfert à Rome du siège de l'Œuvre n'est pas pour cela
enterrée à jamais.»
MODES DE FINANCEMENT 433

surgir en 1894 quand Léon XIII prend de nouvelles initiatives en


faveur des chrétiens d'Orient.
Fin novembre 1893 le conseil de Paris transmet à son équivalent
lyonnais les demandes que le cardinal Langénieux s'apprête à
formuler auprès de l'Œuvre. Le plan d'action comporte trois objectifs :
1. La création d'un Séminaire pour les rites orientaux.
2. La multiplication de «centres catholiques».
3. La fondation de maisons de retraites qui recevront les prêtres
schismatiques convertis, auxquels leur retour à l'unité ferait perdre
leurs ressources.
Paris propose alors d'accorder une subvention de 300.000 francs
au maximum. Le conseil lyonnais conteste aussitôt ce programme
qu'il sait pourtant inspiré par Léon XIII. La création de Séminaires
nouveaux lui semble inutile puisque les séminaires dirigés par les
religieux latins fonctionnent avec succès. Sceptique sur la possibilité
de recruter davantage de clercs, il ne voit pas comment, sans prêtre,
on pourra ouvrir de nouveaux centres catholiques. Quant aux
maisons de retraite, elles ont toute chance d'être perçues comme des
«tentatives d'achat des conversions»49.
Rampolla annonce le 2 février 1894 le passage à Lyon du
cardinal Langénieux chargé par Léon XIII d'exposer combien les affaires
d'Orient lui tiennent à cœur50. Désormais tout est en place pour un
conflit feutré mais bien réel. Rome s'efforce de convaincre en
premier lieu Paris pour forcer ultérieurement la résistance des
lyonnais. La question du Mexique vient à propos procurer un moyen de
pression supplémentaire. Le 9 octobre 1894 le président du conseil
central de Paris est à Lyon pour rendre compte des négociations et
préparer les esprits.
«(M. Hamel) raconte une conversation qu'il a eue avec le cardinal
Langénieux, archevêque de Reims. Ce prélat ayant eu à présenter au
pape un rapport sur les rites orientaux terminait son travail en
proposant que l'œuvre de la Propagation de la Foi fut chargée d'une quête
spéciale pour les séminaires orientaux. Le pape lui répondit qu'il
préférait créer une organisation spéciale car, ajouta-t-il, il croyait avoir à
se plaindre des quêtes au Mexique qui ont amené une diminution
considérable dans les recctes du denier de St Pierre. De plus le pape
chargera le cardinal Langénieux de faire parvenir aux conseils
centraux l'expression de cette plainte»51.
La visite du cardinal Langénieux constitue dans ce contexte le

49 A.L.O.P.F. P.V. 1893, 24 novembre 1893.


50 A.L.O.P.F. Rome, Secrétairerie d'Etat, 1892-1894. Rampolla à Conseil de
Lyon, Rome, 12 février 1894.
51 A.L.O.P.F. PV. 1894.
434 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

moment crucial où sera connue la position romaine. Le 24


novembre, le prélat expose devant le Conseil de Lyon les vues
pontificales sur l'Orient :
«II raconte les divers projets formés par le pape, voulant d'abord
demander des ressources à la Propagation de la Foi, puis au denier de
Saint Pierre, et enfin à l'idée d'associer la première à son entreprise.
Au nom de Sa Sainteté, le Cardinal demande que l'œuvre mette
chaque année une somme de de 500.000F à la disposition du pape,
pour les frais des séminaires, églises, écoles etc.. qu'il s'agit de fonder.
Les Conseils seraient déchargés de toute répartition aux Rites unis»52.

La proposition est habile. En fin négociateur, Léon XIII a fixé


une barre élevée : 7% des revenus annuels de l'œuvre, au moment où
elle ne peut pas faire face à l'augmentation rapide des besoins. Il
demande en outre le renoncement à la répartition des sommes, un
principe fondamental de la Propagation de la Foi. Enfin des mesures
d'accompagnement sont promises afin de compenser l'effort
consenti, en particulier la promesse d'une encyclique et de ne pas porter
tort aux autres missions53.
Il est impossible de savoir dans quelle mesure le pontife croyait
ces conditions recevables ou demandait plus pour obtenir
suffisamment. Après une délicate concertation, les conseils centraux
s'arrêtent à un compromis :
1. Ne pas abandonner la répartition des subventions à l'Orient
car cela constituerait un précédent suicidaire.
2. Accorder les 500.000 francs mais en leur imputant les
sommes habituellement distribuées pour ces Eglises (150 à 200.000
francs).
3. Obtenir le droit de publier les allocations distribuées, pour
respecter un autre principe constitutif et vital de l'Œuvre.

Conformément à ses engagements, Léon XIII publie l'encyclique


Christi Nomen pour «combler le vide que les nouveaux besoins de
l'Orient vont produire dans le budget annuel de la Propagation de la
Foi»54. L'œuvre française ne cède pas. Rampolla fait alors savoir par
l'intermédiaire du cardinal Langénieux que Léon XIII éprouve une
vive déception et le sentiment de ne pas avoir été récompensé de ses
efforts, presque trahi. Mais il accepte la réduction à 245.000 francs,
sans désespérer d'une augmentation, autorise la publication des
allocations par les Annales et accorde que leur répartition s'opère par

52 Ibid. 24 novembre 1894.


53 A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. 6, 20 et 28 novembre 1894.
54 Christi nomen, 24 décembre 1894, Lettres apostoliques p. 65.
MODES DE FINANCEMENT 435

les conseils centraux, à partir des indications qu'il fournira55.


Jusqu'à la mort de Léon XIII (1903) figurent désormais au budget la
mention du Pape à la suite des allocations distribuées à sa demande,
et un état des sommes qui restent à sa disposition. Pie X continuera
d'ailleurs de procéder sur ce modèle.

Tableau n° 19
SOMMES MISES À LA DISPOSITION DU SAINT PÈRE POUR SES ŒUVRES
ORIENTALES (EN FRANCS)

1895 : 201.000 1900 : 164.000


1896: 94.000 1901 : 193.000
1897 : 77.000 1902 : 138.000
1898 : 100.000 1903 : 147.000
1899 : 111.000 1904 : 128.000

Les inconvénients de la solution sont évidents pour le Saint-


Siège, plus que jamais obligé d'admettre qu'il est «réduit à faire fond
uniquement sur les offrandes des fidèles»56. Toute prévision est
impossible et le secrétaire d'Etat s'efforce de connaître chaque année le
plus tôt possible les sommes qui seront destinées à l'Orient57. Le
décalage entre les «vastes desseins« évoqués par le Secrétaire d'Etat et
les moyens de la papauté, condamnée à envoyer ses instructions
pour attribuer des sommes parfois modestes, éclate dans ces
circonstances. Mais Rome n'avait pas l'intention d'en rester là. Le
Secrétaire d'Etat exprime bientôt le mécontentement pontifical de ne
pas avoir reçu des deux délégués de Propagation de la Foi en
Amérique latine les rapports promis sur les aumônes recueillies. Lyon
bat prudemment en retraite sur ce front secondaire et rappelle ses
envoyés à la fin de 189458. Progressivement les rancœurs s'estompent
et on cherche à rétablir des relations plus sereines.

5 - L'impossible modus vivendi.

Il est vrai qu'en liant son projet oriental à la Propagation de la


foi, Léon XIII est devenu solidaire de ses résultats. Le père Terrien
reprend ses tournées en Amérique latine, spécialement au Brésil et

55 A.L.O.P.F.L Secrétairerie d'Etat, 1895-96, Rampolla à Langénieux, 10 avril


1895, 28 janvier 1895.
56 A.L.O.P.F. Secrétairerie d'Etat, 1895-96, Rampolla, Rome, 1er août 1895.
57 Ibid, par exemple, 6 juin 1896.
58 A.L.O.P.F. P.V. 1894, séance du 25 mai.
436 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

au Mexique. Rome maintient cependant une restriction


importante. Si le délégué a été autorisé à prêcher et établir des dizaines
en Amérique latine, «il devra s'abstenir de faire des quêtes»59. Les
nouvelles relations sont en effet marquées par le souci réciproque
d'apaisement, mais les problèmes de fond demeurent entiers, prêts
à resurgir à la première occasion. La cœxistence raisonnée prend
le pas sur l'adhésion affectueuse et enthousiaste. La Propagation
de la Foi se prémunit contre d'autres initiatives romaines en se
donnant dans le procureur des pères blancs, Burtin, un
représentant permanent à Rome. Le président du conseil de Lyon lui écrit
le 7 juillet 1896 :
«En examinant les remèdes qu'on pourrait apporter (à la
diminution des recettes), nous ne trouvons guère que celui de revenir à
l'extension de notre Œuvre dans l'Amérique du Sud.
Or la cour de Rome avait semblé naguère mettre comme
condition à une action publique de nos délégués un partage inacceptable
des recettes avec l'Œuvre du Denier de St Pierre. Il nous semble
pourtant que l'intérêt même de la cour de Rome serait aujourd'hui de nous
laisser une liberté qui lui assurerait un concours plus important de
notre Œuvre en faveur des affaires Orientales.
Si donc la fatigue de ce voyage (dont les frais seraient
naturellement à notre charge) ne vous rebutait pas trop, nous vous serions
profondément reconnaissants de venir à Lyon et d'assister à une séance
dans laquelle nous échangerions nos idées dans laquelle surtout nous
profiterions des vôtres».
Ainsi se précise la stratégie de la Propagation de la Foi, décidée
à avancer l'argument de l'intérêt général des missions pour
sauvegarder son indépendance. La «cour de Rome» répond avec les armes
expérimentées dans le passé. Alerté sur la tentative de créer une
version mexicaine indépendante de la Propagation de la Foi, le préfet
Ledochowski sollicite Rampolla pour qu'il intervienne. Mais il
demande seulement que l'Œuvre projetée porte un autre nom et ne
jouisse pas des mêmes privilèges. Et il suggère indirectement la
réforme du système de financement :
«Je saisis cette occasion pour manifester à Votre Seigneurie les
craintes de cette Sacrée Congégation de voir naître, par aventure, chez
les autres nations, quelque tentative rivale de la Sainte Œuvre de la
Propagation de la Foi. Et la cause de ma crainte est la perception d'un
certain mécontentement existant dans divers pays, et ayant pour
motif la partialité apparente dans la distribution des aumônes faites par
votre Conseil; elle donne lieu à des plaintes fréquentes de la part des
Supérieurs des Missions. Ainsi pour donner quelques exemples... [il
cite des discriminations en Afrique aux dépens des districts du Cap et

A.M.E.P. Journal de Delpech, vol. 7, 18 octobre 1896.


'
MODES DE FINANCEMENT 437

du délégué apostolique en Grèce]. Je répète que ces partialités de


distribution, et comme preuve ces trois plaintes semblables de trois
sources diverses que j'ai voulu vous exposer, vous montrent quel est le
fondement des craintes de la Propagande, de voir chez diverses
nations se former de nouvelles œuvres pour récolter les aumônes
destinées à aider leurs propres misionnaires. J'ai la confiance que Votre
Conseil tiendra compte de ces observations dans la mesure qui leur
est due»60.

Le retour à la normale est donc artificiel. Les gestes de bonne


volonté de la Propagation de la Foi - elle accorde un subside de
300.000F en 1901 - et les paroles affables de Rampolla se doublent
de chaque côté des Alpes d'une grande fermeté. Lorsque le
Secrétaire d'Etat écrit qu'il reste 147.000 francs à la disposition du Saint
Père (3 janvier 1902), le Conseil de Lyon s'empresse de rectifier :
146.000 francs seulement... L'intéressé reconnaît aussitôt son erreur
mais, le mois suivant, le Préfet de la Propagande refuse de délivrer
une lettre de recommandation au père Devoucoux, missionnaire
SMA, nouveau délégué de l'Œuvre pour le Mexique61.
Evoquant le refus de la Propagation de la Foi d'accorder en 1894
une subvention de 500.000F., Joseph Hajjar y voit la main de la
diplomatie française62. L'intervention du pouvoir politique et la
satisfaction du quai d'Orsay s'étalent effectivement dans la
correspondance de l'ambassadeur auprès du Saint-Siège63, Mais cette
interprétation de l'événement simplifie à l'excès la réalité. Il nous paraît
plus juste de voir dans cette affaire le heurt de deux logiques et le
signe que le Saint-Siège s'engage dans une politique hasardeuse.
Heurt de deux logiques, parce que Rome ne conçoit pas qu'on
puisse discuter ses décisions, tandis que la Propagation de la Foi
veut rester fidèle aux objectifs et au mode de fonctionnement de ses
origines. D'un côté les progrès de la centralisation romaine et de la
cléricalisation de l'institution ecclesiale rendent peu à peu
anachroniques une «autorité» (auctoritas) laïque et extérieure qui a le
pouvoir de décider l'avenir des missions. De l'autre l'attachement à
l'esprit originel de l'Œuvre masque les positions antirépublicaines de la
Congrégation qui n'a pas vraiment accepté le ralliement.
Politique hasardeuse ensuite. La volonté de Léon XIII de mettre
fin à la dépendance financière de Rome est évidente. Pourtant il a dû

60 A.L.O.P.F. L. Propagande, Rome, Ledochowski à Conseil de Lyon, 10


novembre 1896.
61 A.L.O.P.F. P.V. 1902 : 10 janvier; 17 janvier; 28 février.
62 Joseph Hajjar, Le Vatican, la France et le catholicisme oriental (1878-1914).
Diplomatie et Histoire de l'Eglise. Paris, Beauchesne, 1979, 592 p., p. 63.
63 A.M.A.E. Rome, Saint-Siège, vol. 1119 (f. 353-354) et 1120 (f. 33).
438 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

y renoncer. Malgré l'apologie du pontife suprême dans la littérature


catholique, la papauté expérimente à cette occasion que sa propre
autorité se heurte toujours à des résistances, même au sein du
catholicisme militant. Les grandes opérations supposent, pour être
menées à bien, la mobilisation des hommes, de l'opinion publique et
de l'argent. En l'occurence, les trois manquent. Les missionnaires
français ne sont pas favorables au plan pontifical. L'opinon publique
s'interroge et les élites catholiques doutent du réalisme de
l'entreprise. La perspective du retour des orientaux suscite le scepticisme
de la Propagation de la Foi. Le comte des Garets, président du
conseil central lyonnais, exprime ses réserves dès la première
rencontre avec le cardinal Langénieux. «M. le Président lui a répondu
que le concours était nécessairement acquis aux desseins du pape,
mais naturellement sous la réserve de ne point nuire aux intérêts des
autres missions, car, a-t-il ajouté, les orientaux et leurs stériles
missions reçoivent actuellement de l'œuvre une somme presque égale à
celles que reçoivent les missions de Chine dans lesquelles on fait un
grand nombre de conversions chaque année»64. L'absence de
répercussion de l'encyclique Christi nomen sur les recettes de 1895 (elles
sont même en léger recul) prouve que l'écho rencontré chez les
fidèles n'est pas plus enthousiaste.
Dans ce contexte, l'opération orientale fait subir aux autres
missions en 1895 une réduction de leurs allocations de 1/15; elle risque
d'entraîner des réactions en chaîne. Or Rome ne peut pas faire appel
aux quêtes antiesclavagistes dont le rendement a baissé, après 1893,
pour s'établir bien au-dessous de celui de la Propagation de la Foi.

Tableau n° 20

Quête antiesclavagiste Propagation de la Foi

Budget 1895
Recettes 468.437 6.587.049
Reste sur 1894 68.823
Total Entrées 537.260
Dépenses 340.027 6.586.473
Reste 197.233 Disponible pour le St Père 200.000

Budget 1899
Recettes 592.649 6.820.273
Dépenses 488.095 6.817.843
Reste 104.554 Disponible pour le St Père 1 1 1 .000

64 A.L.O.P.F. P.V. 1894, 16 février.


MODES DE FINANCEMENT 439

Le modus vivendi de la fin du pontificat reflète donc un


compromis provisoire. La papauté devra attendre des
circonstances plus favorables pour opérer la centralisation et la cléri-
calisation de la Propagation de la Foi65. Elle se contente pour
l'instant de l'appliquer à l'Italie, avec en 1892 un nouveau règlement
pour le Conseil central. Installé à Rome, le conseil est placé sous
la présidence du Cardinal Vicaire général qui choisit les vingt
conseillers. Si les sommes recueillies sont toujours envoyées à
Lyon, le recul de l'autorité des laïcs est accéléré. En France, la
Curie continue de soumettre un peu plus à sa politique les
conseils centraux, leur imputant de nouvelles charges qui
éloignent l'Œuvre de sa destination première, tels les frais
d'installation, puis d'entretien des délégations apostoliques des Etats-Unis
et du Canada66. Mais l'application du plan de 1887-1888 ne pourra
se réaliser qu'en 1922. Entre temps, la première guerre mondiale
et le triomphe du dollar auront bouleversé le rapport de forces.

Tableau n° 21
RECETTES COMPARÉES DE LA PROPAGATION DE LA FOI

Total67 France Etats-Unis

1880 6.020.039 4.211.942 49.691


1885 6.629.258 4.364.076 87.284
1890 7.072.911 4.310.862 201.275
1895 6.587.049 4.136.825 * 173.556
1900 6.848.700 4.068.407 356.146
1905 6.497.697 3.294.996 785.289
1910 6.986.678 3.041.280 1.339.057
1915 6.275.987 2.062.214 2.826.568
1920 19.104.315 4.223.055 10.143.927
1921 13.441.403 4.711.259 5.021.516

65 Cf. A.C.P.F. Acta 290 (1919), f. 376 à 546. Relazione con Sommario e Nota
d'Archivio circa un progetto di riorganizzazione della Pia Opera della
Propaganda della fede.
66 1902 : 24.444; 1903 : 18.973; 1904 : 51.483; 1911 : 98.767F.
67 Sources : A.L.O.P.F. Les chiffres sont arrondis au franc inférieur. En 1915
et 1920 les recettes de l'Allemagne ne sont pas comprises dans le total; ni en 1921,
celles de l'Allemagne, de l'Autriche, des Pays-Bas, de l'Italie.
CHAPITRE 14

NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES


UNIVERSELLES. 1878-1885

1 - La quête de la liberté religieuse pour les missions africaines


(1878-1885).

La continuité de la politique menée de Pie IX à Léon XIII n'est


plus à démontrer. Mais l'arrivée du nouveau pontife sur le siège de
Pierre se traduit très rapidement par une intensification de l'activité
doctrinale et diplomatique qui esquisse, puis précise et concrétise de
nouvelles orientations. La marque de Léon XIII réside
principalement dans cette capacité à mener de front un large éventail d'actions
qui concourent toutes à diffuser une image dynamique de la
papauté, à imposer sa présence dans le concert international, à poursuivre
dans les missions la plantation de l'Eglise.
L'apport de la Propagande aux vastes desseins de Léon XIII est
d'abord manifeste dans l'attention croissante portée à l'Afrique. Le
mouvement né en faveur des «pauvres Noirs» dans les années 1840
s'amplifie dans le dernier tiers du XIXe s. L'activité déployée par le
dicastère chargé des missions, particulièrement depuis les années
1870 et le plan de Comboni, appelle un prolongement diplomatique
avec la mise sur pied des grandes explorations à l'intérieur de
l'Afrique. La personnalité de Lavigerie achève d'accélérer un processus
qui tend à transformer les objectifs proprement missionnaires en
objectifs collectifs du gouvernement de l'Eglise. Deux mécanismes
favorisent la prise en charge par la diplomatie de ce dossier. Le
premier tient à la nécessité d'entrer en relation avec le roi Leopold II,
maître d'œuvre de l'exploration de l'Afrique centrale, et monopolise
l'attention du nonce à Bruxelles. Le nonce S. Vannutelli sert
d'intermédiaire au cours des négociations, jusqu'à la suspension des
relations diplomatiques le 28 juin 1880, et garantit l'exactitude des
informations données par Lavigerie. Le passage du préfet de la
Propagande Franchi à la tête de la secrétairerie d'Etat, après l'avènement
de Léon XIII, facilite la promotion de l'Afrique au premier rang des
préoccupations. Désormais, le sort du continent noir est
simultanément entre les mains de la Propagande et du Secrétaire d'Etat. Dé-
442 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

marches spécifiquement religieuses et contacts diplomatiques


s'entrecroisent, au gré des événements, à l'image de l'activité débordante
et polyvalente de Lavigerie.
La mission africaine se développe dans la recherche d'une
collaboration avec le pouvoir séculier et l'exploitation systématique des
possibilités offertes par la conjoncture. Parfait connaisseur des
milieux romains, Lavigerie a su développer dans son Mémoire secret de
1878 les thèses et les conceptions propres à emporter l'adhésion de
la Propagande.
«D'après ce que j'ai dit dans la première partie de ce Mémoire, il
est aisé de voir que l'Afrique Equatoriale va devenir une sorte de
champ clos, où le protestantisme d'un côté et la civilisation laïque de
l'autre se trouveront bientôt partout en présence de l'Eglise. Sans
doute l'opposition ne sera pas toujours déclarée, mais elle sera
toujours au fond des choses et il importe en conséquence de prendre par
avance les dispositions nécessaires pour s'assurer la victoire.
Il faut pour cela faire ce que fait, pour garantir une conquête, un
général habile, s'emparer, dès l'abord, des positions qui commandent
le champ de bataille, opposer à ses adversaires de bons capitaines, et
enfin s'asseoir solidement dans le pays même, de manière à ne plus
avoir besoin bientôt des secours du dehors»1.
La menace d'être supplantée par des initiatives protestantes ou
par la libre-pensée incite effectivement la Propagande à accélérer la
création de nouvelles missions. Leopold II, le catholique, s'impose
immédiatement comme le principal allié potentiel.
Systématiquement, malgré la crise qui éclate entre le Saint-Siège et la Belgique,
d'abord par l'intermédiaire de Lavigerie et de Comboni, puis
directement2, Rome cherche l'alliance royale, de préférence à des
gouvernements libéraux, voire protestants.
Dès ses premières entrevues, Léon XIII confirme les
dispositions de son prédécesseur et exprime son intérêt pour les projets
africains de Leopold IP. La congrégation générale consacrée par la
Propagande à l'érection de quatre pro-vicariats en Afrique
Equatoriale (21 septembre 1880) fixe pour longtemps la politique de la
papauté. Exceptionnellement tenue au Vatican, elle sanctionne l'entrée

1 Extrait du Mémoire secret de Lavigerie à la Propagande, 2 janvier 1878, in


Marcel Storme, Rapports du P. Planque, de Mgr Lavigerie et de Mgr Comboni sur
l'Association Internationale Africaine. Bruxelles, Acad. Royale des Sciences
Coloniales. Mémoires, nelle série, T. XI, fase. 2, p. 107 (p. 26 du rapport).
2 Cf. la lettre de Comboni au roi Leopold II, Karthoum le 30 juin 1878. Texte
in Marcel Storme, Rapports du P. Planque, de Mgr Lavigerie et de Mgr Comboni. . .
op. cit. p. 157-163.
3 A.M.A.E.B. Correspondance politique, série générale, Légation près le
Saint-Siège, 15, 1876-1878, n° 166. Baron d'Anethan à d'Aspremont-Lynden, 30
mars 1878. (Copie in A.P. Bl., A.M.A.E.B., III).
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 443

de l'Afrique noire dans les objectifs de l'Eglise, officialise le choix


d'une stratégie privilégiant l'action missionnaire de Mgr Lavigerie et
l'appui de Leopold II4.
Les mois suivants ne tardent pas à révéler que la bonne volonté
du roi des belges n'est pas sans arrière-pensée. Il entend peu à peu
disposer d'un corps de missionnaires exclusivement belges pour
atteindre ses objectifs coloniaux. Aux yeux de Rome, ce dont Lavigerie
devra convenir progressivement, une telle demande de
«nationalisation» n'est pas excessive, à condition qu'elle ne passe pas par un
engagement écrit mais se limite à une pratique admise tacitement
entre les deux parties, sans présager de l'avenir. La collaboration
avec un souverain qui propose d'accorder aux missions des
subventions et une liberté religieuse sérieuse, c'est-à-dire plus favorable
au catholicisme qu'au protestantisme, supporte quelques
compensations. Le projet d'un séminaire africain belge est adopté en
Congrégation générale par la Propagande le 17 mars 18845.
La solution adoptée en Afrique centrale n'est qu'une des
réponses possibles aux yeux de Rome. La colonisation française en
Afrique du Nord constitue une autre opportunité mais respecte les
mêmes principes. Elle conduit en Tunisie au rétablissement du siège
archiépiscopal de Carthage au profit de Lavigerie en 1884. Certes la
lettre apostolique Materna Ecclesiœ Caritas ne subordonne pas la
décision pontificale à l'établissement du protectorat français après le
traité du Bardo (12 mai 1881). Mais si elle rapporte les progrès
catholiques au zèle de Lavigerie, la lettre reconnaît au préalable que la
colonisation a créé les conditions nécessaires à une nouvelle
evangelisation de la Tunisie6.
La Tunisie constitue un cas exemplaire de cette exploitation
pragmatique des opportunités politiques au profit de l'Eglise,
opportunités dont Lavigerie décrivait beaucoup plus crûment les
avantages dès 1881. Pour justifier la mise à la retraite du vieux vicaire
apostolique italien, Mgr Suter (86 ans), et le remplacement des
capucins italiens dépourvus de sujets et de ressources par les
missionnaires d'Afrique, il évoquait en ces termes la situation :
«La France vient d'entrer en Tunisie pour ne plus en sortir avec
l'intention de prendre le gouvernement de la Régence, d'abord comme
puissance protectrice et sous le nom d'un Dey musulman, et plus tard
d'une manière plus ouverte pour son propre compte.... Il est
relativement facile d'obtenir de l'administration tunisienne, pourvu que l'on
s'y prenne à temps, des terres riches et considérables, actuellement
inoccupées, et qui, entre les mains d'un administrateur ayant l'expé-

4 A.C.P.F. Acta 248 (1880) f. 386 r.


5 Cf. M. Storme in Memoria rerum III/l, op. cit. p. 275.
6 Materna Ecclesiœ Caritas, 10 novembre 1884, Lettres apostoliques, t. 2, p. 11.
444 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

rience des choses du pays, peuvent servir à fonder définitivement l'é-


vêché, les paroisses, le Séminaire, les écoles et cela en peu de temps.
(Ce plan aboutira) à la résurrection définitive de la religion et de
l'Eglise dans la régence, et le rétablissement du grand Siège de Carthage,
lorsque le Saint-Siège croira le moment venu»7.
Lavigerie s'étant montré entre temps cet administrateur avisé et
efficace, le moment était venu d'achever en 1884 l'application de son
plan. Le rétablissement du siège archiépiscopal est décidé par la
Propagande le 23 juin 1884 au cours d'une congrégation générale à
laquelle assiste le futur titulaire. La seule pièce annexée à la
résolution consiste dans la lettre justificative du cardinal français qui énu-
mère les arguments essentiels. Elle fait valoir que la liberté du Saint-
Siège est complète en Tunisie, mais il n'en sera pas toujours ainsi.
Le gouvernement musulman reconnaît à l'Eglise locale une
indépendance totale et facilite «même au point de vue matériel, la
constitution de nos œuvres». Le gouvernement français est également bien
disposé et a donné 100.000F, «sans obligation de retour».
Ce dernier point est important car la papauté, à travers la
congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, ne cesse
pas de prouver son hostilité à la transformation de la collaboration
en subordination à la République. Léon XIII repoussera fermement
en 1893 les propositions de la France, prête à subventionner
l'archevêché, à condition que le Saint-Siège s'engage à choisir un candidat
français et le nomme avec l'accord du gouvernement8. La
coopération du bras séculier s'accompagne à cette époque du rejet de toute
aliénation juridique de la liberté religieuse, cette dernière exigeant
l'autorité indivisible de Rome sur les Eglises nouvelles.
La volonté de tirer profit du mouvement de pénétration et de
colonisation de l'Afrique va donc guider toute l'action de Léon XIII. Si
le plan exposé par le fondateur des pères blancs reçoit d'emblée
l'approbation du pontificat, c'est qu'il exprime parfaitement la
conviction de Léon XIII que l'histoire du monde est à un tournant. Au
divorce provoqué par la Révolution succède une conjoncture rendant
possible la réconciliation de l'Eglise avec son temps pour lui
restituer son rôle universel. C'est le thème que reprend par exemple
l'intervention dans le consistoire du 10 novembre 1884, qui porte
notamment au cardinalat Mgr Massaia. L'ambassade française
rapporte en ces termes les propos du pontife : «Le pape n'a pas manqué
l'occasion au moment où un courant général emporte les Puissances
chrétiennes de l'Europe vers une expansion coloniale de montrer le

7 A.P.Bl. Lavigerie à Préfet de la Propagande, vol. 2, n° 3163 (2), copie de Β


3-2 (1881). Note secrète sur les dispositions à prendre, dans les circonstances
actuelles, pour le vicariat apostolique de Tunis.
8A.C.P.F. Acta 263 (1893), f. 336-342, 20 juillet 1893.
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 445

pouvoir dont le Saint-Siège dispose dans l'Univers. L'intention est


évidente de marquer la connexion qui existe entre les conquêtes de
l'Eglise et les progrès de la civilisation matérielle»9.
L'appui de la diplomatie pontificale aux revendications
traditionnelles de la Propagande est donc complet en Afrique. On
pourrait encore évoquer la stratégie de contournement du concordat
avec la France en Afrique de l'Ouest10. Les fondations des nouveaux
territoires missionnaires confiés aux spiritains et aux missions
africaines de Lyon sont autant d'occasions d'échapper à la législation
antérieure. La petite préfecture du Sénégal, rigoureusement
circonscrite, sera bientôt le dernier vestige du gallicanisme en pays de
mission. Toutes les missions sous domination française dépendent
désormais directement et exclusivement de la Propagande, sans que
la Secrétairerie d'Etat ait besoin d'intervenir pour défendre les
droits de la papauté.

Le cas particulier de l'Abyssinien.


Nul ne sait évidemment au début du pontificat de Léon XIII que
l'Abyssinie est promise à devenir l'ultime Etat africain non colonisé,
si l'on met à part le Libéria. Elle bénéfice d'un traitement particulier
parce qu'elle compte à sa tête une monarchie, sans doute instable,
mais antique et se réclamant du christianisme. L'ensemble des
conditions géographiques, historiques, politiques et religieuses
empêche puissances étrangères et missions chrétiennes d'aborder le
pays à la manière du reste de l'Afrique.
La création de deux Préfectures, rapidement transformées en
vicariats, visait à séparer les zones réputées monophysites du nord
(vicariat d'Abyssinie) et païennes du sud (Gallas), les premières étant
placées sous l'autorité de la section orientale de la Propagande en
1862.
Au début des années 1880, la principale préoccupation des
missionnaires est donc d'obtenir de Jean IV (ou Johannes IV), empereur
depuis 1872, l'arrêt des persécutions, la liberté de prédication et le
droit d'établir de nouvelles stations. Convaincus de la pertidie de
leur interlocuteur, les chefs de mission sont persuadés que seule la
pression extérieure des grandes puissances peut faire céder le souve-

9 Α. Μ.Α.Ε. Rome, St-Siège, 1079, f. 297-298, Rome, 9 novembre 1884.


10 Par l'arrêté du 13 messidor an X Bonaparte avait étendu le Concordat aux
colonies françaises. Cf. Paule Brasseur in Libermann, op. cit. «Missions
catholiques et Administration française sur la côte d'Afrique de 1815 à 1870», p. 849-
881.
11 Présentation synthétique d'un dossier particulièrement complexe par Isi-
doro Agudo de Villapadierna, «La Sagrada Congregación y los problemas de la
Misión de Etiopia (1838-1922) in Memoria rerum, op. cit. vol. III/l, p. 341-363.
446 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

rain. Pendant longtemps, le protectorat de la France avait été admis


à peu près unanimement, l'Ethiopie étant considérée comme une
extension de l'Orient. Mgr De Jacobis avait particulièrement sollicité
les consuls français et le ministère des Affaires étrangères.
Cependant le quai d'Orsay, trop heureux de se voir reconnu le protectorat
des missions, n'avait guère obtenu de résultats concrets ou durables.
Une seconde tendance se fait jour dans les années 1850 pour
demander l'intervention de toutes les puissances étrangères
susceptibles d'être influentes, qu'elles soient catholiques comme l'Autriche
ou protestantes comme l'Angleterre. Les ambitions coloniales
italiennes compliquent un peu plus le problème, surtout après 1870.
Mgr Massaia adopte une attitude ambivalente, se tournant vers la
France pour sauver ou soutenir les missions catholiques des Gallas,
mais ne refusant pas de servir d'intermédiaire entre le
gouvernement italien et Menélik, prétendant au trône contre Jean IV.
Poussant un peu plus loin son engagement, le vicaire apostolique réussit
même à convaincre Ménélik d'envoyer à Léon XIII, après son
élection en 1878, lettres de felicitation et cadeaux d'heureux avènement.
Expulsé avec ses missionnaires par l'empereur en titre, Mgr Massaia
regagne l'Europe en 1877. Léon XIII fait bientôt fructifier le capital
de popularité dont le prélat missionnaire jouit dans l'Europe
catholique, patronne la rédaction et la publication de monumentales
mémoires et le promeut au cardinalat en 188412.
Au cours de l'année 1882, les appétits coloniaux commencent à
se porter du côté de l'Afrique nord-orientale. Eliminée de la Tunisie
par le protectorat français, l'Italie se tourne vers la Mer Rouge et
compte sur le traité du 20 mai 1882, acte de naissance de la Triple
Alliance, pour mener plus aisément une politique d'expansion. La
colonisation d'Assab le 5 juillet 1882 est le premier pas, l'entrée de
l'Italie «dans la voie de la colonisation»13. L'expulsion des
missionnaires capucins de Mgr Massaia prouve la détermination de
l'empereur à empêcher toute présence étrangère jugée menaçante. Un
accord survenu entre Ménélik et Jean IV aboutit un peu plus tard à
une division provisoire du pouvoir qui, dans l'immédiat, neutralise
la bienveillance intéressée de Ménélik en faveur du catholicisme.
Elle compromet le retour des capucins et du nouveau vicaire
apostolique, le normand Taurin Cahagne, en pays Galla. Plus au nord, la
mission lazariste d'Abyssinie, en territoire contrôlé par l'empereur,
n'est pas en meilleure situation. Mgr Touvier entreprend d'obtenir

12 Mgr G. Massaia, / miei trentacinque anni di missione nell'Alta Etiopia.


Memorie storiche, 12 vol., Rome et Milan, 1885-1895.
13 Jean-Louis Miège, L'impérialisme colonial italien de 1870 à nos jours, Paris,
Sedes, 1968, p. 39.
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 447

par l'intervention des puissances européennes la liberté religieuse et


sollicite dans ce sens la Propagande le 12 mars 1882.
Aussitôt se met en branle un processus d'internationalisation
qui fait passer le dossier entre les mains de la Secrétairerie d'Etat.
Le traitement de l'affaire permet de constater l'harmonieuse
articulation des interventions au sommet14. L'unanimité s'opère sans
mal pour fixer la stratégie. Elle vise à obtenir la liberté religieuse par
la pression internationale, voire un partage de type colonial15.
La répartition des tâches est donc toute tracée. La Propagande
fournit les indications nécessaires sur l'état des missions et
communique très régulièrement les informations reçues de Mgr Touvier. La
Secrétairerie d'Etat tente d'établir les contacts diplomatiques utiles
pour obtenir la liberté de culte, mais son action se heurte à
d'énormes difficultés.
Les démarches entreprises en 1881 par l'entremise des consuls
d'Espagne, de France et d'Allemagne ont abouti à des promesses que
l'empereur Jean n'a pas tenues. Il convient donc d'identifier dans un
premier temps le partenaire qui puisse agir efficacement dans ce
contexte. Mgr Touvier table d'abord sur la Prusse et attribue à
Bismarck l'intention de s'emparer de l'Abyssinie. Mais dès le mois de
mars 1882 l'hypothèse d'une intervention allemande est
abandonnée. Le Secrétaire d'Etat doit revenir à la politique traditionnelle
d'appel aux puissances catholiques. Déjà en janvier 1882 la
Propagande a écrit au nonce de Paris pour qu'il attire l'attention du
gouvernement français sur la situation des missions en Abyssinie. Frey-
cinet s'empresse de donner ordre au consul français d'agir en faveur
du Vicariat et des missionnaires français. Ces interventions n'ayant
rien donné, la Propagande demande au Secrétaire d'Etat de
procéder aux démarches qu'il jugera opportunes. Et le 5 mai 1882 une
circulaire est envoyée aux nonces de Paris, Vienne et Madrid afin
d'obliger «il re Giovanni a concedere il libero esercizio della religione
cattolica nei suoi Stati»16.
Toute l'affaire met en lumière l'impuissance du Saint-Siège à
disposer d'informations précises et de moyens d'action efficaces. Le
recours aux alliés traditionnels constitue un pis aller qui ne
compense pas l'impossibilté de mener une action concertée avec les
deux puissances dominantes du moment, l'Angleterre et
l'Allemagne. La France, qui fournit la majorité des missionnaires
lazaristes et capucins, demeure, une fois de plus, le seul recours
possible, sans qu'elle puisse démontrer son efficacité.

14 A.S.S. 1882, rub. 280, f. 24-33. Sur la mission d'Abyssinie.


15 Ibid.
16 Ibid. f. 31-33V.
448 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Les séquelles du padroado : impasses en Afrique portugaise.


La situation est encore plus complexe en Angola. Le contentieux
date de la création de la Préfecture du Congo confiée aux capucins
par la Propagande et contre laquelle la monarchie de Lisbonne avait
vigoureusement protesté en 1640. Deux siècles et demi plus tard, la
ligne de conduite romaine n'a pas varié : échapper aux contraintes
du padroado" '.
Au début des années 1880 la poussée impérialiste et les rivalités
en vue du contrôle des bouches du Congo remettent sur le tapis la
question de l'Angola. Toutes les missions spiritaines se trouvent à
nouveau incluses dans la zone revendiquée par le Portugal, ce qui
relance les protestations contre la Propagande et oblige le Secrétaire
d'Etat à intervenir. Deux Memorandum exposent le 11 mai 1881 et le
1er mars 1883 les réclamations lusitaniennes. La négociation est
d'autant plus délicate qu'au même moment Rome et Lisbonne
entreprennent le règlement de leur différend sur la juridiction
ecclésiastique dans les Indes. Ainsi qu'en témoignent les dossiers des Affaires
ecclésiastiques extraordinaires, l'autorité romaine mise dans un
premier temps sur la force d'inertie et l'impuissance portugaise à
assurer les besoins religieux de ses propres territoires pour imposer sa
propre stratégie18.
L'attentisme romain montre ses premiers inconvénients lors de
la signature du traité anglo-portugais (26 février 1884) qui entend
réglementer la navigation sur le cours inférieur et à l'embouchure du
Congo, entre 5° et 8° de latitude Sud. Cet accord ne se contente pas
d'instaurer des taxes et de décider un droit de police exercé
conjointement par les deux Etats. Il stipule en effet l'égalité des cultes dans
cette partie de l'Afrique, c'est-à-dire que le Portugal renonçait à
appliquer outre-mer l'article de la loi fondamentale proclamant le
catholicisme religion officielle19. Cette disposition privait les missions
d'Angola de leurs privilèges face au culte protestant. Interrogé sur
cette clause, le Ministre des Affaires Etrangères justifie la position
de Lisbonne avec une désinvolture qui aggrave un peu plus
l'irritation du Saint-Siège. Il fait valoir que l'occupation portugaise sur des
territoires contestés suppose le consentement de l'Angleterre et
impose au gouvernement d'accepter les contraintes inhérentes à cet

17 Acta 247 (1879), f. 164-169. Limites de la nouvelle mission confiée aux P.


Spiritains, 28 avril 1879.
18 A.C.A.E.E. Portogallo, 1897-1898, Pos. 449, Fase. 304. SCP et A.C.A.E.E., 10
avril 1897. Portogallo-Africa (Concordato). Version imprimée du rapport, p. 7.
19 Art. 6 : «A Religiâo Católica Apostolica Romana continnara a ser a Reli-
giao do Reino. Todas aultras religiâes sernâ permistidas nas estrangeiros cam
sen culto domestico, ou particular en entas para isto destinadas, sem farma algu-
ma exterior de tempio.»
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 449

état de choses. Minimisant la portée de la mesure, le gouvernement


estime que l'intérêt des missions catholiques est encore de voir
Lisbonne s'installer dans cette région et favoriser son action20.
Avec l'appui du Secrétaire d'Etat, V. Vannutelli s'efforce
pendant plusieurs semaines de faire triompher le point de vue romain et
de réserver la liberté de culte public au seul catholicisme.
Finalement, ce ne seront pas ses interventions, sans effet sur un
gouvernement portugais trop heureux de s'abriter derrière la volonté
britannique pour régler ses comptes avec la Propagande, mais les
réactions internationales qui condamneront à l'échec le traité
anglo-portugais. L'Allemagne de Bismarck et la France de Ferry
prennent très mal cette prétention à décider du sort du bassin
inférieur du Congo sans être consultées. Leur commune réprobation
«met en branle le mécanisme de consultations qui aboutit à la
conférence de Berlin»21.
Le danger était écarté, mais le problème de fond demeurait
entier. Un nouveau Memorandum le 3 juillet 1884, puis une note de
l'ambassadeur du Portugal près le Saint-Siège le 27 octobre 1884
répètent les protestations de la couronne22. Si la divergence imaginée
par l'ambassadeur entre la Propagande et la Secrétairerie d'Etat
relève de la tactique diplomatique et ne correspond pas à la réalité, la
mise en cause du padroado, ou du moins la volonté d'en circonscrire
strictement les effets, n'est pas une accusation de circonstance. Elle
définit très exactement la politique pontificale. Il n'y a d'ailleurs en
cette matière aucune innovation mais confirmation de la ligne suivie
depuis 1622. Le scramble for Africa est une «occasion providentielle»
de marginaliser les prétentions portugaises devenues, selon le
vocabulaire romain, «surannées». Le partage colonial est mis à profit
pour placer les nouvelles missions sous l'autorité directe et exclusive
de la Propagande, se contentant ici de la liberté de culte façon
libérale, obtenant ailleurs protection et subventions.

2 - La Conférence de Berlin et le droit des missions (1884-1885).

La conférence de Berlin se réunit le 15 novembre 1884 avec un


programme dont Bismarck, appuyé par Ferry, a déterminé les
grandes lignes : «l'énoncé de principes pour l'occupation des côtes
africaines et la reconnaissance de la liberté de navigation et de

20 A.S.S. 1885 rub. 250, rapport du nonce op. cit.


21 Jean-Claude Allain, «La conférence de Berlin sur l'Afrique», p. 21. In :
L'Afrique noire depuis la conférence de Berlin. Colloque international organisé par le
Centre des Hautes Etudes sur l'Afrique et l'Asie Modernes (1985). Publications du
Cheam, Paris, 1985, 244 p.
22 Ibid. f. 117-120v. Note de l'ambassadeur du Portugal près le Saint-Siège,
Rome, 27 octobre 1884.
450 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

commerce sur le Congo et, à la demande française sur le le Niger»23.


Malgré la présence des Etats-Unis et de l'Empire ottoman, les
puissances européennes dominent : Russie, Danemark, Suède-Norvège,
Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie, Pays-Bas, Belgique, Royaume-
Uni, France, Espagne et Portugal.
La première difficulté pour le Saint-Siège est de trouver dans
cette assemblée des relais capables de défendre les intérêts des
missions catholiques. Outre les Etats ibériques, mais leur influence est
limitée, l'Autriche et la France offrent a priori les meilleures
possibilités. Malheureusement pour Rome la première est absente de la
course aux colonies et la seconde mène une politique religieuse
inquiétante. Malgré les efforts réciproques de Jules Ferry et Léon XIII
pour calmer les passions en France, malgré la lettre du 4 novembre
1884 conviant Mgr di Rende, le nonce de Paris, à favoriser tout ce
qui peut apaiser les discordes intestines, Rome ne peut pas fonder
d'espérances excessives sur un soutien français. Quant à Leopold II,
partenaire privilégié du moment, il est représenté par une délégation
belge au statut insolite. Soucieuse avant tout de faire reconnaître
l'Etat Indépendant du Congo, la délégation est mal placée pour être
le porte-parole du point de vue pontifical.
Les proclamations solennelles de la souveraineté du Pape, les
dénonciations vigoureuses des violations des droits de l'Eglise24, la
célébration du premier jubilé, la multiplication des pèlerinages
montrent à cette occasion leur peu d'effet sur une situation
internationale qui écarte le Saint-Siège des grandes délibérations. Or les
enjeux de la conférence de Berlin peuvent être décisifs pour l'avenir
des missions, et la Secrétairerie d'Etat redoute que la prééminence
allemande et britannique ne s'exerce au profit exclusif des missions
protestantes.
Trois jours après l'ouverture des débats, une première dépêche
adressée au nonce de Vienne trahit la nervosité du gouvernement
romain. S'appuyant sur des informations publiées par «divers
journaux», le Secrétaire d'Etat affiche ses craintes devant les intentions
prêtées à l'allemand Adolf Lüderitz. Selon la presse, le commerçant
et affairiste bréman, «coloniste» résolu, avait demandé la
coopération des missions évangéliques rhénanes (ou Société des missions de
Barmen) dans le but d'établir une colonie à Angra Pequena, dans le
Sud-Ouest africain. L'information était tout à fait vraisemblable.
Depuis vingt ans, les missionnaires avaient entrepris la pénétration
rationnelle de l'intérieur, fondé une vingtaine de stations, obtenu cinq

23 J.Cl. Allain, L'Afrique noire... op. cit. p. 22.


24 Allocution Post Excitatos, 24 mars 1884.
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 451

mille conversions. Les journaux ajoutaient une précision


inquiétante. La société missionnaire aurait accepté d'apporter son aide à la
condition que les missions catholiques soient interdites sur le
territoire, ou selon d'autres sources, ne soient pas financées. Léon XIII,
ému par cette rumeur, demande au ministre des affaires étrangères
autrichien, le Comte Kalnoky, de défendre les intérêts catholiques et
lui suggère de prendre la tête d'un groupe de pression des
puissances catholiques25.
La proposition pontificale soulève d'emblée de nombreuses
difficultés. Artisan de la Triplice, Kalnoky peut utiliser son crédit
auprès de Bismarck dans un sens favorable à l'Eglise catholique. Mais
cette alliance ne manquerait pas de provoquer des réactions hostiles
parmi les français, soucieux de défendre leur protectorat des
missions catholiques. Il n'est donc pas possible de court-circuiter
longtemps le gouvernement français. Quant à la notion de puissances
catholiques, elle est devenue tout à fait inopérante. La question
romaine exclut d'emblée l'appel à l'Italie, les systèmes d'alliances
éloignent l'Autriche et la France, les puissances ibériques sont
condamnées aux seconds rôles dans les délibérations. En résumé, la
papauté est réduite à improviser au gré des discussions une
politique d'appuis conjoncturels pour obtenir la liberté religieuse en
faveur des missions, quitte à se satisfaire d'initiatives dont elle se
serait volontiers passée.
De fait, alors que la diplomatie du Saint-Siège sollicite
l'Autriche, les événements déjouent la politique pontificale. Le Comte de
Launay, représentant de l'Italie, manifeste une intense activité au
sein de la conférence. Décidé à asseoir la position italienne, fort de
l'alliance récente avec les puissances germaniques, étranger aux
conflits d'intérêts dans le bassin du Congo, il prend de vitesse tous
les pays concernés par la protection des missions catholiques. Le 15
novembre Bismarck avait énuméré les quatre points à l'ordre du
jour sans mentionner la question des missions26. Or dès la seconde
séance, le 19 novembre, de Launay donne lecture d'une proposition
qui fait apparaître l'Italie comme la championne des missions
chrétiennes27.

25 A.S.S. 1885, rub. 250, fase. 2, Berlin, f. 41-42 : Secret. d'Etat au nonce de
Vienne, 18 novembre 1884.
26 Ces quatre points sont la liberté de commerce, la suppression de
l'esclavage, la liberté de navigation sur les fleuves, la fixation d'une procédure uniforme
dans les futures occupations territoriales en Afrique.
27 A.S.S. 1886 rub. 261, facs. 2. M.A.E. Paris. Documents diplomatiques.
Affaires de Madagascar, 1884-1886. Paris, Impr. Nationale, 1886, 178 p. p. 70-71 :
compte rendu de la séance de la conférence de Berlin du 19 novembre 1884.
452 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

L'initiative du représentant italien se révèle payante, même si


elle est loin de faire l'unanimité. Elle impose aux autres négociateurs
de se situer dorénavant par rapport à cette proposition, sans que les
puissances intéressées à la défense des missions catholiques
puissent raisonnablement surenchérir sur une telle offre. De Launay
peut expédier à son ministre une dépêche qui enregistre avec
satisfaction le succès de l'opération :
«Les Plénipotentiaires d'Autriche et de France, auxquels se
joignaient ceux d'Allemagne et d'Espagne, ont vivement appuyé ma
proposition d'une insertion dans l'article VI d'un alinéa en faveur des
missionnaires chrétiens, savants et explorateurs, et l'Assemblée donnait
son assentiment unanime... Dans cette discussion le baron de Courcel
a loué d'une manière très accentuée l'œuvre des missionnaires
français en citant entre autres Monseigneur de Lavigerie. Le langage de
mon collègue me laissait l'impression que si je ne l'avais pas devancé,
il aurait pris lui-même une initiative... Il importe que nos
missionnaires italiens aient le sentiment d'être protégés et encouragés par
notre gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions, afin qu'ils ne
tombent pas sous une influence française qui se manifeste déjà trop à
notre détriment. Il ne faut pas que la cocarde française domine à l'en-
contre de nos intérêts»28.

La demande italienne allait donc au-devant des suggestions du


Saint-Siège mais mettait ce dernier dans un embarras manifeste.
N'ayant pas d'alternative à la stratégie prévue initialement, la
diplomatie pontificale persiste à attribuer à l'Autriche le rôle qu'elle
lui avait réservé. Huit jours après la déclaration italienne, le nonce
de Vienne rend compte d'une entrevue avec le Comte Kalnoky qui
a accueilli les avances pontificales «avec une grande sympathie»,
puis donné des instructions dans le sens souhaité par Léon XIII. Il
s'engage à faire de son pays le chef de file des puissances
catholiques parmi lesquelles il n'hésite pas à compter l'Italie.
Ces propos sont surprenants car le ministre autrichien semble
ignorer, ou feint d'ignorer, que le Comte de Launay a pris les
devants une semaine plus tôt. Il envisage l'application de la liberté
religieuse à partir d'un projet de clause sur la liberté de commerce
dans le bassin du Congo qui stipulait aussi l'engagement à faire
œuvre humanitaire. Il suffit de préciser que le terme mission
s'étend à toutes les missions chrétiennes, donc au missions
catholiques.
L'anecdote révèle le fossé qui sépare la conception catholique

28 Cité par Teobaldo Filesi in «L'Italia alla Conferenza di Berlino, Africa, XV,
1, 1985, p. 21. (Il s'agit de la revue Africa italienne). Le même auteur a condensé
ses analyses sous le titre «Conferenza di Berlino e colonialismo italiano (1884-
1885)». Storia Contemporanea, 56, 1985, p. 866-903.
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 453

de la liberté religieuse et celle admise sur un plan international, y


compris par les nations catholiques. L'obtention d'une liberté
préférentielle, au nom des droits de la vérité sur l'hérésie, ne peut
trouver aucun point d'appui politique dans la conférence. La
papauté en est réduite à se contenter du droit commun. Mais elle
projette sur les missions protestantes ses propres aspirations et
leur attribue sa propre volonté d'écarter légalement des colonies
les missions concurrentes. La conférence de Berlin met ainsi en
lumière l'irréalisme de la position catholique. Persistant dans le
refus de la liberté religieuse telle que la comprend le droit
international, elle s'isole idéologiquement, alimente l'hostilité
protestante, justifie la suspicion qui pèse sur ses interventions auprès
des Etats colonisateurs catholiques. Poursuivant un objectif hors
de sa portée, elle se condamne à des interventions diplomatiques
qui la soumettent aux intérêts contradictoires de ses protecteurs.
La réaction française aux avances effectuées auprès du
gouvernement de Vienne laisse pressentir dès le début de décembre
les risques d'un engrenage. Le 3 décembre le nonce di Rende se
fait l'écho du mécontentement du gouvernement et de l'opinion.
Selon la presse française, Léon XIII a ordonné une démarche
auprès de l'Empereur d'Autriche afin que celui-ci prenne sous sa
protection les missions catholiques au Congrès de Berlin et
défende leurs intérêts par son ministre plénipotentiaire. Le
gouvernement français manifeste sa mauvaise humeur devant un geste
qui constitue un affront contre la France, puissance protectrice
des missions catholiques. Le nonce, quelque peu décontenancé par
l'information, formule l'hypothèse que le Secrétaire d'Etat cherche
à influencer l'Allemagne à travers son allié autrichien.
Le même jour, le cardinal Ludovico Jacobini fournit au nonce
les explications souhaitées. L'appel à l'Autriche n'est pas dirigé
contre la France et Rome sollicite Kalnoky d'agir de concert avec
les autres puissances catholiques. Ainsi qu'il l'a exposé dix jours
plus tôt, le Secrétaire d'Etat compte aussi sur le soutien français
dans la conférence, pour que la France «selon ses antiques
traditions» défende la liberté des missions catholiques29.
Persistant dans sa stratégie d'un front catholique, méthode
habile pour banaliser les prétentions françaises au monopole en
matière de protectorat, Rome entreprend des démarches similaires
auprès de l'Espagne. Seul le Portugal semble tenu à l'écart par
crainte d'agiter le contentieux autour du padroado. Les résultats de

29 A.S.S. 1885, rub. 250, fase. 2 op. cit. f. 44-45. Instructions au nonce de
Paris, 3 décembre 1884.
454 LA POLmQUE DE LÉON XIII

cette action à distance ne sont guère convaincants. Sans doute la


conférence de Berlin reconnaît finalement la liberté des missions,
mais après un débat qui assure le triomphe du point de vue
libéral, aux dépens d'une interprétation plus restrictive et conforme
aux positions catholiques intransigeantes.
La proposition de Launay est discutée une première fois à la
séance du 27 novembre. Renvoyée devant les ambassadeurs pour
consultation des gouvernements, elle revient sur la table dès le 1er
décembre. La discussion dégage très vite un consensus qui permet
d'harmoniser le point de vue américain, très attaché à la
séparation de l'Eglise et de l'Etat, la position turque, qui ne saurait
admettre l'exclusion des droits des «missions musulmanes» et les
intérêts des puissances coloniales, désireuses de ne pas mécontenter
les populations musulmanes sous leur domination.
Les interventions des représentants des puissances catholiques
confirment l'ambivalence de leur langage. L'Italie se montre la
plus déterminée à maintenir le qualificatif de «chrétiennes» après
le substantif «missions», pour d'évidentes raisons de politique
romaine et parce qu'elle n'est pas (encore) une puissance coloniale.
L'Autriche, l'Espagne et la France soutiennent de Launay mais
sans ardeur excessive. Le Comte Széchényi, au nom de l'Autriche,
approuve de Launay mais se réfère «aux principes d'égalité et de
liberté de culte.» Le baron de Courcel estime que la rédaction
italienne est compatible avec la présence dans l'empire colonial
français de sujets musulmans, ce qui implique de soutenir la liberté
des missions chrétiennes tout en reconnaisant la liberté d'autres
religions. Quant à Lambermont, le délégué de Leopold II, si bien
disposé à l'égard de la papauté, il ne se distingue pas de ses
collègues et joint sa voix aux «libéraux» pour proposer de gommer ce
qui semble réserver la liberté aux missions chrétiennes,
notamment en remplaçant «églises, temples, chapelles, par édifices
religieux»30.
La conférence aboutit sans difficulté majeure à un compromis
qui associe vision libérale et idéologie coloniale. La première
étend à l'Afrique la conception de la laïcité et de la neutralité de
l'Etat qui caractérise la majorité des puissances représentées à
Berlin. La seconde réserve une mention spéciale aux agents de la
civilisation, missionnaires chrétiens, savants, explorateurs. Mais
l'égalité de droits entre les religions est clairement affirmée. Tout
au plus le texte laisse-t-il la porte ouverte à des interprétations na-

30 Documents diplomatiques, op. cit. p. 70-71 (19 novembre); p. 87 et ss. (27


novembre); p. 105-107 (1er décembre 1884).
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 455

tionales et subjectives de la «protection spéciale» recommandée


pour les missionnaires. La diplomatie pontificale peut espérer
utiliser la brèche que constitue cette clause très vague par rapport au
principe de la neutralité des Etats.

«Art. 6 - Dispositions relatives à la protection des indigènes, des


missionnaires et des voyageurs ainsi qu'à la liberté religieuse.
Toutes les Puissances exerçant des droits de souveraineté ou
une influence dans lesdits territoires s'engagent à veiller à la
conservation des populations indigènes et à l'amélioration de leurs
conditions morales et matérielles d'existence et à concourir à la
suppression de l'esclavage et surtout de la traite des noirs; elles protégeront
et favoriseront, sans distinction de nationalités ni de cultes, toutes
les institutions et entreprises religieuses, scientifiques ou charitables
créées et organisées à ces fins ou tendant à instruire les indigènes et
à leur faire comprendre et apprécier les avantages de la civilisation.
Les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs, leurs
escortes, avoir et collections seront également l'objet d'une
protection spéciale.
La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont
expressément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux
étrangers. Le libre et public exercice de tous les cultes, le droit d'ériger
des édifices religieux et d'organiser des missions appartenant à
tous les cultes ne seront soumis à aucune restriction ni entrave».

Pour se faire entendre des Etats, la papauté doit entrer de


plus en plus systématiquement dans l'argumentation de la mission
comme force civilisatrice. Mais elle s'expose à être récupérée par
des intérêts politiques ou économiques trop heureux de trouver
dans ce discours une légitimité et de transformer des prétextes en
noble cause.
Avec la conférence de Berlin, la politique africaine de Léon
XIII est entrée dans une phase décisive. L'affirmation de la
distinction du temporel et du spirituel ne suffit pas à empêcher que
l'opinion publique associe colonisation et mission. Pour ne pas
apparaître le bras religieux du pouvoir séculier, il eût fallu que
l'Eglise soit en mesure d'imposer sa propre cohérence aux Etats dont
elle sollicite la protection. Au contraire l'acte final de Berlin établit
clairement que les impérialismes coloniaux et les politiques
nationales obéissent à une toute autre logique. L'aide des Puissances en
faveur des missions sera proportionnelle aux fruits qu'elles
peuvent en recueillir outre-mer ou en métropole. La raison d'Etat
ne se soucie pas des ambitions universelles de la papauté. En
conséquence, les nations apparemment les plus dévouées à la
papauté deviennent bien vite des alliés intéressés à l'image de la
France. Les autres sont inefficaces, telle l'Autriche, ou l'Espagne
456 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

qui se flatte auprès de Jacobini d'avoir fait inscrire au procès-


verbal l'obligation de soutenir les missions catholiques31.
Les déficiences de la position catholique, mises en évidence par
la conférence de Berlin, ont sans nulle doute accéléré
l'aggiornamento de la diplomatie souhaité par Léon XIII. La susceptibilité
française confirme qu'il est urgent pour Rome de se dégager du
protectorat universel revendiqué par la république au nom de l'histoire.
Au même moment, l'essai de rééquilibrage en direction de la
Triplice, via l'Autriche, trouve à Berlin des justifications
supplémentaires avec la consécration internationale de Bismarck et
l'engagement africain de l'Allemagne. Le danger d'être pris à revers par le
gouvernement italien, manifestement prêt à utiliser le registre
missionnaire pour rallier l'opinion catholique, achève de conforter les
partisans d'une révision prudente de la politique vaticane. Autant de
stimulations à rechercher des voies nouvelles.

3 - La quête de l'indépendance missionnaire en Asie : comment


mettre fin au padroado et au protectorat de la France?

