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Investissements directs étrangers au
Moyen Orient : facteurs qui freinent ou
favorisent les investissements dans la
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prises multinationales (EMN) dans la création d’em- rats arabes unis, qui contribuent à lutter contre le
plois, la croissance, les gains de productivité, les chômage élevé. En moyenne, les investissements
transferts de technologie et dans l’ouverture sur le greenfield représentent 4,86 % du PIB du MENA :
monde qui leur permet d’être mieux intégrées au pal- précisons que le Koweït, l’Iran et le Liban sont au
marès mondial (Harrison, 1994 ; Del Prete et al., bas de la classification alors que le Qatar, Bahreïn et
2018). C’est pourquoi attirer les investissements di- la Tunisie sont en tête.
rects étrangers (IDE) est l’une des priorités de la Pour revenir à l’évolution, la Grande récession et le
plupart des pays. Printemps arabe ont fait chuter les IDE dans la ré-
Du point de vue des investisseurs, les risques poli- gion (carte 1). Cette baisse significative des IDE
tiques sont, après l’instabilité macroéconomique, le n’est pas surprenante puisque les pays occidentaux,
facteur qui freine le plus les investissements dans qui sont les principaux investisseurs dans la région
les pays en développement (MIGA, 2014). Parmi les MENA, sont ceux qui ont le plus souffert de la crise,
risques politiques, les perturbations que les investis- ce qui a limité leur capacité à investir à l’étranger.
seurs craignent le plus sont les changements de ré- Puis le Printemps arabe a augmenté l’instabilité poli- Annuaire IEMed. de la Méditerranée 2018
glementation défavorables et les ruptures de contrat. tique et la violence, deux aspects susceptibles de
Ce problème a été exacerbé par le Printemps arabe, décourager les IDE.
puisqu’il a provoqué une plus grande instabilité poli- Quels sont les pays qui investissent dans la région
tique et plus de violence dans la région du Moyen- MENA ? Comme on peut le voir dans le graphique 9,
Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). l’Europe (spécialement la France et la Grande-Bre-
Cet article s’appuie sur les recherches peu nom- tagne), les États-Unis et les Émirats arabes unis
breuses qui ont été publiées sur cette région et sur jouent un rôle de premier plan dans la région. Puis la
notre propre étude (Carril-Caccia et al., 2018). Il Chine, l’Inde et le Japon sont également des investis-
s’agit ici d’approfondir la capacité de la région MENA seurs importants pour certains producteurs de pé-
à attirer des IDE, et de souligner le rôle joué par les trole. Les entreprises du MENA qui ne produisent
institutions et la violence. pas de pétrole attirent les investisseurs de pays plus
Syrie
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Tunisie Liban
Iraq Iran
Maroc
Jordanie
Algérie Koweït
Libye
Égypte Bahreïn
Investissements
greenfield par Oman
rapport au PIB (%)
6,7
4,6
2,4 Yémen
0,2
Djibouti
Source : Les données sur les investissements greenfield, qui proviennent des marchés d’IDE, sont tirées du Financial Times, service fDi Markets, et les données du PIB sont extraits des Indicateurs de
développement de la Banque mondiale. Les moyennes sont calculées pour la période 2009-2012.
Annuaire IEMed. de la Méditerranée 2018
proches (à part les États-Unis), tandis que les pro- loppés sont les destinataires naturels d’IDE qui sont
ducteurs de pétrole sont capables d’attirer des flux axés sur la recherche de marchés stratégiques et
de capitaux qui viennent de plus loin. donc liés positivement à la taille du marché et à l’in-
tensité du capital-travail. Par contre, les IDE dans
les pays en développement comme ceux du MENA
Les déterminants de l’IDE : spécificités de la peuvent répondre à d’autres motivations, telles que
région MENA l’efficacité ou l’exploitation de ressources natu-
relles. En ce qui concerne les IDE en pays dévelop-
Les motivations des entreprises à investir à l’étran- pés, verticaux par nature, ils visent à réduire les
ger sont habituellement classées selon la théorie coûts et sont dès lors sensibles aux frais commer-
classique des IDE (Dunning, 1993). Les pays déve- ciaux, à l’accessibilité, aux infrastructures et aux
Bilan
Japon
Inde
Chine
Grande-
Bretagne
France
ÉAU
États-Unis
0 2 4 6 8 10 12 14
Pays MENA non producteurs de pétrole Pays MENA producteurs de pétrole Tous les pays MENA
Source : Les données des marchés d’IDE proviennent du Financial Times. L’axe horizontal indique le nombre de fois qu’un pays a fait partie des 5 premiers investisseurs dans n’importe quel pays MENA.
60 % - LBY
IRQ
KWT
50 % - SAU
Rentes pétrolières par rapport au PIB
305
40 % - OMN
QAT
IRN YEM
30 % -
DZA
SYR ARE
20 % - BHR
EGY
10 % -
TUN
LBN MAR JOR DJI
0%-
0% 2% 4% 6% 8% 10 % 12 % 14 %
Source : Les données sur les investissements greenfield sont tirées du Financial Times, service fDi Markets ; quant aux PIB et aux rentes pétrolières par rapport aux PIB, ils sont extraits des Indicateurs de
développement de la Banque mondiale. Les moyennes sont calculées pour la période 2003-2012.
Annuaire IEMed. de la Méditerranée 2018
coûts de main-d’œuvre (Hanson et al., 2005). En mais aussi celui de la distance géographique et
revanche, les IDE dans les pays en développement culturelle, des liens historiques, de l’Accord de libre-
sont conditionnés par la disponibilité des res- échange (ALE), du Traité bilatéral d’investissement
sources naturelles. (TBI), ainsi que des cadres institutionnels. De plus,
Basée sur les données d’investissements greenfield nous évaluons si les facteurs qui motivent les IDE
bilatéraux pour 160 pays au cours de la période sont différents si le pays hôte est un producteur de
2003-2012 (tirées du service fDi Markets), cette pétrole ou non.
étude dévoile les particularités des déterminants En ce qui concerne les spécificités possibles des
des IDE dans la région MENA. Pour ce faire, nous pays MENA comme pays hôtes, nos résultats in-
utilisons un modèle de gravité économique qui nous diquent que les liens culturels entraînent des IDE
permet de détecter le rôle de la taille des marchés, dans la région du MENA : partager la même reli-
ments dans ces pays plus que dans toute autre ré- indirects, étant donné que leurs investissements
gion. Les liens de l’ancienne colonie sont utiles sont plus orientés vers l’efficacité. En revanche, les
pour les nouveaux projets (marge extensive). Les producteurs de pétrole attirent de moins grandes
frais de transport, correspondant à la distance quantités d’IDE en ce qui concerne leur production
entre les investisseurs, entravent les investisse- nationale (ou sont moins dépendants des capitaux
Secteurs stratégiques | Économie et territoire
ments greenfield bilatéraux dans une plus grande étrangers). Les pays aux ressources naturelles abon-
mesure pour les non producteurs de pétrole du dantes ont tendance à attirer des IDE dans l’indus-
MENA que pour le reste du monde. Cependant, la trie d’extraction, tandis que les investissements
distance est sans importance pour expliquer les s’éloignent des secteurs où il n’y a pas de res-
flux de capitaux vers les producteurs de pétrole du sources. En effet, les investisseurs étrangers ne
MENA, comme on l’a suggéré ci-dessus. sont pas découragés par la distance, ce qui signifie
qu’ils recherchent avant tout des ressources natu-
relles.
En ce qui concerne les spécificités
possibles des pays MENA comme IDE, pétrole et institutions : la situation de la
pays hôtes, nos résultats indiquent région MENA
que les liens culturels entraînent des
Le MENA représente plus d’un tiers de la production
IDE dans la région du MENA :
mondiale de barils de pétrole 1. Autrement dit, le pé-
partager la même religion et la même trole constitue une part importante des recettes na-
langue favorisent les investissements tionales des pays du MENA, sauf dans le cas de Dji-
dans ces pays plus que dans toute bouti, de la Jordanie, du Liban, du Maroc et de la
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bilatéraux d’investissement, ils stimuleraient les flux tile pour la corruption (Aleksynska et Havrylchyk,
de capitaux vers les pays non producteurs de pé- 2013), augmentent les risques d’expropriation
trole (marges intensives). (Hajzler, 2014) et la probabilité d’une mauvaise gou-
Les facteurs qui attirent les investisseurs vers les vernance (Van der Ploeg, 2011). Par contre, les en-
producteurs de pétrole diffèrent vraiment de ceux treprises multinationales qui investissent dans l’in-
qui les attirent vers les pays qui manquent de pé- dustrie d’extraction peuvent préférer les institutions
trole. Pour créer de nouveaux projets dans les éco- défectueuses (Burger et al., 2015 ; Poelhekke et Van
nomies plus diversifiées de la région MENA, les en- der Ploeg, 2013) et des autocraties stables (Asiedu
treprises multinationales cherchent surtout à réduire et Lien, 2011). Dans l’ensemble, les capitaux étran-
1 Les statistiques de la production de pétrole pour la période 2003-2012 sont extraites de la plateforme Thomson Reuters Eikon
Bilan
Pays MENA producteurs Pays MENA non Autres pays en
Pays développés
de pétrole producteurs de pétrole développement
Démocratie -5,78 -0,77 3,23 9,73
État de droit -0,23 -0,22 -0,47 1,21
Manque de corruption -0,23 -0,27 -0,39 1.21
Stabilité politique -0,45 -0,47 -0,34 0,78
12 % - 0,05 % -
10 % - -0,00 % -
8%-
-0,05 % -
6%-
-0,10 % -
4%-
2%- -0,15 % -
0%- -0,20 % -
Reste du monde Pays MENA Producteurs de pétrole Reste du monde Pays MENA Producteurs de pétrole
du MENA du MENA
Impact Significatif Impact Significatif
1,4 % - 0,3 % -
1,2 % - 0,2 % -
1,0 % - 0,1 % -
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0,8 % - 0,0 % -
0,6 % - -0,1 % -
0,4 % - -0,2 % -
0,2 % - -0,3 % -
0,0 % - -0,4 % -
Reste du monde Pays MENA Producteurs de pétrole Reste du monde Pays MENA Producteurs de pétrole
du MENA du MENA
Impact Significatif Impact Significatif
4,0 % - 3,0 % -
3,5 % -
2,5 % -
3,0 % -
2,5 % - 2,0 % -
2,0 % - 1,5 % -
1,5 % -
1,0 % -
1,0 % -
0,5 % - 0,5 % -
0,0 % - 0,0 % -
Reste du monde Pays MENA Producteurs de pétrole Reste du monde Pays MENA Producteurs de pétrole Annuaire IEMed. de la Méditerranée 2018
du MENA du MENA
Impact Significatif Impact Significatif
Source : Les graphiques sont basés sur des estimations disponibles dans Carril-Caccia et al., 2018. Ils indiquent le pourcentage de projets auquel on pourrait s’attendre à la suite d’une augmentation d’un
pourcentage dans une variable donnée (variation d’une unité dans le cas de la démocratie).