La couronne britannique a introduit dans les Indes en 1853 une


législation d'inspiration libérale : les lois qui interdisaient le
changement de religion sont abolies. En 1858 l'établissement de la
souveraineté directe de la Couronne s'acompagne de l'obligation de
neutralité pour l'administration en matière religieuse. Il était dès lors
difficile pour l'Eglise catholique d'espérer une législation plus favorable
de la part d'une puissance protestante. Cela ne l'empêchait pas de
manifester son hostilité de principe à l'extension dans les Indes de la
législation civile sur le mariage. Mais pour l'essentiel, la colonisation
britannique avait apporté aux missions catholiques une sécurité et
une liberté qui rendaient possibles de nouveaux pas dans la
plantation de l'Eglise. Les instructions de 1869 aux vicaires apostoliques
annonçaient cette évolution vers l'établissement de la hiérarchie
dans les Indes.
Au préalable le Saint-Siège était décidé à liquider les derniers
héritages du padroado. La question continuait en effet
d'empoisonner l'atmosphère au sein des missions et d'alimenter d'interminables
disputes entre les clergés et les fidèles relevant de la Propagande ou
du padroado. L'accord entre la Propagande et la Secrétairerie d'Etat
était complet pour tendre à une solution rapide.

31 «Le comte de Benomar appuie la motion du comte de Launay dans les


termes suivants. J'adhère à a proposition de S.E. M. l'Ambassadeur d'Italie dans
ce sens qu'il doit être entendu que dans toutes les circonstances, les
gouvernements existants ou qui existeraient à l'avenir dans tous les territoires où la
Conférence aura établi la liberté commerciale dont parle l'article VI.»
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 457

La réunion de nombreuses commissions mixtes de cardinaux de


la Propagande et des Affaires Ecclésiastiques extraordinaires
témoigne de l'importance accordée par Rome à la question de la
juridiction ecclésiastique dans les Indes. Sans doute pressée d'en finir
avec les prétentions portugaises, la Propagande ne pouvait
cependant pas ignorer les impératifs de prudence politique, d'autant que
le préfet Simeoni avait occupé la Secrétairerie d'Etat à la fin du
pontificat de Pie IX.
Réuni avec la congrégation des Affaires ecclésiastiques, le
congresso de la Propagande définit le 28 mai 1881 les grandes lignes
de la stratégie romaine.
«Quali prowidementi convenga adottare per riparare i gravi
disordini esistenti nell'India accennati nella presente ponenza?»32.

La résolution aboutit le 31 mai, après l'audience pontificale, à la


rédaction d'une directive signée par le secrétaire des Affaires
ecclésiastiques extraordinaires, M. Rampolla:
1. L'objectif est d'abolir le Concordat de 1857 mais en dissociant
les questions, en procédant par étapes, par concessions et
arrangements successifs, pour éviter une remise en cause brutale qui
bloquerait la négociation.
2. La méthode consiste à utiliser la prolongation des facultés
concédées au clergé portugais pour faire pression sur le Portugal et
brandir la menace de ne pas les renouveler au-delà de deux
nouvelles années.
3. Le moyen consiste dans l'envoi prochain d'un «agent
confidentiel» enquêteur et émissaire, chargé d'assumer une mission à la
fois diplomatique et pastorale, suffisamment informé pour
débrouil er les querelles de juridiction et préparer un dossier inattaquable
par le Portugal. Ce sera Mgr Agliardi qui cumule toutes ces qualités.

Les Indes deviennent ainsi le prototype d'une action


diplomatique mise au service de la plantatio Ecclesiae, créant les conditions
juridiques nécessaires à l'érection de la hiérarchie régulière. Le
contraste avec la prudence de Rome dans les colonies françaises de
l'Indochine est saisissant. L'antiquité de l'implantation catholique,
la vitalité des vieilles chrétientés et les progrès de l'expansion
auraient pu inciter l'autorité romaine à envisager là aussi de
transformer le statut des missions. Or rien de semblable n'apparaît. Sans
doute les conflits politiques et militaires, la longue litanie des
persécutions relancées par l'expédition française de 1882-1883, la guerre

32 A.C.P.F. Acta 249 (1889). f. 274 à 333. Con secreto pontifìcio. Résolution in
SC, Indie, 1013, f. 964.
458 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

franco-chinoise pour le Tonkin en 1884-1885, justifient amplement


l'absence d'intitiative pontificale en Indochine33.
Mais d'autres facteurs dissuadent probablement la Propagande
d'imaginer l'érection d'une hiérarchie. Son introduction relancerait
les prétentions françaises à étendre le bénéfice du concordat de 1801
dans les colonies. En Indochine, comme à Madagascar, le maintien
des vicariats est une garantie pour l'exercice de l'autorité de la
Propagande. Au contraire en Inde, la neutralité de l'administration
écarte le risque de voir le pouvoir temporel s'immiscer dans les
affaires ecclésiastiques et revendiquer un contrôle de la nomination
des évêques. Premier paradoxe, dont Rome ne semble pas tirer les
conséquences : le régime libéral britannique se révèle plus favorable
à l'indépendance de l'Eglise qu'une politique contractuelle
inévitablement assortie de contre-parties en faveur de l'Etat partenaire.

La politique des petits pas vers la Chine.

La nomination de Mgr Agliardi comme envoyé extraordinaire


aux Indes orientales, puis délégué apostolique, présentait un second
avantage : elle rapprochait le meilleur connaisseur du dossier
asiatique d'un autre théâtre d'opérations capital pour la diplomatie
pontificale, l'Empire chinois. La lettre portée à l'Empereur par un jeune
missionnaire italien issu du Séminaire romain St Pierre et Paul et
destiné au Chensi, Francesco Giulianelli, en février 1885, c'est-à-dire
en pleine guerre franco-chinoise pour le Tonkin, est le premier acte
officiel de l'ouverture en direction de la Chine34.
Comme ailleurs, la quête de la sécurité et la liberté pour les
missions apparaissent les préalables nécessaires à l'établissement de la
hiérarchie. Au début des années 1880, la poussée impérialiste, les
conflits locaux et les fortes réticences des missionnaires français,
dont le poids n'a pas cessé de croître, relèguent à l'arrière-plan le
projet de hiérarchie. Par contre, la guerre franco-chinoise démontre
l'urgence de garanties qui ne soient pas subordonnées à la protec-

33 «Dans le seul vicariat de Cochinchine orientale (Quinhon), pendant les


mois d'août et septembre 1885, 8 missionnaires, 5 prêtres indigènes, 60
catéchistes, 270 religieuses et plus de 25.000 chrétiens furent massacrés. Au Tonkin
méridional : 163 églises et 254 chrétientés incendiées, 47.999 chrétiens massacrés
et 2.000 au Tonkin occidental. Dans d'autres régions, de telles hécatombes ne
furent évitées que par la résistance armée des villages chrétiens aux bandes
conduites par les lettrés.» (sous la direction de Mgr Delacroix, Histoire universelle
des Missions catholiques, t. 3, p. 238).
34 On trouvera dans la bibliographie les principales études. Les travaux de L.
Wei, qui ont l'incontestable mérite d'utiliser des sources chinoises doivent être
complétés et corrigés par les articles d'A. Sohier dans N.Z.M., 1968, XXIV 1 et 2.
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 459

tion d'un Etat tiers. Ce dernier thème sera donc spontanément mis
au centre de la lettre pontificale. Mais l'appel à la bienveillance
impériale n'est que la partie visible d'un projet plus vaste :
l'instauration de relations diplomatiques entre la Chine et le Saint-Siège.
La politique romaine se déploie ainsi dans deux directions. Elle
profite de la situation internationale pour court-circuiter le
protectorat français. Cependant elle a soin de ménager autant que possible
la troisième République, au moment où l'Italie s'efforce elle aussi
d'exploiter la conjoncture pour placer les 72 missionnaires italiens
de Chine sous sa protection, provoquant l'embarras de la Curie35.
Avant d'être rendu public, le projet de lettre est annoncé
officieusement par «un des membres de la congrégation de la Propagande» à
l'ambassadeur de Béhaine au début du mois de décembre 188436.
Un mois plus tard, le cardinal Simeoni exalte devant
l'ambassadeur le rôle missionnaire de la France et l'oppose à la détestable
politique italienne qui achève à la même époque la
conversion-spoliation des biens de la Propagande. Il souligne l'avantage que retire la
France d'un soutien aux instituts missionnaires pour «l'extension de
son influence dans le monde entier» et souhaite que les possibilités
ouvertes en Afrique soient rapidement exploitées37.
Mais cette caution apportée à l'alliance du missionnaire et du
colonisateur fait partie du jeu subtil et ambigu de l'époque car la
politique de collaboration pratiquée dans une Afrique colonisée ne
peut s'appliquer dans une Chine travaillée par un puissant
sentiment nationaliste.
Les informations fournies en décembre à la France n'avaient
d'ailleurs pas vraiment dissimulé les véritables ambitions de Léon
XIII. L'officieux émissaire de la Propagande avait prévenu que Léon
XIII entendait rappeler «le rôle de l'Eglise, son caractère universel
qui lui donne juridiction spirituelle sur tous les peuples de la terre.
C'est pourquoi, bien que placés par une tradition ancienne sous la
protection française, les missionnaires proviennent des nationalités
les plus diverses. Mais ils tiennent leur mission du pape seul et cette
mission consiste, en dehors de toute visée politique, à répandre la
morale chrétienne chez les populations dans le but d'améliorer leur

35 Cf. A.M.A.E. Rome, St-Siège, 1079, 42 (28 janvier 1885), f. 68 (4 février),


f. 69 (5 février).
36 A.M.A.E. Rome, St-Siège, T. 1079, 8 décembre 1884. De Béhaine à Ferry.
«Un des membres de la congrégation de la Propagande m'a fait savoir que le
Pape, préoccupé des maux de toutes sortes dont sont menacées, à l'heure
actuelle, dans l'Extrême-Orient, les missions catholiques, a résolu de s'adresser
directement à l'Empereur de Chine en vue d'appeler sa bienveillance sur les
chrétiens et les missionnaires.»
37 A.M.A.E. Rome, St-Siège, 1079, f. 22-24, Monbel à Ferry, Rome, 15 janvier
1885.
460 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

sort. Le pape recommande au Souverain du céleste Empire les


apôtres de la Charité»38.
Il était difficile de marquer plus clairement que le pouvoir du
pape n'entendait souffrir aucune restriction et que la protection
française était une simple tradition, certes appréciée, mais
n'impliquant aucune contre-partie. Le congresso réuni en février 1886
permet de cerner rétrospectivement le contexte dans lequel s'est décidé
l'envoi de la lettre un an plus tôt.
La ponenza soumise à la délibération se livre d'abord à un
rappel historique qui opère une sélection significative39. Le premier fait
retenu est que la Propagande a entretenu à Pékin un vice-procureur
de 1720 à 1810. C'est seulement à partir des traités de 1860 que la
France et l'Angleterre imposent à la Chine leur protectorat sur les
missionnaires, exigent la liberté de prédication et la liberté pour les
chinois d'embrasser le christianisme. Le rapport insiste au contraire
sur la mission confiée par Pie IX à Mgr Spelta en 1859 afin qu'il
traite avec le gouvernement chinois pour établir une convention qui
protégerait l'avenir des catholiques en Chine. La mort prématurée
du prélat l'empêcha de mener à bien son mandat.
Après avoir relativisé le plus possible la portée et les fondements
du protectorat français, la relation insiste longuement sur
l'inefficacité de cette protection, illustrée par «le massacre de Tien-Tsin» en
1860, et sur le mécontentement du gouvernement chinois. Il résume
le contenu du memorandum, reproduit intégralement en annexe40.
Elle rappelle encore qu'en mai 1881 le Secrétaire d'Etat avait reçu
une lettre de Sir Pope Hennessy, irlandais catholique jouissant d'un
grand crédit, gouverneur de Hong-Kong qu'il venait de quitter. Il
transmettait le souhait de Li Hung Chang, «Grand Secrétaire de
Chine et premier ministre virtuel» que le Saint-Siège entre en
contact avec la Chine en vue d'établir des relations diplomatiques
directes, comme à d'autres époques.
L'initiative n'avait pas eu de suite mais apportait un argument
de poids en faveur d'une nouvelle politique, adroitement assimilée à
un retour aux sources. La reprise des persécutions dans la province
de Canton en 1884, à cause de la guerre du Tonkin, devient dans ce
contexte une raison déterminante pour dissocier clairement les
missions catholiques des intérêts français.

38 Cf. note 36.


39 A.CA.E.E. Francia, 1886, pos. 766, fase. 404. Sulla proposta del Governo
Cinese di stabilire relazioni diplomatiche fra la Santa Sede e quel Governo. Con
segreto pontificio, 28 février 1886. La ponenza se trouve également in Acta 255
(1886), sans la résolution, f. 314-384.
40 Ibid. p. 21-41. Sommario n° 1, janvier 1871. Traduzione del memorandum
Cinese ai rappresentanti delle Potenze di Europa.
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 461

La lettre à l'Empereur se réclame donc au début de 1885 de la


défense des droits du Saint-Siège et d'une tradition de relations
directes avec la Chine. Elle reflète largement l'opinion de
missionnaires italiens, en particulier Mgr Raimondi41, procureur de la
Propagande pour la Chine et vicaire apostolique P.I.M.E. de Hong-
Kong. Mgr Raimondi ne proposait pas de solution déterminée42. Il
témoignait cependant des divisions missionnaires, attestait
l'existence d'un courant hostile à la prééminence française. Il mettait
surtout le doigt sur le risque de subordination des missions à la France,
argument appelé à trouver un écho très favorable à Rome, en
particulier au sein de la Propagande.
Tout est loin d'être joué avec la lettre de Léon XIII à l'empereur.
Le refus du nouveau vicaire apostolique lazariste de Pékin, Mgr Ta-
gliabue, d'introduire auprès du Tsong-li Yamen le père Giulianelli
trahit l'hostilité de nombreux missionnaires. Les français,
observateurs vigilants et critiques des paroles et des gestes du père
Giulianelli, sont les premiers à saisir la portée de la démarche43. La
réponse des chinois au pape témoigne le 10 mai 1885 que le
gouvernement chinois n'est pas resté insensible à la démarche pontificale44.
Mais il faut attendre le milieu de l'année 1885 pour que les
négociations entrent dans une phase beaucoup plus active et finalement très
agitée.

Au Japon, l'espérance d'une «ère nouvelle.»


L'ouverture progressive du Japon au monde occidental
constitue une autre opportunité majeure d'expansion missionnaire dans la
deuxième moitié du XIXe s. Cependant les premiers traités signés
par le Japon avec les Etats-Unis (dit traité de Ansei, 29 juillet 1858),
l'Angleterre (26 août 1858), la France (9 octobre 1858) n'instaurent
pas la liberté religieuse. Ils placent sous surveillance le
christianisme, toujours perçu comme une menace extérieure pour le pou-

41 Timoleone Raimondi, né à Milan en 1827, entré au Séminaire Lombard


pour les Missions Etrangères (P.I.M.E.) en 1850, missionnaire en Mélanésie,
envoyé à Hong-Kong en 1858, préfet apostolique (1867) puis vicaire apostolique de
Hong-Kong, procureur de la Propagande pour les missions de Chine. Mort à
Hong-Kong en 1894.
42 Présentation et analyse du document et du rôle de Raimondi in :
Domenico Cannone, P.I.M.E. L'evangelizzazione della provincia cinese del Ho-Nan nella
seconda metà del secolo XIX. Estratto dalla Tesi di Dottorato in Missiologia, 1986,
Pime, Napoli, 1986, p. 90 et ss.
43 Cf. A.MA.E. Rome, St-Siège, 1081, f. 210; 1082, f. 13-16,168... Malgré des
informations contradictoires, de Béhaine soutient que Giulianelli a eu une attitude
«complètement correcte» et impute à Mgr Tagliabue le recours à Sir Robert Hart,
de préférence au représentant russe (1082, f. 13-16, 8 juillet 1885).
44 A.C.A.E.E. 404, op. cit. p. 86, Sommario n° 5, Pékin, 10 mai 1885.
462 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

voir, l'unité du pays et la culture nationale. Autoriser le


christianisme au seul profit des étrangers qui s'installent dans le pays
revient à proposer un compromis habile, conciliant liberté religieuse
et protectionnisme national. Uniquement attentifs au devoir d'évan-
gélisation, les missionnaires ne s'interrogent pas sur les motifs
profonds de cette méfiance et voient dans les droits nouvellement
reconnus une faille à exploiter, quitte à adopter des comportements
propices à justifier des réactions xénophobes. Le P. Girard, chargé
par les M.E.P. de fonder une nouvelle mission, ne veut pas laisser
passer l'occasion de s'installer enfin dans l'Empire. Il trouve dans le
premier consul général de France, Duchesne de Bellecourt, un allié
immédiat. Le diplomate choisit le P. Girard pour interprète (le
diplomate doit ratifier le traité franco-japonais) et le nomme ministre
du culte des ressortisants français. C'est donc sous cette protection,
en contournant par ce subterfuge l'interdiction japonaise, que
s'amorce fin 1859 la reprise de la mission catholique au Japon.
Pendant une quizaine d'années, les premiers missionnaires
s'efforcent de procéder à une crypto-évangélisation. Ils espèrent que
leur présence ostensible (avec barbe et soutane), et la construction
d'églises, feront sortir de la clandestinité les descendants des anciens
chrétiens restés fidèles au catholicisme. Leur tactique se révèle
efficace puisque le P. Petitjean reprend contact avec les Kirishtan qui
avaient survécu dans la région de Nagasaki (Urakami) en mai 1865.
En trois ans, plusieurs centaines de «ralliements» sont enregistrés,
quand survient la révolution de 1868. L'ère du Meiji, loin d'apporter
aux missions la liberté escomptée, inaugure un nouvelle période de
mesures anti-chrétiennes, au nom de l'idéologie religieuse et
nationaliste qui animait les artisans de la restauration impériale. Deux-
cents catholiques sont emprisonnés et plus de trois mille condamnés
à l'exil et dispersés dans tout le Japon.
Finalement la liberté des missions va être arrachée au
gouvernement japonais par les grandes puissances qui en font une condition
de la révision des traités de 1858. L'Angleterre, l'Allemagne, la
Belgique et la France exigent l'abolition des décrets de prohibition,
traditionnellement affichés dans tous les lieux publics. Le 12 février
1873, le Japon procède au retrait des décrets et le 14 mars les
chrétiens sont autorisés à regagner leurs villages. Désormais les
missionnaires peuvent commencer à prêcher publiquement selon des
méthodes originales45. Soucieux de convaincre les puissances étran-

45 Cf. J.L. Van Hecken, op. cit. p. 2-26. Des missionnaires ambulants
parcouraient le pays avec «leur soutane noire et leur longue barbe. Quand ils arrivaient
dans une ville, ils se présentaient d'abord à la police, qui examinait leur
passeport, les recevait en hôtes du gouvernement et le plus souvent leur indiquait
l'hôtel où ils devaient loger. Puis, s'ils en faisaient a demande, la police les autorisait
NOUVELLES AMBITIONS ET OUVERTURES UNIVERSELLES 463

gères de sa bonne volonté, le gouvernement japonais concède sans


difficulté les passeports demandés par les étrangers désireux de
voyager à l'intérieur du pays. Le 20 juin 1876 un bref pontifical
sanctionne la tolérance dont jouit le christianisme en divisant le Japon
en deux vicariats au nord (Mgr Osouf) et au sud (Mgr Petitjean).
Ce bref rappel historique éclaire l'attitude de Léon XIII dans ces
premières années. Du point de vue romain, l'objectif de la liberté
religieuse n'avait été que partiellement atteint car la mission ne
reposait encore sur aucune base légale. C'est ainsi que les missionnaires
n'avaient pas le droit de conclure des contrats d'achat à leur nom et
devaient utiliser des intermédiaires, lacune redoutable pour le
développement des œuvres, contraire aux minutieuses précautions
adoptées traditionnellement pour garantir les biens des missions. D'autre
part, l'histoire japonaise démontrait que la sécurité de la mission ne
serait pas assurée sans une décision sincère et libre du
gouvernement japonais. Or l'affermissement du nouveau gouvernement sorti
de la révolution de 1868 démontrait qu'il était dangereux de compter
sur la seule pression extérieure et d'ignorer un pouvoir jaloux de ses
prérogatives. La protection des missions passait manifestement par
la coopération avec le gouvernement de l'empereur. Elle impliquait
l'établissement de relations diplomatiques directes entre le Saint-
Siège et le Japon.
Cette analyse est très exactement celle que développe Mgr Osouf
dans une lettre du 20 février 1885 adressée au saint Père qui
déclenche l'action diplomatique de la papauté46. Le vicaire apostolique
propose confidentiellement à Léon XIII47 «l'envoi d'une ambassade
de Votre Sainteté à l'Empereur du Japon» pour quatre raisons :

- l'Empereur cherche une reconnaissance internationale qui le


mettrait sur le même pied que les souverains européens.
- le Mikado vient de prouver son intérêt pour le catholicisme et
«on assure qu'il songe sérieusement à l'implanter dans ses Etats. Il
paraît même avoir déjà fait un premier pas dans cette voie en
affranchissant dernièrement ses sujets des deux cultes nationaux qui lui

à réunir un auditoire plus ou moins nombreux et à donner une ou plusieurs


conférences aux gens curieux de les entendre. Car le peuple de la campagne,
curieux des nouveautés que colportaient les étrangers venus des ports,
s'assemblait autour des missionnaires et écoutait avec intérêt, et enthousiasme même,
leurs conférences publiques, étonné d'entendre des étrangers parlant sa langue».
46 A.CA.E.E. Francia, 1885-1886, pos. 760-765, fase. 403, ponenza imprimée,
f. 4.
47 «En faisant cette ouverture à V. Sainteté Seule, avec une simplicité toute
filiale, j'ai déchargé ma conscience. Il en adviendra maintenant ce qu'il plaira au
Souverain interprète de la volonté de Dieu sur la terre.»
464 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

étaient jusqu'à présent imposé, en proclamant la liberté de religion


et en renvoyant ainsi les édits contre le Christianisme.»
- le catholicisme est «sous la menace des confessions
chrétiennes concurrentes.»
- le Japon semble mûr pour passer au catholicisme. «Un
écrivain japonais très considéré vient de démontrer par d'excellents
arguments qu'en Europe il n'y a rien de sérieux et de stable, en fait de
doctrine, si ce n'est le catholicisme.»

La lettre adressée par Léon XIII à l'empereur du Japon le 15 mai


1885 constitue donc, comme en Chine, la première étape d'un
processus beaucoup plus ambitieux. Destinée à sonder les intentions
profondes du gouvernement japonais et à l'assurer de la docilité des
sujets catholiques, elle manifeste sans ambiguïté le désir de la
papauté que le catholicisme jouisse de la protection impériale et
obtienne rapidement «la plus grande liberté possible». Le désir de
l'Eglise de prendre ses distances vis-à-vis des puissances étrangères va
au-devant de l'attente japonaise. Comme on pouvait le prévoir, la
France ne manque pas de s'inquiéter devant cette initiative romaine
qui la met sur la touche. Le ministère des affaires étrangères, en
l'absence d'arguments historiques et juridiques convaincants, renonce à
protester et choisit la voie de la récupération. Il donne des
instructions à son ambassadeur pour faciliter l'entrevue à l'occasion de
laquelle Mgr Osouf doit remettre à l'Empereur la lettre du pape48.
La prévenance des autorités françaises demeurait donc
étouffante, mais le missionnaire en mesurait mal les arrières-pensées. Les
responsables de l'Eglise retenaient surtout que le gouvernement
japonais avait compris le signal envoyé par Rome, et hors audience, le
ministre des affaires étrangères semblait promettre au catholicisme
des lendemains radieux49.
Inaugurée par la lettre de Léon XIII à l'empereur de Chine et la
signature de l'Acte général de la conférence de Berlin (26 février),
l'année 1885 s'achève sur des perspectives extrêmement
prometteuses concernant le Japon. La diplomatie pontificale consacre par
ses initiatives la restauration du prestige international de la papauté.
Léon XIII apporte ainsi la confirmation des «progrès de l'Eglise au
milieu des adversités» qu'il célébrait dans l'allocution Quant Aspera
(10 novembre 1884). La médiation des Carolines semble annoncer
dans le deuxième semestre de 1885 que Léon XIII est proche du but
qu'il s'était fixé. Mais ce programme universel reste largement
tributaire des intérêts des puissances européennes en Afrique ou en Asie.

48 Ibid. Mgr Osouf à Propagande, Tokyo, 15 septembre 1885, f. 11-12.


49 Ibid., f. 12.
CHAPITRE 15

1886-1891. SUCCÈS, RECULS ET


HÉSITATIONS. LA FIN DU RÊVE?

. Après les grandes espérances suscitées par les ouvertures de


1885, la diplomatie pontificale entre dans une zone de turbulences
où les déceptions alternent avec les succès : échec de l'établissement
des relations diplomatiques avec la Chine, signature d'un Concordat
sur les Indes avec le Portugal, érection de la hiérarchie ordinaire au
Japon. La désignation du cardinal Rampolla à la Secrétairerie d'Etat
en juin 1887 prend place au cœur d'une période déterminante dans
les orientations du pontificat, et pas seulement pour l'Europe.

1 - 1886. L'échec en Chine : «un débat qui m'a causé bien de


l'amertume» (Léon XIII).

La lettre de Léon XIII à l'Empereur de Chine en 1885 comportait


une forte valeur symbolique mais restait un prologue à une véritable
négociation. La prudence des deux partenaires, le délai mis par la
Chine à répondre, le caractère très général de la correspondance
témoignaient des difficultés à entrer dans une phase de discussions
actives. La réunion plénière des cardinaux de la Propagande et des
Affaires ecclésiastiques le 28 février 1886, qui fixe la stratégie, revêt
donc une importance capitale, au moment où s'opère un
rapprochement entre le Saint-Siège et l'Allemagne. Mais l'analyse de la
délibération exige au préalable d'en cerner le contexte avec précision.

Les origines de l'intransigeance française.

Depuis la conclusion de la Conférence de Berlin, les relations


entre Rome et Berlin ont enregistré des progrès sensibles. La
signature au Vatican du protocole d'accord sur les Carolines le 17
décembre 1885, puis la lettre au prince Otto de Bismarck le 31
décembre 1885, enfin la publication de l'encyclique Jampridem nobis
aux évêques de Prusse le 6 janvier 1886 semblent augurer une
collaboration loyale des catholiques allemands en métropole et dans les
colonies. Ce même 6 janvier, la lettre de Léon XIII au roi du
Portugal laisse entrevoir une solution prochaine sur la question des Indes
orientales. La papauté paraît ainsi en position de force pour imposer
466 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

à la France, diplomatiquement isolée, de restreindre ses prétentions


en matière de protectorat des missions catholiques.
Or un projet de loi déposé au sénat italien prévoyait d'imposer
des passeports italiens aux missionnaires de ce pays. Cette
perspective inquiétait le quai d'Orsay car elle marquait un revirement dans
la politique religieuse transalpine et pouvait passer pour le début
d'une grande offensive contre les intérêts français en Chine1. Tout le
dispositif français en Afrique et en Asie semblait menacé en 1885 par
la revendication de la «nationalisation» des missions. L'événement
le plus mince prend dans ces circonstances une charge émotionnelle
très forte pour une diplomatie convaincue d'affronter une
conspiration internationale. Les commentaires du Times, autour de la remise
de la lettre pontificale à l'Empereur de Chine par Giulianelli, ou la
réception d'un bâtiment de guerre italien (le Christophe Colomb) par
Mgr Carlassare, vicaire apostolique du Hu-pé oriental, deviennent
autant d'appels à la vigilance2.
Les démentis apportés par le cardinal Simeoni sur d'éventuelles
négociations avec la Chine rassurent d'autant moins le quai d'Orsay
que, quelques jours plus tard, le cardinal L. Jacobini, secrétaire
d'Etat, se montre beaucoup moins catégorique. «Les pourparlers
mentionnés par les journaux n'ont pas encore fait l'objet d'un examen de
la part du Saint-Siège. «Les rumeurs ne sont donc pas sans
fondement... Et le Secrétaire de la Propagande, Mgr D. Jacobini, finit par
admettre que de fortes pressions sont exercées sur Pékin par
l'Angleterre, l'Italie, la Belgique, et à un degré moindre par l'Allemagne3.
Le dernier trimestre de 1885 se passe, côté français, à
collectionner les confidences rapportées par des tiers sur l'attachement de la
Propagande au protectorat français. La tactique de la papauté
semble en effet depuis le début des négociations avec la Chine de
séparer mission religieuse et diplomatie, laissant imaginer que les
discussions sont menées exclusivement par la Secrétairerie d'Etat et
que la Propagande a un avis plus réservé sur la question. En fait il
s'agit pour Rome de ménager la France et de conserver une porte de
sortie. Léon XIII se montre pour sa part tout à fait rassurant dans
l'audience qu'il accorde à de Béhaine le 11 octobre 1885. Il fait
observer que le père Giulianelli, après avoir rendu compte de sa mission à

1 A.M.A.E. Rome, St Siège, vol. 1079, f. 42 r-v. (28 janvier 1885); f. 68 (4


février 1885); f. 69 (5 février 1885).
2 A.M.A.E. Rome, St Siège, vol. 1081, f. 131, dépêche du juin; f. 225-232,
Rome, 16 juillet 1885.
La dépêche de l'ambassade reproduit en particulier l'adresse chaleureuse
des religieuses italiennes d'Hankow au commandant du navire.
3 A.M.A.E. ibid. 1082, f. 33 (20 juillet 1885) et f. 51-52 (30 juillet 1885).
LA FIN DU RÊVE? 467

Pékin, est reparti dans la mission du Chensi «fort éloignée de Peking


pour qu'on ne puisse prétendre que le nouveau vicaire apostolique
est chargé de suivre les négociations diplomatiques dont il a été tant
parlé dans la presse»4.
La question chinoise s'insère en outre dans une problématique
beaucoup plus vaste. Alors que l'intérêt de Rome est de traiter au
coup par coup les dossiers, la France pressent qu'en reculant dans
un seul cas, tout le fragile échaffaudage du protectorat s'écroulera.
Elle est donc décidée à montrer le maximum de fermeté en toute
occasion. Dans ce contexte, l'arrivée à Rome de George Dunn, pour
traiter au nom de Pékin avec la papauté, mobilise immédiatement la
diplomatie française à Rome5. D'emblée l'objectif de la mission est
perçu comme une offensive mûrement réfléchie contre le
protectorat français. «Il (Dunn) a dit que la Chine veut en finir, avec ou sans
le concours du pape, avec l'ingérence de la France dans les affaires
étrangères»6. L'ambassadeur de Béhaine tente d'abord de se
rassurer en maintenant que le préfet de la Propagande ignorait tout de
cette mission secrète7. Mais très vite toute une mise en scène
organise la dramatisation de l'événement.
L'ambassadeur de France décide de ne plus paraître pendant
une semaine au Vatican. Il reçoit une confidence du Secrétaire
d'Etat dont le caractère ambigu ne semble pas l'avoir étonné. Jacobini
lui exprime en effet le désir que la France revendique les droits
qu'elle tient «sinon de textes formels, comme ceux qui nous
confèrent une position privilégiée, du moins d'un état de fait
résultant des articles 8 et 13 du Traité de Tien Tsin du 27 juin 1858,
confirmés par l'article 3 de la Convention de Pékin du 25 octobre
I860»8. Cette déclaration prouve pourtant que, dès cette date, la
position de Léon XIII et de son gouvernement est arrêtée. Elle persiste
à nier le fondement juridique du protectorat français en Extrême-
Orient, et plus largement se démarque de tout droit reconnu par des
traités auxquels le Saint-Siège n'a pas été associé y compris dans
l'Orient méditerranéen9. Mais elle cherche à concilier l'extension de

4 A.M.A.E. ibid. f. 121-122, Béhaine à Freycinet, Rome, 13 octobre 1885.


5 A.M.A.E. ibid., f. 89-90. Béhaine à Freycinet, Rome, 30 janvier 1886 : «Un
anglais dont je ne sais pas encore bien le nom, catholique, paraît-il, est arrivé de
Chine ici, il y a quatre jours, porteur pour le Pape d'une lettre du Tsong-ly-
Yamen, proposant à Sa Sainteté d'entrer en relations diplomatiques régulières
avec l'Empire Chinois, en accréditant un nonce à Pékin». L'ambassadeur ajoute
que cette communication a été faite directement au Secrétaire d'Etat, sans en
informer le Préfet de la Propagande.
6 Ibid.f. 102, 5 février 1886.
7 Ibid. f. 122-124, 9 février 1886.
8 Ibid.
9 A.M.A.E., Rome St-Siège, 1080, f. 21. Lettre du Cardinal Simeoni à J. Ferry,
468 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

l'autorité directe et entière du Saint-Siège sur les missions avec la


protection de la France, en tant qu'appui librement accordé, sans
contre-partie.
La réception de l'encyclique aux évêques de Prusse (janvier
1886) ne pouvait manquer dans ce climat tendu d'être soumise à une
lecture critique et attentive. Après en avoir cité de larges extraits
consacrés aux possibilités de collaboration avec les missions
catholiques ouvertes par la colonisation allemande, de Béhaine procède à
un commentaire très informé sur les progrès des missions
catholiques allemandes. Il y voit un risque grandissant pour l'influence
française en Chine qui repose sur «le nombre de nos missionnaires
et la diffusion de notre langue». Il craint enfin que l'Italie n'imite
l'exemple allemand en promulgant une législation religieuse
spécifique «au titre colonial»10.
La détermination française à défendre les «droits» acquis en
Asie est donc manifeste à la veille de la réunion plénière des
cardinaux le 28 février comme en témoigne une lettre de Lavigerie au
Secrétaire d'Etat le 23 mars11. Pour éviter un conflit, un moyen terme
(«mezzo termine») semble avoir la faveur de la Curie. Selon de
Béhaine, plusieurs cardinaux seraient cependant sceptiques quant à
l'efficacité d'une combinaison qui permettrait l'envoi d'un Délégué
apostolique et le maintien du protectorat. Le secrétaire de la
Propagande évoque même devant lui une intrigue anglo-italienne.
Pourtant la voie de la conciliation semble bien celle qui a la préférence de
la papauté. Lavigerie s'en fait l'avocat auprès du gouvernement
français, avec l'assentiment de Léon XIII12.
L'atmosphère qui règne à Rome est donc loin d'être sereine en
cette fin du mois de février 1886. Négociations délicates aux Indes,
conflits entre congrégations en Afrique, hypersensibilité des
opinions nationales face à toute mesure censée avantager les nations
concurrentes, pressions de la France et de Lavigerie hâtivement
rangé parmi les défenseurs inconditionnels du protectoral. On conçoit
l'indécision de Léon XIII, encore affecté par les écarts de langage du
cardinal français Pitra13, et son désir d'aboutir à un impossible

Rome, 12 janvier 1886. Elle invite la France à ne pas abandonner son protectorat
sur les catholiques d'Orient mais n'engage pas juridiquement le Saint-Siège.
10A.M.A.E. ibid. f. 133-136, de Béhaine à M.A.E., Rome, 19 février 1886.
11 A.A.E.E. Francia, 1886-1888, pos. 767-775, fase. 405. Lavigerie à Secrétaire
d'Etat, Paris, 23 mars 1886.
12 Lavigerie, ibid.
13 Une dépêche de l'ambassade de France en date du 26 février 1886 se fait
l'écho des vives reproches de Léon XIII au cardinal bénédictin, accusé de
soutenir une coterie hostile à Léon XIII au sein de la communauté de Solesmes.
(A.M.A.E. Rome, St Siège, 1083, f. 155-156. Pitra, érudit bénédictin, cardinal de
Curie, spécialiste des rites orientaux à la Propagande, avait publiquement pris
LA FIN DU RÊVE? 469

compromis. Le 25 février, il accorde une audience à de Béhaine et


assure que rien n'a encore été décidé. Il confirme que son objectif est
bien d'établir des relations diplomatiques avec la Chine et le Japon
mais se défend de vouloir toucher au protectorat14. Le pape y
observe que la France est la seule puissance capable d'assurer la
défense du catholicisme en Extrême-Orient. Ce faisant, il écarte
l'hypothèse d'un recours à l'Italie et confirme son intransigeance dans la
revendication de la souveraineté temporelle.
Le préalable de la question romaine vient ainsi interférer avec la
politique missionnaire et restreindre les possibilités de définir une
autre politique. Son silence vis-à-vis de l'Allemagne est plus ambigu.
Celle-ci constitue peut-être une carte qu'il serait maladroit d'abattre
prématurément. Mais elle demeure aussi une alternative incertaine,
subordonnée à l'évolution des négociations avec Berlin. A
l'intersection de la diplomatie européenne, de la question romaine, de la
politique missionnaire, l'ouverture des relations directes avec la Chine
est soumise à des pressions multiples et des intérêts contradictoires
qui, dès le départ, compliquent à l'extrême le dossier. Et pourtant
une lecture politique, en termes d'équilibres entre nations, ne rend
pas compte de l'intégralité d'un débat qui met encore en cause les
intérêts et les stratégies des congrégations engagées en Chine.

L'interférence des stratégies étatiques et missionnaires.

Les analyses d'A. Sohier ont mis en évidence que la mission de


l'anglais Dunn à Rome comporte un double objectif. Si l'ouverture
des relations diplomatiques est bien le but essentiel, le
gouvernement chinois voulait en profiter pour liquider la question du Pei-
tang. Concédé à la mission catholique lazariste par le traité de 1860,
le Peitang était une véritable enclave a i intérieur de ia Ciié impériale
interdite, dans laquelle avaient été construits la cathédrale et l'évê-
ché de Pékin. Plus que les regards indiscrets que les étrangers
étaient soupçonnés de porter à partir des tours de la cathédrale (leur
accès avait été muré), la cour attachait à la restitution de la
concession forcée une valeur symbolique. Elle avait donc pris prétexte de la

parti en mai 1885 pour le rédacteur du Journal de Rome, Henri des Houx, dont les
articles excessifs et violemment antirépublicains avaient provoqué le retrait de la
confiance pontificale au profit du Moniteur de Rome. En s'engageant aux côtés du
premier, Pitra critiquait indirectement le Souverain Pontife dont chacun savait
qu'il inspirait le Moniteur dirigé par Mgr Galimberti.
14A.M.A.E. Rome, St Siège 1083, f. 161-164, Rome, 27 février 1886.
470 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

prochaine semi-retraite de Ts'eu-hi pour demander de récupérer le


Peitang afin d'y installer l'impératrice douairière. Mais, selon le
droit ecclésiastique missionnaire, une telle opération foncière et
immobilière ne pouvait s'accomplir sans l'autorisation de la
Propagande. Elle devenait de la sorte une excellente occasion de porter
l'affaire devant la Curie... et de passer par-dessus la France,
puissance protectrice.
Pour conduire les négociations, le gouvernement chinois avait
utilisé deux canaux. Il s'était d'abord ouvert de ses intentions au
père Favier, vicaire général et procureur lazariste dont la
personnalité complexe et les ambitions personnelles mériteraient une grande
étude15. Favier s'était aussitôt retranché derrière le droit canon pour
plaider son incompétence. Cette obstruction passive décida, semble-
t-il, le vice-Roi Li Hong-Chang à traiter directement avec Rome et le
supérieur général des lazaristes, le père Fiat, grâce à l'envoi en
Europe de George Dunn. Fort de l'appui de l'Impératrice, qui aurait
soulevé la question du nonce dès septembre 1885, et des instructions
de Li-Hong Chang, Dunn quitta Tientsin secrètement le 7 novembre
1885 pour l'Europe. Contrairement aux supputations françaises,
l'émissaire fut reçu froidement à Londres par le Foreign Office et se
tourna vers le cardinal Manning pour être introduit au Vatican.
Recours ultime pour trancher la question du Peitang, la papauté
ne pouvait pas ignorer que les missions françaises observaient avec
une extrême méfiance le développement des relations entre le Saint-
Siège et Pékin. Les réactions nationalistes, indéniables et soulignées
par divers informateurs, ne sont pas seules en cause16. Pour certains

15 A. Sohier trace un portrait peu flatteur du personnage dans deux articles


intitulés Mgr Alphonse Favier et la protection des missions en Chine (1870-1905).
NZM, 1969, n° 1, p. 1 et n° 2 p. 90). Au-delà des côtés excessifs et déplaisants de
cet ecclésiastique ambitieux, promu héros national par le siège de Pékin (cf. M.C.
1900, passim), la correspondance avec Rome et les écrits révèlent aussi un
connaisseur de la réalité chinoise plus fin et nuancé que le donnent à penser
certaines déclarations fracassantes ou son goût ostentatoire des honneurs.
16 «3. Les Missionnaires français ou pro-français qui croient fermement que
la France est, de naissance, la patronne de l'Eglise catholique et qu'à présent,
après les traités conclus en 1860, il est impossible que les Missions Catholiques
subsistent sans la protection de la France, même après les pertes graves et les
dommages qu'a entraînés la guerre, ils désirent être protégés par leur
Gouvernement. La francophilie a par trop pris pied en Chine ces dernières années, on a eu
soin, - et c'était la sagesse - de confier des missions en Chine à des Congrégations
non-françaises et, à présent, les Vicariats Apostoliques administrés par des
missionnaires non-français, mais l'esprit national qu'on pourrait appeler le cancer
des missions catholiques, est encore très fort parmi les français et les missions
francophiles. L'unique remède à ceci est la parole du pape, pleine d'autorité».
(Rapport de Mgr Raimondi, Vie. Ap. de Hong-Kong, Hong-Kong, 12 mai 1885.
Larges extraits in A. Sohier. La nonciature pour Pékin en 1886, NZM, 1968,
XXIV/2, p. 109-110).
LA FIN DU RÊVE? 471

chefs de mission, la perspective de la présence d'un délégué


apostolique ou d'un nonce n'est pas forcément réjouissante et mettrait fin
aux avantages que procure l'éloignement du centre romain. Par
ailleurs, Favier mêle de manière inextricable dans son comportement
les motivations religieuses, le sentiment national et les perspectives
de carrière personnelle. Quant aux engagements du gouvernement
chinois, l'expérience des persécutions endémiques porte la majorité
des missionnaires à considérer que le bras séculier européen
demeure un rempart nécessaire face à la perfidie chinoise. C'est ainsi
que les vicaires apostoliques achèvent leur réfutation du
memorandum chinois de 1871 par une envolée à la gloire de la manière forte17.
Les partisans les plus fervents de l'émancipation du protectorat
français, tel le vicaire apostolique d'Hong-Kong Raimondi,
finissaient par en convenir :
«Nous ne pouvons pas nous fier entièrement aux dispositions du
Gouvernement Chinois; même après avoir bien reçu la lettre, il pourra
ne pas être disposé à entrer dans des pourparlers et demander des
conditions que nous ne pouvons pas accepter. Le Chinois sait très
bien jouer sur les mots; le remède serait de se servir des mêmes
armes, de ne pas insister devant une réponse négative, de patienter
pour le moment et puis de revenir de nouveau au sujet, jusqu'à ce
qu'on ait obtenu gain de cause»18.

Obligé de tenir compte des intérêts français et des conséquences


d'une crise avec la France, Léon XIII doit aussi éviter de heurter de
front les sociétés missionnaires et leurs membres, sans avoir la
certitude que Pékin est décidé à exercer une protection effective. Le
remède radical que serait, selon Raimondi, «la parole du Pape»,
n'apparaît pas à la Curie une thérapeutique miracle. Le procureur de la
Propagande mentionne d'ailleurs des faits qui contredisent son
propre optimisme et il insiste sur l'impréparation des esprits à
l'abandon du protectorat sur les missions :
«De manière générale, ces tous derniers temps, les missionnaires
avaient l'habitude de ne rien faire sans l'appui des canons : l'esprit de
sacrifice et de confiance en Dieu s'est affaibli et le bras de la France ou
celui d'un autre Consul s'y sont substitués... Les Chrétiens ont été
formés sous la protection du canon, et non pas sous le feu de la
persécution. En cette dernière guerre, ils n'ont pas fait leurs preuves :
beaucoup ont apostasie et les autres, au lieu d'aider les Pères à les
conquérir de nouveau, comme le faisaient les chrétiens anciens, étaient les

17 A.A.E.E. Francia, 1886, 766/404 op. cit., Sommario, n° 2, p. 79. Les huit
articles du Memorandum chinois et leur réfutation par les Vicaires apostoliques.
18 Cf. Extrait du rapport de Mgr Raimondi, Vie. Ap. de Hong-Kong, Hong-
Kong, 12 mai 1885. Traduction A. Sohier, NZM.1968, XXTV/2, p. 109.
Original A.A.E.E. Francia 1886, op. cit., Sommario, n° XIV, p. 127.
472 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

premiers à conseiller aux Pères de partir. Les missionnaires et les


Chrétiens attendent la restitution des biens perdus. Il est probable que
l'évêque de Pékin pourra obtenir plus que les consuls, dans les
circonstances actuelles, mais quoi qu'il obtienne, les missionnaires et les
chrétiens se plaindront toujours et ils se lamenteront en disant qu'on
les a ruinés, qu'on leur a enlevé leur unique soutien et que le Consul
aurait obtenu davantage»19
Attachées à leur biens, habituées à vivre sous la protection
étrangère, les chrétientés chinoises elles-mêmes ne risquaient-elles
pas d'être déstabilisées par une nouvelle organisation qui romprait
avec les habitudes acquises?
La délibération des cardinaux dans le congresso du 28 février
1886 se trouve ainsi confrontée à une problème dont le rapport tente
de respecter la complexité en pesant et sous-pesant les différents
point de vue. Observons d'abord un décalage entre les informations
rassemblées par le minutante et la problématique adoptée au terme
de la relation. Toute la présentation conflue vers la seule question de
l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et le
Saint-Siège. Pourtant les enjeux religieux ne sont pas ignorés de la
ponenza qui informe les cardinaux du point de vue chinois à l'en-
contre des missions contemporaines. Or le memorandum de 1871
décrit en termes sévères le comportement des missionnaires du XIXe s.
Ils sont tour à tour accusés de soustraire les chrétientés aux
autorités chinoises et de constituer des Etats dans l'Etat; de s'ingérer
dans les affaires intérieures et de violer les coutumes chinoises;
d'avoir provoqué par leur imprudence les rumeurs qui prêtent aux
chrétiens la réputation d'ouvrir des orphelinats pour arracher le
cœur et les yeux des enfants et d'encourager, avec la mixité, des
mœurs sexuelles dépravées.
Quel effet la lecture de ce réquisitoire pouvait-elle produire sur
les cardinaux romains appelés à délibérer? Tout semble indiquer
qu'en ramenant la question chinoise au niveau de la diplomatie et
du protectorat, Rome n'était pas prête à s'interroger sur les raisons
profondes du fossé qui empêchait l'ouverture d'un véritable dialogue
entre la Chine et le catholicisme. Pas plus que les missionnaires, les
esprits n'étaient préparés à aborder sur le fond les raisons de cette
incompréhension. L'explication politique et le débat autour du
statut des missions avaient, une fois de plus, pris la place de la
réflexion théologique. Après avoir esquissé l'histoire de la
représentation romaine et objectivement résumé les positions de Pékin et des
vicaires apostoliques, le rapport se concentre sur la seule proposi-

19 Ibid. Original p. 129. Raimondi fait allusion à la guerre franco-chinoise qui


a provoqué la rupture des relations diplomatiques, et donc la suspension du
protectorat français.
LA FIN DU RÊVE? 473

tion émanant du Vice-Roi, résumée en ces termes par le cardinal


Manning : «trasferire la protezione dei Cristiani dalla diplomazia
Francese ad un Concordato fra la S. Sede e l'Imperatore della Cina.
Le vicissitudini politiche, commerciali e nazionali della Francia
dovere esporre i Cristiani a sospetti e persecuzioni»20.
Dès lors, et selon la remarque du même Manning, il convenait
au préalable de vérifier que cette proposition était fiable. Le dossier
laisse percer ici le malaise de la Curie, obligée de passer par Dunn,
un intermédiaire anglais, cherchant des garanties quant à sa
représentativité (une lettre du Vice-Roi lui donne pleins pouvoirs pour
négocier), contrainte à se fonder sur des indices fragiles pour avoir
la certitude que l'émissaire expose l'opinion officielle21.
Peu à peu le rapport insinue que l'ouverture des relations
diplomatiques mettrait fin aux embarras du protectorat français. Il
conteste son efficacité en donnant l'exemple des missions italiennes.
Il n'hésite pas à citer in extenso une longue correspondance envoyée
au directeur de la Rassegna qui démontre la supériorité d'un
protectorat italien sur les missionnaires de cette nation et explique la
baisse du nombre de missionnaires italiens en Chine par la politique
française. Malgré la question romaine, la fibre italienne de la
plupart des cardinaux ne pouvait manquer de vibrer quand ils
prenaient connaissance de la triste condition de leurs compatriotes en
Chine, et cela juste avant que le rapport ne récapitule les arguments
favorables et défavorables à l'établissement de relations
diplomatiques. En même temps, ces ultimes éléments d'information fournis
à la réflexion entretenaient l'ambiguïté que nous avons
précédemment signalée : le postulat du protectorat n'était pas discuté; ce qui
était mis en cause, c'était avant tout le monopole français et ses
abus.
Outre les droits inaliénables du Saint-Siège, la ponenza met en
évidence, avec insistance, l'effet bénéfique que les mesures
proposées produiraient sur les missions. Elle y voit d'abord le moyen de

20 Ponenza sulla proposta del Governo Cinese di stabilire relazioni


diplomatiche fra la Santa Sede e quel Governo, 28 février 1886, p. 14. (A.E.E., Francia,
1886, pos. 766, fase. 404).
21 Ibid. p. 15. C'est nous qui soulignons. L'article est donné p. 95. Il fait le
procès du recours abusif au bras séculier par les missionnaires et accuse les
missions catholiques d'être devenues l'avant-garde de l'armée française à
Madagascar, au Tonkin (Mgr Péruginier [sic] croit que le monde a été créé pour la gloire
de la France d'abord, pour le salut des âmes ensuite). Puis vient un long plaidoyer
pour la politique esquissée dans la lettre de Léon XIII à l'Empereur. Occasion
unique pour la papauté, l'ouverture de relations diplomatiques déchargerait la
France des ennuis causés par le protectorat et adapterait les missions à la
diversification du recrutement national des missionnaires.
474 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

mettre fin aux comportements qui ont déclenché la haine du peuple


contre les catholiques. L'envoi d'un représentant du Saint-Siège
permettrait «de veiller sur les personnes et les biens, de donner une
impulsion et un meilleur aspect aux missions», et d'éliminer les
inconvénients qui ont engendré les persécutions. Enfin la
reconnaissance de la Chine est présentée comme la conséquence logique des
changements géopolitiques et de la montée en puissance du vieil
Empire. «Potrebbe inoltre rilevarsi che le condizioni interne ed
esterne della Cina si vanno talmente modificando che fra pochi anni
sarà annoverata fra le primarie potenze. La sua popolazione di oltre
trecento milioni, i suoi porti dischiusi ora al commercio mondiale,
le stazioni fissatevi dagl'Inglesi, dai Russi, e dagli Americani, le sue
relazioni all'estero colle principali nazioni, le hanno creata una
situazione internazionale, che anderà sempre avvalorandosi. E perciò
ch'essa nelle attuali condizioni dichiara non volere più subire un
umiliante Protettorato, esclusivo di una sola Potenza, ma preferisce
di rivolgersi direttamente al Sommo Pontefice, e per mezzo del Suo
Rappresentante tutelare gl'interessi religiosi di quelle Cristianità»22.
Ayant chaleureusement plaidé en faveur des relations
diplomatiques, le rapport se doit néanmoins d'exposer les objections. Et par
la place qu'il y consacre, et par la méthode employée, il ne dissimule
guère ses préférences. S'il reprend l'opinion des vicaires
apostoliques français selon laquelle l'abandon du protectorat ferait courir
de graves menaces aux missions, c'est pour la réfuter point par
point. Le protectorat n'a pas évité le «massacre de Tien-Tsin»23; il
expose les chrétiens chinois en cas de guerre avec la France à être
identifiés à ce pays; le protectorat provoque plus de persécutions
qu'il n'en évite; il nourrit la jalousie des autres nations et leurs
revendications.
Après cette enumeration apparemment définitive, un cinquième
argument est avancé de manière anodine, bien qu'il soit au cœur du
débat : l'établissement de relations diplomatiques n'annulerait pas
les traités passés entre la France et la Chine24. Cette affirmation nous
semble à l'origine de l'impasse dans laquelle la papauté va se trouver
enfermée. Il est clair que la Chine veut s'émanciper du protectorat et
effacer les traités «inégaux» imposés par la force. Mais la papauté,
tout en reconnaissant le caractère insupportable du protectorat, ne
veut pas s'opposer ouvertement à la France, ni à une opinion
majoritaire parmi les missionnaires. Nous retrouvons l'écart déjà observé
entre la modernité des desseins politiques de Léon XIII, les concepts

22 Ibid. p. 17.
23 Deux lazaristes, neuf filles de la Charité, le consul français et sa famille,
plusieurs chrétiens sont tués en juin 1870 à Tien-Tsin.
24 Ibid. p. 18-19.
LA FIN DU RÊVE? 475

traditionnels de la doctrine des rapports entre Eglise et Etat et les


contraintes du terrain. Le respect du protectorat des missions, pour
des motifs d'opportunité et d'efficacité, n'enclenche pas une
réflexion sur la légitimité de ce système à la fin du XIXe s.. En l'oc-
curence la préservation du protectorat conduit à la paralysie. La
seconde objection retenue contre le projet consiste dans la crainte des
représailles françaises. Elle incite les cardinaux à évaluer si le profit
retiré en Chine équilibrerait, en cas de crise, les pertes que
subiraient les catholiques en France.
Questions de principes et d'opportunité sont donc indissociables
dans l'affaire examinée. Les premiers mettent en cause toute l'ecclé-
siologie. L'Eglise catholique, par sa double nature d'Etat centralisé
et de force religieuse supranationale, doit conjuguer l'action
diplomatique classique avec son action spirituelle. Par la médiation des
Carolines, Léon XIII semble amorcer à la même époque un
dépassement de la souveraineté temporelle au profit d'une action universelle
dans l'ordre des principes. Ce n'est donc pas simple coïncidence si le
rapport se réfère à cette ambition d'être une «force morale»,
immédiatement après avoir préconisé une solution permettant la
cohabitation des relations diplomatiques directes et du protectorat
français. «Ne deve omettersi di rilevare che dinnanzi ad una grande
forza morale si ceda più facilmente che dinnanzi alla forza materiale.
Di che ne somministra recente esempio la mediazione offerta
ultimamente, dalla Germania e dalla Spagna, al Sommo Pontefice
Leone XIII»25.
L'espace disponible pour la solution de la question étudiée est
donc particulièrement exigu. Il faut à la fois manifester la
suprématie du pape sur les «princes», et passer par une représentation
diplomatique qui assimile le pape à un prince; utiliser les possibilités
offertes par le statut d'Etat mais marquer la différence entre le Saint-
Siège et les autres Etats; affirmer l'indépendance de l'Eglise mais
maintenir la collaboration avec le bras séculier conformément à la
doctrine classique du protectorat.
Le dossier ne comporte pas de «résolution», preuve
supplémentaire de l'embarras de la Curie et de l'intervention personnelle du
pontife. Cependant une note manuscrite de Mgr Mocenni est
annexée selon laquelle le congresso a décidé de répondre à la
proposition chinoise par l'envoi d'un délégué apostolique extraordinaire à
Pékin «al quale sarà commessa la missione di esaminare salvi i
diritti che la Francia può avere dai tratatti, in quali condizioni debba
esser organizzata la Rappresentenza Pontificia nell'Impero Cinese»26.

25 Ibid. p. 19.
26 Ibid, sans date, dernier folio.
476 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

La décision est ainsi parfaitement cohérente avec l'exposé du


rapporteur qui penche pour «la coesistenza del Patronato francese e
della Rappresentenza Pontificia in Pechino»27. Si le délégué
apostolique est un représentant officiel, il n'est pas un nonce en bonne et
due forme. Telle qu'elle est formulée, la réponse permet deux
variantes. L'une, sur le modèle des délégués d'Amérique latine,
assimile le délégué à un ambassadeur (à un nonce) et le place sous la
dépendance du Secrétaire d'Etat. L'autre hypothèse lui donne
seulement mandat pour représenter la Propagande vis-à-vis des chefs de
mission, auquel cas il ne s'agit plus de relations diplomatiques. Il est
évident que la demande chinoise impose d'aller dans le sens de la
première hypothèse. Mais en entretenant une certaine incertitude
sur le statut juridique de son envoyé, en lui confiant une mission
ponctuelle puisqu'il est délégué «extraordinaire», la Papauté se
donne un délai pour convaincre la France et pour sauvegarder les
traités signés entre la France et la Chine.
En définitive l'ensemble de la ponenza donne le sentiment
qu'une nouvelle approche du rôle de l'Eglise est en germe, mais à
travers des schémas traditionnels dont la polémique sur la
souveraineté temporelle montre à la même époque la persistance. Attachée à
son statut international d'Etat, la Papauté veut en outre faire
admettre qu'elle n'est pas un Etat comme les autres. L'affaire chinoise,
par les multiples considérations qu'elle appelle, concentre toutes ces
ambiguïtés.

L'occasion manquée du 7 mai.


Le récit donné par L. Wei et A. Sohier nous dispense de refaire
l'histoire de ce projet dont l'exécution est supendue sine die au mois
de septembre 1886. «Le 23 septembre, le cardinal Jacobini confirma
par lettre à Dunn la suspension actuelle des accords conclus le 2
mai, ses regrets, son estime personnelle. Dunn quitta définitivement
Rome et s'embarqua à Marseille le 10» 28 Le recueil de «documents
relatifs à l'envoi d'un représentant pontifical en Chine» (15 avril au
17 septembre 1886) conservé aux Affaires ecclésiastiques
extraordinaires n'apprend rien qui ne fût déjà connu par ailleurs. Par contre,
il nous a semblé que les explications classiques focalisent
excessivement les raisons de l'échec sur l'opposition déterminée de la France,
au point d'ignorer ou de sous-estimer d'autres facteurs. Sans
contester le rôle déterminant joué par l'hostilité de la France en septembre
et l'efficacité du chantage à la rupture des relations diplomatiques,
l'indécision pontificale à d'autres moments de la négociation sup-

27 Ibid. p. 20.
28 A. Sohier. La nonciature pour Pékin (2) op. cit. p. 98.
LA FIN DU RÊVE? 477

pose d'autres explications. Il nous paraît nécessaire de prendre


également en compte les faiblesses internes de la stratégie pontificale,
les incertitudes venues de l'attitude du partenaire chinois, les
obstacles élevés par certains missionnaires, et finalement la situation
des missions chinoises. Les archives du quai d'Orsay, largement
exploitées, ne laissent aucun doute sur l'obstruction systématique
pratiquée par la diplomatie française29. Dès le début de la négociation,
le quai d'Orsay est décidé à faire échouer le projet. Les contacts
noués fin mars entre le chargé d'affaires de Monbel et Dunn (les
deux hommes se sont connus à Pékin) n'ont pas fait évoluer la
détermination française, malgré la promesse de compensations
commerciales et territoriales au Tonkin30. Le 4 mai, l'ambasseur de Béhaine
propose de lui-même d'interrompre ses visites au Vatican pour
manifester son mécontentement après une note où Jacobini exprime sa
confiance dans la compréhension que la République manifesterait
sans aucun doute si Rome prenait une initiative en Chine...
Pourtant le gouvernement ordonne à son représentant de ne pas
interrompre ses visites. Le 5 mai, une nouvelle dépêche du quai
d'Orsay expose l'inquiétude du gouvernement devant les efforts du
Portugal pour étendre le padroado à toute l'Afrique occidentale, ou
au moins le bas Congo, et devant les démarches de Leopold II pour
éliminer les missions françaises. Au-delà de la Chine, la France croit
repérer une convergence entre ces initiatives, auxquelle s'ajoute la
rumeur d'une négociation avec le Japon31, et une offensive concertée
contre ses intérêts outre-mer.
Jacobini adopte dans cette première phase des négociations une
égale intransigeance. Il consent le 15 avril à rédiger une note dont
l'ambassadeur de Béhaine s'efforce de donner une interprétation
très favorable à la France, au point de commenter : «A vrai dire
notre protectorat en Chine n'a jamais été entre la France et le Saint-
Siège l'objet de stipulations diplomatiques nettement déterminées.
La note du Cardinal Jacobini du 15 de ce mois est en réalité le
premier acte officiel qui soit venu consacrer les droits que nous tenons
de la tradition. A ce sujet, cette note me paraît avoir une grande
importance»32.

29 A.M.A.E. Correspondance politique, Rome, St-Siège, vol. 1078 à 1085.


Correspondance politique, Chine, vol. 67 à 69.
Mémoires et documents de Chine, vol. 12.
30 A.M.A.E. Rome, St Siège, 1083, f. 202 (25 mars 1886) et f. 209-210 (29 mars
1886).
31A.M.A.E. Rome, St Siège, 1083, f. 245-246. Rome, 8 avril 1886.
Circonstance aggravante pour la France : c'est l'ambassadeur du Japon à Vienne qui
doit porter la réponse du Mikado au Pape.
32 Ibid. f. 282-283; Copie de la note de Jacobini du 15 avril f. 296, 22 avril.
Commentaire de la note du 15 avril par de Béhaine.
478 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Pourtant Jacobini est beaucoup moins affirmatif que ne veut le


penser l'ambassadeur. Il entend surtout faire aboutir la nomination
d'un représentant pontifical sans entraîner de crise grave avec la
France. Une autre note (3 mai) précise cette position et énonce
solennellement les droits de l'Eglise à envoyer des représentants
«partout où il y a des personnes et des intérêts catholiques à défendre». Il
juge le moment venu d'envoyer à Pékin un diplomate jouissant
«d'une pleine représentation des droits de la primauté pontificale»33
conformément à la doctrine exposée dans les encycliques de Léon
XIII.
Mettant immédiatement en application cette ultime déclaration
de principe, L. Jacobini écrit ce même 3 mai à Dunn que le Saint-
Siège accepte une représentation diplomatique. Selon de Béhaine,
ce sera très probablement un délégué apostolique envoyé
extraordinaire et il commente : «à l'heure présente, c'est tout ce que nous
pouvons espérer»34.
A cet instant, l'affaire paraît donc réglée. La réaction française
est certes critique, mais pas entièrement négative, et surtout le
gouvernement ne recourt à aucun chantage particulier. Il s'en tient à
l'argument classique du mauvais effet que produirait dans l'opinion
publique la nomination d'un nonce. Jusqu'au 12 mai, l'échange de
dépêches entre l'ambassade et le Saint-Siège insiste davantage sur
l'inopportunité de la décision qu'il n'en conteste le fondement.
Cependant la France n'abandonne pas tout à fait l'espoir que l'envoyé
pontifical n'aura pas de mission à caractère diplomatique. Mais
dans une dépêche télégraphique, le 13 mai à 6h 45, de Béhaine
manifeste un optimisme que les communications des jours précédents
ne laissaient pas prévoir : «Nous ferons encore reculer le pape». Il se
déclare persuadé qu'il est sur le point de faire triompher le point de
vue français en imposant l'envoi d'un simple délégué apostolique. Il
se fait fort d'obtenir du Secrétaire d'Etat un acte écrit : «de même
que j'ai pu amener le cardinal Jacobini à reconnaître par la note du
15 avril le protectorat français dont aucun document authentique
n'avait encore consacré le principe»35. Dans les jours qui suivent la
décision est suspendue car «le pape réfléchit»36.
La négociation s'est en réalité définitivement enlisée et la
papauté a concédé un répit qui masque un recul décisif.

33 Ibid. 1084, f. 21 et 37 à 40 (traduction de la note du 3 mai).


34 Ibid. f. 41. Rome, 7 mai 1886.
35 Ibid. f. 67. Rome, 13 mai 1886. Cette affirmation sur la reconnaissance du
protectorat est, nous l'avons vu, une interprétation tendancieuse de la note de Ja-
cobini.
36 Ibid. f. 72-73 (16 et 18 mai).
LA FIN DU RÊVE? 479

A notre sens, le véritable tournant des négociations se situe au


cours de cette première quinzaine de mai. Pourquoi Léon XIII n'a-t-
il pas passé outre à une opposition française encore mesurée, qui ne
faisait pas craindre de réaction extrême, alors qu'il disposait de
moyens de pression en Afrique (Congo belge et Angola) et en Inde
(Pondichéry)? L'hostilité de Paris n'explique pas à elle seule la
suspension de l'envoi d'un représentant diplomatique. Si le pontife
n'accomplit pas le pas décisif, c'est qu'il est arrêté par d'autres
considérations et qu'il a le sentiment de ne pas maîtriser la situation.
Une première série d'explications complémentaires peuvent être
rapportées à la position chinoise. Elle n'est pas aussi claire que le
souhaiterait le Saint-Siège. La papauté n'a pas obtenu d'engagement
sur la liberté et la protection des missions par le gouvernement
chinois. La seule assurance consiste dans une lettre de Dunn selon
laquelle la Chine «est prête à accorder aux Missionnaires
catholiques la tolérance la plus illimitée, la liberté et la protection...»37 Le
cardinal Jacobini avait d'ailleurs confié sa perplexité au Ministre
belge de Pitters le 16 février, quand débutaient les conversations38.
Ces doutes sont très probablement renforcés par l'opinion des
chefs de mission. On sait leur scepticisme quant à la validité des
promesses, voire des engagements écrits de la cour de Pékin dont
l'histoire prouve, à leurs yeux, la «perfidie.» Or, parallèlement à la
négociation avec Dunn, une autre négociation est engagée par
l'intermédiaire des lazaristes sur le transfert du Peitang. Celle-ci est
entrée début mai dans une phase délicate et provoque des tensions
dans les missions de Chine. En demandant à Favier de venir traiter
directement à Rome le règlement du transfert du Peitang, Léon XIII
confirmait fin mai son souci de ne pas exclure les missionnaires des
négociations et acceptait d'écouter leur opinion, c'est-à-dire de
prendre en considération une approche des relations avec la Chine
autre que celle prônée par Dunn.
Enfin la position de Léon XIII continue de vouloir concilier «les
droits de la primauté pontificale» et le rôle traditionnel de la France
comme protectrice des missions. Dans le contexte de 1885 ces deux
affirmations sont contradictoires. Le gouvernement chinois ne fait
pas mystère que l'établissement des relations diplomatiques signifie
la fin du protectorat auquel il n'a jamais consenti. Il ne peut pas
accepter que les deux problèmes soient dissociés, encore moins
envisager que le protectorat français survive à la nouvelle organisation,
selon le schéma retenu par la Curie et Léon XIII. Mais il ne donne pas

37 A. Sohier, La nonciature pour Pékin (1) op. cit. p. 13.


38 Ibid. p. 10.
480 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

en compensation les garanties attendues sur la protection des


missions catholiques après l'échange de diplomates. En d'autres termes,
Pékin rejette le protectorat sans le remplacer par un engagement du
gouvernement chinois, plaçant la papauté devant un cas de figure
insolite qui nourrit la perplexité de Jacobini et Léon XIII. L'Eglise
peut-elle renoncer au bras séculier étranger en Chine? La
conception de la liberté religieuse au XIXe s. et la tradition diplomatique du
Saint-Siège prédisposent Rome à ne rien consentir sans un
engagement symétrique de l'autre partie. Pékin et Rome persistent à
raisonner dans deux univers trop différents pour qu'ils puissent
durablement communiquer.

L'enlisement.

L'évolution de la négociation à partir de la seconde quinzaine de


mai jusqu'en septembre prouve l'impuissance de la papauté à
surmonter obstacles et contradictions. Il est vrai que sa volonté de faire
cohabiter représentation diplomatique indépendante et maintien du
protectorat facilite la tâche de la France. Une note de Jacobini décrit
le 20 mai la combinaison proposée... et confesse son caractère
artificiel :
«La distinction entre les intérêts spirituels et matériels pourrait
s'établir comme base absolue à l'action respective des deux
représentants. En raison des rapports que les choses matérielles ont souvent
avec les intérêts religieux, il serait très difficile de déterminer d'avance
et catégoriquement les limites des dits intérêts, et par conséquent
cette formule donnerait occasion du dualisme qu'on veut éviter».

En somme, le système supposait pour fonctionner que la France


se considère comme l'auxiliaire du Saint-Siège en Chine,
subordonne ses interventions aux intérêts de l'Eglise, et non aux siens. La
conclusion de la note de Jacobini propose une unité que chacun sait
impossible et renvoie à plus tard la résolution concrète de la
délimitation des compétences : «Le but assigné aux deux Représentations
étant ainsi fixé, il reste à chacune d'elles à déterminer le champ dans
lequel elle développera sa propre action, bien que distincte, sera
néanmoins dirigée dans la même intention et ne pourra qu'être
avantageuse à la cause qui doit lui être confiée»39.
Dès lors la France exploite systématiquement cette brèche
ouverte par la proposition pontificale. Elle s'appuie sur la distinction
confuse des domaines pour préconiser une délimitation claire qui
cantonne l'action du représentant du Saint-Siège dans la sphère reli-

39 A.M.A.E. Rome, St Siège, 1084, f. 100-101. Traduction de la nouvelle note


de Jacobini, datée du Vatican, 20 mai 1886.
LA FIN DU RÊVE? 481

gieuse, ce qui justifierait de ne pas lui conférer un caractère


diplomatique. De la sorte la protection des missions catholiques et la
défense des intérêts matériels demeuraient entre les mains de la
France. C'était une manière habile d'appliquer à la Chine la
collaboration du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, donc de se
référer à la doctrine catholique, en feignant d'ignorer que ce type
d'arrangement n'avait plus de sens au temps des Etats laïcs et ne pouvait
pas davantage être toléré par un Etat chinois menacé dans son
indépendance.
Mais plutôt que de se placer sur le terrain mouvant des droits de
la France ou de la Chine, la République préférait apporter prag-
matiquement la preuve que sa protection était nécessaire et
accumulait les interventions ponctuelles en faveur des missions. La
signature d'un traité d'amitié et de commerce, signé à Séoul avec la
Corée le 4 juin 1886, est présenté au Secrétaire d'Etat comme une
démonstration supplémentaire de la supériorité du statu quo.
Pourtant la minceur des garanties incitait tout autant à s'interroger sur la
capacité de la France à assurer la liberté religieuse. La convention
ne comportait pas la liberté de résider et d'enseigner, seulement
l'obtention de passeports et l'aide «aux Français qui se rendraient en
Corée pour y étudier ou y professer la langue écrite ou parlée, les
sciences, les lois et les arts...»40
Pour contrer l'argumentation française, Léon XIII devait
compter sur une solution diplomatique et politique, convaincre l'opinion
publique, prendre à témoin les catholiques de son bon droit et des
mauvaises raisons avancées par le gouvernement français. Les
articles du Moniteur et de l'Osservatore Romano se font les défenseurs
ardents de la thèse pontificale41. L'efficacité en est douteuse, non
tant par la faible audience de cette presse que par l'imprégnation
nationaliste des opinions catholiques en Europe. Les intérêts de
chaque nation constituaient un thème autrement mobilisateur et
populaire que les plaidoyers sur les droits de la papauté et, en pleine
poussée impérialiste, d'un Empire chinois dont on se plaisait à
décrire l'affaibissement. L'échec des tentatives effectuées pour
sensibiliser les catholiques et imposer une argumentaion extra-nationale
est particulièrement sensible dans la grande presse missionnaire

40 Le texte du traité et son commentaire par le Ministre plénipotentiaire


français Cogordan (5 juin 1886) sont aussitôt transmis par le Quai d'Orsay au
Secrétaire d'Etat. (A.A.E.E. Francia, pos. 403, fase. 764).
41 Le vol. 1084 de la correspondance politique avec le Saint Siège contient
particulièrement deux articles exposant en détail l'argumentation pontificale :
Moniteur, «La France, la Chine et le Saint-Siège, 20 mai 1886, f. 92 op. cit.
Osservatore Romano, 5 août 1886, f. 35.
482 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

française qui se garde bien de prendre parti. Alors que les grands
quotidiens suivent l'affaire avec attention, les Missions catholiques et
les Annales observent un prudent silence...
Au fur et à mesure que les semaines passent, l'isolement de Léon
XIII s'aggrave. Incapable de discerner précisément les intentions
chinoises dont Dunn et Favier donnent des versions contradictoires,
soumis à une pression française qui croît avec l'indécision romaine,
la papauté gagne du temps, puis tente une dernière fois de forcer les
résistances. Elle laisse filtrer la rumeur de la prochaine désignation
de Mgr Agliardi comme nonce à Pékin42, puis elle la fait annoncer le
4 août par plusieurs agences de presse en remplaçant la qualité de
nonce par celle de «Délégué apostolique et de ministre résident»43.
L'information est immédiatement corrigée et nuancée, présentée
comme un projet qui n'est pas définitif.
A vrai dire la nouvelle de la nomination ressemble plus à un
ultime test qu'à une décision ferme. Le gouvernement français, qui le
comprend ainsi, répond par une raidissement et va jusqu'à
programmer le départ immédiat de l'ambassadeur de France. Puis il
demande à ses diplomates en poste à Rome d'étudier l'hypothèse d'une
rupture des relations diplomatiques, sans y penser très
sérieusement44.
A bien des égards, la nouvelle dramatisation du conflit début
août, favorisée par la maladie du cardinal Jacobini, donne le
sentiment que Léon XIII, ayant épuisé les possibilités de compromis,
décidé à ne pas céder sur ses droits et à préserver le caractère
diplomatique de son envoyé à Pékin, cherche à sortir de l'impasse
diplomatique la tête haute. Sa détermination à aboutir n'est pas totalement
établie, et dans l'audience qu'il accorde à de Béhaine le 9 août, Léon
XIII tient des propos nuancés, distinguant son droit à envoyer un
diplomate, conformément au souhait chinois, et l'opportunité de cet
envoi. L'attitude française permet d'imputer à cette opposition un
échec qui repose aussi sur d'autres facteurs. Le gouvernement
français s'était d'ailleurs résigné à la nomination d'Agliardi («ce serait un
bon choix», 24 juillet)45 et de Béhaine avait chaleureusement plaidé
en faveur du maintien de l'ambassade :

«La suppression du pouvoir temporel est loin d'avoir diminué

42 Ibid. 1084, f. 287. Dépêche de Rome à M.A.E., 24 juillet 1886.


43 Ibid. f. 21. M.A.E. à ambassadeur, Paris, 4 août 1886.
«Les agences értangères annoncent la nomination de Mgr Agliardi comme
Délégué apostolique et ministre résident à Pékin. Qu'y-a-t-il d'exact dans cette
nouvelle?»
44 Ibid. f. 38, Paris, 7 août 1886.
45 Ibid. f. 287, op. cit.
LA FIN DU RÊVE? 483

l'importance du rôle de la Papauté dans les affaires des différents


pays. Le Vatican est, encore aujourd'hui, un centre où bien des fils
viennent s'entrecroiser, un foyer où très souvent se reflètent les
dispositions des diverses puissances à l'égard de notre pays»46.
La France ne se décide à exercer le chantage à la suspension des
relations, puis à la rupture du concordat et des relations
diplomatiques, qu'après avoir constaté les hésitations du Saint-Siège. Après
l'audience accordée à de Béhaine, la France a l'assurance de courir
un risque très relatif et de se trouver en position de force. C'est le
conseil donné par la direction du Quai d'Orsay à Freycinet le 11
août : il convient de demander à l'ambassadeur «de prendre un
congé immédiat, aussitôt que le Pape nommerait à Pékin un délégué
diplomate... se montrer très ferme... le Pape hésite : c'est le moment
d'être résolu»47.
Et le lendemain Freycinet télégraphie à de Béhaine de sa
résidence de Montsous-Vaudrey : «Aussitôt que le pape aura nommé à
Pékin un Délégué diplomatique, vous prendrez d'office un congé
d'une durée déterminée. Il sera bon que ces instructions soient
connues autour de vous»48.
Cette pression française ne constitue cependant pas un barrage
infranchissable. Les opinions contradictoires sur la Chine,
l'utilisation de médiateurs étrangers par Pékin, l'isolement diplomatique du
Saint-Siège piégé par les manœuvres nationalistes rivales, les fortes
réticences des missionnaires à abandonner le système du
protectorat, les manœuvres de Favier49 qui tient des discours différents selon
les interlocuteurs, joue une carte personnelle et suggère qu'on le
nomme délégué apostolique, rendent le dossier de plus en plus
obscur. Mais ce lent pourrissement de la question des relations
diplomatiques a été manifestement préparé par l'obstination romaine à
vouloir concilier la conception léonienne de la primauté de Pierre
avec la pratique du protectorat des missions.
Léon XIII insistera à plusieurs reprises sur le dépit que lui avait
causé ce recul diplomatique. Il l'exprime dès le 23 septembre dans
un entretien avec de Béhaine :

46 Ibid. f. 80-84. Mémoire de de Béhaine, Rome, 16 août 1886.


47 Ibid. f. 68. Note de F. Charmes à Freycinet, paris, 11 août 1886.
48 Ibid. f. 72.
49 Ibid. f. 275-278, Rome, 19 juillet. Rapport de l'ambassade près le St Sège.
Contrairement à Dunn, Favier aurait exposé à Jacobini le désir de la Chine de
rester en bons termes avec la France, tout en souhaitant améliorer les rapports entre
missionnaires et autorités impériales pour «rendre inutiles certaines ingérences
de la Diplomatie française qui paraissent humiliantes pour la Chine». Il aurait
préconisé* l'envoi d'un Délégué apostolique, mais français (pas italien),
connaissant les affaires de Chine, et inspirant confiance aux missionnaires et aux
autorités chinoises. En somme un missionnaire comme Favier...
484 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

«Je continue de croire que la France aurait pu tirer profit de


l'appui que j'entendais vous prêter pour raffermir votre protectorat en
Chine. Vous n'avez pas voulu admettre cela; vous avez persisté dans
votre manière de voir; j'ai cédé et je ne désire pas reprendre un débat
qui m'a causé bien de l'amertume». Dans un mémoire au évêques
français il parle à la même époque du «plus grand chagrin de son
pontificat»50.

Ces fortes paroles confirment l'importance que le souverain


pontife accordait à la question chinoise. Mais cette émotion, sans
nul doute sincère, n'était peut-être pas épanchée sans arrière-pensée
diplomatique. Elle lui permettait aussi de gagner du temps et de se
dédouanner face à l'Empire chinois. Elle transforme l'échec en une
suspension des négociations provoquée par l'obstination française.
Simultanément elle donne à la France des gages de bonne volonté
qui méritaient compensation.

2 - Idéal concordataire et exploration pragmatique de nouvelles voies.


1887-1891.

Face au Portugal : effacer le padroado.

Si l'affaire de Chine vient refroidir l'enthousiasme soulevé à


Rome par la médiation des Carolines, la papauté enregistre aux
Indes un indéniable succès. La conclusion d'un nouveau concordat
entre le Saint-Siège et le Portugal met fin le 23 juin 1886 à «la grande
questione del patronato». Nous avons dit précédemment comment
cet accord avait rendu possible l'établissement de la hiérarchie
régulière en Indes. Examinée par une commission mixte de la
Propagande et des Affaires ecclésiastiques dès le 27 novembre 1884,
l'érection était décidée par le congresso de la Propagande du 21 juin
188651.
L'issue positive du processus engagé en 1881 démontre dans
cette affaire l'efficace collaboration de la Secrétairerie d'Etat et de la
Propagande. Mais l'optimisme pontifical n'allait pas tarder à se
nuancer. Pour obtenir la disparition du padroado sur les territoires
missionnaires, le Saint-Siège avait dû accepter des concessions qui
se révélèrent plus pesantes que prévu. D'une part le patronat était

50 A.M.A.E. Rome, vol. 1085 (1886), f. 242-243, 299-302.


51 A.C.P.F. Acta 255 (1886), f. 437-474.
LA FIN DU RÊVE? 485

maintenu pour l'archidiocèse de Goa dont l'archevêque prenait le


titre de patriarche des Indes. La double juridiction, tant décriée par
les vicaires apostoliques, n'était donc pas totalement éliminée.
D'autre part Lisbonne conservait le droit de proposer les candidats à
quatre sièges, trois d'évêques (Mangalore, Quilon, Trichinopoly) et
un d'archevêque (Bombay). Enfin il était prévu de soustraire à
l'ordinaire du lieu quelques communautés de «goanais» installées dans
les diocèses dépendant de la Propagande. Il en résulte
d'interminables discussions et des querelles démoralisantes autour de
maigres communautés52. La recherche d'un accord au sommet,
selon une logique institutionnelle, absorbe pour longtemps une
énergie considérable au regard de l'importance objective des questions
traitées. La quête permanente d'un cadre concordataire, destiné à
assurer la liberté religieuse et à asseoir l'autorité romaine, prouve
ses limites. Fondamentalement ces blocages n'ont-ils pas leur source
dans l'obstination à penser en termes de juridiction ecclésiastique la
résistance des catholiques goanais à la romanisation et à la
centralisation? L'uniformisation des missions paraît vouloir balayer les
héritages du passé et gommer des différences auxquelles les fidèles
sont profondément attachés. La fécondité des chrétientés goanaises
en vocations sacerdotales témoigne pourtant d'une forme
d'enracinement réussie, même si elle ne correspond pas aux canons de la
discipline romaine. Le délégué apostolique Zaleski les place
d'ailleurs en tête de son classement des populations les plus aptes à
fournir un clergé indigène53.
Ainsi la politique concordataire continue d'avoir la préférence
du Saint-Siège; elle n'est pas la voie unique. Jugée opportune pour
les Indes, elle est le prétexte à des tractations sans fin quand il s'agit
de l'Afrique equatoriale. Quand la commission mixte de la
Propagande et des Affaires ecclésiastiques se réunit à la fin de l'année 1889
pour examiner «les affaires des colonies portugaises d'Afrique
equatoriale», on peut croire le moment venu de régler également ce
dossier54. Mais le long débat en congresso met en lumière la répugnance
de la papauté envers une formule concordataire qui apparaîtrait une
manière d'actualiser le padroado. Profitant de l'affaiblissement de la
position portugaise, le Saint-Siège se montre intraitable, décidé à
faire entrer les missions dans le droit commun de la Propagande. Il

52 A.C.P.F. Acta 257 (1887) f. 449-504. Réunions du 11 septembre et du 22


septembre 1887. Décret f. 453-454. Ibid. f. 544-689 r. 1er décembre et 4 décembre
1887.
53 A.C.P.F. N.S. 261 (1903) Rapport op. cit., f. 170 (§ 42).
54 A.C.P.F. Acta 259 (1889) f. 730-766. Sopra gli affari delle colonie
portoghesi dell'Africa Equatoriale. Con segreto pontificio.
486 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

ne veut pas pour autant perdre le bénéfice d'une liberté religieuse


qui avantage le catholicisme. L'accord ne présentant aucun
caractère d'urgence peut attendre.

La voie africaine : la terrìtorìalisation des missions.

La politique de «territorialisation», adoptée ouvertement en


Afrique à partir de 1886-1887, constitue une des voies nouvelles
explorées au lendemain de la Conférence de Berlin. L'expression est
employée en mai 1886 par Mgr D. Jacobini, secrétaire de la
Propagande, devant de Béhaine. Ce dernier n'en mesure pas, sur l'instant,
toutes les conséquences et se réjouit d'une orientation qui laisse
espérer la création d'un évêché français à Loango55. Pourtant les
desseins de l'autorité romaine sont en train de se préciser. L'érection
d'un nouveau vicariat apostolique au Congo français par le
congresso de la Propagande (17 mai 1886) se réfère au congrès de Berlin qui
a tranché la question politique «au sujet de l'étendue et des limites
des diverses possessions européennes de ce pays». L'indécision à
propos de l'Angola, de l'Afrique des grands lacs et orientale
s'explique par les incertitudes qui pèsent sur les souverainetés dans ces
territoires, pas par des errements de la stratégie. «Entre le 12 janvier
1869 et le 3 juin 1907, l'Angleterre passa trente traités de
délimitation avec le Portugal. Il y en eut vingt-cinq entre l'Angleterre et
l'Allemagne du 29 avril 1885 au juin 1907, et deux cent quarante-neuf
avec la France sur l'Afrique occidentale et centrale, plus quatre
intéressant également Zanzibar, le Maroc et l'Egypte, entre le 28 juin
1882 et le 25 février 1908» 56. La Propagande est condamnée à
improviser, puis à rectifier par touches successives les attributions
primitives, malgré les protestations des pères blancs ou des spiritains.
Le mouvement s'accélère en 1887 avec la première application
du principe aux nouvelles colonies allemandes. Nous avons vu plus
haut comment les bénédictins bavarois reçoivent la charge de la
préfecture de Zanzibar détachée des missions spiritaines. En 1888, c'est
au tour de l'Etat indépendant du Congo belge d'être affilié à la
congrégation du Cœur Immaculée de Marie (Scheut). En 1889
l'érection de la préfecture du Bas-Niger prend acte de l'existence de la
colonie britannique et la laisse aux missions Africaines de Lyon avec la
recommandation d'y renvoyer des missionnaires britanniques. En-

55 A.M.A.E. Rome, St Siège, 1084, f. 80-81. M.A.E. à ambassadeur, Paris, 19


mai 1886. La dépêche demande de confirmer le projet de la Propagnde de «terri-
torialiser» l'action religieuse, selon l'expression de l'archevêque de Tyr.
56 Henri Brunschwig, Le partage de l'Afrique Noire. Paris, Flammarion, 1971,
p. 84-85.
LA FIN DU RÊVE? 487

fin en 1890 les Pallotins reçoivent la nouvelle préfecture du


Cameroun allemand.
Ainsi l'évolution s'opère dans une laps de temps très court et
atteste la capacité de l'autorité centrale à s'adapter à de nouvelles
conditions politiques. La transformation est d'autant plus aisée que
ses avantages sont évidents, pour le Saint-Siège en général et pour la
Propagande en particulier. Elle dégage les missions de l'influence
exclusive de la France et élimine les prétentions du Portugal. Elle
prévient le danger d'assimiler catholicisme et religion des français,
avec les conséquences néfastes enregistrées à Madagascar et en
Ouganda. Elle s'accorde parfaitement avec les essais de rapprochement
en direction de l'Allemagne, et là encore dans une perspective de
rééquilibrage que ne ralentit pas la désignation de Rampolla à la Secré-
tairerie d'Etat.
L'encyclique Jampridem aux évêques de Prusse est la
manifestation la plus évidente de cette volonté de mobiliser les fidèles d'autres
pays que la France et d'internationaliser la mission. Partout la
papauté veut imposer son autorité directe et entière sur les missions,
ce qui la pousse aussi à établir des relations diplomatiques directes
avec les Empereurs du Japon et de Chine. Mais elle répugne à
abandonner la protection des puissances étrangères. La théologie
dominante du protectorat chrétien ne la prépare d'ailleurs pas à couper
les ponts avec l'idéal de la collaboration entre l'Eglise et les princes
temporels. Il faudra attendre l'entre-deux-guerres pour que Gren-
trup et l'école missiologique allemande cherchent dans le droit des
gens un autre point de départ à la réflexion théologique. Et la
vivacité de la réfutation de ces nouvelles thèses par le R. P. Perbal,
professeur au Collège Urbain, en 1939, atteste que le droit de l'Eglise à
demander l'intervention des nations chrétiennes pour faire cesser les
persécutions et permettre la propagation de la foi était encore
largement partagé à cette date57. L'Eglise s'en tient autour de 1900 à la
position qu'exposera à la veille de la première guerre mondiale le R. P.
Ortolan dans l'article guerre du Dictionnaire de Théologie
Catholique. Il admet que les nations chrétiennes détournent à leur profit
et indûment l'usage du protectorat. «Mais le principe du protectorat
n'en est pas moins légitime en soi.» Si la liberté de commerce donne
le droit d'intervenir, le droit de prêcher l'Evangile, d'origine divine et
non humaine, doit a fortiori être préservé58.

57 On trouvera dans l'ouvrage du R.P. Perbal, polémique et très hostile au


point de vue germanique, un aperçu suggestif de la controverse. R. P. Perbal
o.m.i. Les missionnaires français et le nationalisme, op. cit. Paris, 1939, p. 63-105.
«La pensée des théologiens et de l'Eglise au sujet des interventions politiques
dans la propagation de la foi catholique».
58 D.T.C., VI, 1914, col. 1926.
488 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Abandonner la garantie de la protection européenne, cela


signifiait reconnaître en Asie les autorités politiques et placer les
missions catholiques sous la garde de gouvernements non chrétiens. La
papauté souhaite sincèrement reconnaître la Chine et le Japon mais
elle attend de ses interlocuteurs des signes, des gestes de bonne
volonté qui ne viennent pas ou sont aussitôt remis en cause.
Impuissante à transformer la relation du catholicisme aux cultures et aux
populations autochtones, Rome est réduite à emprunter le chemin
de la diplomatie et à infléchir sa politique en fonction des
circonstances. Le sort subi par les tentatives de relations officielles
avec le Japon illustre l'embarras du Saint-Siège qui se résout
finalement à établir la hiérarchie sans avoir atteint l'objectif initial de la
reconnaissance mutuelle d'Etat à Etat.

La voie étroite japonaise : l'établissement de L· hiérarchie (1891).

Les espoirs soulevés par la lettre remise à l'empereur du Japon


le 12 septembre 1885 avaient été en grande partie déçus par l'accueil
mitigé du gouvernement, manifestement peu pressé de donner suite
aux ouvertures pontificales. L'optimisme des missionnaires,
persuadés que le Japon était sur le point de passer au christianisme n'en
avait pas été entamé. Une visite au Ministre des Affaires Etrangères
suffit à Mgr Osouf, trois mois après la remise de la lettre au Mikado,
pour excuser l'absence de réponse officielle et relancer les
hypothèses les plus favorables59.
Une telle naïveté paraît incompréhensible rétrospectivement.
Elle est pourtant le produit logique d'une conjoncture et d'un mode
de pensée. La quasi liberté de prédication et quelques résultats
positifs faisaient entrevoir des conversions en masse. Surtout les
missionnaires et la Curie appliquaient mécaniquement aux élites
japonaises le lien qu'ils estimaient automatique entre civilisation et
religion. Et la congrégation des Affaires ecclésiastiques reprenait à son
compte les propos de Mgr Osouf dans le rapport présenté à la
commission des cardinaux : «Le Saint Père peut compter d'ailleurs
sur les meilleures dispositions du Gouvernement du Mikado
adoptant la civilisation européenne, il est par là même tout disposé à
adopter aussi ce qui a été la source de cette civilisation. Ce sont là
les paroles du Ministre (des Affaires étrangères)»60.

59 A.A.E.E. Francia fase. 403, pos. 760, f. 13v-15r, lettre de Mgr Osouf au
Secrétaire d'Etat sur une nouvelle visite au Ministre des Affaires Etrangères. Tokyo,
23 décembre 1885.
60 Ibid., lettre citée du 23 décembre 1885.
LA FIN DU RÊVE? 489

Dès lors la Propagande et la Secrétairerie d'Etat ne semblent


plus s'interroger sur la capacité du gouvernement japonais à faire
entrer le pays dans le concert des Etats modernes, ni mettre en
doute la sincérité d'une démarche que guide la volonté
d'indépendance nationale plus que des motivations religieuses. Les deux
instances de la Curie conjuguent leurs efforts, persuadées d'obtenir,
avec les relations diplomatiques, la liberté religieuse. Mais la lenteur
avec laquelle s'engagent les pourparlers ramène à une vue plus
réaliste de la situation.
En mai 1884, le nonce de Vienne doit passer par... le ministre de
Perse pour entrer en relation avec le marquis Saionzi,
théoriquement chargé de mission auprès du Saint-Siège. Or Saionzi est
rappelé pour d'importantes communications «di viva voce»61. Un an après
la remise de la lettre, le Mikado n'a toujours pas répondu au pape et
Mgr Osouf est obligé de constater «le long silence qui se fait entre la
remise à l'Empereur de la lettre de Sa Sainteté et l'envoi de la
Réponse de Sa Majesté.» Il peut cependant annoncer le départ de
Saionzi pour Paris, avec le titre de Ministre et une lettre destinée à
Léon XIII. Le vicaire apostolique ne doute pas que «la mission
délicate» dont on parle consiste dans «la question des relations futures
entre le Saint-Siège et le Japon»62. Il faudra encore une année avant
que Saionzi, installé à l'hôtel du Quirinal, informe le Secrétaire
d'Etat de sa présence (24 novembre 1887) et communique la lettre du
Mikado. Reçu par le Secrétaire d'Etat le dimanche 27 novembre,
décoré de la grand Croix de l'Ordre de Pie IX le 4 décembre, Saionzi
quitte Rome sans que les négociations en vue d'instaurer des
relations diplomatiques aient véritablement commencé63.
Pourquoi ces atermoiements qui déconcertent Mgr Osouf
comme les instances romaines? La situation intérieure japonaise
pèse sans aucun doute fortement pour inciter le gouvernement à
avancer avec d'infinies précautions. Le 1er février 1888 le Ministre
des Affaires Etrangères Okuma Shigenobu est victime d'un attentat
à la bombe et doit subir l'amputation d'une jambe. Plus grave, un
puissant mouvement nationaliste se développe au nom de la défense
des traditions japonaises. «Les champions... furent Tanaka Fujima-
ro, Kato Hiroyuki, le savant d'Izushi et surtout le professuer Fukuza-
wa Yukichi. Ce dernier se fit remarquer par son ouvrage Sonno Ron
(Dissertation sur le Respect de l'Empereur) dans lequel il attaqua
avec une verve féconde les doctrines chrétiennes. Afin de faire
revivre le vieil esprit y amato, les nationalistes fondèrent en 1890 la So-

61 A.S.S. 1887, rub. 244, f. 15-16, Vienne, 4 mai 1886.


62 Ibid. f. 17-18. Tokyo, 27 octobre 1886.
63 Ibid. f. 31 à 49. Passim.
490 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

ciété de la Grande justice japonaise et la Société de l'Enseignement


des huit grandes Iles. Une trentaine de livres et plus de deux cents
articles furent écrits, pour étayer les attaques contre le Christia-
nisme» 64
Mais le dialogue, au Japon comme en Chine, nous semble aussi
rendu difficile par les différences d'approche. Le Japon obéit à une
logique strictement étatique de modernisation et de sécularisation
partielle dans laquelle la reconnaissance du Saint-Siège constitue
une affaire mineure du point de vue de la politique intérieure. Quel
intérêt a-t-il à mécontenter les défenseurs de la tradition et à
exacerber les tensions xénophobes? Les avantages en politique extérieure
ne sont guère plus sensibles. Pourquoi compliquer la délicate et
interminable révision des traités avec les puissanes étrangères, et
notamment irriter la France dont le protectorat symbolique ne menace
pas l'indépendance japonaise? D'ailleurs les missionnaires
détiendront toujours des passeports français après l'ouverture de relations
diplomatiques avec le Saint-Siège. Les termes soigneusement pesés
de la réponse de Mitsuhito à Léon XIII résument en novembre 1887
le compromis par lequel le Japon entend régler ses relations avec la
papauté.
«Nous la (Votre Sainteté) prions d'être convaincue que tous nos
efforts ont constamment pour but de rendre le peuple, dont les
destinées Nous sont confiées, de plus en plus digne d'occuper sa place dans
la grande famille des nations.
Nous n'hésitons donc nullement à Nous associer aux désirs
exprimés par Votre Sainteté, en Lui donnant l'assurance que ceux de nos
sujets qui auront embrassé la religion catholique seront également
l'objet de Notre protection et jouiront de tous les droits et toutes les
libertés, conformément aux lois organiques de Notre Empire...
Nous verrons avec plaisir que le chef de Votre Eglise dans Notre
Pays s'adresse directement à Notre Ministre des Affaires Etrangères,
toutes les fois qu'il y aura une communication à Nous faire de votre
part, ou un arrangement à faire avec Nous»65.
De son côté la papauté persiste à imaginer une conversion
prochaine, grâce à un mouvement de masse que favoriserait le
gouvernement, et elle surestime l'importance que peut accorder Tokyo à
une reconnaissance mutuelle. La lettre ne comporte portant pas les
engagements souhaités à Rome. La promesse de liberté pour les
missions est formulée conformément au droit commun et avec la
volonté de respecter les coutumes nationales; les relations directes
avec les représentants de l'Eglise, sans intermédiaire, n'impliquent
pas la reconnaissance de l'Etat du Saint-Siège par le Japon.

64 J. L. Van Hecken. Un siècle de vie catholique op. cit. p. 47.


65 A.S.S. 1887, rub. 244, f. 40-42 ν. (traduction française).
LA FIN DU RÊVE? 491

Rome doit donc renoncer à son projet primitif et s'adapter à une


situation dont elle ne maîtrise aucune variable. La voie des relations
diplomatiques se révélant bouchée, un changement de stratégie met
à profit l'ouverture qui conclut la lettre du Mikado et tient compte
des recommandations. L'invitation à passer désormais par le «chef
de Votre Eglise dans Notre pays» décide la papauté à accélérer la
mise en place d'une hiérarchie ordinaire qui facilitera le
fonctionnement du dispositif proposé. La nouvelle orientation est fixée au
congresso de la Propagande le 3 mars 189066. Mgr Osouf est d'abord
surpris par la décision d'ériger la hiérarchie au Japon et s'inquiète
du mécontentement français67. S'il informe le gouvernement
japonais, conformément aux instructions reçues, il ne peut s'empêcher
d'émettre quelques réserves, telle l'impossibilité de choisir des sièges
épiscopaux dans les villes de l'intérieur qui n'ont pas été ouvertes
aux étrangers68.
La papauté prouve alors sa détermination en forçant le passage
vers l'établissement de la hiérachie malgré les réticences du
gouvernement et surtout des missionnaires69. Estimant suffisantes les
assurances du Mikado et de la constitution, la papauté présente
l'établissement de la hiérarchie comme «un présent papal» (il donne aux
évêques du pays «les titres que portent ordinairement les évêques
dans les pays civilisés»), mais, en l'absence d'un concordat avec le
Japon, une présent accordé en toute liberté, qui n'implique aucune
négociation officielle70. Léon XIII exprime dans le Bref daté du 15
juin 1891, sur un ton mesuré, le sens de cette décision : «Comme,
grâce à l'humanité et l'équité de l'Empereur du Japon envers les
maîtres de la religion catholique, l'institution chrétienne jouit d'une
liberté satisfaisante... et que des raisons justes fortifient notre espoir
légitime, nous croyons que le temps est venu d'ériger au Japon la
Hiérarchie sacrée».
Pourtant l'événement n'est pas l'avancée spectaculaire et
triomphale que d'aucuns espéraient. La joie des missionnaires est mêlée
d'inquiétude et Mgr Osouf prend son temps avant de procéder à la
proclamation officielle de l'établissement de la hiérarchie. Il juge
plus convenable d'informer au préalable le nouveau ministre des Af-

66 A.C.P.F. Acta 260 (1890), f. 12-19v. Erection de la hiérarchie catholique au


Japon. 4 mars 1890.
67 A.C.P.F. Cina 1891-1892, vol. 35, f. 8. Osouf au Préfet de la Propagande.
Tokyo, 24 avril 1890.
68 Ibid. f. 10-11. Osouf à Propagande, Tokyo, 1er juillet 1890.
69 Ibid. f. 12 à 28. Passim.
70 Ibid. f. 15-16 ν. Copie d'une lettre d'Osouf au P. Cazenave, Tokyo 24 juillet
1890.
492 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

faires Etrangères. Le ministre, apparemment dérouté, lui demande


quelques explications sur la signification de la mesure pontificale.
Malgré l'absence de réaction défavorable, les nouveaux évêques (un
archevêque à Tokyo, trois évêques à Nagasaki, Osaka, Hakodate)
jugent plus sage «d'éviter tout éclat extérieur» et de célébrer
l'événement dans l'intimité des églises71.
La romanisation et la normalisation ne changeaient donc pas le
caractère étranger du catholicisme au Japon. Quelques jeunes
missionnaires, soucieux d'adapter la mission aux réalités japonaises et à
leur rapide transformation, devaient bientôt entreprendre de
critiquer les modes d'évangélisation. Les conditions d'un tel débat
n'étaient pas encore réunies, laissant sans solution le problème du culte
des Ancêtres Impériaux. L'abstention exigée des catholiques dans les
cérémonies shintoïstes publiques organisées à l'initiative de l'Etat
entretiendra jusqu'en 1933 soupçons et critiques contre les
catholiques72.

7172 P.
Ibid.
Daniee
Osouf,Bertoli.
Tokyo,L'affirmazione
28 septembre del
1891.
cristianesimo in Giappone nel corso
dell'ultimo secolo sotto il profilo storico-giurìdico. Rome, Univ. Urbaniana, 1972,
303 p. (Doctorat en missiologie).
CHAPITRE 16

1891-1903. CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS

1 - Infléchissements et permanences des années 1890.

Les années 1886 à 1891 se sont soldées pour la papauté par


une avancée certaine aux Indes, quelques initiatives inégalement
concluantes en Afrique en vue de «territorialiser les missions» et
les premiers coups d'arrêt en Extrême-Orient. On peut
s'interroger sur l'impact que les révisions apportées à la diplomatie
pontificale en Europe en 1887 ont pu avoir sur la stratégie déployée
outre-mer. Observons seulement que les changements de cap
mis en évidence par les historiens ne modifient pas sur le fond
les orientations missionnaires qui se développent, pour
l'essentiel, dans la longue durée. Les ouvertures en faveur de missions
nationales dans les colonies allemandes se poursuivent bien au-
delà de la nomination de Rampolla comme Secrétaire d'Etat. La
mise en veilleuse des relations diplomatiques avec la Chine est
moins un cadeau à la République française qu'un constat
d'impuissance à faire aboutir provisoirement un projet ambitieux. Au
Japon comme en Afrique, aucun retard n'est apporté à
l'émancipation en douceur du protectorat français et du padroado.
Partout la papauté affirme son autorité avec constance, poursuit la
politique séculaire de la Propagande et cherche à écarter tous
les prétextes dont usent les Etats pour s'immiscer dans la vie
des missions.
Plus que dans les relations bilatérales, la clé de la stratégie
pontificale nous paraît, une fois de plus, à chercher dans une
perception globale des grands desseins de Léon XIII. Or les projets
des années 1890 sont centrés sur trois objectifs principaux. La
revendication de la souveraineté temporelle, vigoureusement
rappelée dans la lettre de nomination de Rampolla le 16 juin 1887, reste
un préalable qui tempère l'invitation publique formulée dans une
allocution consistoriale le 23 mai précédent pour mettre fin «au
funeste conflit avec l'Italie.» Cette donnée pèse toujours fortement
sur les relations avec l'Italie, mais aussi avec ses alliés depuis le
renouvellement de la Triplice en février 1887. Jusqu'à sa mort
Léon XIII répète qu'en détruisant le pouvoir temporel de la
papauté, on veut l'empêcher d'accomplir sa mission spirituelle, univer-
494 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

selle et divine1. Les espoirs placés dans la médiation des Carolines


pour faire admettre sur la scène internationale la nature spéciale
de la souveraineté pontificale n'ont pas été confirmés. Mais de
modestes médiations entre le Portugal et la Belgique pour les
frontières du Congo (1892) ou entre Haïti et Saint Domingue
(1895) témoignent que Léon XIII ne renonce pas.
Si la question romaine continue ainsi de cimenter l'unité des
fidèles autour de l'auguste prisonnier, Léon XIII reste surtout
préoccupé par l'avenir du catholicisme. A partir de 1893 la réunion des
chrétiens orientaux s'affirme publiquement comme la nouvelle
utopie mobilisatrice du pontificat. Nous avons noté comment la
nomination de Mgr Ciasca au secrétariat de la Propagande concrétisait en
1893 cette stratégie orientale. Cependant l'intérêt de Léon XIII pour
les missions chez les infidèles ne faiblit pas, que ce soit en Afrique
avec le patronage de la croisade antiesclavagiste, aux Indes avec
l'exhortation à la formation d'un clergé indigène nombreux et de qualité
(Ad extremas, 1893), en Chine avec la reprise cyclique de
négociations discontinues et aléatoires. Les difficultés croissantes
rencontrées en Europe par la diplomatie pontificale ne doivent pas
donner une image excessivement négative de la fin du pontificat.
Ainsi le 20 mai 1899 Léon XIII siège entouré des cardinaux Le-
dochowski, Rampolla, V. Vannutelli, Vaughan, Satolli, Ferrata et
Segna2. La séance est consacrée à l'examen de diverses questions
orientales. Mais la focalisation sur les orientaux ne fait pas oublier
les autres régions de la catholicité. Après avoir réglé les affaires
d'Orient, Léon XIII invite le préfet de la Propagande à donner quelques
nouvelles «sul progresso del cattolicismo nell'Africa.» Le tableau
tracé par Ledochowski est de nature à apporter les «vraies
consolations» qu'il estime caractériser les missions africaines. Progrès
spectaculaires dans les vicariats des pères Blancs, promesse d'un
mouvement de conversion massif en Unyanembe après le baptême d'un
chef de tribu, zèle édifiant des pères de Mill-Hill dans le Haut Nil,
développement rapide du Zanguebar méridional affilié aux
bénédictins allemands... tout concourt à la représentation d'un élan collectif
qui promet une moisson abondante grâce aux efforts conjugués des

1 Cf. la Lettre sur les devoirs des catholiques, 19 mars 1902, Lettres
apostoliques, T. VII, p. 133-134.
2 Sacra Congregazione per la Chiesa orientale. Verbali delle conferenze
patriarcali sullo stato delle chiese orientali e delle adunanze della commissione
cardinalizia per promuovere la riunione delle chiese dissidenti tenute alla presenza del
S.P. Leone XIII (1894-1902). Con note e appendice di documenti. Pro manuscrip-
to. Tipografia poliglotta Vaticana, 1945.
Nous citons ici la réunion XXVI du 20 mai 1899, p. 276-289.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 495

missionnaires de toutes nationalités. La seule ombre au tableau,


toute relative d'ailleurs, est apportée par Rampolla qui évoque le dur
combat des missionnaires pour devancer l'islamisme. Puis le pape
aborde la situation en Chine et l'heureuse nouvelle d'un décret
impérial obtenu par Mgr Favier en faveur de l'Eglise catholique. Ledo-
chowski estime que la situation ne permet pas encore d'envisager
l'établissement de la hiérarchie mais obtient l'approbation pontificale
quand il relance l'hypothèse de la nomination de Favier en qualité
de délégué, en attendant la création d'une nonciature. Léon XIII
prête donc jusqu'à la fin de son pontificat une réelle attention au
développement universel du catholicisme. Sans aucun doute, cette
largeur de vues constitue la principale caractéristique de son action.
Elle permet d'exploiter efficacement le système de gouvernement
adopté par la Curie qui prévient tout cloisonnement entre la
Propagande et le Secrétaire d'Etat.

2 -Le ralliement à la République et ses implications outre-mer.


La France occupe plus que jamais à l'heure du ralliement une
place centrale. Les progrès du mouvement missionnaire en
Allemagne ou en Italie sont trop lents pour être immédiatement
productifs. Les difficultés de Leopold II à trouver des missionnaires
exclusivement belges et les faibles potentialités du catholicisme anglais
écartent l'hypothèse d'une aide plus substantielle. Le désintérêt des
américains pour les missions, a fortiori hors de leur territoire3,
démontre que la France demeure la clé de voûte du système
missionnaire. Après l'appel de Léon XIII aux évêques de Prusse, pour qu'ils
s'efforcent d'amplifier l'engagement missionnaire allemand, c'est au
tour des français d'entendre célébrer par le souverain pontife, dans
la décennie 1890, leurs mérites et leurs vertus.
La politique d'apaisement permet ainsi de mener de front le
ralliement des catholiques au régime et la mobilisation missionnaire.
En garantissant la place des catholiques dans la République, la
papauté assure les bases de l'expansion missionnaire quant au
recrutement du personnel et la collecte des subsides. En améliorant les
relations d'Etat à Etat, le Saint-Siège souhaite créer les conditions
favorables à une décrispation de la position française sur la question
du protectorat. Préméditée ou improvisée en fonction de l'évolution
des relations internationales, la politique «francophile» engagée à la
fin des années 1880 peut espérer gagner sur les deux tableaux, celui
du statut de l'Eglise de France et celui de l'expansion catholique
dans le monde. Elle paraît obéir à une vision réaliste de l'état des
forces catholiques.

3 Ibid. p. 288.
496 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

Terrain d'entente ou monnaie d'échange, la mission extérieure


se trouve donc, plus que jamais, à la convergence des intérêts
nationaux de la France et des desseins internationaux de la papauté. Le
rapport établi par l'ambassade de France pour le président du
Conseil plaide ardemment afin que le gouvernement accorde aux
congrégations missionnaires un traitement particulier4. «Il est facile
de concevoir les bénéfices que notre action dans le monde retire du
concours de ces milliers de missionnaires des deux sexes qui, de
l'avis unanime de nos diplomates, de nos consuls, de nos autorités
militaires, de nos agents coloniaux, et - ce qui n'est pas moins
caractéristique - de nos concurrents, s'emploient avec une ardeur égale à
défendre la cause de la France en même temps que celle de la
Religion»5... Notre véritable armée, la seule sur laquelle nous puissions
compter, c'est donc celle que composent les religieux catholiques 6».
L'opinion défendue par l'ambassade auprès du Saint-Siège n'est
pas isolée et semble être largement partagée au sein des milieux
diplomatiques. Face à la poussée anticléricale de 1901, de nombreuses
voix se font entendre pour soutenir les congrégations missionnaires.
Jules Cambon, alors ambassadeur à Washington, envoie un copieux
rapport destiné à mettre en valeur l'action missionnaire, caritative et
scolaire des religieux français en Amérique. Il déplore que l'opinion
publique soit si mal informée de l'intérêt que présentent ces
congrégations pour l'influence française7. A la même date, le quai d'Orsay
prépare une note pour son représentant à la commission chargée
d'élaborer le règlement d'administration publique pour l'exécution
de la loi sur le contrat d'association:

«Je n'ai pas, Messieurs, à intervenir actuellement dans les


questions que peut soulever l'application de la loi à l'Intérieur de la France
continentale. Le Ministre des Affaires Etrangères se réserve le droit
d'examiner, le moment venu, le texte du règlement projeté au point de
vue des intérêtes spéciaux dont il a la charge.» Et d'insister sur les
risques de la législation projetée pour «notre protectorat religieux»
qui représente «des moyens d'action que je n'hésite pas à qualifier de
considérables. Tout cela nous coûte une soixantaine de mille francs
par an. Comment remplacer pareille organisation si peu coûteuse?»8

La papauté a donc de bonnes raisons d'escompter que la France

4 A.M.A.E. N.S. St Siège, vol. 18, f. 36 à 58 v. Nisard à M.A.E. Rome, 1er


janvier 1901. Rapport rédigé par de Navenne.
5 Ibid. 44r.
6 Ibid. 49r.
7 A.M.A.E. N.S. St Siège, vol. 19, f. 70 à 92. Jules Cambon à Delcassé.
Washington, 12 juin 1901.
8A.M.A.E. N.S. St Siège, vol. 19, f. 256.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 497

finira pas assouplir sa politique religieuse pour des motifs nationaux


qui devraient faire l'unanimité dans le personnel politique. Jusqu'à
la fin du pontificat, à l'occasion des audiences, Léon XIII, la
Propagande et la Secrétairerie d'Etat mettent en avant cet argument
devant leurs interlocuteurs français. L'exercice est délicat car il leur
faut éviter le détournement des objectifs religieux, préserver les
prérogatives du Saint-Siège et ne pas aviver les critiques des autres
nations contre les privilèges français outre-mer. Chacun à sa manière
excelle dans cet exercice. Le cardinal Ledochowski multiplie les
formules vagues et impersonnelles, souvent assorties de nouvelles
demandes d'intervention du quai d'Orsay en faveur des missions. Mais
chaque fois qu'il en a l'occasion, il englobe la protection française
dans celle, plus générale, de l'ensemble des puissances. Ainsi, en
1894, les représentants diplomatiques à Pékin interviennent contre
le projet chinois de contraindre les étrangers à présenter leur
passeport aux autorités dans chaque ville traversée Le préfet écrit au
Ministre français des Affaires étrangères pour le remercier de ces
attentions9.
Léon XIII s'engage davantage et, à sa façon, enjôleuse et
séductrice, il sait distiller à son interlocuteur les paroles réconfortantes
qu'il attend. Il se montre particulièrement prodigue en
encouragements afin que la France protège activement les missions quand
l'offensive laïcisatrice s'accentue. Il acquiesce en juillet 1896 aux propos
de l'ambassadeur Poubelle qui vante les avantages d'un protecteur
unique pour les missions catholiques10. Mais au même moment
l'ambassadeur se plaint de la mauvaise volonté que Ledochowski
met à exécuter les instructions de Rampolla11. Selon une recette
éprouvée, la division des tâches entre la Propagande et la
Secrétairerie d'Etat permet de faire espérer ce qu'on n'a pas l'intention
d'accorder.
Un an plus tard, Léon XIII feint d'entrer encore plus
complètement dans le jeu diplomatique français après une nouvelle tirade de
Poubelle sur les bonnes dispositions pontificales à l'égard du
protectorat en Chine. «Eh sans doute! a répondu le Saint Père. Nous
sommes attachés fermement au protectorat de la France et vous
pouvez l'assurer à votre gouvernement, c'est l'évidence et il ne peut
en être autrement.
Comment pourrions-nous faire fond sur l'Allemagne, le pays de
Luther!»12.
Les bonnes dispositions pontificales sont donc confirmées mais

9 A.M.A.E. Rome, St Siège, vol. 1116, 1894, f. 149r-v. Rome, 4 mai 1894.
10 A.M.A.E. St Siège N.S. vol. 28, f. 70-71. Poubelle à M.A.E., Rome, 19 juillet
1897.
11 Ibid. f. 92-94. Rome, 21 septembre 1897.
12 A.M.A.E. N.S. vol. 16, f. 112-115r. Poubelle à Hanotaux, Rome, 8 mars 1898.
498 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

elles sont subordonnées à la conduite de la France et à la situation


internationale. Et le pape, une fois encore, marque nettement ses
distances face aux traités franco-chinois. Il laisse la France assurer
seule ses devoirs, quitte à lui reprocher sa mollesse.
Jusqu'à la fin du pontificat, Léon XIII renouvelle ses appels à
une collaboration qui sert les intérêts des deux parties, par exemple
à Nisard, en juillet 189913, en octobre14 ou en novembre 190015. La
douleur causée au pape par le vote de la loi sur les associations qui
constitue «le démenti le plus cruel infligé à l'action personnelle de
Léon XIII» n'est pas simulée. «Le Saint-Père a été atteint au cœur»
m'a-t-il dit en faisant le geste de frapper sa poitrine. «C'est une
blessure qui ne fera que s'aggraver»16.
Rétrospectivement il est aisé de critiquer les illusions
entretenues par le Saint-Siège envers la France, alors que les mesures de
laïcisation et les résultats électoraux infirmaient les pronostics. C'est
oublier que la radicalisation laïque était mal comprise par un
catholicisme intransigeant, convaincu que la logique séculière était
suicidaire et serait tôt ou tard abandonnée. D'ailleurs les prévisions très
pessimistes au temps du nonce Czacki, lorsqu'en 1886 certains
informateurs considéraient inéluctable la séparation de l'Eglise et de
l'Etat et l'envisageaient sans déplaisir, n'avaient pas été confirmées par
les événements17. C'est aussi sous-estimer l'importance accordée par
Léon XIII aux fronts missionnaires extra-européens et l'intérêt qu'il
y avait à fortifier le catholicisme français, d'autant qu'aucun appui
financier ou humain comparable n'était encore disponible.
On peut aussi s'interroger sur le prix payé par l'indépendance
des missions à la politique de conciliation. Les comptes rendus
diplomatiques français semblent indiquer une collusion et une
confusion croissante du politique et du religieux. Cette impression doit
pourtant être corrigée. Tous ces propos conservent un caractère
privé et ne sont accompagnés d'aucune concession pratique à
l'indépendance du Saint-Siège et des missions. Tout au plus peut-on
observer que Léon XIII et son entourage surestimaient la portée
d'une argumentation centrée sur les missions, efficace auprès des
diplomates (les marges des rapports sont cochées au crayon en face
des paroles de Léon XIII favorables au protectorat), mais pas auprès
des parlementaires absorbés par les querelles hexagonales.

13 Ibid. f. 258-263V. Nisard à Delcassé, Rome, 5 juillet 1899.


14 Ibid. f. 275-278. Nisard à Delcassé, Rome, 21 octobre 1900.
15 Ibid. f. 295r. Nisard à Delcassé, Rome, 10 novembre 1900.
16 A.M.A.E. St Siège, vol. 19, f. 14-18. Nisard à Delcassé, Rome, 10 avril 1901.
17A.A.E.E. Francia, pos. 762, fase. 403, f. 33-41. Annexé à deux lettres de
Czacki à L. Jacobini, mémoire du baron de Mackau sur les affaires politico-
religieuses de France, s. d., remis en mai 1886.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 499

3 - La lutte feutrée et stérile contre le protectorat français en Chine.


L'amertume ressentie par Léon XIII en 1886, après la
suspension des négociations pour l'ouverture de relations diplomatiques,
ne signifiait pas qu'il renonçait à son projet. La crise de 1886 a
cependant établi qu'aucune avancée ne serait possible en Chine sans
tenir compte de la France et de l'importance qu'attachaient les chefs
de mission à la garantie de leur sécurité. Atteindre l'objectif en
contournant ces deux obstacles, telle est l'ambition poursuivie avec
ténacité par la Propagande et la Secrétairerie d'Etat.
Dans l'immédiat le gouvernement français croit avoir gagné la
partie contre le Saint-Siège quand une série d'interventions semble
reconnaître publiquement les droits revendiqués par la France. Le
premier document prend la forme d'une circulaire du préfet Simeo-
ni connue par ses premiers mots, Aspera conditio (22 mai 1888):
«On sait que depuis des siècles le protectorat de la nation
française a été établi dans les pays d'Orient et qu'il a été confirmé par des
traités conclus entre les gouvernements. Aussi l'on ne doit faire à cet
égard absolument aucune innovation : la protection de cette nation,
partout où elle est en vigueur, doit être religieusement maintenue, et
les missionnaires doivent en être informés, afin que, s'ils ont besoin
d'aide, ils recourent aux conseils et aux agents de la nation française.
De même, dans ces lieux de mission où le protectorat de la nation
autrichienne a été mis en vigueur, il faut le maintenir sans
changement»18.
Cinq mois plus tard, Léon XIII apportait sa caution personnelle
dans une lettre au cardinal Langénieux le 20 août 1888 :
«La France a en Orient une mission à part que la Providence lui a
confiée : noble mission qui a été consacrée non seulement par une
pratique séculaire, mais aussi par des traités internationaux, ainsi que
l'a reconnu de nos jours notre Congrégation de la Propagande, par sa
déclaration du 22 mai 1888. Le Saint-Siège, en effet, ne veut en rien
toucher au glorieux patrimoine que la France a reçu de ses ancêtres et
qu'elle entend, sans nul doute, mériter de conserver, en se montrant à
la hauteur de la tâche»19.
Une lecture attentive incite à pondérer l'enthousiasme du
gouvernement. Pas plus que les déclarations précédentes, ces prises de
position ne constituent une reconnaissance ayant valeur juridique
du point de vue du droit international. Conformément aux
précédentes, elles constatent un état de fait, ne présagent en rien de
l'avenir et ne lient pas le gouvernement de l'Eglise aux conventions
passées par la France. Le domaine géographique n'est toujours pas

18 Cité dans la Documentation catholique, 1933, col. 393.


19 Cité dans Lettres apostoliques, vol. VII, p. 170.
500 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

défini, et surtout les droits français, acquis par «des traités


internationaux» que n'a pas signés le Saint-Siège, sont provisoires. En
effet leur valeur est subordonnée à l'aptitude française à être «à la
hauteur de sa tâche» et ils cœxistent avec les droits qu'a acquis
l'Autriche dans l'Empire ottoman. L'éventualité d'une extinction par
déshérence ou par inaction des héritiers, comme celle d'une
extension à d'autres nations, confère au protectorat une valeur très
relative. Pour éviter l'affrontement, le Saint-Siège s'engage en réalité
dans une politique de contoumement des positions acquises par la
France et recherche dans ce but la diversification des protectorats.
Cette réorientation de la diplomatie exclut néanmoins tout
rapprochement avec l'Italie. Rome s'oppose fermement à l'application
de l'accord du 19 novembre 1888 entre la légation italienne et le
gouvernement chinois, accord qui reconnaît comme missionnaires
italiens (et non plus français) les vicaires apostoliques du Chansi, du
Chantong septentrional, du Chensi, des Hunan septentrio-méridio-
nal et méridional, des Hupeï septentrional, oriental et méridional et
du Kuang-tong, soit le personnel des dix vicariats confiés à des
italiens. Des instructions sont aussitôt envoyés aux vicaires
apostoliques pour ne pas répondre à la légation italienne20. Les chefs de
mission, fils soumis, se plient alors à la volonté romaine,
compensant par des proclamations de foi intransigeante et ultramontaine
l'amertume née de l'obligation de conserver des passeports
français21.
Toute cette affaire est suivie personnellement par Léon XIII qui
se fait remettre le rapport de Tagliabue et y puise peut-être des
raisons supplémentaires de conserver le statu quo. Le prélat se livrait à
une attaque en règle contre le gouvernement chinois et l'envoi d'un
légat pontifical à Pékin22. Cependant d'autres échos, beaucoup plus
critiques à l'égard du protectorat français, continuaient aussi
d'arriver à Rome. L'impasse semblait totale, à moins d'internationaliser la
protection des missions.