gers investis dans le pétrole ne peuvent pas com- tante. Les pays MENA se distinguent par leur bas
penser les désinvestissements des secteurs non liés niveau de démocratisation, leur forte instabilité poli-
aux ressources naturelles (Poelhekke et Van der tique et leur haut niveau de violence, tant sur le plan
Ploeg, 2013). national que dans leur voisinage. En fait, la plupart
En ce qui concerne la qualité des institutions du des producteurs de pétrole du MENA sont des pays
MENA, si on la compare à celle d’autres régions (ta- presque totalement (ou totalement) autocratiques.
bleau 9), on peut affirmer que la situation est inquié- En outre, entre 2003 et 2012, la région MENA a
lieu dans le monde, l’Irak étant le pays le plus touché. lence dans un pays porte atteinte à toute la région.
En revanche, le MENA est mieux loti que les autres Or, les pays producteurs de pétrole sont caractéri-
pays en développement en ce qui concerne l’État de sés par des niveaux de démocratie spécialement
droit et l’absence de corruption. bas et un degré élevé de violence : donc, s’ils amé-
lioraient cet environnement, ils pourraient beaucoup
Secteurs stratégiques | Économie et territoire
teur entraînerait seulement une croissance de 7 %. préoccupation majeure pour les investisseurs étran-
Même si cela peut paraître curieux, le fait de respec- gers. Une autre particularité du MENA est que les
ter davantage l’État de droit et de réduire la corrup- liens coloniaux, l’affinité religieuse et la langue com-
tion augmenterait aussi les IDE dans les pays pro- mune favorisent spécialement les IDE dans la région,
ducteurs de pétrole du MENA, et cela dans une plus ce qui signifie qu’il existe plus de barrières infor-
large mesure qu’ailleurs. En effet, en améliorant melles pour investir dans ces pays qu’ailleurs.
chaque indicateur d’un pour cent, on pourrait aug-
menter le nombre de projets greenfield de 2,1 % et
3,6 % respectivement. Contrairement au reste du monde,
Les investissements greenfield dans le MENA
les investisseurs étrangers ne font
s’avèrent donc extrêmement sensibles à l’instabilité
et à la violence. Par exemple, alors qu’une améliora- pas la distinction entre les pays du
tion de 1 % dans la stabilité politique est censée fa- MENA en ce qui concerne le risque
voriser d’un pourcentage semblable le nombre d’in- de violence et d’épisodes violents :
Annuaire IEMed. de la Méditerranée 2018
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tisseurs étrangers, les épisodes de grande violence in developing economies”. Journal of Internatio-
qui ont lieu dans un seul des pays du MENA indiquent nal Economics, 92 (1), 124-146, 2014.
l’instabilité de toute la région, ce qui diffuse donc Hanson, G. H., Mataloni Jr, R. J., et Slaughter, M. J.
l’idée que les entreprises multinationales ne seraient “Vertical production networks in multinational
pas non plus en sécurité dans le reste de la région. firms”. Review of Economics and statistics, 87
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tion process”. FEMISE Research Papers, FEM Africa region”. International Journal of Emerging
41-07, 2017. Markets, 8 (3), 240-257, 2013.
Del Prete, D., Giovannetti, G., et Marvasi, E. “Glo- Sachs, J. D., et Warner, A. M. “The curse of natural
bal value chains: New evidence for North Africa”. resources”. European Economic Review, 45 (4-
International Economics, 153, 42-54, 2018. 6), 827-838, 2001.
Dunning, J. H. “Internationalizing Porter’s diamond”. Van der Ploeg, F. “Natural resources: curse or bles-
MIR: Management International Review, 7-15, sing?”. Journal of Economic Literature, 49 (2),
1993. 366-420, 2011.