20 Ibid. 1890, f. 149; 10 mars. Au V. ap. du Hupe oriental. Transmettre la


décision de ne pas répondre aux autres vicaires apostoliques italiens franciscains.
f. 149 (10 mars) et f. 150 (11 mars) : mêmes instructions au V. ap. du Hunan
septentrional et du Chensi méridional.
21 A.C.P.F. Cina, 1890, vol. 34, f. 32§-327. Copie de la lettre de Mgr Scarella
au Chargé d'affaires italien à Pékin, 12 mai 1890. Cette profession de foi n'en est
pas moins en contradiction avec l'instruction du 10 mars de ne pas répondre...
Commentaire et citations plus larges in D. Cannone, L'evangelizzazione... del Ho-
nan op. cit., p. 102-103.
22 Cf. la critique du rapport par L. Wei, Le Saint-Siège, la France et la Chine...
op. cit. p. 77-80. Mais il se fonde sur la version remaniée donnée par Thomas
(alias le père Jean-Marie Planchet) dans Histoire de la Mission de Pékin, non sur
l'original.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 501

La présence de missionnaires belges offre dans ces conditions


une première opportunité. Après le redécoupage des territoires en
1883, les missionnaires du Cœur-Immaculée de Marie, ou Scheu-
tistes, se trouvent à la tête de quatre vicariats en Mandchourie et au
Kan-sou, et depuis 1888 d'une préfecture apostolique (I-li). Les
franciscains belges administrent de leur côté, depuis 1870, le vicariat du
Hupé-occido-méridional. Au total les deux congrégations
entretiennent près de cent-trente missionnaires en 1901, ce qui place les
belges au troisième rang des nationalités. L'utilité de cette présence
missionnaire n'avait évidemment pas échappé au gouvernement de
Bruxelles qui avait signé avec la Chine un traité calqué sur les
conventions franco-chinoises (le 2 novembre 1865). L'article 10
prévoyait la délivrance de passeports et l'article 15 la liberté et la
sécurité pour les missionnaires et les néophytes23. Mais la possibilité de
recourir à des passeports belges ne fut pas utilisée par les
missionnaires qui conservèrent l'usage du passeport français. De la sorte,
après «le massacre de Tien-Tsin» de juin 1870 où avaient péri deux
religieuses belges, le Ministre de France à Pékin assura la défense
des intérêts belges, sollicitant, sans y parvenir, une démarche écrite
des scheutistes pour qu'ils se placent officiellement sous la
protection française.
Cette ambiguïté initiale subsiste durant tout le pontificat de
Léon XIII. Les missionnaires belges, sans y être contraints (le
gouvernement chinois ne souhaitait pas mieux que de viser des
passeports belges) recourent dans la pratique à la protection française,
bien que celle-ci ne repose sur aucun traité en ce qui les concerne et
soit l'objet de critiques récurrentes des représentants de Bruxelles.
La diplomatie belge est paralysée par sa volonté de se tenir en
dehors des rivalités internationales, puis de la Triplice, et par le désir
de ne pas mécontenter la France. Les nombreuses critiques
adressées par le Ministre belge à Pékin restent ainsi sans effet, d'autant
que ce dernier conteste le protectorat mais est généralement le
premier à prôner le statu quo. L'inaction gouvernementale n'est
cependant pas seule en cause. Elle est d'autant plus aisément tolérée par
les missionnaires que ceux-ci sont dans leur grande majorité
partisans de la France. Le grand ouvrage polémique de leur confrère
scheutiste Kervyn, publié par l'imprimerie de la procure des M.E.P.
à Hong-Kong, ne fera qu'enregistrer en 1911 cette opinion24. Il est
vrai que les missionnaires belges se trouvent particulièrement expo-

23 Cité p. 267 par A. Sohier dans son excellente mise au point : «La
diplomatie belge et la protection des missions en Chine, jusqu'à la séparation de l'Eglise
et de l'Etat en France», NZM, 1967, p. 266-283.
24 R.P. Louis Kervyn, Méthode de l'apostolat moderne en Chine. Hong-Kong,
Imprimerie M.E.P., 1911, 894 p.
502 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

ses aux mouvements nationalistes et xénophobes très puissants dans


le nord de la Chine. Divers troubles en 1891 et 1893 annoncent la
grande révolte des Boxers de 1900 qui coûte la vie à sept scheutistes
et plus de trois mille chrétiens. Dans ces conditions, les essais du
Saint-Siège pour associer le gouvernement belge, et peut-être les
missionnaires scheutistes, à ses efforts d'internationalisation du
protectorat sont voués à l'échec25.
La Société des Missions de Steyl, arrivée en Chine en 1875,
constitue l'unique recours possible. Une mission lui est
officiellement confiée en 1882, puis elle est détachée du Chantong à la fin de
1885 pour former le vicariat du Chantong méridional, avec à sa tête
Mgr Anzer. La nomination du premier vicaire apostolique allemand
en Chine constitue en soi un événement assez banal. Pourtant, dès
leur arrivée, les missionnaires de Steyl avaient été sur le point
d'introduire une innovation de taille. Pourvus, selon la coutume, de
passeports français, ils avaient été pressés par Mgr Raimondi, lors de
leur passage à Hong-kong, de prendre des passeports allemands. Ils
avaient renoncé à recourir à cette procédure mais leurs passeports
arrivaient à échéance à partir de 1888. Or au même moment la
Chine et l'Allemagne préparaient une convention qui excluait
formellement le recours par des citoyens allemands à la France. Le
gouvernement chinois reconnaissait aux allemands détenteurs de
passeport de leur gouvernement, et spécialement aux missionnaires
catholiques, tous les avantages accordés aux détenteurs d'un
passeport français. En plus Pékin s'engageait à ne pas apposer son visa
sur les passeports présentés par des citoyens allemands si les
documents n'avaient pas été délivrés par l'Allemagne26. Cet accord forçait
la main des missionnaires de Steyl, à vrai dire tout disposés à
adopter cette procédure.
Les travaux de Karl J. Rivinius ont établi comment Mgr Anzer se
décida à accepter les passeports et la protection allemande en juin
1890, après que le supérieur général, Mgr Janssen, eut consulté
l'autorité romaine. De fait le Saint-Siège, malgré un certain embarras
initial27, saisit l'occasion de contourner le protectorat français sans
paraître y toucher. Officiellement la Propagande demandait au père
Janssens de ne pas changer le statu quo en ce qui concerne le projet
de protectorat allemand sur les missions du Chantong méridional28.
Pratiquement, la papauté décidait de laisser les missionnaires alle-

25 A. Sohier, «La Belgique et...» op. cit. p. 268.


26 A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 4, f. 20.
27A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 4, f. 22, 30 novembre 1888.
28 A.C.P.F. Cina, 1890, f. 434, 23 juin.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 503

mands prendre les passeports de leur choix, et se tourner en cas de


besoin vers la Légation allemande ou française29.
Conscient des risques courus, le Secrétaire d'Etat insistait sur la
nécessité d'éviter de lier les missions dans les colonies allemandes et
la «très délicate question du protectorat des missionnaires en
Chine». Mgr Agliardi, nonce à Munich, reçut de son côté la visite de
Brandt, le ministre d'Allemagne à Pékin, le 20 juin 1889. Le feu vert
avait été donné par la Propagande aux pères de Steyl pour se placer
sous la protection de leur gouvernement. Au terme de ces contacts,
Léon XIII se prononce, après avoir entendu le Secrétaire d'Etat et le
préfet de la Propagande. Il signifie au père Janssen que, suite au
traité germano-chinois, les missionnaires allemands peuvent
prendre des passeports allemands et recourir en cas de besoin au
ministre allemand demeurant à Pékin.
Après une période assez confuse30 s'instaure de fait un
protectorat allemand qui en principe ne concurrence pas celui de la France
mais s'y ajoute, pour les seuls citoyens allemands. La France
renonce assez vite à combattre cette combinaison, se contentant de
l'assurance formelle que les missionnaires de Steyl peuvent aussi
recourir à la France, comme par le passé. Le petit nombre de sujets
allemands explique peut-être cette modération. D'autre part cette
concession limitée laisse à Paris les mains libres pour combattre la
tentative, autrement plus dangereuse, des missionnaires espagnols
et italiens d'imiter leurs confrères germaniques.

De l'internationalisation à la mise en cause du protectorat


français dans les milieux missionnaires.
L'impuissance à sortir de la logique du protectorat qu'il soit
unique ou collectif, exclusif ou associé à une représentation
diplomatique pontificale, conduit dans les années 1890 à des crises
dramatiques dont la presse missionnaire se fait largement l'écho.
Insensiblement ces événements font avancer la contestation du
protectorat français parmi les chefs de mission.
Dans un premier temps la nouvelle situation renforce le courant
de ceux qui contestent le plus volontiers le monopole français :
espagnols31 et italiens d'abord; mais ils commencent à recevoir le
renfort inattendu de certains lazaristes. La mort de Mgr Tagliabue, le 13

29 A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 4, f. 47 : copie de la lettre du cardinal Simeoni à


Mgr Anzer (29 octobre 1889). Maintien du statu quo confirmé par le Secrétaire
d'Etat à la Propagande en mai 1890 (f. 78-79).
30 L'ambassade de France près le Saint-Siège signale encore le 5 mai 1890
que le Tsong-li yamen a visé sept passeports délivrés par la légation française à de
nouveaux missionnaires allemands, dont six prussiens.
31 Ibid. f. 40, 43 (1889).
504 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

mars 1890, permet à la Propagande de nommer à l'unanimité le père


Jean-Baptiste Sarthou vicaire apostolique de Pékin32. Ce dernier ne
tarde pas à prendre ses distances avec les positions défendues par
son prédécesseur, ou du moins celles qui lui étaient prêtées. Il
envoie le 6 février 1891 une note au cardinal Simeoni sur les affaires
politico-religieuses de Pékin dans laquelle s'affirme une perception
critique de la situation missionnaire. Il constate notamment que
toutes les puissances s'accordent pour trouver périmé le protectorat
français; ces divisions font la joie des chinois. Pour sa part il porte
un jugement positif sur le protectorat allemand33. Une remarque
anecdotique révèle peu après qu'il a conscience de l'ambiguïté
fondamentale de la présence étrangère. Dans une note consacrée à un
projet d'hôpital destiné à «attirer les chinois», il ajoute : «Les chinois
ont une certaine terreur des ports de mer surtout pour les femmes et
les enfants. Ils s'imaginent qu'on les embarque pour les envoyer en
Europe au profit quelconque de ceux qui les expédient»34.
Le père Favier, bien qu'écarté de la terne des candidats à la
succession de Tagliabue, conserve une forte position personnelle auprès
des autorités chinoises et dans la congrégation. Son opinion compte
donc toujours, malgré son modeste titre de vicaire général. Par ses
multiples et abondants rapports adressés à Rome, il tente d'ailleurs
de s'imposer comme interlocuteur privilégié de la Curie. Or son
point de vue sur le protectorat rejoint et amplifie celui exprimé par
son évêque : «Je connais les idées du gouvernement chinois au sujet
du protectorat, ce malheureux protectorat que s'arrachent les
différentes nations est maintenant regardé par les chinois comme un
moyen politique d'agir sur la Chine, aussi ne le reconnaissent-ils
plus qu'en théorie»35.
La conjoncture paraît donc enfin favorable pour que la papauté
ne se contente pas d'internationaliser la protection et sorte les
missions du système du protectorat. Rome n'a pourtant pas la liberté
d'action et la détermination suffisante pour trancher dans le vif. La
crainte des réactions françaises et le souci d'avancer avec le
consentement de la France interdisent de mettre en cause publiquement le

32 A.C.P.F. Acta (1890), f. 44-46,12 mai 1890. La terne est constituée par : 1.
J.B. Sarthou, né en 1840, lazariste, professeur au séminaire de La Rochelle,
envoyé en Chine en 1870, vicaire apostolique du Tcheli (ou Pe-Techeli) oriental
depuis 1885, recommandé comme successeur par Tagliabue. 2. Auguste Coqset, vie.
ap. du Kiang-si. 3. Claude Guilloux, missionnaire en Chine depuis 1885.
L'absence de Favier semble voulue par le supérieur général Fiat (c'est ce que Favier
insinuera) mais Rome n'y est peut-être pas étrangère.
33 A.C.P.F. S.C. Cina, vol. 35, 1891-1892, f. 122-124. Sarthou à Propagande,
Pékin, 6 février 1891.
34 Ibid. f. 164.
35A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 4, f. 111-115. Favier, Pékin, 25 août 1890.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 505

protectorat. La voie de la négociation directe et secrète avec le


gouvernement chinois est donc à nouveau empruntée, en utilisant
essentiellement les services de Mgr Anzer. L'objectif est double. Il vise
prioritairement l'établissement de la hiérarchie ordinaire mais
s'efforce aussi de trouver un compromis sur la question du représentant
du Saint-Siège : l'évêque de Pékin deviendrait le représentant de
Rome, sans que l'on ait à entrer dans l'inextricable question du
statut diplomatique.
La nouvelle tentative ne réussit pas mieux que la précédente.
Elle se heurte à l'incompréhension des chinois qui semblent subir
l'influence de Favier. Ce dernier espérait manifestement que
l'érection de la hiérarchie coïnciderait avec sa nomination à l'évêché de
Pékin... Cette situation locale embrouillée complique
singulièrement le travail de la papauté qui ne sait pas quel crédit accorder à
Favier et reçoit des informations vagues, parfois divergentes36. La
Curie choisit de faire appel aux services de Mgr Anzer par lequel
passent les principales intitiatives. Mais le vicaire apostolique du
Chantong n'est pas à Pékin, il est isolé, bientôt contesté dans son
propre vicariat pour son administration et son comportement. Sa
médiation se révèle inefficace.
Peut-être parce que ses repères sont constamment brouillés,
sûrement parce qu'elle attend vainement des garanties solides pour la
sécurité des missions, la stratégie romaine manque singulièrement
de clarté et demeure paralysée par les habituels dilemmes.
Comment traiter directement avec la Chine sans affronter la France,
alors que la suppression du protectorat des puissances est une
condition préalable à un accord? Comment abandonner le
protectorat alors que le même Favier ajoute aussitôt: «Tant que l'Empereur
n'aura pas déclaré sua sponte que la religion catholique est reconnue
et admise également pour tout l'Empire, on ne peut pas espérer la
paix et la tranquillité pour les missions»37? La Curie alimente par ses
hésitations l'indécision symétrique d'un gouvernement chinois dont
beaucoup d'européens mettent en doute l'autorité réelle dans le
pays.
Une lettre du vice-Roi Li-Hong-Chang, adressée à Léon XIII le
15 août 1890, relance la négociation. Prenant prétexte de la mort de
Mgr Tagliabue et la nomination de Sarthou, elle manifeste aussi la
déception du gouvernement chinois qui s'attendait à voir Favier
promu vicaire apostolique de Pékin. Le vice-roi constate qu'à sa place
on a préféré un évêque «inconnu du gouvernement», ce qui ne

36 Ibid. f. 114.
37 A.SS. 1900, rub. 242, fase. 5, f. 8v. Relation de Favier, Pékin, 24 juin 1891
(f. 3r-9r).
506 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

contribuera pas à promouvoir les intérêts de l'Eglise en Chine, et


suggère que cette maladresse aurait été évitée si Rome avait consulté
le gouvernement chinois. Fait significatif, la lettre est confiée par le
Vice-Roi à Mgr Anzer, auquel Rampolla confie peu après le soin de
reprendre les discussions. Elles s'enlisent à nouveau, d'autant qu'en
août 1891 les agences de presse annoncent à Londres, Berlin, Rome
que Mgr Anzer est chargé de mission pour ériger la hiérarchie et
ouvrir une nonciature38. Aussitôt le nonce de Paris informe que le
gouvernement français s'oppose à l'établissement de la hiérarchie39.
Mgr Anzer et Favier compromis, on caresse un moment le projet
d'envoyer en mission extraordinaire et secrète Mgr Carlassare,
vicaire apostolique franciscain et italien du Hu-pe oriental, qui se
trouve à Rome40. Mais pour ne pas heurter la France, cet envoyé
n'aura pas de caractère diplomatique, ni mission permanente. Il
sera, sur le modèle des Indes, le représentant de la Propagande pour
«conforter et diriger les Vicaires apostoliques»41. Malgré tant de
circonspection, l'hostilité de Paris à tout délégué apostolique fait
renoncer à cette solution. Pendant deux années encore un semblant de
négociations se poursuit42. Elles se heurtent toujours au refus
chinois de donner au préalable des garanties pour la protection des
missions43.
En fait, tout est bloqué, chacun restant sur ses positions. La
papauté, prisonnière des puissances, sceptique quant à la
représentativité de ses interlocuteurs chinois, méfiante devant les promesses
verbales de protection autochtone, mal assurée de ses médiateurs
qui ne dissimulent pas leurs ambitions44, ne veut pas rompre les
négociations mais ne peut plus faire de nouvelle proposition. L'exacer-
bation du mouvement nationaliste et les flambées successives de
violence contre les chrétientés achèvent d'interrompre un processus
de négociation qui n'a jamais été franchement entamé.

38 Ibid. f. 101-108. «Emotion soulevée à Paris par ces nouvelles».


39 A.S.S. 1900 rub. 242, fase. 6 passim (n° 5, 6B, 12, 14 etc.).
40 Ibid. fase. 5, f. 29-30 Mgr Epifanio Carlassare séjourne à Rome, 12 octobre
1891.
Ibid. fase. 6, n° 7, 8 octobre. On écrit au Préfet de la Propagande afin qu'il
notifie à Mgr Carlassare de se tenir à Rome à la disposition du Saint-Père.
41 A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 5, f. 21-24v.
42 A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 6, f. 2 à 10; Lettre de Li Hung Chang, grand
Secrétaire d'Etat, Vice-Roi du Tcheli au Cardinal Rampolla. Tien-Tsin, 1er octobre
1892.
43 Ibid. f. 11-12. Riservato. Rampolla à Ledochowski, 6 décembre 1892.
44 Ibid. Favier craint que le retard à l'érection de la hiérarchie vienne des
pressions du vice-roi pour que lui-même soit nommé archevêque de Pékin et de
l'hostilité française. Il n'y est pour rien et veut seulement utiliser «l'affection que
me portent les Chinois et l'influence que les circonstances m'ont fait prendre
pour eux».
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 507

De 1894 à 1897 les missions catholiques de Chine reviennent à la


pratique des protectorats et des politiques de contrainte. Le cycle
des persécutions-dédommagements reprend de plus belle, creusant
un peu plus le fossé entre les catholiques et les chinois. Le nonce de
Vienne suggère en 1894 à l'ambassadeur du Japon que Tokyo profite
de sa victoire militaire pour imposer à la Chine un traité
garantissant la liberté religieuse en termes moins équivoques et restrictifs
que le traité de Tien-Tsin avec la France. D'abord enthousiaste,
l'ambassadeur se ravise et envisage une démarche commune du Japon et
des puissances européennes45. Favier poursuit activement
l'obtention de décrets de protection pour les catholiques, et obtient
finalement des engagements qui n'ont aucune efficacité dans les
provinces. Quant à Mgr Anzer, il persiste à proposer l'envoi d'un
délégué apostolique revêtu du caractère diplomatique46, d'autant qu'il
commence à expérimenter l'inefficacité du protectorat allemand sur
ses propres missionnaires.
De la sorte les tentatives éphémères de dialogue se répètent
jusqu'à la fin du pontificat de Léon XIII. Elles déclenchent chaque fois
les mêmes réactions des chancelleries, les mêmes craintes des
missionnaires, les mêmes procès réciproques de troubles intentions47.
Devenu, enfin, vicaire apostolique de Pékin en 1898, Favier se
montre le partisan le plus résolu de la hiérarchie. Censeur de plus en
plus sévère du protectorat français, il adopte une attitude hostile aux
prétentions françaises quand il écrit à Rome48, et sans doute plus
conciliante dans ses relations avec la légation française. Il lui faut en
effet se concilier les faveurs des deux parties en vue d'une prochaine
promotion. Il devient l'intemédiaire obligé quand Mgr Anzer est
condamné à la discrétion par les accusations portées contre lui et
compromis par les sanglants incidents politico-religieux du Chan-
tong. Il sait mettre en valeur auprès de Rome ses interventions et le
«succès» diplomatique décisif que représenteraient les décrets
impériaux du 6 octobre 1898 et surtout du 15 mars 1899 destinés à
garantir la liberté religieuse des catholiques49. Léon XIII, qui n'est pas
dupe, le remercie en termes assez vagues pour entretenir ses espoirs
et son dynamisme, mais en lui rappelant incidemment qu'il est d'a-

45 A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 6, f. 68-69, Vienne, 25 novembre 1894.


46A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 6, f. 72-74 (s. d.).
A.C.P.F. N.S. 117 (1897) f. 568-586, Relation de Mgr Anzer, 5 juin 1896.
47 A.S.S. 1900, rub. 242, fase 7, passim.
48 Cf. sa correspondance de 1898-1899 in A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 7 dont
les originaux se trouvent à la Propagande.
f. 45-48 = A.C.P.F. N.S. 167 (1899) f. 499-504v. 29 mai 1898.
f. 50-54 = A.C.P.F. N.S. 167 (1899) f. 355-359, 9 juin 1898).
49 Traduction des décrets publiées par les M.C. en 1898 (p. 101) et 1899
(p. 230).
508 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

bord un pasteur. «Prenez donc courage, Monseigneur, et poursuivez


l'œuvre à laquelle vous appellent votre saint ministère d'abord, et
puis aussi vos nombreuses et bonnes œuvres»50.
En 1899, Favier paraît pourtant prêt d'aboutir. La hiérarchie est
à nouveau à l'ordre du jour. L'Empereur a adressé une lettre de
félicitations encourageante pour le jubilé qui marque les quatre-vingt
dix ans du pontife51. Il semble que la seule incertitude consiste dans
le choix du candidat pour le siège métropolitain de Pékin. Certains
préféreraient, en France, le procureur général des lazaristes à Chan-
gaï, Nicolas Bettembourg, plutôt que l'insaisissable Favier52.
L'arrangement tarde cependant car le Saint-Siège veut obtenir l'accord
de la France. Conscience des méfaits du protectorat; refus d'en sortir
sans liberté garantie efficacement par la Chine. La diplomatie
tourne en rond mais se réfugie dans la perspective d'un avenir
radieux tout à fait irréel. Favier et les chefs de mission n'affirment-ils
pas que les persécutions, loin de ralentir le mouvement des
conversions, l'accélèrent...53. Ironie de l'histoire, c'est au moment où les
Missions Catholiques assurent (19 mai 1899) la publicité du décret
«historique» de protection obtenu par Favier, censé concilier
miraculeusement toutes les parties et inaugurer la conversion massive de
la Chine, qu'éclate la révolte des Boxers54. Favier et ses confrères
sortent du siège de Pékin auréolés du prestige des défenseurs de la
foi et de la civilisation européenne55. Mais le traumatisme causé par
ce drame sur les missionnaires et les chinois écarte pour longtemps
les perpectives d'un changement.

Pourquoi un tel échec?

Le bilan des efforts de la papauté est donc largement négatif.


L'évolution intérieure de la Chine et la politique impérialiste des
puissances étrangères expliquent pour une bonne part l'impuissance
de la papauté. Mais, comme précédemment, il faut aussi observer

50 A.S.S. 1900 rub. 242, fase. 7, f. 97-978 : lettre de Favier du 29 mai 1899.
«Bien malgré moi, la position que j'occupe me force à m'occuper de toutes les
affaires religieuses...»
f. 99 : réponse de Léon XIII.
51 A.S.S. 1900, rub. 242, fase. 7, f. 141. Pékin, 26 octobre 1899.
52 Ibid. f. 91-93. Nonce à Rampolla, paris, 19 mars 1899.
53 Ibid. f. 118-121 Instructions au Nonce de Paris, Rome, 22 août 1899.
54M.C. 1899, p. 229-230. Lettre de Mgr Favier, Pékin, le 2 avril 1899, saint
jour de Pâques.
55 M.C. 1900, «Son journal du siège de Pékin», p. 541, 553. Nommé chevalier
de là légion d'honneur avec Mgr Jarlin, coadjuteur et d'autres religieux, p. 604.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 509

que des causes internes à l'Eglise ont exercé jusqu'au bout une
action paralysante.
Les unes tiennent de plus en plus ouvertement aux effets pervers
du protectorat. Par pesanteur étatique, la diplomatie pontificale
veut vainement composer avec la France qui se montre intraitable.
La seule issue réside dans un engagement formel et crédible du
gouvernement chinois à protéger les chrétiens, ce qui rendrait peu à peu
caduque la protection française. Ayant obtenu la liberté religieuse et
la sécurité pour les missions, Rome eût probablement montré plus
de conviction à s'entendre directement avec Pékin. Les conditions ne
sont jamais réunies pour cet engagement, encore moins son
application dans les provinces de l'immense Empire. Quand des décrets
sont publiés, leur efficacité s'avère aussitôt négligeable et renforce
les partisans d'une politique de fermeté. Toutes les tentatives pour
sortir de cet engrenage inexorable échouent en 1886, en 1893, en
1899...
Les conséquences de cette ingérence étrangère sont
dramatiques mais la Curie n'en mesure pas exactement la gravité. Elle se
fie aux témoignages missionnaires qui entretiennent une double
illusion. A lire les rapports, l'Eglise peut s'accommoder du protectorat
sans dommage à craindre pour les missions car pointe l'aube d'un
mouvement massif de conversions. La correspondance
diplomatique des puissances offre, elle, un tableau bien différent de la
réalité. A. Sohier montre remarquablement comment les Etats
manipulent les missions, au point d'espérer des victimes pour exiger des
réparations.
Le système connaît son apogée à la fin du siècle avec l'affaire du
Chantong. Le meurtre de deux missionnaires allemands, les pères
Henle et Nies, en novembre 1897, fournit à l'Allemagne un prétexte
pour une intervention militaire et aboutit à l'acquisition à bail du
port de Kiao-tchow (Ts'ing-tao). Malgré les remous provoqués en
Allemagne par cette affaire qui alimente une campagne contre Mgr
Anzer et ses missionnaires, accusés de collusion avec les groupes de
pression impérialistes, l'Allemagne établit un véritable protectorat
allemand sur le Chantong. L'exemple allemand fait alors école et le
représentant belge écrit à son ministre en juillet 1898 : « Le meurtre
dans ces conditions bien curieuses d'un missionnaire bavarois a
apporté à l'Allemagne sa nouvelle colonie de Kiao-tchow. Voici que
l'assassinat plus récent d'un prêtre français dans le Kuang-si aura
valu à la France le privilège de construire un chemin de fer Pakhoi à
Nanning-fu, sur la frontière du Tonkin.» Et il ajoute cyniquement le
4 septembre :
«On connaît à présent le moyen d'acquérir en Chine une colonie,
ou tout au moins une 'concession' à peu de frais : il en coûte la vie de
deux ou trois missionnaires, d'avance résignés au martyre... Si la vie
510 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

de deux missionnaires bavarois a valu à l'Allemagne le Shantung et si


le sang d'un couple de Japonais est le prix d'une concession
territoriale accordée à l'Empire du Mikado, la Belgique ne pourrait-elle pas,
le cas échéant, faire valoir quelque exigence analogue»?56
La révolte des Boxers en 1900 et les attaques massives qui se
développent à cette date contre les européens et les missions attestent
la violence du rejet de la présence étrangère. Mais l'impérialisme
militaire n'est pas seul en cause et la correspondance diplomatique
belge atteste que le mal est sans doute plus profond. Le diplomate
belge que nous venons de citer met le doigt sur la faiblesse originelle
de la présence missionnaire.
«Délivrez-nous, disait un jour Li Hong-chang, de l'opium et des
Missionnaires, et je me fais fort de réparer les malheurs de la Chine.
... quant aux missionnaires, tous nous favorisons en eux, sinon
les propagateurs du christianisme - il ne faudrait pas conserver
beaucoup d'illusions à cet égard - du moins les pionniers de la civilisation.
Ces pionniers, exécrés et subis des Célestes, sont en Chine d'une
richesse dont on est, je pense, loin de se rendre compte en Europe.
C'est ainsi que telle de nos Missions belges en Mongolie possède à elle
seule des champs et des prairies plus étendues que l'une de nos
provinces.
Quant aux missionnaires français de Pékin, ils sont dans une
situation de fortune qui laisse peu de place à la pitié : il n'est pas, depuis
vingt ans un terrain qui soit à vendre dans la capitale, que les
Lazaristes ne l'achètent. D'ici quelques années tout Pékin leur
appartiendra. Le revers de la médaille, c est que de temps à autre, il arrive à l'un
ou l'autre missionnaire d'être dépouillé, et d'aventure, assassiné»57.
Certes ce jugement ne peut pas être généralisé à toutes les
missions de Chine. Il révèle néanmoins la profondeur du malaise, accru
par la mise à l'écart des chrétiens qui se sont eux-mêmes interdits la
participation aux rites et l'accès aux fonctions publiques. Malgré sa
capacité à embrasser les grandes mutations politiques
internationales, malgré sa conscience aiguë du poids futur de la Chine, malgré
sa volonté d'assurer à l'Eglise l'indépendance qui la dégagerait des
compromissions avec les puissances étrangères, Léon XIII a échoué
pour trouver la voie d'une solution satisfaisante. Prisonnière de ses
engagements en Europe, déconcertée par les pratiques d'un
gouvernement chinois à l'autorité suspecte, prise de court par les
mouvements de masse du peuple chinois qui échappent aux habiletés des
négociateurs, la diplomatie pontificale expérimente ses limites et
son impuissance.
Mais que pouvait-on espérer de solutions politiques et institu-

56 Cité par A. Sohier, La diplomatie belge... op. cit., p. 273-274.


57 Ibid.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 511

tionnelles tant que les chrétientés restaient globalement des corps


étrangers à la nation et à la culture chinoise? Ce sera le mérite de la
nouvelle génération missionnaire d'aborder franchement avec
Vincent Lebbe, Antoine Cotta, Paolo Manna (un belge, un français et
un italien) ces problèmes brûlants. Ils permettront de sortir enfin du
système de protectorat en 1922, avec la nomination du premier
délégué apostolique... sans caractère diplomatique, Celso Costantini58.

4 - Les derniers obstacles à la la normalisation en Afrique : les cas


particuliers des colonies portugaises et italiennes.

Les problèmes posés par le Portugal en Afrique ne sont


évidemment pas comparables. Au lendemain de la conférence de Berlin, le
Saint-Siège avait réussi sans grandes difficultés à imposer au
Portugal l'autorité de la Propagande sur les missions fondées dans les
territoires passés sous la domination d'autres nations. Le sort des
territoires portugais, que nous désignerons par commodité sous
l'appellation d'Angola et Mozambique, restait cependant en suspens.
Pendant plusieurs années l'éloignement des positions fait laisser en
sommeil le dossier. Le Portugal persiste à exiger la reconnaissance
dans une convention de ses droits de patronage, déjà notablement
réduits sans qu'il ait été consulté. Le Saint-Siège compte bien en
finir avec cette antique pratique contre laquelle la Propagande n'a pas
cessé de combattre. Puis, à partir de 1894, la Propagande et les
Affaires ecclésiastiques sont à nouveau saisies de projets de
concordats par Lisbonne. Plusieurs réunions sont tenues en 1897-1898 et
1902-1903 ans le cadre des commissions mixtes59.
Malgré cet investissement en hommes et en temps, les
négociations traînent en longueur, la signature du concordat est
régulièrement repoussée et le pontificat s'achève sans que les deux parties
aient abouti. Rome peut ajourner la signature d'un nouveau
concordat sans mettre en danger la mission et compromettre la situation
des spiritains installés dans les colonies portugaises. Les tentatives
de l'administration coloniale afin d'entraver l'autorité romaine
engendrent de mesquines rivalités autour des baptêmes et des ma-

58 Ruggero Simonato, Celso Costantini tra rìnnovamento cattolico in Italia e le


nuove missioni in Cina, Pordenone, Ed. Concordia Sette, 198, 212 p.
59A.A.E.E. Portogallo 1897-1898. Pos. 449.
Fase. 304. Projet de concordat entre le gouvernement portugais et le Saint-
Siège concernant les colonies d'Afrique.
Ibid. Fase. 305.
Ibid. Fase. 306.
Ibid. fase. 307, pos. 449 Projet de Concordat.
Portogallo, 1902-1903. Fase. 336, pos. 523. Sui prowidementi da prendere
per le Missioni nei possedimenti portoghesi dell'Africa occidentale...
512 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

riages60. Elles sont impuissantes à arrêter une évolution qui place


toutes les missions sous la juridiction directe de la papauté.
Paradoxalement, c'est l'Italie qui profite le plus sensiblement de
la nouvelle conjoncture dans les années 1890. Le refus catégorique
opposé au passage des missions italiennes de Chine sous le
protectorat de la monarchie semblait reculer un peu plus toute possibilité de
dialogue. Mais le sens diplomatique de Léon XIII n'allait pas tarder
à démontrer là encore une grande faculté d'adaptation. La
pénétration coloniale italienne en Erythrée et, au-delà ses visées sur toute
l'Ethiopie, fournissent en 1890 l'occasion de corriger
l'intransigeance manifestée en Extrême-Orient.
Le premier indice d'une évolution est livré par D. Jacobini,
Secrétaire de la Propagande, qui manifeste une plus grande ouverture
d'esprit à l'égard de l'Association nationale pour la diffusion du
christianisme et admet que l'administration du Vicariat Apostolique
d'Abyssinie (par des missionnaires français) constitue une solution
provisoire. Malgré la fermeté de principe affichée par le cardinal Si-
meoni, Léon XIII n'est pas définitivement fermé aux revendications
formulées par Crispi en vue d'une italianisation de la mission. Mais
il ne pouvait annoncer une telle mesure sans donner le sentiment de
céder à la pression du gouvernement italien. Aussi Léon XIII va-t-il
confier au vicaire apostolique français et lazariste, Mgr Crouzet, le
soin d'opérer les ouvertures nécessaires.
La rencontre de Crouzet et de Crispi le 13 juillet 1890 ne donna
apparemment aucun résultat. Elle intervenait en effet au moment
où le Parlement votait la laïcisation définitive des associations
ecclésiastiques de bienfaisance. Cependant la lettre adressé au Président
du Conseil italien par Mgr Crouzet, avant qu'il ne reparte dans sa
mission d'Abyssinie, confirme qu'un tournant décisif a été pris :

«Je remercie votre Excellence de la lettre qu'elle m'a fait


l'honneur de m'adresser et de la faveur qu'elle a la bienveillance de m'ac-
corder. Dès mon arrivée à Massauah je mettrai toute la mission à la
disposition de M. le Gouverneur.
Je serai très heureux si Monsieur le Général Gandolfi voulait
agréer nos services.
Tous mes confrères italiens et français seront très heureux,
seront toujours heureux de se dévouer aux devoirs de leur ministère
religieux.»61

60 A.A.E.E. Portogallo, 1902-1903, Fase. 336, pos. 523. Ponenza du 12 mars


1903. Les autorités civiles de Cabinda ne reconnaissent plus la présence des
missionnaires spiritains qui refusent la naturalisation. Elles comptent de la sorte
rendre illicites, voire, et abusivement, invalides, les sacrements administrés par
les missionnaires.
61 A.A.E.E. Italia, pos. 440, Fase. 152. Lettre de Mgr Crouzet, V. ap. d'Abyssi-
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 513

Les lazaristes avaient évidemment tout intérêt à s'entendre avec


les autorités italiennes pour conserver leur territoire missionnaire.
Les marques de docilité ne suffirent cependant pas à éloigner la
menace et l'Association italienne reprit bientôt ses pressions pour
obtenir une mission italienne homogène, dépendant d'une
congrégation exclusivement italienne.
Après plus de trois années de négociations délicates, le Saint-
Siège finit par accéder à la demande italienne, peut-être pour
accélérer la solution du conflit autour de la concession des exequatur aux
évêques italiens. Le 13 septembre 1894, Léon XIII «acceptait la
démission» de Mgr Crouzet pour ériger la préfecture apostolique
d'Erythrée qui fut affiliée à la province romaine des capucins sous la
direction du père Michele da Carbonara. Pour panser les blessures
d'un abandon dont C. Betti montre qu'il se déroula de manière assez
humiliante, la Propagande devait confier aux lazaristes en 1895 le
nouveau vicariat apostolique de Madagascar méridional et mettre à
sa tête Mgr Crouzet62.
La création de la préfecture apostolique ne constituait pourtant
qu'une solution provisoire. Elle répondait partiellement aux
revendications italiennes puisqu'elle laissait aux lazaristes le vicariat d'A-
byssinie et aux capucins français celui des Gallas. La présence à la
tête du premier du père Coulbeaux prouvait le souci romain de
trouver un équilibre entre les pressions italiennes et françaises.
La décision italienne d'entreprendre la conquête de l'Abyssinie
remit en cause la distribution des territoires de 1894. Le 22 janvier
1895 le général Baratieri décidait l'expulsion des lazaristes sous
prétexte que leur présence troublait l'ordre public. Mais le désastre d'A-
doua le 1er mars 1896 redistribua à nouveau les cartes. La décision
pontificale de laisser le vicariat d'Abyssinie aux missionnaires
lazaristes français en 1894, puis leur expulsion par les autorité
italiennes, s'avéraient rétrospectivement une chance pour le
catholicisme. En conservant une certaine liberté vis-à-vis de la puissance
coloniale, par attentisme prudent plus que par choix idéologique, la
Curie avait rendu possible le retour rapide des lazaristes. Mieux
encore, elle plaçait Léon XIII en position de médiateur entre le ras Me-
nelik et l'Etat italien pour obtenir la libération des prisonniers d'A-
doua.
Selon le dossier conservé aux Affaires ecclésiastiques
extraordinaires63, le gouvernement de Crispi et Rampolla auraient établi le
contact à la veille de la bataille d'Adoua. On y mentionne en effet

nie au Président du Conseil du gouvernement italien, 24 septembre 1890. Rome,


Montecitorio, 2 va della Missione.
62 A.C.P.F. Acta 265 (1895) f. 551-557.
63 A.A.E.E. pos. 536, Fase. 191.
514 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

une conversation entre le Secrétaire d'Etat et «un diplomate italien»,


très certainement Rudini, le 27 février 1896, sur «la situation
actuelle du saint Père vis-à-vis du gouvernement italien, et sur les
moyens nécessaires et opportuns pour le bien spirituel et matériel
de l'Italie.» Après avoir obtenu l'assurance que le gouvernement
italien y était favorable, Léon XIII entreprit une série de démarches
confidentielles dont le couronnement fut un échange de
correspondance avec Menelik64« Le 31 mars 1896 le Négus envoyait une longue
lettre qui affirmait l'indépendance du «seul empire chrétien qui
existe en Afrique depuis de longues années» et retraçait l'historique
de ses relations avec la monarchie italienne pour dénoncer les
trahisons successives. Léon XIII lui répondit le 11 mai pour le remercier
de ses témoignages successifs de courtoisie et de bienveillance et
surtout pour l'inciter à manifester sa générosité par la libération des
prisonniers65.
Parallèlement Rampolla adressait à Mgr Cirillo Macario, vicaire
patriarcal des Coptes catholiques d'Alexandrie résidant au Caire, des
instructions en vue d'une mission de bons offices auprès du Négus.
L'importance accordée par Léon XIII à une médiation qui
promettait d'avoir, en cas de succès, un immense retentissement en Italie, le
choix d'un prélat connaisseur de l'Eglise copte, ne suffirent pas à
assurer le succès de l'entreprise. Il est vrai que l'interception par la
marine italienne d'un navire hollandais chargé d'armes et de munitions
destinées à l'Ethiopie avait rendu la mission à peu près impossible66.
L'intervention italienne offrait dans tous les cas, et quelle que
soit sa légitimité au regard du droit international, un excellent
prétexte pour suspendre le règlement de l'affaire. Le 1er octobre Menelik
faisait personnellement savoir qu'en présence de tels agissements il
ne pouvait pas satisfaire le souhait pontifical67 et Mgr Cirillo
Macario quittait Addis-Abeba. Il avait seulement pu rencontrer les quatre-
vingt prisonniers italiens présents dans la capitale (sur un total de
1752, dispersés par sécurité dans tout le pays) et célébrer pour eux la
messe.
Les espoirs mis par Léon XIII dans cette seconde grande
médiation, comme ceux nourris au lendemain de l'affaire des Carolines,

64 Cf. Africa (Revue de l'institut italo-africain) XL, n° 4, Roma, 1985 :


Salvatore Tedeschi, «Santa Sede e Etiopia dopo Adua (1896)», p. 519-541.
Nicola Storti, «La missione umanitaria di Leone XIII presso Menelik II nel 1896
alla luce di documenti vaticani», p. 542-576.
65 Ibid. p. 557.
66 L'arraisonnement effectué le 8 août 1896 est connu à Addis-Abeba, selon
Mgr Macario, le 5 septembre.
67 Nicola Storti, op. cit. p. 564-565.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 515

sont donc déçus. Les ambitions universelles de Léon XIII avaient dû


céder une fois de plus devant les intérêts nationaux et les exigences
de la realpolitik. Menelik avait avantage à traiter directement avec
l'Italie pour négocier la libération des prisonniers contre un
règlement global du contentieux. La position de la papauté en matière
coloniale manquait par ailleurs de netteté pour gagner durablement
la confiance d'un souverain menacé de conquête.
Les efforts du souverain pontife ont-ils été pour autant inutiles?
Pour Nicolo Storti, ils ont contribué efficacement à un règlement
pacifique et, sur le plan intérieur italien, isolé et affaibli le clan des
va-t-en-guerre et des revanchards. Et il est vrai que la chute de Crispi
favorise une certaine détente dans les relations entre la papauté et
l'Etat mais ses effets sont limités par l'absence de solution apportée
à la question romaine. L'attitude adoptée à l'égard de l'Association
nationale confirme cette volonté pontificale de ne pas contrecarrer
systématiquement les initiatives conciliatrices, d'entretenir la doute
sur sa propre position, de souffler le chaud et le froid, sans pour
autant céder sur le principe de la souveraineté.
Moins de deux mois avant la mort de Léon XIII, une
commission mixte de la Propagande et des Affaires ecclésiastiques examine
le 2 mai 1903 la «propagande politico-religieuse du gouvernement
italien à l'étranger»68. Cette réunion est provoquée par les
hésitations de l'épiscopat italien et des pays concernés face à l'action de
deux associations soutenues par le gouvernement, l'œuvre
d'assistance aux émigrés et l'Association nationale pour la diffusion du
christianisme et de la culture italienne. Si la première embarrasse
les autorités religieuses par ses manifestations nationalistes, ses
tendances libérales, sa propension à échapper à l'ordinaire des lieux en
Suisse, en Allemagne et en Autriche, la seconde soulève une
question encore plus délicate. Elle entend recueillir des fonds destinés à
aider les missionnaires italiens avec l'accord, au moins tacite, de la
Propagande. Le professeur Schiaparelli, son fondateur, a soin
d'informer dès novembre 1886 le Préfet Simeoni oralement, puis par
écrit Mgr Jacobini, Secrétaire de la Propagande. Il propose
clairement de coopérer avec la place d'Espagne qui hésite avant de donner
des instructions précises, et laisse l'archevêque de Florence, où se
trouve le siège de l'association, accorder un patronage discret69.
Nous avons dit plus haut comment Léon XIII était intervenu
personnellement pour confirmer la décision de la Propagande (20
décembre 1886) de ne pas reconnaître l'Association, L'absence de

68 A.A.E.E.
69 Ibid. Relazione
Italia pos.
p. 16-18.
737 Fase. 268 f. 35. Relazione stampata et Sommario.
516 LA POLITIQUE DE LÉON XIII

contrôle romain et la crainte que les français prennent prétexte


d'une concurrence déloyale pour retirer leur soutien aux missions
italiennes, sans que les fonds nationaux compensent cette perte,
sont les raisons avancées pour justifier cette défiance70. Il ne
s'agissait pas pour autant d'une condamnation officielle. La consolidation
de l'Association s'opère à partir de 1888 malgré les réticences
romaines. Elle feint d'ignorer les mises en garde et propose aux
missions italiennes des subsides que certains responsables religieux
acceptent spontanément tandis que d'autres demandent à Rome quelle
attitude adopter. Les instructions adressées au Ministre général des
Mineurs donnent pour ligne de conduite une nette séparation entre
la Propagande et cette association, sans interdire d'accepter des
aides, à condition qu'elles ne soient soumises à aucune condition et
ne justifient aucune ingérence71. C'est aussi la réponse qui est
apportée à Mgr Chicaro, délégué apotolique en Egypte. La Propagande
laisse le chef de la mission apprécier si l'acceptation des subventions
respecte l'indépendance de la mission. En 1894 Léon XIII intervient
dans le même sens pour tolérer la réception de fonds destinés à la
construction d'une église à Asmara72.
Cette tolérance a donc des limites strictes. Elle exclut toute
initiative missionnaire qui échappe à la Propagande et interdit aux
instituts missionnaires de passer des accords avec l'Association
nationale. Elle surveille attentivement tout compromis qui favoriserait les
objectifs politiques du gouvernement italien. Lorsqu'au lendemain
de la révolte des Boxers, la monarchie piémontaise, à l'initiative du
professeur Schiaparelli et du sénateur Lampertico, les principaux
responsables de l'Association, tente à nouveau de placer les missions
italiennes de Chine sous sa protection, la Curie s'y oppose
fermement73.
L'intervention personnelle et énergique de Léon XIII confirme
jusqu'à la fin de son pontificat les limites étroites dans lesquelles
doivent se tenir les partisans de la conciliation. L'adhésion des
catholiques au régime, y compris pour les affaires missionnaires, n'est
pas possible sans la solution de la question romaine. On ne ferme
pas la porte à toute possibilité de contact et à des actions
ponctuelles, à condition de ne favoriser aucune interprétation
tendancieuse, de ne laisser supposer aucun assouplissement dans
l'intransigeance pontificale quant à la revendication de sa souveraineté.
L'absence de décision à propos du double doute soumis aux
cardinaux en mai 1903, et pour l'Œuvre d'assistance aux émigrés, et pour

70 Ibid. p. 19.
71 Ibid. p. 20.
72 Ibid. p. 21-22.
73 Ibid. p. 25-26.
CONSOLIDATIONS ET COMPROMIS 517

l'Association nationale d'aide aux missions, prouve que l'impasse


reste totale à la fin du pontificat de Léon XIII. A terme la question
romaine risquait même d'accentuer les tensions entre l'Eglise
italienne et la nation, puique la papauté refusait aux autorités civiles
de la péninsule les prérogatives reconnues à la France ou à
l'Allemagne en matière de missions, attitude d'autant moins
compréhensible par l'opinion que Rome se montrait fort conciliante à l'égard de
la colonisation italienne en Erythrée et en Libye.
Attachée à traiter avec les Etats selon les principes qui règlent
traditionnellement ses rapports internationaux, l'Eglise romaine,
malgré les talents diplomatiques de Léon XIII et son ouverture
d'esprit, voit les difficultés s'accumuler à l'aube du XXe s. En France
toutes les tentatives de conciliation, notamment celles qui misent
sur le bénéfice retiré par la France de l'action missionnaire, sont
impuissantes à arrêter les lois de laïcisation. Contrariée ici par le
modèle anglo-saxon qui écarte l'éventualité d'une reconnaissance
réciproque, là par le contentieux avec l'Etat italien, impuissante devant
les progrès de la sécularisation, la papauté ne réussit pas davantage
à nouer des relations diplomatiques officielles avec la Chine, le
Japon et l'Abyssinie. Un peu partout, l'immobilité prévaut sur le
mouvement. Malgré les manifestations spectaculaires d'attachement au
pape, la célébration des jubilés, le prestige international qu'a
recouvré le Saint-Siège, la fin du pontificat de Léon XIII n'a plus le
dynamisme fécond des années 1880. Faut-il y déceler les effets du
vieillissement et un phénomène classique de fin de règne? Ce serait
apporter une réponse superficielle aux questions fondamentales
posées par l'impérialisme européen, la conjonction de l'expansion
coloniale et du mouvement missionnaire au XIXe s., et par le choc
né de la rencontre du christianisme avec les cultures
non-occidentales. Dans la vie des missions, comme dans les relations
internationales, le monde nouveau né au XIXe s. résiste au rêve d'une
société chrétienne universelle dans laquelle le pontife serait le maître
spirituel et le guide des consciences. Au-delà des difficultés et des
échecs conjonturels, c'est tout le projet catholique intransigeant qui
est mis en question.
CONCLUSION GÉNÉRALE

Quand meurt Léon XIII le 20 juillet 1903, la papauté a démontré


sa capacité à canaliser et maîtriser l'expansion mondiale du
catholicisme. La subordination des missions à l'autorité exclusive du pape
et de son gouvernement est pratiquement achevée1. La
centralisation et l'uniformisation ont partout progressé, grâce à un ensemble
d'instruments de direction et de contrôle qui lient étroitement le
domaine missionnaire à son centre romain. Les questionnaires en vue
des relations auxquels sont astreints les chefs de mission,
l'institution des synodes, l'envoi de délégués extraordinaires et ordinaires, la
distribution mesurée des facultés et des autorisations, la
réglementation du dogme, de la catéchèse, de la vie chrétienne assurent un
encadrement permanent et universel. L'internationalisation du
catholicisme a, pour l'instant, servi le processus de romanisation.
A vrai dire, cette évolution s'inscrit dans un mouvement de très
longue durée dont le concile de Trente et la création de la
Propagande en 1622 ont dessiné l'orientation. A bien des égards, l'action
menée sous Léon XIII a achevé de modeler les missions selon les
principes de la Contre-réforme catholique et le programme exposé
par la Constitution Inscrutabili le 22 juin 1622 : «Nous accordons et
octroyons aux dits Cardinaux, par la teneur des présentes et en vertu
de l'autorité apostolique, la pleine, libre, et ample faculté, autorité et
pouvoir de faire, gérer, traiter, agir et exécuter».
La Propagande a désormais éliminé les pouvoirs concurrents et
parasitaires qui restreignaient son autorité. Elle étend son
administration sur les cinq continents, des vieilles nations européennes
protestantes à l'Amérique du nord, de l'Afrique centrale à l'Extrême-
Orient. L'extension du champ d'interventions a augmenté en
proportion l'activité du dicastère.
La machine administrative a mis à profit les progrès en matière
de communication pour améliorer son efficacité et elle a su rationa-

1 Les principales exceptions subsistent dans le domaine colonial portugais et


aux Indes, avec les conflits de juridiction à propos des catholiques dits goanais.
La Propagande ne laissera pas passer les occasions qui se présenteront
d'absorber des circonscriptions soustraites au XIXe siècle à sa juridiction. Elle
récupérera les évêchés coloniaux français après la rupture du concordat.
520 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

liser son fonctionnement pour répondre à l'augmentation des


tâches. Elle répète inlassablement les grands objectifs qui guident la
plantation de l'Eglise outre-mer. Dépendance exclusive de la
papauté, établissement d'Eglises complètes couronnées par la hiérarchie
ordinaire, formation d'un clergé indigène, recherche de ressources
financières locales constituent l'horizon commun de toutes les
entreprises missionnaires.
Puissante et efficace, la congrégation installée place d'Espagne,
et non au Vatican, n'a pas pour autant donné naissance à une
forteresse ministérielle au sein de la Curie. Les rouages du gouvernement
et la polyvalence des responsables ecclésiastiques assurent la
cohésion de l'ensemble et associent à l'action de la Propagande les autres
dicastères ou la Secrétairerie d'Etat. Toutes les décisions sont
entérinées après avoir reçu l'assentiment du Souverain pontife dont la
signature au bas des résolutions du congresso est plus qu'une
formalité, le rappel constant de son autorité suprême. Dans ces conditions,
il n'est pas étonnant que les divergences n'apparaissent guère dans
l'action missionnaire. Le sentiment dominant est celui d'un
consensus sur le fond, seulement égratigné par des divergences dans
l'appréciation de ce qu'il est opportun de faire ou ne pas faire. Si Léon
XIII a pu rencontrer des résistances au sein de la Propagande
orientale contre son désir de réhabiliter les rites orientaux catholiques,
ses rares interventions en faveur des missions chez les païens
viennent confirmer et appuyer les points de vue de la congrégation
romaine. L'intégration de la Propagande à l'ensemble de l'appareil
gouvernemental permettra bientôt (1908) d'opérer en douceur la
redistribution des territoires et des compétences par la bulle Sapienti
consilio qui fait entrer dans le droit commun la plus grande partie
de l'Amérique du nord, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.
Cette logique de la centralisation et de l'uniformisation a modelé
le catholicisme outre-mer, tant du point de vue de ses institutions
que de son identité. Les missions établissent partout un réseau de
stations, de paroisses et d'œuvres. Elles se constituent, quand elles le
peuvent, un patrimoine financier et immobilier, sans avoir encore
conscience que cette appropriation du sol peut être perçue par les
populations locales comme une volonté de puissance et une quête de
richesse. Les instructions romaines et la littérature missionnaire
préfèrent insister sur les garanties que présentent pour l'avenir les
investissements matériels et l'encadrement social. Aux néophytes
que l'adhésion à une religion étrangère et minoritaire menace de
marginalisation, la mission offre l'hospitalité dans une chrétienté
qui englobe toute l'existence, individuelle ou collective, fournit des
points de repère bien marqués, parfois leur assure le moyen de
subsister.
Sans doute, en beaucoup de missions, les réalisations restent
CONCLUSION GÉNÉRALE 521

embryonnaires. Mais la perspective de la chrétienté est


omniprésente. Les nouvelles communautés sont invitées à s'affirmer face aux
aux autres, non chrétiens ou protestants, quitte à accentuer les traits
distinctifs et à aiguiser les rivalités locales. Dans ce contexte se noue
une relation très forte entre les catholiques les plus lointains et le
pape de Rome; l'ultramontanisme est devenu une dimension
essentielle des missions extérieures.
La logique de l'exportation et de la reproduction outre-mer d'un
catholicisme intégral commande l'attitude adoptée vis-vis des
cultures autochtones. La pastorale missionnaire est dominée par la
volonté d'absorber les différences culturelles en les incorporant à
l'Eglise romaine. La mission n'a pas à rechercher des voies nouvelles
mais à se rapprocher le mieux possible de l'idéal commun. Elle n'a
pas à inventer à partir d'autres références culturelles mais elle a le
devoir de mener les sociétés, par une pédagogie plus ou moins
directive, selon les époques et les nommes, vers la vraie civilisation, la
civilisation chrétienne.
Fondamentalement le mouvement missionnaire rejoint ainsi
les convictions qui animent le «mouvement catholique». L'un et
l'autre partagent les mêmes ambitions totalisatrices, adoptent des
comportements symétriques. Pendant que le catholicisme lutte en
Europe contre la privatisation de la croyance dans les sociétés
sécularisées, il tente outre-mer de substituer l'ordre chrétien intégral
à celui des sociétés traditionnelles païennes. Intransigeante en
Occident face à la modernité laïcisatrice, l'Eglise ne conçoit pas
davantage de compromis idéologique avec un paganisme dont la
disparition semble conditionner la réussite de l'évangélisation.
Reconquête ici, conquête la-bas sont bien les deux versants d'un
unique projet
Mais dès la fin du XIXe s. apparaissent les premières limites de
cette stratégie. A force de cultiver sa différence et de reconstruire
une société conforme à la visée intégrale, la mission multiplie les
noyaux catholiques plus qu'elle ne transforme les sociétés. Aux
Indes comme en Chine ou au Japon, elle engendre des
communautés soudées autour de leur clergé, fortement structurées et fidèles
dans l'épreuve. Elle découvre aussi son isolement et son
impuissance à diffuser les valeurs chrétiennes au-delà des frontières que la
pastorale a édifiées pour éviter la contamination du milieu. Et si la
Propagande ne cesse pas d'alerter les missionnaires sur la nécessité
de sortir des paroisses et de donner la priorité à l'évangélisation des
païens, elle ne réussit pas à rompre l'isolement des catholiques,
parce qu'elle n'établit aucun lien entre la stratégie retenue et la
résistance du milieu. Renforcement des communautés existantes et
relance du prosélytisme, les deux mots d'ordre de la Propagande
témoignent du refus de sacrifier une préoccupation au profit de
522 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

l'autre. Ils ne donnent pas de réponse quant à la manière de


dépasser ce dilemme.
Ce schéma général explique que la rencontre du catholicisme
avec des réalités difficiles, souvent inédites, parfois déconcertantes
n'a pas entraîné de changement au sein du gouvernement romain.
La multiplication des médiations et l'amélioration des moyens de
communication entre Rome et les missions jouent, pour l'instant, au
profit quasiment exclusif du pouvoir central. La collecte minutieuse
des informations par la Propagande a seulement abouti à étendre le
champ des interventions du Saint-Office et des dicastères romains
qui trouvent des occasions supplémentaires de développer leur
casuistique et leur pouvoir. L'afflux des questions posées à Rome,
notamment autour de la liturgie et du mariage, n'ébranle pas les
certitudes des consulteurs et leur volonté de réglementer. L'unicité des
expressions de la foi et l'uniformité des manières de vivre en Eglise
passent plus que jamais, autour de 1900, pour la condition
indispensable à l'unité catholique. Le droit ecclésiastique aurait pu sortir
aménagé et diversifié de la confrontation à d'autres cultures. Au
contraire il s'amplifie, s'uniformise, se fixe en 1917 dans un texte
synthétique et universel. Les recueils produits à l'intention des
missions ont préparé la voie au code de droit canon. C'est sans doute
cette volonté de la Propagande de plier la réalité à ses projets et
d'imposer une conception juridique de l'Eglise qui est à l'origine du
propos prêté à Newman :
«La Propagande est une institution quasi-militaire,
exceptionnelle, pour pays de mission, rude et prompte. Elle n'est pas capable de
comprendre un mouvement intellectuel. Elle veut des résultats
immédiats»2.
Unique concession à l'uniformisation, la reconnaissance de la
valeur des rites orientaux est impuissante à infléchir l'évolution
globale, car seul ce qui est antique est digne d'être conservé, et rares
sont les chrétientés qui peuvent revendiquer un héritage. A l'inverse
parce que la tradition latine présente toutes les garanties
d'orthodoxie, de légitimité, de romanité, elle doit être transportée et
introduite dans les nouvelles chrétientés. L'opération s'accomplit
d'autant plus aisément que tous les missionnaires sont issus de l'Europe
occidentale. La nouvelle catholicité outre-mer sera latine, dans sa
langue, dans ses usages, dans sa discipline (on conçoit le mariage
des clercs maronites mais pas africains ou asiatiques). Là encore
c'est tout un processus séculaire qui est en train d'aboutir.
Mais si les effets de retour ne sont pas encore perceptibles dans

2 Propos rapporté dans la biographie de J. Lewis May, Cardinal Newman, a


study, et que cite Bernard Jacqueline in Memoria rerum, III/2, p. 394, note 47.
CONCLUSION GÉNÉRALE 523

le fonctionnement intellectuel et doctrinal de la Curie, l'expansion


missionnaire commence à influencer le discours et les choix.
L'intervention personnelle de Léon XIII et sa capacité à embrasser de
larges perspectives accélèrent la prise en compte des questions
missionnaires par le gouvernement de l'Eglise. Sous son impulsion, la
diplomatie vaticane entre véritablement et définitivement dans le
nouvel ordre mondial. Loin d'être absorbé par les luttes soutenues
en Europe ou par le grand projet de retour des schismatiques au
sein de l'Eglise romaine, le «chef suprême» a rapidement saisi les
enjeux internationaux de l'expansion missionnaire, et le parti
politique ou spirituel que pouvait en tirer la papauté. Certes Léon XIII
reprend en plusieurs occasions des initiatives plus anciennes et
continue la tradition de la Propagande quand il endigue ou
neutralise le protectorat français et le padroado portugais. Mais il engage
son autorité et s'identifie au destin universel de l'Eglise selon un
mode inconnu jusque là. Il impose l'image du pape médiateur entre
les nations et revendique une position singulière dans les relations
internationales. Dès les années 1880, il s'efforce d'entrer en relations
suivies avec l'Empereur de Chine et du Japon, sans négliger les
souverains plus modestes d'autres nations éloignées. Il soutient les
initiatives africaines et prend en 1890 la tête de la campagne anitiescla-
vagiste. Il transforme en objectif commun à toute l'Eglise les efforts
de la Propagande pour garantir aux missions la liberté religieuse et
la protection des pouvoirs publics. La doctrine longuement exposée
dans les encycliques sur les rapports entre le pouvoir temporel et
spirituel s'étend aux nouvelles frontières de la catholicité.
Cette politique ambitieuse n'a que partiellement réussi. Elle
enregistre même un échec douloureux en Chine. Incontestablement
tournée vers l'avenir, la diplomatie léonienne n'était pas en état de
surmonter les contradictions dont elle était prisonnière, voulant à la
fois miser sur l'expansion européenne et les Etats qui y résistaient,
donnant ainsi le sentiment d'être opportuniste et de mesurer à
l'aune des intérêts catholiques la légitimité des pouvoirs.
Il est aisé, avec le recul du temps et la fin de l'ère coloniale, de
faire le procès des alliances douteuses qui caractérisent les rapports
entre missions et colonisation, et dont la convention entre le Saint-
Siège et l'Etat Indépendant du Congo3 sera le prototype en 1906. Il

3 La convention signée le 26 mai 1906 se place sur un terrain religieux pour


respecter l'Acte de Berlin mais elle recourt à une interprétation extensive et
tendancieuse de l'article VI. Le devoir d'accorder une protection spéciale aux
missionnaires, aux savants et aux explorateurs devient celui de favoriser
particulièrement les missions catholiques en raison de leur contribution à l'action
civilisatrice en Afrique centrale...
524 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

faut aussi reconnaître que la politique de la papauté s'est efforcée de


poser des bornes à la collaboration. L'impératif de l'indépendance
de l'Eglise et la mémoire des concessions anciennes accordées au
padroado ou au gallicanisme ont définitivement ancré l'autorité
romaine dans le refus de passer des conventions qui aliéneraient une
part de sa souveraineté. Ainsi la volonté d'échapper à la protection
française en Chine n'a pas été sacrifiée sur l'autel du ralliement. Les
intérêts généraux ont finalement fait reculer la papauté devant le
risque d'engager une lutte frontale dont les bénéfices étaient
incertains. La Curie met provisoirement en sommeil son projet et attend
des occasions plus favorables pour le reprendre. Dans une
institution convaincue qu'elle a pour elle la durée, la patience est parfois
synonyme de lenteur et, pour l'observateur, de prudence excessive.
Elle ne signifie jamais oubli et renoncement comme le montre la
recherche constante de relations directes avec la Chine.
Plus que dans les hésitations diplomatiques et les compromis
politiques, la principale faiblesse de l'action missionnaire menée
sous Léon XIII nous semble résider dans l'absence d'une théologie
de la mission. Newman suggérait de l'attribuer à un fonctionnement
militaire qui rendrait les dirigeants de la Propagande imperméables
à toute réflexion intellectuelle. Nous l'avons observé à plusieurs
reprises, cette difficulté est réelle. Est-elle pour cela propre à la place
d'Espagne? Les théologiens romains les plus éminents participent
aux décisions de la Propagande. Les réunions et les Instructions
témoignent qu'il existe une préoccupation doctrinale. Mais
l'enseignement consiste dans l'exposé systématique des principes fixés
antérieurement et ne donne pas lieu à un débat collectif sur leur
pertinence ou l'interprétation qu'il faut y apporter en fonction des
situations.
Ce faisant, la Propagande est solidaire d'une évolution générale
au sein de l'Eglise catholique. En imposant dans tous les séminaires
l'enseignement du néo-thomisme, Léon XIII entend doter le
catholicisme d'une théologie universelle et définitive. Il favorise le
triomphe d'un enseignement spéculatif, privilégiant des vérités
intemporelles dont le magistère dévoile et développe toutes les
conséquences. Dans une telle structure de pensée, les mêmes règles sont
applicables en tout lieu et l'acculturation du catholicisme n'est pas
pensable. L'esprit de controverse et la réfutation des erreurs,
modernes ou païennes, continuent d'animer la plupart des ouvrages
missionnaires. Pire, la pression convergente de la norme romaine et
de la supériorité occidentale incitent à dévaloriser ce qui est
différent. L'internationalisation du catholicisme s'accompagne dans la
deuxième moitié du XIXe s. du recul des concessions aux coutumes
indigènes, notamment en Asie.
Centralisation, uniformisation, romanisation sont sans aucun
CONCLUSION GÉNÉRALE 525

doute les caractéristiques de cette époque. Mais le tableau ne doit


pas devenir caricature. Le modèle du transfert par reproduction à
l'identique ne rend que partiellement compte de l'expansion
missionnaire Si cette image est bien celle que réfléchissent les archives
romaines, elle est dépendante de la nature des documents que nous
avons examinés. D'autres sources, ou indirectement les sources
romaines, témoignent que le catholicisme intransigeant transporté
dans les jeunes Eglises n'est pas aussi monolithique qu'il y paraît.
L'interminable aller-retour des questions et des réponses entre les
bureaux de la Propagande et les chefs de mission, sur des problèmes
identiques, atteste que le rêve romain de fixer une fois pour toutes la
vie des missions vient se briser sur l'expérience d'une résistance
quotidienne des hommes et des cultures. Lus sous cet éclairage, les
raffinements de la législation ecclésiastique deviennent alors le
symptôme d'une impuissance et les signes précurseurs d'un ébranlement
du système. Les canonistes romains endiguent provisoirement le
déferlement des «cas» nouveaux rencontrés par les missionnaires en
exploitant toutes les subtilités du droit. Ils introduisent un
minimum de souplesse par le biais des tolérances provisoires. Mais à
terme, leur démarche juridique et leur prétention à tout décider sont
menacées.
Trois terrains nous ont paru particulièrement révélateurs de ces
décalages entre le message prescrit et celui qui était reçu. A travers
l'embarras des consulteurs de la Propagande pour juger de
l'orthodoxie des traductions, c'est la formulation du dogme dans une
culture non occidentale qui est en question. Au-delà des mots, le
choix des concepts et des références est déjà engagé. De gré ou de
force, la théologie est mise au défi de dire la foi chrétienne dans une
autre langue. Parce que Rome n'a pas de solution, sinon d'exiger
abstraitement le respect scrupuleux de l'intégrité de la foi, les
missionnaires se trouvent ainsi investis de la responsabilité d'opérer par
eux-mêmes le passage. Leur traduction conditionne localement
l'avenir du catholicisme. Malgré le renforcement permanent des
procédures de contrôle, le pouvoir doctrinal n'est pas monopolisé par
Rome.
Le mariage est en train de devenir sous Léon XIII le second
lieu stratégique où se joue l'acculturation du catholicisme.
Officiellement il n'est pas question d'admettre une législation
différente outre-mer. Le modèle conjugal et familial qu'expose
solennellement l'encyclique Arcanum Divinae Sapientiae (1880) vaut
pareillement pour tous les fidèles. Pourtant la pratique missionnaire
a imposé le seul aménagement important au principe de
l'indissolubilité. Elle a obtenu au travers du privilège paulin qu'un baptisé
puisse se séparer de son conjoint païen. Les nécessités de la
mission ont ainsi ouvert une première brèche dans l'interprétation in-
526 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

transigeante du lien matrimonial. Et cela ne suffit pourtant pas à


freiner l'afflux des demandes d'annulation dans les bureaux de la
Propagande.
Mais c'est l'interminable débat autour du clergé indigène qui est
le plus significatif des difficultés rencontrées par l'exportation du
modèle latin. Le procès intenté par la Propagande aux missionnaires
repose en, grande partie, sur un malentendu. Sans doute, les
préjugés, le sentiment de supériorité culturelle ou raciale, le goût du
pouvoir n'incitent pas les sociétés missionnaires à entreprendre
suffisamment et systématiquement la formation d'un clergé indigène
nombreux et capable d'accéder aux postes de responsabilité.
Cependant les accusés n'ont pas tort d'opposer les contraintes du milieu
aux consignes romaines. Ils constatent, sans en tirer encore les
conséquences, la résistance des candidats à un mode de formation
qui implique déculturation et déracinement. Insensiblement perce
un nouveau débat sur la validité d'un modèle clérical unique forgé
au sein de l'Eglise latine.
Chef d'orchestre incontesté de l'expansion missionnaire, la
Propagande dirige l'interprétation; elle ne saurait contrôler les modes
concrets de transmission du message catholique. Si Mgr le Roy
minimise indiscutablement le poids de la direction romaine,
affirmant que la Propagande laisse une grande liberté aux
missionnaires4, la remarque de Newmann ne doit pas conduire à penser que
les soldats de la foi avancent rangés docilement et passivement
derrière un général d'armée. Aussi bien disposés qu'ils soient vis-à-vis
des instructions romaines, les missionnaires sont finalement mal
préparés à l'affrontement du christianisme à de nouvelles cultures.
L'expérience quotidienne a tôt fait de leur apprendre que les
consignes, et l'enseignement qu'ils ont reçu, n'apportent pas de
réponses définitives aux situations concrètes devant lesquelles ils se
trouvent brutalement placés. Les rapports des chefs de mission ne
doivent pas faire illusion. Il existe certainement tout un domaine
non écrit dans lequel les hommes de terrain, individuellement ou
collectivement, en fonction des réactions de la population,
improvisent des réponses ou aménagent les directives. Quelques-uns, plus
lucides ou mieux armés intellectuellement, renouent spontanément
avec les grands débats de l'époque moderne. Les premiers signes
d'une réouverture de la question des rites apparaissent au sein des
jésuites. L'adaptation des méthodes pastorales continue de
préoccuper les missions étrangères de Paris aux Indes et réveille les pas-

4 «Organe de la Providence, le Saint-Siège aime que les hommes prennent


l'initiative du salut de leurs frères, et ne respecte rien tant que leur liberté.» (Mgr
Le Roy, La Propagande, op. cit. p. 30).
CONCLUSION GÉNÉRALE 527

sions au Japon au début de ce siècle. Elle n'est pas totalement


absente ailleurs. S'il est vrai que la condamnation des coutumes
africaines et malgaches est la position dominante, au nom de la lutte
contre le paganisme qui engendre la barbarie, certains
missionnaires entreprennent un remarquable travail d'observation, de
déchiffrage et de discernement, attitude méritoire à l'heure où
l'Europe ne doute pas de sa supériorité. Le choc culturel n'engendre pas
uniformément et définitivement une pastorale de la table rase.
Malgré le conformisme des discours et le poids des contrôles, toutes les
possibilités d'explorer de nouveaux chemins ne sont pas fermées. Et
les synodes mis en place par la Propagande pour encadrer la
mission ont peut-être déjà commencé à activer des discussions et à
stimuler une réflexion que les actes officiels ne restituent pas.
Mais le phénomène le plus malaisé à approcher dans les
archives romaines, sinon à travers des allusions dont le décodage
demande une connaissance précise de chaque contexte, se déroule
sans aucun doute du côté de ceux qui reçoivent le message
catholique. A l'action permanente du clergé pour modeler les fidèles
répond en effet le bricolage permanent et spontané de ceux-ci pour se
réapproprier le catholicisme. Il n'était pas dans notre projet
d'étudier cette dimension pourtant essentielle. Nous ne voudrons pas
qu'elle en soit pour cela oubliée, et fasse attribuer à l'emprise
romaine sur les missions une efficacité qu'elle n'a pas. Là encore la
Propagande peut décider le contenu, dans une certaine mesure la
présentation du message. Elle ne peut pas prétendre maîtriser les
effets de la mission dans les têtes et les cœurs. Au moins par allusions,
enregistrant le succès immédiat de certaines dévotions (chemins de
croix, messes pour les défunts, pèlerinages, processions), la
correspondance révèle un échange subtil entre l'action missionnaire et les
réactions des auditeurs. La première est la plus visible car elle
bénéficie de témoignages abondants. Les secondes n'en sont pas moins
vigoureuses et complexes. Derrière la reproduction apparente des
mêmes structures, des mêmes prières, des mêmes rites se poursuit
une reprise en compte qui commence à introduire dans le
catholicisme outre-mer une réelle diversité.
En définitive le domaine missionnaire constitue une illustration
éclatante du dynamisme, des nostalgies, et aussi des impasses du
catholicisme postrévolutionnaire. Unie autour du trône de Pierre,
l'Eglise romaine prouve sa vitalité et proclame sa confiance retrouvée
dans l'avenir. L'expansion du catholicisme s'identifie plus que
jamais au renforcement de la papauté. Peut-on aller plus loin dans l'é-
lucidation du lien qui unit historiquement les deux mouvements? La
vision romaine de l'histoire missionnaire met l'accent sur la part
déterminante prise par Rome depuis Grégoire XVI. La ténacité de la
Propagande à atteindre ses objectifs initiaux est effectivement im-
528 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

pressionnante. Cela ne démontre pas, à nos yeux, que la romanisa-


tion soit seulement un effet de la politique de la monarchie
pontificale. Si les missionnaires se sont retrouvés spontanément dans le
camp de l'ultramontanisme, c'est aussi que toute la logique
missionnaire les portait de ce côté. Né d'initiatives individuelles, le réveil
missionnaire ne pouvait pas se développer sans recevoir sa
légitimité de la papauté. C'était la condition indispensable pour que les
sociétés nouvellement fondées échappent à l'autorité de l'évêque local
et reçoivent une territoire à évangéliser.
Par la suite, le besoin d'harmoniser les efforts, la nécessité de
recueillir les ressources, l'obligation de réguler la concurrence n'ont
pas cessé d'accroître le recours à Rome. Pour prendre consistance,
se développer, affirmer leur identité de minorités souvent fragiles,
les missions catholiques aspirent à la centralisation et accélèrent
leur romanisation. La diffusion universelle du catholicisme favorise
dans un premier temps la consolidation de son centre. Il en résulte
parfois des tensions, à l'exemple des tiraillements entre la
Propagande et l'Œuvre de la Propagation de la Foi, privée peu à peu du
pouvoir de répartir les ressources et soumise à la «clergification» de
sa direction. Mais l'évolution est inéluctable et culminera dans la
centralisation de la société à Rome par Pie XI en 1922.
Il nous semble donc que la simultanéité de l'expansion
missionnaire et de la romanisation du catholicisme traduit
l'interdépendance des deux phénomènes. Sous une autre forme, les missions
protestantes expérimentent d'ailleurs elles aussi la nécessité
d'instaurer une collaboration et une concertation entre Eglises qui
conduit à des formes de fédérations, de centralisation relative, puis
à un premier œcuménisme. Il y aurait d'ailleurs avantage à
comparer plus avant les deux modes de fonctionnement. Au-delà
d'incontestables différences apparaîtraient sans doute des objectifs, des
évolutions et des méthodes moins éloignés qu'on ne l'admet
habituellement.
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
SOURCES

1 - Sources manuscrites

a. Archives de la Sacrée Congrégation pour l'Evangélisation des peuples,


anciennement «De Propaganda Fide».
Les archives de la Propagande bénéficient d'un excellent guide :
N. Kowalsky OMI - J. Metzler OMI, Inventory of the Historical
Archives of the Sacred Congregation for the Evangelization of Peoples or «De
Propaganda Fide.» Studia Urbaniana n° 18, Rome, Pontificia Universitas Urbania-
na, 1983.
Le fonds ancien de la Bibliothèque a été transféré dans la bibliothèque
de l'Université Urbanania, laissant sur place seulement quelques
instruments de travail. La salle des chercheurs comporte aussi des Index d'une
utilité très variable. Pour notre part nous avons dépouillé :
- Les Acta (1878 à 1903). Ce sont les procès-verbaux des réunions
tenues par les Cardinaux réunis en «congrégation générale» pour discuter les
affaires d'importance majeure. Les compte rendus sont groupés par année
en un, parfois deux volumes, selon un ordre chronologique. A l'exception de
quelques relations verbales manuscrites, chaque question fait l'objet d'un
rapport imprimé ou ponenza, suivi de la décision manuscrite. Chaque
volume comporte un Index qui facilite la consultation pour une enquête
ponctuelle. Cependant ces Index comportent des lacunes ou des erreurs dans les
renvois.
Nous avons par ailleurs procédé à des sondages dans les fonds
suivants :
- Lettere e Decreti della Sacra Congregazione e Biglietti di mons.
Segretario, 1878-1903. Cette série, abrégée Lettere, contient la copie de la
correspondance expédiée, à l'exception des formules d'usage conformes aux
convenances. Les Index disposés dans la salle de travail sont très utiles car ils
mentionnent brièvement le contenu du document.
- Scritture originali riferite nelle congregazioni generali, 1878-1903
(SOCG). La série est formée par les documents qui ont servi à composer les
rapports préparatoires aux réunions plénières des cardinaux. Leur nature
est donc très variable. Il ne faut pas confondre cette série avec les Scritture
riferite nei congressi (SC, suivi du pays) qui contiennent les documents
traités dans les réunions hebdomadaires des fonctionnaires de la Propagande,
source de premier ordre pour une étude géographique des missions.
A partir de 1893 nous avons opéré des sondages, en particulier dans les
rubriques :
2. Sacra Congregazione. Personale...
14. Propagazione della Fede. Santa Infanzia... Associazioni analoghe ο
affini.
39. Matrimonio.
55. Schiavitù, Schiavi, Antischiavismo.
532 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

128. Indie Orientali. Ceylon.


129. Indo-Cina. Malesia. Birmania.
130. Cina
140 à 145. Africa.
162. Oceania Insulare.

Parmi les multiples fonds secondaires (ci. Inventaire p. 51-52), nous


avons utilisé les séries : Sacra Congregazione Cardinali, Segretari...;
Ministri.
Deux autres fonds, dits «mineurs», mériteraient sans aucun doute d'être
exploités pour saisir les méthodes et le fonctionnement du dicastère. Seule le
second a fait l'objet d'études systématiques entreprises par J. Metzler (voir
Bibliographie) :
Atti della Commissione per la revisione delle Regole, 1887-1908.
Sinodi Diocesani, 19 volumes et 2 volumes de Mélanges. La
bibliographie des synodes missionnaires a été établie par Giovanni Rommerskir-
chen et Mgr Saverio M. Paventi, «Elenco bibliografico dei Sinodi e Concili
Missionari», Bibliografia Missionaria IX, 1942.
A partir de 1893 tous les documents sont rassemblés sous l'appellation
«Nuova Serie». Il n'existe aucun inventaire fournissant des indications de
contenu pour les missions extérieures de la période étudiée. Il convient donc
de rechercher dans les catalogues les références à partir du code des
rubriques fournis dans l'Inventaire p. 87-90

b. Archivio Segreto Vaticano.

A défaut d'un guide synthétique, le chercheur dispose d'instruments de


travail dont l'intitulé ne doit pas occulter qu'ils recèlent des ressources
beaucoup plus larges :
Pasztor Lajos, Guida delle fonti per la storia dell'America Latina negli Archivi
della Santa Sede e negli archivi ecclesiastici d'Italia, 1970, VI, 665 p.
Pasztor Lajos. Guida delle fonti per la storia dell'Africa a sud del Sahara negli
archivi della Santa Sede e negli archivi ecclesiastici d'Italia, 1983, 537 p.

On y trouvera l'essentiel des informations nécessaires pour déterminer


les fonds utiles et distinguer les fonds des différents dicastères ou services
(nonciatures, ambassades...). A partir de Léon XIII, les catalogues de la Se-
crétairerie d'Etat sont regroupés dans une salle particulière en étage et
exigent un repérage en deux temps. Une première série d'inventaires renvoie
en effet à une seconde série de catalogues qui fournissent seuls les
références à indiquer sur les fiches de demande de consultation.
Le Guide de Lajos Pasztor pour l'Afrique donne p. 139-140 la liste des
rubriques, notamment pour les nonciatures. Il n'existe malheureusement
pas d'inventaires pour Bruxelles (256), Munich (Baviera 255) et Paris (248).
Nous avons procédé à des investigations dans : rubrique 1/1886 pour la
médiation des Carolines; 1/1891, érection de la hiérarchie ecclésiastique au
Japon. A noter : 242/1900, fase. 4 à 7, très important dossier sur les affaires de
Chine, à compléter par 256/1894 (Bruxelles).
La rubrique 280 (Propaganda Fide) est relativement décevante, à l'ex-
sources 533

ception des missions italiennes (Abyssinie). La mention dans l'inventaire


«d'atrocités dans les colonies françaises», 280/1897, concerne en réalité des
accusations assez vagues contre les autorités coloniales de Côte d'Ivoire
accusées de tolérer les sacrifices humains, la traite, et surtout d'encourager
l'enseignement musulman. La rubrique 298 comporte la corespondance
avec le Libéria (298/1893).
c. Congrégation des Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires.
Une autorisation spéciale est nécessaire pour accéder aux archives de la
Congrégation des Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires conservées par la
Deuxième Section de la Secrétairerie d'État, cour Borgia. Le classement y
est géographique et la consultation facilitée par des inventaires précis. Nous
avons recueilli des informations concernant les missions dans les séries
suivantes :
Francia, fase. 403 pos. 761 bis érection d'un V. Ap. au Congo français.
403, pos. 760-765. Japon. Ouverture de relations diplomatiques.
403, pos. 764. Affaires de Corée (Traité avec la France, 1886)
404, pos. 766. Affaires de Chine. Ouverture de relations diplomatiques
(1886)
405, pos. 767-775. Affaires de Chine (1886-1888)
496, pos. 950-951. Demande d'autorisation pour les congrégations en
charge des missions. Démarches, projets de statuts etc.
fase. 455 et 457 : Madagascar
Portogallo. Projet de concordat concernant les colonies d'Afrique.
pos. 449, fase. 304 (1897-1898); 305 (1897-1898); 307 (1897-1898)
pos. 523, fase. 336 (1902-1903).
Italia, 1902-1903, pos. 737, fase. 265-269. Sulla propaganda politico-
religiosa del Governo italiano all'estero...
pos. 440, fase. 152, tractations de Mgr Crouzet, V. Ap. d'Abyssinie avec
le gouvernement italien (1890)
pos. 536 fase. 191; Contacts de Rampolla avec «un diplomate italien»
sur la situation actuelle du Saint Père (1896)
d. Archives des sociétés missionnaires.
A Rome.
- Archivio Generale della Compagnia di Gesù à Rome (ARSI).
Bibliographie et présentation par le P. Lamalle in L. Pasztor Guida...
America Latina... p. 394-422.
Conditions d'accès et présentation des sources pour l'Afrique par le P.
Lamalle in L. Pasztor, Guida.... Africa... p. 302-311.
Fonds consultés :
Curie romaine. Correspondance du Général avec la Curie.
Missions. Varia.
Madagascar. Correspondance des missions avec le Général.
Madure. Correspondance des missions avec le Général.
- Archives de la Société des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs).
Excellente description par René Lamey, Archiviste Général, in L.
Pasztor, Guida... Africa... p. 388-413.
534 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

Fonds Lavigerie (1868-1892). Relations avec le Saint-Siège et la


Propagande.
Fonds Livinhac (1892-1922).
Nous avons puisé les informations les plus riches dans la
correspondance des deux Supérieurs Généraux avec le procureur à Rome, le père Bur-
tin.
Fonds Procure.
Copies d'Archives publiques : A. Ministère des Affaires Etrangères à
Bruxelles.
Diaire de la maison de Rome (une vision originale de la vie romaine,
ecclésiastique et publique).
Diaire de Rubaga (Uganda)
Instructions aux missionnaires du Cardinal Lavigerie (B 17, 113 et C
12-2).

- Archives de la Société des Missions Africaines (S.M.A., autrefois de


Lyon).
Présentation par Noël Douau in L. Pasztor, Guida... Africa... p. 413-417.
Société en général : Correspondance du père Planque, Sup. Gai, 1859-
1907.
Procure à Rome à partir de 1900.
Lettres du P. Bricet, Préfet Apostolique du Dahomey, 1894-1900.
Rapports des Supérieurs des Missions avec la Propagande.
Lettres d'anciens élèves de la Mission au père Bricet.

A Paris
- Archives de la Société des Missions Etrangères de Paris (Rue du Bac).
Journal de M. Delpech, (Supérieur général).
Vol. 1, 2 avril 1883 à 31 décembre 1887.
Vol. 2, 1er janvier 1888 à 18 mars 1891.
Vol. 3, 19 mars 1891 à 19 mai 1892.
Vol. 4, 20 mai 1892 au 28 mai 1892.
Vol. 5, 29 mai 1893 au 15 mai 1894.
Vol. 6, 16 mai 1894 au 1er juillet 1895.
(Le 1er juillet le père Armhester est élu supérieur général mais, après son
décès prématuré, Delpech est réélu le 1er juillet).
Vol. 7, 13 février au 31 décembre 1897

- Archives du Ministère des Affaires Etrangères (quai d'Orsay).


Correspondance politique Rome (Saint-Siège), 1878 (vol. 1063) à 1896
(vol. 1123).
Nouvelle Série à partir de 1897 (vol. 16) à 1903 (vol. 21)
Saint-Siège, protectorat catholique de la France, vol. 27 à 30.
Ecoles et missions françaises, vol. 39 à 41 (1897-1902)
Ecoles et missions étrangères, vol. 52 et 53 (1897-1906).
L'enquête pourrait être poursuivie par de multiples documents
conservés dans la Correspondance politique avec :
l'Allemagne (ex. : vol. 75, p. 1 rapport Lavigerie sur la situation dans la
sources 535

région des Grands lacs; vol. 92, p. 238-251, catholiques et progressistes


allemands contre la politique coloniale en 1889 etc.)
l'Angleterre (missions d'Ouganda, vol. 837, p. 53, 102; 858, p. 96, 229,
333; 877, p. 334...) etc..

A Lyon

Archives de l'Œuvre de la Propagation de la Foi.


Description succincte dans Bibliographie d'Histoire religieuse
contemporaine. Acculturation du christianisme hors d'Europe, présentation par Jean
Comby, Jacques Gadille, Claude Prud'homme, Lyon, 1981, 203 p.
L'inventaire des fonds, en cours d'achèvement, permet de disposer de classements
plus précis, notamment pour la correspondance avec Rome que nous avons
dépouillée de 1878 à 1904.
Les procès verbaux des séances du Conseil central de Lyon fournissent
des indications précieuses sur les préoccupations et les méthodes de
répartition des responsables de l'œuvre.

2 - Sources imprimées

a. Annuaires, statistiques.

Annuaire pontifical catholique par Mgr Albert Battandier, Paris, 1898-


1939. Table générale des 20 premiers volumes (1898-1917).
Annuario ecclesiastico, Roma.
Annuario pontificio, Rome, Vatican.
Gerarchla cattolica (la) e la famiglia pontificia.

Arens Bernard, s.j. Manuel des Missions Catholiques, Louvain, Edit, du


Museum Lessianum, 1925, 490 p., plus appendices, 92 p. (ouvrage
précieux, bien que ses statistiques soient postérieures à la période de Léon
XIII, car comporte de nombreux tableaux récapitulatifs et historiques).
Atlas des Missions Catholiques. Vingt cartes teintées, avec texte explicatif par le
R. P. O. Werner, s. j. Traduit de l'allemand, revu et augmenté par M.
Valerien Groffier auteur du planisphère des croyances religieuses et des
Missions chrétiennes... Lyon, Bureaux des Missions catholiques, 1886.
(Original : Katolischer Missionsatlas, 19 cartes, 2ème edit. Freiburg, Herder,
1885)
MoiDREY Joseph S.J. Variétés sinologiques. N° 38. La Hiérarchie catholique
en Chine, en Corée et au Japon (1307-1914), Changaï, 1914.
,

Werner Ο. s.j. Orbis terrarum catholicus, sive totius Ecclesiae catholicae et


Occidentis et Orientis conspectus geographicus et statisticus, elucubratus
ex relationibus ad sacras congregationes romanas missis et aliis notitiis
observationïbusque fide dignis,
Missiones Catholicae Ritus latini cura S.C. de Propaganda Fide descriptae in
536 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

annum MDCCCLXXXVI Romae. Ex Typographia Polyglotta, 1886,


416 p.
Missiones Catholicae... annuel de 1886 à 1892; puis publication irrégulière,
1895, 1898, 1901, 1904, 1907, 1922, 1930.

b. Publications de documents.
Acta Sanctae Sedis, Rome, 1872-1903.
Bullarium Pontificium Sacrae Congregationis de Propaganda Fide, I-IV,
Romae, 1839-1841. Appendix I-II, Romae s.d.
Collectanea S. Congregationis de Propaganda Fide seu Decreta Instructiones
Rescripta pro Apostolicis Missionibus. Ex Tabulano eiusdem Sacrae
Congregationis Deprompta 1 vol. Romae Ex Typographia Polyglotta, 1893
Collectanea S. Congregationis de Propaganda Fide seu Decreta Instructiones
Rescripta pro Apostolicis Missionibus. 2 vol., Romae Ex Typographia
Polyglotta, 1907, vol. 1 (1622-1866); vol. 2 (1867-1906, n° 1300-2317).
Collectanea Constitutionum, Decretorum, Indultorum ac Instructionum
Sanctae Sedis ad usum Operariorum Apostolicorum Societatis Missio-
num ad Exteros, lère édit. Hong-Kong, 2ème édit, Hong-Kong 1905.
Documents et renseignements sur les Questions actuelles. Revue de l'Œuvre
des Bons Livres, bimensuel, à partir de 1887
Grentrup T. Jus missionariorum, I, Steyl, 1925
Iuris Pontifici de Propaganda Fide Pars Prima complectens Bullas Brevia Acta
S.S. a Congregationis institutione ad praesens iuxta temporis seriem dis-
posita, auspice E.mo ac R.mo D.no S.R.E. Cardinali Ioanne Simeoni S.C.
de Propaganda Fide Praefecto, cura ac studio Raphaelis De Martinis,
eiusdem Cong. Consult, et Missions Sacerdotis... I-VIII, Romae, 1888-
1907.
. . . Pars Secunda complectens . . . auspice Miesilao Ledochowski S. C. de
Propaganda Fide Praefecto... Romae, 1909.
Lettres apostoliques de S.S. Léon XIII. Encycliques, Brefs etc. Texte latin avec
traduction française en regard. Bons livres, 7 Tomes, Paris, A. Roger et F.
Chernoviz,
Leonis XIII Pontificis Maximi Acta 1-12, Rome, 1881-1905.
Monita ad missionarios S. Congregationis De Propaganda Fide. Titre abrégé
d'un ouvrage ayant connu de nombreuses éditions depuis l'édition
originale publiée sous le titre Instructiones ad Munera Apostolica Rite Obuen-
da (sic) Peritules (sic) Missionibus Chinae, Tunchini, Cochinchinae, atq:
Siami. Accomodatae, a Missionariis Seminarii Parisiensis Missionum ad
exteros Juthiae regia Siami congregatis, anno Domini 1665 concinnatae,
dictae Summo Pontifici Clementi IX. Juxta Exemplar Romae. XXIV p.;
370 p.; 71 p.
Edition à Rome en 1667 sous un titre corrigé en un volume, 285 p.
Editions par la Propagande en 1840, 1853, 1874, 1886, 1893 (Bibl. Urba-
niana). Editions par les M.E.P. à Hong-Kong en 1893, 1913, 1930.
Edition en français sous le titre : Instructions aux Missionnaires de la
S. C. de la Propagande. Traduites par un Missionnaire de la Congrégation
du Cœur Immaculée de Marie (Scheut), Bruxelles, Librairie Albert De-
wit, 1921, XX et 298 p. 2ème édit. par l'A.U.C.A.M. 1928, XVII et 298 p.
SOURCES 537

Sacra Congregazione per le Chiese Orientali. Verbali delle conferenze


patriarcali sullo stato delle Chiese Orientali e delle adunanze della Commissione
Cardinalizia per promuovere la riunione delle Chiese dissidenti tenute alla
presenza del S.P. Leone XIII (1894-1902). Tipografia Poliglotta Vaticana,
1945.
Zitelli Zephyrino, Apparatus luris Ecclesiastici iuxta recentissimas SS. Urbis
Congregationum resolutiones in usum episcoporum et sacerdotum pra-
sertim apostolico munere fungentium, Romae, Ex typis Soc. edit. Rom.
1886, 554 p.

e. Gouvernement de l'Eglise sous Léon XIII, vie à Rome.


Baumgarten Paul Maria, Daniel Charles et De Waal Anton, Die Katolische
Kirche unserer Zeit und ihre Diener in Wort und Bild. Publié par la
Leogesellschaft de Vienne. T. I : Rom. Das Oberhaupt, die Einrichtung und
die Verwaltung der Gesamtkirche, Berlin, 1899. T. II : Deutschland. Die
Schweiz. Luxemburg. Österreich-Ungarn. Berlin, München, Wien, 1900.
T. III : Das Wirken der Katolischen Kirche auf dem Erdenrund unter
besonderer Berücksichtigung der Heidenmission, München, 1902 (riche
iconographie, nombreuses statistiques, cartes, notices biographiques
du personnel de la Curie).
Daniel Charles, Baumgarten Paul-Marie, De Waal Antoine, Rome. Le chef
suprême, l'organisation et l'Administration de l'Eglise. L'Eglise catholique
à la fin du XIXe s. Ouvrage accompagné d'un portrait en couleurs de Léon
XIII, de 60 planches hors texte et de 1200 gravures dans le texte. Paris,
Pion, 1900, 709 p. Edition française du tome I de l'ouvrage précédent.
Des Houx Henri, Souvenirs d'un journaliste français à Rome. Paris, 1886.
Goyau Georges, Pératé André et Fabre Paul. Le Vatican. Les Papes et la
Civilisation. Le Gouvernement central de l'Eglise. Introd. par S.E. le
Cardinal Bourret. Epilogue par M. Le Vicomte E.-Melchior de Vogue. Paris, Fir-
min-Didot et Cie, 1895, 796 p. (Repris partiellement sous le titre Le
Vatican. Le gouvernement de l'Eglise. Les Palais apostoliques. Congrégations.
Secrétaireries. Bibliothèques, s. d., 306 p.)
Grimaldi Félix. Les Congrégations romaines. Guide historique et pratique.
Sienne. Impr. San Bernardino, 1890, 556 p. (Ouvrage précieux d'un
«jeune prélat français, secrétaire du cardinal Pitra», mis à l'Index par le
Saint-Office le 20 juin 1891).
Ricard Antoine (Mgr), Rome sous Léon XIII. Notes et souvenirs d'un voyage à
Rome en 1883. Paris, Pion et Cie, 1883,151 p.
Wey Francis, Rome, Descriptions et Souvenirs. 3ème édit, Paris, Hachette,
1875, 765 p. 358 gravures.

d. La congrégation de la Propagande.
La Propagande. Notice historique par un Missionnaire (abbé F. Genne-
voise). Rome, Imp. polyglotte de la S.C. de la Propagande, 1875, (reprise
d'articles publiés dans les Missions Catholiques, n° 272 à 278, du 21 août au 2
octobre 1874).
Le Roy (Mgr), C. Sp. La Propagande, Lyon, Imp. J. Poncet, 1905, 30 p.
538 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

e. Vie des Missions.


Annales de la Propagation de la Foi. Lyon, Paris. Bimestriel. 1878-1903,
T. L à LXXV. (Editions italienne, allemande, anglaise, portugaise, espagnole,
hollandaise, basque, hongroise, bretonne, maltaise, polonaise).
Table des Annales de la Propagation de la Foi de 1874 à 1903, 1904, 901 p.
Indications biographiques rassemblées dans la «nomenclature des
missionnaires connus par les Annales (1874-1903)», soit plus de 1600 individus, mais
de nombreuses erreurs de dates.
Les Missions catholiques. Bulletin hebdomadaire de la Propagation de
la Foi. Lyon, 1878-1903. T. 11 à 35. Revue des missions. Riche iconographie.
Index annuels en fin de volume. Repris et adapté en Italie (1872), Allemagne
(1873), Hollande (1876), Espagne 1880), Hongrie 1881), Pologne (1882),
Angleterre (1886), Etats-Unis (1907).
Parmi l'abondante littérature missionnaire de la période, nous nous
contentons de citer quelques ouvrages caractéristiques d'une mentalité
générale.
A l'assaut des pays nègres. Journal des Missionnaires d'Alger dans l'Afrique
equatoriale. Paris, Lille, Maison-Carrée (Algérie), Imp. Marne, 1884,
347 p., carte hors texte.
En Mission... A vaillant semeur Joyeux missionnaire. Extraits des Lettres de
Cyprien Aroud, CM., 1899-1928. Colection «Missionarius» n° 3. Paris
1933, 271 p.
Laveille E. L'Evangile au centre de l'Afrique. Le P. Van Hencxthoven, S.J.
Fondateur de la mission du Kwango (1852-1906) par E. Laveille, S.J,
Edit, du Museum Lessianum, Louvain, E. Desbarax, Bruxelles, A. De-
wit, 1926 401 p.
La mission de Vizagapatam par un Missionnaire de St François de Sales (R.P.
Domenge), Annecy, J. Niérat, 1890, 531 p.
Lettres sur l'Inde par Mgr Laouënan, M.E.P., archevêque de Pondichéry
publiées par A. Launay de la même société. Paris, V. Lecoffre, 1893,
296 p.
Le Missionnaire et son œuvre par le Dr Arthur Judson Brown. Traduit
librement de l'anglais avec l'autorisation de l'auteur par Mme C. Barbey-Bois-
sier. Lausanne, Georges Bridel et Cie, Paris, libr. Fischbacher, 1910,
383 p. (conception protestante de la mission).
Bertrand J. s.j. Lettres édifiantes et curieuses de la Nouvelle Mission du Ma-
duré T. I, T. II
Favre Edouard, François Coillard, Missionnaire au Lessouto, 1861-1882.
Paris, Société des Missions Evangéliques, 2ème tirage, 1912, 540 p.
(principale référence protestante française.
Guasco Alexander, L'Œuvre de la propagation de la Foi. Ses origines. Ses
commencements. Ses progrès, par M. Alexandre Guasco Avocat, Docteur
en Droit, Secrétaire général de l'Œuvre à Paris. Paris, Bloud et Cie, 1898,
64 p.
Guchen Denis s.j. Cinquante ans au Maduré. 1837-1887. Récits et souvenirs
par le P. Denis Guchen. Trichinoipoly-Paris, Retaux Bray. T. I. : 1887,
412 p. + 10 pi.; T. II : 1889, 327 p. + 27 pi. h.t.
Kervyn L., Méthode de l'apostolat moderne en Chine, Hongkong, 1911.
sources 539

Lavigerie Cardinal, Instructions aux Missionnaires. Namur, Grands Lacs,


1950, 398 p.
Livinhac Monseigneur, Instructions aux Missionnaires d'Afrique (Pères
Blancs). Rome, 1960, 400 p.
Le Roy Alexandre (Mgr), Au Kilimandjaro. Histoire de la fondation d'une
Mission catholique en Afrique Orientale. Illustré d'une carte et de
plusieurs gravures et dessins de l'auteur. Paris, Beauchesne, édit. de 1928,
379 p.
Luquet Mgr, Les Missions catholiques et voyage d'un missionnaire dans
l'Inde, 1853, 657 p.
Massaia Guglielmo (Cardinal), / miei trentacinque anni di missione nell'Alta
Etiopia. Memorie storiche, 12 vol. Rome-Milan, 1885-1895.
Massaia Guglielmo, Memorie storiche del Vicario Apostolico di Galla. 1845-
1885. Manoscritto autografo Vaticano. A cura di Antonio Rosso.
Collectanea Archivi Vaticani, n° 10, 1984, 5 voi.
Suau Pierre s.j. La France à Madagascar, Histoire politique et religieuse d'une
colonisation. Paris, Perrin, 1909, 422 p.
Vaissière (P. de la, s.j.), Vingt ans à Madagascar. Colonisation. Traditions
historiques. Mœurs et croyances. Paris, V. Lecoffre, 1885, VIII-363 p.
(auteur très représentatif des tendances nationalistes et
antirépublicaines dans les missions françaises).
Zaleski Ladislas M., Les Missionnaires d'aujourd'hui. Appendice à St
François-Xavier Missionnaire. Einsiedeln, Etabl. Benzinger et Cie, éditeurs
du St Siège Apostolique, 1910, 197 p.
Zaleski Ladislas M., Epistolae ad Missionarios, Mangalore, Codialbail Press,
Pars I, 1914, XII + 416 p. (latin); Pars II, 1915, XII + 514 p.
BIBLIOGRAPHIE

1. Instruments de travail.

Il convient de mettre à part l'ouvrage collectif :


Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria rerum, 350 anni a
servizio dette Missioni 3 vol. et 5 tomes, spécialement vol. III/l et III/2 : 1815-
1972, Rom-Freiburg-Wien, Herder, 1971-1976. Outre une bibliographie
générale en tête du vol. 1/1, chaque chapitre est précédé d'une
bibliographie particulière. Index analytique à la fin de tous les volumes. (Titre
abrégé Memoria rerum...)
Les sommaires de chaque chapitre ont fait l'objet d'une publication à
part sous le titre :
Compendio di storia della Sacra Congregazione per l'Evangelizzazione dei
Popoli ο «de Propaganda Fide», 1622-1972, Euntes Docete XXVI (1973),
fase. 1, Roma, Pontificia Universitas Urbaniana, 1974, 250 p.
Streit Robert et Dindinger Johannes, OMI, Bibliotheca Missionum, 30 voi.
Münster, Aachen, Freiburg, 1916-1970.
Depuis 1933, recension systématique des publications : Bibliografia
Missionaria.

Parmi les dictionnaires :


Catholicisme, Hier, Aujourd'hui, Demain, sous la direction de l'abbé Jacque-
met (1 à 28) puis du centre interdisciplinaire des Facultés catholiques
de Lille, Paris, Letouzey et Ané, 1948...
Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie, sous la direction de dom
F. Cabrai et dom H. Leclerq, Paris, Letouzey et Ané, 1907-1950, 15
tomes.
Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, sous la direction de
Roger Aubert, Paris, Letouzey et Ané, 1912-.. .
Dictionnaire de droit canonique, sous la direction de R. Naz, Paris, Letouzey
et Ané, 7 vol.
Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et Histoire, fondé
par Marcel Viller, continué par A. Derville, P. Lamarche, A. Blignac,
Paris, Beauchesne, 1936...
Dictionnaire de Théologie Catholique, sous la direction de A. Vacant et E.
Mangenot, Paris, Letouzey et Ané, 1903-1950, 15 Tomes, 30 vol., et 3 vol.
de Tables.
Dizionario biografico degli Italiani, Roma, 1960
Dizionario degli Istituti di perfezione, sous la direction de Guerrino Pellicia et
Giancarlo Rocca, 8 voi. pubi., Roma, Edizioni Paoline, 1973-.. .
Dizionario Ecclesiastico, sous la direction de Mgr Angelo Mercati e Mgr
Augusto Pelzer, 3 vol., Torino, Unione Tipografica, 1953-1958
542 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

Dizionario storico del Movimento cattolico in Italia.


Enciclopedia Cattolica, sous la direction de Mgr Pio Paschini, Cité du
Vatican, Impr. à Florence, 1948-194, 12 vol.
New Catholic Encyclopedia, New York, Saint Louis, San Francisco, Toronto,
London, Sydney, Mac Gray-Hill Book Company, 1967, 15 vol.

2. Problématique, méthodologie
Acerbi Antonio, La Chiesa nel tempo. Sguardi sui progetti di relazione tra
Chiesa e società civile negli ultimi cento anni, Milano, Vita e Pensiero,
Pubblicazioni della Università Cattolica, 1979, 375 p.
Alberigo Giuseppe, «Du bâton à la miséricorde. Le magistère catholique de
1830 à 1980». In Lumière et Vie, 1986, n° 180, p. 17-36.
Alberigo Giuseppe, «Influence de la situation italienne sur le
comportement du Saint-Siège», in Lumière et Vie, 1977, n° 133, p. 5-17.
Alberigo Giuseppe, «La chiesa locale nell'età moderna». Dans
Cristianesimo nella storia, VII/1, 1986, p. 63-86.
Baumont Jean-Claude, Gadille Jacques et de Montclos Xavier,
«L'exportation des modèles de christianisme français à l'époque contemporaine.
Pour une nouvelle problématique de l'histoire missionnaire». In Coulon
Paul et Brasseur Paule, Libermann... p. 883-906.
Birnbaum Pierre, Les sommets de l'Etat. Essai sur l'élite du pouvoir en
France. Paris, Seuil, 1977, 186 p.
Brasseur Paule, «Missions catholiques et administration française sur la
côte d'Afrique de 1815 à 1870». In Coulon Paul et Brasseur Paule.
Libermann... p. 849-882.
Butturini Giuseppe, Da una chiesa «di missioni» ad una chiesa
«missionaria». Appunti per una storia delle missioni negli ultimi 150 anni. Quaderni
CUAMM, n° 16, Padova, 1985, 67 p.
Bühlmann Walbert, «L'autre face de l'histoire des Missions», NZM, 38
(1982) p. 124-135.
Chenu Bruno, «Glissements progressifs d'un agir missionnaire», in Lumière
et Vie, n° 168, 1984, n° 168, p. 69-85.
Chiocchetta Pietro, «Cattolica fede e culturale civile : la versione
missionaria di un motto del movimento cattolico del secolo XIX». In Euntes Do-
cete 37 (1984) p. 177-209.
Ching Julia et Kung Hans, Christianisme et religion chinoise, Paris, Seuil,
1991, 330 p.
Chrétien Jean-Pierre, «Eglise, Pouvoir et Culture», in Les quatre fleuves,
n° 10, 1979, p. 33-59.
Collectif, L'Histoire religieuse de la France 19*-20* s. Problèmes et Méthodes,
sous la direction de Jean-Marie Mayeur, Paris, Beauchesne, 1975,
290 p.
Collectif, La mutation des modèles missionaires au XXe s. Expériences d'in-
culturatiojn chrétienne. Cours de missiologie dirigé par J. Gadille, Les
Cahiers de l'Institut Catholique de Lyon, n° 12, 1983, 102 p.
Collectif, Les réveils missionnaires en France du Moyen-Age à nos jours (XIIe-
XXe siècles). Actes du colloque de Lyon (1980). Préface de Guy Duboscq
et André Latreille, Paris, Beauchesne, 1984, 423 p.
BIBLIOGRAPHIE 543

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pensée et une mystique missionnaires. Préface de Leopold Sedar Senghor
de l'Académie Française. Paris, Cerf, 1988, 938 p. En particulier la
cinquième partie pour «une approche historique renouvelée de la
Mission».
Crozier Michel, Le phénomène bureaucratique. Paris, Seuil, 1971, 384 p.
Defois G., Langlois C, Holstein H., Le pouvoir dans l'Eglise, Paris, Cerf,
Desclée et Ce, 1973, 277 p.
Gadille Jacques, «Sur l'inculturation. L'inculturation chrétienne est-elle
possible? Essai d'analyse théorique et expérimentale, dans Recherches et
Documents du Centre Thomas More, n° 39, septembre 1983, p. 35-50.
Geffre Claude, Le christianisme au risque de l'interprétation, Paris, Cerf,
1983, 361 p.
Gernet Jacques, Chine et Christianisme. Action et réaction. Paris, Gallimard,
1982, 342 p.
Gruzinski S., La colonisation de l'imaginaire. Sociétés indigènes et
occidentalisation dans le Mexique espagnol, XVIe-XVIIIe s., Paris, Gallimard, 1988,
Jarret-Kerr Martin, Patterns of Christians Acceptance. Individual response
to the missionary impact, 1550-1950, Oxford University Press, 1972,
342 p.
Ladous Régis, Monsieur Portal et les siens (1855-1926), Paris, Cerf, 1985.
Laburthe-Tolra Philippe, «Christianisme et ouverture au monde. Le cas du
Cameroun. 1845-1915». R.F.H.O.M., T. LXXV, n° 297, p. 207-221.
Laverdière Lucien, L'Africain et le Missionnaire. L'image du missionnaire
dans la littérature d'expression française. Essai de sociologie littéraire.
Montréal, Edit. Bellarmin, 1987, 608 p.
Levillain Philippe et Uginet François-Charles, Le Vatican ou les frontières
de la grâce, Paris, Calmann-Lévy, 1984, 266 p.
Levillain Philippe, La Mécanique politique de Vatican II, majorité et
unanimité dans un concile, Paris, Beauchesne, 1975, 468 p.
Marcocchi, Colonialismo, cristianesimo e culture extraeuropee. Le istruzioni
di Propaganda Fide ai vicari apostolici dell'Asia orientale (1659). Milano,
Jaca Book, 1980, 88 p.
Maurier Henri, «Missiologie et sciences humaines. Evangelisation et
civilisation». In Cultures et développement, T. XIII, 1981, p. 3-25.
Medeiros François de, L'Occident et l'Afrique (XIIe-XVe siècle). Préface de
Jacques Le Goff. Paris, Karthala, 1985, 305 p.
Pirotte Jean (en collaboration sous la direction de), Stéréotypes nationaux
et préjugés raciaux aux XIXe et XXe siècles. Sources et méthodes pour une
approche historique. Université de Louvain, recueil de travaux 6e série,
Louvain et Leuven, Nauwelaerts, 1982, 166 p.
Pirotte Jean, «Evangelisation et Cultures. Pour un renouveau de la
missiologie historique». In Revue théologique de Louvain, 17, 1986, p. 419-443.
Plongeron Bernard, «Les éveils de la conscience missionnaire en France
aux XVIIe-XXe siècles. Eléments d'une bibliographie française», in Cou-
Ion Paul et Brasseur Paule, Libermann, p. 819-848.
Poulat Emile, L'Eglise c'est un monde. L'Ecclésiosphère, Cerf, 1986, 282 p.
Poulat Emile, Le catholicisme sous observation. Entretiens avec Guy Lofon,
Paris, Le Centurion, 1983, 256 p.
544 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

Poulat Emile, Liberté, Laïcité - La guerre des deux France et le prìncipe de la


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LISTE DES CROQUIS

Page
1 - Comparaison de la nationalité des chefs de mission de 1878 à
1903 10
2 - Concile du Vatican I. Représentants et population par grands
sembles géographiques 12
3 - Décrets et actes du Saint-Siège dans les Collectanea. Part des
quatre congrégations les plus citées 43
4 - Répartition des actes de la Propagande selon leur destination
graphique sous Pie VII 53
5 - Id. sous Léon XIII 53
6 - Lettres expédiées par la Propagande vers l'Afrique 57
7 - Id. vers l'Amérique 57
8 - Id. vers l'Asie 58
9 - Evolution globale des lettres expédiées (1869, 1879, 1889) 59
10 - Destination des lettres expédiées en 1889 60
11 - Recettes de l'Œuvre de la Propagation de la Foi (1822-1903) 71
12 - Lettres envoyées mensuellement en 1891 77
13 - Délibérations des cardinaux en congresso 132
14 - Mobilité des minutanti 163
15 - Essai de schématisation du gouvernement de l'Eglise romaine.... 169
16 - Itinéraires individuels des Secrétaires de la Propagande 174
17 - Itinéraires individuels des Préfets de la Propagande 175
18 - Clergé indigène et clergé missionnaire en Chine 248
19 - Clergé indigène et clergé missionnaire en Indocine 249
20 - Clergé indigène et clergé missionnaire aux Indes 249
21 - Associations fondées pour aider les missions entre 1818 et 1900. 418

LISTE DES TABLEAUX

1 - Principales sociétés missionnaires en 1900 8


2 - Principales sociétés missionnaires fondées au XIXe s. hors de
France 9
3 - Cardinaux membres de la Propagande et des Affaires
tiques extraordinaires 39
4 - Minutanti de la section latine entre 1878 et 1903 86-87
5 - Consulteurs de la Propagande en 1884 104-105
6 - Consulteurs en 1898 105-106
7 - Cardinaux ponenti sous le préfet Simeoni 136
8 - Cardinaux ponenti sous le préfet Ledochowski 137
9 - Cardinaux ponenti les plus souvent cités 137
10 - Composition des cinq congrégations clés en 1884 171
11 - Id. en 1893 172
12 - Id. en 1900 172
13 - Implantations OMI au XIXe s 312
14 - Calendrier d'approbation des sociétés missionnaires 329
15 - Erection de la hiérarchie 315
16 - Comparaison de quelques recettes de la Propagation de la foi 415
556 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII

17 - Fondation d'associations d'aide aux missions 418


18 - Budget de l'Œuvre antiesclavagiste en 1891 et 1892 431
19 - Sommes «mises à la disposition du Saint Père pour ses œuvres
orientales» par la Propagation de la Foi 435
20 - Comparaison entre la quête antiesclavagiste et les recettes de la
Propagation de la foi (1895 et 1899) 438
21 - Recettes de la Propagation de la Foi en France et aux Etats-Unis
avant et après la première guerre mondiale 439

LISTE DES CARTES ET PLANS

Les Missions catholiques en 1885 4


Missions catholiques de Chine en 1900 253
Plan de la mission catholique de Kin-Kia-Kiang dans le Hounan
méridional (source : G.B. Tragella, Le missioni di Milano nel quadro
degli avvenimenti contemporanei, voi. 2, hors texte, entre p. 320 et
321) 266
Division Ecclésiastique des Indes en 1900 270
ANNEXES

CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS


DOCUMENT 1
CIRCONSCRIPTIONS ECCLÉSIASTIQUES DÉPENDANT DE LA S. CONGRÉGATION DE LA PROPAGANDE EN 1900
*0
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 559

Légende de la carte ci-contre.


EUROPE Ceylon
Europe du Nord 137 Van
138
139
140 Artwin
Erzeroum
Marache (I(l 25 Jaffna
26 Trincomalie
21 Norvège (P.A.) 27 Kandy
Danemark (P.A.) 28 Colombo
3 Pologne (A.D.) Afrique
Ecosse 61 Alger (A.I Péninsule indo-chinoise
62 Constantine (I 30
4 Aberdeen (D.) 63 31 Birmanie
Birmanie septentrionale
orientale (V.A.)
64 Tunis
5 Dunkeid (D.) (A.I(I (V.A.)
6 St. André & Edimbourg (A.D.) Oran 32 Karem
7 Argyll & Iles (D.) 65 San Cristobal (I 33 Birmanie méridionale (VA)
89 Golloway (D.) 66 Las Palmas (I 34 Malacca (V.A.)
Glasgow (A.D.) 67 Sénégambie (VJ 35 Pnom-Penh
6869 Guinee française (PJ 36 Cochinchine occidentale (V.A.)
Angleterre Sierra Leone (V.; 37 Cochinchine orientale (V.A.)
10 Nottingham (D.) 70 Côte d'Ivoire (P.^ 38 Cochinchine septentrionale (V.A.)
11 Northampton (D.) 71 Côte de l'Or (PJ 39 Tonkin méridional (V.A.)
12
13 Westminster (A.D.) 72 40 Ke-So 1 Tonkin
73 Togo
Southwark (P./
D.) Dahomey (P./ 41 Hung-Hoa
42 Than-Hoa [occidental
\ °i t , (V.A.)
14 Salford D.) 74 Bénin ÇVJ
15 Plymouth D.) 75 Bas-Niger (P./ 43 Tonkin oriental (V.A.)
16 Clifton D.) 76 44 Tonkin septentrional
77 Cameroun (PJ (V.A.)
17 Newport & Menevia (D.) Fernando-Po (VJ Chine
18 Shrewsbury (D.) 78 S. Thomé (I 48
49 Yun-Nan
19 Birmingham (D.) 79 Gabon (VJ (V.A.)
20 Kovei-Tchéou (V.A.)
21 Hexham & Newcastle (D.) 80 Haut-Congo Français (VJ 50 Kouang-Si (P.A.)
Middlesborough (D.) 81 Bas-Congo fr. Loango (VJ 51 Macao (D.)
22
23 Liverpool (D.) 82 Landana (VJ 52 Hong-Kong (V.A.)
Leeds (D.) 83 Kwango (Abb. Nul (P.A.)
Europe Centrale 84 Oélé (P./ 53 Amoy,
54 Kouang-Toung
Formose (VA)
24 85 Lunda (Malanga) (Mis:
25 Luxembourg (V.A.) 86 Loanda (B. Congo portug.) (P./ 55 Fou-Kien (VA)
Lausitz (Lusace) (P.A.) 8788 Haute-Cimbébasie (P./ 56 Tché-Kiang (V.A.)
26 Cologne (A.D.) Cunène (Mis; 57 Kiang-Si oriental (V.A.)
27 Fribourg (A.D.) 89 58 Kiang-Si septentrional (V.A.)
90 Basse-Cimbébasie
28 Saxe et Anhalt (VA) (P./ 59 Kiang-Si méridional (VA)
29 Slesvig-Holstein (V.A.) Namaland (Mis: 60 Ho-nan méridional (V.A.)
30 Gneisen (A.D.) et Culm (D.) 91 Kimberley (VJ 61 Ho-nan septentrional (V.A.)
92
93 Fleuve
Le Cap Orange
31 Rhétie et Mésaucine (P.A.) (VJ 62 Ho-Pé Sud occidental (V.A.)
Balkans occidental (VJ 63 Se-tchoan oriental (VA)
32 Moldavie 94 Le Cap central (PJ 64 Se-tchoan méridional (V.A.)
(V.A.) 95 Le Cap oriental (VJ 66 Se-tchoan septentrional (A.V.)
33
34 Bucarest (A.D.) 96 Basutoland (P./ 67 Kan-Sou septentrional (V.A.)
Nicopoli (D.) 97 Natal (VJ 68 Kan-Sou méridional
35 Philippopoli (VA) 98 Transvaal (PJ (V.A.)
36 Sofia (V.A.) 99 Mozambique (Abb. Nul 69 Chen-Si méridional (V.A.)
37 Scoplié (A.D.) 100 Nyassa (VJ 70 Hu-Pé Nord occidental (VA)
38 Belgrade & Sémendria (D.) 101 Congo sup. belge ÇVJ 71 Hu-Pé oriental (V.A.)
39 Sarajewo (A.D.) 102 Unyanembe ÇVJ 72 Kiang-Nan (V.A.)
40 Banjaluka (D.) 104 Bogamayo (Abb. Nul 74 Chan-Toung méridional (V.A.)
41 75 Ho-Nan méridional (V.A.)
42 Mostar (D.) 105 Victoria Nyanza méridionale (VJ 76 Chan-Si méridional (V.A.)
Trébigné (D.) 108
109 Victoria
43 Antivari (A.D.) Nyanza septentrionale (VJ 77 Chan-Si septentrional (V.A.)
44 Scutari (D. Nil supérieur (VJ 78 Chan-Si septentrional (V.A.)
110 Zanguebar septentrionale ÇVJ 80
81 Pétchili
Pétchili Sud
Sud occidental
45 Pulati (D. 111 Obock (V.A.)
46 Sappa (D. 112 Abyssinie septentrionale (VJ oriental (V.A.)
47 Alessio (D.) 113 Erythrée (PJ 82 Ho-nan septentrional (VA)
48 Durazzo (A.D.) 114 Basse-Egypte (VJ 83 Chan-Toung septentrional (V.A.)
49 Corfou (A.D.) 115 Petites dies Malgaches 84 Chan-Toung oriental (V.A.)
50 Céfalonie (D.) 116 85 Pétchili oriental (V.A.)
117 Madagascar
Madagascar septentrionale
51 Zante & Cerigo (D.) (VJ 86 Pétchili septentrional (VA)
52 Athènes centrale (VJ 87 Mongolie centrale (VA)
(A.D.) 118 Madagascar méridionale (VJ 88 Mongolie orientale (VA)
53
54 Naxos (A.D.) 119 Saint-Denis (I 89 Mondchourie méridionale (V.A.)
Santorin (D.) Inde
55 Syra (D.) 1 Rawalpindi Australie
56 Tinos & Mykinos (D.) 91
92 Drisdale
2 Lahore Riv. (Miss.)
57 Andres (D.) 3 Jaipur Beagle Bay (Abb. (VA)
NuU.)
58 Chios (D.) 45 Bombay 93 Nouvelle-Murcie
59 Candie (Vie. Patr.)
(D.) Mangaîore 94 BaUarat (D)
60 Constantinople 6 Mysore 9596 Melbourne (A.D.)
Proche-Orient, Balkans 7 Coïmbatore Bendigo (D.)
120 Jerusalem (Patr.) 89 Vérapoly 97 Broken Hill (D)
121 Damas (V. Patr.) Quilon 98 Bathurst (D)
122 Bagdad 10 Madura 99 Annidale (D.)
123 100 Lismore (D.)
124 Mardin (A.D.) 11 Trichinopoli 101 Maitland (D.)
Diarbekir (D.) 12 Kumbakonam 102 Sydney
125 Alep (A.D.) 13 (A.D.)
126 Tokat
127 (D.) 14 Pondichéry
Madras 103 Sale
104 Cooktown (D)
(V.A.)
128 Bzoumar (Couvt.) 15 Haïderabad
Cesaree (D.) 16 Oceanie
129 Smyrne
130 Brousse (A.D.) 17 Vizagapatam
Nagpur 105
106 Nouvelle-Guinée
Terre GuiUaume Π (V.A.)
(d.: 18 Allahabad (P.A.)
131
132 Adana (D.) 19 Beltiah 107 Nouvelle-Poméranie (VA)
Angora 20 108 Salomons Nord (P.A.)
133 Trébizonde
134 Siwas
(D.
(D.)
(D. 21 Calcutta
Krishnagart 109 Salomons Sud
110 Nouvelle-Calédonie (P.A.)
(D. 22 Assam (VA)
135
136 Malatia 23 Shillong 111 Nouvelles-Hébrides (P-A.)
Kharpout (D. 24 Dacca 113 Wallis et Futuna (P.A.)
114 Oceanie Centrale (P.A.)
Abréviations : 115 Bornéo Nord (P.A.)
D. = diocèse
V.A. = vicariat apostolique
P.A. = préfecture apostolique
Source : Histoire universelle des Missions catholiques publiée sous la direction de Mgr Delacroix. T. 3,
les Missions contemporaines, p. 120-121.
560 ANNEXES

DOCUMENT 2
Liste des vicaires apostoliques en 1878 : Afrique, Asie, Oceanie.
Age
Nom Territoire Société Nomin. Naiss. Dép. Nat.
mort
Balsieper Giordano Bengale Est Ben. Mt Ca 1878 1835 D. 55
Bardou Joseph Coïmbatour M.E.P. 1874 1834 1858 Fr. 69
Bax Jacques Mongolie Scheut 1874 1824 1871 Bel. 71
Biet Félix Thibet M.E.P. 1878 1838 1864 Fr. 53
Bonjean Christophe Jama O.M.I. 1868 1823 1847 Fr. 69
Borgna Jean-Bapt. Quilon Carme dec 1871 1817 1851 It.
Bourdon Antoine Birmanie sept. M.E.P. 1872 1834 1863 Fr. 84
Bray Gérald Kiang-si CM. 1870 1825 1858 Fr. 80
Butler Antoine Guyane brit. S.J. 1878 1830 Br.
Calderon Michel Foukien O.P. 1831 1803 1824 Esp. 80
Canoz Alexandre Maduré S.J. 1846 1805 1840 Fr. 83
Cezon Barnabe Garcia Tonkin O.P. 1865 1834 1860 Esp. 65
Chiais Efisio Chensi Min. obs. 1844 1808 It.
Ciurcia Luigi Egypte Min. obs. 1866 1818 It. 63
Ciaessens Adam Batavia Sécul. 1874 1818 1848 Nl. 77
Cocchia Rocco St Domingue Cap. 1878 1830 It.
Colombert Isidore Coch. ortale M.E.P. 1872 1838 1863 Fr. 56
Colomer Antoine Tonkin Est M.E.P. 1870 1833 1855 Fr. 69
Comboni Daniele Afr. centrale Verone 1877 1831 1857 It. 50
Cosi Eliseo Chantong Min. obs. 1865 1819 1849 It. 66
Croc Yves-M. Tonkin mérid. M.E.P. 1868 1829 1854 Fr. 56
Delaplace Louis-Gab. Tchely sept. CM. 1852 1820 1845 Fr. 64
Desfleches Joseph Sutchouen Est M.E.P. 1840 1814 1838 Fr. 73
Dordillon Hildephonse Marquises Picpus 1855 1845 1845 Fr.
Dubail Constant Mandchourie M.E.P. 1879 1838 1862 Fr. 49
Dubar Edouard Tchely sept. S.J. 1864 1826 1861 Fr. 52
Duboin François Sénégal Spir. 1876 1827 1851 Fr. 66
Fennelly Stephan Madras Sécul. 1868 1814 1844 Irl. 66
Ferres Joseph Kuan-Tong O.P. 1875 1818 Esp.
Filippi Alessio Houpé mérid. Min. réf. 1876 1818 1845 It. 70
Foucard Pierre Kouangsi M.E.P. 1878 1830 1860 Fr. 59
Galibert Louis-M Coch. ortal M.E.P. 1879 1845 1868 Fr. 38
Garcia-Cezon Barn. Tonkin O.P. 1865 1834 1834 Esp.
Garnier Valentin Nankin S.J. 1879 1825 1868 Fr. 73
Gasnier Edouard Siam odtal M.E.P. 1878 1833 1857 Fr. 63
Goethals Paul Bengale odtal S.J. 1878 1832 1877 Bel. 69
Grassi Gregorio Chansi Carme dèci 1876 1833 1860 It. 67
Guerry Edmond Tche-Kiang CM. 1864 1825 1825 Fr. 77
Hamon Ferdinand Kanson Scheut 1878 1840 1875 Bel. 35
Jacopi Michel-Ange Agra cap. 1868 1812 1841 It. 79
Jolivet Charles Natal O.M.I. 1874 1826 1849 Fr. 77
(à suivre)
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 561

(suite)
Age
Nom Territoire Société Nomin. Naiss. Dép. Nat. àia
mort
Laouenan François Pondichéry M.E.P. 1871 1822 1846 Fr. 70
Laucaigne Joseph Japon mérid. M.E.P. 1873 1839 1863 Fr. 46
Le Berre Pierre-M Deux-Guinées Spir. 1877 1819 1846 Fr. 72
Leonard Jean Cap B. Esp. W Sécul. 1872 Irl. ρ
Lions François-Eug. Kouytchéou M.E.P. 1871 1820 1848 Fr. 73
Massaja Guglielmo Gallas Cap. 1846 1809 1846 It. 80
Mellano Leonardo Verapoly Carme décl. 1870 1826 1851 It. 71
Meurin Louis Bombay S.J. 1867 1825 Bl. 70
Moccagatta Luigi Chansi Min. obs. 1844 1809 1840 It. 82
Petit Jean Bernard Japon mérid. M.E.P. 1866 1829 1860 Fr. 55
Pinchon Jean Setchouen N.E. M.E.P. 1858 1814 1846 Fr. 77
Ponsot Joseph Yunan M.E.P. 1840 1803 1830 Fr. 78
Pontvianne Martin Coch. centrale M.E.P. 1877 1839 1863 Fr. 40
Puginier Paul Tonkin odtal M.E.P. 1868 1829 1858 Fr. 63
Raimondi Timoleano Hong Kong M.E.M. 1874 1827 1852 It. 67
Riano Emmanuelle Tonkin O.P. 1868 1829 1852 Esp. 55
Ricards Jacques D. Cap B.E. Est Sécul 1871 1828 1849 Irl. ρ
Ridel Félix Corée M.E.P. 1869 1830 1860 Fr. 54
Semprini Eusebio Hounan Min. réf. 1876 1823 1859 It. 72
Suter Fedele Tunisie Cap. 1844 1896 1843 It. 87
Taurin-Cahagne Luigi Gallas (coadj.) Cap. 1873 1826 1873 Fr. 73
Tissot Jean Vizagapatam St Fr. Sales 1863 1810 1847 Fr. 80
Touvier Marcel Abyssinie CM. 1869 1825 1869 Fr. 63
Van Ewjih Martin Curaçao O.P. 1869 1827 1851 Nl. 59
Vey Jean-Louis Siam ortal M.E.P. 1875 1840 1865 Fr. 69
Volenteri Simeone Hunan M.E.M. 1873 1831 1859 It. 73
Zandi Eustache Houpé ortal Francics. 1861 1831 It.

Age moyen de nomination : 42,3


Durée moyenne de vie : 64,3

Nationalités
France : 35 (51,5%) Italie : 17 (25%) Espagne : 5 (7,3%)
Belgique : 4 (5%) Irlande : 3 Hollande : 2 G-B:l Allemagne (D) : 1

Principales sociétés
M.E.P. : 21 Franc. : 5 Carmes : 2 Sch.:2 Bén.:2
S.J. : 6 Cap. : 5 M.E.M. : 2 Sp.: 2
O.P. : 6 Laz. : 4 O.M.I. : 2 Min. réf.: 2
562 ANNEXES

DOCUMENT 3
Evêques et vicaires apostoliques en 1903 : Afrique, Asie, Oceanie'·
Age
Nom Territoire Société Nomin. Naiss. Dép. Nat. àia
mort
Abels Conrad Mongolie Est Scheut 1897 1856 1881 Be. 86
Adam Jean-Martin Gabon Spir. 1897 1846 1892 Fr. 83
Albert Maximilien Côte d'Or S.M.A. 1901 1866 1888 D. 37
Allgeyer Emile Zanguebar mér. Spir. 1897 1856 1885 Fr. 47
Anzer Jean-Baptiste Chantong mér. Steyl 1896 1851 1879 D. 52
Arguinzonis Bern. Verapoly coadj. carme déch. 1896 1852 1883 Esp. 81
Augouard Prosper Congo fr. Spir. 1890 1852 1877 Fr. 69
Banci Ezechias Hupé occ.-sept. Fr. min. 1871 1833 1861 It. 42
Bardou Joseph Coïmbatour M.E.P. 1874 1834 1856 Fr. 79
Bazin Hyppolite Sahara P. Bl. 1901 1849 1888 Fr. 61
Beiderlinden Bernard Poona S.J. 1886 1842 D. ■)
Benziger Ulrich Quilon coad. carme déc. 1900 1864 Hei. ■>
Berlioz Alexandre Hacodate M.E.P. 1891 1852 1879 Fr. 77
Bermyn Alphonse Mong. W-mér. Scheut 1901 1853 1878 Be. 62
Bouchut Jean-Claude Cambodge M.E.P. 1902 1860 1883 Fr. 68
Bourdon Charles Birmanie sept. M.E.P. 1872 1834 1863 Fr. 84
Bray Gérald Kiangsi mérid. CM. 1870 1825 1858 Fr. 80
Broyer Pierre Arch. Navigai. Mariste 1896 1846 1874 Fr. 72
Bruguiere Jules Tchely mér.-w CM. 1891 1851 1877 Fr. 55
Cardot Alexandre Birmanie mér. M.E.P. 1893 1857 1879 Fr. 68
Carlassare Epiphane Hupé ortal Cap. 1884 1844 1870 Fr. 65
Carrie Antoine Congo fr. Spir. 1886 1842 1869 Fr. 62
Caspar Antoine Coch. sept. M.E.P. 1880 1841 1865 Fr. 76
Cavadini Abbonato Mangalore S.J. 1895 1846 1879 It. 64
Cazet Jean-Bapt. Mad. centr. S.J. 1885 1827 1874 Fr. 91
Chatagnon Marc Sétchouen mér. M.E.P. 1887 1839 1863 Fr. 81
Chatron Jules Osaka M.E.P. 1896 1844 1873 Fr. 73
Coulet Marie-Félix Mandch. mér. M.E.P. 1900 1854 1880 Fr. 69
Chouvellon Célestin Sétchouen Est M.E.P. 1891 1849 1873 Fr. 75
Clemente Isidoro Amoy O.P. 1899 1853 1883 It. 62
Clerc Jean-Marie Vizagapatam Si F. Sales 1891 1847 1881 Fr. ?
Colgan Joseph Madras Sécul. 1886 1821 Irl. ρ
Coqset Auguste Kiangsi mérid. CM. 1887 1847 1875 Fr. 70
Corbet François Madag. sept. Spir. 1898 1836 1867 Fr. 78
Coudert Antoine Colombo coadj. O.M.I. 1898 1861 1886 Fr. 68
Couppe Louis Nle-Poméranie SC Issoud. 1889 1850 1884 Fr. 76
Cousin Jules Nagasaki M.E.P. 1891 1842 1866 Fr. 69
Crochet J. -Marie Nagpour St F. Sales 1900 1844 1874 Fr. 59
Crouzet Jacques Mad. mérid. CM. 1886 1849 1875 Fr. 84
(à suivre)
Les évêques sont indiqués en caractères italiques.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 563

(suite)
Age
Nom Territoire Société Nomin. Naiss. Dép. Nat. àia
mort
Cuaz Joseph-Marie Laos M.E.P. 1899 1862 1885 Fr. 51
Dalhoff Theodor Bombay S.J. 1891 1837 D. ρ
Dartois Louis Dahomey S.M.A. 1901 1861 1896 Fr. 44
De Saune Henry Mad. cent, coadS.J. 1899 1852 1899 Fr. ρ
Dunand Jul.-Marie Se-Tchouen M.E.P. 1893 1841 1869 Fr. 74
Escoffier Joseph Yunan, coadj. M.E.P. 1895 1861 1886 Fr. .54
Favier Alphonse Pékin CM. 1897 1837 1862 Fr. 68
Fee Renaud Malacca M.E.P. 1896 1856 1879 Fr. 48
Fenouil Jean Yunan M.E.P. 1881 1821 1847 Fr. 86
Fernandez Maxime Tonkin centr. O.P. 1898 1848 1867 Es. 78
Ferrant Paul Tché-Kiang CM. 1898 1859 1884 Fr. 51
Fiorentini Agostino Chansi sept. Fr. min 1902 1866 1895 It. 75
Fraysse Hilarion Nelle-Calédon. Mariste 1880 1846 1874 Fr. 34
Galton Compton Guyane brit. SJ. 1902 1855 Br. ρ
Gandy Joseph Pondichéry M.E.P. 1883 1839 1867 Fr. 70
Gaughren Matthieu Orange O.M.I. 1902 1843 Irl. 85
Gendreau Pierre Tonkin W M.E.P. 1887 1850 1873 Fr. 85
Gentili Carlo Agra Cap. 1897 1840 1882 It. 77
Geurts Ernest CM. 1899 1862 1886 Nl. 86
Giraudeau Pierre Thibet M.E.P. 1897 1855 1878 Fr. 76
Grangeon Damien Coch. ortie M.E.P. 1902 1857 1883 Fr. 76
Guichard François Koui-tchéou M.E.P. 1884 1841 1865 Fr. 72
Hanlon Emile Nil. supr Mill-Hill 1894 1862 1890 Br. 75
Hirth Jean Vict.-N. Mér. P. Bl. 1889 1854 1887 Fr. 77
Hopkins Frédéric Honduras brit. SJ. 1899 1844 Br. ?
Hudrìsier Marcel Port-Victoria Cap. 1890 1848 Fr. ρ
Hurth J. -Pierre Dacca Ste Croix 1894 1857 Fr. ?
Jarlin Stanislas Pékin coadj. CM. 1899 1843 1889 Fr. 90
Jarosseau André Gallas Cap. 1900 1858 1881 Fr. 83
Jolivet Charles Natal O.M.I. 1874 1826 1849 Fr.
Joulain Henry Jaffna O.M.I. 1893 1852 1880 Fr. 67
Kleiner Eugène Mysore M.E.P. 1890 1841 1865 Fr. 74
Kunnemann Alphonse Sénégambie Spir. 1901 1856 1892 Fr. 52
Lalouyer Pierre Mandch. sept. M.E.P. 1897 1850 1873 Fr. 73
Lamaze Armand Oceanie centr. Mariste 1879 1833 1863 Fr. 73
Lang Joseph Bénin S.M.A. 1902 1868 Fr. 44
Lechaptois Adolphe Tanganyka P. Bl. 1891 1852 1886 Fr. 65
Leonard Jean Cap. B.E. W Sécul. 1872 1829 Fr. ρ
Leray Joseph Iles Gilbert SC Issoud. 1897 1855 1886 Fr. 75
Le Roy Alexandre Supérieur Spir. 1892 1854 1877 Fr. 84
Livinhac Léon Supérieur P. Blancs 1883 1846 1878 Fr. 76
(à suivre)
564 ANNEXES

(suite)
Age
Nom Territoire Société Nomin. Naiss. Dép. Nat. àia
mort
Luypen Edmond Batavia S.J. 1898 1855 NI. ?
Mac Sherry Hugues Cap. B.E. ortal Sécul. 1896 1852 Irl. ρ
Magabure Pierre-Xa. Tokyo coadj. M.E.P. 1902 1850 Fr. ρ
Marcou Jean-Pierre Tonkin marit. M.E.P. 1895 1855 1880 Fr. 82
Martin Rogatien I. Marquises Picpus 1892 1849 1878 Fr. 63
Masot y Gomez Salv. Fo-kien O.P. 1884 1845 1869 Es. 66
Melizan André Colombo O.M.I. 1893 1844 1868 Fr. 61
Mondaini Luigi Hynan mérid. Fr. min. 1902 1868 1891 It. 66
Mossard Lucien Coch. occid. M.E.P. 1899 1846 1876 Fr. 78
Mutel Gustave Corée M.E.P. 1890 1854 1877 Fr. 81
Navarre André Nelle-Guinée S.C. Issoud 1888 1836 1881 Fr. 76
O'Neill Pierre Port-Louis Bén. angl. 1896 1843 Br. Ρ
Osouf Pi.-Marie Tokyo M.E.P. 1876 1829 1856 Fr. 77
Ossi Ferdinande Quïlon carme déch. 1886 1843 1883 It. 62
Otto Hubert Mongolie cent. Scheut 1890 1850 1876 Be. 88
Pagani Clemente Kandy Bén. sylv. 1886 1834 It. 77
Paris Prosper Nankin S.J. 1900 1846 1883 Fr. 85
Passerini Pio-G. Chensi Mér. Sém. P. et P. 1895 1866 1889 It. 52
Pellet Paul Vie. Gai S.M.A. 1895 1859 1884 Fr. 55
Perez y Perez Luis Hunan sept. Augustin 1896 1846 1880 Es. 64
Piazzoli Luigi Hong-Kong M.E.M. 1895 1845 1869 It. 59
Pineau Louis Tonkin mér. M.E.P. 1886 1842 1866 Fr. 79
Ramond Paul-Marie Tonkin supr M.E.P. 1895 1855 1881 Fr. 89
Reynaud Paul Tche-Kiang M.E.P. 1884 1854 1879 Fr. 72
Rizzi Oderico Chensi sept. Fr. min. 1902 1858 1889 It. 47
Roelens Victor Congo supr P. Bl. 1895 1858 1892 Be. 89
Rooney John Cap B.E. W eoa sécul. 1886 1844 1896 Irl.
Ropert Gulstan I. Sandwich Picpus 1892 1839 1867 Fr. 64
Scarella Stefano Honan sept. M.E.M. 1882 1842 1864 It. 70
Schang Césaire Chantong ortal Fr. min. 1894 1835 1883 Fr. 76
Simon Jean-Marie Fleuve Orange St F.S. Tr. 1898 1858 1885 Fr. 41
Streicher Henri Vict.-N. sept. P. Bl. 1897 1863 1890 Fr. 70
Terres Jose Tonkin ortal O.P. 1875 1843 1864 Es. 63
Timmer Albert Chansi mérid. Fr. min. 1901 1859 1884 Nl. 84
Tornatore Rocco Birmanie Est M.E.M. 1889 1836 1867 It. 72
Van Aertselaer Jér. Mongolie cent. Scheut 1898 1845 1873 Be. 79
Van Baars Ambroise Curaçao O.P. 1897 1854 NI.
Van Reeth Joseph Galle (Ceylon) S.J. 1895 1843 Be.
Van Ronsle Camille Congo belge Scheut 1896 1862 1896 Be. 76
Velasco Maximino Tonkin sept. O.P. 1890 1851 1875 Es. 74
(à suivre)
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 565

(suite)
Aee
Nom Territoire Société Nomin. Naiss. Dép. Nat. àia
mort
Verdier Joseph Tahiti Picpus 1882 1835 1874 Fr. 87
Verhaegen Théotime Hupé W-mér. Fr. min. 1900 1867 1894 Be. 37
Vey Jean-Louis Siam M.E.P. 1875 1840 1865 Fr. 69
Vic Casimir Kiangsi ortal M.E.P. 1885 1852 1877 Fr. 60
Vidal Julien Fidji Mariste 1887 1846 1872 Fr. 76
Vigano Pietro Hyderabad M.E.M. 1897 1858 1880 It. 64
Volenteri Simeone Honan mérid. M.E.M. 1873 1831 1831 It. 73
Wulfingh Guillaume Surinam Rédempt. 1889 1839 Nl.

Age Moyen de Nomination : 44


Durée moyenne de vie : 68,3

Nationalités
France 79 Belgique 8 Italie 16 Esp. 6 Ail. 4 Holde Br. 4 Irl. 4
5
Sociétés
M.E.P. : 33 S.J. : 10 Laz. : 7 M.E.M., O.P., O.M.I.,
Scheut, Sp. : 5
566 ANNEXES

DOCUMENT 4

Préfectures apostoliques créées sous Léon XIII.

Fondation Préfecture Statut politique Société missionn. Nationalité


1894 Alaska Etats-Unis Jésuites
1900 St. Léon des Amazones Pérou Ermites S Augustin Péruviens
1889 Assam Indes britanniques Soc. Divin Sauveur Allemands
1894 Basutoland Royaume indép. O.M.I. Français
1892 Bettiah Indes britanniques Capucins Italiens
1890 Cameroun Colonie allemande Pallotins Allemands
1896 Carolines Colonie Capucins Italiens
1892 Cimbébasie infre Colonie allemande O.M.I. Allemands
1879 Cimbébasie supre Colonie portugaise Spiritains Français
1894 Côte d'Ivoire ^ Colonie française S.M.A. Lyon Français
1885 Delta du Nil Egypte britanniques S.M.A. Lyon Français
1894 Erythrée Colonie italienne Capucine Italiens
1882 Golfe du St Laurent Canada Evêque de Chicoutimi
1897 Guinée française Colonie française Spiritains Français
1897 Iles Salomon Colonie allemande Rattachées aux îles Fidji
1887 Kafiristan Indes britanniques Mill-Hill Britanniques
1901 Kassaï supr Congo belge Différé (Scheut) Belges
1892 Kwango Etat Ind. du Congo Jésuites Belges
1889 Niger inférieur Colonie française Spiritains Français
1884 Niger supérieur Colonie française S.M.A. Lyon Français
1883 Patagonie méridionale Argentine Salésiens Italiens
1892 Rajpootana Etat indien Capucins Italiens
1896 Terre de Guillaume Colonie allemande M. Etr. de Steyl Allemands
1892 Togo Colonie allemande M. Etr. de Steyl Allemands
1886 Transvaal Indépendant 1902 O.M.I. Français
1900 Ucayali (St François de) Pérou Franciscains Péruviens
1898 Uelle Congo belge Prémontrés Belges
1900 Urumbamba Pérou Dominicains Espagnols
1879 Zambèze Colonie britannique Jésuites Divers
1887 Zanguebar méridional Colonie allemande Bénéd. de Ste-Odile Allemande
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 567

DOCUMENT 5

Liste et statistiques des Missions catholiques en Chine (1900).

Hc/3
DIVISIONS ECCLÉSIASTIQUES MISSIONNAIRES So
Soi gä

1 Mandchourie Sud Vie. apost. Miss. étr. de Paris. 10000000 17 500 23 260 45 2 162
2 Mandchourie Nord Vie. apost. Id. 8000000 8 983 10 14 27 1 60
3 Mongolie Est Vic. apost. M. étr. belg. (Scheut.). 10000000 9060 27 126 29 3 49
4 Mongolie centrale Vic. apost. Id. 5 000000 17340 29 113 77 1 91
5 Mongolie Sud-Ouest Vic. apost. Id. 5680 27 30 29 1 56
6 I-li Préf. apost. Id. 133 3 2 2 1
7 Kan-Sou Vie. apost. Id. 21500000 3010 17 23 13 1 10
8 Pe-tchi-li Nord Vie. apost. Lazaristes. 10000000 40000 24 699 287 2 146
9 Pe-tchi-li Nord-Est Vie. apost. Id. 4000000 3 000 3 84 31 » 30
10 Pe-tchi-li Sud-Ouest Vie. apost. Id. 8000000 32270 13 397 304 2 106
11 Pe-tchi-li Sud-Est Vie. apost. Jésuites. 7155420 50000 42 614 652 4 426
12 Chan-tong Nord Vie. apost. Franciscains. 12 000000 18 200 13 424 216 2 160
13 Chan-tong Est Vie. apost. Id. 9000000 11930 12 142 133 1 51
14 Chan-tong Sud Vie. apost. M. étr. allem. (Steyl). 10000000 16190 31 30 342 16 32
15 Kiang-nan Vie. apost. Jésuites. 50000000 124 140 95 981 996 14 1047
16 Tché-Kiang Vie. apost. Lazaristes. 25000000 10500 13 171 59 2 74
17 Kiang-si Nord Vie. apost. Id. 10000000 5 070 9 115 29 2 85
18 Kiang-si Sud Vie. apost. Id. 10000000 5 500 11 140 28 1 19
19 Kiang-si Ouest Vic. apost. Id. 10000000 10860 10 210 47 1 96
20 Fo-Kien Vie. apost. Dominicains. 20000000 41320 26 112 ? 1 61
21 Amoy Vie. apost. Id. 8000000 4780 23 58 32 1 36
22 Kouang-tong Vie. apost. Miss. étr. de Paris. 30000000 42 500 58 636 165 1 165
23 Kouang-si Préf. apost. Id. 16000000 1530 17 46 26 1 42
24 Hong-Kong Vie. apost. Miss. étr. de Milan. 3 000000 9265 13 54 40 1 44
25 Macao Diocèse Séculiers. ? 21000 40 9 48 ■) ■>
26 Chen-si Nord Vie. apost. Franciscains. 7000000 20400 16 258 157 2 23
27 Chen-si Sud Vie. apost. Miss. étr. de Rome. 5000000 10200 15 52 65 3 74
28 Chan-si Nord Vie. apost. Franciscains. 6000000 13150 9 204 186 2 75
29 Chan-si Sud Vie. apost. Id. 6000000 9630 21 198 81 2 21
30 Ho-nan Nord Vie. apost. Miss. étr. de Milan. 7000000 3 000 9 61 34 15
31 Ho-nan Sud Vie. apost. Id. 23000000 10300 14 9 94 1 55
32 Hou-pé Est Vie. apost. Franciscains. 16000000 18016 14 242 89 2 2
33 Hou-pé Nord Vie. apost. Id. 6000000 11168 10 256 58 2 "i
I

34 Hou-pé Ouest Vie. apost. Id. 9000000 5290 13 71 29 1 4


35 Hou-nan Nord Vie. apost. Augustins. 10000000 215 6 7 5 3
36 Hou-nan Sud Vie. apost. Franciscains. 10000000 5726 8 83 48 2 12
37 Kouei-tcheou Vie. apost. Miss. étr. de Paris. 10000000 19128 38 444 77 3 123
38 Yunan Vie. apost. Id. 12000000 10390 29 111 55 1 78
39 Su-tchuen Nord Vie. apost. Id. 20000000 40000 35 625 55 2 235
40 Su-tchuen Ouest Vic. apost. Id. 15000000 34123 43 581 64 3 141
41 Su-tchuen Est Vie. apost. Id. 15000000 19 500 35 306 40 2 72
42 Tibet Vie. apost. Id. 4000000 1565 18 41 12 14

477 655420 741 562 922 8941 4067 4067


568 ANNEXES

DOCUMENT 6 .
Liste et statistiques des Missions catholiques aux Indes (1900).
CATHOLIQUES EUROPÉENS ET CHAPEL ES SÉMINAIRES COL ÈGES <j
PRÊTRES STATIONS ÉCOLES
ÉGLISES <£
DIVISIONS ECCLÉSIASTIQUES MISSIONNAIRES li

ET Xhu

1 Agra Archevêché. Capucins. 8095 35 40 36 8 20


2 Allahabad Évêché. Capucins. 6420 24 23 32 3 17
3 Lahore Évêché. Capucins. 3 590 23 36 20 5 9 Λ
4 Kashmir et Kafiristan .... Préf. apost. Miss. étr. ang. (Mill-Hill) 3000 14 15 11 1 4 »
5 Radjpoutana Préf. apost. Capucins. 3650 12 22 14 1 12
6 Bettiah Préf. apost. Capucins. 3725 15 14 11 1 20 2
28480
7 Calcutta Archevêché Jésuites. 54290 94 317 290 10 125 1
8 Assam Évêché Soc. du Divin Sauv. 13040 9 37 9 9
9 Dacca Évêché. Ste-Croix du Mans. 11000 15 50 22 22 Ä
10 Krichnagar Évêché. Miss. étr. de Milan. 4 050 8 52 43 21 2
82380
Séculiers et Mill-Hill. 44870 23 143 142 15 63
12 Hyderabad . .. ... Évêché Miss. étr. de Milan. 12590 19 68 54 6 27 Λ
13 Nagpour Évêché. Oblats de St-François 8000 18 48 28 25 2
14 Vizagapatam Évêché. de Sales d'Annecy. 12915 18 54 59 1 29
78375
15 Bombay Archevêché. Jésuites. 16160 51 45 46 2 21 4
16 Trichinopoly (Maduré) .. Évêché. Jésuites. 206000 51 37 980 1 242 4
17 Mangalore Évêché. Jésuites. 83691 34 50 73 1 59 S
18 Poona Évêché. Jésuites. 13 000 21 147 38 5 94
318851
19 Pondichéry Archevêché. Miss. étr. de Paris. 133 770 77 223 275 11 95 3
20 Coïmbatour Évêché Miss. étr. de Paris. 271987
105947
11130000
25
38147000
21000000
60000000
42
134000000
14200000
17000000
11054000
12380000
28089000
15
2000000
3015
71210000
7075
9000000
3709000
55000000
23000000
2410000
13238000
1930000
1200000
7000000
ψ
632410
600000
000000
500000
629790
900000
083
392000
748080
159600
028020
528020
188
150000
»y, ?680
790
000
780
870 35870 36 85 114 4 44 2
21 Kombakonam Évêché. Miss. étr. de Paris. 85000 19 1064 502 56 2
22 Mysore Évêché. Miss. étr. de Paris. 42170 49 115 97 2 87 2
296810
23 Verapoly Archevêché. Carmes. 59 700 41 37 53 4 151 1
24 Quilon Évêché. Carmes. 87000 29 28 167 1 101
146700
25 Goa Archevêché. 320134 769 426 8 139 »
26 Cochin Évêché. Prêtres portugais 78000 58 70 ?
27 Damao Évêché. et goanais. 63658 73 71 32
28 San Tome de Meliapour Évêché. ? 48 ? ?
461 792
29 Changanacchery Évêché. Prêtres du rite 129000 240 123 8 »
syro-malabar. 83 864 113 Indigènes. 87 »
31 Trichoor Évêché. 91787 79 75
304651
32 Colombo Archevêché. Oblats de Marie. 198120 73 251 272 10 348 4
33 Pointede Galle Évêché. Jésuites. 6 300 12 5 37 34
34 Jafna Évêché. Oblats de Marie. 42500 38 23 202 2 110
35 Kandy Évêché. Benedict. Sylvestrins. 21150 22 26 56 1 20
36 Trincomale Évêché. Jésuites. 7150 8 3 22 21
275220
37 Birmanie septentrionale Vie. apost. Miss. étr. de Paris. 6000 21 51 38 1 47
38 Birmanie orientale Vie. apost. Miss. étr. de Milan. 9600 10 115 124 1 77
39 Birmanie méridionale .... Vie. apost. Miss. étr. de Paris. 41000 39 154 181 1 72 3
40 Malacca Évêché. Miss. étr. de Paris. 19932 32 39 38 7 59
76532 2190 3417 4938 105 2312 37
2 069791
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 569

DOCUMENT 7

MISSIONS CATHOLIQUES D'AFRIQUE (1900)

CONST ANTINE (D.)

GUINEE PORTGse
Guinée fçse
SIERRA- LEONE Côte Cote
Libéria "^d'Ivoire

Fernando Po DCameroun HAUT


OUBANGHI
NIL
SAO TOME \ GABON CONGO
BELGE 1 NORD Κ
CONGO Fçs 2
1 VICTORIA NYANZA Nord Congo Ptgs ft
2 VICTORIA NYANZA Sud 345 CENTRE £
3 HAUT CONGO
4 TANGANYIKA Lounda SUD l <
5 OUNYANYEMBE May otte
ANGOLA NYASSA φ
Coubango .I J
. , Λ
g / .NORD
Counène
V f f
~; MADAGASCAR
/ CENTRE
I Cimbébasie
(A.) Arc M diocèse Inférieure \sud/
(D.) Diocèse
SA HA R A Yi ca ri at a postol i q ue NATAL transvaal
FLEUVE
Ma roc Ρ r éfect u re a postol i q ue ORANGE Basutoland
7 ETAT LIBRE
OCDAL ORT AL d 'OR ANGE
570 ANNEXES

DOCUMENT

Liste et statistiques des Missions catholiques d'Afrique (1900).


Source : DTC, I, col. 547-550.
Abréviations
D., Diocèse : Vie. ap., Vicariat apostolique; Préf. ap., Préfecture apostolique;
B. B., Bénédictins de Bavière (Munich); C. I. M., Congrégation du Cœur
Immaculé de Marie (Barcelone); C. S. Sp., Pères du Saint-Esprit (Paris); Cl. séc,
Clergé séculier; Fr. Min., Frères Mineurs (Rome); Fr. Min. C, Capucins (Rome);
Fr. Min. C. T. S., Custodie de Terre-Sainte; I. V., Institut de Vérone (Vérone);
M. Α. Α., Missionnaires d'Afrique d'Alger; M. A. L., Missions africaines de Lyon;
M. Ε. Α., Missions étrangères anglaises (Mill-Hill); M. E. AIL, Missions étrangères
allemandes (Steyl); M. E. B., Missions étrangères belges (Scheut); Ο. M. L, Oblats
de Marie (Paris); O. P. B., Prémontrés de Belgique; O. S. F., Oblats de Saint-
François de Sales (Troyes); P. M., Prêtres de la Mission (Paris); P. S. C, Prêtres
du Sacré-Cœur (Rome); S. J., Compagnie de Jésus (Rome); S. M. P., Société des
missionnaires pallotins (Rome); Tr., Trappistes (Rome).

h5 ÉGLI</)SE enPRÊTRE ÉCOLE! HÔPITAl


ATHOLIQ
MISSIONS
SlOL VXS
υ

1. Delta du Nil (Préf. ap.). - M. A: L


2. Egypte (Vie. ap.) 57420 42 64 94 84 15
Haute-Égypte-Coptes. - Fr. Min.; S. J. Bas-
se-Égypte-Latins. - Fr. Min.; C. T. S. Rites
unis : Arméniens; Melchites; Syriens; Chal-
déens; Maronites »
3. Soudan égyptien (Vie. ap.). - I. V 5 5 12 10 3
4. Tripoli (Préf. ap.). - Fr. Min 5 900 6 5 9 7 3
5. Tunis-Carthage (Archidioc). - Cl. séc »
6. Constantine (Dioc). - Cl. séc
7. Alger (Archid.). - Cl. séc; M.A.A.; Tr
8. Oran (Dioc). - Cl. séc
9. Maroc (Préf. ap.). - Fr. Min 6260 9 14 26 19 1
10. Sahara (Vie. ap.). - M. A. A » 6 6 16 5 2
11. Sénégal (Préf. ap.). - C. S. Sp
12. Sénégambie (Vie. ap.). - C. S. Sp 15000 61 18 50 53 36
13. Guinée port, et Cap-Vert (D.). - Cl. séc
14. Guinée française (Préf. ap.). - C. S. Sp 650 7 8 6 6 2
15. Sierra-Leone et Libéria (Vie. ap.). - C. S.
Sp 2 500 3 4 6 5
16. Côte-d'Ivoire (Préf. ap.). - M. A. L 200 5 5 » » »
17. Côte-d'Or (Préf. ap.). - M. A. L 3 400 10 4 16 12 4
18. Togo (Préf. ap.). - M. A. Ail 1000 5 8 9 17 5
19. Dahomé (Préf. ap.). - M. A. L 3 800 9 7 12 10 5
20. Benin (Vic. ap.). - M. A. L 16000 8 10 18 24 16
21. Bas-Niger (Préf. ap.). - C. S. Sp 1100 3 5 7 5 8
22. Haut-Niger (Préf. ap.). - M. A. L » 5 3 12 6 4
23. Cameroun (Préf. ap.). - S. M. Ρ 1700 19 7 6 20 »
24. Gabon (Vie. ap.). - C. S. Sp 10000 10 18 31 24 6
25. Congo français (Vie. ap.). - C. S. Sp 1500 5 8 20 7 6
(à suivre)
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 571

(suite)

MISSIONS

26. Oubanghi (Vic. ap.). - C. S. Sp 800 7 15


27. Congo beige (Vic. ap.). - M. E. B.; Tr 1200 11 32
28. Koango (Mission). - S. J 6
29. Wélé (Mission). - Ο. Ρ
30. Stanley-Falls (Mission)
31. Congo portugais. - C. S. Sp 4500 12 22
32. Angola (D.). - Cl. see
33. Loanda (Préf. ap.). - C. S. Sp
34. Coubango (Préf. ap.). - C. S. Sp 5 000 16
35. Counéné (Préf. ap.). - C. S. Sp
36. Cimbébasie inf* (Préf. ap.). - O. M. I 120 2 1
37. Fleuve Orange (Vic. ap.). - O. S. F 700 4 8 6
38. Cap. occidental (Vic. ap.). - Cl. see 6240 12 16 26
39. Cap. central (Préf. ap.). - Cl. see 720 7 7 6
40. Cap. oriental (Vic. ap.). - Cl. see 7690 14 18 38
41. État libre d'Orange (Vic. ap.). - Ο. Μ. Ι 5600 11 14 13
42. Transvaal (Préf. ap.). - Ο. Μ. Ι 6200 13 15 16
43. Basutoland (Préf. ap.). - Ο. Μ. Ι 4000 13 12 12
44. Natal (Vic. ap.). - O. M. I; Tr 10800 45 50 55
45. Mozambique (Prelature). - Cl. séc
46. Zambèze (Mission). - S. J 2000 11 27 16
47. Nyassa (Vic. ap.). - M. A. A 1000 2 6 1
48. Zanguebar-Sud (Préf. ap.). - Β. Β 700 5 6 2
49. Zanguebar-Centre (Vic. ap.). - C. S. Sp. ...
50. Zanguebar-Nord (Vic. ap.). - C. S. Sp 4900 15 29 12
51. Ounyanyembé (Vic. ap.). - M. A. A 470 5 11 5
52. Tanganyika (Vic. ap.). - M. A. A 850 4 12 4
53. Haut-Congo (Vic. ap.). - M. A. A 1310 13 9 6
54. Victoria-Nyanza-Sud (Vic. ap.). - M. A. A. 410 3 11 3
55. Victoria-Nyanza-Nord (Vic. ap.). - M. A. A. 30000 25 25
56. Haut-Nil (Vic. ap.). - M. E. A » 4 10
57. Gallas (Vic. ap.). - Fr. M. C 5 000 7 18
58. Arabie (Vic. ap.). - Fr. M. C
59. Abyssinie (Vic. ap.). - P. M 25 000 10 46
60. Erythrée (Préf. ap.). - Fr. M. C 7900 27 53
61. Açores (D.). - Cl. séc
62. Madère (D.). - Cl. séc
63. Canaries (2 dioc.). - Cl. séc
64. Fernando-Pôo (Préf. ap.). - C. I. M 3 000 12 10 28 11
65. Sâo Thomé (D.). - Cl. séc
66. La Réunion (D.). - Cl. séc
67. Maurice (D.). - Cl. séc.; C. S. Sp 110000 102 50 67 22
68. Seychelles (Vic. ap.). - Fr. M. C 16500 20 16 40 5
69. Nossi-Bé, Mayotte et Comores (Préf. ap.).
C. S. Sp 4600 5 6 5
70. Madagascar-sud (Vie. ap.). - P. M 8 » »
71. Madagascar-centre (Vie. ap.). - S. J 61500 367 49 930 15
72. Madagascar-nord (Vie. ap.). - C. S. Sp
458 170 649 1000 1015 1656 227
572 ANNEXES

DOCUMENT 9

Rapport du conseiller de l'ambassade de France auprès du Saint-Siège, F. de


Novenne, à l'intention du Président du Conseil et Ministre des Affaires
Etrangères Casimir Périer sur les cardinaux de Curie. Rome, 5 janvier
1887.

Source : M.A.E., Paris, Rome, Saint-Siège, vol. 1115, f. 15 r - 21 v.

Votre Excellence sait qu'à côté des Cardinaux résidant à l'étranger et


revêtus pour la plupart des dignités épiscopales, il y en a d'autres qui, fixés à
Rome, ne peuvent s'en éloigner qu'en vertu des congés accordés par le
Souverain Pontife lui-même. Les premiers remplissent des fonctions spéciales;
leur juridiction est généralement limitée au diocèse dont ils ont
l'administration. Ce n'est que temporairement, quand ils se trouvent de passage à Rome,
ou indirectement, qu'ils peuvent exercer une action sur le Gouvernement de
l'Eglise. En cas de vacance du trône pontifical, ils deviennent toutefois les
grands électeurs de la Papauté au même titre que les Cardinaux de Curie.
Tout autre est le rôle de ces derniers. On peut dire qu'ils sont les
conseillers naturels et ordinaires du Pape. A eux sont conférés les plus hautes
dignités de l'Eglise; les plus lourdes charges de la Cour pontificale leur sont
dévolues et ils exercent les principaux emplois de l'Administration et du
Gouvernement ecclésiastique. Le doyen du Sacré Collège, le Secrétaire d'Etat, le
Camerlingue, le Prodataire, le Grand Pénitencier, le Vice Chancelier, le
Vicaire de Rome sont invariablement des Cardinaux de Curie ainsi que les
Préfets des différentes congrégations romaines. Ces congrégations jouent dans
le gouvernement pontifical un rôle analogue à celui qui est attribué à nos
Ministères, à cette différence toutefois que les décisions réservées par notre
droit public au Ministre responsable, dépendent exclusivement depuis Sixte
Quint de la congrégation qui statue après avoir pris l'avis de son préfet. Il est
inutile d'ajouter que les décisions ne sont définitives que lorsqu'elles sont
approuvées par le Pape. Les congrégations romaines sont fort nombreuses
mais plusieurs d'entre elles n'ont que des attributions sans importance.
Celles qui méritent de fixer l'attention sont celles de la Propagande, du
Concile, du Saint-Office, des Evêques et Réguliers, de l'Index et des Rites.
Préfets, ou simples membres de ces différentes congrégations, les
Cardinaux de Curie ont donc la haute main sur l'ensemble des affaires qui se
traitent en cour de Rome et intéressent l'Eglise universelle. D'autre part,
l'accès du palais apostolique leur est ouvert et, soit que leurs fonctions les
appellent à jour fixe au Vatican, soit qu'ils se présentent d'eux-mêmes à
l'audience du Saint Père, ils se trouvent en communication habituelle avec lui.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 573

On voit que l'occasion ne leur manque pas pour l'amener à partager leur
manière de voir sur la politique générale et les questions particulières.
Enfin, en cas de conclave, ce sont les cardinaux de Curie qui le plus
souvent conduisent les autres et finissent par décider de l'élection. De là le
dicton que «si le pape est quelquefois un non-romain, ce sont toujours les
romains qui le nomment». Par Romains il faut entendre ici les princes de
l'Eglise, qui ont leur résidence à Rome.
Or, si la Curie se compose presque entièrement d'Italiens, il n'y a aucune
raison pour que le Pape n'y admette pas d'étrangers; l'histoire des derniers
pontificats est là pour l'attester. Pie VII appela près de lui sept cardinaux
étrangers, Léon XII deux, Pie VIII un, Grégoire XVI, il est vrai, rompit avec
la tradition, mais Pie IX y revint presque aussitôt et pendant les trente-et-un
ans de son règne, il ne créa pas moins de neuf étrangers cardinaux de curie.
Léon XIII a déjà fait quatre promotions de ce genre.
Parmi les étrangers appelés à prendre rang parmi les membres du Sacré
Collège, résidant à Rome, on rencontre un certain nombre de Français.
Quand, après la conclusion du Concordat, le premier Consul sollicita la
création de quatre cardinaux de couronne, chosis par les évêques nationaux,
il négocia pour obtenir un chapeau en faveur de Mgr de Bayanne, qui,
depuis vingt-cinq ans, exerçait les fonctions d'auditeur de Rote pour la France.
Bonaparte avait compris l'intérêt politique qui s'attachait à la présence dans
la Ville Eternelle d'un haut dignitaire de l'Eglise capable de défendre les
intérêts français près du Pontife et au sein des congrégations. Les ouvertures du
Premier Consul furent bien accueillies. D'abord réservé in petto, puis
proclamé en janvier 1803, le Cardinal de Bayanne vécut jusqu'en 1818, résidant
tantôt à Rome, tantôt à Paris, rendant des services discrets mais précieux à
la politique impériale. Napoléon le fit sénateur en 1813 et Louis XVIII rendit
hommage à ses talents en lui ouvrant plus tard l'accès de la Chambre des
Pairs.
En 1827, un autre auditeur de Rote est appelé aux honneurs de la
pourpre. Mgr d'Isoard ne resta, il est vrai, que deux ans dans la Curie, qu'il
quitta pour prendre possession de l'Archevêché d'Auch; mais grâce à
l'expérience qu'il avait acquise des choses de Rome, il ne rendit pas moins à la
France de grands services dans le conclave qui suivit la mort de Léon XII. Il
y joua un rôle considérable et contribua plus que personne à l'exaltation de
Pie VIII.
Les Français appelés par Pie IX à participer aux travaux des
congrégations en qualité de Cardinaux sont au nombre de trois. C'est d'abord en 1855,
Mgr de Villecour, puis en 1863 dom Pitra, le savant bénédictin qui, devenu
plus tard préfet de la bibliothèque, rendit jusqu'à sa mort en 1890, des
services signalés à nos savants, notamment aux élèves de l'Ecole française de
Rome. Quant au Cardinal de Falloux, créé en 1877, il ne joua jamais à Rome
qu'un rôle effacé.
Aujourd'hui on ne rencontre dans la Curie aucun Cardinal français
tandis que l'Allemagne y est représentée par trois de ses fils : les éminents Ho-
henlohe, Melchers et Ledochowski. Le premier n'exerce par lui-même
aucune influence sur les affaires ecclésiastiques, mais, par ses relations
mondaines, et par son nom, il conserve dans la Ville Eternelle une situation à
part. Le Cardinal Melchers est au contraire, fort modeste mais on l'écoute
574 ANNEXES

respectueusement quand il émet un avis sur les questions d'ordre


ecclésiastique qui concernent l'Allemagne. Quant au Cardinal Ledochowski, il mérite
une attention particulière.
Né en octobre 1822, créé Cardinal en 1875, il fait partie des principales
congrégations : Saint-Office, Concile, Index, Rites, Affaires Ecclésiastiques
Extraordinaires, Etudes... Préfet de la Propagande depuis la mort du
cardinal Simeoni, il est un des personnages les plus en vue de la Cour pontificale.
Membre du Sacré Collège au moment de l'élection de Léon XIII, il n'a jamais
négligé les occasions de conserver l'influence qu'il a su prendre sur le
Souverain Pontife, mais il n'en perd aucune pour défendre les intérêts qui lui sont
chers. Votre Excellence sait trop bien dans quel sens le Cardinal
Ledochowski use de son pouvoir pour que j'aie besoin de le mettre en relief.
Il est cependant utile de constater que la présence de trois personnages
tels que les cardinaux Hohenlohe, Melchers et Ledochowski constitue pour
la légation de Prusse et pour la diplomatie allemande un élément d'influence
qui nous manque. Il n'est pas douteux que l'influence de ces princes de
l'Eglise ne s'exerce presque invariablement au sein des Congrégations dans un
sens favorable aux intérêts des nations qui ont avec l'Allemagne des relations
d'amitié. Ils peuvent en outre se faire, quand les circonstances l'exigent, les
puissants auxiliaires de la politique allemande, non seulement par les
indications précieuses qu'ils sont en mesure de donner sur les affaires les plus
secrètes au Ministre de la Prusse près le Saint-Siège, mais par l'action qu'ils
sont en état d'exercer dans les milieux ecclésiastiques. Si le besoin s'en
faisait sentir, ils pourraient même tenter une intervention personnelle auprès
du Pape. Enfin, si la vacance de la Chaire de Saint-Pierre venait à se
produire, il est certain que les trois Cardinaux seraient admirablement placés
pour se faire les intermédiaires autorisés de leur gouvernement d'une part et
des Cardinaux Romains d'autre part.
Il m'a semblé que les indications que j'ai pris la liberté de réunir ici
pouvaient intéresser Votre Excellence et la mettre en mesure de considérer si,
dans un avenir plus ou moins prochain, il ne serait pas avantageux de
négocier en vue d'obtenir la création de quelque personnage capable de soutenir
les efforts de notre diplomatie dans la Curie1.

Veuillez agréer... F. de Navenne

DOCUMENT 10

Instruction Cum postremis, S.C. de Propaganda Fide, 19 mars 1893 (de


gentium conversione procuranda).

Source : texte latin in Collectanea 1907, vol. 2, n° 1828, p. 286-290.


Traduction «officieuse» d'après Les Missionnaires d'aujourd'hui. Appendice à S. François

1 Une note au crayon commente dans la marge : «il y a 4 ans que la


Diplomatie insiste dans ce sens».
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 575

Xavier Missionnaire. Par Mgr Ladislas-Michel Zaleski, archevêque de Thèbes,


Délégué Apostolique des Indes Orientales, Etablissements Benzinger et Co., S.A.
Editeurs-Typographes du Saint-Siège Apostolique, Einsiedeln (Suisse).

Lorsque dans ces dernières années, le Souverain Pontife Léon XIII dans
sa sollicitude apostolique pour la religion dans les Indes Orientales,
instituait dans ces pays la hiérarchie ecclésiastique, il n'avait pas seulement en
vue de relever le prestige et la dignité de cette Eglise lointaine, mais aussi, et
surtout, de donner une force nouvelle et un élan fécond à l'évangélisation de
cette immense contrée.
C'est ce qu'avaient déjà insinué les évêques de cette région lorsque, dans
les synodes qui furent tenus aux Indes à cette occasion, ils publièrent des
décrets remarquables, dans le but de promouvoir l'œuvre de la conversion des
païens.
Mais, comme il est nécessaire qu'à l'opportunité des temps que la grâce
divine nous accorde correspondent aussi le zèle, l'action et le résultat fécond
du travail, la S. Congrégation à laquelle est confiée le soin et le devoir de la
propagation de la foi dans le monde, doit exercer la vigilance assidue
qu'exige l'importance de ses hautes fonctions. Elle ne peut manquer
d'accorder une attention spéciale aux missions des Indes Orientales.
On a déjà fait beaucoup dans les endroits où la religion chrétienne a été
introduite par les Européens, pour consolider la foi et pourvoir aux besoins
spirituels des fidèles. De nombreuses stations ont été établies où les prêtres
exercent leur ministère, avec des églises, des écoles et d'autres instituts aptes
à consolider la Foi.
De nombreuses communautés de chrétiens indigènes ont été établies,
au progrès et à l'agrandissement desquelles travaillent les missionnaires. Et
ces chrétientés indigènes sont la preuve de la sollicitude des évêques et des
missionnaires, sollicitude que la S. Congrégation apprécie et comble de
louanges.
Mais il faut marcher toujours en avant, progresser dans la voie de
l'apostolat, prêcher la religion catholique à cette multitude innombrable
d'hommes, qui vivent dans les ténèbres de la superstition, ignorant les
lumières de la Foi.
Cela se fait déjà avec zèle et succès et non sans de grandes difficultés,
dans bien des endroits, où l'on amène des groupes d'infidèles à la Foi
chrétienne et à piété. Mais ce qui est l'honneur de plusieurs devrait être le travail
et la sollicitude de tous.
Il y a des provinces aux Indes où depuis près d'un siècle, la religion
chrétienne a fait peu de progrès, de manière qu'une grande multitude de païens
n'ont pas encore entendu l'Evangile du Seigneur, et, retenus dans leur
idolâtrie, n'ont pas appris à invoquer le nom qui seul apporte aux hommes le
salut éternel : Quomodo enim invocabunt, in quem non crediderunt? aut quo-
modo credent ei quem non audierunt? quomodo autem andient sine praedi-
cante? (Rom. X/14).
La ruine de ces âmes innombrables qui périssent misérablement émeut
vivement la S. Congrégation, qui n'a jamais cessé d'exhorter ceux qui sont
placés à la tête des missions pour qu'ils procèdent avec un zèle infatigable à
la conversion des païens.
576 ANNEXES

Bien des obstacles s'opposent à la réalisation de ce vœu. Mais il faut


vaincre ces obstacles, pour que ces peuples innombrables, qui gémissent
depuis si longtemps dans l'esclavage de Satan, soient amenés à la liberté et à la
lumière du S. Evangile.
C'est pour cela que la S. Congrégation a décidé d'adresser ces
instructions à tous les évêques des Indes Orientales, et de leur proposer quelques
règles que, en vertu de la charge qui leur est confiée, ils sont tenus
d'observer, pour donner une impulsion nouvelle à l'œuvre de la conversion des
païens.

I.

En premier lieu, on devra établir, dans chaque diocèse, quelques


missions dont le but propre et particulier sera la conversion des païens. Dans les
diocèses où elles existent déjà, ces missions doivent être multipliées
progressivement à tout le territoire.
Que les évêques choisissent dans ce but les endroits qui leur sembleront
les plus appropriés, et, autant que possible, éloignés des centres habités par
les Européens. Comme l'expérience démontre que ces missions réussissent
mieux dans les villages et dans les petites villes, les évêques doivent diriger le
travail de leurs missionnaires vers les endroits où l'on peut espérer qu'il sera
plus fructueux.
Les missionnaires préposés à ces missions doivent être exempts de toute
autre sollicitude, de manière qu'ils puissent s'adonner entièrement à l'évan-
gélisation des païens. Pour cette raison la S. Congrégation ordonne qu'on
observe dans tous les diocèses les décrets sagement promulgués aux synodes
qui furent célébrés, en 1887, à Colombo, à Bangalore et à Allahabad, savoir
que : Unusquique episcopus curet ut missionnarii singuli linguam propriam
regionis apprime addiscant, et duos saltern ex eis deputet EXCLUSIVE ad
evangelizationem paganorum.
Et ce choix de quelques missionnaires destinés exclusivement à l'évan-
gélisation des païens, la S. Congrégation l'ordonne, même dans le cas où les
chrétientés déjà établies devraient en souffrir, suivant en cela l'exemple du
Bon Pasteur qui n'hésite pas à abandonner dans le désert quatre vingt dix-
neuf brebis, pour aller chercher celle qui s'est égarée.
Six mois après qu'ils auront reçu ces instructions, les évêques
communiqueront à la S. C. Congrégation les noms des missionnaires qu'ils auront
choisis pour cette œuvre, et ils agiront de même, à l'avenir, chaque fois qu'ils
feront le rapport d'usage sur l'état de leur diocèse.
Comme la conversion de païens demande beaucoup de travail, une
grande prudence et beaucoup de patience, on devra choisir pour cette œuvre
des hommes qui se distinguent par leurs vertus apostoliques et par leur sens
pratique. Ces missionnaires devront s'efforcer de toucher le cœur des païens
par leur charité, de démontrer par leur science et la sainteté de leur vie, la
force et la vérité de la doctrine qu'ils enseignent.
Quant à la prédication elle-même de l'Evangile, qu'ils se souviennent
toujours que cette branche principale de l'apostolat doit se faire non
seulement en public et dans les églises, mais aussi dans les maisons et dans les
familles. Qu'ils se souviennent aussi que, dans la prédication, il ne faut pas
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 577

faire usage d'un langage évangélique; qu'on doit traiter tous les païens avec
courtoisie et leur rendre les honneurs dus à leur rang et à leur position
sociale; supporter leurs infirmités et répondre à leurs doutes, avec bonté,
charité et sans ostentation. Du reste, il faut considérer ce qui se prête le mieux à
l'intelligence et aux usages de chaque peuple, car souvent les grands
résultats dépendent de petites choses.
Que les missionnaires ne se découragent pas si, au commencement,
leurs efforts ne sont couronnés que de peu de succès, ou même leur
semblent stériles. Loin d'abandonner leur travail, il faut, au contraire, qu'ils
redoublent d'efforts, qu'ils cherchent de nouvelles voies, qu'ils persévèrent,
jusqu'à ce que la grâce de Dieu vienne favoriser leurs efforts; car c'est elle
qui fait germer la semence que l'industrie humaine a plantée et arrosée. La
constance et la persévérance briseront toutes les difficultés et rendront le
travail fructueux.

II.

Bien que les moyens dont disposent les missions soient très limités, les
évêques doivent prendre soin de ne pas tout dépenser au bénéfice des
fidèles, mais, quelle que soit la somme de leurs revenus, ils doivent la diviser
entre les diverses branches du ministère, de manière à ce qu'une partie soit
toujours réservée à la conversion des païens.
Et pour qu'ils puissent le faire plus facilement, qu'ils s'abstiennent de
bâtir des édifices imposants, même quand ils doivent servir à la
magnificence du culte divin, car rien n'orne autant l'Eglise du Christ qu'un grand
nombre de fidèles, pleins de foi et pratiquant toutes les vertus chrétiennes.
Comme la providence a voulu que les choses humaines et temporelles
servent aussi à étendre le règne de Dieu, que les évêques se souviennent qu'il
est de leur charge de prendre soin des biens temporels des missions. Or, la
plupart des diocèses de l'Inde n'ont presque pas de revenus locaux et ont
besoin, pour se maintenir, de subsides qu'on doit quêter ailleurs et qui, de ce
fait, sont des revenus précaires et insuffisants. Et comme il est d'une
souveraine importance d'assurer l'avenir des missions, la S. Congrégation attire
l'attention des évêques sur la nécessité de pourvoir les diocèses de l'Inde de
revenus propres et assurés.
Il faut donc chercher à pourvoir ces diocèses d'un patrimoine, comme
on l'avait fait autrefois dans certaines parties de l'Inde. Du reste, comme les
nécessités urgentes du moment ne permettent pas que l'on mette de côté des
sommes considérables, tout ce que la S. Congrégation demande aux
évêques, c'est qu'ils réservent de temps en temps de petites sommes d'argent
pour les besoins futurs de la mission, pour les vicissitudes de l'avenir, et
qu'ils les déposent en lieu sûr.
Il appartient à chaque évêque de décider, selon les circonstances,
comment cet argent devra être placé. Ce que la S. Congrégation préférerait, c'est
que, profitant de moments opportuns, on cherchât à acquérir des terrains
que l'on cultiverait au profit des missions ou qu'on louerait aux chrétiens
indigènes.
Du reste, que les évêques observent ce qui a été recommandé aux
vicaires apostoliques de l'Inde, dans l'instruction du 8 septembre 1869, savoir :
578 ANNEXES

que l'administration des revenus ecclésiastiques soit bien réglée; qu'un


conseil d'administration soit institué dans chaque vicariat; que ce conseil
soit composé des missionnaires les plus prudents désignés par l'évêque, avec
lesquels il agira dans les cas les plus importants, entendant leur avis; et,
lorsqu'il s'agit de bâtir des églises, des maison, des collèges, des écoles (en un
mot quand il s'agira de faire des dépenses pour bâtir) que l'évêque n'agisse
jamais contre l'avis de la majeure et plus grave partie du conseil.

m.
En ce qui regarde les ouvriers apostoliques, qui font la force et le succès
de la mission, les évêques doivent avoir soin d'en faire venir d'Europe un
nombre proportionné à l'étendue de leur diocèses et au nombre de ses
habitants. Ce devoir incombe aussi aux supérieurs des Ordres et des
Congrégations religieuses qui ont été chargés du ministère dans un diocèse. Que les
supérieurs se souviennent qu'ils sont liés par le très grave devoir de pourvoir
d'un nombre suffisant de missionnaires la mission que la S. Congrégation
les a chargés de cultiver.
Leur premier devoir est de fournir à la mission un nombre de
missionnaires suffisant.
Ils doivent aussi fournir avec diligence tous les moyens matériels dont la
mission a besoin.
Et s'ils ont pris un fardeau qui soit au-dessus de leurs forces, ils doivent
en aviser la S. Congrégation, afin qu'elle prenne les précautions nécessaires
pour pourvoir aux besoins de l'apostolat.
Quelles sont les conditions de l'âme et du corps de ceux à qui l'on confie
le travail apostolique dans ces terres étrangères, la S. Congrégation l'a ainsi
défini en écrivant, en 1659, aux premiers vicaires apostoliques du séminaire
des Missions étrangères de Paris :
II faut choisir soigneusement des hommes que l'âge et la santé rendent
aptes à supporter ces travaux et, ce qui est plus important encore, doués
d'une charité, d'une prudence peu communes, et qui ont donné des preuves
de ces vertus dans d'autres offices qu'ils ont bien remplis; des hommes
capables de garder le secret, doués de courtoisie, de mansuétude, d'humilité,
de patience, de manières graves, et des autres vertus chrétiennes, pour qu'ils
confirment par leur exemple, les paroles de la prédication que leurs lèvres
feront entendre; qu'ils soient enfin formés dans la charité évangélique, pour
qu'ils ne deviennent pas un fardeau pour leurs confrères et ne se rendent pas
odieux aux étrangers, mais pour que, avec l'Apôtre, ils se fassent tout à tous.

IV.
Que les évêques soient bien persuadés qu'avec les seuls missionnaires
européens, le Christianisme ne fera pas les progrès qu'il doit faire parmi les
idolâtres. Car, grâce au travail des missionnaires, le nombre des Chrétiens a
augmenté au point que les soins qu'on doit prendre d'eux absorbent les
missionnaires. L'Europe ne peut pas fournir un plus grand nombre, de manière
qu'il n'en reste que très peu pour s'occuper des infidèles. Le progrès des
missions devra, de la sorte, nécessairement s'arrêter et cesser.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 579

C'est pourquoi les évêques ne doivent jamais considérer qu'ils ont


satisfait à leur devoir envers leurs diocèses, s'ils ne veillent pas avec un soin
assidu et diligent à former un clergé indigène.
La S. Congrégation considère cette question de l'établissement du clergé
indigène comme plus importance que toutes les autres pour le bien
permanent des missions.
Les innombrables documents que les Souverains Pontifes ont publié
eux-mêmes, ou fait publier par la S. Congrégation de la Propagande,
témoignent de la grande sollicitude du Saint-Siège dans cette matière. Il suffit
de mentionner ce que la S. Congrégation écrivait en 1659 aux vicaires
apostoliques du Tonquin et de Cochinchine :
- Une des raison principales pour laquelle les évêques avaient été
envoyés dans ces pays, c'était l'éducation et la formation de jeunes gens
indigènes en vue de leur élévation au sacerdoce. Une fois prêtres, ils seraient
dispersés dans le pays, et y propageraient, sous leur direction, la religion
chrétienne. Les évêques devaient considérer la formation du clergé indigène
comme une des principales fonctions de leur charge.
Le soin particulier qu'on a donné, en Indochine, à la formation d'un
clergé indigène explique comment ces missions ont supporté la persécution
avec tant de courage, comment elles ont été fécondées par le sang des
martyrs et comment enfin elles y ont produit des fruits plus abondants
qu'ailleurs.
A tant d'exhortations, la S. Congrégation en ajoute une nouvelle :
- Elle ordonne de nouveau aux évêques des Indes de s'occuper, avec
plus de sollicitude encore qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, à former des
prêtres indigènes, nombreux et doués de vertus ecclésiastiques.
La S. Congrégation considère que c'est de la formation du Clergé
indigène que dépend, sans aucun doute, le développement de l'Eglise naissante
de l'Inde. Il faut que le nombre des prêtres indigènes augmente en
proportion de l'augmentation du nombre des fidèles, de manière à ce qu'ils soient
bien pourvus de pasteurs et que les missionnaires dont ils prendront la place
puissent s'adonner entièrement à la conversion des païens.
Un autre avantage qu'on aura, en augmentant ainsi le clergé, sera de
multiplier progressivement les centres de mission et les stations
subsidiaires. Il sera plus facile aux fidèles de profiter du ministère du prêtre, à
ceux surtout qui, à cause de la distance des lieux et de la difficulté des
communications, ne sont que rarement visités et restent ainsi dépourvus de
cette nourriture spirituelle sans laquelle leur piété et leur vertu doivent
nécessairement languir.
Que les évêques donc entrent sans hésiter dans cette voie que leur
indique la S. Congrégation et qui est la seule par laquelle on puisse répandre
largement la Foi dans ces pays, avec plein espoir d'un heureux résultat. Car
il s'est avéré que parmi les Indiens les vocations au sacerdoce ne sont pas
rares, et que ceux qui ont été bien formés exercent avec succès le saint
ministère.
L'Eglise de Jésus-Christ embrassant tous les peuples, il est indubitable
que les dons de la grâce peuvent fleurir chez toutes les nations. Le souffle de
l'Esprit Saint qui souffle où il veut, élève les natures infirmes et les rend
580 ANNEXES

aptes à supporter les travaux les plus difficiles. Il ne faut donc rien négliger
pour que les choses dans lesquelles Dieu se sert de l'industrie humaine
soient fidèlement exécutées.
A cet effet, on choisira soigneusement, dans les écoles, les garçons
catholiques qui se distinguent par leur talent, leur piété et leur bonne conduite
et qui montrent des indices de vocation à l'état ecclésiastique. Qu'on
développe en eux les germes de la grâce, dans quelque collège diocésain, d'où
ceux que l'on croit dignes seront admis au séminaire, où on les formera de la
manière et suivant la méthode prescrites par les lois de l'Eglise, et que
l'expérience a démontré être les meilleures pour arriver au but désiré.
Il faut que les prêtres indigènes formés dans la science et la piété,
deviennent, au moyen de l'éducation qu'on leur aura donné, les égaux de ceux
qui viennent d'Europe et soient capables de remplir toutes les fonctions
ecclésiastiques.
Il est utile de rappeler les synodes de Colombo, de Bangalore et d'Alla-
hahbad que nous avons déjà mentionnés, et dans lesquels les évêques de
l'Inde avaient décrétés entre autres choses que :
- Chaque diocèse aura son séminaire pour la formation du clergé
indigène.
Et si un diocèse suffragant n'avait pas les moyens d'ériger un séminaire,
l'évêque serait tenu d'envoyer à ses frais ses séminaristes indigènes au
séminaire métropolitain.

V.

Après les prêtres indigènes dont la nécessité est si grande, viennent les
catéchistes choisis parmi les laïques indigènes. L'expérience des temps et
des lieux nous démontre combien grande est leur utilité pour les missions.
L'appui de leurs labeurs sera toujours utile aux missionnaires européens qui
travaillent à la conversion des païens. Car, étant eux-mêmes des indigènes,
ils auront un accès plus facile auprès du peuple païen, ils aplaniront la voie
du prêtre qui, trouvant les païens ainsi préparés, aura moins de difficulté
pour les amener à embrasser la foi du Christ.
Ces catéchistes doivent être des hommes de mœurs éprouvées, instruits
dans les mystères de la religion, à la fois aimables et sérieux, pour qu'ils
soient bien vus de tout le monde et se rendent respectables à cause de leurs
doctrines et de l'exemple qu'ils donnent.
Pour arriver à ce but, les évêques doivent prendre soin qu'ils soient bien
formés depuis leur jeunesse. Et la S. Congrégation aurait désiré que, comme
cela se fait déjà avec un excellent résultat, les catéchistes fussent formés
dans un collège spécial dans les séminaires.

VI.

Après ce qui vient d'être exposé par rapport au devoir des évêques en ce
qui regarde les progrès de la foi, on ne peut pas passer sous silence la
question de l'éducation de la jeunesse.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 581

Combien grande est l'importance de l'éducation, pour maintenir à un


plus haut degré la foi et la discipline chrétiennes dans le cœur des peuples, il
est inutile de l'expliquer. On peut facilement plier les jeunes âmes, et les
former de manière que les principes dont elles ont été nourries dans la
première jeunesse ne puissent pas en être arrachés dans la suite.
Dans les endroits où la semence de la foi a été plantée récemment, lès
écoles seront d'un grand secours, et les enfants de néophytes, qu'on y aura
instruits dans la doctrine chrétienne et formés soigneusement, constitueront
un noyau autour duquel d'autres viendront se grouper.
Un des avantages des écoles est aussi qu'elles donnent du prestige à la
religion catholique, ou que, non seulement les indigènes, mais aussi les
autorités civiles jugent d'après les écoles de l'importance et de la dignité de la
Religion.
Une autre considération que les évêques ont à envisager, c'est que les
écoles servent à combattre les hérétiques qui, se prévalant du Nom du
Christ, s'en servent pour pervertir les chrétiens, car, disposant de beaucoup
d'argent, ils se servent de leurs écoles pour enseigner à la jeunesse leurs
fausses doctrines et la contaminer de leurs principes hérétiques sous le
couvert de la science et des lettres.
Et, ce qui est souverainement regrettable, il y a des catholiques qui, vu
la pénurie d'écoles catholiques, confient à de tels maîtres l'éducation de
leurs enfants.
La S. Congrégation n'ignore pas qu'on a déjà beaucoup fait aux Indes
sous ce rapport; et louant les efforts des évêques, elle les exhorte à redoubler
de sollicitude dans cette voie. Qu'ils prennent soin que dans chaque mission
il y ait une école, dans laquelle on enseigne aux enfants les lettres et les
rudiments de la doctrine chrétienne.
Dans les villes plus importantes du diocèse, qu'il y ait des écoles
supérieures, où la jeunesse puisse se préparer à occuper un jour des positions
plus élevées dans le pays.
Il faut faire aussi tout ce qui est possible pour organiser ces écoles de
manière à ce qu'elles puissent suffire à elles-mêmes.
D'une grande utilité sont aussi les pensionnats, dans lesquels la
jeunesse, vivant sous les yeux de ses précepteurs, peut être mieux formée à la
piété et aux études; et ils peuvent servir beaucoup à cultiver les vocations de
ceux que l'on choisit pour être prêtres ou catéchistes.
L'existence de semblables Instituts est à souhaiter dans tous les
diocèses, mais ils sont surtout nécessaires dans ceux qui possèdent de grandes
villes et où la civilisation est plus avancée.
Pour ce qui regarde les maîtres, que les évêques appellent dans leurs
diocèses des Religieux et des religieuses de Congrégations enseignantes. Et,
s'il est nécessaire, qu'ils se servent aussi de laïques, dont la collaboration
peut être très utile.

VIL
Les évêques se souviendront de ces instructions que la S. Congrégation
considère comme très importantes pour conserver et propager la religion,
dans les synodes provinciaux qu'ils célébreront prochainement, et
pourvoiront à leur observation permanente par les décrets qui y seront rendus.
582 ANNEXES

Et que ceux qui sont à la tête des missions se souviennent que ce ne sont
pas seulement des avis que leur donne la S. Congrégation, mais des ordres
qu'ils doivent exécuter, particulièrement dans tout ce que regarde la
conversion des païens et la formation du clergé indigène.
Qu'ils se soumettent volontiers à ces ordres de la S. Congrégation,
confirmés par l'autorité et la volonté positive du Saint Père. Qu'ils s'y
soumettent comme à un ordre de Jésus-Christ lui-même pour la gloire duquel
ils travaillent, bien persuadés que, quel que soit le fruit de leurs labeurs,
Dieu récompensera toujours leurs efforts.
Mais il faut qu'ils espèrent avec confiance, qu'avec l'aide de Dieu leurs
labeurs porteront d'abondants fruits. D'autant plus que les grandes
difficultés qui les entourent diminueront avec le temps. Nous voyons l'Inde
pacifiée et toutes les voies ouvertes, les chrétientés pourvues d'évêques et, sous
l'impulsion des institutions nouvelles, les anciennes superstitions ébranlées.
Les occasions ne manquent pas à ceux qui acceperunt ministerium verbi...
testifìeari Evangelium gratiae Dei (Actes XX, 24) ...

DOCUMENT 11
Questionnaire destiné aux chefs de Missions

Capita quibus respondere debent Vicarii Apostolici ac Missionum Praefecti, ut


de regionibus sibi commissis plenam S. Congregationi relationem reddant.

Infrascriptis quaestinibus accurate et praecise respondendum erit, adhibito


cuique responsioni quaestionis numero : si quid vero aliquis forte reperiet quod
ad suam Missionem non spectet, is indicare poterit numerum, deinde iuxta scri-
bere : Ad talent numerum non est quod respondeam; turn ad cetera perget.

De Missionis origine, progressu, et confiniis.

1. Breve compendium historicum circa originem, progressum, ac muta-


tiones Vicariatus sive Praefecturae conficiendum erit.
2. Describenda confinia, quibus continetur territorium Missionis, ac si
aliqua circa ilia controversia existât, rationes exponentur. Insuper charta co-
rographica Vicariatus, siquidem in promptu haben possit, addenda vel sal-
tem deinceps transmittenda.

De missionariis, eorum qualitate et idoneitate.

3. De personis ecclesiasticis erit exponendum imprimis quinam sint


missionarii, quibus sacrum ministerium exercendum in Vicariatu vel Prae-
fectura concreditum est; an saeculares vel reguläres, quam idoneitatem et
vivendi rationem praeseferant, an sufficiens eorum numerus sit pro
necessitate fidelium, an studio linguae vernaculae illius gentis accurate dent ope-
ram, an miti ratione erga christianos se gérant, an in sacro ministerio exer-
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 583

cendo uniformitatem curent. Insuper an missionarii reguläres régulas Insti-


tuti sui ac praesertim tria vota substantialia paupertatis, castitatis et
obedientiae fideliter servent : an Vicario vel Praefecto apostolico etiam ut
reguläres, an alteri superiori sint subiecti; an plus aequo erga paganos, vel
protestantes aut schismaticos, si ibi adsint, obsequentes sint; an ex instituto
vel ex consuetudine usque ad mortem in Missione persévèrent. An universi
missionarii in usu facultatum quas accipiunt, nimis latas interpretationes,
ac facilitatem improbandam sequantur.
4. Nec praetermittendum si Missionarii alterius Vicariatus aut Praefec-
turae aliqua ratione in administrationem propriae Missionis sese immi-
sceant.

De regimine Missionum per Vicarios Apostolicos.

5. Qua ratione provideant Praesules regimini Vicariatus seu Praefec-


turae, ne vita decedentes sine Superiore fidèles reliquant.
6. Utrum habeatur aliquod Consilium ordinarium missionariorum,
quasque attributiones illi adsignentur.

De clero indigena.

7. Singulariter sermo instituendus de clero indigena, ac imprimis de


idoneitate illius, deque animi qualitatibus, quibus praeditus apparet, ac de
spe quae in ipso collocali possit.
8. Qua ratione consulatur educationi et institutioni clericorum indige-
narum : praesertim an habeatur seminarium, utrum sit separatum ab alum-
nis saecularibus, et quae studia ibi clerici doceantur, et utrum regulae a Tri-
dentino praescriptae in toto vel in parte serventur, cuius curae ac regimini
creditum sit, denique an, si desit, aliquo modo constimi possit vel eiusdem
defectui suppleri.
9. Quibus officiis indigenae adhiberi possint, et an excludantur a qua-
cumque superioritate respectu habito ad missionaries europaeos.

De instituas regularium.

10. Quod instituta regularium indicetur, an sint in Vicariatu seu Prae-


fectura, et an educationi et institutioni iuventutis dent operam, idque ex-
primatur sive quoad instituta virorum sive quoad instituta mulierum.
584 ANNEXES

11. An inter indigenas sint qui regularibus Institutis sint addicti et ad


huismodi statum se inclinatos praebeant, qua demum Missionum utilitate
possint ea inter indigenas diffundi.
12. Utrum ecclesiastici viri sive saeculares sive reguläres clericali aut
religioso habitu utantur vel saltern alia veste, quae eorum statum minime de-
deceat.

De ministerio sacro ac de gentium, conversione.

13. Circa sacrum ministerium exponendum, an habeatur directorium


sive collectio regularum et usuum Vicariatus sive Praefecturae quoad ser-
vanda a sacerdotibus cum in sua vitae ratione turn in fidelium regimine, il-
ludque S. C. exhibeatur.
14. An in communicatione facultatum missionariis facienda facilem aut
difficilem se praebeat Superior.
15. Utrum omnes missionarii in doctrina morali sint concordes, et
utrum ad uniformitatem fovendam habeantur vel haberi possint conventus
pro casuum moralium examine conflciendo.
16. Utrum diffusa sit inter fidèles lectio librorum prohibitorum.
17. Utrum in omnibus Vicariatibus et Praefecturis adsit catechismus et
quatenus affirmative an in variis libris eius generis servetur uniformitas
quoad doctrinae expositionem.
18. Utrum expédiât eiusdem Missionis districtus ita ordinare, ut plures
uni missionario tamquam superiori subsint.
19. Utrum in singulis districtibus, quae parochiarum locum tenent, dili-
genter serventur libri baptizatorum, matrimoniorum, defunctorum, nec non
status animarum; an ratio habeatur observantiae praecepti paschalis, et
utrum memorati districtus ad formam paroeciae a canonibus requisitam
accédant.
20. Indicetur an aliqua speciali ratione consuli possit, ut facilius catho-
lica fides inter indigenas propagetur.

De ecclesiis, capettis, et presbyteriis.

21. Exprimatur an sit in missione numerus sufficiens ecclesiarum et sa-


cellorum, et utrum illae saltern necessariis ad divinum cultum ornamentis
instructae sint.
22. An catholicus cultus in Vicariatu vel Praefectura libere exerceatur,
et quatenus negative an ratione suppetat, qua obstacula e medio auferantur.
23. An in singulis sacerdotum residentiis sit decens presbyterium aut
saltern aliquis locus a fidelibus oblatus, ubi convenienter manere possint.

De bonis ecclesiae eorumque administratione.

24. Quas eleemosynas Societas Prapagationis Fidei Lugdunensis


praebeat, et an aliquod aliud medium praesto sit, ut sustentationi missionario-
rum et expensis pro divino cultu satisfiat.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 585

25. Utrum et quae bona immobilia, vel quos reditus Missio in promptu
habeat ad finem memoratum adhibenda : et quatenus negative an aliqua
ratio innui queat, ut pedetentim certi reditus, sive per oblationes fidelium, sive
per alias praestationes ab ipsis solutas constitui possint.
26. Si Missio bona immobilia vel reditus possideat, significandum erit
an ab aliquo in hac possessione ecclesiastica turbetur vel prorsus ipsa pos-
sessio a Gubernio recognoscatur.
27. Quae cautelae adhiberi possint, ut securitati ecclesiasticorum bono-
rum provideatur.
28. Utrum adsit Consilium aliquod missionariorum ad eadem bona vel
reditus administrandos, et ad impediendam eorumdem dissipationem, et
utrum fidelis aliquam pattern habeant in praedicta administratione.

De rebus ad divinum cultum spectantibus.

29. Quoad hoc exponendum an in sacris functionibus ac praesertim in


solemni missae celebratione ritus omnes S. E. R. fideliter serventur, et
utrum cantus adhibeantur, et an iuxta canonicas praescriptiones.
30. Utrum et qui populäres cantus in ecclesiis adhibeantur.
31. An in omnibus ecclesiis, in quibus sine periculo profanationis fieri
potest adservetur, et quomodo s. Eucharistia, quaeque sit in tantum Sacra-
mentum fidelium devotio.
32. Utrum ad maiorem divini cultus decorem et ad pia opera exercenda
canonice institutae sint aliquae confraternitates sive virorum sive mulierum,
vel constitui possint.
33. Quatenus affirmative, quae sit praesens earumdem societatum con-
ditio, et an reformatione indigeant.
34. An in cultu divino ac veneratione sanctorum aliquae superstitiones
irrepserint, et quae.

De educatione et institutione inventutis.

35. Signicandum an sint in Missione scholae pro indigenis turn mascu-


lis, turn feminis, et an sufficiant fidelium filiis.
36. Utrum in ipsis admittantur etiam filii indidelium vel protestantium
aut schismaticorum, et quibus cautelis, ne catholicorum fidei nocere
possint.
37. An in memoratis scholis servetur omnimoda separatio puerorum a
puellis.
38. Quibus eredita sit iuventutis institutio.
39. An adsit aliquis convictus seu collegium sive pro masculis sive pro
feminis; utrum in eo admittantur infidèles vel protestantes aut schismatici
et quibus cautelis.
586 ANNEXES

40. An adsint in Vicariatu vel Praefectura scholae ministrorum prote-


stantium vel scholae paganae et utrum catholici eas fréquentent.
41. An adsint orphanotrophia, et quibus subsidiis sustententur.

De quibusdam pits institutis diffundendae fidei valde opportunis.

42. Utrum adsint hospitia pro catechumenis utriusque sexus, et quomo-


do ordinata sint.
43. Quae opportunior ratio censeatur adhiberi posse, ut catechistarum
institütio magis utilis ad Missionum bonum evadat.
44. Utrum erectum sit aliquod hospitale, et quomodo administrentur
reditus pro infirmorum sustentatione.

De festis, ieiuniis, et abstinentiis.

45. Quaenam festa in Missione observentur, et an aliqua mutatio hac in


re petenda videatur ad obtinendam maiorem uniformitatem.
46. Quae ieiunia, quique abstinentiae dies serventur sive ab europaeis
sive ab indigenis et an etiam in hoc aliquid immutandum appareat.

De coemeteriis et sepulturis.

47. Utrum et quae superstitiones in funeribus apud christianos invalue-


rint.
48. An existant coemeteria separata pro christianis, et quatenus
negative an aliquid ad id abtinendum tentari possit; praeterea an sint benedicta.

De sacramentorum administratione.

49. Exprimatur an in Baptismate administrando serventur omnia prae-


scripta Ritualis Romani. Speciatim vero an fiat aliqua divisio caeremonia-
rum, et quo idiomate interrogationes fiant.
50. Utrum saepe aliquod dubium suboriatur circa diligentiam adhibi-
tam a catechistis vel obstetricibus in Baptismate conferendo, et quatenus
affirmative, quomodo hac occasione se gérant missionarii.
51. Utrum debita diligentia adhibeatur a missionariis, ne haeretici aut
schismatici ut patrini in sacramento Baptismi et Confirmationis admittan-
tur.
52. An Sacramentum Confirmationis iuxta generalem Ecclesiae usum,
vel potius immediate post Baptismum in Missione conferatur.
53. An et qui sint in Vicariatu vel Praefectura casus reservati, utrum
missionariis sufficienter innotescant.
54. Utrum fidèles solemni praeparatione et pompa ad primam Commu-
nionem admitti soleant.
55. An in Vicariatu vel Praefectura promulgatum fuerit decretum
Concilii Trid. ss. 24. Tametsi circa Sacramentum Matrimonii.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 587

56. Utrum accurate fiant publicationes ab Ecclesia praescriptae et an


diebus a iure praescriptis.
57. Quomodo se gérant missionarii in dispensationibus quoad
Matrimonii impedimenta, et : primo, an dispensetur in impedientibus : secundo
an plurimi occurrant casus concedendi dispensationes in dirimentibus,
praesertim in gradibus proximioribus.
58. An dispensationibus concedendis imponantur muletae vel poenae.
59. Quomodo concedantur dispensationes, an in scriptis, et utrum ex-
primatur delegatio apostolica.
60. An usus matrimoniorum mixtorum invaluerit et qua frequentia et
quomodo circa ea missionarii se gérant.
61. An in celebratione matrimoniorum christiani immisceant aliquas
caeremonias superstitiosas.

De abusibus et necessitatibus Missionis.


62. Enumerentur omnes abusus qui forte irrepserunt etiam inter catho-
licós sive circa fidem, sive circa mores, vel administrationem sacramento-
rum, et cuiusque alterius generis.
63. Exprimantur praecipuae causae huiusmodi abusuum, et media,
quibus evelli possint.
64. Tandem attente perpendantur spirituales Missionis necessitates,
distincte referantur, mediaque proponantur idonea ad maiorem religionis pro-
fectum inducendum.

DOCUMENT 12

Rapport quinquennal du Préfet apostolique du Dahomey.


Source : A.S.M.A., Rome.

AGOUE - Dahomé - Afrique Occidentale

Rapport quinquennal de la
Préfecture Apostolique
du Dahomé. Le 3 Mars 1899

Illustrissime et Reverendissime Seigneur,

Par ses lettres du 13 janvier écoulé, votre Eminence me répond que je


dois immédiatement lui envoyer le rapport quinquennal. Je m'empresse de
satisfaire à cet ordre.

Origine, progrès, confins de la Mission.


1. La Préfecture Apostolique du Dahomé, séparée du Vicariat
apostolique du Bénin, fut érigée par Décret du 26 juin 1883. La station d'Agoué,
dans le pays Mina, était déjà occupée par le Préfet apostolique et deux mis-
588 ANNEXES

sionnaires. L'année suivante, la mission de Ouidah, qui avait été autrefois


abandonnée par les missionnaires à cause des exactions des autorités
dahoméennes, fut relevée et reçut deux missionnaires. En 1886, la station d'Atak-
pamé fut fondée; en 1887, celle de Quittah, puis en 1891 celle de Grand-
Popo; en 1893, celle de Cotonou; en 1895, celle d'Athiémé et celle d'Agony-
Zagnanado; en 1898, celle d'Abomey-Calavy; en 1898 aussi stations de Lo-
kossa, Adjdha, Zivier (stations secondaires).
Par décret du 12 avril 1892 fut érigée la Préfecture Apostolique du Togo,
sur le territoire de laquelle se trouve Atakpamé. Par décret du 6 mai 1894,
Quittah avec le territoire qui s'étend du Togo à la Volta, fut donnée à la Côte
d'Or.
2. La Préfecture est limitée à l'Orient par l'Ocpara et le lac Nocoué; au
sud par l'Océan, à l'Ouest par la Préfecture du Togo, au nord par le Vicariat
du Sahara qui va jusqu'au 10° de latitude, a le bassin du Niger et viendra
jusqu'aux monts Kongs (environ le 10° de latitude).
Cette limite du nord est très indéterminée, car on ne sait où sont les
monts Kongs, de bons géographes en nient même l'existence. D'autre part, il
y a une différence de près de quarante lieues entre le bassin du Niger et le 10°
de latitude. Enfin, si le Vicariat du Sahara (prêtres français) venait jusqu'au
10°, il comprendrait la partie nord du Togoland allemand, sur une
profondeur de trente lieues.
Le Vicaire apostolique de la colonie anglaise du Bénin a juridiction sur
Porto-Novo, capitale de la colonie française. Le gouvernement français
désire vivement n'avoir qu'une autorité acclésiastique dans sa colonie, et me
dit avoir fait parvenir à Rome les meilleures cartes du Dahomey.

Qualités, capacités des missionnaires.

3. Les missionnaires qui travaillent au bien des âmes dans la Préfecture


apostolique du Dahomé sont au nombre de vingt-et-un. Tous appartiennent
à la Société des Missions Africaines de Lyon. Ils n'ont point les vœux de
religion; mais il sont liés par un serment de stabilité et d'obéissance à la S.C. de
la Propagande et aux constitutions de leur Société. Ces missionnaires sont
loin de suffire aux aux besoins et aux appels des populations. Mais la maigre
allocation de la Propagation de la foi suffit à peine à leurs besoins les plus
urgents. Les langues indigènes sont nombreuses : quatre principales. Les
missionnaires les apprennent et s'efforcent de les fixer par l'écriture. Trois
catéchismes, des livres de prières en sont à la deuxième édition. Nous
préparons deux dictionnaires.
Nous sommes heureux du zèle de nos missionnaires. Il leur est facile de
comprendre par expérience combien une manière unique de faire est
nécessaire. Ils sont aussi amenés à cette uniformité par notre Directoire.
Notre société est régie dans les missions par un Visiteur. Les prêtres
observent la règle commune et doivent rester en mission jusquà la mort, à
moins que leur santé ne leur permette plus de rester, ou que le Supérieur
général ait besoin de les appeler en Europe pour y exercer d'autres fonctions.
Si la maladie force un missionnaire à rentrer précipitamment en Europe, le
Préfet apostolique ne manque pas d'en informer immédiatement cette
Sacrée Congrégation.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 589

Les Indigènes n'ont point à se plaindre des procédés des missionnaires


qui, dans leurs pouvoirs, suivent une saine théologie.
4. Nous n'avons jamais eu à nous plaindre que des prêtres étrangers à la
Préfecture se soient mêlés de son gouvernement.

Le gouvernement de la Mission.

5. Conforméméent à nos Constitutions, basées sur les lettres


Apostoliques Firmandis Quam ex Sublimi de Benoît XIV, le Préfet Apostolique a
nommé un prêtre pour le remplacer en cas d'absence ou de décès.
6. Nos Constitutions, comme les Décrets de cette Sacrée Congrégation,
ordonnent au Préfet Apostolique d'avoir un Conseil. Il en a un composé de
trois membres. Sont observées en particulier les Lettres de cette S.C. du 8
Décembre 1869 pour les Indes et nos Constitutions.

Du Clergé Indigène.

7. 8. 9. La prudence et le manque de ressources ne nous ont pas permis


d'essayer de former un clergé indigène. Nous le désirons vivement et faisons
prier pour qu'il nous soit donné de voir ce jour.

Instituts des Religieux.

10. 11. 12. Les Missionnaires de la Société des Missions Africaines et des
Frères et des Sœurs, formés par le Supérieur général actuel de la Société,
seuls, travaillent dans la Préfecture. Ils travaillent beaucoup à l'instruction et
l'éducation de l'enfance; ils y sont aidés par des laïcs indigènes formés par
eux. Les Pères, Frères, Sœurs portent le même costume qu'en France, sauf la
couleur qui est blanche.

Du Saint Ministère et des conversions.

13. Nous avons sous presse un Directoire pour la conduite privée des
missionnaires et leurs rapports avec les fidèles.
14. Le Préfet Apostolique est large vis-à-vis des pouvoirs. Il délègue lar-
gements les pouvoirs à ses Confrères, par caractère et parce qu'il croit que
c'est l'esprit de Rome.
15. Nous n'avons point remarqué de divergences entre les missionnaires
pour l'enseignement de la morale. Plusieurs fois nous avons voulu tenter
d'établir des conférences pour discuter des cas de morale, exciter les études
ecclésiastiques, et promouvoir, plus facilement l'uniformité. L'éloignement des
stations, la difficulté des communications ne nous ont pas permis la
réalisation de nos désirs. Reste le moyen de s'éclairer par lettres. Au besoin il est
employé.
16. Nous n'avons point trouvé aux mains de nos chrétiens de livres
dangereux.
590 ANNEXES

17. Nous avons adopté le catéchisme suivi dans toutes les missions de la
Côte; à quelque chose près, c'est le catéchisme de Cambrai.
18. Chaque station des missionnaires est dirigée par une supérieur.
19. Les livres de baptêmes, mariages, confirmations, status animarum,
et des familles sont tenus exactement. La brièveté de notre vie rend ces livres
encore plus nécessaires. La communion pascale est forte à Pâques, mais
beaucoup voyagent, communient hors de leur district. Chaque station est
érigée en forme de paroisses dont les limites seules ne sont pas bien fixées,
mais qui a ses prêtres, ses œuvres propres, ses écoles etc.
20. Les dispensaires, le soin des malades dans nos asiles et à domicile,
la visite des païens, les récompenses accordées aux enfants qui avertissent
quand ils connaissent des malades ou qui amènent quelque nouvelle recrue
au catéchisme, sont de bons moyens d'évangélisation.

Des églises, chapelles, presbytères.

21. Nos églises et chapelles sont pourvues du nécessaire pour le culte


divin. Ouidah et Athiémé ont un besoin urgent d'église. Les ressources font
défaut.
22. Nous jouissons d'une, entière liberté pour le culte.
23. Nos habitations sont convenables, sauf celle des Pères à Grand-
Popo et celles des sœurs à Ouidah et Agoué, qui sont petites et insalubres.

Des biens ecclésiastiques et de leur administration.

24. Nos seules ressources sont les aumônes de la Propagation de la Foi,


qui sont annuellement de 10 à 16.000 francs, et nous craignons chaque
année qu'elles ne baissent.
25. Nous n'avons aucun bien meuble ou immeuble pour pourvoir à
notre subsistance. Que donneront plus tard nos plantations d'arbres?
Espérons. Ouidah a un peu de casuel. Le peuple est pauvre, plus encore depuis la
domination française, l'abolition de l'escavage.
26. Pour nos maisons, églises, fermes, le Gouvernement jusqu'ici les
protège.
27. Des testaments sont faits pour que les biens personnels soient
scrupuleusement conservés à la mission.
28. Conformément à nos Constitutions, le Préfet désigne un Confrère.
Les indigènes ou fidèles n'ont aucune part dans notre administration
temporelle.

Du Culte divin.

29. Je suis heureux de voir la sainte liturgie bien observée. Nous


chantons le plain-chant. Un Induit nous autorise, servatis servantis, à chanter en
langue vulgaire certains chants, à certains offices.
30. Ce sont des cantiques français, ou des cantiques français traduits en
langue indigène.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 591

31. La Sainte Eucharistie est conservée en toutes nos églises et


chapelles. Il y a beaucoup moins de danger de profanation qu'en Europe, il n'y
en a aucun. Toutes les règles concernant la Sainte Eucharistie sont bien
observées. Les fréquentes cérémonies, les communions, les processions de la
Fête-Dieu, vraies manifestations témoignent du culte des fidèles pour la
Sainte Eucharistie.
32. Nous avons des Confréries de scapulaires de N. D. du Mont-Carmel,
du Rosaire, avec réunions mensuelles pour les deux sexes, une Confrérie de
St Vincent de Paul qui a aussi deux réunions chaque mois.
33. Ces confraternités marchent bien.
34. Nous ne pensons pas qu'il y ait des superstitions dans le culte des
saints.

Instruction et Education de la jeunesse.

35. Nous avons quatorze écoles, dont 9 pour les garçons et 5 pour les
filles. Elles suffisent pour les enfants des catholiques.
36. Nous admettons dans ces écoles des infidèles et des protestants, à
condition qu'ils apprennent le catéchisme et assistent à tous les exercices
pieux à l'église. Il n'y a aucun danger pour la foi des catholiques; et ces
infidèles et ces protestants se convertissent tous. Nous n'admettons point les
musulmans parce qu'ils sont inconvertissables et sont convertisseurs. Il y
aurait danger pour nos catholiques.
37. Les écoles de garçons sont parfaitement distinctes et éloignées des
écoles de filles. En une station, des petites filles sont admises à l'école des
garçons, car il n'y a point là de maîtresse d'école.
38. Les classes des garçons sont faites par des Indigènes sous la
direction d'un Père; celle des filles par les religieuses; quand les religieuses
consentiront à se faire aider par les filles indigènes, l'économie et l'apostolat
feront un réel progrès.
39. Nous n'avons point de collèges.
40. Les Wesleyens ont une seule école fréquentée par leurs
coreligionnaires et les musulmans.
41. Dans chaque station, nous avons un double orphelinat soutenu par
la Sainte Enfance. Et notre grand orphelinat antiesclavagiste de garçons,
grâce au secours que veut bien nous donner le Cardinal Préfet de la Sacrée
Congrégation, et auquel il faudrait joindre un orphelinet de filles arrachées
aussi à l'esclavagisme.

Instituts pour la diffusion de la Foi.

42. Nos catéchumènes vivent dans leur famille, il n'y a à cela aucun
inconvénient, et c'est une économie énorme. Leur nombre et la durée du caté-
chuménat ne le permettraient pas. Ils apprennent aussi bien la doctrine que
s'ils étaient nos pensionnaires. Les pauvres reçoivent des aumônes et il y a
des asiles pour malades et vieillards.
43. Les visiter souvent et examiner leurs enfants.
44. Nous avons deux asiles pour malades et vieillards. Le Gouverne-
592 ANNEXES

ment a supprimé son hôpital à Ouidah, supprimé aussi le traitement de


l'aumônier de l'hôpital de Cotonou et congédié les religieuses.

Des fêtes et des jeûnes.

45. Dans toute la Préfecture, en vertu d'un Induit, nous ferions


seulement les fêtes de Noël, Ascension, Assomption, Toussaint. Nous pensons
qu'il n'y a rien à changer sous ce rapport.
46. Les Indigènes catholiques observent les jeûnes et abstinences de
l'Eglise, avec induit dispensant de l'abstinence, les dimanche, lundi, mardi,
jeudi de carême.
Les européens, étant donné l'état de fatigue et de maladie causé par un
climat si débilitant, ne peuvent observer ces lois et ont besoin d'induits plus
larges.

Des cimetières et de la sépulture.

47. Nous ne connaissons pas de superstitions dans les funérailles des


chrétiens.
48. Nous avons plusieurs cimetières séparés et bénits. Nous tendons à
en avoir partout. La plus grande difficulté, c'est qu'il faut dépenser de
l'argent pour les clôtures, qui doivent être solides à cause des fauves et des
orages, et otre pauvreté est extrême; nous n'avons que le nécessaire. Les
chrétiens tiennent beaucoup à ces cimetières.

De l'administration des sacrements.

49. Nous suivons exactement le rituel romain en l'administration du


baptême. Les cérémonies n'en sont séparées que dans le cas de nécessité. En
vertu d'un Induit, après avoir fait les interrogations en latin, nous les
répétons en langue vulgaire.
50. Il n'y a pas lieu de douter de la validité du baptême administré par
les indigènes, spécialement instruits sur ces sujet. Ils n'ont pas toujours le
zèle de rechercher les moribonds.
51. Jamais ni schismatiques ni hérétiques ne sont admis comme
parrains.
52. Ceux qui ont été baptisés enfants sont confirmés après 8 ans.
Les adultes sont ou non confirmés aussitôt le baptême, selon les
circonstances. L'usage déjà établi d'essuyer le front des confirmés avec du
coton, comme on fait en France, a été conservé, car les moindres changements
scandalisent le peuple.
53. A cause de l'éloignement des stations et de la difficulté des
communications, il n'y a là pour les missionnaires, de réservés que les cas de la
feuille IV. En arrivant en mission les missionnaires reçoivent un directoire
qui leur donne pleine connaissance de leurs pouvoirs.
54. Tous suivent une retraite préparatoire à la première communion.
55. Le Concile de Trente n'a point été publié.
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 593

56. Les bans sont soigneusement publiés dans l'église aux jours
prescrits.
57. Oui, il y a quelquefois à dispenser d'empêchements prohibants. Les
Indigènes réprouvent les mariages entre consanguins, surtout dans les
degrés les plus rapprochés. Nous avons cependant l'occasion d'exercer les
pouvoirs que cette S. C. nous a donnés à cet effet.
58. Les dispenses sont et ne peuvent être que gratuites.
59. Les dispenses publiques se donnent par écrit avec notation expresse
de la délégation apostolique.
60. Il n'y a point de cérémonies superstitieuses dans les mariages.

Des abus et nécessités de la Missions.

62. Nos premiers missionnaires trouvèrent sur cette côte quelques


centaines de chrétiens. Cela leur fut une vraie force. Mais ces chrétiens
n'avaient aucune connaissance du dogme ni de la morale et avaient accepté
beaucoup de coutumes païennes, idolâtriques. Beaucoup de nos chrétiens
appartiennent à des familles païennes; celles-ci veulent souvent les marier
selon les usages païens, le danger est extrême.
Le remède est dans une instruction religieuse solide, la réception
fréquente de la Ste Eucharistie, et la vigilance des prêtres.
63. Le Noir, à cause du climat, de l'ignorance, de son caractère, est très
mou. Le remède : ...? l'abolition de l'exagération d'autorité des parents et
des maîtres qui ont droit de tout commander, surtout pour les mariages.
64. Multiplier les mariages; établir solidement l'esprit de famille,
diminuer les dépenses excessives et ridicules de la plupart des mariages,
s'opposer au luxe du...? (il n'est pas entravé), inspirer l'amour du travail, de la terre
surtout, même au civil éloigner des musulmans. Que le prêtre soit toujours
là pour soutenir, au besoin relever.
Sans doute nous nous sommes dépensés à cette rude besogne, mais le
succès est loin d'être assez complet.
Créer un clergé indigène aussitôt que possible. C'est la création la plus
nécessaire. Il y a à craindre également et l'orgueil et l'impureté.

J'ai l'honneur d'être etc.. H. Bricet

DOCUMENT 13

Voto de Mgr D. Jacobini sur les synodes de Chine, 1er septembre 1881.

CONCLUSIONE

. . . Siffatta debolezza di risultato è dovuta allo stato stesso delle


missioni, le quali quantunque senza alcun dubbio da mezzo secolo a questa parte
abbiano avuto un grandissimo aumento, come si è accennato al principio,
594 ANNEXES

sono però ancora lontane dal presentare una poderosa azione per lo
stabilimento della Fede nelle popolose contrade del celeste Impero. Discorrere le
cause le quali hanno prodotto questo ritardo si sensibile nelle propagazione
del Cristianesimo in quelle parti sarebbe prolisso. Certo è assai da
meravigliare che con si lunga predicazione del Vangelo, considerato anche il solo
periodo dal secolo XVI. in qua..., con tanti sudori e tanto sangue sparso si
rimanga ancora si limitato e impedito il progresso dell'idea cristiana. Ma per
accennare di volo le dette cagioni sembra che esse sieno di doppia specie,
altre cioè esterne all'azione dei missionari e alle nuove cristianità, altre
interne. Tra le esterne prima è l'odio dei pagani assai antico e come tradizionale
in Cina a tutto quello che vien di fuori, considerato sempre da essi come
mezzo agli stranieri di impadronirsi dell'impero; e però simile giudizio
hanno recato della fede e della Chiesa, e han riguardato i Missionari come
strumenti di politica avversa agli interessi del paese. Questo spirito ha informato
ed informa ancora il governo : basterebbe dar una occhiata al Memorandum
del 1871 più volte citato per convincersene intieramente. Di qua i continui
ostacoli posti dai mandarini all'azione dei missionari e ai loro acquisti cui
considerano come tanti passi diretti ad infeudare agli europei altrettanti
lembi del territorio cinese. Di qua le persecuzioni quasi continue fino ai
nostri giorni che spesso han devastato le missioni, invase e confiscate le loro
proprietà.
Questa prima e grande causa di ritardo trova un addentellato molto
forte in un'altra, cioè nel carattere cinese. L'ho descritto sopra parlando del
clero; il laicato è naturalmente inferiore ad esso e per intelligenza e per virtù.
Il cinese è vile e timido sicché basta talvolta l'azione energica di un
mandarino governatore d'una provincia che sia ostile alla Chiesa per ritardare
molte conversioni e allontanare da essa un gran numero di proseliti. In
questo senso il governo cinese è un vero incubo per impedire la propagazione
del Vangelo e non vi è dubbio che quanto suonerà alta la voce delle potenze
europee per la libertà vera di religione, quanto più riescirà efficace, tanto
più numerosa sarà la conversione di quelle genti alla Fede.
Ma questa influenza Europea invece di giovare sino ad ora in questo
senso, molte voce è riuscita quasi di ostacolo al bene, perché i governi di
Europa ο deboli amici della Chiesa ο aperti nemici non hanno curato i suoi
interessi, e al più costretti dalla forza di certi falsi principi di libertà
chiedendola per loro han solo lasciato che ne godesse ancora la Chiesa. Qualche
volta, è vero, hanno ottenuto che essa respirasse ed anzi si proclamasse la
libertà religiosa, come ad esempio nel trattato di Pekino del 1860. Ma nella
pratica poco si sono curati della esecuzione dei Trattati, e la stessa Francia
che pure avrebbe si gravi motivi politici per proteggere l'azione dei
missionari ha bene spesso operato debolmente e trasandati talvolta gl'interessi
della Fede. Non vi è dubbio che ove i ministri europei volessero, potrebbero
riuscire d'un validissimo appoggio alla propagazione del Vangelo; certo si à che
la insolenzà cinese va in ragione inversa della energia dei rappresentanti di
Europa.
Oltre a queste cause che sono, secondo è evidente, assai gravi, un'altra
non men potente ve ne è nella stessa natura della società cinese. Assai più
forse che nell'antico mondo romano, la vita cinese è immersa nelle
superstizioni : tutto ne è pieno, l'individuo, la famiglia, la città, la vita politica e so-
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 595

ciale ribocca di usi superstiziosi. Il culto dei morti, di Confucio, l'idea della
buona ο mala ventura signoreggia talmente ancora questi popoli, che non si
prevede quanto tempo dovrà passare prima che si rompa questa rete
diabolica in cui sono presi. La potenza delle superstizioni in Cina si pare manifesta
dalla stessa questione sui riti cinesi, che die tanto a fare alla S. Sede, e dalla
quale vennero tanti danni alla propagazione del Vangelo.
Arroge a questo la scostumatezza largamente dominante, le ingiustizie
comunissime nei contratti, l'abuso dell'oppio e tanti altri elementi che lungo
sarebbe anche accennare e si avrà l'idea delle grandi difficoltà che incontra
colà l'opera dei missionari.
A siffatte cause esteriori si aggiungono le interne. La Chiesa avrebbe
bisogno in Cina di grandi mezzi per dare una consistenza maggiore alla
comunità cristiana. Ma più che di mezzi abbisognerebbe di persone che
si recassero colà ad aumentare il numero dei banditori del Vangelo ora
veramente pochissimi rispetto all'estensione dell'impero e al numero dei
pagani. Poco dunque può sentirsi l'azione dei missionari. Essi sono intie-
ramente volti ai ministeri più necessari e comuni per l'assistenza di
fedeli, e pochissimo, per non dir per nulla, possono pensare a nuove
conversioni. Principale danno poi in queste missioni è il non essersi ancora
riuscito a stabilire un clero indigeno savio e veramente affezionato alla
Fede. In più di tre secoli non si è giunto ad avere Vicari Apostolici di
nazione Cinese, se ne tolga uno nel Foukien, e i preti sono pur troppo
anche ora assai deboli e non scevri dei pregiudizi dei loro connazionali
verso gli europei. Da altra parte finché non si avrà un clero indigeno
veramente affezzionato alla Fede e alla Chiesa Romana che si ponga tam-
quam clypeus pro domo Domini, è inutile sperare un serio sviluppo
progressivo e dirò così nazionale, del Cristianesimo in Cina. È per questo
che proporrei si avessero da concentrare su questo punto tutti gli sforzi e
procurare il consolidamento dei Seminali, la regolarizzazione e un
severo governo del clero adulto.
Anche è grave difetto in quelle missioni la mancanza di cognizione della
lingua : si è veduto che i PP. dei Sinodi sono stati assai solleciti di ciò nelle
loro riunioni. I nostri missionari non hanno in questo secondato quel primo
movimento che seppero dare agli studi con molta utilità i primi missionari
della Compagnia di Gesù. Essi sanno tanto di cinese da capire i loro soggetti,
amministrare i sacramenti, e predicare, spesso malamente. Onde è
incredibile quali difficoltà debbono sperimentare. La lingua cinese è generalmente
una, ma i suoi dialetti sono si vari, in certe provincie i mescolamenti con
altre lingue si complicati che di fatto non uno ma assai molteplice riesce il
linguaggio.
Se non si pone mano all'opera perché uno studio serio di esso si faccia
almeno nei centri maggiori di ciascun gruppo di missioni, la cognizione
delle cose cinesi sarà sempre scarsa e la predicazione riuscirà inefficace in gran
parte.
Fino ad ora a questi imbarazzi e ostacoli che sperimentavano i
missionari si aggiungeva quello del non riunirsi mai insieme i capi delle missioni,
del non comunicare facilmente tra loro le idee, il che produceva una
incredibile varietà di opinioni e di pratiche, sicché nuove cagioni di confusione e di
ritardo ne venivano al progresso della Fede. Pertanto il mantenere in ogni
596 ANNEXES

quinquennio queste assemblee regionali sembra essere di una suprema


importanza. La Propaganda conoscerà da esse molte cose particolari che
difficilmente le poterono esser note fin qui, saprà l'opinione della maggioranza
dei Pastori della Chiesa su molte questioni, e si rederà conto assai più
precisamente dell'andamento delle cose.
Non vi è dubbio che trattandosi di missioni così lontane dalla S. Sede la
difficoltà di ravvisare i dati di fatto cresce a misura dello sviluppo del
Cristianesimo. E ciò si è veduto con molta evidenza in altre parti, in ispecie in
America e nelle colonie inglesi dove bene spesso la S. Congne si trova in
gravi difficoltà rispetto alla cognizione delle circostanze. Dal che è nata l'idea
della spedizione de' Delegati Apostolici ο almeno de' Visitatori che la
ragguaglino esattamente sullo stato delle cose. Anche in Cina progredendo con
maggior vigore le missioni ha già cominiciato a usare di questi mezzi, e si è
veduto al principio come essa ordinasse a Mons. Spelta la Visita accurata di
tutte le missioni dell'Impero. Anche potrebbero servire utilmente al
medesimo scopo relazioni riservate dei capi di ogni gruppo regionale nelle quali
s'informasse la S.C. circa l'esecuzione delle provvidenze divisate nei sinodi,
ο ordinate dalla medesima. Questi ed altri modi potrebbero efficacemente
condurre le missioni di Cina a condizione più prospera, e non vi è dubbio
che l'attuale periodo di esse più calmo e in via di continuo avanzamento
riuscirebbe opportuno all'azione provvida ed efficacissima della Propaganda.
Nel chiedere alle EE. W. che m'abbiano per iscusato dalle imperfezioni
e prolissità di questo scritto che sottopongo all'alta sapienza della S.C.
m'inchino riverente al bacio della sacra Porpora.
1. Settembre 1881.

Urnö Dm ο Servo
D. Jacobini Arciv. di Tiro i. p. i.

DOCUMENT 14

Voyage d'un missionnaire de la Société des missionnaires d'Afrique (Pères


Blancs) d'Alger aux Grands Lacs Nyanza ou Tanganika (1885). Budget
prévisionnel.

Source : Archives O.P.M. Lyon, Afrique (divers) Boîte 1885.

Achat Transport
Prix du voyage à Zanzibar 900 fr
1. 4 Gandouras à 35 fr 140 f.
2. 6 chemises flanelle à 15 fr 90
3. 2 tricots chausse à 8 fr 16
4. 10 paires de bas garnis à 2.50 fr 25
5. 2 paires de brodequins à 20 fr 40
6. 2 paires de souliers bas à 10 fr 20
7. 2 paires de souliers toile à 3 fr 6
8. 1 paire bottes imperméables 50
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 597
Achat Transport
9. 2 chapeaux feutre 40
10. 1 chapeau en liège 6
11. 2 chéchias à 5 fr 10
12. 4 bonnets de nuit à 1 fr 4
13. 2 rosaires à 2 fr 4
14. 12 mouchoirs en fil à 1 fr 12
15. 6 serviettes de toilette 6
16. 6 serviettes de table 6
17. 2 couteaux de poche avec scie et canifs 12
18. 1 fort parapluie couverture blanche 15
19. 1 en tout-cas 6
20. 1 nécessaire contenant 2 paires ciseaux, fil, aiguilles,
boutons . 10
21. 1 imperméable en toile 20
22. 2 peignes, 2 brosses, graisse spéciale pour chaussure 10
23. 1 douillette merinos 40
24. 2 pantalons en velours jaune foncé, 2 redingotes, 2
gilets 60
25. 2 pantalons coutil crème à 4,50 fr 9
26. 1 culotte de velours à 7.50 fr 7,50
27. 2 ceintures de cavalerie à 5.50 fr 11
28. 1 pharmacie personnelle 100
29. 4 caisses en fer battu pour les objets ci-dessus
mentionnés à 14 f (2 charges de porteur) 60 400
30. 1 lit de camp en bois avec sac
imperméable } 1 charge 30
31. 3 couvertures 40 200
32. 1 sac de nuit toile imperméable servant lieu de
traversin 3
33. 1 fusil Lefaucheux à percussion centrale léger, 1
revolver, ceinturon, cartouchière et munitions 200
34. 1 selle molle pour âne, avec étriers, bride à mors brisé,
collier en cuir avec anneaux munis d'une chaîne pour
attacher 50
35. 1 âne de Mascate (60 piastres) 300
36. 500 biscuits pour en prendre 2 par jour durant 8 mois 100 200
37. 30 kilos de riz 10 200
38. 1 charge sel, café, poivre et autres condiments 20 200
39. 2 charges vin de messe 60 400
40. 1 charge conserves : sardines, thon, fromage, liebig,
saucisson julienne, soupes préparées, chocolat, thé, 200
rhum, cognac 100
41. 1/2 charge savon avec caisse de 15 f 35 100
42. 1/2 charge bougies, cierges, lampe à huile, allumettes, 100
hosties 40
43. 1 caisse chapelle portative 1/2 charge 100
44. 1/2 charge 2 haches emmanchées, 2 tarières, 2
marteaux tenailles pointes, avant-clous, limes, pincettes,
ficelles, fil de fer, cordes longues et solides, 2 scies an- 100
glaises 50
598 ANNEXES

45. 1 batterie de cuisine avec boîtes en fer blanc pour


poivre, sel, café, etc. : 1 charge 50 200
46. 1 tente solide, doublée, forme bonnet de police pour 3
ou 4 lits avec piquets en fer et massue 1 50
47. 1 siège pliant 5
48. 1 hamac pour malada 12 f" 100
49. 1 pioche emmanchée pour campement 5
50. 2 outres (guerbas) pour porter l'eau aux tirikezal 2
5 1 . Nourritures et faux-frais à Zanzibar, douane et voyage 300
à Bagamoyo
52. Poudre, perles, balles pour l'escorte, capsules : 1 200
charge 400
53. Objets d'échange, étoffes pour nourriture et hongo : 2 400
charges 400
54. 1 Guide et 1 cuisinier à 25 f chacun durant 8 mois 400
55. Leur nourriture durant 8 mois 200
56. Cadeaux à faire aux Chefs 800
57. 1/2 charge de sucre 25 100
58.2 charges : étoffe et perles, samesame pour nourriture
et hongo, de Tabora aux Grands Lacs 300 100(?)
59. 6 askaris (soldats) à 25 f chacun par mois 1 600
60. Nourriture des Askaris 8 mois 1 200
61. Achat de fusils pour 6 askaris, 1 cuisinier, 1 guide 200
62. Achat d'une bâche imperméable pour couvrir les
bagages 60
63. Excédent pour port de bagages d'Alger à Zanzibar 300
64. Achat de munitions pour l'escorte 200
Totaux 9092,50 3700

Total général 1 2 792,50 F


N.B. Pour un départ de 7 missionnaires on réalisera les
économies suivantes :
1° Achat et transport de 3 batteries de cuisine 750
2° Achat et transport de 4 hamacs 448
3° Achat et transport de 4 tentes 1 400
4° Achat et transport de 5 bâches pour couvrir les ba- 1 300
gage durant le voyage
5° Trois cuisiniers et trois guides, nourriture et
salaire, fusil et munitions 1 200
5098

DOCUMENT 15
La France, la Chine et le Saint-Siège.

Moniteur de Rome, 20 mai 1886.


(A.M.A.E. Rome, Saint-Siège, vol. 1084, f. 92).
Après avoir fait l'éloge de l'attitude de Léon XIII qui «a tout fait pour
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 599

sauver la France des crises, pour lui conserver les bienfaits inappréciables de
la paix civile et religieuse», l'article poursuit :

«Mais institution cosmopolite au premier chef, placée sur les hauteurs


du Vatican pour embrasser de sa sollicitude tous les royaumes, la Papauté
constitue d'office la providence visible de toutes les chrétientés et lorsqu'une
occasion d'étendre et de propager le règne de Dieu s'offre à son regard, son
devoir est engagé, sa mission tracée d'avance.
La Chine vient fournir cette occasion providentielle. En proposant
d'entrer en relations officielles et directes avec Rome, elle place les missions
catholiques sous la tutelle immédiate, tangible, visible du Saint-Siège et de la
Propagande. Jusqu'ici cette protection était réglée diplomatiquement par un
traité avec la France. C'était celle-ci qui, intermédiaire politique, devait
sauvegarder les intérêts de ces chrétientés; c'étaient la Chine et la France qui
avaient combiné, concerté, pratiqué d'un commun accord ce qu'on est
convenu d'appeler le protectorat français. Eh bien le Saint-Siège ne lèse
aucun droit, il ne rompt avec rien et avec personne. A côté d'un traité politique,
il peut accepter une institution religieuse, à côté d'une forme transitoire,
étroite, nationale, établir une forme régulière, permanente, générale; à côté
du drapeau d'un peuple, planter la lumière du Christ, l'étendard de la
Papauté. Que sera-ce si, non seulement le Vatican n'use d'aucun manque d'égards,
mais s'il se borne simplement à correspondre à une offre gracieuse pour lui,
profitable pour les âmes, avantageuse à l'épanouissement radieux et fécond
de son action civilisatrice? Aurait-il dû repousser ces avances d'un
Souverain, au moment où la Chine s'ouvre au mouvement moderne, où les
persécutions en Orient jaillissent souvent des rivalités politiques ou nationales, où
les missions ont plus que jamais un rôle de premier ordre à jouer dans les
pays lointains; où, enfin, de cette compénétration de deux civilisations
occidentale et orientale, sortira probablement une ère nouvelle, soit pour
l'Eglise, soit pour l'Europe? L'avenir s'avance de l'Orient : l'Eglise doit-elle se
fermer les routes qui y aboutissent? Quand la Chine aura une représentation
près le Saint-Siège peut-on craindre encore, au même degré, les revanches
de l'esprit persécuteur? Dans quelques années, lorsque la civilisation aura
porté sa lumière à l'intérieur de ce monde fermé jusqu'ici, selon les
prédictions des voyageurs les plus perspicaces et les mieux informés, la Chine
débordera sur l'Europe et les autres parties du monde, est-il croyable que les
rapports de cet empire avec les puissances seraient les mêmes
qu'aujourd'hui?
Rien de tout cela ne saurait porter ombrage à la France. Sans doute, le
gouvernement français a rendu d'éminents services aux missionnaires. Mais
son protectorat n'a-t-il pas été, en retour, pour lui, une source de prestige, un
principe de rayonnement et d'influence politique? Si, par l'action des
événements et la force des choses, cette situation doit se transformer, revêtir un
autre type, faut-il en rendre le Saint-Siège responsable? Est-il permis de voir
dans cette marche naturelle des affaires une atteinte au droit du
gouvernement, un manque d'égards pour la nation? Le prétendre ce serait absurde;
ce serait vouloir accréditer le préjugé que la papauté subordonne les intérêts
des âmes et des missions à des combinaisons politiques...»
600 ANNEXES

DOCUMENT 16
La politique coloniale

Moniteur de Rome, 7 juillet 1887.


(Source : A.M.A.E. Rome, Saint-Siège, vol. 1088, f. 44).

«Les missions sont l'auxiliaire indispensable de toute politique coloniale


féconde. Les gouvernements, quels qu'ils soient, protestants ou catholiques,
ont toujours cherché à s'appuyer sur le missionnaire dans leur œuvre
d'expansion nationale. En France, on a vu les hommes d'Etat les moins suspects
de tendresse pour l'Eglise, et mêmes des fauteurs du Kulturkampf à
l'intérieur, soutenir énergiquement à l'étranger le prêtre ou le moine catholique
qui se dévoue à l'évangélisation des peuples barbares.
Dernièrement encore, les journaux officieux de Rome annonçaient que
le gouvernement italien avait concédé à des missionnaires catholiques une
zone de territoire près de de la baie d'Assab. Aucune protestation ne s'est
élevée contre cet acte du ministère Crispi, même dans la presse la plus
anticléricale : preuve évidente que l'utilité nationale des missions est reconnue
par les adversaires les plus fanatisés du catholicisme.
En ce moment même, nous voyons le gouvernement allemand, dont la
politique coloniale est de date toute récente, déployer les plus grands efforts
pour attirer les sociétés des missionnaires catholiques sur ses territoires
nouvellement acquis.
Les possessions de l'Allemagne dans l'Afrique orientale ont une
immense étendue. Elles forment un territoire deux fois plus considérable que
l'empire allemand actuel et d'une population de 40 millions d'âmes. Jusqu'à
ces dernières années, l'évangélisation était uniquement confiée à la
congrégation des missionnaires du Saint-Esprit. Mais l'année dernière, la
Propagande, pour faciliter l'œuvre évangélisatrice, y érigea de nouveaux vicariats
qui furent dévolus aux missionnaires français d'Alger.
Voici quel est à peu près l'état des missions dans les possessions
allemandes
{passim... l'article énumère les missions dans les colonies allemandes...]
Le fait qu'une partie considérable des territoires allemands est évangéli-
sée par des français, ne pouvait manquer de soulever la question de la
nationalité des missionnaires. Au point de vue religieux, cette question ne saurait
exister, car les missionnaires, à quelque nation qu'ils appartiennent, sont
tous ouvriers de l'Evangile et n'aspirent à d'autres conquêtes que celle des
âmes; mais au point de vue politique, les gouvernements savent que la
confiance, l'estime et l'amour dont jouissent les missionnaires, rejaillit sur la
nation à laquelle ils appartiennent et apporte à celle-ci un surcroît de
prestige et d'influence.
C'est à ce point de vue que l'œuvre des missions est une œuvre
essentiellement patriotique et nationale, et que les gouvernements qui
comprennent leurs véritables intérêts, devraient favoriser autant qu'il est en
eux l'établissement et l'expansion de leurs instituts missionnaires.
Pour sauvegarder autant que possible l'influence allemande, la Société
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 601

coloniale de l'Afrique orientale a insisté auprès du Saint Père et de la


Propagande pour que les territoires allemands de l'Afrique soient autant que
possible confiés à des allemands et qu'on y érige une préfecture apostolique
allemande. En même temps, une déclaration du R. P. Amrhein, supérieur des
missions allemandes en Bavière, nous faisait savoir que Y Ostafrikanische
Gesellschaft vient de conclure un traité avec les missionnaires français du
Vicariat de Zanzibar, d'après lequel ces missionnaires s'engagent à se mettre
sous la protection de l'Allemagne et à se servir autant que possible des
missionnaires allemands qui répandent la langue et l'influence allemande.
Le fait est digne d'attirer l'attention : il prouve une fois de plus
l'immense importance qui, pour les gouvernements, s'attache au développement
et à la protection des missions nationales.
En regard de cette fièvre de colonisation qui s'est emparée de tous les
pays, l'œuvre des missions apparaît, pour n'envisager la chose qu'au seul
point de vue humain, comme une œuvre civilisatrice et européenne au
premier chef. C'est ce qu'a compris Léon XIII et c'est pour cela que, depuis le
commencement de son pontificat, il s'est efforcé de donner à cette grande
œuvre toute l'impulsion que les besoins nouveaux comportent. En agissant
ainsi, Léon XIII ne travaille pas seulement pour la foi et l'Evangile, mais
aussi pour les intérêts moraux et matériels des puissances colonisatrices. »

DOCUMENT 17

Opinion de Mgr Lavigne, sur la question du clergé indigène (Indes), 9 mars


1904.

Source : A.R.S.I., Missions, 2, Varia. Lettre de Mgr Lavigne, évêque de Trin-


comalee, Ceylan, à Mgr Zaleski, délégué apostolique

La question sur laquelle Votre Excellence me demande mon opinion


dans sa lettre du 4 novembre est assez complexe et je ne suis pas compétent
en la matière. Au Malabar j'étais assez occupé par mes propres affaires et je
n'ai jamais été désireux de savoir ce qui se passait dans les diocèses voisins.
Néanmoins il me semble qu'on peut trouver deux causes éloignées à
l'esprit d'insubordination dont V. E. signale l'accroissement journalier, et c'est
là qu'il faudrait porter remède. Et comme ma petite expérience du Malabar
m'a montré que toutes les agitations, celles même des laïques, étaient origi-
nées, fomentées par des prêtres, c'est d'eux que je parlerai.
La nature du caractère indien entre sans doute dans la situation comme
un facteur important; cependant je signalerai deux autres causes qui
seraient, à mon avis, les suivantes :
1. Rapports des missionnaires européens avec les prêtres indigènes.
a. N'y-eut-il pas une époque où les missionnaires européens
considéraient les prêtres natifs comme des prêtres de second ordre auxquels « il ne
fallait donner qu'une demie instruction afin qu'ils ne se crussent pas les égaux
des européens?» Ces plaintes je les ai entendues partir de la bouche d'un
602 ANNEXES

prêtre natif. Qu'est-il arrivé? Grâce à l'impulsion donnée à l'éducation


sacerdotale par les Délégués Apostoliques et par Votre Excellence à son tour, il est
arrivé que certains prêtres natifs se sont trouvés aussi savants que certains
prêtres européens, et ils ont en plus la supériorité incontestée de la langue. Les
prêtres natifs le sentent et réclament avec raison leur droit à la science.
Le remède n'est point de dénoncer l'instruction des natifs, il faut
l'augmenter au contraire. Si parfois la science fait des rebelles, l'ignorance fait
encore plus de rebelles en faisant des dupes qui se laissent mener par les
agitateurs. Il faut reconnaître et louer la science chez les prêtres natifs. J'ai été
pour ma part heureux d'envoyer des lettres de felicitation à des prêtres natifs
de Jaffna pour d'excellents ouvrages de piété qu'ils ont publiés.
b. J'ai entendu dire qu'il fut un temps où les missionnaires européens
exigeaient que les prêtres natifs les saluassent à genoux comme font les
laïques de l'Inde. On ne les faisait pas asseoir etc.
Naturellement les prêtres natifs et les laïques étaient humiliés et blessés.
Ils regardaient les missionnaires européens comme des adversaires, comme
des despotes. Dans certains diocèses on a observé que les prêtres natifs ne
veulent pas se confesser aux missionnaires européens. Il en résulte que la
formation de leur conscience, de leur caractère sacerdotal demeure imparfaite.
Le remède serait que les missionnaires européens, une bonne fois pour
toutes, se résolvent à regarder les prêtres natifs comme leurs égaux en
sacerdoce, à les honorer en public, à les honorer en particulier, à les aimer et à le
leur faire sentir. Alors les natifs, voyant en eux des amis, des frères, ne seront
pas portés à les tenir en suspicion et à soulever le peuple contre eux. Sans
doute, les religieux des divers ordres ont eux aussi besoin de garder la
primauté de leur vie de famille; mais tout en sauvegardant ces droits, il reste
ample espace pour une fusion réelle avec le clergé natif. Qu'on donne au
clergé natif une place et une influence réelle dans le conseil episcopal.
2. Rapports des évêques avec le clergé local.
Si l'Evêque a des droits, le prêtre natif, a aussi les siens, prévus et réglés
par le Droit Canon. Par exemple, quand il s'agit des fautes à constater et des
punitions à infliger, observe-t-on suffisamment les règles de la
jurisprudence, des enquêtes, des jugements, des avis préalables à l'infliction de la
peine? Je suis d'autant plus libre de signaler ce défaut, que je dois moi-
même faire mea culpa.
L'absence de ces formes canoniques fait que le prêtre natif se croit ou se
dit livré aux caprices de l'évêque, et victimes de tous les dénonciateurs. De là
à vouloir secouer le joug, il n'y a qu'un pas...
Si les Evêques entretenaient avec chacun de leurs prêtres ces rapports
affectueux de père à enfants, je suis persuadé que les prêtres natifs
aimeraient leur évêque et le soutiendraient en toute occasion au lieu de faire de
l'agitation contre lui.
Que l'Evêque soutienne son clergé natif contre les esprits brouillons, les
dénonciateurs de métier, et les prêtres soutiendront leurs Evêques. Mais si
l'on voit, et en me citant le fait on m'a nommé toutes les personnes
intéressées, et pourtant je n'ose le croire, si on voit un évêque charger officiellement
un laïque de surveiller son curé, à quoi ne faut-il s'attendre?
Les prêtres se sentant aimés et soutenus par leur évêque cesseront de
soupirer après des évêques natifs. Car il est bien certain que le peuple pré-
CARTES, STATISTIQUES, DOCUMENTS 603

fère la direction des missionnaires européens à celles des natifs, et que les
bons prêtres ont plus de confiance en l'impartialité d'un évêque européen
qu'en celle des évêques natifs.
Autres remèdes.
1° Tenue à époques régulières et assez rapprochées de synodes
provinciaux avec la solennité canonique; les évêques syriaques étant soumis
officiellement à l'archevêque latin, en tout, comme les autres évêques...
La publication de ces statuts faite aux fidèles serait un bouclier puissant
derrière lequel chaque évêque abriterait sa responsabilité; et le
mécontentement du peuple, s'il y en avait, s'éparpillant sur plusieurs têtes, atteindrait
moins directement l'évêque du lieu. En outre le mot de règle générale, de
coutume à suivre désormais, a une puissance étrange sur l'indien.
2° La tenue régulière des synodes diocésains dans la forme prescrite. Le
seul fait de voir ses prêtres se grouper autour de l'évêque et revenir porteur
de règlements, persuadera un laïque que l'épiscopat et le clergé ne font qu'un
et qu'il doit obéir.
En terminant, je me permets de rappeler à Vootre Excellence une parole
qu'elle me dit il a bien six ans : «Le concile de Vérapoly n'a été publié que
pour les Latins. Les syriaques se trouvent en fait sans aucune législation.»
Là où il n'y a pas de législation, peut-on espérer de la subordination ?

Lavigne
INDEX DES NOMS DE PERSONNES

* = Cité en note infrapaginale


Abels Conrad, 562. Balsieper Giordano, bénédictin, 560.
Adam Jean-Martin sp., 316, 562. Banci Ezechias, franciscain, 562.
Ageron Charles-Robert, 396. Barat Rde Mère, 166.
Agliardi Cardinal Antonio, 36, 67, 84, Baratieri Général, 513.
85, 86, 90, 91, 100, 135, 137, 143, 145- Baravalli Alessandro, barnabite, 106.
147, 161, 163-164, 172, 182, 285, 333, Barberini Francesco, 41.
457-458, 482-483, 503. Bardou Joseph m.e.p., 560, 562.
Agnozzi "Giovanni Battista, 63. Barnabe, Cardinal Alessandro, 14, 79.
Aiuti Andrea, 90, 105, 113, 162, 181.182, Barone P.M., 105, 113, 162.
269-271, 285, 290. Barthe Jean-Marie s.j., 324.
Alberizzi Mgr Mario, 197. Barthet Joseph sp., 319.
Albert Maximilien, 562. Bartocini Fiorella, 157*.
Alexandre VI, 195, 386. Bartolini, Cardinal Domenico, 39, 135-
Alexandre VII, 46. 136, 171.
Alexandre VIII, 29*. Bartolini G. cistercien, 104.
Alimonda Gaetano, 135-136, 140, 145, Battandier Albert, 26, 67.
171, 254*. Baumgarten Paul Maria, 159, 411*.
Allain Jean-Claude, 449*-450*. Baumont Jean-Claude, 400*.
Allard Jean-François o.m.i., 104, 108, Bax Jacques, scheutiste, 560.
328. Bazin Hyppolite p. bl., 562.
Allgeyer Emile sp., 311, 562. Beckmann Joseph, 11*, 13*.
Aloisi-Masella Gaetano, 67, 72, 94, 135- Beckx Peter Johan s.j., 285*, 297*,
137, 165, 172. 302*, 303, 331-332.
Angeli Rinaldo, 121*, 189*. Beiderlinden Bernard s.j., 562.
Antoine R.P., 367. Bellamy J., 407*.
Antonelli, Cardinal Giacomo, 88, 91, Bellarmin Saint, 176.
143, 151, 166. Belle Isidore o.m.i., 323.
Anzer Johannes Baptist SVD, 332-334, Benoist Roger de p. bl., 300*, 363*.
503*, 505-507, 509, 562. Benoît XIV, 49, 124*, 206, 260, 263,
Apolloni, Cardinal Achille, 135-136, 330-331, 408.
172. Benoît XV, 186.
Arens Bernard s.j., 418. Benomar Comte de, 456*.
Arguinzonis Bernard carme déch., Benziger Ulrich, carme, 562.
562. Bergamaschi Emilio, 85-86, 91, 94,
Aroud Cyprien cm., 371*. 162, 164.
Aubert Roger, 13*, 16*, 88*, 147*, 154*, Berlioz Alexandre m.e.p., 247*, 248*,
376*. 562.
Audisio G., 145-146. Bermyn Alphonse, scheutiste, 319*,
Augouard Prosper sp., 232*-233*, 234, 320, 562.
242-243, 562. Bernaglia Raffaele, 80.
Augier Cassien o.m.i., 357. Bernard-Maitre Henri s.j., 268*.
Augustin (Saint), 367. Bertrand Dom Marie, 247.
Augustinis Emilio de, s.j., 106, 110, 111, Bertrand de Dangeul, capucin, 360*.
130. Betti Claudio, 306*, 513*.
Bianchi Raimondo, 104, 110.
Baccelli Luigi, 104. Biet Félix m.e.p., 560.
606 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Bilio, Cardinal Luigi, 39, 135-136, 144, Caspar Antoine m.e.p., 562.
171, 173. Cassetta, Cardinal Francesco di Paola,
Biserna Quintino, 79. 104, 105, 112-114, 161.
Bismarck Otto Fürst von, 1, 383-384, Caterini Prospero, 167.
447-456, 464. Cauchy Augustin, 413.
Boccali Angelo, 121*. Cavadini Abbondio s.j., 562.
Bonet-Maury pasteur, 368*. Cavagnis, cardinal Felice, 37, 111-112.
Bonfils Jean s.m.a., 243*. Cavicchioni, Cardinal Beniamino, 86,
Bonjean Christophe o.m.L, 305, 311, 92, 105, 110, 113, 161, 163.
560. Cazenave Pierre m.e.p., 100, 108, 115,
Bonnand Clément m.e.p., 32. 186, 189*, 327.
Borgia Luigi Oreste, 77-84, 92. Cazet Jean-Baptiste s.j., 38, 124*, 315-
Borgna Giovanni Battista carme, 560. 316, 562.
Bosco Dom Jean, 309. Celestino Pietro, 335*.
Bottero Hugues m.e.p., 320, 340*, Cezon Barnabeu Garcia o.p,m 560.
349*. Charbonnaux E., 15.
Bouchut Jean-Claude m.e.p., 319*, Charles Pierre s.j., 340.
562. Charmetant Félix, 314.
Boudens Robrecht, 287*, 305*. Chatagnon Marc m.e.p., 562.
Bourdon Charles m.e.p., 560, 562. Chatron Jules m.e.p., 562.
Boyer Henri, 90. Chausse Augustin s.m.a., 298*.
Brasseur Paule, 243*, 445*. Chiais Efisio, franciscain, 560.
Bray Gerald cm., 560, 562. Chicaro Anacleto, 104, 162, 516.
Bricet Hyacinthe s.m.a., 100*, 186, 219, Chigi Cardinal Flavio, 171.
229*, 237, 240, 300, 349*, 367*, Chiocchetta Pietro, 16*.
372*. Choulet Marie-Félix m.e.p., 320.
Brichet Henri sp., 105, 106, 108, 110. Chouvellon Célestin m.e.p., 562.
Brou Alexandre s.j., 310. Ciasca Agostino, 63, 105, 107, 110, 112,
Broyer Pierre mariste, 562. 116, 135, 137, 140, 147, 149, 172, 174,
Brucker Joseph s.j., 261, 268*. 229*, 286.
Bruguière Jules cm., 322, 562. Cirino F. M., 105.
Brunetti sp., 117. Ciurcia Luigi franciscain, 560.
Bruni Giovanni, 82*, 84, 86, 91, 94, Ciaessens Adam, 560.
100, 160. Clément IX, 46.
Bullig o.m.i., 90. Clément XI, 206, 260, 261.
Buonpensiere Enrico o.p., 106, 111-112, Clémente Isidoro o.p., 562.
114. Clementi Pietro, 80.
Burtin Louis p. bl., 96, 99, 119*, 120- Clerc Jean-Marie, salésien d'Annexy,
121, 185, 189, 190*, 315*, 427*, 430, 562.
436. Cocchia Rocco capucin, 560.
Butler Antoine s.j., 560. Colgan Joseph, 562.
Colin Jean-Claude, fondateur des ma-
Calansazio da Llevaneras, 106. ristes, 309.
Calderon Michele o.p., 560. Collin Charles o.m.i., 134, 323, 357.
Callixte III, 385. Colombert Isidore m.e.p., 560.
Cambon Jules, 496. Colomer Antonio o.p., 560.
Canoz Alex, s.j., 281, 560. Comboni Daniele, 16, 143, 244*, 309,
Caperan Louis, 402*, 405, 409*. 330, 332, 335, 441-442, 560.
Capranica, Cardinal Domenico, 88. Consolini, Cardinal Domenico, 171.
Carcani Α., 105, 107, 110-112, 114. Conrado Gustavo, 105, 111.
Cardella Valeriano s.j., 105. Coqset Auguste cm., 248*, 504*, 562.
Cardot Alexandre m.e.p., 562. Corbelli Guido, 308, 333.
Carlassare Epifanio cap., 465, 506, Corbet François sp., 562.
562. Cormier Henri o.p., 112-114.
Carrié Antoine sp., 347*, 562. Cornevalini Battista, 53.
INDEX DES NOMS DE PERSONNES 607

Corrado Maria-Gioacchino, clerc rég. De Waal Antoine, 159.


de la Mère de Dieu, 106, 110, 112, Di Canossa, Cardinal, 171, 333.
330. Di Maria Pietro, 86, 91, 161-163.
Corrigan Rugène-Bernard, 180. Dionisio di S. Teresa, carme déch., 112,
Corti Giovanni, 85, 86, 160, 163. 115, 123-128, 335.
Cosi Eliseo, franciscain, 560. Di Pietro, Cardinal Angelo, 39, 172.
Costantini Mgr Celso, 511. Di Pietro, cardinal Camillo, 135-136,
Cotta Antoine cm., 267*, 511. 145, 171.
Coudert Antoine o.m.i., 323, 562. Dordillon Hildephonse, picpusien,
Coulbeaux Jean-Baptiste cm., 513. 316*, 560.
Coulet Marie-Félix m.e.p., 562. Di Rende Camillo, Cardinal, 88, 450.
Coulon Paul sp., 243. Douau Noël s.m.a., 243*.
Couppé Louis, Sacré-Cœur d'Issou- Droulers Paul s.j., 157*.
dun, 562. Dubail Constant m.e.p., 560.
Courcel Baron Alphonse de, 452-45. Dubar Edouard s.j., 560.
Courmont Rodolphe de sp., 233. Dublanchy E., mariste, 110.
Cousin Jules m.e.p., 562. Dunand Jules-Marie m.e.p., 246, 247,
Couvreur s.j., 260*. 563.
Cretoni, Cardinal Serafino, 77-79, 81, Dunn George, 460, 467-470, 473, 477-
84, 104, 110, 112, 135, 137, 139-140, 482.
172. Dupanloup Félix, 13.
Crispi Francesco, 512.
Croc Yves-Marie m.e.p., 560. Emonet Ambroise sp., 232-233, 299*,
Crochet Jean-Marie, salésien d'Annecy, 303, 347.
321, 560, 562. Eschbach Alphonse sp., 100, 108, 112,
Crouzet Jacques cm., 38*, 303, 512- 116, 117.
513, 562. Escoffier Joseph m.e.p., 563.
Cuaz Joseph m.e.p., 563.
Czacki, Cardinal Vladimir, 36, 135-136, Fabiano da Scandiano, 105.
146, 151-152, 167-168, 171, 498. Fabre Joseph, 109.
Fausti T., 104, 110, 114.
Dhaloff Theodor s.j., 563. Fava Armand, 187.
Dartois Louis s.m.a., 563. Favier Alphonse cm., 255, 479-485,
Daum Jean-Pierre sp., 117. 495, 504*, 505-507, 508, 563.
De Jacobis Giustino cm., 343, 446. Fée Renaud m.e.p., 563.
De Launay Comte Edouard, 451-454. Fennelly Stephan, 560.
De Lorenzi Filippo, 94-95. Fenouil Jean m.e.p., 563.
De Luca, 39. Fernandez Maxime o.p., 563.
De Martinis R., 106, 108, 110, 112, 176. Fernandez y Villa Vincent, 106, 111-112.
De Prandières Martial, 402*. Ferrata, Cardinal Domenico, 36, 160,
Delacroix Mgrs., 413*. 166-168, 172, 494.
Delaplace Louis cm., 560. Ferres Joseph o.p., 560.
Delcassé Théophile, 498. Ferrieri, Cardinal Innocenze 171.
Delicati Chanoine, 92. Ferry Jules, 449-450.
Delpech Prosper m.e.p., 91*, 100, 185, Fiat Antoine cm., 303, 470, 504*.
189, 319, 324, 423, 432. Filese Teobaldo, 452*.
De Montel Jean, 153. Filippi Alessio, franciscain, 560.
De Ruggero, cardinal Gaetano, 172. Filograssi G., 88.
Desclée (Editeur), 72. Fiorentino Agostino, franciscain, 563.
Desflèches Joseph m.e.p., 104, 108, 109, Focolla Francesco, 321.
560. Forbin-Janson Charles de, 413.
Des Garets Comte, 412*, 438. Formuli Luigi, 75.
Des Houx Henri (pseudonyme de Du- Foucard Pierre m.e.p., 560.
rand-Morimbeau), 469*. Franchi, Cardinal Alessandro, 39, 66.
Devoucoux s.m.a., 498*. François de Sales (Saint), 367.
608 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

François-Xavier (Saint), 1. Guichard François m.e.p., 563.


Franzelin, Cardinal Johann Baptist, Guilloux Claude cm., 504*.
39, 135-138, 140, 171, 173.
Fraysse Hilarion, mariste, 563. Hacquard Augustin p. bl., 296, 301.
Freppel Charles Emile, 129. Hamel Charles, 412, 425-427, 432.
Freycinet Charles Louis de Saulces de, Hamon Ferdinand, scheutiste, 560.
447, 483. Hanlon Emile, m. de Mill-Hill, 243,
Freyd sp., 108. 245, 563.
Hanotaux Gabriel, 316.
Gäbet Joseph cm., 243. Harding Leonhard, 315*.
Gadille Jacques, 2*, 314*, 400*. Hassun, Cardinal Antoine, 135-136,
Galibert Louis m.e.p., 560. 145.
Galimberti, Cardinal Luigi, 36, 111*, Hennessy John Pope, 460.
135, 137, 146, 469*. Heremans Joseph, 243*, 244*.
Galton Compton s.j., 563. Hergenröther, Cardinal Josef von, 171.
Gandolfi Général 512. Hermant Léon, 318*, 353*.
Gandy Joseph m.e.p., 287, 289*, 563. Hertlig Baron, 100.
Garcia-Cezon Barnabeu, 560. Hirth Jean-Joseph, p. bl., 563.
Garnier Valentin, 560. Hoang Pierre prêtre chinois, 267-268*.
Gasnier Edouard, 560. Hocedez Edgar s.j., 109-110.
Gasparri Pietro, 37. Hohenlohe, Cardinal Gustav Adolf
Gaughren Matthieu, 319*, 563. Prince, 171-172.
Gendreau Pierre m.e.p., 127-128, 320*, Hopkins Frederic, 563.
563. Howard, Cardinal Edward Henry, 39,
Gennevoise F. abbé, 26. 135-136, 145, 171.
Gentili Tommaso, 116. Hübsch Bruno, 371.
Gerboin François, 318*. Hudrisier Marcel capucin, 563.
Gessi Angelo, 105, 107, 162. Hurth Jean-Pierre, Ste Croix, 322*,
Geurts Ernest cm., 563. 563.
Geyer François-Xavier, Sacré-Cœur de
Vérone, 335. Ingoii Francesco, 30, 41, 197.
Girard Père, 462. Innocent X, 40.
Giraudeau Pierre m.e.p., 458, 563. Isabelle II, 383.
Giulianelli Francesco, 461, 465.
Giustini Filippo, 105, 111-114, 162. Jacobini, Cardinal Domenico Maria,
Goethals Paul s.j., 560. 36, 63, 81, 84, 92, 97-98, 115, 135,
Gotti, Cardinal Girolamo Maria, 37, 137, 140, 146-149, 174, 255-268, 423-
63, 66, 153-154, 172, 175, 241*. 426, 466, 477-480, 486.
Grabowski Ch., 106. Jacobini, Cardinal Lodovico, 39, 135-
Grange Dominique, 34*. 136, 171, 441-484.
Grangeon Damien m.e.p., 319, 563. Jacopi Michelangelo, 560.
Grasselli Antonio, 66, 105-107, 110, 112, Janssen Arnold SVD, 309, 502.
144. Japiot Emile s.j., 256*, 265*.
Grassi Gregorio, 560. Jarlin Stanislas cm., 508*, 563.
Grégoire Le Grand, 381. Jarosseau André capucin, 563.
Grégoire XV, 27, 40, 41. Javouhey Anne-Marie (Mère), 115*.
Grégoire XVI, 11, 26, 31, 209-210, 216, Jean ou Johannes IV, négus, 445-447.
222, 375, 380, 413, 527. Jolivet Charles o.m.i., 560, 563.
Grentrupt., 339*. Joly Chanoine, 365.
Grimaldi Félix, 68, 70, 116*, 158, 170*. Jootsen Alphonse o.p., 319*.
Grosjean s.j., 323. Jordan Jean-Baptiste, 309, 338.
Gualdi Enrico, 82*, 85*-86. Joulain Henri o.m.i., 563.
Guennou Jean m.e.p., 195*.
Guerry Edmond cm., 560. Kalnoky Gustav Graf, 451-456.
Guchen Denis s.j., 279. Kaspen Α., 105.
INDEX DES NOMS DE PERSONNES 609

Keane John, 105, 111-112*. Li-Hong-Chang, 460, 470, 505, 510.


Kervyn Louis, scheutiste, 501. Libermann François, 7*, 243.
Kleiner Eugène m.e.p., 563. Lions François-Eugène m.e.p., 561.
Knapen, 106. Lippa Pietro, 42.
Köhler Oscar, 375*. Livinhac Léon p. bl., 96, 119*, 189*,
Kowalski Nicolas, 66*. 190*, 301, 303, 321-322, 563.
Kunnemann Alphonse sp., 311, 563. Lorenzelli Mgr, 354.
Lüderitz Adolf, 450.
Lalouyer Pierre m.e.p., 563. Lupo Pietro, 372.
Lamaze Armand, 347*, 563. Luquet Jean-Félix, 209, 243.
Lambermont Baron Auguste, 454. Luypen Edmond, 564.
Lang Joseph s.m.a., 324, 563.
Langenieux, Cardinal Benoît-Marie, Mac Intyre Mgr, 428.
432-433, 499. Mac Mahon, Maréchal de, 1.
Laouënan François m.e.p., 15, 268, Mac Sherry Hugues, 564.
281-282, 371, 561. Macario Cirillo Mgr, 514.
Las Casas Bartolomeo de o.p., 15, Magabure Pierre-Xavier, 564.
395*, 399. Magner Eusebio, 105.
Lasagni, Cardinal Pietro, 136. Mahdi, 330.
La Serviere de s.j., 366. Malet Edward Baldwin, 318*.
Laucaigne Joseph m.e.p., 561. Manna Paolo 511.
Launay Adrien m.e.p., 209, 219, 271, Manning, cardinal Henry Edward,
272*, 276*, 278, 280, 283, 284*, 470, 473.
292*, 367, 371*, 371. Marcellino da Civezza, 105, 106, 114.
Laurenti Camilio, 82*, 86, 91, 163-164. Marcocchi Massimo, 197*, 199.
Laurenzi Cardinal Carlo, 172. Marcou Jean-Pierre m.e.p., 564.
La Vaissiere Camille de s.j., 318. Marcucci Serafino, 75, 84.
Lavigerie Cardinal Charles-Martial Marie de la Passion Mère (Hélène de
Allemand, 64, 96-98, 120-121, 185, 189, Chappotin), 309, 332.
242, 297, 303, 309, 313-315, 318*, Marini Antonino, 80.
321, 369*, 388-391, 441-444, 468. Marion Brésillac de, 243, 245, 367*.
Lavigne Charles s.j., 316. Martin Joseph Mgr, 316*.
Le Berre Pierre-Marie sp., 561. Martin Louis s.j. 316.
Le Doré Ange, eudiste, 16*. Martin Rogatien, picpus, 316*, 564.
Le Roy Alexandre, 188*, 192, 299*, Martin Victor, 51*, 63*, 65, 75*, 76*,
368-369, 396, 401, 526, 563. 103*.
Lebbe Vincent cm., 267*, 511. Martina G., 157*.
Lebon André, 316. Martinelli, Cardinal Tommaso, 66,
Ledochowski, Cardinal Mieczyslaw, 107, 166, 171.
39, 62, 104, 107, 151-154, 160, 171- Martinucci Pio, 104, 114.
172, 175, 244, 245, 315, 333, 344, Masot y Gomez Salvador, 564.
363*, 419, 429-439, 465-469, 494, Masotti, Cardinal Ignazio, 63, 148, 174.
506*. Massaja, Cardinal Guglielmo, 47, 136,
Lefebvre de Béhaine Edouard, Comte, 343, 444-446, 560.
37*, 153, 459, 477-478, 482-484, 486. Mathieu, Cardinal François-Désiré,
Le Myre de Vilers Charles, 317. 135, 137, 143.
Léon Le Grand, 381. Mauzaize Jean, 243*.
Léonard Jean, 561, 563. Mayer Théophile, 324.
Leopold II, 130, 233*, 302, 306, 442- Mazzella, Cardinal Camillo, 39, 66, 72,
443, 450, 477, 495. 89-90, 120, 135-138, 141, 143-144, 146,
Lépicier, Cardinal Alexis, 112. 172-173, 254, 337.
Leray Joseph, X.-Cœur d'Issoudun, Meglia, Cardinal Pier Francesco, 136-
191*, 563. 137.
Leslie William, 197. Melata Benedetto, 66, 112, 120, 144,
Levasseur Donat o.m.i., 312*, 354*. 162, 245*.
610 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Melchers, Cardinal Paul, 136-137. Pagani Clemente bénéd., 305, 564.


Melizan André, 564. Paglia Vincenzo, 157.
Mellano Leonardo, 561. Palotti, Cardinal Luigi, 36, 111.
Menelik, Négus, 446, 514-515. Panebianco, Cardinal Antonio, 39, 171.
Merel Jean-Marie m.e.p., 320. Paris Prosper s.j., 366, 564.
Mermillod, Cardinal Gaspard, 427- Parocchi, Cardinal Luigi, 39, 135-137,
428. 160, 171-172, 190.
Merry del Val, Cardinal Rafael, 161. Passaglia Carlo, 138, 145.
Mertel, Cardinal Theodulf, 39, 117, 141, Passerini Mio, 564.
143, 145, 171-173. Paul V, 341.
Metodio da Nembro cap., 343. Paya y Rico, Cardinal, 171.
Metzler Josef, 17*, 25*, 32*, 41, 181, Pecci, Cardinal Giuseppe, 160, 166, 171.
197*, 198, 254, 258*. Pecci Comte, 190.
Meurin Louis s.j., 134, 332-334, 561. Pellet Paul s.m.a., 100*, 564.
Michel R.P. p. bl., 365*. Pennacchi G., 105, 111.
Michele da Carbonara, 513. Perbal Joseph, 487.
Miège Jean-Louis, 446*. Perez y Perez Luis Augustinien, 564.
Misciatelli Marquis, 90. Peroton Françoise, 309.
Moccagatta Luigi, 561. Perrone Giovanni, 405.
Mocenni, Cardinal Mario, 475. Perrot Claude-Hélène, 358*.
Monaco La Valletta Cardinal Raffaele, Persico, Cardinal Ignazio, 63, 105, 113,
39, 135, 171-172. 135, 137, 143, 165, 172, 174, 335.
Mondami Luigi, 564. Petit Jean Bernard m.e.p., 462-464,
Montclos Xavier de, 400*. 561.
Montel von Treuenfest Johannes Piazzoli Luigi, 564.
Edler, 153. Pie VI, 44.
Morel Théodore, 412*, 419-421, 425- Pie Vili, 68.
426, 432-434. Pie IX, 2, 11, 32, 51, 55-56, 69, 77, 88,
Mossard Lucien m.e.p., 564. 91, 123*, 145, 150, 173, 178, 181, 188,
Moya Rafael, 325*. 208, 221, 222, 323, 413, 457, 460.
Mtesa, roi du Buganda, 188. Pie X, 27, 73, 170, 435.
Mukoso Ng'ekieb, 154*, 302*. Pie XI, 117*.
Mutel Gustave m.e.p., 364*, 564. Pierantozzi Giovanni, 86, 91, 92, 161-
164.
Navarre André, Sacré-Cœur d'Issou- Pinchon Jean m.e.p., 561.
dun, 240*, 241*, 318*, 564. Pineau Louis m.e.p., 564.
Navenne Ferdinand de, 6*. Piolet Jean-Baptiste s.j., 3, 6, 398.
Neyrat Stéphane, 425-426. Pitra, Cardinal Jean-Baptiste, 136, 140,
Newman, Cardinal John Henry, 522, 142*, 147, 160, 171, 468, 469*.
524, 526. Planque Augustin s.m.a., 64*, 100, 125,
Nicolas V, 385. 191*, 219, 234, 308*, 309, 349.
Nina, Cardinal Lorenzo, 39, 136, 145, Poirier P. s.m.a., 184*.
171, 173. Pompili Basilio, 105, 111-114, 162.
Nisard Armand, 496*, 497-498. Ponsot Joseph m.e.p., 561.
Nobili Robert de s.j., 280-281, 402. Pontvianne Martin m.e.p., 561.
Noël Bernard sp., 108*, 116. Popoli Antonio, 80.
Poubelle Eugène, 153. 497.
O'Neill Pierre, bénédictin, 564. Poulat Emile, 366.
Oreglia di Santo Stefano, Cardinal
Luigi, 39, 88, 91, 135-136, 139, 160, 171- Quillon Laurent m.e.p., 324.
172.
Osouf Pierre-Marie, m.e.p., 247*, 248*, Radaelli Noël s.m.a, 324.
294*, 387, 463-464, 488-492, 564. Raphael D'Aurillac, 106, 110-111, 130.
Ossi Ferdinando, carme déch., 564. Raimondi Giovanni Timoleone
Otto Hubert, scheutiste, 245, 319, 564. m.e.m., 461, 470M72, 561.
INDEX DES NOMS DE PERSONNES 611

Raison-Jourde Françoise, 370*, 372*. Schwarzenberg, Cardinal Friedrich


Ramond Paul-Marie m.e.p., 564. Prince de 171.
Rampolla del Tindaro, Cardinal Scurati Giacomo, 72.
Mariano, 36, 39, 88, 121*, 139, 160, 172, Segna, Cardinal Francesco, 37, 104,
173, 190, 315, 420-421, 430-439, 457, 110-111, 113, 135, 137, 160, 162, 172,
465, 493-517. 494.
Randi, Cardinal Lorenzo Ilarione, 67, Semprini Eusebio, franciscain, 561.
136, 171. Serafini, Cardinal Domenico, 106, 112-
Reichenau Franz von, 153*, 154. 113, 135-137, 147, 171-172.
Reuter Α., 40*. Silva Torres Mgr, 31.
Reynaud Paul m.e.p., 317*, 564. Simeoni, Cardinal Giovanni, 14, 39, 62,
Riano Emmanuele o.p., 561. 66, 70, 91, 104, 109, 135-136, 143, 150-
Ricards Jack D., 134, 561. 151, 171, 173, 175, 183, 302, 331, 422,
Ricci Matteo s.j., 268, 402. 428, 457, 503*, 515.
Richard, Cardinal François-Marie, Simmaco (pseudonyme de Raffaele De
397. Cesare), 148, 151-152, 155.
Ridel Félix m.e.p., 561. Simon Jean-Marie, St François de
Riehl François-Xavier, 318, 321. Troyes, 564.
Rivinius Karl J., 502. Sixte-Quint, 180, 187.
Rizzi Odorico, 564. Skirmunt C, 106.
Roelens Victor p. bl., 564. Smeülders H., 105, 110, 120, 130.
Roncalli Angelo Giuseppe, 162*. Smith B., 105.
Rooney John, 564. Smolikowski Paul, 106, 111-112.
Ropert Gustan, picpusien, 564. Socube p. bl., 122*.
Roncetti, Chanoine, 92. Soetens Claude, 402*.
Rossetti R., 94-95. Sogaro Francesco," 98-99, 330, 332-
Rousseille Jean-Joseph, 117. 334.
Roveggio Antonio, 335. Sohier Albert, 458*, 469-476, 502*,
Rudini Antonio Starraba, Marquis de, 510.
514. Solieri Francesco, 106, 110, 114.
Sorrentino Gioacchino, 80.
Sacconi, Cardinal Carlo, 135-136, 171. Spelta Luigi, 268, 460.
Saint Jean Madame de, 189. Spindler Marc, 358*.
Saionzi, Marquis, 489. Stefanopoli Stefano, 104.
Sambucetti Cesare, 81, 86, , 91-92, 101, Steinhuber, Cardinal Andreas, 39, 135,
106-107, 110, 161. 137, 172, 173.
Sanguigni, Cardinal Domenico, 136. Storme Marcel, 223*, 442*, 443*.
Sarthou Jean-Baptiste cm., 322, 504- Storti Nicolo, 514*.
505. Streicher Henri p. bl., 564.
Satolli, Cardinal Francesco, 135, 137, Suarez Francisco, 399.
146-147, 172-173, 191*, 494. Suter Fedele da Ferrara, 313, 561.
Saune Henri de, 317, 563. Szechenyi Comte Emeric, 454.
Savelli-Spinola Antonio, 66, 112, 144,
162. Tagliabue François c. m., 461, 500,
Sbaretti Donato, 84. 503-504.
Sbaretti Cardinal Enea, 67, 86, 91, 99, Talamo Salvatore, 106, 107, 110, 112,
100, 161, 171. 114.
Scarella Stefano m.e.m., 500*, 564. Talbot de Malahide G., 104.
Schang Caesarius, franciscain, 334, Tampieri Sante, 85, 86, 88, 91, 94, 95,
564. 163.
Schiaffino, Cardinal Placido Maria, Taurin-Cahagne Luigi, capucin, 446,
135-136, 141. 561.
Schiaparelli Professeur, 515. Tedeschi S., 514*.
Schmalzgrueber, 123. Teilhard de Chardin s.j., 265*.
Schrader CL, 138. Terres Jose o.p., 564.
612 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Terrien Ferdinand s.m.a., 432, 435. Velasco Maximino o.p., 564.


Terrinoni Tommaso, 78. Verdier Joseph, picpusien, 281, 286,
Thomas (pseudonyme de Planchet 565.
Jean Marie cm.), 500*. Verga, Cardinal Isidoro, 104, 110, 111,
Thomas d'Aquin (Saint), 114, 176, 263, 135-137, 172.
378. Verhaegen Théotime, franciscain, 565.
Timmer Albert, franciscain, 564. Verinaud Jean m.e.p., 272.
Tissot Jean, salésien d'Annecy, 561. Verricelli, 367.
Tommaso da Forlì, 105, 106. Vespasiani Salvatore, 80.
Tordella Francesco, 80. Vey Jean-Louis m.e.p., 561, 565.
Tornatore Rocco m.e.m., 564. Vie Casimir m.e.p., 247*, 565.
Torroni Filippo, 86, 160, 163. Vidal Julien, mariste, 565.
Tosa G.T., 105. Vigano Pietro m.e.m., 565.
Toulotte Anatole p. bl., 318, 321. De Villèle Joseph de, 318.
Touvier Marcel cm., 343, 344*, 447, Vitoria Francisco de, 15, 395*, 396,
561. 399.
Tragella G.B. m.e.m., 265. Vives y Tuto, Cardinal Calazanz, 62,
Trombetta Luigi, 106, 107, 162. 72, 135, 137, 140, 172.
Tufari P., 157. Volenteri Simeone m.e.m., 561, 565.
Volpe Mgr, 190*.
Upadhyaya Brahmabanday, 281-282.
Urbain Vili, 40, 47, 62*, 124*. Weber Christoph, 139*, 142*, 148*,
151*, 152*, 153M55*.
Val D'Ereamo Giuseppe, capucin, 369. Wei-Tsing-Sing Louis, 458*, 476, 500*.
Van Aertselaer Jérémie, scheutiste, Werner O. s.j., 3.
154, 564. Wülfingh Wilhelm, rédemptoriste,
Van Baars Ambroise o.p., 564. 565.
Van den Branden de Reeth Victor, 106,
107, 111, 129-130, 162. Zaleski Ladislas, 89, 90, 91*, 134, 181-
Van Ewjih Martin o.p., 561. 183, 269-292, 305, 322-323, 342, 344-
Van Hecken Louis, 462*. 346, 355-357, 362, 371, 485.
Van Hoof Jérôme, 242. Zandi Eustache, franciscain, 561.
Van Reeth Joseph s.j., 322, 564. Zanoli E., 319*.
Van Ronsle Camille, scheutiste, 564. Zappa Charles s.m.a., 124-128.
Vannutelli Serafino, 39, 88, 135-139, Zecchini Addano, 72, 86, 88, 91, 160,
146-147, 172-173, 441. 163, 190, 429*.
Vannutelli Vincenzo, 39, 67, 88, 135- Zigliara, Cardinal Tommaso, 39, 135-
139, 142, 146-147, 172-173, 190, 223*, 137, 138, 141, 144, 146, 171-173, 254.
355*, 363*, 494. Zitelli-Natali Zefferino, 84, 86, 88, 94,
Vaughan, Cardinal Herbert Α., 328, 96-99, 160, 163, 177.
329*, 494. Zonghi Giovanni Maria, 78, 86, 85*,
Veccia Luigi, 63, 164, 174. 88, 97, 161, 163.
Veglia Domenico, 75. Zottoli R.P. s.j., 260*.
INDEX DES MATIÈRES

Abyssinie, 2, 38, 47, 445-448, 512. Camera degli Spogli, 68, 72.
Académie des Nobles Ecclésiastiques, Capranica (collège), 88, 139, 164.
81, 89, 146, 151. Cardinaux de curie, chapitre 5
Acculturation, Adaptation, Indigénisa- (passim).
tion, 213, 260-264, 280-285, 271-285, Carolines (îles), 382-385.
361-372, 399-403. Carrières ecclésiastiques, 91-96,
Administration des sacrements, 226, chapitre 6 (passim).
259. Catéchisme, 204, 272.
Affaires Ecclésiastiques Chine, 1, 31, 33, 49, 115-116, 138, 140-
Extraordinaires (Congrégation des), 35-39, 141, 198, 201, 251-268, 386-388, 417,
165, 457, chapitres 14 à 16 (passim). 458-461, 465-484, 499-511, 523.
Afrique, 2, 12, 16, 26, 29, 40, 51, 57-60, Chrétientés (modèle missionnaire
73, 98, 124-129, 142-143, 188, 223, des), 215, 225-227, 255, 266, 358-
235-241, 391, 400-402, 430, 441-445, 360.
486-488, 511. Clergé indigène, 202-203, 207, 213-214,
Algérie, 2, 122-124, 141. 244-250, 282, 285-293, 346-349, 365.
Allemagne, 1, 10, 26, 98, 383-384, 417, Collectanea, 43-53, 81-82, 187, 199-202,
449-456, 501-503, 506, 509 (voir 376-377.
aussi à Bismarck). Colonisation et Papauté, 34-35, 392-
Amérique du nord, 12, 17, 52, 57-60. 399.
Amérique latine, 15, 26, 29, 57-59, 432- Commissions spécialisées, 66, 108, 115,
435. 144.
Annales de la propagation de la foi, 6-7, Concile (Congrégation du), 46, 112.
412-413, 415. Concile du Vatican, 11-16, 203, 404.
Anthropos (revue), 368, 401. Conférence d'Edimbourg, 19.
Antiesclavagiste (campagne), 376, 388- Conférence de Berlin, 385, 449-456.
392, 429-432. Congo, 232, 242.
Apollinaire (Séminaire romain), 88, Congo (Etat Indépendant du), 354,
93, 94, 111, 114, 139-140, 145, 157, 523.
166. Consulteurs, 64, chapitre 4.
Archivistes, 78-84. Contrôle des missions, 271-274, 325-
Asie (en général), 12, 26, 40, 51, 58-60, 338.
201, 223, 456-464. Convention Berthemy, 33-34.
Associations d'aide aux missions, 417- Corée, 1, 33.
423. Curie (fonctionnement d'ensemble),
Association Saint-Pierre-Claver, 419. 168-177.
Attribution des territoires, 295-301.
Australie, 2, 17. Dahomey, 186, 229-231, 234-241.
Autriche, 35, 417-419, 421-422, 449- Délégués apostoliques, 181-184, 268-
456. 293 (Voir aussi à Agliardi, Aiuti, Za-
leski).
Baptême, 206, 357, 406-408. Délimitation des missions, 296-301,
Baptême in articulo mortis, 413. 308, 486-488.
Belgique, 2, 10, 35. Doctrine missionnaire de la
Brésil, 10. Propagande, chapitre 7 (passim).
614 INDEX DES MATIÈRES

Economat, 67-74, 150. Etudes (Congrégation des) 112.


Egypte, 2, 35. Europe, 26, 52.
Encycliques et autres documents Evêques (Congrégation des), 112.
pontificaux.
- Ad Extremas (1893), 210, 215, 286, Finances, 68-74, 201-212, 227-228, 389-
494. 390, chapitre 13 (411, passim).
- /Eterni patris (1879), 377-378. France, 1, 10, 11, chapitres 13 à 16
- Apostolicœ curce (1896), 377. (passim).
- Arcanum (1880), 525. Francescus-Xaverius Verein, 417-419.
- Au milieu des consolations (1892),
376. Grégorienne (Université), 88, 111, 141,
- Auspicia rerum (motu proprio, 157, 166, 318, 405.
1896), 376.
- Catholicœ Ecclesiœ (1890), 376, 389. Hiérarchie (établissement de la), 315,
- Christi nomen (1894), 434, 438. 350-351, 488-492.
- Depuis le jour (1899), 395.
- Ex quo singulari, 42, 49. Indes, 1, 10, 15, 31, 32, 46, 116, 138, 139,
- Humanœ salutis (1886), 269. 142, 196, 198, 201, 208-216, 268-293,
- Humani generis, 377. 305, 356-357, 371, 456-458, 485.
- Immortale Dei (1885), 381, 384. Indochine, 49, 127-128, 195.
- In plurimis (1883), 381, 389, 394. Instituts missionnaires et Propaganda
fide, 300-307, 318-332.
- Inscrutabili (bulle, 1493), 40, 56, Instructions de la Propaganda fide, 46,
377-378, 519.
- Inter Caetera (bref), 28, 385. 195-201, 201-208 (Chine), 208-215
- Jamprìdem nobis (1886), 394, 487. (Indes), 499 (Aspera conditio), 575-
- Liberias praestantissimum (1888), 582 (Indes, traduction). Voir aussi
381. Neminem profecto.
- Militans (1881), 417. Intransigeant (modèle catholique),
- Multa Praeclare (bref, 1838), 30. 260, 351-372.
- Omnium sollicitidunum Italie, 1, 11, 35, 417, 445-456, 512-517.
(constitution), 49.
- Orientalium dignitas (1894), 377, Japon, 33, 46, 138, 196, 294, 387-388,
461-464, 488-492, 523.
402.
- Postremo mense, 408. Jus commissionis, 217, 229, 295-296,
336.
- Praeclara gratulationis (1894), 391,
395. Kabylie, 122-124.
- Quam Aspera (allocution, 1884), 464.
- Quod apostolici (1878), 377. Léon XIII (cursus), 145-147.
- Quod auctoritate apostolica (1885), Liberia, 37.
384. Liberté religieuse, 441-448.
- Quce a prœsulibus (instruction), 198, Liturgie, 256, 259, 272, 342 (latin),
201-208. 343-345, 349.
- Rerum novarum (1891), 389, 393. Londres, 470, 506.
- Romanos pontifices, 217, 330, 377.
- Romani pontifices (bulle), 55. Madagascar, 48, 315-318, 371, 513.
- Sancta Dei Civitas (1878), 376, 378- Mariages, 363-365.
380, 415-416. M.E.P. (Missions Etrangères de Paris)
- Sapientice christiance (1890), 379. et clergé indigène, 3, 43, 287-294.
- Tametsi futura (1900), 404, 405. Mexique, 432.
- Testern benevolentice (1899), 377. Missions catholiques, 412, 425, 508.
- Trans Oceanum (1897), 377. Minutanti, 64, 76, 84-101, 113, 160-163.
Monita ad missionarios (1665), 219-
Espagne, 417, 383-384, 420-421. 220.
Etats-Unis, 112 (américanisme), 180,
414, 419-420, 439. «Nationalisation» du personnel des
INDEX DES MATIÈRES 615

missions dans les colonies 304-307, Questionnaires pour les missions, 221-
310-312. 229, 231-232, 252, 583-587.
Neminem profecto (Instruction), 202,
210, 217-219, 285. Ralliement et missions, 495-498.
Nomination des chefs de mission, 317- Rapports annuels, 229.
325. Rapport Jacobini sur la Chine, 252-
Nouvelle-Zélande, 2, 17, 140. 268.
Rapports pour ériger une mission, 231-
Oceanie, 12, 26, 34, 51. 235.
Œuvre d'Orient, 6, 413. Rapports quinquennaux, 235-241.
Officiali, 56, 76. Réforme de la Curie (1878), 117.
Orient, 33, 35, 432-435. Réforme de la Curie (1908), 170.
Règlement, 76.
Padroado, 29-33, 37-38, 133, 173, 209, Risoluzione, 65.
385, 448-449, 456-457, 484-486, 523. Ristretto, 65.
Païens (conversion des), 204, 211, 274- Rites (Congrégation des), 46.
279.
Papauté et Etats colonisateurs, 313- Saint-Office, 25, 40-52, 112, 113.
319. Sainte-Enfance (Œuvre de la), 6, 413,
Perugini, 145-147. 416.
Plantatio Ecclesice, 339. Salut, 404.
Piîeum, 206, 341, 348. Sanctions, 332-335.
Pologne, 151. Secrétaires de la Propaganda Fide, 76,
Ponenti (cardinaux rapporteurs), 134- 147-150.
144. Secrétairerie d'Etat, 35-39, 56,
Ponenza, 56, 65. chapitres 13 à 16 (passim).
Portugal, 28-29, 181, 418, 420-421, 448- Sociabilité romaine, 188-192.
449, 484-486, 511 (voir aussi à po- Sociétés missionnaires, 302-307, 309.
droado). Synodes, 251-257.
Préfectures apostoliques (créations),
566. Tsong-Ly-Yamen, 461, 503*.
Préfets de la Propagande, 62-63, 150-
155, passim. Urbain (Collège), 71-72, 111, 112, 139,
Procures, 184-186. 146, 147, 150, 487.
Propagation de la foi (Œuvre de la),
6-9, 70-71, chapitre 13. Vicariats apostoliques, 30, 178, 315,
Protectorat des missions, 33-35, 38, 560-566 (listes).
173, 456-484, 499-511, 523. Visite ad limina, 179, 223.
TABLE DES MATIÈRES

Pag.
Introduction 1
Abréviations et sigles 21

Première Partie

RADIOGRAPHIE DE LA PROPAGANDE
LA MACHINE ADMINISTRATIVE

Chapitre 1 - La Propagande au sein du gouvernement de


l'Eglise 25
1. Le projet initial : le monopole de l'administration des
pays «hérétiques, schismatiques ou infidèles» 25
2. Des principes à leur application sur le terrain 29
3. Articuler missions et diplomatie : la congrégation des
Affaires ecclésiastiques extraordinaires 35
4. La Propagande et les autres dicastères : centralisation
et conflits de juridiction. L'exemple du Saint-Office .. 40
5. La délimitation des champs d'intervention 43

Chapitre 2 - Croissance et adaptation 55


1. Une administration de plus en plus sollicitée 55
2. Le fonctionnement de la Propagande au quotidien ... 62
3. Les incertitudes de l'administration temporelle 67

Chapitre 3 - Au cœur de la Propagande : les


fonctionnaires PERMANENTS 75
1. Vue d'ensemble 75
2. L'archiviste et ses adjoints, mémoire de la Propagande 78
3. Les minutanti, chevilles ouvrières du dicastère 84
4. Aptitudes, diplômes et recommandations 91
5. Des fonctionnaires très sollicités 96
618 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII
Pag.
Chapitre 4 - Les consulteurs, experts et juges 103
1. La fonction 103
2 . L'organisation du travail des consulteurs 117
3. La méthode des consulteurs face aux dossiers
missionnaires : entre l'uniformité des principes, la
recherche du précédent et la tolérance à titre provisoire 122

Chapitre 5 - Les décideurs : cardinaux et


fonctionnaires majeurs 131
1. Le rôle des cardinaux et du congresso 131
2. Le choix des cardinaux rapporteurs (ponenti) 134
3. Choix des hommes et grande politique pontificale : la
marque de Léon XIII 145

Chapitre 6 - Cohésion interne et intégration de la


Propagande à la Curie 157
1. La cohésion par le choix des hommes 157
2. La Propagande, rouage du gouvernement de l'Eglise . 168
3. La cohésion verticale entre Rome et les missions : de
l'amélioration de la communication à l'accroissement
du contrôle 177
4. Administration et relations humaines : le lien au pape 188

Deuxième Partie

LA DIRECTION ET LA GESTION DES MISSIONS


PAR LA PROPAGANDE. PRINCIPES, INSTRUMENTS,
CHAMPS D'INTERVENTION

Chapitre 7 - La place de la Propagande dans


l'élaboration DE LA DOCTRINE MISSIONNAIRE 195
1. L'instruction de 1659 est-elle la charte des missions
selon la Propagande? 195
2. Identifier les instructions normatives : définition d'un
corpus 199
3. Les instructions de 1883 pour les Vicaires
apostoliques de Chine. Directoire missionnaire et indigénisa-
tion des chrétientés 201
TABLE DES MATIÈRES 619
Pag.
4. L'instruction Cum postremis aux évêques des Indes
orientales (1893). Une tonalité plus offensive 208
5. Bilan des interventions doctrinales 216

Chapitre 8 - Les questionnaires et le contrôle de


l'action MISSIONNAIRE 221

1. De la collecte des informations à la définition d'un


cadre pastoral 221
2. L'impact des questionnaires sur la vie des missions... 229
3. Consensus apparent et résistances sur le terrain 241

Chapitre 9 - Le développement de nouveaux relais de


l'autorité romaine : les synodes et les
délégués APOSTOLIQUES 251

1 . Les synodes au service de l'uniformisation et de l'indi-


génisation du clergé. L'exemple de la Chine 251
2. Les synodes au service de la réforme romaine :
diagnostic et remèdes selon D. Jacobini 257
3. L'achèvement de la plantation de l'Eglise dans les
Indes : le Délégué apostolique au service de la
normalisation 268
4. L'adaptation selon Zaleski : la peau de chagrin 280
5. Clerc romain et pourtant indien. L'introuvable clergé
indigène 285

Chapitre 10 - Délimitation et commission. La gestion au


quotidien 295

1. L'attribution des territoires 295


2. Le choix des sociétés missionnaires 302
3. Entre pragmatisme et indépendance missionnaire :
l'élaboration de règles universelles 307
4. La Propagande et la Secrétairerie d'Etat face aux
puissances coloniales : oui à la protection et aux
subventions; non à la subordination 313
5. La nomination des chefs de mission : un choix
fortement conditionné 317
6. Le contrôle des sociétés missionnaires 325

Chapitre 11 - Modèles ecclésiaux et action missionnaire 339

1. Le fil conducteur des interprétations catholiques de la


mission : La piantano ecclesiae 339
620 STRATÉGIE MISSIONNAIRE SOUS LÉON XIII
Pag.
2. L'exportation du catholicisme intransigeant 351
3. Catholicisme intransigeant et acculturation :
impasses et réappropriations non conformistes 361

Troisième Partie

LA POLITIQUE MISSIONNAIRE. LA MARQUE DE LÉON XIII

Chapitre 12 - La mission extérieure dans


l'enseignement de Léon XIII 375
1. La place des missions dans le discours pontifical. 376
2. Joindre le geste à la parole : la médiation des îles
Carolines; les lettres aux empereurs de Chine et du
Japon; la campagne antiesclavagiste 382
3. Limites et contradictions du discours de Léon XIII sur
la colonisation 392
4. L'impensable acculturation 399
5. «Hors de l'Eglise, point de salut» Comment légiférer
l'indécidable? 404
Chapitre 13 - Echec à Rome? La centralisation
inachevée DES MODES DE FINANCEMENT 411
1. Un héritage d'autonomie relative 412
2. Des signes d'essoufflement 414
3. Du bon usage romain des rivalités nationales 417
4. La résistance de la Propagation de la Foi à la
centralisation romaine 423
5. L'impossible modus vivendi 435
Chapitre 14 - Nouvelles ambitions et ouvertures
universelles. 1878-1885 441
1. La quête de la liberté religieuse 441
2. La conférence de Berlin et le droit des missions. 1884-
1885 449
3. La quête de l'indépendance missionnaire en Asie :
comment mettre fin au padroado et au protectorat de
la France? 456
Chapitre 15 - 1886-1891. Succès, reculs et hésitations.
La fin du rêve? 465
1. 1886. L'échec en Chine. «Un débat qui m'a causé bien
de l'amertume» 465
TABLE DES MATIÈRES 621
Pag.
2. Idéal concordataire et exploration pragmatique de
nouvelles voies : padroado, Afrique, Japon ( 1 887- 1 89 1 ) 484

Chapitre 16 - 1891-1903. Consolidations et compromis.... 493

1. Les infléchissements des années 1890 493


2. Le ralliement à la République et ses implications
outre-mer 495
3. La lutte feutrée et stérile contre le protectorat français
en Chine 499
4. Les derniers obstacles à la normalisation en Afrique . 511

Conclusion générale 519

Sources 529

Bibliographie 541

Liste des croquis, tableaux, cartes et plans 555

Annexes :
1. Carte des circonscriptions dépendant de la S. Congrégation de la
Propagande en Europe, Afrique, Asie, Oceanie (1900), p. 558; 2. Liste des vicaires
apostoliques en 1878 : Afrique, Asie, Oceanie, p. 560; 3. Liste des évêques et
vicaires apostoliques en 1903 : Afrique, Asie, Oceanie, p. 562; 4. Préfectures
apostoliques créées sous Léon XIII, p. 566; 5. Liste et statistiques des
Missions catholiques en Chine (1900), p. 567; 6. Liste et statistiques des
Missions catholiques aux Indes (1900), p. 568; 7. Missions catholiques d'Afrique
(1900), p. 569; 8. Liste et statistiques des Missions catholiques d'Afrique
(1900), p. 570; 9. Rapport du conseiller de l'ambassade de France F. de Na-
venne à l'intention du Président du Conseil et ministre des Affaires
Etrangères Casimir Périer (Rome, 5 janvier 1887), p. 572; 10. Instruction de la
Propagande aux évêques des Indes (Cum postremis, 19 mars 1893), p. 574.
Traduction, p. 575; 11. Questionnaire de la Propagande destiné aux chefs de
Missions, p. 582; 12. Rapport quinquennal du Préfet apostolique du
Dahomey (3 mars 1899), p. 587; 13. Voto de Mgr D. Jacobini sur les synodes de
Chine (1er septembre 1881), p. 593; 14. Budget prévisionnel pour le voyage
des missionnaires pères blancs aux «Grands lacs Nyanza ou Tanganika»
(1885), p. 596; 15. «La France, la Chine et le Saint-Siège», article du
Moniteur de Rome, 20 mai 1886, p. 598; 16. «La politique coloniale», article du
Moniteur de Rome, 7 juillet 1887, p. 600; 17. Opinion de Mgr Lavigne s.j.,
évêque de Trincomalee, sur la question du clergé indigène (9 mars 1904),
p. 601.

Index des noms de personnes 605

Index des matières 613

Table des matières 617

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